La parole aux citoyens Wavre - Françoise Pigeolet...2018/02/28  · Benoît Thoreau, chef de groupe...

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La parole aux Texte et photos: Nicolas Sohy C ’est un secret de Polichinelle… La confiance entre les citoyens et le monde politique est rompue. Certains ont carrément renoncé à participer à la vie publique, y compris au niveau local. Comme le démontre une étude commandée par la Fondation P&V, seulement 16 % des jeunes adultes comptent sur la politique pour les aider à résoudre leurs problèmes. Le Centre national français de la recherche scientifique estime que près de neuf citoyens sur dix pensent que leurs responsables politiques ne se préoccupent pas de ce qu’ils pen- sent. Mais ce constat est-il une fatalité? Ces derniè- res années, diverses tentatives politiques, d’autres citoyennes, visant à rapprocher ces deux mondes ont émergé (voir encadré). La Ville de Wavre en a fait l’une de ses priorités, tant au niveau de la com- munication et de la sensibilisation citoyenne que du financement, au point d’afficher des résultats plus que satisfaisants. La politique menée par la bourgmestre faisant fonc- tion, la libérale Françoise Pigeolet ne fait évidem- ment pas l’unanimité. Certains rappellent volon- tiers la stagnation de projets très attendus, comme la piscine, et les quelques contestations populaires (le refus du MR de condamner le projet de loi fédé- ral sur les visites domiciliaires, notamment). Mais quand on prend le pouls du chef-lieu brabançon, de Limal à Basse-Wavre, la majorité des quelque 34.000 habitants admettent qu’il y fait “bon vivre”, comme le rappait le Premier ministre dans un clip de campagne. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont Vous ou vos voisins avez de bonnes idées, mais pas toujours la possibilité de les partager et de les concrétiser. Elles pourraient pourtant améliorer la qualité de vie de tous. Pour profiter de cette intelligence collective, la Ville de Wavre a décidé de tendre l’oreille. Françoise Pigeolet, bourgmestre de Wavre. Patrick a suggéré de créer un poste d’intermédiaire ent Wavre grands formats L'IDÉE 44 MOUSTIQUE 28/02/2018 citoyens permis à l’équipe en place d’obtenir une majorité absolue au conseil. Au scrutin d’octobre, même s’ils risquent de perdre quelques plumes - Charles Michel ne sera plus tête de liste -, il y a peu de chances que les libéraux se prennent une raclée. Une heure pour sa ville La bourgmestre en effet a su rester proche de ses con- citoyens et s’assurer de la sympathie de la plupart d’entre eux, quels que soient leur couleur politique et leur niveau d’engagement. Pour renforcer encore davantage les liens, le collège a lancé fin 2017 l’appli- cation mobile Fluicity. Elle permet aux habitants de donner leur avis sur les projets en cours et de déposer leurs propres propositions. Mais aussi d’indiquer s’ils sont prêts à s’investir pour les faire naître. Près d’une centaine d’idées ont déjà été postées. Camille, 29 ans et doctorante à l’UCL, a suggéré d’accélérer la lutte contre les mégots jetés au sol en installant des poubelles-cendriers dans l’espace public ou en développant une campagne de sensi- bilisation. “L’administration nous a récemment invités à l’action “Une heure pour ma ville”. J’ai ramassé des déchets et remarqué le nombre important de mégots de cigarettes. Je me suis dit: pourquoi ne pas tenter quelque chose via l’application?” En quelques semaines, 46 Wavriens ont appuyé sa sugges- tion… Dans son appartement du centre-ville, elle enchaîne: “Je viens de Tournai. Ce que j’apprécie ici, c’est le fait qu’on soit bien informés, grâce à deux journaux: Info Wavre et Bonjour Wavre. Ça nous permet de nous sentir impliqués, considérés”. Certains Wavriens aimeraient aussi désormais être consultés en matière d’urbanisme ou de mobilité. tre la ville et ses commerçants. L ’opposition politique wavrienne se montre plus critique... Stéphane Crusnière, chef de groupe PS, salue la création d’un Conseil consultatif des personnes handicapées, et celui des jeunes et des enfants. Mais il en voudrait également pour l’Aménagement du territoire et la mobilité. “La majorité organise de plus en plus de séances d’information à destination de la population. Plan com ou réel intérêt? Parfois, on a l’impression qu’ils entendent, mais n’écoutent pas.” Benoît Thoreau, chef de groupe cdH, souhaite passer à la vitesse supérieure: “Plusieurs projets passent inaperçus, comme la construction d’une tour de 50 mètres de haut. Il faudrait solliciter l’avis de la population plus tôt dans le processus. Je voudrais aussi qu’on attribue un “budget participatif” plus important, de 100.000 ou 200.000 euros. Enfin, je crois qu’il serait bon d’encourager davantage la participation citoyenne au conseil communal”. Toujours plus loin L'IDÉE grands formats 45

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La parole aux citoyens

Texte et photos:Nicolas Sohy C

’est un secret de Polichinelle… Laconfiance entre les citoyens et lemonde politique est rompue. Certainsont carrément renoncé à participer à lavie publique, y compris au niveaulocal. Comme le démontre une étudecommandée par la Fondation P&V,seulement 16 % des jeunes adultes

comptent sur la politique pour les aider à résoudreleurs problèmes. Le Centre national français de larecherche scientifique estime que près de neuf citoyens sur dix pensent que leurs responsablespolitiques ne se préoccupent pas de ce qu’ils pen-sent. Mais ce constat est-il une fatalité? Ces derniè-res années, diverses tentatives politiques, d’autrescitoyennes, visant à rapprocher ces deux mondesont émergé (voir encadré). La Ville de Wavre en a

fait l’une de ses priorités, tant au niveau de la com-munication et de la sensibilisation citoyenne quedu financement, au point d’afficher des résultatsplus que satisfaisants.

La politique menée par la bourgmestre faisant fonc-tion, la libérale Françoise Pigeolet ne fait évidem-ment pas l’unanimité. Certains rappellent volon-tiers la stagnation de projets très attendus, commela piscine, et les quelques contestations populaires (le refus du MR de condamner le projet de loi fédé-ral sur les visites domiciliaires, notamment). Maisquand on prend le pouls du chef-lieu brabançon,de Limal à Basse-Wavre, la majorité des quelque34.000 habitants admettent qu’il y fait “bon vivre”,comme le rappait le Premier ministre dans un clipde campagne. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont

Vous ou vos voisins avez de bonnes idées, mais pas toujours la possibilité de les partager et de les concrétiser. Elles pourraient pourtant améliorer la qualité de vie de tous. Pour profiter de cette intelligence collective, la Ville de Wavre a décidé de tendre l’oreille.

Françoise Pigeolet, bourgmestre de Wavre. Patrick a suggéré de créer un poste d’intermédiaire entre la ville et ses commerçants.Wavre

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La parole aux citoyenspermis à l’équipe en place d’obtenir une majoritéabsolue au conseil. Au scrutin d’octobre, même s’ilsrisquent de perdre quelques plumes - CharlesMichel ne sera plus tête de liste -, il y a peu de chances que les libéraux se prennent une raclée.

Une heure pour sa villeLa bourgmestre en effet a su rester proche de ses con-citoyens et s’assurer de la sympathie de la plupart d’entre eux, quels que soient leur couleur politique etleur niveau d’engagement. Pour renforcer encoredavantage les liens, le collège a lancé fin 2017 l’appli-cation mobile Fluicity. Elle permet aux habitants dedonner leur avis sur les projets en cours et de déposerleurs propres propositions. Mais aussi d’indiquer s’ilssont prêts à s’investir pour les faire naître. Près d’unecentaine d’idées ont déjà été postées.

Camille, 29 ans et doctorante à l’UCL, a suggéréd’accélérer la lutte contre les mégots jetés au sol eninstallant des poubelles-cendriers dans l’espacepublic ou en développant une campagne de sensi-bilisation. “L’administration nous a récemment invités à l’action “Une heure pour ma ville”. J’airamassé des déchets et remarqué le nombre importantde mégots de cigarettes. Je me suis dit: pourquoi ne pas

tenter quelque chose via l’application?” En quelquessemaines, 46 Wavriens ont appuyé sa sugges-tion… Dans son appartement du centre-ville, elleenchaîne: “Je viens de Tournai. Ce que j’apprécie ici,c’est le fait qu’on soit bien informés, grâce à deuxjournaux: Info Wavre et Bonjour Wavre. Ça nouspermet de nous sentir impliqués, considérés”.

Certains Wavriens aimeraient aussi désormais être consultés en matière d’urbanisme ou de mobilité.Patrick a suggéré de créer un poste d’intermédiaire entre la ville et ses commerçants.

L ’opposition politique wavrienne se montre plus critique... StéphaneCrusnière, chef de groupe PS, salue la création d’un Conseil consultatifdes personnes handicapées, et celui des jeunes et des enfants. Mais il

en voudrait également pour l’Aménagement du territoire et la mobilité. “Lamajorité organise de plus en plus de séances d’information à destination de lapopulation. Plan com ou réel intérêt? Parfois, on a l’impression qu’ils entendent,mais n’écoutent pas.” Benoît Thoreau, chef de groupe cdH, souhaite passer à lavitesse supérieure: “Plusieurs projets passent inaperçus, comme la constructiond’une tour de 50 mètres de haut. Il faudrait solliciter l’avis de la population plustôt dans le processus. Je voudrais aussi qu’on attribue un “budget participatif”plus important, de 100.000 ou 200.000 euros. Enfin, je crois qu’il serait bon d’encourager davantage la participation citoyenne au conseil communal”.

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Les projets sont nombreux et diversifiés.Patrick, un habitant des Quatre sapins de 58 ans,a tout de suite été emballé. “Quand je croise les élus,il y a toujours un geste amical, un petit mot échangé.Ils sont disposés à nous écouter, à nous consacrer dutemps. Ça n’a pas toujours été le cas à Wavre. Ces der-nières années, la commune a fait des efforts. Mais j’essaie tout de même de ne pas trop déranger quandils sont dans un contexte privé. Grâce à Fluicity, onpeut s’exprimer sans se poser de questions.” Il a suggéré de créer un poste d’intermédiaire entre laville et l’association des commerçants afin demieux coordonner les activités et les budgets.D’autres ont proposé des projets d’accueil de réfu-giés, de formations pour les aînés, la création denouveaux types de commerces, de nouvelles solu-tions de parking et de navettes vers les quartierséloignés, de lutter contre le gaspillage alimentaireaussi… Avec une interrogation récurrente: leursidées seront-elles réellement prises en compte?Françoise Pigeolet l’affirme. Une poignée sontd’ailleurs déjà en phase de concrétisation. “Descitoyens ont demandé d’étendre la célébration desmariages au samedi après-midi. Ce sera le cas à partirdu mois de mars”, se félicite-t-elle. Autres exem-ples: la commune formera bientôt ses habitantsaux premiers gestes de survie, comme ils l’ontdemandé, et créera une nouvelle ouverture au parcde l’Ermitage.

Françoise Pigeolet assure que la plateforme n’est pas un gadget. “Elle constitue à nos yeux un outilessentiel en termes de gestion communale démocra-tique. Notre volonté est de favoriser la participationcitoyenne et de faire en sorte que chacun soit informé,

Fluicity, l’app mobile qui permet aux Wavriens de donner leur avis.

G râce à l’application mobile Fluicity qui permet de partagerses bonnes idées, Wavre, tout comme Aubange, Etterbeeket Woluwe-Saint-Pierre, espère en tirer profit. Ces dernières

années, ce type d’initiatives a émergé un peu partout en Belgique. LaVille de Bruxelles consacre ainsi 200.000 euros par an à des projetsgérés de A à Z par des habitants. À Mons, une consultation populairegéante menée via “demain.mons.be” a généré plus de 850 suggestionscitoyennes en huit mois. À Verviers, le collège a lancé son premierforum de la “Fabrique de liens citoyens” où huit propositions ont étélancées en matière de permaculture, de promotion des producteurslocaux, de chasse aux déchets… D’autres niveaux de pouvoir s’acti-vent aussi. La Fédération Wallonie-Bruxelles a lancé son “Parlementcitoyen” sur le thème “Quelle Europe pour demain?”, et le Parlementde Wallonie, son “panel citoyen” permettant aux habitants d’intro-duire un avis sur une proposition ou un projet de décret.

Mais les Belges n’ont pas tous attendu cet appel du pied politiquepour concrétiser leurs idées. Surfant sur le succès du film Demain, denombreuses associations, dont le mouvement Transition, redoublentd’effort. C’est aussi le cas des Générations solidaires, un appel à pro-jets né au sein du groupe L’Avenir et en collaboration avec la Fonda-tion Roi Baudouin, dont la seconde édition a été lancée mi-janvier.L’an dernier, “Les Z’amis de Zoé” ont remporté le premier prix de 10.000 € pour réaliser à Visé un site multi-activité intégrant dessynergies entre la santé, l’environnement et l’énergie. L’objectif?Fournir des paniers de légumes cultivés au potager par trois généra-tions. Au total en 2017, 149 idées dont 122 éligibles avaient étéproposées… Les projets pour l’édition 2018 peuvent être déposésjusqu’au 15 mars.

www.generations-solidaires.be

Générations solidaires D’autres communes tentent de faire participer les citoyens. Et c’est aussi le cas du secteur associatif.

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“La participation citoyenne facilite le vivre ensemble. Elle gomme même les craintes liées à la diversité.”

consulté et puisse participer à la vie locale. Il est essen-tiel d’apprendre à mieux connaître les besoins desWavriens et de disposer de données de qualité suscep-tibles d’orienter nos décisions afin de proposer des solutions vraiment en phase avec leurs attentes, maisrespectueuses de l’intérêt général.” Pour y parvenir,le collège a mis sur pied cette année un “budgetparticipatif ” de 50.000 € dont l’essentiel doitencore être distribué.

Conscientiser par FacebookMais la commune ne se limite pas à cette appli-cation pour toucher ses résidents et sestravailleurs. Elle a également investi les réseauxsociaux et, à ce titre, a reçu le prix de la“commune wallonne la plus active sur Internet”délivré jusqu’en 2014 par Google. Grâce àFacebook et consorts, le service communicationparvient en plus à toucher certains profils apriori complètement désintéressés. CommeAudrey, 25 ans, vendeuse dans deux magasins devêtements, qui admet en faire partie…

Sauf que depuis qu’elle a quitté la capitale pours’installer dans la cité brabançonne il y a quelquesmois, elle est confrontée à la vie publique, un peumalgré elle. “Je feuillette le journal communal quiarrive dans ma boîte aux lettres et il arrive régulière-ment sur Facebook que je tombe sur une actualitéwavrienne. Sans m’y intéresser au départ, je vois quela vie locale bouge, notamment avec le nouveau centre culturel. Ça me rappelle que c’est une annéeélectorale, que je dois me renseigner sur les partis etcandidats qui se présentent à Wavre. Je crois que çame conscientise. Ça pourrait aussi me pousser à

participer aux activités…” Parallèlement à cela, cesdernières années, les associations citoyennes sesont multipliées. Le collège collabore désormais avec plusieurs d’entres elles dont Vitamine Z,l’AMO Carrefour J, Yambi…

Nathalie Éverard, représentante du mouvementTransition, plus connu pour ses propositions vertesque libérales, se montre ravie. “La majorité nouspermet de réaliser nos projets. Je pense notamment auFrigo solidaire et à l’action Zéro déchet. Elle nous aaussi permis d’organiser des visites de la station d’épu-ration. Ça nous permet de créer des liens. On peut déjàse réjouir de cela, même si certaines décisions sontencore prises unilatéralement. C’est le système poli-tique belge qui veut ça… On n’est pas dans une démo-cratie participative. Mais on s’en approche petit à petit.” Et la bourgmestre de conclure: “La partici-pation citoyenne facilite le vivre ensemble. Elle permetaux habitants de connaître leurs droits et leurs devoirs,et donc de gommer les craintes liées à la diversité. Celapermet notamment de comprendre les rouages, lesimpératifs des procédures administratives. Maismon objectif n’est pas de faire du lobbying auprèsdes citoyens. L’intérêt doit émaner d’eux-mêmes.L’engagement est une démarche personnelle”. ✖

Audrey, impliquée grâce à la page Facebook de la ville.Camille s’est engagée dans la chasse aux mégots.

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