Sociologie Des Elites

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Elite Sociologie

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  • Table des matiresRemerciements

    Introduction

    Prolgomnes La sociologie politique des lites enquestions

    Pourquoi une sociologie politique des lites ?Ce que parler dlite(s) veut dire : du sens

    commun au sens pratique

    lite(s) : un concept aux multiples dfinitionsopratoires

    La sociologie des lites comme sourcedinnovation mthodologique

    Des donnes biographiques riches mais discutes

    Existe-t-il un art pour interviewer des litesdirigeantes ?

    Un rapport de domination pas ncessairementdfavorable

    Faux procs et bonnes raisons la sociologie deslites

    litisme et litiste : des approches anti-dmocratiques du politique ?

    La fausse question du pluriel et du singulier

    litisme et thorie du complot : drivation toujourslatente

    Premire partie. La gense europenne du paradigme

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  • litiste : les lites comme groupe choisi Chapitre 1 Vilfredo Pareto. Les lites, un fait

    sociologique presque parfaitLhtrognit des lites comme fait socital

    lite gouvernementale et lite non-gouvernementale

    Une sociologique critique des pratiques litairesde gouvernement

    Monte et chute des lites au prisme de lacirculation

    Un modle sociologique relativement controvers

    Chapitre 2 Linvention de la classe dirigeante parGaetano Mosca

    La minorti dirigeante comme dimension duparadigme litiste

    La classe politique comme conceptualisation de laminorit organise

    Laffirmation dune sociologie de la classedirigeante

    Ltat fort comme antidote aux drives dellite gouvernante

    Linvention du mythe de la Ruling Class

    Chapitre 3 Laffirmation du paradigme litiste : la loidairain de loligarchie

    Roberto Michels : la tendance oligarchique despartis politiques

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  • Un sociologue sous influence : Weber, Mosca et Pareto

    Le fait oligarchique au cur de la dynamique des partis.

    Les intellectuels : minorit organique, classedominante ou lite hgmonique ?

    Limpossible inversion du rapport lite/masse

    Les fondements litaires du pluralismedmocratique

    Deuxime partie. La sociologie des lites face laralit empirique des rgimes politiques

    Chapitre 4 La sociologie compare des litespolitiques. Que nous apprend lanalyse sociographiquedes personnels politiques ?

    Quelle singularit des lites politiques desrgimes totalitaires et autoritaires ?

    La mise nu des spcificits des lites fascistes et nazies

    Un pluralisme litaire limite : le cas des rgimes autoritaires

    Quel social background pour les lites politiquesdmocratiques ?

    Lanalyse sociographique des prdispositions et desdterminismes sociaux

    Prrequis et dterminants sociopolitiques des carrirespolitiques

    Recrutement et carrire des lites politiques

    Chapitre 5 Llite du pouvoir ou le retour de llitismeen dmocratie

    Llite du pouvoir : de la ralit au mythe ?Une imagination sociologique contre llitisme en dmocratie

    Les sentiers de la dpendance de llite la structure du pouvoir

    La double critique de la thse de llite du pouvoir

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  • Lanalyse de la community power structure :pouvoir dinfluence ou pouvoir de dcision ?

    Le pouvoir local de llite conomique : image sociale ou ralitpolitique ?

    Ladquation imparfaite entre pouvoir dinfluence et pouvoir dedcision

    Ruling elites ou classes dirigeantes : Who reallyrules ?

    Lapproche de la structure du pouvoir revisite : ruling elite doesmatter ?

    Retour sur un dbat singulier : classe dirigeante versus classesdirigeantes ?

    Inner circles and Corporate dominance : un rseaux dlites dupouvoir

    Chapitre 6 Qui gouverne en dmocratie ? Unesociologie des lites en action

    Qui exerce concrtement le pouvoir au niveaulocal ?

    Le pouvoir dcisionnel partag des lites locales New Haven

    Les dveloppements de lapproche dcisionnelle du pouvoirlocal

    La prise de dcision aux sommets du pouvoir : unprocessus politique forcment pluraliste ?

    Le pouvoir de llite confront au Veto groups et au bargaining

    Strategic elites, elite groups : les soubassements du pluralisme

    Diffrenciation et autonomisation des lites dupouvoir

    Les approches socitales ou nationales : des lites forcmentdiffrencies ?

    Complexe militaro-industriel ou fragmentation des lites militaires

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  • Troisime partie. Vers une sociologie des litespolitiques ?

    Chapitre 7 Les lites face a la dynamique des rgimespolitiques. Quelles pistes de recherches pour lenolitisme ?

    Does who governs matter ? Nouvellesperspectives comparatives

    Lapport des historiens la perspective litaire

    Recrutement et carrire : au-del de la question des originessociales ?

    Limpossible dpassement des dterminismes sociaux : uneexception franaise ?

    Les lites comme variable danalyse duchangement de rgime

    Lapproche nolitiste ou les fondations litaires de ladmocratie librale

    Les lites face aux situations politiques de changement dergime

    La sociologie des lites face lhybridation des rgimespolitiques

    Chapitre 8 La sociologie des lites de ltat. Que nousapprennent les nouvelles interactions ?

    Lapport de la sociologie historique compare :Les lites face ltat

    Le rles des lites dtat dans le processus dautonomisation dupolitique

    Types dlites et types dtats : btisseurs dtats , gardiens de ltat Juifs dtats

    Les ressorts cachs du pouvoir dtat : deslogiques litaires singulires ?

    Mandarins ou commis de ltat : des lites faonnes parltat ?

    Les soubassements de la formation dune noblesse dtat

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  • Des lites qui faonnent laction de ltat ?Bureaucrates ou technocrates : des lites qui faonnent les

    politiques publiques ?

    Beyond or behind the Ruling Class : Des lites qui font ladcision ?

    Conclusion gnrale

    Bibliographie

    Index thmatique

    Index des auteurs

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  • ValentinaEt nos filles Alba et Mina

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  • Remerciements

    Ce livre est une rponse tardive ceux qui sedemandent encore en France ce que veut dire la sociologiedes lites. Question laquelle, pour ma part, je navais pasencore pris le temps de rpondre tout en travaillantsuccessivement sur les lites priphriques en Espagne,les lites des politiques publiques en France et,aujourdhui, sur les lites programmatiques aux tats-Unis.

    Pierre Birnbaum, sur les pas de Raymond Aron, a sumen donner le got. Mais pour parvenir cet ouvrage, unensemble de sociologues et de politologues, de Mills Dahl en passant par Putnam, Giddens ou encoreBourdieu, ont entretenu une controverse des plus fertiles sur le plan mthodologique comme empirique pour lacomprhension du politique.

    Je tiens remercier galement lensemble de mescollgues qui mont accompagn et souvent clair parleur savoir durant cette fastidieuse entreprise dcriture.Tout dabord Juan Linz qui, en me faisant encore une foisbnficier de son hospitalit lgendaire, ma soutenu dansla conception de cet ouvrage ; Xavier Coller, son disciple leplus prolifique sur la question litaire, avec qui, entre leYale Club de New York et le village de Bgur (AltEmporda), jai affin le dispositif dcriture ; John Higley,qui depuis le congrs de lISA Brisbane (2002), na pascess par nos changes dapprofondir mes connaissancessur le nolitisme ; Ezra Suleiman et Jean Blondel toujoursprompts mclairer de leurs connaissances comparesdes systmes litaires. Et enfin, comment ne pasmentionner Mattei Dogan qui nous a rcemment quitts et

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  • dont le travail pionnier sur lanalyse du social backgrounddes personnels politiques, tout comme sa volont dedvelopper un espace de recherche, fut une exemplairesource dinspiration. Jean-Pierre Gaudin pour sesrelectures suggestives. Patrick Hassenteufel qui ma donnle got de laction publique et Patrick Le Gals qui na pasde pareil pour nous mener sur la voie de lcriture.

    Mes vieux compagnons de route Sad Darviche, JeanJoana, Christophe Roux et Marc Smyrl, chercheurs auCEPEL, le laboratoire de science politique de luniversitMontpellier-1, tout comme mes relecteurs, SbastienGuignier et Samy Mabhouli. Une mention particulire Christophe et Marc pour leur aide la traduction de lalangue de Dante et de celle de Shakespeare et MaximeDel Fiol pour sa connaissance de la langue arabe. SylviaGoncalves et Ludo Sposito pour leur art de faire tourner le labo. Jacques Fontaine dont laide prcieusefait quaucun document bibliographique ne resteinaccessible. Je remercie aussi trs chaleureusementPhilippe Aug, le prsident de notre universit, qui tout enportant le fardeau de lautonomie a toujours appuy ledveloppement de la recherche dans nos disciplines.

    Comment ne pas mentionner le soutien de lAgencenationale de la recherche (ANR) qui, en mattribuant en2009 un programme de recherche blanc , OPERA(Operationalizing Programmatic Elites Research inAmerica/numro de contrat : ANR-BLAN-08-0032-01CSD9), ma donn les moyens dapprofondir ce travail desynthse tout en llargissant lhorizon tasunien.

    Et enfin, ma petite famille qui, aprs avoir rpondupendant trop longtemps de faon quasi pavlovienne laquestion quas-tu fait aujourdhui ? par jcris un livresur les lites (encore !) , je ddie cet ouvrage.

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  • Introduction

    Llite ou les lites, simples mots ou concepts dessciences sociales, telle est la question que cet ouvrageentend explorer sous ses diffrentes facettes. Ds lors, ceparti pris nous conduira produire un tat de lartinternational de la littrature consacre cette thmatiquede recherche. Profitant de ce dtour, nous mettrons enavant le dveloppement rcent des mthodes et des outilsqui permettent aujourdhui de poser les jalons dunesociologie politique des lites renouvele. Rappelons quela validit scientifique du concept dlite(s) fut maintes foisconteste, voire remise en question, tout au long duXX sicle. En reprenant la mtaphore clbre de VilfredoPareto, selon laquelle lhistoire est un cimetire pour lesaristocraties, le sicle dernier fut celui o elles se sontfossoyes face la monte des totalitarismes et desautoritarismes. Souligner demble cette relation causalepermet de comprendre comment ce vocable, catgorie dudiscours politique dans les socits occidentales (p. ex.comme registre de la dnonciation de laction desgouvernants), a eu du mal pour tre reconnu comme unecatgorie danalyse opratoire dans les sciences sociales.

    Paradoxalement, si le terme lite(s) fait sans doute partiedes mots les plus couramment utiliss dans le vocabulairede la sociologie et de la science politique (Putnam, 1976 ;Higley, Burton, 1987 ; Genieys, 2006), son usagescientifique fait lobjet de contestations dans le mondeacadmique. La plupart des auteurs qui ont trait laproblmatique litaire relvent cet tat de fait (Bottomore,1964 ; Parry, 1969 ; Scott, 1991 ; Busino, 1992). Mais alors

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  • quel serait le pch originel du terme lite que lon voitrgulirement reli des notions comme la faute , latrahison , le renoncement ? Tout se passe alorscomme si ces acteurs ou groupes dacteurs, les lites, qui lon impute a priori des vertus (sociales, politiques,culturelles), savraient, dans la pratique, porteurs de tousles maux dans les socits modernes. De mme, latrajectoire intellectuelle du concept dlite(s) se confondavec le cycle des grandes priodes de crises politiques duXX sicle. La monte des fascismes en Europe durantlentre-deux guerres, la guerre froide ainsi que la guerre duVietnam, la chute annonce du mur de Berlin ou encore,aujourdhui, la globalisation de lconomie constituentautant de situations politiques qui sont inextricablementlies la formulation des diffrents paradigmes litaires.

    Les premires thories litistes voient le jour au tournantdu XX sicle au moment o les masses et le peuple descitoyens font leur entre sur la scne politique et, enraction la pense marxiste, elles annoncent linvitablevenue dlites dtentrices du pouvoir. Il sagit pour lesauteurs qui sen prvalent, comme Gaetano Mosca ouencore Vilfredo Pareto, de trouver une alternative la luttedes classes comme clef de lhistoire en affirmant lancessit et la lgitimit des minorits dirigeantes. Dansune perspective dsenchante du politique , cespenseurs, linstar de Machiavel, insistent sur le caractreincontournable du pouvoir politique (Burnham, 1943). Cestsous lappellation de machiavliens que ces auteurs, dontles points de vue ont parfois t trop htivement confondus(Bobbio, 1972 ; Meisel 1965 ; Valade, 1990), vont riger unparadigme selon lequel, quelle que soit la forme durgime, cest toujours une minorit qui gouverne. Ds lors,on comprend mieux pourquoi en opposant les lites quigouvernent par la ruse ( les renards ) celles qui ont

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  • recours lusage de la force ( les lions ), Pareto a pu semontrer indulgent devant la monte du fascisme italien. Laconcordance des temporalits entre lmergence desrgimes totalitaires et autoritaires et la formulation desthories litistes fut perue par la critique comme unfacteur de contingence voire une relation de cause effet.Or, rien ne prouve que ces thories se soient retrouvesdans lidologie de ces rgimes. Bien au contraire, on saitque lautoritarisme comme le totalitarisme se sontconstruits contre laction des lites librales etdmocratiques (Linz, 2006 [2000]). Nanmoins, cest surcette imputation originelle que le mythe dune classedirigeante (au sens anglo-amricain de ruling class), aupouvoir omnipotent, a t invent (Meisel, 1958) et sanscesse reformul autour du postulat pernicieux suivant : derrire tout type de pouvoir il y a toujours la marqueinvisible dune lite qui complote .

    Paradoxalement, cest aprs la victoire sur lestotalitarismes europens quaux tats-Unis dAmrique dejeunes sociologues, tout en rejetant lanti-marxisme despres fondateurs italiens de la thorie des lites et enintgrant lapport critique de Weber, inventent la catgoriedlite du pouvoir (Hunter, 1953 ; Mills, 1956). Il sagissaitpour ces chercheurs proches de la gauche critique deporter une attaque de lintrieur contre lhegemondmocratique amricain emptr dans les affres de laguerre froide. Ces sociologues apprhendent llite commecelle qui exerce un monoplole sur le pouvoir dmocratique partir des positions institutionnelles occupes au sein dela structure dtat (Domhoff, 1967, 1990, 1996). Cetteconfiguration litaire particulire est alors qualifie demoniste ou encore dlitiste . Le jeu des institutions, toutcomme les proprits sociales, forment les indicateurssociologiques retenus pour expliquer la formation de llite

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  • du pouvoir (Mills, 1956). Elle constitue un groupe de status(au sens anglo-saxon) model par des rgles tacites ouproclames, par lducation, par les rles professionnelsintrioriss qui confre alors ce groupe une aptitude diriger sans gal. Face cette remise en question dufonctionnement de la dmocratie formelle, les pluralistes,reprenant leur compte lapproche schumptrienne de lacomptition politique entre les lites, vont montrer que cenest pas un complexe militaro-industriel qui conduit lapolitique extrieure amricaine (guerre de Core, affaire deCuba, Vietnam), mais bien une pluralit de groupes dlitesqui prennent les dcisions essentielles (Dahl, 1958, 1961).Le fonctionnement polyarchique prsuppos de ladmocratie fait que dans la pratique ce nest pas ungroupe monopolistique qui truste les sommets deltat, mais une pluralit de groupes dlites stratgiques etconcurrentes qui ngocient librement la prise de dcisionpolitique (Keller, 1963). Poussant au bout leurraisonnement, les tenants de cette approche font de lacomptition entre les lites le cur de la dynamiquelibrale de la dmocratie formelle par opposition au rgimetotalitaire (Aron, 1965). Le dveloppement de la sociologiecompare des lites politiques dans la tradition anglo-amricaine corrobore cette thse (Putnam, 1976). Il estalors tabli empiriquement que le degr douverture et lacapacit de renouvellement des lites reprsentativescaractrise la structure litaire des rgimes dmocratiques.

    Au tournant des annes quatre-vingt des sociologuesanglo-amricains, anticipant sur la troisime vague destransitions dmocratiques, ont pos les jalons duparadigme nolitiste en nous invitant dpasser lacontroverse entre le monisme et pluralisme (Field, Higley,1980). Lide est simple : la plupart des actions vraimentimportantes et utiles ne peuvent venir que de gens qui

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  • occupent des positions stratgiques et influentes, cest--dire des lites. (ibid., p. 95). Field et Higley avancentalors une nouvelle grille danalyse dont lambitionexplicative est valable tout aussi bien pour les socitsdmocratico-pluralistes que pour les rgimes autoritairesou en transition. Le concept dlite(s), souvent utilisjusqualors dans beaucoup de travaux comme une variabledpendante, change de statut pour devenir une variableindpendante permettant dexpliquer le changementpolitique. En centrant lanalyse sur les configurationsdlites, selon quelles sont consensuellement unifies,divises, ou idologiquement unifies , ces chercheursaffirment dlibrment que cette nouvelle conception seconstruit autour de la prise en compte de leur capacit etdu type daction politique dploy. Il ne sagit plus desinterroger sur le rapport entre les lites et les masses ouencore sur lomnipotence dune lite du pouvoir, maisplutt de comprendre comment les lites faonnent lesinstitutions politiques qui en retour structurent leurcomportement. Les transitions dmocratiques de lEuropedu Sud, de lAmrique latine et plus tard de lEuropecentrale et de lEst ont constitu des terrains de rechercheempirique permettant de souligner le rle prpondrantdes lites dans ces processus de changement politique(Higley, Gunther, 1992 ; Higley, Dogan, 1998 ; Higley,Lengyel, 2000, Higley, Burton, 2006). Ds lors, en limitantlambition du paradigme nolitiste lexplication de ladynamique litaire de certaines configurations politiques(changement de rgimes, transformation des tats), lasociologie politique des lites se dtourne de la prtentionoriginelle des pres fondateurs qui avaient cruhtivement tenir une thorie universelle explicative delensemble du systme social. linstar des nolitistes,nous montrerons que les diffrents paradigmes, qui ont vu

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  • le jour durant le XX sicle autour de cette question, ontconduit dun ct tablir les fondements litaires de ladmocratie librale (Higley, Burton, 2006) et dun autrect enrichir les mthodes danalyse des sciencessociales (Genieys, 2005).

    Cet ouvrage de recherche consacr la sociologiepolitique des lites rpond un triple objectif. Le premiernous conduira revenir de faon critique sur les bonnes et les mauvaises controverses scientifiquessurvenues depuis la naissance de la thorie des lites. Lesecond nous amnera reconsidrer limpact desinnovations mthodologiques (i.e. approche positionnelle,rputationnelle, relationnelle et dcisionnelle)occasionnes lors du dveloppement de la sociologieempirique des lites politiques. Enfin, le troisimeconsistera souligner les apports dune sociologie deslites du politique dans la comprhension des dynamiquesde changement qui affectent les rgimes et les tats. Cestdonc autour de cette conception largie du politique quenous nous proposerons de montrer comment lesfondements dun nolitisme largi ont t poss la findu sicle dernier en intgrant tout autant lanalyse dubackground social que les logiques dactions litaires. Poursoutenir cette perspective, nous prsenterons les troisgrandes diffrentes tapes du dveloppement de lapense sociologique sur les lites. La premire renvoie lagense en Europe dans les annes quatre-vingt-dix autourdun paradigme sociologique controvers : les litescomme groupe choisi (I partie). La deuxime porte surla naissance de la sociologie empirique des lites autourde la question de la formation dune lite du pouvoir(II partie). Enfin, la troisime tape, celle du nolitisme,nous conduira montrer en quoi lanalyse des liens entreconfiguration litaire et institutions politiques est

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  • dterminante dans la comprhension des fondements dela dmocratie librale (III partie). Toutefois, avant dentrerdans le cur de ces dveloppements, il est ncessaire derevenir sur les raisons qui ont conduit retardersignificativement le dveloppement dune sociologiepolitique des lites en France (Prolgomnes).

    1 Rappelons que dans la tradition anglo-amricaine la problmatique delarticulation entre lite et tat est plutt discute dans les travaux sur legovernment (les auteurs amricains employant ce terme o nous emploieronscelui dtat). Ainsi, lexpression rinvention du gouvernement peut tre luecomme rinvention de ltat .

    2 Le monisme est un courant danalyse des lites qui proclame que lepouvoir se trouve monopolis au sein du systme social par un petit nombredindividus ou par une classe dirigeante solidaire cumulant lensemble desressources ncessaires lexercice de la domination politique (Badie, Gerstl,1979, p. 75). Dans les travaux anglo-amricains ce courant est appel elitism(Bachrach, 1967).

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  • Prolgomnes

    La sociologie politique des lites enquestion

    Pourquoi une sociologie politique des lites ? Toutdabord, le concept tout comme le courant sociologique quia vu le jour en ayant les lites comme objet dtude relvedune historicit rcente. Histoire qui en bien des points estlie au dveloppement quont connu les sciences socialesdurant tout le sicle dernier. Le concept sociologique estavanc lorigine par Pareto pour dsigner le groupe deceux qui excellent ou encore de ceux qui se distinguentdans chaque branche de lactivit sociale par la dtentionde certaines capacits. Dans cette acception, on pourraittrs bien admettre que les lites existent y compris dansdes secteurs de lactivit sociale tels que la mafia, commece fut le cas dAl Capone aux tats-Unis ou, aujourdhuiencore, la nouvelle lite mafieuse incarne par le cartelcolombien de la drogue (cf. Pablo Escobar). En modifiantquelque peu le raisonnement, on pourrait se demander siles nouvelles figures lies au terrorisme islamisteinternational comme Ben Laden constituent une contre-lite politique. Dans un autre registre, celui du sport, onpourrait convenir que Mohamed Ali, Carl Lewis, DiegoMaradona ou encore Zindine Zidane sont autant dlitesdans le domaine dactivit o ils excellent.

    Qui fait les lites ? Cest le pouvoir quon leur attribue ouquon leur associe aujourdhui, ce qui veut dire quil est

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  • ncessaire quelles soient perues par les acteurs sociauxcomme celles qui le possdent et qui occupent une placeen haut dune hirarchie sociale quelconque. Partant de l,on peut en dduire que ce sont les positions hirarchiques(ou du moins celle qui sont perues comme telles) quidans un systme dordre permettent didentifier les lites. Acontrario, il existe (mais surtout il a exist) des socits ole pouvoir social et politique est faiblement institutionnalis,ce qui rend par consquent le concept dlite peuopratoire. Au mme titre que les anthropologues ontmontr quil existait des socits sans tats, il existe dessocits extra-occidentales o le pouvoir politique et socialest dtenu par des chefs de clan ou de tribu en margedun systme rellement litaire. On pourrait sinterrogersur les effets de la mondialisation des changes et ledveloppement des moyens de communication pouravancer lhypothse que le XXI sicle sera celui de la fin dela mdiation politique par les lites ou du moins sera celuio la problmatique litaire lie la modernit et lidologie dmocratique risque dtre remise en questionpar le retour de loligarchie (Winters, 2011). En effet, lenouvel essor des populismes tout comme ledveloppement de la dmocratie participative sont autantdidologies qui prtendent que lon peut penser lapolitique au-del de la ralit litaire. Un des objectifs dece livre est de montrer que la fin des lites ne serait passans risque sur la dynamique des institutions politiquesdmocratiques. Afin dtayer cette affirmation, il convientde rappeler pourquoi la sociologie des lites est devenueune dmarche ncessaire aux sciences sociales, pourensuite vacuer tous les faux procs qui lui ont tintents.

    Pourquoi une sociologie politique des lites ?

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  • Poser une telle question permet de faire une tudesmiologique du mot lite pour montrer comment celui-ci,construit lorigine comme un vocable vhiculant desvaleurs positives, est devenu une catgorie discursive forte connotation idologique (elitism ou litisme). Leslites constituent un fait sociologique incontestable quincessite toutefois un travail de dfinition, toujoursopratoire, dans la mesure o lon ne peut prtendre saisirles multiples ralits litaires quen fonction duneconfiguration institutionnelle particulire. Il convient derappeler dentre de jeu que le dveloppement delanalyse empirique des lites, notamment en raison duneconfrontation disciplinaire entre les sociologues et lespolitologues, a gnr de nombreuses innovationsmthodologiques qui ont enrichi les sciences sociales dansleur ensemble. Enfin, nous reviendrons sur limportance etle volume des sources empiriques qui existent sur leslites, banque de donnes biographiques mais aussiconduite dentretien en profondeur, tout en insistant sur lancessit de les contrler, sans quoi on travaillerait sur uneimage sociale dforme de la ralit (Lewandowski, 1974).

    Ce que parler dlite(s) veut dire : du sens commun ausens pratique

    La restitution de la gense du mot lite est trsintressante car elle fait ressortir son histoire doublementparadoxale. Le premier paradoxe tient au fait que cevocable issu du vieux franais mais formul dans sonacception moderne au XIX sicle, a t import dans laplupart des champs lexicaux occidentaux, voire extra-occidentaux, dans bien des cas sans mme tre traduit. Lesecond vient du retournement de sens qui a t oprdans la mesure o la connotation positive originelle,

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  • lessence, voire la fleur de quelque chose , sest mueprogressivement en charge ngative, les minoritsomnipotentes. Autrement dit dans le sens commun, leslites quand elles monopolisent le pouvoir seraientalternativement ou cumulativement responsables detous les dysfonctionnements de nos rgimes politiques(drives autoritaires et totalitaires). Elles sont galementaujourdhui considres comme incapables de formulerdes politiques face aux problmes des socits actuelles.Tout se passe alors comme si nos maux socitaux, parexemple la mondialisation conomique ou encore lerchauffement climatique, taient imputables une faillitegnralise de laction des lites. Un dtour par la gensedu vocable permet de comprendre sa signification maisaussi les glissements de sens qui ont probablementcontribu la formulation dun concept sociologiquecontest.

    On apprend des dictionnaires classiques de la languefranaise que le terme lite sest construit partir dlit,le fminin de lancien participe pass dlire (eligere), djen usage au XII sicle . Il vient du latin classique legererenvoyant laction dlire (cueillir, enlever, trier, choisir), etavait donn legio caractrisant ainsi le fait que les soldatsde cette division de larme romaine taient recruts auchoix. Daprs Giovanni Busino, cest partir du XIV sicleque le vocable prend le sens de lu , de choisi , minent , distingu , qualifiant ce quil y a demeilleur dans un ensemble dtre ou de choses, dans unecommunaut ou parmi divers individus (1992, p. 3).Progressivement, on parle de llite de la noblesse, duneprofession ou dun mtier, bref de faire lite . Au dbutdu XIX on trouve dans le trs prestigieux Dictionnaire de laconversation et de la lecture, dont Honor de Balzac a tle directeur ddition (1832-1839), la dfinition suivante :

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  • lite. Ce mot fait du latin electus, choisi, indique ce quily a de mieux, de plus parfait dans chaque espcedindividus ou de choses, et dsigne aussi cette oprationmentale ou physique par laquelle on spare dun tout cequi est de nature en former llite []. Ce nest pastoujours chose facile quon pourrait croire, que de fairellite de ce quil y a de mieux dans un objet ou dans unsujet quelconque (Paris, d. Mandar, 1835, t. XXIV, p. 109,cit par Azimi 2006, p. 49 sqq.). Sous la III Rpubliquedans le Littr (Dictionnaire de langue franaise, Paris, d.Librairie Hachette, 1872) , llitisme nest pas encore dfinimme si lon peut voir dans la dfinition du Mandarinisme une premire version de llitisme lafranaise : Mandarinisme. Nologie. Systme dpreuveset de concours que lon fait subir, en Chine, ceux quiaspirent aux grades de lettrs, et par suite aux charges deltat. Par extension, tout systme dans lequel on prtendsubordonner la classification des citoyens aux preuvesdinstruction aux concours. Etym. Mandarin . Pour MatteiDogan, un pionnier de la recherche sur la sociologie dupersonnel politique franais, on a assist progressivementen France la formation dune rpublique desmandarins durant le XX sicle (2003, p. 77-81). Cestdonc dans le cortex culturel de la langue franaise que lemot lite acquiert une acception propre en dsignant uneminorit qui, dans une socit donne et un momentparticulier, se trouve dote dun prestige et de privilgesdcoulant de qualits naturelles valorises socialement (p.ex. la race, le sang, etc.) ou de qualits acquises (p. ex.culture, mrites, aptitudes).

    Ce vocable issu de lancien franais va faire lobjet dunediffusion dans les champs lexicaux des grandespuissances europennes durant le XIX sicle. Ainsi, dans lalangue anglaise, cest en 1823 que le mot lite fait son

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  • apparition dans lOxford English Dictionary. Il estintressant de mentionner que le mot lite fut diffus etorthographi comme tel dans la langue castillane durant leXIX sicle mme sil tait alors considr comme ungallicisme ou encore un barbarisme. En 1884, la RealAcademia Espaola le reconnat comme un mot castillan(orthographi lite ou elite) avec cette dfinition : uneminorit choisie ou dirigeante . Une recherche au-delmme de lespace des langues latines confirme encore ladiffusion du terme franais lite. En effet, en grec modernele mot lite (, ) se prononce comme en franais,na pas de synonyme et est peru comme un gallicisme,dont lusage est peu courant dans le discours politique. Enturc, le mot lite fut import sous lEmpire Ottoman et iltait cens caractriser la classe bourgeoise. Mme silusage de la version franaise fut courant dans ce pays audbut du XX sicle en raison de linfluence du modlefranais (cf. chapitre 4 sur la socialisation des litesturques), il existe une traduction sekin, ( celui qui estlu la racine se, et qui se distingue en raison dunhritage, de sa richesse conomique ou de ses capacitsintellectuelles ) qui son tour opre exactement lesmmes glissements de sens que ceux que lon a puobserver plus en amont. Il en va diffremment pour larabeclassique o lite pour quivalent fonctionnel le motnoukhba (au pluriel noukhab) qui est utilis pour dcrire lamme ralit sociale. Par ailleurs, le mot connat la mmeconstruction smantique que celle provenant du vieuxfranais dans la mesure o il sappuie sur la racinenakhaba qui se traduit par lire, choisir, trier,slectionner . Enfin, en persan, lite se traduit par nokhbqui est un mot emprunt larabe et renvoie quelquunqui a t lu ou choisi parmi dautres (Encyclopdia deMoen). Aujourdhui en Iran, le terme a une connotation

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  • positive mais son usage se rduit qualifier des groupesdindividus qui sont les meilleurs dans leurs activitsprofessionnelles (lites scientifiques, culturelles). Enrevanche, il nest absolument pas utilis pour qualifier lesactivits conomiques, politiques et religieuses.

    Au total, ce dtour nous apprend que le mot lite, invention de la langue franaise, a t import la findu XIX sicle dans beaucoup de champs lexicaux pourcaractriser en rgle gnrale les groupes dacteursqui se distinguent dans leur socit respective en raison dela dtention de certaines capacits ou encore parce quilsont t dsigns (au sens dlus) comme les meilleurs.Nanmoins, ce dtour nous conduit nous interroger surles raisons dun usage tardif du terme dans les thoriessociales naissantes. Il est intressant de rappeler quenFrance le mot lite, quoique jeune dans son usage, napas t retenu comme opratoire par les penseurs sociauxalors mme que certaines thories de lordre social,comme celles de Saint Simon ou de Frdric Le Play,prsentent par bien des aspects un questionnement quelon pourrait pleinement inscrire dans une perspective litiste . Lon a prfr, selon lusage dominant dans lessciences sociales mergentes en France durant ce sicle,dsigner les lus en termes de classes. Cestseulement par incise, comme ce fut le cas sous la plumedu grand historien rpublicain, Jules Michelet, dans safable sociale Linsecte, que le terme lite est introduit pourdcrire un modle imaginaire de socit idale (1867,p. 329 sqq.) . La prise en compte de lhistoricit du motlite permet de rappeler que lorsquil fut introduit il taitporteur dune charge smantique positive. En effet, lanotion dlite, en introduisant le choix et llection (moyenpour dsigner les meilleurs), corroborait lidologie de lamritocratie rpublicaine naissante en sopposant

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  • laristocratie (dont le sens tymologique aristos, renvoieaussi la notion de meilleur ), dans la mesure o lpoque seuls le sang ou lachat de titre permettaientdintgrer la noblesse. Nanmoins, comme Tom Bottomorela justement soulign, le terme ne sera utilis dans lemilieu acadmique en Grande-Bretagne et aux tats-Unisquaprs la diffusion de la thorie des lites et de lapense de Pareto (1964, p. 7). Gaetano Mosca, autre prefondateur de la thorie des lites, reconnat dans le dernierchapitre de Storia delle dottrine politiche (2 dition etdernire version, chapitre 11, 1933) que ltude des plushautes strates du pouvoir, que lon avait lhabitudedanalyser en termes de classe politique , gagnerait recourir au concept dlite avanc par Pareto(cf. chapitre 2) . Partant de l, on attribue la paternit duconcept dlite (crit ainsi mais entendu au pluriel) lauteur du Trait de sociologie gnrale (1 ditionfranaise 1917-1919). Vilfredo Pareto, Italien n en Franceen 1848, a pass la majeure partie de sa scolarit enFrance (cf. chapitre 1). Totalement bilingue, lorsquilentreprend de construire sa thorie sociologique, il reprendle vocable dlite au champ lexical franais pour en faire unconcept alternatif la notion marxiste de classe. Ainsi dansla version italienne de son Trait de sociologie gnrale(1916), il dfinit la couche suprieure comme la classeeletta (lite) caractrisant ceux qui ont les indices les pluslevs dans la branche o ils dploient leur activit( 2031) et qui se divise en deux : a) la classe eletta digoverna (traduit dans la version franaise comme llitegouvernementale) ; b) la classe eletta di non governo(traduit en franais comme llite non-gouvernementale)( 2034). Cest donc au dbut du XX sicle avec le doubleeffet du dveloppement de la thorie des lites par les doctrinaires italiens (Pareto et Mosca) dun ct, et

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  • lajout systmatique dun dterminant dsignant ledomaine dans lequel llite exerce sa prminence (litemorale, politicienne ou encore llite intellectuelle militaire)que lusage du concept connatra son essor (Meisel, 1958,p. VI).

    lite(s) : un concept aux multiples dfinitions opratoires

    La question de la dfinition du concept sociologiquedlite(s) est la fois simple et complique. Simple, parcequ linstar de Pareto on est tent de reconnatre que laprsence des lites dans les diffrentes branches ousecteurs de la socit constitue un fait sociologique partentire. Ces dernires pourraient alors tres dfinies partir de deux critres : 1) les positions identifiables dansun systme social organis (rellement occupes) et 2) larputation ou linfluence qui leur est attribue pour cetteraison. Complique, parce que la dimension composite deslites (lobjet) tout comme la prtention des thories vises gnrales qui y sont accoles rend complexe larecherche dune dfinition opratoire pour toutes lessituations empiriques observables. Pour illustrer cedilemme, on citera comme exemplaire du problme ladfinition avance par Hanz Dreitzel pour qui une liteest forme de ceux qui occupant les positions les plusleves dans un groupe, une organisation ou uneinstitution ont atteint ces positions principalement grce une slection de capacits personnelles. Ils ont du pouvoirou de linfluence en raison du rle li leurs positions. Au-del de leurs intrts de groupe, ils contribuentdirectement au maintien ou au changement de la structuresociale et des normes qui la sous-tendent. Leur prestigeleur permet de jouer un rle de modle contribuant, partir de leur groupe, influencer normativement le

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  • comportement dautres (Coenen-Hunter, 2004, p. 101).Cette dfinition gigogne est exemplaire des problmespistmologiques poss par une approche globale de laralit litaire. Il parat impossible de produire unedfinition qui permettrait de saisir tout de go le typedlite(s) et lensemble des configurations o elles sontsusceptibles de se trouver. Cela conduirait le chercheur avancer une dfinition gigogne qui au lieu dtre opratoiresur le terrain de la recherche empirique deviendraitextrmement normative. Or, on sait, grce Geraint Parry,que le problme lorsquon essaye davancer une dfinitionde llite, cest la clart avec laquelle on dlimite lafrontire dun groupe litaire prsuppos (2005, p. 2).

    Essayer de rpondre la question classique quigouverne ? ou encore de qui dirige ? permet de saisir uneautre facette de la complexit quant la dlimitation delobjet lite confront la problmatique du pouvoir. Eneffet, on est conduit sinterroger sur deux dimensionsdont larticulation dans la recherche empirique estcomplexe : celle de lidentification des acteurs (laconstitution sociale de llite) et celle de limputation duneautorit et dun pouvoir dagir (les lites prennent lesdcisions). Sur ce point, la seule chose qui est assurepour le sociologue, cest dtre en mesure didentifier desindicateurs de positions (approche minimaliste) pour,ensuite, circonscrire en fonction de la finalit de larecherche les frontires du pouvoir des lites en action.Les nombreuses dfinitions opratoires des lites dans lesannes 80 chez les anglo-amricains permettent de voirque le critre de position est dterminant mme sil estensuite conjugu avec linfluence, lautorit et la dcision(cf. tableau 1). De plus, la dfinition de la frontire dugroupe dlite est opre par une rduction de lobjettudi un secteur de lactivit sociale : politique,

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  • conomique, judiciaire, administratif, intellectuel, militaire,religieux, syndicaliste, associatif, mdias, etc. (ibid.). Pourtoutes ces raisons, nous reconnaissons quil est vain de semettre en qute dune dfinition gnrale de llite.

    Pour surmonter cette difficult, on peut alors formuler enfonction des besoins de son enqute une dfinitionopratoire de llite. Dans cette perspective, le chercheurse trouve confront lalternative suivante : soit il opte pourune posture qui le conduit crer des catgories dlitesopratoires (stratgie de classification), soit il dfinit a prioriun certain nombre de dimensions (les variables) pouvantconstituer des axes pour lanalyse sociologique. Dans lepremier cas de figure (bottom up), la dfinition des litespasse par la prise en compte dindicateurs concrets (socialbackground, statut, trajectoire professionnelle, valeurs etc.)qui permettront doprer ensuite une classification fondesur une sociographie empirique (cf. chapitre 4). Ladmarche analytique conduit par la suite unecomparaison des diffrentes sous-catgories dlites. Dansle second cas de figure (top down), llaboration duncadre conceptuel repose sur le postulat selon lequel dansles socits modernes, le pouvoir des lites estgnralement limit par la dfinition stricte des domainesdans lequel ce pouvoir peut sexercer. La combinaison devariables pralablement construites, comme le mode derecrutement de llite (ouvert/ferm), la structure de llite(niveau dintgration sociale ou morale) ou encore ladistribution du pouvoir, permet de former un cadreconceptuel qui dfinit llite (cf. chapitres 5 et 6). Le jeucombinatoire de ces variables permet darriver destypologies : lites tablies versus lites solidaires versuslites abstraites (Giddens, 1974). Cest dans ce sens queles nolitistes ont propos une nouvelle grille de lecturede la ralit litaire en laborant a priori deux variables

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  • relatives la structure et au fonctionnement des lites(Field, Higley, 1980). La premire portant sur le degrdintgration structurelle des lites dans un systmepolitique donn. La seconde visant laborer le degr deconsensus quant aux valeurs intra-litaires. Ainsi, lesnolitistes contournent le problme de la fluidit de lafrontire de lobjet en postulant quil y a toujours des lites(un fait) et que ce qui compte cest la dfinition desconfigurations institutionnalises au sein desquelles ellesinteragissent. Ces types de configurations litaires sont mispar la suite en rapport avec des types de rgimespolitiques (cf. chapitre 7). Un tel choix permet de mieuxmettre en vidence ensuite lintrt dune approche litaireentendue comme celle qui permet de considrer, maisaussi de saisir les lites, non pas en tant que simple faitoligarchique, mais comme le rsultat dun processus odes groupes limits sont en comptition pour la conqutedes trophes politiques, la dfinition des cadresinstitutionnels de la vie politique et la formulation despolitiques publiques. En amont, la question de laconstruction de lobjet achoppe bien souvent sur lapolysmie du terme, auquel il faut ajouter les implicationsthoriques fortes lies lemploi du singulier ou du pluriel(llite[s]). En aval, le problme du nominalisme qui ressortavec lattribution a posteriori de rles rifis llite, dansdes conjonctures politiques particulires comme leschangements de rgime, o tout se passe comme si ellessont les seuls acteurs dots du pouvoir dinflexion delordre politique. linstar des nolitistes, nous proposonsune approche plus intgre laissant largement leur partaux interactions propres aux configurations de pouvoir.Cest dans ce sens que nous allons plaider pour ledveloppement dune analyse de la ralit litaire centresur le politique et que lon pourrait ranger dans ce queMerton qualifie de thorie de moyenne porte .

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  • Tableau 1. Exemples de dfinitions opratoires deslites dans les recherches anglo-amricaines

    Auteurs Dfinitions lites concernes

    T. Bottomore(1964)

    Les lites dsignent les groupesfonctionnels, qui pour quelquemotif que ce soit, occupent un rangsocial lev.

    Toutes

    A. Giddens(1974)

    Les individus qui occupent despositions dautorit formellementdfinies la tte duneorganisation sociale ouinstitutionnelle.

    Politique,conomique,judiciaire,fonctionnaire,militaire,syndicaliste,religieuse, mdias

    R. Putnam(1976)Les individus qui ont la capacitdinfluencer les dcisionspolitiques.

    Politique,conomique,leadersorganisation,fonctionnaire,militaire, religieuse,intellectuel

    E. Suleiman(1978)Tous les gens qui occupent despositions dautorit font partie dellite.

    Administrative,politique,industrielle etfinancire

    G. Moore (1979)

    Les gens qui grce leurspositions institutionnelles ont unpotentiel important dinfluence surles politiques publiques nationales.

    Politique,conomique,fonctionnaire,syndicaliste,mdias,associations

    T. Dye(1983)Les individus qui occupent despositions dautorit dans lesgrandes institutions.

    Affaire, mdia, droit,ducationgouvernement,militaire

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  • Field, Higley(1985)

    Les personnes qui sont capablesgrce leur position dans desorganisations puissantesdinfluencer de faon rgulire lavie politique nationale.

    Gouvernementales,partis, militaire,affaire, syndicaliste,mdia, religieuse,

    W. Zartman(1982)

    Distingue les core elite (noyau dellite) comme les quelquesindividus qui occupent le sommetdes positions politiques et jouentun rle central dans la prise dedcision de la general elite quinont pas de positionsinstitutionnelles importantes maisqui grce leur contact rgulieravec la core elite sont en mesurede leur donner des ides pour lespolitiques.

    Politique, militaire,conomiqueSociale,religieuse,professionnel,journaliste, etgrands propritaires

    Source : Burton, Higley, 1987, p. 223.

    La sociologie des lites comme source dinnovationmthodologique

    Les controverses scientifiques souvent rapportes auxluttes idologiques (libraux versus radicaux) ont eu poureffet de masquer les innovations mthodologiquesproduites lors du dveloppement de la sociologie deslites. Or, cette querelle thorique a eu pour effet ledveloppement de mthodes sociologiques permettant detester empiriquement la notion dlite(s) (Parry, 1969). Eneffet, leffort mthodologique effectu autour de lanalysedes positions de pouvoir, de la rputation ou encore de laprise de dcision a eu des rpercussions sur ledveloppement des sciences sociales en gnral. EnFrance, en raison de la domination des marxistes et desstructuralistes dans les sciences sociales, son cho a t

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  • fortement retard (Genieys, 2005). Pierre Birnbaumexplique ce retard franais pour au moins deuxraisons : la premire relve du faible dveloppement de lasociologie politique jusquau milieu des annes quatre-vingt ; la seconde est lie au fait que la sociologie desacteurs et de laction a connu un essor tardif en Europe etplus encore en France, malgr les efforts rpts deRaymond Aron . Cest donc dans le contexte anglo-amricain des annes soixante que le dbat autour de lavrification empirique de lexistence ou non dune lite dupouvoir a conduit linvention de plusieurs mthodesinnovantes : la mthode positionnelle, la mthoderputationnelle et la mthode dcisionnelle (cf. tableau 2).

    De faon plus gnrale, ces innovationsmthodologiques participent dune stratgiedmancipation de la sociologie politique et de la sciencepolitique qui prtendent rejeter, linstar de Wrigth Mills(1959), la fois lempirisme savant et la thoriesociologique gnralisante et abstraite, tout en affirmantlautonomie du politique et des acteurs. Il tait alorsquestion de trouver une voie entre le bhaviourisme (qui neprenait pas en compte les acteurs et le pouvoir), lestructuralo-fonctionnalisme (qui ne considrait que lafonction et pas les actions) et le marxisme (qui jouait surles structures et les rapports de forces entre les classessociales ). Or, lopposition entre le paradigme litiste et leparadigme pluraliste sur le terrain scientifique va setraduire par linvention de mthodes de recherche pointuespermettant dapprhender la ralit (ou la non-ralit)empirique de la prsence dune lite dans la structure dupouvoir . Ainsi, la mthode rputationnelle labore parFloyd Hunter partir de son tude du pouvoir RegionalCity avait pour objectif danalyser empiriquement le poidsdune lite conomique sur les affaires de la cit en se

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  • situant dans le cadre rnov des community power studies(tudes sur le pouvoir local notre traduction). Robert etHelen Lynd ont t les premiers poser la question Quigouverne ? Middletown (Muncie, petite ville delIndiana) en dcrivant empiriquement la dominationabsolue dune classe des affaires (business class) sur lacommunaut politique (1929 ; 1937). Nanmoins, leurdmarche trs avant-gardiste pour lpoque qui consistait mesurer la participation la vie locale partir de donnesempiriques propres (statistiques, interviews, enqutes parquestionnaires) restait quelque peu impressionniste selon leurs propres dires (1929, p. 505-510). Cest doncdans les annes cinquante que Floyd Hunter a labor la mthode rputationnelle (1953, 1959), afin de dpasserlaspect purement dductionniste des travaux prcdentset dintroduire de la rigueur mthodologique. Il sagissaitpour ce sociologue de reprer sur la base dune enqutepar entretiens (directifs et semi-directifs) auprs de deuxgroupes dexperts si les acteurs qui possdent le pouvoirsocial et conomique sont aussi ceux qui dtiennent lepouvoir politique (cf. chapitre 5).

    Tableau 2. Les diffrentes innovationsmthodologiques lies au dveloppement de la

    sociologie empirique des lites

    La mthoderputationnelle

    qui permet, sur la base des entretiens (directifs et semi-directifs),de reprer, en premire analyse, quels sont les acteurs quiexercent un pouvoir et une influence sur la prise de dcisioncollective (Hunter, 1953 ; 1959).

    La mthodepositionnelle

    permettant de prciser les positions de pouvoir occupes et leslogiques de carrire dans ces secteurs de laction publique (Mills,1956, 1959).

    La mthodedcisionnelle.

    afin dapprhender concrtement une pluralit dlites et degroupes dintrts dans le processus de prise de dcision. Cettedmarche, qui se fonde sur les entretiens, permet de prendre en

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  • compte empiriquement les rles des protagonistes de la dcision(Dahl, 1958, 1961).

    Robert Dahl, dans une contribution magistrale publiedans lAmerican Political Science Review, va revenir sur laprtendue scientificit de la mthode rputationnelle (1958,p. 464). La critique gnrale du paradigme moniste (Millset Hunter) porte sur deux points convergents(cf. chapitre 6). Le premier consiste avancer que lathorie de llite du pouvoir ne se prte pas la vrificationempirique. Or elle devrait tre falsifiable (second point) enmontrant que les prfrences dune minorit dindividus(llite) prvaudraient (ou pas) rgulirement lorsqueplusieurs possibilits soffriraient dans le cadre de la prisede dcision politique fondamentale dans une communautou une nation. La rponse en matire de contre-innovationmthodologique sest traduite par llaboration dunenouvelle approche : la mthode dcisionnelle (Dahl, 1961).Fonde sur les entretiens avec les acteurs qui ont participde prs ou de loin la dcision et qui sont interrogs sur lerle diffrenci de ses protagonistes, la dmarche permetdapprhender empiriquement la pluralit dlites et degroupes dintrts dans le processus de prise de dcision.Au total, cet affrontement entre deux faons de pratiquer larecherche sur les lites constituent autant dinnovationsmthodologiques devant permettre de testerempiriquement (empirical test) les thories litistes et deconfirmer ou dinfirmer lhypothse de lunit de llite oudes lites (Parry, 1969, p. 95-119).

    Dans la pratique, et comme approche programmatique,nous proposerons dlargir la base du regard sociologiqueau-del des figures institues du pouvoir dtat (chefs degouvernement, ministres) mais aussi au-del desdtenteurs de la lgitimit formelle du pouvoir, les litesparlementaires, vers dautres groupes dlites comme par

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  • exemple ceux qui au cur de ltat concrtisent lesprogrammes en politiques publiques (cf. Genieys, 2010 ;Genieys, Hassentefeul, 2012). Cette nouvelle approchesociologique des lites du politique repose sur uncroisement des indicateurs sociopolitiques et desconfigurations de pouvoir (cf. chapitre 8). Le premier choixanalytique poussera saisir ce qui fait (ou ne fait pas) laralit de llite en vrifiant sa prtendue homognit, nonseulement partir des proprits sociales mais aussi enfonction de logiques dactions partages (croyances,reprsentations, idologies et rfrentiels daction). Lesecond choix nous conduira privilgier lanalyse desprocessus de prise de dcision politique dans leur globalitet travers la dure, en prenant en compte les ressourcesmulti-positionnelles et relationnelles des lites qui yparticipent. cette fin, il est ncessaire de combinerdiffrentes approches :

    lanalyse sociographique qui permet de saisir lesproprits sociales ;

    lanalyse positionnelle et rputationnelle pourapprhender les usages des positions ;

    lapproche cognitive des rfrentiels pourinterprter les logiques daction ;

    lanalyse relationnelle et dcisionnelle pourcomprendre la dvolution du pouvoir.

    Des donnes biographiques riches, mais discutes

    Si le dveloppement de la sociologie de la structure dupouvoir aux tats-Unis dans les annes cinquanteconstitue un terrain recherche favorable linnovationmthodologique, cest parce que les lites sontapprhendes comme un objet de recherche concret. Ces

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  • travaux saisissent, en rgle gnrale, la ralit litaire partir de donnes biographiques (banques de donnes,Whos who, social register, etc.) ou encore la pratiquedinterviews approfondis, directifs ou semi-directifs (Dexter,1970 ; Cohen, 1999). Ds lors, en apparence au moins, cechamp de la recherche sociologique repose sur denombreuses sources empiriques. En y regardant de plusprs, on note une controverse entre certains chercheursprtendant que laccs aux sources empiriques est plusfacile en fonction du type dlites (politiques,administratives, conomiques etc.). ce stade de larflexion rien ne nous permet de trancher sur la question,mme si certains sociologues prtendent que luniverssocial, le milieu, ou encore les rseaux de lliteconomique seraient difficilement pntrables (Kincaid,Bright, 1957). Trois importantes tudes empiriquesralises dans le cadre de rgimes autoritaires relativisentla porte de cette critique (cf. chapitres 4 et 6). Il sagit dela monumentale tude empirique de Juan Linz etdAmando de Miguel (1966), sur les entrepreneurs catalanssous le rgime franquiste des travaux du politologuebrsilien Henrique Cardoso sur le rle des litesentrepreneuriales dans le processus de dveloppement enAmrique latine (1967) et de ceux de Frank Bonilla sur leslites socio-conomiques vnzuliennes (1970). Partantde l, il est ncessaire de prsenter les limites de lacontroverse sur les sources empiriques de la sociologiedes lites.

    La recherche empirique sur les lites conduit mobiliserdeux types de donnes de premire main lorsquontravaille sur lobjet lite(s). Il y a dun ct celles qui noussont donnes sur le status des lites, cest--dire cellesque lon trouve dj partiellement agrges dans lesdictionnaires biographiques ou dans dautres sources

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  • biographiques largement dveloppes depuis le XIX sicledans les pays occidentaux. Sur ce point, il est important deprciser que les banques de donnes biographiques surles lites existaient dans les socits occidentales bienavant que la thorie sur les lites ne ft formule. Cesdonnes ont une double nature : dun ct, elles sont et objectives et impressionnistes et, de lautre, ellesconstituent des sources de seconde main laboresinitialement par des tiers. Il va de soi que la qualit desbanques de donnes litaires du type Whos who peutfortement varier dun pays lautre. En forant le trait surce point prcis, on peut prendre lexemple presquecaricatural du Wer its Wer, le Whos who allemand, quidans ses ditions de 1929 et de 1930 ne contient pas denotice biographique sur Adolf Hitler, alors quil est dj leleader du parti nazi. ct de cela, on peut trouver desdonnes qui sont produites par le chercheur lui-mmedans le cadre de son enqute, quelle soit base sur desarchives, des questionnaires, des entretiens directifs etsemi-directifs ou encore travers lobservation participante.Derrire cette double nature des matriaux empiriqueslitaires se cache une opposition entre des recherches quimettent la focale danalyse sur ce qui fait que lon devientou que lon peut tre considr comme faisant partie dunelite et des recherches qui au contraire mettent laccent surla capacit daction des lites, savoir ce quelles font enaction (Genieys, 2006).

    La question des origines sociales des personnelspolitiques en dmocratie prcde la smillante rflexion deDahl sur la question Qui gouverne ? . En effet,lavnement des premiers rgimes dmocratiques avaitconduit une interrogation sur le changement du profilsocial des dirigeants politiques. Ces recherches empiriquesdevaient montrer si de nouvelles classes sociales avaient

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  • intgr la structure du pouvoir, si laristocratie avait tsupplante par la bourgeoisie ou encore si dautrescatgories sociales avaient accd via la logique de ladmocratie reprsentative aux professions de lapolitique. Dans cette perspective, le travail pionnerdHarold J. Laski sur la composition sociale des cabinetsministriels en Grande-Bretagne (1801-1924) mrite dtrerappel tant il pose de faon prcoce les questions surlesquelles sest fonde lanalyse du personnel politique(1928). Cette tude pose les bases de ce qui simposeracomme lanalyse du social background des lites politiques(Edinger, Searing, 1967). Ces travaux sappuient sur lercolement de donnes biographiques qui permettentdune part de saisir le renouvellement des personnelspolitiques (aristocratie versus bourgeoisie) et dautre partden dgager le profil social et le type de carrire politiquesuivie. Les premires publications sur la question sont peurigoureuses dans la mesure o les donnes empiriquesrcoles sont parses, ingales et peu contrlables. Eneffet, tant que les donnes empiriques mobilises portentsur la question de la dure des carrires politiques(ministrielles ou parlementaires) mettant en avant lacontinuit, la stabilit ou le cumul des ressourcespolitiques (mandats, etc.), on peut les considrer commedes sources sres (Lasswell et al., 1952 ; Dogan,1953 ; Matthews, 1954 ; Dogan, Campbell, 1957 ; Dogan,1961). Cest partir du moment o les chercheurs ontessay daller plus loin dans la comprhension ducomportement et des attitudes du personnel politique quela critique sur la nature des sources empiriques a tdveloppe. Dans cette perspective, il convient dedissocier la porte de la critique en fonction du typedlite(s) tudie(s). Ainsi, travailler sur llite sociale dansune socit donne partir du Whos who peut conduire confondre limage sociale que llite veut bien produire

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  • delle-mme et de la ralit (Lewandoski, 1974). Toutefois,le chercheur peut aisment corriger ce biais par diffrentsmoyens. Le premier consiste ne pas tre prisonnier duneseule source biographique (dautant que toutes ne sontpas auto-dclaratives comme le Whos who) mais enutiliser plusieurs afin de pouvoir recouper les informations.Le second consiste avancer une dfinition opratoire dece que lon entend par lite sociale laide de critres plusconcis (Birnbaum, 1978, p. 18). Par ailleurs, le croisementde ces donnes empiriques dans un deuxime temps de larecherche avec une enqute par questionnaire ou encoreavec des entretiens approfondis permet de vrifier laqualit des donnes pralablement recueillies.

    Les travaux sur les dputs franais, correspondant autype de llite parlementaire, mens par des chercheurs duCEVIPOF constituent un exemple suivre quant lusagecrois des donnes biographiques prconstruites avec uneenqute par questionnaire (Cayrol, Parodi, Ysmal, 1973).Pour interroger de faon systmatique lensemble desdputs sur leur milieu dorigine, leur dcouverte de lapolitique, leur entre dans la politique, leur carrire, leurconception de la fonction parlementaire, leurs opinions etleurs croyances, ces politologues ont dpouill plusieurssources biographiques qui leur ont permis dajouter unetrentaine dinformations leur questionnaire ouvert (1973,p. 8). Les donnes biographiques alors mobilisesprovenaient des sources classiques que sont :lannuaire Socit Gnrale de Presse (dit le BrardQulin ), du Whos who in France et de lAssemblenationale, notices et portraits (4 lgislature). Ces sourcespermettent dobtenir des informations sur la date et le lieude naissance des dputs, le nombre de mandats, leschecs et interruptions de carrire, les changements decirconscription lectorale, les fonctions ministrielles

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  • ventuelles, le nombre denfants, une participationventuelle des actions de la Rsistance, les dcorations,etc. Cest partir de ces informations quils ont pu par lasuite btir leur enqute par questionnaire. On voit biendans cette grande enqute sur les dputs franaiscomment en amont un usage raisonn des donnesbiographiques disponibles permet en aval daffiner lecontenu dun questionnaire ou encore la grille duneinterview en face face. Plus rcemment, un groupe dechercheurs europens runis autour de Maurizio Cotta etdHeinrich Best a entrepris dlaborer une sociologie deslites parlementaires reprsentatives en Europe entre 1848et 2000, en laborant une matrice tridimensionnelle(variables, priodes, partis), dite data cube, qui rassemble53 variables permettant de saisir les donnes sur lesparlementaires dans les pays tudis (Best, Cotta, 2000,p. 18-19). Par ailleurs, si les donnes socio-biographiquespeuvent constituer un point de dpart fiable pour lanalysedes personnels politiques de certains rgimes politiquesoccidentaux, le passage la comparaison internationalepeut poser un autre problme. Soulignons simplement icique lorsquil sagira de comparer le background socialdlites reprsentatives, apprhendes au sein detrajectoires politiques nationales occidentales, avec cellesde parlementaires saisies au sein de trajectoires non-occidentales, il sera ncessaire de corriger un certainnombre de biais (cf. chapitres 4 et 7).

    Pour rsumer, on peut affirmer que les sourcesbiographiques constituent en quelque sorte des donnesde seconde main dont la validit scientifique doit trecontrle sur plusieurs points. Premirement, il estncessaire de sinterroger sur la faon dont lesinformations ont t constitues par les diteurs desouvrages biographiques (dclaratifs ou autres).

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  • Deuximement, essayer davoir plusieurs types de sourcesbiographiques afin de pouvoir croiser les informationsconcernant le groupe litaire tudi. Troisimement, il estncessaire daffiner avec des variables la dfinition du typedlites tudi. Enfin quatrimement, il faut par la suite sedonner les moyens de vrifier par questionnaire ouentretiens la validit de ces donnes empiriques.

    Existe-t-il un art pour interviewer des litesdirigeantes ?

    Sil est un moyen denqute privilgi dans le cadre destudes sur les lites, cest celui de lentretien. Nous savonsdepuis les travaux classiques de Hunter et de Dahl que lesentretiens sont au cur du dispositif de preuvenouvellement tabli par ces chercheurs (cf. chapitres 5 et6). Les entretiens en face face constituent un moyenprivilgi, mais spcifique (Dexter, 1970) , permettantdaccder la connaissance sur les lites. Nanmoins,cette pratique de linterview en profondeur connat denombreuses variantes (Cohen, 1999). On trouve dun ctun grand nombre de recherches anglo-amricaines quiprivilgient la pratique de lentretien semi-directif laidedun questionnaire relativement ferm dans le but dereconstruire des carrires politiques particulires (Edinger,Searing, 1967). Cest notamment par ce biais quEzraSuleiman a men la premire grande enqute sur leshauts fonctionnaires et les lites franaises en interviewantun chantillon de 100 directeurs gnraux deladministration centrale (1976 [1974], 1979 [1978]). EnFrance, pour des raisons contextuelles, le recours lapratique des entretiens avec les technocrates est fortementli au dveloppement de la sociologie des organisations(Thoenig, 1973). Plus rcemment, cest dans le cadre des

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  • travaux de lcole franaise danalyse des politiquespubliques qua t dveloppe la pratique des entretienssemi-directifs, cherchant mettre en vidence le rle desreprsentations et des ides dans le processus demobilisation litaire ou encore dans la constructioncollective de rfrentiels daction publique, (Jobert, Muller,1987). Toutefois, la gnralisation de la pratique desentretiens a soulev un nombre de critiques quant laqualit de ces matriaux empiriques de premire main.Avant de rentrer plus prcisment dans ces dbats,prcisons en accord avec Ezra Suleiman et notre pratiquede la recherche sur les lites que lentretien a pour butdobtenir des renseignements que nous ne pouvons pasobtenir dune autre manire (1999). Lentretien intervientsouvent en appui (de rapports, textes de lois, etc.) pourcomplter un dispositif de preuve, il est rarement utilisseul car il constitue un moyen efficace pour reconstruireles petites histoires qui jouent la marge du normatif.Autrement dit, mme si cest un outil permettant de seprocurer du matriel de premire main, bien souventdterminant pour la suite et la qualit de la recherche, sonusage ne va pas de soi. Sur ce point, Samy Cohen a runidans un ouvrage consacr aux diffrentes approches delinterview des dirigeants une srie de contributions quinous clairent finement sur la dmarche suivre (1999,p. 17-49). Prenant partie juste titre contre les tenants dela sociologie critique pour qui la pratique de ce typedinterview est biaise en raison dune posture dedomination dfavorable au chercheur, il nous offre unguide permettant de savoir sy prendre concrtementpour viter de sen laisser imposer par les imposants (ibid. p. 25). Ds lors, en reprenant la plupart des conseilsavances par Samy Cohen dont nous avons pu mesurer lapertinence travers notre propre exprience de rechercheauprs des lites du Welfare State et du secteur de la

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  • Dfense nationale en France, au Royaume-Uni et enEspagne, nous soulignerons tous les avantages de lapratique de lentretien avec les lites dirigeantes.

    Pour Samy Cohen, il existe quelques astuces etpostures comme limprovisation et la souplesse ouencore la manifestation de son ignorance quiconstituent autant de ressorts cachs de la techniquedinterview des lites dirigeantes (ibid., 25-26). Partant del, nous allons synthtiser lintgralit de ses conseilsmthodologiques en montrant quils permettent dlaborerun savoir-faire artisanal de linterview que lon prsenterasous la forme de ficelles sociologiques au sens oHoward Becker lentend. En guise de premire ficelle,rappelons que ce type dentretien se prpare, car on doitlaisser le moins de place possible limprovisation, mmesi ensuite lors du droulement de lentretien, le chercheurpeut tre amen faire preuve dune certaine souplesse. Ilfaut tout la fois tenir un questionnement li laproblmatique de recherche mise en uvre (car la conscience pralable du sujet est souvent un avantagedterminant ), mais aussi savoir parfois avouer sonignorance lorsque des problmes nouveaux mergent aucours de linterview. De plus, la slection des interviewsest aussi importante, car la prise en compte de points devue de personnes occupant des positions diffrentes dansla chane de dcision, notamment en sintressant aux seconds couteaux , de faon pouvoir vrifier lesinformations (ibid., p. 28 sqq.). Il est galement ncessairede formuler une bonne question et donc avant tout unequestion prcise et clairement formule (i.e. viter leslourdeurs du jargon universitaire), tout en vitant lespiges des questions gigognes comme celles portant sur linfluence des conseillers . De son ct, LewisAnthony Dexter insiste sur la ncessit de dfinir les

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  • contours dune bonne question lie la problmatiquede recherche dveloppe. Pour lui, il y a indiscutablementune manire de formuler les questions et dviter leserreurs car lenjeu est celui du contrle de lentretien(Dexter, 1970, p. 5-6). La ficelle consiste alors avancerune problmatique pertinente mais ouverte pour que lliteinterviewe puisse, le cas chant, la redfinir sa guise.Dexter souligne aussi limportance des questions visant informer le chercheur sur le travail quotidien aux sommetsde ltat (p. ex. accs rgulier au ministre ou prsident,types de notes, etc.). Pour Samy Cohen la bonnequestion commence par la question introductive dont lerle est central (1999, p. 34-38). Elle doit alors sarticulersur un lment clef de la problmatique sans treabsconse ou trop touffue (ibid., p. 36). Bref, une bonnequestion est une question qui, tout en tant neutre, faitsens . Dun autre ct, il ne faut pas sous-estimer le faitque les questions poses dans le cadre dune sriedentretiens peuvent tre perues comme ayant un sensdiffrent par chacune des lites interviewes. Ce nest quaposteriori en oprant des recoupements entre les rponsesobtenues la mme question que le chercheur peut saisiret corriger ce biais. Dans cette perspective-l, certainschercheurs anglo-amricains soulignent un fait important :la conduite de lentretien et la production des rsultats dela recherche doivent autant que possible tre contrls parles mmes chercheurs (Peabody et al., 1990). Au total, unguide dentretien est utile, voire ncessaire, mme sil nestpas destin tre appliqu de manire rigide.

    Dans un deuxime temps, lors de la ralisation delentretien, le sociologue doit mobiliser la ficelle de la prsentation de soi . La matrise de certains codesdaccs constitue, quel que soit le type dlites interroges,une ressource importante, car lenquteur doit rassurer la

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  • personne quil sollicite et gagner sa confiance. Dans cetteinteraction de lentretien approfondi avec les lites,lenquteur se trouve confront plusieurs problmesspcifiques quil convient de lister (Dexter, 1970). Il estsouvent face des individus cultivs dtenteurs dunsavoir-faire spcialis quils nacceptent pas facilement departager. Soulignons ici que la qute de la confiance ne selimite pas la prsentation de soi, laquelle on atendance attacher trop dimportance. La confiance sejoue dans la capacit montrer que nous connaissons les dossiers (p. ex. la matrise du vocabulaire technique)pour sinscrire dentre de jeu dans le registre dunecoopration. Plus concrtement, la prise de notes est unexercice important mme si lon peut en accord aveclinterview enregistrer lentretien. En effet, prendre desnotes a pour effet de renforcer la fois la confiance delinterview, qui pense que ses propos font autorit, maisaussi celle de linterviewer qui en crivant simprgne dudiscours de son interlocuteur. Samy Cohen souligne juste titre que labsence de prise de note peut servler dsastreuse pour lenquteur (Cohen, 1999,p. 41). En outre, cette ficelle permet de noter les relancespossibles qui apparaissent au fil de la conversion mais quelon ne peut introduire immdiatement dans la conversation . Les relances sous la forme de demandesde prcisions et dinformations complmentaires sontgalement centrales dans la conduite des entretiens. Eneffet, elles permettent de vrifier la fiabilit de certainesinformations recueillies dans dautres entretiens en oprantdes recoupements (ibid., 42-43). Elles permettent dunepart de montrer votre interlocuteur que vous avez aussiune bonne matrise du sujet et dautre part de testerauprs de linterview des conclusions provisoires. Parailleurs, il est ncessaire dviter le pige de la familiarit etde la connivence car garder une distance est une chose

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  • salutaire. Enfin, il ne faut pas oublier que linterview tantle matre de la parole (il peut tout moment arrterlinterview sans autre forme de procs), il doit tre intresstout au long de lentretien. Pour cette raison, il faut viterque lentretien prenne progressivement la forme delinterrogatoire policier, dans la mesure o le dirigeantinterrog se soumet de bonne grce aux questions etparce quil y trouve un intrt personnel. Nanmoins, il nefaut pas tomber dans lexcs inverse o le chercheuressaye par tous les moyens de sidentifier au public surlequel il enqute .

    Une autre ficelle favorisant le bon droulement delentretien tient dans la grande libert de parole laisse linterview. Il est clair que plus les entretiens sont ouvertsplus on maximise la possibilit daccder un niveaudinformation important. La plupart des chercheurs qui ontenqut sur les lites saccordent sur le fait que lorsquelon cherche apprhender les croyances, les attitudes etles valeurs des lites, lentretien ouvert qui soriente vers la conversation produit les meilleurs rsultats (Aberbach,Chesney, Rockman, 1975). Rappelons ici que la spcificitde ce type dentretien doit conduire le chercheur ne passe tromper de public . Pour souligner cette spcificit,on compare souvent le travail de Robert Lane (1962) aveclenqute approfondie de Karl Deutsch, le premier ayantinterview des proltaires en traitant leurs opinions commesi elles manaient de llite tandis que le second dans lecadre du Yale Project (enqute sur les lites franaises etallemandes) avait interrog des lites en traitant leurrponse comme si elles manaient de proltaires (ibid.,p. 3). Ds lors, une bonne grille dentretien doit seconstruire autour de questions ouvertes susceptiblesdengager linterview et linterviewer sur le mode de laconversation (Hunt, Crane, Wahlke, 1964). Cette pratique

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  • permet de travailler sur un mode plus coopratif (ce quinest pas le cas avec des questions fermes) qui permetensuite daccder lunivers complexe des reprsentationset des valeurs des lites. La seconde remarque porte sur lestatut dtranger du chercheur qui enqute sur leslites dans le cadre dune tude monographique ou encoredans une tude comparative (Lerner, 1957). Rappelonstout dabord quil se trouve des pays (Europe versus USA)o laptitude des lites jouer le jeu de linterview est plusou moins forte et que le statut de chercheur tranger peuttre un facteur favorisant au point quun dput franaisavait affirm quil naurait pas reu son vis--vis (unchercheur) si ce dernier navait pas t de nationalitamricaine (Crane, Hunt, Wahlk, 1964). Dans un mmeregistre, Ezra Suleiman mentionne que le statut dtranger,renvoi par dfinition un chercheur qui est extrieur auxquerelles partisanes, est une ressource lorsquil sagit derecueillir des opinions sur la situation politique dun pays(1999, p. 270). De fait la posture de neutralit axiologique,chre Max Weber, est implicitement attribue linterviewer.

    Un rapport de domination pas ncessairementdfavorable

    Pour les tenants de la sociologie critique du pouvoir lafranaise, lentretien cest forcment faire le jeu des dominants , tant lchange est ingal et la violencesymbolique forte. Cette polmique a fait lobjet dunediscussion fort intressante dans louvrage de SamyCohen consacr la mthode dentretien avec lesdirigeants (1999). Premire remarque, la posture quiconsiste essayer de simposer aux imposants doitlaisser la place laspiration neutraliser

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  • axiologiquement les propos des dirigeants comme lajudicieusement montr Samy Cohen dans son plaidoyerpour lenqute dans un milieu difficile (ibid., p. 17-49).Nen dplaise la sociologie critique, travailler sur ce typedacteurs noblige pas forcment une collaboration , une collusion implicite dintrts , inscrite depuis lapetite enfance et renforce par la suite par les institutionsscolaires. Nous pensons au contraire que la pratique delinterview des dirigeants ne conduit pas systmatiquementau partage dune mme vision du monde , mais autoriseplutt pntrer lunivers complexe des reprsentations deceux qui dtiennent le pouvoir. En paraphrasant unenouvelle fois Pareto, on peut penser que le chercheurpuisse se mettre dans la posture du renard qui enjouant alternativement sur les registres de la ruse et de laraison ne cherche pas la confrontation avec les lions (les lites) mais essaye dtablir une conversation cordialequi permet daccder des renseignements sur lactionpolitique auxquels on ne peut pas accder autrement.

    Par ailleurs, on dfendra lhypothse selon laquelle lerapport de domination symbolique qui jouerait en faveurdes lites est rversible dans la mesure o le chercheurcontrle le rapport temps/histoire. Il est entendu que laquestion du temps se pose de manire concrte lorsque lechercheur doit obtenir un rendez-vous pour raliser unentretien. Lorsque les lites sont dans les positions depouvoir ou quelles occupent des fonctions centrales lavie politique dmocratique (chef dtat, chef degouvernement, ministre), le don du temps constitue un relproblme . Bien que variant selon les pays et lanationalit du chercheur (on est mieux accueilli quant onest dans la situation de chercheur tranger), il est clair queles lites confrontes la contrainte quotidienne de lactionpolitique ont peu de temps consacrer la recherche. Il

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  • parat dlicat quun prsident ou un ministre en activit ouencore quelquun de son entourage proche (conseillers,staffers) puissent consacrer ne serait-ce quune heure pourun entretien de recherche quand on travaille six jours sursept plus de douze heures par jour en moyenne. Toutefois,cela ne doit pas nous faire oublier lintrt implicite quontles lites dans linterview. On en conviendra aisment, leslites ont plus conscience que dautres types depopulation quelles font lHistoire (dixit Pareto : lhistoirene constitue-t-elle pas leur cimetire ? ). Par le biais delentretien, le chercheur en sciences sociales les invite semettre en scne face lHistoire. Notons que cela joue toutaussi bien pour les hommes dtat dont on peut penserquils ont une conscience accrue de leur rle historique,que pour les lites de lombre (i.e. experts, hautsfonctionnaires, conseillers politiques). On sait avecMachiavel que les conseillers du prince ont plus besoinque dautres de montrer quils contribuent, certes biensouvent behind the scene, lcriture de lHistoire.Accorder une interview constitue alors un moyen peucoteux pour historiciser leur rle. Ds lors, la ficellesociologique consiste faire prendre conscience de cetintrt aux personnes cibles par lenqute. Nanmoins, siles apports mthodologiques et empiriques de larecherche sur les lites constituent un plus sans prcdentdans lavanc de la connaissance sociologique du pouvoir,ils ont toujours t contests par de faux procs .

    Faux procs et bonnes raisons la sociologie deslites

    Un certain nombre de faux procs ont frein ledveloppement de la sociologie des lites, perue commeractionnaire (Etzioni-Halvy, 1993 et 1997). En France, la

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  • domination quasi-hgmonique du structuralo-marxismedans les sciences sociales a empch lessor dunesociologie de lautonomie des acteurs politiques malgr lesefforts rpts de Raymond Aron (Genieys, 2005). cetitre, la controverse interne aux sociologues marxisteseuropens qui opposa au dbut des annes 1970 RalphMiliband Nicos Poulantzas est rvlatrice de ces enjeux.Poulantzas reproche Miliband, dans son livre Ltat dansla socit capitaliste (1969, 1973), davoir recours auconcept dlite emprunt au sociologue tasunien CharlesWright Mills (cf. chapitre 5). Ce choix lamne tomberdans un empirisme abstrait et mobiliser un concept forte dimension idologique (Miliband, 1970) . Mme si cedbat doit tre replac dans le contexte intellectuel desannes soixante-dix, il illustre bien comment le faux procssur lopposition classe sociale versus lites fut instruit enEurope. Il figea un clivage entre les sociologues quircusent lusage dun concept au service de lidologiebourgeoise , et ceux, minoritaires, qui en font un conceptopratoire permettant de sparer les diffrentescomposantes de la classe dominante (p. ex. litesconomiques, lite dtat, etc.). Dans un livre habile, EvaEtzioni-Halvy montre que, contrairement la thorie desclasses toujours assimile lgalitarisme dmocratiquepar les socials scientists, la thorie des lites a ttraditionnellement considre comme non-dmocratique etillgitime dans lanalyse du pouvoir (1993). Lauteur crit audbut des annes quatre-vingt-dix : Pour toutes cesraisons, on a pris lhabitude dapprhender la thorie desclasses comme tant progressiste, galitaire etdmocratique contrairement la thorie des lites qui, elle,est considre comme conservatrice, ingalitaire, litiste etnon-dmocratique. Pour beaucoup dintellectuels, lathorie des lites tout comme llitisme est devenue

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  • pjorative. Pour toutes ces raisons, le terme lite, commela thorie des lites, se trouve encore dlgitim etmarginalis dans les sciences sociales (Etzioni-Halvy,1993, p. 28). Par ailleurs, la plupart des faux procsintents la notion dlite(s) sont lis des glissementssmantiques qui ont conduit doter le concept dunecharge idologique quil navait pas lorigine. Ensurvalorisant son ct gigogne et usant de stratgies dedrivation, les opposants lusage de la notion dlites ontrussi partiellement leur entreprise de dlgitimation. Etvoici les exemples les plus significatif de ces faux procs,construits sur des drivations de sens :

    llitisme comme conception du politique anti-dmocratique ;

    les avatars dune notion plurielle qui se conjugueau singulier (les lites versus llite) ;

    et enfin le glissement naturel du mythe duneRuling Class (dfinie par les trois C : consciente,cohrente et conspirante) vers celui de la thoriedu complot.

    litisme et litiste : des approches anti-dmocratiques du politique ?

    Giovani Busino crit juste titre qulitisme, litiste (avecou sans dterminants) sont autant de mots chargs deconnotations ngatives, voire dprciatives, car ils dsignent des systmes sociaux qui favorisent certainsindividus aux dpens du plus grand nombre, assurent desprivilges une minorit, un petit groupe dont certainsattributs particuliers sont valoriss arbitrairement (1992,p. 4). La drivation est ambivalente dans la mesure o ellegnre un amalgame entre ceux qui ont russi , ceux

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  • qui gouvernent et toute ou une partie de la classedirigeante. Il est clair que lhritage ngatif de lcoleitalienne des lites (i.e. Mosca-Pareto et Michels, voirchapitres 1, 2 et 3), joua un rle central dans le rejet dellitisme assimil alors un courant de pense anti-dmocratique de droite. Limportation et le dveloppementde lelitism aux tats-Unis renforcrent le spectre enfaisant basculer la critique dmocratique du ct delidologie radicale (Burnham, 1943 ; Mills, 1956). Cest surce point que les penseurs ractionnaires et les penseurs radicaux se rejoignent pour souligner lesdysfonctionnements de la dmocratie partir du rle deslites. Cest partir dune drivation de ces approchescritiques, o lantidmocratisme des uns fusionne avec lasensibilit galitariste des autres, que le faux procs sur lanon oprabilit de la sociologie des lites fut instruit.

    Giovani Sartori, dans sa Thorie de la dmocratie,pourfend cette accusation tout en attirant notre attentionsur le problme du gaspillage terminologique (1973, p. 93sqq.). Pour ce penseur de la dmocratie, le sens pjoratifde llitisme est rebours de ce quvoque lide dlite ;car, tymologiquement, lite signifie, digne de choix , etcest le seul terme du vocabulaire politique courant quivoque une ide de slection du pouvoir, fonde sur unesupriorit qualitative. Sartori propose en bon popprien deretourner la charge de la preuve. Il affirme alors quesoutenir lide que llitisme a en tant que tel uneimplication antidmocratique perptue une supercheriemthodologique quil convient de rejeter sur la base dunraisonnement logique. En effet, si lexistence dans chaquesocit dlites dirigeantes ou gouvernantes est unedonne de fait, un tel fait ne peut tre ni dmocratique niantidmocratique, car ce qui va lencontre de la dmocratiecest de poursuivre des fins antidmocratiques et non de

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  • rechercher la vrit exprimentale. Par consquent, unebonne dmarche scientifique conduit le chercheur ensciences sociales ne pas mettre des jugements devaleurs sur la hirarchie des valeurs tant que nousnapercevons pas le type de relations quun auteur tablitentre les faits et celles-ci. Or, les lites constituentlquivalent moderne de lide ancienne de meliors pars.Est-il donc vraiment sage de rejeter ce concept ou en toutcas de renoncer employer le terme qui nous permetdexprimer cette ide ? On peut rpondre par la ngative cette question car nous avons souvent besoin dans nostravaux de sociologie politique de distinguer entre lepouvoir de facto et le pouvoir fond sur le droit, entre ceuxqui dirigent (la classe politique existante) et ceux qui sontcapables de diriger (les lites politiques potentielles). Pourcela nous devons tres capables de parler dlites sansfaire de complexes de culpabilit. Bernard Manin dans salecture de la thorie du gouvernement reprsentatif nedcrit pas autre chose lorsquil met en avant le caractrearistocratique de llection (le terme aristocratiquepouvant ici tre remplac par litiste ou oligarchique ) : les reprsentants lus doiventseulement tre perus comme suprieurs, cest--direprsenter un attribut (ou un ensemble dattributs) qui dunepart est jug favorablement dans un contexte cultureldonn, et que dautre part les autres citoyens nepossdent pas ou pas au mme degr (1995, p. 187).Pour Manin le principe lectif dans le cadre de ladmocratie reprsentative est en soi de nature litiste.

    La fausse question du pluriel et du singulier

    Lautre source de problmes dans lusage du conceptdlite(s) provient de lopposition entre le singulier et le

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  • pluriel. Existe-t-il une lite ou des lites ? L encore,lhritage partien mrite une discussion dans la mesureo il usa du concept dlite au singulier et au pluriel(Albertoni 1987, p. 152). En outre, pour rendre les chosesplus complexes, Pareto lui donna deux acceptions : ceuxqui sont les meilleurs dans leur domaine dactivit (notiondexcellence) et ceux qui composent un groupe minoritaireoccupant une place suprieure dans la socit (notion deprminence) du fait de leur mrite, de leur culture ou deleur richesse (1902-1903, 1916). Il existe ainsi pour Pareto la fois une lite dirigeante au singulier et des lites nondirigeantes au pluriel. Il est clair que lorsque Pareto,parfaitement bilingue, crit Classi elette (les lites) dans leTrait de sociologie gnrale, il oppose la mritocratiemandarinale sur laquelle les politiciens franais delpoque tentaient de construire lordre dmocratique aumarasme politique de lItalie librale (cf. chapitre 1). Lemalentendu partien qui spare dabord les sujets deVictor Emmanuel III et les citoyens de la III Rpublique at entretenu en France par les idologies de droite ou degauche durant le XX sicle. cela sajoute la lutteintellectuelle qui loppose Marx et qui se traduit, linstarde Mosca, dans une volont de lgitimer le rle desminorits dirigeantes entretenant une confusion dans ladfinition des lites comme groupes choisis , les lites,et aussi comme de groupes limits dots de pouvoirspolitiques, llite (Dictionnaire de la sociologie, cf. art.Guillemain, 20 p. 302-311). Cest en sappuyant sur cepostulat de dpart que les auteurs du Dictionnaire critiquede la sociologie soulignent limpossibilit de faire un choixentre lusage du pluriel et du singulier (Boudon,Bourricaud, 1982, p. 225-232). Nous dmontrerons que cetype de posture amne le chercheur confondreabusivement lexistence dune pluralit dlites (un fait

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  • sociologique) et une question de recherche, la formationdune lite (dun groupe social ou politique) dont il fautvrifier empiriquement la ralit (cf. deuxime partie delouvrage).

    Une fois de plus la question de lopposition entre lusagedu singulier et lusage du pluriel renvoie une doubledrivation porte lencontre