La désobéissance légitime selon Calvin et Bèze

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  • 7/31/2019 La dsobissance lgitime selon Calvin et Bze

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    LA DSOBISSANCE LGITIMESELON CALVIN ET BZE1

    Pour Calvin, il tait impratif de commencer par rappeler que les vrais chrtiens ont besoin

    dun gouvernement, contrairement { ce quaffirmaient certains anabaptistes [sapparentant

    aux mennonites, distincts de ceux ayant foments la Guerre des Paysans dAllemagne en

    1525-1526 puis mens la dictature apocalyptique & polygame de Mnster en 1534], quils

    peuvent avoir { recourir aux armes si la guerre savre ncessaire, mais encore ont offices,

    charges, et obligations publiques diverses assurer au temporel. Et pour revenir la

    question de la part qui reviendrait aux hommes dans le choix de leur gouvernement, le

    commentaire par Calvin des versets 13 & 14 du chapitre 2 de la Premire ptre de Pierre

    est significatif [] Voici comment Calvin rectifie la mauvaise interprtation qui est faite du

    verset 13 ( soyez donc sujets tout ordre humain ) de cette ptre, de la notion d ordre

    humain et quelle lecture il en propose :

    Je ne doute point que lApostre nait voulu denoter lordre que Dieu a

    dispos pour gouverner le genre humain. Car le verbe dont est dduit le

    nom Grec qui est yci mis, signifie Edifier (fabricare) ou disposer un

    bastiment. Ainsi donc le mot dOrdre (ordinatio) convient bien, par lequel

    sainct Pierre remonstre que Dieu fabricateur du monde na point laiss le

    genre humain en confusion & desordre, afin quil vive { la manire des

    bestes brutes : mais a voulu quune chacune partie fust mise en son lieu,

    comme en un bastiment bien compos. Et cest ordre est appel Humain :

    non pas que les hommes layent invent (inventa fuerit), mais pource que la

    faon de vivre bien ordonne et compasse, appartient proprement aux

    hommesi.

    Du droit de Dieu limiter le pouvoir des magistrats ou lesbornes de lobissance

    Mais ce nest pas { dire quil nous faille cependant deroguer au souverain

    empire de Dieu pour complaire ceulx qui ont preeminences dessus nous.

    1 Adapt de J.-P. Boyer, Quest-ce quun pouvoir lgitime pour Calvin ? , Rives Mditerranennes, 19 (2004),p. 41-73.

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    Comme si les roys veullent contraindre leurs subjectz suyvre leurs

    superstitions et ydolatries. O l ilz ne sont plus roys, car Dieu na pas

    resign ny quict son droit, quand il a estably les principaults et

    seigneuries en ce mondeii.

    Lorsque les commandements des rois sont contraires { ceux de Dieu, ils perdent lautorit

    quils tenaient directement de lui. [] Il ne faudra pas supporter du magistrat, du pre ou

    du matre, quils transgressent les commandements divins. Lorsque Dieu a fait lhonneur {

    certains dtre pres, le fait que ces derniers aient le droit de paternit sur leurs enfants ne

    signifie pas que Dieu lui-mme ne continue pas dtre un pre { part entire des corps et

    des mes. La mme logique sapplique au magistrat et au matre, et ici le service de Dieu ne

    souffre plus dcart:

    Quand il adviendra que les roys vouldront pervertir la vraye religion, que

    les peres aussi vouldront trainer leurs enfans a et l, et les oster de la

    subjection de Dieu, que les enfans distinguent icy [] Mais ce pendant

    quilz advisent [prennent conscience] quil leur vauldroit mieulx mourir

    cent foys que de decliner du vray service de Dieu. Quilz rendent donc {

    Dieu ce qui luy appartient, et quilz mesprisent tous esdictz et toutes

    menaces, et tous commandemens et toutes traditions, quilz tiennent

    cela comme fient et ordure, quand des vers de terre se viendront ainsyadresser { lencontre de celuy auquel seul appartient obeissanceiii.

    Il ne faut donc pas oublier que les rois demeurent assujettis Dieu, de mme en est-il pour

    les pres et les mres, et ainsi pour les matres.

    Sainct Paul donc nous monstre comment et jusques l o nous debvons

    obeir peres et meres : cest asavoir en Dieu, dit-il, que nous avons ces

    bornes l{, cest--dire que nous [ne] deroguions en faon que ce soit

    lauthorit de Dieu, pour complaire { nulz hommes de quelque estat,

    quallit ou dignit quilz ayentiv.

    Les bornes du pouvoir du magistrat sont en Dieu, et ce sont ces bornes-l qui, outrepasses,

    autorisent la dsobissance lgitime.

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    Tout pouvoir nest pas lgitime ou la dsobissance lgitime

    Contrairement { ce qui serait une pure et simple soumission, lobissance due aux

    magistrats a sa limite. Ce qui nest pas permis { un magistrat, dit Calvin, cest dechercher

    dtourner ses sujets de leur devoir { lgard de Dieu en interdisant la vraie religion, par

    exemple. Ceux-l ne sont plus rois, explique Calvin. Ils ont perdu leur autorit : la tyrannie

    nest pas de Dieu. [] Nous ne nous appuierons ici que sur Le Droit des Magistrats de

    Thodore de Bze pour le montrer. Dentre lauteur prend appui sur les T ables de la Loi

    [Dix Commandements]. En posant comme il le fait que Dieu doit tre obi sans aucune

    exception, Thodore de Bze limite demble la puissance des magistrats. En effet, en

    rappelant le caractre perptuel et immuable de la volont de Dieu et son statut de rgle de

    justice, il note galement que les princes ne sont pas toujours la bouche de Dieu pour

    commander . Ainsi, faudra-t-il ne pas tout accepter.

    Ce qui apparat de manire originale et tout la fois prolonge les conclusions de Calvin sur

    la question, cest le caractre pour partie moral de ce qui permet de fonder la

    dsobissance. En effet, Thodore de Bze prsente les commandements divins en les

    rpartissant suivant les deux Tables, lune prescrivant les devoirs religieux, lautre les

    devoirs proprement moraux. Nous devons obissance aux magistrats, explique-t-il, mais

    cette seule condition quils ne commandent rien qui soit irrligieux, ni rien qui soit inique.

    Thodore de Bze ne fait ici que donner { rflchir, en sappuyant sur des exemples { la fois

    antiques et bibliques, sur le contenu de tels devoirs, et sur la limite ne pas franchir dans

    lobissance aux magistrats. Si cette limite est franchie, si les rois veullent contraindre

    leurs subjectz suyvre leurs superstitions et idolatries , O l{ ilz ne sont plus roys . Si,

    chez Calvin, la dsobissance ne fait jamais que lobjet dune affirmation ici ou l{, chez ses

    coreligionnaires monarchomaques, le devoir dobissance devient en quelque sorte lobjet

    dun traitement systmatique des limites poses { lobissance. Tout dabord, un magistrat

    ne pourra pas autoriser ce que la 1re Table contenant les devoirs religieux (pit) interdit

    ou au contraire ne pourra pas interdire ce quelle prescrit. Quant { la 2me Table qui

    concerne nos devoirs { lgard des autres hommes (charit), il ne faut pas non plus que les

    magistrats nous les fassent transgresser. []

    Les deux bornes de lobissance au magistrat, Thodore de Bze le dit explicitement, sont

    donc les deux devoirs de pit et de charit. Lauteur peut ainsi formuler sous la forme

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    dune question celle de la limite de lobissance : Jusques ou le subjet doit presumer estre

    juste ce qui luy est commandv ? Il ny a pas lieu de stonner en effet du fait que la

    conscience soit place ainsi { la source de linterrogation, qui, explique lauteur, ne doit

    surtout pas surgir chaque fois quun magistrat commande quelque chose. Cest seulement :

    Si leur conscience est en doute [] ils peuvent et doivent, par quelquehonneste et paisible moien, senquerir quelle raison et droiture peut estre

    en ce qui leur est command de faire, ou de ne faire pointvi.

    Thodore de Bze poursuit ainsi son enqute et se demande ensuite Jusques ou sestend

    cette resolution de nobeir point aux commandements irreligieux ou iniques des

    magistratsvii_? Do la question de la vocation qui sarticule elle aussi parfaitement { ce

    quavaitavanc Calvin. On expliquera par l{ quil ne peut tre reconnu aux particuliers un

    droit de rsister une tyrannie manifeste, mais on justifiera parfaitement, en revanche,

    que les magistrats infrieurs, ainsi que les tats [tats Gnraux, convoqus depuis le

    Moyen ge une frquence variable dun pays { lautre] soient habilits le faire. De plus,

    la dsobissance peut se traduire par un simple refus (dsobissance passive), mais elle

    peut aussi [] ajouter ce refus une part active qui peut consister par exemple sauver des

    vies. Les exemples que Thodore de Bze tire de lhistoire ancienne ou du rcit biblique

    sont ds lors destins { montrer essentiellement quil nous est command de Dieu de

    secourir nos freres en danger selon nostre pouvoir et vocationviii .

    Vient enfin la question de savoir Que cest quun homme doit faire en bonne conscience,

    cas advenant quau lieu de le vouloir faire executeur dune chose mauvaise, liniquit des

    magistrats sadresse contre lui-mesmesix ? , mais surtout celle de la rsistance arme sur

    laquelle repose lessentiel de la rponse argumente du trait, la question de savoir Si les

    subjets ont quelque juste moien, et selon Dieu, de reprimer, mesmes par la voie des

    armes, si besoin est, la tyrannie toute notoire dun souverain magistratx ? [] La prise

    en compte rsolue dune rsistance qui serait lgitime conduit Thodore de Bze envisager une justification qui [] insiste sur la cration des magistrats par les peuples eux-

    mmes :

    Je di donc que les peuples ne sont point issus des magistrats, ains que les

    peuples ausquels il a pleu de se laisser gouverner ou par un prince, ou par

    quelques seigneurs choisis, sont plus anciens que leurs magistrats, et par

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    consequent que les peuples ne sont pas creez pour les magistrats : mais au

    contraire les magistrats pour les peuplesxi.

    Bien entendu, Thodore de Bze maintient lide dune ordonnance divine, mais sans doute

    donne-t-il { la question de lorigine des magistrats et { celle de leur lgitimit, la

    signification dune recherche de fondement.

    Conclusion

    Les textes monarchomaques inspirs de la thologie calvinienne font partie de ces premiers

    textes politiques o la question de la lgitimit se pose dans des termes dans lesquels nous

    la pensons encore aujourdhui. Suffiraient { le prouver les questions ell es-mmes partir

    desquelles Le Droit des Magistrats et les Vindiciae Contra Tyrannos de Philippe de Mornay

    construisent leur progression, ainsi que le fait mme quelles impliquent une rflexion sur

    les cas qui autorisent ou non la rsistance. Cela traduit la recherche dun fondement

    proprement humain et atteste que nous sommes en prsence dune comprhension qui est

    encore la ntre du concept de lgitimit. Cest donc en effet que celle -ci nest plus donne,

    quelle ne se confond plus avec le fait, mais quelle ncessite une rflexion sur ce qui est

    juste en droit. La distinction entre faitetdroitprend ncessairement le relais dune lecture

    proprement religieuse de ce qui est dit lgitime . Comme y insiste Thodore de Bze,

    la Providence de Dieu nempesche point une juste defensexii.

    iCommentaires deJehan Calvin sur toutes les Epistres de lApostre SainctPaul et sur les Epistres canoniques deSainct Pierre, Sainct Jehan, Sainct Jacques et Sainct Jude , Article 519, Imprim par Conrad Badius, 1561.iiIoannis Calvini opera supersunt omnia, Volume 18, p. 860-862, Lettre 3174, 23 mars 1560.Voir galement Max ENGAMMARE, Calvin monarchomaque ? Du soupon { largument,dansArchiv fr Reformationgeschichte, Volume 89, 1998, p. 207-226.iii Ibidem.iv Ibidem.vDu Droit des Magistrats sur leurs Sujets Trait trs ncessaire en notre temps pour avertir de leurs devoirs

    tant les Magistrats que leurs Sujets , Magdebourg, 1574. Rdition par Robert KINGDON, Genve, Droz, 1970, p.

    5.vi Ibidem.vii Ibid. p. 6.viii Ibid. p. 9.ix Ibidem.x Ibid. p. 13.xi Ibid. p. 9.xii Ibid. p. 58.