La Relation d’objet et les structures freudiennes
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CommentairedelaLeçon4
LaRelationd’objetetlesstructuresfreudiennes
MartineLerude
Collègedel’ALI,le14novembre2016
MartineLerude:D’abordjedoisvousdirequej’aiacceptéavecgrandplaisir
lapropositiondeJean-Pauldeprésentercetteleçon4deLarelationd’objetqui
estlepremierséminairedeLacanquej’aivéritablementluettravaillé.C’étaitily
a35ans,etcettenouvelletranscriptionqueJean-Paulm’apasséemesembletrès
loindesphotocopiesdephotocopiessurlignées,griffonnéesaveclesquellesnous
travaillions alors. J’ai à la fois découvert un nouveau texte et enmême temps
retrouvémesmarques.
Cette leçon4 est fondamentale car elle vient enquelque sorte conclure les
leçons précédentes et je dois vous dire que j’ai été très interpellée par deux
termes:celuidenotionetceluidediscordance.
Leterme«lanotion»estutilisétout letemps,toutaulongdecette leçon.
Parfoiscinqfois,sixfois,septfoisvoirehuitfoisparpage,ontrouveparexemple:
lanotiond’objet,lanotiondefrustration,lanotionde…,c’estunmotquirevientsi
régulièrementquejesuisalléevoircequ’ilsignifieprécisément,enmêmetemps
quejem’interrogeaisursonusageintensif.
Premièrehypothèse:ilmesemblequesiLacanparledenotionc’estd’abord
parce qu’il ne peut pas parler de concept. Je crois que c’est vraiment le point.
Effectivement, la notion implique une connaissance immédiate, intuitive de
quelquechose,uneconstruction,unereprésentationdel’esprit,unemanièrede
concevoir,unpointdevue,uneidée.C’est-à-direquelquechosequiestsensible,
quiestlà.Ilyatoujoursunedimensiondefloudanscetermedenotion.
Etpuisc’estaussiuneidéegénéraleetabstraiteentantqu’elleimpliqueles
caractères essentiels de l’objet qui est traité. Alors voyez, on est là sur une
bordure,c’est-à-direquecetermeimpliquelescaractèresessentielsdecequiest
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traité sansnéanmoinspouvoir, jedirais, les fixer, ces caractères essentiels, les
déterminer,commeleferaitleconcept.Voyez,parexemple,laphrase:lanotion
d’objet,lanotionsivouslevoulezd’objetécran,etlanotiondesouvenirécran…Et
si vousprenezunepage auhasard, vous trouverez ce termedenotion, tout le
temps.
Quandilarriveàlaleçon4,LacanadéjàétabliletableauqueJean-Paulvient
d’écrire (le tableau castration/frustration/privation), et le tour de force et le
déplacement qu’il a réalisés dans les 3 leçons précédentes lui permettent
d’affirmerquecequel’expériencepsychanalytiquemetenévidence,cen’estpas
dutoutlanotiond’objet:«undesressortlesplusessentiels,etceladepuisledébut
de la psychanalyse… depuis le début de la psychanalyse… c’est la notion du
manqued’objet.Lanotiondemanqued’objetestcentrale...Cen’estpasdel’ordre
d’unnégatif,lenégatifdel’objet,lanotiondemanque…c’estduressortmêmedu
rapportdusujetaumonde.»Cen’estpaslanotiond’objetquiestessentiellemais
celledumanqued’objet.C’estl’assertionfondamentale.
OnlatrouvedèsledébutduSéminaire,danslaleçon2àlapage19.Donctout
sontravailc’estdefairesentir,dit-il,parquellesortedeconfusion,alorsbien-sûr
jene cessepasde paraphraser, je vousendemandepardon: «onaboutit à ce
glissementcurieuxquifaitqu’ensommel’analysefaitpartied’unesortedenotion
scandaleusedesrelationsaffectivesdel’homme.»Quel’analysefassepartied’une
sortede«notionscandaleusedesrelationsaffectivesdel’homme»,c’estcequ’il
nommeceglissementcurieuxquimetaupremierplanlarelationd’objet.
La littératurepsychanalytiquede l’époque,des années1955-1956,adonné
une place centrale à laRelation d’objet et c’est sur cette littérature que Lacan
s’appuiepourlamettreenpièces.Eneffet,venaitalorsdesortirunlivreautitre
éponyme,écritpardespsychanalystesavecquiiln’estplusdutoutenrelationde
travail (depuis la scission de 1953): il s’agit d’un numéro spécial de La
psychanalyseaujourd’hui,sousladirectiondeSachaNacht.
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Jean-PaulBeaumont:C’estunlivre,c’estundouble-livre…
Martine Lerude : La psychanalyse aujourd’hui, était une revue dirigée par
SachaNacht,quifutlegrandamideLacanjusqu’àlarupturede1953.Cedouble
numéroréunissaitlestextesd’analystesquiétaientrestés,ouquis’étaientinscrits
à L’Institut de psychanalyse. Lacan, en s’appuyant sur ce travail collectif, va
critiquer,articlepararticle,cettepromotionquiestdonnéeàcetermederelation
d’objetquin’existepaschezFreud.Etbienquelaquestiondel’objetsurgissesous
laplumedeFreud,onnetrouvepaslaformulationrelationd’objet.Lacan,donc,
insistesurlesconséquencesdeceglissementcurieuxquimetlarelationd’objet
aupremierplan.
«Non seulement l’analyse amis en valeur le rôle de la sexualité,mais elle a
introduitenmêmetempsquecettenotion…[Voyezcetermedenotionquirevient
sansarrêt]lanotiondeparadoxe,dedifficultésessentiellesinternes,sil’onpeutdire,
à l’approchede l’objetsexuel.»Ehbienc’est là,sur lestracesdecettedifficulté
essentielleinterneetparadoxaleàl’approchedel’objetsexuelqu’ilvaessayer,lui,
defaireunehypothèse,qu’ilnevapasappelerpsychogenèse,d’autantqu’ilveut
démontrerleserreursdanslespsychogenèsesquiontétéconçuespard’autres.
Néanmoins, il s’agit,malgré toute sa prudence, de retourner à point d’origine.
Ainsi,quandilcommencelaleçon4,ilécritcetableaudéjàmisenplacedansla
leçonprécédente.Etpourbiencomprendreletableau,ilfautpenserlaquestion
dumanque.C’est-à-direquec’esteninscrivantlacatégoriedumanquequ’onpeut
ensuite mettre en place ce qu’il en est de l’objet et de l’agent. Et c’est cette
catégoriedumanquequeLacanvatirerdetouscestextes,puisquec’estjustement
cettecatégoriequin’estpaspriseenconsidérationparlesdifférentsauteurs.
Pourlirecetableau,ilfauttoujourslirelacatégoriedumanque,qu’ils’agisse
de la frustrationdanssapositioncentrale,quiestunmanque imaginaire,de la
castrationquiestunmanquesymboliqueoudelaprivationquiestunmanque
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réel. Les articulations concernant l’agent et l’objet se déclinent ensuite
logiquementenfaisantjouerlestroisinstances.
RevenonsàlaglissadequeLacantrouvedanscestextessurlarelationd’objet.
Cetteglissademèneà lanotionharmoniquedel’objet,à lacomplémentarité, la
fameuseoblativitégénitale,quisetrouve,nousdit-ilàdistancedecequeFreud
élaboraitdansLesTroisessais.Etàcemoment-là, trèsvite, ilvanousfaireune
citationdeFreudqu’iltrouvedansPulsionsetdestinsdespulsionsetquiconcerne
l’objet, pas lemanqued’objet,mais l’objet.Alors cette citationque Jean-Paul a
prise fidèlementdans le textedeLacanm’amisedansunétatdeperplexité, la
voici:«L’objetdelapulsionestceluiàtraverslequel"l’instinct"peutatteindreson
but. Il est ce qu’il y a de plus variable dans l’instinct. Rien qui ne lui soit
originairementaccroché,maisquelquechosequiluiestsubordonnéseulementpar
suitedesonappropriationoudelapossibilitédesonapaisement.»
Maperplexitéportesurl’objetdelapulsionetletermed’instinctassociésdans
lamêmephrase.J’aid’abordpenséqu’àcemoment-làonavaittraduitTriebpar
instinct.Certes,maislaphrasecommencepar«l’objetdelapulsion».Est-ceque
Lacanchercheàétablirunedistinction,unedivisionentrelapulsionetl’instinct
etdu mêmecoupentre lesobjets?D'autantque laquestionde ladivisionest
présente tout au long de ces premières leçons. Par exemple, dans une leçon
précédente, lorsqu’il oppose le principe de plaisir au principe de réalité, il va
ensuitediviserl'unetl'autre.Ainsi,dansleprincipeduplaisirildistinguedeux
versants:celuiquiviselatensionminimumetceluiquiviseàmaintenirl’érection
dudésir,puisqueLustenallemandsignifieaussienvieetdésir.
Voyez,ilvadoncintroduireunedivisiondansladéfinitionmêmeduprincipe
deplaisir.Delamêmemanière,ilintroduitunedivisionàl'intérieurduprincipe
de réalité. Ce principe de réalité dont il nous dit que, finalement, ça pourrait
consister à s'adapter à la réalité, à accepterun certainnombrede restrictions,
maispasseulement.Çaconsisteaussiàfairedesdétoursparrapportàlaréalité.
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Etcequiestfrappantdanscespremièresleçons,c'estlamanièredontchaque
foisqu'ilévoqueunenotion,ilveutaussitôtenmontrerladiscordanceinterne,
discordanceinternequin’estriend’autrequeladivisiondelanotion.Enlisantla
citation, je m’arrête sur l’idée qu’il y aurait une différence entre pulsion et
instinctetqueLacanyalucettediscordance.Jesuisalléevoirletexteallemand.
Freudn’utilisequ’unseulterme,Trieb,ils'agituniquementdelapulsionetils'agit
defairevaloirquel'objetdanslapulsionestunobjetcomplètementindifférent.
C'estça, lasuitede lacitation. J’insiste surcepointparcequ’on rencontreune
espècedemécaniquesystématique quiest lasuivante: chaque foisqueLacan
nousproposeunenotion,celle-ciestàlafoisfixéeetenmêmetempsdivisée.Ça
meparaîtêtreunpointtoutàfaitimportant.
Quelle est la thèse de Lacan? Il nous dit, et il le répète, qu'il n'y a pas
d'harmoniepréétablieentre l'objetet la tendance.La tendance,c'estuneautre
manièrededirelapulsion,leTrieb,leTreibenouaussidriveenanglaispuisquece
seraenanglaislatraductionde«pulsion»,ceseradriveetpasinstinct.
Jean-PaulBeaumont…dansLaStandard,c'estinstinct.
MartineLerude:C'estinstinctdansLaStandardmaisaprès…
Jean-PaulBeaumont:ilproposedemettredriveparcequeçasonnecomme
Trieb
MartineLerude:Oui,maisensuitedriveseralatraductionchoisie.
Jean-PaulBeaumont:oui,c’estdansLaStandardqu’utiliseLacan,c'estpour
çaquej'aimis"instinct"entreguillemets,c'est"instinct"quitraduitpulsion,qui
traduitTrieb…
Martine Lerude : En anglais dans La Standard des années 5… mais la
traductionfrançaiseestpulsionaprèsavoirétéinstinct.Cetobjet,cetobjetdont
ilnousditqu'iln'estjamaisqu'unobjetretrouvé,àpartirdequoialors?Ilutilise
le mot allemand, à partir d'une Findung, d'une trouvaille primitive ou d'une
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rencontre primitive plutôt. Cet objet estWiederfindung, est de l'ordre d'une
retrouvaille. Mais cet objet retrouvé est toujours inadéquat, il se dérobe
partiellementàlasaisieconceptuelle,partiellement.
Àpartirdecesremarques,Lacanrevientsursonobjectif,quiconsisteàserrer
la notion de frustration, telle qu’elle est écrite etmise au centre de la théorie
psychanalytiqueactuelle.Qu’est-cequi anécessité cettenotionde frustration?
Dans quellemesure convient-t-il de la rectifier, de la critiquer pour la rendre
utilisableetcohérenteavecladoctrine?
Alors,bien-sûr,ilrépète,ilinsiste:ils'agitpourluidedistinguertroistermes
Castration/frustration/Privationquisonttroiscatégoriesdumanque.J’aimebien
cetteformule,«catégoriesdumanque».Contrairementaumot«manque»queje
trouvetrèsflou,laformule«catégoriesdumanque»marquelesdifférences.
Lacastration,onlesait,estliéeàl'ordresymbolique,elleestliéeàlaposition
centralequiaétédonnéedansladoctrineaucomplexed'Œdipe.Elleestl'élément
d'articulationessentieldetoutel'évolutiondelasexualité.Lasexualitéest,pour
le sujet névrosé, dépendante de l’organisationœdipienne, autrement dit, c’est
l'Œdipequipeutdonnerausujetlesclefsetlesmodalitésidentificatoires,cequ’il
pourrafaireentantqu’hommeouentantquefemme.
Lecomplexed'Œdipe,rappelleLacan,comprendlanotiondeloi.Ilsesitueau
niveaudeladettesymbolique.Cequiestmisenjeudanscettedettesymbolique
estinstituéparlacastration,quiconcerneunobjetimaginaire,lephallus,c'estce
queFreudaaffirmé. Il l’affirme, jecrois,d'une façon toutàfaitclairedansson
textede1921,L'Organisationgénitaleinfantile.Etc’estdanscetexte-làqueFreud
remplaceletermedegénitalité,d'accèsàlagénitalité,parleterme«phallus».Et
c’estensuivantFreudqueLacanpeutdirequelephallusestunobjetimaginaire
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carFreudlesituecommereprésentant imaginairedela jouissancepartagéede
l'hommeetdelafemme.
Retour au tableau: la castration, liée au complexe d'Œdipe, vise un objet
imaginaire,lephallus.
Lafrustration,estenpositioncentraledutableau.Ilfautd'abordremarquer
quesilanotiondedésir,c’estLacanquiparle:«silanotiondedésiraétémisepar
Freudau centrede la conflictualitéanalytique, c'est aussi le désir qui amène les
sujetsàfaireuneanalyse.»cettenotiondedésiraétémise,parFreud,dansune
position centrale en mettant l'accent, nous dit Lacan, sur la frustration, et
d’ajouterqu’onnedérogepasbeaucoupàcettenotioncentraledansladialectique
freudienne.
Alorspourquoiest-cequ’onnedérogepasbeaucoupàcettenotioncentrale?
parce que la question du désir peut se lire aussi bien versus satisfaction que
versusnon-satisfactionducôtédecettefrustration.L'important,pourLacan,c'est
desaisircequecettenotionveutdire.Jen'inventerienaveccemotdenotionqui
est toujours là et qui va y être quatre fois, je cite Lacan: «comment elle a été
introduiteetàquoielleserapporte».
Cettenotiondefrustrationmiseaupremierplandelathéorieanalytiquepar
sescopainsdel'Institutestliéeàl'investigation,rappelle-t-il,destraumas,des
fixations,desimpressionsd'expériencespré-œdipiennes.Ilditpré-œdipiennesà
cemoment-là.C'estunpeuembêtantparcequedansuneleçonprécédente,ila
biendistinguécequiétaitlepré-œdipiendupré-génital,etc'estunpeudommage
quelà,ilailletropvite,parcequelepré-génitalnepeutdevenirpré-œdipienque
dansunaprès-coupdel'Œdipe.
Jean-PaulBeaumont:Illeditdanslaphrasesuivante…
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MartineLerude:C’estdanslaleçonprécédente,jemepermetsdesouligner
ce point: quand il distingue le pré-œdipien du pré-génital c'est peut-être une
manièredenous rappelerque lepré-génitaldevra être interprétépar l'Œdipe
dansuntempssecond,etqueceserarétroactivementquel'onpourraparlerde
pré-œdipien.Cequiveutdirequecesimpressionsd'expériencespré-œdipiennes
ne sont pas extérieures à l'Œdipe, mais qu’elles en donnent le terrain
préparatoire. Elles modèlent le versant selon lequel l'Œdipe sera amené à
s'infléchir.Bienentenducequisepasseavantl’Œdipe…
Jean-PaulBeaumont:Nonc’estdanslaleçon4,c’estjusteaprès...
Martine Lerude : Je me suis trompée alors. Je crois que dans la leçon
précédente, il fait la distinction de façon plus radicale - ce qui se passe avant
l’Œdipe bien sûr va être interprété par la situation œdipienne, donc ce qu'il
appellecesimpressions,oucestraumasvontdonnerenquelquesortelepremier
modèle,unterrainpréparatoire,quipasseraparlesfourchescaudinesdel'Œdipe
c’est-à-direparuneinterprétation.
Sicettenotiondefrustrationestliéeaupremierâgedelavie,celaveutdire
qu’elle est liée àunmodede relationqui introduit laquestion du réeldans le
progrèsdel'expérienceanalytique.Carc’estparlamanièredontcettenotionde
frustrationseprésentedanslacure,quevasetrouverposéelaquestionduréel.
Aveclanotiondefrustrationdit-il,onretrouvelesnotionsdesatisfaction,de
gratification qui sont adéquates au développement du jeune sujet; les
métaphoresquantitativessontaussitôtassociéesettraduisentlesappréciations
cliniquesdeplusoumoinscomplètesaturationou,aucontraire,decarences.
Qu'est-cequeçaveutdire?Quec’estaveccettecatégoriedumanque,quiest
unmanque imaginaire concernant, comme il l'adéjàdit, unobjet réel, que cet
objet va être soumis à du trop, du pas assez, à des carences, des excès, de la
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saturation.Ilyalàuneespècedemesurequiesttouteprête,etlesmétaphores
quantitativesquisontassociéesàlafrustrationenrendentcompte.
Dans cette littérature analytique que Lacan convoque, il remarque que le
centred'intérêt estdéplacé, «que le senspeut êtremis sur certaines conditions
réelles repérées dans les antécédents du sujet».Comment entendre que le sens
donnéà lafrustrationpuisseêtremissurcertainesconditionsréellesrepérées
danslesantécédentsdusujet?Çaveutdirequedanslacure,ilétaithabituel,à
l’époque, d’attribuer une importance décisive aux événements repérés comme
desconditionsréelles,etd’expliquerainsilessymptômesdupatient.
C'estunpoint important, pourquoi ?Parcequ’onne cessepasd'oublier, et
c'estcequefaisaitremarquerMoustaphaSafouanen2003dansunarticlesurLe
discoursdeRome50ansaprès,quelacureestuneexpériencedediscours,etqu'il
ne s'agit pas d'aller repérer des soi-disant événements ou antécédents qui
viendraientexpliquerquelquechosedel'ordred'uneréalité,voirenommésréels
pourunpatient,maisquec'estuneexpériencedediscours,etc'estçaquinecesse
pasdetomberdansl'oubli.Jefermemaparenthèse.
Jean-PaulBeaumont:Ilfautrappelercequec'estqu'undiscours.Lediscours
s'opposeaurécit.Lerécit,c'estquandjeraconteunehistoire:«Lamarquiseest
sortieàcinqheures»,cequevousvoulez,unehistoirequelconque.Lediscours
supposequ'ilyaitunjeetuntu.
MartineLerude:«Longtempsjemesuiscouchéedebonneheure.»
Jean-PaulBeaumont:«Longtempsjemesuiscouchéedebonneheure»c'est
déjà un discours, parce que le discours suppose qu'il y ait un je et un tu. Un
discours,c'esttoujoursquelquechosequivientd'unsujet,mêmesi lesujetest
éventuellementsupposé.Etças'adresseàquelqu'un.
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C'estpourcelaquedansl’expériencedel’analyse,ilnes'agitpasdereprendre
lerécitdecequis'estpassé.C'estquelquechosequisepassedans lemoment
mêmeoùlepatientestenanalyse,oùils'adresseàl'analyste.C'estcequeMartine
dit,n'est-cepas?Etc'estencelaquec'estundiscours,cen'estpaslediscoursde
M.Juppéparexemple…
MartineLerude:
Lacansoulignequelafrustration,estconsidérée,parlesauteurscités,comme
unesorte«d'impressionréelle»vécuedansunepériodeoùlarelationavecl'objet
ditréel,c’est-à-direcentréesurl'imageprimordialeduseinmaternel,vadonner
lieuauxpremièresfixations,premièresfixationsàpartirdesquelleslesdifférents
typesdestadesinstinctuelssedéduisent.Lacandénoncecettethéoriequiaboutit
aux stades instinctuels, car elle produit «une sorte d'anatomie imaginaire du
développement du sujet». Je trouve cette formule bienvenue, parce qu’il s’agit,
pour ces auteurs, de retrouver, via la frustration, la relationpremière avec cet
objet réel, lesein,poséecomme l’originede toute ladéclinaisondesdifférents
stadesdedéveloppement.
Lacannedénoncepasdirectementlesstades,iln'estpasentraindedireque
les stades relèvent d’une fausse chronologie, ou d’une psychogenèse à la noix,
mais en même temps, c’est cette conception à partir de la frustration, qu´il
considèrecommeerronée:ilendénoncelaconstructionimaginaire,cettesorte
«d’anatomieimaginairedudéveloppementdusujet»etl’usagedutermeobjetréel.
Qu'est-ce que ce rapport le plus primitif avec l'objet réel ? À ce propos il
introduitlaquestiondel'auto-érotisme,dustadedel'auto-érotisme,telqueFreud
l’a considéré et que certains (toujours les mêmes, les auteurs de la Relation
d’objet) continuent de maintenir aujourd'hui comme le rapport primitif entre
l'enfantetcetobjetmaternelprimordial.
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Etilvaalorsévoquerdifférentesthéoriespost-freudiennes:celleducouple
Balint et celle de Mélanie Klein. Il avait déjà beaucoup parlé de Winnicott
auparavant. Il rappelle que la théorie duprimary loved’AliceBalint cherche à
concilier lanotiond'auto-érotismeaveccelledelaréalitédel'objetnourriture.
C’est,dit-il,Laseuleformed'amourdanslaquellel'égoïsme-del'auto-érotisme-et
le donde lanourriture sontparfaitement conciliables. Cette théorie suppose de
poser l’existence d’une parfaite réciprocité de la position de l'enfant et de la
positiondelamère.Lacannecesserapas,toutaulongdesséminairessuivants,
d’en démontrer le caractère imaginaire: l’idée d’une unité accomplie parfaite
entrelamèreetl'enfantestdel’ordredel’imaginaire,dumythe.Etlorsque,des
années plus tard, il évoquera la question duUn Imaginaire, il fera référence à
l'imagecomblantemythiquedecetteréciprocitésupposée,accomplie,parfaite,de
cettecomplémentaritédesdeuxpôlesmèreetenfant.
Danscetteleçon,ilparledesdeuxpôlesdubesoinetde«réciprocitédansla
positiondel'enfantquiexigedesamèreetdelamèrequiexigedel’enfant».C'est
parfait, cette théorie s’appuie sur un Un magnifique, imaginaire. Mais «c'est
contraire,ditLacan,àtoute l’expérienceclinique,car lessujetsneparlentquede
discordancefondamentale”.
Làencore,lemotdiscordanceestunmottoutàfaitessentiel.Lacansemoque
decesoi-disantamourparfaitcomplémentaire,sicontraireàlaclinique,quine
parlequedediscordance.«LesBalint,nousdit-il,alorslàonpasseaucouple,pour
donner corps à leur propos, parlent du rapport mère enfant naturel chez les
sauvages.»C'estunepetitenoteamusante,etLacanremarquequ’illeurfautaller
chercherlapreuveailleurs,aupaysdesrêves,chezlessauvages…preuveunpeu
curieuse ,et comme dit Lacan, c'est toujours ailleurs, là où la mère a toujours
l'enfantsursondos,qu'onvatrouvercetteimageidéale,cettepositionidéalevoir
idéaliste,dit-il,d'unamourstrictementcomplémentaire,enquelquesortedestiné
par lui-même à trouver sa réciprocité». Et on n’est pas sorti de cette
représentation. Mélanie Klein ne s’en sort pas mieux, et il insiste sur sa
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conception,sur ladimensionmythique qu'elleapporteelleaussi. Ilyadoncle
mythequiestapportéparBalintetlemytheapportéparMélanieKlein.Tousdeux
sont dans l’imaginaire duUn de la réciprocité parfaitemère-enfant. D’ailleurs,
remarque Lacan, Mélanie Klein ne fait rien d’autre que lire demanière rétro-
activelastructureœdipienne.C’est-à-dire,unemanièredesymbolisercechaos
originaire.
Encoreunefois,mêmepourMélanieKlein,l'Œdipeestdéjàlà,avecsesvertus
interprétatives.Mêmesitoutestmorcelé,sionn’aaffairequ’àdespénismorcelés,
des frères, des sœurs, tout ça, en morceaux à l'intérieur du corps maternel,
l’articulationdetoutçaparrapportàl'enfantseferaeffectivementparlamiseen
placed’unedimensionsymbolique,d’uneorganisationsymbolique,quin'estrien
d'autrequel'Œdipe.
Après ces évocations théoriques, Lacan affirme «que toute articulation
théorique est en quelque sorte purement hypothétique», et cela me paraît très
important, «quinouspermetdedonneraudépartquelquechosequipeutmieux
satisfairenotreidéedesharmoniesnaturelles,maisquin'estpasconformeavecce
quenousmontrel’expérience.».Bienquel’idéed’harmoniesnaturellesnesoitpas
conforme à l’expérience, c’est une articulation théorique qui a sa fonction
d’hypothèse. Parce que c'est aussi avec des hypothèses que l'on va pouvoir
travailleraveclesenfants.Queleshypothèsessoientfaussesaufond,peuimporte,
carellespermettentd’introduireunedimensionsymboliquedanslechaos,par
rapportàcetteconfusionquiresteauniveauprimordialmère-enfant.
Etaprèscesremarques,Lacanrevientàlaquestiondelafrustration.J’aidu
mal à faire émerger les points forts de cette leçon car j’étais captivée par la
dialectiquesubtilequeLacandéveloppe.Eneffet,dèsquel'onserreunpointet
qu'onl’isole,onestducôtéd'uneaffirmation,d'unepositivationetonmanque,le
contrepoint,contrepoints,discordancesqueLacannecessedefairevaloir.
L’objetréel
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Dans le tableau: la frustration s’inscrit dans la catégorie du manque
imaginaire, mais l'objet est réel. L’objet réel c’est la relation directe avec la
mère:«Ilyal'objetréeletcommeonnousdit,ilestbiencertainqu'unobjetpeut
commenceràexercersoninfluencedanslesrelationsdusujetbienavantd'avoirété
perçu comme objet. L'objet réel, là en l’occurrence, la relation directe c’est la
relationdirecteaveclamère.Etc'estuniquementenfonctiondecettepériodicitéoù
peuvent apparaître des trous, des carences que va s'établir un certain mode de
relation du sujet dans lequel nous pouvons introduire quelque chose qui pour
l'instantnenécessiteraitabsolumentpaspournousd'admettrequepourlesujetily
aitdistinctiond'unmoietd'unnonmoi.
Cesujetévoquéiciestlesujetprotopathique,celuid’avantlarencontreavec
lesignifiantvenudel’Autreréel.Cesujetsituéaudépartdugraphen’apasencore
constituél'imagedesonmoi.Cesujetd’avantlesujetnesaitmêmepasquelest
cetobjet,bienqu’ilsoitenrelationdirecteavecunobjet.
Cequinousrenvoieà lapremière leçon,auschémadurapportdusujetau
petitaenpassantparlegrandAutre:«lanotion,jel’aiencoreentourée,dansce
rapportfondamentaldelamèreàl'enfantoudel'enfantàlamère,quiestrapport
demanque à quelque chose qui est en effet l'objet,mais l'objet en tant qu'il n'a
d'instancequeparrapportaumanque.»
L’objet n’est pas la mère mais la relation directe à la mère, le rapport
fondamental aumanque. Et la notion d’agent devient essentielle. L'agent dans
l'occasion,c'estlamère.Pourquoilanotiond'agentapparaît-elleàcemoment-
là?Parcequetantquel'affaireétaitduelle,c'est-à-diresujet-objet,lamèreétait
l'objet.C’étaitunobjetentantqu'ilpouvaitmanquer.Ils’agitdefaireintervenir
letroisièmetermequiestlà,qu'ilvanommerl'agent.CoupdeforcedeLacanqui,
enintroduisantcetroisièmeterme,établitunenouvelledialectique,sujet,objet,
agent,decemomentinaugural.IlrevientalorsàFreudobservantsonpetitfilsde
18moisquijouaitavecunebobine.
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Vousvous souvenezde ce jeude l’enfantqui estdans son lit, samère s’est
absentée, il lanceunebobineet il scande lemomentoù il la lanced’unO et le
momentoùelle luirevientd’unA,alternancedeOetdeAqueFreudreconnaît
aussitôt comme Fort et Da. Ces O et A ne prennent sens, ne peuvent être
interprétés que dans la langue allemande où ces prépositions, fort-da ont une
placefondamentaledanslagrammaire.Jetiensbeaucoupàsoulignercepointcar
cesparticulesverbalesindiquentlamiseenplaceprécocedelagrammairedela
langue.
Lorsque j'étais à Berlin, une patiente, fille d’un couple franco-allemand,
grandieenFrance,étaitmariéeàunallemandethabitaitBerlindepuisplusieurs
années.Elle avaitune fille âgée de2 ans élevéeen langueallemande. Sa sœur
restéeenFrance,mariéeàunfrançais,avaitaussiunefillededeuxans,élevéeen
français.Etmapatientemerapportal’observationsuivante.Lesdeuxpetitesfilles
étaientréuniespour joueretelless’amusaientà lancerdesboulettesdepapier
dans une corbeille à papier. La petite française disait «Pati! Tombé!», parti,
tombé,parti, tombé…Lapetite filleallemandeelledisait«Raus…über…drin».
Elle n’utilisait que trois propositions, qui était des propositions verbales de
mouvement.C’est-à-direquelagrammaireétaitlàenplace,ilyenavaitunequi
indiquait les mouvements et la chute: ça montait et ça allait tomber dans la
corbeille,endehors,raus,über,drin,etpuislapetiteFrançaise,elle,utilisaitdes
participespassés.Donc,cettequestiondelalangueesttoutàfaitessentielle,etde
ce qu’on va entendre chez un enfant, la manière dont on va découper les
phonèmes, quand les phonèmes vont se mettre à faire sens, est tout à fait
fondamentale.Cequialieudansunelanguen’aurapaslieudansuneautrelangue
oùautrechoseauralieu.
FreudyadécryptélemouvementduFort-Da,etLacanainsistésurlecouplage
de la présence et de l’absence de la bobine, en remarquant que ce couplage
présence-absenceestenplacetrèsprécocement.Ill’associeàlaprésence-absence
delamère,etcen’estpasparhasardqu’ilcitel’exemplefreudien.Ilaffirmealors
15
que la mère est l’agent de cette frustration, à une certaine étape du
développement, qui est celui, dit-il, de lapositiondépressive. Là il reprendun
termekleinien.Mais, dit-il: «danscettecaractéristiquede laprésence-absence,
nonseulementelleestobjectivement—ilyauneoppositioncommetelle—mais
elleestaussiarticuléeparlesujetcommetelle».C’estcequiest important,non
seulementl’opposition,maisl’articulationentantquecetteprésence-absenceest
centréeautourdequelquechose,cequelquechosequi,pourlesujet,estarticulé,
dit-il,quel’objetmaternelesticiappeléquandilestabsent,etilestrejeté,selon
un même registre, par une vocalise quand il est présent. C’est-à-dire
qu’effectivement, Lacan en a parlé dans le Séminaire I et il va en parler
régulièrementtoutaulongdesesséminaires,enenfaisantd’ailleursdeschoses
toutàfaitdifférentes,ildiraquel’enfantpeuts’identifieràl’objet,ous’identifier
àlamère.Ilpourraaussidirequ’ilyalàlapremièrerelationdedépendancequi
s’inscrit,c’estlapositionmasochistefondamentale(dansleSéminaireI).
Alors il souligne cette scansion, cette scansion des «O» et des «A », cette
scansiondel’appel.«Çanedonnepas,dit-il,toutl’ordresymbolique,maisilyalà
danscettescansionl’amorcequinouspermetdedégagercommeunélémentdistinct
delarelationd’objetréel,quelquechosed’autre…quelquechosed’autrequiesttrès
précisémentcequivaoffrirpourlasuitelapossibilitédurapport,decerapportde
l’enfantàunobjetréelavecsascansion:lesmarques,lestracesquienrestent,donc
cequioffrelapossibilitédurapportdecetterelationréelleavecunerelation
symboliquecommetelle».Relationréelledoncàlamère,maisquel’alternance
de présence-absence vient inscrire en scansions, scansions qui constituent ce
premier tempsquiouvreàune relation symboliqueavec lamère.Donconest
encoreunefoisdansquelquechosedetrèsdialectique.C’est-à-dire,oncroitqu’on
est là en arrêt, que la mère serait l’objet réel, mais pas du tout! Parce que,
justement,elleestdanslaprésence-absenceetquecelle-ciestrythmée,onpeut
l’écrireparunesérie«plus,moins,plus,moins».Onpourraitd’ailleursregrouper
16
autrementettrouver…[danslasalle:«uneloi»].Uneloi,oui!Là,onauneespèce
deprémissedelarelationsymboliquecommetelle.
Alors,vousvoyez,onaaussicettedivision,c’est-à-direqu’àlafoislamèreest
ducôtédel’objetréel,maiselleestaussiducôtédelarelationsymbolique,caril
n’yapasdecompartimentsclosétanchesnomméssymbolique,réeletimaginaire.
Dèsqu’oncroitêtreducôtédel’objetréel,ehbienonestducôtédusymbolique.
Ilyaquelquechosedel’ordred’unmouvementquiestà l’œuvre,quianimeet
relie les trois instances comme lenoeudborromeenpourra en rendre compte
danslesséminairestardifsdeLacan.
Lacan,jecrois,veutmontrerquelarelationàlapersonneconstituantlecouple
d’opposition présence-absence introduit l’enfant, effectivement, à cette
dimensionsymbolique.«Nousavonsdoncl’enfant,dit-il,entrelanotiond’unagent,
d’unagentréel,d’unagentquivadevenirsymbolique,quiparticipedel’ordredela
symbolicité». La symbolicité, nous l’avons vu, c’est le couple d’opposition
présence-absence. C’est effectivement la condition d’un ordre, d’un ordre
symbolique.Ilrevientlà-dessus:«Commentdevenons-nousconcevoirlemoment
devirageoùcetterelationprimordialeàl’objetréelpeuts’ouvriràquelquechose
d’autre?”
Vouslevoyez,Lacanrevientsurlemomentdevirage.Çaneveutpasdireque
l’objetréelvadevenirsymbolique,çaveutdirequ’ilpeuts’ouvriràquelquechose
d’autre. «Qu’est-ce à la vérité que le véritable virage, le moment tournant - le
momenttournant-oùladialectiquemère-enfants’ouvreàunerelationplus
complexe, s’ouvre à d’autres éléments qui vont y introduire à proprement
parlercequenousavonsappelédialectique?»
Tout l’enjeude cette leçon consiste à faire valoir, àdéployer ladialectique
mère-enfant-phallus. Et pour déployer cette dialectique, il part de ce moment
mythique, duel, et passe à cette ouverture, cette premièremise en place de la
17
symbolisation.Ona alors ces trois termes: l’agent symbolique, la catégoriedu
manqueimagnaire,l’objetréel,quivaêtredistribuéparl’agentsymbolique.
L’ouverture de cette dialectique pose la question de savoir: «Si ce qui
constituel’agentsymbolique,c’est-à-direlamère,essentieldelarelationdel’enfant
à cet objet réel.». L’objet réel, c’est ce que lamère va lui donner: le sein, par
exemple,«qu’est-cequ’ilseproduitsiellenerépondplus?Siàcetappel-l’appel
del’enfant-,ellenerépondplus».Qu’est-cequiseproduit?EhbienditLacan«si
ellenerépondplus,sielledéchoit,cettestructurationsymboliquequilafaitobjet
présent-absentenfonctiondel’appel,elledevientréelleàpartirdecemoment-là…
Alorsvoyez, ily a là trois termesdistincts: ila l’objet réel,dispensépar la
mère,ilyal’agentsymbolique,quiestlafonctiondelamère,etsiellenerépond
plus? Car au fond, l’agent répondait en fonction de l’appel, lesAet les O de
l’enfant,lepetitfilsdeFreud…ilyacetappel,cetterythmicité,cetterythmicité
desaprésence-absenceenfonctiondel’appel…siellenerépondplus,ehbien,
elle,cettemèrequiétaitlàinscritedanslastructurationsymbolique,elledevient
réelle…
Elledevientréellepourquoi?Qu’est-cequeçaveutdire?Elledevientréelle
àpartirdumomentoùellenerépondplus,qu’ellesqu’ensoientlescauses.Qu’elle
soitmaladeouqu’elleneveuilleplusrépondre:«elledevientquelquechoseoù
entre aussi,dit Lacan, l’amorce de la structuration de toute la réalité pour la
suiteparcequ’elledevientunepuissance».
C’estlemoment,jecrois,jeplusdélicatdecetteleçon.Jenesaispassituenes
d’accord, Jean-Paul? C’est-à-dire qu’au moment où la mère, parce qu’elle ne
répondplusàl’appel,oùellen’estplus, jedirais,cellequiassurecettefonction
d’agentsymbolique–onesttoujoursdansletableaumédiandelafrustration–,
elledevientunepuissance,etçaadesconséquences,nousdit-il:làentreenjeu
«l’amorcedelastructurationdetoutelaréalitépourlasuite».
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Ainsi,quandlamèredevientréelle,elledevientdonctoute-puissante,etc’est
d’elle que, pour l’enfant, nous dit-il, va dépendre l’accès à ses objets de
satisfaction.Ilvadireunpeuplusloin,oui,c’esttrèsfacile,onparletoujoursdela
toute-puissancedel’enfantsurlamère,ehbiença,c’estcomplètementfaux,«Ce
n’est pas l’enfantqui est toutpuissant et qui, lui, va imposer son caprice, ou son
rythme.Cettetoutepuissance,ellevientdelamère,àpartirdumomentoùellen’est
plus seulement l’agentde cette fonction symbolique, c’est-à-dire où cettepart de
réel,parcequ’ellevientàmanquer,c’estàcemoment-làquel’objetqu’elledistribue,
lanourritureparexemple,cetobjet-làvaprendreuneautrevaleur,c’est-à-direla
valeurd’undon».C’estpourçaqu’ilnefautpassepresserd’allerécrireleschoses
dansletableau,maisilfautentendrecommentLacanfaitvaloirunedialectique.
Audébut, lamèreestréelle.C’estellequia leseinetquidistribuecetobjetde
nourriture à l’enfant. Puis ça se structure de manière symbolique (grâce à la
scansionprésence-absenceduFort-Da).Mais il peuty avoirdes accidents.Elle
peutveniràmanquer.Etàcemoment-là,quandellemanque,quandlascansion
présence-absenceestinterrompue,c’estlatoute-puissancequ’ilfaitvaloir.Mais
la toute-puissance réelle, pas une toute-puissance imaginaire. Si vous voulez,
Lacannecessepasdepasserd’unregistreàl’autrepourfairevaloireffectivement
cettedialectique,etensuitepourfaireintervenirl’élémenttiersquiestlephallus.
Parcequelàilnel’apasencorefait.C’estvrai,qu’iln’apasencorefaitintervenir
lephallus.Jean-Paul,tum’interromps…
Jean-PaulBeaumont:Commepremier temps, ilmesemblequecequedit
Lacan, c’est que l’objet… l’enfant a l’objet, si lamèreest suffisammentbonne,
comme dit l’autre, c’est Winnicott, si jamais la mère est suffisamment bonne
l’enfantal’objet,simplement,c’estparcequ’ilal’objetquandilafaimqu’ilpeut
mettreàlamèreunefonctionsymbolique,decettemanièreparadoxalequedit
Freud,ilvadire:«endehors»,quandjustementlamèreestlà,labouleestlà…
MartineLerude:Etc’estquandelleestlàqu’ilvadire:«Dehors»…
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Jean-PaulBeaumont:IlvadireFortquandjustementlabouleestlà.Doncau
départl’objetestbienréel.Ilestdonnéaufuretàmesuredesesbesoins,maisil
vaintroduirelapersonnequi luidonnecetobjetquiestlesein,sousunaspect
symbolique.C’est-à-direqu’ellepeutêtrelàoupaslà,enlasymbolisantàtravers
laboule,çac’estlepremiertemps.Danscecas-là,l’objetestréel,etlamèreest
symbolique.Silamèreaucontraireestsoitfolle,qu’ellefaitn’importequoi,soit
si elle ne répond pas du tout, dans ce cas-là, c’est la mère qui devient une
puissance,etl’objetquidevient…
MartineLerude:Lamèredevientréelleàcemoment-là…
Jean-PaulBeaumont:Elledevientunepuissanceréelle,puissancequ’ilfaut
entendreaussibiencommelapuissance,potentat.Elleestenpuissancedefaire
leschoses.Elleestaussienpuissancedanslamesureoùellepeutêtrelàoupas
là.Puissancedanslesensdevirtuelle,danscecas-là.Danscecas-là,l’objetsera
symbolisé,ilyaurauneespècedebascule,ditLacan,parcequel’objetdeviendra
legagedesonamouroupas…
MartineLerude:Ildevientouprendlafonctiondedon…
Jean-PaulBeaumont: Ilseralàoupas là,mais ilpourraintervenirdansla
fonctiondedon,témoindel’amourdelamère.Quedansuntroisièmetempsla
mères’intéresseailleursàunobjetquiestimaginaire,quivaconstituerunesorte
de tiers, c’est ce que Lacan va développer dans l’exemple d’Anne-Lise
Schnurmannaprès.Ilyalestroistemps.Lepremiertemps,delasymbolisation,
c’estl’enfantquival’opéreraveclapetitebouleparcequejustementilnemanque
pas de l’objet. Deuxième temps où la mère devient réelle et l’objet devient
symbolique.Troisièmetempsoùilyacetobjetimaginaireparadoxal,quiestle
phallus…
MartineLerude:Onn’enestpasencorelà…
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Jean-Paul Beaumont: …qui va s’introduire en tiers dans la relation de
l’enfantetdelamère…Tuesd’accordMartine?
MartineLerude:Oui,jecroisquec’estcequej’aiessayédedéployer…Mais…
Karen Veloso : La confusion pour moi, c’est la question que… je mets en
relationlestroisregistres:donc,quandpourlacastration,l’agentestréel,alors
qu’onparledefrustrationetd’unemèrequivientvraimentréellementàmanquer
àlademande,dumomentqu’elledevientagentréel,danslecasdelafrustration…
enfinj’essayed’articulerlestroisregistres….
MartineLerude:Ouimais jecroisqu’ilnefautpasessayerd’articuler,àce
moment-làdumoins,ilfautessayerdesuivre,justement,ladialectiquequ’ilest
en train de décrire. Parce que vous voyez, là, c’est des cases, il n’y a pas de
mouvementinscrit.TandisqueLacannousamèneàcetournant,c’est-à-dire,àce
momentdevirage.Etlemomentdeviragen’estpasl’inscriptiondansuneautre
casemaisunmomentdediscordance. Qu’est-ceque l’enfantestpour lamère,
quandelleestdanscettepositiondetoutepuissance?Ildevientunobjetdedon.
C’estquelquechosedetoutàfaitparticulier.Quandildevienteffectivementun
objetdedon,c’esttoutelaquestiondudond’amourquiestposée.Maisqu’est-ce
qu’elle aime en lui? Je vais dire les choses d’une façon très simple. Qu’est-ce
qu’elleaime?Commentest-ilaiméparsamère?Aqueltitreest-ilaimé?Etcette
question surgit quand Lacan introduit le phallus imaginaire qui va redonner
encore un ressort supplémentaire à la dialectique qu’il a déjà commencé à
développer.
Siletableauestintéressantpourdistinguerdemanièretrèsformellelestrois
catégoriesdemanqued’objet,lemomentdevirageestunehypothèsedialectique
quisedémarquecomplètementdeMadameBalintetdeMélanieKleinaussibien.
Tuesd’accordJean-Paul?
21
Jean-PaulBeaumont:Jesuisassezd’accord.Sionvoulaitvraimentlefaire
tenirdansletableau,ilfaudraitmettrelafrustrationenpremier,donconaurait
l’objetquiseraitréeletl’agentquiseraitsymbolique,c’estlepremiertempsqu’on
disait tout à l’heure avec le fort-da et l’indisponibilité de l’objet. Ensuite, on
passerait à laprivation où ça serait l’objetqui serait symbolique comme le dit
Lacan.Simplement, l’ambiguïtédutableauvientqu’enfaitc’est letropréel,qui
témoigneraitdelamèrecommeréelle,quin’estpaslà,etlefaitque…(inaudible).
Le troisième temps, ça serait effectivement la castration si on voulait mettre
absolument,onpourraitforcerunpeuleschoses.Maisc’estvraiqu’ilneleditpas
là.
MartineLerude:Ecoute, je croisqu’onn’apas intérêt à rester fixés sur le
tableau.Jecroisqueleforçage,pardonne-moiJeanPaul,feraitmanquerjustement
lafinessedialectique.
Jean-PaulBeaumont:c’estquoilafinessedialectique,vas-y…
Martine Lerude: C’est, je crois, cette mise en tension entre cette toute
puissancematernellequidispensedesdons,etl’enfantquidevient,lui,dépendant
decettepuissance.Etlesobjetsnesontpasseulementdesobjetsdesatisfaction,
maislesobjetsentantquesaisissables,exigibles,cesontdesbiens,enquelque
sorte,quirelèventducapriceoudubonvouloirdelamère.
Parce qu’elle ne répond plus, elle devient réelle et l’objet, lui, devient
symbolique, i.e. témoignagedudonvenantde lapuissancematernelle.C’estce
queJean-Paulaessayédereprendre.
MaisvoilàqueLacanvaprendrel’objetetànouveauyappliquerunedivision.
Vousvoyez,c’estpourçaquec’esttrèsdifficiled’allervouloircoller leschoses
dansdescasesfixes,carLacanleurappliqueaussitôtunedivision.Alorsl’objet,à
partirdecemoment-là,àpartirdumomentoùildevientdon,adeuxordresde
22
propriétés: il est deux fois possiblement objet de satisfaction. Deux fois.
Pourquoi? D’abord parce qu’il satisfait un besoin, comme précédemment, le
besoindenourritureparexemple.Mais,pourautant,ilsymboliseunepuissance
favorable, c’est-à-dire qu’il est à la fois réel, dans la mesure où il satisfait un
besoin,etenmêmetempsilsymboliseunepuissancefavorable.Encoreunefois,
Lacanintroduitunenouvelledivision.
Ceci est très important nous dit Lacan «parce qu’une des notions les plus
encombrantesdetoutelathéorieanalytiquetellequ’elleseformuledepuisqu’elle
estdevenueunepsychanalysegénétique(ilretournedoncauxtenantsdelaRelation
d’objet) c’est la notion d’omnipotence soi-disant de la pensée de toute-puissance
qu’onimputeàtoutcequiestlepluséloignédenous.Commeilestconcevableque
l’enfantaitlanotiondelatoute-puissance,ilenaeneffetpeut-êtrel’essentielmais
il est tout à fait absurde et il aboutit à des impasses de concevoir que la toute-
puissancedontils’agitc’estlasienne».
Etçac’estencoreunefoislegéniedeLacand’êtreaucœurdelaclinique,alors
qu’ilvientdenousfaireunedémonstrationthéoriqueendentelle.
Latoute-puissanceesteffectivementducôtématernel,c’estlaréalisationde
lamère.OnvatrouversouventcetermederéalisationchezLacan,cequisignifie
«cequidevientréel»,lefaitquelamèredevienneréelle.
Voicidoncl’enfantquiestenprésencedequelquechosequ’ilaréalisécomme
puissanceditLacan,commequelquechosequitoutd’uncoupestpasséduplan
de la première connotation présence-absence, c’est-à-dire cette symbolisation
archaïque,àquelquechosederéel,quipeutserefuser,etquidétienttoutcedont
lesujetpeutavoirbesoin.Etaussibienmêmes’iln’enapasbesoin.Etquidevient
symboliqueàpartirdumomentoùceladépenddecettepuissance.
Donctoutescespagesquiontprécédéconvergentàcepointdepassagedela
première connotation présence-absence, symbolisation archaïque, à quelque
23
chosederéel,lamèredevientréelle,laréalisationdelamère,quipeutserefuser
etquidétienttoutcedontlesujetpeutavoirbesoinoupas.
Àlafindelaleçon,ilparledelaphobieduchien,casrapportéparAnnaFreud.
C’estàcepointqueLacanvaintroduirelephallus.Etlephallusàcemoment-là
estdéfini,enréférenceàFreud,commeimaginaire.Pasquestiondeleconfondre
avec le pénis de la réalité même s’il en a la forme érigée. Ce phallus dont la
présence dans l’imaginaire se trouve plus importante pour celles qui en sont
dépourvuesquepourceluiquipeuts’assurerd’enavoir laréalité.Alors, ilvaà
nouveauconfronterlamèreetl’enfantaveccequedisentMichaeletAliceBalint
etlesépouxMortimer.IlévoquelesBalintpourànouveauparlerduUnmythique
puis il revientàFreudquiaffirmaitque la femmeadanssesmanquesd’objets
essentielslephallus,etqueçaalerapportleplusétroitavecsarelationàl’enfant,
car la femme trouve, dans l’enfant, une satisfaction.Elle trouveen luiquelque
chosequilacalme,plusoumoinsbien,c’est-à-direquicalmeplusoumoinsbien
cebesoindephallus.PourFreudc’étaitlePenisneid,l’enviedepénis.
Alors,(p71)«Voilàdonc,nousdit-il, lamèreet l’enfantquiontentreeuxun
certainrapport,l’enfantattendquelquechosedelamère,ilenreçoitaussiquelque
chose dans cette dialectique», dialectique c’est le mot qui va revenir, «cette
dialectiquedanslaquellenousnepouvonspasnepasintroduire,cequej’introduis
maintenant.L’enfant,disonsd’unefaçonapproximativeàlafaçondontMonsieuret
MadameBALINT le formulent, l’enfant lui se croit, peut se croire aimé pour lui-
même.»Danscettedialectique:«laquestionestcelle-ci:danstoutelamesureoù
cetteimageduphalluspourlamère»l’imageduphallus,làonestbienducôtéde
l’imaginaire,«n’estpascomplètementramenéeàl’imagedel’enfant».Ilyadonc
unedivision,biensûrl’enfantvavenirincarnerlephalluspourlamère,mais«pas
complètement»etc’esttoujoursce«pascomplètement»quiestintéressant.Ilya
làaussiunedivision,une«divisiondel’objetprimordialdésirésoi-disant,quiserait
celuidelamère»,l’enfantentantqu’ilétaitl’objetprimordialdelamère,hein,en
24
tantqu’ilétaitdésiré,etpuis l’enfantenprésence.Donccetenfantenprésence
celuiquiestlàenchairetenos,ilpeut,d’unecertainefaçon,accomplirunesorte
desaturationimaginairepourlamère,etpuisilyaaussideseffetsde,derelation
réelle, avec l’enfant. Ce qui fait que Lacan va trouver cette formule tout à fait
formidable,ilnousditque«l’enfantentantqueréel,entantquecorps,symbolise
l’imageduphallus».
C’est-à-direqu’onalestroistermes,«l’enfantentantqueréel»,maisçan’a
rienàvoiravecleréeltelqueLacanapuledéfinirensuite,»symbolisel’imagedu
phallusquelamèren’apas.C’est-à-direqu’ilpeutsaturercetteimage,yêtreen
concordanceabsolue,çaarrive,ouaucontraireêtredanslaréalitémêmedeson
corps,decequ’ilest,êtredécalévoireàmillelieuxdecetteimage.
Sibienquel’enfantentantqueréel,prendpourelle,pourlamère,lafonction
symbolique de son besoin imaginaire», autre formulation, la formulation
précédenteétant«symbolisel’imageduphallus»,laformulationquisuit«prend
pourellelafonctionsymboliquedesonbesoinimaginaire».Etbiensûr,les«trois
termes y sont, et toutes sortesde variétés vont làpouvoir s’introduire»nousdit
Lacan,«toutessortesdesituationsdéjàstructuréesexistententreluietlamère,à
partirdumomentoùlamèredevientréelleàl’étatdepuissancequelquechoseouvre
pour l’enfant la possibilité d’un objet intermédiaire comme tel, comme objet de
don»,c’est-à-direqu’ilrevientsurcettequestiondudon.
Alors…«àquelmomentl’enfantpeut-ilentrer,peut-ilassumer,d’unefaçonplus
oumoinssymbolisée,lasituationimaginaire,réelledecequ’estlephalluspourla
mère?”demandeLacan.
Vousvoyez les termeschangentdeplace,«…àquelmoment l’enfantpeut-il
assumer,d’unefaçonplusoumoinssymbolisée,lasituationimaginaire,réelledece
qu’est le phallus pour la mère? (p72) A quel moment l’enfant peut-il se sentir
dépossédélui-mêmedequelquechosequ’ilexigedesamèreens’apercevantquece
n’estpasluiquiestaimé,maisquelquechosed’autre,unecertaineimage?»
25
Cettedialectiqueesttoutàfaitfondamentalepourrendrecomptedecequiva
se passer avec la question de la castration, c’est-à-dire qu’il faudra bien que
l’enfantsoitdéplacé,plusoumoins,decettesymbolisationdel’imageduphallus
quimanque à lamère, c’est-à-dire qu’il y a là encore une fois tout un trajet à
accomplir.Ildoitàlafoispasserparcettepositionetenmêmetempsildevraen
êtredéchu.Lacliniqued’aujourd’huiaveclesenfantsneparlepasd’autrechose:
nombred’enfantsamenésenconsultationsontrestés,trèssouventjusqu’àunâge
avancé,danscettepositiond’occuperlaplaceduphallusimaginairepourlamère.
Et que ce déplacement, quand il a lieu, survient d’une façon extrêmement
douloureuseetbruyante,quipeutdonnerdessymptômesinquiétantsetvariés.
C’estlàencoreunequestiond’identificationetdedéplacement.
Cetteimagephallique,eneffetl’enfantlaréalisesurlui-même,c’estlaformule
deLacan,illaréalisesurlui-même,çaveutdirequ’ils’identifie,quec’estuntemps
d’identification.Etc’estlàqu’intervientlarelationnarcissiqueaussi.
Lacanposeunequestionàlaquelleilnevapastellementrépondremaisqui
estdrôlementintéressante.Ilsedemandecommentcetteexpérience,c’est-à-dire
d’incarnerlephallusimaginairepourlamère,commentcetteexpérienceva-t-elle
s’articuleravecl’appréhensiondeladifférencedessexes.Autrementditcomment
cetteexpériencepremièreva-t-elles’articuleravecl’Œdipe,etaveclacastration.
Puisque c’est l’Œdipe qui lui permettra de pouvoir mettre en place les
identificationssexuées.
Jean-PaulBeaumont:Sionveutpeut-êtreposerquelquesquestions…
MartineLerude:Oui,jetermine,jeterminelà-dessus,parcequejetrouveque
là,c’estl’essentieldecetteleçon.Dansquellemesure,encoreunefois,lanotion
quelamèremanquedecephallus,qu’elleestdésirante,passeulementdel’enfant
mais d’autre chose que l’enfant, qu’elle est désirante tout court, quelles
conséquencescelava-t-ilavoir?Enquoiest-cequeçapeutêtredécisif?
26
Jecroisquec’estvraimentlaquestion,puisquelamère,pourêtreunebonne
mère: «Il fautqu’elleaimeailleurs».Ça c’étaitune formuledeLucien Israël.
C’est-à-dire qu’il faut qu’elle soit désirante. Si elle n’est désirante que de son
enfantqui viendrait la combler, la saturer auniveau de cemanquede phallus
imaginaire,sil’enfantvenaitaccomplircemiracle-là,ceseraitabsolumentterrible
etpourl’unetpourl’autre.Donclaquestiondudésirdelamèreesttoutàfait
essentielle.
Bon,jevaism’arrêterlà-dessus.Jecroisquec’étaitleplusimportantdecette
leçon.Merci.
Jean-Paul Beaumont: S’il y a des questions à poser à Martine. Dans ces
chapitresquisontquandmêmeextrêmementsensibles,extrêmementdifficiles.Il
s’agit surtout que nous arrivions à nous assouplir à toutes ces catégories que
Lacanintroduit.Ettoutcelaesttrèsdifficile,ycompris,pournoustous,jecrois.
Cequiestintéressantaussi,c’estquec’estsanscessedialectisé,redivisécomme
tul’asmistrèsbienenvaleur.Dialectisé,reprisailleurs.Çanes’immobilisejamais
dansuneespècede savoirpositif quipermettraitd’immobiliser les chosespar
rapportàdesréférencesqu’onauraitdéjààl’avance.Est-cequ’ilyadesquestions
pourMartine,alors?
LucasRabsztyn:Parrapportàcequevousdisiezsurlafin,surladifficulté
de la saisie, du moins de ne pas figer les choses, comment vous diriez alors,
commentlireenfait,pourlesgensquidébutent,commentavancerquandmême?
parcequesinonçapeutprendreuntemps…
MartineLerude:Çaprenddutemps…
LucasRabsztyn:Quandmême,parcequ’ilyabeaucoupdeséminaires.Jene
saispas,commentvousdiriez?
27
Jean-Paul Beaumont: Lacan propose de s’assouplir, comme ça, il dit,
l’important,cen’estpasd’aborddelecomprendre,ilnefautpaslecomprendre
tropvite.Ilditquel’important,c’estd’aborddelelire.
Martine Lerude:Enfin je peux quandmême essayer de répondre à votre
question. Ce qui est sûr, c’est que Lacan prend appui, soit sur les théories qui
existent,quisontantécédentes,soitsurcequiseditparrapportàcesthéories.Et
puislui,d’unseulcoup,ilétablitunesortedemouvement,dedéplacementcomme
lorsqu’ilaffirme:«c’estpaslaquestiondel’objet,c’estlaquestiondumanquede
l’objet».Aveclaquestiondumanquedel’objet,onvapouvoirpensercequise
passedanslarelationmère-enfantautrementqueducôtédumythe,quecesoit
lemytheduUn,delacomplémentarité,ouquecesoitlemythekleinien,(c’estce
chaosdudépartetpuisd’unseulcoup toutestorganisé,onsaitpascomment,
maisças’organise).Doncilyadeshypothèsesquiontétéfaitespard’autreset
unemanière de revenir sur ce temps inaugural, tout en sachant que le temps
inauguraléchappeàlasaisie,quec’esttoujoursunehypothèsesurcequiapuse
passer.
Uneintervenante:Parrapportàtoutcequevousvenezdedire,parrapport
àcettequestionposée,jemedisaisquemêmesionnecomprendpastout,parce
quedetoutefaçoncommeondisaittoutàl’heure,onnecomprendrajamaistout,
maisçan’empêchequ’onpeutessayerdefaireceteffort-là,enfaitquandonlit,
parcequeçanousobligeàmettredesmots,àreformulernous-mêmes,etmême
sionsentqu’onestloin,aussi,decequ’onsentparfoisquandonlit,làencorele
signifiantentraîned’autressignifiantsetjecroisqu’aufuretàmesureonarriveà
saisirleschoses,encoresousdesbordsdifférents,etjecroisquec’estcommeça
qu’onsefaitencoreaussi,entoutcascequimeconcerneaussi,àlalectureenfait.
MartineLerude: Cette leçon estd’autantplus difficilequ’elle estdansun
décalage permanent. J’étais embarrassée, pour en rendre compte: j’aurais pu
faireunrésumé,leredireàmafaçon,maischaquefoisquej’essayaisd’écrireune
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phraseàmafaçon,jefaisaispasserdanslesdessousunearticulation.Cequiest
intéressantpournoustous,cesontlesarticulationsparcequenotreclinique,elle
estfaited’articulationssouventinattendues.
MohammedDarwish:SurletravaildeWinnicott,ilapresqueutiliséles
mêmeschosessansutiliserlesmêmestermes,sauflesymbolique.Parceque
quandonlitletravaildeWinnicottdanssonarticle«Transitionalobjectsand
transitionalphenomena»,ilaparlédefrustration,ilaparléd’agent,commele
«goodenoughmother»,etaussiilautiliséleconceptde«goodenoughmother»,
ilutiliseleconceptfrustrationpourfairepasserl’enfantdel’illusionàla
désillusion…
MartineLerude:D’ailleursquandLacanciteWinnicott,ilnelecritiquepas
dutoutdelamêmefaçonqu’ilcritiqueAliceBalintetMélanieKlein.Comme
vousleremarquez,Winnicottn’apasdistinguélestroisregistresdusymbolique,
deréeletdel’imaginaire,etsiLacanlereprendsansleciter,ilintroduituntour
supplémentaireavecl’usagedestroisregistres.Jecroisquec’estçale
déplacementqu’ileffectueparrapportàWinnicott.Lacanparled’uneremarque
deWinnicottdansuneleçonprécédente,oùWinnicottditquel’objetde
satisfactionoraleestdonnéàl’enfantaumomentdel’hallucinationetqu’ilvay
avoirlàunetransformation,c’est-à-direlemomentoùilneseraplusdonné
d’unemanièreconcomitanteavecl’hallucination.Donclàaussi,c’estuneforme
dedéplacement.
MohammedDarwish:…MaismêmeWinnicottautiliséletermedemère
phallique..
MartineLerude:MaisLacanfaitduplallusuntermedansunedialectiqueà
troistermesquivaenappelerunquatrième,c’est-à-direlafonctionpaternelle,
laparoledupère.Peut-êtreya-t-ildesleçonsoùl’onpeutallerbeaucoupplus
vite,maislàjecroisqu’ilyavraimentquelquechosedefondamentaldans
l’apportdeLacanetprisdansuneclinique.Laquellebien-sûrnesautepasaux
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yeuxquandonn’estpasdedans.Maisonvoitbiencommentilmetenplace
l’objet,l’agent,lemanqueetpuislephallus,etlaquestiondupèrequivaarriver.
C’est-à-direunordresymboliquequivavenirrégularisercetrianglemère,
enfant,phallus.Maisc’estvraiquec’estcompliquémalgréletravailremarquable
deJean-Paul,declarification,delecture.Mercipourvotreécoute.
TranscriptionétablieparleCollège,etrevueparl’auteur.