La Justice Coloniale Des Berberes Et l Etat National Au Maroc Anneemaghreb 349 III

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L’Année du MaghrebIII  (2007)Dossier : Justice, politique et société

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Mustapha El Qadéry

La justice coloniale des « berbères » etl’État national au Maroc................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniqueMustapha El Qadéry, « La justice coloniale des « berbères » et l’État national au Maroc », L’Année duMaghreb [En ligne], III | 2007, mis en ligne le 01 novembre 2010, consulté le 01 octobre 2012. URL : http://anneemaghreb.revues.org/349 ; DOI : 10.4000/anneemaghreb.349

Éditeur : CNRS Éditionshttp://anneemaghreb.revues.orghttp://www.revues.org

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L’Année du Maghreb, III | 2007

Mustapha El Qadéry

La justice coloniale des « berbères » etl’État national au MarocPagination de l'édition papier : p. 17-37

1 Le passé colonial pèse encore de son poids sur le présent du Maroc comme sur celui des autrespays d’Afrique du Nord. Le régime colonial a donné son empreinte aux divers systèmes degouvernements, malgré les apparentes différences qui les distinguent. Le champ judiciaireoffre, par excellence, un aspect sur lequel le passé mérite d’être revisité pour interroger certainsparadigmes. L’histoire du droit moderne est en soi problématique, dans la mesure où le passéde l’État colonial a structuré l’État postcolonial et a influencé ces choix. Les ruptures dues aurecouvrement de la souveraineté nationale se sont accompagnées d’une vision qui a dominéla lecture du passé et l’optique dans laquelle ce passé a été instrumentalisé. La recherchescientifique s’est alignée, grosso modo, sur la vision nationaliste, et quand le thème de la justicecoloniale est traité, c’est sous l’angle du « dahir berbère » et de « la politique berbère ». Celle-ci fait l’objet d’une sorte de « condamnation » systématique, comme si « la politique arabe »et « la politique musulmane » étaient légitimes, légales et logiques.

2 La condamnation de « la politique berbère » emporte dans son sillage « la justice berbère »et « les Berbères » eux-mêmes sont l’objet de nombreuses polémiques sur leurs origines, leurhistoire et leurs types d’organisation. C’est pour cela que les trois thèmes sont associés icipour mettre en contexte cette « justice » qui a été mise à l’écart et à l’index de la légalité aulendemain de l’indépendance. Mais la société a continué à fonctionner dans certains secteurscomme à l’accoutumée, certains litiges, comme ceux du partage de l’eau ou des pâturages,ne pouvant trouver solution devant les tribunaux de l’État. Comment donc comprendre cedualisme ?

3 L’objet de cette étude est de retracer certains processus qui ont joué un rôle fondamentaldans l’évolution du champ judiciaire et politique au Maroc. C’est le résultat combiné d’uneamnésie collective, d’une part, et des paradoxes du savoir sur la société marocaine, d’autrepart. C’est l’objet des deux premiers points. Ce détour est nécessaire pour resituer la périodecoloniale, et le nouveau système mis en place par la puissance protectrice du Makhzen dans lecalendrier de conquêtes militaires et de réformes des dispositifs judiciaires, au fur et à mesured’une pacification qui s’est prolongée jusqu’en 1934. Le savoir des « études marocaines »qui a accompagné cette conquête a fondé, d’une part, les études « arabo-islamiques » liées àl’orientalisme et, d’autre part, les « études berbères » liées à l’ethnologie et ses dérivés. La«  justice berbère » est née dans un système marqué par la thématique de «  la pacificationde l’Empire  » et de son «  unification  »  : il a donné lieu à une centralisation du pouvoir,l’émergence de nouvelles élites dépositaires de ce dernier et un amoindrissement progressifdes divers pouvoirs locaux.

4 L’organisation de la justice indigène est analysée d’un point de vue qui vise à dissiperl’amalgame relatif à l’opposition systématique de «  la justice berbère  » à «  la justicemusulmane », alors que les textes distinguent le statut religieux qui dépend du cadi (ou durabbin) et le statut civil qui dépend du tribunal du caïd ou du pacha et dont la particularitéest l’absence de code. Simple mise au point afin de mettre en exergue certains malentenduset placer le débat dans d’autres perspectives, comme celle de l’anthropologie juridique,l’histoire du droit et des institutions au Maroc. Nous terminons cette interrogation sur lespossibles lectures du passé, par le croisement de longues et courtes durées pour comprendreles cheminements et les conséquences des grands phénomènes sociaux et politiques. Le débatsur la justice n’est pas le fruit de la seule époque coloniale, c’est davantage une répétitionqui nécessite une mise en lumière afin de clarifier quelques aspects obscurs de l’histoire desinstitutions marocaines.

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1. Amnésie collective5 «  Une crise d’amnésie entretenue par les facultés de droit a donné lieu à une régression

spectaculaire dans la connaissance du droit non étatique »1 au Maroc. Ce constat ne concernepas les facultés de droit uniquement, il est généralisable à l’ensemble des facultés des sciencessociales et humaines et la recherche qui s’est développée dans sa suite. Que le droit non étatiquedemeure une pratique sociale courante dans de nombreux secteurs territoriaux, en ville commeà la campagne, au Nord comme au Sud, dans les plaines comme dans les montagnes et auSahara, au su et au vu de l’État et de son droit, ainsi que de ses dispositifs administratifs etjudicaires ne justifie pourtant pas cette amnésie organisée qui occulte la société et ses faits. Celan’a pas convaincu, apparemment, les décideurs des programmes scolaires et universitaires deles intégrer dans les cursus.

6 Parmi les éléments constitutifs de cette amnésie collective, « la question berbère » est l’élémentqui, en filigrane, traverse la perception globale de ce qui est à « oublier » et qui structurel’amnésie. Cette « question » née dès la mise en place du Protectorat, quand Lyautey cherchaità réaliser des alliances avec les caïds et chefs des tribus et des confédérations, à l’image decelles réalisées avec les caïds des plaines et de la région de Marrakech. Le Moyen-Atlas, leHaut-Atlas oriental, le Sahara, l’Anti-Atlas avaient globalement exprimé un non catégoriqueà l’offre de ralliement au Makhzen français offerte par Lyautey. Celui-ci passa à la conquêtede la montagne de Fès et de Meknès pour arriver à Khénifra en juin 1914. Quelques moisplus tard est publié le dahir du 11 novembre 1914 sur le respect des coutumes pour les tribusrentrant dans l’obéissance et la paix du Makhzen.

7 Cette action politique et militaire de Lyautey fût qualifiée de politique des grands caïds(berbères) au sud et de politique coutumière (berbère) au Moyen-Atlas, tous deux constitutifsdes premiers pas de la politique berbère au Maroc. Le deuxième grand événement de lapolitique berbère est celui du « dahir berbère » et la question de la justice associée à une idéed’évangélisation, de charia et d’anté-islam. Le sujet du dahir est le noyau du mythe fondateurdu nationalisme marocain, qui a fait de ce décret et de ses suites politiques l’essentiel de salégitimité dans son émergence politique. Ce décret fût élevé au rang de point culminant de lapolitique berbère à laquelle se sont attaqués les premiers nationalistes. L’une des premièresdécisions du premier gouvernement de l’indépendance a d’ailleurs été l’annulation du dahirdu 16 mai 1930, le « dahir berbère ». Le dernier acte de la politique berbère retenu se trouvedans « la révolution »2 de 1951 et 1953, quand « les tribus berbères », disait-on, sous l’égidedu Glawi et des oulémas avaient entrepris de changer le sultan. L’autre volet de la politiqueberbère retenu dans la thématique générique est celui de l’enseignement : les Berbères avaientfait l’objet d’une politique scolaire excluant l’étude de la langue arabe. Ce qui, pour le discoursnational, a constitué un élément de suspicion et un facteur de déloyauté probable à l’égard del’identité arabo-islamique légale et légitime.

8 Aujourd’hui, la connaissance de l’histoire du Maroc et des institutions qui s’y sont succédé,avant la conquête coloniale, demeure dominée par l’héritage de la tradition savante néedans le contexte colonial. La science coloniale avait grosso modo divisé les indigènes entrel’orientalisme des études arabo-islamiques et l’ethnologie des Berbères. Le premier thèmefût considéré comme exogène, dépositaire ou reproducteur d’un savoir dont les origines sontarabes. Le second thème fût considéré comme autochtone, d’origine locale, tout en insistantsur l’origine éternellement douteuse de ses autochtones, vus et perçus comme éternellementdominés par leurs divers conquérants3. La France s’est inscrite dans une logique colonialequi structure, selon sa vision, l’histoire de l’Afrique du Nord, et ne fait par sa conquêted’Alger que prendre la place d’un autre conquérant. L’autochtone n’est qu’un éternel dominéet assujetti, précise Renan, et ne peut être producteur à ce titre, de civilisation ou de systèmede gouvernement. Ce jugement académique doublé d’un ensemble de politiques indigènes ontfini par consacrer une distinction politique, ethnique, voire raciale des « Arabes conquérants »objet du l’orientalisme et les «  Berbères conquis  » objet de l’ethnologie. La majorité desrecherches continuent à reproduire ce schème d’une manière systématique, et l’analyse entermes d’Arabes et de Berbères continue à faire la part belle à ses stéréotypes. Aujourd’hui

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encore, les cartographies de la distribution linguistique des «  berbères  » éditées dans denombreux ouvrages représentent des groupements plus au moins dispersés sous forme depoints, et renvoient de facto à un autre espace occupé par les « Arabes ». Quant à la traditionsavante des sciences religieuses ou profanes produites en Afrique du Nord, qualifiées parl’orientalisme de « sciences arabes » et à l’appui desquelles viennent « les manuscrits arabes »,il semble qu’il s’agisse d’un simple glissement sémantique conduisant à s’interroger sur lecaractère arabe de ces manuscrits. Examinons le titre de cet ouvrage édité par un linguiste« berbérisant » notoire de l’époque coloniale : Textes arabes en parler chleuh du Sous4. Simplelapsus ou bien un raccourci qui renvoie aux caractères d’écriture, d’un texte en chleuh par unlettré versé dans les sciences de la langue arabe ou de la religion musulmane ? En arabe ouen chleuh, le manuscrit est considéré par la recherche comme « arabe », par ses caractèresd’écriture ou sa langue de rédaction, ou encore par la thématique dont il traite, et non selon uneéventuelle identité culturelle ou idéologique de l’auteur dudit manuscrit. La nuance est de taillemalgré la simplicité de ce glissement, puisque au fond, les producteurs de ces manuscrits, enAfrique du Nord comme dans le reste de l’Afrique musulmane et de l’Andalousie (l’Occidentmusulman) furent des érudits autochtones, qu’ils soient de confession musulmane ou juive.La question des généalogies (supposées) ne se pose pas dans ce cas, pour la simple raison quele savoir est tout d’abord un métier qui nécessite apprentissage, formation et mobilité pourl’impétrant. Comment donc la science en Afrique du Nord serait-elle une œuvre « arabe »ou des « Arabes » ? S’agit-il d’une tradition inconnue avant l’islam ? Qui sont ces Arabesd’Afrique du Nord aujourd’hui ?

9 Dans sa sociologie de l’Algérie, Pierre Bourdieu avait souligné que ceux désignés commeArabes en Algérie étaient dans leur fonctionnement culturel et cultuel, semblables aux groupesberbères et se distinguaient uniquement par le langage d’expression5. Le chapitre qu’il aconsacré à cette catégorie est intitulé Les Arabophones. Il l’a prolongé par un autre chapitreintitulé, Le fonds commun pour parler, en fin de compte en termes de désagrégation et désarroidurant la situation coloniale. Sa conclusion sur les indigènes est la suivante :

«  Les échanges ont été si intenses et si prolongés que les termes en présence,tels l’arabisme et le berbérisme, ne peuvent plus guère être distingués que parune opération de l’esprit. Il faut y voir des types idéaux au sens de Max Weber,issus de la seule reconstruction historique – avec toutes les incertitudes que celaimplique – et nécessaires à la compréhension de cette synthèse originale, résultatde la confrontation dialectique qui n’a cessé d’opposer le fond local aux apportsorientaux6. »

10 Marcel Mauss dans son unique article consacré au Maroc avait pourtant mis en garde contreces types idéaux. Pour lui, le Maroc est « foncièrement berbère », malgré les apparences quelaissent entendre les études marocaines7. Son élève, Robert Montagne qui avait soutenu sathèse8 sous ses auspices peu après ce séjour marocain, avait répondu à un impératif politique etnon académique, puisque son travail était une réponse à une commande de Lyautey, comme ill’a confessé plus tard dans son ouvrage de « mea culpa », Révolution au Maroc. Lyautey voulaitcomprendre comment un chef tribal se transformait en caïd, arrivait à constituer sa puissanceet réussissait à « manger » sa tribu et à s’imposer au détriment des tribus s’administrant elles-mêmes9. Comment appréhender ce Maroc « foncièrement berbère » de Marcel Mauss et lesBerbères de R. Montagne représentant une « spécificité » par rapport à la norme du « Makhzenarabe  »  si cher à Lyautey  ? Un grand caïd qui a «  mangé  » sa tribu, objet de l’étude deMontagne, nous offre l’idéal type de cette catégorie dont le pouvoir remonte au XVIIIe siècleet s’est maintenue jusqu’en 1956 : il s’agit du Glawi. Selon l’étude d’Azaykou la destructiond’une zawiya par Moulay Ismaïl, en 1720, dans le Haut-Atlas de Marrakech10, coïncide avecl’installation de l’ancêtre du Glawi, comme Mzwar (chef) des armées du même Sultan dans lecol de Telouat11, qui contrôle l’une des routes du Sud vers Marrakech.

11 L’année 1930 est la date de publication de la thèse de Montagne. Elle fût aussi celle du« dahir berbère », du décès de Michaux-Bellaire qui a consacré un rapport inédit sur le sujet.

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C’est également l’année de la naissance du nationalisme marocain. Simple coïncidence ? R.Montagne avait écrit vingt ans plus tard :

« C’est seulement en 1928-1930 que les sociologues et les juristes devaient réussirà achever des travaux qui renouvelleraient nos idées sur le rôle historique duMaghzen en tribu et mettraient en évidence les capacités que pourraient avoir lestribus à s’administrer elles-mêmes... Bientôt, les vues politiques des spécialistesallaient partout s’effacer devant la supériorité des techniciens de l’administrationet les grands travaux. Nul ne pensait plus alors à réexaminer le plan laissé parLyautey12 ».

12 La vision coloniale est devenue une vulgate sur le bled makhzen arabe avec ses soumis,ses scribes et ses vieilles familles, et bled siba berbère avec ses marabouts, ses coutumes etses éternelles insoumissions. Les racines savantes de cette vision sont résumées dans l’étuded’E. Burke sur les origines « intellectuelles » de la politique de Lyautey13. Quels que soientles plans de Lyautey, des techniciens de la colonisation et des spécialistes des indigènes, auplan colonial avait succédé une vision et un « plan » national et nationaliste, résumés dansune nation arabo-islamique, dont l’histoire commence avec l’avènement de l’islam et tourneautour des Arabes et de la langue arabe, normes constitutives, légitimes, légales et historiquesretenues. La base de tout cela est un ensemble d’idées génériques qui sont le fruit d’unevision idéologique du nationalisme, et d’une instrumentalisation des éléments constitutifs del’identité nationale supposée, en opposition à la vision coloniale à vocation purement politiquedans un contexte de domination et de colonialisme. Les deux premiers ouvrages publiés aulendemain de l’indépendance véhiculent ce que E. Gellner avait qualifié de The Strugglefor Morocco’s past14 qui s’annonçait, comme enjeux, au lendemain de l’indépendance. Deuxleaders opposés dans la scène politique de l’époque, Mehdi Ben Barka et Allal El Fassi,se sont affrontés par préfaces interposées de deux ouvrages à vocation académique15, qui« répondaient » parallèlement à la vision coloniale de l’histoire et des institutions. Pour lepremier, les réponses aux questions institutionnelles du nouvel État se trouvent chez un savantde la période abbaside, et pour le second, la civilisation marocaine trouve ses racines dansl’Andalousie et ses réfugiés au Maroc16. Ces écrits inaugurent d’une perception d’un Marocarabe ancré dans son passé à civilisation andalouse où les Berbères ne sont qu’une « question »héritée de l’époque coloniale qui a voulu instrumentaliser sa propre «  invention » par unepolitique diabolique. Cette politique est perçue par le discours dominant, tantôt par l’évocationdu dahir berbère qui renvoie à la justice berbère de 1930, tantôt à la politique berbère desgrands caïds du début du protectorat associée au Glawi. Ce dernier est élevé par divers écrits,au rang de « seigneur des Berbères » et chef de leur sédition en 1951 et en 1953. Ainsi tousles éléments de la disqualification sont réunis pour organiser l’amnésie collective. Comme sila tâche fût organisée de manière à expulser ce qui ne verse pas dans l’arabo-islamique visionde l’État national. Pourtant, celui-ci a succédé à l’État colonial et a repris et même développéles outils de l’État moderne. La reconduite du système colonial fût ainsi sélective, et tout cequi touchait au « berbère » dans le sens colonial fût rapidement, comme nous allons le voirplus loin, éliminé du champ judiciaire et du champ juridique légal de l’État national, sans quele « berbère » ne soit réhabilité des « vocations diaboliques » qui le guettaient.

13 Mais ce n’est pas parce que l’État et ses instruments ont organisé l’amnésie sélective,que l’objet de l’amnésie n’est pas fonctionnel et plus au moins dynamique dans diverssecteurs, comme les corporations artisanales, les sociétés agricoles, pastorales ou nomades.À l’exemple de l’objet de l’étude de M. Tozy et M. Mahdi sur la gestion des lieux deparcours chez des populations pastorales du Moyen-Atlas d’Azrou et des sédentaires duHaut-Atlas de Marrakech, ils affirment que les usages ancestraux, malgré les profondesmutations socioéconomiques qui ont touché les modes de production paysanne et les systèmesde gouvernance qui se sont succédé durant le XXe siècle, sont encore en vigueur. Cette«  survivance », contrairement à une idée dominante, ne concerne pas que les Berbères oules régions berbères, mais l’ensemble des régions du Maroc. Toutes les régions, villes etcampagnes, avaient connu et connaissent encore des systèmes semblables de gestion des

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affaires publiques et des domaines publics. Ils continuent encore à fonctionner selon lesgéométries variables de la cohésion sociale ou corporatiste.

14 La spécificité que la recherche coloniale n’avait cessé de mettre en exergue à propos desBerbères renvoyait à une autre spécificité, qualifiée de normative, concernant les Arabes,dépositaires du Makhzen, producteurs du savoir et de la bonne voie religieuse. Ce dualismeconstitue jusqu’à aujourd’hui la matrice qui a produit un pittoresque paradoxe où les mauxdes mots sont porteurs de sens, de forme et de contenu de l’État, du système, de l’identiténationale, du passé et de l’avenir de la nation marocaine.

2. Savoirs et paradoxes15 Si parler de la politique berbère apparaît comme un sujet «  logique » vu sa place dans les

différentes recherches qui ont abordé l’histoire coloniale française en Afrique du Nord, peut-onévoquer une politique arabe de la France coloniale ou une politique musulmane ou islamiquedans le cas du Maroc ? Les recherches, selon l’hypothèse, sont pratiquement inexistantes saufsi on se réfère à une sémantique des thématiques liées aux « Bureaux arabes » destinés à lagestion des affaires des indigènes, ou à Napoléon III et son « Royaume arabe » d’Algérie.Quant à une « politique musulmane », elle appartient également à un champ sémantique précisdont un livre explique les tenants et les aboutissants à travers un organisme créé à Paris en1911, pour la gestion des affaires des Musulmans dans les troupes coloniales : la Commissioninterministérielle des affaires musulmanes (CIAM)17. L’arabo-islamité de l’Algérie ou duMaroc est une « évidence », et s’interroger sur sa « véracité » ne peut émaner, selon la doxaen vigueur, que des ennemis de la nation18.

16 Pourtant, les différents usages de la religion musulmane et des divers instruments utilisés parla puissance coloniale restent encore matière à investigation, pour la simple raison que lesnombreuses confusions sémantiques liées aux sujets des Musulmans en tant que croyants, ouen tant qu’indigènes ou en tant qu’administrés ne correspondant pas au même contenu. LeMusulman est même devenu « juridique » par un arrêté de la Cour d’appel d’Alger qui a statuéen 1903, pour juger l’affaire d’un indigène converti au catholicisme et dont la demande denationalité française, à titre de converti, avait été refusée par l’administration. Pour le tribunal,le

«  terme musulman n’a pas un sens purement confessionnel, mais il désigneau contraire l’ensemble des individus d’origine musulmane qui, n’ayant pointété admis au droit de cité, ont nécessairement conservé leur statut personnelmusulman, sans qu’il y ait lieu de distinguer s’ils appartiennent ou non au cultemahométan19. »

17 Cela nous semble conduire à parler des paradoxes qui existent entre faits et recherches. L’undes plus importants, à vocation théorique, signalé dans une présentation de la réédition del’un des principaux ouvrages sur l’Algérie est hérité de l’étude sur la Kabylie et les coutumeskabyles de Hanoteau et Letourneux20, dont s’est servi E. Durkheim à propos de la divisionsociale du travail et de la notion de solidarité mécanique dans les sociétés tribales en oppositionà la solidarité organique des sociétés modernes21. Durkheim avait puisé dans le registre de lajustice privée des familles en Kabylie les données ethnographiques pour illustrer sa thèse, enomettant de souligner que parallèlement, selon l’étude en question, la société a recours auxformes d’associations et de solidarités volontaires contractées de façon conventionnelle. PourA. Mahé, ce qui ressort de ce type d’organisation sociale contredit absolument l’idée d’unesolidarité mécanique liant de façon univoque des individus interchangeables en fonction deleur place dans l’ordre segmentaire. On dirait que le travail sur la Kabylie et les coutumeskabyles, dans sa posture académique, a validé une théorie conçue en dehors de lui, insisteMahé. Ce paradoxe relatif à une grande théorie qui alimente encore les schèmes dominantsen sciences sociales, alimenté par d’illustres recherches comme chez R. Montagne et ses« républiques dont les alliances sont statiques », J. Berque et ses « structures sans mutations »et E. Gellner et ses « segments religieux et laïcs ».

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18 L’aspect mécanique dans le fonctionnement de la société nord-africaine, l’absenced’institutions spécialisées et l’absence locale de la notion d’État sont les trois grandesconclusions qui dominent les études des « structures » sociales et l’aspect « segmentaire » dufonctionnement des groupements « républicains » qui « spécifient » les tribus d’Afrique duNord. Pourtant les notions de clans, d’équilibre, de droit ou de coutume, de délégués à diverséchelons chargés de la violence légitime, des institutions religieuses (mosquée, zaouïa, école),politiques (ljmaât, conseil, Amghar sectoriel) et économiques (souk, Agdal, corporations,Agadir ou magasins collectifs) rapportés par toutes les études segmentaires, ne permet pasde valider les idées dominantes issues de cette approche. Par ailleurs, le fait que, tout aulong de l’histoire, les différentes dynasties et sultans se sont appuyés sur les confédérationstribales, relève d’une autre problématique concernant les dynamiques tribales et l’institutiondu Magasin collectif au niveau central, i.e. le Makhzen.

19 Il faut rappeler ici que l’organisation administrative des « communes mixtes » et de « la justicede paix » font partie des effets immédiats de la magistrale étude du général Hanoteau et dumagistrat Letourneux, dont la publication a coïncidé avec la fin de la période de Napoléon IIIet le début de la IIIe République.

20 En Kabylie, les Kanoun22 recueillis, dans le cadre de l’étude, servirent à la mise en place dela justice dite coutumière, administrée par un juge de paix français. La désignation d’un jugefrançais implique un autre grand paradoxe sur la signification du « respect des institutionsberbères  » avancé dans les différentes recherches. Pourtant, cette option politique de laRépublique naissante, dans le sillage de la nouvelle conception du colonialisme français des« républicains laïcs » et de « la mission civilisatrice de la France universelle », a alimenté«  la théorie » de la berbérophilie de la France coloniale et sa « politique berbère » vue etperçue comme une politique en faveur des Berbères régis par leur droit coutumier et lesArabes régis par la chariaâ, ou de politique qui privilégie les Berbères au détriment desArabes. Par exemple, malgré une répartition, plus au moins limitée, de l’enseignement françaisdans l’ensemble du territoire sous occupation, seul l’enseignement mis en place en Kabylie,est considéré comme « suspect » et à buts « diaboliques » vu son monolinguisme excluantla langue arabe. La même chose pour l’enseignement secondaire français au Maroc destinéaux « Berbères », et qui est considéré par « la vulgate » comme « suspect » ne produisantpas de «  nationalisme  ». Cet enseignement n’a pas engendré un nationalisme arabe aussifort que celui engendré par l’enseignement «  franco-arabe  » ou «  franco-musulman  » ouencore « l’enseignement libre » de l’époque coloniale, c’est certain. Mais il a engendré unnationalisme nord-africain, marocain ou algérien, dont les valeurs puisent dans les culturesnord-africaines les racines de sa pensée. Une étude d’anthropologie culturelle conduite par T.Yacine sur la littérature francophone produite par des intellectuels indigènes, éditée à l’époquecoloniale, l’illustre par la notion de Tiherci positive et négative ou la ruse des dominés faceà la machine coloniale23. Cette formation « à la française » des Kabyles n’a jamais été unfacteur déterminant de non-engagement dans le projet nationaliste algérien. Au contraire, peut-être même qu’elle a fait d’eux, pour plusieurs raisons socio-économiques et historiques, lacommunauté territoriale la plus dynamique de la guerre d’Algérie et la plus fertile en personnelmilitant du Mouvement national algérien. La « culture française » fût même instrumentalisée,en quelque sorte, comme un langage qui a servi à un autre savoir et à une autre culture, cellede la rébellion et de l’insoumission aux conquérants. « La détresse des aïeux » par référenceaux multiples répressions subies par la Kabylie à la fin du XIXe siècle fût évoquée à maintesreprises, dans différents écrits des intellectuels issus des milieux civils ou militaires pourrevendiquer l’égalité des droits dès 193024. Nous en avons une illustration à travers les écritsédités par un « indigène assimilé », un officier français d’origine kabyle qui a fait toute laguerre du Maroc dans le fameux corps des officiers des Affaires indigènes de 1911 à 193925. La« crise berbériste » de 1947 qui a emporté le mouvement nationaliste de Messali Hadj illustrecette place des Kabyles dans le champ politique qu’ils dominaient par leur nombre. Toutesles élites originaires de Kabylie dans le mouvement national algérien sont issues de l’écolefrançaise, cela n’a pas empêché le développement de leur nationalisme et leur combat pour la

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nation algérienne indépendante26. C’est leur distance avec le sens retenu de l’idéologie arabo-islamique du nationalisme qui a constitué, probablement, le principal motif de leur éliminationphysique ou politique, par leurs propres camarades issus des autres systèmes français deformation où les manuels les considèrent comme «  Arabes  » et «  Musulmans  » face auxKabyles « Berbères » et « coutumiers ».

21 Quand on observe la liste des nationalistes marocains qui ont signé le manifeste del’indépendance de janvier 1944, toutes les signatures le furent à titre individuel, sauf celled’un seul, Abdelhamid Ben Moulay Ahmed (Zemouri), au nom de l’Association des anciensélèves du Collège berbère d’Azrou. Est-ce un non-sens de relever la « spécificité » de cettesignature ? À l’examen des faits comme ils sont relatés dans le travail de M. Benhlal, celan’est pas le hasard d’une simple signature d’un individu27. Les fils des notables du collègeberbère d’Azrou avaient publié auparavant un texte de protestation, qu’ils avaient signé ZaydOuhmad, du nom de l’un des derniers résistants individuels qui avait troublé la paix française,entre 1934 et 1936 dans les zones d’Imilchil, Golmima et Tinghir. Dans ce texte qui leur avalu d’être renvoyés chez eux à pied, ils déclarent leur souhait de voir le Maroc émanciperde la tutelle du Protectorat.

3. La Razia du Roumi28, conquête coloniale et nouveausystème

22 L’histoire coloniale française n’a pas encore livré tous ses aspects. L’accumulation desrecherches est en cours, et de nombreux travaux édités abordent l’enseignement, l’agriculture,la presse, les Juifs, «  la crise marocaine » et sa transition vers l’indépendance ainsi que lemouvement nationaliste. Les travaux offrent des analyses nécessaires pour comprendre lesvolets des différentes politiques suivies par la France au Maroc. Mais il en faudrait d’autres.

23 Parler de l’histoire du Maroc durant le XXe siècle c’est aussi évoquer les deux grandes périodesde l’État moderne, l’État colonial et l’État postcolonial. Parler de l’histoire de la premièremoitié du siècle, c’est évoquer les différents « États » du Maroc, puisque celui-ci a subi lepouvoir de deux puissances coloniales : l’Espagne au Nord et au Sud et la France au centre, enplus de Tanger sous mandat international. Il n’est pas aisé de parler de ce passé sans évoquerla diversité des systèmes d’administration et de justice connue par le pays. L’histoire colonialeau Maroc a aujourd’hui tendance à se focaliser, grosso modo, sur la zone française de l’Empirechérifien dont la capitale était Rabat. Rappelons qu’au Nord, la zone espagnole de l’Empirechérifien avait Tétouan pour capitale. Au Sud, l’autre zone espagnole était composée de deuxterritoires. Celui d’Ifni et la tribu des Aït Baâmran (enclave dans le territoire sous dominationfrançaise), et celui de Seguiet Lhamra et le Rio d’Oro qui dépendaient du Gouverneur des IlesCanaries. Chaque espace marocain de la période coloniale disposait de son Bulletin officiel,comme celui de l’Empire chérifien de Rabat, celui de la Zone Nord à Tétouan ainsi que celuide Tanger. Si une abondante production en sciences sociales permet une large connaissancede la zone française de l’Empire chérifien, on peut déplorer que peu de productions soientéditées sur les systèmes de fonctionnement des ex-zones espagnoles du Nord comme au Sud.Sur les traces de J. Berque et ses Structures29, R. Jamous dans Honneur et Baraka

30

ne s’estpas du tout intéressé au passé colonial et à son impact sur les structures dont il a consacré lastatique traditionnalité.

24 Sur le Rif, seul David M. Hart est visible grâce à une abondante production dont nous signalonsici deux références31. L’histoire coloniale espagnole au Maroc durant le XXe siècle resteentièrement à défricher.

25 Chacune des deux puissances coloniales avait mené ses guerres de conquête militaire sur leterritoire prévu par le traité franco-espagnol de novembre 1912, en vertu duquel elles se sontpartagées les zones territoriales d’influence dans le nord et le sud de l’Empire chérifien.

26 Dans le cas de la conquête française, la politique qui visait la soumission des populationset des tribus avait suivi deux démarches parallèles. La première était l’engagement destroupes coloniales secondées par les tribus qui se soumettaient au fur et à mesure. À chaquesoumission, un poste des Affaires indigènes sous l’autorité d’un officier était installé, secondépar un casernement de soldats, goumiers et mokhaznis recrutés localement. C’est ainsi que

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les zones de Tafilalet, du Moyen-Atlas, du Haut-Atlas oriental, du Pré-rif et de l’Anti-Atlas etdu Sahara ont été conquises. La seconde méthode, appelée « la politique des grands caïds »,consistait à laisser à certains caïds du makhzen pré-colonial mener « la pacification » au nomdu Makhzen colonial. C’est le cas, entre 1912 à 1926, dans la zone de Marrakech, Warzazat,Taroudant, Tiznit où les Glawi, Goundafi, Mtouggi, Lâayyadi, Aïssa Ben Omar et Haïda OuMouïss ont opéré à la tête de leurs tribus respectives aux côtés des armées coloniales, ou seulsface aux tribus « dissidentes ». Seules les troupes du Glawi sont restées en scène, jusqu’à ceque la France en termine avec le front nord en 1926, pour recentrer ses efforts militaires surles zones du sud, Tafilalet et les confins algéro-marocains et les confins franco-espagnols dansle Sahara. C’est ainsi que le Glawi après « la pacification » s’est trouvé doté d’une zone de« commandement » s’étendant de Demant à Marrakech au nord à Zagora et Tinghir au sud.En plus de Marrakech et son Haouz, dont il était le Pacha, il a pris, petit à petit, la tête d’unedizaine des confédérations tribales sur lesquelles il a exercé le pouvoir par le biais de sa familleou de ses obligés issus des tribus conquises. À noter que dans « le domaine » du Glawi, il estcurieux de constater que jamais une école franco-berbère n’a été créée, et jamais une seuletribu de son « commandement » ne fût incluse dans les arrêtés du grand vizir qui désignaientles tribus de coutume soumises aux dispositifs du dahir dit berbère.

27 Ce panorama nous offre l’arrière-plan des contextes différents dans lesquels l’administration,dont la justice, s’est installée dans les diverses régions du Maroc et a entrepris les nouvellesméthodes d’exercice du pouvoir bicéphale conduite par des officiers des Affaires indigènesou des contrôleurs civils français, aux côtés des caïds en tribu ou des pachas en ville. Avecla publication du Bulletin officiel et la promulgation des dahirs, l’administration colonialefrançaise avait entrepris dans sa zone, la mise en place d’un espace juridique nouveau, organiséselon ses méthodes et ses objectifs. Droits et obligations, organisation territoriale, fiscalité,justice, habous, enseignement, agriculture, mines et forêts furent les premiers domaines danslesquels les textes se sont succédé pour mettre en place le cadre juridique de l’exercice dupouvoir, auquel devraient se soumettre les indigènes. Localement, les chefs indigènes sontchargés d’administrer, de rendre justice et de percevoir l’impôt sous le contrôle de l’agentfrançais. C’est ainsi que le chef tribal désigné est doté d’un nouvel arsenal juridique, et d’uneforce publique indigène regroupée dans une caserne pour faire de « la police » et exercer laviolence légitime, sous le commandement de l’officier français, maître et protecteur.

28 L’histoire politique nationale de la période coloniale commence avec « le dahir berbère » :il a contribué à l’émergence de ce qui va devenir le nationalisme marocain. La publicationdu dahir sur l’organisation de la justice dans les tribus de coutume berbère non dépourvuesde mahkamas32 pour l’application du chrâa a donné lieu à un mouvement de protestation quidébouchera quelques années plus tard sur la naissance de groupements politiques dotés d’uneidéologie et d’une organisation politiques modernes. Cet évènement a scellé deux imagesfondamentales dans l’imaginaire collectif marocain, ainsi que dans la recherche académique.La première se rapporte à l’idée que la France coloniale a voulu séparer les Berbères desArabes, les évangéliser et les soustraire à la justice de la charia et du sultan. Ce qui est venuainsi appuyer l’idée de « la politique berbère » de la France. Cette dernière exprimerait unesupposée attitude berbérophile de la puissance coloniale, en vigueur déjà en Algérie. L’autreimage est relative au nationalisme marocain qui, sous l’égide des pensées d’essence salafisteau départ et arabiste par la suite, va s’imposer comme principal pourvoyeur et vecteur de l’idéed’indépendance. Les mémoires des différentes personnalités nationalistes, les principalesrecherches qui ont abordé l’histoire du mouvement national et du mouvement nationaliste, auMaroc et dans l’ensemble de l’Afrique du Nord le confirment.

29 Celui par qui la tempête du dahir berbère est arrivée, était un jeune homme de Salé, AbdellatifSbihi, apparenté au Pacha33, qui avait suivi ses études dans l’école des fils de notables de Salé,dirigée à l’époque par Chottin34. Il avait poursuivi ses études en France à l’Institut nationaldes langues et des civilisations orientales (INALCO) d’où il était revenu avec un diplômede traduction. À son retour au Maroc vers 1927, il a été intégré comme fonctionnaire à laRésidence dans le service de traduction, où il avait eu l’opportunité de prendre connaissancedu dahir lors de sa préparation par les services. Comment donc ce fils de «  l’esprit  » de

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l’école française, s’est-il brusquement retourné contre ses bienfaiteurs, pour déclencher lemouvement de protestation contre ledit dahir dans sa ville natale et ailleurs ? À ce jour, toutesles versions des acteurs comme des analystes s’en remettent à l’explication de la défense del’islam, la sauvegarde de l’unité et la dénonciation de la coutume berbère35. Les différentstémoignages recueillis par K. Brown auprès des acteurs de l’événement à Salé en 1966-6197,ainsi que les diverses autobiographies publiées des autres acteurs versent toutes sans exceptiondans la thématique générique sur l’événement. Grosso modo, début mai 1930, Sbihi apprendl’existence du dahir et en parle à ses connaissances à Salé, le 24 mai publication dudit dahirdans le Bulletin officiel, en arabe et en français, début juin la fameuse lecture du latif àla mosquée et la traînée de poudre que cela avait générée ailleurs, notamment à Fès. Audébut du mois de juillet, Chakib Arsalan se rend à Tanger et à Tétouan où il rencontre lesélites des deux villes ainsi que deux personnalités venues de Fès et de Rabat. La machinese lance et les protestations atteignent la Palestine, l’Irak et l’Indonésie. En filigrane, l’idéequi résulta de cet événement est le danger qui guette les Berbères, leur islam menacé par ledahir qui vise leur évangélisation, puisque on les met hors de la loi islamique au profit dela loi coutumière antéislamique. Ainsi s’établit le raccourci qui met en opposition préceptesreligieux et coutume, synonyme d’un antéislam berbère et illégitime. En 1934, un nouveaudahir a réformé, légèrement, celui de 1930 et les protestations se sont arrêtées définitivementà cette date qui coïncide avec le passage à une nouvelle étape du combat, celle de la demandede la réforme et du respect du traité du Protectorat. Les «  Berbères  » sont restés sous lajuridiction dudit dahir jusqu’en 1956 et les protestations déclenchées n’ont pas réussi à annulerou encore modifier dans le fond les prérogatives du dahir. Le mouvement a ainsi omis dans sesdifférentes revendications, durant toute la période de protectorat, y compris durant le passagedes nationalistes dans la section marocaine du gouvernement (1947-1951), la question du dahiret son annulation. Cela montre que le mouvement engagé a utilisé le dahir comme prétexteet non comme objectif.

30 L’évocation du cursus scolaire de Sbihi renvoie à ses pairs de Fès et de Rabat qui ontbénéficié parmi les premiers des fameux plans de Lyautey, à savoir la formation d’une élite auxnouveaux métiers de l’État moderne du « Makhzen arabe » et leur intégration progressive dansles commandes du Makhzen français. Ces enfants des notables « évolués » qui ont suivi desétudes primaires par milliers, secondaires par centaines, et supérieures pour une trentaine sesont retrouvés dans les années 1930, comme nouveaux acteurs de la vie publique indigène alorsque leurs parents sortaient à peine de l’épreuve d’Abdelkrim qui a duré jusqu’en 1926. Entreleur soumission passive, leur crainte d’une réussite des Rifains, et un désir de se débarrasserdu joug du Roumi, cela ne pouvait être sans conséquence sur les individus et les groupes. En1927, le décès de Moulay Youcef et l’accès de son jeune fils au trône change les rôles denombreux notables agents du Makhzen qui ont été écartés du sérail et du pouvoir. En 1928,la conversion au christianisme d’un fils de notable de Fès, adjoint du Pacha, Ben Abdeljalila mis le microcosme notabiliaire face à une rude épreuve. Ce fût un séisme  : il a secouéles « évolués », parents et fils de l’école qui se sont trouvés face à l’« acte fou » de l’undes plus brillants des leurs doté d’un fort capital social et culturel36. Curieusement, aucuneautobiographie des «  nationalistes  » ne s’arrête sur cet événement et son impact dans les« esprits » des « évolués » comme du petit peuple de Fès, qui avait reconnu le « Sultan dujihad » contre le Roumi en 1908. Cet événement qui passe aujourd’hui inaperçu dans la vulgatesur le Maroc est révélateur d’une amnésie collective. Peut-on négliger une telle piste alors quele thème de l’évangélisation est collé au dahir berbère qui pourtant n’en est pas le porteur ?Une telle association est à étudier.

31 Il est certain que la puissance protectrice par son intervention dans les affaires marocaines afavorisé l’émergence d’un nouveau champ politique et culturel. La modernisation progressivedu pays fait partie de ses grandes mutations qui ont touché la société et ont influencéson évolution. L’émergence du nationalisme marocain à la suite de l’organisation et dudéveloppement d’un noyau de militants dont l’action politique est née avec l’affaire du dahirberbère nous montrent comment, et à quel point, cette émergence a pris le pas sur ledit dahirlui-même et ses véritables aspects. L’idée générique qui y a survécu a complètement occulté

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son aspect juridique et son importance dans la compréhension de l’évolution du systèmecolonial et du système postcolonial. Le dahir a même empêché la recherche académique des’interroger, par une lecture rigoureuse de ses articles, sur ses véritables impacts, ainsi queles véritables motivations de l’administration coloniale. Il s’agit au fond de comprendre unaspect fondamental dans la compréhension de l’évolution institutionnelle au Maroc. C’est uneétude globale sur le système judiciaire sous le protectorat français qui pourrait aider à mieuxcerner cet épisode et ses effets, qui ont non seulement contribué à la naissance du mouvementnationaliste, mais aussi à compromettre les institutions marocaines précoloniales réduites encoutumes berbères avec le régime du Protectorat et sa philosophie coloniale. Le dahir du 16mai 1930 relatif à l’organisation des tribunaux dans les tribus de coutume berbère visait-ilréellement à ce que le discours nationaliste ne cesse de reproduire ? Un simple regard sur lesystème judiciaire de la zone française de l’Empire chérifien peut nous éclairer.

4. L’organisation judiciaire dans le Maroc français32 Il est curieux de constater que la «  justice berbère  » est présentée comme un système

condamnable a priori pour la simple raison que son sort a été scellé par le mouvement quis’y est appuyé pour déclarer sa naissance. Pourtant, le système judiciaire dans les zonesdites « arabes » ou « musulmanes » était régi sous l’égide des « autorités de contrôle » pardeux systèmes juridiques, voire trois. Sous le Protectorat français, et pour mieux cerner « lajustice indigène » de la zone française de l’Empire chérifien, nous allons présenter les quatrejuridictions qui la composent : la justice du chraâ37 appelée aussi justice coranique, la justicerabbinique, la justice des mahkamas (tribunaux) des pachas et des caïds, et celle des jmaâsjudiciaires berbères.

4.1 La justice du chraâ33 Elle est administrée par le cadi qui a compétence pour traiter toutes les questions relatives

au statut personnel et successoral concernant les musulmans et pour toutes les affairesimmobilières, lorsqu’il s’agit d’immeubles non immatriculés ou en cours d’immatriculation,y compris pour les Européens. Un agent français, le contrôleur civil ou l’officier des Affairesindigènes, exerce son autorité de contrôle sur le cadi, tout en veillant au respect des procédures,des tarifs et du bon fonctionnement de la justice. Il fait également transiter toutes lescorrespondances entre le cadi et son administration de tutelle. Un tribunal d’appel du chraâa été mis en place pour juger en second recours certaines affaires importantes, surtout cellesimpliquant des ressortissants français ou européens dans des affaires immobilières relevantdes compétences des cadis. Un délégué du gouvernement chérifien (un agent français) y siègecomme assistant. Ce système est mis en place comme une norme du «  bled makhzen  »,« arabe », « fortement islamisé » dès 1913 et il a connu des réformes successives, tout engardant sa forme et son contenu. À signaler que toutes les tribus du Pacha Glawi ont étéincluses dans ce domaine « arabe » du cadi. Tous les abus relevés par les différents ouvragesqui se sont attaqués au Glawi ont expliqué que toutes les expropriations des terres et des biensacquis par ce dernier l’ont été par acte des adouls-notaires validés par les Cadis de ses divers« commandements ». Comment « le seigneur des Berbères » a-t-il pu ainsi ne pas soumettreces tribus berbères au droit berbère du dahir dit berbère ?

4.2 La justice rabbinique34 Elle est organisée par un dahir du 22 mai 1918, sa compétence porte sur les affaires concernant

le statut personnel et successoral des juifs. Les tribunaux mis en place étaient contrôlés par uninspecteur général des institutions israélites. Un haut tribunal rabbinique a été instauré à Rabatcomme justice de recours pour les affaires importantes. À ce niveau, il n’y avait ni berbèresni arabes pour la simple raison que l’appartenance religieuse des concernés suffisait à lui seulà soumettre les habitants des campagnes à ceux de la ville, prolongeant ainsi le vieux duel desAndalous et des autochtones parmi les Marocains de confession juive.

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4.3 La justice des caïds et des pachas35 Le gouvernement chérifien mis en place par l’administration française consistait à administrer

le Maroc d’une manière parallèle entre l’agent français et l’agent indigène. Les villesont été administrées par des contrôleurs civils et militaires aux côtés d’un pacha ayantcompétence directe sur les indigènes sous le contrôle des autorités. Les tribus furent soumisesà l’administration du caïd ayant les mêmes compétences que les pachas en ville. Les deuxagents ne faisaient pas qu’administrer, ils avaient le droit et le devoir de rendre justice et detenir des séances hebdomadaires de mahkama où les plaignants et les accusés sont présentéset condamnés séance tenante dans la majorité des cas. Leur juridiction s’étendait au pénal,aux obligations, et à toute une catégorie de litiges en matière civile et commerciale. Toutesles affaires dont la peine ne dépassait pas les deux ans et les amendes ne dépassant pas unecertaine somme étaient soumises à ses tribunaux, sur rapport et proposition du commissaire dugouvernement, qui n’était autre que le contrôleur civil ou l’officier des Affaires indigènes. Unarrêté viziriel du 3 janvier 1913 a réglementé les premiers fonctionnements, et le dahir du 4août 1918 a réglementé cette justice en y ajoutant un haut tribunal chérifien pour les affaires enappel ou ne relevant pas des compétences des caïds et des pachas. Un dahir du 24 juillet 1920avait institué une Direction des affaires chérifiennes chargée de contrôler l’ensemble de cettejustice du chraâ et du makhzen. Toutes les tribus du Glaoui ont été soumises à ces tribunauxoù ses adjoints judiciaires rendaient justice.

4.4 La justice dite berbère36 Cette justice a existé dans les faits, sans aucun texte lui donnant force de droit, jusqu’en 1930,

date à laquelle un dahir lui a donné un statut juridique légal. C’est ce dahir daté du 16 mai 1930que « les nationalistes » marocains et les différents textes ayant trait à la période coloniale duMaroc avait appelé « le dahir berbère ». Dahir qui a pourtant procédé à la légalisation d’unensemble de mesures administratives, sous forme d’arrêtés viziriels concernant les tribus ditesde coutume ou d’instructions résidentielles aux officiers en matière de « politique indigène ».Cette justice appelée justice des jmaâs judiciaires a été administrée par des conseils de notableschoisis et nommés par les autorités de contrôle dans les tribus cataloguées comme « berbères »par arrêté viziriel. Les textes avaient fait de ses conseils, des jmaâs présidées par le caïd etayant comme secrétaire et commissaire du gouvernement, les officiers des Affaires indigènes.Ces «  tribunaux coutumiers » avaient compétence en matières personnelles, successorales,civiles et commerciales. Les affaires de meurtre étaient du seul ressort du caïd jusqu’en 1930,date à laquelle elles ont été transférées aux tribunaux français qui jugeaient déjà les mêmesaffaires des « musulmans » et des « juifs ». Ce système de la « justice berbère » a été réformépar un dahir du 8 avril 1934 qui a institué un haut tribunal coutumier d’appel avec compétencedans les affaires pénales relatives aux crimes attribuées aux tribunaux français, selon l’article6 du dahir du 16 mai 1930. Jusqu’à cette date, un seul dahir aux contours flous, le dahir du11 novembre 1914 qui évoque le respect des us et coutumes (art. 1) des tribus qui acceptentd’entrer dans la paix française de l’Empire chérifien, a été utilisé pour produire les arrêtés etles circulaires (art. 2) à chaque fois que les besoins en textes des administrateurs en tribu sefaisaient ressentir.

5. Possibles lectures38 ?37 « Celui qui veut voir plus clair dans la ‘‘politique berbère’’ de la France doit repasser par les

Archives » écrivait Robert Ageron39. Mentionnant la riche bibliographie autour du thème, iltranche qu’elle ne permet à l’analyste que d’opérer la distinction d’une « politique » en deuxtemps. Une première qui s’achève en 1934 avec la réforme du dahir de 1930, une seconde quicommence en 1950 dans le contexte de « la crise marocaine ». Si « les Berbères » du dahirde 1930 sont les tribus désignées de coutume, dont ne faisait pas partie « le domaine » duGlawi, ceux de 1950 sont les caïds et pachas des zones de Chariaâ dont « le leader » était leGlawi. L’adversaire commun des deux « Berbères » sont les nationalistes, qui ont à tour de rôleinstrumentalisé dans le combat politique les « Berbères » dans la conception de la vocationcoloniale française.

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38 Si on observe la justice des mahkamas des caïds et des pachas on voit ainsi les indigènes«  musulmans  » ou «  juifs  », catalogués comme tels, soumis à deux autorités judiciaires,l’une traitant de la condition «  religieuse » dans les affaires personnelles et immobilières,l’autre traitant de la condition « indigène » dans les affaires civiles, pénales et commerciales.Si le code de la première jurisprudence est clairement coranique ou mosaïque en matièresuccessorale, le cadi ou le rabbin reste libre dans les deux autres champs, à savoir le mariageet le divorce, d’une part, et les affaires immobilières, d’autre part. La marge de l’interprétationet les rapports de force y sont larges pour que les abus soient couverts par la science religieuseou la force symbolique acquise grâce au pouvoir du « protecteur ». Quant aux caïds et pachas,selon quels codes ou règlements rendaient-ils justice ? Leurs justices s’inspiraient-elles despréceptes coraniques ? Les concernés furent souvent des puissants locaux ayant autorité defeu ou de fortune, ou les deux, pour occuper la fonction de pacha ou de caïd et non uneautorité de savoir ou de formation juridique et théologique. Cette dernière compétence fûtmême un atout supplémentaire dans le cas de nombreuses autorités locales sous le protectorat.Aucun code écrit ne régit les règles de fonctionnement de cette justice et le législateur del’époque avait fait des agents locaux du Makhzen, les titulaires de tous les pouvoirs sur lavie des indigènes sous la haute protection des autorités de contrôle. Cette réalité ouvrit lavoie à tous les abus que subirent les indigènes et l’autorité du contrôle y ajouta le droitde percevoir un pourcentage fixe sur la collecte des impôts comme source de rémunérationofficielle des caïds. L’autorité administrative exerce, en même temps, l’autorité judiciaire etl’autorité municipale ou communale ainsi que l’autorité fiscale. Elle est le nœud sur lequelest fondé un système où aucun texte ne réglemente les attributions et les compétences, tout enmaintenant la concentration de l’ensemble de l’autorité indigène entre les mains des puissantslocaux sous le contrôle des autorités françaises. La condition de « musulman » ou de « juif »permet-elle cette classification juridique de la condition de l’indigène  ? Ou s’agit-il d’unprétexte sémantique justifiant une situation de dominés à l’instar des dominés des différentescolonies « musulmanes » et « non-musulmanes » à travers les possessions françaises dans leséchelles du Levant, l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest ou encore l’Afrique Équatoriale ?

39 Dans le cas du Maroc, ce thème de la justice a fait les choux gras de l’une des grandesimpostures dans l’histoire du Maroc moderne. Le dahir de 1930 est devenu célèbre avec ladénomination de « dahir berbère ». Il a fait couler beaucoup d’encre de la part d’une bonnepartie des acteurs du « nationalisme » marocain et des historiens de la nation marocaine. Cedahir fut à toutes les occasions avancé comme le dahir de la discorde dont l’objectif était desoustraire les « Berbères » à la justice du makhzen et du chrâa, voire de les évangéliser pardécret. Tout ceci a servi à disqualifier l’identité et les institutions des Imazighen40 qui n’ontété pour le nationalisme que des objets de la politique coloniale et des résidus des agents dela division de la nation marocaine « arabe » ou « arabo-islamique ». En prenant ce systèmejudiciaire dans l’ensemble de la justice makhzen et du chraâ, d’une part, et par rapport àl’histoire des institutions tribales et municipales urbaines marocaines, d’autre part, on peutformuler la remarque suivante  : «  la justice berbère » fait partie de la justice du nouveaumakhzen dans la mesure où le caïd makhzénien préside l’ensemble des jmâas, qu’elle soitadministrative ou judiciaire. À ce titre, il est épaulé par l’officier des Affaires indigènes, quijoue le rôle du commissaire du gouvernement de la puissance protectrice et du secrétaire dutribunal dont il choisit lui-même les juges et les affaires à juger. Cette justice est censée êtreappliquée en territoire des tribus qui parlent encore l’une des langues amazighes ou ayantgardé ses institutions tribales intactes jusqu’à l’intervention coloniale. Elle n’a dans la réalité,aucunement respecté le fonctionnement du système des tribus. Rappelons qu’en Kabylie, c’estle juge de paix français qui rendait justice sur la base des « coutumes locales ». Drôle de justice« berbère » où « les Berbères » ne furent que les « Berbères » d’un système aux mains d’unjuge français ou d’un caïd du Makhzen et son officier protecteur.

40 Un rigoureux examen de l’histoire des institutions tribales nous révèle, qu’avant l’interventioncoloniale, la justice suivait un fonctionnement codifié. Elle était confiée à des personnesélues ou désignées par les groupes pour l’exercice de l’arbitrage ou du jugement, selon desprocédures et des modalités fixées par des codes établis sous l’égide de personnes déléguées

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ou élues à cette fonction. Dans de nombreux cas, les procédures et codes étaient consignés etfaisaient l’objet de réformes quand des circonstances l’imposaient.

41 Il ne s’agit pas là de la fameuse « démocratie berbère », comme elle fut avancée par ceuxdésignés comme « berbérophiles », mais d’un système de fonctionnement des groupementstribaux ou municipaux sur leurs territoires respectifs dans l’ensemble de l’Afrique du Nord etsub-saharienne. Parallèlement, il suffisait qu’un caïd ou un puissant local impose son pouvoirpar la force pour que le système s’arrête, cédant la place à un tyran local souvent secondéet aidé par des cadis et autres scribes. Ce fut le cas du Glawi avant et après l’interventioncoloniale. « Ses » tribus n’ont jamais été classées dans le domaine de « la justice berbère »et comme territoire de coutume sous le régime de protectorat. Lui même avait entrepris ladestruction des institutions tribales dans les tribus conquises par la force de son makhzen. Lecas de Ghoujdama rapporté par A. Amahan41 illustre cette facette de l’histoire des mutationssubies par «  les structures  » de cette tribu, qui avait entrepris, sous le joug, de mettre enplace une jmaâ clandestine afin de minimiser les occasions d’intrusion des caïds Glawa dansleurs affaires. Toutes les tribus soumises au pouvoir du Glawi furent soumises aux juridictions«  musulmanes  », «  rabbinique  » ainsi qu’à leurs tribunaux (mahkamas). Pourtant, il fût«  le Seigneur des Berbères » comme le qualifiaient les écrits français et il n’avait que destribus « berbères » dans son domaine caïdal et de pachalik. Pourquoi donc exclure des tribus« berbères » de « la justice berbère » ? S’agit-il là d’une définition juridique aussi spécifiqueque la notion juridique de « musulman » selon la Cour d’appel d’Alger ? À ce stade, «  leBerbère » devient « mouvant » et pourrait se trouver classé dans la catégorie du musulman« juridique » s’il habite dans le domaine du Glawi, ou dans la catégorie du « musulman » nonjuridique s’il habite le domaine de « la justice berbère ».

42 À signaler que de nombreux officiers avaient mentionné que de nombreuses tribus faisaient durespect de leurs lois l’une des conditions de leur soumission. Même après 1930 et la « tempête »du dahir berbère, les tribus qui se sont soumises dans le Moyen-Atlas et le Sahara ont exigé lerespect de leurs lois dans l’exercice du nouveau pouvoir. Le cas le plus connu et cité est celuides Aït Atta sous la conduite de Assu Baslam, qui avait consigné cette condition dans l’accordécrit de soumission au Makhzen français après les batailles de Bougafer dans le Saghro durantle printemps de 1933. C’est ainsi que des territoires Aït Atta ont échappé à la mainmise duGlawi et de ses tribunaux. Cela a également été le cas des Aït Mhammed et du marabout de laZawya Ahnsal qui en 192242 avait exigé que soit signé un accord écrit de soumission prévoyantle respect des institutions tribales et la non inféodation au domaine administratif du Glawi.

43 La recherche est appelée à l’exploration de cette thématique liée à la coutume et sa notionretenue par le droit français, en l’occurrence en situation coloniale. Les différents recueils detextes oraux ou manuscrits réalisés sous le protectorat ou par les chercheurs marocains quise sont intéressés à ce volet dans l’histoire des périodes passées, offrent un corpus large dedocuments qui révèlent une philosophie du droit assez élaborée. Citons pour l’exemple lesdocuments relatifs aux Kanoun de Kabylie relatés au début de cet article, les recueils Azerf dansle centre du Maroc, les Tiaâqqidin du sud-est, les Louh dans le Souss ainsi que les systèmesdes chefs élus, intitulés Amqran dans le nord, Amghar dans le centre, Anflouss dans le Sudet Lamin dans les villes. Le système « électif » des assemblés avait même fait dans le passél’objet de nombreux débats juridiques et de fatwa qui auguraient de la vitalité de l’institution.

44 Il convient aussi de souligner que la «  polémique  » sur le dahir berbère couvre et cacheplusieurs domaines d’investigations. Aux côtés du volet « politique » qui domine, à savoirla naissance du « mouvement nationaliste », un autre volet sous-jacent porte sur la « justiceberbère ». D’aucuns disent qu’elle est contraire à la charia et de facto aux préceptes de l’islam :une telle approche revient à disqualifier toute tentative de compréhension et de raisonnement.Cela induit une erreur fondamentale à savoir que « les Berbères », en tant que tels, sortent dugiron de l’islam, et ne sont pas perçus et vus comme des musulmans « orthodoxes » selon laconception des orientalistes, ou plutôt ayant un « islam superficiel » comme l’ont populariséde nombreux écrits ethnologiques et sociologiques de l’époque coloniale. Curieusement cesont des non-musulmans, à savoir les militaires français de la conquête et les orientalistesqui ont fabriqué la matrice savante du vrai islam et ses différentes ramifications cultuelles et

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juridiques, et ont ainsi mis en place un schème, une norme et une qualification ayant encorede nombreux adeptes dans la recherche dominante sur la politique coloniale et ses prétendus« Berbères ».

45 Comment donc parler de « politique berbère » alors que la recherche n’a focalisé que surle champ judiciaire «  berbère  », la politique des «  grands caïds  » ou le «  nationalisme  »marocain ? Nous avons mis en exergue l’organisation judiciaire de la justice indigène dansla zone française, ses différentes jurisprudences où les «  Berbères  » du «  dahir berbère  »cohabitent avec « les Berbères » de la mahkama du caïd ou du pacha où nulle trace de la charian’est à mentionner.

46 Peut-on considérer l’Azerf, le droit positif en vigueur chez les Imazighen, comme un droitmusulman puisqu’il est produit, rappelons-le, par une population musulmane ? Suffit-il qu’unsavant religieux, même s’il est « berbère » condamne, au nom de la religion, l’organisationtribale basée sur la délégation du pouvoir à des personnes élues pour conclure que les Conseilsdes tribus et le droit qu’ils produisent sont contraires aux préceptes de l’islam  ? Ce droitet cette institution sont peut-être contraires à une certaine lecture de la charia  : depuis lesAlmoravides, cette thématique a resurgi à plusieurs reprises dans l’histoire du Maroc. AuXVIe siècle, à l’époque des derniers Saâdiens, une demande de fatwa (consultation juridique)a été formulée par un marabout à propos de la légalité ou non des inflas (délégués élus) dansle Haut-Atlas occidental. Cette demande a alors fait l’objet d’un rude débat contradictoireentre cinq éminents jurisconsultes : il a été marqué par un cadi urbain du Souss qui a défendul’institution des inflas. Il a utilisé dans son argumentation la fameuse règle malékite qui permetde transgresser l’interdit en cas de nécessité, et a conclu par une phrase qui en dit long  :« Celui qui a vu n’est pas comme celui qui a entendu ». De leurs réponses contradictoires,malgré leur référentiel doctrinal commun, Ali Azaykou a initié par son travail une nouvelleperspective dans la recherche historique et ses différents supports encore inexploités. Il a misen exergue les fonctions des élites, au niveau local, dans leurs positions sociales et en fonctiondes contextes politiques43. Peut-on dire la même chose de nos lettrés issus du nouveau systèmede l’Instruction publique indigène et de l’éducation coloniale, dans son volet traditionnelcomme dans son volet moderne, qui ont vu dans le développement de l’espace dit coutumier(celui d’un droit positif) une limitation de leurs fonctions sociales et politiques dans l’Empirepacifié comme au temps de la fin des Saâdiens ?

47 Lors de la récente réforme de statut de la femme dans la Moudawwana, le code de la famillea intégré une donnée de la coutume, celle du Tamazzalt restée en vigueur dans le sud du paysqui accorde à la femme divorcée ou à la veuve la moitié des biens acquis durant la périodedu mariage, avant tout partage. Cela n’a pas été perçu comme une « politique berbère », aucontraire, l’ensemble des acteurs ont loué les bienfaits de ce principe, qui peut s’appuyer surdes fatwas solides prises par certains oulémas du passé, pour l’intégrer enfin dans le droit audétriment de la lecture restrictive de la loi religieuse qui régissait le code auparavant.

Notes

1 M. Tozy et M. Mahdi, « Aspects du droit communautaire dans l’Atlas marocain », Droit et Société,1990, p. 219-227.2 R. Montagne, Révolution au Maroc, Paris, France Empire, 1953.3 E. Renan, « Exploration scientifique de l’Algérie. La société berbère », Revue des Deux Mondes, T.107, septembre 1873, Paris.4 E. Destaing, Texte arabe en parler chleuh du Sous, Paris, Librairie orientaliste P. Geuthner, 1937.5 P. Bourdieu, Sociologie de l’Algérie, Paris, PUF, QSJ, n° 802, 1958.6 Ibid., p. 90. Parler en termes d’apports d’orientaux uniquement, c’est restreindre les divers apports des« étrangers » en Afrique du Nord. Aux côtés de l’Arabie, il y a les apports de l’Andalousie, de la Turquieet des pays du Soudan.7 M. Mauss, « Voyage au Maroc », L’Anthropologie, n° 40, 1930, p. 453-456.8 R. Montagne, Les Berbères et le Makhzen  : essai sur la transformation politique des berbèressédentaires, groupe chleuh, Paris, F. Alcan, 1930.

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9 R. Montagne, Révolution au Maroc, op. cit., p. 16210 A Sadki Azaykou, La Rihla du Marabout de Tasaft, (Manuscrit en arabe annoté et édité par),Publications de la Faculté des lettres de Kénitra, 1988.11 A. El Glaoui, Le ralliement. Le Glaoui mon père : récit et témoignage, Rabat, Marsam, 2004.12 R. Montagne, Révolution au Maroc, 1953, p. 141.13 E. Burke III., « The image of the Moroccan state in French ethnological literature ; a new look at theorigin of Lyaute’s Berber policy », in E. Gellner et Ch. Micaud, Arabs and Berbers: from tribe to nationin North Africa, Londres, Duckworth, p. 175-216.14 E. Gellner, Saints of the Atlas, Londres, Weidendenfield et Nicholson Ltd, 1969 ; « The strugglefor Morocco’s Past », in I. W. Zartman (dir.), Man, State and Society in the Contemporary Maghrib,Londres, Pall Mall Press, 1973, p. 22-29.15 Mohammed Lahbabi, Le Gouvernement marocain à l’aube du XXe siècle, préface de Mehdi BenBarka, Rabat, Éditions techniques nord-africaines, 1958 ; Abdelaziz Ben Abdellah, Les grands courantsde la civilisation au Maghreb, préface d’Allal El Fassi, Casablanca, Imprimerie du Midi, 1958.16 Lahbabi prend comme référence Mawardi (jurisconsulte de l’époque Abbaside à Bagdad) dans sesAhkam Soultania (statuts gouvernementaux) et B. Abdellah se centre sur l’Andalousie comme référence.17 P. Le Pautremat, La politique musulmane de la France au XXe siècle : de l’hexagone aux terres del’islam, espoirs, réussites, échecs, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003.18 M.-A. El Jabri, Le Maroc moderne. La spécificité et l’identité. La modernité et le développement,Casablanca, éd. Banchera, 1988 (en arabe).19 P. Weil, Qu’est ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la révolution, Paris,Grasset, 2002, p. 235.20 A. Hanoteau et A. Letourneux, La Kabylie et les coutumes kabyles, Paris, 3 vol.  , ImprimerieNationale, 1873, réédité en 1893, 3e édition présentée par A. Mahé et introduite par Hamann, éd.Bouchène, Paris, 2003.21 H. Roberts, « Perspective on Berber politics : on Gellner and Masqueray, or Durkheim’s mistake »,Journal of The Royal Anthroplogical Institute, (nouvelle série), 8, 2002, p. 107-126.22 Recueils de règles et d’usages à caractère juridique.23 T. Yacine-Titouh, Chacal ou la ruse des dominés. Aux origines culturelles du malaise des intellectuelsalgériens, Paris, La Découverte, 2001.24 B. Stora et Z. Daoud, Ferhat Abbas, Paris, Denoël, 1995.25 M. El Qadéry, « Saïd Guennoun ou tiherci d’un intellectuel indigène, officier de l’armée coloniale auMaroc », Awal, n° 30, éd. Maison de sciences de l’homme, Paris, 2003.26 B. Stora, Messali Hadj. Pionnier du nationalisme algérien, Paris, 2e éd., L’Harmattan, 1986.27 Benhlal Mohamed, Le collège d’Azrou. La formation d’une élite berbère civile et militaire au Maroc,Paris, Karthala-IREMAM, 2005.28 La mémoire sociale marocaine garde comme terme pour désigner la conquête coloniale, Tirzi, Taruziou Thrist du Roumi (la cassure du roumi). Les termes cités sont tout à fait valides : j’ai personnellement,à diverses occasions, vérifié avec des personnes âgées l’usage de cette terminologie, ainsi que l’ensemblede la sémantique de cette période dans des chants et des poésies, dans les différentes variantes detamazight et du darija (dialecte) de l’époque.29 Jacque Berque, Structures sociales du Haut Atlas, PUF, 1955.30 Raymond Jamous, Honneur et baraka. Les structures sociales traditionnelles dans le Rif, Paris, Éd.de la Maison des sciences de l’homme, 1981.31 D.-M. Hart, « Rural and Tribal Uprising in Post-colonial Morocco, 1957-1960 : an Overview anda Reappraisal », The Journal of North African Studies, vol. 4, n° 2, summer 1999. A Special Issue onTribe and Society in Rural Morocco by D.-M. Hart, A Frank Cass Journal, 1999, p. 84-102 ; « SpanishColonial Ethnography in the Rural and Tribal Northern Zone of Morocco, 1912-1956 : an Overview andan Appraisal », Ibid., p. 110-130.32 Tribunaux.33 Le Pacha Sbihi a gouverné Salé de 1914 à 1956.34 Alexis Chottin est connu aussi par ses recueils des musiques du Maroc et les compositions des premierschants des élèves en arabe. Il était directeur de l’école franco-arabe des fils de notables à Salé, et en 1927,il avait refusé à Abderrahim Bouabid l’accès de l’école puisque son père était menuisier. Celui-ci avaitfait intervenir une notabilité locale en faveur de son fils. La même année, Chottin avait publié des chantspour enfants, chants traduits en arabe par Abdellatif Sbihi qui revenait de ses études parisiennes.

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35 K. Brown, « The impact of the Dahir Berbère in Salé », in E. Gellner et Ch. Micaud, Arabs…, op. cit.,p. 201-216.36 J. Baïda et V. Feroldi, Présence chrétienne au Maroc, XIXe- XXe siècles, Éd. Buregreg, Rabat, 2005,p. 62-65 (une conversion emblématique).37 La justice chargée d’appliquer la charia.38 Sur les hypothèses possibles et les nouvelles lectures de l’histoire du Maroc, voir A. Sadki Azaykou,L’histoire du Maroc et les interprétations possibles. Séries d’articles Rabat, 1980-2000, éd. Centre TarikIbn Zyad, 2001.39 Ch.-R. Ageron, Politiques coloniales au Maghreb, Paris, PUF, Paris, 1972.40 Pluriel d’amazigh, ce terme signifie «  hommes libres  ». Néologisme apparu à partir des années1940 avec l’émergence du mouvement berbériste, il est utilisé aujourd’hui pour désigner les populations« berbères » d’Afrique du Nord.41 Ali Amahan, Mutations sociales dans le Haut Atlas. Ghoujdama, Paris, Maison des sciences del’homme, 1998.42 G. Spillmann, Souvenirs d’un colonialiste, Paris, Presses de la cité, 1968.43 A. Sadki Azaykou, « Fatawa sur Inflas », texte en arabe (1989), réédition in L’histoire du Maroc,op. cit., p. 185-238.

Pour citer cet article

Référence électronique

Mustapha El Qadéry, « La justice coloniale des « berbères » et l’État national au Maroc », L’Année duMaghreb [En ligne], III | 2007, mis en ligne le 01 novembre 2010, consulté le 01 octobre 2012. URL :http://anneemaghreb.revues.org/349 ; DOI : 10.4000/anneemaghreb.349

Référence papier

Mustapha El Qadéry, « La justice coloniale des « berbères » et l’État national au Maroc »,L’Année du Maghreb, III | 2007, 17-37.

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Mustapha El QadéryBibliothèque nationale du royaume du Maroc (BNRM), Rabat

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