LA DIVISION ET L'UNITÉ DU POLITIQUE DE PLATON

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  • LA DIVISION ET L'UNIT DU POLITIQUE DE PLATON

    Dimitri EL Murr

    P.U.F. | Les tudes philosophiques

    2005/3 - n 74pages 295 324

    ISSN 0014-2166

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2005-3-page-295.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    EL Murr Dimitri, La division et l'unit du politique de Platon , Les tudes philosophiques, 2005/3 n 74, p. 295-324. DOI : 10.3917/leph.053.0295--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • LA DIVISION ET LUNITDU POLITIQUE DE PLATON*

    Monique Dixsaut

    la suite du Sophiste, qui le prcde dramatiquement, le Politique a pourfinalit de dfinir la comptence spcifique que lhomme politique (poli-tikqV 5nhr)1 dtient. Cette recherche suit un cours on ne peut plus sinueux :des divisions, en apparence ingalement pertinentes, entrecoupes de paren-thses mthodologiques, mnent un mythe thologique et cosmologiquecomplexe, ce dernier, une analyse minutieuse de lusage et de lutilit desparadigmes, celle-ci introduisant une longue tude du tissage, puis la distinc-tion entre deux types de mesure. En 287B, enfin, ltranger et le jeuneSocrate abordent directement ce qui semble constituer le cur du dialogue :la dfinition dune vritable comptence politique (t@cnh politikP) et de saplace dans la cit.

    considrer ce bref rsum, rien dtonnant ce que le Politique ait ausein des Dialogues la rputation dun texte, certains gards, confus, dautres, scolaire2, ni quil soit le plus souvent considr comme unecollection de passages mthodologiques utiles lexgse des autres

    * Jai prsent diffrentes versions de cette tude en 2003 lors dune confrenceconsacre au Politique lcole normale suprieure, puis, en 2004, au Work in Progress Seminarde lUniversit de Durham (Grande-Bretagne), enfin au Workshop in Ancient Philosophy delUniversit de Notre Dame (Indiana, tats-Unis). Les questions, remarques et suggestionsdes personnes prsentes mont aid approfondir de nombreux points dvelopps dans cetarticle : quelles en soient toutes remercies, et plus particulirement Melissa Lane, MaryLouise Gill, Mitch Miller, Ken Sayre, Fulcran Teisserenc et Sylvain Delcomminette, qui a eula gentillesse de menvoyer de prcieuses remarques crites. Je veux aussi exprimer ma pro-fonde reconnaissance Bernard Sve, Christopher Rowe et Denis OBrien qui nont mnagni leur temps ni leur patience pour discuter lensemble, ou certaines parties, de ce travail.Enfin, les remarques critiques de Monique Dixsaut ont t, comme toujours, suggestives etdcisives : cest elle quest ddie cette tude, avec toute ma reconnaissance et en hommage ce quelle incarne pour les tudes platoniciennes, et ce quelle reprsente pour moi.

    1. Pol., 258B1-2 : Eh bien, aprs le sophiste, il me semble que cest le politique quilnous est ncessaire de rechercher ; 258C2 : Dans quelle direction allons-nous donc trou-ver le sentier qui mne au politique ? Toutes les traductions du grec sont les miennes.

    2. Voir, par exemple, Taylor (1961), 250 ; Ryle (1966), 285-286 ; Benardete (1984), 73 ;Annas (1995), XXII.

    Les tudes philosophiques, no 3/2005

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  • dialogues1. Pourtant le Politique, texte certes sinueux et complexe, nemanque en rien dunit ni de rigueur. Pour peu quon prte attention lalettre du texte, lensemble des passages o Platon, par la bouche deltranger, na de cesse de rappeler les diffrentes tapes de la division, ildevient clair que lunit du Politique est celle de lunique diaBresiV qui leparcourt.

    La thse dfendue ici est nanmoins paradoxale deux titres.Elle soppose, dabord, lopinion admise parmi bon nombre de com-

    mentateurs du dialogue. Je nentends pas ici les passer tous en revue. Quilme suffise de rappeler, trs brivement et titre dexemple, que certains ex-gtes, dinspiration straussienne notamment, considrent quil faut lire ledialogue comme la dmonstration de linadquation de la diaresis ltudedes affaires humaines 2 et donc attribuer aux divisions du Politique unefonction essentiellement parodique 3. Mme sil ne sagit pas de nierlimportance de lhumour et la dimension ironique de certaines divisions duPolitique4, il sen faut de beaucoup que cela soit le dernier mot de Platon surcette mthode : de la conscience ironique des limites de la division laparodie pure et simple, il y a un gouffre que le texte du Politique nautorisepas franchir.

    Mais il est vrai que les protagonistes du dialogue nont de cesse de mar-quer des pauses et des digressions qui semblent autant de ruptures explicitesdans la progression du dialogue. Quand ltranger introduit le mythe, il sou-ligne quil faut (...) en prenant un nouveau dpart (Cx 5llhV 3rcRV), suivreune autre route (kaqB Dt@ran tdpn) (268D5-6) . Quelques pages plus loin, etde faon apparemment tout aussi abrupte, il ajoute qu il est difficile (...)sans user de paradigmes, de montrer de faon satisfaisante lun quelconquedes sujets dimportance majeure (277D1-2) . Plutt quune unique divisionstructurant tout le dialogue, ce serait donc, semble-t-il, la succession de plu-

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    1. Rowe (1993, 3) a justement soulign ce problme : Lun des problmes que ren-contre le dialogue, cest quen gnral les commentateurs ont trouv davantage dintrt dansses parties que dans le tout quelles composent. Cela pourrait sexpliquer, notamment, parlaspect explicitement fastidieux de nombreuses et importantes parties de largument (explici-tement, car reconnu, ou suggr, par lun des personnages principaux) ; mais, paradoxale-ment, cette situation est aussi une consquence de la richesse du dialogue. Le Politique est untrsor de petits passages et de sections intressant diffrentes personnes pour des raisons dif-frentes, et tous ceux qui discutent de ces passages ne sont pas galement scrupuleux danslexamen de leur contexte (ma traduction).

    2. Rosen (1995), 2 (ma traduction). Voir aussi p. 36 : Presumably no great effort isrequired to persuade those who have followed the preceding analysis that the use of diairesisis somehow ironical or playful.

    3. Cest lun des principaux prsupposs de Scodel (1987) : I would go so far as to saythat Platos depiction of diairesis as practiced by the Stranger is just as parodic as the frag-ment of the poet Epichrates so often adduced to illustrate the tediousness of logical divi-sion (p. 18). Voir aussi Skemp (1961) : There is obviously a certain amount of fun made ofthe method in the early divisions. They prove to be faulty and even when corrected they areinadequate to reveal the statesmans real nature (p. 18).

    4. Comment, sinon, rendre compte, par exemple, des pages 266A-D et du calembourmathmatique quelles dveloppent ?

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  • sieurs mthodes de recherche et de dfinition qui en scanderait la progres-sion. Pourtant, je crois quil est possible de montrer que ces ruptures mthodologiques sinscrivent dans le dveloppement dune seule et uniquedivision, dont certaines prmisses initiales ne sont jamais remises en cause.

    I. Une unique division

    La poursuite dune dmarche diairtique unitaire dans lensemble dudialogue est trs clairement atteste par ltranger en 292B3-D1, au dbutde son analyse des diffrentes formes de constitution :

    E. E. Ce que nous avons dit au dbut, le tenons-nous pour acquis ou biennen sommes-nous plus daccord ?

    J. S. De quoi parles-tu donc ?E. E. Nous avons dit, je pense, que le gouvernement royal relve dune des

    connaissances ?J. S. Oui.E. E. Et non pas de toutes, mais, part des autres, nous avons choisi,

    je crois, une connaissance critique et directive (3ll1 kritikQn dPpou tin1 kaa Cpista-tikQn)1.

    J. S. Oui.E. E. Et, dans la connaissance directive, nous avons mis part celle qui a

    pour objet les productions sans vie de celle qui a pour objet les vivantes, et en parta-geant de cette faon nous en sommes arrivs o nous sommes maintenant, sansjamais oublier la connaissance, mais sans avoir encore t capable de la dfinir avecune prcision suffisante (292B3-C3).

    prendre ces propos au srieux, il ne fait aucun doute que le Politique nedveloppe quune seule et unique division, commenant en 258B7 etsachevant par la dfinition de la t@cnh politikP en 305E2-6. Sil en est bienainsi, on doit tre mme de la produire, tape par tape et dans son int-gralit : cest le but que vise la prsente tude. Ce qui implique de justifierlinscription du mythe, lanalyse du paradigme, enfin celle des constitutionsexistantes, dans le cours mme de la division.

    Lenjeu du problme est important, car au lieu de considrer, commecela a souvent t le cas2, que la division est une des mthodes dont Platondispose, parmi dautres, pour dfinir lart politique et dont il entend montrerla nette insuffisance3, il apparatra au contraire que le Politique, unifi par une

    La division et lunit du Politique de Platon 297

    1. Ce passage est surprenant, car ltranger semble contredire sa division initiale,en 260A10-B1, entre kritikP et CpitaktikP, mais, en ralit, la division tait moins entreconnaissance critique et connaissance directive quentre connaissance uniquement critique etconnaissance directive (incluant ncessairement le jugement), comme le montrent les exem-ples choisis pour guider la division : larithmtique et larchitecture. Voir Rowe (1995), notead loc., et Brisson-Pradeau (2003), note ad loc.

    2. Cf., par ex., Santa-Cruz (1995), 190-199.3. Voir, malgr leurs divergences, les analyses de Skemp (1961), de Lane (1998) ou

    encore de Castoriadis (1999).

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  • seule diaresis 1, entend illustrer, et mettre en pratique, les conditions de sonusage adquat tout autant quen souligner les limites. Le Politique est sansconteste le texte le plus dcisif pour comprendre ce que Platon entend pardiaresis 2. Mme si la dtermination de lart politique nest pas pour autant unsimple prtexte3, il ne faut pas oublier que la finalit du dialogue nest quesecondairement le politique. Car il sagit avant tout de devenir meilleur dia-lecticien sur tous les sujets (pera p0nta dialektikwt@roiV gBgnesqai,285D6-7).

    II. Des premires divisions au mythe

    Aprs avoir rcapitul (267B-C) les premires divisions, ltranger offreen 267C1-3 la premire dfinition correspondant au nom de lart du poli-tique (tqn lpgon to snpmatoV tRV to politiko t@cnhV, 267A5-6) :

    La seule partie restante pour le troupeau bipde, cest celle qui consiste patreles hommes : voil dsormais prcisment ce que lon a cherch, cette partie mmequon a appele la fois royale et politique (Cpa poBmn dBpodi m@roV 3nqrwponomikqnEti leifqAn mpnon, totB atp Cstin Udh tq zhthq@n, 7ma basilikqn tatqn klhqAn kaapolitikpn) (267C1-3).

    Cette dfinition se voit immdiatement critique. Mais, prcision capitale,elle nest pas considre comme fausse.

    Avons-nous trait de faon tout fait satisfaisante (dkanV) le sujet quenous nous tions propos ? Ou bien notre recherche nest-elle pas vraimenten dfaut sur ce point prcis : en un certain sens, une dfinition a t donne, maiselle na pas t acheve de faon absolument complte (pant0pasB ge tel@wV3peirg0sqai) (267C8-D1) ?

    En effet, dans ces lignes, comme dans les autres passages o il value lersultat obtenu par la division (275A-B, 277A-D, 278A-279A), ltrangerinsiste avec force sur le critre qui permet de dire quune bonne dfinitionest atteinte. lvidence, la pertinence dune division ne se mesure quertrospectivement, laune de son rsultat (la dfinition). Or, pour ce faire,la validit de la dfinition doit tre value. Pour le dire dans les mots, main-tes fois ritrs, du Politique, on sait quune division est acheve et une dfi-

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    1. C. Rowe a dfendu une interprtation similaire : voir Rowe (d.) (1995), 13-28, ainsique Rowe (1996), 153-179. Dans une perspective trs diffrente, mais non moins intres-sante, voir Delcomminette (2000).

    2. Pour dcrire les processus de division, le dialogue utilise plus dune vingtaine de ver-bes dont voici, classe par ordre de frquence, la liste, je lespre, exhaustive : diair@w(38 occurrences) ; t@mnw (18) ; diorBzw (13) ; 3fair@w (9) ; 3pocwrBzw, dian@mw (6) ;cwrBzw (5) ; 3pon@mw, dialamb0nw (3) ; 3pomerBzw, 3poscBzw, 3fwrBzw, diacwrBzw (2) ;3pot@mnw, diamerBzw, diistPmi, diast@llw, dic0zw, dicotom@w, kataqraAw, merBzw, meso-tom@w, sunt@mnw, scBzw (1).

    3. Lane (1998), 194-202, a trs bien montr comment, dans le Politique, rflexion sur lamthode et thorie politique sont intimement lies.

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  • nition complte, quand le nom (do la prcision en 267A5-6) donn aursultat de la dernire coupe correspond la seule et unique ralitrecherche1. Par consquent, il faut, pour sassurer que la division estacheve, vrifier si la ralit vise dont on connat le nom (art politique,ou homme royal) peut seule prtendre au titre qui la dfinit (pasteurdhommes).

    Or prcisment, en convoquant commerants, laboureurs et boulan-gers, gymnastes et mdecins, ltranger montre clairement que l3nqrwpono-mikP nest pas exactement coextensive la t@cnh politikP et que, par cons-quent, la premire ne peut en aucun cas servir de dfinition la seconde.Bien sr, laboureurs et boulangers nont rien voir avec la science thoriqueautodirective et nul ne confondrait empiriquement la boulangerie et lart poli-tique. Mais l nest pas le problme : leur prtention lgitime revendiquerle nom de pasteur dhommes, au sens o eux, plus que quiconque2, ont le soucide la trofQ tRV 3nqrwpBnhV, suffit prouver que le politique nest pas le seulpasteur dhomme. Or, comme lindique la comparaison avec le bou-vier (268A-B), ce qui dfinit un pastorat spcifique, cest la relation exclusiveque le pasteur entretient avec son troupeau et qui, rappelons-le, a justifi, partir de 261B, que lon divise le genre pastoral selon la nature de son objet,attribuant ainsi chaque pasteur son troupeau spcifique.

    Le rsultat des premires divisions est un scRma basilikpn qui, commetel, manque dexactitude. Dfinir le politique implique donc de rendre plusclair ce premier rsultat, en sparant (cwrBsanteV), de tous ceux qui serclament du pastorat humain, lhomme politique, pour le montrer, lui,purement et simplement (kaqarqn mpnon). Cest pour cette tche questintroduit le mythe3. Lunique fonction mthodologique explicite de cegrand rcit thologico-cosmologique est donc de permettre de sparer,dans le genre du pastorat, le politique de ses rivaux, nourriciers du trou-peau humain. Dailleurs, ltranger souligne que le mythe nest quuneparenthse aprs laquelle, comme nous lavons fait auparavant, en retran-chant sans cesse une partie dune partie (m@roV 3ea m@rouV 3fairoum@nouV),nous parviendrons la pointe de ce que nous cherchons (CpB 5kron tqzhtoAmenon) (268E1-2). Peut-on dire plus clairement que le mythe na pasdautre but que de rendre possible la poursuite de la division, seule mmede trouver le sentier de politique ?

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    1. Le dialogue souligne avec beaucoup dinsistance la ncessit pour la ralit dfinie derester seule au terme de la division : cf. lusage de ladjectif mpnon en 267C2, 268C2, C10,275B4, 276B6, 279A4, 303E, 304A3. Voir aussi lusage de ladverbe tel@wV ou de ladjectift@leon en 267C-D, 275A9, 277A1, A5, 281D2.

    2. Je dis plus que quiconque , car, comme le prcise ltranger, boulangers et labou-reurs nourrissent le troupeau et les chefs eux-mmes (268A3).

    3. Cf. 268D2-3.

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  • III. Correction et poursuite de la division

    Les deux erreurs des premires divisions

    La fonction mthodologique du mythe est rtrospective : il permet deconsidrer les erreurs commises par les divisions prcdentes. La fin du pas-sage o ltranger reprend (en 276A) la division l o il lavait laisse(en 267A-C) indique que les premires divisions ont commis deux erreursprincipales1. Ltranger introduit en effet deux sectionnements successifsrectifiant la division, lun distinguant pastorats divin et humain, lautre spa-rant le gouvernement par la force de celui accept de plein gr. La premireerreur, la plus grave, a donc consist confondre les modalits du pastorathumain et celles du pastorat divin ; la seconde, plus bnigne, considrercomme claire et complte la dfinition du politique2 donne en 267B-C,alors mme que la modalit (trppoV) prcise et spcifique de son gouverne-ment na pas t lucide.

    Le mythe ou, plus prcisment, lge de Kronos quil dpeint(271C-272B) expose les conditions sous lesquelles le rsultat des premiresdivisions est vrai. Cest sous lge de Kronos, en effet, que les hommes sontgouverns pas un pasteur qui les nourrit et subvient tous leurs besoins :

    (...) Cest le dieu qui les paissait, les dirigeant lui-mme, comme de nos jours leshommes, qui se distinguent en ce quils sont dune race plus divine, paissentdautres espces qui leur sont infrieures. Or, puisque le dieu les paissait, il ny avaitpas de constitution, ni de possession de femmes et denfants : en effet, cest de laterre quils revenaient la vie, sans aucun souvenir de leur existence antrieure.Mais, si rien de tout cela nexistait, en revanche, des fruits profusion leur venaientdes arbres et dinnombrables vgtaux, fruits qui ne ncessitaient aucune culture,mais provenaient spontanment de la terre. Et ils vivaient nus, dormant le plus sou-vent mme le sol, car les saisons avaient t tempres pour leur viter de souffrir,et leur couches taient molles, faites dherbe foisonnante poussant mme laterre (271E5-272B1).

    La premire des deux erreurs des divisions prcdentes est donc axiologique :elle a consist dfinir lhomme politique comme un pasteur nourricier dutroupeau humain, alors mme que cette fonction ne peut incomber qu undieu. Or, comme le rappelle ltranger3, nos hommes politiques d prsentsont bien plus semblables ceux quils gouvernent que ne lest un pasteurdivin de son troupeau humain.

    Cependant, diagnostiquer lerreur est une chose, identifier sa cause enest une autre. Comment a-t-on perdu la trace du sentier qui mne aupolitique ?

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    1. Voir, pour une lecture diffrente, Rowe (1995), note 274E10-275A6, qui distinguedans ce passage cinq erreurs.

    2. Cf. 275A4-5 : tq mAn lecqAn 3lhq@V, o mQn wlon ge odA safAV CrrPqh.3. Cf. 275C1-4.

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  • E. E. Revenons donc sur nos pas de la manire suivante. Navons-nous pasdit en effet quil existe un art autodirectif (atepitaktikP) sexerant sur les ani-maux, non de faon individuelle, mais en prenant soin deux collectivement, et nelavons-nous pas alors tout de suite appel art de nourrir les troupeaux (3gelaio-trofikP) ? Ten souviens-tu ?

    J. S. Oui.E. E. Eh bien, cest cet art1 sur lequel dune certain faon nous avons fait

    erreur. En effet, nulle part nous ny avons compris lhomme politique, ni ny avonsnonc son nom, mais, notre insu, il sest chapp quant la dnomination luiattribuer (kat1 tQn snomasBan) (275C9-D6).

    Cest donc la cinquime division (261D-E) qui constitue ltape fautive dela diaresis. Mais en quoi est-elle fautive ? ltape prcdente, en 261C, ladivision prend un tour crucial, puisque, partir de ce point, les dichotomiessont commandes par des distinctions dobjets et non, linstar des prc-dentes, par diffrentes modalits de lepistkme (thorique ou pratique, seule-ment critique ou critique et directive, etc.). Ainsi, comme la rappelltranger, la t@cnh atepitaktikP est divise en deux espces, lune produc-trice de choses inanimes, lautre dtres vivants. Et ltranger de poursuivre :

    E. E. Quant la production et llevage (nourrissage) des animaux (tn znwng@nesin kaa trofQn), on peut y voir, dune part, un levage par unit et, dautre part,un soin collectif des btails constitus en troupeaux (tQn dA koinQn tn Cn tabV3g@laiV qremm0twn Cpim@leian).

    J. S. Correct.E. E. Quant au politique, nous ne trouverons pas quil est leveur individuel,

    comme un laboureur avec un buf de charrue ou un cuyer avec son cheval, maisquil est plutt semblable un leveur de chevaux ou un leveur de bufs (3llBdppofor te kaa boufor m2llon proseoikpta) (261D3-9).

    Il est frappant de remarquer que la trofP est introduite sans aucune justifi-cation et sans aucune prcision dans le cours de la division. Pourtant, cestbien cette introduction qui modifie le cours de la division et donne au genreobtenu son nom d3gelaiotrofikP. Certes, ltranger prcise que lart poli-tique consiste en une Cpim@leia du troupeau, mais cette prcision reste (pourlinstant) lettre morte et ne permet pas de prciser ce quil faut entendrepar trofP.

    La trofP, qui a permis de constituer le genre auquel est cens appartenirlart politique, est une notion dont le sens prcis ne peut convenir aupolitique qui ne nourrit pas le troupeau quil gouverne, mais qui, en revanche,convient tous les autres pasteurs danimaux et au pasteur dhommesquest le pasteur divin. Cest en ce sens que le nom du politique sestenfui (Ckfugn, 275D6) de la division : en constituant un genre del3gelaiotrofikP, on en a exclu lart politique. Rien dtonnant, alors, ce

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    1. Je lis, avec Burnet et Robin, le taAthV de la plupart des manuscrits, que Ast, suivi parDis, corrige inutilement en taAtx.

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  • que la dfinition obtenue en 267C convienne mieux dautres arts (boulan-gerie, commerce, etc.) qu lart politique lui-mme.

    Par consquent, corriger la division revient reprendre cette cinquimetape afin de constituer un genre incluant le politique et permettant de pour-suivre la division pour ly trouver. Cest ce que fait ltranger en 275E3-9quand il renomme le genre de l3gelaiotrofikP par laction de soigner (tqqerapeAein), pourvu quelle ne soit pas dfinie en termes de nourrissage1 nide quelque autre activit prcise (mhdAn diorisqeBshV trofRV mhd@ tinoV 5llhVpragmateBaV) . Ainsi, en dsignant indiffremment le genre de la cinquimetape comme lart qui soccupe des troupeaux (3gelaiokomikP), qui lessoigne (qerapeutikP) ou qui en a le souci (CpimelhtikP), il tait possibledenvelopper le politique lui-mme en commun avec tous les autres,puisque cest l ce que le logos nous signifiait de faire . Dit autrement,lCpimelhtikP est un genre assez gnral pour inclure le politique et sesrivaux et permettre ainsi, terme, de len sparer.

    Aussi, en 276A, ltranger insiste sur la reprise de la division. Une fois legenre de l3gelaiotrofikP remplac par celui de l3gelaiokomikP, une foisleve lambigut que recle une acception troite du pastorat, il ne faitaucun doute que la division est cense reprendre le cours qui fut le sienen 264B-267C. On scindera donc l3gelaiokomikP par la diffrence entreanimaux aquatiques et terrestres, et ce jusqu dfinir lart politique commelart de prendre soin des bipdes non croisant sans plumes, cest--dire lart deprendre soin des hommes. ce stade de la division, comme le rappelleltranger en 276A6-7, la dfinition obtenue convient aussi bien au pastoratdivin qui prend soin des hommes qu lart politique humain. Par cons-quent, on divisera lart du soin du troupeau humain en soin pastoral divin etsoin humain, puis ce dernier en soin reu par la contrainte et soin reu deplein gr, cette dernire section distinguant la tyrannie de lart politique2. Lesoin du troupeau bipde consentant est donc la dfinition et le nom de lartpolitique.

    Le tlos du mythe

    Le mythe a-t-il finalement rempli la fonction mthodologique qui luitait assigne ? Au jeune Socrate qui croit lart politique enfin dfini,ltranger rpond en valuant le mythe quil vient tout juste de raconter :

    Voil qui serait pour nous un beau succs, Socrate. Mais il ne faut pas que toiseul en ait la conviction : moi aussi, je dois la partager, en accord avec toi. Or, enralit, mon avis du moins, notre esquisse du Roi ne semble pas encore acheve(opw faBnetai t@leon t basileV Pmbn scRma Ecein). Au contraire, comme des sculp-teurs qui, dans leur hte parfois inopportune charger de dtails et amplifier cha-cune de leurs uvres plus quil ne le faut (par1 kairqn CnBote speAdonteV pleBw kaa

    302 Dimitri El Murr

    1. Jemprunte Dis cette traduction de trofP.2. Sur la critique ultrieure de cette distinction en 291C sq., voir Rowe (1995), note

    276E1-2.

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  • meBzw to d@ontoV Gkasta tn Ergwn), en retardent laccomplissement, nous aussi, linstant, afin de rendre manifeste, avec rapidit mais aussi avec magnificence (prqVt tac kaa megaloprepV), lerreur de notre prcdent parcours, parce que nouspensions que la fabrication de grands modles convenait au Roi (t basilebnomBsanteV pr@pein meg0la paradeBgmata poiebsqai), chargeant ainsi sur nos paulesune masse tonnante sous la forme dun mythe, nous avons t contraints duserdune part plus grande quil net fallu (meBzoni to d@ontoV Snagk0sqhmen atom@rei proscrPsasqai). Voil pourquoi nous avons fait un expos trop long et navons en aucuncas donn une fin notre mythe (kaa p0ntwV t mAq t@loV ok Cp@qemen) ; notre dis-cours, au contraire, est en tout point semblable un portrait dont le contour ext-rieur parat trac de faon satisfaisante, mais qui na pas encore reu la vivacit quedonnent la peinture et le mlange des couleurs (277A6-C3).

    Ce texte est capital plusieurs titres. Il expose dabord, en un certainsens, lide que Platon se fait de lutilit dialectique de son propre mythe ; ilfait ensuite la transition vers lanalyse du paradigme ; il introduit, enfin, lethme de la juste mesure dont on sait quil est au centre (au propre commeau figur) du Politique.

    Ce passage expose rtrospectivement les raisons qui font du mythe cequil a t : un long rcit cosmologique et cosmogonique dtaill etcomplexe. Le mythe a t introduit pour corriger les premires divisions et,dans une mesure restreinte, il a rempli cette fonction. Pourtant, il nendemeure pas moins que le rcit a dpass la mesure, lapdeixis a t troplongue. Je reviendrai dans un instant sur la raison allgue pour expliquercette dmesure du mythe, mais, pour lheure, un point mrite une attentionparticulire.

    En effet, le jugement de ltranger peut sembler trs trange : p0ntwVt mAq t@loV ok Cp@qemen ; littralement, nous navons pas port notremythe son achvement, son terme . En quel sens le mythe na-t-il pasatteint son tlos ? On pourrait soutenir que le mythe est effectivement ina-chev parce que lui manque le rcit dun renversement supplmentaire, delge de Zeus celui de Kronos1. Pour sduisante quelle soit, cette solutionme semble compliquer outre mesure les allusions de ltranger ici et surtoutsintgrer difficilement ce que ltranger dit lui-mme en 274E1 (kaa tqmAn dQ to mAqou t@loV Cc@tw) quand il donne explicitement une fin aumythe. Lautre possibilit serait de lire t mAq comme renvoyant non pasau mythe lui-mme, mais lensemble de lenqute prcdente2. Ce quiimplique que to mAqou en 277B5 et t mAqw en B7 naient pas le mmerfrent, ce que lon ne peut supposer sans un argument solide.

    Or il me semble quun tel argument est disponible, si du moins on consi-dre, comme je le fais, que cette phrase est en ralit une quasi-citation delIliade, par laquelle Platon joue sur le mot mqoV, en lentendant la fois enson sens technique platonicien et en son sens homrique. En effet, si

    La division et lunit du Politique de Platon 303

    1. Cest linterprtation dfendue par Delcomminette (2000), 208.2. Cf. Rowe (1995), note ad loc.

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  • lexpression CpitiqPmi t@loV tini est relativement courante chez Platon1,lexpression CpitiqPmi t@loV t mAq est unique dans les Dialogues. Et elleest quasiment unique dans lensemble de la littrature grecque archaque etclassique conserve, ces deux exceptions prs2 :

    Iliade, XIX. 107 : yeustPseiV, odA ate t@loV mAq CpiqPseiV.Iliade, XX. 369 : odA "cileV p0ntessi t@loV mAqoiV CpiqPsei.

    Dans le premier cas, Zeus se glorifie de la naissance imminente dHraclset promet que lenfant de sa descendance qui natra aujourdhui est destin rgner sur tous ses voisins. Hra le dfie en lui disant quil ne mettra pas sesactes en conformit avec ses paroles. Zeus se lie alors par un serment, sansvoir quHra le trompe puisquelle sempresse de faire natre avant terme unautre descendant de Zeus. Dans le second cas, Achille exhorte les Achensau combat en annonant que nul nchappera au fer de sa lance. Hectorrpond la provocation disant aux Troyens quil est bien plus facile de com-battre avec des mots quavec des actes et quAchille ne mettra pas tous sesmots en acte. Devant la raret de lexpression, il me semble plus que pro-bable que son usage par Platon soit dlibr.

    De plus, les contextes des deux citations homriques correspondent celui du Politique : dans les trois cas, il sagit dinsister sur la conformit desactes aux paroles, cest--dire sur la ralisation concrte dun projet ou dunserment nonc. En 277B5, to mAqou correspond donc sans ambigut aumythe qui vient dtre narr, mais il nen est pas de mme pour t mAqwen B7, car son usage dans une expression, dont les lecteurs (ou auditeurs) duPolitique nont pu manquer de remarquer quelle provenait dHomre, trans-forme la rfrence du terme. Dans ce second cas, cest le sens homrique dusubstantif ( savoir, la parole, ou le discours, en gnral) qui est premier.Ltranger et le jeune Socrate nont pas fait ce quils staient engags faireavec le mythe : Cest pourquoi nous avons fait un expos trop long etnavons pas compltement joint lacte la parole. Par lusage de cetteexpression et de son arrire-fond homrique, ltranger clt le mythecomme il lavait commenc : scedqn paidi1n Cgkeras0men(on), en y mlantquelque chose de lordre du jeu3.

    Le mythe a donc bien touch sa fin, mais il na pas atteint son but,en tout cas pas compltement. Car il na pas discrimin les rivaux du poli-

    304 Dimitri El Murr

    1. Elle apparat dix fois dans les Dialogues, et une fois dans la lettre VII (340C6) : Ban-quet, 186A1 (t@loV Cpiqebnai t lpg), Prot., 348A9, Menex., 241D5, Lois, 707C4, 746C5,761E6, 765E4, 767A4, 957B4. Notons que Tim., 69B1, utilise une expression proche : kaateleutQn Udh kefalPn te t mAq peir:meqa 4rmpttousan Cpiqebnai tobV prpsqen.

    2. Il., XIX, 107 : Tu te rvleras tre un menteur, quand il faudra mettre en acte taparole ; Il., XX, 369 : Mme Achille ne mettra pas en acte toutes ses paroles. On neretrouve ensuite lexpression que chez Eusthate de Thessalonique, dans son commentaire delIliade (cf. Comm. ad Hom. Il. et Od, d. van der Valk, 5 vol., vol. 3, p. 587, ligne 6, et vol. 4,p. 418, ligne 7).

    3. Je dvelopperai ce rapprochement textuel ainsi que ses implications pour la compr-hension de la fonction mthodologique du mythe dans une publication ultrieure.

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  • tique1. Cest donc ses analyses prcdentes, en 268C-E et 274E-276E, queltranger fait ici cho. Lchec relatif du mythe est dailleurs confirm quel-ques pages plus loin, par une remarque concluant lanalyse du paradigme etrenvoyant explicitement 268C-E :

    Il nous faut donc reprendre nouveau le discours que nous tenions tout lheure (tqn Emprosqe lpgon), savoir que, puisque des milliers de prtendants dis-putent au genre royal le soin donner aux cits (CpeidQ t basilik g@nei tRV perat1V ppleiV CpimeleBaV 3mfishtosi murBoi), il faut par consquent tous les sparerde lui pour le laisser seul (deb dQ p0ntaV 3pocwrBzein toAtouV kaa mpnon CkebnonleBpein), et cest prcisment pour cette tche que nous disions avoir besoin dunparadigme (279A1-5)2.

    Lart politique, on le sait maintenant, appartient au genre du soin et, dans cegenre, a pour objet la communaut humaine, par diffrence avec dautrespasteurs. Voil qui est acquis. Pourtant, ce nest encore (en 277A commeen 279A) quun contour de lart politique. Et ce, parce que dfinir lartpolitique comme lart qui prend soin du troupeau bipde consentantconvient aussi bon nombre dautres arts, et par exemple la mdecine ou la gymnastique bref, ces arts qui dj, en 267E-268A, venaient contesterson titre au nourricier du troupeau humain.

    Mythe et paradigme : la neutralisation axiologique

    Revenons prsent aux remarques de ltranger sur la longueur exces-sive du mythe. Pourquoi avoir dvelopp ce luxe de dtails et ainsi retard laconclusion du rcit3 ? Comme lindique la frquence dun lexique4 quelanalyse de la juste mesure va prcisment thmatiser, il sagit daborddintroduire cette analyse, explicitement lie, plus loin (cf. 286B7-C3), laquestion de la longueur du mythe. Mais ce nest pas tout. Si la taille dumythe semble avoir dpass la mesure, cest quil sagissait de rendre mani-feste, avec rapidit mais aussi avec magnificence (megaloprepV), lerreur denotre prcdent parcours, parce que nous pensions que la fabrication degrands modles convenait au Roi (t basileb nomBsanteV pr@pein meg0laparadeBgmata poiebsqai) .

    Ce point est crucial pour lintelligibilit de lunit mthodologique dudialogue. Rappelons-le, lautre route (Dt@ran tdqn) que constitue le mythe fut

    La division et lunit du Politique de Platon 305

    1. Voir Lane (1998), 117-118 et 124. Contra, voir Delcomminette (2000), 222, qui sou-tient que le mythe nest pas introduit pour discriminer les rivaux, ce qui me semble impos-sible au vu de 268C-D.

    2. Comparer 268C8-10 : kaa tRV sunnomRV at 3ntipoioum@nouV perielpnteV kaacwrBsanteV 3pB CkeBnwn kaqarqn mpnon atqn 3pofPnwmen.

    3. Les nombreuses remarques de ltranger indiquant, tout au long du mythe, que sa finest proche et rythmant son rcit, semblent avoir pour but dannoncer le dveloppementde 277B-C : cf. 272D7 (o dB Gneka tqn mqon SgeBramen, toto lekt@on), 273E4 (toto mAnon t@loV 4p0ntwn eerhtai), 274B1-2 (o dA Gneka t lpgoV rmhke p2V, CpB at nn CsmAnUdh) ; la vritable conclusion napparat quen 274E1 (kaa tq mAn dQ to mAqou t@loV Cc@tw).

    4. Cf. 277A-C : par1 kairpn ; pleBw kaa meBzw to d@ontoV ; prqV t tac kaa megalo-prepV ; pr@pein ; meBzoni to d@ontoV ; makrot@ran.

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  • introduite en 268D5 sans autre forme de justification que la ncessit dyrecourir :

    il faut en effet user dune large part dun grand mythe (sucn g3r m@rei debmeg0lou mAqou proscrPsasqai) (268D8-9).

    Ncessit laquelle ltranger fait ensuite cho :(...) chargeant ainsi sur nos paules une masse tonnante sous la forme dun

    mythe, nous avons t contraints duser dune part plus grande quil net fallu(meBzoni to d@ontoV Snagk0sqhmen ato m@rei proscrPsasqai) (277B4-6).

    On comprend donc maintenant pourquoi il a fallu recourir, en 268E, un mythe aussi imposant par son ampleur et sa prcision, et combinant plu-sieurs lgendes de faon originale : au roi, sujet dimportance sil en est, ne sem-blait convenir que llaboration de modles grandioses. Mais en quel sens lemythe use-t-il de meg0la paradeBgmata ? Pour corriger lerreur des pre-mires divisions, ltranger aurait pu dvelopper un mythe plus simple et nechoisir quune des trois lgendes quil entrelace (cf. 268E-269C) : lge dordu rgne de Kronos (271D-272B) aurait par exemple largement pu suffire rendre compte des conditions sous lesquelles la premire dfinition du poli-tique est vraie. Mme sil ne sagit en rien de diminuer limportance gnraledu mythe et sa signification pour le reste du dialogue1, il nen demeure pasmoins que ces paradigmes grandioses dvelopps par ltranger sont enpartie inadquats mthodologiquement. Car la connexion implicite entre ungrand sujet (lart politique, ou le roi) et un grand paradigme est tout simple-ment fautive. La dmesure du mythe renvoie donc un principe dialectiqueerron, et ce principe, son renversement dans lanalyse du paradigme.Ltranger conclut en effet en ces termes le passage consacr au para-digme (277D-279A) :

    Mais, sil en va ainsi naturellement, toi et moi ne ferions aucune fausse note si,aprs avoir dabord entrepris de voir sur un petit paradigme particulier (Cn smikr)quelle est la nature du paradigme en gnral2, nous nous apprtions ensuite appli-quer sur la forme du roi, qui est des plus importantes (m@giston un), cette mmeforme emprunte, ici ou l, des ralits moins importantes (tatqn eidoV 3pAClattpnwn f@ront@V poqen) (...) (278E3-7).

    En soulignant la ncessaire petitesse du paradigme, ltranger veut doncdire deux choses distinctes : dune part, le paradigme doit tre simple,cest--dire vident et non ambigu. Il doit tre impossible de le confondreavec quelque chose dautre qui lui ressemblerait. Dautre part, il doit tresans importance (tinoV tn faAlwn, Soph., 218D8). Le dfinir ne doit pasprsenter un intrt intrinsque3 et ne pas engager un enjeu quelconque.

    306 Dimitri El Murr

    1. Rien dans le mythe nest en effet superflu et Platon laisse au lecteur le soin de senconvaincre par la suite du dialogue : voir Ferrari (1995), 389-397.

    2. En lisant wlou paradeBgmatoV, que donnent tous les manuscrits, et non wlou pr0gma-toV quimprime, en suivant une conjecture de Schleiermacher, la nouvelle dition des PlatonisOpera, dans la collection Oxford Classical Texts . Voir Duke et al.. (1995), ad loc.

    3. Cf. 285D9-10.

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  • Dans lordre de la complexit comme dans lordre de la valeur, le paradigmedoit tre infrieur ce dont il est le paradigme.

    Laissons de ct la premire condition. La seconde est prcisment celleque na pas respecte le mythe et qui correspond lune des fonctions capi-tales du paradigme, conu comme instrument pistmologique : la neutralisa-tion axiologique1. Le paradigme nest pas un point de dpart assur du seul faitquil prend appui sur des ralits ou des processus simples, mais aussi parcequil met entre parenthses la question de la valeur2. Pour tre mmedexaminer les sujets les plus importants, il faut carter toute tentation dunecommune mesure axiologique entre le modle que lon construit et la ralitque lon cherche. Ce point est absolument crucial pour comprendre la faondont le Politique entrelace, plus que tout autre dialogue, analyse mthodolo-gique et analyse politique. Savoir ce quune chose est vraiment implique dela dbarrasser pralablement des prjugs qui lentourent, qui en faussent lesens, et que vhiculent tant les ides reues et opinions communes, faon-nes par lhritage de la tradition, que le langage dans lequel cette mme tra-dition sexprime. Du roi pasteur au royal tisserand, la transition pourraitsembler facile. Mais il nest en rien, car, comme on va le voir en prcisant lerapport de la mthodologie du paradigme avec les premires divisions et lemythe, cest aussi dune tradition politique spcifique que Platon entendprendre cong.

    IV. Retour sur les premires divisions

    Quand, en 277D, ltranger recourt lanalyse de ce quest un para-digme, le tournant dans le dialogue nest pas aussi abrupt quil y parat,puisque lintroduction du mythe tout entier trouve sa justification dans unprincipe li lusage des paradigmes, dvelopp dans les lignes suivantes.Melissa Lane, qui, plus que tous les autres exgtes du Politique, sest int-resse laspect mthodologique du dialogue, et notamment au rapportentre paradigme, mythe et division, crit sur ce point :

    Cette rfrence problmatique [i.e. 277B4] au mythe (...) est la premire allusion un paradeigma dans le texte. (...) La premire tentative pour rectifier la dfinition le grand mythe est explicitement conue comme une sorte de paradeigma ; laseconde tentative, finalement couronne de succs celle-l, est prcisment lanalysetechnique du paradeigma et le choix du paradeigma du tissage auquel elle mne. Leparadeigma est le remde peru puis prescrit contre les insuffisances de la dfinitioninitiale obtenue par la division et par le prjug (le modle conventionnel duroi-pasteur), et par eux seuls3.

    Le problme, cest que la prmisse sur lequel se fonde le raisonnement deLane est textuellement fausse. Car 277B4 nest pas la premire occurrence

    La division et lunit du Politique de Platon 307

    1. Voir, pour la fonction ironique de cette neutralisation, Dixsaut (2001), 345-346.2. Je me permets de renvoyer El Murr (2002), 57-59.3. Lane (1998), 121 (ma traduction).

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  • de par0deigma dans le dialogue. Rappelant la finalit dialectique du mythe,ltranger affirme, en effet :

    Ctait assurment pour cette raison que nous avons introduit le mythe : afinnon seulement quil montre, concernant le nourrissage des troupeaux (to pera tRV3gelaiotrofBaV), tous ceux qui disputent le titre celui que nous cherchons en cemoment, mais afin, aussi, que nous puissions voir de faon plus claire (Cnarg@steronedoimen) la nature de celui qui il convient seul (xn prosPkei mpnon), conformment aumodle des ptres et des bouviers (kat1 tq par0deigma poim@nwn te kaa boukplwn), davoirle soin du nourrissage du troupeau humain et donc dtre le seul jug digne de por-ter ce titre (275B1-7).

    Aprs larchitecture, qui a guid la seconde coupe dichotomique, donclinscription de lart politique dans le genre des connaissances thoriques pi-tactiques1, ptres et bouviers constituent assurment un paradigme impliciteds la division de la connaissance thorique auto-pitactique (cinquimetape de la division), paradigme dont ltranger atteste le caractre explicite la clture du mythe. Bien que cette occurrence de par0deigma en 275B5 aitt quasi universellement nglige par les commentateurs du dialogue2, jecrois quil vaut la peine de lui donner un sens fort3. Si ltranger dsignelacception particulire du pastorat qui a guid les premires divisionscomme un paradigme, cest pour souligner que leur dfaut provient prcis-ment du manque dun paradigme adquat, produit avec mthode, permet-tant de dcouvrir le politique. Si lon considre ltape o la trofP est intro-duite dans la division (261D3-9), on voit que ce qui permet de ranger lartpolitique sous le genre dun certain levage collectif, cest lanalogie qui lecompare (proseoikpta) un leveur de bufs ou de chevaux bref, unpasteur qui nourrit un troupeau qui lui est propre (xn prosPkei mpnon). ce stade, la division use bien de quelque chose qui ressemble un para-digme adquat : lanalogie avec les bouviers permet dtablir une diffrence(entre levage individuel, celui de lcuyer, par exemple, et levage collec-tif), elle permet aussi de constituer un genre et de lui donner un nom(cf. 261E), car lart politique appartiendra dsormais l3gelaiotrofikP ou la koinotrofikP, comme on voudra. Cette assimilation du pastorat nour-ricier un paradigme dans les premires divisions ne doit pas surprendre.Car mthode par paradigme et division sont, en un certain sens, deux proc-dures dialectiques complmentaires : lune et lautre reposent fondamentale-ment sur la perception et la slection des ressemblances (et des dissemblan-

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    1. Voir 259E8-9 : kaa g1r 3rcit@ktwn ge p2V ok atqV CrgatikqV 3llB Crgatn5rcwn.

    2. Dis ne la traduit mme pas. Voir cependant Scodel (1987), 95, et Brisson-Pradeau(2003), 234, n. 157.

    3. Certes Platon pourrait ici employer par0deigma dans son sens non techniquedexemple. Je trouve nanmoins cela peu plausible, parce que non seulement cest lun desapports pistmologiques majeurs du Politique que dexpliciter lusage dialectique dun para-digme, mais aussi parce quil ny aurait alors pas plus de raison de considrer que lallusionaux paradegmata grandioses en 277B4 est, elle, lourde de signification.

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  • ces) adquates la constitution dun genre. Pour diviser, en 261D, la g@nesiVkaa trofP tn zwn, il faut bien percevoir suffisamment une diffrence per-mettant de scinder le genre en deux espces, lune incluant lart politique,lautre lexcluant. Mais, en 261E, le paradigme qui permet de ranger lepolitique dans l3gelaiotrofikP fait linverse de ce quun paradigme adquataurait d faire : il saisit, pour unifier le genre de l3gelaiotrofikP, la ressem-blance (tous les pasteurs sont semblables en ce quils nourrissent leur trou-peau) qui prcisment exclut le politique1.

    Lunit mthodologique des pages 258 279 du Politique semble dsor-mais plus claire : les premires divisions chouent partiellement dfinir lepolitique parce que le paradigme qui les guide est inadquat ; le mythe vientcorriger cette erreur en rinscrivant lart politique dans la division, mais neparvient pas conclure lenqute ( sparer le politique de ses rivaux, pourpermettre la division de le dfinir), car le mythe lui-mme nat duneerreur mthodologique. Celle-ci consiste se conformer au prjug sui-vant : pour exposer la nature du roi, sujet dont la dignit et limportance nesemblent pas faire de doute, il faut faire usage dun modle dont la dignitsoit la mesure de celle du souverain. Il est vrai quen un certain sens lespremires divisions ont confirm ce que la tradition vhicule depuisHomre, car le roi a quelque chose voir avec le pasteur (poimPn)2. Maisinscrire lart politique et lart pastoral dans un genre commun (le soin) nesignifie pas souscrire pour autant la conception traditionnelle et hom-rique du roi comme pasteur des peuples (poimQn lan)3. Contrairement ce quont soutenu certains commentateurs4, ce nest pas le modle pastoralen tant que tel que Platon veut congdier, mais plutt toutes les idesreues et non examines quil implique. Le mythe montre en effet que lepasteur des peuples, hrit dHomre, tient du dieu5 rgnant sur une huma-nit a-politique et que, ce faisant, il na rien voir avec notre faon trophumaine de tenter de vivre ensemble politiquement. La dmesure dumythe appelle donc, comme son indispensable remde, leffet de neutrali-sation axiologique d lusage dun paradigme correctement choisi et dve-

    La division et lunit du Politique de Platon 309

    1. Cf. 268A-C.2. Voir les emplois de ce terme en 267C1, 268B4, 275A1 et 275B5.3. Sur lemploi et le sens de cette expression chez Homre et Hsiode, il faut se reporter

    Haubold (2000), 14-20 et 197-201. Voir aussi Miller (1980), 40-43, et, pour une perspectiveplus large, Murray (1990), 1-14.

    4. Je ne crois donc pas, comme le soutient par exemple Narcy (1995), 231-232, que cestle modle pastoral en tant que tel qui est critiqu par ltranger, mais plutt son interprta-tion troite et traditionnelle en termes de nourrissage et, bien sr, tout ce quelle implique. Lartpolitique reste, pour Platon, quelque chose en rapport avec lart pastoral, et ce parce quartpolitique et pastorat appartiennent au genre commun de lepimleia. Cest pour cette raisonque ltranger continue de dsigner la communaut humaine comme un troupeau en 295E6.Ce qui diffrencie pastorat et politique, cest le type spcifique de soin dispens. La critiquedes premires divisions par les leons du mythe ninfirme donc en rien lexistence duneunique diaresis dans le Politique. Voir aussi Clarke (1995), 240.

    5. Pour lidentification du roi un dieu, dans les pomes homriques, voir, par ex.,lusage de ladjectif qeoeBkeloV en Il., 1.131 (Achille), et en Od., 3.416 (Tlmaque), ainsi quelallusion que Platon fait Homre en Rpublique, VI, 501B.

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  • lopp. Si lon veut comprendre vritablement ce quest lart politique,cest--dire savoir ce quil fait, comment il le fait et dans quel but, cest duct dun modle spcifique notre ge de Zeus que lon doit tourner sonregard. Ce modle, cest videmment lart modeste du tissage, dont il fautrappeler quil sagit, dans lAntiquit, dune technique domestique rserveaux femmes1. Le gouvernement des hommes tient plus du tissage de Pn-lope que de lautorit dAgamemnon.

    En 277D, lenqute ne prend donc pas un nouveau dpart, mais pour-suit la division sur un fondement clair et explicite : le choix dun paradigmeadquat, dvelopp selon une procdure rgle. La mthode par paradigmeninvalide pas tout ce qui la prcde : elle sappuie sur les rsultats obtenuspar les premires divisions et le mythe, et, bien sr, rpond aux dfauts demthode que ltranger sest plu souligner.

    V. Lapplication du paradigme et la fin de la division

    Les pages restantes du dialogue poursuivent la division en procdant lapplication du paradigme du tissage que ltranger dveloppe en 279A-283B. Tout le problme est alors de savoir comment ce paradigme eststrictement appliqu dans la division qui mne la dfinition de lartpolitique2.

    Les fonctions du paradigme du tissage

    Il importe avant tout de comprendre que le terme paradigme peut tour tour renvoyer une tkhne particulire (ici, le tissage), cest--dire uncontenu paradigmatique, et un ensemble technique structur (lensemble desarts entretenant des rapports avec le tissage dans sa production du tissu).Platon use donc du paradigme du tissage pour structurer autour de lui la citet dfinir le rapport du politique aux autres tkhnai, sur le modle de celuique le tissage entretient aux arts avec lesquels il collabore (287B-305E) ;mais aussi pour penser la tche spcifique de lactivit politique, sur lemodle de la tkhne propre que constitue le tissage (305E-311C). Seul le pre-mier usage est troitement li la mthode de division et lui seul touchedirectement au problme de lunit du Politique : cest donc sur lui seul que jeme concentrerai3.

    310 Dimitri El Murr

    1. Sur ce point, voir El Murr (2002), 53-59.2. Pour une analyse dtaille du texte sur le paradigme, voir, bien sr, Goldschmidt

    (1947) ; pour limportance de la division du tissage pour lensemble du dialogue, et notam-ment les premires divisions, voir Delcomminette (2000), 225-258. Enfin, pour le dtail tech-nique du paradigme du tissage et une analyse des pages 279A-283B, voir El Murr (2002),67-80.

    3. Je naurai recours la dernire partie du dialogue (305E sq.) quen tant quelle per-met de comprendre le dveloppement de la division. Sur ces pages, voir Dixsaut (1995),253-273.

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  • Cet usage du paradigme, que lon pourrait qualifier de dialectique (par dif-frence avec lusage, disons, analogique, qui occupe la fin du dialogue1), estplus complexe quil ny parat car il permet non seulement de comprendre lasuite de la division menant, en 305E, la dfinition du politique, mais aussi,dune certaine faon, la division telle quelle sest dveloppe dans la pre-mire partie du dialogue. En effet, la division du tissage se dploie en deuxtemps distincts : une premire division de tout ce que nous fabriquons etacqurons (p0nta Tmbn tppsa dhmiourgomen kaa kt:meqa) aboutissant lacaractrisation de lart vestimentaire, auquel est identifi le tissage (279C7-280A5) ; un second moment consacr llucidation de la structure tech-nique laquelle appartient le tissage et sorganisant autour de deux types decause (281D5-283B5). Entre ces deux moments, le premier dfinissant letissage comme lart qui a le soin des vtements ou est de la confection duvtement (dmatiourgikP), le second, comme lart dentrelacer la chane et latrame 2, entre la caractrisation du genre auquel appartient le tissage et sadfinition spcifique, la discrimination des rivaux a eu lieu. En ce sens, ladivision du tissage tout entire est bien limage chelle rduite (cest--direle paradigme) de lensemble du dialogue (cest--dire de lensemble de ladivision)3. Significativement, ltranger amorce la division du tissage en rap-pelant que la division du politique est le modle, en un sens faible, de lamthode suivre :

    Oui, pourquoi, tout comme prcdemment nous divisions chaque chose, endcoupant des parties de parties, ne ferions-nous pas la mme chose maintenant propos du tissage (...) (279B7-C1) ?

    Et la conclut par une inversion tout aussi extraordinaire :(...) Or cest ces derniers, ces moyens de se dfendre et de sabriter faits de

    poils assembls entre eux, que lon a donn le nom de vtements (dm0tia), etquant lart qui prend soin tout spcialement de ces vtements, de la mme faon quelon a appel politique lart de prendre soin de la polis , ne le dnommerons-nous pas aussimaintenant, daprs la chose dont il soccupe en propre, art de la confection du vtement(dmatiourgikPn) ? Et ne devons-nous pas dire aussi que lart de tisser, dans lamesure o il reprsente, dans la confection du vtement, la part la plus importante,ne diffre que de nom de cet art, tout comme, nous le disions tout lheure, lart royal nediffre en rien de lart politique (279E4-280A6) ?

    Il ne fait pas de doute, selon moi, que Platon entend redoubler, par ladivision du tissage, la structure densemble du Politique4 et affirmer une fois

    La division et lunit du Politique de Platon 311

    1. Voir, pour la mme ide et plus de dtail, Delcomminette (2000), 273-320, qui dis-tingue, quant lui, application dialectique et application politique du paradigme.

    2. Cf. 280A3-4 : tQn dA tn dmatBwn m0lista Cpimeloum@nhn t@cnhn, et 283B7 : plektikQneinai krpkhV kaa stPmonoV fantikP.

    3. Voir Miller (1980), 60, et Delcomminette (2000), 329-330.4. Textuellement, les rapprochements sont incontestables. On peut comparer, tape par

    tape, la division de lart politique et celle du tissage : 267C8-D1 et 287A8-B4 (incompltudede la premire dfinition) ; 268B8-C11 et 281C7-D3 (ncessit de sparer les rivaux) ;279A1-5 et 281D5-283A2 (sparation des rivaux) ; 305E2-6 et 283A3-8 (dfinition finale).

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  • de plus, comme il na cess de le faire, lexistence dune seule et unique divi-sion, construite autour de deux moments cls : la distinction des arts parentset celles des arts rivaux. Mais, naturellement, il est bien plus facile de dis-tinguer les arts rivaux du tissage, technique circonscrite et rgle, que ceuxdu politique, dont prcisment la dfinition fait problme. Cest en ce sensque la division du tissage est un paradigme pour lart politique.

    La division du tissage : causes et finalit

    Mais cela nest pas suffisant, car dire du tissage quil est simple nen faitpas un paradigme pour lart politique spcifiquement : ils doivent avoir unestructure commune, facilement reprable dans la division du tissage et quelon cherchera reconnatre pour celle de lart politique. Cette structurecommune, cest la distinction entre cause directe (qui intervient directementdans la production de la chose) et cause auxiliaire (qui fournit les instru-ments ncessaires la premire)1. Cest elle qui permet de structurer les rap-ports entre le tissage et lensemble des arts rivaux, ayant trait la confectiondu vtement, que sont, entre autres, le cardage, le foulage, le ravaudage, lafabrication de la chane, etc.

    Cest cette mme distinction entre deux types de cause qui permet deproduire la structuration des arts dans la cit autour de la t@cnh politikP et desaisir les rapports quelle entretient avec eux. Cest donc elle qui est introduitedans la division du politique pour discriminer les rivaux qui subsistent :

    Nous avions donc spar le roi de tous les nombreux arts qui ont le mmedomaine que lui (wsai sAnnomoi), et plus particulirement de tous ceux qui ont rap-port aux troupeaux (3pq pasn tn pera t1V 3g@laV). Mais il reste, disions-nous, lesarts qui, dans la cit elle-mme, sont causes auxiliaires et ceux qui sont causes direc-tes (ad kat1 pplin atQn tn te sunaitBwn kaa tn actBwn), quil faut dabord distin-guer les uns des autres (287 B 4-8).

    Cette phrase mrite deux prcisions.Dabord, rappelons-le, lart politique a t dfini, en 276E10-13, comme

    le soin du troupeau humain consentant. Aucune prcision na pour linstantt apporte cette dfinition, qui reste en toute logique celle laquelle ilfaut appliquer le paradigme. Ici, ltranger fait donc allusion la sparationdes arts parents (autre traduction possible de sAnnomoi), opre au dbut dudialogue et ayant permis dattribuer lart politique le soin du troupeauhumain, par diffrence avec dautres pasteurs danimaux. Cest en ce sens, mesemble-t-il, quil faut entendre la prcision de ltranger : plus particulire-ment de tous ceux qui ont rapport aux troupeaux, i.e. danimaux. cestade de la division, au sein de la cit (lieu dans lequel le troupeau humain serassemble), de nombreux arts revendiquent encore le titre de soigneur dutroupeau humain, et parmi eux, les mdecins, gymnastes, boulangers, labou-

    312 Dimitri El Murr

    1. Lautre lment commun entre tissage et politique, partie intgrante de ce que jaiappel lusage analogique du paradigme, cest, bien sr, lactivit dentrelacement.

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  • reurs, etc., dj rencontrs en 267E, et qui nont toujours pas t spars dupolitique.

    Ensuite, il me semble ncessaire de souligner un point trangementpass, pour linstant, sous silence, par ltranger1. La division du tissagenest pas seulement un paradigme pour celle du politique au sens o elle eststructure par la distinction des deux causes, directes et auxiliaires : ellesorganise aussi autour dune conception forte de la finalit, qui va savrerabsolument dcisive pour dfinir lart politique. En effet, la division, parti-culirement si on la reprsente par un arbre ordonnant genres et espces,pourrait laisser croire que le tissage est une tkhne comme une autre, aumme niveau que le cardage, le foulage, lart de fabriquer la chane, etc.Mais, bien sr, il nen est rien, car ces autres arts sont subordonns au tis-sage, qui dune certaine faon les dirige, puisque lui seul accomplit la tcheque tous visent plus ou moins directement. Le tissage, parce quil se sert desoutils mis sa disposition et parce que lui seul sait ce que doit tre le produitfinal (le tissu), donne des directives gnrales certains autres arts. En cesens, le paradigme ne repose pas seulement sur la distinction entre causesdirectes et auxiliaires, mais aussi sur une distinction, au sein des causesdirectes, entre tous les autres arts et le tissage, finalit vritable des prc-dents et donc dirigeant leur activit singulire. Ce que confirme le texte duPolitique, mais seulement en 308D4-E2. Dans la cit, en effet, lart politiquevritable dirigera lensemble des ducateurs tout comme le tissage, aux car-deurs et tous les autres qui lui prparent tout ce qui est pralablementncessaire pour la confection du tissu, commande et prescrit (prost0tteikaa Cpistatei) . Si ltranger, en 280B2, se contente de dcrire de faonneutre les autres arts lis au tissage en les qualifiant de sun@rga, il ne faitaucun doute que la fonction architectonique, ou pitactique, du tissage estun des lments dcisifs du paradigme.

    Arts auxiliaires et arts subalternes :lapplication du paradigme et ses limites

    Lapplication du paradigme, de 287B 289C, permet dabord de sparerdu politique un ensemble darts auxiliaires, ltranger distinguant sept esp-ces diffrentes, selon la finalit de lobjet produit par lart qui leur corres-pond. Sans entrer dans le dtail de cette classification2, notons juste quellepermet de sparer enfin lart politique de certains de ses rivaux, et notam-ment de la mdecine, de lagriculture, de la gymnastique bref, des arts ren-contrs en 267E, car ces derniers correspondent lespce que ltrangerqualifie, significativement, de nourricire (trofpn) et tombent donc sous laclasse des arts ayant affaire la ktRsiV tRV trofRV.

    La division et lunit du Politique de Platon 313

    1. Voir, sur ce point, Cooper (1997), 80-83.2. Sur ce texte intriguant, voir Benardete (1963), 211-217 ; Scodel (1987), 50 (notam-

    ment le schma p. 140) ; Rowe (1995), notes p. 214-215 ; Delcomminette (2000), 284-286, etIldefonse (2001), 105-119.

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  • Les choses, cependant, se compliquent sensiblement ds quon envisageltape suivante :

    Il reste donc le groupe des esclaves et des serviteurs en tout genre (tq dA dQdoAlwn kaa p0ntwn phretn loippn), parmi lesquels, je le souponne, ferontleur apparition ceux qui disputent au roi la fabrication mme du tissu, toutcomme tout lheure, envers les tisserands, ceux impliqus dans le filage et le car-dage et dans tous les autres travaux que nous mentionnions. Quant tous lesautres, que lon a dcrits comme des causes auxiliaires, ils ont, avec les produitsque nous venons dnumrer, t carts et spars de lactivit royale et poli-tique (289C4-D1).

    Quelle est en effet cette nouvelle catgorie (les phretaB) introduite sansjustification ? Pourquoi ltranger semble-t-il cesser demployer explicite-ment la distinction actBa-sunaitBa ? Le problme nest pas quune questionde terminologie, car les pages suivantes du Politique (289C 305E) endisent long sur la faon dont Platon conoit le rle de la division dans ledialogue.

    Les raisons de lintroduction de lphretikP sont avant tout polmiques :il sagit de constituer une srie de mtiers, ordonne du plus vil au plusnoble et ainsi de faire comprendre ce qui les unit tous savoir, dtre desarts de service, des comptences subordonnes une connaissance suprieurefixant des prescriptions suivre. Bien sr, les premiers personnages vo-qus, des esclaves aux commerants, ne sont en rien des causes directes dusoin de la cit. Mais leur prsence au dbut de la liste ne sert qu faire com-prendre que les arts suivants et qui, eux, ont des prtentions plus fortes gouverner et revendiquer le titre de politiques sont tout autant sou-mis des prescriptions extrieures. Cest pour cette raison, me semble-t-il,que Platon distingue ces arts dont certains, sans aucun doute, appartiennentaux arts auxiliaires1.

    Pour comprendre la progression du dialogue des pages 289 305, il fauten ralit, comme souvent dans le Politique, considrer la conclusion de lasquence :

    Eh bien, il semblerait que, de la mme faon, nous aussi avons spar de laconnaissance politique ce qui diffre delle et tout ce qui lui est tranger et hostile(tppsa 3llptria kaa t1 mQ fBla), et quil ne demeure que ce qui lui est prcieux etapparent (t1 tBmia kaa suggenR). Parmi ces arts restants, il y a, je pense, lart du stra-tge, lart du juge et toute la partie de la rhtorique qui, en commun avec lart poli-tique, persuade les gens de ce qui est juste et concourt gouverner les activits ausein de la cit (303E7-304A2).

    LphretikP regroupe trois types darts rivaux, bien distincts. Ceux,dabord, qui tombent aisment dans la classe des arts auxiliaires (esclaves,employs, hrauts, etc.). Ces arts rejoignent les prcdents et appartiennent

    314 Dimitri El Murr

    1. Cf. Cooper (1997), 85-90.

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  • sans ambigut ce qui diffre de lart politique. Restent les arts qui lui sonthostiles et ceux qui lui sont prcieux.

    Dans la premire catgorie tombent les soi-disant politikoB (et authen-tiques stasiastikoB). Le recours la purification de lor (implicite djen 268C) permet de comprendre que, pour distinguer le politique de sesrivaux, ce stade de la division, on ne peut se contenter dappliquer la dis-tinction entre causes directes et auxiliaires, pas plus que celle entre tissage pitactique et arts subordonns. Si ltranger passe donc, abruptement,de lanalyse des arts de service (289C-291C) celles des constitutions exis-tantes (291C-303D), cest prcisment parce quil existe, dans les cits tellesquelles sont, des hommes qui prtendent tre des politiko, capables de pr-sider au soin du troupeau humain, alors mme que leurs fonctions devraienttre contrles et subordonnes une comptence spcifique, vritable-ment politique celle-l. La division des arts-causes ne peut, elle seule,inclure la sparation des arts qui de fait, dans les cits actuelles , disputentson titre lart politique : lapplication diairtique du paradigme est norma-tive et a pour but de tracer la structure de la cit telle quelle doit tre, nontelle quelle est1. Sil ny a aucun cart entre le tissage tel quil est pratiqudans les cits et sa division thorique , il nen est pas de mme pour lartpolitique : rien dans le paradigme ne peut correspondre cette diffrence,essentielle toute politique, entre lactuel et lidal, le rel et le normatif 2.Cest pour cette raison que les hommes politiques des constitutions exis-tantes ne sont pas rellement politiques3 et ne peuvent donc trouver leurplace dans la division4.

    Dans la seconde catgorie, qui, elle, trouve sa place dans la diaresis, ondcouvrira les vritables parents de lart politique, ces arts prcieux analo-gues du cardage et du filage, subordonns au tissage. Ces arts sont la stra-tgie, lart judiciaire et la rhtorique (et, plus tard, lducation, 308C-D), telsquils doivent tre dans une cit gouverne par une vritable comptencepolitique5.

    Dfinition

    Une fois les politiques existants exclus de la division, une fois la fonc-tion subalterne de la stratgie, de lart judiciaire et de la rhtorique prcis-ment articule lart politique, ce dernier peut enfin tre correctementdfini. Il serait lvidence fastidieux de rcapituler, comme en 267A-C, lamoindre tape de la division. Aussi, la dfinition finale dit lessentiel et

    La division et lunit du Politique de Platon 315

    1. Cf. Rowe (1995), note 289C8-D1.2. Cf. 292D5-7.3. Voir Hansen (1983), 33-55 qui montre quavant Platon le terme politikpV ne semble

    pas avoir dusage ferme et courant, homme politique se disant alors plutt Ptwr, poli-teupmenoV, sAmbouloV ou encore strathgpV.

    4. Cf. 303B-C.5. Cf. 304E1 : phreton (rhtorique), 305A8 : phretikPn (stratgie), C7 : phr@tin (art

    judiciaire).

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  • confirme non seulement le succs de la division, mais sa rigueur et sonunicit :

    Mais celle qui dirige (5rcousan) toutes les autres [sciences, cf. 305C9], qui prendsoin (Cpimeloum@nhn) des lois et de tous ceux1 qui sont dans la cit et qui tisseensemble (sunufaBnousan) toutes choses de la faon la plus correcte, rien ne seraitplus juste, semble-t-il, pour circonscrire sa puissance propre (tQn dAnamin atRV) enune dnomination commune, que de lappeler politique (305E2-6).

    Gouverner, soigner, tisser : art thorique auto-pitactique, art du soin, entre-lacement. Ces trois lments de la dfinition rsument lapport politiquemajeur du dialogue, en rappelant les paradigmes dont lusage successif ascand la progression de la division. Les trois premires divisions sont eneffet guides par le paradigme de larchitecture dont le double aspect tho-rique et autoprescriptif correspond ce que doit tre, un niveau gnral,une vritable comptence politique. Une fois lobjet de cette comptencespcifi (les tres anims et, parmi eux, les hommes), le paradigme du pas-torat prend le relais, dabord, entendu, de faon incorrecte, comme pastoratnourricier, puis, aprs correction, comme soin. Enfin, les modalits de ce soinsont prcises grce lapplication de la division du tissage sur celle de lartpolitique.

    Ce qui fait dabord la dnamis propre de la politique, cest donc sa fonc-tion autoprescriptive, introduite ds 260C mais prcise par lapplication duparadigme du tissage : non seulement le politique tient son pouvoir de sapropre epistkme, mais celle-ci remplit une fonction architectonique au sein dela cit. Dautres arts y ont, bien sr, une efficace qui justifie les diffrentsnoms qui sont les leurs, mais ils sont en un certain sens aveugles, puisquilsne peuvent, et ne doivent, eux seuls dcider de la finalit de leur action etde lopportunit du moment pour la dclencher. Cette finalit, que fixe lartpolitique vritable, se rsume en quelques mots : prendre soin des hommeset des lois.

    Mais il reste encore prciser la modalit de ce soin, sa faon spcifique-ment politique de sappliquer la cit. Car, on sen souvient, le dieu gouver-nant le monde sous lge de Kronos prend lui aussi soin des hommes et lesgouverne2 (et cest dailleurs pour cela que le genre du soin en 276D est par-tag en pastorat divin et soin humain). Mais ltat de nature sous Kronos estcelui dune nature universellement gnreuse subvenant spontanment tous les besoins, o hommes et animaux connaissent un sort indiffrenci eto par consquent aucune unification nest ncessaire, puisque lunit de la communaut humaine tout entire (276B7) se rduit la juxtapositionharmonieuse des membres du troupeau. linverse, sous lge de Zeus quisorigine dans la guerre des espces cause par la retrait du dieu pasteur, la

    316 Dimitri El Murr

    1. En lisant sump0ntwn comme un masculin et kat1 pplin en un sens locatif, avec Dix-saut (1995), 259, n. 20.

    2. Cf. 271D3-4 : Yrcen CpimeloAmenoV (...) t qepV ; 271E5-6 : qeqV Enemen atoV atqVCpistatn.

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  • simple existence collective des hommes rassembls en cit ne signifie pasque cette cit soit une et bonne. Cette tche dunification, qui na de sensqu lge de Zeus, est la tche propre de lart politique, celle qui caractrisece soin proprement humain que les hommes se doivent eux-mmes : lartpolitique ne vise pas produire une cit, mais, exigence suprieure et vri-table, une cit qui soit une1. Car lautonomie humaine implique, comme sacontrepartie, la ncessit de lunification politique sous le rgime de laconcorde et de lamiti2, unification politique dont lentrelacement (sum -plokP) est la modalit propre.

    Conclusion :La logique de la division : classer ou dfinir ?

    Jai tent de montrer que la lettre du texte indique que le sentierqui mne au politique (tQn politikQn 3trappn, 258C3), que cherchentltranger et le jeune Socrate, est lunique division parcourant le dialogue dudbut la fin. Loin dtre un texte scolaire, multipliant les voies derecherche comme autant de mthodes inabouties, le Politique est le seul dia-logue de Platon dont lunit ne peut tre saisie que par la diaresis qui le par-court. ce titre, il constitue un tmoignage inestimable sur une mthodequi reste pour nous, bien des gards, mystrieuse. Cest par quelquesremarques (dont on me pardonnera, je lespre, le caractre succinct etprogrammatique) sur la logique qui prside la division que jaimeraisconclure cette tude.

    Une objection forte linterprtation de la structure du Politique quejai dfendue consisterait rappeler, juste titre, que ltranger et le jeuneSocrate semblent mettre en cause, plusieurs reprises, certaines de leursdivisions antrieures. Nest-il pas surprenant en effet de voir les protago-nistes ranger, sous les causes auxiliaires de lart politique, un certainnombre darts pratiques, alors mme que la premire division du dialoguea irrmdiablement plac la politique dans le genre non pratique de lagnwstikP ? Pour ne donner quun exemple, la boulangerie art manuel silen est, donc art limin ds la premire coupe, en 258D-E est bien consi-dre comme un art rival de la politique dans le soin du troupeauhumain et se voit finalement intgre la division titre dauxiliaireen 288E-289A. Si, donc, division unitaire il y a tout au long du Politique, saprogression serait incohrente, puisque certains arts limins du membredroit de la dichotomie (cest--dire du genre dans lequel se trouve lartpolitique) se voient rintroduits sans justification, plus loin dans la divi-sion. vouloir unifier le Politique par une unique diaresis, on en viendraitdonc justifier des incohrences si flagrantes quon ne pourrait douter (si

    La division et lunit du Politique de Platon 317

    1. Voir Dixsaut (1995), 259.2. Cf. 311B9 : tmonoBk kaa filBk.

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  • du moins on est charitable) que Platon les ait volontairement produites, etce afin de railler la mthode dichotomique ou, tout le moins, den souli-gner les insuffisances. laune de la logique, la division ferait dcidmentbien ple figure.

    Mais, prcisment, est-ce ainsi quil faut comprendre la diaresis ? Certes,on peut souligner ses nombreuses insuffisances logiques et taxinomiques.Aristote ne sen est dailleurs pas priv, lui qui voyait dans la dichotomie (etnon la division en gnral, dont il fait lui-mme usage) une mthode nonseulement rptitive et confuse, mais surtout incohrente, puisquelle cons-titue des groupes spcifiques essentiellement par privation1. Pourtant, en sou-lignant les erreurs taxinomiques de la division dans le Politique, on ne faitquimposer au texte de Platon une rigueur qui nest absolument pas lasienne. Car, comme Aristote la bien vu, la dichotomie ne peut pas, telle quePlaton la pratique, tre une taxinomie. Son but nest en rien de classer desespces : son but est de dfinir une comptence correspondant une cer-taine fonction, adquate un certain nom2.

    Aussi, lobjection prcdente ne me semble pas pertinente pour com-prendre ce qui est en jeu dans la division platonicienne : la boulangerie oulagriculture peuvent trs bien avoir t limines ds la premire tape de ladivision et rapparatre, quelques tapes plus loin, comme dauthentiquesrivales de lart politique sans grever la diaresis tout entire dune incohrenceinsurmontable. Comme toute tkhne, la boulangerie est susceptible de cor-respondre lextension gnrique de plusieurs Formes : elle est un artmanuel, mais elle a aussi pour but de nourrir le troupeau humain. Toutdpend donc de la diffrence que le dialecticien choisit pour constituer ungenre diviser. Or, puisque le choix de la diffrence spcifique, selonlaquelle on divise, varie chaque division, il est parfaitement lgitime que lesmmes arts rapparaissent, sils correspondent lextension de plus dungenre.

    Mais, si la division nest pas une taxinomie, comment comprendre exac-tement ce que ltranger veut dire quand il parle de genre et despce ? Sans

    318 Dimitri El Murr

    1. Pour le dtail de la critique aristotlicienne de la dichotomie dans le De partibus anima-lium I (chap. 2-3), voir Balme (1992), 101-119, et Lennox (2001), 152-167.

    2. Voir Dixsaut (2001), 348 : La mthode de division na pas pour objet de classerdes termes mais dtablir des ressemblances et des diffrences. Or diffrences et ressem-blances ne sont vraies que si elles unifient ou diffrencient des Formes, et non pas des cho-ses. Les termes ne sont donc poss que par le mouvement mme qui les discerne et quidivise, et pas plus lobservation que linduction ne peut amener diviser de telle ou tellefaon. Constitus par la division, les termes ne doivent tre pris que relativement elle, etnullement dans leur rfrence empirique. Cest trs exactement pour cette raison que lamthode de division semble logiquement si peu dfendable. Si lon part de la multiplicit(que cette multiplicit soit celle des espces ou celle des individus) et non, comme ne cessede le dire Platon, de lidea une, il est peu probable que lon arrive jamais diviser comme lefait ltranger, et il est certain que lappartenance dune espce une espce plus largerequiert ce moyen terme que constitue lappartenance un caractre commun essentiel.Mais, dans la mthode de division telle quelle sexerce dans les Dialogues, les ressemblancesne signifient jamais lappartenance un genre commun et elles ne renvoient pas la posses-sion dun prdicat essentiel commun.

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  • faire tat des dbats multiples qui opposent les commentateurs sur ce point,je me contenterai daffirmer ce qui me semble tre linterprtation correcte.Si la division tait une taxinomie, si son but tait de classer des espces, alorsla subordination de celles-ci aux genres dont elles sont des parties seraitdordre ontologique1 : il sagirait pour le dialecticien de constater une hi-rarchie entre espces dj constitues et den tracer, pour ainsi dire, le plan, la faon dun naturaliste bref, dapprofondir un genre en le divisant suc-cessivement par la diffrence de la diffrence. Mais telle nest pas la faondont procde la division platonicienne. Sinon, on serait bien en peine decomprendre pourquoi un mme genre peut tre divis de faon radicale-ment diffrente dun dialogue lautre (par exemple, lCpistPmh dans leSophiste et dans le Politique). En effet, la diffrence choisie pour diviserun genre donn ne rpond aucun autre critre que celui lorigineduquel son choix est suspendu. La division platonicienne divise en fai-sant, chaque fois, varier la diffrence qui permet le sectionnement dungenre2.

    Finalement, la division a autant pour fonction de relier ensemble cer-tains lments essentiels une dfinition rigoureuse que de sparer lobjet dela recherche de tout ce qui nest pas lui (mais parfois prtend ltre) et aveclequel on pourrait le confondre. La dfinition que vise la diaresis est le pro-duit de lentrelacement des diffrences les plus significatives introduitessuccessivement pour oprer les coupes dans chaque genre3. Lart politiqueest ainsi une espce de lart de prescrire, espce qui vise prendre soin duncertain troupeau en veillant tisser indfiniment une unit entre sesmembres.

    Au terme de cet article, il est vident que bon nombre des problmesrelatifs la division dans le Politique ont t ignors ou sont rests en sus-pens. Mais, je lespre, une chose au moins est claire : avant de considrerlusage comique, critique ou scolaire que Platon ferait de la division, ilimporte de rendre raison de son unicit et de sa continuit dans le dialogue.Car non seulement le texte est parfaitement clair sur ce qui fait lunit dudialogue mais il ne laisse aucune ambigut sur limportance dialectique de lamthode4. La division a beau tre longue et fastidieuse, complexe et parfois

    La division et lunit du Politique de Platon 319

    1. De faon extrmement utile, Delcomminette (2000), 74-77 distingue subordinationontologique des espces un genre donn et subordination dialectique. Cest la seconde dont ilsagit dans la division dichotomique.

    2. Ce qui, bien sr, nimplique pas que le dialecticien puisse faire nimporte quoi : lespossibilits de division sont nombreuses, mais le principe est toujours le mme, respecter les articulations naturelles . Voir, outre le passage bien connu du Phdre, le dbut du Cratyle(387A1-9) o, dans un tout autre contexte, Socrate rappelle que lon peut dcouper un tre(ti tn untwn t@mnein) soit kat1 fAsin, soit par1 fAsin.

    3. Cf., par exemple, 267B5-C1 : taAthV dB a tq m@roV ok Elatton triplon sumpl@kein3nagkabon, 6n eaV Gn tiV atq unoma sunagagebn boulhqv, gen@sewV 3meBktou nomeutikQnCpistPmhn prosagoreAwn.

    4. Voir 286D6-E4 : Encore une fois, pour ce qui touche la recherche de la solution duproblme soumis notre attention, quant la question de savoir comment on pourrait la trou-ver avec facilit et rapidit, notre argument nous enjoint destimer que cest l une proccupa-

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  • droutante, elle est le chemin que lon doit suivre pour comprendre ce quele Politique fait de la politique et de la cit, telles quelles doivent tre, respec-tivement, conduite et gouverne.

    Dimitri EL MURR,Universit de Paris I - Panthon-Sorbonne,

    et University of Durham (G.-B.).

    ANNEXE

    La division du Politique1

    tapesRfrencestextuelles Genre divis

    Membre spar(sentiers scartantdu politique)

    Membre conserv(sentier qui mneau politique)

    0 258B-D CpistPmh(connaissance)

    Il faut poser (qet@on) que le politique fait partiede ceux qui possdent un savoir (tn

    Cpisthmpnwn)

    1 258D-259D CpistPmh praktikP(pratique)

    gnwstikP(thorique)

    2 259D-260C gnwstikP kritikP(critique)

    CpitaktikP(pitactique)

    3 260C-E CpitaktikP Dtero-epitaktikP(htro-pitactique)

    atepitaktikP(auto-pitactique)

    4 261A-D atepitaktikP gen@siV tn 3yAcwn(production de

    choses inanimes)

    gen@siV tn Cmyucwn(productiondtres anims)

    320 Dimitri El Murr

    tion secondaire, et non prioritaire, mais daccorder la plus grande valeur et la priorit lamthode elle-mme qui consiste tre capable de diviser selon les espces (to katB eedhdunatqn einai diairebn). En particulier, [notre argument nous enjoint,] si un discours est tout fait long mais rend son auditeur plus inventif (eretik:teron), de le prendre au srieux et nepas sirriter de sa longueur, et dagir de mme si au contraire il est plus court, mais a le mmeeffet.

    1. La division est prsente sous forme tabulaire, afin dviter lutilisation de larbre clas-sique qui a linconvnient majeur de reprsenter la division comme sil sagissait dune classi-fication despces. Sur les rserves que lon peut faire sur ce mode arborescent de reprsenta-tion de la division, voir Delcomminette (2000), 84-90.

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  • 51 263E-264B gen@siV tnCmyAcwn

    (t zotrofikqVg@noV)

    t1 5gria za(animaux sauvages)

    t1 Wmera za(animaux suscep-tibles dtreapprivoiss)

    6 261D-262A

    (274E-276D :correctionde ladivision)

    gen@siV tnCmyAcwn

    (Tm@rwn znwn)monotrofBa(levage nourricier

    individuel)

    3gelaiotrofikP(262A-276D)

    (levage nourricieren troupeau)

    3gelaiokomikP ( partirde 276D)

    (soin des troupeaux)

    7 264B-E 3gelaiokomikP grotrofikpn(levag