J. De Sousa, Stoïcisme & Politique. Essai sur la désobéissance philosophique

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Stoïcisme & Politique essai sur la désobéissance philosophique Jérôme De Sousa Idées

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Grammata, Tours, 2010, ISBN : 978-2-918863-02-1, 10 €. Pour commander : http://ta-grammata.blogspot.com

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Stoïcisme & Politique

essai sur la désobéissance philosophique

Jérôme De Sousa

Idées

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ZÉNON de Kition (c.335-c.262 av. J.C.)

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Stoïcisme & Politique

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JérômeDE SOUSA

Stoïcisme & PolitiqueEssai sur la désobéissance philosophique

GRAMMATAIdées2010

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© Jérôme De Sousa, 2010.©Editions Grammata, 2010.

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Ainsi, nous tenions pour méritoire d’associer, au sein du gouvernement, la douceur et la modération  ; nous esti-mions qu’une telle pratique devait suffire à faire reconnaître à vos yeux nos mérites. Mais puisque vous êtes choqués par la longueur de notre barbe, la négligence de notre coiffure, notre refus de fréquenter les théâtres, notre exigence à voir observer dans les temples une attitude respectueuse  ; puisque vous l’êtes encore et surtout par l’attention que nous portons aux affaires judiciaires ainsi que par notre volonté de bannir de la place du mar-ché la spéculation, nous quittons sans regret votre ville.

Julien, Misopogon, 38.

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AVANT-PROPOS0

Contrairement à d’autres traditions philoso-phiques antiques, telles le platonisme et l’aristo-télisme, nous ne possédons aucun traité révélant une théorie politique explicitement stoïcienne. Ce fait n'est pas imputable aux aléas de l’histoire, qui nous auraient privés de tels traités, mais à la doctrine même de l’école du Portique. En effet, si la Stoa n’a pas produit de doctrine politique, c’est parce qu’elle n’a jamais formulé le projet d’un gouvernement philoso-phique. À aucun moment ses maîtres n’ont cherché, à l’inverse de Platon ou d’Aristote, à instaurer un roi-philosophe. Et si le Stoïcien Sénèque a nourri l’empereur Néron de philoso-phie, ce n’était pas dans le but de réaliser la théorie d’un "empereur philosophe" formulée par l’école, mais simplement pour faire de lui un homme vertueux.

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De la même manière, l’empereur stoïcien Marc-Aurèle ne profita pas de son principat pour réaliser un projet politique de nature philosophique ; il essaya simplement de régner selon les préceptes de la Stoa, comme l’aurait fait n’importe quel autre Stoïcien. Si le Stoï-cisme ne formula pas de théorie politique, ces deux exemples - qui ne doivent pas nous faire oublier les nombreux politiques, magistrats et autres avocats stoïciens - sont l’indice que des idées, des enseignements de la Stoa induisirent chez le philosophe un certain comportement en face et au sein du politique. Ce sont les origines mêmes de ces idées et "comportements" que nous allons souligner et étudier ici, en mettant au jour les raisons qui purent conduire le Stoïcien à la politique ; car même si un tel engagement ne trouve pas son origine dans la réalisation d’un projet philosophique, il néces-site que soit donnée une certaine idée de la politique. Nous traiterons par conséquent de la place occupée par l’école au sein de la société antique. Nous verrons si son existence dépen-dait de la sphère politique ou si, au contraire, elle demeurait totalement indépendante des pouvoirs politiques qui cherchaient à la contrôler.

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Mais qu'entendre par "politique"  ? Notre propos essentiel est de dégager du stoïcisme une idée de la politique et non d’expliciter une théorie politique qui, de toute façon, n'y existe pas. Nous comprenons le terme "politique" au sens large, en tant qu'il signifie la pratique du gouvernement d’un État, d’une nation ou d’une cité ; les pouvoirs politiques constituant l'ensemble des organisations d’un gouverne-ment donné, ainsi que les hommes y exerçant un certain droit d’autorité. Nous qualifions une personne habile à gouverner de politique. Ceci étant dit, et aussi large et intemporelle que soit cette définition, il est également nécessaire, si nous voulons donner une idée de la politique stoïcienne, d'étudier l’unité de la doctrine stoïcienne dans le temps.

Depuis Schmekel1, on divise le Stoïcisme en trois périodes : l’ancien Portique (avec Zénon, Cléanthe et Chrysippe), le moyen Portique (avec Panétius et Posidonius) et le Stoïcisme impérial (avec Sénèque, Epictète et Marc-Aurèle). Cette division, qui remonte à la fin du

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1 August Schmekel, Die philosophie der mittleren Stoa in ihrem geschichtlichen Zusammenhange, Weidmann, Berlin, 1892.

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XIXe siècle, est entrée dans la tradition histo-rienne. Or, nous sommes en droit de nous interroger sur sa légitimité et, surtout, de savoir si ces trois périodes, qu'elles soient artificielles ou non, incluent une réelle évolution du point de vue doctrinal1. Tout d’abord, il est utile de rappeler une évidence : jamais l'école stoïcien-ne n’a connu une telle périodisation. Lorsque des Stoïciens et d'autres philosophes font référence à d’anciens sectateurs de la Stoa, ces derniers appartiennent indifféremment à l’an-cien et au moyen Portique2. L’éclectisme des idées et la diversité d’opinions au sein de l’école existent depuis ses origines et n'entravent en rien son unité. Zénon (c.-335/c.-261), fonda-teur de la Stoa, s’est nourri d’idées provenant de nombreux horizons : "Xénocrate et Polémon à l’Académie, Stilpon le Mégarique et Cratès le Cynique."3 Chrysippe (-280/-206), considéré comme le second père du Stoïcisme, était en grand désaccord, sur beaucoup de points, avec Cléanthe (-330/-232), premier héritier de Zé-

1 Cf. Jean-Joël Duhot, La conception stoïcienne de la causa-lité, ch. II, Vrin, 1989, p. 29-43.

2 Ibid., p. 29.3 Ibid., p. 38.

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non. Les Stoïciens ont également fait de la vie cynique un idéal et élevèrent Diogène, avec Socrate, au rang des sages. La physique stoïcien-ne est en partie héritière d’idées présocratiques et péripatéticiennes. Nous pourrions multi-plier les exemples prouvant la diversité des idées au sein du Stoïcisme ; mais contentons-nous d’affirmer que, se considérant avant tout comme une école traditionnelle de philosophie grecque, le Stoïcisme s’est abreuvé à une source unique, constituée de l’ensemble des philosophies hellénistiques ; en ce sens, c'est aussi un éclectisme.

Cependant, comme l’affirme Jean-Joël Duhot : "La diversité n’implique pas nécessaire-ment l’évolution ; elle signifie simplement qu’à l’intérieur de l'école ont pu exister des variantes plus ou moins importantes, qui n’ont cepen-dant pas engagé la doctrine dans des directions différentes en infléchissant le mouvement stoï-cien."2 Le Stoïcisme est à mille lieues du "monolithisme" épicurien, fondamentalement caractérisé par la fidélité au maître et, comparé à l’Académie et au Lycée, qui, en moins de deux générations, ont rompu avec la pensée de leurs fondateurs, il frappe par son unité. Les suivants

1 Ibid., p. 30.

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de Platon et d’Aristote cherchaient à compléter la pensée des fondateurs, et non à la conserver comme telle1. Les premiers Stoïciens, quant à eux, appartenaient à une époque où l’on fixait les pensées en résumés et en dogmes, ce qui empêchait d'emblée tout éloignement excessif. De sorte que l’apprentissage de la philosophie stoïcienne permettait d’adhérer à des dogmes précis, constituants intrinsèques de l’apparte-nance à l'école, sans pour autant interdire l'évolution de la pensée de l’adepte. Nous pouvons ainsi constater que, pour l’époque du soi-disant Stoïcisme impérial, Chrysippe et Posidonius restent les principales références stoïciennes (Épictète gardant essentiellement, comme base de son enseignement, celui de Chrysippe, tout en utilisant ceux de Zénon, Cléanthe et Antipater2.) Nous avons aussi l’ha-bitude de concevoir le Stoïcisme de la période impériale, comme une doctrine morale et ce, à la lumière des écrits de Sénèque, d’Épictète et de Marc-Aurèle. Or, nous ne devons pas con-

1 Ibid.

2 Sa conception de l’âme, par sa tripartition, est quelque peu platonisante ; mais là encore, nous pouvons supposer l’influence du stoïcisme platonisant de Posidonius.

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clure ainsi des seules sources stoïciennes de l’époque, car celles-ci écartent des traités qui auraient pu avoir un autre contenu qu'éthique. D’autre part, on trouve une météorologie posi-donienne dans les Questions naturelles de Sénèque, et d'une lecture poussée des Pensées de Marc-Aurèle se dégage une physique stricte-ment stoïcienne. N’oublions pas non plus qu’à l’ère impériale vivait le Stoïcien Cléomède (c. Ier

siècle av. J.-C.), qui, par la rédaction de sa Théorie élémentaire sur le mouvement circulaire des corps célestes "montre que le Portique ensei-gnait l’astronomie posidonienne, construite sur les bases de la physique chrysippéenne"1.

Ainsi, constatons-nous que, jusqu’à sa dispa-rition en tant qu'école, le Stoïcisme resta fidèle à la doctrine de ses origines : fidélité surtout à Chrysippe, le second père de la Stoa.

Il apparaît alors que la division de Schmekel reste complètement artificielle ; la diversité des opinions et de certaines conceptions (l’âme, la divination, la conflagration du monde, etc.) ne nuit pas à l’unité de l'école et, par suite, n'en- n’entraîne aucune réelle évolution. De sa nais-sance jusqu’à sa mort, l'école du Portique fut

1 J.-J. Duhot, Op. cit., p. 39.

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unifiée en une même doctrine, tout en restant assez souple pour tolérer les divergences d’opi-nions. C’est cette souplesse, cette voie médiane entre la liberté d’opinion et les dogmes établis, qui, entre autres, assura son succès. Quoi qu’il en soit, cette unité doctrinale nous autorise à utiliser l’ensemble des sources stoïciennes sans aucun réel souci chronologique, en stipulant toutefois ce qui, chez un auteur, provient d’une autre doctrine que le Stoïcisme.

L’unité de la doctrine stoïcienne étant éta-blie, nous pouvons en dégager ce qui engendra une vision stoïcienne de la politique. Il nous faut par conséquent porter notre étude sur la con-ception stoïcienne du monde, afin d'analyser, de façon moins large, sa conception de la civilisa-tion et du statut de citoyen, auquel sont directe-ment liées l’opinion stoïcienne concernant le politique et l’engagement en politique. Nous allons ainsi nous intéresser à la figure du sage et au modèle de sagesse socratico-cynique, le sage incarnant le roi véritable. C’est la nature de cette royauté qui nous intéresse au premier chef, car elle conditionne, dans le Stoïcisme, une idée du politique et de la politique.

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Une fois ces deux idées atteintes, nous nous pencherons, notamment au travers d’exemples vécus, sur les actions stoïciennes en matière de politique, sur les engagements, les contestations, etc. des Stoïciens. Ce cheminement ne se fera pas sans un bref aperçu de l'histoire de l'école stoïcienne, ce que nous savons de sa structure, de son organisation et des rapports qu’elle entre-tenait avec les pouvoirs politiques.

Ainsi sera démontré le choix judicieux que firent les Stoïciens, en proposant une éthique politique plutôt qu’un projet politique philoso-phique, par nature partisan. Car, au-delà d’une simple prise de position, l’adoption d’une telle éthique semble pouvoir éveiller l’âme du politi-que au Bien et à la Vérité, éveil nécessaire à tout bon gouvernement.

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IIdée de la politique

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1. Zeus, dieu civilisateurComme nous l'avons dit précédemment, il

ne semble pas que les Stoïciens aient formulé de théorie politique. Ils n’ont pas théorisé de gou-vernement idéal, ni même formulé les caracté-ristiques d’un politique philosophe. La seule royauté dont ils font mention, et qui constitue la véritable royauté, est attribuée au sage et reste totalement étrangère à toute forme de pouvoir politique, indépendante de toute forme de pou-voir temporel. Par conséquent, si nous voulons proposer non pas une théorie, mais une idée de la politique proprement stoïcienne, nous devons l’extraire du corpus de l’école de la Stoa et prin-cipalement de sa partie physique1.

1 La doctrine stoïcienne est traditionnellement divisée en trois parties : logique, physique et éthique. "Les philosophes stoïciens disent que la sagesse est la mère de toutes choses tant divines qu’humaines et que la philosophie est la possession et l’exercice de l’art à ce convenable, qui est une seule et souveraine vertu laquelle se divise en trois générales : la naturelle [la Physique], la morale [l’Éthique] et la verbale [la Logique] : à raison de quoi la philosophie vient à être aussi divisée en trois parties  : l’une naturelle, l’autre morale et la tierce verbale. La naturelle est quand nous enquêtons et disputons du monde et des choses

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Traiter du monde afin d’y dénicher des élé-ments, ou plutôt des indices pouvant appartenir à la sphère politique, ne doit pas étonner. Le Stoïcisme est une philosophie unitaire  ; toutes ses parties sont liées et ne peuvent être réelle-ment saisies par l’esprit si elles sont abordées séparément. Cette unité doctrinale ne peut être comprise qu’à la lumière de l’idée stoïcienne de l’unité de toutes les par-ties du monde, ce qui nous conduit naturel-lement à parler de Dieu.

Les Stoïciens conçoivent Dieu comme uni-que, mais, pour autant, ils ne sont pas mono-théistes. Le Dieu stoïcien est conçu en tant que souffle chaud, feu, logos pneumatique traversant le monde et l’ensemble des étants. Ce pneumaest à l’origine du monde. Il a formé les êtres, les corps, au sein du vide, qui est tel non par absence, mais par inorganisation. Ce vide est la matrice des éléments composant le monde, et le pneuma universel, Dieu, organise en son sein cette matière, formant alors les corps, le Kosmos.

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contenues en celui-ci  ; la morale celle qui est occupée à traiter de la bonté ou de la mauvaiseté de la vie humaine  ; la verbale celle qui traite de ce qui appartient à discourir par raison, laquelle se nomme autrement dialectique." (Plutarque, Des opinions des philosophes, 1e partie [trad. J. Brun], Introduction, in Les Stoïciens, Paris, P.U.F., 1962, p.14.)

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Cet ouvrage, troisième titre de la collection Idées des éditions Grammata, a été achevé d'imprimer au mois de janvier 2010 sur les presses de Copy Média (Mérignac). Printed in France.

ISBN : 978-2-918863-02-1

Dépôt légal : janvier 2010