La pédagogie Freinet, une pédagogie reconnue par les chercheurs

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MAGAZINE éducation WWW.EDUCATIONMAGAZINE.FR NUMÉRO 12 / JUILLET-AOÛT 2011 NOTRE DOSSIER POUR OU CONTRE LES DEVOIRS DE VACANCES ? CAHIER CENTRAL QUE FAIRE CET ÉTÉ ? 12 PAGES SONDAGE Colonies de vacances, quelle image ? JEUX VIDÉO, WEB L’addiction des ados vue par Serge Tisseron LA REVUE DES PARENTS ET DES ENSEIGNANTS 3:HIKRMF=^UYWU^:?k@a@b@l@a; M 07259 - 11 - F: 4,20 E - RD ENTRETIEN La laïcité en questions Henri Pena-Ruiz

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N U M É R O 1 2 / J U I L L E T - A O Û T 2 0 1 1

NOTRE DOSSIER

POUR OU CONTRE LES DEVOIRS DE VACANCES ?

CAHIER C

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QUE FAI

RE

CET É

TÉ ?

12 PA

GES

SONDAGEColonies de vacances,

quelle image ?

JEUX VIDÉO, WEBL’addiction des ados

vue par Serge Tisseron

LA REVUE DES PARENTS ET DES ENSEIGNANTS

3:HIKRMF=^UYWU^:?k@a@b@l@a;M 07259 - 11 - F: 4,20 E - RD

ENTRETIENLa laïcité en questions

Henri Pena-Ruiz

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APPRENTISSAGES

18 - éducation magazine ❙ n.12

A LIRE

A VOS AGENDAS !

Une école Freinet. Fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative en milieu populairepar Yves Reuter, L’Harmattan, 2007, 23 €.Contact : Institut coopératif de l’école moderne pédagogie Freinet 10, chemin de la Roche Montigny,44000 Nantes, Tél. : 02 40 89 47 50 www.icem-pedagogie-freinet.org

Du 23 aux 26 août 2011 : 50ème Congrès international de l’ICEM-Pédagogie Freinet, Université de Lille 3, Villeneuve-d’Ascq. 500 à 600 enseignants sont attendus. Ouvert à tous : enseignants, parents, travailleurs sociaux... En plus des conférences et tables rondes, des groupes de travail départementaux, secteurs, chantiers, approfondissement de l’ICEM et étrangers présenteront leurs travaux lors d’ateliers, expositions. Inscriptions sur le site http://congres-freinet.org/ ou à l’adresse [email protected]

Une pédagogie reconnue par les

chercheursDurant cinq ans, une équipe de chercheurs du laboratoire « Théodile »

de l’Université Lille III a suivi et évalué la mise en œuvre de la pédagogie Freinet dans l’école primaire Concorde de Mons-en-Barœul, dans la

banlieue de Lille. Retour d’expérience.

LA PÉDAGOGIE FREINET

Dysfonctionnements, problèmesde violence, incivilité et mau-vais résultats scolaires...Autant d’arguments qui ont conduit l’inspection académi-que à choisir l’école primai-

re Concorde, composée des écoles maternelle Anne Franck et élémentaire Hélène Boucher, pour mener une expérience sur la mise en place de la pédagogie Freinet dans une zone sensible. Un projet d’école expérimentale relancé en 2000 par le mouvement Freinet (l’Institut coopératif de l’école moderne) lors de la création par Jack Lang d’un conseil national pour la réussite et l’inno-vation scolaire. « Cette école qui concentrait des

populations socialement défavorisées était même

menacée de fermeture car les familles qui le pou-

vaient la fuyaient » rappelle Sylvain Hannebique, directeur de l’école élémentaire de Mons-en-Barœul, alors en réseau d’éducation prioritaire et désormais en réseau ambition réussite (RAR). L’équipe a été complètement renouvelée en 2001, avec l’arrivée de neuf enseignants expérimentés appartenant au mouvement Freinet depuis au moins cinq ans. « Quand nous sommes arrivés,

il y avait de vrais défi s à relever. Il nous a donc

fallu créer une rupture forte dans la manière

de travailler, à la fois pour les élèves et pour les

parents » se souvient Sylvain Hannebique. Les

enseignants ont alors misés sur l’expression écrite, orale, mathématique et artistique des enfants, la prise en compte de leur vécu pour en faire un objet d’apprentissage, et la création dans l’écriture, la musique, les arts plastiques... « Notre travail consiste à faire en sorte que les

enfants communiquent entre eux, selon des rè-

gles que nous construisons au fur et à mesure,

et qu’ils puissent coopérer dans l’apprentissa-

ge. À côté de cela, nous utilisons des techniques,

telles que la correspondance scolaire, le journal,

les plans de travail individuels qui leur appren-

nent l’autonomie. » Ici, pas de notes, pas de clas-sements, pas de compétition. Pour le reste, il s’agit d’une école ordinaire, la mise en place de cette pédagogie n’ayant généré aucun surcoût à l’Éducation nationale, ni aux parents.

Coopération, écoute et partage« La découverte de cette pédagogie a été pour

moi comme un choc, une révélation », affi rme Sylvain Hannebique qui a toujours voulu s’écar-ter de la pédagogie traditionnelle, caractérisée par des cours, des exercices et des évaluations de tous les enfants au même rythme. « Depuis,

ma posture d’enseignant est complètement dif-

férente. » Ici, les enfants ont un plan de travail sur 10 jours et apprennent à s’organiser de façon autonome. « Dans ma classe de CM1 CM2, quand

PAR MURIEL BEAUDOING

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APPRENTISSAGES

n.12 ❙ éducation magazine - 19

En quoi l’expérience menée à l’école élémentaire de Mons-en-Barœul est-elle originale ?Il s’agit d’une expérience absolument atypique dans le paysage scolaire français. Cette école ne fonctionnait pas bien, avait une population en baisse et connaissait des risques de fermeture de classe. De surcroit, les résultats y étaient moins bons que dans les autres écoles de la circonscription et il y avait un certain nombre d’incivilités. Après de longues négociations avec les instances de l’Éducation nationale et les syndicats, toute l’équipe de maîtres a été remplacée par des maîtres appartenant à la pédagogie Freinet, sous l’impulsion de l’inspecteur de la circonscription. Ce dernier a donné comme condition qu’une équipe de recherches suive et analyse leur travail, ce que nous avons fait durant cinq ans. Il s’agit de la recherche la plus longue et la plus complète sur une école pratiquant une pédagogie différente en milieu populaire.

Quelles sont les spécifi cités de cette pédagogie ?Cette pédagogie, inspirée des travaux de Célestin Freinet, met l’accent sur l’expression, tant à l’oral qu’à l’écrit, la communication, mais aussi les recherches des enfants dans tous les domaines. Autre grand principe : la coopération. Il n’y a pas de compétition, pas de notation classique. C’est un collectif qui s’entraide de différentes manières. Dans ce contexte, le maître n’est plus un transmetteur, mais quelqu’un qui stimule, encourage et étaie les apprentissages dans le cadre du programme. Les élèves s’organisent en fonction de plans de travail et progressent à des rythmes différents dans des domaines différents. Les écoliers participent aussi

à des conseils et peuvent modifi er le règlement, expérimenter de nouvelles règles... Les maîtres sont très exigeants sur le travail et sur la discipline, mais très respectueux des élèves. A cela, s’ajoutent des correspondances avec d’autres écoles de France ou du monde.

Quels ont été les résultatsde votre étude ?La situation s’est très vite améliorée. En particulier les rapports avec les familles. Le nombre d’incivilités a aussi considérablement baissé. Quant au climat de travail, il est sans comparaison. Enfi n, les résultats que nous avons analysés, notamment en français, sciences et en mathématiques, sont en constante amélioration : ils ont rattrapé, puis dépassé les résultats d’écoles de milieux équivalents. On voit ainsi que la pratique d’une nouvelle pédagogie peut entraîner des évolutions signifi catives dans un milieu populaire urbain, tant sur les apprentissages que sur le climat et le rapport à l’école. Depuis, les effectifs de l’école ont augmenté.

Peut-on généraliser cette expérience ?Il faut être prudent car cette pédagogie nécessite des enseignants motivés, qui y adhèrent, qui soient formés et continuent de l’être. Cela demande, en effet, des compétences de haut niveau. Par ailleurs, d’autres classes peuvent fonctionner correctement avec des pédagogies différentes, que ce soit celle de projet, Montessori ou même la pédagogie classique. C’est la diversité des pratiques qui est intéressante. D’où l’intérêt de les confronter et de comprendre leurs apports et leurs limites à un moment où, du fait de la pression et du manque de moyens, beaucoup d’enseignants se sentent usés, fatigués et découragés.

Professeur à l’université de Lille 3, fondateur et directeur de l’équipe de recherche « Théodile », qui a travaillé sur les effets d’une pédagogie alternative en milieu populaire.

ils arrivent le matin, ils se mettent ainsi tout de

suite au travail. À 9h30, c’est le moment du « Quoi

de neuf ? Les élèves qui se sont inscrits présentent

quelque chose en six minutes : un livre, un objet

que leur grand-mère leur a donné, un événement

vécu le week-end... C’est une découverte pour moi

aussi. » Des responsables de parole, du temps et du secrétariat veillent à ce que les enfants s’écou-tent. Le travail de l’enseignant consiste alors à décrypter ce qui est important pour les enfants, à travers une lecture didactique, mathématique ou littéraire de l’événement, et d’en sortir un objet de travail en commun. « J’organise, en fonction, des

séances d’apprentissage pour respecter les exi-

gences du programme. » L’après-midi, les enfants présentent un texte écrit le matin, leur recherche mathématique ou encore leur peinture. Puis, suit un nouveau temps coopératif. La journée se par-tage ainsi entre travail individuel et travail en commun. « À côté de cela, nous avons des petits

projets collectifs, comme l’écriture d’un livre ou

des sorties en classe de découverte. »

Mixité sociale retrouvéeAprès dix années de fonctionnement, le bilan est positif. « Les enfants ont, pour la plupart, été sco-

larisés dans l’école depuis l’âge de 3 ans. Ils ont

donc pris des habitudes d’autonomie, de produc-

tion et d’expression, ce qui facilite notre travail. Nous avons, par ailleurs, retrouvé une mixité so-

ciale relative dans l’école, des parents de catégo-

ries socio-professionnelles plus aisées souhaitant

inscrire leurs enfants chez nous pour les faire bé-

néfi cier de cette pédagogie. » Ceux-ci représentent désormais 20 % des eff ectifs. Le nombre d’élèves par classe est ainsi passé d’environ 15 à 23 élèves, moyenne ordinaire en RAR. Et l’expérience fonc-tionne. « Nos résultats aux évaluations nationa-

les de CM2 sont en très nette hausse. » Par ailleurs, l’expérience devrait se poursuivre. « Nous avons

été assurés par un protocole de nomination que

si un enseignant quittait l’école, son remplaçant

serait, lui aussi, issu du mouvement Freinet », in-dique le directeur.Reste la question complexe de la transférabilité. « Cela suppose d’intégrer des valeurs de coopéra-

tion et que l’enfant soit au centre des apprentissa-

ges... », souligne Sylvain Hannebique. « Il faut, par

ailleurs, être formé pour accueillir ce que les en-

fants créent, apportent... En France, cela relève du

militantisme. Les enseignants doivent se former

en dehors de leur temps de travail, les mercredis,

samedis ou pendant les vacances. » ❙

ENTRETIEN YVES REUTER

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