La prévention de la première fracture ostéoporotique

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ELSEVIER MASSON Available online at www.sciencedirect.com 8CIENCE~DIRECT e Revue du Rhumatisme 74 (2007) $2-$4 REVUE DU RHUMATISME www.elsevier.com/locate/revrhu La prevention de la premibre fracture ostdoporotique Prevention of the first osteoporotic fracture Thierry Thomas Service de rhumatologie, INSERM U890, CHU, hdpital de Bellevue, 42055 Saint-Etienne cedex 2 R6sum6 L'ostroporose est un problrme de sant6 publique d'importance croissante ~ mesure que la population vieillit. Elle est cause de morbidit6 et de mortalitr, ainsi que de drpenses de sant6 importantes parce qu'elle touche une tranche large de la population. Diffrrents outils nous aident ~ en prrvoir les consfquences comme la densitomrtrie osseuse. L'utilisation de modbles de simulation tel que le module de Markov permettent d'estimer l'incidence fracturaire chez des femmes 5 risque i long terme (5 ou 10 ans) en fonction de l'incidence i court terme effectivement mesurde dans les essais thrrapeutiques. La superposition de ces donn6es 5 celles des QALYs (unit6 de gain de qualit6 de vie) obtenues par le traitement par risedronate renforce l'imp6riosit6 et la pertinence de traiter les patientes h risque. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits rEservEs. Mots cl~s ." Ostroporose ; PrEvention ; Fracture ostroporotique ; Risque L'ostroporose est une cause majeure de mortalitE et de morbiditE dans la population des femmes mEnopausEes et ~gEes. L'EpidEmiologie de cette pathologie ne cesse de cro~- tre parallblement ~ l'augmentation de l'esprrance de vie. La commission europEenne prEvoit une augmentation de 135 % du nombre de fractures du col femoral et une augmentation de 57 % des fractures vertrbrales dans les cinquante pro- chaines anndes si les conduites thErapeutiques actuelles ne sont pas modifiEes [1]. Dans ces conditions, en 2050, le coot estim6 serait de 76,8 milliards d'euros [2]. Une premibre fracture, quelle que soit son site, augmente le risque de fracture ultErieure vertEbrale ou non vertrbrale. Cette augmentation du risque est majeure dans l'annEe qui suit la fracture (Fig. 1). A l'dchelon individuel, l'interven- tion thErapeutique prEcoce devrait permettre la prevention de la premibre fracture. Ceci para~t d'autant plus important que le risque ultErieur de survenue des fractures ostEoporo- tiques, vertEbrales ou non-vertEbrales est plus important apr~s la premiere fracture ; on peut considErer qu'il existe une veritable cascade fracturaire. I1 faut doric agir en prevention primaire ou secondaire de l'ostEoporose pour Eviter la premiere fracture. La densito- mEtrie osseuse est un outil majeur pour dEpister les patientes 5 risque puisque la baisse de la densitE minErale osseuse *Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (Thierry Thomas). © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits rEservEs. (DMO) est corrE1Ee i l'augmentation du risque fracturaire ; le risque relatif de fracture est respectivement de 1, 4,4 (1,2- 15,3) ou 7,4 (2,2-25,1) quand la densitomrtrie est haute, moyenne ou basse. Cependant, ce risque est encore plus grand quand il existe une fracture prEvalente, et ce, de manirre indEpendante : le risque fracturaire est alors respec- tivement de 10,2 (1,1-98,7), 14,9 (3-74,6) ou 25,1 (6,7-93,2) pour une densitomEtrie haute, moyenne ou basse [3]. La combinaison des deux parambtres conduit done hun sur-ris- que important. Le nombre de fractures est Egalement un fac- teur de risque supplrmentaire et ce d'autant plus qu'il existe plusieurs fractures. En effet, 20 % des femmes font une 30 ¸ o~ 25 > 20 =~ lo p < 0,05, vs patientessansFV pr~valentes (RR x 12) i Total 0 1 2+ Nombre de fractures prevalentes Fig. 1. La cascade fracturaire. Le risque de fracture vert~brale (FV) est majeur dans l'annre qui suit une 1 ~ FV : une femme sur cinq se fracture dans l'annre qui suit une I re FV ; le risque de nouvelle fracture vertrbrale (NFV) augmente avec le nombre de FV prrvalentes [6].

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ELSEVIER MASSON

Available online at www.sciencedirect.com

8 C I E N C E ~ D I R E C T e

Revue du Rhumatisme 74 (2007) $2-$4

REVUE DU RHUMATISME

www.elsevier.com/locate/revrhu

La prevention de la premibre fracture ostdoporotique

Prevention of the first osteoporotic fracture

Thierry Thomas

Service de rhumatologie, INSERM U890, CHU, hdpital de Bellevue, 42055 Saint-Etienne cedex 2

R 6 s u m 6

L'ostroporose est un problrme de sant6 publique d'importance croissante ~ mesure que la population vieillit. Elle est cause de morbidit6 et de mortalitr, ainsi que de drpenses de sant6 importantes parce qu'elle touche une tranche large de la population. Diffrrents outils nous aident ~ en prrvoir les consfquences comme la densitomrtrie osseuse. L'utilisation de modbles de simulation tel que le module de Markov permettent d'estimer l'incidence fracturaire chez des femmes 5 risque i long terme (5 ou 10 ans) en fonction de l'incidence i court terme effectivement mesurde dans les essais thrrapeutiques. La superposition de ces donn6es 5 celles des QALYs (unit6 de gain de qualit6 de vie) obtenues par le traitement par risedronate renforce l'imp6riosit6 et la pertinence de traiter les patientes h risque. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits rEservEs.

Mots cl~s ." Ostroporose ; PrEvention ; Fracture ostroporotique ; Risque

L 'os t roporose est une cause majeure de mortalitE et de morbiditE dans la population des femmes mEnopausEes et ~gEes. L'EpidEmiologie de cette pathologie ne cesse de cro~- tre parallblement ~ l 'augmentat ion de l ' esprrance de vie. La commission europEenne prEvoit une augmentation de 135 % du nombre de fractures du col femoral et une augmentation de 57 % des fractures ver t rbrales dans les cinquante pro- chaines anndes si les conduites thErapeutiques actuelles ne sont pas modifiEes [1]. Dans ces conditions, en 2050, le coot estim6 serait de 76,8 milliards d 'euros [2].

Une premibre fracture, quelle que soit son site, augmente le risque de fracture ultErieure vertEbrale ou non vertrbrale. Cette augmentation du risque est majeure dans l 'annEe qui suit la fracture (Fig. 1). A l 'dchelon individuel, l ' interven- tion thErapeutique prEcoce devrait permettre la prevention de la premibre fracture. Ceci para~t d 'autant plus important que le risque ultErieur de survenue des fractures ostEoporo- tiques, vertEbrales ou non-vertEbrales est plus important apr~s la premiere fracture ; on peut considErer qu ' i l existe

une veritable cascade fracturaire.

I1 faut doric agir en prevention primaire ou secondaire de l 'ostEoporose pour Eviter la premiere fracture. La densito- mEtrie osseuse est un outil majeur pour dEpister les patientes 5 r isque puisque la baisse de la densitE minErale osseuse

*Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (Thierry Thomas).

© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits rEservEs.

(DMO) est corrE1Ee i l 'augmentat ion du risque fracturaire ; le risque relatif de fracture est respectivement de 1, 4,4 (1,2- 15,3) ou 7,4 (2,2-25,1) quand la dens i tomrt r ie est haute, moyenne ou basse. Cependant , ce r isque est encore plus grand quand il exis te une f racture prEvalente, et ce, de manirre indEpendante : le risque fracturaire est alors respec- t ivement de 10,2 (1,1-98,7), 14,9 (3-74,6) ou 25,1 (6,7-93,2) pour une densitomEtrie haute, moyenne ou basse [3]. La combinaison des deux parambtres conduit done hun sur-ris- que important. Le nombre de fractures est Egalement un fac- teur de risque supplrmentaire et ce d 'autant plus qu ' i l existe plusieurs fractures. En effet, 20 % des femmes font une

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p < 0,05, vs patientes sans FV pr~valentes (RR x 12)

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Total 0 1 2+ Nombre de fractures prevalentes

Fig. 1. La cascade fracturaire. Le risque de fracture vert~brale (FV) est majeur dans l'annre qui suit une 1 ~ FV : une femme sur cinq se fracture dans l'annre qui suit une I re FV ; le risque de nouvelle fracture vertrbrale (NFV) augmente avec le nombre de FV prrvalentes [6].

T. Thomas/Revue du Rhumatisme 74 (2007) $2-$4 $3

Tableau 1 Augmentation du risque fracturaire vert6bral (SIR) en fonction du site frac-

turaire initial [5]

Fracture initiale SIR de fracture vert6brale

Fracture radius/cubitus 1,5 (1,3 - 1,8) Fracture tibia/pOron6/cheville 1,6 (1,3-2,0) Hum6rus 2,8 (2,3-3,4) C6tes 4,3 (3,7-5,2) F6mur/hanche 2,1 (1,8-2,5)

seconde fracture dans l 'ann6e qui suit une premiere fracture. Un ant6c6dent de fracture non vert6brale augmente le risque de fracture vert6brale. I1 multiplie par 1,5 ~ 4 le risque de fracture vert6brale selon qu' i! s 'agi t respect ivement d 'une fracture du membre sup6rieur (radius ou cubitus) ou des c6tes (Tableau 1).

En pr6vention primaire de la maladie, le th6rapeute doit viser l 'opt imisat ion du pic de masse osseuse ?~ l 'adolescence et la l imitation de la perte osseuse aprbs la m6nopause en favorisant tes r~gles hygi~no-di6t6tiques et l 'exercice physi- que. En pr6vention secondaire, il s 'agi t de prendre en charge les femmes pr6sentant d6j~t une perte osseuse. La pr6vention de la premiere fracture est d6sormais reconnue h sa juste mesure par les autorit6s de sant6 ?a t ravers trois act ions majeures r6centes : la publ ica t ion de la mise h jou r des recommandat ions pour le trai tement de l 'os t6oporose par I ' A F S S A P S (janvier 2006), le remboursement de la densito- m6trie chez les femmes ~t risque 61ev6 depuis le 1 ~ jui l le t 2006, et le remboursement des traitements en pr6vention de la premibre fracture chez les femmes ?a risque depuis octobre 2006.

L ' impac t r6el des trai tements de l 'os t6oporose dans la prfvention primaire des fractures, et notamment l ' impact du risedronate, dans cette population, a 6t6 estim6 5 travers un module de simulation, le mod61e de Markov. Ce modble a 6t6 valid6 dans diff6rentes cohortes et permet d '6tudier le rapport cofit/efficacit6 d 'un traitement. I1 peut alors permet- tre de calculer un risque de survenue de fracture et la morta- lit6 li6s ~ l 'ostdoporose comme l 'on t d6montr6 Kanis et col- laborateurs [4]. En effet, ce modble 6value la probabil i t6 pour un individu sain de rejoindre le groupe ~ malade >> (c'est-~t-dire avoir une fracture) ou de rester dans le groupe sain. Ce mod61e repose sur le report ann6e apr~s ann6e de ces donn6es (Fig. 2) [4].

Le module de Markov a ainsi 6t6 appliqu6 pour 6valuer l 'efficacit6 du risedronate lors d '6tudes longitudinales con- cernant le traitement de l 'ost6oporose : le risque de fracture

vert6brale dans la population de patientes non trait6es a 6t6 calcul6 h partir de la populat ion des groupes placebo, des 6tudes VERT NA, VERT MN, et HIP, soit 703 patientes m6nopaus6es, ostdoporotiques, sans fracture pr6valente [5]. L 'appl icat ion du modble de Markov permet une estimation de l ' incidence fracturaire de 8 % ?~ 1 an, 33 % ?a 5 ans et de 55 % ~t l0 ans, dans cette population.

L ' impac t du risedronate 5 mg en pr6vention primaire de la fracture vert6brale, dans une population similaire, a 6t6

Nb de Fracture 0 1 2 Vert6brale

Annee 0 ~ l

Annee 1

Calcul pour [a deuxi~.me annee

Annee 2

Annee 5

Fig. 2. ModUle de Markov : calcul du hombre de fractures chez des patientes non trait6es. Dans le groupe placebo 6tudi6 sans fracture, 8 % des femmes ont fait une fracture au cours de la premiere ann6e. II y a donc 92 % des fern- rues au bout de la premiere ann6e qui n'ont pas de fracture, avec 7 % ayant une fracture, et 1% avec deux fractures. Le modble de Markov consiste reproduire ce calcul ann6e apr~s ann6e. Ainsi, 92 % des 92 % des femmes ost6oporotiques sous placebo resteraient sans fracture la deuxi~me annde. Le calcul permet alors d'estimer que 85 % des femmes ost6oporotiques sous placebo vont rester sans fracture, 12 % auront une fracture, 2 % auront deux fractures, et 1% aura trois fractures. En faisant, les projections sur 5 ans, on constate in fine que deux tiers resteraient sans fracture, soit un tiers aurait au moins une fracture.

6valu6. I1 s 'agi t d 'une 6tude ayant compar6 l ' incidence frac- turaire vert6brale dans la population de patientes sans frac- ture pr6valente, des groupes non trait6s des principales 6tu- des pivots (VERT NA, BMD MN, BMD NA et HIP) aux patientes sous traitement. Le suivi longitudinal a montr6 la capacit6 du r isedronate ?~ r6duire l ' inc idence de premibre fracture, d6s la premibre ann6e, de 75 % ~ 3 ans [4] (Fig. 3). Le nombre de patientes ~ traiter 6tait de 15 pour 6viter une nouvelle fracture. Cette r6duction s 'observai t quel que soit l 'fige ; la r6duction 6tait de 70 % chez les patientes issues des 6tudes VERT-NA, B M D - N A et BMD-MN qui avaient un ~ge moyen de 64 ans, et de 80 % chez les patientes issues de l '6tude HIP dont l '~ge moyen 6tait de 76 ans. Cette diff6- rence significative d~s un an de traitement confirme l 'eff ica- cit6 rapide du risedronate.

Femmes m~nopos~es avec T-score < -2,5 DS

~ . Ris~dronate 5 mg

10 .

c l = (37 %, 9o o 6 p = o,oo2 I

NNT = 151, 8~

E

O ! ! ! !

0 6 12 18 24 30 36 Mois

Figure 3 : Le ris6dronate r6duit le risque de lr° fracture vert~brale (FV) chez les patientes sans FV pr6valente d~s la premi6re ann6e [4].

$4 T. Thomas/Revue du Rhumatisme 74 (2007) $2-$4

En superposant les donnEes extrapolEes selon le module de Markov et l'efficacit6 ddmontrEe par le risedronate, on peut estimer que sous risddronate, le risque annuel de frac- ture chez des femmes ost6oporotiques sans fracture, ne serait que de 2 % avec une pr6valence de seulement 10 % cinq ans. Ce modble suggEre donc une place importante du risedronate dans la prevention de la cascade fracturaire chez des femmes ostdoporotiques sans fracture prEvalente.

Le rapport coOt/efficacitd peut Egalement &re calculE en se rapportant ~ une cohorte non traitEe. L'unitE utilisEe est alors le << QALY >> (Quality Adjusted Life Years) ; soit le nombre d'anndes avec un gain en qualitE de vie. Un coot de 40 000 ~ pour l'amElioration d'un indice de qualit6 est con- sider6 comme acceptable, c'est ~ dire rentable en terme de santE publique. Dans la plupart des pays europEens (Suede, Finlande, Belgique), le risedronate apporte cette amEliora- tion significative en termes de QALY, alors que ce n'est pas le cas en Espagne, compte tenu du prix des medicaments et de la prise en charge globale, le coot par QALY atteignant 80 100 tg.

I1 faut souligner quelques limites au modble de Markov. Le risque fracturaire appliqu6 dans cette simulation est con- sidEr6 comme stable au cours du temps. Ainsi, ce module nEglige le fait que le risque fracturaire s'aggrave avec l'~ge et ~ l'inverse qu'une femme n'ayant pas eu de fracture dans la premibre ann6e, a probablement un risque fracturaire moindre les annEes suivantes. Les rEsultats de ce modble demandent ~ ~tre confirm6 dans d'autres cohortes de fern- rues ost6oporotiques sans fracture pr6valente. Cependant, ce module a l'6norme avantage de s'appliquer ~ des cohortes

existantes et de fournir des donnEes mEdico-Economiques complEmentaires cruciales.

En conclusion, on peut escompter que le remboursement des medicaments anti-ostEoporotiques permettra de traiter plus t6t les femmes ~ risque de fracture ostEoporotique en utilisant la densitom6trie, si nEcessaire avant la premiere fracture. Compte tenu de l'ensemble des donnEes dont nous disposons, le risedronate est efficace en prevention de la pre- miere fracture avec un rapport coot efficacitE favorable.

R~f~rences

[1] Report on Osteoporosis in the European Community - Action for Prevention: http ://www.iofbonehealth.org/download/osteofound/ filemanager/publicafions/pdfleu-report- 1998.pdf ; 1998.

[2] Kanis JA, Johnell O. Requirements for DXA for the management of osteoporosis in Europe. Osteoporos Int 2005;16:229-38.

[3] Ross PD, Davis JW, Epstein RS, Wasnich RD. Pre-existing fractures and bone mass predict vertebral fracture incidence in women. Ann Intern Med 1991;114:919-23.

[4] Heaney RP, Zizic TM, Fogelman I, Olszynski WP, Geusens P, Kasi- bhatla C, et al. Risedronate reduces the risk of first vertebral fracture in osteoporotic women. Osteoporos Int 2002;13:501-5.

[5] Van Staa TP, Leufkens HG, Cooper C. Does a fracture at one site pre- dict later fractures at other sites ? A British cohort study. Osteoporos Int 2002; 13:624-9.

[6] Lindsay R, Silverman SL, Cooper C, Hanley DA, Barton I, Broy SB, et al. Risk of new vertebral fracture in the year following a fracture. JAMA 2001 ;285:320-3.

[7] Heaney RP, Zizic TM, Fogelman I, Olszynski WP, Geusens P, Kasibhatla C, et al. Risedronate reduces the risk of first vertebral fracture in osteoporotic women. Osteoporos Int. 2002; 13(6):501-5.