Quinzaine littéraire 97 juin 1970

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3f a e e ulnzalne littéraire du 16 au 30 juin 1970 Entretien avec Pierre Naville sur J'U.R.S.S. Théâtre 'noir à New York

description

Dossier Georges Bataille (R Caillois M Blanchot J Schuster L Finas). Entretien de Pierre Naville sur l’U.R.S.S.. François Châtelet sur « La rose des vents » de Michel Butor. Marcel Billot sur l’Expressionnisme. Robert Paris chroniquait « La théorie générale du droit et du marxisme » de Pasukanis. Michelle Perrot s’intéressait aux « Grèves d’hier à aujourd’hui » (G Lefranc).

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e eulnzalnelittéraire du 16 au 30 juin 1970

Entretien avecPierre Navillesur J'U.R.S.S.

Théâtre 'noirà

New York

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SOMMAIRE

J LE LIVRE Hugo von Hofmannstahl Andréas et autres récits par Diane FernandezDE LA QUINZAINE

S liatail1e paraît par Denis Hollier

6 Entretien avec Roger Caillois propos recueillis parGilles Lapouge

8 L'illimité de la pensée par Maurice Blanchot

9 Les dames de Bataille par Jean Schuster

10 Bataille forcé par Lucette Finas

12 LITTERATURE José Cardoso Pires Le dauphin par Alvaro Manuel MachadoETRANGERE

13 ROMANS FRA~ÇAIS Jacques Chatain Rliche ou r herbe rance par Jean Gaugeard

14 ESSAIS Michel Mohrt L'air du large par Marc Saporta

16 ARTS L'Expressionnisme par Marcel Billot

Les Galeries par Nicolas Bischower

18 PHILOSOPHIE Michel Butor La rose des vents par François Châtelet32 rhumbs l'ourCharles Fourier

René Schérer Charles Fourier oula contestation globale

19 G.G. Granger Wittgenstein par Christian Descamps

20 ECONOMIE Eugène B. Pasukanis La théorie générale du par Robert ParisPOLITIQUE droit et du marxisme

21 Georges Lefranc Grèves d'hier et d'aujourd'hui par Michelle Perrot

22 ENTRETIEN Pierre Naville Qu;est-ce que l'U.R.S.S. ? propos recueillis par J. P.

23 Robert Conquest La grande terreur par Dominique Desanti

2S LETTRE DES Plus de noir que de nu par Jean DecockETATS-UNIS

26 FEUILLETON W par Georges Perec

La Quinzainelitteraire

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach.

Comité de rédaction:Georges Balandier, Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez,Marc Ferro, Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction :

Anne Sarraute.

Courrier littéraire:

Adelaide Blasquez.

Maquette de couverture:

Jacques Daniel.

Rédaction, administration:

43, rue du Temple, Paris (4").Téléphone: 887-48-58.

Publicité littéraire:22, rue de Grenelle, Paris (7").Téléphone: 222-94-03.

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Directeur de la publication:François Emanuel.

Imprimerie: Abexpress

Impression S.I.s.s.Printed in France.

Crédits photographiques

p. 3 D.R.

p. 5 Pauvert éd.

p: 7 Gallimard éd.

p. 8 Gallimard éd.

p. 9 Bulloz

p. 10 Pauvert éd.

p. Il Pauvert éd.

p. 12 D.R.

p. 13 Le Seuil éd.

p. 14 Gallimard éd.

p. 18 Seghers éd.

p. 21 Snark

p. 23 Stock éd.

p. 24 Stock éd.

p.25 Magnum

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I.E LIVRE DE

AndréasLA QUINZAINE

La Q!!inzaine Littéraire, du 15 au 30 juin 1970

Voici un livre qui s'imposeavec la luminosité des œu­vres vraiment belles, un destextes les plus riches, lesplus mystérieux du début dusiècle. Andréas est un ro­man inachevé, dont les deuxpremiers épisodes, qui se suf­fisent à eux-mêmes, nous sontici donnés. Il en comporte untroisième, essentiel, curieuse­ment absent de l'édition fran­çaise: Das VenezianischeErlebnis des Herrn von N., de­meuré à l'état de notes, dontchaque formule. chaque frag­ment, a des résonances infi­nies (1).

Hugo von HofmannstahlAndréas et autres récitsTrad. de l'allemandpar Eugène Badoux etMagda MichelPréf. de Henri Thomas'Gallimard éd., 264 p.

Itinéraire intérieur et spirituel,ce' récit d'une adolescence et deson passage 'à la maturité, ce ro­man d'éducation et d'apprentis­sage a l'importance d'une Educa­tion Sentimentale ou d'un Wil­helm Meister.

On ne saurait prétendre pré·senter en quelques mots une per­sonnalité aussi complexe quecelle de Hugo von Hofmannsthal(2). Rappelons seulement que cegénie précoce fut célèbre dès lelycée (1891), grâce à son œuvrepoétique; imprégné de plusieurslittératures, profondément mar­qué par une Vienne en décompo­sition, aussi sensible à la musiqueet à la peinture qu'au langage,l'auteur d'Andréas était un hom­me d'une culture prodigieusedont on retrouve sans cessel'écho dans ce roman où tout estallusion, réminiscence en mêmetemps que poème et pure créa­tion personnelle.

D'étranges obsessions courent àtravers ce texte dont il est diffi­cile de savoir à quelle angoisseintime on peut les rattacher étantdonné le soin extrême avec le­quel Hofmannsthal a évité toutelittérature de «confession ». Ain·si retrouve-t·on à plusieurs repri·ses le thème d'un valet, d'un la-

quais, d'un subordonné diaboli·que, assassin ou voleur. Faut-ilvoir là le souvenir de la fin tra­gique de Winckelmann, sur le­quel Goethe, Pater et Hofmanns­thal ont tous écrit des essais,étranglé par son compagnon devoyage Archangeli que tentèrentses médailles d'or? (le valet cri­minel d'Andréas s'appelle Dieu­donné). Quoiqu'il en soit, cetteangoissante présence d'un alterego pervers ou meurtrier qui seretrouve dans presque tous lesrécits de ce volume, comme dansAndréas, est à rattacher au thèmedu double: parmi les lecturesentreprises par Hofmannsthalavant de composer la fin de sonroman se trouvent Docteur leckyllet Mr. Hyde et le livre d'un phi.losophe américain Morton Prin­ce : The Dissociation of a person­nality.

Le grand sujet de l'œuvre deHofmannsthal, ce sont ces tenta·tions passionnées qui, malgré lesgarde-fous des principes et desconvenances grâce auxquels lesinstincts sont maintenus dans lesprofondeurs comme sous la pesan­teur purifiante d'un couvercle, neces sen t d'affleurer. Certainesphrases laissent deviner des abî­mes, comme celles qui décriventle jeune et pur Andréas chevau·chant aux côtés du valet sadique,écoutant ses méfaits avec un trou­ble dégoût qui le fait «brûler ettransir ». Les rêves dans lesquels,à cause des récits du valet, An·dréas se perd (... « il n'est plusun jeune chevalier, plus rien degalant, de respectable, plus riende beau mais un acte sauvage, unmeurtre dans la nuit:t) prouvent

assez à quel point Dieudonné estl'inquiétant miroir des virtualitésde son maître à qui le proverbe«tel maître, tel valet» vient àl'esprit et, «comme l'éclair, l'idéeinverse... »

Le récit de la Pomme d'or sug·gère en une page admirable lebouillonnement obscur des pas­sions qui remonte insidieusement,grâce au sommeil, chez une jeunefemme dont les «défenses sontmmees ». «Elle luttait contref ennemi invisible dont la voixsubversive résonnait en elle, irra·diant pas même le désir, simple.ment, la possibilité de tout le mal,de tout ce qui existait de crimi·nel et de tentateur.»

La saisissante Histoire de Cava­lerie culmine dans un «regardde haine bestiale» que jette unmaréchal des logis à son capitai­ne : ce sont ces rapports de sour·de violence, ces ébauches de sen­timents, ces velléités et ces tenta­tions, ce démoniaque et cet irra­tionnel qui sont les forces agis·santes de l'œuvre rappelant par làl'univers de J.-P. Jacobsen dontRilke avait été si frappé.

Maria Grübbe, tourmentée delubies et de désirs suicidaires,Niels Lyhne oscillant entre la vieet le, rêve sont des personnagesdont la, texture, nerveuse est voi­sine de celle des héros de Hof­mannsthal. Jacobsen, écrit l'au­teur d'Andréas, «nous révèle entout premier lieu une double vuedes choses » ; il observe le conte·nu de la vie psychologique «demanière psychiatrique ». De fait,Hofmannsthal est .davantage han­té par le dédoublèment de l'êtreque par l'aspect protéen de lapersonnalité sur lequel tant derécits romantiques mettent l'ac­cent; d'où un monde bien plusangoissant que celui des méta­morphoses.

Monde à la fois réaliste, magi­que, ironique et sensuel, qui n'arien de la mollesse voulue et re­cherchée d'un pur esthétisme(terme dont Curtius a montrécombien, souvent utilisé de fa·çon arbitraire, superficielle, il neconvient guère au cas de Hof·mannsthal: «Quand, on est artis­te, on est toujours plus qu'unsimple esthète:t) (3).

En lutte contre tant de forcesmaléfiques, il y a dans cette œu­vre d'admirables moments detendresse et d'espoir. Certaines

scènes d'Andréas qui communi·quent au lecteur, de façon quasi­tangible, un bonheur d'une qua­lité très rare, prennent toute leurforce et leur sérénité en contrasteavec la morbide identification dumaître au valet. La rencontredans la ferme entre Andréas etla jeune Romana, jeune fille pu­re, instinctive, essentiellement li­bre, d'une «terrible innocence»et qui rappelle la Girolame duMiguel Ma1Îara de Milosz, estinoubliable.

Semblable aux héros pirandel­liens qui ne savent plus s'ils sontou' non coupables d'un méfait ir­réparable, Andréas est sans cesseconfronté avec des visions crimi­nelles : c'est un chat «dont jadisil avait brisé la colonne verté­brale avec Je timon d'un char»et dont «le faciès est en proie,tout ensemble, aux affres de lamort et à la volupté, en un Olé·lange hideux»; c'est un chiendont il aurait disloqué l'échineet «qui rend l'âme en frétil­lant ». - «Andréas avait.il vrai­ment fait cela ? Il n'en était lui­même pas certain. Mais ces ima·ges naissent de lui. C'est rinfiniqui feffleure.» Visions qui sem­blent trahir au sein de l'œuvresi dissimulée, si discrète, une notede violence où la cruauté se mêleau plaisir, comme dans certainesscènes de Musil. Le mal peut êtrepoésie, quoique la pureté répugneà cette constatation, et c'est. parcequ'il y a «dans tout, absolumentdans tout, le germe d'un fétiche,d'un dieu» que Hofmannsthaladmire t.ant Balzac à qui rien nedemeure inconnu et à qui il faitdire, dans un dialogue imaginai­re: «Pathologique! Elargissonssuffisamment cette idée et f enferet le ciel y tiendront. Pour mapart, je ne peux renoncer ni àfun ni à fautre. » (4)

La conception du personnageromanesque, les limites ou lesnon-limites de la personnalité,tous l~ problèmes que posentl'inspiration et la création, onttrès tôt tourmenté Hofmannsthalcomme en témoigne sa superbeLettre à Lord Chandos (5) quiest moins un texte sur le déses­poir et la stérilité que l'expres­sion d'un silence gestatoire néces·saire à l'élaboration de nouvellesformules. «Le temps où f on vitoctroie des formes. Franchir lecercle de sa fascination et obtenirdes formes nouvelles, tel est f acte

~3

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~ Hoffmansthal

créateur ». écrit. Hofmannsthaldans le Livre des A mis. La Let·tre à Lord Chandos exprime cenloment. de transition, un momentde retour sur le moi où l'artistes'interroge sur l'acte créateur, etnon la croyance an vide ou aunéant: jamais, comme le préciseHenri Thomas dans sa préface,Hofmannsthal ne met en doutela valeur. la notion d'œuvre d'art.comme telle. Ce n'est plus seule­ment le «beau» qui ravira lepoète, mais nn détail puissam­ment investi de symbolisme, un«objet dont la forme sans appa­rence» devient source «d'extaseénigmatique ». une situation plei­ne d'horreur comme celle où desrats agonisent dans une cave clo·se et se rencontrent avec un froidregard de fureur devant une fen·te bouchée.

Moment de terreur sans doute,de désintégration, quand le poètecomprend à quel point tout estsignificatif, combien il ne doitrien refuser dans un effacementquasi mystique du moi, dans uneconfusion des temps qui rend lepassé sans cesse présent. Tout sur·vit dans la mémoire, comme parexemple ce personnage étrangenommé Agur: «Quelque part enmoi cet Agur hab'ite avec les cho­ses que j'ai vécues avant d'avoirtrois ans, et dont ma mémoire

. 'o..consct.ente n a ]amaM rt.en su,avec [es mystères de mes rêvesles plus obscurs, avec ce quP. j'aipensé derrière mon propre dos ... »(4"1 Moment de terreur maisaussi de prodigieuse découvertelorsque le mal est guéri par lemal, lorsque l'angoisse du poèteest conjurée par celle du peintreet que, devant les objets ressusci­tés par un Van Gogh, il s'écrie:«Tout me .~emblait renaître, sur·gir hors du chaos formidable dunon-être. Je savais que chacune deces choses, chacune de ces créa·tures était le produit d'un douteabominable et que paT' son exis·tence elle recouvrait à tout ja­mais 'Une horrible bouche d'om­bre.» (Lettres du voyageur reMvellu) (4).

Hofmannsthal a laissé quelquesnotes, quelques fragments intimesintitulés Ad me /psum: ce sontdes cris intérieurs laconiquesd'une densité et d'une profondeurrarement égalées; ainsi qu'un reMcueil dc pensées et de citations(le Livre des Amis) oÙ le choix

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de telle pensée de Valéry (<< toutce qui eompte est bien voilé ») oude telle citation de Baudelaire( « L'étude du beau est un duel oùl'artiste crie de frayeur avantd'être vaincu ») éclaire une œu·vre chargée de discrétion. et demystère.

L'angoisse née de ce que l'onpense « derrière son propre dos »,la «frayeur devant le beau », laviolence des passions sont .icicontrebalaD<~ées par une compré­hension universelle, une empa·thie, une participation à autruirendues possibles par certainesabsences. Absence de tout juge.ment qui fige. absence de toutepruderie qui condamne, de toutparti pris qui rapetisse la vision,de tout repli sur soi qui clôture.Le personnage qui personnifie lemieux cette générosité complexeest peut·être ce chevalier de Mal·te Sacramozo qui, à la fin d'An.dréas, parvient au faîte de sa per­sonnalité dans un suicide-commu­nion avec le monde, suicide queHofmannsthal a voulu dépourvude tout veule abandon aux forcesde dissolution.

Devant une telle œuvre qui faitapparaître ce que la notion d'un« moi» vécu comme entité dis·tincte du moi d'autrui a d'étri­qué, le lecteur éprouve ce vertigesilencieux mais comblé que Hof­mannsthal a si souvent décrit : detels textes se commentent moinsqu'ils ne se vivent. Ils illustrentparfaitement cette réflexion deleur auteur dans ses cahiers inti·mes: «Le ..chemin de la vie nousconduit vers une magie tOIl joursplus puissante. Magie: capacitéde saisir d'un conp d'œil enchantédes corrélations, don de faire vi·vre le chaos par ramonT. »

Dian{' Fernandez

(1) Cf. l'édition d'Andréas, in Se·lected Prose (Bollingen Series), 1952.

(2) Le lecteur français peut se ré­férer à la belle étude de HermannBroch: Hofmannsthal et son temps,dans Création' littéraire et Connais­sance, Gallimard 66; aux pages dedu Bos dans Approximations III et à sapréface aux Ecrits en Prose (Schiffrin1927) ; au n° 333 des Cahiers du Sud(février 56) et au Hugo von Hofmanns­thal, fort clair et utile. d'E. Cochede la Ferté (Seghers 64).

(3) Essais sur la Littérature Euro­péenne, d'E.R. Curtius(Grasset 54).

(4) Cf. Ecrits en Prose (Schiffrin,1927) ..

(5) Lettre à Lord Chandos, trad.J.C. Schneider (Mercure de France,1969).

A. paraitre

Dans la collection • Domaine· fan­tastique. de Pierre Belfond, ClaudeSeignolle présente un recueil de nou­velles intitulé Histoires vénéneuses,suivi de La Brume ne se lèvera plus,tandis que dans la collection • L'âged'or. de Flammarion nous sont pro­posés, sous le titre de Spirite, suivide La. morte amoureuse, 'deux desromans les plus étranges de Théo­phile Gautier.

Chez Grasset, Isabelle Alvarez deToledo, duchesse de Medina Sidonia,publie un roman·document auquel cel­le que l'on a surnommée la • duches­se rouge. et qui fut emprisonnéepour' avoir déclenché une grève enAndalousie après l'incident de la bom­be de Palmares, a donné le titre deGrève en Andalousie. Signalons éga­Iement, chez le même éditeur, l'Etéde la cigale, par la romancière cana­dienne Yvette Naubert qui y relate lesdrames provoqués aux Etats-Unis parle mariage d'un fils bourgeois avecune Noire.

Les revues

Critique No 276

A propos 'du Flaubert de MauriceNadeau, Michel Butor ouvre la der­nière livraison de Critique par unelecture de Flaubert qui, si elle nenous apprend pas grand chose surl'auteur' de Madame Bovary, nousrenseigne assez bien sur la méthodede EJutor. une méthode qui, depuisle rêve de Baudelaire. n'a guère'varié. Par ailleurs au sommaire, notreami Serge Fauchereau parle de lapoésie irlandaise (mais, en 1970,y a-t-il plus grande poétesse que Ber­nadette Devlin qui s'est exprimée surles barricades de l'Ulster?) et Cathe·rine Backès découvre le jeune écri­vain Roger Laporte.

La Revue de Paris (avril 701

Il est toujours triste de constaterla mort d'une revue. La Revue deParis annonce, au seuil de cette livrai·son, son absorption par le groupeRéalités. Pour son adieu. un sommaireassez brillant: Henry de Montherlant,Marcel Arland. Alfred Sauvy, JacquesMadaule, Matthieu Galey et RobertKanters.

La Passerelle (N0 2)

Suite des œuvres complètes deM. Pierre Béarn.

Cahiers du cinéma (N° 220.221)

Les Cahiers du Cinéma, après demultiples tribulations. ont repris leurautonomie et l'on sait qu'il s'agit làpour eux d'une aventure dont l'issueest finan'cièrement très incertaine.C'est pourquoi il faut souligner leur

Chez Denoël paraît, sous le titrede Journal d'un ambassadeur, un ou·vrage de J. K. Galbraith qui y évoqueles souvenirs de sa mission en Indeau début de l'ère Kennedy.

Dans la collection • Poétique. duSeuil. paraît une importante étude deVladimir Propp, que Levi-Strauss con­sidère comme un de ses précurseurs,sur les contes du folklore russe:Morphologie du conte.

Chez Pierre Belfond. Gilbert Tou­iouse publie. sous le titre de Contre·écriture, un pamphlet des plus cor­rosifs où il prend à partie l'abstrac­tion trop souvent systématique duNouveau Roman.

Enf:n, dans la collection des • Let·tres nouvelles» de Denoël, paraîtra,sous le titre du Spectacle intérieur,l'autobiographie d'un professeur auColiège de France. spécialisé dansl'histoire littéraire. Jean Pommier.

courage: leur premier numéro est lemoins commercial qui soit. puisqu'ilest consacré au cinéma soviétiquedes années vingt. C'est un numéropresque exhaustif. d'autant plus • fan­tastique • qu'il concerne des films quiont pour la plupart disparu. Je lessoupçonne d'ailleurs, parce qu'ils nemanquent pas d'humour, d'avoir donnéune petite note borgésienne à l'en­semble en inventant quelques œuvres.Bref, un numéro assez extraordinaireoù l'on peut lire notamment uri trèsgrand texte du romancier louri Ty­nianov, l'auteur du Disgracié.

Métamorphoses (No 12)

En vedette de cette jeune revue,André Frénaud, Franz Hellens et sur·tout les premiers poèmes traduits enfrançais de Miroslav Karleja. dont ona pu lire récemment • Je ne joueplus.. Par ailleurs. quelques jeunespoètes: Oleg Ibrahimoff, GeorgesBadin. Jean-Claude Schneider, ;>ierte­Sylvestre Clancier (fils de Georges·Emmanuel) et Jean-Louis Chrétien(curieusement. il écrit un poème surDieu... ).

La Nouvelle RevueFrançaise (N° 209)

Tandis que Louis Guilloux, dans untexte intitulé • Les Quatre sous',retrouve le chemin de • La Maisondu peuple " Jorge Luis Borges chanteBuenos Aires: il s'agit d'un poèmeextrait de ses œuvres complètes àparaître incessamment. Quatre lettresinédites de Marcel Proust. une étudesur Supervielle par Jacques Borel etun très beau texte de Jacques Rédaà propos de Pierre Qster complètentcette livraison.

J. W.

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Présence de BatailleLes éditions Gallimard ont en­

trepris de publier les Œuvrescomplètes de Georges Bataille.Deux volumes viennent de pa­raître: Premiers écrits (1922­1940), 658 p., qui rassembleHistoire de l'œil, l'Anus solaire,Sacrifices et des articles, avecune présentation de Michel Fou­cault, Ecrits posthumes, 1922­1940 (464 p., où l'on trouve, enparticulier, le Dossier de Docu­ments et quantité de textes en

marge d'Acéphale et du Collègede sociologie).

Nous avons demandé à l'édi­teur de ces deux volumes (quicouvrent l'activité de GeorgesBataille jusqu'à la guerre) : De­nis Hollier, de préciser l'apportde Bataille en cette périoded'entre les de u x gue r r e s.Gilles Lapouge s'est entretenuavec Roger Caillois à propos duCollège de sociologie. JeanSchuster, qui appartint jusqu'à

ces derniers mois au groupesurréaliste, mais qui parle icien son nom personnel, donneson sentiment sur la conceptionque se faisait Bataille de lafemme érotique, tandis que Lu­cette Finas mesure l'impact dela lecture de Bataille sur unjeune philosophe: Jacques Der­rida. On ne s'étonnera pas quenous reproduisions enfin desextraits d'un texte capital, tiréde l'Entretien infini (voir la

Quinzaine n° 86) où MauriceBlanchot dit ce qu'était un « en­tretien » avec le plus grand deses amis.

Tous les aspects de l'activitéet de la pensée de Georges Ba­taille ne sont certes pas icipassés en revue. Du moins con­venait-il de marquer la placeque détient l'auteur de l'Expé­rience intérieure dans nospréoccupations actuelles.

Bataille "paraItpar Denis Hollier

, «Et puis viendra le temps desœuvres complètes », avait annon­cé Maurice Blanchot: le voici.Mais il ne faudrait pas que dispa-

.~aisse dans cette présence ce quila motive, c'est-à-dire ce qui apermis à l'œuvre de Batailled'avoir une telle force qu'elle do­mine rétrospectivement une épo­que qui l'ignora ou, à quelquesexceptions près, dont plusieurssont tardives, la méconnut.

Cette efficacité aux effets pos­thumes, Bataille en a trouvé leressort dans une certaine absence,absence dont il serait d'ailleursinexact de voir en lui seulementla victime: sans doute lui est-ilarrivé de s'en plaindre, sans dou­te a-t-il essayé d'y échapper, dese faire « reconnaître»; maisdans cette absence de la scèneofficielle, dans ce silence trom­peur où s'accumulait une massede textes qui surprendra, danscette position d'essentielle mécon­naissance qui restera, connu ouinconnu, la sienne, il faut voir lelieu d'élaboration d'une expé­rience de la communication lour­de de conséquènces.

Après avoir travaillé' à faire su­hir à l'œuvre de Bataille ce quel'on ,pourrait appeler une trans­formation positive (celle de lapublication), ainsi le temps se­rait-il peut-être déjà venu d.e luien faire subir une, nég'ative, qui

non seulement rappellerait der­rière sa présence actuelle l'absen­ce de Bataille, mais porteraitaussi sur chacun des thèmes aux­quels cette présence est' associée,et en particulier sur celui del'érotisme, l'un de ceux oùl'exploitation et les malentendusde la mode sont aujourd'hui leplus fermement installés. Il fautêtre net sur ce point : la part dela sexualité dans l'œuvre de Ba­taille est maudite et l'est d'unemanière essentielle, qui ne tientpas au puritanisme d'une époque;elle n'attend rien d'une levée desinterdits. Ce n'est pas un hédo­nisme: l'é rot i s me n'est pasaphrodisiaque. Aucun doute en cesens qu'à côté des euphoriessexuelles surréalisanies ou hippies,l'impact de Bataille ne soit com­parable à sa façon à celui de Sa­de dans le libidinage du XVIIIe

siècle. «Je n'aimais pas ce qu'onnomme «les plaisirs de la chair »,en effet parce qu'ils sont fades. »

L'érotisme {et c'est pourquoi,au-delà de l'étroite spécialisationdésignée par l'épithète «éroti­que », il y a entre littérature etérotisme des rapports très serrésdans le système desquels la poli­tique a d"ailleurs aussi son rôle àjouer; l'érotisme n'est pas ungenre littéraire, un certain typede littérature, il est la littératureelle-même}, l'érotisme est avec

. I.a Q!!inzaine Littéraire, du 15 au 30 juin 1970~

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~ Denis RollierEntretien

l'écriture un des lieux où s'effec­tue l'expérience de la communi­cation, expérience qui n'adoptepas la forme d'une fusion (l'éro­tique de Bataille n'est donc rienmoins que platonicienne : elle cstrefus d'« atteindre encore unefois la notion de l'unité del'être »), mais au contraire la for­me d'une séparation. Faut-il rap­peler l'attention que Bataille por­tera à la scissiparité ? La commu­nication n'cst pas séparable d'uncertain silence (<< il m'a semblé.[.u] que les relations humainesétaient comme vides de sens siune région de silence n'interféraitpas entre elles»), d'un certainespacement, d'une certaine absen­ce des acteurs; elle n'est quel'expérience de cette séparation.Plus encore, cette séparation nelui préexiste pas, elle s'effectue enelle de telle manière que les «at­traits ~ (comme l'on dit) qui l'in­duisent ne le font qu'en vertu deleur caractère en réalité repous­sant: «entre deux êtres dont unevie débordante compose les mou­vements, le thème de la répulsionréciproque portant sur les partiessexuelles est présent comme unmédiateur, comme un catalyseuraccroissant la puissance de lacommunication ». Les êtres sontunis par ce qui le sépare et, com­muniquer, ce n'est que réaliser« r absence de commune mesureentre diverses en#tés humaines ».

Quand il y a «quelque chose»entre plusieurs êtres, ce quelquechose n'est jamais que cette ab­sence de commune mesure, quecette différence qui se manifeste'aussi bien par la différence indi­viduelle (le moi, contingent, «im­probable») que par la différencesexuelle en général. Cette diffé­rence est ce par quoi Bataille dé­finit la matière. «La matière, eneffet, ne peut être définie que parla différence non logique qui re­présente par rapport à l'économiede l'univers ce que le crime re­présente par rapport à la loi.»Autrement dit, la matière est dé­pense (transgression de l'écono­mie) , illégale au double sensépistémologique et juridique dela légalité. Illogique et immorale,comme l'est le moi, conlme l'estle sexe.

Dans la mesure où cette dé­pense est inaugurée par une bles­sure castratrice (celle que déve­loppent ~tlr le mode «mytholo-

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gique » les textes de l'Œil pinéal),on pourrait appeler principe d'in­suffisance la matrice qui gouvernecette série de remarques. Chaqueêtre, dès l'instant où il est prisdans un système de communica­tion, est défini, non par des ca·ractères positifs, mais par une in­suffisance, par un défaut essen­tiels. L' h 0 mm e «n'est riend'antre sous un soleil malade, quefœil céleste [fœil pinéal] qui luimanque ». « L'homme est ce quilui manque.» Telle est la propo­sition fondamentale de la logiquede la communication élaborée parBataille. L'être n'existe qu'en'communication, c'est-à-dire queblessé et, par cette blessure,s'écoulant en une dépense à plusou moins longue échéance mor­telle. La communication est le sa­crifice de l'être, l'être comme sa­crifice. (L'être de Bataille est ain­si le contraire exact de la monadeleibnizienne qui se suffisant à soi- tout du moins en tant que mo­nade - constitue un monde àpart, sans communication avec lesautres monades, sans porte ni fe­nêtre (sans blessure). L'être deBataille est le contraire d'unesubstance. Et l'athéologie n'estque le refus de ce supplément, dece pansement qu'est Dieu destinéà guérir, cicatriser ou faire ou­blier les blessures.) «Je proposed'admettre comme une loi que lesêtres humains ne sont jamais unisentre eux que par des déchiruresou des blessures: cette notion apar elle-même une certaine forcelogique. »

a) C'est pourquoi communi­quer c'est se sacrifier, c'est pour­quoi Bataille n'a parlé et n'estlisible que depuis sa mort etpourquoi son écriture se détachesur le fond de ce silence, de cetteabsence dont et d'où nous par­Ions: «A une certaine limite, ledésir d'échanges humains parfai­tement clairs qui échappent auxconventions générales, devient undésir d'anéantissement.»

b) Désir d'anéantissement quiest au travail dans tous les textescomme refus de réduire les diffé­rences, de combler les manques,de guérir les blessures: « Jem'éloigne de ceux qui attendentd'un hasard, d'un rêve, d'uneémeute la possibilité d'échapper àrinsuffisance. »

Denis Hollier

Dans l'itinéraire accomplipar Georges Bataille, le Collè­ge de Sociologie forme l'undes jalons essentiels. Noussommes en 1937. Roger Cail­lois et Michel Leiris, qui ontquitté le surréalisme depuisquelques années, s'associentà Bataille pour fonder le Col­lège, dédié à l'étude desgroupes fermés - sociétésd'hommes des populationsprimitives, communautés ini­tiatiques, sectes hérétiquesou orgiaques, ordres monas­tiques ou militaires. Des réu­nions régulières ont lieu aucours des années 1937, 1938,1939, mais la guerre inter­rompt les activités du Collè­ge. Après la guerre, Cailloiset Bataille se retrouvent.Leurs chemins sont désor­mais divergents mais leuramitié demeure. En acceptantde nous parler de la brève etfascinante expérience duCollège de Sociologie, c'estaussi une image de GeorgesBataille que Roger Caillois adessinée.

• Comment nous sommes­nous rencontrés? Je m'étais dé­jà éloigné du groupe surréaliste,c'était dans les années 34-35,et un article de Bataille, dansla Critique sociale, sur la No­tion de dépense, m'avait parutrès révélateur. Cet article pré­figurait les livres essentielsque Bataille publiera plus tard,tel la Part maudite. De son cô­té, Bataille avait été alerté parune étude que j'avais publiéedans la revue Inquisition. Cetterevue était dirigée par quatreanciens surréalistes dont deuxcommunistes militants, Aragonet Tzara, et deux plus réticents,Monnerot et moi-même. Peut­être avait-elle des directeurstrop nombreux, en tout cas, ellen'eut qu'un seul numéro. Dansce numéro, l'article de têteétait de Bachelard que j'avaisintroduit au surréalisme en luidonnant à lire Eluard, Aragon etsurtout Lautréamont. Quant àmon article, je l'avais intituléPour une orthodoxie militante,c'est dire qu'il était très enga­gé. Je songeais à une penséerévolutionnaire qui ne se limi­terait pas à la sphère intellec­tuelle mais qui déboucherait

sur la vie réelle. Deux autrestextes, que j'avais écrits aupa­ravan t, la Mante religieuse etParis, mythe moderne, avaientégalement retenu l'attention deBataille. Nous avions donc biendes choses en commun: l'un etl'autre, nous pensions qu'il fal­lait s'attacher à transformer lasociété par l'action révolution­naire. Nous étions, si vous vou­Iez, plus communistes que mar­xistes, pour ne pas dire anti­marxistes. Le marxisme nousparaissait animé d'un rationa­lisme trop étroit car il tient fortpeu compte des relations ins­tinctives, passionnelles, reli­gieuses, etc. La révolution,fondée exclusivement sur desdéterminations économiques,nous intéressait moins qu'unerévolution à déclencher sur leplan émotif. La même impor­tance attribuée à l'effervescen­ce émotionnelle nous rappro­chait.

"C'est chez Jacques Lacanque j'ai rencontré Bataille pourla première fois. Nous noussommes vus ensuite assez sou­'vent et nous avons eu, avec Mi­chel Leiris, l'idée de fonder unesociété d'études, qui deviendrale Collège de Sociologie. Nousavons tenté d'obtenir le con·cours de Kojève qui fut, vousle savez, le principal éxégètede Hegel en France. Kojèveexerçait une emprise intellec­tuelle tout à fait extraordinairesur notre génération. Je doisdire que notre projet n'a pastrouvé grâce à ses yeux. Je mesouviens. C'est chez Bataille,rue de Rennes, que nous avonsexposé notre projet à Kojève.Il nous a demandé ce que nousvoulions faire exactement. Nousle lui avons expliqué. Il s'agis­sait de conduire des recherchesphilosophiques, mais la philoso­phie n'était en quelque sortequ'une façade, ou une forme, leprojet véritable étant de recréerte sacré dans une société quitendait à le rejeter. Nous avionsconscience de jouer les appren­tis-sorciers. Nous étions déci­dés à déchaîner des mouve­ments dangereux et nous sa­vions que nous en serions pro­bablement les premières victi­mes, ou que nous serions, dumoins, emportés dans le torrentéventuel.

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avec Roger Caillois

Appel à une réunion de Contre-attaque

a eu toujours la volonté de dou­bler le Collège par une sectedotée d'un ritualisme très pré­cis. Pour lui, le Sacré ne réap­paraîtrait que grâce à la célébra­tion de rites. Certains de cesrites étaient assez peu prati­ques, par exemple l'idée de cé­lébrer la mort de Louis XVI, le21 janvier, sur la place de laConcorde. D'autres rites étaientmoins compliqués, ainsi l'obliga­tion, à laquelle nous nous som­mes tenus, de refuser la mainaux antisémites.

»11 y avait aussi l'idée, our­die par Bataille, que l'actiond'un groupe ne pourrait attein­dre sa pleine efficacité quedans la mesure où le pacted'alliance initial serait vraimentirrémédiable. Or, pour lier en­semble les énergies, il étaitconvaincu de la nécessité d'unsacrifice humain. Je fais allusionici à un épisode qui concernemoins le Collège de Sociologiequ'un autre groupe, animé parBataille, Acéphale, dont les ac­tivités de secte sont demeuréesentièrement secrètes. Ce qu'ilen fut du projet de sacrifice hu­main, je n'en sais ïien avec cer­titude. Ce qui éipparut en toutcas, c'est qu'il fut plus facilede découvrir une victime béné­vole qu'un sacrificateur, si bien

~

r-t!!.Jet de lar~ioD~

b.E~:.:2.00 ~l'bLES~êfèventaë1a"1Ustl~--- --Prendront b. parole: Ccoraes BATAILLE. André BRETON.~e HEINE.

21 Jftt'IER 1793 - 21 JANVIER 1936

ANNIVERSAIRE DE'L'E;S~Cl1fië'N'CAfITALE DE LOUIS XVI

l,,~21 JANVIER 19'6. ~l hcurcs.union ouvcrle au Crenier des AU~SI'~·ns~.__--...

1. • duc.."'.""'.::G"S'M"~

CONTRE-llTTilQIJE

rer conséquence. Entre Batailleet moi, il y avait une commu­nion d'esprit très rare, une sor­te d'osmose sur le fond deschoses, au point que la part del'un et celle de l'autre étaientsouvent indiscernables. Maisnous nous séparions quant àl'usage à faire de ces recher­ches. Et Bataille avait tendanceà avancer toujours du côté dela sphère mystique.

»Je vous en propose unexemple. Levitsky a fait deuxexposés sur le chamanisme. Laquestion me passionnait parceque dans le schéma qui était lemien (celui de Mauss), il yavait antinomie complète entrela magie et la religion. La magieest un acte théurgique qui for­ce les puissances surnaturellesà s'incliner, alors que la reli­gion est essentiellement sou­mission à Dieu. Je me sentaisalors très luciférien, je tenaisLucifer pour le révolté efficace.Ainsi le chamanisme m'impor­tait comme synthèse entre lespuissances religieuses et le do­maine des choses infernales.De son côté, Bataille était à peuprès dans les mêmes disposi­tions. Mais la différence étaitque Bataille voulait réellementdevenir chaman.

»Cela explique que Batailleà s'imposer dans le monde tem­porel, étant évident que le spiri­tuel dominait le temporel. Nosréunions ont commencé. La pre­mière a eu lieu dans ce cafépoussiéreux du Palais - Royalqu'était alors Le grand Véfour.Bataille a parlé, précisément,de l'apprenti-sorcier. J'ai pro­noncé un exposé sur le Ventd'hiver. Plus tard, les réunionsse tenaient dans une librairiede la rue Gay-Lussac. Parmi lesexposés, je vous cite quelquestitres: la Sociologie sacrée, parBataille et par moi, le Sacrédans la vie quotidienne, par Mi­chel Leiris, Attraction et répul­sion, par Bataille, les Structureset les fonctions de l'armée, parBataille. Moi-même, j'ai donnédes exposés sur les sociétésanimales, le pouvoir spirituel. lasociologie du bourreau.

"Très vite, il nous est deve­nu évident que si Bataille et moinous étions en plein accordquant à la matière de la recher­che, nous n'avions pas la mêmemanière de la traiter et d'en ti-

Couverture d" Acéphale'

" Kojève nous a écoutés, maisil a écarté notre idée. A sesyeux, nous nous mettions dansla position d'un prestidigitateurqui demanderait à ses tours deprestidigitation de le faire croi­re à la magie. Nous avons ce­pendant conservé des liensétroits avec Kojève. Il a mêmeprononcé une conférence auCollège, sur Hegel. Cette con­férence nous a tous laissés pan­tois, à la fois à cause de lapuissance intellectuelle de Ko­jève, et par sa conclusion. Vousvolis souvenez que Hegel parlede l'homme à cheval, qui mar­que la clôture de l'Histoire etde la philosophie. Pour Hegel.cet homme était Napoléon. Ehbien! Kojève nous a appris cejour-là que Hegel avait vu justemais qu'il s'était trompé d'unsiècle: l'homme de la fin deJ'histoire, ce n'était pas Napo­léon mais Staline.

"Revenons au Collège. Noustenions à ce terme de Collège.Il traduisait notre volonté d'éla­borer une pensée qui tendrait

La ~inzaineLittéraire, du 15 au JO juin 1970 7

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~ Roger Caillois

L'illilDitéde la pensée

par Maurice Blanchotque les choses en restèrent là.J'y ai fait allusion, dans Ins­tincts et Sociétés, à la suited'un article publié à New Yorksur ce sujet et qui contenaitdes informations tout à faitinexactes.

l> Cet épisode aide à préciserl'image de Bataille. Pour lui, ilne s'agissait pas d'un simplejeu de l'esprit, ou d'une formuleprovocante, mais d'une actionréfléchie. Rien de commun en­tre «l'acte surréaliste le plussimple.. défini par Breton etconsistant à tirer au hasarddans la foule, et le sacrifice ri­tuel d'une victime consentanteauquel songeait Bataille.

.. En ce sens, le pouvoir queBataille pouvait exercer n'étaitpas du tout un pouvoir presquepolitique, comparable à celui deBreton sur le groupe surréaliste.Le pouvoir de Bataille était plu­tôt de nature charismatique, unascendant. C'était un hommeétrange, placide, presque pa­taud, mais sa lourdeur mêmeavait quelque chose de fasci­nant. Le plus curieux était ceci:cet homme qui n'était pas colé­reux, était capable, presquetechniquement, de s'échauffer àvolonté, et, si l'on peut dire,seul. Sans qu'aucune provoca­tion ne l'explique, il entrait dansdes colères à la fois sincèreset artificielles, déroutantes àl'extrême. Les signes se multi­pliaient que, pour Bataille, lesrecherches .théoriques du Col­lège ne formaient qu'une voievers une extase qu'il faut bienappeler religieuse ou mystique,étant entendu qu'il s'agissaitd'une mystique athée. L'érotis­me de Bataille doit être com­pris dans une perspective ana­logue. De même, cette notionessentielle pour lui qu'était lerire, et dont il ne retenait quel'aspect négatif, une sorte d'ou-.verture sur le néant, en toutcas une brisure, un "éclat".

"Peu de temps après, laguerre nous a séparés. En 1944,quand je suis rentré à Paris,j'ai lu le livre de Bataille, l'Expé­rience intérieure. La guerrenou~ avait montré l'inanité dela tentative du Collège de Socio­logie. Ces forces noires quenous avions rêvé de déclenchers'étaient libérées toutes seules,letrrs . conséquences n'étaient

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pas celles que nous avions at­tendues. La guerre avait sansdoute rejeté Bataille vers unmonde intérieur. La recherchede l'extase prenait une impor­tance croissante pour lui.

l> Je l'ai revu. Notre amitiéétait intacte. Il songeait alorsà lancer une nouvelle revue etvoulait m'associer à son projet.Mais la formule qu'il proposaitne me satisfaisait pas. Je n'ap­prouvais pas son souhait de nepublier que des textes critiques.Je désirais qu'on publiât égaIe­ment des textes originaux. C'estd'ailleurs ce qui explique la dif­férence entre Diogène et Criti­que.

»Aujourd'hui, je considèretoute cette époque avec distan­ce, mais sans la moindre traced'ironie. Bien des idées quenous défendions me paraissentconserver leur énergie, parexemple cette .constatation quele marxisme, à cause de son« économisme» fondamental,est impropre à rendre comptedes différentes forces qui tra­vaillent en profondeur la socié­té. Nous voulions parvenir à unesociété d'un type entièrementnouveau dans laquelle les impé­ratifs de l'instinct, ceux del'émotion, et du désir, eussentle pas sur les impératifs écono­miques.

.. Bataille était un homme bon·et bienvei liant. Son désintéres­sement comme sa générositéétaient extrêmes. Il était aussipeu homme de lettres que pos­sible. Sa démarche était· tou­jours d'une grande rigueur Sisa curiosité le portait vers desterritoires très variés, allant del'érotisme à l'anthropologie, etdu mysticisme à l'économie po­litique, il n'avait rien d'un « tou­che à tout ". Sa culture et soninformation étaient vastes et so­lides. J'ai essayé de vous direles points sur lesquels se fon­dait .un accord très profond,comme les points qui mar­quaient notre divergence. Jedois dire encore que, jusqu'auterme de sa vie, je n'ai cesséde lui porter la plus vive ami­tié et une estime qui ne s'estjamais démentie...

Propos recueillispar Gilles Lapouge

... Parlant avec cette simplicité,avec cette gravité légère de la pa­role, présent par sa parole, nonpas en se servant d'elle pour expri­mer une sensibilité pathétique,mais pour affirmer, dans la rete­nue et par la précaution, le souciauquel ses interlocuteurs ne l'ontjamais entendu se déroher, Geor­ges Bataille a ainsi lié les détours

de l'entretien au jeu illimité dela pensée. Je voudrais insister surce point. Quand, en général, nousvoulons dire quelque chose quenous savons déjà, soit le faire par-

,- l' d'tager a que qu un .autre, parce.que cela nous paraît vrai, lloit, aumieux, le vérifier en le soumet­tant à un nouveau jugement. Plusrare est déjà une parole qui, tan­dis qu'elle s'exprime, réfléchit ­et peut.être parce que la disposi.tion à parler ne favorise pas laréflexion qui a besoin de silence,qui a besoin aussi de temps, untemps vide, monotone et solitaireque l'on ne saurait partager,sansgêne, avec un autre interlocuteurà son tour silencieux. Pourtant,dans un certain genre de dialo­gue, il arrive que cette réflexions:accomplisse par le seul fait quela parole est divisée, redoublée :ce qui est dit une fois d'un côté,est redit une deuxième fois del'autre côté, et non pas seulementréaffirmé, mais (parce qu'il y areprise) élevé à une forme d'affir­mation nouvelle où, changeant deplace. la chose dite entre en rap-

port avec sa différence, devientplus aiguë, plus tragique, non pasplus unifiée, mais au contrairesuspendue tragiquement entredeux pôles d'attraction. Une telleforme de dialogue est précisé­ment ce à quoi conduit la paroleengagée dans Je jeu de la pensée,telle que Georges Bataille nousl'a rendue présente par un mou­vement qui lui fut propre. Cettepensée qui se joue avec, commeenjeu, l'illimité de la pensée ­l'atteinte d'une affirmation infi­nie -, ne s'accomplit pas sous laforme d'une invitation à question­ner et à répondre, encore moins àaffirmer, puis à contester. Elleexclut toute discussion, elle né­glige toute controverse (ce travailpar lequel deux hommes d'avisdifférents mettent en communleurs différends, confrontant unethèse avec une autre en vue d'uneconciliation dialectique), Dans ledialogue que nous considérons,c'est la pensée même qui se joueen nous appelant à soutenir, endirection de l'inconnu, l'illimitéde ce jeu, lorsque penser, c'est,comme le voulut Mallarmé, émet­tre un cotip de dés. Il s'agit, dansce mouvement, non pas de tellellou telles manières de voir et deconcevoir, fussent-elles importan­tes, mais toujours de l'unique af­firmation, la plus étendue, la plusextrême, au point qu'affirmée, el­le devrait, épuisant la pensée, larapporter à une tout autre me­sure, la mesure de ce qui ne selaisse pas atteindre, ni penser.Cette affirmation ne peut que res­ter latente, en retrait dans toutce qu'on affirme d'elle: non seu­lement parce qu'elle ne sauraitêtre maîtrisée, mais parce qu'elleéchappe à toute unité, portantavec elle le rapport infinimentdistant d'où vient tout ce qui s'af·firme. Rapport effrayant qui, ditGeorges Bataille, s'ouvre sur lapeur, et auquel cependant la pa­role, par son jeu, ne cesse de nousengager à répondre: « ... la peur...oui la peur., à laquelle atteintseule fülimité de la pensée... » (...)

Extrait de l'Entretien infini. pp. 317­319.

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Les· daInes de BatailleD'où viennent les dames violen­

tes qui proposent leur chair d'ef­froi dans les romans de GeorgesBataille?

Pour le lecteur, une origines'impose, qui serait l'enfer, maisun enfer moins sommaire que ce­lui de la théologie chrétienne, àla fois plus métaphysique et plusphysique, accordé à notre tempsen ce qu'il obvierait il la f1ispa­rition, signalée par Bataille, dela croyance en Satan, à partir dela Renaissance; enfer inventépar les littératures profanes, cr.ééde toutes les vapeurs qui nimbentLady Macbeth, Juliette, Mme deMerteuil, Mathilde, du Moine,Mme Putiphar, Lamiel, Gamiani,Hauteclair, Mme Chantelouve, So­lange, des Détraqués, Simone, del'Histoire de fœil, Mme Edwarda...

J'entends toutefois fortifier cet­te banalité que la lecture n'estqu'un détour obligé, auquel onpeut s'arrêter - et dès lors onreste lecteur et le livre littéra­ture - ou, au contraire, échap­per. Le livre - cela n'est vraique d'une petite quantité d'œu­vres - devient, sous le rapportdes conceptions de Bataille et,pour reprendre sa terminologie,un passage vers le monde sacré(le monde érotique, par opposi­tion au monde profane, au mon­de du travail et de la raison). Lelecteur s'évanouit et laisse placeà un acteur de la fête, de l'orgie.Ce qui ne dispense pas de répon­dre à la question initiale, de re­chercher le lieu d'origine sous ledécor littéraire de l'enfer.

Un en-deçade l'être

Les dames de Bataille sont is­sues de la partie du cœur humainqui est encore tout entière dansla nuit - absolument vierge etabsolument noire - d'où je croisque la communication avec lemonde extérieur est réglée de fa­çon unilatérale. Cette zone hypo­thétique - monde intérieur dansle monde intérieur et le niant ­même les poètes n'y ont pas ac­cès, il leur faut déambuler autour.Le monde extérieur feint de s'yreconnaître au moindre reflet,mais s'y brise. Le monde inté·rieur, dans le projet poétique, ten­te de s'y dissoudre mais l'illumi­nation ne permet que d'en appré-

hender les confins. Les ruses dela raison, les injonctions de lamorale se heurtent à un en-deçàde l'être d'une impassibilité quidécourage, d'une insensibilité quiatterre. En revanche, un trajetest possible dans l'autre sens, cardes assiégées s'en délivrent qui sedissolvent dans notre sang.

La croyance en cette zone ducœur est strictement affaire sub­jective. Elle est inséparable d'uneautre croyance: son existenceabolit la discontinuité des êtresen un en-deça continu, de mêmeque la mort est leur au-delà con­tinu. Y plonger revient à effacerla caractéristique de «l'être dis­tinct des autres ». Car il va desoi que ce cœur dans la nuitn'est que s'il est à la fois en nouset hors de nous. L'expérience in­térieure le révèle pour le déroberaussitôt si sa révélation conduit àun renforcement de «la structurede l'être fermé» (1).

Le point u oùle cœur manque"

Certes, Bataille, par son travailthéorique, a fléché les itinéraires,aussi bien celui de la lecture à lafête que celui .des héroïnes sor­tant de l'abîme pour y entraînerl'ancien lecteur. Il s'agit, on lesait, d'atteindre le point «où lecœur manque ». Le pouvoir desdames de Bataille est à cet égardautrement plus fort que celui dessœurs aînées que leur donne l'his­toire littéraire. Quant aux créa­tures de Sade, elles s'en différen­cient essentiellement par le faitqu'elles définissent, sans secoursmasculin, les interdits et le rituelde leur transgression. Juliette,Mme de Saint-Ange sont des élè­ves ; l'intelligence virile, sous lestraits de Saint-Fond et de Dol­mancé, féconde un terrain propi­ce. Au contraire, Simone, Mme Ed.warda, Marie, la Mère mènent lejeu. De là que le précipice men·tal vers lequel nous sommespoussés n'offre aucune aspérité,aucun signe d'où déduire un cal·cul de nos risques, aucune haltedans la chute où espérer reconsti·tuer notre esprit démantelé.

Les dames de Bataille viennentd'où nous allons. Elles ravagentle consentement. Leur nudité estsacrée par la souillure qu'ellesnous forcent à accomplir. Elle est

Gustave Moreau: Salomé tatouée

exigence de cet accomplissementet, au point extrême, «la nuditédu bordel appelle le couteau duboucher» (2). Nous ne pouvonsnous soustraire à l'obligation·d'être le boucher. En nous, désor·mais, c'est le plaisir articulé surla mort.

Le grand hurlementintérieur

Aucune nudité, si hiératique ouvirginale fût·elle, ne saurait plusassourdir le grand hurlement in·térieur. Sous cette lumière terri·ble, je ne vois que les tableauxde Gustave Moreau, dont Bretona dit qu'ils «frôlaient l'abîme etfleuraient l'interdit» (3), leurs

« princesses léthargiques» (4),Salomé surtout, que Huysmansdécrit ainsi: « ... la déité symbo­lique d*e l'indestructible Luxure,la déesse de l'immortelle Hysté.rie, la beauté maudite élue entretoutes par .la catalepsie qui luiraidit les chairs et lui durcit lesmuscles ; la bête monstrueuse, in·différente, irresponsable, insensi·ble, empoisonnant, de même quel'Hélène antique, tout ce qui l'ap.proche, tout ce qui la voit, toutce qu'elle touche» (5) et que Mo·reau lui·même évoque «se pro·menant nonchalamment d'une fa·çon végétale et bestiale dans lesjardins qui viennent d'être souil·lés par cet horrible meurtre quieffraye le bourreau lui·même, quise sauve éperdu» (6).

La Q!!inzaine Littéraire, du 15 au 30 juin 1970 9

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~ SchusterBataille

Ce que la vie nous promet, dansl'ordre de la fête, est suspendu àl'ascèse qu'impose notre compli­cité avec ces êtres de carnage.Leur regard nous a cloué surune planche qui n'est pas celledu salut. Toute la violence dumonde extérieur, au gré de l'évé­nement, est retenue, contenuepour exploser à l'intérieur.

Jean Schuster

(1) • Toute la mise en œuvre éroti·que a pour principe une destructionde la structure de l'être fermé.•L'Erotisme, Ed. de Minuit, 1957.

(2) Madame Edwarda, J.J. Pauvert,1956.

(3) Le Surréalisme et la peinture,Gallimard. 1965.

(4) Jean Lorrain.(5) A Rebours, Fasquelle éd.(6) Lettre à Henri Rupp, citée par

Ragnar von Holten dans L'Art fantas­tique de Gustave Moreau, J.J. Pauvert.1960.

10

En ce texte (1), Jacques Derridalit Georges Bataille d'un certainpoint de vue: celui du dialogueavec Hegel. Le texte déplie lesous-titre à perte de' vue : un he­gelianisme sans réserve, cela si­gnifie, certes, sans tricherie, sansrestriction, un hegelianisme abso­lu, mais aussi - équivoque, piè­ge, torsion - un hegelianisme à'l'épuisement, sans provision, où leNégatif (la mort) soit si éperduqu'il ne puisse entrer en travail,faire sens, offrir la ressource desa récupération. La pesée de Ba­taille sur Hegel mesure - déme­surément - la contrainte de He­gel sur Bataille, la toute-puissan­ce de r œil hegelien: «Pris unà un et immobilisés hors de leursyntaxe, tOU3 les concepts de Ba­taille sont hegeliens.» Il faut lereconnaître, mais on se trompe-

rait à ne pas «reSSaISIr en sonrigoureux effet le tremhlementauquel il les soumet »... en écla­tant de rire. Il faut aussi, tout aulong de la progression, impercep­tiblement dansée, du texte derri­dien, voir l'œil blanchir mortelle­ment, le rire voler en éclats.

Lisant Bataille dans sa lecturede Hegel, relisant Hegel à traversla lecture de Bataille, voyant ceque, de Hegel, Bataille sait etignore (l'œil et sa tache aveugle),maître du champ où l'interpréta­tion s'ordonne, Derrida entre­prend Bataille en ses lieux forts,comme Bataille Hegel, sans ré­serve.

Et d'emblée sur maîtrise et sou­veraineté. Dans la dialectique dumaître et de l'esclave, schémati­quement, l'accès à la maîtrisecommande qu'on regarde la morten face, mettant sa vie en jeu.Toutefois la maîtrise n'a de sensque si le maître, en conscience,garde la vie pour jouir de l'avoir

. risquée; si, tenant en respect(ayant à l'œil!) la mort biologi­que où s'abîme le sens, il travailleservilement à rester dans le jeu,substituant à la mort pure et sim­ple ou négativité abstraite la né­gation de la conscience dans l'opé­ration du Discours.

«Eclat de rire de Bataille »,mime Derrida, déchirant de cetéclat son (propre) texte: «Parune ruse de la vie, c'est-à-dire dela raison, la vie est donc Testéeen vie (...) ; dès lors, tout ce quecouvre le nom de maîtrise s'effon­dre dans la comédie.» Et, sage­ment relevé, s'enchaîne dansl'Aufhebung (la relève, traduitDerrida autre part). Hegel, refu­sant de voir jusqu'au bout, a cica­trisé la fac'e déchirée du Négatif.Bataille la déchire de rire, con­vulsivement, au point de la ren­dre inutilisable... au point desouveraineté. Il va jusqu'au boutde Hegel, contre lui, sans réserve.

La différence entre maîtrise etsouveraineté n'est pas une diffé­l'ence. de sens. «Elle est, préciseJ?errida, la différence du sens,l'i~tervalle unique qui sépare lesens d'un certain non-sens.» Ba­taille arrache, de rire, la souve­raineté à la dialectique: «Le ri­re seul, poursuit Derrida, excèdela dialectique et le dialecticien:il n'éclate que depuis le renon­cement absolu au sens, depuis lerisque absolu de la mort (... ). Cet

éclat du rire fait briller, sanspourtant la montrer, surtout sansla dire, la différence entre la maî­trise et la souveraineté.» Le ris­que absolu, Hegel le manœuvrait,Bataille le fait vibrer, le simule,déplaçant vers le non-sens de lamort, dans le supplice gai, la co­médie de la maîtrise. Et riant dusimulacre. Et du rire. Derrida, en­trant à son tour en fiction, mime,dans le corps textuel de Bataille,l'écartèlement maintenu du dis­cours hegelien: «La réinterpré­tation, écrit-il, est une répétitionsimulée du discours hegelien. Aucours de cette répétition, un dé­placement à peine perceptibledisjoint toutes les articulations etentame les soudures du discoursimité. Un tremblement se propa­ge qui fait alors craquer toute lavieille coque.» Entre supplice et'silence, l'espace de l'écriture est,intolérablement, une ligne.

Par la force du Discours: «Iln'y a qu'un discours, il est signi­ficatif et Hegel est ici incontour­nable », rappelle Derrida qui dis­tingue, semble-t-il, deux écritures,la mineure et la majeure : l'une,servante maîtresse, qui allume lesens, garde la trace, l'autre, sou­veraine, qui souffle, efface. L'op­position du mineur au majeur estfeinte : pour Derrida comme pourBataille, il n'y a qu'une écriture,qui excède le Logos (maîtrise,sens, présence) et que guette, entous points de sa disséInination,la reprise du discours. L'inscrip­tion souveraine (mais cela setient-il et n'est-ce pas intenable ?)est scientifique, mais d'une scien­ce inqualifiable, le non-savoir dé­robant la science èomme il trahitl'histoire ou la philosophie, nonsans avoir pris acte des unes etdes autres. Rigueur' logique etinstabilité calculée, l'analyse deDerrida, redoublant à sa manièrela situation de Bataille face audiscours et à son surplus, nouspropose, sans souci d'enseigne­ment, un modèle d'inconfort etde stratégie. Se faufilant entreHegel et Bataille dans Hegel, en­tre Hegel et Bataille dans Ba­taille, il les joue l'un et l'autre,dans un enveloppement sans ces­se reculé. Pour trouver une paro­le insubordonnée, que faire sinon«redoubler le langage, recouriraux ruses, aux stratagèmes, aux si­mulacres »? Mais cette stratégie,qui infléchit la syntaxe à pertede vue, par le glissement sans fin

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forcévers d'autres mots, ne IHüuve-t­elle pas qu'un projet d'écritureest à l'œuvre dans l'écriture laplus déliée, la mieux égarée versle non-savoir et la non-volonté?La réserve que Derrida fait siennen'est-elle pas inévitable? Res­treinte ou générale, récriture nese conforme-t-elle pas à une éco­nomie?

De l'économie restreinte à l'éco­nomie générale, du connu à l'in­coimu, de la constitution à la des­truction du sens, de Hegel à Ba­taille, le texte de Derrida fuit versson titre. Bataille, dans Méthodede méditation, distingue d'unepart l'économie politique, res­treinte aux va leurs marchandes,où l'énergie excédante se perdsans réserve et sans but. Cetteperte, il l'appelle >souveraineté.

Bataillejusqu'à la guerre

1897. - Naissance de GeorgesBataille. à Billom (Puy-de-Dôme).

1922. - Thèse à l'Ecole des Char­tes. Bibliothécaire à la Nationale.

1926-1927. - Cu r e psychanalyti­que.

1928. - Histoire de l'œil (publiéesous le manteau).

1929-1930. - Direction de la revueDocuments.

1931. - L'Anus solaire (tiré à 100exemplaires) .Participation à la Critique socialedirigée par B. Souvarine).

1935. - Fondation de • Contre­Attaque» (Union de lutte desintellectuels révolutionnaires).

1937 à 1939. - Acéphale et leCollège de sociologie.

Derrida aiguise la rupture de sy­métrie introduite par Bataille enmarquant que l'écriture souve­raine, comme l'économie générale,n'est pas perte de sens, mais« rapport à la perte de sens », ouencore qu.e la consumation brûleau-delà .de l'opposition du sens etdu non-sens: «Les concepts del'écriture générale [science, maté­rialisme, inconscient, etc.] ne sontlus qu'à la condition d'être dé­portés, décalés hors des alterna­tives de symétrie où pourtant ilssemblent pris et où d'une certainemanière ils doivent aussi restertenus.» L'engagement provisoiredu concept lui permet de vibrerà l'instant même où on lui ensubstitue IID autre. De là ce « pot-

latch des signes» dont parle Der­rida, « brûlant, consumant, gaspil­lant les mots dans l'affirmationgaie de la mort ». Voici un exem­ple, chez Bataille, de neutralisa­tion du discours et de transgres­sion du neutre: « Précédem­ment, je désignais l'opération sou­veraine sous les noms d'expérien­ce intérieure ou d'extrême du pos­sible. Je la désigne aussi mainte­nant sous le nom de : méditation.Changer de mot signifie l'ennuid'employer quelque mot que cesoit (opération souveraine est detous les noms le plus fastidieux:opération comique en un sens >se­rait moins trompeur): j'aimemieux méditation, mais c'est d'ap­parence pieuse» (Méthode de ml!­ditation). Commentaire de Derri­da: «Que s'est-il passé? On n'aen somme rien dit. On ne s'estarrêté à aucun mot; la chaîne nerepose sur rien; aucun des con­cepts ne satisfait à la demande,Lous se déterminent les uns lesautres et en même temps se dé­truisent ou se neutralisent. Maison a affirmé la règle d).) jeu ouplutôt le jeu comme règle. »

Encore sommes-nous ici' dansles limites d'un prélèvement.Mais, d'un prélèvement à l'autre,il n'y a pas davantage de répit.Pour la poésie, par exemple, Ba­taille (et il semble que son juge­ment englobe la poésie sUl'réa·liste) la tient pour mineure. Mi­neure? EUe est donc serve (oumaîtresse, ce qui revient au mê­me). Point souveraine en toutcas. Mais il la tient pour jeu. Or,le maître ne joue guère. Surgitalors ce concept de ,;ell mineur(un non-concept) qui, pour insta­ble qu'il soit, appelle un remanie­ment, à tout le moins un ques­tionnement, des distinctions mi·neur-majeur, discours-jeu, re­muant des oppositions qui d'ail­leurs n'en sont pas. Et Derridareconstruit, dans l'éboulement duconcept qu'il retient, déplace etreplace, le glissement du texte deBataille.

Cette transgression du discoursqui, en tant que transgression, estcensée reconnaître ce qu'elle dé­passe ou plutôt excède (car la dif­férence entre le dépassement quienchaîne et l'excès qui rejoue dé­finit l'espace du déplacement dela dialectique), Bataille, précipi.tamment, la comprend sous leconcept hegelien d'Aufhebung, larangeant sous la loi du sens. dans

Bataille par Giacometti

le cadre de l'économie restreinte.Derrida lui remontre - décidantpour lui de son «moins de hege­lianisme» - que l'Aufhebung,dans son texte, fonctionne analo·giquement, vidée de son sens,pour désigner le rapport qui liele monde du sens au monde dunon-sens. Ainsi soustraite à sonprocès, l'Aufhebung s'égare, l'œilhegelien se trouble: «La condi­tion à laquelle je verrais, écritBataille, serait de sortir, d'émer­ger, du «tissu ». Et sans douteaussitôt je dois dire : cette condi­tion à laquelle je verrais seraitde mourir. Je n'aurai à aucun mo­ment la possibilité de voir ! »

Derrida qui, tout au long de salecture. débusque le risque de

clôture du texte de Bataille. ba­lance dans sa conclusion la chan­ce et le risque: un certain texte« trace en silence la structure del'œil », «déchire absolument sonpropre tiss'O redevenu solide etservile de se donner encore à li­re ». Texte pantelant, si l'on veutbien se rappeler que cet adjectif,qui évoque aujourd'hui la palpi­tation de la chair fraîchementtuée, rassemble dans son étymo­logie monstrueuse (pantoisier) lessens de la suffocation, de l'ahuris­sement, du cauchemar et de lafantaisie.

Lucette Finas(1) De "économie restreinte à l'éco·

nomie générale. Un hegelianisme sansréserve, in L'écriture et la différence,pp. 369-407.

La Q,yinzaine Littéraire, du 15 au JO juin 1970 11

Page 12: Quinzaine littéraire 97 juin 1970

LITTflaATURE

flTRANGllaEUnefahle portugaise

José Cardoso PiresLe DauphinTrad. du portugaispar Robert QuemsératColl. «Du Monde entier»Gallimard éd., 217 p.

Par sôn oscillation constam­ment renouvelée entre convictionet figuration, la fable prend unc.aractère ludique assez dévelop.pé. Le jeli de l'auteur (ou plutôt,des auteurs, puisqu'elle est danssa forme la plus anonyme etorale) avec le lecteur (ou l'audi·teur) tient essentiellement aufait que l'invention allégoriquede la réalité, ou plutôt la recons­titution minutieuse d'une réalitéimaginaire (et la tradition oraleprimitive développait jusqu'à l'in­fini ce côté imaginaire, répon.dant ainsi à un besoin plus quesocial, mythique), reconstitutiondonc «amorale », sert de supportà une réalité bien précise, celled'une notion «morale~.

Le roman de José Cardoso Pi·res qui vient de paraître, ledeuxième traduit en France (1),me fait penser justement à la fa·ble et à son caractère ludique,ceci non seulement par le foison·nement des personnages et desévénements allégoriques maisaussi, et surtout, par sa structuremême, basé sur un jeu assez ha­bile, plein d'ironie et tendu dela première à la dernière page,entre d'une part le narrateur(<< l'Auteur~) et les personnagesque, petit à petit, laborieusement,il «découvre », et d'autre part cemême narrateur anonyme et lelecteur.

Octobre 1967. Ouverture del'époque de la chasse. Gafeira, unvillage (imaginaire et pourtant siminutieusement décrit qu'on ledirait vrai) étouffé par les tradi­tions patriarcales et à demi dé·peuplé en raison de l'émigrationéconomique en Allemagne, auCanada, en France. Un écrivain·chasseur, désigné par « l'Au·teur~, revenu à la Gafeira un anaprès, y cherche à l'aide d'unmanuscrit ancien (aussi imaginai·re, et ce simulacre d'éruditionn'est qu'un autre côté fabuleuxdu roman, côté éminemment iro­nique), une monographie de lafin du xvm" siècle, les origines~e la communauté villageoise~ussi bien que celle d'une vieille

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et puissante famille du lieu, lesPalma Bravo, dynastie patriar.cale dont le dernier représentantest son ami Tomas Manuel dePalma Bravo, ou plutôt l'Ingé.nieur ou l'Infant, ou encOre leDauphin. L'Auteur cherche aussila vérité (ceci tout en faisant desa théorie de la chasse une théo­rie du jeu de l'amour et du ha-

sard) sur la disparition mysté­rieuse de l'Ingénieur après lescandale de la mort (crime ousuicide?) de sa femme Maria dasMercês et de son valet - métis deCap-Vert Domingos. Et commeallégorie suprême liant le passéau présent, l'Auteur évoque laMaison de la Lagune, maintenantabandonnée et en ruines, foyermythique des Palma Bravo oùl'Auteur avait logé exactement unan avant comme invité redouta­ble, mais en même temps flatteur.Il se livre à une occupation d'ama­teur de curiosités, mais il le faitdans rinquiétude, l'inquiétudedes sceptiques: Jamais je ne suisparvenu à raconter une histoireen restant en paix avec moi­même et avec la faune qui s'yébat; jamais je n'ai pu me relireavec sérénité.

Voilà les éléments de base quijouent dès le début du roman unrôle décisif: le libertinage intel­lectuel de l'Auteur, le patriarca­llsme mythique de son ami l'In­génieur (le Dauphin à' la JaguarE-4), la force destructrice et am­biguë du temps, l'histoire deve­nue légende. A ceci s'ajoute lebavardage fabuleux de l'Auber­giste, du Vieux-n'a-qu'une-dent,

de l'Œil Sagace, autant de figurespopulaires qui forment le chœurtragi-comique d'une épopée àrebours.

Les trente-trois fragments del'enquête de l'écrivain-chàsseurforment un puzzle où tous ceséléments et ces personnages s'har­monisent à plusieurs niveaux del'action et la pensée. Ainsi, letemps du récit est enchevêtré etle langage, remarquablement ri­goureux et agile, tient aussi bien':lu baroque populaire que del'érudition, moderne ou ancienne.Ce puzzle constitue enfin la vi­sion historique et sociale (mora­lité de la fable) de l'Auteur (le·quel n'est pas forcément l'auteurdu livre, mais plutôt un arché­type culturel), vision déclenchéeà partir de petits détails appa­remment insignifiants: l'évoca­tion d'un proverbe populaire, lalecture des journaux (ces jour­naux sans surprise, si bien lessi­vés par la Censure qu'ils noussalissent les mains), la citationd'un écrivain (Hans MagnusEnzensberger, Fernando Pessoa),ce qui fait que les symboles d'uneépoque (l'astronaute, la ,Jaguar)ou d'une société (les mâtins, lewhisky, la chasse) ou encore d'unlieu (la lagune) prennent autantd'importance que les personnageseux-mêmes.

Le rythme narratif, lent et si·nueux, sans' faille, aboutit à unefin que ces symboles et ces per­sonnages laissaient déjà prévoir.On y apprend finalement la vé­rité des faits au·delà de l'imagi~

nation populaire aussi bien quede la rigidité de l'enquête judi­ciaire: Maria das Mercês étaitdevenue maîtresse de Domingosle valet métis (par solitude etaussi par revanche, puisque Do·mingos, tout en étant un autreobjet légué par le pouvoir tradi·tionnel, était plus important pourle Dauphin, selon la hiérarchiepatriarcale, que son épouse) etlorsqu'un soir, son mari étantabsent, Domingos meurt post coi­tum, Maria das Mercês, l'Ophéliede province, se jette dans la la­gune, lieu privilégié de puissanceet mort, mythe et histoire.

Ainsi l'Auteur prend congé denous, non sans une certaine amer·tume, toujours voilée par l'ironie:il veut «Dormir. Dormir... », ilveut se libérer enfin de cette pé­nible insomnie ,qui est la «por·

tugalité ». Cette « portugalité »est le 'drame d'un peuple, si bienexprimé, au-delà même des per­sonnages, par quelques allégoriesessentielles: la noria (horlogeaveugle), le petit lézard (humblecréature, portugaise elle aussi,habitant les ruines de fHistoire ;petit être dont f existence s'ac·complit entre les pierres et le so­leil, et qui s'y résigne (...) vouéà fisolement d'une évocation defEmpire), et surtout la lagune(qu'elle soit île, outre, couronnede vapeur ou constellation d'oi·seaux, c'est à son échelle qu'unecommunauté de paysans-ouvriersmesure funivers). L'amertume,l'insomnie pénible de l'Auteurest aussi celle du lecteur. Ainsi,l'art de jouer - qui est aussil'art d'interroger - prend danscette fa1lle portugaise une formedramatique universelle vraimentexemplaire.

Entretienavec PiresUne chambre d'hôtel au quar­

tier Latin. José Cardoso Piresétait de passage à Paris avantde retourner à Londres, où ilenseigne actuellement la littéra­ture portugaise au King's Col­lege. Notre entretien, très bref,me permet de mieux précisercertaines idées déjà éveilléespar la lecture de son roman.

A.M.M. : Votre roman, ou plu­tôt l'Auteur-narrateur de votreroman et le procédé qu'il uti­lise pour «créer» une vérité,me fait penser au rapport entreculture et jeu établi par Huizin­ga dans son ouvrage Homo lu·dens: La culture sera toujours,en un sens, jouée, du fait d'unaccord mutuel suivant des -rè·gles données. La véritable civi­lisation exige toujours et à touspoints de vue le fair play.

J.C.P.: C'est vrai, il y a dansmon livre un élément ludi~,

mais il n'est pas prédéterminé,il n'est qu'une conséquence demon intention de, au lieu d'unehistoire, donner un climat, unparfum, une température d'unpa'ys. En conséquence, l'impor­tant pour moi c'était de mettretoujours l'action en question,ceci dans la mesure où la réa­lité portugaise n'est ,qu'uneabstraction.

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ROHANS

FRANÇAIS

Un rODlanrévolutionnaire

La Q!!in7.aine Littéraire. du 75 :lU 30 juill 1970

A.M.M. : Abstraction dansquel sens?

J.C.P.: Dans le sens où letemps au Portugal est abstrait.Notre temps n'a rien à voir aveccelui des Français ou des An­glais, par exemple, l'heure estplus floue, elle n'a pas la mêmerigidité géographique. En plus,c'est un pays où tout événe­ment objectif est immédiate­ment annulé par un manque to­tal d'information et d'un mini­mum de liberté civique. C'estun pays mythologique et mytho­mane.

A.M.M.: Pourtant, je me de­mande si, au fond, l'Auteur-nar­rateur n'a pas une certaine nos­talgie de ce même patriarca­lisme qu'il condamne.,.

J.C.P.: Non, je ne crois pas.Les seules choses dont il a unecertaine nostalgie, ou plutôtqu'il aime (et moi aussiJ, cesont les choses naturelles et,disons, ibériques, celles qui re­montent au Moyen Age: lacommunauté, la bonne table.Mais je suis contre les privi­lèges.

A.M.M.: Ouels privilèges?

J.C.P.: Tous, notamment ce­lui de la vérité, la vérité impo­sée par la Censure.

A.M.M.: Ouelle est la signi­fication essentielle de votre cri­tique de la • portugalité • ?

J.C.P. : La cc portugalité ))prend ses racines dans uneprétendue philosophie de la• saudade •. laquelle n'est qu'unverbalisme dont le patriarca­lisme rural a profité. Elle nousécrase depuis des siècles. Ain­si, par exemple, nous avons per­du l'Inde, mais le gouvernementprétend qu'elle est toujours nô­tre; nous avons une guerre co­loniale qui détruit toute unegénération, mais nous appelonsnos colonies des cc provinces»et nous prétendons résoudreainsi tout le problème. Bref,c'est un pays dominé par le rhé­torique où chacun crée sa véritépour son usage propre et vitdans un climat d'insomnie per­manente.

Alvaro Manuel Machado

(1) Le premier fut l'Invité de Job.Gallimard éd" 1967,

1Jacques ChatainRliche ou Cherbe ranceSeuil éd., 138 p.

S'agit-il d'un livre scandaleux iJOui san~ cloute, pour ceux chezqui cette catégorie de pure con­vention p6ursuit sa carrièrc routi­nière. En tout cas, raccrocheurnullement. Il tourne le dos à uneproduction désormais abondanteet souvent désolante. Scandaleusessi l'on veut, l'audace descriptiveet langagière, l'impudeur délibé­l'~{' et plus même, provocante,volontiers outrageante. Mais ellen'est pas le propos même. Elleest partie d'une totalité, d'un or­dre qui se cherche. Elle ne sur­git qu'à ses moments voulus. Criet spasme et non titillation. Lais­sons clone de côté ce faux pro­blème, S('andale, la seule littéra­ture d'habitude et cI'imitation.Sous ce rapport, Rliche ou r ''l'rb,'rance est au contraire du romanscandaleux.

Hanté par la guerre d'Algérie,ce premier roman de JacquesChatain prend naissance dansune cellule où rêve. et s'enrageun prisonnier politique. A force,11''' 11I11I'" palpitent l't 1('111''' ~nlffil i.signc" tI,. lilwrlt' 1"1 .lc' c'(Huhal.s'enchevêl J'(~lIt, se I"ontrcdi"cnt, secrient des injures malgré leurstratification historique: résis­tants; collabos; F.L.N.; O.A.S.Dès les premières pages s'éva·nouissent cette cellule, ses murs etleurs griffures. Mais, au vrai,nous ne la quittons pas. Et sielle réapparaît, de loin en loin,c'est plutôt nécessité, relance, quesimple rappel. Le roman lui­même est cellule; close et videcaisse de résonance, isolement né­cessaire, temps d'accumulationavant une sortie en masse. A lacellule pénale fait ici pendant unautre lieu d'isolement, celui queBloom, le matin, aimait élirepour son cabinet de lecture. Nonpoint qu'il soit décrit ou mêmenommé. Il suffit à l'auteur pourle suggérer, avec sa fréquence etson importance, de consteller sontexte des récits brefs, obscènes sil'on veut, des propositions laconi·ques mais précises que l'on ypeut lire, Cette clôture, où lesenfants découvrent parfois le sen­timent de la liberté et que Grod­deck - toujours un peu cxagé·ré - considère comme le sited'un bonheur perdu et parfois re-

trouvé, devient celui d'une exi·gence de possession, explosive etprofanatrice d'être enéore cachéeet interdite. Comme le prisonnierpolitique, le prisonnier sexuel abesoin de ce retrait pour prendre\llI'Sll1'e cie S3 situation et l'assu·Il It' ", .Jal'lJlIl'~ Chali.ill. qlli a dûlirc Reich ct M'arcust~, Ill' "i""o,'it,certainement p,as les difféœnl" lIi­veaux de la lihération. SOIl romann'est pas, cependant, directementpolitique, il ne l'est que sourde·ment. Il est ce tl'op.plein, ce pul.1.'-],-1111'111 '1'"' postule le vide cel·IlIlain:, Fantasmes, clésirs entêtés,souvenirs, bribes de connaissanceenvahissant les jours ct les nuitsd'un militant. cie l>asc soudain en­fermé là, Va-t-il ~'y noyer ou sur­nager? Ou, si l'on préfère, qu'ad­vient·il au juste de ce roman eu­rieusement titré ?

Plutôt qu'un roman, Hliche estla destruction d'un roman. Lepropos n'est pas neuf, mais rela­tivement neuves sont la méthodeet la visée. Roman expérimental,technique, dont la machinerieproduit un tel impact qu'on laressent avant d'avoir à l'assimiler.Je suppose que la réflexion a étépremière chez l'auteur, avec pa­tience et minutie. Elle n'est queseconde chez le lecteur, maiscomme obligatoire. Rliche estune mécanique, fonctionnant àplein régime, et dont il faut aumoins mentionner les deux piècesprincipales. Que ron imagine,tout d'abord, une piste romanes·que où prennent place, sans solu­tion de continuité, des épisodesle plus souvent révo.Jutionnairesou amoureux, ceux-ci volontiershomosexuels, donc également, àleur manière, subversifs. Domi·nent les amours collégiennes cie

Bliche et de Fleur, que nousavions déjà rencontrées en vieil·les femmes, emhlèmatiquementrapprochées des amours, qui da·tent, elles, de la guerre d'Algérie,d'un enfant blond et de Smaïl,dont la mort affreuse nous est dé·jà connue. Dans la nuit destemps, et de la prison, un projec.teur tourne, repère, au sein d'unemasse confuse, une scène vécueet la met à jour. Là, bien sûr,n'est pas l'originalité de Rliche.Mais voici autre chose: cettepiste romanesque, les personna·ges, les couples, les foules qui s'yébattent provisoirement sont, di­rait-on, cernés d'une ~angue à lafois malléable et dure, d'uneépaisseur incommensurable, d'unecomplexité extraordinaire et dontil n'est pas question de se défaire,après même en avoir pris cons­cience. Cernés n'est pas .assez di­re, mais encore pressés, .con·traints, imprégnés, mus, dans larévolte comme dans le consente­ment. La matière les emprisonneet les protège, elle les tisse, indi·qlle, c'est selon, une ouverture ouunI' fermeture. Cet englobant ­qui est encore ce qu'il englobe ­avec ses rappels à l'ordre, ses in­vites ou ses refus, ses intrusionsdouces ou brutales, Jacques Cha­tain l'exprime curieusement maisde manière en quelque sorte pé.remptoire par de constants re­cours à l'encyclopédie. Là réside- on en sera peut.être surpris ­le principal effet de choc de cebeau texte. Ces notations encyclo­pédiques ne valent que par rap­port à des personnages précis,dans une situation donnée. Il n'ya pas là que déterminisme, maiséchanges sous-jacents, explicablesou secrets, éclairage l'un par l'au­tre et souvent inattendu. Et leplus surprenant, le plus beaupeut-être tient au sens que l'homome donne parfois à la Nature.Les épisodes, érotiques ou politi­ques, de B.liche, sont presquetous d'une grande présence, d'unebelle force de réalisme. Leursprolongements « e n c y c lopédi.ques» leur attribuent, par sur­croît, et des racines et une immen·sité. Les uns et les autres, homo·logues et réciproques. Mais cen'est pas toujours beau, tant s'enfaut. Nous avions parlé de la m.ortde Smaïl. Ce jeune ouvrier algé.rien, sur le chantier d'un barrage,est tomhé, à l'insu d'e ses cama­rades, dans un concasseur. Ne

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~ Chatain

subsiste bientôt de lui qu'un fai­ble bouillonnement rosâtre à lasurface du béton et quelques traέnées d'une odeur mauvaise. Resteà l'encyclopédie à sceller ce des­tin par la description indifférente- ou pathétique, si on l'entendainsi - des mâchoires d'un con­casseur et des modes de produc-'tion du béton, la société indus­trielle étant ici en cause, avant lamatière. Si l'on veut me croiresur parole : cela coupe le souffle.Ailleurs, la démarche semble àpeu près inversée, et nous allonsde la Nature aux hommes. Com­me le cours de la Seine s'étendavec harmonie, comme ce fleuveparesseux inspire le calme, le re­pos, la sécurité. Mais le fleuvetraverse la capitale qui nouspresse d'oublier la géographie etla géologie pour l'histoire la plusrécente. Souvenez-vous des cada­vres d'Algériens que charria cetteSeine innocente. Et ce souvenirde honte prend une dimensionplus affreuse que la mort par unnouveau retour à l'encyclopédi­que, puisé à je ne sais quel ma­nuel: la consternante nomencla­ture des tortures, infligées aux pri­sonniers politiques, à l'aide decette même eau douce. Ailleurss'établit une imit~tion, un con­sentement universels et que de­vient jolie, attendrissante. éroti­que même, cette page de botani~

que - entrecoupée, elle-mêmehaletante - d'accompagner lesamours buissonnières de deux ly­céennes. Enfin combien paraît dé­risoire le p.roblème des homo­sexualités face à l'analyse desfonctions spermatique et bormo­nale!

Désarroiface au. touffude la vie

J'ai bien dit que la nouveautéde Bliche était relative. Certes,Jacques Chatain n'a pas inventéle collage s'il en use de manièredifférente. Rien de moins gratuit,de moins esthétisant que l'emploiqu'il en fait. Jamais, comme d'au­tres, il ne s'en amuse. Je ne voisguère, sur ce plan, à le comparerqu'à Alexander Kluge, à l'auteurd'Anita G. plus qu'à celui de laBataille de Stalingrad. Dans Ani­ta G., le collage est le produit

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d'une VISIon datée, du désarroiface à une civilisation en miettes(vue d'une Allemagne, morale­ment et physiquement, en miet­tes) au lendemain de la SecondeGuerre mondiale. Ce ne sont, enfait, que les ruines d'un mondede concepts, depuis longtempssclérosé. Le domaine appréhendépar Jacques Chatain est plusvaste et profond mais, comme tel,moins préhensible. Désarroi éga­lement, chez lui, mais non face àdes ruines, face au touffu de lavie. Son prisonnier à l'esprit enre­gistreur voit affluer la flore, lafaune, les minéraux, les objets,les hommes, les groupes, l'his­toire. Un moment, peu avant leterme de sa récapitulation, lemonde lui apparaît sous formede dictionnaire. Alphabétique ouanalogique, comment ne pas s'y~perdre? On pourrait aussi évo­qUer un ordinateur suralimentéd'informations, mais encore privéde programmation et· qui accu­mule sans rien ordonner, en gé­sine plutôt qu'en travail... où,' di­tes voir, se trouve, parmi vous, lesystème? demande le narrateur.Et, plus loin: ... comment pen­ser sa propre situation. (...) Com­ment analyser en vue de réagir,compléter, modifier, s'opposer...Ce sont là, vraisemblablement, lesquestions mêmes, les réactionsque l'auteur a souhaité susciterchez son lecteur. S'il a voulu don­ner à toute sa composition l'appa­rence anarchique (au sens péjo­ratif du terme) du règne végétalc'est, bien sûr, pour provoquerl'exigence d'un ordrt:. Or, si l'ony regarde de plus près, l'anarchielaisse entrevoir le mouvementdialectique qui l'entraîne, le fil

,rouge de la lutte des classes quidoit permettre de sortir du laby­rinthe. Que l'auteur ait, lui, déjàson code et son programme, iln'est pour s'en convaincre que devoir revenir chroniquement, dansson texte, ces fragments de lathéorie de la plus-value et le ré­cit, repris dans ses détails, de lacélèbre arrivée de Lénine en garede Finlande. Plus qu'un rappelhistorique, ce tableau devient lesymbole d'un gage p~ur l'ave.nir.

Singulièrement a u d a cie u x,étrangement novateur, révolution­naire à tous les niveaux, ce ro­man est le plus marquant des sixderniers mois.

Jean Gaugeard

ESSAIS

1Michel MohrtL'Air du LargeGallimard éd., 362 p.

On n'écrit pas ce que l'on veut.Et d'autant moins lorsque la ma­tière d'un livre s'éparpille surplusieurs années de travail, pu­bliée par fragments au long decolonnes hebdomadaires, au grédes événements, au fil des lec­tures.

De SO.Tte qu'un recueil commecelui de Michel Mohrt trahit-ilcurieusement la personnalité deson auteur, surpris en quelquesorte au débarquer, en train deramasser ses affaires avant demettre le pied sur la terre ferme.

Cette image s'impose ici - etnon seulement parce que MichelMohrt est hanté par les comparai­sons océanes (rAir du large aprèsla Prison Maritime), mais parceque ces Essais sur le roman étran­ger ressemblent étrangement ausac du marin où traînent les sou­venirs fabuleux des ports à l'es­cale.

Pour le' .lecteur qui passe sanstransition de l'Angleterre au Ja­pon, de la Sicile aux Etats-Unis,de l'Espagne à l'U.R.S.S., et tou­che des rades qui s'appellentValle-Inclan, Scott Fitzgerald ouTanizaki, une impression demeu­re qui n'était sans doute pas pré­vue par le critique : l'unité d'unelittérature mondiale où le ton ducommentaire assure la continuitéde la croisière. En fait, Mohrt abeau nous dire d'où il a ramenéses trésors, peu nous chaut. Sonitinéraire est la seule patrie desécrivains qu'il commente.

On aurait pu imaginer une tou­te autre voie d'accès à ces œu­vres qu'il présente; et le livreeût-il été écrit d'un seul jet, l'au­teur aurait pu se demander, com-

L'airme parfois son public, commentun romancier peut-il être Hon­grois sinon Persan, et ce qu'il ya d'américain dans un romanaméricain. Or, c'est précisémentparce que Michel Mohrt .semblefort conscient de ce problème(ses têtes de chapitre en témoi­gnent) qu'il est révélé par un li·vre qui naturalise d'emblée toutela littérature internationale aupays du grand large - et cen'est pas un hasard, sans doute,si l'ouvrage s'ouvre tout grand surun bourlingueur comme R.I,. Ste­venson.

Au demeurant, ce parti-pris de« cosmopolitisme» involontaireou voulu contribue à donner aurecueil une signification propre.Il en va comme de ces exposi­tions où sont confrontées desœuvres rassemblées par un con­servateur érudit et qui reflètentla personnalité du collectionneurplus que celle des artistes. Ste­phen Crane et Cesare Pavese,Joyce et Miguel Angel Asturias,Gombrowicz et Naipaul, compo­sent avec cinquante autres un pa­norama de la littérature moderne,comme on en a rarement écrit.

Si Michel Mohrt se trouve peut­être trahi par ce cosmopolitismequi révèle un aspect inconnu desa personnalité, il se trouve à soninsu désigné aussi comme victimeprivilégiée d'une époque, la nô­tre, pour laquelle on ne lui savaitpas un goût particulier: un tellivre reflète fort exactement, surle plan de la critique littéraire,l'esprit simultanéiste d'une sociétéoù le monde est présent, par satel­lite interposé, sur des millions depetits écrans, dans son instanta­néité contraignante.

On pourrait choisir, dans cetéventail de ré1lexioIis, dix lignesde fuite, toutes aussi dignes decommentaires. Nous nous en tien­drons provisoirement à l'examendes chapitres consacrés à la litté­rature américaine - choix d'au­tant plus arbitraire qu'il supposele regroupement préalable demorceaux éparpillés d'un bout àl'autre du volume. Mais tel est lesort d'un recueil où il faut bien,après avoir pris la mesure dutout, en étudier les parties.

De cette littérature américaine,Michel Mohrt donne des aperçusassez fulgurants pour qu'on s'yarrête et les omissions mêmessont ici significatives. Le pilier, la

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du largeplaque tournante, le lieu géomé­trique est ici William Faulkneret non pas même ses grands ro­mans - Sanctuaire, le Bruit et laFureur - mais la trilogie la plusrévélatrice du grand visionnairede Yoknapatawpha County, celledes Snopes : le Hameau, la Ville,le Château, œuvre touffue, pres­que obscène, ennuyeuse parfois,pâteuse ailleurs, mais qui com­prend une présence charnellecomme celle d'Eula, une enfiladed'anecdotes crépitantes, une leçonde morale sudiste hargneuse ; lesSnopes ont été pour Faulkner,dans une certaine mesure, ce queBouv!,rd et Pécuchet ont été à}'laubert et le mérite de MichelMohrt est peut-être d'avouer sansambage que dix fois le livre allait

.IIZIIiIiIPlOUla ville

surla 10er

roman

CAlMANN-lEVY

lui tomber des mains, quand, dixfois, il s'est passionné. à nouveaupour un rebondissement imprévu.

Cette bonne foi du critique, quilivre ses impressions toutes fraî­ches au lecteur, accompabrne larecherche pénétrante du maîtrede conférences; c'est ce dernierqui retrouve dans Jack Kerouacle «primitif» et chez Susan Son­tag le jeu d'un onanisme oniriqueoù «les personnages sont détruitspar les rêves ~où ils sont issu,s »,de même que le narrateur est«annulé par ses songes dont ilest la totalité ».

C'est en revanche la consciencedu romancier qui se réveille chez

'le critique, pour épier les procé­dés des confrères, scruter la façondont ils résolvent certaines diffi­cultés de composition où l'on asoi·même trébuché; il doit yavoir quelque envie admirativequand l'auteur de la Campagne~1tali.e remarque le simulta·néisme dont use Stephen Cranepour décrire la vie militaire : «lerégiment renâclait et souffrait »...«farmée s'assit de nouveau pourréfléchir... », etc.

Et l'auteur de se permettreque 1que cocasserie inventivequand, à l'occasion, il intitule «LeDybbuk et les cosmonautes» telchapitre où il rapproche de façonassez inattendue le grand roman­cier yiddish américain 1 s a a cBashevis Singer et Ray Bradbury- profitant de l'occasion pourrendre furtivement justice à cegenre littéraire plein d'avenir(sans jeu de mot) qu'est la scien·ce-fiction.

L'érudit reprendra le pas surJ'écrivain qnand il initiera le lec­teur français aux subtili.tés d'Edomund Wilson - dont on s'expli­que difficilement que fort peu lelisent chez nous.

S'il est un défaut que ron pui,,­se reprocher à Michel Mohrt,c'est sans doute de vouloir tenirson public pour plus informé qu'iln'est et de lui adresfo\Cr bien desclins d'œil que seuls peuventpercevoir ceux qui connaissentdéjà les livres dont il traite. Peut­être aussi le tl"OUVera-t-on damses conclusiom, chapitre aprèschapitre, moÎD8 inquisiteur qu'il'n'eût parfois fallu. Après tout, l'es­sentiel était d'inciter le lecteur àprendre l'air du large et il fairevoguer la galère.

Marc SafJorta

André BretonUne étude désormais classique

Vie de LautréamontGrasset

La Q!!inzaine Littéraire, du 15 au JO juin 1970 15

Page 16: Quinzaine littéraire 97 juin 1970

L'expressionnisme Dans les galeries

André François

1L'Expressionnisme européenMusée National d'ArtModerne26 mai - 27 juillet 1970

Pas plus que la précédentequ'elle complète dans l'espritdes organisateurs, la présenteexposition ne peut donner uneimage satisfaisante de l'expres­sionnisme. En 1966, la confron­tation du fauvisme et des dé­buts de l'expressionnisme alle­mand basée sur la chronologieétait on ne peut plus discutable,les. deux mouvements n'ayantguère en commun qu'un langageplastique qui, certes, les appa­rentait, mais qui était une finen soi pour le fauvisme et unmoyen pour l'expressionnisme.

On ne pouvait se défendre del'idée que ce parallélisme étaitprovoqué aux fins de démontrerl'antériorité du fauvisme et soninfluence sur les peintres de laBrücke. La démonstration setrouvait ainsi truquée au détri­ment de l'expressionnisme dontseule la première vague étaitprésentée et l'œuvre graphiqueescamoté, celui-ci n'ayant au­cun répondant dans le fauvisme.

Ce qui, en fait, apparaissaitclairement, c'était la radicaleantimonie des deux mouve­ments, l'un épris d'harmonie etd'équilibre, l'autre soucieux deporter au premier plan les ten­sions internes qui régissent lavision de ('artiste.

La même équivoque se renou­velle qui dilue cette fois-ci lemouvement dans une incroya­ble sauce européenne. On a lit­téralement traqué la moindretrace expressionniste, baptiséepour l'occasion ete n dan c eexpressive lt, chez des peintresaussi inattendus que Dufy, De­launay, Friesz, Matisse, Léger,Miro... et même Signac. Mais,bien. entendu, le groupe Cobraest passé sous silence. Finale­ment, tout se passe comme s'ilfallait minimiser à tout prix cemouvement qui cristallise dèsla fin du siècle dernier une ten­dance latente dans la peinturedepuis des siècles. Il est vraique, de Grünewald à Münch,eUe a toujours été l'apanage desEcoles du Nord et qu'elle necorrespond en rien au tempéra­ment méditerranéen. Mais est-

16

ce une raison pour maintenirsous le boisseau, du moins enFrance, une des bases les plusfécondes de l'art du XX· siè­cie?

Cela dit, et puisqu'il faut serésigner à ne pas voir de sitôtà Paris une exposition d'ensem­ble, contentons-nous des quel­ques tableaux qui valent quel'on aille au Musée d'Art Mo­derne. Il y en a tout de mêmeune bonne vingtaine à quoi ilfaut ajouter les gravures prove­nant de la célèbre collection duMusée Folkwang à Essen.

Les peintresde la Brücke

A tout seigneur tout honneur,Münch, dont trois toiles des an­nées 1900 aux titres significa­tifs (L'Ombre n° 7, L'Angoisse,n° 8 et le célèbre Cri n° 9)installent d'emblée l'image psy­chique qui autorisera les pein­tres de la Brücke à substituerles sensations à l'impression età se réclamer des plus élémen­taires comme des plus obscu­res. Vingt ans plus tard,cinq extraordinaires tableaux(no' 158, 159, 160, 161, 162)témoignent à nouveau du génieprécurseur de Münch car ilscontiennent tout l'expression­nisme abstrait des années 40.

Des peintres de la Brücke,on revoit Jour glacé, de Heckel(n° 76) , paysage de verre éclaté,accompagné cette fois de Lacdans un parc (n° 77). De Kir­chner, dont les toiles exposéesen 66 n'allaient pas au-delà de1914, le rose et bleu Paysagedes Alpes (n° 93) et Scène derue à· Berlin (n° 92) de 1913,thème que Grosz portera à unpoint de violence extrême. Maisde Grosz nous n'avons droitqu'à deux gravures et au trèschagallien Jack J'Eventreur (n°72); l'expressionnisme politi­que n'est probablement pas demise, car Otto Dix est aussibien mal représenté, mis à partle Portrait de Sylvia von Harden(n° 68). Par contre, ChristianRohlfs, Macke et Franz Marc lesont convenablement; de mêmeJawlensky, dont on regretteque pas un seul portrait ne soitexposé. En 1966, il Y en avaitsept.

Il n'était certes pas possible.outre les difficultés de prêt. derefaire à quatre ans de distancela même exposition, mais vrai­ment quand on constate tant demanques, que tant d'œuvresmineures sont cette fois-ci ac­rochées et que l'on compulseles deux catalogues, on se de­mande au nom de quoi fut faitecette bipartition! Kandinsky etKlee, une fois de plus sont lesvedettes et on aurait mauvaisegrâce à s'en plaindre; maisquand cessera-t-on de les met­tre à toutes les sauces?Expressionnisme, Bauhaus, Artabstrait, etc. A quand « La ligneet le point dans l'Art .. ? Demême Feininger, mais pourquoipas alors Schlemmer!

Passons ... passons à la gra­vure; mais il serait injuste,pour en finir avec les peintres,de ne pas signaler un très cu­rieux Derain, La Danse (n° 18)et La jeune Finlandaise (n° 17).de Sonia Delaunay.

La fin du siècle, on le sait, vitfleurir l'estampe, la litho, lebois. C'est à Paris que Münchs'initia à la technique et auxsubtilités de l'art graphique etc'est sur bois que Kirchnergrava le premier manifeste dela Brücke. Sans doute les jeu­nes artistes du groupe trouvè­rent-ils dans le bois gravé lemoyen de manifester sansnuance leur goût de l'expressionbrute: ils s'y adonnèrent touset cette technique ne fut d'ail­leurs pas sans influencer leurpeinture. Ils ne négligèrent nil'estampe, ni la litho, créantainsi un véritable renouveau deJ'art graphique en Allemagne,

Deux techniques

C'est un domaine de l'expres­sionnisme aussi important quela peinture et il est à remar­quer que le même sujet futsouvent traité dans les deuxtechniques (nO' 93 et 232). Lechoix présenté est bon et cons­titue à lui seul une expositionà ne pas manquer. Il a de plusle mérite de se maintenir dansle cadre de l'expressionnismeet de rétablir ainsi une imagesingulièrement faussée par lechoix des peintures.

Marcel Billot

L'exposition André François, auMusée des Arts Décoratifs, est unenchantement. Mais c'est aussi unévénement. Parce qu'André Françoisest l'un de ces créateurs dont lesimages, année après année, contri·buent à façonner notre vision et quecet accrochage, nombreux et bienconçu, dévoile les démarches, l'am·pleur et la diversité d'une œuvre dontl'impact s'exerce sur nous, ponctuel­lement, par intermittence, à la faveurpresque subreptice d'une affiche pourPierre Etaix, Citroën ou "Optalidon,d'une couverture de revue ou d'unejaquette de livre.

Le Pavillon de Marsan nous con­fronte avec les deux faces indisso·ciables et complémentaires de l'œuvred'André Francois.

Les images' publiques. souvent mon·trées â la loupe des gouaches· oudessins originaux est éclairante à denombreux égards. Au plan général,elle fait apparaitre d'abord les exi­gences multiples de ce métier; con·naissance de tous les secteurs del'actualité mais recul et maniementd'une écriture qui doit être déchif­frable sur plusieurs plans simultanés.Elle montre aussi comment la leçonde Klee fut, parmi toutes les sourcescontemporaines, la plus fructueusepour l'expression de ces problèmesquotidiens dont elle permet de cer­ner à la fois l'évidence et le secret.Le public français aura, avant tout.la révélation de "œuvre parue àl'étranger: couvertures pour le • Newyorker» ou • Punch» en particulier.qui contribuent à une véritable an·thropologie culturelle de l'humour.Chaque fois, l'auteur, par une iden­tification pratiquement unique chezles dessinateurs d'humour, capte cetindéfinissable qui donne à une scèneson tour spécifiquement américain,britannique, germanique ou français.

Les livres d'enfants (1), les jaquet­tes comme celles inspirées parFaulkner, les illustrations de livrestelles celles pour Jarry, constituentcomme une introduction à la faceprivée de l'œuvre d'André François.Celle-ci témoigne des difficultés querencontre, quand il se retire en soi,l'acrobate formé à toujours dire dusecond degré. Cette part de l'œuvreest écartelée entre les fascinationsde l'art brut et le dessin des derniersKlee. Elle se cherche dans des re­liefs. des totems faits de pieux, degalets et de réminescences, des des­sins à l'encre, des peintures. Et puis,surtout dans les travaux des deuxdernières années. elle se trouve; etc'est alors la suite des Nus et têteset le Bestiaire (encre et lavis) quiintègre l'homme parmi les canards.et les crocodiles. Mieux encore, c'estle miracle d'une série de paysages,flous et précis.

Entre les deux pôles de la tendresseet du grinçant, l'exposition du Pa­villon de Marsan révèle une poétique.

Nicolas Bischower

(l) En France, R. Delpire édita lemerveilleux Larmes de crocodile. Maistoutes ses autres contributions aulivre d'enfants ont été publiées pardes éditeurs étrangers (A. Knopf,New York - Eulenspiegel Verlag,

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PHILOSOPHIE

Pour Fourier

1Michel ButorLa rose des vents,32 rhumbspour Charles FourierColl. «le chemin»Gallimard éd., 173 p.

René SchérerCharles Fourier oula contestation globale« Philosophesde tous les temps»Seghers éd., 186 p.

Quasiment la même semaine, ily a peu de temps, deux texteséclatants paraissaient, l'un et l'au­tre consacrés à l'œuvre de Char·les Fourier. Le premier venaitd'un poète, d'un romancier, d'unessayiste, Michel Butor; le se'cond, d'un philosophe connu pourses travaux sur la communicationet ses commentaires et traductionsde Husserl. Le premier adoptaitla composition et la forme poé­tiques; le second s'inscrivait dansle cadre d'une collection dite de« vulgarisation ». Or, l'apparentparadoxe est que celui qu'on dé·signe comme poète et celui qui apour profession la philosophie seretrouvent, se complètent, se ren·forcent dans une commune ré-in­vention: celle de Fourier, cet« utopiste» qu'une douhle tradi­tion, bourgeoise et pseudo-marxisete, a eu tôt fait d'inscrire parmiles écrivains brouillons et les po­litiques inefficaces.

Les deux interprétations se si·tuent dans la perspective que dé·finissait André Breton dans sonode admirable. Elle posait, pourprincipe, qu'il n'y a pas à situerl'œuvre de Charles Fourier dansle parcours de la métaphysique(ou de l'anti-métaphysique) occi­dentale; qu'il est dérisoire de l'en­tendre comme un des moments- parmi les autres - entre Rous·seau et Marx, à côté de Hegel,de Saint-Simon et de Comte, dela formation de la pensée politi­que" moderne. Michel Butor etRené Schérer, chacun son lieud'efficacité, s'inscrivent dan srécart que l'auteur des Quatremouvements voulait introduire.Car il s'agit peut·être, après Sade,d'une des manifestations les plusrésolues du refus de la rationalitéclassique et des conséquences encette suite du XVIII" siècle : ce quedit Fourier, c'est que le trop fa-

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meux couple opposé et complicedu rationnel et du réel, moteur dela tradition philosophique, doitêtre récusé comme simpliste etrépressif.

Les trente-deux Rhumbs de Mi­chel Butor, «pour Charles Fou­rier », sont dédiés à André Bre­ton et sont «aussi pour RolandBarthes»: cette suite de «poè­mes» - que Michel Butor excusecette dénomination extrinsèque

poursuivant l'entreprise deFourier et la reconstruisant. Ma­thématique et poétique y inter­fèrent; composition musicale etordre logique se chevauchent etimposent, dans le contrepoint, leurordre ; les astres, les saisons, l'his­toire du monde, l'organisation dessociétés et les âges de la vie seretrouvent en des décalages sub­tils; le tout sous le grand ventd'un devenir passionnel où Boréese bat et se plaît à se battre avecAquilon. On comprend la doubledédicace, à André Breton et àRoland Barthes. Michel Butor re­double l'invention poétique enmême temps qu'il administre sarigueur; "a rêverie systématique

invite à une re-lecture de Fou­rier qui exclut à la fois les inter­prétations affadissantes, lyriquesou historiennes.

Michel Butor s'est plu à recueil­lir le système et à l'entendre avecune audace méticuleuse. Il mon­tre ceci que le prétendu réel, ce­lui qui se donne, dit-on dans laperception, celui auquel se réfè­rent les sciences et dont se ré­clament les morales édifiantes(pour faire valoir le renoncementou l'efficacité) n'est rien qu'uneinstance; que la fonction decette instance est d'assurer laprééminence d'un type de ratio­nalité; et que ce dernier n'ad'autre propos, en fin de compte,que de «fonder », et de garantirl'ordre social dominant. Ecoutonsce que dit à ce propos René Sché­rer: ce fameux réel, qu'est-cedonc sinon un fait de culture,« tout pétri de conventions, assu­ré dans son rôle coercitif, quin'en a jamais fini de vouloir chan­ger l'homme et le modeler à sonimage - sans d'ailleurs y parve­nir totalement? Sans lien, dres·sé comme l'obstacle ou conlme le

.-lestin, ce réel a été rutopie ma·jeure de r histoire. Aussi le sys­tème de Fourier est-il d'une ra­tionalité profonde, à la dimen­&ion non d'une conjoncture, maisd'une époque, parce qu'il s'adres­se à ce que la raison instituéeméconnaît toujours par principe:la dynamique des potentialités ré­primées ; lorsque celle-ci entre enscène, elle déjoue alors - pourparler comme Hegel - les vieil­les «ruses de la raison ». Au vrai,la raison peut-elle encore ruser,lorsque les acteurs de l'histoirele font sans dissimuler les rai·sons de leur dessein, savoir la plé.nitude d'une jouissance eommu­ne? »

Dès lors, il est léger de repro­cher à Fourier de donner dansl'utopie.

Entendons encore ce que ditRené Schérer :

Littéralement parlant, r œuvrede Fourier est loin d'être utopi­que : elle circonscrit au contrairele lieu nouveau. Elle procède parconstants repérages et localisa­tions: elle dessine pour la pre­mière fois en effet une topiqueconçue comme décentration detous les errements sur la société etsur r homme; elle en montre lepoint d'application, elle invite àune conversion du regard vers lesvéritables tensions (passionnelles)dont le prétendu animal rationalese compose. Freud a remis en hon­neur le vieux mot de topique pourcaractériser et localiser la dyna­mique des pulsions et les diversesinstances du psychisme individuel.Mais la topique de Freud et cellede Fourier sont, dans leur esprit,bien différentes. Une des locali­sations de If! topique freudiennefait apparaître la constance cons­titutionnelle d'une instance répres­sive, le «sur-moi », r autre s'ou­vre sur une instance indéterminée,mais institutionnelle dans son es­sence: le réel, dans ses rapportsavec le moi. Admettant le réeldans sa pure factualité, reconnais­sant à la répression le rôle irré­ductible du destin, la topique deFreud a pu être contestée, elle nesera jamais rejetée comme utopi­que. Par contre, on ne pardonnerajamais à Fourier d'avoir déter­miné le réel comme étant suscep­tible d'une transformation radi­cale, en T:insérant topiquementdans la dynamique des passionshumaines, et, par là même, d'avoir

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Wittgenstein

Dans les pays anglo-saxons pa­raissent chaque mois une multi·tude d'ouvrages consacrés à Wit·tgenstein et à ses disciples. LeWittgenstein de Granger peutpermettre de passer les «chan­nels» de la compréhension. Gil­les-Gaston Granger, dont nousconnaissions Pensée formelle etsciem:e de rhomme, ainsi quel'Essai d'une philo~ophiedu style,lui consacre un «philosophe detous les temps ». En moins decent pages, il fait ressortir l'in­quiétante étrangeté de l'homme etdu créateur. Ce «Spinoza moder­ne », comme le nomme Granger,a poli chaque expression du Trac­tatus logico-philosophicus pendantla grande guerre. Son système res·sort plus d'un style que d'uncorps de jugements. Si délit il ya, il faudra en constituer le corps.Le système n'est pas une doctrine,mais il définit une manièred'aborder les problèmes. Ses sui­tes de propositions ont un butthérapeutique... il s'agit de gué­rir les maux (mots) philosophi.ques. Les philosophes sont, pourl'auteur du Tractatus, ceux quicherchent à sortir par la fenêtre ;en apprenant à voir, ils trouve·ront la porte. Or «voir c'est com­prendre, et c'est agir... on nom­mait autrefois Frères voyants, auxQuinze vingts, les hommes nonaveugles, mariés à des femmesaveugles. Une fraternité sembla­ble unit le peintre aux individusqui sont, sinon atteints de cécitémentale, du moins incapables,trop souvent, de profiter du sensde la vue », écrit Eluard en pré·face des Frères voyants.

On pourrait multiplier les cor­respondances, et pourtant Witt­genstein, de formation scientifi­que, n'avait étudié q~e Platon etSchopenhauer avant de s'embar­quer dans sa nef curative. De cepoint de vue on pense imman­quablement à Nietzsche: le phi­losophe-médecin. Mais les allu­sions ne doivent pas nous faireoublier que le langage usuel nepeut être mesuré à l'aune d'aucunautre langage. Sereinement, Witt­genstein a poursuivi sa tâche, etce n'est pas l'un des moindres

levé tous les interdits qui assu·raient sa puissance., Car il s'agit bien de cela. Cecentre, qui éclate aussitôt qu'onlt; désigne, qui, par nature, refusede se poser comme institution.c'est· la force passionnelle. Celle·ci, en tant que force est indiffé·r~nciée; c'est pourquoi l'autref~rce - négative, « réactive », ha­bile dans les opérations de réduc­tion - celle de la raison instituée,qui se dit maîtresse des différen­ces, des contrariétés et des con­tradictions, a tôt fait de triom­pher d'elle. L'action de Charles.Fourier est de mettre la logique- et ses deux sœurs, la mathéma­tique et la musique - au ser­vice de la passion...

Et le profond intérêt du textede René Schérer est d'expliquerprécisément comment s'organisecette logique passionnelle qui dé·nonce les faux-semblants de lamoralité, du commerce, de l'in­dustrie, de la légalité bourgeoiseet qui propose l'autre combina­toire, fondé sur le foisonnementcombiné des différences et quicalcule indéfiniment de la riches­se mesurée des possibles. Qu'ilfasse appel au «modèle» mathé­matique ou au «modèle» musi­cal, Fourier conteste la rationa-

. lité de la métaphysique qui jouedu jeu, trop simple pour êtreinnocent, de l'opposition abstraiteentre les doctrines de l'identitéet celles de la contradiction.

Aristophane - celu,i que fai·sait parler Platon dans le Ban­quet - retrouve sa voix. Dansla. combinatoire des passions, leNouveau Monde amoureux insti­tue une fantaisie qui donne rai­son tout autant au «fariÜlisme»qu'à la pédérastie et au saphismeet à leurs combinaisons. En cha·c~n, pour chacun. Fourier cons­truit «les éléments d'Euclide»de cette réalité que Sade tentaitd'imposer par des coups de forceimaginaires. Les axiomes posés- les passions et les caractèresque celles-ci impliquent -, il dé·duit l'organisation sociale, mini·male permettant au dynamismepassionnel de s'épanouir dans sonactivité créatrice. La déduction està ce point stricte qu'elle abolit lesdestructions métaphysiques du

. réel et de l'imaginaire, du normalet de l'anormal, de l'utile et del'inu,tiie, du bon et du néfaste,du solide ~t du précaire.

La raison - au sens limitatifque lui confie la tradition philo­sophique - n'est qu'une modali­té, parmi les autres, de la pas­sion. Rêverie que ces textes quiconstruisent l'attraction passion.née comme pivot de cette miseen question radicale de cette au­tre «rêverie », tristement efficace,qui a conduit au monde du com­merce, de la guerre et de la com­pétition généralisée? René Sché­rer, tant par sa présentation quepar le choix des textes qu'il pro­pose, montre que le principe quiguide Charles Fourier est celuiqui est à l'œuvre dans l'explo.sion de Mai 68 à Paris, dans lesdénégations des produits d'unecivilisation navrante qui se croitencore à la pointe du progrès(« 30 % des Américains reconnais­sent avoir triché à des examens»)et dans toutes les agressivitéscontemporaines qu'il est trop com­mode de désigner, pour les mieuxréduire, commme «révoltes ».

Rêverie? Ecoutons plutôt En­gels: «Que des épiciers littérai·res épluchent solennellement cesfantasmagories qui, aujourd'hui,nous font sourire; qu'ils fassentvaloir aux dépens de ces rêves uto­piques la supériorité de cette froi­de raison; nous, nous mettonsnotre joie à rechercher les ger­mes de pensées géniales que re­couvre cette enveloppe fantasti­que et pour lesquels ces philis.tins n'ont pas d'yeux. »

François Châtelet

BIBLIOGRAPHIEŒuvres de Ch. Fourier, 12 vol.. éd.

Anthropos. 1966-1968Théorie des Quatre mouvements et

extraits ·du nouveau Monde amou­reux, éd. J.J. Pauvert, 1967.

Les Cahiers manuscrits de Ch. Fou­rier, étude historique et raisonnée.éd. Minuit. 1957.

Le nouveau monde amoureux, éd .. An­thropos, 1967.

REFERENCESH. Bourgin - Fourier, Paris, 1905.A. Breton - Ode il Charles Fourier,

commentée par J. Gaulmier, Klinck­sieck. 1961.

Revue internationale de philosophie,n° 60. 1962, numéro spécial consacréà Ch. Fourier.

R. Queneau - Dialectique hégélienneet séries de Fourier, Bords, Her·mann, 1963.

S. Debout . Introduction au nouveauMonde amoureux (éd. Anthropos)et à la Théorie des Quatre mouve­ments, éd. J.J .. Pauvert.

R. Schérer - Présentation de l'Attrac·tion passionnée, éd. J.J. Pauvert,1967.

1G. G. GrangerWittgenstein«Philosophes de toustemps»Seghers éd., 180 p.

les

merltes du livre de Granger quede montrer l'unité du projet àtravers la discontinuité de sesœuvres, conférences et notes. Mê·me si le Tractatus est «une som­me de graves erreurs », commel'écrit son auteur en 1945, il n'ya que transformation et progrèsdans les Investigations philoso­phiques et les recherches ulté·rieures. Selon Granger, il n'y apas là de renouvellement total;il n'y a qu'un Wittgenstein. Ainsinous pensons que, dans l'intro·duction à la traduction françaiseau Tractatus, Russell restreint leprojet de Wittgenstein quand ilconsidère que ce dernier ne s'in·téresse qu'au «langage idéal ». Enréalité, il se" préoccupe au moinsautant de la qualité logique dulangage ordinaire. Et les formessymboliques renvoient à des mul·tiplicités de symboles picturaux,sonores, photographiques, etc. Ilindique que «nous utilisons lesigne sensible (phonétique, graphi­que, etc.) de la proposition entant que projection d'un état dechose possible ». Wittgenstein per­çoit clairement que la significa.tion est toujours en marge, encavale. Il est des mots que nousne pouvons redoubler sans pas­ser par-delà le grand miroir 10'gique. Ainsi de la signification, lenominatif m'échappe à jamais.Dieu perdu, la cathédrale méta­physique lézardée, il ne saurait yavoir de nominatif absolu. Plusde Serrurier de la signification;celle-ci renvoie toujours à sonusage. Nous lisons dans les Inves·tigations philosophiques, 560:«la signification du mot est cequ'explique l'explication de la si·gnification ». Elle est alors extra­linguistique, elle renvoie à la dé­signation, au sens de Benveniste.On lit aussi, dans le Tracta tus,5.6.2.: «Ce que le solipsisme en·tend est parfaitement juste. saufque cela ne peut se dire, mais semontre. »

Si cette quête du Graal philoso­phique permet aux questions dé·nuées de sens de «s'évanouir »,les pseudo-problèmes ne se résou­dront pas mais se dissoudront. Ar­rivés en un point inaccessible dela «sagesse », nous saurons leslimites de la séduction grammati.cale et, comme le dit encore leTractacus, «ce dont on ne pourraparler, il faudra le taire ».

Christian Descamps

La Q.!!inzaine I.ittéraire, du 15 au 30 juin 1970 19

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ECONOMIE

POLIT IQ.UEMarxisme et droit

1Eugène B. Pasukanill· .La théorie généraledu. droit et le marxismeTrad. de J.·M. BrohillE.D.I. éd.. 173 p.

Bolchevik dès 1912, etconsidéré comme le plusbrillant juriste de la Rus­sie révolutionnaire, théoriciensurtout du dépérissement del'Etat, Eugène Pasukanis dis­paraît en 1937. Son œuvreprincipale, la Théorie géné­rale du droit et le marxisme(1924) vient enfin d'être tra­duite en français.

On ne saurait trop féliciter leséditeurs de reprendre i('j - «enguise d'introduction» - le grandarticle que Korsch avait consacréjadis à la traduction allemandedu livre de Pasukanis. Publié en1924, la Théorie générale du droitet le marxisme appartient l'ansaucun doute à la même constel­lation théorique que deux grandstextes que l'Internationale Com­muniste a condamnés l'année pré­cédente: Marxisme et philoso­phie, du même Korsch, et His­toire et conscience de classe, deLuHcs.

C'est en effet le concept Cl'l'cn­tiel du livre de Lukacs, celui deréification 'ou de «fétichisme dela marchandise »), qui ('st au cen­tre de ranalyse de Pasukanil'.Tout comme l'idéologie ou lafausse conscience, le droit ­comme forme - n'est que l'expres­sion fétichisée, réifiée, de la for­mation sociale qui a sa clé danscette catégorie première qu'est lavaleur ou la forme de la mar·chandise. Aussi bien, si la. réifi­cation constitue le moment cen­tral de l'idéologie ou d~ la fausseconscience, «le fétichisme de lamarchandise est complété par lefétichisme juridique ». Et davan­tage: l'explique.

«Les marchandises. dit en ef­fet Marx, ne peuvent point allerelle,s-mêmes au marché ni ,~'échan­ger elles-mêmes (mtre elles. Ilnous faut donc tourner nos re­gards vers leurs gardiens et con­ducteurs ... » D'où la nécessité, etici intervient le droit, de mettrt"un ordre en cette sphère où l'hom­me se définit comme portenr demarchandises, vendeur ou ache­teur, et, à ~e seul titre, comme

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sujet. «Pour rordre juridique,constate Pasukanis, la «fin ensoi» n'est que la circulation desmarchandises. »

Qu'on n'imagine point, pour­tant, une tentative de type socio­logique: tout comme le Capital,l'ouvrage de Pasukanis ne seveut que critique. Sans doutes'agit.il ausl'i de ramener le droità ses racines réelles, à la sociétéde la marchandise, mais plus en·core· de rendre compte de la for­me spécifique et combien tenace,de la «fantasmagorie» (commedit Marx), qui s'édifie sur cesbases réelles. II ne suffit pas, au­trement dit, de démasquer le« contenu de classe» du droit oude réduire la «superstructure ju­ridique» à 1'« infrastructure éco­nomique» (car, dans ce cas, pour·quoi le droit? pourquoi l'idéo­logie ?), mais il faut l'urtoutexpliquer la forme juridique elle·même ou le droit comme forme,bref ce moment «irrationnel,mystificateur et absurde» quiconstitue le «moment spécifique­ment juridique ».

Mettre à jour ce moment irra­tionnel, ces «contradictions» dudroit, chose facile : la lecture des« contradictions économiques» està la portée d'un Proudhon... Maisencore faut-il rendre compte dela rationalité de ces irrationali·tés: le droit n'est pas seulement(ou accidentellement) irrationnel;il ne peut être qu'absurde ­absurde parce que nécessaire. Sil'application de la loi de la va·leur, la réalisation de la valeurcristallisée dans la marchandise,exige en effet ce détour par ledroit, la constitution de cettesphère juridique qui se veut auto­nome jusqu'à s'hypostasier, nefait que recréer, en l'assumant, lemouvement de cette marchandisequi poursuit parmi les hommes,en se les soumettant, son exis­tence autonome et fantomatiqued'unique «personne» libre. Ledroit, si l'on préfère, garantit lavente de ]a marchandise, mais decelle-ci, tout comme l'idéologie, ilreçoit forme.

Mais si l'analyse de Pasukanisapparaît révolutionnaire, c'estsurtout dans ses conséqu~nces ­lesquelles vont bien au-delà, parexemple, des conclusions de Lu­kacs. En effet: droit et Etat nesauraient plus être rattaChf,8 -oufléduits, comme c'était l(' ra!'

chez Engels, de la propriété pri­vée, mais de la marchandise;l'Etat est forme d'une forme, for­me de la marchandise et non dela propriété privée, laquelle, dece fait, n'apparaît plus à son tourque comme forme, superstructure- la clé ultime du capitalismerestant la marchandise, la loi dela valeur.

Rien d'étonnant donc si, toutau long de l'ouvrage, et commeen filigrane, s'ébauche une théo­rie du dépérissement de l'Etat:Etat voué à dépérir pour autantqu'est abolie la marchandise (etnon, comme on l'avait cru, laseule propriété privée), pour au-

INFORMATIONS

Psychologie, sociologieDans la collection • Question d'ac­

tualité" de Calmann-Lévy, le sociolo­gue Alfred Sauvy analyse la Révoltedes jeunes qui lui apparaît comme• un mouvement profond". prévisibleet d'ailleurs prévu dont il s'efforcede définir, ainsi qu'il avait entreprisde le faire. dès 1959, dans la Montéedes jeunes, les causes démographi­ques, biologiques, économiques etsociales, Signalons que chez Denoëlparaîtra un essai sur le même thè­me: Ces salauds de jeunes, par AI·bert Sigusse.

Aux éditions Payot, paraît un ou­vrage de Charles Socardies: l'Homo­sexualité, étude approfondie, par unpsychanalyste freudien. de j'homo­sexualité masculine et féminine. Chezle même éditeur. S. H. Foulkes, pré­sident de la • Group-Analytic Society "de Londres, publie avec Psychothé­rapie et analyse de groupe, le bilande vingt-cinq années consacrées à laformulation et la mise au point d'unetechnique qui conjugue l'analyse freu­dienne orthodoxe et les méthodes degroupe,

Chez Albin Michel, Yves-Guy Bergèsprésente un reportage Illustré en cou­leurs sur une famille indienne d'Ama­zonie, vivant en dehors de la civili­sation: la Lune est en Amazonie.

HistoireDans la collection • Les grandes

civilisations", Albert Soboul étudiela Civilisation de l'ancien régime et,notamment, de ses divers milieux ·so­ciaux, dans un ouvrage abondammentillustré, tandis que dans la nouvellecollection • Histoire de France" de··Denoël, paraît un deuxième volumeconsacré à Napoléon et complété palune chronologie des événements ain·si que par un dictionnaire des hom­mes et des institutions sous l'Empire.

tant. que cesse de fonctionner laloi de la valeur. Et (~'est ici, bienentendu, que, contemporain deLukacs, Pasukanis l'est davantagede Korsch, homme, comme lui,de cette crise théorique de 1923qui voit poser - et interdire ­le double problème de la survi·vance ou du dépérissement de laphilosophie et du droit au lende­main de la révolution... Philoso­phie et droit, tous deux le com­prennent ensemble, ne disparaî.tront qu'avec l'Etat. Et celui.ci,qu'avec la marchandise, avec laloi de la valeuT.

Robert Paris

Politiques, documentsDans la collection • Perspectives de

l'économique" où Jean Parent ana­lyse le Modèle suédois, s'attachant &poser le problème de la permanenced'un système politique et économiquefondé sur un équilibre de puissance,Hubert Brochier nous propose une mi·se à jour de son ouvrage paru en1965: le Miracle économique Japo­nais (1950-1970) et démontre qu'endépit de tensions nouvelles et decontradictions qui ont surgi à la suited'un rythme de croissance prodigieux.le Japon peut espérer gagner la corn·pétition économique et relever ledéfi que sa planification décrit pourles années 1970.

Dans la collection • Philosophes detous les temps" de Seghers. HenriArvon, professeur à la Faculté desLettres et Sciences Humaines deClermont-Ferrand, publie l'un des trèsrares livres nouveaux édités en Fran­ce à l'occasion du centième anniver­saire de la naissance de Lénine. Ils'y attache avant tout à l'aspect phi­losophique de l'œuvre et de l'actiondu fondateur de l'Etat soviétique etdémontre, à partir de Matérialisme etEmpiriocriticisme (1909). comment unedoctrine qui, d'un point de vue stric­tement dogmatique, peut apparaîtreparfois comme une faiblesse. se ré­vèle en fin de compte comme la ma·nifestation d'une suprême habiletétactique,

Autres titres: Lettres de l'intérieurdu parti communiste italien, qui groupela correspondance avec Althusser del'envoyé spétial à Paris du journal• L'Unita", Macchiochi (Maspero):Un observateur à Moscou, par X....analyse de la naissance d'un néo-so­cialisme en U.R.S.S. rédigée à partirde trois articles parus en juillet 1969dans le • Sunday Times" (Seuil) ; Un­wanted journey in Siberia (Gallimard.titre provisoire) par Andrei Amalrik.

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Grèves

1Georges LefrancGrèves ~hieret ~aujour~huiAubier-Montaigne, 302 p.

Suscité par une actual itésociale dont la densité attes­te la vitalité de la grève, lepetit livre de Georges Le­franc vient à point. Alerte, do­cumenté, sans érudition fasti­dieuse, semé de remarquessuggérées par une longue fa­miliarité avec ces sujets, ilalimentera la réflexion detous ceux qui, par métier, pra­tique ou curiosité, s'intéres­sent aux mouvements so­ciaux. Il se présente commeun triptyque équilibré: deuxvolets descriptifs: grèvesd'hier (de 1869 à 1926) ; grè­ves d'aujourd'hui (de 1945 àmai 1968) ; un troisième, plussynthétique et comparatif. sur" les problèmes actuels de lagrève -.

La méthode de l'auteur estcelle des cas : montrer la variétédes types de grève selon les finspoursuivies, les styles de lutte,les métiers engagés, les temps etles lieux, par des monographiesbi~n choisies: vingt-quatre entout, que passé et présent se par­tagent équitablement. La Franceconserve la part du lion (9) ; en­suitè viennent les U.S.A. (5), laBelgique (4: grèves pour le suf­frage universel au début, du siè­Cle, et conflit de 1960-61), l'Alle­magne (2: grève politique demars 1920 et corporative deschantiers navals du Slesvig-Hols­tein, 1956-57), puis, à égalité (1)Angleterre (mai 1926), Italie (mé­tallurgistes, 1920), Suisse (12-14novembre 1918), Tchécoslovaquie(février 1948: l'auteur soulignele rôle de l'action syndicale dansle «coup de Prague»). La grèveici décrite appartient aux sociétésindustrielles de l'aire occiden­tale. Elle privilégie les profes­sions-clefs d'autrefois (mineurs:six cas; mais le textile, ou lebâtiment, comptaient autant), oud'aujourd'hui (métallurgistes: 5;cheminots: 3), les autres coali­tions, de dimensions générales,étant multiprofessionnelles.

Assurément, il ne s'agit pasd'un échantillonnage rigoureuxqui puisse garantir la représen-

tativité des choix. Les grèves re­tenues ont toutes quelque chosede remarquable, de spectaculaire,d'exceptionnel, notamment parleur portée politique, qui les élè­ve au-dessus du. quotidien. Evé­nements au sens le plus provo'cantdu terme, elles ne sauraient ren­dre compte du «train-train. deconflits qui forme la structure dumouvement revendicatiE. Maisl'auteur n'a pas de visée sociolo­gique, dont, au reste, il se méfiequelque peu: «Il n'est pas cer­tain », lit-on dans le prière d'in­sérer, «que le point de vue juri­dique et le point de vue sociolo­gique soient le meilleur pour ren­dre compte de la complexité desfaits ». Peut-être; mais pas da­vantage, me semble-t-il, une his­toire qui se bornerait à exposerune collection de tableaux, si co­lorés fussent-ils.

Du moins, ont-ils le mérite dela vie. Le film de la grève, tou­jours recommencée, identique ettoujours différente, déroule sesséquences dramatiques. D'abord,la violence des grèves sauvages,ces «rebelles» de mineurs quicommencent dans la joie d'un loi­sir retrouvé et qui finissent dansle sang, durement réprimées ; lestreize fusillés de la Ricamarie(1869), un des modèles de Germi­nal, ont pourtant soulevé moinsd'émotion que la défenestration,par les houilleurs de Decazeville(1886), de Watrin, ce «maudit in-

gemeur atroce., signe d'une so­ciété plus avare de vies bourgeoi­ses que d'existences ouvrières.Puis, les mouvements s'amplifiant,se lève l'espoir quasi messianique,pétri d'attente fervente et nonviolente, de la grève générale ­cette philosophie du syndicalismerévolutionnaire - qui «sera laRévolution ». Nul doute que lesdébuts du xxe siècle n'aient étéune grande époque d'espérancerévolutionnaire, traversée des fris­sons de la peur des possédants. Etquelle maturité dans certainesexpériences, comme celle des mé­tallurgistes italiens (1920), orga­nisée en «commissions d'usine »,occupant les entreprises et s'effor­çant de les gérer.

Mais les «vagues d'assaut» dela première après-guerre, toutesgonflées par la houle de la Révo­lution russe, viennent mourir aupied de la citadelle capitaliste,toujours debout, et bientôt ren­flouée par le fascisme. L'échec deces tentatives, la division du tra­vail qui s'instaure, avec la forma­tion des partis communistes, en­tre syndicats-revendicatifs et par­tis-révolutionnaires, réduit la grè­ve à un rôle second, moyen depression, parmi d'autres, auxmains de syndicats puissants, maisdivisés, de plus en plus soucieuxd'économiser leurs forces et deménager une opinion capricieuse.Aux vastes engagements de jadis,ils préfèrent la guérilla méthodi-

quement contrôlée: d'où la pré­dilection, surtout depuis quinzeans en France, pour des formeslimitées dans le temps et l'espa­ce: grèves perlées, d'avertisse­ment, tournantes, débrayages et,plus récemment, grèves bouchon,« thrombose », tandis que pré­vaut la notion de secteur-clef.C'est le triomphe de la grève ra­tionnelle, efficace, sans doutemoins exaltante, où la commu­nion des hommes compte moinsque l'effet sur les choses.

Mais, de temps à autre, dé­jouant toutes les prévisions, degrands sursauts, souvent neufs enleurs éléments, rappellent les grè­ves de jadis par l'élan retrouvé.«Dans un monde que pouvoirspublics, technocrates, dirigeants~entreprises et dirigeants syndi­calistes essaient a:organiser cha­cun à sa manière, (la grève) resteun élément de spontanéité », con­clut Georges Lefranc. Elle satis­fait un irrépressible besoin de lu­disme; «elle traduit la révoltede l'homme tel qu'il est, ... con.treles schémas et aliénations de tou­te nature ».

Michelle Perrot

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La Q!!inzainé Littéraire, du 15 au JO juin 1970 21

Page 22: Quinzaine littéraire 97 juin 1970

ENTRETIEN

Pierre Naville ••

La littérature sur l'U.R.S.S.est immense. Mais les ouvra­ges traitant des fondementsde son régime ne foisonnentpas. Les hommes politiques,les militants ouvriers, le pu-blic, s'intéressent à la con­joncture, aux bas et hauts desa production, de sa straté­gie, de ses déploiementsscientifiques, de sa démocra­tie interne, de ses mécanis­mes répressifs, des conflitsdu dehors et du dedans. Peud'analystes sérieux se sontsouciés de caractériser l'es­sence de son régime, de cher­cher la racine du ft modèle»qu'il représente. Pierre Na­ville a tenté cette entreprisedans un ouvrage étendu qu'ilappelle le Nouveau Léviathan.

Le premier volume, paru il ya quelques années, présentaitles idées fondamentales deMarx et d'Engels sur la « ge­nèse de la sociologie du tra­vail", instruments d'analysedu no u v eau «Socialismed'Etat". Dans les volumes 2et 3, qui viennent de paraître,il aborde les structures pro­fondes de ce socialisme defer, et tente d'en percevoirl'évolution possible. Nous luiavons demandé de préciser lesens de cette entreprise (1).

J. P. Le titre de cet ouvrage,le Salaire socialiste, pose unproblème, mais pourquoi?

P. N. Mais pourquoi pas? Ilfaut d'abord choisir un point dedépart. C'est une question deméthode. Il est frappant deconstater que personne n'estétonné de trouver le salariatcomme essence du régime ca­pitaliste, et pas plus étonné dele voir évoquer dans les paysde socialisme d'Etat - maispour des raisons opposées: Ici,nous sommes tous - ou pres­que tous - des salariés. Obte­nir un meilleur salaire, c'est lapréoccupation de tous. Là-bas,tout le monde est salarié. maisdans un autre contexte: il n'ya plus de bourgeoisie, de capi­talistes privés, au sens écono-

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mique. Partout, il faut vendresa capacité de travail. Alors,dans quelles conditions. pourquelles raisons, s'il s'agit d'unrégime qui se fixe comme ob­jectif l'abolition du salariat?

La première chose à faire,c'est donc de se demander s'ily a une communauté de problè­me entre ce qu'on appelle les« deux mondes », qui d'ailleursse prétendent chacun des sys­tèmes mondiaux. Sur ce point,on ne peut qu'être frappé de lacourte vue des critiques du ca­pitalisme contemporain: leursanalyses théoriques s'arrêtentaux frontière,s de l'U.R.S.S. oude la Chine, comme si des con­tradictions fondamentales ou se­condaires ne supposaient pas unmode quelconque d'unité géné­rale du système, c'est-à-dire desa mécanique comme de' sescrises. On dirait qu'en Europeon peut être critique du capita­lisme sans être critique du so­cialisme d'Etat, celui du modèlerusse' ou même chinois. EnU.R.S.S., être critique du socia­lisme d'Etat, c'est à fortiori s'at­taquer au capitalisme. Pour com­prendre cette situation, il fautcommencer par la racine: l'exis­tence du salariat, et les formesde produc.tion de plus-value etde profit qu'ils impliquent ici etlà, avec toutes sortes de for­mes mixtes et de combinaisons,notamment dans le tiers monde.

J. P. Vous ne pensez doncpas que les deux critiques doi­vent être faites séparément. Etvous ne pensez pas non plusqu'il s'agit avant tout d'une cri­tique pol itique ?

P. N. Il s'agit, bien entenduaussi, d'une critique politique.J'en ferai le bilan dans un pro­chain volume consacré à la Bu­reaucratie et la révolution. Maisil faut d'abord savoir quellessortes de contradictions écono­miques et sociales supporte lalutte politique. Ces contradic­tions ne peuvent être ;>imple­ment imputées aux relationsclassiques du salariat et du ca­pitalisme. Ce que je me suisprécisément efforcé de faire,c'est de procéder à une analysecritique des fondements du sa­lariat dans le socialisme d'Etat.On les trouve dans le systèmeque j'appelle cc l'exploitation mu·'

tuelle ", et qui exige la domina­tion arbitrale de la bureaucratie.C'est pourquoi la lutte pour'l'abolition de ce mode d'exploi­tation vise en même tempsl'abolition, ou la dissolution, desrapports de salariat, et du mê­me coup une lutte sans mercicontre la bureaucratie omnipo­tente qui entretient le système.

La critique prend alors sonpoint de départ en niant cetaxiome stalinien (et non mar­xiste) : le peuple ne peut pass'exploiter lui-même. Ce genred'exploitation s'engendre à par­tir de la disparition d'une classecapitaliste et de sa 'substitutionpar une bureaucratie d'Etatdont l'ossature est le parti.C'est un socialisme croupion.

J. P. Dans ces conditions, lestendances ft réformistes» quel'on croit de temps en tempsobserver en U.R.S.S., ou la se­conde révolution en Chine, nevous paraissent pas primordia­les pour retrouver la voie dusocialisme tout court?

P. N. Non. Leur importanceest pour le moment purementsymptômatique. l"'I>ute réformeest l'indice d'une crise, de lapossibilité momentanée d'atté­nuer des contradictions, brefd'éviter des mouvements révo­lutionnaires. Elle peut avoir sesbénéficiaires temporaires, maiselle est incapable de dénouerle conflit dans son ressort fon­damental. Mao a parlé descc contradictions au' sein du peu·pie» qui subsistent dans desr a p p 0 r t s socialistes d'Etat.D'ailleurs, Jdanov et Staline enparlaient aussi. Mais le fait queces contradictions n'opposentpas un prolétariat salarié à uneclasse et un Etat capitalistesn'enlève rien à leur gravité età leur caractère exp los i f.L'U.R.S.S. est en ébullition toutautant que d'autres pays del'Est et la Chine, tout autant queles pays capitalistes et le tiersmonde. Il y a à cela des causesfondamentales, qui résidentdans la structure même du ré-,gime, au point de vue économi­que et social. C'est ce que j'aiessayé de montrer. Les cc réfor­mes » ont d'ailleurs dans le mo­dèle russe un double caractère :elles pallient certains défauts du

système, qui entraînent sa fai­ble productivité relative, et ellesen révèlent de plus inquiétants,qui le mettent en cause dansson principe. On parle souventà ce sujet de sociétés cc de tran­sition ». Mais cela n'a guère desens. La notion de transitionn'est vraiment significative _qul! .si l'objectif est clairement fixéet recherché. Or, parler de tran­sition vers la construction ducommunisme dans l'état actueldes choses, c'est se réfugieren pleine mythologie, vivre dansune aliénation sémantique. Nousassistons à autre chose, à descrises en chaîne du système, àdes explosions, que la bureau­cratie a de plus en plus de pei­ne à maîtriser, d'autant plusqu'elles ne résultent pas seule­ment de contradictions internes,mais aussi externes. En fait detransition, l'U.R.S.S. ne sait plustrès bien si son principal adver­saire potentiel est la Chine oules U.S.A. Les contradictionspropres au capitalisme modernesont d'ailleurs en train de rejoin­dre celles qui secouent les so­cialismes d'Etat, mais par uneautre voie.

J. P. Vous ne çroyez doncpas, en fonction de vos analy­ses, qu'on puisse escompterune sorte de convergence d'évo­lutions démocratiques, assortiesd'une modernisation osmotiquedes systèmes économiques etd'un état de paix durable, de lapart des pays capitalistes et dessocialismes d'Etat?

P. N. Convergence de systè­mes organiques, -évoluant dansdes sens qui se rejoignent, non.Mais convergence des crises etdes contradictions, certaine­ment. Malgré l'apparence, letemps du rideau de fer et dumur de Berlin est passé. Maisce n'est pas par suite des pro­grès de ce qu'on appelle lacoexistence p a c i f i que, deséchanges commerciaux ou despolitesses culturelles. On peuttoujours envoyer chez l'autredes ambassadeurs littéraires etles boucler chez soi. Ce quicrée une convergence, c'estl'écho que les luttes à Pragueou à Moscou ont à Paris, àWashington ou à Tokyo, et vice­ver:sa. Ce genre de communica­tion est nouveau, et très révé­lateur. Les salariés, les jeunes,

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Q!!'est-ce que l'U.R.S.S. ?

La ~iDz.iDéLittéraire, du 15 au JO juin 1970

les étudiants, les savants sonten train de retrouver une soli­darité internationale perdue. Lesformes de l'oppression qu'ilssubissent, de l'exploitation à la­quelle ils restent astreints, peu­vent différer, voire s'opposer en­tre elles. Il n'en reste pas moinsque ces formes commencent àtrouver des expressions commu­nes, par exemple celles de l'au­togestion.

J. P. En somme, le Salairesocialiste s'attache à dévoilerun fétichisme nouveau, celui dutravail, et vous lui trouvez dansle socialisme d'Etat une expres­sion encore plus grave que dansle capitalisme?

P. N. Le fait est que le ré­gime de l'exploitation mutuellecomporte une forme de féti­chisme du travail qui débordecelui de la marchandise, carac­téristique des relations de mar­ché capitaliste. Le marché pla­nifié transfère aux relations detravail ce qui appartenait d'abordaux relations marchandes. Cefétichisme s'exprime dans la lit­térature soviétique officielle defaçon beaucoup plus fruste,plus radicale, que celui que labourgeoisie a répandu en Occi­dent autour de ses produits.Les linguistes qui attachent àjuste titre tant d'importance auxcc mythes» des relations bour­geoises, devraient bien s'inté­resser aux cc mythes» qui fleu­rissent en U.R.S.S. sur le voca­bulaire du travail. On s'aperçoitd'autant mieux de leur significa­tion qu'existe maintenant là-basune littérature clandestine ousemi-tolérée qui décape le voca­bulaire en restituant les faits,qui critique le système en exi­geant l'exposé des relationsréelles. Les livres de Soljenit­syne, par exemple, sont écritsdans le style le plus simple,mais leur texte constitue parlui-même une critique socialebeaucoup plus puissante queles textes alambiqués qui pré­tendent en Occident faire la ré­volution à coups de sémiolo­gismes abstrus.

Propos recueillis par J. P.(1) Le nouveau Léviathan, 2 et 3.

Le salaire socialiste. l, Les rapportsde production; Il, L'histoire modernedes théories de la valeur et de laplus·value. Deux volumes de 584 et493 pages. Editions Anthropos, 35 Fchaque volume.

Genrikh Yagodachef du N.K. V.D. 1934-1936

1Robert ConquestLa Grande TerreurLes purges staliniennes desannees trenteStock éd., 582 p.

Quel prix ont coûté, envies humaines, les grandesépurations soviétiques desannées 1937-38? On discuteà coups de millions: six? ousept? De cette peste de l'anmil, le communisme soviéti­que connait parfois des sé­quelles, des rechutes (voirles réactions à c< l'Aveu .. deLondon, voir Amalrik, arrêtévoici peu, voir Daniel, Si­niavski, voir les soi-disantpsychotiques des cliniquespsychiatriques d'U.R.S.S.).

La répression a changé de vi­sage: on ne déporte plus, parwagons, par villages. On peut en·core «remettre un peuple dansla voie du socialisme» : on remetsur «les rails de l'histoire» laTchécoslovaquie. Dés~rmais, lesaccidents sont plus personnels.

Les années 37-38 gardent lenom du chef de la police poli.tique: on dit la «yéjovtchina »,le temps-de-Yéjov... lui-même pé.rira, comme son prédécesseurYagoda, comme son successeurBéria. De cette époque, Pasternakécrivait: « ... il faudrait trouverdes mots capables de vous empoi­g~r le cœur et de vous fairedresser les cheveux sur la tête >et il ajoute, note tragique: « ... laguerre est venue comme u~ bouf­fée d'air frais >. La guerre? 20

Nilo/aï Yejoychef du N.K. V.D. 1936-1939

millions de morts, mais au moinsse battait-on à visage découvert,contre un ennemi clairement dési­gné, un envahisseur.

Robert Conquest, faute de trou·ver les mots, a trouvé les faits.Son livre nous «empoigne lecœur », non par l'art, mais parle vécu. Nous connaissions lesprocès de Moscou, les assises cau­chemardesques où les compa­gnons de Lénine se déclaraientespions, saboteurs, vendus auxservices secrets des Etats bour­geois depuis leur jeunesse... Nousn'avions p.as encore évalué, sentile poids du temps-de-Yéjov surl'ensemble de la population, lenombre des disgrâces, arrestations,déportations, disparitions. Pourchaque communiste suspecté,Conquest compte 8 à 10 «ci­toyens ordinaires » persécutés. EnUkraine, en deux ans, les deux·tiers des responsables régionauxet un tiers des responsables duparti ont été remplacés: 1 600nouveaux en 1938, parmi lesquelsBrejnev et Kirilenko. C'est alorsque Khrouchtchev devient pre­mier secrétaire: il lui faut cinqmois pour former un gouverne·ment en Ukraine; personnen'était «sûr ». En Géorgie etTranscaucasie, 4 238 fonctionnai­res ont pris la place des éliminés,et autant à peu ,près en Arménie.Chaque suspect, ou même chaquegratte-papier écarté entrainait sonentourage dans sa .chute. Femmeset enfants, mais' aussi amis etcompagnons de travail de tout« ennemi du peuple> trem-

~

nouveautés du moisROMANSSIMONE DE BEAUVOIRUne mort très douceGEORGES BLONDL'épopée silencieuse

PEARL BUCKTerre coréenneCARLO CASSOLALa ragazza

J.M.G. LE CLl~ZIOLe procès-verbal

LUISA-MARIA LlNAR~SL'autre femme

CHRISTIANE ROCHEFORTLes stances à Sophie

FRANÇOISE SAGANLa chamadeGEORGES SIMENONL'affaire Saint-FiacreLes fiançailles de M. HireLa maison du canalLe fou de BergeracLa tête d'un hommeL'ombre chinoiseERNST WIECHERTLa servante du passeur

MICHEL Z~VACOLe fils de PardaillanLe trésor de FaustaLa fin de PardaillanLa fin de Fausta

CLASSIQUESBALZACLes employés

CHR~TIENDE TROYESRomans de la Table RondeLe cycle aventureux

HISTORIQUE (illustré)GILBERT GUILLEMINAULTLa France de Vincent Auriol

PRATIQUESROGER LA FERTÉet MARTIAL REMONDON100 jeux et problèmes

JACQUES DONVEZMéthode 90: espagnol

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Page 24: Quinzaine littéraire 97 juin 1970

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19, rue Jacob. Parl,s 6­

C.C.P. Paris 1154051·ESPRIT

nue résolution, devenue obliga­toire pour chacun. Mais ceux qui,dans la phase de discussion,avaient marqué leur désaccord,restent suspects. Si bien que ladiscussion, au lieu de servir àélaborer une décision, sert sim­plement à «dévoiler les enne­mis ». Parce' que le pouvoir réeln'appartient qu'à des organismesde direction :soigneusement coop­tés. Parce que le vent d'aucuneopposition ne peut aérer les sphè­res confinées où s'élabore la réso­lution finale.

Robert Conquest confond socia­lisme avec barbarie sanguinaireet n'imagine pas les, révolution­naires autrement que comme des« gangsters» réglant leurs comp­tes. A cette réserve près, son livre,admirablèment documenté, est in­dispensable pour comprendrecomment s'est opérée la contre·révolution stalinienne.

Dominique Desanti

L'obligationdu célibat

Les jUI~ticiableset la justice

Procès à Prague

L'année 1968

Entretien avec A. Bed nar

Anthologie poétique

.'

LA

-TCHÉCOSLOVAQUIE·PLAIE ',OUVERTE

ESPRIT·

ver sa tête. Nous connaissons lesruses de Staline et des siens, fai­sant miroiter aux compagnons deLénine qu'ils auraient la vie sau­ve en avouant, en dénonçant.Conquest explique la grande ter·reur par la logique paranoïaquede Staline, dictateur méfiant, parles provocations des chefs duN.K.V.D. qui inventaient descomplots pour se rendre indispen.sables, pour se sauver: à l'inté­rieur du N.K.V.D. aussi, la miseà mort devenait un accident dutravail de plus en plus fréquent.En deux ans, Staline apostilla383 listes dont chacune envoyaitdes milliers d'hommes à la mortou dans les camps : une liste tousles deux jours, en moyenne. Etles communistes étrangers, ceuxqui s'étaient réfugiés dans «lapatrie du socialisme », ne sontpas davantage épargnés. Ce sontdes comités centraux entiers, com­me celui du parti polonais, quisont envoyés à la mort. Les com­munistes allemands sont remis àHitler.

Staline, le N.K.V.D. suffisent-ilsà tout expliquer? 'Le chef duparti ne s'occupait pas des obscurs,dans les républiques lointaines.Pourtant, ceux-là aussi périssaient.Mieux : une fois fini le temps-de­Yéjov, une fois terminées les hor­reUl'S de la guerre, on voit renaî­tre la suspicion, les arrestations,les dénonciations. Les méthodesmêmes des procès «yéjoviens«sont employées dans les démocra­ties populaires. Et, Staline dis­paru, s'il n'y a plus de déporta­tions massives, le «regel» suitchaque «dégel ».

Conquest ne fait pas la syn­thèse, mais elle ressort de sa fres­que de 520 pages qui démonteles mécanismes de l'horreur col­lective organisée. Le centralisme,toujours et partout, «mange» ladémocratie. Usine, entreprise, vil­le, républiquè, état central, mou­vement communiste mondial,dans toute unité il y a un «cen­tre» dépositaire de la vérité.Même si cette vérité n'est faiteque des directives d'un centreplus important. Ainsi, de procheen proche, le monolithisme exige,non plus la « discipline librementconsentie », mais la soumission to­tale. En principe, toute décisionest discutée par la base et monte,de proche en proche, jusqu'ausommet, puis en redescend. deve-

Lavrenti Beriachef du N.K. V.D. à partir de 1938

que, la constante angoisse. Cha­cun pouvait, très logiquement,s'attendre à être arrêté. Commentne tomber dans aucune des caté­gories considérées comme suspec­tes par le N.K.V.D.? Avoir desrelations avec l'étranger (quel­qu'un qui vous écrit d'au-delà desfrontières, par exemple), êtremembre d'une secte religieuse,avoir été «rebelle », c'est-à-direavoir pris part à des manifesta­tions, même au début de la révo­lution, suffisait à vous classerparmi les anti-soviétiques. Deplt.~s, tout intellectuel était un re-'belle latent. Isaac Babel résu­mait; '« Aujourd'hui, un hommene parle librement à sa femmeque la tête sous les couvertures.Nul n'osait plus faire part à sesamis de son scepticisme en ce quiconcerne la vérité officelle. » IIyaEhrenburg, retour d'Espagne, neretrouve plus ceux qu'il va voir,Aux «Izvestia », les portes deschefs de rubrique ne portent plusde noms. La réceptionniste luiexplique: «Ceux qui sont ici au­jourd'hui n'y seront plus de­main. »

Effroyable épopée que retracele livre de Conquest. Il accable,mais il explique peu. Nous con­naissons les raisons invoquéespour rendre compte des fauxaveux, des confessions imaginai­res faites par de vieux bolche­viks, des héros de la révolution :accablement, désespoir, dévoue­ment à la cause devenu foi mvsti­que, et parfois aussi l'effet d~ latorture, et parfois l'espoir de sau·

blaient... l'épouse perdait son ga­gne-pain, les enfants étaient leplus souvent exclus de l'umver­sité.

Point n'était nécessaire de s'oc­cuper de politique, ni mêmed'avoir jamais émis une idée pourêtre suspect. Il y avait le sabo­tage. L'expression évoque unpaysan furieux lançant son sabotcontee une machine. De toutesparts surgissaient des «saboteursnippo-trotskystes » (il était enten­du que Trotsky avait partie liée,entre autres, avec les Japonais).« La définition officielle du sabo­tage fut élargie et les pénalitésprévues pour les saboteurs renfor­cées. Le 26 novembre 1936, Vy­chinsky ordonna que, dans lecourant du mois suivant, tous lesdélits criminels se rapportant àdes incendies, des accidents, à lafabrication de matériel défectueuxsoient réexaminés en vue de dé­montrer l'existence d'une vasteorganisation contre· révolution­naire. » Or, dans l'immense pays,industrialisé au milieu d'une mi­sère totale, où la plupart des ou­vriers venaient de quitter des vil­lages primitifs, l'inexpérience etla hâte contraignaient presque àla maHaçon. Obligés de remplirdes normes, sous peine de lour­des punitions, contremaîtres etingénieurs négligeaient les rè/!;lesde la sécurité. Cependant tout,dans les mines et les usines, deve­nait «sabotage» et les procèsflambaient. Le physicien Weiss­berg raconte qu'après le «suici­de » (très suspect, et qui pourraitavoir été un meurtre) d'Ordjoni­kizé, intime de Staline et grand­maître de l'industrie, son neveu,promoteur de l'expansion, avaitété arrêté... ainsi que tous les di­recteurs des grandes fonderies.«Quelques mois plus tard, leurssuccesseurs furent arrêtés euxa·ussi. Ce ne fut que la troisièmeou la quatrième fournée qui réus­sit à se maintenir. Ainsi, l'indus­trie de la fonderie fut dirigée pardes hommes trop jeunes et inexpé­rimentés... Ils avaient courbél'échine chaque fois qu'ils s'étaienttrouvés en présence d'un supé­rieur. Ils étaient, moralement etintellectuellement, des infirmes.»

Verdict atroce, valable pourtous ou presque tous ceux qui ontaccédé aux responsabilités àl'époque de Yéjov. Des récitsnous rendent la tension de l'épo-

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LETTRE

DES ETATS.UNISPlus de Noir que de Nu

A New York, il y a sur scè­ne encore plus de noir quede nu et le problème racialemplit autant de salles quela politique et la sexualité.Partout: de Broadway àGreenwich village et au Lo­wer East Side, quartier pau­vre... partout, sauf à Harlem.Quarante pour cent des théâ­tres « jouent noir ». Mais dansle quartier des Noirs, pas unthéâtre. Le seul qu'il y ait eu,le New Lafayette Theater, amystérieusement flambé. Lesmilitants noirs extrémistespuisent dans cette absencela preuve de leur thèse: tousces spectacles axés sur leproblème racial ne sontqu'une honteuse commercia­lisation.

Mais la réalité révèle que cespièces ont de 50 à 80 % despectateurs non blancs: ce pu­blic noir que l'on disait inexis­tant s'est donc constitué. Bour­geoisie de couleur, « sous-bour­geoisie »? On reconnaît aussi,dans les salles, la crinière ensoleil, « naturelle ", insigne desmilitants afro-américains.

Prenant pour centre la ques­tion raciale, ces pièces offrentun échantillonnage complet desattitudes psychologiques: de lamodération lénifiée à la vio­lence, de "hypocrisie à la co­lère. Sur un point, elles donnentraison aux extrémistes: il n'ya pas de problème noir, maisun problème des Blancs à pro·pos des Noirs. Partout, la rup­ture est définitive avec lestemps de l'essentialisme, duvernis anoblissant, du pleur dela fraternité, du lait de la ten­dresse. La bonne consciencedes dramaturges a renoncé auxfleurs métaphysiques plantéessur la condition humaine. Lenouveau théâtre garde ses dis­tances.

Le pacifisme noir à la MartinLuther King s'exprime avec di­gnité, par exemple dans le ARaisin in the sun, de LorraineHansberry. Voyez les Noirs, leurdifficulté d'être et de subsister:voyez, la misère engendre gros­sièreté et agressivité. Décorunique: un logis pauvre, uneboutique du ghetto. Une morale

de respectable petite-bourgeoi­sie exprime la nostalgie d'accé­der à la dignité, l'optimiste es­poir en des lendemains conquispar une évolution sans violence.Lorraine Hansberry- est morteen 1968. To be young; giftedand black (Etre jeune, douée etnoire) réalise un spectacle avecdes morceaux de ses pièces,son journal et ses lettres. L'en­semble est moins conventionnelque ne l'étaient ses pièces éla­borées, dont la technique et lesujet rappellent les années 30.Emouvant et de tout repos, cethéâtre cathartique ras sur econsciences blanches et cons­ciences noires.

Ceremonies in dark old men(Cérémonies dans de vieuxhommes foncés) de Lonne EI­der III laisse espérer, par sontitre fastueux, une conceptionnouvelle. Mais elle ne hante quele titre. La pièce semble écritevoici quinze ans, avec additionde plaisanteries contemporai­nes. La banalité du propos n'em­pêche pas le succès. Voici desmois que la salle du misérableLower East Side ne désemplitpas. Le seul véritable intérêt dela pièce réside dans la réunionde trois stéréotypes. D'abord lafemme - sœur et mère - qui

combat peurs, préjugés, diffi­cultés et mort avec plus de cou­rage que "homme humilié. Puis,constamment 0 p p 0 sée s, lesdeux incarnations du Noir, l'uneet l'autre poussées à l'extrême.Le .bon vieux Noir, «l'oncleTom ", rit et fait rire: voix detête, roulements d'yeux, sourire­flash; mais il reste sympathi­que et émouvant. Le mauvaisjeune Noir, jeune loup vêtu avectrop de recherche, à la décon­traction trop voulue, cache lacruauté et la violence sous unedouceur taciturne.

Depuis les années 50, le théâ­tre présente une ségrégationagressive entre mondes contra­dictoires. Le contraste fait placeà l'antagonisme. Théâtre ambigude la déchirure, de l'inconcilia­ble, il aboutit à un pessimismeoù la dignité, les qualités mora­les ne triomphent plus que rare­ment.

No place ta be somebody(Pas de place pour être quel­qu'un) annonce, dès le titre, leproblème de l'identité, de l'assi­milation. Pris dans le traque­nard de la société blanche, leNoir n'a le choix qu'entre lecynisme et l'inquiétude. Johnny,le patron de bar, incarne le cri­me: il copie les défauts de la

société blanche qui lui est pro·posée. Son ami et alter ego,Gabe Gabriel, représente laconscience, le scrupule, acteurd'un théâtre à la fois faux etvrai. La pièce commence par leréalisme. Nous voyons un café­bar, rendez-vous d'êtres en étatde crise. Puis elle glisse versl'antithéâtre: Gabriel est à lafois personnage du café et l'au­teur de la pièce qui basculedans "irréel, le rituel. Johnny,intronisé martyr de la cause noi­re, oblige Gabriel, qu'il traite depédéraste, à le tuer. Irrésolu,divisé, l'homme noir se détruit.Dans l'étrange final, Gabriel re­vient, habillé en veuve portantle deuil de sa race: cc un peu­ple qui meurt à une nouvellevie ». Ici encore, l'identité noirene peut s'établir que dans lanégation, la dégénérescence etla dégradation. Le crime d'hiers'achève en clownerie d'aujour­d'hui. C'est le négatif de la Ré­volution regénératrice.

Depuis plus d'un an - suc­cès significatif - une pièce àgrand spectacle de HowardSackler tient l'affiche sur Broad­way à bureaux fermés. Titre iro­nique: The great white hope(Le grand espoir blanc). En dix­neuf tableaux, nous voyons la

La Q!!inzainé Littéraire, du 15 au 30 juin 197025

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grandeur, la passio)1 et la lé­gende du grand boxeur· JackJefferson (dans l'histoire réelledu noble sport, il se· nommaitJohnson). Inflexible, invinciblede 1908 à 1915, il est vaincupar les brimades, l'humiliation,la lassitude. Tous les soirs, unpublic noir à 80 % rugit aux ré­pliques vengeresses contre lesBlancs. Jack Jefferson repré­sente le héros digne, généreuxet fier dont tout groupe a be­soin pour se battre. La légendedu champion et de sa maîtresseblanche, faisant scandale en Eu­rope comme aux Etats-Unis, apour contrepoint la comique etimpossible recherche du cham­pi,m blanc qui sauverait l'hon­neur blanc. La haine triomphera.Le final nous offre une proces­sion où Blancs et Noirs portentsur leurs épaules deux pauvrescorps dégoulinants de sang (enréalité, Johnson avait épousétrois femmes blanches succes­sivement). Un humour marxi­sant et anticlérical ridiculise leBlanc et réhabilite la femme,qui s'affirme par le verbe. Dou­ble réhabilitation, caractéristi­que .du théâtre noir où, souvent,les meilleures répliques appar­tiennent ·aux femmes.

Troisième attitude de l'acti­visme, la violence suscite unthéâtre du cri, théâtre des rueset de guérilla sous l'égide spiri­tuelle de Malcolm X: ses au­teurs marquants sont LeRoiJones et Ed Bulling. Brutal, grin­çant, grossier et faisant appelaux sous-privilégiés de tout, ycompris de la culture. Théâtre­m~eting.

Big lime Buck White, de Jo­seph Dohn Tuotti, est un pro­duit de Watt!?, ghetto noir deLos Angeles qui flamba en 1965.A présent, on y a créé un théâ­tre : mieux vaut jouer l'incendieque mettre le feu. Auto-satiredémystitîante, on y voit un grou­pe d'activistes bruyants et pa­resseux. Ils attendent leur chef,Buck White. Il arrivera au21· acte, quand l'atmosphèresurvoltée de cris, rires, fureur,aura porté le public à blanc.Après un discours incantatoires'engage le· dialogue avec lasalle: insultes, menaces, accu­sation de la bonne conscienceque les Blancs achètent au prixréduit de cette représentation.

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Le plus étonnant des specta­cles est Black Quartet, matchen quatre rounds écrits par qua­tre jeunes auteurs noirs. Brèvespièces de choc, percutantes,sans psychologie ni caractèresni héros, destinées aux enfantsde la TV rodés à la théâtralitépure. Dans Prayer Meeting, deB. Calwell, pendant dix minutesun pasteur prie et un voleur,caché, lui répond. Relecture desEcritures, conversion spontanée,Evangile de la violence.

lhe Warning (l'Avertisse-ment) de Ronald Milner, plusverbal, montre trois générationsde femmes noires. La· grand·mère, castratrice et cynique; lamère alcoolique et paresseuse,enfin la fille, inquiète, puis com­battante. lhe Gentleman Callerde Ed. Bulling s'inscrit dansl'optique du nouveau théâtre:ce « M.onsieur qui vous deman­de ", indifférent et muet, c'estpeut-être l'Histoire; il assisteau meurtre des patrons juifs,badigeonnés d'or et d'argent,par la servante noire.

Great Goodness of Life (lagrande beauté de la vie) de Le­Roi Jones met en accusation les« oncle Tom" : passivité, accep­tation sont des participants aucrime. Pour se disculper devantla société blanche, Uncle Tomfinit par tirer sur un militant quiest à la fois Malcolm X, Lumum­ba et son propre fils. Théâtra­lité absolue, compréhensiblepar le seul regard: le verbe estréduit à ses fonctions primitivesd'arme et de bouclier de des­truction et de mauvaise foi.·

Révélation finale, troublante:il n'est pas facile de décelerlesquels,. parmi les' auteurs deces pièces, sont blancs et les­quels noirs. lhegreat whitehope et Big lime Buck White,grands succès de masse, ontdes Blan·cs pour auteurs. L'unesera tournée en film, l'autre,adaptée en comédie musicalepar Oscar Brown Jr., sera jouéepar le grand Cassius ·Clay - Mo­hamed Ali.

Voici donc à nouveau uneavant-garde « récupérée" par lacommercialisation. S'en désoler,c'est à noUveau opposer théâtreet (R)évolution. Le théâtre noiraméricain montre qu'ils sontcomplémentaires.

Jean Decock

FEUILLETON

parGeorges Perec

L'enfant W ignore presque tout dumonde où il va vivre. Pendant lesquatorze premières années de .sa vie,on l'a pour ainsi dire laisser aller àsa guise, sans chercher à luï incul~

quer ajJcune des valeurs traditionnel­ies de la Société W. On ne lui a pasdonné le goût du sport, on ne l'a passoumis aux dures lois de la compé­tition. Enfant parmi les enfants, nulne l'a nourri du désir de dépasser, desurpasser les autres; ses besoinsspontanés ont été exaucés; personnene s'est élevé contre lui, personne.n'a dressé contre lui le mur de saloi, de son ordre, de sa logique.

Tous les enfants W sont élevésensemble; pendant les premiers mois,les mères les gardent près d'elles, dans·la chaleur calfeutrée des pouponniè­res installées dans les gynécées. Puisils sont amenés dans la Maison desEnfants. C'est, à l'écart de la Forte­resse, au milieu d'un grand parc, unlong bâtiment sans étage éclairé parde vastes baies. L'intérieur est unechambre unique immense, sans cloi·son, tout à fait dortoir, salle de jeux,salle à manger; les cuisines sont àune extrémité, les douches et lestoilettes à l'autre. Les garçons etles filles grandissent les uns prèsdes autres, dans une promiscuité to:tale et heureuse. Ils peuvent êtrejusqu'à 3000, 500 filles et 2 500 gar.çons, mais une dizaine à peine d'édu­cateurs des deux sexes suffisent àles surveiller. Le mot surveiller estd'ailleurs impropre. Les enfants nesont soumis à aucune surveillance;on ne peut même pas dire qu'ils sontencadrés; les adultes ne sont nantisd'aucune fonction pédagogique, mêmes'ils peuvent être parfois amenés àconseiller, à expliquer; leur tâche

essentielle est d'ordre sanitaire: con­trôle médical, dépistage, prophylaxie,interventions chirurgicales de routi­ne: végétation, amygdales, appendi­cectomie, réduction de fractures, etc.Les plus âgés des enfants, les ado­lescents de 13 ou 14 ans prennentsoin des plus jeunes, leur appren­nentà faire les lits, à laver le linge,à confectionner les aliments, etc. Tousdécident librement de leurs horaires,de leurs activités, de leurs jeux.

De ce qui se passe dans les vil­lages et sur les stades, ils. n'ontqu'une connaissance confuse, pres­que entièrement imaginaire. Leur do­maine est immense et ses confinssont si embroussaillés qu'ils ne sa­vent même pas que des obstaclesinfranchissables - fossés, clôturesélectrifiées, champs de mines - lesséparent du monde adulte. Ils enten­dent parfois au loin des clameurs,des détonations, des sonneries detrompettes; ils voient passer dansle ciel des milliers de ballons multi­colores ou des envols exaltants decolombes. Ils savent que se sont lessignes de fêtes grandioses auxquel·les ils seront admis un jour. Ils lesmiment parfois en de grandes faran­doles joyeuses, ou bien, la nuit, bran­dissant des torches embrasées, ils selivrent à des cavalcades effrénées et,hors d'haleine, ivres de joie, tombentpêle-mêle les uns sur les autres.

C'est au cours de leur quinzièmeannée que les enfants quittent à ja­mais leur Maison, les filles pour re­gagner les gynécées dont elles nesortiront plus qu'à l'occasion desAtlantiades., les garçons pour rejoin­dre le village dont ils deviendrontles futurs Athlètes.

L'adolescent. se fait du monde o~

il va entrer une. idée souvent merveil­leuse; la tristesse qu'il peut éprooverde quitter ses compagnons est atté­nuée par la certitude qu'il a de lesretrouver bientôt et c'est avec uneimpatience heureuse, parfois mêmeavec enthousiasme qu'il monte dansl'hélicoptère chargé de l'emmener.

Affecté dans un village, l'enfant ysera pendant au moins trois ans no­vice avant de deve·nir Athlète. Il par­ticipera aux séances d'entraîneme~nt

du matin, mais non aux champion­nats. Mais, ses six premiers moisde noviciat, il les passera menottesaux mains, fers aux pieds, enchaînéla nuit à son lit, et souvent mêmebaillonné. C'est ce que "on nommela Quarantaine. et il n'est pas exa­géré de dire que c'est la période laplus douloureuse de la vie d'un spor­tif W, que tout ce qui suit, les hu­miliations, les injustices, les injures,les coups, n'est pour ainsi dire pres­que plus rien, ne pèse presque plusà côté de ces premières heures, deces premières semaines. La décou­verte de la vie West, il est vrai,un spec.tacle assez terrifiant. Le no­vice parcourt les stades, les campsd'entraînements, les cendrées, leschambrées; il n'est encore qu'unadolescent tranquille et confiant, ·pourqui la vie se confondait avec lachaleur fraternelle de ses milliers decompagnons, et tout ce qui pour luis'associait avec des images de fête·s

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COLLECTIONS

43 rue du 'fempl',', Paris 4,c.c.r. 15.:>.'; 1.53 Paris

La Quinzaine1""raiN

théâtre; on encore la thèse deJ. Berque, enquête sur un groupeethnique marocain, les Seskwa, paruesous le titre de Structures socialesdu Haut·Atlas; les Etudes de socio­logie religieuse de' G. Le Bras; lestravaux de M. Halbwachs sur la Mé­moire collective ou de G. Balandiersur la Sociologie actuelle de l'Afri­que noire; "ouvrage fondamental deryJ. Mauss, Sociologie et anthropologie,qui en est aujourd'hui à sa quatrièmeréédition.

A.B.

A PARAITRE:

Sens et puissance, les dynamiquessociales, par G. Balandier, qui y étu·die les sociétés en tant que configu­rations en formation, à la recherched'un sens, et se trouve ainsi amenéà analyser l'incidence des rappor\s in­ternationaux sur le fonctionnementdes systèmes sociaux.

Crises de la société, crises de l'Eco­le, par Viviane Isambeit, ouvrage d'unebrûlan,te actualité, qui pose dans uneperspective historique le problèmedes crises de l'enseignement du se­cond degré.

Un recueil d'essais dus à Evans Prit·chard et où le fondateur de l'école

.anthropologique britannique nous par·le notamment de • La situation de lafemme dans les sociétés primitives"et de • L'obscénité comme révélateur

.. de certains styles de culture primi·tive" (le titre général de l'ensemblen'a pas encore été fixé).

Les Règles du jeu politique, étudedue à un jeune professeur de l'Uni~

versité du Sussex, F.G. Bailey, quinous propose ici un décryptage desplus originaux de la vie politique con·temporalne, notamment, dans les so­ciétés occidentales, décryptage basésur les démarches de l'anthropologiepolitique et qui amène l'auteur à debien savoureux rapprochements entre,.par exemple, le phénomène gaullisteet le fonctionnement de certaines so­ciétés Indiennes.

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M..ur-Ville

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testable), Anthropologie économique,par M. Godelier.

Cette dernièr.e collection est exclu­sivement consacrée à la publicationd'ouvrages de recherches qui se ca·ractérisent par leur aspect fondamen­talement novateur et imaginatif.

Noblesse oblige: nous lui devons,en premier lieu, l'édition des princi­pales œuvres de son fondateur, Geor·ges Gurvitch, avec le Traité de socio­logie (3' édition), La Vocation actuellede la sociologie (4' édition), Déter·minismes sociaux et liberté humaine(2" édition) et Les Cadres sociauxde la connaissance.

Sociologie de Saint·Simon, parP. Ansart.

Les Phénomènes révolutionnaires,par J. Baechler.Sociologie de Tocqueville, par P.Birnbaum.

Méthodes de l'enquête sociologi­que et Mathématiques et sociologie,par R. Boudon.

Sciences humaines et analysestructurale, par D. Sperber.

- ct Bibliothèque de sociologie con·temporalne " :

A PARAITRE:

Nous lui devons également les tra·vaux les plus importants d'A. Sauvy,avec sa Théorie générale de la popu­lation (3' édition) et de H. Lefebvre,en matière de sociologie rurale, avecLa Vallée de Camoan • Etude de socio­logie rurale.

Parmi les ouvrages Illustrant auplus près les objectifs de la collec­tion, on pourrait aussi citer, pour nes'en tenir qu'à quelques exemples,

't.elle étude. de J. Duvignaud, où l'au·teur, analysant le rôle des person·nages • déviants" et • anomiques "'dans la création des idées: et dansla, création des systèmes' sociaux,fonde une véritable Sociologie du

La sociologieaux PressesUniversitairesde France

Fondés par Georges Gurvitch, les• Cahiers internationaux de Sociolo­gie", la collection • Le Sociologue"et la • Bibliothèque de Sociologiecontemporaine» ont réussi à consti­tuer au cours des dernières années,sous la direction de Georges Balan·dier, un vaste et très dynamique en­semble de publications consacrées àla sociologie. et à l'anthropologiesociale. '

Les spécialistes, les chercheurs,res étudiants pourront, grâce aux• Cahiers internationaux de Sociolo­gie", se tenir au fait des recherchesde pointe menées dans ce domaineen France aussi bien qu'à l'étranger,et suivre au plus près l'évolution descourants 'les plus • inventifs" de lascience socia1e contemporaine.

Avec un tirage de départ de 10000exemplaires, la co.llection • Le Socio­iogue ", dont ·Ia plupart des titres ontfait l'objet· d'une ou de plusieursrééditions, s'adresse à un plus vastepublic et se définit comme une col­lection de • vulgarisation", le terme,il va sans dire, devant être entendudans son sens littéral. En somme,ce que • Le Sociologue" propose àses lecteurs, c'est, ordonné autour detrois thèmes principaux, un tableaud'ensemble de la science sociale de·puis ses débuts jusqu'à ses réalisa·tions les plus récentes. C'est ainsique l'on y trouvera, d'une part,' desrééditions de classiques tels E. Durk·heim, avec Education et sociologie,Sociologie et philosophie, La Sciencesociale et l'action, ou P. Mercier, avecHistoire de l'anthropologie; ou encoredes travaux dus à des spécialistescontemporains sur les pionniers dela sociologie ou de l'anthropologiesociale, tels la Sociologie de Prou­dhon, par P. Ansart, la Sociologie deComte, par P. Arnaud, la Sociologiede Marcel Mauss, par J. Cazeneuve,ia Sociologie de Max Weber, parJ. Freund, la Sociologie de Marx, parH. Lefebvre.

On y trouvera, d'autre part, touteune série d'ouvrages dont le commundénominateur est de mettre l'accentsur les rapports existants entre lesdifférentes disciplines de la sciencesociale: Sociologie et géographie,par P. George, Sociologie urbaine,par R. Ledrut. Sociologie de l'art, parJ. Duvignaud.

Enfin, un troisième secteur de lacollection • Le Sociologue" est con­sacré à des domaines très particu­liers de la science sociale et nousoffre des études dynamiques, àl'avant·garde de la recherche ac·tuelle: Anthropologie politique, parGeorges Balandler, qui en est à sa

1

troisième réédition (ce qui, comptetenu de la haute. spécialisation del'ouvrage, constitue un succès incon-

fastueuses, ces clameurs, ces musl·ques triomphales, ces envolées d'oi·seaux blancs, lui apparaît sous unjpur insoutenable. Puis il verra revenirhi cohorte des vaincus, Athlètes grisce fatigue, titubant sous le poids descarcans de chêne; il les verra s'af·faler d'un coup, la bouche ouverte, larespiration sifflante; il les verra unpeu plus tard se battre, s'entre-dé·chirer pour un morceau de saucis­son, pour un peu d'eau, pour une bouf·fée de cigarette. Il verra, à l'aube,le retour des Vainqueurs, gavés desaindoux et de mauvais elcools, s'ef·fondrant dans leurs vomissures.

Ainsi se passera sa première jour·née. Ainsi 'se passeront les suivantes.Au début, il ne comprendra pas. Desnovices un peu plus anciens que luiessayeront parfois de lui expliquer,de lui raconter, ce qui se passe, com·ment ça se passe, ce qu'il faut faireet ne pas faire. Mais, le plus sou·vent, ils n'y arriveront pas. Commentexpliquer que ce qu'il découvre n'estpas quelque chose d'épouvantable,n'est pas un cauchemar, n'est pasquelque chose dont il va se réveil·1er brusquement, qu'il va chasser de'son esprit, comment expliquer quec'est cela la vie, la vie réelle, quec'est cela qu'il y aura tous les jours,que c'est cela qui existe et riend'autre, qu'il est inutile de croireque quelque chose d'autre existe, defaire semblant de croire à autre cho­se, que ce n'est même pas la peined'essayer de déguiser cela, d'essayer.de l'affabuler, que ce n'est même pasla peine de faire semblant de croireà quelque chose qu'il y aurait der·rière cela, ou au-dessous ou au-des·sus. Il y a cela et c'est tout. Il ya les compétions, tous les jours, les.victoires ou les défaites. Il faut sebattre pour vivre. Il n'y a pas d'au­tre choix. Il n'existe aucune alterna·tive. Il n'est pas possible de seboucher les yeux, il n'est pas possible·de refuser. Il n'y a ni recours, nipitié, ni salut à attendre de person·ne. Il n'y a même pas à espérer quele temps arrangera cela. Il y a cela,i! y a ce qu'il a vu, et parfois cesera moins terrible que ce qu'il avu et parfois ce sera beaucoup plusterrible que ce qu'il a vu. Mais, oùqu'il tourne les yeux, c'est cela qu'i!verra et rien d'autre et c'est celaÇ1ul sera seul vraI.. Mais même les plus anciens des

Athlètes, même les vétérans gâteuxqui viennent faire les pitres sur lespistes entre deux compétitions et quela foule hilare nourrit de trognonspourris, même ceux-là croient encorequ'il y a autre chose, que le cielpeut être plus bleu, la soupe meil·leure, la Loi moins dure, croient quele mérite sera récompensé, croientque la victoire leur sourira et qu'ellesera belle.

Plus vite, plus haut, plus fort. Len­tement, au fil des mois de la Oua·rantalne, la flè.re devise olympique~e grave dans la tête des novices.Très peu tentent de se suicider, trèspeu' deviennent vraiment fous. Ouel­ques,-uns ne cessent de hurler, malsla plupart se taisent, obstinément.

(A suivre.)

La Qyinzainé Littéraire, du 15 au 30 juin 1970 27

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Livres publiés du 20 mai au 5 juin

aOMANSraANçA!S

Alice BoutrouxUn soir surl'.étang mauve...E. Marescot, 192 p.,15 F.·Un roman poétiquequi a poUr toile defond la Sologne.

• F. Brusson-VideauMarieGallimard, 176 p.,12,75 F.Le drame d'une petitefille qui refuse devivre.

Michel ChaillouCollège VasermanColl. « Le Chemin­Gallimard, 256 p., 20 F.Un roman baroque,qui emprunte sestechniques au théâtre .et joue des pJussavoureux déliresverbaux.

• Jacques ChatainBliche ou l'herbe ranceSeuil, 144 p., 15 F.(Voir c~ numéro.)

Jean-Louis CotteLes semailles du cielA. Michel, 352 p.,19,50 F.Roman qui a pourcadre une plantationà la Martinique en1830 et qui évoqueles problèmes duracisme.

Arlette GrebelCe soir, TaniaGallimard, 208 p., 17 F.Une jeune femmed'aujourd'hui face àses désillusionsperdues.

Bruce LoweryRevanchesDenoël, 304 p., 24 F.Un recueil denouvelles aux thèmestrès variés mais dontl'obsession constanteest celle de larevanche de l'homme

ou du destin.

Jean-Charles RémyLa randonnéeStock, 192 p., 18 F,Un premier romanqui a pour thème larecherche de laliberté contre l'inertiedes cadres familiaux

.Emmanuel RoblèsUn printemps d'ItalieSeuil, 756 p., 20 F.Un roman qui a pourtoile de fond laRome occupée par lesAllemands en 1944(voir le n° 51 de laQuinzaine) .

.JulesRoy .Le maître de laMitidja(Les chevaux dusoleil - Tome IV)Grasset, 400 p., 26 F.Le quatrième volumede la grande épopéeromanesque de JulesRoy sur l'Algérie(voir les n'" 46, 57 et77 de la Quinzaine).

Marc-André SchwartzL'automneGrasset, 152 p" 12 F.Un premier roman: lesambiguïtés del'adolescence.

aOMANS.TRANG.aS

A, J, CroninLa misère et la gloireTrad. de l'anglais parRobert LatourA. Michel, 304 p.,19,50 F.Le dernier roman del'auteur de «LaCitadelle - et des« Clefs. du royaume-,

.Fritz Rudolf FriesLa route d'OoblladoohTrad. de l'allemand parG. BernierColl. «Les LettresNouvelles.-Denoël, 320 p., 25 F.Un premier romanconstruit à la façon

d'un morceau de jazzdont le leitmotiv estl'amitié de deuxadolescents.

Gwyn GrittinLe soleil des vivantsTrad. de l'anglais parFrançoise RomieuA. Michel, 456 p., 29 F,La vie du petit peuplede Naples.

.Ann QuinTrioTrad. de l'anglais parLola TrénecGallimard, 200 p.,14,75 F.Décidés à percer lesecret d'un fait diversrécent, un homme etune femme sontamenés à remettreen question leurpropre relation.

Luise RinserHistoire d'amourTrad. de l'allemandpar S. et G. de LalèneSeuil, 256 p., 20 F,Réédition d'un roman

paru autrefois chezCalmann-lévy.

Philip RothPortnoy et soncomplexe .Trad. de l'anglais parHenri RobillotGallimard, 280 p"21,25 F.Par l'auteur de«laissez courir­(voir le n° 55 de laQuinzaine), un récitd'un érotisme joyeuxqui, aux Etats-Unis,s'est trouvé en têtedes best-sellers aucours de la saisondernière.

.Antonis SamarakisLa failleTrad. du grec parSophie le BretStock, 224 p., 17 F.Ce roman a obtenu enGrèce le Prix desDouze, équivalent. denotre Prix Goncourt.

.Leonardo SciaslaLes paroisses de

Une nouvelle forme d'équipement culturelLE COLLÈGE GUILLAUME BUDÉ DE YERRES

a 1 CES 1200 éléves : enseignement généralb 1 CES ·1200 élèves : enseignement

scientifique et spècialiséc 1 CES i 200 élèves : enseignement pratiqued 1 Restaurant libre-service. salles

de réunion, centre médico-scolairee 1 Logements de fonètion

~, f 1 Salle de sports avec gradins (1000 places)~ ....:.,~.,. et salles spécialisées

... ", . ~ . ~ "ql;~if~'.. '" t 9 1 PIscine

"~ -p.";•. h 1 Installations sportives de plein air-',\". .~ i 1 Formation professionnelle

..~. 11 et promotion socialej 1 Bibliothéque. discothéque

~ k 1 Centre d'action sociale,.. ri garderie d'enfants; conseils sociaux.accueil des anciens

1 1 Maison des jeunesm 1 Centre d'action culturelle:

{': théâtre. galerie d'exposition, musêe,centre (j'enseignement artistique

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28

réalisation g.P L'Abbaye, Yerres -·91. Essonne - 925.39.80

Page 29: Quinzaine littéraire 97 juin 1970

Livres publiés du 20 mai au 5 juinRegalpetra, suivi deMort del'InquisiteurTrad. de l'italien parMario FuscoColl. • Les LettresNouvelles.Denoël, 304 p., 25 F.Deux récits qui ontpour cadre, l'un unepetite bourgadeitalienne dans lesannées 50, l'autre laSicile au XVII" siècle.

• Isaac B. SingerLa famille MoskatTrad. de l'américainpar Gisèle BernierStock, 592 p., 28 F.Publié pour la premièrefois aux Etats-Unis en1950, un des romansles plus attachants deSinger.

Robert StandishL'amour encopropriétéTrad. de l'anglais parC. et L. EisenStock, 224 p., 20 F.Une histoire d'amourqui tient du romanpicaresque et de lacomédie de mœurs.

Jean WeissLa maison aux milleétagesPréface de J. BergierRencontre, 320 p.,17.60 F.Un des chefs-d'œuvrede la littératuretchèque descience-fiction.

• Jorge Luis BorgesŒuvre poétique1925-1965Traduit de l'espagnolet adapté par IbarraPréface de l'auteurGallimard, 224 p.,18 F.

.André FrénaudDepuis toujours déjaGallimard, 140 p.,20 F.

Edouard S. MaunickFuslllez·moiPrésence Africaine,120 p., 11,40 F.Un ppème sur latrag~'die du Nigeria.

Claude NoëlPour une mortnouvelleEd. de la Grissière,34 p.

REEDITIONSCLASSIQUES

Alphonse AllaisŒuvres posthumesTome VIIITable Ronde, 648 p.,40 F.Le dernier volume dela série • Tout Allais -,qui comprend leschroniques, le théâtreainsi que de nombreuxinédits.

Pierre BenoîtŒuvres complètesTome VII: ŒuvresdiversesPréfaces d'Y. Gandon,H. Clouard,A. t'Serstevens,A. Beucler, J. Lebrau20 illustrationsoriginales en couleursA. Michel. 1 376 p.,125 F.

Léon BloyŒU1(res XEdition établie parJacques PetitMercure de France,320 p., 29 F.

Louis-Ferdinand CélineCasse·pipe suivi duCarnet du cuirassierDestouchesGallimard, 116 p.,10,50 F.

Madame de La FayetteRomans et nouvellesChronologie,introduction etbibliographie parAlain NiderstTextes revus sur leséditions originales avecdes notes par EmileMagne17 reproductionsGarnier, 512 p., 10,30 F.

LautréamontGermain NouveauŒuvres complètes(poésie,correspondance,documents)Textes établis,présentés et annotéspar P.-O. WalzerBibliothèque deLa PléiadeGallimard, 1 460 p.,55 F.Réunies en un volume,les œuvres de deuxdes intercesseursmajeurs du surréalisme.

Le Cantique desCantiques suivi desPsaumesTraduits et présentéspar André ChouraquiPréfaces d'A. Neher,R. Voillaume etJ. EllulP.U.F., 368 p., 38 F.

Jean RostandCrapauds etlibellules40 ill. photosStock, 324 p., 26 F.

BIOGRAPHIESMEMOIRESCORRES·PONDANCES

BeaumarchaisCorrespondanceTome Il (février 1773·décembre 1776)Publiée sous ladirection de BrianN. MortonNizet, 282 p., 32,25 F.La première éditioncomplète de laCorrespondance deBeaumarchais.

Jean CocteauLettres àAndré GideRéponses d'André GidePréfaces etcommentaires deJ.-J. KimhTable Ronde, 224 p.,20 F.Une correspondanceinédite qui va de 1912à la mort de Gide

Gabriel ConesaBab·EI-oued, notreparadis perduLaffont,.232 p., 15 F.

.La vie. quotidienne despieds-noirs vus par unjournaliste algérois.

• Baronne d'OberkirchMémoiresEdition présentée etannotée par SuzanneBurkardColl. • Le Tempsretrouvé.Mercure de France,560 p., 31 F.Une chroniquesavoureuse de la courde Louis XVI et untableau de la vie enAlsace au XVIII"siècle.

Edouard PeyrouzetVie de LautréamontGrasset, 284 p., 27 F.Une biographie trèsfouillée d'IsidoreDucasse, à l'occasiondu centenaire de samort.

.W. B. YeatsLe frémissement duvoileTrad. de l'anglais parPierre LeyrisMercure de France,304 p., 29 F.Le second volume dugrand cycle

autobiographique dupoète irlandais.

• Richard WagnerBeethovenTrad. de l'allemand parJ.-L. Crémieux-BrilhacGallimard, 176 p.,15,75 F.Réédition, à l'occasiondu bicentenaire de lanaissance du musicien,d'un ouvrage paru pourla première fois en1937.

CRITIeVIZHISTOIR.LITTERAIRB

E. M. CioranValéry face à sesidolesL'Herne, 48 p., 9 F.Valéry et le culte dela rigueur ou dulangage considérécomme l'unique réalité.

Entretiens deFrancis Ponge avecPhilippe SollersSeuil-Gallimard,200 p., 18 F.Un ensembled'entretiens réaliséspour la radio en 1967et d'une importancecapitale . pour lacompréhension del'œuvre de Ponge.

Gilbert GanneAlfred de MussetLibrairie AcadémiquePerrin, 350 p., 25,50 F.Musset aujourd'hui.

• Pierre GuiraudLe Testament deVillon ou Le gai savoirde la basocheGallimard, 204 p.,14,75 F.Un décryptagerévolutionnaire del'œuvre de FrançoisVillon.

.Luis HarssBarbara DohmannPortraits et propos de...Trad. de l'anglais parRené lIIeretGallimard, 448 p.,29,75 F.Un ensembled'entretiens avec lesprincipauxreprésentants de lalittératurecontemporaine des paysd'Amérique latine.

Jules LaforgueLes pages de.. La Guêpe-Textes publiés etannotés par J.-L.Debauve

Nizet, 196 p., 27,95 F..Un recueil des textesde Laforgue publiésdans la revue • LaGuêpe., périodiqueparaissant à Toulouseen 1879.

Pierre MichelMontaigne .Ducros, 183 p.Le cheminement del'œuvre deMontaigne à traversles siècles.

4tJean ParisRabelais au futurColl. • Change.Seuil, 256 p., 24 F.Rabelais précurseurde la pensée dialectiqueet générative destemps modernes.

Christiane RochefortC'est bizarre l'écritureGrasset, 160 p., 15 F.Une romancières'efforce de répondreaux questions que sepose le grand publicsur la genèse d'unlivre.

SOCIOLOGIBPSYCHOLOGIE

Jacques BarbizetPathologie de lamémoireP.U.F., 256 p., 15 F.Les mécanismescérébraux de lamémoire sur lesplans anatomique,clinique et biochimique.

S. et J. CornecLes problèmes dudivorceLaffont, 336 p., 20 F.Un guide à la foishumain et pratique quiaborde l'ensemble desproblèmes posés parle divorce.

Marcelle FaugèreMonique d'ArgentréHistoire de deuxmèresPréface deM. MannoniCill. • Femme.Gonthier, 288 p., 23 F.Deux récits vécus: letémognage sanscomplaisance de deuxmères d'enfantsanormaux.

.Joseph GabelSociologie del'aliénationColl. • Bibliothèque desociologiecontemporaine -P.U.F., 216 p., 20 F.Un ensemble d'études

qui offrent laparticularité d'êtrel'œuvre d'un psychiatredevenu sociologue.

Joséphine KleinLa vie intérieure desgroupesESF éd., 200 p., 33 F.Un ouvrage deréférence pour tousceux qui par leursétudes ou leur travailprofessionnels'intéressent à la viedes groupes.

Suzy KriegerStructuration de lapensée et affirmationdu moiEd. du Mont-Blanc320 p., 26,70 F.Un cours en huitleçons, qui. permet,par les méthodeslittéraires etthéâtrales d'organiseret de structurer lapensée de façonobjective.

Pedro Lain EntralgoMaladie etculpabilitéTrad. de l'espagnol parM. PelecierResma, 192 p., 17,45 F.A la recherche d'unemédecinepsychosomatique.

Barnette LitvinoffUn peuple particulierTrad. de l'anglais parR. FitzgeraldStock, 352 p., 30 F.Une étude sociologiquetrès complète sur lescommunautés juivesdans le mondecontemporain.

.Maud MannoniLe psychiatre, son.. fou-et lapsychanalyseSeuil, 272 p., 21 F.La crise de l'institutionpsychiatrique et lacrise de la société.

Renée MassipL'entente du coupleColl. • Femmes dansla vie.Grasset-Centurion,140 p., 12 F.L'amour face àl'usure du temps, àl'évolution des êtres etaux périls de la vie.

Ernest NatalisCarrefourspsycho-pédagogiquesCh. Dessart, 272 p.,18,55 F.Pour une pédagogie quiallie le respect desvaleurs traditionnelleset l'ouverture auxinnovations les plusdignes d'intérêt.

.... Q!!inzaine Littéraire, du 15 au JO juin 1970 29

Page 30: Quinzaine littéraire 97 juin 1970

Livres publiés du 20 mài au S juin

par

Henry DurrantLe livre noir dessoucoupes volantesColl. • Les Enigmesde l'Univers.16 p. de documentsLaffont, 288 p., 18 F.

Richard HammerUn matin dans laguerreTraduit de l'américainFayard, 192 p., 30 F.Une enquête sur lemassacre de Son My,due à un reporter du• New York Times •.

Jean CurtelinLes vipères de ParisPréface de C. ChabrolTable Ronde,168 p., 13 F.Un pamphlet corrosifsur les figures duTout-Paris.

DOCUMBIITS

Pierre RiquetLa République FédéraleAllemande8 pl. hors texte et23 figuresP.U.F., 272 p., 27 F.Dans la collection• Magellan., uneétude des conditionsde vie données parla nature à une nationdevenue aujourd'huila deuxièmepuissance commercialedu monde.

• Le livre noir descrimes américainsau VietnamColl. • En touteliberté.Fayard, 144 p., 9 F.Un documentpéremptoire dû à35 organisations et à120 personnalitésInternationales.

Han SuyinL'Asie aujourd'huiTrad. de l'anglaispar J. G. ChauffeteauStock, 132 p., 15 F.Un ouvrage qui réunittrois conférencesprononcées parl'auteur à l'UniversitéMcGiIi au Canada.

• VargaLe testamentde VargaPréface de R. GaraudyGrasset, 192 p., 14 F.Un ouvrage posthumedu grand économisterusse (mort en 1964),et qui circule depuisplusieurs mois enU.R.S.S., sous lemanteau.

Michel PoniatowskiLes choix de l'espoirGrasset, 256 p., 16 F.Un essai politiquepar le secrétairegénéral de laFédération Nationaledes RépublicainsIndépendants.

Régis ParanqueLe malaise françaisSeuil. 208 p., 18 F.Par le rédacteur enchef des • Echos .,une psychanalyse denotre société deux ansaprès l'explosionde mai.

Julius l. NyerereSocialisme, démocratieet unité africainePrésence Africaine éd.,110 p., 10,50 F.Un recueil de textespolitiques dus auPrésident de Tanzanie.

Lorrain CruseLa spéculationPréface deHubert Beuve-MeryMame, 178 p.• 18 F.Une étude objectivede la spéculation,dans ses aspectsnocifs, bénéfiquesou neutres vis-à-visde la collectivité.

Georges Gallals­HamonnoLes sociétésd'investissement àcapital variable(SICAV)P.U.F., 256 p., 15 F.Une analyseapprofondie dufonctionnement de cetype de sociétés.de leurs réalisationset des problèmesqu'il leur fautsurmonter.

activité nouvelle:l'aide à la décision.

M. BressyG. C. RichouxLes regroupementsd'entreprise ou laconcentration sansfusionEditions Ouvrières,248 p., 24 F.Les problèmestechniques, financierset humains poséspar la constitutiondes regroupements.

.Michel Crozler. La société bloquée

Seuil, 256 p., 21 F.Un ensemble d'étudessur le phénomènebureaucratique quibloque tout progrèsdans la sociétéactuelle.

L'année politique,écoflomique, socialeet diplomatique enFrance. 1969Sous la direction deE. Bonnefous, J.-B.Duroselle et P. GerbetP.U.F., 452 p., 80 F.Un ouvrage quirassemble une masseconsidérabled'Information, avec, enannexe, les textes deréférence impo.rtants.

R. Armand, R.qattès,J. Lesourne .Matière grise,année zéroDenoël, 400 p., 28 F.L'histoire, la natureet les buts de cette

Louis HastierLa vérité sur l'affairedu collier32 i11. hors-texteRencontre, 408 p.,17,60 F.Une enquêteapprofondie sur uneaffaire retentissanteque Gœthe qualifiade • préface de laRévolution •.

POLITIQUE

• José CabanisLe sacre de Napoléon2 décembre 1804Coll. • Les trentesjournées qui ont fait laFrance.32 pl. hors-texteGallimard, 296 p.,24,25 F.Un décryptage ducélèbre tableau deDavid, par l'auteur de• La Bataille deToulouse. (voir len° 14 de la Quinzaine).

Claude CahenL'Islam des origines audébut de l'EmpireottomanNombr. illustrations etcartesColl.• HistoireUniverselle.Bordas, 288 p., 32 F.Une étude complète del'histoire et de lacivilisation des ·peuplesdisciples du prophète.

Albert RosenfeldL'homme futurGrasset, 264 p., 24 F.Par le chroniqueurscientifique de • Life .,un tableau saisissantdes perspectivesoffertes par lesrecherchesbiomédicales.

lorus et Margery MilneLes âges de la vieTrad. de l'américain parJ.-B. BlandenierStock, 264 p., 30 F.Un bilan des .dernières découverteset réalisations de ·Iagérontologie.

G. de BénouvilleSaint-Louis ou leprintemps de la FranceLaffont, 264 p., 16 F.L'histoire de ce roichevalier, en son septcentième anniversaire.

818'1'018.

.Jules MicheletL'étudiantprécédé de Michelet etla parole historiennepar Gaetan PlconSeuil, 192 p., 18 F.Un ensemble detextes d'une actualitésurprenante, écrits par • Friedrich HeerMichelet après 1848 L'univers dulorsque ses cours au Moyen AgeCollège de France Trad. de l'allemand parfurent suspendus par M. de Gandillacordre du gouverneme·nt. Fayard, 488 p., 50 F.

Un ouvrage fondamentalqui met en lumière lerôle tenu par lesdifférents groupessociaux et le jeu desforces en évolution.

Les techniques, leséquipements, lesréalisations, etc.,d'une des sciences lesplus· jeunes et lesplus riches.

• Le dessin du récitOuvra.ge collectifColl. • Change.Seuil, 64 p., 20 F.Un ouvrage qui Illustrepar le texte et parl'image le trèscomplexe réseau deconnexions quiexiste entre fanarration et sareprésentationgraphique.

T. Lobsang RampaLe troisième œilTrad. de l'anglais parJacques LegrisColl. • Les Chemins· del'impossible.A. Michel, 272 p., 18 F.Réédition d'un ouvrageconsidérécommunément commeun document uniquedans l'histoire de lalittérature initiatique.

• H. FocillonVie des formes suivide Floge de la mainP.U.F., 132 p.Une méditation sur lemonde des formes etles fonctions de lamain de l'homme.

Jean-Paul DumontNotre-Dame des tarotsl'Herne, 82 p., 15 F.Un décryptabephilosophique dusymbolisme desvingt-deuxmaitresses-cartes duTarot de Marseille.

Louis ComtetAnalyse combinatoireP.U.F., 192 p.,. 20 F.Une introduction aucalcul des probabilitéset à l'informatique.

Manuel de DléguezScience et nesclenceGallimard, 552 p.,46, 50 F.Une étudepsychologique etcritique du discoursdes penseursmodernes deLévi-Strauss àAlthusser et àlacan.

La Biologie• Dictionnaire dusavoir moderne.Denoël, 548 p. 47,50 F.

• Dom Helder CamaraPour arriver à tempsSpirale de violenceDesclée de Brouwer,2 vol. 192 et 96 p.,18,30 F et 12,90 F.Le cycle de la violenceen Amérique latineanalysé par celui qu'ona surnommé• l'Evêque rouge •.

Enrico CastelliLe temps invertébréAubier-Montaigne,190 p., 18 F.Un itinéraire oniriqueet spirituel dont lesjalons sont l'Allemagnede la défaite, l'Espagnemystique et uneJérusalem bienterrestre.

• Gunther RohrmoserThéologie etaJiénation dans lapensée du jeune HegelBeauchesne, 120 p.,15 F.Hegel et lesproblèmes duchristianismemoderne.

Naguib BaladiLa pensée de PlotinP.U.F.-InltiatlonphilosophiqueUne vue d'Qnsemblede thèmes principauxdes • Ennéades •.

Pierre FougeyrollasLa révolution freudienneGonthler, 304 p., 22 F.Un philosopheinterroge la théoriepsychanalytique ets'efforce de comprendrel'homme dans sarelation aux autres età lui-même.

Anlka Rifflet-LemaireJacques LacanPréface de J. LacanIntroductiond'A. VergoteCh. Dessart, 424 p.,28,10 F.Une introduction trèséclairante à la lecturedes • Ecrits. et à"Intelligence del'école lacanienne.

PHROSOPHIE

René LacrozeMaine de BiranP.U.F., 256 p., 23 F.Le cheminement d'unephilosophie dont lecaractère dinstlnctifest d'être uneexpérience vécue.

Eric MerlottiL'invention spéculativede Benedetto CroceEd. de La Baconnière,208 p., 23,80 F.Une étude située dansla prespectlve centralede la problématiquecroclenne.

• Joachim RitterHegel et larévolution françaisesuivi de Personne etpropriété selon HegelBibliographie parH. M. SassBeauchesne, 148 p.,16 F.Hegel et lesproblèmes du mondemoderne.

• Edmund HusserlL'Idée de laphénoménoJogleTrad. de J'allemandA. LowitP.U.F., 136 p., 14 F.• Cinq leçons.professées en 1907 etqui éclairent .singulièrementl'évolution de laphénoménologiehusserlienne.

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Livres publiés du 20 mai au 5 juin

INFORMATIONS

CONCERTS-EXPOSITIONS

A 60 kilomètres au nord de Paris,le Centre Artistique de Verderonne,installé dans les dépendances XVI"siècle du château, s'ouvre sur un parccentenaire.

Dans la grange où Bunuel a tournéles scènes d'auberge de la Voie lac­tée, et qui expose actuellement lestableaux d'artistes contemporains, leCentre présente: le 21 juin à 17 h 30,un concert par le Trio classique deParis (Schubert, Mendelssohn, Beetho·ven) ; le 28 juin à 17 h 30, le piano­jazz de Gordon Beck avec D. Humaireà la batterie et J.C. Texier à la basse.Renseignements: téléphone 2 à Verde­ronne (60).

Joseph L. MarxL'avion d'Hiroshimaa p. de photosColl. «Ce jour-là"Laffont, 288 p., 22 F.Le 6 août 1945, à bordde la forteressevolante Enola Gray,entre 2 h 20 et9 h 15'17".

H. C. NonnemannMédecin au VietnamCasterman, 184 p.,13,50 F.Le témoignage d'unjeune médecinallemand.

Georges PierquinLes médecinsparallèles16 documents horstexteA. Michel, 240 p., 18 F.Un plaidoyer, étayésur une importantedocumentation, enfaveur de la médecinenon officielle.

Gérard BorgLe voyage àla drogueSeuil, 256 p., 20 F.A la fois un reportage,une explorationintérieure et uneInterrogationpassionnée sur lesproblèmes poséspar la drogue.

THaATRBCINEMA

Bernard B. DadiéMonsieur Thôgô-GninlPrésence Africaine,116 p., 9,60 F.Une pièce qui obtintun grand succès·Iors du FestivalPan-Africaind'Alger.

M.-C. Ropars­WuilleumierL'écran de la mémoireEssai de lecturecinématographiqueColl. «Esprit"12 p. de hors-texteSeuil, 240 p., 27 F.Par la critiquecinématographiquede la revue « Esprit ",un ensemble d'étudessur le discourscinématographique.

••LIGION

Jean BoissetLes chrétiens séparésde RomeP.U.F., 216 p., 12 F.

De la Réforme àl'œcuménisme:une étude approfondiede la Réforme, deses origines premièresà son évolution àtravers les siècleset à son expressionactuelle.

Jean ConnétableEglise, sauras-tuaimer?Casterman, 160 p.,13,50 F.Le témoignage d'unprêtre affrontédepuis des annéesaux difficultés d'unemission pastoraledans le monde rural.

Marie-JoëlleDardelinLa liberté de croireEditions Ouvrières,128 p., 9,50 F.Ecole chrétienne etpédagogie nondirective..

M. GozziniLa fol plus difficile31 illustrationsde J. GrillAdaptation françaiseCenturion, 160 p.,15,10 F.Un nouvel âge de laconsciencechrétienne.

Pierre de LochtMariage et sacrementde mariageCenturion, 248 p.,17,45 F.La réalité humainedu mariage d'une aireculturelle à l'autre,de l'A·frique à l'Europe.

Alex LochenL'Evangile racontéaux adultesPresses de Taizé,diff. Seuil, 112 p.,8,50 F.La méditation d'unfrère de Taizé auxprises avec lesexigences quotidiennesde la vie sociale.

Pierre de LochtEt pourtant je crois!Casterman, 168 p.,13,50 F.Une conception nonconformistes de ceque peut être une foiadulte aujourd'hui.

Thomas MertonRéflexions d'unspectateur coupableTrad. de l'américainpar Marie TadiéA. Michel, 400 p., 29 F.L'itinéraire spiritueld'un moine américainouvert à tous lesproblèmes de notretemps.

André NéherL'exil de la paroledu silence bibliqueau silenced'AuschwitzSeuil, 272 p., 21 F.Une méditation sur lesilence de Dieu,épreuve donnée àl'homme pour luipermettre de percevoirla révélationtranscendante.

Marc OraisonLa transhumanceSeuil, 128 p., 13 F.L'homme et sescertitudesélémentaires, sesraisons de vivre,face à la mutationactuelle du monde.

André et Louis RétifTeilhard etl'évangélisation destemps nouveauxEditions Ouvrières,200 p., 15 F.Un aspect peu connude la personnalitéde Teilhardde Chardin.

Luise RinserUne femmed'aujourd'huiet l'EgliseTrad. de l'allemandpar S. et G. de LalèneSeuil, 176 p., 16 F.Une romancièrechrétienne affrontecertains aspectsde la crise actuellede l'Eglise.

Jeanne TigerReligieuses aujourd'hui,demain...Préface deH. Holstein, S.J.Casterman, 144 p.,12 F.A la fois uneenquête. une analyseet une étudeprospective sur la viereligieuse actuelle.

Claude TrestmontantL'enseignement deleschoua de NazarethSeuil, 272 p., 21 F.le message de Jésusreplacé dans soncontexte original etsa significationactuelle.

Philippe de la TrinitéPour et contreTeilhard de Chardin,penseur religieuxEd. Saint-Michel,210 p., 19,40 F.Par un professeurde théologiedogmatique à lafaculté pontificalede thélogie des CarmesDéchaux à Rome.

ARTSURBANISME

Jean GrenierL'art et ses problèmesRencontre, 424 p.,22,20 F.Voir le n° 55 dela Quinzaine.

Pierre GrimalNous partonspour Rome32 pl. hors texte37 cartes et plansP.U.F., 240 p., 30 F.Un ouvrage trèscomplet, qui guiderale touriste à la foisdans le temps etdans le dédale desmonuments romains.

Maurice RheimsLa vie d'artisteGrasset, 456 p., 36 F.Par le célèbrecommissaire-priseur,un essai où il s'efforcede définir la placeque les sociétés,de l'Antiquité à nosjours, ont accordée àleurs artistes.

Jean VaujourLe plus grand ParisPréface de J. Fourastié16 pl. hors texteP.U.F., 204 p., 32 F.L'avenir de la régionparisienne et sesproblèmes complexesétudiés par un desprincipaux responsablesdu Paris de demain.

HUMOUR.SPORTSDIVER.S

Simone BaronComment plaireà tout âgeGrasset-Centurion,152 p., 12 F.Un art de plaire àla portée de toutesles femmes, quels quesoient leur âge ouleur situation sociale.

Henri CochetJacques FeuilletLe tennis de A à ZTable Ronde,296 p., 22 F.Une méthoderévolutionnaire pourapprendre le tennis,par deuxspécialistesincontestés.

Raymond DumayGuide du gastronomeen Espagne60 ill. et cartes

Stock, 340 p., 30 F.Les ressourcesméconnues de lavéritable gastronomieespagnole.

Jean HureauLa Tunisieaujourd'hui130 photos couleurs26 cartes et itinérairesArthaud, 256 p., 28 F.Dans la collection « Levoyage en couleurs",à la fois un livred'art et un guidepratique.

Jean HureauLa Corse aujourd'hui94 photos en couleurs14 cartes et itinérairesArthaud, 268 p., 32 F.Coll. « Le voyage encouleurs ".

Jean HureauLe Maroc aujourd'hui140 photos .en couleurs26 cartes et itinérairesArthaud, 288 p., 30 F.Coll. «Le voyage encouleurs -.

Les assurancesColl. «Guidespratiques Denoël de lavie quotidienne"Denoël, 256 p., 19 F.A la portée de tousles publics, un livrepratique qui fait, entermes clairs, le tourd'une question desplus complexes.

Lydie PéchadeYvette RoudyLa réussite dela femmeColl. «Comprendre.savoir, agir"Denoël, 256 p., 28,50 F.Un livre pratiquefondé sur des réalitésconcrètes.

Raymond PeynetSi l'on s'aimaitDenoël, 108 p.. 11 F.

Les amoureux dePeynet devant lacontestation..

Claude PopelinLa tauromachie153 illustrationset 30 croquisSeuil, 256 p., 35 F.Par un expertincontesté, un ouvragequi donne toutes lesclés de la techniquede la corrida, ainsique des portraitsdes grands matadors.

Jean PlumyèneRaymond LasierraLe sottisier del'EuropeBalland, 350 p.,29,30 F.Un savoureuxpanorama des lieuxcommuns dont disposechaque nation del'EUrope pour nourrirson chauvinisme.

POCHEUTTERATURE

Isaac AsimovQuand les ténèbresviendrontTrad. de l'américainpar Simonde HillingDenoël-Présence duFutur.

THEATRE

Michel BoldoducLes remontoirsGallimard-Le Manteaud'ArlequinUne pièce où setrouvent renouvelésles vieux thèmes duthéâtre bourgeoispour créer un théâtrerésolumentmoderne.

La Q!!inzaine I.ittéraire, du 15 au 30 juin 1970 31

Page 32: Quinzaine littéraire 97 juin 1970

CLEFS POURL'IMAGINAIREOU L'AUTRE SC~NEpar O. Mannoni

Vingt essais divers, qui traitentde littérature (Mallarmé, Rim­baud, Salinger, Henry James,Proust), de théâtre (problème del'illusion théâtrale), de la linguis­tique saussurienne et de textespsychanalytiques freudiens. Unseul mouvement, une seule mé­thode : pour déchiffrer l'Imagi­naire, s'introduire sur l'AutreScène où c'est le jeu du signi-fiant qui gouverne. .Collection "Le champ freudien" diri­gée par Jacques Lacanun volume 'de 320 pages, 23 F.

L'INSTITUTIONEN NEGATIONRapport sur l'hOpitalpsychiatrique de Gorizia,sous la direction defranco BasagllaUne entreprise sensationnelle decontestation menée à l'intérieurd'un asile par le médecin-cheflui-même, à partir de la dénon­ciation de''l'institution psychiatri­que comme défense de la socié­té contre ces malades qu'elle nefait qu'exclure en prétendant lesprotéger.Collection "Combats" dirigée parClaude Durand. .Trad. de l'italien ,par Louis Bonalumiun volume ae 288 pages, 21 F.

LE PSYCHIATRE,SON ··FOU" ET LAPSYCHANALYSEpar Maud Mannoni

Il Le question del'.ntl·psychl.trle ..Une société fait ses fous, définitleur statut de fous, et crée, pourles prendre en charge, une ins­titution quine peut que les trans­former en objets. Contester cetteobjectivation ne peut se fairesans remettre en question les ins­titutions psychiatriques, le psy­chiatre, la psychiatrie elle-mêmeet les sciences auxquelles ellese réfère.Collection "Le champ freudien" diri­gée par Jacques Lacanun VOlume de 272 pages, 21 F.

ROLAND BARTHESS/ZRECHERCHE SUR1. SARRASINE" DE BALZACS/Z se présente comme un"commentaire" sur plusieurs re­gistres d'une nouvelle particuliè­rement énigmatique de Balzac :Sarrasine. Par tout un jeu delecture serrée, associatif verti­cal, Roland Barthes en déploieles virtualités, Jes interdits, lesprolongements signifiants, l'in~

conscient littéral. Modèle de cequ'est désormais - et sera deplus en plus - une lecture· activede l'écriture moderne.Collection "Tel Ouel" dirigée parPhilippe Sollers - un volume de 280pages, 21 F.

MORPHOLOGIEDU CONTEparVladimir Propp

La Morphologie du conte est àl'analyse structûrale du récit ceque le Cours de Saussure est àla linguistique : la source detoute inspiration. Reconnaissanten lui son précurseur, Levi­Straus évoquera son "immensemérite" et ses "intuitions pro­phétiques". La présente traduc­tion, due à Marguerite Derrida,est la première à suivre l'éditionrusse définitive de 1969.Collection de poche "Points" no 12 -un volume 9 F. .

DU SENSEssais sémiotiquespar A.-J. Greimas

Qu'est-ce que le sens 7 Et com­ment en parler sans recourir ausens 7 Existe-t-il une approchenaturelle du sens (par exempledans le geste) 7 Comment peut­on, sur la trace de Lévi-Strauss,repérer l'organisation de cesmodes particuliers de signifierque sont le conte folklorique oul'œuvre littéraire 7'Ce sont là quelques-uns desthèmes auxquels s'attache dansla vingtaine d'articles et étudesici réunis, A.J. Greimas.Un volume de 320 pages, 25 F.

Vladimir Propp

Morphologiedu conte

rHIEJmJE$ VJIVIES~ NI<JUa UvrrlNE Qtj LA POITIQUE ~~ DE 0t; DOSTOIEVSKI ~~ -==- ~~ -- 0~ ~

~ ~~ .lUZ ID/TIONS Dl1 S'UIL •~

SEMEIOTIKERECHERCHESPOUR UNESEMANALYSEparJulia KrlstevaDès leur parution dans les diffé­rentes revues : "Critique", "TelQuel", "Communications", "Lan­gages", depuis 1966, les travauxde Julia Kristeva ont profondé­ment modifié le champ de lathéorie littéraire. Ce recueil ras­semble les textes fondamentauxde cet auteur qui vise à fonderune science générale du texteune sémanalyse.Collection "Tel Ouel" dirigée parP. Sollers· un volume 384 pages~ 39F.

LA POETIQUEDE DOSTOIEVSKIpar Mlkhall BakhtlnePrésentetlon deJuil. Krlstev.Une des œuvres maîtresses dupost-formalisme russe, dont lesdeux apports majeurs sont lesconcepts de polyphonie etd'écriture carnavalesque. Le se­cond désigne un style adaptéaux formes de parodie qui ca­ractérisent les fêtes du carnaval.Le roman ·polyphonique est jus­tement l'étape ultime de ce gen­re, par la présence dans le récit,dans les personnages et jusquedans le mot, d'une pluralité devoix qui se contestent et dialo­guent entre elles.Collection "Pierres Vives". Trad. durusse par 1. Kolltcheff, 352 p., 30 F.

LES FONDEMENTSDE L'ARITHMETIQUEpar GOOlob FregeUne œuvre où s'inaugure toutela logique modeme, avec la re­conquête des mathématiques parla logique et la transformationde la logique elle-même à cettefin. "Les Fondements de l'arlth·métlque" (1884) donnent la pre­mière définition logique du nom·bre cardinal; mais ils doivent,pour ce faire, élaborer une théo­-rie extensionnelle du concept,qui entraîne une critique minu­tieuse, tant du rationalisme quede l'empirisme.Traduit de l'allemand par Claude im­bert. Collection "L'ordre philosophi­que" dirigée par Paul Ricœur et Fran­çois Wahlun volume de 240 pages, 25 F.

MAI 1968EN FRANCEpar Jean Thlbaudeausuivi de

PRINTEMPS ROUGEpar Philippe Sollers"ëe livre - en forme de théâtre ­est d'abord le rappel subjectif,informationnel, théorique, des 31jours de mai dans leur réalité,leur irrésolution, leur chance. Ilest aussi une méthode pour lirechaque jour - aujourd'hui - l'ac­tualité : ce pays étant compriscomme l'une des scènes, avecsa profondeur historique propredu combat du socialisme contrel'impérialisme." . J.-Th.

Collection "Tel Ouel" dirigée parP. Sollers - un volume de 128 p.13 F.

RABELAISAU FUTURpar Jean Paris

Du "Rabelais au Futur" de JeanParis, on a dit déjà que certainsrésultats y feront date : telle lamise en parallèle entre la lettresur l'éducation et la guerre picro­choline... Il tente de saisir Jepassage d'un système clos taxi­nomique - le Moyen.Age - à unepensée dialectique, générative : 1

les temps modernes; c'est-à-dire"change des formes" (Marx)dont notre époque vit l'analogue.

Collection "Change" dirigée par JeanPierre Fayeun VOlume de 272 pages, 24 F.

QUAND DIRE,C'EST FAIRE'par J.-L. Austin

Un petit livre classique déjà dansle champ de la linguistique (cf.le dernier numéro de la revue"Langage") et de la philosophiedu discours : Austin isole cetaspect du dire qui n'est pasconstater une vérité mais faireun acte efficace. Ainsi, baptiser,juger, etc. C'est ce qu'il appellele "performatif".

Traduit de l'anglais par Gilles Lane.Collection "L'ordre philosophique"dirigée par Paul Ricœur et FrançoisWahl - un volume de 192 pages, 24 F.

Rabelaisau futur

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