La Déperdition scolaire: un problème mondial; Etudes et...

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jLa déperdition scolaire ; un problème mondid. Une étude préparée pour le Bureau international Département de pédagogie d'éducation Ecole de psychologie et des sciences de l'éducation Université de Genève (Suisse) et M. A. Brimer School of Education University of Bristol (Royaume-Uni) par L. Pauli Unesco: BIE Paris - Genève 1971

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jLa déperdition scolaire ; un problème mondid.

Une étude préparée pour le Bureau international Département de pédagogie d'éducation Ecole de psychologie et

des sciences de l'éducation Université de Genève (Suisse) et M. A. Brimer School of Education University of Bristol (Royaume-Uni)

par L. Pauli

Unesco: BIE Paris - Genève 1971

Etudes et enquêtes d'éducation comparée

Titres dans cette série

La déperdition scolaire : un problème mondial Une étude statistique de la déperdition scolaire

I -\

Publié en 1971 par l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture Place de Fontenoy, Paris 7e Imprimé par Courvoisier S. A., La Chaux-de-Fonds (Suisse) O Unesco 1971

Préface

Lorsqu'en 1969, le Bureau international d'éducation devint partie inté- grante de l'Unesco, les fonctions du Bureau furent réévaluées de façon à mieux se conformer aux besoins actuels. La définition de celles-ci, telle qu'elle fut adoptée par le Conseil du BIE, met l'accent sur une méthode visant à aborder les problèmes de façon directe et propose comme critère d'évaluation des améliorations pratiques dans le processus de l'éducation résultant du travail effectué par le Bureau.

Conformément à cette politique, les travaux ont été entrepris selon un ordre quelque peu modifié. A u cours des années 1969 et 1970 le BIE mena une enquête sur le problème de la réduction de la déperdition des effectifs scolaires. Les résultats en furent incorporés dans un bref docu- ment de travail qui fut envoyé avant la réunion de la Conférence inter- nationale de l'éducation (1970) et qui servit de base à la discussion lors de la Conférence elle-même (Genève, 1,-10 juillet 1970). La Conférence adopta sur ce sujet une recommandation (No 66), dont le texte figure en annexe à cette étude. Le rapport final de la Conférence fut publié peu après.

Cet ouvrage cherche à couvrir tout l'éventail des problèmes soulevés par l'enquête internationale: les politiques et les problèmes, les faits et les résultats de la recherche, les discussions et les conclusions, tels qu'ils res- sortent du processus décrit ci-dessus. I1 devrait offrir aux éducateurs dans les Etats membres une synthèse des connaissances actuelles en la matière afin de promouvoir une meilleure compréhension du processus éducatif, de susciter des améliorations ou des réformes et de stimuler des recherches ultérieures.

O n a jugé préférable de donner à cette synthèse, tant du point de vue de sa conception que de ses objectifs, un caractère plus professionnel qu'administratif. C'est pourquoi le Secrétariat a chargé de ce travail deux consultants qui, dès le début, ont été étroitement associés à cette enquête :

le professeur L.Pauli, directeur du Département de pédagogie de l’Ecole de psychologie et des sciences de l’éducation à l’université de Genève, et M. A. Brimer, chef de la Division de la recherche à l’Ecole de pédagogie de l’université de Bristol.

Les deux auteurs ont préparé leur texte en étroite collaboration l’un avec l’autre, d’une part, et avec le personnel du BIE, d’autre part, chacun d’eux étant responsable de la version parue dans sa propre langue. Les vues exprimées ne sont par conséquent pas nécessairement celles de l’Unesco.

Si cet ouvrage examine tous les aspects de la déperdition d‘effectifs dans les écoles, il s’est avéré que le traitement statistique de la question avait soulevé un intérêt considérable. Le Secrétariat en a conclu que cela justsait un second ouvrage qui en étudierait de façon plus approfondie les aspects méthodologiques. C‘est l’Office des statistiques de l’Unesco qui a été chargé de l’élaboration de ce volume qui va paraître sous le titre: Etude statistique de la déperdition scolaire.

I1 ne reste plus au Bureau international d’éducation qu’à remercier tous les organismes officiels, les institutions et les personnes qui ont colla- boré à cette étude, notamment les deux auteurs qui n’ont pas reculé devant la tâche formidable qui consistait à essayer de refléter dans un si bref ouvrage la masse des informations réunies. Les commentaires des lecteurs seront naturellement les bienvenus, et le Bureau fait le vœu que, grâce à un échange international d’idées, la scolarisation des enfants du monde entier s’en trouve améliorée.

Table des matières

Préface

Chapitre 1 La nature du problème 9 2 Aperçu général de la littérature 25 3 Ampleur et localisation 43 4 Facteurs internes :

5 Facteurs externes :

6

7 Conclusions 139

problèmes et remèdes 68

problèmes et remèdes 93 L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970 117

Annexe 1

Recommandation No 66 concernant l’amélioration et l’efficacité des systèmes d‘éducation, en particulier par la réduction des déperditions d’effectifs à tous les niveaux de l’enseignement 147

Annexe 2

Bibliographie sélective : ouvrages mentionnés dans le chapitre 2 155

Chapitre un

La nature du problème

Le terme ((déperdition)), appliqué à l'éducation, a une résonance insolite et les éducateurs lui reprocheront peut-être de dépersonnaliser ce qui est essentiellement un processus individuel de croissance. I1 appartient à la langue des économistes et semble assimiler l'éducation à l'industrie, où des capitaux sont investis dans des usines, OU des matières premières sont transformées en produits finis. I1 serait préférable de parler d'«échec sco- laire)). I1 est toutefois indéniable que, du point de vue des ressources et des dépenses d'une nation, i'éducation est la plus grande activité économique du monde. Que gaspille-t-on? Les connaissances, les bâtiments scolaires, le matériel dans les écoles, le travail des maîtres. Comment savons-nous qu'il y a déperdition? Parce que les pays ne parviennent pas à atteindre les objectifs qu'ils se sont assignés en matière d'éducation. Dans quelles cir- constances se manifeste cet échec? Lorsque les enfants ne parviennent pas au niveau d'instruction requis, lorsqu'ils redoublent des années d'études, lorsqu'ils quittent l'école prématurément, lorsqu'ils ne trouvent pas d'em- ploi au terme de leurs études.

Telles sont en quelques mots les réponses que l'on peut donner aux questions relatives à la nature de ce problème, étant entendu qu'il revêt, dans les Etats membres de l'Unesco, des formes très diverses qui en compli- quent inévitablement l'image. C'est pourquoi, bien que l'enseignement postscolaire et l'enseignement supérieur méritent également de retenir l'attention, le présent travail doit se limiter aux niveaux primaire et secon- daire. Afin de mieux définir la nature précise de la déperdition scolaire aux deux niveaux qui nous intéressent ici, il est indispensable d'examiner le problème de plus près. On peut considérer que la déperdition scolaire se manifeste par l'inaptitude du système:

à dispenser un enseignement universel ; à recruter les élèves;

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à retenir les élèves; à ñxer des objectifs appropriés; à atteindre ces objectifs.

INAPTITUDE A DISPENSER UN ENSEIGNEMENT UNIVERSEL

La Déclaration des droits de l’enfant (1959) proclame le droit de l’enfant à l’éducation, et un pays qui ne dispense pas un enseignement à tous les enfants manque à son devoir. I1 gaspille aussi une partie de ses ressources humaines en ne les mettant pas en valeur. Cela ne signifie pas que tous ces pays soient coupables. Un grand nombre d’entre eux ne sont pas écono- miquement à même de donner un enseignement à tous, mais, dans la me- sure OU ils ne le peuvent ou n’y sont pas aidés, le monde entier s’en trouve appauvri.

INAPTITUDE A RECRUTER LES ELEVES

Le fait qu’en matière d’éducation la demande est généralement plus forte que l’offre et l’existence de prescriptions légales fixant l’âge auquel les enfants doivent être scolarisés contribuent à diminuer l’incidence de la deuxième source de déperdition dans l’enseignement aux niveaux primaire et secondaire. I1 faut cependant examiner ces formes de déperditions pour les enfants qui ont dépassé l’âge de la scolarité obligatoire. C‘est en effet là l’un des facteurs les plus importants dans l’enseignement postscolaire et supérieur. Le recrutement dans les secteurs non obligatoires d’un système d’éducation dépend de la mesure dans laquelle les élèves et leurs familles identifient les objectifs et le contexte de l’éducation avec leurs propres aspirations.

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INAPTITUDE A RETENIR LES BLÈVES

Cette inaptitude aussi, dans les secteurs obligatoires de l’enseignement tout comme dans les autres, dépend de facteurs externes et internes. Les conditions sociales et économiques sont parfois telles que l’école ne peut retenir les enfants comme elle le voudrait. I1 y a cependant beaucoup à faire pour adapter le système aux conditions extérieures, de façon que la perte ne soit pas totale. En revanche, le système est beaucoup plus directe- ment responsable des abandons en cours d’études qui se produisent par suite d’un échec scolaire. Etant donné qu’un système devrait être à même de réduire ces deux causes d’abandons, celles-ci sont à juste titre consi- dérées comme des formes de déperdition. Pour de nombreux pays, néan-

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moins, le nombre de places disponibles dans les écoles diminue d’un niveau à l’autre, de sorte qu’il serait erroné de supposer que toutes les nations ont l’intention de retenir, du début à la fin du système, tous les enfants initiale- ment scolarisés. I1 est raisonnable toutefois de penser que le but poursuivi dans un pays est de retenir tous les enfants recrutés dans un cycle jusqu’à l’accomplissement des objectifs de ce dernier. Une estimation de la déper- dition devrait comprendre un indice d’abandon qui ait trait au rapport entre le nombre d‘élèves quittant prématurément l’école et celui des en- fants recrutés au début de chaque cycle.

INAPTITUDE A FIXER DES OBJECTIFS APPROPRIES

Les pays diffèrent dans la manière dont ils déterminent les objectifs du système d’éducation, dans son ensemble et pour chacun des éléments qui le composent. Dans la plupart des cas le facteur qui exerce peut-être le plus d’influence sur la détermination des objectifs découle de la conception traditionnelle de ce que devrait être une personne instruite. Les programmes et les processus pédagogiques qui, pendant des dizaines d‘années et même pendant des siècles, ont répandu cette conception de l’homme instruit con- tinuent d’exercer une influence certaine sur les buts de l’éducation.

L‘idëe qu’on se fait de la nature de l’enfance a exercé une influence tout aussi importante sur la pédagogie moderne. La psychologie de l’en- fant insiste sur la notion d’une éducation destinée aux enfants tels qu’ils sont et non pas tels qu’on voudrait qu’ils deviennent. Avec le développe- ment de la planification économique, et à partir du moment où l’on admet qu’il existe un rapport entre le produit de l’éducation et les besoins de l’économie en main-d’œuvre, un troisième facteur important est apparu dans la détermination des objectifs de l’éducation. C‘est ce que montrait l’un des délégués dans une déclaration faite à la Conférence de 1970: «Dans le plan de développement, il y a un rapport étroit entre les investis- sements et la main-d’œuvre qualifiée employée dans les divers secteurs de l’industrie, et nous devons aujourd’hui faire face à une situation tragique caractérisée par le chômage de personnes qui ont reçu une formation orientée vers des emplois particuliers, la raison en étant que le rapport entre l’enseignement et la main-d’œuvre qualiiiée a été établi sans qu’il soit réellement tenu compte de l’évolution industrielle; à cela s’ajoute le fait que la situation du commerce extérieur a des répercussions, directes ou indirectes, sur le produit final de l’éducation)).

L’absence d’harmonie entre les exigences d’un enseignement adapté à la personnalité de l’enfant, à la formation d’adultes équilibrés et capables de jugement et à la préparation de la main-d’œuvre nécessaire à l’économie

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traduit l’inefficacité d’un système d’éducation (encore qu’il ne s’agisse pas d’une inefficacité interne). Cette troisième source de gaspillage a notam- ment ceci de particulier qu’elle se traduit par des symptômes de déperdition plus apparents que les deux autres. Cependant, aussi souhaitable qu’il puisse être de mesurer la déperdition comme si elle représentait l’ineffica- cité, nous ne disposons pas actuellement des concepts et des instruments nécessaires pour le faire. Et - ce qui rend difficiles les comparaisons inter- nationales - il appartient à chaque pays de fixer ses propres objectifs et de déterminer s’ils ont été atteints ou non.

INAPTITUDE A ATTEINDRE CES OBJECTIFS

On parle d’inefficacité si la productivité du système, par unité de temps, est inférieure à ce qu’elle devrait être. Pour que cette affirmation ait un sens, il faut la traduire en termes pédagogiques : elle signiñe que des enfants admis dans une partie du système ne réussissent pas à atteindre le niveau requis. Mais les pays ne déterminent pas tous de la même manière le degré de réalisation des objectifs dans le cadre des pratiques scolaires établies. Certains fixent une série de seuils que l’élève doit franchir pour passer dans la classe supérieure. Ces seuils peuvent être dépassés ou atteints plus rapi- dement, mais la promotion n’en est pas pour autant plus rapide puisque la classe correspond à une année scolaire entière et qu’elle est uniforme. L‘école détermine si l’élève a atteint le niveau requis, soit d’après le travail fourni pendant l’année scólaire, soit d’après les résultats à un examen de fin d’année. Ce niveau est tel qu’une partie seulement de l’effectif total est censée l’atteindre. Les élèves qui ne réussissent pas à franchir ce seuil re- doublent leur année ou quittent l’école si la loi le permet. Le redoublement peut être considéré comme une déperdition en ce sens que deux places par année d’études sont requises, alors que le système n’en prévoit qu’une. ((Qu’est-ce qui a été gaspillé?)), peut-on se demander. Logiquement, il faudrait répondre que ce sont les ressources investies au cours de la pre- mière année et l’investissement représenté par la personne même de l’élève. I1 est peu probable cependant que cette première année ait été entièrement perdue. Si l’enfant redouble purement et simplement sa classe, il perd également une partie de la deuxième année à refaire ce qu’il a déjà fait et par là-même à s’ennuyer. Les inconvénients du redoublement ne résultent pas seulement d’une répétition superflue des efforts d’enseignement et d’une perte de temps pour les élèves, mais aussi du fait que ces derniers sont par la suite moins motivés.

L’existence de différences individuelles dans le rythme et le mode d’apprentissage conduit certains pays à adopter une autre procédure pour

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her les objectifs, en évaluer la réalisation et prendre les dispositions dé- coulant de cette évaluation. La première grande différence est que les objectifs ne sont pas considérés comme uniformes pour tous les enfants d’un âge et d’un niveau scolaire donnés. Ils sont différenciés de manière que chaque enfant ait un rendement maximum, par rapport au niveau an- térieurement atteint et à son rythme d‘apprentissage. Ainsi, les enfants du même âge se trouvent généralement groupés, mais leurs études se situent à des niveaux différents. S’il tend à s’établir des normes relatives au niveau à atteindre en fonction de l’âge des élèves et de la durée de la scolarité, il ne s’agit pas de seuils absolus qui décident du sort de l’élève pour l’année suivante. L‘évaluation, la décision et les mesures qui en découlent sont généralement continues et ne se font pas à la fin de l’année scolaire. I1 n’y a guère de redoublements dans ces systèmes, non pas parce que «la pro- motion est automatique)), mais parce que l’apprentissage est considéré comme continu. Néanmoins, les systèmes comme celui-là, qui ne connais- sent pratiquement pas de redoublements, ne peuvent échapper à la plani- fication, processus selon lequel on fixe des objectifs tant en ce qui concerne les niveaux d’études que le nombre d’élèves qui les atteignent en un nombre donné d’années scolaires et à un âge déterminé. Peut-être est-ce par suite du souci d’assurer un apprentissage continu que la pladcation est moins évidente dans ces systèmes et que leur efficacité ne donne pas lieu à une évaluation, faute de critères permettant de déterminer si les objectifs ont été atteints. On aurait cependant tort de supposer, parce qu’il n’est pas aisé de déceler l’écart entre le niveau atteint et les objectifs prévus, qu’il n’y a pas de déperdition. Elle existe en fait par suite d’un investissement excessif de ressources, de l’insuffisance du niveau atteint et de la diminu- tion de la motivation des élèves. U n exemple illustrant bien le troisième de ces facteurs est fourni par les écoles où l’on s’efforce de répondre aux dií€é- rences individuelles en créant des groupes d’enseignement théoriquement homogènes du point de vue du niveau des élèves et du rythme d’appren- tissage, avec toutefois pour conséquence une diminution de la motivation dans les groupes inférieurs et un abaissement du niveau qu’ils sont censés atteindre. La déperdition y est mesurable, mais les méthodes d’évaluation ne sont pas encore suffisamment au point pour que l’on puisse effectuer une comparaison avec les systèmes qui pratiquent une sélection par année d’études.

BREVE ANALYSE DES SYSTEMES D’ÉDUCATION Ces quelques remarques sur la diversité des manifestations de la déperdi- tion scolaire met en évidence le fait que l’on ne peut définir, analyser et

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comparer les déperditions que si l’on connaît les caractéristiques des divers systèmes d’éducation. Les dBérences les plus importantes dépendent de la durée de la scolarité obligatoire et de la méthode suivie pour diviser en classes ou étapes scolaires la période qui s’étend entre les âges de 5 à 6 ans et ceux de 18 ou 19 ans. Ces deux variables permettent de définir trois types de systèmes. I1 existe bien entendu un grand nombre d’autres différences, mais elles sont mineures si on les compare aux deux caractéristiques qui aident à déterminer dans quelle mesure les systèmes sont exposés aux dé- perditions d’effectifs scolaires.

Dans les systèmes de type A, la scolarité obligatoire s’étend sur une période de huit, neuf ou dix ans. Pendant cette période, l’enseignement y est continu et polyvalent; il forme un tout indivisible, indépendant de toute méthode de sélection ou d’examen. Vient ensuite un cycle supérieur ou secondaire, facultatif, d’une durée de trois à cinq ans, certains établisse- ments préparant aux études supérieures, d’autres donnant une formation professionnelle ou technique, d’autres encore dispensant un enseignement commercial, agricole, etc.

Dans les systèmes de type B, la scolarité obligatoire dure huit ou neuf ans, ou davantage; elle comprend un enseignement primaire d’une durée de cinq à six ans et un enseignement secondaire du premier cycle qui dure trois ou quatre ans ou va jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. Le pro- gramme de l’enseignement primaire est généralement le même pour tous; au terme de celui-ci intervient une sélection destinée à répartir les élèves entre des sections différentes au programme spécifique. Ainsi, vers 11 ou 12 ans, les élèves sont déjà orientés vers le type d’études qu’ils poursuivront ultérieurement. La période de scolarité obligatoire est suivie d’un deuxième cycle de l’enseignement secondaire, facultatif, d’une durée de trois ou quatre ans, dont l’organisation correspond à celle de la deuxième étape du type A.

Dans les systèmes de type C, la scolarité obligatoire s’étend sur cinq ou six ans. L’enseignement primaire occupe toute cette période qui est suivie d’un enseignement secondaire du premier cycle, facultatif, d’une durée de trois ou quatre ans, dont l’organisation est analogue à celle de la deuxième étape des systèmes du type B. Dans de nombreux pays en voie de développement, il existe des écoles professionnelles de ce niveau. Ensuite, l’enseignement secondaire du deuxième cycle s’étend sur une période de trois ou quatre ans et, à nouveau, son organisation est analogue à celle des systèmes du type B.

Dans les pays en voie de développement en particulier, mais non pas exclusivement, on distingue deux attitudes différentes à l’égard de la sco- larité obligatoire: soit elle fait l’objet de dispositions légales mais n’est

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qu’imparfaitement appliquée; soit la scolarisation générale esten voie de réalisation, mais aucune loi relative à l’obligation scolaire n’a encore été adoptée. La plupart de ces pays ont des systèmes d’éducation du type C; il y en a quelques-uns du type B. D’autre pays s’en tiennent à une interpré- tation stricte du principe de la scolarité obligatoire et l’appliquent avec succès. Souvent, dans ces pays, il existe un enseignement facultatif supplé- mentaire de deux ou trois ans que suivent 80 % environ des élèves qui sans cela auraient quitté l’école. Ainsi, même là où il n’existe pas de loi ou de disposition légale sur la fréquentation scolaire, il arrive que le pouvoir de rétention de l’école soit supérieur à ce qu’il est dans d’autres pays où l’obligation scolaire est prévue par la loi.

En outre, qu’ils soient ou non du même type, les systèmes diffèrent selon l’usage qu’ils font des examens. Ceux-ci peuvent servir à certifier que l’élève a terminé avec succès une étape scolaire; il est courant d’uti- liser ces résultats pour l’admission à l’étape suivante. Certains systèmes exigent pourtant un nouvel examen pour l’entrée dans le cycle suivant ou dans une partie de celui-ci. Les arguments avancés en faveur des examens de sélection sont les uns d’ordre pratique, les autres d’ordre théorique. L‘argument d’ordre pratique est qu’il n’y a qu’un nombre limité de places et qu’elles doivent être accordées à ceux à qui elles profiteront le plus. L‘argument théorique est que ceux qui accèdent à l’étape suivante doivent avoir atteint un niveau supérieur au minimum exigé pour la fin de l’étape précédente. Le premier de ces arguments est incontestable, mais le se- cond est sujet à caution. Quelles que soient les raisons invoquées pour justifier les examens, il est indubitable qu’ils ont des répercussions cer- taines sur l’augmentation du nombre des abandons ou des redoublements. Malgré l’absence de données statistiques relatives à ces répercussions sur la déperdition scolaire dans les Etats membres de l’Unesco, le sujet a une telle importance qu’il sera traité plus en détail. Mais, auparavant, il im- porte de bien comprendre les symptômes de base de la déperdition en fonction des types de systèmes dans lesquels ils se manifestent.

ABANDONS EN COURS D’ETUDES

L‘analyse sommaire des systèmes d’éducation montre de manière évidente que l’on doit faire intervenir la notion d‘étape scolaire si l’on veut définir la notion d’abandon prématuré. Il s’ajoute à cela des raisons d’ordre international; sans cette notion il serait impossible d’établir des statistiques comparables entre Etats dotés d’un système d’éducation de même type. Quant à la comparaison des statistiques établies pour des pays où les systèmes d’éducation sont de types différents, elle restera toujours

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problématique. Pour les raisons déjà indiquées, nous entendons ici par abandon en cours d’études le fait qu’un élève quitte l’école avant la fin de la dernière année de l’étape dans laquelle il est inscrit.

I1 résulte de cette définition que le fait de quitter l’école après la fin d’une étape obligatoire sans aborder l’étape suivante ne constituerait pas un abandon en cours d’études. Si, dans un système d’éducation donné, on estime par exemple qu’au terme d’un cycle de six ans d’enseignement pri- maire ou de base, il suíñt que 30 % seulement des élèves du groupe d’âge correspondant abordent le premier cycle des études secondaires, on ne considérera pas que les 70 % qui quittent définitivement l’école et trouvent un emploi approprié ont abandonné prématurément leurs études. De même, si la politique adoptée par un pays veut que tous les enfants accomplissent au moins neuf années d’études, mais que la moitié seulement d’entre eux entrent ensuite dans l’enseignement secondaire, on ne peut considérer comme déperdition scolaire l’autre moitié. D u point de vue de l’efficacité interne du système scolaire, ils ((mettent fin» à leurs études, sans pourtant les avoir abandonnées ((prématurément ».

I1 est évident qu’un taux d’abandons élevé dans le premier cycle des systèmes du type B ou C est très grave. Non seulement il révèle de façon symptomatique le mauvais fonctionnement du système, mais, étant donné que le cycle lui-même est court, les élèves qui abandonnent avant la fin n’ont probablement pas suffisamment consolidé leurs connaissances de base pour qu’elles résistent à l’oubli. O n sait maintenant que ceux qui abandonnent leurs études dans les premières années de leur scolarité risquent beaucoup plus de redevenir analphabètes que ceux qui terminent le cycle. Il en va de même pour les abandons qui se produisent pendant les années d’études correspondantes des systèmes de type A. En revanche, un abandon durant la septième ou la huitième année signiíie, il va sans dire, une perte par rapport aux objectifs du système; pourtant il n’aura vraisemblablement pas pour conséquence une perte totale de l’acquis scolaire. En général, quand les systèmes de type A ont les mêmes taux d’abandons par année d’études que ceux des types B ou C, ils ont de fortes chances d’être moins efficaces en matière de formation de diplômés du premier cycle. O n voit donc qu’il faut être prudent quand on compare des systèmes de types différents du point de vue des déperditions imputables aux abandons en cours d’études.

Dans le second degré, la notion d’abandon revêt un caractère beaucoup plus complexe. Le fait de ne pas achever une étape (entre 12 et 15 ans ou 15 et 19 ans) reste un signe de mauvais fonctionnement d’autant plus signi- ficatif qu’il a été procédé à une sélection à l’entrée. En outre, si des indices communs peuvent être utilisés pour signaler le mauvais fonctionnement mis

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en évidence par les abandons, l’ampleur du problème et les comparaisons entre pays sur la base de ces indices sont faussées par la diversité des sys- tèmes, notamment par la différence des taux de scolarisation. Si - il s’agit là d’un exemple théorique - dans deux Etats dotés de systèmes d’enseigne- ment comparables (B ou C), le taux d’abandons au cours de la deuxième ou troisième étape est sensiblement le même, mais que, dans le premier, le taux de scolarisation est de 80 %O, alors que, dans le second, il atteint seule- ment 25 %, l’ampleur relative de la déperdition imputable aux abandons n’est pas identique quand bien même, dans les deux cas, il y a perte.

Dans les pays où les systèmes scolaires sont du type B ou C, il existe souvent, de fait, une valeur de prestige attachée à certaines sections de la deuxième étape, même si cela n’est pas explicitement reconnu par la loi. Les autorités scolaires et l’opinion publique admettent couramment qu’une école secondaire classique vaut mieux qu’une école secondaire scientifique qui, elle-même, vaut mieux qu’une école professionnelle ou préprofession- nelle ou que les classes primaires parallèles. Un élève peut abandonner une école considérée comme ((supérieure)) pour entrer dans une école supposée ((inférieure)). Ce passage d’un établissement à l’autre ne peut guère être envisagé comme un abandon au même titre que le cas d’un élève qui quitte le systême scolaire. I1 représente un effort des systèmes pour assouplir la répartition administrative des élèves entre des établisse- ments de catégories différentes. Si ces systèmes peuvent prétendre avoir adapté l’enseignement à l’élève, le transfert d’un établissement à l’autre peut être considéré comme une forme très rudimentaire d‘orientation péda- gogique. I1 est certain qu’un taux élevé de transferts indiquerait un mau- vais fonctionnement du système.

Etant donné que l’abandon, tel qu’il est défini plus haut, n’est pas lié à l’existence ou à la durée de la scolarité obligatoire, le fait de quitter l’école avant l’âge minimal ne serait pas considéré comme un abandon, I1 découle également de cette définition que les élèves qui quittent l’école avant la fin d’une étape, mais qui ont satisfait aux conditions exigées par les lois sur la scolarité obligatoire en restant à l’école jusqu’à l’âge minimal, seraient considérés comme ayant abandonné l’école en cours d’études, En outre, même dans les pays où l’enseignement n’est pas obligatoire, un enfant qui a quitté l’école avant d’avoir terminé l’étape dans laquelle il était inscrit serait classé parmi les abandons. I1 convient de noter tout ce qu’implique la définition adoptée, étant donné que, dans certains cas, il y a conflit avec la notion plus générale d’«abandon prématuré)). Normale- ment, les pays où la fréquentation scolaire est obligatoire interprètent l’abandon avant l’âge minimal comme un abandon prématuré. Le terme d’«abandon prématuré» peut avoir aussi un autre sens dans les pays oÙ

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renseignement généralisé va au-delà de l’âge minimal à partir duquel on peut quitter l’école. C‘est ainsi que, dans certains Etats où l’enseignement peut cesser d’être obligatoire après neuf ou dix ans de scolarité, on n’en juge pas moins désirable que tous accomplissent les douze années d’études offertes.

L’idée qu’il serait souhaitable d’obliger tous les enfants à fréquenter l’école pendant un nombre déterminé d’années ne saurait être appliquée de façon universelle. La période d‘immaturité par laquelle passent les jeunes gens avant d’entrer dans le monde des adultes est d’une durée variable selon la complexité du milieu culturel. Tant qu’il subsistera des différences entre pays à cet égard, il est peu probable qu’on puisse se mettre d’accord sur la durée minimale ou optimale de la scolarité. En outre, ce n’est pas seulement une question de maturité. Cela dépend aussi de la manière dont une nation conçoit l’instruction au-delà d’un certain âge. L’existence de diverses formes d‘éducation postscolaire, organisée à l’échelon national ou local, permet de poursuivre l’enseignement au-delà de l’âge scolaire normal. U n enseignement de ce type, lié à un emploi comportant des responsabilités, peut légitimement être considéré comme un moyen à la fois souple et plus efficace de poursuivre ses études. Certains contestent ce point de vue et affirment que l’éducation postscolaire qui recouvre par- tiellement la période de scolarité fait double emploi et introduit un élément d’imprévision dans la poursuite des études, car il est injiniment peu pro- bable que les élèves dont la situation scolaire est tangente profitent des possibilités d’éducation qui leur sont offertes ultérieurement. Cependant, comme la notion d’une éducation étendue à toute la durée de la vie com- mence à s’enraciner et qu’on admet qu’il est absurde d’isoler les systèmes scolaires de leur contexte économique et social, l’éducation postscolaire tend désormais à être considérée comme un élément indispensable du système et non pas comme une opération de sauvetage destinée à récupérer les élèves qui ont abandonné prématurément leurs études,

REDOUBLEMENTS

Le second symptôme important de la déperdition scolaire que nous exa- minerons dans la présente étude, le redoublement, doit être défini soigneu- sement. Par redoublement on entend une année passée par un élève dans la même classe, à refaire les mêmes études que l’année précédente. I1 est utile de rappeler ici que le principe du redoublement se fonde sur plusieurs hypothèses qui ont trait à la nature de l’apprentissage scolaire et que plu- sieurs pratiques pédagogiques en découlent. Il suppose en premier lieu que le programme d’études jugé approprié pour un cycle donné - l’enseigne-

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ment primaire, par exemple -peut être fractionné en plusieurs parties, dont chacune exige un an d’enseignement et devrait pouvoir être assimilée dans ce même laps de temps par des enfants qui ont déjà maîtrisé la partie pré- cédente. Cela implique que le mode de fractionnement correspond aux possibilités des enfants et qu’il est adapté à leur âge. Il suppose en deuxième lieu que la plupart des enfants d‘une classe donnée sont intellectuellement capables d’assimiler les connaissances requises à une cadence minimale, tandis que le maître progresse systématiquement à travers le programme hé. En troisième lieu, il part de l’hypothèse que le maître ou l’examina- teur peut déterminer avec précision le niveau de connaissances que doivent atteindre les élèves à la fin d’une période donnée pour être capables d’abor- der ensemble le programme de la classe supérieure, I1 suppose, edin, que la meilleure façon de récupérer les enfants qui n’ont pas atteint le niveau requis à la fin de l’année est de leur faire recommencer entièrement cette année.

D e ces hypothèses dérivent certaines pratiques générales. D’abord les maîtres tendent à organiser leur enseignement de façon à pouvoir suivre le programme h é pour l’année selon un rythme qui dépend davantage du contenu du programme de chaque matière que de la faculté d’assimilation de leurs élèves, qui, le plus souvent, ne leur est pas familière. Quel que soit le rythme choisi, il sera toujours trop lent pour certains élèves et trop ra- pide pour d’autres. Par ailleurs, les élèves subissent des examens à la fin de l’année et sont divisés en deux groupes: ceux qui réussissent et ceux qui échouent. Les premiers passeront dans la classe supérieure, les seconds seront peut-être autorisés à rester dans la même classe une année de plus, pour tenter d’améliorer le niveau de leurs connaissances. La méthode d’examen peut être simple et expéditive; elle peut être plus nuancée et accorder aux élèves tangents la possibilité de travailler encore et de subir un nouvel examen avant qu’on ne statue sur leur sort. Mais, finalement, le résultat est le même: les élèves restent divisés en deux groupes: ceux qui passent dans la classe supérieure, et ceux qui, s’ils veulent rester à l’école, devront redoubler.

La diversité des pratiques suivies pour le passage dans la classe supé- rieure dans l’enseignement des premier et second degrés, dans les différents pays du monde, est telle que, pour en donner une image exacte, il faudrait traiter séparément du cas de chaque pays. I1 n’est pas souhaitable d’infliger au lecteur l’ennui d’une énumération qui contiendrait inévitablement une bonne part de répétitions avec des variantes relativement mineures. C‘est pourquoi les caractéristiques des pratiques suivies en matière de promo- tion dans les grandes régions du monde figurent au tableau ci-dessous.

20 L a déperdition scolaire : un problème mondial

Tableau 1 Méthodes utilisées en matière de promotion et de redoublement: régions et pays déterminés

Region ou pays

Promotion Redoublement Critkres de Qui décide du Nombre d’années automatique dans les promotion redoublement? qu’un &lève peut

passer dans une d’une classe classes à l’autre méme classe

Europe orientale

Yougoslavie

Europe occidentale

Autriche et Rép. fed. d’ Aüemagne

Belgique

Danemark Norvège et Suède Royaume-Uni

Amérique du Nord

Amérique du Sud

Brésil (quelques Etats) Equateur

Afrique

Kenya et Nigeria Ethiopie

1

1 et 2

1-7 1-9

toutes

toutes

-

toutes

1,3et5

- primaire

(pourcentage limité)

toutes

toutes

2 et au-dessus

3 et au-dessus

- -

toutes

- 2, 4 et 6

toutes

secondaire

notes scolaires (pas plus de deux notes insufisantes)

(pas plus de trois notes inférieures)

notes scolaires y compris les examens

notes scolaires y compris les examens notes scolaires y compris les examens

notes scolaires y compris les examens -

- examens

examens

conseil des 3 professeurs

3

maître 2 de classe

maître de classe

maître de classe

- -

école

école

2

2

illimiti

2 ou 3 2 ou 3

.

La nature du problème 21

Région Promotion Redoublement Critères de Qui décide du Nombre d’années ou pays automatique dans les promotion redoublement? qu’un élève peut

d‘une classe classes passer dans une à l’autre même classe

Asie - toutes examens école 1-3 Rép. de Chine primaire secondaire examens école 1-3 Japon, Corée primaire et et Malaisie premier cycle

secondaire Bahrain et 1-3 4 et examens école 1-3 Turquie au-dessus

Océanie toutes - - - -

Ce tableau synoptique a été établi d’après les données fournies en réponse à un questionnaire qui faisait partie de l’enquête menée par le Bureau international d’éducation et dont on trouvera l’analyse détaillée au chapitre 6. Pour plus de simplicité, on n’a pas fait de différence, dans la première colonne, entre la promotion automatique et la promotion pra- tiquement automatique, étant donné que nous nous intéressons à la pra- tique et non à la base juridique. On a indiqué les années d’études pour lesquelles il y a promotion automatique ou redoublement systématique. Si les critères de promotion retenus sont conformes aux renseignements fournis par les Etats membres, rien ne garantit que, dans certains cas, d’autres critères ne sont pas utilisés. De même, les deux dernières colonnes - où l’on indique la personne ou le groupe qui décide de la promotion et le nombre d’années pendant lesquelles un élève est autorisé à rester dans la même classe - sont établies d’après les renseignements fournis par les Etats membres, et rien ne permet d’assurer que tous les pays de la région agissent de même. Dans la mesure où des circonstances exceptionnelles sont connues, eiles sont indiquées séparément à propos de la région intéressée.

Un exposé encore plus général de la diversité des pratiques en matière de promotion les répartiraient en trois grandes catégories. Dans un pre- mier groupe figurent les pays où le redoublement est prévu systématique- ment dans toutes les années de l’enseignement des premier et second degrés et où le passage dans la classe supérieure dépend notamment d’examens annuels, la décision étant généralement prise par le maître ou par un con- seil de professeurs; en outre, le nombre d’années pendant lesquelles un élève est autorisé à rester dans la même classe est limité. Le deuxième groupe comprend les pays qui suivent une pratique analogue à celle du

22 L a déperdition scolaire: un problème mondial

premier, à cette exception près qu’ils ne précisent pas qui décide de la pro- motion et ne limitent pas le nombre d’années qu’un élève est autorisé à passer dans une même classe. Le troisième groupe est celui des pays où la promotion se fait sans examen et qui ne permettent pas, sauf dans des cas exceptionnels, le redoublement d’une année d’études.

I1 est tentant de rechercher s’il n’y a pas, dans ces systèmes de promo- tion, une évolution, un acheminement progressif vers des méthodes d’en- seignement individualisé qui ne considèrent pas le redoublement comme une forme valable d’orientation et ne recourent pas aux examens pour sanc- tionner la progression individuelle. La situation est cependant loin d’être aussi simple. Dans de nombreux pays européens avancés le redoublement est autorisé et les examens font partie des éléments sur lesquel se fonde une décision de promotion. Quant aux pays qui n’autorisent pas le redou- blement, il leur reste à démontrer, nous semble-t-il, qu’ils sont capables d‘organiser leur enseignement de manière que le rendement interne du système corresponde à son efficacité finale.

I1 est évident néanmoins que, lorsque la promotion dépend pour une grande part d’un succès aux examens, cette procédure limite les passages d’une classe à l’autre. Il est largement admis que les notes, qu’elles soient obtenues au cours d‘examens organisés par le maître ou au cours d’épreuves normalisées, ont une valeur relative. Au pire, elles sont l’expression de jugements inconséquents et subjectifs formés par les maîtres sur la base d’examens écrits peu sûrs, dont la validité n’est pas reconnue. Au mieux, elles expriment les résultats obtenus par un élève par rapport à ceux qu’obtiennent les enfants du même âge et de la même classe avec des marges d’erreur connues et un pouvoir de prédiction suffisant pour le passage dans la classe supérieure. Au pire, elles sont attribuées au hasard; au mieux, elles permettent des jugements absolus - sur le niveau considéré comme satisfaisant - définis en proportions d’élèves admis à passer dans la classe supérieure. Dans aucun des deux cas elles ne tiennent compte de la continuité de l’apprentissage, qui n’est pas divisible en unités adminis- tratives fractionnées et purement pratiques. Ainsi, on peut reprocher aux examens de manquer de pertinence, non pas tant en raison de leur nature que de l’usage traditionnel qu’on en fait. Les examens ne se justzent que si les renseignements qu’ils fournissent permettent de prendre des décisions véritablement pertinentes quant aux mesures de caractère éducatif à envisager à l’avenir dans l’intérêt de chaque élève. Si les examens sont con- sidérés comme des auxiliaires et non comme des déterminants de la déci- sion, ils peuvent être utiles. Malheureusement, ils ont tendance à prendre le caractère des décisions qui leur font suite. Ce n’est que lorsque celles-ci seront véritablement prises dans l’intérêt de chaque élève que les examens

La nature du problème 23

exerceront une influence positive sur l’orientation pédagogique. Même si l’on estime qu’une grande partie des déperditions scolaires dans le monde pourraient être éliminées par une simple décision administrative qui supprimerait le redoublement pour le remplacer par la promotion auto- matique et qui limiterait le nombre des abandons par l’obligation scolaire, il est clair que ces phénomènes sont en réalité l’expression d’une philo- sophie de l’éducation et des conditions économiques aussi bien que des habitudes culturelles. Aucun de ces éléments ne se modifie aisément et, dans ce chapitre, nous nous sommes efforcés de démontrer pourquoi il en est ainsi et sous quelles formes, dans les différents pays du monde, se manifestent ces phénomènes que tous s’accordent à appeler déperdition scolaire ».

Chapitre deux

Apercu général de la littérature

Les publications consacrées au problème des déperditions d’effectifs sco- laires reflètent inévitablement les préoccupations propres à chaque pays et leur contenu est en étroit rapport avec les systèmes d’éducation et les problèmes qu’ils engendrent. Nous nous occuperons dans le présent cha- pitre des ouvrages et articles qui ont été analysés dans le Bulletin du Bureau international d’éducation, quatrième trimestre, 1969, en laissant de côté tout ce qui a trait à l’enseignement supérieur et aux techniques applicables à la mesure des déperditions. Conformément à notre plan d’ensemble, l’étude des ouvrages et articles sera faite par région (voir Annexe 2).

En classant ainsi les références citées dans le Bulletin il apparaît claire- ment que le volume des publications intéressant chaque région est fonc- tion de l’intérêt qu’y suscitent les problèmes en cause et des moyens dont on dispose pour les étudier. C’est d’abord pour l’Europe occidentale, en- suite pour l’Amérique du Nord, que les publications relatives aux déperdi- tions d’effectifs scolaires sont les plus abondantes. C‘est pour l’mrique, sur laquelle l’Asie et l’Amérique du Sud n’ont à cet égard qu’une faible supériorité, qu’elles le sont le moins. Comme on le constatera à la lecture du chapitre suivant, il est regrettable que ce soit dans les régions du monde où les déperditions atteignent les taux les plus forts que, paradoxalement, le nombre le plus faible d’études les concernant aient été entreprises.

AFRIQUE

Pour l’Afrique, un seul des ouvrages analysés est d’origine locale, les autres ayant été rédigés par des Français ou des Anglais. I1 s’agit du reste d’une bibliographie portant sur la déperdition scolaire dans les pays arabes, qui émane du Centre régional de planification et d’administration de l’édu- cation pour les Etats arabes et a été publiée à Beyrouth en 1969. Cette biblio-

26 La déperdition scolaire : un problème mondial

graphie récente et fort complète, où la langue arabe tient la première place, permet de se documenter sur les ouvrages qui ont trait à la déperdition scolaire (formes, répartition, statistiques) ou aux plans et prévisions intéres- sant l’éducation. Elle concerne presque autant le Moyen-Orient que l’Afrique. Dans un ouvrage paru en 1964, Isabelle Deblé analyse, sur la base de données recueillies au Mali et en Côte-d’Ivoire, différentes méthodes d’évaluation des déperditions : elle attire en même temps l’attention sur l’immense gaspillage qui résulte du fait que beaucoup d’élèves ne termi- nent pas leurs études ou les terminent avec un certain retard. Dans un ouvrage non daté, postérieur à 1967, elle procède à une analyse très précise et détaillée des systèmes d’enseignement de 14 pays francophones d’Afrique. Elle y fournit des statistiques qui montrent quelle a été, pendant la période 1957-1966, l’ampleur des déperditions et des redoublements dans l’en- seignement du premier degré; en plus des causes qui peuvent tenir à la structure ou à la dynamique du système d‘éducation, elle examine un cer- tain nombre de facteurs connexes: temps, sexe, type d’établissement. A l’exception de deux courts articles de Collins (1964) et de Cameron (1965)’ aucun autre document concernant l’Afrique n’est mentionné dans le Bulletin. Le second de ces articles constitue une réponse au premier et tous deux ont trait aux causes économiques et sociales des déperditions qui se produisent dans différentes écoles et dans un institut technique de la Tanzanie. On constate, en les examinant, que les données recueillies sont insuffisantes pour qu’on puisse tirer d’utiles conclusions.

Ainsi, c’est en Afrique, vaste continent fortement peuplé où, de quel- que manière qu’on les calcule, les taux de déperdition scolaire sont les plus élevés, que ce problème a reçu le moins d’attention. Cela s’explique par bien des raisons, notamment par le souci quasi général qu’ont eu les pays africains de faire accéder aux écoles un nombre croissant d’élèves.

ASIE

Après la publication, en 1966, du rapport dans lequel Brown avait exa- miné, sur la base de données fournies par l’Unesco, quelques-uns des pro- blèmes de la déperdition scolaire (redoublements et abandons) dans l’en- seignement primaire de 21 pays (dont 9 d’Asie), l’Unesco a organisé à Bangkok, en 1966 également, un stage d’études sur la déperdition scolaire et les abandons en cours d’études, dont le rapport final a été publié en 1967 par le Bureau régional de l’Unesco pour l’éducation en Asie; la même année, dans un numéro spécial du Bulletin du Bureau régional, on en arrive à la conclusion que, dans les pays où le taux de la déperdition sco- laire est élevé, les redoublements contribuent plus fortement que les

Aperçu général de la littérature 27

abandons à cette déperdition et que, de plus, ils sont fréquemment suivis d‘abandons : on y soutient également que l’on ne saurait réduire la déper- dition scolaire au moyen d‘une seule méthode ou d’une action unique, car le système d’éducation tout entier est impliqué. I1 y a notamment un cer- tain nombre de points sur lesquels peuvent porter les efforts : la qualité de l’enseignement; la qualité de l’inspection; le matériel d’enseignement; les méthodes d’évaluation des programmes scolaires ; les rapports entre l’école et le milieu. Bien que la gravité des problèmes que posent dans toute l’Asie les redoublements et les abandons ne puisse être niée, les données sur lesquelles se fonde cette conclusion sont souvent incertaines. On peut citer comme contrastant avec elles les informations qui ont été rassemblées par l’Equipe de planification de l’Unesco en Afghanistan et dont il est fait état dans le rapport de Munier, et al. (1964). Sur la base de renseignements recueillis au moyen d’un questionnaire annuel et d’une enquête couvrant toutes les écoles de la capitale et un échantillon des écoles de province, l’Equipe de planification en question a pu identifier les cohortes entrées en première année en 1958/59 et les suivre tout au long du cycle primaire de six années. Les taux de passage, de redoublement et d’abandon ont été calculés pour chaque année d’études, et l’on a estimé que le taux de rendement du système scolaire était de 70%.

Quoi qu’il en soit, nous ne voudrions pas donner l’impression que les seuls problèmes qui préoccupent l’Asie sont ceux qui ont trait aux dé- perditions résultant des abandons et redoublements. Ayant déjà résolu en grande partie ces problèmes de déperdition, le Japon s’intéresse mainte- nant davantage à la question de l’absentéisme scolaire, que bien des pays d’Asie jugent évidemment d’une importance mineure quand ils la com- parent à leurs propres problèmes. I1 ressort d’une enquête menée en 1958 par le Bureau des recherches du Ministère de l’éducation du Japon que le taux d’absentéisme est passé de 1,43 % en 1952 à 0,70% en 1958, les ab- sences étant d’ailleurs dues à la maladie dans plus de la moitié des cas.

On s’est aussi beaucoup intéressé en Asie aux causes des abandons. Dans un ouvrage paru en 1965, Alvi étudie les causes des abandons dans les écoles primaires pour filles du district D. G. Khan au Pakistan. I1 cons- tate que, dans une cohorte ayant commencé l’école en 1959/60 pour finir la 4e classe en 1963/64, les .taux d’abandon à la fin de chacune des quatre années en question ont été respectivement de 663 YO, 33 YO, 24,6 % et 3 YO. L‘analyse des données recueillies par les écoles au moyen d’un question- naire et d’une liste-type de réponses montre que les causes d’abandon le plus fréquemment mentionnées sont les suivantes: la pauvreté (qui en- traîne notamment l’emploi des enfants dans l’agriculture); une attitude défavorable à l’égard de l’éducation des filles ; l’absence d’enseignement

28 La déperdition scolaire : un problème mondial

religieux à l’école; le nomadisme; le caractère défectueux des méthodes d’enseignement ; l’hostilité des propriétaires ; l’insuffisance des communi- cations; l’échec scolaire. Des conclusions analogues se dégagent du rapport (daté de 1960) qui donne les résultats de l’enquête qu’a effectuée à Ceylan, au cours de la période 1950-1960, un comité chargé de déterminer les raisons pour lesquelles certains enfants de 5 à 14 ans n’étaient pas scolari- sés. Là encore, la pauvreté est apparue comme constituant la principale cause de non-scolarisation et d’abandon des études. Chowdhury (1965) étudie un district du Bengale occidental; il a constaté que le taux de la déperdition scolaire (abandons et redoublements) y est élevé et il émet l’opi- nion que cet état de choses s’explique essentiellement par des facteurs éco- nomiques et par l’indifférence des parents vis-à-vis de l’éducation. Elizabeth Rowe (1 966) examine les données recueillies dans cinq écoles gouverne- mentales de Hong-Kong sur 150 enfants de 4e primaire. L’originalité de cette étude tient à ce que l’on s’est référé à une distinction préalablement opérée entre deux groupes d’élèves (des bons et des mauvais) ainsi qu’à de multiples facteurs familiaux et scolaires. Bien que certains des résultats ainsi obtenus soient assez parlants, il n’a guère été possible d‘établir de rapport suffisamment net entre les variations constatées dans les deux groupes pour servir de base à la détermination des mesures visant à pré- venir l’échec scolaire. Le Bureau de l’enseignement public (Bureau of Public Schools) des Philippines a publié une étude (sans date) sur les abandons dans les écoles élémentaires au cours de la période 1952-1955. I1 en ressort d’une part que 10 YO des enfants du groupe d’âge concerné ne sont jamais allés à l’école et que 75 YO de ceux qui se sont inscrits en pre- mière année ont quitté l’école avant d’atteindre la dernière année du cycle élémentaire. Le pourcentage des abandons chez les garçons (62 YO) s’avère d’autre part être près de deux fois plus élevé que chez les filles. L’étude met également en évidence le fait que les abandons sont essentiellement dus à des facteurs économiques, bien que l’échec scolaire et les facteurs fami- liaux et sociaux aient, eux aussi, une grande importance.

Bien que redoublements et abandons aient souvent été présentés comme étroitement liés entre eux, les études touchant les causes des re- doublements ont été sensiblement moins nombreuses. En Thaïlande, le Département de l’enseignement élémentaire et de l’éducation des adultes a publié en 1965 un rapport relatif aux élèves qui ne se présentent pas aux examens dans les classes primaires. D’après les auteurs de ce rapport - dont l’un des buts essentiels est d’éclairer le problème des redoublements -, près de la moitié des redoublants sont des élèves qui ne se sont pas présentés à l’examen de fin d’année pour les motifs suivants: maladie, niveau insuffi- sant de leur travail, manque d’intérêt pour les études, défense des parents,

Aperçu général de la littérature 29

etc. Toujours en Thaïlande, une étude beaucoup plus large a été réalisée par le Bangkok Institute for Child Study (1966). Elle a porté sur 25 000 enfants répartis entre un certain nombre d’écoles. Les tests de connaissances ont fait apparaître que, pour toutes les matières, les programmes de la lère à la 4e année prescrivaient un niveau qui n’était, en fait, jamais atteint par les élèves. On a en outre observé des variations régionales qui ont été considérées comme découlant en grande partie de variables écono- miques et sociales. En outre, on remarquait que, dans chaque classe, les enfants plus âgés ou plus jeunes que ceux qui avaient l’âge normal réussis- saient moins bien que ces derniers et que les résultats obtenus par les enfants dépendaient directement des qualiíìcations des enseignants et de la dimension de l’école. Le rapport signale tout particulièrement le désa- vantage dont souffrent les enfants qui parlent chez eux une langue diffé- rente de celle qui est utilisée comme moyen d’instruction. On en arrive finalement à la conclusion que le redoublement des classes ne paraît avoir aucun avantage pour élever le niveau des résultats.

Mis à part de vagues recommandations qui n’engagent personne, peu de propositions ont, semble-t-il, été faites quant aux moyens de remédier au grave problème que pose en Asie la déperdition scolaire. Trop souvent les recommandations demeurent très générales et, pour leur donner effet, il faudrait dépenser beaucoup plus d’argent que les pays intéressés n’en ont à leur disposition. Par exemple, lors du Stage d’études sur la déperdi- tion et la stagnation scolaire, qui a eu lieu à New Delhi en 1968, les parti- cipants ont critiqué le caractère archaïque de l’enseignement indien auquel ils ont reproché d’avoir été jusqu’alors principalement orienté vers la for- mation d’une élite; en vue d’améliorer le rendement des écoles, ils ont re- commandé l’établissement d’un vaste programme tendant notamment à familiariser les maîtres et les responsables de l’enseignement avec la péda- gogie expérimentale; ils ont également suggéré qu’une attention parti- culière soit apportée aux deux premières années de la scolarité obligatoire, pendant lesquelles les échecs se révélaient particulièrement nombreux. Une approche plus constructive apparaît dans le rapport de Rice (1969) qui décrit soixante centres pilotes destinés à réintégrer des enfants de 11 à 14 ans dans les circuits de l’enseignement et de l’emploi. Ces centres sont nés d’un projet entrepris conjointement par le Gouvernement de l’Inde et par différentes institutions des Nations Unies pour faire face aux pro- blèmes suivants : exode rural, difficultés qu’éprouvent les enfants à s’adap- ter aux exigences des écoles urbaines, pénurie de locaux, travail des jeunes. L’article décrit la vie dans un de ces centres, l’école de Shahdera, dont l’objectif est de ramener les enfants à l’école afin de leur donner une forma- tion correspondant à leur milieu et à leurs aptitudes. La moitié de la jour-

30 L a déperdition scolaire : un problème mondial

née se passe dans des ateliers; l’autre est consacrée à la formation générale. Le centre dispose d’un conseiller d‘orientation professionnelle et le con- tact avec la communauté reste constant.

E UR OP E ORIENTA LE

La plupart des publications d’Europe orientale qui ont trait à la déperdi- tion scolaire, considérée en termes de redoublements et d’abandons, viennent de la Yougoslavie. Deux études publiées en 1967, l’une par un organisme gouvernemental, l’autre par Capar, mettent en lumière la gravité de la situation. Dans la première de ces études la place essentielle revient à une projection du développement de l’éducation au cours de la période 1966-1970, et l’on y trouve aussi des tableaux pour la période 1960-1964. La gravité du problème des redoublements, de même que les progrès malgré tout réalisés, ressort des chffres qui montrent que le pour- centage des élèves terminant normalement la scolarité obligatoire de huit ans est passé de 40,2 % en 1960/61 à 43’8 % en 1961/62,45,7 % en 1962/63 et 47’9% en 1963/64. Dans la seconde des deux études susmentionnées, Capar fournit les indications suivantes : 38 % des élèves d’une génération ne réussissent pas à terminer leur scolarité dans le temps réglementaire; la proportion des élèves quittant prématurément l’école est à peu près la même pour les deux sexes; enfin, du point de vue des redoublements, les aptitudes des élèves et leur activité propre ont des effets à peu près équi- valents, tandis que les conditions socio-économiques dans lesquelles sont placés leurs familles n’ont qu’une influence très générale et souvent im- pondérable. SeEujski (1968) étudie la situation dans la province de Voj- vodina; il en conclut que, parmi tous les enfants d’une génération, 30% environ ne terminent pas l’enseignement primaire. I1 constate également que ce phénomène est principalement dû à l’insuffisance des résultats obtenus par les élèves et aux redoublements qui en découlent. I1 attribue ces mauvais résultats au processus d’enseignement lui-même et à des rela- tions peu satisfaisantes entre l’école et le milieu social. MujoviC: (1968) examine la situation au Monténégro: il constate que sur les 14 261 élèves inscrits dans la première classe de l’école primaire au cours de l’année scolaire 1959/60, 1626 élèves (11’5%) ne se trouvaient pas dans la 8e classe huit ans après et que beaucoup d’élèves, par suite d’un ou deux re- doublements, n’ont pas pu terminer l’école primaire dans la période ré- glementaire. I1 relève également que les taux de déperdition ont été beau- coup plus élevés pour les filles que pour les garçons. Il donne les raisons suivantes à ces déperditions: longues distances entre le foyer familial et l’école; programmes et plans d’études surchargés; pénurie d’un personnel

Aperçu général de la littérature 31

enseignant qualiñé; préjugés des parents quant à la nécessité d’éduquer les enfants, notamment les filles.

Les publications produites dans les autres pays d’Europe orientale ne contiennent pas d’indications aussi nettes quant à l’existence de déper- ditions scolaires qui poseraient un grave problème. Akolihska (1966) rend compte de recherches portant sur la déperdition scolaire au niveau du premier degré de l’enseignement général, effectuées dans les écoles de Varsovie pendant la période 1959-1964; elles ont mis en évidence les faits suivants: le taux de déperdition au cours de la scolarité obligatoire était moins élevé à Varsovie que dans le reste du pays (0,8% à Varsovie en 1959/60 contre 1,3 % dans le reste du pays); ce taux était plus élevé chez les garçons que chez les filles; les abandons étaient généralement précédés de redoublements; à partir de l’année scolaire 1962/63, cependant, aban- dons et redoublements avaient diminué grâce à l’application de la nouvelle procédure selon laquelle l’inscription d’un enfant doit toujours être précé- dée d’une enquête sur les conditions de vie qu’il trouve à son foyer; cette enquête permet l’identification de ce qui, dans l’environnement de l’enfant, peut nuire au déroulement normal des études; si des conditions défavo- rables sont relevées, on s’efforce d’y porter remède. D e son côté, Budarnyj (1966) indique que, même dans les écoles de Moscou et de Léningrad, beaucoup d’élèves redoublent une classe. Son article traite surtout des moyens de remédier à la situation et, notamment, des améliorations qui pourraient être apportées à la qualité du processus (( enseignement-acqui- sition des connaissances)). I1 rend compte de l’expérience suivante : des classes expérimentales furent créées dans quatre établissements pour des élèves en provenance de diverses écoles qui devaient redoubler une classe ; le nombre d’heures consacrées à certaines disciplines fut augmenté et l’on s’efforça d’assurer parallèlement l’étude du programme de l’année nou- velle et le rattrapage du retard qui motivait le redoublement. On modifia en outre les critères de notation de façon à stimuler davantage les élèves. A la fin de l’année les progrès réalisés dans les classes expérimentales étaient déjà importants; ils le furent davantage encore l’année suivante. L‘une des conclusions formulées dans l’article est qu’il peut y avoir intérêt à utiliser le système du passage ((conditionnel)) d’un élève médiocre dans la classe sui- vante, à condition que son maître et ses camarades l’aident dans ses études.

Deux auteurs polonais ont analysé, en se plaçant à des points de vue légèrement différents, les causes des échecs scolaires. Kupisiewicz (1 969) analyse les facteurs qui, dans l’organisation, le contenu ou les méthodes de l’enseignement, peuvent être à l’origine de ces échecs. I1 arrive à la conclusion que beaucoup d’abandons et de redoublements pourraient être évités si les enseignants connaissaient mieux les sciences de l’éduca-

32 L a déperdition scolaire : un problème mondial

tion et attachaient plus d’importance à l’étude de la personnalité des élèves ainsi qu’à la nécessité d’avoir constamment avec eux des contacts indivi- duels. I1 souligne l’intérêt de la méthode qui consiste à présenter les con- naissances sous une forme qui suscite l’apparition de problèmes que les élèves sont incités à résoudre; il signale aussi qu’il est important de diagnos- tiquer de bonne heure les faiblesses des élèves et que l’application aux inté- ressés de la thérapie pédagogique qui consiste à leur donner à faire chez eux des travaux spécialement conçus pour eux tend à réduire les échecs. Konopnicki (1966) suggère, quant à lui, certains moyens de repérer à temps les élèves qui, autrement, feraient vraisemblablement de mauvaises études; il identiiìe deux des facteurs qui risquent d’entraîner tôt ou tard un échec scolaire: l’insuffisance en arithmétique d’une part et le défaut d’aptitude à la lecture silencieuse d’autre part.

KuniCkin (1966), Demencev, et al. (1966) et Wieckowski (1968) consi- dèrent tous trois que l’amélioration des techniques pédagogiques constitue le meilleur moyen à employer pour réduire les déperditions. Leurs études montrent le rôle que peut jouer dans l’amélioration de la qualité de l’en- seignement la méthode qui consiste à placer les élèves (pris individuelle- ment ou en groupe) devant des problèmes qu’ils sont incités à résoudre; elles montrent aussi l’intérêt que présentent le contrôle et l’évaluation des connaissances acquises. L‘effort collectif à demander à un groupe d’élèves en vue de la solution d’un problème est présenté comme particulièrement utile. L’importance du contact des enseignants non seulement avec les élèves, mais aussi avec leurs parents, est mise en évidence.

EUROPE OCCIDENTALE

En Europe occidentale comme en Europe orientale on s’est moins préoc- cupé, dans la plupart des études, d’évaluer quantitativement les déperditions scolaires que d’en découvrir les causes et de rechercher les moyens de remé- dier à la situation. Trois articles montrent que les déperditions en Europe occidentale demeurent suffisamment importantes pour qu’il y ait lieu de s’en préoccuper. Belser a effectué une série d’enquêtes dans les écoles primaires de Hambourg et il a constaté que, sur 1624 élèves ayant quitté le second cycle de l’enseignement primaire durant les années 1963-1966, 16% n’avaient pas terminé leurs études par suite de redoublements; en outre, parmi ceux de ces 1624 élèves qui avaient terminé leurs études, 24’9% avaient redoublé au moins une classe. En France également les redoublements ont été considérés comme posant un problème majeur. Blot (1966), dans une étude limitée aux cinq classes de l’enseignement pri- maire, met en évidence un taux de redoublement élevé: il a constaté que,

Aperçu général de la littérature 33

sur un effectif scolarisé de 4,9 millions d’élèves, 15 à 20 YO avaient redoublé au moins une classe. Dans le cadre d’une étude plus limitée, Girard (1969) a observé un échantillon de 17 500 élèves pendant et après les cinq années qui ont suivi leur sortie du cycle élémentaire. I1 est arrivé à la conclusion que, si l’on élargit l’accès à l’enseignement du second degré sans modifìer le contenu des études, il en résultera un accroissement du retard scolaire et un vieillissement généralisé de la population scolaire. Il a également cons- taté que le retard se compense rarement au cours du temps, mais a plutôt tendance à s’accumuler.

Depuis dix ans, le thème qui, en Europe occidentale, a fait l’objet de la très grande majorité des études est celui des relations entre la classe sociale et les possibilités d’éducation. Bien qu’il s’agisse là d‘une question qui n’est pas directement liée à celle des déperditions, son étude met en évidence une importante tendance sociale qui n’est pas sans rapport avec le problème des échecs scolaires. Le fait que les enfants issus de classes sociales inférieures sont plus susceptibles de subir un échec scolaire donne quelques indices sur les causes qui peuvent empêcher un élève de réussir. D e Coster (1962), Erlinghagen (1965), Clerc (1964), Jackson (1966), Peisert (1967)’ Christoph (1968)’ Ingenkamp (1968), Boer (1968), Reuchlin (1969) et Seid1 (1969) mettent en lumière, les uns comme les autres, l’exis- tence d’un rapport incontestable entre la classe sociale et les possibilités d’éducation. Outre l’identiñcation de ce rapport qui se manifeste par des variations dans les pourcentages des divers groupes sociaux recevant une éducation privilégiée, on définit dans ces études différents concepts desti- nés à situer les zones administratives et géographiques où prévalent cer- taines déficiences en matière d’éducation liées à des causes sociales. Peisert appelle ((régions de moindre densité culturelle)) les régions dans lesquelles la population de 16 à 19 ans ne fréquente les établissements scolaires qu’à raison de 3,4%, alors que, pour l’ensemble de la République fédérale d‘Allemagne, le pourcentage correspondant est de 14,s YO. Eggleston (1967, I & II), de son côté, attire l’attention sur l’importance des effets que peut avoir le climat social de l’école: d’après lui, les chances plus ou moins grandes qu’a un écolier de réussir ne dépendent pas uniquement de la situation socio-économique de sa famille, mais aussi du niveau de la classe sociale qui prédomine dans la région où se trouve l’école, des caractéristiques du groupe de pairs dans lequel il se trouve englobé et du climat social de l’école.

Mettre en évidence et localiser les facteurs sociaux défavorables à l’éducation ne constituent qu’un premier pas sur le chemin qui peut mener à l’identification des causes directes de l’échec scolaire. Peisert (1969, le Council for Educational Advance (1966), Jackson (1966), Girard (1963)

34 L a déperdition scolaire: un problème mondial

considèrent que l'attitude des parents à l'égard de l'école et l'intérêt qu'ils portent à l'éducation tiennent une place fondamentale dans les motifs qui incitent les enfants à bien travailler en classe et à résister aux tendances qui pourraient leur faire quitter prématurément l'école. Dans une étude qui porte sur la République fédérale d'Allemagne, Roeder, qui s'est inspiré des vastes travaux entrepris en Angleterre par Bernstein, indique que plus on descend l'échelle sociale, plus les différentes barrières linguistiques se manifestent de façon accusée.

Pour expliquer les échecs scolaires, il est souvent fait mention de facteurs psychologiques qui, sans être en rapport avec la condition socio- économique, ont une grande importance. Bassi (1965), Kaiser (1966), Kirchhoff (1965), Stienlet (1964), Geller (1965) et Gutierrez (1964) attirent l'attention sur les rapports qui existent entre les échecs scolaires et l'insta- bilité émotionelle. Le sentiment de sécurité del'enfant,le degré de stabilité de son foyer, les succès et les échecs qu'il a déjà connus, ses déficiences physi- ques et mentales, tels sont certains des facteurs qu'il faut souvent prendre en considération pour rechercher les causes des mauvais résultats scolaires, des comportements scolaires défectueux, des abandons et des redoublements.

On constate souvent que les échecs scolaires s'expliquent par toute une multiplicité de causes. Avanzini, par exemple, fournit une longue liste des facteurs familiaux et scolaires dont peut dépendre la réussite ou l'échec. Mais affirmer que l'on est en présence de causes multiples ne permet pas de dire comment elles se combinent pour produire leurs effets, à moins qu'on ne les étudie conjointement. Or peu de travaux ont été entre- pris dans cette perspective et, pour la plupart, comme c'est le cas pour Douglas (1964) et Roller (1963), ils ont consisté à manipuler les statistiques pour tenter de vérifier certaines interactions sans toutefois se lancer dans des études expérimentales. Des études longitudinales comme celle de Douglas sont cependant fort intéressantes pour mettre en évidence la chaîne de circonstances qui, avec le temps, peuvent produire l'échec. Les rapports sur les remèdes qui ont fait leurs preuves sont moins nombreux que les études critiques remplies d'exhortations. Le Gall (1967) présente l'orientation comme un moyen d'amélioration de l'adaptation scolaire. Mais le mot ((orientation)) peut aussi signifier l'organisation de services consultatifs dans les collectivités où l'éducation se heurte à des conditions défavorables. Aurin (1968) indique que, dans le Bade-Wurtemberg, la proportion des enfants continuant jusqu'au bout leurs études a augmenté plus rapidement dans les ((régions de moindre densité culturelle )) où avaient été institués des centres d'orientation que dans l'ensemble de la province.

La réforme des méthodes et du processus d'enseignement est égale- ment préconisée. Bastin (1966) soutient qu'il importe d'adapter l'école aux

Aperçu général de la littérature 35

enfants ; il explique que l’éducation traditionnelle est trop livresque, qu’elle donne trop de place aux heures de classe et pas assez aux exercices physiques. Landmann (1967) propose pour la réforme de l’enseignement un programme en quatre points inspiré des principes de Pestalozzi. Lobrot (1966) voit dans l’institution d’enseignement de type traditionnel un système bureaucratique OU le maître et l’élève sont enserrés dans un réseau contraignant d’obligations formelles qui entravent l’éducation. I1 soutient qu’il faudrait abolir la relation d’autorité et instituer l’autogestion dans la classe, le rôle du maître devenant ainsi celui d’un ((moniteur)). Zweifel (1967) émet l’idée que, malgré leurs limitations bien connues, l’enseigne- ment programmé et les machines à enseigner pourraient répondre aux be- soins de l’enseignement secondaire et il exprime l’opinion que, même si les échecs scolaires posent un problème réel et sérieux, c’est le problème des inégalités sociales en matière d’éducation qui doit retenir en premier lieu l’attention. Les causes de ces inégalités sociales et les moyens d’y re- médier ont naturellement fait l’objet de bien d’autres publications que celles qui sont mentionnées dans le Bulletin.

AMÉRIQUE DU NORD

En ce qui concerne l’Amérique du Nord, on a laissé de côté, dans le Bulletin, la plupart des nombreux ouvrages et articles qui traitent des facteurs sociaux défavorables à l’éducation pour donner une place de choix à ceux qui portent sur le problème particulier des abandons. I1 faut égale- ment signaler que, par rapport aux autres régions examinées jusqu’ici, il est accordé, en Amérique du Nord, une importance particulière aux études consacrées aux moyens de remédier à la déperdition scolaire. Enfin, étant donné que les redoublements sont rares en Amérique du Nord et que les services d‘orientation scolaire y sont nombreux, la question des redouble- ments n’a pas été traitée.

Mais il ne manque pas aux Etats-Unis de vastes ouvrages concer- nant les abandons en cours d’études. Dentler (1968) avait entrepris en 1963 une étude visant d’abord à déterminer les taux d’abandons respectifs dans différentes villes, ensuite à découvrir si les variations dans ces taux pouvaient être associées à certaines caractéristiques de l’économie locale et de la structure sociale et, enfin, à faire une analyse comparée de l’effi- cacité des programmes de prévention de la déperdition scolaire. I1 cons- tate que les différences dans les taux d’abandons au niveau secondaire et les différences dans les niveaux d’analphabétisme fonctionnel des adultes dépendent, dans les grandes villes, des différences que l’on peut observer dans la composition, le volume et la stabilité de la population, dans la

36 L a déperdition scolaire : un problème mondial

structure de l’emploi, le revenu personnel et les conditions de travail. Il note égaiement que les villes dont les taux d’abandons et d’analphabétisme sont supérieurs à la moyenne sont celles qui dépensent le plus pour l’édu- cation, l’hygiène et la santé publique et que l’on ne peut pas établir de liens entre le caractère des programmes éducatifs ou sociaux et les chiffres qui correspondent au taux de la déperdition scolaire ou au taux de l’anal- phabétisme chez les adultes. I1 émet l’opinion assez surprenante qu’une aug- mentation de la croissance économique des communautés urbaines devrait se combiner à un accroissement et une diversification des assurances sociales à l’intention des individus et des familles pour que puissent cesser de jouer, dans le domaine de l’éducation, les facteurs qui compromettent la sécurité économique; il souligne à ce propos que les programmes scolaires et so- ciaux qui cherchent à traiter directement de la prévention des abandons ou de la suppression de l’analphabétisme sont ((inopportuns sinon futiles ».

Schreiber (1964) rend compte d’un projet qui, entrepris par la National Education Association, visait à l’analyse du ((pouvoir de rétention)) des systèmes scolaires de 128 grandes villes des Etats-Unis (villes de plus de 90 O00 habitants) : cette analyse montre d’une part que, pendant la période considérée (1960-1963), la situation au niveau de la dixième année d’études s’est améliorée et, d’autre part, que l’importance de la déperdition dépend de l’importance de la ville. Voss (1966) signale que les élèves qui aban- donnent l’école en cours d‘études ne constituent pas aux Etats-Unis un groupe homogène et qu’il importe de distinguer entre les abandons qui se font à un stade précoce et ceux qui se font à un stade plus avancé. I1 indique que, parmi les élèves qui quittent prématurément l’école, ceux qui ont peu d’aptitudes le font généralement plus tôt que les élèves ((capables)). I1 distingue trois groupes d’élèves parmi ceux qui quittent l’école prématuré- ment: d’abord, les élèves qui quittent l’école sans l’avoir voulu, à la suite d’une crise personnelle; ensuite les enfants retardés, qui n’ont pas les capacités nécessaires pour poursuivre des études et abandonnent en géné- ral l’école avant d’entrer dans l’enseignement secondaire; enfin, les élèves capables, qui abandonnent leurs études avant d’avoir terminé l’enseigne- ment secondaire bien qu’ils aient les capacités nécessaires pour faire des études académiques. Après examen de la littérature sur les programmes contre la déperdition scolaire qui ont déjà fait leurs preuves et ont été évalués du point de vue statistique, Russell (1968) répartit, quant à lui, les élèves qui abandonnent leurs études dans les trois catégories suivantes : ceux qui ont des difficultés en milieu scolaire mais qui s’adaptent bien au monde du travail; ceux qui ont de la peine à s’adapter tant à l’école qu’à la société; ceux qui requièrent un traitement particulier à l’école et parfois une aide extérieure à l’école. I1 souligne ensuite que, si les caractéristiques

Aperçu général de la littérature 37

semblent être communes aux jeunes qui viennent des milieux socio-écono- miques inférieurs, elles ne sont pourtant pas spécifiques à ces milieux.

Vincent (1966) nous donne une vision plus agréable de l'avenir auquel peuvent prétendre ceux qui abandonnent leurs études. Un certain nombre d'élèves de sexe masculin, qui avaient abandonné leurs études en lle classe dans trois écoles secondaires publiques de Calgary, au Canada, ont été observés pendant une période s'étendant sur trois à six années après cet abandon. Les constatations faites ne correspondent pas du tout à l'idée généralement admise selon laquelle les jeunes qui quittent préma- turément l'école constituent un fardeau pour la société. I1 s'est révélé que beaucoup des jeunes gens en question faisaient une carrière très réussie, tant du point de vue du niveau et de la stabilité de leur emploi que du point de vue lucratif. Beaucoup d'entre eux avaient suivi des cours d'édu- cation postscolaire en vue d'améliorer leur situation professionnelle et l'on pouvait s'attendre à les voir jouer un rôle utile dans la société. L'ar- ticle plaide en faveur d'un examen moins rigide du problème de l'abandon en cours d'études et vise à montrer que, panni les jeunes qui abandonnent leurs études, certains peuvent, s'ils savent s'adapter au monde du travail, en faire bénéficier la société et eux-mêmes.

A la suite de son étude sur la déperdition scolaire, Schreiber (1968, 1 et 2) analyse les causes du phénomène en question. I1 insiste sur la mul- tiplicité de ces causes, qui sont en grande partie extérieures à l'école et reflètent l'état actuel d'une société OU l'on observe un taux élevé de chômage parmi les jeunes, une hausse constante de la délinquance, de grandes migrations vers les centres urbains et une véritable explosion démographique. I1 exprime l'opinion que les écoles doivent non seulement assouplir les conditions qui favorisent le développement des attitudes et du comportement qui sont à l'origine de la déperdition, mais encore offrir à leurs élèves, notamment en leur donnant la motivation nécessaire, les moyens de mieux réussir dans leurs études. Lichter (1968) a fait, pour la période 1954-1958, une étude portant sur des garçons et filles qui, inscrits dans des écoles secondaires publiques de Chicago, risquaient, malgré de bonnes aptitudes intellectuelles, d'abandonner prématurément leurs études. Son rapport donne un aperçu des difficultés psychologiques des adoles- cents; il y passe en revue une série de cas et indique comment peuvent se présenter les ((profils )> des élèves qui quittent prématurément l'école et ceux de leurs parents. Elliott (1966) a, lui aussi, cherché à identifier cer- tains des grands facteurs qui peuvent expliquer que des élèves doués du point de vue intellectuel quittent prématurément les écoles secondaires. Son article met l'accent sur les causes qui ne sont pas directement liées à la situation scolaire et notamment SUT l'importance de l'appartenance à

38 L a déperdition scolaire : un problème mondial

une certaine classe sociale ou à un groupe minoritaire. I1 y est rappelé que les adolescents qui appartiennent à certaines classes ont tendance à se conformer aux normes de leur environnement. Il y est également indiqué que la personnalité de l’élève et l’attitude de sa famille vis-à-vis de l’éduca- tion peuvent se combiner pour conduire à l’abandon des études. Raph (1966) et Bricklin (1967) ont, eux aussi, attiré l’attention sur le problème des enfants intelligents qui réussissent mal dans leurs études.

Le Bulletin signale également quelques-unes des très abondantes publications qui traitent des facteurs sociaux défavorables à l’éducation. Witty (1967), dans la première partie de l’Annuaire 1966 de la National Society for the Study of Education (Etats-Unis), passe en revue les pu- blications relatives aux problèmes que posent d’une part les enfants qui sont en retard dans leurs études et d’autre part ceux qui sont désavan- tagés du point de vue culturel ou social. Passow (1967) a dirigé la publi- cation d’un ouvrage OU sont rassemblées différentes études relatives à l’édu- cation des ((enfants désavantagés)), c’est-à-dire des enfants appartenant aux couches sociales économiquement ou culturellement sous-développés des Etats-Unis. On y trouve une collection des principaux articles qui mettent l’accent sur la nécessité d’agir et d’apporter aux problèmes en cause des solutions efficaces. Rees (1968), après avoir examiné ce qu’il faut entendre par ((enfants désavantagés)) et ce que doivent être les «pro- grammes d’éducation compensatrice )) destinés à ces enfants, passe en revue les projets et activités qui ont été menés à bien dans ce domaine aux Etats-Unis. Cervantes (1965) étudie les facteurs sociaux et économiques qui sont à l’origine des abandons en cours d’études dans les zones urbaines des Etats-Unis, les comparaisons auxquelles il se livre portant sur des élèves qui vivent dans des conditions socio-économiques similaires. I1 cherche à déterminer comment a joué, pour différents élèves, l’influence des amis et de l’expérience scolaire et expose ses techniques et instruments de travail. Jensen (1967) émet une idée explosive en soutenant que l’intelli- gence est essentiellement déterminée par des facteurs héréditaires ; cela ne l’empêche pourtant pas de signaler que certains déficits du milieu peuvent réduire les possibilités d‘éducation. D’après lui, le plus important de ces déficits se fait sentir dans le domaine du langage qui, chez les enfants en cause, n’atteint pratiquement jamais, souligne-t-il, le statut d’instrument de la pensée, mais reste toujours au niveau d’un instrument primitif de communication et d’interaction sociale.

Les ouvrages relatifs aux moyens de remédier à la déperdition scolaire ne manquent certes pas aux Etats-Unis. Schreiber (1964) traite des pro- cessus d’orientation applicables aux élèves susceptibles d’abandonner leurs études. Certains programmes visent à empêcher les abandons. Tel est le

Aperçu général de la littérature 39

cas de celui que décrit Kruger (1969) dans un article où il fait allusion à un syndrome d’incapacité (alienation-disability syndrome) et indique que les cinq millions de dollars votés par le Congrès pour permettre aux écoles de mettre sur pied des projets modèles serviront: à l’amélioration des rela- tions maître-élève notamment par l’élargissement de la part de responsa- bilité attribuée aux élèves dans l’organisation du travail; au développe- ment d‘une nouvelle conception des locaux scolaires; à la revision du con- tenu des programmes (afin de les mettre plus étroitement en rapport avec la réalité quotidienne); à l’adoption de méthodes basées sur les récom- penses en cas de réussite; à l’organisation de services nombreux et diver- sifiés à l’intention des élèves; à la participation plus active de la famille. Deux écoles dont le but est de récupérer les jeunes qui auraient abandonné prématurément leurs études sont décrites dans le Carnegie Quarterly (1968). Ces écoles, financées par des fondations privées, reçoivent des élèves de 16 à 21 ans et se caractérisent par des structures extrêmement souples. Les élèves peuvent y faire, à leur propre rythme, les études dont ils ont besoin pour compléter leur formation. L’école confère trois sortes de certificats qui permettent l’accès à différentes professions et l’entrée au college. D’autres programmes visent à donner aux jeunes gens qui ont quitté prématurément l’école la possibilité de suivre des cours d’éducation postscolaire qui paraissent devoir mieux leur convenir que l’enseignement scolaire. Herzog (1966) décrit l’une des poverty prep schools qui ont été créées à New York. Cette école donne à ceux qui la fréquentent la possi- bilité d’apprendre un métier et de compléter leurs connaissances de base. Elle veille à l’orientation professionnelle de ses élèves et cherche surtout à leur donner confiance en eux-mêmes. Herzog indique que les résultats ainsi obtenus sont positifs et que presque tous les élèves de l’école en question y reçoivent une formation professionnelle complète sanctionnée par un diplôme qui leur permettra, par la suite, de trouver un emploi et de vivre désormais en harmonie avec la société.

Faisant contraste avec l’article empreint d’optimisme de 1’Education Digest (1966) où il est fait mention de dix programmes qui ont effective- ment contribué à la diminution du nombre des abandons, l’article de Scales (1969) rend compte d’une étude sur laquelle l’auteur se fonde pour affirmer qu’il n’y a pratiquement pas de relation entre la prévention de l’abandon et les programmes scolaires mis au point pour assurer cette pré- vention. Même les écoles qui disposent de programmes préprofessionnels spécialement adaptés aux besoins supposés des adolescents qui risquent de quitter trop tôt l’école n’obtiennent pas, est-il précisé, de résultats no- tables. On constate cependant que la déperdition scolaire diminue dès que l’élève est encadré solidement par des adultes qui s’occupent de lui et qui

40 L a déperdition scolaire : un problème mondial

établissent avec lui un lien personnel et affectif. Kaufman (1968) attire l’attention sur le coGt élevé des programmes spéciaux visant à prévenir la déperdition scolaire. I1 signale en outre que la formation des maîtres est souvent insuffisante et incomplète et que les critères appliqués à la sélec- tion des élèves dont on pense qu’ils risquent de quitter prématurément l’école sont parfois erronés.

AMÉRIQUE LATINE

En Amérique latine, la plupart des publications qui nous intéressent ici décrivent les problèmes que pose la déperdition scolaire et visent à fournir à ce sujet des données quantitatives. Les grands pays sont naturellement mieux documentés sur la question que les plus petits. Dans le cas de l’Ar- gentine on dispose, pour la dernière décennie, d’un important ensemble de statistiques. C’est ainsi qu’Arévalo (1963) présente, telles qu’elles ont été extraites des rapports du Conseil national de l’éducation, d’importantes données sur les taux d’abandons et le rendement scolaire en Argentine. Son ouvrage fournit pour les six premières années d’études (élèves de 6 à 13 ans soumis à l’obligation scolaire) des tableaux statistiques relatifs aux inscriptions, aux enfants non scolarisés, à l’absentéisme scolaire et aux abandons. D e son côté, le Consejo federal de inversiones (1964) traite du problème des abandons dans un ouvrage qui contient des données statis- tiques et où sont en outre formulées des hypothèses sur les causes des dé- perditions scolaires (qui peuvent en particulier s’expliquer par les défi- ciences du système scolaire lui-même ou par des facteurs liés aux milieux socio-économiques dont sortent les élèves). L’étude de l’organisation de coopération et de développement économiques sur l’éducation, les res- sources humaines et le développement en Argentine (1967) met l’accent sur les aspects méthodologiques de la planification de l’éducation et de la main-d’œuvre. Elle traite de l’efficacité interne du système d’enseignement et, en particulier, du sérieux problème des abandons et des redoublements. Les données y sont analysées par degré et type d’enseignement. Il en ressort que, malgré le taux élevé de scolarisation du groupe d’âge de 6 à 12 ans, un élève sur deux seulement termine l’enseignement primaire non sans avoir d’ailleurs redoublé une classe. 11 y est indiqué que, par suite des taux élevés d’abandons et de redoublements, près de douze années-élève environ sont nécessaires, au lieu de sept, pour produire un diplômé de l’enseignement primaire. La situation est meilleure à cet égard dans les écoles secondaires, mais dans l’enseignement technique et supérieur le taux des abandons est considérable. Le secrétaire d’Etat à l’éducation et à la culture (1969) attire l’attention sur le faible rendement du système

Aperçu général de la littérature 41

scolaire argentin et émet l’idée que cette faiblesse pourrait tenir à une mauvaise structure du système lui-même. Il propose dans son ouvrage une réorganisation portant à la fois sur les programmes, sur l’articulation des divers cycles, sur la scolarité obligatoire et sur la promotion. Il propose également que l’on s’efforce de déterminer les facteurs sociaux, culturels et psychologiques qui peuvent être à l’origine de la déperdition scolaire. Mais si des plans d’ensemble de ce genre ont été établis en vue de réduire la déperdition scolaire, on ne trouve guère de publications en Amérique latine qui témoignent de l’application de remèdes précis.

Dans le cas du Brésil, un rapport de l’lnstituto nacional de estudos pedagogicos (1964) et un gros ouvrage en deux volumes émanant du Minis- tère de la planification (1969) permettent de se faire une idée de la situation. Le premier met en évidence, au moyen de tableaux statistiques, les liens qui existent entre l’éducation et les facteurs économiques; les variables relatives aux institutions économiques et sociales et aux institutions d’édu- cation y sont prises en considération et l’on trouve une analyse des données relatives à l’insuffisance ou à la surabondance des effectifs scolaires, aux échecs scolaires et aux abandons en fin d’année. Dans le second ouvrage, il est d’abord question de l’expansion et de la réforme de renseignement; un effort est ensuite fait pour définir les objectifs stratégiques à viser et pour évaluer les besoins de l’enseignement moyen et supérieur en 1970.

Au Chili, le problème national découlant de la déperdition scolaire a été particulièrement étudié par Hamuy Berr (1961) qui considère que ce sont les abandons qui jouent le rôle le plus important dans cette déperdi- tion, puisque c’est à eux qu’est dû le plus grand nombre d’analphabètes ou d’individus n’ayant qu’une instruction très réduite. I1 indique également que, pour étudier les abandons, il a suivi pendant plusieurs années un groupe d’élèves, en prenant note de la plus ou moins grande régularité avec laquelle chacun fréquentait l’école et en relevant le nombre des promo- tions, des redoublements et des abandons momentanés ou définitifs; il a ainsi constaté que les facteurs qui influaient le plus sur les abandons étaient les suivants: lieu de résidence, âge d’entrée en classe, niveau économique des familles et situation géographique de l’école.

En ce qui concerne le Paraguay, Margarita Ortiz de Salcedo analyse quantitativement le problème de la déperdition scolaire. Elle indique qu’il y a au Paraguay un,taux élevé de redoublements et d’abandons et que 10 YO seulement des élèves entrés en première année primaire en 1949 ont achevé leurs études primaires. Elle indique également que des mesure sont été prises pour déterminer les causes de la déperdition scolaire au moyen d’une enquête portant sur quelque 490 écoles primaires. Au Pérou, le Ministère de l’éducation a fait paraître un ouvrage en deux parties (1967) qui traite

42 L a déperdition scolaire: un problème mondial

d'abord de la structure du système d'enseignement et fournit ensuite des statistiques dont certaines ont trait à la fréquentation scolaire et aux abandons. I1 est également rendu compte dans cet ouvrage d'une étude portant sur des élèves de l'enseignement primaire et moyen, qui a permis de procéder à des comparaisons sur les causes d'abandons, au nombre desquelles figurent les problèmes familiaux, économiques et scolaires. Le problème de l'abandon des études à la fin de l'enseignement primaire y est considéré comme particulièrement sérieux.

Les facteurs socio-économiques défavorables à l'éducation paraissent avoir retenu particulièrement l'attention au Mexique. Les documents de travail présentés lors d'une conférence latino-américaine, tenue à Mexico en 1963, furent rassemblés dans un ouvrage (1964). On y trouve notam- ment une étude pilote spéciale préparée par l'Institut national de pédagogie du Mexique, qui visait à repérer les facteurs sociaux, économiques et cul- turels, étrangers à l'école, dont les incidences affectent la formation de l'enfant. Les analyses effectuées ont montré que le niveau socio-écono- mique et le niveau culturel de la famille sont en étroite relation avec la formation des enfants et avec leur rendement scolaire. D e son côte, G. de la Peña (1968) rend compte d'une étude menée au Mexique pour déceler les obstacles à l'instruction qui résultent de la stratification socio-écono- mique. Elle souligne le fait que son étude, quoique incomplète, fait res- sortir l'influence probable qu'exerce le milieu socio-économique sur la capacité individuelle et le désir d'étudier qu'ont les écoliers. Elle recom- mande l'amélioration des services de planification scolaire et des méthodes utilisées pour déterminer la politique scolaire.

L'ouvrage de Walker (1968) décrit de façon fort vivante les efforts massifs de Porto Rico pour améliorer la situation déplorable résultant de la déperdition scolaire. Le Centro de oportunidades educativas groupe 800 adolescents et adolescentes qui avaient abandonné leurs études. Ils suivent 1à des cours adaptés à leurs talents et à leurs besoins, sans être répartis en classes graduées. Ils résident pour la plupart au centre même et chacun est affecté à l'un des six principaux groupes prévus aux fins d'enseignement. Dans chaque groupe, les programmes, qui permettent de conquérir un diplôme secondaire normal, sont axés sur tel ou tel des objectifs spécifiques suivants : préparation aux professions intellectuelles ; formation technique ; formation professionnelle; études pour ceux qui n'ont pas encore choisi de carrière; enseignement du niveau de la première année des études supé- rieures; études postsecondaires. Ce qui fait l'originalité du centre, c'est la grande souplesse du système qui y est appliqué, grâce à laquelle une forte proportion des élèves ont pu mener à bien leurs études.

Chapitre trois

Ampleur et localisation

Afin de mieux comprendre la fragilité des tentatives actuelles d'évaluation de la déperdition, il vaut la peine de revenir sur certaines mises en garde déjà signalées dans le chapitre un.

Toute étude comparative de l'ampleur des déperditions scolaires ne peut être, à ce stade, que très approximative étant donné l'absence de normes internationales applicables aux principaux aspects des systèmes d'éducation, à leurs objectifs et à leur fonctionnement. Les objectifs adaptés à un pays ne le sont pas nécessairement à un autre. Si leur uni- formité n'est pas indispensable à l'établissement de comparaisons inter- nationales, comme l'ont fort bien montré les travaux de l'Association in- ternationale pour l'évaluation du rendement scolaire (IEA), il est impor- tant de savoir quels sont les objectifs d'un pays et en quoi ils diffèrent de ceux d'autres pays, si l'on veut déterminer d'une façon valable, sur le plan international, dans quelle mesure ils ont été atteints. D e même, l'inégalité des ressources économiques se traduit nécessairement par de tr6s grandes disparités dans la somme des services d'éducation assurés et dans la répartition de ces services. U n système d'enseignement qui desservirait par- faitement 1 % seulement de la population d'âge scolaire ne ferait que dis- simuler, sous une apparence d'efficacité, les déperditions qu'il subit.

LES FORMES DE LA DBPERDITION

Bien que l'on puisse contrôler le fonctionnement des systèmes d'éducation en notant les changements significatifs qui interviennent, ces observations sont d'une utilisation plus ou moins sûre. I1 faut généralement adopter une solution intermédiaire, qui tienne compte de la relative facilité des obser- vations, mais aussi de l'exactitude avec laquelle elles caractérisent l'aspect étudié. C'est ainsi que les cinq types de déperdition scolaire déjà définis ne

44 L a déperdition scolaire : un problème mondial

se prêtent pas tous à une évaluation aisée et valable. Nous avons déjà men- tionné l’impossibilité pratique d’apprécier les objectifs d’un pays. La même difficulté se présente en ce qui concerne les deux premiers types de déperdi- tion, à savoir l’inaptitude d’un système: a) à dispenser un enseignement universel, et b) à recruter les enfants. Dans de nombreux systèmes éduca- tifs, il est impossible de distinguer entre la capacité théorique d’accueil des écoles et le nombre réel des inscrits. Le meilleur indice dont l’on dispose donne seulement le rapport entre le nombre d’enfants inscrits et la popula- tion d’âge scolaire. C‘est ce qu’on appelle le ((taux ajusté d’inscription» dans l’enseignement primaire et secondaire, qui est donné pour de nom- breux pays, mais non pour tous, dans les tableaux 2.5 et 2.6 de l’Annuaire statistique de l’Unesco 1969. On pourrait considérer le complément de ce taux comme une mesure de la déperdition qui dépend des deux premières sources. Mais on objecterait alors qu’il exprime uniquement ce que les pays ne cherchent pas encore à réaliser. En tout état de cause, le fait que ce taux n’est pas connu pour de nombreux pays, pour lesquels on dispose en re- vanche d’autres mesures de la déperdition, restreint son utilité.

Abandon. L’abandon, volontaire ou provoqué, constitue le phénomène le plus aisément observable lorsque l’on cherche à déterminer l’incapacité d’un système à retenir les élèves. Sa valeur est discutable; on peut en effet estimer qu’une instruction, même’ rudimentaire, est toujours valable et la souplesse d’un système qui permet l’abandon avant la fin d’un cycle d’études peut être en fait un facteur d’ajustement des besoins en main- d’œuvre, en particulier au niveau secondaire. Les abandons ne sont pas nécessairement source de déperditions ; en outre, ils peuvent être restreints par la loi. Dans la plupart des pays du continent européen, en Amérique du Nord et en Océanie, il est rare que les enfants quittent l’école avant la fin de la scolarité obligatoire. Ces pays ne sont cependant pas tous en mesure de donner à toute la population d’âge scolaire la possibilité de fréquenter effectivement l’école; tous n’arrivent pas non plus à faire appliquer les lois sur la scolarité obligatoire. I1 en résulte que, dans plu- sieurs cas, un certain nombre d’enfants quittent prématurément l’école. D e plus, la durée de la scolarité varie selon les pays. Dans plus des trois quarts des pays considérés, elle est de huit ou neuf ans; mais il y a des pays - comme le Portugal ou la Turquie - où elle n’est que de quatre ou cinq ans, alors qu’aux Etats-Unis, dans certains Etats, elle a été portée à douze ans. Dans chaque groupe d’âge, la proportion des enfants qui vont en classe subit donc, d’un pays à l’autre, des variations qui sont très sen- sibles dans l’enseignement primaire supérieur et dans l’enseignement secondaire du premier cycle.

Ampleur et localisation 45

C‘est dans les groupes d’âge auxquels s’adressent les programmes spécialisés du deuxième cycle de l’enseignement secondaire que le pour- centage d’élèves qui quittent l’école est le plus élevé. Toutefois, ces taux ne permettent pas de calculer la proportion des élèves qui abandonnent prématurément l’école sauf si on admet au préalable que tous les enfants devraient poursuivre des études àplein temps jusqu’à l’âge de 17 ou 18 ans. D’autre part, si l’on acceptait le concept des cycles d’études, on ne pourrait déterminer les taux de déperdition qu’à partir des statistiques des inscrip- tions et des départs pour chacune des filières spécialisées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire. Mais on dispose rarement de statis- tiques aussi complètes. ._ t

Redoublement. Le phénomène le plus significatif de l’incapacité d’un système à atteindre ses objectifs est le redoublement. Sa valeur est, elle aussi, discutable. On peut en effet estimer que le redoublement est un bon moyen de permettre à l’enfant d’effacer un échec antérieur et de le main- tenir au niveau de l’enseignement dans les normes prévues.

I1 y a en outre une différence considérable entre les pays où le passage d’une année à l’autre est en grande partie automatique et ceux où il est strictement réglementé. Dans les pays appartenant à la première catégorie - Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande, de nombreuses provinces du Canada et plusieurs Etats des Etats-Unis d’Amérique, par exemple -, où le passage d’une année à l’autre est essentiellement une question d’âge, les enfants ne redoublent guère que lorsqu’ils ont été longtemps absents de l’école, notamment pour cause de maladie ou par suite de changements fréquents de domicile. En revanche, dans les pays où les élèves ne sont admis dans la classe supérieure que s’ils ont atteint ou dépassé un certain niveau, le taux de redoublement peut être très élevé. D e plus, quand la loi leur interdit de quitter l’école, il y a dans chaque classe une proportion importante de redoublants, qui ne fait d’ailleurs qu’augmenter d’un bout à l’autre du cycle considéré.

Malgré leur valeur discutable, les abandons et les redoublements demeurent en fait les symptômes les plus aisément quantifiables de la déperdition scolaire. Une fois qu’on a décidé de les retenir, les problèmes méthodolo- giques consistent à les identifier, à les chiffrer en termes internationalement comparables et à localiser les points du système où ils se produisent. L’idéal serait de pouvoir baser les mesures de la déperdition sur les données four- nies par un système de dossiers statistiques individuels. Cependant, les pays les plus développés eux-mêmes jugent cette procédure trop onéreuse et l’on ne dispose, en règle générale, que de données indiquant le nombre d’enfants par classe et par année.

46 La déperdition Scolaire : un problème mondial

PREMIERES TENTATIVES DE RASSEMBLEMENT DES DONNEES

Diverses tentatives, assez peu concluantes dans l’ensemble, ont été faites dans le passé pour mesurer la déperdition au moyen des seules statistiques par année scolaire et par année d’études avec tableaux à double entrée. Les compilations internationales auxquelles ont abouti les estimations de la déperdition faites dans divers pays sont rarement complètes et reposent sur des bases statistiques trop disparates pour être réellement comparables. On trouvera ci-après des indications relatives à la nature des données ana- lysées depuis une dizaine d’années. Si incomplètes et si peu satisfaisantes que soient souvent ces données, elles ont néanmoins l’avantage de mettre en évidence la gravité du problème.

Asie. Lors de la préparation d’un Stage d’études sur la déperdition des effectifs scolaires et des abandons en cours d’études, le Bureau régional de l’Unesco pour l’éducation en Asie a analysé toute une série de statistiques et donné un aperçu de la façon dont les choses se présentaient au cours de la période 1959-1965 dans les pays participant au Plan de Karachi. Cette étude1 a fait apparaître une variation très sensible du taux de ((rétention)) selon les pays. Dans certains d’entre eux, comme la République de Chine, la République de Corée ou la Malaisie, les déperditions étaient, d’après les rapports reçus, relativement faibles ; dans d’autres, au contraire, comme la Birmanie, le Laos ou le Pakistan, elles étaient très importantes.

Afrique. En vue de la Conférence sur l’éducation et la formation scienti- fique et technique et leurs rapports avec le développement en Afrique (CESTA), organisée en juillet 1968 à Nairobi par l’Unesco et l’Organisa- tion de l’Unité africaine, on a fait des estimations des taux de ((rétention)) dans les classes primaires de 22 des 35 pays de l’Afrique moyenne.2 Le but de ces estimations était de permettre de comparer les résultats effective- ment obtenus aux objectifs fixés lors de la Conférence $Etats africains sur le développement de l’éducation en Afrique, tenue à Addis-Abéba en 1961. Les taux de rétention pris pour objectifs, pour chaque année d’études, étaient fondés sur le principe que le taux de déperdition ne devrait pas dépasser 10% par année d’études. Si cette condition avait été réalisée, le nombre total d’élèves inscrits aurait été de 59 en sixième année, sur 100 élèves entrés en première année. Les chiffres correspondant à la situa- 1. Unesco. Stage d’études SUT la déperdition scolaire et les abandons en cours d‘études. Rapport final. Bangkok, Bureau régional pour l’éducation en Asie, 1967. 2. Unesco. Objectifs et réalisations de l’éducation à l‘échelon régional 1960-196s. Paris, Unesco, 1968. (Document Unesco-OAU/CESTA/Réf. 2)

Ampleur et localisation 47

tion réelle montrent que, sur 100 éièves inscrits en 1960 en première année, 32 seulement étaient arrivés à la sixième année d’études en 1965. Le taux moyen de déperditions annuelles avait été de 21 % et non pas, comme on l’avait souhaité, de 10%. Les écarts entre les 22 pays considérés n’appa- raissent naturellement pas dans ce taux moyen. Ils étaient considérables, et seuls trois pays approchaient de l’objectif fixé.

On note dans le même document une contradiction entre le taux élevé d’abandons et l’augmentation marquée des effectifs de l’enseignement primaire (35 YO) pour la période considérée, en dépit du fait que le nombre des inscriptions en première année n’augmentait que de 20 %. L‘étude des données disponibles sur les redoublements dans quelques pays a montré que chaque classe comprenait beaucoup de redoublants et l’on a pensé qu’il fallait probablement voir là l’une des causes de l’accroissement des effectifs.

Amérique latine. I1 ressort de diverses études antérieures3 portant sur des pays d’Amérique latine que, pendant la période de 1950 à 1960 environ, les taux de déperdition ont été si élevés que, d‘une manière générale, 25 % seulement des enfants inscrits en première année arrivaient jusqu’à la sixième année. Les statistiques relatives au redoublement ont été établies plus irrégulièrement et il n’est pas possible de se faire à cet égard une image d’ensemble de la situation. Une étude entreprise au Venezuela6 indique les pourcentages de promotion, de redoublement et d’abandon pour une période de 5 ans; mais cet exemple n’est peut-être pas typique des rapports qui peuvent exister entre ces facteurs.

De 1956 à 1965, les effectifs des écoles primaires, des écoles secon- daires et des universités ont, pour l’ensemble de l’Amérique latine, augmenté d’environ 60 YO, le pourcentage d’accroissement de la popula- tion, au cours de la même période, n’atteignant pas la moitié de ce chiffre. Cette augmentation n’a cependant pas été la même dans les trois niveaux de l’enseignement. Les effectifs de l’enseignement primaire ont augmenté de 57,6 YO, ceux du secondaire de 110,6 YO, et ceux du postsecondaire de 92,3%. Malgré cet accroissement rapide des effectifs des deux derniers cycles, les pourcentages d’élèves inscrits appartenant au groupe d’âge

3. Brown, R.I. A survey of wastage problems in elementary education. Bangkok, Bu- reau régional de l’Unesco pour l’éducation en Asie, 1966. 142 p. 4. Institut d‘étude du développement économique et social. Development prospects for education in 19 Latin American countries (1960-1970). Paris, 1962. 5. Unesco. Evolution de la situation de l‘éducation en Amérique latine - 1956-1965. Santiago, Bureau régional de l’Unesco pour l’éducation, 1966. (Document Unesco/ M E N E D E C A L / 6 ) 6. Unesco. Educación y economia en Venezuela. Paris, 1963.

48 L a déperdition scolaire: un problème mondial.

intéressé restent inférieurs à ceux des régions plus avancées; malgré la proportion peu élevée d’élèves fréquentant l’enseignement secondaire, le nombre des abandons en cours d’études demeure important. Le taux de’ rétention dans l’enseignement secondaire général a varié entre 15 % et 60 % pour les ((cohortes apparentes)) dont les études secondaires ont pris fin entre 1960 et 1963.

Estimation du coût

Pendant ces dix dernières années, caractérisées par le développement de l’éducation, l’expansion des systèmes scolaires a constitué une lourde charge financière pour tous les gouvernements et plus particulièrement pour ceux des pays en voie de développement. I1 semble que, de façon gé- nérale, le montant des dépenses ait augmenté à un rythme que ne justifie pas la seule augmentation des effectifs scolaires et de la durée de la scola- rité. Autrement dit, le coût unitaire de l’éducation s’est accru.

Une telle augmentation des coûts unitaires a des causes nombreuses dont la plupart sont sans doute liées à l’amélioration de l’enseignement (multiplication des bureaux d’orientation et des services psychologiques; amélioration du matériel, de l’équipement et des bâtiments) et, parallèle- ment, à un relèvement des salaires des enseignants et à un effort soutenu en vue de perfectionner leur formation. Ces mesures se sont traduites par une amélioration qualitative, mais elles ont été coûteuses.

I1 est toutefois certain que de nombreux pays ne seront bientôt plus en mesure de continuer dans cette voie s’ils ne tirent pas plus de profit de leurs dépenses. La Conférence de Nairobi de 1968 a constaté que la plu- part des pays africains étaient loin d’avoir atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés à Addis-Abéba en 1961, et il ne fait pas de doute que, arrivés à la limite de leurs possibilités financières, il ne leur faille aujourd’hui améliorer le rendement de leurs investissements et éliminer tout ce qui limite l’efficacité du système éducatif.

Par ailleurs, il est incontestable que dans beaucoup de pays, l’accrois- sement du coût unitaire de l’éducation provient en partie, non pas de l’amélioration ou du développement du système éducatif, mais bien plutôt des déperditions qu’il subit sous la forme de redoublements et d’abandons en cours d’études. D u fait de ces déperditions, il faut, à un groupe d’élèves donné, plus d’années-élève pour aller jusqu’au terme d’un cycle ou pour atteindre un certain niveau d’instruction que le minimum nécessaire. Toute place occupée par un redoublant entraîne un surcroît de dépenses, qui pourrait être évité si les élèves progressaient norma- lement.

Ampleur et localisation 49

De plus, dans un pays où les moyens en matière d’éducation sont restreints, ces déperditions ont pour effet de limiter le nombre de places disponibles pour d’autres enfants qui ne sont pas encore scolarisés et sont peut-être plus doués que ceux qui redoublent ou abandonnent prématuré- ment leurs études. Les dépenses qu’impliquent les constructions scolaires, l’équipement, le matériel et le personnel enseignant nécessaires pour ins- truire des élèves qui abandonneront leurs études avant même d’avoir atteint le stade de l’alphabétisme fonctionnel ou qui redoubleront plusieurs classes avant d’arriver au terme d’un cycle scolaire, constituent donc l’un des obstacles majeurs au progrès de l’éducation.

I1 n’est pas possible de chiffrer, même approximativement, le coût global de la déperdition en termes financiers; tout indique néanmoins que ce coût est élevé et que, dans beaucoup de pays, il représente en fait une part importante du budget de l’éducation. Sans regarder de trop près les méthodes employées ni les données à partir desquelles les chiffres ont été obtenus, il est intéressant d’examiner certaines des estimations du coût brut de la déperdition dans certaines régions. Dans le rapport final du Stage d’études sur la déperdition des effectifs scolaires et les abandons en cours d’études, mentionné plus haut, on précise que la déperdition sous forme de redoublements et d’abandons a coûté au minimum cent millions de dollars par an aux 17 pays d’Asie participant au Plan de Karachi. L‘am- pleur du problème varie considérablement d’un pays à l’autre. Si la moyenne est de 8 %, le coût de la déperdition peut aller jusqu’au 25 % du budget de l’éducation de certains Etats.

Pour ce qui est de l’Amérique latine, on a estimé à 1584 millions de dollars le montant total des dépenses consacrées à l’enseignement de tous les niveaux, public et privé, pour l’année 1960 et évalué à 1140 millions de dollars, soit 72% de cette somme, le montant consacré à des élèves qui n’avaient pas terminé le cycle d’études entamé. Ce montant global se dé- composait comme suit: plus de la moitié (53,8 %) pour l’enseignement pri- maire où, avec un pourcentage de diplômés de 10 % seulement, le coût de chaque diplômé de fin d’études était de 4,125 fois supérieur à ce qu’il aurait dû être; 30,5 % pour l’enseignement secondaire, le coût de chaque diplômé étant 3,975 fois supérieur à ce qu’il aurait dû être; et 15,7 % pour l’enseignement supérieur où le coût était 2,15 fois supérieur au montant optimal. O n a estimé que, au niveau primaire, on pourrait doubler le pour- centage de diplômés, c’est-à-dire le porter à 20%, pour une dépense presque équivalente.

50 Lu déperdition scolaire: un problème mondial

L'ENQUÊTE UNESCO : BIE D E 1969170

Telles sont donc les estimations de la déperdition avant l'enquête effectuée en 1969/70 par l'une~co.~ L'enquête de 1969, comme nous l'appellerons désormais, est particulièrement importante pour plusieurs raisons : premièrement, parce qu'elle prouve qu'il est possible de rassembler, à l'échelle internationale et sur une base commune, des données utiles por- tant sur une même période; deuxièmement, en raison de la méthode utilisée; et, troisièmement, pour les conclusions que l'on peut en tirer. Cinquante-huit des 148 Etats membres et Territoires qui ont répondu au questionnaire ont été en mesure de donner des renseignements qui re- posent sur des bases suffisamment larges pour que leur analyse soit justi- fiée. Mais, bien que les données fournies l'aient été sous une forme fonda- mentalement semblable, les différences existant entre les politiques d'édu- cation, la structure des systèmes d'éducation et les conditions socio-éco- nomiques empêchent toute comparaison directe. Les mêmes raisons mili- tent contre la mise en commun de renseignements pour des groupes de pays.

La méthodologie

Les études antérieures souffraient d'imperfections méthodologiques qu'a su éviter l'enquête de 1969 et qui ne permettaient pas d'aboutir à la défi- nition d'indices reposant sur des données normalisées. Les qualités et les défauts de l'enquête de 1969 ont une seule et même origine: la simplicité des données sur lesquelles elle repose. Chaque pays a indiqué, pour autant d'années qu'il lui était possible entre 1960/61 et 1967/68, les effectifs au début de l'année, par année d'études, si possible par sexe, ainsi que le nombre de redoublants. O n avait donné du redoublant la définition sui- vante: «l'élève qui reste dans la même classe et fait le même travail que l'année précédente)). A partir des taux réels de redoublement et de dimi- nution de la cohorte - ces deux éléments étant considérés comme les com- posantes de la déperdition - d'une année à l'autre, on a déduit un taux qui rende compte, le mieux possible, de la tendance observée. I1 est rare qu'un pays ait fourni des données suffisantes pour qu'on puisse suivre une co- horte pendant toute la durée d'un cycle permettant des redoublements multiples. C'est pourquoi ces taux dérivés ont été appliqués à une cohorte hypothétique de 1000 élèves. I1 a fallu accepter certaines hypothèses qui semblent plausibles mais ne peuvent être directement vérifiées. La pre- mière de celles-ci consiste à tenir pour acquis que les mêmes taux de re-

7. enquêtes d'éducation comparée)

Unesco: BIE. Etude statistique de la déperdition solaire. Paris, 1971. (Etudes et

Ampleur et localisation 51

doublements et d’abandons s’appliquent aux redoublants et aux nouveaux inscrits. La seconde est que les élèves qui entrent dans la classe terminale d’un cycle et ne la redoublent pas sont effectivement arrivés au bout de ce cycle. Cette hypothèse a été rendue nécessaire par suite du manque de ren- seignements que l’on a sur les proportions d‘élèves qui terminent avec succès cette dernière année. Malgré les limitations dues à ces hypothèses et au manque d’informations relatives au degré de validité des méthodes utilisées pour le rassemblement et la mise en forme des données, l’adoption de cette méthode représente un progrès considérable dans le domaine de l’étude internationale de la déperdition scolaire.

Un exemple. La première conséquence, et la plus importante, de l’applica- tion des taux dérivés d’abandon et de redoublement est la construction du diagramme de «flux» d’une cohorte hypothétique de 1000 élèves avec possibilité de redoublements multiples. Le diagramme donne un exemple du comportement d’une cohorte de ce genre. Le flux intéresse l’enseigne- ment du premier degré en Algérie; il est fondé sur des séries chronologiques réelles allant de 1963/64 à 1968/69. L‘Algérie a été choisie comme exemple

i 2 3 4 5 6

1964165 235

i065/66

1966167

1967/6ô

Diagramme montrant le flux d’une cohorte de lo00 garçons et fdles algériens (d’origine urbaine et rurale à la fois) dans le premier degré de l’enseignement; basé sur des données portant sur les années 1963/64 à 1967/68.

52 La déperdition scolaire: un problème mondial

parce qu’elle dispose pour cette période, en dépit de circonstances peu fa- vorables, de statitisques d’une très grande valeur.

Une fois établi le Aux de la cohorte, on peut l’utiliser pour mesurer l’incidence, sur chaque tranche de 1000 élèves d’une cohorte, de certains événements : redoublements, abandons, promotions et progression. En traitant chaque année comme si elle avait le même poids que les autres, on peut considérer l’apport (input) total au passage de la cohorte à tra- vers tout le cycle comme le nombre total ((d’années-élève)). Le produit (output) de passage de la cohorte est le nombre de diplômés du cycle com- plet, multiplié par le nombre d’années d’études accomplies. Lorsqu’on divise le premier chiffre par le second, le rapport inputloutput obtenu donne la mesure du rendement du système. D u reste, le rapport inverse est parfois appelé indice de rendement. On peut ventiler la différence entre Z’input et l’output entre les deux éléments représentés respectivement par les diplô- més et les abandons. Le profil des abandons et des promotions et le taux de redoublement et de progression pour les diverses années d’études du cycle révèlent les points où la déperdition est la plus grave. Les taux de promotion montrent le nombre d’élèves sur 1000 qui terminent avec succès chaque année d’études, alors que les taux de progression indiquent le nombre d’élèves qui passent dans la classe suivante par rapport à l’effec- tif initial. Les indices permettent donc non seulement d’obtenir une esti- mation globale de la déperdition, mais aussi de la localiser dans le système.

Au cours du débat qui a eu lieu à la Conférence internationale de l’éducation de 1970, on a exprimé certains doutes quant à l’intérêt de ces indices pour des pays qui désirent identifier les facteurs liés à la déperdition des effectifs. C’est ainsi qu’un délégué a demandé si la méthode employée permettait de faire un diagnostic sur l’effet de facteurs tels que le sexe, l’âge, la situation socio-économique et la répartition régionale. On lui a répondu que l‘enquête de l’Unesco avait déjà montré cette possibilité. Pour de nombreux pays, on a établi des indices distincts pour les garçons et les filles et, pour certains, on a mis en évidence les différences entre régions urbaines et régions rurales. En d’autres termes, on peut établir des indices pour n’importe quel type de variable à propos de laquelle on dispose d’informations : les indices n’ont pas été considérés jusqu’ici comme se prêtant à un examen de l’interaction des facteurs, mais rien ne s’oppose à ce que l’on fasse des études utilisant le flux de la cohorte comme base de l’analyse de l’interaction des facteurs.

Le premier degré de l’enseignement en Algérie, déjà présenté dans le diagramme de ñux fournit un exemple de la capacité descriptive des indices (voir tableaux 1-4).

Ampleur et localisation 53

Tableau 1 Algérie : La première partie du tableau montre l'investissement unitaire en années-élève et le rapport ((input-output )) ; la seconde fait une distinction entre la part relative d'abandons et de diplômés du point de vue de la déperdition. Les cohortes ont été établies sur la base des taux observés entre 1963/64 et 1967/68 pour le premier degré de l'enseignement (urbain et rural).

Total Garçons Filles

Investissement unitaire en années-élève (durée normale des études) ................................................ 13,3 12,6 15,6

................................. Rapport «input/output» 2,2 2,1 296

Nombre total Totai des Total des Excédent (en O/,,) Places absorbées par d'années-élève années-élève ann&-élève imputable : les abandons mais investies par non effectives en excédent effectives 1000 élkves (n'aboutissant (aboutissant i la

pas i la promotion promotion) ou l'obtention aux aux d'un diplôme) abandons diplômés

4.946 1.555 2.720 82,2 17,s 1.165

Tableau 2 Algérie: Eleves sortants répartis selon le nombre d'années redoublées pour le premier degré de l'enseignement (urbain et rural). Les cohortes ont été établies sur la base des taux observés pendant la période comprise entre 1963/64 et 1967/68.

Nombre d'années Sorties Répartition en pourcentage redoublées Totai Garçons Filles Totai Garçons Filles

O 1 2 3 4et t Total

96 124 93 58 - 371

90 72 25,9 22,s 24,2 139 96 33,4 35,3 32,2 104 78 25,l 26.4 26,2 61 52 15,6 15,5 17,4

394 298 100,o 100,o 100,o

54 La déperdition scolaire: un problème mondial

Tableau 3 Algérie: Profil de promotion et d'abandon, et taux de transition pour le premier degré de l'enseignement (urbain et rural). Les cohortes ont été établies sur la base des taux observés pendant la période comprise entre 1963/64 et 1967/68.

Année Promotion (année 1 = lOa0) Abandon Taux de transition d'études Total Garcons Filies Total Garçons Filies Total Garçons Filles

1 1000 1000 1000 144 124 163 - - - 2 856 876 837 171 198 203 85,6 87,6 83,7 3 685 678 634 80 55 95 80,O 77,4 15,7 4 605 623 539 102 110 106 88,3 91,9 85,O 5 503 513 433 132 119 135 83,l 82,3 80,3 6 371 394 298 - - - 73,8 76,8 68,8 Total - - - 629 606 702 - - -

Tableau 4 Algérie: Taux de redoublement, de promotion et d'abandon pour le premier degré de l'enseignement (urbain et rural). Les cohortes ont été établies sur la base des taux observés pendant la période comprise entre 1963/64 et 1967/68.

Année T a w d e Total Garçons Fill- d'études 1963164 1967168 1963164 1967168 1963/64 1967/68

Redoublement

Abandon Redoublement

Abandon Redoublement

Abandon Redoublement

Abandon Redoublement

Abandon Redoublement Sorties

1 Promotion

2 Promotion

3 Promotion

4 Promotion

5 Promotion

113 771 110 309 641 50 272 665 63 25 1 668 81

240 629 131 262 738

105 825 70 110 840 50 175 726 99 203 680 117 173 621 206 197 803

116 108 786 802 98 90 301 103 559 877 140 20 277 166 690 740 33 94 247 192 693 704 60 104 247 167 650 657 103 176 270 194 730 806

110 764 126 320 67 1 9

265 622 113 256 624 120 227 603 170 247 753

102 845. 53 120 830 50 187 705 108 222 639 139 185 580 23 5 202 798

Ampleur et localisation 55

Il convient de se rappeler que la période visée par ces tableaux a été une période critique pour l’Algérie. Immédiatement après l’indépendance, le fonctionnement du système d’éducation a souffert de difficultés évi- dentes (notamment la pénurie de personnel enseignant pendant la période de reconstruction). Le tableau 1 permet de formuler les observations les plus générales sur le rendement du système. Le rapport inputloutput indique que le nombre effectif d’élèves sortants a coûté plus du double d’années-élève que le minimum requis. Ce coût est de 2,l pour les garçons et de 2,6 pour les ñlles. Le tableau 1 montre également qu’il a fallu en moyenne 13,3 années-élève pour produire chaque diplômé au lieu des six années-élève prévues. La moyenne fut de 12,6 années-élève dans le cas des garçons et de 15,6 dans le cas des filles. La seconde partie du même tableau permet aussi de distinguer la part relative des abandons et des diplômés dans la déperdition. On y introduit l’idée d’années-élève non effectives, c’est-à-dire du nombre de places par année occupées par les élèves de la cohorte sans qu’il y ait promotion ou obtention d’un diplôme. L‘excédent d’années-élève pour 1000 élèves algériens était de 2720; 82,2 % étaient imputables aux abandons et 17,8% aux diplômés. I1 convient de noter toutefois que, sur ces années-élève en excédent absorbées par les abandons, 1165 (42,8 %) ont été effectives, c’est-à-dire qu’elles ont abouti à une pro- motion. L‘avantage réel qu’a tiré l’économie des abandons a donc peut- être été supérieur à la perte totale qui leur est imputée.

Le tableau 2 indique le nombre de diplômés qui ont redoublé, en fonction du nombre d’années de redoublement. C‘est pourquoi on ne pré- cise pas les années d‘études au cours desquelles les redoublements ont eu lieu. I1 apparaît que 74,1% de la cohorte ont dû redoubler une année ou plus. Une comparaison de la répartition en pourcentage des garçons et des filles montre que les nombres relatifs de «sortants» par rapport aux nombre de redoublements sont presque égaux. Ce qui revient à dire que, en s’attachant au nombre de «sortants», le redoublement ne profite pas plus à un sexe qu’à l’autre.

Le tableau 3 indique, pour les 1000 élèves de la cohorte, les fréquences prévisibles de promotion et d’abandon pour chaque année d’études ainsi que le taux de progression. Le chiffre le plus alarmant est peut-être celui qui montre que 629 élèves sur 1000 (606 garçons sur 1000 et 702 filles sur 1000) ont abandonné leurs études avant la fin du cycle. Le tableau 4 in- dique les taux observés en 1963/64 et 1967/68 seulement, les taux des années intermédiaires ayant été cependant utilisés pour évaluer le rende- ment scolaire. La présentation des données de deux années séparées dans le temps fait apparaître la variabilité des indices et suscite une tentative d’explication des principaux changements. Pour les deux années scolaires

56 La déperdition scolaire: un problème mondial

considérées, le redoublement a été plus élevé dans les années d’études postérieures à la première classe. Alors que les abandons et les redouble- ments ont diminué au cours de l’année suivante, les abandons ont en fait augmenté au cours des troisième, quatrième et cinquième années.

Pour plus de renseignements sur la différence entre les écoles ur- baines et rurales, il faut se reporter aux tableaux 5 et 6 qui indiquent le profil de promotion et d’abandon ainsi que les taux de transition pour les élèves du premier degré en Algérie.

Tableau 5 Algérie : Ecoles urbaines, premier degré. Profil de promotion et d‘abandon, et taux de transition (%).

Année Promotion (année 1 = 1000) Abandon Taux de transition d’études Total Garçons FiUes Total Garçons Filles Total Garçons Filles

1 lo00 1000 1000 152 161 140 - - - 2 848 839 860 75 114 90 84,8 83,9 86,O 3 713 725 770 95 60 115 91,2 86,4 89,5 4 618 665 655 143 134 145 81,7 91,7 85,l 5 535 531 510 105 99 111 78,9 79,8 77,9 6 430 432 399 - - - 80,4 81,4 78,2 Total - - - 570 568 601 - - -

Tableau 6 Algérie: Ecoles rurales, premier degré. Profil de promotion et d’abandon, et taux de transition (%).

Année Promotion (année 1 = 1000) Abandon Taux de transition d’études Total Garçons Filles Total Garçons Filles Total Garçons Filles

1 loo0 loo0 loo0 138 108 193 - - - 2 862 892 807 306 206 354 86,2 89,2 80,7 3 556 686 453 66 101 76 64,5 76,9 56.1 4 490 585 377 49 83 51 88,l 85,3 83,2 5 441 502 326 131 137 116 90,O 85,8 86,5 6 310 365 210 - - - 70,3 72,7 64,4 Total - - - 690 635 790 - - -

I1 convient de souligner qu’au cours de la période 1963/64 à 1968/69, l’Algérie a connu de nombreuses migrations internes, principalement des zones rurales vers les zones urbaines, ainsi qu’une très forte expansion

Ampleur et localisation 57

scolaire. Cet exemple tend donc davantage à illustrer l'interprétation des indices qu'à formuler un énoncé proprement dit de l'efficacité réelle des systèmes d'enseignement dans les deux types de zones considérées. I1 existe de toute évidence des différences considérables entre ces deux types de zones. Non seulement la déperdition est généralement plus élevée dans les écoles rurales, mais on note aussi que, pour les filles, la déperdition est beaucoup plus forte dans les régions rurales que dans les régions urbaines. L'une des principales raisons à cet état de choses semble être l'ampleur du taux d'abandon au cours de la deuxième année d'études, année pendant laquelle 354 filles sur 1000 dans les régions rurales, contre 90 dans les régions urbaines, ont quitté l'école. D u reste, 453 sur 1000 seulement atteignent la troisième année d'études dans les régions rurales contre 770 dans les régions urbaines.

Répartition par régions

Rapport c( inputloutput >>. Les tableaux statistiques résultant de l'enquête de 1969 sont du plus haut intérêt, et il est difficile d'en rendre convenable- ment compte en quelques lignes. De plus, les indices ne peuvent pas être comparés d'un pays à l'autre ni être combinés sans risque d'erreurs. Les régions délimitées par l'Unesco sont des continents et les 58 pays pour lesquels on dispose de données ne sont pas toujours représentatifs de leur région. Il est toutefois souhaitable d'avoir quelques indications sur la ré- partition de la déperdition et le tableau 7 montre la moyenne et la four- chette des rapports inputloutput constatés dans chaque groupe de pays pour le premier degré de l'enseignement.

Tableau 7 La moyenne et la fourchette des rapports (<input/output» pour le premier degré de l'enseignement relevés dans chaque groupe de pays répartis par régions.

Moyenne Fourchette

18 pays africains 13 pays latino-américains 13 pays asiatiques 11 pays européens

2,oo 1,24-3,55 1,90 1,53-2,42 1,31 1,003-2,48 1,20 1,OO-1,56

I1 est nécessaire de se souvenir de la signification de ces indices lors- qu'on examine le tableau. Le rapport inputloutput moyen pour les pays africains indique que l'enseignement du premier degré est à 50 YO inefficace

58 La déperdition scolaire: un problème mondial

en raison des redoublements et des abandons. La répartition géographique de la déperdition met en relief non seulement la différence entre les pays développés et les pays sous-développés, mais aussi l'inégalité de leurs investissements dans l'enseignement. Les rapports moyens pour l'Europe et l'Asie sont inférieurs aux rapports les plus faibles pour l'Afrique et l'Amérique latine, et le rapport européen le plus élevé est plus faible que la moyenne pour les pays africains et latino-américains.

Ces rapports ne portent que sur les enfants qui fréquentent l'école. I1 faut se rappeler que beaucoup d'enfants n'ont pas même la possibilité d'abandonner leurs études ou de redoubler. On dispose, pour le dévelop- pement de l'enseignement, d'un indice utile, à savoir le «taux ajusté d'in- scription)) pour les premier et second degrés de l'enseignement (voir p. 44). Les valeurs moyennes de ce pourcentage pour les pays susmentionnés sont: 40 pour les pays d'Afrique, 63 pour les pays d'Amérique latine, 63 pour les pays d'Asie, 78 pour les pays d'Europe. La déperdition est donc généralement plus forte dans les régions où l'enseignement est moins dé- veloppé.

On observe Ia même structure générale de la répartition régionale de la déperdition dans le second degré.

Tableau 8 La moyenne et la fourchette des rapports «input/output», pour les premier et second cycles de l'enseignement secondaire, relevés dans chaque groupe de pays répartis par régions.

ler cycle du Ze degré 2e cycle du 2e degré Moyenne Fourchette Moyenne Fourchette

13 pays africains 10 pays africains

133 1,15-1,79 1,72 1,08-2,59

7 pays latino-américains 1940 1,32-1,51 6 pays latino-américains 1,lS 1,13-1,32 12 pays asiatiques 1,20 1,002-2,06 8 pays asiatiques 1,28 1,002-3,23 10 pays euro&ns 1,20 1,09-1,65 3 pays européens 1,21 1,13-1,24

Les différences ne sont pas aussi considérables dans le second degré et les valeurs moyennes ne sont pas non plus aussi élevées, bien que ce soit sans doute en grande partie dû à la sélection impitoyable opérée par la déperdition des effectifs dans le premier degré.

Ampleur et localisation 59

Si l'on veut réduire la déperdition, sa localisation dans le système revêt une importance cruciale et, en simpliñant à l'extrême, on peut chercher à savoir si les symptômes de la déperdition sont plus apparents au début ou à la fin d'un cycle. Cela peut fournir la clef de l'identiíìcation des prin- cipaux facteurs en cause. On peut associer un taux d'abandon élevé au début du premier degré à une fausse attitude de l'enfant et de sa famille envers l'école et de l'école envers l'enfant et la communauté. On peut également l'associer à l'existence de sociétés à prédominance rurale où i'enfant peut être utilement employé par la famille. Un taux d'abandon plus élevé vers la fin du premier degré risque davantage de correspondre à l'acceptation par la famille d'un niveau d'alphabétisation tout juste suffisant pour assurer le minimum vital. Parmi les 49 pays qui ont indiqué le nombre des abandons pendant les diverses années d'études, 15 des 17 pays africains, les 13 pays d'Amérique et 8 des 10 pays asiatiques ont enregistré le taux d'abandon le plus élevé au cours de la première année d'études, alors que 8 des 10 pays européens ont enregistré leur taux d'aban- don le plus élevé au cours de l'avant-dernière année d'études (la dernière année pour laquelle les abandons sont enregistrés). I1 est peut-être bon de noter ici que ces observations ne reflètent pas seulement l'existence ou l'absence de la scolarité obligatoire. Les pays en question admettent les abandons dans le premier degré soit parce que les sanctions légales n'exis- tent pas, soit parce qu'elles ne sont pas appliquées.

Variations zone urbainelzone rurale. On peut vérifier s'il s'agit en partie d'un phénomène d'opposition entre l'économie agricole et l'économie in- dustrielle en considérant les pays pour lesquels on dispose de renseigne- ments distincts sur les zones urbaines et les zones rurales. Pour les sixpays à propos desquels l'enquête de 1969 fournit de telles données, si l'on combine le nombre d'abandons pour 1000 &ves au cours des deux premières années et au cours des deux dernières années d'études, on obtient le tableau suivant :

Tableau 9 Total des abandons pour 1000 élèves dans six pays

Zones urbaines Zones rurales

Deux premières années d'études Deux dernières années d'études

1324 3087 808 887

60 L a déperdition scolaire : un problème mondial

X2 est significatif dans ce tableau au-delà du niveau 0,001. En d’autres termes, il y a davantage d’abandons dans les zones urbaines au cours des deux dernières années d’études et dans les zones rurales au cours des deux premières années d’études que ne pourraient l’expliquer des variations aléatoires d’abandons par années d’études.

Lorsque, pour les mêmes pays, on dresse le tableau des redoublements, le résultat est le suivant:

Tableau 10 Total des redoublements pour 1000 élèves dans six pays

Zones urbaines Zones rurales

Deux premières années d‘études Deux dernières années d’études

3086 4210 756 501

X2 est significatif au-delà du niveau 0,001. Ce résultat vient à l’appui de l’hypothèse selon laquelle l’incidence des abandons est liée au caractère urbain ou rural des écoles.

On pourrait s’attendre à trouver un écart similaire entre les taux d’abandon pour les garçons et pour les filles; ainsi, par exemple, dans les communautés agricoles, les ales seraient plus facilement réabsorbées par la famille après avoir abandonné leurs études, mais telle hypothèse se trouve compliquée par le fait de la diversité des pratiques dans les com- munautés en matière de statut reconnu aux filles. En fait, lorsqu’on examine les chiffres d’abandons dans les 33 pays qui fournissent des don- nées distinctes pour les garçons et pour les filles, on constate que les 8 pays asiatiques et 11 pays africains sur 12 ont un nombre d’abandons plus élevé pour les filles que pour les garçons, alors que dans 6 pays d’Amérique du Sud sur 8 et 4 pays européens sur 5 les abandons ne présentent pas autant de variations. Lorsqu’il y a davantage d’abandons chez les mes dans un contexte traditionaliste, on s’attendrait à constater surtout ce phénomène dans les communautés rurales, moins influencées par les conceptions libé- rales de l’éducation des ñlles. En revanche, on s’attendrait à ne pas trouver de variation dans les communautés qui accordent traditionnellement un traitement égal aux filles. Malheureusement, on ne dispose de données sur les abandons par sexe, dans les zones urbaines et dans les zones rurales, que pour un pays d’Afrique (Tableau 11) et quatre pays d’Amérique du Sud (Tableau 12).

Ampleur et localisation 61

Tableau 11 Total des abandons pour loo0 élèves, par sexe et par zones urbaines ou rurales, dans un pays d‘Afrique.

Zones urbaines Zones rurales

Garçons Filies

568 635 601 790

Dans ce tableau, X2 est significatif au niveau de 5 % : plus de garçons abandonnent leurs études dans les zones urbaines et plus de filles aban- donnent leurs études dans les zones rurales que ne l’expliqueraient des variations aléatoires. De plus, davantage de filles que de garçons aban- donnent leurs études dans les zones rurales - l’écart est important - ce qui n’est pas le cas dans les zones urbaines.

Tableau 12 Total des abandons pour 1000 élèves, par sexe et par zones urbaines ou rurales, dans quatre pays d’Amérique du Sud : Colombie, République Dominicaine, Guatemala et Panama.

Zones urbaines Zones rurales

Garçons Filles

1762 3349 1651 3322

X2 n’est pas significatif; il est donc impossible de rejeter l’hypothèse selon laquelle il n’existerait aucun rapport entre les abandons, le sexe et le milieu urbain ou rural. Il est intéressant de noter que, dans les zones urbaines, davantage de garçons que de filles abandonnent leurs études et que l’écart est important, alors que ce n’est pas le cas en milieu rural.

I1 faut prendre certaines précautions lorsqu’on interprète les tableaux ci-dessus, surtout quand ils se réfèrent à des données concernant plusieurs pays. Tout d’abord, les observations que l’on compare ne sont pas di- rectes ; elles dérivent en effet de l’examen d‘une cohorte théorique. Ensuite, il s’agit de fréquences relatives ce qui a pour effet d’éliminer les différences en valeur absolue entre les pays et les groupes combinés. La justification de l’emploi de ces contrôles de signification dans ces conditions est d’ordre pratique, en ce sens qu’il est souhaitable de mettre à l’épreuve des hypo-

62 La déperdition scolaire: un problème mondial

thèses en dépit du fait que les données ne sont pas tirées d’observations directes dans des conditions d’échantillonnage connues. Malheureusement, les renseignements relatifs au second degré ne sont pas suffisants pour qu’on puisse formuler des hypothèses analogues.

Facteurs âgelclasse. Une étude parallèle de la répartition par âge des enfants de chaque classe a été faite dans l’enquête de 1969 et on a pu obtenir des données portant soit sur l’année scolaire 1967/68, soit sur l’année 1968/69, pour 8 pays d’Afrique, 9 pays d’Asie, 12 pays d’Amérique et 13 pays d’Europe. Des renseignements relatifs à des années scolaires antérieures ont également été communiqués mais, étant donné qu’ils couvraient une gamme beaucoup plus large d’années non comparables, il n’en est pas tenu compte ici. O n a calculé l’âge médian et l’âge modal pour la première et la dernière année d’études du premier degré dans chaque pays et on les a comparés avec l‘âge normal prévu par le système. Avant de poursuivre, quelques mots d’avertissement sont nécessaires.

On a demandé dans l’enquête de fournir des données relatives au début de l’année scolaire et d’indiquer si la situation avait changé de manière significative. Toutefois, étant donné la date à laquelle les renseignements ont été rassemblés par rapport au commencement de l’année scolaire, on peut prévoir que les enfants seront en moyenne plus âgés que l’âge normal d’admission au début de l’année d’études. Si par exemple des enfants ne commencent la première année d’école qu’après leur sixième anniversaire, au début de l’année scolaire ils auront de 6 ans à 6 ans 11 mois et, six mois après, la moitié des enfants environ auront de 7 ans à 7 ans cinq mois, la moyenne étant d’environ 6 ans 1 1 mois et demi. Etant donné que l’enquête traite de l’âge d’admission, il est probable que la répartition par âge sera celle du début de l’année scolaire. Cependant, il existe de grandes diffé- rences de pratique d’un pays à l’autre et même à l’intérieur d’un pays en ce qui concerne l’admission des enfants dans la première année d’études de sorte qu’il serait imprudent de considérer une différence de moins d’un an par rapport à l’âge normal comme significative d’un retard.

U n autre aspect de la répartition par âge mérite de retenir l’attention. D u point de vue du maître, l’hétérogénéité de l’âge des enfants qui com- posent une classe pose des problèmes d’enseignement particuliers et re- quiert en général une compétence plus grande. Pour une classe déterminée, l’âge modal est l’âge le plus fréquent dans cette classe et la proportion d’enfants qui ont cet âge fournit une indication d’homogénéité de l’âge dans la classe.

Dans le tableau 13 on trouve sept éléments d’information pour chacun des quatre groupes régionaux de pays pour lesquels on dispose de données

Ampleur et localisation 63

analysables. Les renseignements fournis dans le tableau (selon la même numérotation) sont les suivants :

1. Fourchette des écarts entre l'âge médian et l'âge normal dans la pre- mière année du premier cycle (l'âge médian est toujours supérieur à l'âge normal).

2. Fourchette des écarts entre l'âge médian et l'âge normal dans la der- nière année du premier cycle.

3. Coefficient de corrélation par rang de Spearman pour l'écart entre l'âge médian et l'âge normal dans la première et la dernière année du premier cycle.

4. Fourchette des pourcentages d'enfants qui ont l'âge modal dans la première année du premier cycle.

5. Fourchette des pourcentages d'enfants qui ont l'âge modal dans la dernière année du premier cycle.

6. Pourcentage moyen d'enfants qui ont l'âge modal dans la première année du premier cycle.

7. Pourcentage moyen d'enfants qui ont l'âge modal dans la dernière année du premier cycle.

Tableau 13 Différences d'âge dans la première et la dernière année du premier cycle dans quatre groupes régionaux de pays.

Afrique Asie Ambrique du Sud Europe

0,37-2,24 0,4&1,48 0,50-1,85 0,51-0,88 0,67-3,73 0,58-2,88 0,91-2,34 0,53-0,95 0,79 0,83 0,67 0,73 21,7-68,7 32,7-83,7 27,7-57,l 5 1,l-96,0 19,7-52,2 21,3-79,0 20,0-48,2 37,l-90,9 54,O 45,3 38,l 77,5 29,8 34,9 29,l 62,9

Pour chacun des quatre groupes de pays, l'écart entre l'âge médian et l'âge normal s'accentue de la première à la dernière année d'études. Dans le groupe des pays d'Europe, nulle part l'âge médian n'est supérieur de plus d'un an à l'âge normal, qu'il s'agisse de la première ou de la dernière année. Dans tous les autres groupes (6 pays d'Afrique sur 8'6 pays d'Amé- rique sur 12,5 pays d'Asie sur 1 i), on trouve des pays où l'âge médian est

64 L a déperdition scolaire: un problème mondial

supérieur d’au moins un an à l’âge normal pour la première année. Pour la dernière année, 6 des 8 pays d’Afrique enregistrent des âges médians supérieurs d’au moins deux ans à l’âge normal, et un seul enregistre un écart de moins d’un an. Parmi les pays d’Amérique, 9 sur 12 enregis- trent un écart d’au moins un an et 7 des 11 pays d’Asie sont dans le même cas.

Les coefficients de corrélation par rang pour l’écart entre l’âge normal dans la première et la dernière année sont tous significatifs et semblent montrer que le retard cians la première année est dans une large mesure responsable du retard plus important constaté pendant la dernière année. Les pourcentages médians d’enfants qui ont l’âge modal décroissent pour tous les groupes de pays de la première à la dernière année, ce qui semble montrer que les problèmes posés par les groupes d’âges hétérogènes s’aggravent d’année en année. D e plus, le pourcentage des élèves de la classe qui ont l’âge modal tend à être peu élevé dans les pays où l’écart entre l’âge médian et l’âge normal est le plus grand. Cet écart est évidem- ment lié à la déperdition: dans les 24 pays pour lesquels on dispose de données concernant le rapport inputloutput et la répartition par âge dans les classes primaires, les coefficients de corrélation par rang entre ce rapport et cet écart sont de 0,61 et 0,68, pour la première et la dernière classe respectivement.

LES IMPLICATIONS POUR DE FUTURES ENQUETES

Des questions aussi complexes que celles qui viennent d’être examinées représentent le point extrême que l’on peut atteindre en partant des données de l’enquête de 1969. Si les observations sur lesquelles elle se fonde étaient plus détaillées pour chaque pays, on pourrait répondre à une gamme de questions beaucoup plus étendue sans modifier les méthodes utilisées jusqu’à présent. La technique et les observations dont l’on dispose actuellement suscitent des questions du genre de celles-ci:

Ampleur relative de la déperdition. Quelle proportion des ressources in- vesties par 1000 élèves accomplissant un cycle donné est-elle gaspillée par rapport au rendement escompté? Ampleur absolue de la déperdition. Quelle est la perte totale pour le pays, représentée par l’ampleur relative de la déperdition multipliée par le nombre de milliers d’enfants de la cohorte considérée?

Localisation structurale de la déperdition. Dans quelles années du cycle la déperdition est-elle la plus forte?

Ampleur et localisation 65

Différenciation des sources de déperdition. Quelle proportion de la déper- dition, dans chaque année d’études, est-elle imputable aux abandons et aux redoublements respectivement?

Variation de la déperdition selon le système. Dans la mesure OU les systèmes sont comparables du point de vue des ressources et de la structure, existe- t-il des différences entre les groupes de pays en ce qui concerne l’ampleur relative, les sources et la localisation de la déperdition?

Variation de la déperdition selon la région. Existe-t-il, à l’intérieur d‘un pays, des différences entre des régions géographiquement ou socialement dis- tinctes en ce qui concerne l’ampleur relative, les sources et la localisation de la déperdition?

Variation de la déperdition selon l’école. Existe-t-il, dans une même région, des écarts entre les taux de déperdition pour des écoles dont les caracté- ristiques sont différentes?

Variation de la déperdition selon l’enfant. Existe-t-il, dans un même pays ou dans des pays différents, des écarts entre les taux d’abandons et de redoublements pour des enfants qui présentent des caractéristiques différentes?

Les réponses à ces questions offriraient le plus grand intérêt pour tous les pays du monde. Elles permettraient de déterminer la gravité du pro- blème de la déperdition des effectif‘s dans l’enseignement et de localiser cette déperdition matériellement et structuralement. I1 faudrait encore répondre à certaines questions relatives à la planification des actions à entreprendre pour remédier à la situation. Dans la mesure où la déperdition est im- putable au mauvais fonctionnement de certaines parties du système, les gouvernements ne peuvent agir que sur les éléments qu’il est en leur pou- voir d’améliorer. Aussi longtemps qu’il n’est pas possible d’analyser la déperdition au niveau de chaque école et, de préférence, de chaque année d’études dans chaque école, le gouvernement n’est pas très bien équipé pour planifier son action et en prévoir le coût.

La méthode utilisée pour l’enquête de 1969 présente encore un autre défaut. La déperdition a été évaluée en fonction du nombre d’années- élève que coûtent les redoublements et les abandons. Or, en ce qui con- cerne le rendement interne du système scolaire, bien que ce soient des phénomènes commodes à observer, ils ne représentent pas les faits les plus directement manipulables. C‘est lorsqu’on doit décider si l’enfant remplit ou non les conditions requises pour être admis à passer dans la classe supérieure qu’on atteint le moment critique. O n peut agir de façon efficace

66 L a déperdition scolaire : un problème mondial

sur les taux de déperdition en modifiant le taux de passage. Quant aux mesures à prendre en cas d'inaptitude à remplir les conditions requises pour entrer dans chaque classe, elles représentent le second élément qui mérite d'être examiné. En planiñant l'action qui vise à réduire les taux de déperdition on devrait mettre l'accent sur toutes les mesures dont l'objet est d'empêcher le redoublement d'une classe dans sa totalité ou d'em- pêcher l'enfant d'abandonner ses études à la suite d'un échec. Pour ce faire il y a lieu de distinguer les abandons qui sont la conséquence d'un échec scolaire des abandons volontaires, sans rapport avec le fonction- nement du système. Ces abandons volontaires sont généralement impu- tables à des facteurs externes, dont l'école doit tenir compte en prenant d'autres initiatives sociales et économiques. Ce n'est que si l'on connaît l'ampleur et la localisation de cette forme d'abandon qu'on pourra prendre des mesures appropriées.

Ces remarques ne sauraient être interprétées comme visant à diminuer l'enquête de 1969 et les conclusions que l'on peut en tirer. Pour obtenir des renseignements plus positifs, qui contribueraient à résoudre le pro- blème de la déperdition scolaire, il faudrait une rénovation des méthodes que les pays emploient actuellement pour recueillir les données fournies par leurs écoles. On peut espérer que, si ce renouvellement se fait, les observations enregistrées permettront des comparaisons entre des pays qui diffèrent par leur manière de faire passer leurs objectifs dans les insti- tutions scolaires, ainsi que par la nature de leur échec à atteindre ces buts. Ces pays pourraient alors peut-être discuter des objectifs eux-mêmes en vue d'améliorer le sort de l'humanité tout entière.

Chapitre quatre

Facteurs internes: problèmes et remèdes

Pour faciliter l’analyse des causes des déperditions et les remèdes qu’elles appellent, il est commode de distinguer entre les facteurs internes du système d’éducation et les facteurs externes. On doit cependant se de- mander si ces deux types de facteurs sont réellement indépendants et, dans quelle mesure tout ce qui se passe à l’intérieur de l’école n’est pas influencé, voire même déterminé, par les facteurs externes. Nous sommes convaincus que c’est le cas et notre étude ne saurait ignorer ce fait.

Par ailleurs, il ne s’agit point de dresser ici l’inventaire de tous les systèmes scolaires défectueux ni de faire le bilan des mérites et des insuffi- sances de chacun d’entre eux. I1 est en effet bien évident que la construction d’un modèle idéal, à partir de l’addition des mérites, relèverait de la pure utopie et ne ferait que prolonger une tradition pédagogique dont le défaut, et non le moindre, réside dans l’illusion qu’il peut exister une science péda- gogique indépendamment des réalités sociales, politiques et économiques.

I1 convient aussi de s’interroger sur l’intérêt de notre étude. Peut-elle apporter quelque chose de nouveau? Les nombreux ouvrages publiés depuis le début de ce siècle n’ont-ils pas traité de toutes les causes du mauvais fonctionnement des systèmes scolaires et, parallèlement, proposé des remèdes? Les quelque soixante recommandations adoptées par la Conférence internationale de l’éducation n’ont-elles pas attiré l’attention sur des problèmes fondamentaux et mis en évidence des solutions pos- sibles pour améliorer l’efficacité de l’enseignement? En fait, on n’avait pas mesuré l’ampleur des déperditions; on savait plus ou moins confusément qu’elles existaient, mais n’était-ce pas un phénomkne normal inhérent à tout système d’éducation? Par ailleurs, on doit s’étonner du peu d’impact, sur la réalité scolaire, de tous les écrits des psychologues ou des pédagogues, de toutes les recommandations formulées par des groupements interna- tionaux. Pourquoi ce hiatus entre la théorie et la pratique? Pourquoi

68 La déperdition scolaire : un problème mondial

est-il si difficile de changer l’école? Nous croyons que le scepticisme face aux opinions, aux idées, si générales soient-elles, de même que le poids de l’histoire de l’éducation sont à même d’expliquer ces difficultés. En effet, dans un monde dominé par la science et la technique, on demande que les transformations de l’école reposent sur des faits établis scientifiquement et non sur des impressions. Dans la mesure où il ne s’agit pas d’un alibi pour conserver le statu quo, cela paraît normal. Or, la recherche pédago- gique ne s’est guère occupée du problème des déperditions. En fait, à l’ex- ception de quelques rares pays, elle ne possède pas les moyens nécessaires pour s’attaquer à des questions essentielles, elle en est encore souvent au stade du travail artisanal et son champ d’activité se limite fréquemment à des améliorations de détail. Il est probable aussi qu’elle manque de mo- dèles scientifiques interdisciplinaires et qu’elle demeure en marge des données économiques, sociales et politiques. D’autre part, ne suffit-il pas, pour comprendre le rôle de l’histoire, de se rappeler qu’en Europe l’école primaire est issue des ((écoles des pauvres)) ou des ((écoles de charité))? O n estimait, au début du 19e siècle, que cles hommes de la classe ouvrière - celle qui tire sa subsistance du travail de ses bras - ont bientôt besoin du travail de leurs enfants; et les enfants eux-mêmes ont besoin de prendre de bonne heure la connaissance, et surtout les mœurs du travail pénible auquel ils se destinent. Ils ne peuvent donc pas languir longtemps dans les écoles. I1 faut qu’une éducation sommaire, mais complète en son genre, leur soit donnée en peu d’années . . . ))

Bref, la véritable éducation n’est possible que pour l’élite. Certes aucun ministre de l’éducation ne pourrait aujourd’hui soutenir de teiles idées. Mais est-ce bien certain que beaucoup de gens d’école - de l’école primaire à l’enseignement supérieur - ne pensent pas secrètement que la grande masse des élèves n’a pas besoin d’une éducation très poussée, que l’échec est normal et que les mauvais élèves seront formés par le dur travail de l’usine ou des champs?

A u terme de ces quelques remarques initiales, il va être procédé à l’analyse des principaux facteurs internes de la déperdition.

1. 1967. Paris, Armand Colin, 1968.

Texte de 1800, cité par Antoine Prost, dans L’enseignement en France de I800 à

Facteurs internes: Problèmes et remèdes 69

LES MODES DE SELECTION

L‘enquête de 1969 demandait à chaque Etat membre des informations sur les règlements de promotion et d’examen en vigueur dans l’enseignement primaire et secondaire. Une première étude des réponses révèle une extrême diversité: à côté de dispositions très simples, on a souvent affaire à des règles si complexes que, faute de connaître le système scolaire en question, on a quelque peine à les interpréter correctement. En examinant plus attentivement les données, on découvre cependant qu’il est possible de les ramener au schéma suivant:

Promotion

Elle dépend uniquement des appréciations données par les maîtres au

Les résultats d’un examen de fin d’année sont seuls pris en considération. O n combine les résultats de l’année et ceux de l’examen dans des propor-

tions variables d’un pays à l’autre. O n prévoit parfois que les examens sont trimestriels ou semestriels. Dans

certains pays, les appréciations des maîtres sont combinées avec les résultats obtenus à des épreuves d’inspecteurs ou de chefs d’établisse- ment. Là encore, les proportions varient de cas en cas.

I1 arrive aussi que, là où l’examen est décisif, il n’est prévu que pour cer- taines matières ; seules les appréciations des maîtres comptent pour les autres.

cours de l’année.

Passage d’un cycle à un autre

Les appréciations des maîtres sont seules prises en considération. La décision dépend uniquement d’un examen. Comme pour la promotion, on combine les appréciations des maîtres

avec les résultats de l’examen. Les deux dernières dispositions sous Promotion )) s’appliquent aussi dans

ce cas. Dans plusieurs pays, il y a un examen à la fin d’un cycle, mais l’entrée

dans le suivant dépend d’un deuxième examen. Qu’il s’agisse des appréciations des maitres ou des résultats d’examen,

les règlements prévoient le plus souvent une moyenne générale minimale et des moyennes minimales dans certaines matières - la langue maternelle (ou langue d’enseignement), les mathématiques, la religion, par exemple. I1 arrive fréquemment que des disciplines (musique, dessin, modelage, etc.) ne soient pas du tout prises en considération. En revanche, on prévoit des

70 La déperdition scolaire : un problème mondial

appréciations relatives à l’ordre, à la conduite ou à l‘assiduité au travail, qui peuvent décider d’une promotion ou de l’admission dans un cycle supérieur.

En résumé, quel que soit le mode utilisé, tout revient à traduire par un nombre l’acquisition d’une certaine connaissance et à prévoir des opérations arithmétiques pour combiner ces nombres.

Quel rapport y a-t-il entre cette comptabilité et les processus d’uppren- tissage?

D e nombreux psychologues affirment qu’apprendre ((c’est doter l’organisme de propriétés fonctionnelles nouvelles », c’est changer de façon continue, c’est un processus dynamique et non statique. I1 est vrai que les mécanismes d’apprentissage sont à maints égards mal connus, mais rien, dans l’état actuel de nos connaissances, ne permet de découper l’évolution continue de l’individu en tranches plus ou moins arbitraires et de procéder au cours ou à la fin de ces tranches d’éducation à des contrôles. Que veut-on? Saisir un état momentané? Contrôler la capacité de réciter des phrases? Peut-être. Mais quels liens peut-on établir entre cette performance verbale et une connaissance durable? Espère-t-on mesurer un pouvoir créateur? Toute tentative d’introduire une mesure arithmétique dans le cours d’un apprentissage ne repose-t-elle pas sur une méconnaissance totale de l’évolution et de la construction de l’intelli- gence? Et, quand bien même le procédé de contrôle serait valable, que signifie le nombre qu’on va attribuer à la performance de l’élève? Quelle est sa validité? Depuis plusieurs décennies, de nombreuses recherches ont montré combien l’appréciation chiffrée était contestable; la note dépend du correcteur, elle varie avec le temps: à quelques jours, à quelques se- maines de distance, un correcteur ne donne que rarement la même note à la même épreuve. Le plus souvent, l’échelle adoptée est subjective, fortement liée

Le cloisonnement des disciplines conduit à une succession de me- sures, comme si la personnalité de l’élève pouvait être morcelée, appré- hendée en pièces détachées, comme si les divers apprentissages n’agis- saient pas les uns sur les autres. Et les compétences des maîtres varient avec les matières enseignées, ce qui donne immanquablement aux notes des validités différentes. Par ailleurs, les matières enseignées se prêtent plus ou moins bien à un découpage en tranches et à une appréciation des performances. N’est-il pas significatif qu’on ait souvent renoncé à mettre des notes de dessin, de musique et, de façon générale, à mesurer toutes les activités manuelles et créatrices?

Admettons un instant que le parfait correcteur existe: la promotion d’un de ses élèves va dépendre de la moyenne exigée par le règlement. Or,

la personne du maître, à son état d’esprit.

Facteurs internes: Problèmes et remèdes 71

selon quel critère a-t-on fixé cette moyenne? N'est-il pas curieux de cons- tater que, dans deux pays voisins, OU les conditions culturelles sont com- parables, les moyennes minimales sont différentes, sans compter que les échelles imposées par les autorités centrales ne sont pas comparables; et pourquoi, dans deux pays OU la langue d'enseignement est la même, suffit41 de franchir la frontière pour passer d'une échelle 1-6 à une échelle 1-20?

Les nombreux séminaires ou congrès nationaux ou internationaux ont mis en évidence le fait qu'il n'y a pas un seul psychologue ou péda- gogue qui n'en ait pleinement conscience et qui ne proclame que les notes sont fort problématiques. Et, pourtant, on continue à décider de l'avenir des élèves à l'aide de cette méthode contestable. Pourquoi s'étonner dès lors de l'ampleur des déperditions?

Mais la comptabilité scolaire a encore d'autres effets sur les systèmes d'éducation. On assiste en effet à un déplacement des finalités: ce n'est pas l'épanouissement d'une personnalité qui compte, mais avant tout la capacité d'apprendre des choses mesurables. Et l'enseignement lui-même est conçu en fonction de cette nécessité; ce qui était en quelque sorte secondaire devient primordial, la note chiffrée est une fin en soi. Les opé- rations de contrôle l'emportent souvent sur l'enseignement et constituent pour l'élève comme pour le maître une menace permanente. Celui qui a vécu, dans une école, la fin d'une année scolaire sait quel état de tension créent pour l'administrateur, les maîtres et les élèves les dernières épreuves et leur correction, le calcul des moyennes, l'établissement des bulletins annuels et les conférences des enseignants qui vont appliquer les règle- ments. L'école est devenue une usine à fabriquer et à transcrire des notes; l'enseignement a dû céder la place à la comptabilité. Et ces notes dont chacun connaît la relativité sont devenues des tabous. Une note inscrite dans le registre de l'école ne saurait être modifiée, le maître qui le propo- serait encourrait la désapprobation de ses collègues et de ses supérieurs. D e même, la discussion de cas limites - dans les écoles où l'on n'applique pas le règlement à la lettre - conduit à des débats aussi dramatiques que comiques. Au nom de quoi convient-il d'accorder la promotion à un élève dont la moyenne est inférieure d'un dixième de point à la norme prévue? Question dramatique, car on joue l'avenir d'un individu, comique lorsque l'on sait que l'erreur attachée à chaque note est sans commune mesure avec un dixième de point.

Les examens

Tout ce qui vient d'être dit des notes chiffrées s'applique aux apprécia- tions des examens écrits ou oraux. Il faut toutefois souligner le fait que

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les circonstances rendent encore plus problématique la valeur des cota- tions. Les correcteurs ne disposent que d'un temps limité, la durée des interrogations orales est chronométrée. Pour les maîtres, les élèves et les parents, l'examen crée un état de tension souvent si insupportable que de nombreux psychiatres ont dénoncé son effet néfaste sur l'hygiène mentale. U n tel état est peu propice à une appréciation objective des performances des élèves, on tombe en fait dans l'arbitraire et nombreuses sont les études qui le montrent clairement. Dans les épreuves écrites, le choix des questions relève du pur hasard; l'appréciation du travail de l'élève dépend autant de la présentation, de l'écriture que du contenu; l'anonymat que certains défendent comme une garantie d'équité conduit à une déshumanisation inquiétante, l'élève n'est plus une personne, mais un numéro. Les inter- rogations orales dépendent elles aussi de multiples variables: le ton du maître, son calme ou sa nervosité, la façon de poser les questions, de suggérer les réponses, le souci de faire bonne impression sur les experts. Le comportement du candidat joue, lui aussi, un rôle décisif: rapidité de réaction, habileté à percevoir les intentions de l'interrogateur, blocage. De plus, le fait que souvent l'élève doit tirer au sort une question montre bien qu'on a affaire à une loterie. Toutes ces constatations sont connues, et pourtant on confie à ces méthodes douteuses le soin de décider de l'avenir de générations entières d'enfants ou d'adolescents. Est-il étonnant que les élèves deviennent contestataires?

Quelle que soit la fragilité des notes, plus contestable encore, semble- t-il, est la nature même des examens: ne sont-ils pas un procédé de sélec- tion aveugle à l'état pur? O n crée de toutes pièces une situation artiíìcielle: à une date et à une heure fixées à l'avance, il s'agit pour l'élève, de resti- tuer une matière ou plus exactement un fragment de connaissance. O n dit, bien sûr, que les connaissances emmagasinées ne comptent guère, on veut en réalité mesurer la capacité de réflexion. Affirmation souvent gratuite, il sat de lire quelques centaines de questions pour découvrir que le ré- sultat de l'examen se joue sur ce qui a été appris. L'élève sait plus ou moins confusément qu'il convient d'imiter les maîtres pour réussir, de reproduire ce qui a été enseigné plutôt que de faire preuve d'originalité. I1 y a évidem- ment des différences entre les examens de l'école primaire et ceux de l'école secondaire. Dans le premier cas, l'enfant ne fait que reproduire des matières plus ou moins bien assimilées, dans le second, les réactions de- viennent plus subtiles: il essaie de dire ou d'écrire ce qui sera valorisé par le système. Peu importe le rôle formateur de l'éducation, il s a t de savoir calculer, combiner, imiter, d'être sûr de soi. L'émotif, le maladroit, l'hésitant, celui qui parle ou écrit mal, risque toujours d'être éliminé, quelles que soient ses capacités.

Facteurs internes: Problèmes et remèdes 73

En résumé, l’examen développe chez l’individu un état d’esprit, un comportement et des habitudes qui sont la négation de tout ce qu’on peut lire dans les textes officiels sur les finalités de l’éducation. Sans compter que maîtres et parents l’utilisent constamment comme une menace pour stimuler l’enfant ou l’adolescent, créant ainsi un climat de peur qui est à lui seul déjà un facteur de déperdition. Quel rapport existe-t-il d’ailleurs entre les examens et l’exercice d’une profession?

LES REGLEMENTS

Nous avons déjà fait en passant quelques remarques à propos des règle- ments de promotion ou d’examens; il vaut la peine d’y revenir. Quelle en est la fonction? D’une part, ils établissent une norme à laquelle doivent se soumettre tous les maîtres, d’autre part ils représentent pour les parents une sorte de contrat: si votre enfant obtient tel résultat, il est promu, ou il a droit à tel diplôme. Pour les maîtres, le règlement sert de protection vis-à-vis des parents; pour ces derniers il garantit le fonctionnement équitable du système. Formellement, un maître ne prend pas de décision quant à l’avenir d’un élève, il applique les dispositions légales. De leur côté, même s’ils sont insatisfaits, les parents ne peuvent réagir que si les règles prévues n’ont pas été respectées. O n conçoit aisément qu’un système d’éducation ne puisse fonctionner sans un minimum de règles. Ce qui est contestable, c’est l’élaboration de ces textes qui conduisent à un dé- placement des finalités de l’éducation: il importe non pas de se former, ou d’apprendre à apprendre, mais de remplir les conditions fixées dans les lois scolaires. Or, la majeure partie des prescriptions en matière de promo- tion ou d‘examens sont arbitraires, elles ne reposent que rarement sur des recherches sérieuses. Pourtant, compte tenu de la quantité de travaux accumulés dans les archives des écoles ou des ministères, il serait facile d’analyser la validité des normes fixées, de s’interroger sur leur rôle face aux déperditions. Quand dans un pays - selon l’enquête statistique de l’Unesco de 1969 c’est très fréquemment le cas - les déperditions touchent 50 %, 60 % ou plus de la population scolaire, on ne peut en conclure que les règlements sont bien établis et que les élèves sont des cancres. Bien plus, on doit se demander si ce mode de faire ne met pas en péril le fonctionne- ment même de l’économie du pays et si la passivité des parents durera sans que jamais il n’y ait de réaction. Ni les responsables de l’économie d’un pays, ni la population adulte ne s’interrogent sur la valeur et la significa- tion des règlements, ils les ont admis comme une inéluctable fatalité. C‘est ce qui explique en partie pourquoi rares sont les administrateurs scolaires qui les mettent en cause. Seule une prise de conscience des parents pourrait,

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dans l’état actuel des choses, amener des changements. Malheureusement, les parents ont eux-mêmes été conditionnés par le système scolaire, il arrive même que, là où l’école cherche à innover, elle se heurte à la résis- tance des aînés qui comprennent mal pourquoi ce qui était valable pour eux ne s’appliquerait pas à leurs enfants.

LES VICTIMES DU SYSTEME

La presse quotidienne, tout comme les revues spécialisées dans le domaine de l’éducation, parle souvent des qualités que devra posséder l’adulte de 1990 ou de l’an 2000.11 devra être capable de s’adapter à des circonstances aujourd’hui imprévisibles, il changera plusieurs fois de profession et devra faire preuve d’initiative, quel que soit son métier; ce qui comptera, c’est son pouvoir créateur, inventif, son audace, son courage, sa persévérance. Comme on ignore quelles connaissances seront utiles dans 20 ou 30 ans, on insiste sur l’importance des méthodes de travail, la possibilité de tirer parti, de trier et de critiquer les informations fournies par tous les moyens de communication. Or, fait étrange, l’école tourne le dos à cet avenir. L’assujettissement de l’élève au système de cotation engendre chez lui une série de mécanismes qui, tant sur le plan du comportement que sur celui du raisonnement, entravent son développement. La note polarise l’élève sur un résultat qu’il faut atteindre à n’importe quel prix: recettes, devi- nettes, tricheries, tous les moyens sont bons. On valorise rarement le rai- sonnement, le cheminement que l’élève a suivi pour répondre; ainsi se développent des habitudes contraires à tout idéal de formation de l’indi- vidu: paralysé par la crainte d‘être incapable de fournir la réponse attendue, l’élève court au plus pressé et répond n’importe quoi. Si la chance lui sourit, tant mieux! Pour évaluer un travail, on compte les fautes sans prendre en considération tout ce qui est correct; ainsi l’élève ne peut que perdre des points. Toute appréciation est centrée sur l’échec; on décourage au lieu de valoriser l’effort fourni pour surmonter une difficulté. Quant à la capacité de créer, d’inventer, elle ne joue qu’un rôle insignifiant; pour réussir, il vaut mieux se conformer aux normes courantes. Ajoutons que la nécessité de mettre fréquemment des notes conduit les maîtres à ima- giner de véritables questions pièges. I1 y a les épreuves d’orthographe célèbres où l’on a accumulé par plaisir les traquenards, il y a les problèmes de mathématiques aux situations irréelles, à rebours du bon sens.

Si quelques parents - le plus souvent appartenant à des professions libérales - critiquent le système de sélection, la majorité de la population l’accepte. Bien plus, on joue le jeu, on récompense les bonnes notes, on sanctionne les mauvaises. On répète avec plaisir qu’un enfant est le meil-

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leur de sa classe, que tel autre a brillamment réussi un examen; on dit par ailleurs que celui qui a échoué est peu doué. Personne ne s’interroge sur le caractère arbitraire de ces appréciations: la vie n’est-elle pas un vaste système de sélection? La presse, elle aussi, emboîte le pas en mettant en évidence ceux qu’elle appelle les élèves brillants. Sous la pression de l’auto- rité des maîtres et des parents, les élèves ne peuvent qu’intérioriser les normes en vigueur, ils sont pris dans un processus inexorable qui fait partie des mécanismes d’intégration de l’enfant dans la société ... immobile. Bien des élèves deviennent complices du système : s’ils réussissent, ils croient à leurs ((dons )) et trouvent normal que d’autres échouent; les déperdi- tions ne les émeuvent pas. L‘opinion publique n’a-t-elle pas les mêmes réactions?

L’ORIENTATION SCOLAIRE : REMEDE ou PALLIATIF?

En un certain sens on a pris conscience de l’aspect arbitraire de la sélection fondée sur les modes habituels d’évaluation. Aussi les autorités scolaires, pour remédier à la situation, ont-elles créé des offices d’orientation sco- laire et professionnelle, des offices médico-pédagogiques ou des services de psychologie scolaire. Les premiers tentent de déterminer quel type d’école un élève doit fréquenter et subsidiairement quelle profession con- vient le mieux à ses possibilités. Les deuxièmes s’occupent d’une part d’en- fants retardés physiquement ou mentalement, d’autre part d’élèves mo- mentanément perturbés par la vie familiale ou des problèmes scolaires. Quant aux troisièmes, ils réunissent, en un seul organisme, les activités dévolues aux deux premiers. Si les services de psychologie sont le plus souvent installés dans les bâtiments scolaires mêmes, les autres offices sont, selon les pays, plus ou moins étroitement rattachés à une école ou à un groupe d’écoles ; il arrive parfois que l’orientation scolaire et profession- nelle dépende du ministère du travail, de l’industrie ou de l’économie. A regarder de près le fonctionnement de ces divers services, à lire la littéra- ture spécialisée dans ce domaine, on en vient à se demander dans quelle mesure l’école, incapable de contrôler des phénomènes ou des perturba- tions qu’elle crée en grande partie, ne confie pas à ces offices spécialisés le soin de réadapter l’enfant au système scolaire responsable de sa désadap- tation? U n psychologue-orienteur peut-il vraiment tenir compte unique- ment des résultats qu’il a recueillis pour conseiller un élève? Son sens des réalités ne l’amène-t-il pas tout naturellement à orienter non pas tellement selon les possibilités recensées qu’en fonction de la nature et des caracté- ristiques du système scolaire, donc des défauts de ce système qu’il connaît? On ne saurait le lui reprocher, mais, dans ces conditions, quel remède ap-

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porte le recours à ses compétences? Les critères de l’orientation ne dif- fèrent-ils pas, en dernière analyse, des critères de sélection de l’école?

Qu’on nous comprenne bien: nous savons que les psychologues dis- posent de techniques qui peuvent révéler chez l’élève des possibilités que l’école ignore ou faire apparaître des défauts cachés. La difficulté ou l’inef- ficacité du travail du psychologue tient essentiellement au fait qu’il a rarement les moyens et l’autorité nécessaires pour que l’école tienne compte de ses résultats. La vieille méfiance des autorités scolaires et des maîtres n’a pas encore disparu et, par ailleurs, nombre de psychologues, si bien préparés soient-ils dans l’emploi de leurs méthodes, ignorent tout ou presque tout des réalités de l’enseignement. I1 suffit de consulter des plans universitaires de formation dans plusieurs pays industrialisés pour se rendre compte que la place faite à l’école et aux divers apprentissages scolaires est réduite à la portion congrue. De plus, les divers services psy- chologiques ne font que rarement partie intégrante de l’école; ils travail- lent le plus souvent en marge de celle-ci, ce qui ne fait qu’accroître les difficultés de collaboration avec les maîtres.

Enfin, une dernière remarque s’impose: dans quelle mesure les tests ont-ils été conçus indépendamment des exigences habituelles, bonnes ou mauvaises, de l’école? Certes - il faut insister sur ce fait - il s’agit toujours d’épreuves standardisées qui n’ont pas le caractère subjectif et arbitraire des épreuves scolaires. Et, à cet égard, le progrès est considérable; il n’en demeure pas moins qu’on s’est souvent contenté de résoudre le problème suivant: étant donné le contenu et le fonctionnement d’un système d’édu- cation, comment prédire le plus valablement les succès scolaires d’un élève? C’est pourquoi, dans l’état actuel des choses, l’orientation scolaire est un palliatif plutôt qu’un remède.

DE QUELQUES REMEDES

Les modes d’évaluation et de promotion qui ont été analysés plus haut représentent un aspect du mauvais fonctionnement d’un système d’éduca- tion. Peut-on agir sur ce seul facteur? Peut-on l’isoler du reste? Nous sommes convaincus qu’une transformation profonde de ces modes n’est possible que si l’on rénove l’ensemble : programmes, méthodes, éva- luation sont étroitement dépendants. En analysant les remèdes pratiques appliqués dans un certain nombre de pays, on ne saurait oublier que les améliorations ont porté le plus souvent sur l’ensemble du système: les mesures relatives aux modes d’évaluation et de sélection n’en constituent qu’un élément.

Plusieurs ministères d’éducation estiment que leur poli tique scolaire

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exige le maintien d'un système d'appréciation numérique lié à des règle- ments de promotion et à des examens.

Il ne nous appartient pas de juger le bien-fondé de ces décisions. En revanche il est possible, dans un tel cadre, d'apporter de réelles améliora- tions au système. Ce qui compte d'abord, c'est de substituer à une péda- gogie de l'échec une pédagogie de la réussite. Cette rénovation se traduira en premier lieu par l'attitude des maîtres dans le travail quotidien: au lieu de comptabiliser les fautes, on mettra en évidence ce qui est correct; de nombreux travaux de psychologues montrent en effet qu'on améliore le rendement d'un élève en valorisant ses bonnes réponses, en tirant parti de ses progrès, si minimes soient-ils. Les jugements négatifs - {(paresseux, inattentif, désordonné, stupide ... » - qui visent toujours les mêmes élèves ne sont-ils pas en partie responsables des déperditions? O n met en cause la personnalité de l'enfant, on le blesse à propos de quelques fautes d'or- thographe, de calculs erronés ou d'un devoir non su. O n croit fermement que les seules stimulations valables sont faites de menaces, de blâmes ou de sanctions. Certes, il y a longtemps que des Claparède, des Dewey ou des Makarenko ont dénoncé tout cela, mais c'est malheureusement encore une réalité dans de trop nombreuses classes, réalité souvent ap- prouvée par les parents.

D e plus, au lieu de souligner les performances individuelles, on peut attacher un grand prix au rendement d'un groupe d'élèves, voire même d'une classe tout entière. C'est l'occasion de stimuler la solidarité et la responsabilité de chaque individu à l'égard de l'ensemble. Des essais de ce genre ont conduit les élèves à décider eux-mêmes des appréciations et, dans certains cas, ils ont abouti à un système d'auto-évaluation. Mais il est normal que les administrateurs tiennent à comparer les classes entre elles, à disposer d'une vue d'ensemble: le recours à des épreuves normalisées répond à ce besoin. Si on les propose à un grand nombre de classes de la même année scolaire, il est possible d'établir ces comparaisons et de ren- seigner les maîtres sur la situation de leurs élèves par rapport à celle de leurs camarades. Ils savent alors où sont les points forts et les points faibles, comment organiser leur enseignement pour tenir compte d'éventuelles lacunes. Il ne faut cependant pas oublier que, si l'on veut transformer les résultats obtenus à une épreuve normalisée en notes scolaires usuelles, on ne dispose d'aucun critère statistique: l'échelle est fixée arbitrairement; on peut, par exemple, prévoir que 50, 60 ou 70 % des élèves obtiendront une note égale ou supérieure à la moyenne. Cette décision dépend avant tout de la politique scolaire et non de la pédagogie. I1 convient aussi de se rappeler que, si l'on applique de telles épreuves à des élèves de l'enseigne- ment secondaire du premier ou de second cycle, la population n'est plus

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normale, au sens statistique du terme; on oublie souvent qu’elle est déjà sélectionnée.

Dans plusieurs pays où un examen décide du passage d’un cycle à l’autre, on a utilisé avec succès des épreuves normalisées appliquées à toute la population scolaire de l’année en question et non pas aux seuls élèves qui se sont annoncés pour le cycle suivant. On élimine ainsi le choix arbitraire des questions et les appréciations subjectives des maîtres ou des experts. Cependant la tension due à l’examen lui-même demeure avec toutes ses conséquences. On objectera que de telles méthodes posent des problèmes difficiles d’organisation et de correction. Ces difficultés peuvent être en grande partie supprimées par le recours à des épreuves à choix multiples qui se prêtent à un traitement mécanique rapide. I1 est vrai qu’il faut disposer d’un équipement apparemment coûteux, mais cette dépense, comparée aux gaspillages financiers qui résultent des déperditions, est en réalité insignifiante. De plus, la mise sur pied d’un système de collaboration entre Etats permettrait à coup sûr de limiter les frais au strict nécessaire.

Les transformations qui viennent d’être décrites ne sont possibles que !si les maîtres reçoivent la préparation adéquate. I1 en sera traité plus loin.

Des améliorations plus radicales

Dans le paragraphe précédent, on a énuméré des améliorations qui ne modifient pas de façon essentielle le système traditionnel de promotion et d’examens. Mais il existe des solutions plus radicales qui agissent sur l’ensemble du système.

Il vaut la peine de mentionner une expérience récente de classes sans note menée en Belgique qui, durant l’année scolaire 1969/70, a englobé une vingtaine d’écoles de six cents élèves environ du premier cycle de l’enseigne- ment secondaire. En fait, cette suppression n’est que l’aboutissement d’une suite de transformations internes. On s’est efforcé tout d’abord de modifier les relations administrateurs-maîtres d’une part, maîtres-élèves d’autre part, à partir de séminaires de dynamique de groupe. Parallèlement, comme il demeure nécessaire de mesurer les connaissances acquises par les élèves et leurs progrès intellectuels, on a prévu deux sortes d’épreuves, des épreuves de rétention)) et des compositions qui permettent d’apprécier, à partir de connaissances données, le pouvoir d’application et d’invention des élèves. Les unes et les autres ont donné lieu à des appréciations non chiffrées. Un conseil de classe a réuni régulièrement les maîtres et le psycho- logue de l’école. I1 examinait la situation de chaque élève et discutait de ses progrès ou de ses difficultés: quelques semaines après le début de l‘année scolaire, chaque élève était confié à l’un des enseignants de la

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classe qui devenait son tuteur. Celui-ci était responsable de 4 ou 5 enfants au plus; il s’efforcait, en dehors des heures d’enseignement, de les guider, de les conseiller et de prévoir les mesures de rattrapage nécessaires. Cette activité était compensée par une diminution de ses heures d’enseignement. C’est le conseil de classe qui décidait de la promotion, fondée sur l’évo- lution de l’élève au cours de l’année, les informations du psychologue, l’avis du maître-tuteur.

La réussite d’une telle expérience dépend donc, dans une large mesure, de l’attitude du corps enseignant, de la manière nouvelle dont il envisage ses relations avec les élèves, de son sens des responsabilités. La fonction traditionnelle de l’éducateur est remise en question: il n’est plus protégé par un règlement, et il devient un animateur, un guide disponible pour ses élèves. Une rénovation de ce genre est-elle possible dans l’enseignement primaire? Nous ne saurions pour l’instant répondre à cette question; tout au plus peut-on prévoir que sa réalisation exigerait un travail d‘équipe des maîtres d’une même école, avec la collaboration d’un service de psycho- logie scolaire convenable.

Depuis de nombreuses années, on a introduit, dans les pays anglo- saxons, la promotion automatique. En fait la notion même de promo- tion est radicalement modifiée et, avec elle, la conception de l’enseigne- ment. L’introduction d’une sorte de libre passage d’une classe à l’autre remplace l’hétérogénéité; mais les difficultés qu’un élève éprouve dans cer- taines matières persistent - à moins qu’il ne s’agisse de blocages dus à des raisons affectives, souvent passagères; il arrive même qu’elles s’accrois- sent au cours de la scolarité.

I1 convient donc de prendre toute une série de mesures qui tiennent compte de la situation nouvelle: il faut organiser des cours de rattrapage, permettre à l’élève d’avancer à son propre rythme, inventer des motiva- tions qui remplacent efficacement la menace de la non-promotion. L’en- seignement doit s’individualiser : il perd donc son caractère monolithique, ce qui entraîne inévitablement des modifications de programmes et de méthodes. La promotion automatique conduit aussi presque nécessaire- ment à la disparition de la notion de classe au profit de l’enseignement par niveaux, qu’on peut caractériser de la façon suivante: pour chaque matière, on prévoit, par exemple, quatre niveaux, A, B, C et D. Des élèves du même âge, donc théoriquement d’un degré scolaire déterminé, peuvent suivre un programme de niveau A dans une discipline, C dans une deuxième, B dans une troisième; suivant leur évolution, ils sont auto- risés à passer de l’un à l’autre. On se rend compte aisément qu’un tel sys- tème, qui abolit les critères habituels de sélection, exige que l’enseignement soit totalement repensé. I1 sera traité plus loin de cette importante ques-

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tion. I1 suffit pour le moment d’insister sur le fait que la disparition de la notion d’échec, avec ses séquelles traumatisantes, représente déjà un pro- grès considérable. O n doit cependant se demander ce qui se passe à la sortie de l’école, comment les élèves qui se sont habitués à ces méthodes s’intègrent dans une société où la concurrence et les rivalités de toutes sortes jouent un rôle déterminant. Vont-ils être des agents de changement? Entrer en conflit avec la sélection traditionnelle dans les métiers?

O n peut enfin relever que les transformations qui viennent d’être décrites s’accompagnent souvent d’une mesure plus radicale encore: la suppression des examens du début à la fin de la scolarité, le deuxième cycle du second degré y compris.

Intelligence, programmes et méthodes

Modifier les règlements de promotion ou d’examens est chose relativement aisée, mais quelle est la portée réelle d’une telle mesure? Prenons un exemple: si l’on prévoit qu’un élève est promu lorsque sa moyenne géné- rale est supérieure ou égale à 4 (dans une échelle de 1 à 6, où 6 est la note maximum), on peut décider, si l’on veut diminuer le nombre des échecs, qu’il suffira désormais d’une moyenne inférieure pour passer dans la classe supérieure. Les élèves repêchés par cette décision auront-ils atteint un meilleur niveau de formation? I1 est permis d’en douter si l’on n’agit pas parallèlement sur le contenu et la forme de l’enseignement. Nous faisions plus haut une remarque analogue à propos de la promotion automatique.

I1 convient donc d’examiner maintenant ce qui se passe jour après jour à l’intérieur de l’école et de se demander d‘abord sur quelle conception de l’intelligence repose l’instruction traditionnelle.

Une première constatation s’impose: lorsque, au 19e siècle, on a ins- titué dans plusieurs pays industrialisés l’enseignement primaire obliga- toire, on a utilisé des modèles connus, fournis le plus souvent par quelques types d’écoles privées, généralement entre les mains des diverses églises. En créant un enseignement laïque, on n’a guère innové en matière de pro- grammes et de méthodes; fait significatif, la majeure partie du vocabulaire qui qualifie le travail intellectuel de l’enfant a gardé un contenu moral! A u cours des dernières décennies, l’extension de l’éducation à tous les pays n’a pas entraîné de changements importants. Notons cependant que pour des raisons historiques, d’ailleurs fondamentalement diErentes, les Etats- Unis et l’URSS ont créé des systèmes scolaires qui, dans une large mesure, échappent à l’analyse critique ci-dessus.

D e plus, tout le travail de l’école repose sur une certaine conception de la psychologie de l’enfant, qui n’est que rarement formulée explicite-

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briser les résistances des élèves n’existait pas, ceux-ci auraient déserté l’école depuis longtemps. N’est-ce pas une explication partielle du nombre des abandons dans les cycles d’enseignement non obligatoires? En recou- rant à la force, on obtient leur silence, mais au prix de déperditions consi- dérables. Or i1 existe une réalité enfantine dont nous ne tenons pas compte pour concevoir notre enseignement. Il y aura bientôt quatre siècles que

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«On ne cesse de criailler à nos oreilles (d’enfants) comme qui verserait dans un entonnoir et notre rôle (d’enfants) ce n’est que redire ce qu’on nous a dit. Je voudrais que (le maître) corrigeât ce point et que, dès l’abord, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commençât à la mettre sur la piste, lui faisant goûter les choses, les choisir et les discerner d’elle-même, quel- quefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir.)) Quatre cents ans, et rien ou presque rien n’a changé. L‘encyclopé-

disme, et par là le recours à la mémoire, demeure au cœur même de l’en- seignement, de l’école primaire à l’université.

L’école véhicule une certaine conception épistémologique relative à la nature du savoir à transmettre. En effet, le développement des connais- sances est conçu, aussi bien au niveau de l’individu qu’à celui de l’espèce humaine, comme un processus linéaire qui comprend l’ajout successif d’une série de savoirs dont la somme représente la culture. Nous disons qu’il s’agit d’un processus linéaire, car, dans cette optique, les nouvelles acqui- sitions représentent un pas en avant vers la connaissance sans jamais éclairer sous un nouveau jour ce qui a été vu précédemment. Ainsi, tout savoir revêt un caractère d’absolu. Les vérités se succèdent au cours de l’évolution de l’humanité, comme pour l’enfant au fur et à mesure qu’il avance dans sa scolarité, mais elles n’en perdent pas pour autant leur ca- ractère de vérité absolue, il n’entre pas dans la logique du système de les relativiser; la culture est figée une fois pour toutes.

Les conséquences de cet état de choses sur l’enseignement sont claires. Tout d‘abord au niveau de la détermination du contenu, l’accent est essentiellement porté sur tout ce qui relève des faits et semble présenter par là un caractère incontestable. Par cette valorisation excessive du «fait», on escamote systématiquement tout ce qui touche à sa réelle interpréta- tion, tout ce qui pourrait permettre la véritable compréhension d’un pro- cessus et non pas seulement son aboutissement. D u même coup on élude tout le problème de l’interdisciplinarité : pris en eux-mêmes, les faits relè- vent de domaines bien différents, rien ne les relie entre eux. Aussi com- pose-t-on des programmes qui juxtaposent une série de matières, elles- mêmes subdivisées en une série de chapitres bien distincts, des programmes qui n’ont rien à envier aux encyclopédies. I1 en résulte que les méthodes les plus usuelles se caractérisent par le recours constant au verbalisme et à la mémoire. I1 y a trente-cinq ans déjà que Jean Piaget, ancien directeur du Bureau international d’éducation, écrivait dans le tome XV de L’Ency- clopédie franqaise (1 5.26.1 1) :

a L‘usage presque exclusif que fait du langage l’éducation traditionnelle, dans l’action qu’elle exerce sur l’élève, implique que l’enfant élabore ses concepts de la même manière que nous, et qu’ainsi s’établisse une corres-

Facteurs internes: Problèmes et remèdes 83

pondance terme à terme entre les notions du maître et celles de l’écolier. Or, le verbalisme, cette triste réalité scolaire - prolifération de pseudo- notions accrochées à des mots sans significations réelles - montre assez que ce mécanisme ne joue pas sans difficultés et explique l’une des réac- tions fondamentales de l’école active contre l’école réceptive.

La chose est aisée à comprendre. Les concepts adultes, codifiés dans le langage intellectuel et maniés par des professionnels de l’exposé oral et de la discussion, constituent des instruments mentaux qui servent essentiellement, d’une part à systématiser les connaissances déjà acquises, et d‘autre part à faciliter la communication et l’échange entre les individus. Or, chez l’enfant, l’intelligence pratique domine encore Iargement I’intelli- gence gnostique; la recherche prime le savoir élaboré et, surtout, l’effort de la pensée reste longtemps incommunicable et moins socialisé que chez nous ... N

Submergé par l’emploi de mots, de formules et de notions incompré- hensibles, l’enfant docile ne dispose que d’une seule méthode: apprendre par cœur. Remarquons que souvent le maître l’exige et qu’on rencontre la formule imprimée au haut de certaines pages de manuels en usage actuel- lement. A-t-on jamais fait l’inventaire de la collection de textes appris par cœur par un enfant durant ses cinq ou six premières années d’école? Qu’en reste-t-il? Quelle est la signification de ces efforts dans la formation d’un homme?

Face à la situation actuelle, on devrait se demander comment il se fait que, durant ces trois dernières décennies au cours desquelles la science et la technique ont évolué de façon extraordinaire, il semble que rien ou presque rien ne se soit passé à l’école. Il est pourtant indéniable que la psychologie de l’enfant et de l’adolescent a fait des progrès, de même que la sociologie de l’éducation. Même si tous les problèmes que pose à cet égard l’enseignement n’ont pas encore trouvé de réponse, ce qu’on sait suffit déjà à apporter des changements fondamentaux.

Nous ne saurions ici, en quelques pages, analyser la totalité de ces apports, aussi nous contenterons-nous de rappeler le résultat primordial des travaux de l’une des grandes écoles de psychologie moderne, celle de Je an Piaget. Dans son ouvrage Psychologie et pédagogie, on trouvera les idée s directrices nécessaires à une rénovation de l’enseignement. Que dit-il de l’intelligence?

«Le fait essentiel qui contredit les survivances de l’empirisme association- niste et dont l’établissement a renouvelé nos conceptions de l’intelligence, est que les connaissances dérivent de Z’acfion, non pas dans le sens de simples réponses associatives, mais en un sens beaucoup plus profond qui est celui de l’assimilation du réel aux coordinations nécessaires et géné-

84 L a déperdition scolaire : un problème mondial

rales de l’action. Connaître un objet, c’est agir sur lui et le transformer, pour saisir les mécanismes de cette transformation en liaison avec les actions transformatrices elles-mêmes. Connaître, c’est donc assimiler le réel à des structures de transformation, et ce sont les structures qu’élabore l’intelligence en tant que prolongement direct de l’action.

Que l’intelligence dérive de l’action ..., aboutit alors à cette consé- quence fondamentale : même en ses manifestations supérieures, où elle ne procède plus que grâce aux instruments de la pensée, l’intelligence consiste encore à exécuter et à coordonner des actions, mais sous une forme intériorisée et réflexive [...I. I1 en résulte que, à tous les niveaux, l’intelligence est une assimilation du donné à des structures de transforma- tions, des structures d’actions élémentaires aux structures opératoires supérieures, et que ces structurations consistent à organiser le réel, en acte ou en pensée, et non pas à le copier simplement. » 2

La mise en évidence de l’action de l’élève n’est pas nouvelle, mais l’apport de Jean Piaget consiste avant tout dans le faisceau de preuves expérimentales sur lesquelles il fonde ses affirmations. Pourquoi, dès lors, l’école - mis à part l’enseignement aux enfants de 4 à 7 ans - ignore-t-elle le rôle de l’action? Maîtres et administrateurs s’accordent pour déclarer que le programme ne le permet pas, car elle prend du temps. Mais le mo- ment n’est-il pas venu d’élaguer les programmes, de se demander, à partir des buts assignés à l’éducation, ce qui est véritablement formateur? Certes, il y a au départ les connaissances de base: lire, écrire, calculer. I1 est déjà caractéristique qu’on ne dise pas non plus parler et voir à une époque où, d‘une part, la capacité de s’exprimer, de défendre ses idées jouent un si grand rôle et où, d’autre part, l’image prend plus de place que le texte. I1 importe, dès le début de l’école, d’accorder une place importante au lan- gage oral et de ménager le temps nécessaire à l’analyse critique des images qui s’offrent de tous côtés à l’enfant.

Ces connaissances de base doivent se fonder sur le vécu et l’environne- ment de l’enfant. Or, il est frappant de découvrir que, dans de nombreux pays, l’apprentissage de la lecture se construit sur des mots que l’enfant ne comprend pas, qui ne représentent rien pour lui: l’analyse de manuels de lectures récents que l’on trouve dans la bibliothèque du Bureau inter- national d’éducation le prouve de façon évidente! Par ailleurs, il est essen- tiel que la genèse du nombre et des opérations élémentaires repose sur les manipulations de l’enfant: point n’est besoin d’un matériel coûteux, les objets les plus simples dont dispose chaque élève y suffisent, à condition que le maître sache suggérer ou inventer les actions structurées qui pré-

I 2. Piaget, Jean. Psychologie et pédagogie. Paris, Denoël, 1969. p. 48-50

Facteurs internes: Problèmes et remèdes 85

parent et conduisent à la découverte des notions de base. Le temps con- sacré à l'action, dans les premières années d'apprentissage, apparaît souvent comme du temps perdu; en réalité, l'enseignement, dans la suite pourra se faire plus rapidement, on évitera de répéter sans cesse des con- naissances fondamentales mal assimilées et, autre gain essentiel, on ne courra plus le risque de décourager la majorité des élèves.

Apprendre à lire, c'est bien. Encore faut-il donner à l'élève l'occasion de lire ensuite des livres qui l'intéressent. On apprend à écrire en écrivant, non pas des exercices de grammaire, mais des textes qui se rapportent à la vie quotidienne, qui décrivent, plus ou moins longuement suivant l'âge, des expériences réelles. La vie scolaire doit sans cesse puiser dans tout ce qui touche l'enfant et non pas demeurer étrangère à la réalité vécue jour après jour. Autre fait curieux, pourquoi les problèmes d'arithmétique ignorent- ils ce dont on parle constamment au foyer: le prix réel des denrées de pre- mière nécessité, celui du loyer, l'évolution des salaires, le rendement des cultures, les prix de vente au marché? Où apprend-on à calculer le mon- tant des impôts, les primes d'assurances sociales, les prestations corres- pondantes?

A partir des acquisitions fondamentales, il importe désormais de dé- velopper les méthodes de travail:

savoir observer, savoir s'informer, savoir innover, savoir analyser, savoir critiquer,

et non plus simplement savoir. Il faut éveiller et maintenir la curiosité, la capacité de chercher, d'expérimenter et d'inventer.

Dans l'enseignement élémentaire, l'encyclopédie se donne libre cours, plus particulièrement dans trois disciplines : la géographie, l'histoire et l'introduction aux sciences naturelles. A quoi rime l'énoncé des matières que l'on trouve à ce niveau-là dans tous les programmes? Que veut-on? Que peut-il résulter de la mémorisation de noms difficiles de personnages, de lieux ou de mots savants? Pourquoi ne pas accorder une place centrale à l'étude du milieu, selon les conceptions exposées par Robert Dottrens?

L'enfant découvrirait que ces disciplines se rapportent d'abord à la vie courante, qu'elles lui permettent de découvrir et comprendre ce qui se passe autour de lui. Non seulement, on renouvellerait ainsi des enseigne- ments souvent ennuyeux, mais on enrichirait en même temps l'apprentis- sage de la langue et les mathématiques élémentaires, on détruirait le mor- cellement des matières et leur découpage arbitraire.

86 L a déperdition scolaire: un problème mondial

Une grande partie de ce qui a été dit plus haut concerne aussi l’en- seignement secondaire. Ne devrait-il, en effet, pas être par excellence le lieu d’apprentissage des méthodes de travail? Or, la tradition de l’Eu- rope occidentale, qui a servi de modèle à de nombreux pays en voie de développement, a conduit à un encyclopédisme sur-développé. La culture y apparaît comme une juxtaposition de matières sans lien et on doit se demander sérieusement si les programmes ne font pas qu’éduquer les esprits à se suffire d’une certaine superficialité. Quel type d’élèves peut supporter cette accumulation de matières, cette obligation d’obtenir des résultats suffisants dans des disciplines qui, en réalité, ne les intéressent guère? Qui leur reprocherait de tenter de se tirer d’affaire en essayant de faire le minimum nécessaire pour ne pas s’attirer trop d’ennuis? Seuls des élèves privilégiés parviennent, avec l’aide de leur milieu, à faire face. Les autres abandonnent, et c’est au-delà de l’enseignement obligatoire que, dans les pays industrialisés, les déperditions deviennent spectaculaires. Soyons francs: personne ne s’intéresse à tout et personne ne possède de dons universels; nous avons de la répugnance pour les sujets qui nous sont étrangers. Qui donc s’appliquerait volontiers à ce qui lui déplaît naturelle- ment, lorsqu’il y a tant d’autres choses à faire? On travaillerait plus joyeusement et plus intensément si l’on pouvait renoncer à s’occuper des matières qui nous laissent indifférents afin de se vouer entièrement à celles qui nous intéressent. Et il serait possible d’avoir des programmes mieux adaptés à nos intérêts. Qu’on interroge des professeurs d’université : s’ils enseignent dans des facultés littéraires, que leur reste-t-il de l’enseignement des sciences qu’ils ont connu à l’école secondaire? Les scientifiques qui n’ont pas eu l’occasion d’approfondir, par un séjour à l’étranger, les lan- gues vivantes, sont-ils capables de les lire et de les parler?

L’organisation de l’enseignement secondaire en URSS ou aux Etats- Unis devrait nous inciter à des réflexions salutaires, même si des traditions respectables ne permettent pas d’adopter sans autre des solutions com- parables. Faut-il en effet que les pays en voie de développement conti- nuent à organiser leur enseignement du second degré selon des modèles dé- passés?

L’analyse des programmes conduit naturellement à une refonte des méthodes dont le principe essentiel devrait aller de sui. I1 faut accorder une place primordiale à l’activité de l’enfant et faire disparaître du même coup la leçon type: le maître parle, l’élève écoute - ou n’écoute pas - et répète. Ce postulat suppose tout naturellement la coopération des enfants, parti- culièrement apte, comme l’écrit Jean Piaget, ((à favoriser l’échange réel de la pensée et la discussion, c’est-à-dire toutes les conduites susceptibles d’éduquer l’esprit critique, l’objectivité et la réflexion discursive. Du point

Facteurs internes: Problèmes et remèdes 87

de vue moral, elle aboutit à un exercice réel des principes de la conduite et non pas seulement à une soumission extérieure. »3

Partisan des méthodes basées sur une appréhension du réel déve- loppement de l’intelligence comme de la totalité de la personnalité de l’enfant, il donne une réponse au problème de l’autorité du maître: il démystifie le type de contrainte inhérent à l’école traditionnelle tout en démontrant les possibilités d‘un ordre de relations qui se place à un échelon supérieur. a Bien entendu, sauf quelques cas extrêmes, les méthodes nouvelles d’éducation ne tendent pas à éliminer l’action sociale du maître, mais à concilier avec le respect de l’adulte la coopération entre enfants et à réduire, dans la mesure du possible, la contrainte de ce dernier pour la transformer en coopération supérieure. ))

I Les manuels posent des problèmes dans une certaine mesure contra- dictoires: d’une part, les pays en voie de développement se plaignent de l’insuffisance de leurs manuels, de l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent, faute de ressources, de les renouveler fréquemment et de les adapter a u conditions régionales de. l’école; d’autre part, on a de plus en plus souvent le sentiment que, dans les pays industrialisés, les manuels sclérosent l’enseignement ; plus exactement ils empêchent l’évolution des méthodes et fixent les connaissances pour de nombreuses années. Une récente enquête relative à des manuels d’histoire a révélé qu’une page contient en moyenne une douzaine de noms propres que l’élève ne peut que mémoriser ou ignorer. Une autre recherche actuellement en cours sur des manuels de physique a déjà permis de découvrir une trentaine de définitions de termes nouveaux répartis sur cinq pages. Précisons qu’il s’agit d’ouvrages récents. En feuilletant les manuels de lecture de pays africains francophones, nous y avons lu de nombreux mots qu’un enfant de six ans ignore et qui proviennent d’un vocabulaire usuel en Europe. De même, dans des livres d’arithmétique destinés à des pays d’Afrique ou d’Asie, nous avons rencontré les problèmes de prix d’achat et de vente et les calculs de bénéfice qui encombrent les manuels européens. Certes, le livre est un auxiliaire indispensable du maître qui ne peut tout savoir ni improviser la succession des leçons; il donne par ailleurs a u ministères de l’éducation une relative garantie à propos des matières étudiées. Mais n’est-ce pas aussi un oreiller de paresse, une façon d’encourager le verba- lisme et l’absence de tout esprit de recherche?

3. Op. cit. p.263. 4. Op. cit. p.264.

88 La déperdition scolaire : un problème mondial

Nest-il pas possible de concevoir des manuels qui suggèrent divers types d’activités, différentes méthodes de travail, stimulent l’imagination, signalent des sources d’information à la portée des élèves, proposent la construction d’objets propres à illustrer une leçon à partir d’un matériel peu coûteux et immédiatement accessible?

La préparation des enseignants

Tout ce qui vient d’être dit dans ce chapitre met directement en cause la formation des maîtres et leur recyclage. I1 est évident, tout d‘abord, que les déperditions leur paraissent normales. Certes ils ont assisté au re- doublement et à l’abandon de nombreux camarades, mais, tout compte fait, même s’ils ont pu être heurtés ici ou là par une décision des autorités scolaires, il pensent que le système n’est pas si mauvais puisqu’ils ont obtenu leur diplôme. Valorisés par leur réussite, ils imaginent sans peine qu’ils sont plus doués que ceux qui ont disparu en cours de route. D e plus - et nous pensons particulièrement aux maîtres de l’école primaire - leur formation a été essentiellement encyclopédique: on s’est efforcé de leur donner des notions sur tout; aux branches de culture générale on a ajouté une initiation à la psychologie et à la pédagogie, des cours de didactique. On exige souvent qu’ils aient des aptitudes plus ou moins développées en dessin, en musique, en travaux manuels et en éducation physique. Enfin, leur initiation à la pratique pédagogique se déroule dans des classes tra- ditionnelles - à quelques exceptions près - dont les titulaires sont connus pour leur fidélité au système. I1 serait étonnant qu’en entrant dans la carrière les jeunes instituteurs aient envie d’innover.

Philip Coombs, dans son ouvrage intitulé La crise mondiale de I’édu- cation5, analyse le problème des maîtres sous un autre angle. Selon lui, l’enseignement, contrairement aux industries, est 6 la fois consommateur et producteur de main-d’œuvre de haute qualité. Sil doit alimenter con- venablement les autres consommateurs, et de mieux en mieux à chaque génération, il lui faut récupérer chaque année une part suffisamment grande de ses meilleurs produits afin d’assurer la qualité de la récolte sui- vante. Or, lorsqu’il veut réserver et sélectionner une fraction de sa produc- tion, l’enseignement entre en compétition avec toutes les autres entre- prises. I1 est nettement désavantagé et dispose la plupart du temps d’une proportion élevée de candidats de deuxième choix parce que ses concur- rents plus riches font la loi en matière de salaire.

5. France, 1968. 322 p., diagr., fig., bibi. (Collection SUP)

Coombs, Philip. La crise mondiale de l’éducation. Paris, Presses universitaires de

Facteurs internes: Problèmes et remèdes 89

On ne peut analyser ici cet aspect du problème, qui est étroitement lié aux besoins d’un pays en cadres compétents, aux ressources disponibles et par conséquent au développement économique. Il est probable qu’une modification radicale de la formation des enseignants permettrait d’amé- liorer cette situation, bien qu’il ne faille pas se faire trop d’illusions: dans de nombreux Etats la position sociale du maître se dévalorise de plus en plus. Cette lente et réelle dégradation d’une profession clé pour l’avenir d’une nation mérite de retenir l’attention des autorités et devrait faire l’objet d‘enquêtes sociologiques sérieuses.

Indépendamment des mesures d‘ordre administratif nécessaires pour lutter contre les déperditions (voir p. 76-78) une rénovation fondamentale de la formation peut seule briser le cercle vicieux des déperditions: des maîtres qui ont subi durant leur scolarité le régime des redoublements et des abandons vont nécessairement installer dans leur classe ce système. A titre indicatif, examinons ce que pourrait être une école normale modèle.

En premier lieu, il conviendrait de déterminer la quantité minimum de connaissances indispensables et, par conséquent, de bannir tout ency- clopédisme. Un maître ne peut apprendre à un moment déterminé tout ce dont il aura besoin; en revanche, il faudrait accorder une place importante (plus de la moitié du temps disponsible) aux méthodes de travail, à la re- cherche de documentation et d’information, à la connaissance et à l’ana- lyse critique des matériaux ainsi recueillis. Dans la mesure du possible, on recourrait aux sources les plus variées : livres, diapositives, films, magné- tophones, radio et télévision. Avec l’aide de l’Etat, les élèves-maîtres se constitueraient une bibliothèque personnelle qu’ils emporteraient dans leur classe: il existe actuellement, dans plusieurs langues, des livres de poche qui apportent des informations scientifiques sur les sujets les plus variés. Les dépenses nécessitées par un tel équipement paraissent minimes en regard du gaspillage économique dû aux déperditions. L‘étude du milieu jouerait un rôle privilégié : point de départ d’enquêtes sur le terrain, elle conduirait à une prise de conscience de la situation économique et sociale d’une région, permettrait la rédaction de rapports, l’élaboration de documents, la construction de modèles que les intéressés utiliseraient ultérieurement dans leur enseignement. Dans toutes ces activités, il s’agirait de tirer au mieux parti du pouvoir inventif et créateur des étudiants et de stimuler la curiosité et l’esprit de recherche.

En deuxième lieu, à la place de l’esprit de compétition, on dévelop- perait le sens de la collaboration et des responsabilités en divisant les étudiants en groupes qui se verraient confier des tâches précises; à une direction autoritaire, on substituerait un régime de coopération et de parti- cipation. I1 va de soi que, dans une telle perspective, le mode usuel d’éva-

c

90 L a déperdition scolaire: un problème mondial

luation du travail et des résultats n’a plus de sens et qu’on devrait par- venir, par étapes, à une auto-évaluation. Est-ce utopique? Les expériences de travail en groupes réalisées dans l’esprit décrit ci-dessus montrent que ce projet est réalisable à condition de choisir avec soin les enseignants- animateurs d’une telle expérience, et de les préparer à cette tâche nouvelle. Il ne sert à rien de dire et de répéter que les maîtres devraient être des guides, des conseillers, des hommes qui stimulent et encouragent leurs élèves, s’ils ne peuvent pas, dans leur temps de formation, vivre pleinement une expérience communautaire dans une ambiance qui leur apprenne ce que devrait être le climat de leurs futures classes.

En troisième lieu, une formation psychopédagogique efficace serait vécue, illustrée jour après jour par ce qui vient d’être dit. Le fossé qui existe habituellement entre les cours de psychologie, de pédagogie et de didactique que reçoivent les normaliens et ce qu’ils vivent quotidiennement est tel qu’il dévalorise, à coup sûr, ces enseignements. I1 importe donc que théorie et pratique, au sein même de l’école, ne se contredisent pas. D e plus, une initiation à la recherche pédagogique remplacerait efficacement de nombreuses leçons détachées de tout contexte pratique. I1 semble par conséquent indispensable qu’un collège-pilote soit rattaché à l’école normale; la formation pratique n’est en effet concevable que dans des classes d’avant-garde et la méthode usuelle, qui consiste à confier les élèves-maîtres à des enseignants chevronnés, connus pour leur attitude conformiste, ne peut que former des instituteurs conservateurs, aptes au mieux à reproduire le système des déperditions.

Enfin, il serait souhaitable que les jeunes diplômés, lors de leur entrée en fonction, soient suivis, guidés, encouragés par des inspecteurs capables d’être des animateurs et non des éteignoirs comme c’est le cas si fréquem- ment. Peut-être conviendrait41 d’associer à cette tâche un psychologue et les professeurs de pédagogie et de didactique de l’école normale afin d’assurer, durant les premières années, le maximum de continuité entre la formation et la pratique. Diverses expériences montrent que cela est possible si les administrateurs d’école comprennent que l’intérêt de l’en- seignement passe avant leurs prérogatives.

CONCLUSIONS

Le lecteur trouvera dans le chapitre 6 une analyse sommaire de tous les facteurs internes. C‘est pourquoi, il n’a été traité ici que de ceux qui pa- raissent les plus importants. Nous aurions pu examiner le rôle possible des méthodes audio-visuelles, mais, outre qu’elles exigent un équipement souvent coûteux, nous estimons que, dans l’état actuel des recherches

Facteurs internes: Problèmes et remèdes 91

pédagogiques qui les concernent, elles n’apporteront pas la solution miracle que certains imaginent. Rappelons à ce propos une autre remarque de Jean Piaget :

((L‘image, le film, les procédés audio-visuels dont toute pédagogie voulant se donner l’illusion d’être moderne nous rabat aujourd‘hui les oreilles sont des auxiliaires précieux à titre d’adjuvants ou de béquilles spirituelles, et il est évident qu’ils sont en net progrès par rapport à un enseignement purement verbal. Mais il existe un verbalisme de l’image comme un ver- balisme du mot et, confrontées avec les méthodes actives, les méthodes intuitives ne font que substituer, lorsqu’elles oublient le primat irréduc- tible de l’activité spontanée et de la recherche personnelle ou autonome du vrai, ce verbalisme plus élégant et plus raffiné au verbalisme traditionnel. »6

Revenons à la realité : quelles que soient les réformes entreprises dans un proche avenir, il est certain que les taux de déperdition ne diminueront que lentement. Nombre d’enfants et d’adolescents quittent l’école après avoir reçu une formation incomplète ou totalement insuffisante. I1 n’est de remède A cette situation que dans la mise sur pied d’une éducation des adultes inscrite dans la réforme des systèmes d’éducation qui doit promouvoir l’éducation permanente. Non seulement on parviendra ainsi à combler en partie les lacunes dues aux déperditions, mais on pourra agir sur les parents, en faire des collaborateurs actifs dans cette lutte contre le gaspillage des potentiels inemployés de la jeunesse.

6. Op. cit. p.111.

Chapitre cinq

Facteurs externes: problèmes et remèdes

C’est uniquement pour clarifier cet exposé que nous avons dissocié le système d’éducation de son contexte économique et social global. I1 est évident qu’une telle simplification est incompatible avec une étude sur l’efficacité de l’école, mais il est tout aussi clair qu’il est difficile, dans le cadre de l’enseignement officiel, de donner un contenu autre que théorique à cette notion, car il est plus aisé de prendre en considération les projec- tions, à l’intérieur du système, du contexte économique et social que sa réalité extérieure. Par sa forme même, d’ailleurs, la question visant à dé- terminer les facteurs extérieurs qui contribuent aux déperditions d’effectifs scolaires postule que toute déperdition se constate dans le cadre du système.

On a signalé les déperditions dues au fait que le système entier s’adapte mal à son contexte. Le milieu de l’école, ses mécanismes sociaux, de- viennent parfois tout à fait étrangers à la société qu’ils sont censés servir, à supposer qu’ils aient jamais vraiment répondu à ses besoins. L’inadap- tation des bâtiments, du matériel, des livres et des programmes d’études est quelquefois évidente, mais d‘autres facteurs sont tout aussi importants aux yeux des usagers: durée et nombre des cours quotidiens; nombre de jours de classe par semaine; nombre, durée et répartition des trimestres; variation de tous ces facteurs en fonction de l’âge; caractère plus ou moins libre des rapports élèves-maîtres ; mode d’élaboration et de révision du règlement appliqué aux élèves et au personnel enseignant ; accessibilité de l’école aux parents et aux membres de la communauté; participation de l’école à la vie de la communauté. Chercher bien au-delà de l’environne- ment immédiat de l’école les causes de déperdition est une entreprise qui peut se heurter à des difficultés particulières.

Il peut y avoir un danger à élargir le cadre d’un problème jusqu’au point où il devient impossible de le traiter isolément. On pourrait, par conséquent, se contenter de signaler que les facteurs qui contribuent

94 L a déperdition scolaire : un problème mondial

directement à la déperdition trouvent leur origine dans les limitations sociales et économiques de la nation. Mais un sentiment d’impuissance risque alors d’empêcher toute action : aussi longtemps que l’économie nationale n’aura pas atteint un certain niveau et que les profits ne seront pas largement distribués, on ne pourra presque rien faire. D e même, le progrès qui amène les nations à garantir la liberté et le respect de l’indi- vidu, notamment des enfants, dans un milieu où leur protection et leur bien-être social se trouvent assurés, demande du temps - ce temps qui semble seul capable de rendre les circonstances plus propices à une ré- duction des déperditions d‘effectifs scolaires.

Si l’on ne veut pas attendre que les choses s’arrangent toutes seules, il faut planifier. Les plans de développement permettent de coordonner l’utilisation des ressources nationales en fonction d’objectifs à court terme qui font partie d’un plan général. C’est surtout au moment de la ventilation des crédits disponibles que l’enseignement risque d’être négligé, car les planificateurs sont plus enclins à reconnaître l’importance de l’en- seignement technique pour la formation d’une main-d’œuvre qualsée, par exemple, qu’à admettre que l’enseignement général améliore la compé- tence nationale dans son ensemble en permettant la diversification des techniques et de l’apprentissage. Les profits économiques qu’on peut attendre de l’enseignement général sont rarement discernables à court terme ; ils sont pourtant sans aucun doute considérables à l’échelle d‘une génération. Même lorsque l’Etat alloue des ressources à l’enseignement pour en permettre l’extension, celles-ci ne sont pas toujours suffisamment adaptées aux processus dynamiques de la société.

Comme exemple de la complexité de ces formes sociales, nous cite- rons le cas des anciens territoires coloniaux, qui restent fréquemment à la merci de leur histoire. Ainsi qu’il a été relevé lors de la Conférence inter- nationale de l’éducation (1970) : (( Parents et enfants se conforment encore à un modèle périmé, qui ne permet plus d’accéder à l’emploi, et refusent pourtant l’enseignement technique qui reste pour eux une solution de rechange insuffisante ». Au temps de la domination coloniale, l’entrée dans les services administratifs subalternes était encouragée parce que néces- saire. Cela supposait une préparation, notamment des études; il en résul- tait une sécurité et un pouvoir personnel considérables. Aussi cherchait-on à faire des études, ou du moins à acquérir tel ou tel diplôme, pour le pres- tige social qu’ils conféraient et semblaient même garantir. I1 y a longtemps que l’affluence des candidats, prenant parfois la forme d’un phénomène de dilution, a dévalué ce type de carrière, qui conserve cependant son attrait, puisqu’il existe toujours, en pratique, un niveau supérieur de quali- fication pour y accéder.

Facteurs externes: problèmes et remèdes 95

On arrive tôt ou tard au point où le diplôme le plus élevé attire un trop grand nombre de candidats et cesse d’assurer une position sociale en rapport avec sa difficulté. La désillusion peut apparaître, en traînant même le mécontentement public, mais les masses qui n’ont pas encore eu la possibilité de faire cette expérience continuent à exiger ce type d’études, qui ne mène en fin de compte qu’au professorat. La dynamique de ce pro- cessus persiste longtemps après que les réalités qui l’ont créé ont disparu, et le système maquille ses propres insuffisances. Moins il y a d’élus, moins le véritable but de l’éducation est compris, plus le processus de l’éducation apparaît comme une gigantesque loterie nationale dotée de prix peu nom- breux mais mirifiques, la seule erreur étant de ne pas prendre de billet. Plus les processus éducatifs s’apparentent à des rites incompréhensibles, plus ils résistent au changement. Les pays OU existe une situation de ce genre peuvent, par exemple, avoir besoin d’un grand nombre de techni- ciens de l’agriculture, mais les écoles censées former ceux-ci servent uni- quement à réintégrer le système orthodoxe, seule voie possible et désirable aux yeux des élèves.

I1 n’y a toutefois pas toujours coïncidence entre l’enseignement ortho- doxe, hérité de l’époque de la colonisation, et les aspirations des autoch- tones. Ainsi, au Sénégal, on note un refus systématique d’apprendre la langue des anciens colonisateurs, qui est la langue d’instruction. On pré- tend en effet que 90% de la population parle l’arabe et les parents, qui craignent que leurs enfants ne deviennent des étrangers, les retirent de l’école après deux ou trois trimestres. Cette méfiance envers l’école n’est d’ailleurs pas le fait des seuls pays en voie de développement et peut se manifester au sein de minorités assez importantes, à faible revenu, dans des sociétés riches.

CAUSES DISCERNABLES

La pauvreté relative

La pauvreté est indubitablement l’une des caractéristiques les plus étroite- ment liées à l’abandon en cours d’études et au redoublement. I1 convient cependant de distinguer entre pauvreté absolue et pauvreté relative. La pauvreté absolue entraîne la malnutrition, la sous-alimentation, les mau- vaises conditions de logement, le travail des enfants, et tous les maux qui en découlent. Le lien qui existe entre la pauvreté et les mauvais résultats scolaires reste cependant le même dans les pays développés et les pays en voie de développement, même si la pauvreté extrême dans les premiers est parfois l’équivalent de la richesse dans les derniers. Bien que la pauvreté

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relative soit parfois la résultante d’autres variables, il est indéniable qu’elle a un effet par elle-même. Le sentiment de dégradation que fait naître chez un individu l’idée qu’il est inférieur aux autres par les biens et le pouvoir d’achat est terrible, mais moins désastreux cependant que celui qu’il ressent quand il se rend compte que son travail est rémunéré au taux le plus bas autorisé par la société. La seule façon de conserver sa dignité à ses propres yeux est alors de trouver place dans une communauté de per- sonnes qui lui ressemblent et de s’inventer une vie et des valeurs aussi indé- pendantes que possible de celles de la société en général. I1 y parvient en rejetant en partie les valeurs du reste de la société, particulièrement celles qui n’ont pas une importance économique directe. On assiste même par- fois à une inversion de ces valeurs, l’intéressé se glorifiant de défier les règles et les conventions sociales. Parce qu’elles sont parmi les plus facile- ment reconnaissables, les institutions de type conventionnel tendent à servir de cible à cette hostilité. L’école est un des bastions de la société; synonyme d’échec personnel, elle représente aussi une menace d’aliénation pour les enfants. On voit donc que la pauvreté relative est un phénomène plus grave que la pauvreté absolue, qui n’exclut pas, au sein d’une écono- mie de subsistance, des attitudes extrêmement positives envers l’éducation.

La pauvreté relative peut engendrer des différences de classe, mais elle correspond souvent aussi à une structure de classes de type tradition- nel. Dans les deux cas, les classes se distinguent les unes des autres par des différences d’attitude qui, au fil des générations, influencent profondément et sous tous ses aspects la manière d’élever les enfants: langue, comporte- ment, façon de se vêtir, d’envisager le travail et les loisirs, centres d’intérêts et motivations. Or, tous ces éléments ont une importance capitale pour la réussite à l’école.

La langue maternelle. La langue est peut-être le facteur essentiel et il con- vient d’établir une distinction entre une connaissance insuffisante de la langue maternelle et une connaissance insuffisante de la langue d’enseigne- ment - problème qui sera traité plus loin. La difficulté la plus fréquente est la connaissance insuffisante de la langue maternelle que l’on retrouve dans tous les pays sans distinction: le langage est limité par l’environnement, la syntaxe est simple et non complexe, le vocabulaire est réduit et la structure linguistique du sens est plutôt fixe que variable. Quant les enfants com- mencent à aller à l’école, les modèles du langage sont déjà si nettement arrêtés qu’il est difficile de les modifier. Les efforts qui ont été faits aux Etats-Unis pour améliorer le langage parlé d’enfants socialement désavan- tagés n’ont permis d’obtenir que des améliorations limitées, à court terme, qui disparaissent dès que cesse l’enseignement spécial. Elles semblent con-

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sister surtout en l'acquisition d'un vocabulaire spécifique et de certaines tournures de la langue des classes plus riches. Si les classes sociales ne se distinguaient les unes des autres que par des caractéristiques linguistiques orales, on pourrait penser que la faculté d'apprendre ne s'en trouverait pas affectée. Mais le lien très étroit qui existe entre le langage et la pensée prouve qu'il y a plus qu'une simple distinction de classe. Le bon fonctionnement de la pensée est presque entièrement assuré par le langage, qui joue le rôle d'une série d'actions mentales impliquant des catégories entières de no- tions et d'expériences étalées dans le temps. L'assujettissement du langage à l'environnement entrave le développement de sa fonction de régulation, inhibant toute anticipation mentale sur les événements extérieurs. Ainsi, les enfants qui commencent leurs études avec une carence linguistique de cet ordre ne sont pas seulement handicapés sur le plan de la compréhension et de l'expression linguistique, mais dans leur aptitude même à aborder et à cultiver des modes plus abstraits de pensée.

Les types de comportement. Les types de comportement associés chez l'adulte à la pauvreté relative infiuent également sur la conduite des enfants, même si ceux-ci n'imitent pas directement leurs aînés. Le milieu matériel a, lui aussi, le plus souvent un retentissement sur certains aspects du com- portement enfantin. L'univers de la pauvreté relative est celui des taudis, des zones urbaines, où la population est extrêmement dense et les condi- tions de vie insalubres. La nette distinction entre travail et loisirs, qui caractérise les adultes, se retrouve chez les enfants. Le travail terminé, l'adulte recherche la détente totale en se complaisant dans l'inactivité. Les enfants sont très souvent abandonnés à eux-mêmes, sans surveillance et sans valeurs établies pour les guider. Lâchés dans un milieu surpeuplé et relativement désorganisé, au décor souvent délabré, ils se tournent vers des activités de destruction et se cherchent un code d'action systématique dans le comportement de leurs pairs. C'est ainsi que la moralité du gang l'emporte sur la moralité traditionnelle et que l'éthique du groupe se trouve rigoureusement respectée. En l'absence de tout processus d'induc- tion bien défini de la société des adultes, le gang crée son propre processus inductif qui veut que l'individu donne la preuve de sa maturité par un acte audacieux. Bien entendu, cette épreuve, qui lui permettra d'être accepté par le groupe, consistera à défier les usages traditionnels de la société, à l'image de l'antagonisme qui existe entre la société des adultes et le monde qui les a rejetés. Les activités antisociales des enfants ne sont pas réprouvées par les adultes qui ont plus souvent tendance à les protéger contre les châtiments que la société veut leur infliger pour leurs méfaits qu'à leur faire prendre conscience de leur faute. Ce sentiment de culpa-

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bilité est d’ailleurs fort peu répandu dans les groupes de ce genre. S’il est remplacé, en tant que sanction, par la honte, c’est en partie parce que l’individu n’a guère l’occasion d’être face à lui-même et par conséquent de prendre réellement conscience de l’opprobre social, et en partie parce que la société elle-même a plus tendance à codiñer sa morale en autant d’actes interdits qu’à inculquer la notion de responsabilité personnelle. I1 convient donc de voir dans la conduite délinquante un comportement conforme aux mœurs de la société marginale, même s’il contredit les lois et les codes couramment appliqués dans la société en général.

Parce qu’ils les considèrent comme des formes institutionnelles d’une société ennemie à exploiter, parents et enfants ont une réaction négative à l’égard des écoles. L‘absentéisme, l’indiscipline et le dénigrement des valeurs scolaires sont socialement admis. Avoir redoublé plusieurs fois une classe devient un exploit qui ne le cède qu’à l’abandon pur et simple des études à un âge aussi jeune que possible! Pour extrême qu’elle puisse paraître, cette mentalité n’est que trop commune dans les classes pauvres des sociétés opulentes. I1 ne faudrait d’ailleurs pas croire que la situation soit entièrement négative. La vie sociale de ces enfants est très riche; le manque de surveillance des adultes leur permet d’avoir, très jeunes, une activité autonome et, malgré son caractère sordide, l’environnement offre de multiples possibilités. Ces contrastes, nulle part plus marqués que dans les sociétés riches, se retrouvent fréquemment aussi dans les aggloméra- tions urbaines des pays sous-développés. La situation à Calcutta et à New York n’est pas sans présenter des points communs.

Attitudes et intérêts. Les attitudes envers l’école sont étroitement liées aux facteurs dont il vient d’être question. Les différences de comportement s’expliquent par des différences d’attitude. I1 n’est cependant pas sans intérêt d’examiner un peu plus attentivement certaines réactions parti- culières des parents envers l’école. Celles-ci sont certainement déterminées par leur expérience personnelle de l’enseignement : en toute probabilité l’école leur a laissé le souvenir d’un régime contraignant qui leur a imposé, à des fins incompréhensibles, des activités qui les ont toujours dépassés et ne leur ont jamais été d’aucun profit. Pour eux, ni les maîtres ni l’école n’ont changé: la classe est toujours une sorte de prison où des rangées d’élèves doivent écouter, sous peine d’être punis, des grandes personnes venues des beaux quartiers, qui se désintéressent complètement de ce que pensent ou voudraient faire les enfants. En tant que parents, ils ne pensent pas vraiment que l’école puisse apporter quelque chose à leurs enfants; ils la considèrent plutôt comme un moyen commode de se débarasser d’eux pendant les heures où leur garde poserait de réels problèmes. S’il leur arrive

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de se rendre à l’école, ils y sont mal reçus ou traités avec condescendance. Incapables de contribuer en aucune manière à son fonctionnement, ils ont de la difficulté à comprendre un programme d’études qui ne ressemble pas à celui qu’ils ont suivi autrefois. Ils n’ont que mépris pour le groupe de parents qui collaborent avec les enseignants au sein des associations de parents d’élèves et estiment qu’ils cherchent simplement à se faire valoir aux yeux des autorités. Ils aiment en outre avoir l’occasion, en tant qu’adultes, d’affirmer leur indépendance par rapport à la direction de l’école et faire valoir leurs droits chaque fois qu’on sollicite leur autorisa- tion pour l’organisation d’activités extrascolaires. Des attitudes aussi enracinées sont difficiles à assouplir, quels que soient les efforts déployés par le personnel enseignant pour tenter d’obtenir la collaboration des parents.

L‘orientation des intérêts dépend étroitement des attitudes adoptées. On pourrait d‘ailleurs définir les attitudes comme un faisceau cohérent de sentiments convergeant vers une série déterminée d’objets, et les intérêts comme l’attirance ressentie par l’individu pour telle ou telle activité ou forme de participation dans un domaine préalablement délimité par les attitudes. On peut dire d’un individu qu’il s’intéresse à quelque chose s’il manifeste son attirance pour cette chose soit en prenant des décisions qui la privilégient par rapport à d’autres, soit en lui consacrant spontanément une partie importante de son temps. L‘intérêt est caractérisé par le désir d’en apprendre plus et par une recherche active de nouveaux exemples dans le domaine choisi. Dans la mesure où ils adoptent des attitudes né- gatives envers l’éducation et se montrent fortement enclins à un comporte- ment anti-social, les groupes qui vivent dans une pauvreté relative ont des centres d’intérêts correspondants. On a déjà souvent fait remarquer que des enfants qui se désintéressent totalement du travail scolaire peuvent avoir une connaissance très poussée des différentes marques et des diffé- rents modèles d’automobiles, ou passer des heures à collectionner des boîtes d’allumettes. De tels centres d‘intérêts, quand ils existent, consti- tuent au moins un point de départ pour les enseignants, mais les membres des groupes dont nous parlons actuellement ne manifestent généralement d’intérêt suivi pour rien et on ne peut guère espérer mieux qu’une attention superficielle pour une nouveauté. Très vite l’élève passe à autre chose ou il se crée une diversion qui lui permet de le faire. L‘apathie et le manque de concentration sont les caractéristiques du comportement des individus dont le seuil d’attention reste faible.

Les motivations. C‘est la possibilité d’une réussite ou d’un échec - les avantages de la réussite et la gravité des conséquences de l’échec - qui

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incite à l’effort. Or il semble que les motivations fondamentales, dans ce domaine, apparaissent très tôt dans la vie de l’enfant et dépendent du degré d’autonomie qui lui est accordé et des réactions positives ou néga- tives du milieu social. O n peut déjà distinguer, à l’âge de trois ans, les enfants prédisposés à la réussite ou à l’échec. L’enfant prédisposé à l’échec évite de participer à des activités compétitives. Quand il s’y trouve mêlé, il est généralement peu sûr de lui et, s’il réussit, souhaite vivement recom- mencer dans les mêmes conditions. S’il échoue, au contraire, il s’efforce par divers moyens de faire oublier son incompétence manifeste : en préten- dant, par exemple, qu’il a en réalité réussi ou en accusant l’autre de tricher et en cherchant à contrôler les exercices futurs de manière à réussir lui aussi. L‘enfant prédisposé à la réussite est heureux de ses succès, mais ce senti- ment n’est jamais excessif. S’il échoue, il l’accepte sans commentaire et n’en est pas vraiment perturbé. I1 semble que cette prédisposition à la réussite ou à l’échec s’explique par la façon dont a été élevé l’enfant, selon que l’adulte accueille le succès avec satisfaction et l’échec avec compréhen- sion, ou le succès sans manifester d’intérêt et l’échec avec impatience. Cer- tains parents sont difficiles à contenter et certains enfants ne savent jamais si leurs parents sont satisfaits ou non. Si cette motivation fondamentale n’est pas fermement établie chez le futur élève, ses premières expériences scolaires orientent ou conñrment généralement les tendances existantes. Chez les enfants issus des couches de la population à faible revenu, les premiers échecs n’ont que trop tendance à renforcer les attitudes néga- tives préalables envers l‘école et il est presque impossible de corriger cette réaction par la suite, étant donné que l’habitude d’éluder les difficultés est prise et que les raisons de faire un effort ont disparu.

Ce qui vient d’être dit des enfants issus de couches sociales à faible revenu n’est pas censé s’appliquer à tous, ni même être caractéristique. Nous nous proposions simplement de décrire les attitudes négatives envers l’école que l’on retrouve assez fréquemment chez les élèves relativement pauvres et qui les différencient des élèves des classes privilégiées. Bien entendu, beaucoup d’enfants appartenant à ces groupes sont de bons élèves et bien des parents font d’énormes sacrifices pour permettre à leurs enfants de s’instruire; mais ce qui nous intéresse, c’est de cerner les pro- blèmes qui se posent et non pas tellement de nous féliciter de la manière dont certaines personnes parviennent à triompher de l’adversité.

Education religieuse et conservatisme. Après avoir esquissé les caractéris- tiques des groupes qui ont adopté une attitude soit positive soit négative envers l’éducation, il convient de parler de tous ceux qui, dans le monde, ont en cette matière une attitude neutre, notamment dans ces

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vastes territoires dont la population est restée rurale ou nomade, où les écoles ne comptent guère et où l'enseignement se trouve mis en ques- tion. O n y trouve cependant parfois un type d'école traditionnelle, souvent lié à l'enseignement religieux, mais dont l'archaïsme ou la sclérose em- pêchent la récupération par l'enseignement &Etat. Les écoles de ce type s'efforcent de sauvegarder la langue, le dogme et le rituel religieux. Les programmes sont essentiellement consacrés à l'étude de la littérature an- cienne et tendent à faire de la mémorisation une vertu cardinale. Il arrive que l'alphabétisme soit considéré comme moins important que l'écriture, et une bonne mémoire comme préférable à l'intelligence. L'enseignement est confìé aux religieux, eux-même défenseurs de la loi, pénétrés de la né- cessité de ne jamais s'écarter des rituels anciens. O n comprend aisément pourquoi l'enseignement d'Etat moderne ne peut les utiliser.

L'enseignement religieux de type ancien est en grande partie fondé sur la connaissance du monde tel qu'il était autrefois, et certains de ses préceptes, quelle qu'ait pu être jadis leur sagesse, sont aujourd'hui tout à fait périmés: conduite à suivre pour garder son rang au sein de la société où l'on est né, prescriptions relatives aux périodes d'abstinence, attitude à adopter envers les enfants handicapés physiquement. Le savoir périmé qui est ainsi transmis comprend notamment des explications magiques de phénomènes naturels et des récits d'exploits légendaires de démiurges, en contradiction directe avec les découvertes de la science. Mais cet enseigne- ment a surtout pour but d'inculquer des idées philosophiques qui per- mettaient autrefois de supporter l'hostilité de l'environnement, qu'il s'agisse d'un fatalisme selon lequel tout est prédéterminé ou d'un opti- misme irréaliste qui veut que les dieux soient apaisés par des actes rituels. U n enseignement religieux de ce type a pour lui tout le poids de la tradi- tion; il est cautionné par les membres les plus âgés de la communauté et, par suite de l'habitude, fait partie intégrante de la vie quotidienne. En fait, un de ses buts essentiels est de se perpétuer et même d'empêcher le change- ment. I1 prône l'action indirecte sur l'environnement, si ce n'est la passi- vité, et s'oppose en cela à l'enseignement moderne conçu pour notre époque technologique. Ainsi, on connaît au Nigeria l'indifférence à l'égard de l'enseignement occidental de certains groupes religieux parmi lesquels la scolarisation est faible et le taux d'abandons en cours d'études élevé. En particulier, on y encourage les mariages précoces qui ont pour effet d'interrompre les études secondaires.

Les enfants et Zu société. L'enseignement religieux traditionnel, qui s'est généralement adapté, au fil des siècles, au mode de vie de la communauté à laquelle il s'adresse, peut donner quelques leçons à l'enseignement

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d’Etat. L‘absentéisme est toléré, l’horaire est moins strict et l’instruc- tion est plus étroitement liée à la vie de la communauté. Le système officiel d’éducation doit y tenir compte de la coutume qui veut que les enfants commencent à travailler, d‘une façon ou d‘une autre, à partir de l’âge de six ans environ. De nombreuses tâches ménagères ou agricoles sont acces- sibles aux enfants, ce qui est un atout pour l’économie limitée de la famille. La saison des moissons a une importance capitale. C’est l’époque de l’année où il faut engranger les récoltes avant que le temps ne se gate, si l’on ne veut pas perdre le fruit du travail de la saison précédente, l’enjeu n’étant rien de moins que la différence entre une alimentation suffisante et la famine. En outre, ce genre de travail n’est pas considéré comme une exploitation de l’enfant, mais comme une forme particulière d’éducation qui le familiarise avec les connaissances et les techniques qui lui permettront plus tard de devenir un meilleur cultivateur.

Dans les communautés de ce type, les enfants sont aimés pour eux- mêmes, mais aussi appréciés en tant que travailleurs futurs, même s’ils représentent autant de bouches supplémentaires à nourrir. L’enfance y est brève; dès que possible, on demande à l’enfant d’aider à la maison, au marché, dans les champs. Les adultes règnent sur la vie domestique et les enfants leur sont strictement subordonnés. Ils doivent rester silencieux en présence de leurs aînés, les traiter avec respect et jouer modérément. Le jeu est en effet considéré comme un passe-temps plein de complaisance et une forme de paresse. Les jeux d’imitation qui ressemblent à un appren- tissage sont préférés aux jeux d’imagination et aux jeux traditionnels, les chants et les danses aux manifestations d’une exubérance spontanée. La curiosité indiscrète est réprimée, les activités d’exploration et les expé- riences découragées.

Ces attitudes restent les mêmes à l’école où, malgré leur formation, les enseignants continuent à maintenir les enfants dans leur état de subor- dination, comme la communauté le leur demande. Les méthodes pédago- giques modernes, qui se fondent sur des concepts qui font de l’enfant le centre d‘intérêt principal, qui encouragent un comportement spontané et qui libéralisent les rapports entre les enfants et les adultes, sont d’inspira- tion tout à fait contraire. C‘est pourquoi il est presque aussi difficile d’ini- tier les enfants à l’activité libre que d’apaiser la méfiance des parents.

L’évolution des sociétés. Dans une société de ce type, le changement prend la forme d’un cataclysme. Les idées politiques se répandent parmi les jeunes, la révolution et la guerre bouleversent le mode de vie traditionnel, la prospection des ressources minérales saccage le paysage, la circulation moderne remplit les villages d’un vacarme assourdissant et le ciel du

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sifflement des avions. La force qui contribue le plus à faire éclater l’ordre établi est peut-être l’obstination politique de la jeunesse qui compromet le maintien de la société. Au cours de la Conférence, on constata avec une certaine inquiétude que les étudiants se mêlent souvent de questions poli- tiques sans avoir la maturité nécessaire pour le faire. Leur absentéisme et les destructions de matériel scolaire auxquelles ils se livrent sont d’ailleurs imités par des enfants qui n’ont pas plus de neuf ou dix ans. Des forces sociales comme celles qui se sont manifestées avec violence dans certaines sociétés opulentes de diverses parties du monde sont à l’œuvre. La faute revient peut-être en partie à l’ancienne génération, qui n’a pas su trans- mettre aux suivantes des valeurs dignes de respect. Mais, quelles que soient les causes, un des reproches les plus fréquents des jeunes est que les géné- rations précédentes font preuve d’hypocrisie et adoptent une attitude dic- tatoriale en refusant de partager les pouvoirs qu’elles détiennent avec les jeunes. Or ceux-ci exigent de participer plus étroitement à la prise des déci- sions et aux activités d’administration, notamment en matière d’éducation.

L e manque d’instruction chez les parents. U n des facteurs qui contribue le plus fortement à isoler l’école de la communauté est le manque d’instruc- tion des parents. Quand ceux-ci n’ont pas été à l’école ou si, malgré une certaine scolarisation, ils sont restés analphabètes, il n’existe aucune base qui permette aux enseignants de leur faire comprendre leurs propres buts et activités. L’enfant qui ne reçoit aucun appui de ses parents, parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’il fait, vit dans deux mondes sans communica- tion, entre lesquels il lui faut choisir à certains moments cruciaux. Comme on le charge de s’occuper d’enfants plus jeunes ou d’aider aux travaux des champs, l’écolier ne peut suivre les cours régulièrement. L‘adulte qui n’a jamais été à l’école a du mal à comprendre la nécessité d’une fréquen- tation assidue. Pourquoi la scolarité n’aurait-elle pas, comme les autres travaux, ses périodes critiques d’activité intense, entrecoupées d’autres périodes où une attention épisodique serait suffisante? Pourquoi les en- fants seraient-ils heureux en classe? Ne devraient-ils pas au contraire y être astreints à des travaux manifestement laborieux? S’ils ne sont pas fatigués quand ils rentrent à la maison, n’est-ce pas le signe que le temps passé à l’école a été gaspillé? I1 est également difficile de saisir l’intérêt d’un programme d’études diversifié. Apprendre à connaître des pays lointains, à étudier le fond d’océans qu’on n’a jamais vus, à s’exprimer par la pein- ture et la musique, tout cela semble sans rapport avec l’existence d’un enfant. Ce n’est pas que les parents soient hostiles à l’école: ils ne par- viennent pas à comprendre en quoi l’essentiel de ce que les enfants ap- prennent pourra leur être utile.

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L a pauvreté absolue

Nous avons examiné dans ce chapitre les effets de la pauvreté relative; si nous n’avons pas encore parlé de ceux de la pauvreté absolue, de la misère, c’est qu’ils ne sont pas directement liés à des attitudes déterminées à l’égard de l’éducation, mais qu’ils peuvent coïncider avec certaines d’entre elles ou toutes ensemble. La pauvreté absolue est restée le fait de sociétés où le travail vise essentiellement à assurer la survie du groupe. On la ren- contre dans l’agriculture de subsistance ou parmi les travailleurs non qualifiés de grandes villes. Ceux qu’elles frappent connaissent une vie très dure, faite de fatigue, de sous-alimentation, de malnutrition et de maladie, et ignorent les loisirs et les distractions.

Les mauvaises conditions de vie. A ce tableau vient généralement s’ajouter un logement dans des taudis, mal protégés contre les intempéries, insa- lubres et démunis des services essentiels. Ces logements misérables sont le plus souvent surpeuplés, des familles entières vivant couramment dans une seule pièce. Toutes les activités de la vie courante se déroulent dans le même espace réduit, il n’y a pas de vie privée possible et le moindre geste de l’un gêne tous les autres. Pour obtenir de l’eau, les occupants de ces logements doivent très souvent aller la chercher loin de chez eux, ce qui favorise évidemment la malpropreté. Pour se chauffer, ils doivent re- courir aux systèmes les plus primitifs qui les obligent à aller ramasser du bois et à vivre dans des atmosphères enfumées. Pour s’éclairer, ils n’ont que la lampe à pétrole, qui fatigue les yeux, et doivent donc interrompre tous leurs travaux au coucher du soleil.

La maladie, qui trouve là des conditions idéales, est encore favorisée par la sous-alimentation. La nourriture disponible est soit distribuée selon la coutume, soit donnée en priorité à ceux qui sont censés en avoir le plus besoin pour pouvoir eux-mêmes produire des aliments. I1 est assez courant de voir le chef de famille partager la partie la plus substantielle du repas avec sa femme en laissant les enfants se disputer les restes. La malnutrition peut être due à d’autres facteurs et notamment à l’ignorance des parents. Les bébés sont souvent nourris au sein jusqu’à la naissance de l’enfant suivant, même si le lait de la mère ne contient plus les éléments nutritifs indispensables. Mais leur nourriture est souvent encore plus pauvre par la suite: dans beaucoup de sociétés, l’enfant, après avoir été brutalement sevré, reçoit une alimentation à base d’hydrates de carbone et d’eau con- taminée et est ainsi voué au déficit protéique et à la dysenterie. Dans ces conditions, les enfants qui atteignent l’âge scolaire après avoir survécu à tous les risques de maladie commencent leur scolarité avec un organisme

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affaibli qui les prédispose à l’inertie, à la passivité et à l’inattention. Les régions du monde qui connaissent ces conditions de misère extrême sont également celles où sévissent de graves maladies endémiques qu’il est difficile de prévenir. On y rencontre très fréquemment la malaria, la bilharziose, le choléra, les fièvres typhoïdes, les vers parasites et des in- fections oculaires qui entraînent la cécité. Plus une population vit dans des conditions insalubres et pénibles, plus elle risque d’être frappée par une ou plusieurs de ces maladies. I1 convient de souligner que l’ignorance des règles de nutrition et des causes de maladie est aussi dangereuse pour la santé que la dureté des conditions de vie.

Lu désunion des familles

La misère crée toujours un milieu familial déplorable, mais celui-ci peut également être imputable à d’autres causes. Outre les facteurs matériels, la sécurité affective que trouve l’enfant dans sa famille est l’une des meil- leures garanties contre les risques d’échec scolaire. Les enfants qui s’adap- tent mal à l’enseignement et qui présentent des troubles de comportement sont très souvent issus de familles désunies. Cette désunion revêt des formes très diverses : elle peut être due à l’abandon du foyer par le père ou par la mère, à l’absence forcée du père obligé de travailler au loin ou à la mort de l’un des parents. Elle revêt également des formes plus insidieuses dans les foyers polygames par exemple, où la femme supplantée par une rivale auprès du mari doit assurer entièrement sa propre subsistance et celle de ses enfants. Cette désunion des familles a des conséquences particulière- ment graves si elle intervient quand l’enfant est encore en bas âge. On dit souvent que le bébé séparé de sa mère pendant une maladie ou au moment où celle-ci donne naissance à un autre enfant subit un traumatisme, mais il semble probable que l’absence du père au moment où l’enfant s’éveille au monde extérieur peut avoir des conséquences presque aussi graves, quoique différentes. Le rôle du père et celui de la mère sont complémen- taires dans le processus de socialisation durant lequel l’enfant apprend à se différencier de sa mère et quitte la période purement égocentrique. II y a évidemment bien d’autres facteurs ‘familiaux défavorables tels que la maladie mentale de la mère, l’alcoolisme du père ou l’incapacité totale de l’un des parents. A l’autre extrême, le fait de «couver» exagérément un enfant et de faire preuve à son égard d’une indulgence excessive peut cons- tituer un handicap tout comme d’exiger trop de lui du point de vue des résultats scolaires.

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Les diflérences entre sexes

Les différences entre les résultats des garçons et des filles constituent un phénomène presque universel. La raison principale est, semble-t-il, que les parents les destinent à des rôles différents et qu’on les prépare peu à peu, de manière souvent insensible, à jouer leurs rôles respectifs. Ce sont généralement les filles qui, sur le plan de l’éducation, pâtissent de cette différenciation. L‘écart entre garçons et filles est évidemment plus ou moins grand selon le niveau culturel, Sous sa forme la plus anodine, la différence de traitement peut consister à offrir des poupées aux filles et des autos aux garçons; dans les cas extrêmes pourtant, on en arrive à imposer le régime du «purdah» aux très jeunes filles, à les fiancer et à les marier alors qu’elles ne sont encore que des enfants et à leur donner un apprentissage tradi- tionnel pour les préparer à leur rôle d’épouses.

Les récits qu’elles entendent, les jeux auxquels elles s’adonnent et les descriptions imagées et idylliques qu’on leur fait de l’avenir qui les attend, tout concourt à leur donner, bien plus qu’au garçons, une idée précise du rôle qu’elles seront appelées à jouer. Cet endoctrinement est si efficace qu’elles vont jusqu’à cacher leurs aptitudes pour les mathématiques ou la mécanique ou leur sens de l’espace, de peur de paraître moins féminine et de perdre ainsi leur attrait pour le sexe opposé. Plus la pression exercée par la société est forte, plus les différences entre les sexes apparaissent tôt. I1 semble bien que l’on se trouve là en présence d’une variable de comporte- ment et non pas d’une variable physiologique puisque, dans les pays en voie de développement, où l’on met plus ouvertement l’accent sur les fonc- tions ménagères de la femme et OU les mariages précoces sont monnaie courante, la puberté intervient en moyenne deux ans plus tard que dans les pays les plus développés où les différences d’aptitudes entre les sexes se manifestent plus tardivement et où l’on incite moins les femmes à sacrifier les activités professionnelles au mariage. Toutefois, même dans les pays développés, les différences de résultats scolaires entre les sexes sont telles que, à l’âge de 13 ou 14 ans, les garçons sont généralement supérieurs aux filles en mathématiques, dans les spécialités techniques et dans les travaux mécaniques. A partir de cet âge, les filles font preuve d’une certaine aversion à l’égard de la représentation sous forme de dia- grammes, du raisonnement mathématique abstrait et de l’interprétation géométrique et graphique. I1 est vrai que les différences que l’on constate entre les sexes au point de vue de l’acquisition du langage paraissent dues au fait que le développement sensori-moteur intervient plus tôt chez les filles qui, en général, sont supérieures pour la plupart des aptitudes lin- guistiques, sauf la compréhension orale, mais il n’y a pas de raison de

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croire pour autant que les différences de résultats scolaires entre les sexes proviennent de différences organiques.

La langue d'enseignement

Abstraction faite des raisons de santé et des conditions de vie, la mauvaise connaissance de la langue d'enseignement constitue le plus grave handicap dont puisse souffrir un enfant à l'école. Dans le monde, des millions d'élèves se trouvent dans cette situation pour diverses raisons. Dans les anciens territoires coloniaux, la langue de la puissance coloniale est géné- ralement celle que l'enseignement a adoptée. C'est un principe dû non pas à une volonté d'imposer à la population autochtone une autre langue que la sienne, mais au fait qu'il aurait été trop difficile d'élaborer des manuels dans la langue indigène, pour tous les niveaux de l'enseignement jusqu'aux plus élevés. Dans bien des cas, on a conservé la langue véhiculaire après l'indépendance parce qu'il n'y avait pas d'autre solution possible dans l'immédiat. En Afrique, en Amérique du Sud et en Extrême-Orient, il existe parfois, à l'intérieur du même pays, un si grand nombre de langues, souvent réparties sur de très petites distances, que leur utilisation dans l'enseignement entraînerait des difficultés insurmontables. On a parfois, comme en Inde, érigé en langue véhiculaire l'un des parlers autochtones, mais rares sont les pays où l'on a pu généraliser l'emploi des langues ver- naculaires dans tout l'enseignement. Au Mexique, par exemple, il y a plus de 50000 villages, peuplés de plus d'un million d'habitants, OU l'on ne parle pas la langue nationale. En fait le problème ne consiste pas seulement à améliorer l'enseignement de la langue à l'école. I1 s'agit bel et bien d'uni- fier, grâce à une langue commune, les cultures coexistant dans une même nation, que les langues vernaculaires continuent ou non à être parlées.

QUELQUES MESURES POUR REMEDIER A CETTE SITUATION

Il faut introduire des changements

Les mesures à court terme sont impuissantes à supprimer la plupart des causes de la déperdition extérieures à l'enseignement. Etant donné que ces causes sont elles-mêmes le reflet d'un malaise ou d'un retard de l'éco- nomie et de la société, il ne peut évidemment pas y avoir de remède à court terme. On ne saurait donc surestimer l'importance des plans de développement si l'on veut que, dans le cadre de la politique générale d'amélioration, l'enseignement reçoive non seulement une part des dé- penses publiques qui soit à la mesure des bienfaits qu'apporte son expan-

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sion, mais aussi les moyens complémentaires indispensables pour amé- liorer son efficacité actuelle. Mais les textes légaux ne sauraient à eux seuls assurer le succès d’un plan. Toute tentative de contrainte par voie législa- tive est condamnée à être stérile puisque ceux qui en font l’objet ont tou- joursla ressource d’appliquer la loi dans sa lettre tout en en rejetant l’esprit. I1 est certes difñcile de modiñer les mobiles des actes humains, mais on peut, en employant les méthodes voulues, amener les hommes à infléchir les objectifs vers lesquels les poussent ces mobiles. Les grands moyens d’information ont un rôle primordial à jouer à cet égard; les campagnes lancées à l’échelon national, les rassemblements populaires, les affiches, les expositions et les programmes radiophoniques, les journaux, sont utiles, mais si l’on ne veut pas que ces changements soient purement éphémères, il faut d’abord les introduire dans les communautés dont le modèle de comportement individuel et familial tend à être le plus imité.

Quand bien même il faudrait des dizaines d’années pour qu’elle aboutisse aux réformes et aux améliorations fondamentales indispensables, l’action directe peut être extrêmement efficace lorsqu’elle est spécialement axée sur les problèmes les plus critiques de l’enseignement dans le pays considéré. Etant donné que chaque pays doit faire face à des problèmes différents tant par leur nature que par la forme sous laquelle ils se présen- tent, c’est à l’échelle de chacun d’eux que doivent être effectuées les études diagnostiques sur les principales données de la situation. L‘organisation des campagnes en faveur de l’éducation et la définition des priorités doivent également être dictées par la recherche du résultat maximum. I1 en découlera sans doute parfois des conflits entre plusieurs objectifs con- tradictoires. On peut par exemple imaginer que, dans un pays, le problème d’enseignement le plus grave concerne une minorité de nomades, alors que, pour la majorité de la population, il est vraiment nécessaire d’éduquer les adultes pour leur faire comprendre les fonctions de l’école. Si le coût des programmes exigés dans ces deux domaines est presque équivalent et que le pays en question ne puisse se permettre de les entreprendre tous les deux à la fois, l’administration devra renoncer, pendant quelque temps au moins, soit à offrir la moindre éducation aux nomades, soit à améliorer le taux de fréquentation scolaire de la majorité de la population. I1 n’y a pas de réponse rationnelle à un dilemme de ce type. C’est à la conscience des hommes politiques et des administrateurs qu’il appartient de le trancher.

On peut cependant tenter de deviner dans quel sens la décision serait prise. Dans un pays où l’instruction n’est pas encore généralisée et OU la déperdition d’effectifs est forte pendant les deux premières années de la scolarité, on déciderait selon toute vraisemblance d’accorder la priorité à la réduction de cette déperdition et de différer l’aide au groupe mino-

Facteurs externes: problèmes et remèdes 109

ritaire. En revanche, dans un pays développé où l’enseignement est obli- gatoire pour tous, où la déperdition d‘effectifs est faible, mais où le pour- centage de redoublements est élevé surtout à cause des enfants des groupes minoritaires, on déciderait probablement de s’attaquer au problème de la minori té.

En règle générale, il ne faut lancer de campagne nationale que si l’on a fait au préalable des études indispensables et que celles-ci ont montré l’efficacité des moyens envisagés. Il est bon de s’inspirer des méthodes modernes de commercialisation et des techniques industrielles d’emploi des ressources humaines. Le «produit» doit avoir une signiñcation, une forme et une apparence qui le rendent attrayant. Son ((emballage)) doit être commode et agréable. Les ((tâches )) doivent être adaptées aux carac- téristiques des ((ouvriers ». Pour réaliser ces conditions, il est indispensable de faire une étude approfondie des communautés représentatives, puis de mettre au point et d’effectuer un certain nombre d’enquêtes-pilotes, afin de dégager divers éléments. I1 serait optimiste de croire que l’on puisse recourir à un plan de recherche prédéterminé pour déceler les effets indi- viduels et conjugués des diverses parties des programmes, mais il est possible d‘établir des comparaisons qui permettraient d’élaborer un projet mieux adapté à son objet. Les études doivent obligatoirement être à court terme, l’objectif étant de mettre sur pied des programmes valables dans un délai d’un an.

Exemples de programmes d’action directe

Ce bref aperçu méthodologique montre de façon évidente que, même si les dimensions de la présente étude nous permettaient de traiter en détail tous les problèmes évoqués, il nous serait impossible de présenter des pro- grammes types qu’il suffirait ensuite d’appliquer. I1 tombe sous le sens en effet que les causes de la déperdition constituent rarement un phénomène isolé. Dans presque tous les cas, on se trouve en présence d’une série de variables interdépendantes qui sont liées aux facteurs fondamentaux d’une situation donnée. C‘est pourquoi les exemples de programmes concrets qui figurent ci-après n’ont pas d’autre ambition que de donner une idée très générale du genre d’action que l’on pourrait entreprendre.

En s’attaquant aux écoles de prestige. Nous étudierons d’abord le cas des pays dont la population a une attitude positive mais erronée en ce sens qu7elle souhaite un type d’éducation qui ne correspond pas aux besoins de la société en matière d’emploi. Pour remédier à cette situation, la politique à suivre consiste non pas à résister aux aspirations populaires

110 L a déperdition scolaire: un problème mondial

ou à les heurter de front, mais à exercer une influence sur elles en modi- fiant progressivement les caractéristiques des établissements d’enseigne- ment les plus renommés. Dans une zone donnée, les écoles qui jouissent du plus grand prestige auprès des parents et qui passent pour dispenser aux élèves la meilleure formation serviraient d’instruments pour modifier les conceptions du public. On pourrait par exemple envisager d’amener un établissement secondaire de type classique à inclure dans son enseigne- ment des cours de science rurale et diverses disciplines techniques qui formeraient partie intégrante du plan d’études général et constitueraient également des matières facultatives dans les programmes à options. Des ressources particulières en matériel et en personnel seraient affectées à l’enseignement de ces disciplines dans l’école considérée et les enseignants s’efforceraient en même temps d’expliquer aux parents les avantages de la nouvelle formule et de leur montrer les possibilités offertes à leurs en- fants. En outre, en donnant aux élèves qui suivraient ces cours des facilités particulières pour entrer dans les institutions d’enseignement supérieur où ils poursuivraient leurs études et en leur offrant à la fin de celles-ci des débouchés intéressants, on contribuerait à orienter le public vers des objectifs réalistes, tout en conservant les apparences d’un système d’en- seignement classique. Le choix d’établissements jouissant d’un grand prestige se justifie par le fait que l’enseignement s’engage généralement assez vite sur la voie tracée par ces écoles et que le processus d’innovation est ainsi plus naturel que si l’on invitait en même temps tous les établisse- ments à procéder sans délai aux réformes indispensables. Cela est parti- culièrement vrai dans les pays où l’enseignement privé est très développé.

Une expérience américaine. C‘est aux Etats-Unis qu’ont été mis en œuvre les programmes les plus ambitieux, les plus onéreux et les plus perfection- nés en vue d’atténuer le handicap que subissent, sur le plan de l’instruction, les groupes les plus défavorisés de la société. L‘opuscule A study of our nation’s schools (publié par le Bureau d’éducation des Etats-Unis en 1970) dresse le bilan des efforts récemment déployés dans ce sens. Il décrit ce qu’il faut bien appeler l’échec général de ces efforts au regard des résultats escomptés, surtout si l’on considère l’importance des ressources engagées. Selon le point de vue que l’on adopte, on peut envisager plusieurs aspects de cet échec. Cependant, le plus grave est incontestablement que l’on n’a pas réussi à gagner l’appui de la communauté déshéritée qui reste méfiante et envisage le but visé avec un scepticisme mêlé d’hostilité. I1 faut évidem- ment tenir compte du fait que les préjugés raciaux compliquent le problème de la pauvreté relative. Cependant, quand bien même il s’agirait là d’une situation extrême, il existe en fait, ailleurs dans le monde, des oppositions

Facteurs externes: problèmes et remèdes 111

de race et de caste analogues. En d’autres termes, lorsqu’une société com- prend des groupes minoritaires qui, pour des raisons historiques ou par suite de circonstances particulières, sont voués aux tâches les plus ingrates et les plus mal rétribuées, il tend à s’établir une corrélation de plus en plus étroite entre la pauvreté et l’appartenance à une race, à une caste ou à une religion. Une fois que ce processus est déclenché, ce n’est pas un seul pré- jugé que l’on est amené à combattre: non seulement la majorité s’estime fondamentalement supérieure, mais la minorité, de son côté, se juge mé- prisée, exploitée et traitée avec condescendance. On a notamment eu tort, semble-t-il, aux Etats-Unis, de concevoir les programmes comme s’ils s’adressaient exclusivement aux personnes éclairées et libérales de chaque groupe; il est en effet facile pour celles-ci de se comporter comme s’il n’y avait aucune différence entre les individus et de traiter les préjugés comme s’ils n’existaient que dans l’imagination. Lorsqu’ils sont profondément ancrés dans les coutumes, les esprits et la façon de vivre en général, il ne suffit pas pour les vaincre que quelques personnes veuillent les ignorer ou les déclarent dénués de fondement.

Pour obtenir le résultat recherché, tout au moins pour augmenter les chances de succès, il aurait été préférable de donner aux militants des groupes minoritaires la possibilité d’élaborer leurs propres programmes, en leur offrant, s’ils le désiraient, les ressources indispensables et une aide technique, mais en laissant la responsabilité des décisions à ceux qui, aux yeux de leur groupe, expriment avec le plus de force le ressentiment contre le reste de la société. La tolérance à l’égard d’autrui n’est possible que lorsque l’on est parvenu au respect de soi-même, et une minorité ne peut acquérir un sentiment de responsabilité à l’égard de l’ensemble de la société que si elle travaille elle-même à l’élaboration et à la mise en œuvre des mesures qui visent à lui préparer un avenir meilleur.

Ceux qui ont la bonne volonté et les aptitudes techniques indispen- sables pour élaborer les programmes d’aide sociale voulus ont évidemment du mal à se dessaisir de cette responsabilité au profit de personnes qu’ils savent moins compétentes et en tous cas moins bien intentionnées. Cepen- dant, même avec la certitude que les ressources seront dans une certaine mesure mal utilisées et que le programme d’enseignement servira en partie à inculquer des préjugés aux élèves, il est indispensable de donner aux groupes minoritaires une chance de rétablir leur situation, si l’on veut favoriser leur adaptation sociale. Les erreurs commises et les ressources mal utilisées seront elles-mêmes loin d’être inutiles puisqu’elles auront concouru à détourner des buts antisociaux les énergies disponibles dans le milieu considéré pour les orienter vers des fins constructives. I1 semble qu’on ait commis une autre erreur importante aux Etats-Unis en élaborant

112 La déperdition scolaire: un problème mondial

des programmes qui visent à remédier à certaines inégalités plutôt qu’à obtenir rapidement des résultats concrets. I1 y a là deux optiques totale- ment différentes. En effet, dans le premier cas, on tente d‘abord de déter- miner quelles sont, au point de vue des pratiques suivies et des moyens matériels, les caractéristiques de l’enseignement dans les zones bourgeoises où les élèves obtiennent généralement les meilleurs résultats et l’on cherche ensuite à généraliser dans tous les programmes d’instruction préscolaire et scolaire celles de ces caractéristiques qui font apparemment défaut dans les zones moins favorisées. I1 est assez normal que cette méthode, qui procède d’une conception un peu simpliste des choses, ne donne pas les résultats souhaités, car il est vain de vouloir faire un condensé des règles de conduite et des éléments matériels caractéristiques du mode de vie d’une certaine communauté et d’espérer ensuite qu’une autre les adoptera et les assimilera tels quels. Pour atteindre le but souhaité, il est indispen- sable d’examiner de plus près les raisons du handicap dont souffre le groupe considéré sur le plan de l’enseignement et de s’attaquer directement à ces causes elles-mêmes. I1 n’est pas étonnant, par exemple, que les groupes minoritaires envisagent avec hostilité les efforts déployés en vue d‘incul- quer à leurs enfants les habitudes de langage qui caractérisent les classes privilégiées, alors qu’il faudrait tenter de remédier directement aux limites et aux ambiguïtés du parler naturel de ces enfants.

Plus qu’un exemple, nous avons voulu donner un bref et rapide aperçu critique des solutions appliquées aux Etats-Unis - en nous fondant surtout sur les discussions tenues sous les auspices de la Fondation Ditchley (Angleterre), avec la participation d’éminents spécialistes américains de l’éducation et des sciences sociales qui collaborent aux projets destinés à combattre la misère et ses conséquences sur le plan de l’éducation -, et ces considérations devraient donner une idée suffisamment nette de la conception qui devrait inspirer les programmes en faveur des catégories relativement défavorisées pour que des exemples concrets soient superñus.

Un programme pour l’Asie. Le Stage d‘études sur la déperdition des effec- tifs scolaires et les abandons en cours d’études (réuni en 1966 par l’Unesco pour la région de l’Asie) a mis au point un certain nombre de projets intéressants à titre d’exemple. L‘un de ceux-ci s’appliquait à une région agricole habitée par une population neutre à l’égard de l’éducation. Ses éléments essentiels étaient un plan d’études qui faisait une grande place aux questions agricoles, l’organisation d’équipes scolaires de travail et le passage automatique d‘une classe à l’autre dans le premier cycle de l’en- seignement primaire. L’objectif ultime de ce projet était de réduire ladéper- dition des effectifs et l’absentéisme dus au fait que les parents retirent leurs

Facteurs externes: problèmes et remèdes 113

enfants de l’école à des périodes régulières du cycle saisonnier pour les faire travailler dans les champs. 11 visait donc à résoudre un problème évoqué lors de la Conférence lorsqu’on signalait qu’en Ethiopie la déperdition d’effec- tifs scolaires se produisait en grande partie pendant la saison des moissons.

Les objectifs concrets du projet étaient les suivants: aider les écoles à retenir leurs élèves en fixant les vacances en fonction des nécessités saisonnières de l’agriculture dans la région; adapter les programmes d‘études aux besoins pratiques de la vie rurale; réduire les abandons en cours d’études et l’absentéisme; rendre l’école plus sympathique à la popu- lation en la transformant en une équipe de travail agricole à certaines périodes de l’année; libérer le premier cycle de l‘enseignement primaire de l’obligation de préparer les élèves à d’autres niveaux d’instruction de façon qu’il serve essentiellement à apprendre aux enfants à lire et à compter (alphabétisation fonctionnelle) et qu’il soit axé sur les problèmes de la vie rurale. O n a reconu que, pour réaliser ces objectifs, il était indispensable de donner aux maîtres une formation particulière et des possibilités de perfectionnement en cours d’emploi, et de prendre des mesures pour les inciter à rester dans les zones rurales. Ce projet prévoyait également une étape préparatoire au cours de laquelle des discussions interministérielles auraient pour objet d’assurer en fonctionnement harmonieux du système et en particulier de déñnir un accord sur le niveau que devraient avoir atteint les élèves à la fin du premier cycle, de façon à harmoniser les ob- jectifs. O n envisageait également des enquêtes préliminaires sur la struc- ture sociale et les types d’organisation du travail dans les zones retenues, ainsi que le choix d’une zone témoin à titre de comparaison.

Etant donné que le projet devait avoir une valeur expérimentale, on estimait que la région choisie devait être caractérisée par un taux élevé de déperdition et avoir une population composée essentiellement d’agricul- teurs sédentaires. Cette zone devait comprendre de 30 à 50 écoles. Le document présenté décrivait également un certain nombre de mesures préparatoires et des méthodes expérimentales possibles. Ce projet mérite inconstablement d’être mis à l’essai, car il peut montrer la voie à suivre pour assurer une meilleure adaptation de l’enseignement à la communauté.

Pour faire face aux besoins de la communauté. U n point de vue différent fut également exprimé lors de la Conférence: la déperdition des effectifs scolaires est un phénomène inévitable dans certaines sociétés où le fossé entre les exigences de l’éducation et les aspirations de la communauté est trop grand. Le problème consiste à récupérer les enfants une fois qu’ils ont abandonné l’école : il convient donc d’examiner de plus près ce qu’ils font après leur départ prématuré et peut-être aussi de considérer qu’ils sont

114 L a déperdition scolaire : un problème mondial

entrés à l'école de la vie. Dans cette perspective, l'enseignement organisé devrait adapter ses services de façon à les rendre plus accessibles aux enfants qui ont volontairement abandonné. On releva également que l'on sous-estimait souvent les difficultés économiques des familles dans les- quelles on constate un taux élevé d'abandons en cours d'études. Bien des établissements sont encore payants et les parents doivent en outre prendre à leurs frais l'achat des uniformes scolaires, des manuels et le coût du transport à l'école. Plus l'enfant grandit, plus les parents sont tentés de le retirer, car les frais de scolarité augmentent et le travail de l'enfant au foyer, au marché ou à la ferme, leur fait de plus en plus défaut.

C'est la situation de pauvreté absolue qui est la plus difficile à soulager par des moyens autres que l'action économique et sociale directe. Les mesures prises pour y remédier comprennent le relogement, le reclassement des travailleurs, les subventions au logement, le versement d'allocations aux titulaires des revenus les moins élevés, les mesures de réhabilitation des familles et l'organisation de services médicaux gratuits.

Toutes ces mesures tendent à créer chez les bénéficiaires un sentiment de dépendance à l'égard d'autrui et à instituer des méthodes bureaucra- tiques d'administration. En règle générale, elles ne sont pas de nature à favoriser le concours actif des familles, car celles-ci s'habituent progressive- ment à faire éternellement la queue, à subir la mauvaise humeur de fonc- tionnaires tatillons et à dépendre de la charité des autres. Elles restent très souvent ignorantes de leurs droits. En dépit de leurs conditions de vie très pénibles, il arrive souvent qu'elles ne se rendent pas compte de la sordidité de leur misère. Sous l'effet de l'habitude, leur condition leur paraît supportable et elles y trouvent même certains agréments. Cela peut les amener à ne pas vouloir changer de maison, de travail ou de mode de vie, et surtout à refuser de perdre la présence de leurs enfants.

Tout plan d'action, quels que soient les crédits qui lui sont affectés, doit tendre à susciter chez les groupes intéressés une volonté collective de travailler eux-mêmes à l'amélioration de leur sort. I1 est essentiel que les responsables de la mise en œuvre de ces projets fassent preuve de patience et de tolérance à l'égard de ce qui peut parfois paraître du gaspillage. L'objet de l'éducation des adultes doit être moins de leur apprendre à lire, à écrire et à compter que de leur donner des aptitudes qui leur permettront de contribuer eux-mêmes à l'amélioration de leur condition. On ne peut amener les familles à envoyer leurs enfants à l'école et à les y laisser que si on leur a démontré au préalable l'utilité de l'éducation. Toute politique qui tendrait à séparer le problème de l'éducation des enfants de celui de la misère extrême de certains groupes serait vouée à l'échec et il serait absurde d'envisager des projets qui isoleraient l'enseignement de son contexte.

Facteurs externes: problèmes et remèdes 115

L‘école inculque depuis longtemps l’hygiène aux enfants et, dans les pays où sévissent les affections endémiques, elle leur apprend les méthodes de prophylaxie et leur fait étudier l’histoire naturelle des organismes res- ponsables des maladies. En distribuant des repas dans les écoles, on s’est efforcé de lutter contre la sous-alimentation et la malnutrition. En dépit de toutes ces mesures il ne semble pas que l’enseignement ait réussi à modifier directement les habitudes de vie en dehors de l’école. Même les étudiants qui ont suivi des études de biologie à l’université reprennent les habitudes familiales traditionnelles lorsqu’ils se retrouvent dans leur village. On ne se rend pas suffisamment compte que la connaissance objective des causes du mauvais état de santé et de maladie ne suffit pas à rendre les individus conscients des risques qu’ils courent eux-mêmes. Les listes d’interdictions sont encore moins efficaces pour inculquer des habi- tudes d’hygiène. I1 serait indispensable que les écoles offrent la possibilité de simuler les conditions d’un mode de vie hygiénique. Il conviendrait d’instituer, en particulier dans les établissements d’enseignement secon- daire, des foyers modèles où filles et garçons s’initieraient ensemble aux tâches quotidiennes telles que l’entretien d’une maison, la cuisine et les soins aux tout jeunes enfants. Cette méthode aurait pour avantage non seulement d’inculquer un certain nombre de connaissances pratiques, mais aussi d’amener les filles et les garçons à mieux se comprendre et à adopter une attitude positive à l’égard de la répartition du travail au foyer. I1 importe que ces foyers modèles, dont l’installation n’est pas coûteuse, soient conçus avec réalisme et qu’ils ne soient pas dotés de moyens dispro- portionnés par rapport à ceux des familles dont sont issus les enfants, car ils risqueraient alors d’être considérés comme un état de choses idéal et inaccessible. Les écoles peuvent également contribuer à la réalisation des programmes de la médecine sociale et préventive, avec lesquels les plans d’hygiène scolaire devraient être étroitement coordonnés.

Les rapports de causalité que nous avons cru discerner entre bien des facteurs étudiés dans le présent chapitre et la déperdition d’effectifs sco- laires reposent sur un certain nombre d’hypothèses pour lesquelles nous n’avons pu avancer comme preuves que des exemples particuliers. Avant d’attribuer cette déperdition à tel ou tel facteur ou telle combinaison de facteurs, la rigueur scientifique voudrait que l’on détermine expérimen- talement la corrélation supposée. Cependant, étant donné qu’il est indis- pensable d’agir le plus rapidement possible, il faut renoncer à l’étape du diagnostic pour passer immédiatement à l’étude des mesures propres à remédier aux situations qui, d’après les études communautaires, semblent bien être à l’origine du malaise dans le domaine de l’enseignement.

Chapitre six

L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970

LE s T R A VA U x P R É P A R AT O I R ES

En aofit 1968, le Secrétariat du BIE adressait aux Etats membres un pre- mier questionnaire sur la déperdition des effectifs scolaires dans l’enseigne- ment primaire et secondaire. La Conférence générale de l’Unesco décidait en octobre de la même année que le thème de la conférence de 1970 serait élargi de façon à englober l’enseignement supérieur. Conformément à cette décision, le Secrétariat a adressé aux Etats membres un deuxième questionnaire sur les déperditions dans l’enseignement supérieur. Au pre- mier questionnaire répondaient 78 Etats membres, au second 53. Paral- lèlement à ces deux enquêtes, le Bureau des statistiques de l’Unesco en- voyait un questionnaire sur les effectifs scolaires par année d’études, afin de procéder à une analyse quantitative des déperditions. Le chapitre 3 de cette étude y est consacré; l’Unesco prévoit par ailleurs la publication d’un ouvrage qui traitera spécialement de cet aspect.l Nous nous attache- rons donc plus particulièrement maintenant à mettre en évidence les prin- cipales caractéristiques des réponses aux deux premiers questionnaires. Nous nous inspirerons du document de travail élaboré par le Secrétariat du BIE avec l’aide de M.G.Parkyn (Nouvelle-Zélande) et des deux auteurs du présent ouvrage. Signalons qu’en novembre 1969 une première rédaction a été soumise à l’analyse critique d’un groupe d‘experts.

Les questionmires

Etablir une formule d’enquête qui tienne compte aussi bien de la diversité des systèmes d’éducation que des politiques sociales, économiques et

1. et enquêtes d‘éducation comparée)

Unesco: BE. Elude statistique de la déperdition scolaire. Paris, 1971. (Etudes

118 L a déperdition scolaire: un problème mondial

scolaires apparaît au premier abord comme une gageure. Le fait que 78 Etats membres ont répondu au premier questionnaire semble montrer que le Secrétariat a su poser des questions pertinentes, adaptées aux diverses situations existantes. Le dépouillement des réponses oblige cependant à nuancer cette première affirmation. Le problème des déper- ditions est complexe: si la notion de redoublement est relativement simple, il n’en va pas de même du phénomène désigné par le mot «aban- don». Le premier chapitre de cet ouvrage analyse en détail cette notion et met ainsi en évidence les diverses interprétations possibles du phéno- mène. On doit donc regretter que le questionnaire n’ait pas été accom- pagné d’une définition du problème qui aurait grandement facilité la tâche des services de l’enseignement chargés de rédiger les réponses. Par ailleurs, nulle part on ne demande d’informations sur la scolarité obli- gatoire, le cas échéant sur l’absence de dispositions législatives y relatives ; or, le nombre élevé des abandons donne lieu à des interprétations diffé- rentes selon qu’ils se produisent avant ou après la fin de la scolarité obli- gatoire. I1 faut enfin remarquer que le schéma adopté dans le questionnaire orientait en quelque sorte les réponses et que, dans une certaine mesure, il pouvait en résulter une perte d’informations intéressantes parce qu’elles n’entraient pas dans le cadre proposé.

La formule d’enquête idéale n’existe certainement pas, mais on doit se demander si, à l’avenir, un groupe d’experts de diverses régions du monde ne devrait pas participer à la préparation d’un tel document. I1 convient en effet, pour parvenir à un maximum d’efficacité, de tenir mieux compte de la diversité des Etats membres et d’éviter les questions aux- quelles un petit nombre seulement peuvent répondre. Ne serait-il pas opportun, dans certain cas, de distinguer entre pays en voie de développe- ment et pays industrialisés, voire même de prévoir des schémas différents selon les régions du monde?

Le questionnaire relatif à l’enseignement supérieur n’a pas rencontré le même écho que le premier. Non seulement les réponses (53) sont moins nombreuses, mais elles comportent souvent maintes lacunes. S’il existe suffisamment d’analogies dans les systèmes scolaires du premier ou du deuxième degré pour que les ministères de l’éducation nationale puissent répondre à un questionnaire identique, les différences au niveau de l’en- seignement supérieur sont telles d’une université à l’autre, même à l’inté- rieur d’un seul pays, qu’on ne saurait espérer des réponses satisfaisantes. On peut même se demander si des questionnaires différents selon l’orga- nisation de l’enseignement supérieur n’auraient pas rendu l’enquête plus efficace. Quoi qu’il en soit, un fait est certain: on ne dispose pas, dans de nombreux cas, d’informations précises sur les déperditions dans l’enseigne-

L’enquête de I969 et la Conférence de I970 119

ment supérieur, même dans les pays les plus avancés en matière d’édu- cation.

Le document de travail de la Conférence

I1 comprenait cinq chapitres : le premier contenait un exposé des problèmes; le deuxième, plus technique, traitait de la mesure et de l’étendue des dé- perditions ; le troisième décrivait succinctement les divers systèmes de sélection et de promotion en vigueur actuellement. L’analyse des causes et celle des remèdes constituaient la matière des deux derniers chapitres dont nous allons extraire les idées qui nous semblent importantes. Bien que nous ayons déjà procédé à une étude systématique des facteurs internes des déperditions (chapitre 4), nous avons tenu à rappeler brièvement quel- ques-uns des thèmes développés précédemment afin de mettre en évidence le matériel dont disposaient les délégués avant l’ouverture des débats. Cela permettra de mieux comprendre certaines interventions et d’expliquer, jusqu’à un certain point, le contenu de la recommandation adoptée par la Conférence.

Causes des déperditions

Les réponses relatives aux causes des déperditions révèlent une situation relativement grave : il s’agit surtout d’une énumération d’opinions, d’im- pressions et rarement de faits contrôlés, justifiés par des recherches scien- tifiques. Or, l’efficacité des remèdes dépendra largement de la validité des causes. En réalité, il semble qu’on ne soit pas au clair sur le processus des causalités et qu’on espère confusément qu’en proposant telle ou telle mesure, on provoquera l’amélioration voulue. Des conclusions du chapitre consacré aux causes nous extrayons ce qui suit:

Dans la plupart des Etats, l’éducation nationale est devenue, sur le plan économique, l’une des plus grandes entreprises. Mais au siècle de l’énergie nucléaire, de l’électronique et des avions supersoniques, cette entreprise fonctionne avec des moyens artisanaux désuets. Elle est le plus souvent mal adaptée aux besoins de notre époque: dans de nombreux pays indus- trialisés, les systèmes d‘éducation demeurent profondément marqués par les conceptions qui, au XIX siècle, ont présidé à leur création. On a, certes, procédé à des retouches, à quelques transformations de détails, mais les changements fondamentaux sont exceptionnels. Bien plus, ces systèmes ont été transplantés dans les pays en voie de développement sans subir de modifications essentielles, sans qu’il y ait véritablement d’ajustement aux besoins et aux motivations des populations intéressées.

120 L a déperdition scolaire : un problème mondial

Les facteurs internes. I1 dépendent avant tout des lois scolaires ou même plus simplement des administrations: leur mise en place, leurs modifica- tions sont le plus souvent décidées sur des bases empiriques. Le moment semble venu de prévoir des recherches qui démontreraient ou non le rôle qu’ils jouent dans les déperditions. I1 paraît indispensable de coordonner ces recherches sur le plan international et de diffuser leurs résultats non seulement parmi les enseignants mais aussi parmi les administrateurs et les autorités responsables des décisions.

Le passage d’une année à l’autre. Les statistiques, qui font apparaítre la grande diversité d’âge parmi les élèves d’une même classe dans les sys- tèmes où le passage d‘une année à l’autre s’effectue selon les méthodes traditionnelles et les résultats de tests normalisés qui révèlent la grande disparité des résultats obtenus par les élèves à tout âge, confirment ce qu’on savait déjà: c’est que la capacité d’apprendre varie beaucoup selon les enfants. En conséquence, là où un système d‘enseignement reposant sur le postulat qui veut que les élèves entrés à l’école au même âge pro- gressent au même rythme en suivant un programme scolaire déterminé n’est applicable que si le minimum de connaissances exigé pour accéder à la classe supérieure est si bas que tous les élèves sont capables de l’assi- miler, à moins d’être mentalement déficients.

Dans la pratique, la somme de connaissances que les élèves sont censés acquérir dans la plupart des systèmes à passage réglementé est souvent calculée en fonction des capacités de l’élève moyen, ou même de l’élève plus doué que la moyenne, c’est-à-dire de celui dont on pense qu’il pourra accéder à l’enseignement secondaire sélectif. Dans ces conditions, l’échec d‘une proportion importante des élèves fait partie intégrante du système; et ces échecs ont eux-mêmes pour conséquence des départs pré- maturés ou des redoublements.

Ces échecs dépendent étroitement de la manière d’apprécier le travail et le rendement des élèves, des conditions de passage, éventuellement des résultats d’examen de fin d’année.

Les programmes et les méthodes. Aujourd’hui l’homme ne vit plus à l’échelle locale. L’essor de la technique, le développement rapide des moyens de communication et des moyens d‘information contribuent largement à donner à l’actualité mondiale une place de premier plan. Ceci est particulièrement vrai pour les pays fortement industrialisés. Dans de nombreux pays, le système des valeurs n’a pas évolué et les institutions existantes, plus particulièrement la famille et l’école, se trouvent souvent incapables de répondre aux nouveaux besoins. L‘école dans la majorité des cas continue à diffuser une formation traditionnelle, de par son con- tenu et de par ses méthodes. Les programmes se caractérisent par leur encyclopédisme. Lorsqu’il

devient indispensable de faire appel à de nouvelles matières, on greffe sur

L'enquête de 1969 et la Conférence de 1970 121

le vieux tronc quelques notions nouvelles, mais rarement la totalité du programme est revue en fonction de nouvelles priorités. Le plus souvent le souci d'actualiser l'enseignement se marque dans quelques branches seulement. Les méthodes d'enseignement laissent, elles aussi, beaucoup à désirer. Largement tributaire de la nature encyclopédique des pro- grammes, elles restent essentiellement basées sur le didactisme. Dans un tel cadre la liberté d'initiative de l'enseignement se trouve extrêmement réduite.

Cette inadaptation de l'école aux conditions présentes se marque de plus en plus chez les enfants par un désintérêt pour tout ce qui est con- naissance scolaire, parfois même par un refus de la connaissance tout court. Cette absence de motivations se répercute gravement sur les résul- tats scolaires. Elle se retrouve chez nombre d'enfants, quelle que soit leur origine sociale. Ses conséquences sont cependant beaucoup plus graves chez les enfants défavorisés sur le plan socio-culturel qui, contrairement à certains camarades, ne disposent pas d'un encadrement familial per- mettant de répondre aux exigences de l'école grâce à des acquis extérieurs.

Les enseignants. L'insuffisance de la préparation des enseignants est citée souvent comme une cause importante. I1 semble que si la formation cul- turelle et scientifique laisse à désirer dans un certain nombre #Etats, on est, en revanche, unanime pour déplorer l'aspect superficiel, empirique, inadapté de la préparation psychopédagogique. Les candidats à l'enseigne- ment ont appris au cours de leurs études que les échecs sont chose nor- male, nécessaire. Pourquoi adopteraient-ils un autre point de vue lors- qu'ils deviennent maîtres?

L'inadaptation croissante des systèmes d'éducation aux conditions actuelles rend de plus en plus difficile le métier d'enseignant. C'est au niveau de la relation maître-élève que, dans de nombreux pays, un confiit aigu se développe : l'enseignant à qui incombe la tâche de transmettre une culture dont la finalité est confuse et problématique, devient pour les élèves le symbole de la contrainte. Désemparé devant une opposition que sou- vent il ne comprend pas, il recourt à des méthodes coercitives pour main- tenir son autorité. Le conflit ne fait alors que s'aggraver et peut se réper- cuter profondément sur la personnalité des élèves et sur celle des maîtres. Le fossé existant entre le contenu de l'enseignement et les intérêts et

les aptitudes des élèves s'approfondit au fur et à mesure que l'on descend les échelons de la hiérarchie scolaire (section théorique, section technique, section pratique). Les difficultés rencontrées par les enseignants sont donc plus ou moins grandes selon les sections. Par conséquent les sections ne jouissent pas d'un attrait égal. La ville exerce aussi plus d'attirance pour l'enseignant que la campagne. Dans bien des pays ces valeurs correspon- dent en gros à la hiérarchie des postes d'enseignant. I1 s'ensuit que les enseignants les moins formés se voient régulièrement attribuer des postes qui, au contraire, requerraient les plus solides qualifications.

122 L a déperdit ion scolaire : un problème mondial

Les critères de sélection. I1 y a peu de temps encore, la position sociale dépendait essentiellement de facteurs extrascolaires. Actuellement, c'est à l'école qu'incombe de plus en plus la tâche d'opérer une sélection socio- professionnelle.

Dans de nombreux pays, les campagnes entreprises pour une démo- cratisation des études ont largement contribué à répandre l'idée que l'école pouvait être un canal d'ascension sociale. Or, cet espoir est en grande par- tie contredit par la réalité des faits ; pour s'en rendre compte, il suffit d'exa- miner des statistiques concernant les pourcentages de retards et d'échecs scolaires, selon les provenances socio-culturelles. Dans certaines écoles les sections hiérarchisées sont un reflet des couches sociales existantes.

Ces faits posent pour l'école, de manière très directe, le problème du choix des critères de sélection. L'appréciation quantitative du rendement des élèves constitue le principal critère en vigueur dans la majorité des systèmes scolaires. D e plus en plus remis en cause, ce système d'apprécia- tion donne lieu à deux sortes de critiques: il est arbitraire, caractère qu'une connaissance de la docimologie ne suffit pas à supprimer totalement. Il polarise l'élève sur un chiffre ... L'élève est axé sur la réponse seulement et non sur le problème posé. I1 développe ainsi toute une série de mauvaises habitudes de pensée (recette, devinette, etc.) par crainte de ne pas satis- faire aux normes. Quand on pense, d'une part, que le vocabulaire pédago- gique est en partie commun avec celui de la morale (faute, devoir, bon, mauvais), que le tableau scolaire est ainsi l'objet d'un jugement de valeur, que, d'autre part, l'avenir scolaire se joue sur des chiffres, cette polarisa- tion de l'élève sur le résultat s'explique aisément.

Ces critiques visent aussi bien les systèmes de sélection basés sur le principe de l'examen que les systèmes de sélection basés sur l'appréciation du travail en cours d'année. Cependant, la sélection opérée sous la forme d'examen apparaît de loin comme la plus arbitraire et la plus aliénante pour l'élève qui est acculé à jouer son avenir en quelques heures seule- ment. Il va sans dire que de telles conditions créent un climat d'anxiété qui ne permet pas à l'élève de {(donner le meilleur de lui-même)).

Les facteurs externes. On peut en relever trois qui sont fondamentaux:

a) les différences individuelles, inévitables; b) la connaissance insuffisante de la langue d'enseignement, qui est un

facteur très important dans une école dispensant un savoir essentielle- ment verbal; cette connaissance insuffisante peut provenir soit de l'origine sociale, soit du fait que la langue maternelle de l'enfant est différente de celle enseignée à l'école;

c) le niveau socio-culturel de la famille, dont l'influence augmente au fur et à mesure que le niveau scolaire s'élève, ce qui explique que l'accès aux degrés supérieurs et à l'enseignement universitaire est quasi fermé aux couches sociales défavorisées.

L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970 123

Les mesures visant à réduire les déperditions

I1 n’est peut-être pas inutile de rappeler que les problèmes de déperdition ne se posent pas tout à fait de la même facon dans tous les pays. I1 existe certes des points communs entre eux, mais la nature et la structure globale des déperditions sont en réalité spéciíiques dans chaque pays. C’est pour- quoi il est indispensable, pour déterminer les mesures efficaces et écono- miques à prendre dans un pays, de bien analyser les caractéristiques du problème des déperditions tel qu’il se pose à lui. Le texte qui suit, égale- ment extrait du document de travail, est tiré cette fois du chapitre sur les mesures visant à réduire les déperditions.

Toutefois, de nombreux pays auront sans doute à examiner et à résoudre un problème important avant de pouvoir entreprendre utilement une étude précise sur le problème des déperditions en soi. Ils devront en effet se demander quels sont le niveau et la nature de l’éducation dont ils ont besoin et qu’ils peuvent se permettre. Comme on l’a déjà fait observer, il est fort possible que parmi les pays où le problème des déperditions est le plus grave, beaucoup ne soient pas en mesure de continuer à accroître la proportion d’enfants scolarisés s’ils parviennent à retenir à l’école les nombreux enfants qui la quittent aujourd’hui prématurément. Ces pays seront peut-être obligés de faire un choix difficile entre l’éducation com- plète du pourcentage actuel d’enfants scolarisés et l’éducation partielle d’un pourcentage plus grand d’enfants. Quel que soit le niveau d’en- seignement considéré, ce choix sera peut-être indispensable ; qu’il s’agisse de l‘enseignement primaire, secondaire ou supérieur, il influera de manière profonde sur la politique nationale en matière de sélection, de redouble- ments, d’abandons et d’exclusion, et il déterminera dans une très grande mesure le genre de problèmes à étudier en priorité et auxquels il faudra affecter de toute urgence des crédits de recherche.

Les tendances en matière depromotion. Les vertus de redoublement se sont, en fait, révélées illusoires: en soi, le redoublement ne peut éliminer les causes qui font que l’élève n’obtient pas de résultats satisfaisants. L’enfant qui doit redoubler une classe parce qu’il apprend lentement n’apprendra probablement pas plus vite en redoublant et sera sans doute obligé de redoubler encore. Lorsqu’on veut réduire le nombre des redoublements, on a le choix entre plusieurs solutions qui, en fin de compte, se ramènent à deux grandes tendances: ou l’on maintient la norme de passage en vigueur et l’on exclut de l’école les élèves qui sont incapables de l’atteindre (cette exclusion peut d‘ailleurs se faire a priori par une sélection rigoureuse à l’entrée des divers niveaux), ou l’on adapte les normes de passage à l’éventail réel des capacités des élèves.

II importe de noter à ce stade que le fait d’abaisser les normes de passage n’entraîne pas nécessairement une baisse du niveau atteint par

124 L a déperdition scolaire : un problème mondial

les éleves des divers groupes d‘âge. On peut s’attendre, bien entendu, à un fléchissement du niveau moyen des différentes classes si l’on abaisse le seuil de passage dans la classe supérieure. I1 semble toutefois que, dans les pays qui ont appliqué au stade de l’école primaire un régime de progres- sion quasi automatique, le niveau moyen atteint aux différents âges se soit élevé au cours des vingt dernières années dans certaines matières fonda- mentales telles que la lecture.

Dans cette optique, il semble que la promotion automatique soit la solution vers laquelle tendent tous les systèmes scolaires dès qu’ils sont en mesure d’accueillir tous les enfants d’une collectivité. I1 est évident que l’on ne peut appliquer le principe de l’automaticité du jour au lendemain et qu’il faut procéder par étapes - ce qui permet par la même occasion de modifier la formation du personnel enseignant et d’adapter les pro- grammes, les méthodes et les installations scolaires.

L’introduction de nouvelles méthodes d’évaluation est un élément clé de l’évolution vers la promotion automatique; nous allons tenter de dé- crire brièvement le processus selon lequel cette évolution se fait et les changements essentiels qu’il implique.

Un premier changement se fait par lepassage de l’examen externe, qui exige des résultats d’un niveau défini et qui est dirigé par des inspecteurs ou des chefs d’établissement, à l’appréciation interne, qui se fonde sur l’appréciation objective des résultats de l’enfant par rapport à ceux de ses camarades et sur une appréciation subjective de l’effet global qu’aurait la décision de le faire redoubler.

Le deuxième palier se situe lorsque, à la promotion fondée sur les ré- sultats, on substitue la promotion automatique, appellée parfois promotion en fonction de l’âge.

Elle suppose d‘ordinaire que les élèves de chaque classe suivent effective- ment le même programme commun, mais que de grandes différences de niveau sont admises entre les résultats individuels. Souvent aussi, les éIèves sont groupés en fonction de leurs capacités, la classe étant divisée en plusieurs sous-groupes, ou des classes complètes étant constituées pour chaque niveau d’études, chacune correspondant à un niveau de capacité différent. Généralement, ces classes ont des programmes différents pour les matières principales, de sorte qu’en calcul ou en lecture, par exemple, les résultats des élèves d‘une classe de «lents» appartenant à un niveau d’études donné peuvent être inférieurs à ceux des élèves de la classe de ((rapides )) du niveau inférieur.

En poussant l’évolution à son terme, on passe enfin de la promotion automatique à la progression continue des connaissances, où chaque enfant avance à son propre rythme.

L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970 125

Dans un tel système, le concept d’«année d’études)) en tant que base d’organisation ou de groupement des élèves n’aura plus sa place. On pourra encore l’appliquer au niveau des résultats atteints par chaque sujet, mais on ne pourra s’en servir pour désigner celui de la classe dans laquelle il se trouvera. En fait, il ne sera même plus nécessaire de placer l’élève dans une classe au sens traditionnel du terme. Les élèves seront groupés de manière différente selon les domaines d’études et l’acquisition d’un grand nombre des connaissances fondamentales se fera par l’exécution de tâches scolaires assignées en propre à chaque élève.

Mesures concernant l’infrastructure. Contentons-nous d’énumérer les prin- cipales propositions des Etats membres:

Extension du réseau scolaire principalement dans les zones rurales ; éta- blissements du premier degré dans les pays en voie de développement, et du second degré dans les pays industriellement avancés. Développement des établissements préscolaires, principalement dans les quartiers populaires des grandes agglomérations et dans les zones rurales. Développement des foyers d’accueil qui s’occupent des enfants pendant que les parents travaillent. Développement des moyens de transport gratuits et des systèmes de ramassage scolaire, afin de permettre au plus grand nombre, quel que soit le lieu de résidence, d‘accéder aux établissements scolaires. Amélioration de l’équipement (matériel didactique, laboratoire, biblio- thèque, etc.). Diminution prioritaire des effectifs là où le besoin s’en fait le plus ressentir. Développement des services d‘hygiène et de médecine scolaire. Création et/ou extension des services sociaux (cantines, distribution gra- tuite d’aliments, de vêtements, etc.).

ModiJications de la forme de l’enseignement. La conception de l’école de base doit être repensée dans la perspective d’une éducation permanente. L’école de base ne peut plus être terminale pour personne, l’évolution rapide de la société nécessitant pour tous un effort continu dans l’acqui- sition de nouvelles connaissances.

D’autre part, afin de supprimer la coupure qui existe entre l’école enfan- tine et l’école primaire, il conviendrait de rattacher les trois premières années d‘enseignement primaire à la dernière année de l’enseignement préscolaire, de manière à créer une première unité scolaire. A l’inté- rieur de cette école, l’enfant acquerrait les notions de base. Les quatrième, cinquième et sixième années d’enseignement primaire pourraient consti- tuer la deuxième unité scolaire. Enfin, la troisième unité, qui s’étendrait de la septième à la neuvième année d‘études, verrait l’introduction de programmes différenciés à l’intérieur d’une même classe.

126 L a déperdition scolaire : un problème mondial

Dans une première étape d'application, la promotion serait automa- tique à l'intérieur de chaque unité; il serait possible par la suite de suppri- mer les classes.

Pour conclure ce rapide examen du document de travail, nous ne pouvolis que citer intégralement la dernière page :

A l'égard des facteurs de la déperdition, on pourra envisager une série de stratégies, qui pourront se combiner et s'articuler selon les conditions propres à chaque pays:

Action sur l'organisation et l'articulation du système scolaire. La ré- organisation des systèmes de promotion en vue de réduire les redouble- ments devrait être envisagée compte tenu de la possibilité d'établir des cycles de durée différente. Si certaines expériences au cours desquelles on a adopté directement la promotion automatique ont été couronnées de succès, il serait peut-être préférable, dans certains pays, de supprimer par étapes les obstacles à la promotion, en commençant éventuellement par le passage de la première à la deuxième année d'études. I1 conviendrait d'envisager une organisation plus rationnelle de l'année scolaire et de ses subdivisions. Il faudrait organiser l'ensemble de l'enseignement au-delà du niveau élémentaire en fonction des besoins de l'emploi et des aspira- tions individuelles.

L'adaptation des programmes scolaires aux différences individuelles et à l'aptitude à s'insérer dans la collectivité accroîtrait la motivation, répondrait mieux à l'attente du corps enseignant et réduirait par conséquent le nombre des abandons.

La formation et le perfectionnement des maîtres, orientés vers la mise au point de stratégies et de méthodes particulières d'enseignement et vers la création d'attitudes plus appropriées, contribueraient à réduire les dé- perditions dues à l'incapacité d'acquérir les aptitudes fondamentales.

Les organismes de santé publique, de protection sociale et d'éducation des adultes pourraient tous faciliter l'entrée et l'assiduité de l'enfant à l'école. La préparation préscolaire liée à l'élargissement de l'expérience, en particulier à l'acquisition et au développement du langage, réduirait sensiblement les déperditions non seulement en première année d'études, mais aussi dans les années ultérieures.

I1 faudrait supprimer le divorce entre la culture de l'école et celle de la collectivité en encourageant la participation des parents à la vie de l'école et en essayant de faire connaître les objectifs et les pratiques de l'école publique.

I1 convient de bien mesurer les contraintes exercées par le niveau de développement économique et social sur le succès des efforts déployés dans le domaine de l'éducation; c'est ainsi qu'il ne faut pas consacrer une part disproportionnée des ressources dont on dispose à la résolution des

L’enquête de 1969 et la conférence de 1970 127

délicats problèmes de minorités sans tenir pleinement compte des consé- quences qui en découlent pour le reste du système d’éducation.

LA CONFERENCE

D u discours d’ouverture de Monsieur René Maheu, Directeur général de l’Unesco, nous extrayons le passage suivant :

«Un système d‘enseignement peut être considéré comme efficace dans la mesure où il reçoit tous les enfants scolarisables, satisfait leurs aspirations individuelles et celles de leurs parents, forme des travailleurs en fonction des besoins quantitatifs et qualitatifs du développement économique et dis- pense une instruction conforme à un modèle social accepté et aux valeurs culturelles et spirituelles traditionnelles, mais aussi répond aux besoins de transformation humaine que comporte toute dynamique historique. C‘est ce qu’on peut appeler l’efficacité externe. J’ai estimé qu’au stade actuel il convenait de renoncer à un thème aussi vaste et aussi complexe et sujet à tant d’interprétations idéologiques différentes, pour ne retenir que l’aspect sur lequel la Conférence générale avait mis l’accent, à savoir l’efficacité interne des systèmes d’enseignement, autrement dit la nécessité d’amé- liorer le rendement de ces systèmes en réduisant les déperditions d’effec- tifs, lesquels se manifestent à la fois par les abandons et par les redouble- ments. Ce phénomène des déperditions d‘effectifs, bien que très répandu, n’a

fait que rarement l’objet d’études statistiques précises, et encore la métho- dologie de celles-ci reste-t-elle largement à créer. Ses causes, socio-éco- nomiques autant qu’éducatives, sont mal connues et les travaux sur la base desquels des mesures pourraient être prises pour remédier à la situa- tion actuelle sont à peine ébauchés. Or il est d’autant plus urgent de re- chercher des solutions que les taux de déperdition entraînent un gaspillage énorme alors que la plupart des pays du monde doivent faire face à l’ex- plosion démographique et aux exigences de la démocratisation de l’en- seignement à tous les niveaux. Ainsi on découvre que l’expansion quan- titative dans laquelle presque tous les Etats sont engagés de manière irré- versible requiert l’accroissement de l’efficacité des systèmes, c’est-à-dire, en dernière analyse, une amélioration qualitative. Bien loin de s’opposer, comme tant d’économistes d’inspiration malthusienne plus ou moins désintéressée voudraient le faire croire, l’expansion et l’amélioration, la quantité et la qualité, la démocratisation et le rendement de l’éducation se commandent l’un l’autre. Et peut-être est-ce là l’intérêt majeur du thème retenu. Situé dans cette zone-charnière où quantitatif et qualitatif sont indissolublement liés, le phénomène des déperditions, en nous révélant de manière brutale le mauvais fonctionnement des systèmes, force à l’analyse des causes et à la recherche des solutions dans une optique interdiscipli-

128 La déperdition scolaire: un problème mondial

naire qui débouche à la fois sur la planification et sur la rénovation de l’éducation.

Certes votre Conférence ne saurait espérer épuiser l’examen d’un tel problème. La session qui s’ouvre aujourd’hui pourrait essentiellement s’attacher - et ce serait, à mon sens, accomplir un grand pas en avant - à en identifier les principaux éléments, à définir de grands axes de recherche et esquisser une méthodologie pour des études plus poussées qui devront être effectuées dans le cadre concret des différents systèmes d’éducation. Le Secrétariat s’est borné à préparer un texte récapitulant les éléments pertinents du document de travail. C‘est à la Conférence elle-même, utili- sant dans la mesure qu’elle jugera souhaitable les indications contenues dans ce texte et celles qui se dégageront de ses débats, qu’il appartiendra d’élaborer une recommandation en vue de guider l’action des gouverne- ments et les travaux des chercheurs. ))

Après l’allocution de M.Maheu, le travail de la Conférence a commencé par deux séances plénières, suivies de séances de commission. U n grand nombre de déléguées ont pris la parole, décrivant l’expérience de leurs pays respectifs, faisant des remarques sur le document de travail et proposant les mesures qui leur semblaient les mieux à même de remédier au problème des déperditions.

I1 ne s’agit pas ici pour nous de relater dans le détail chaque inter- vention, ni de faire un choix arbitraire parmi les délégations qui ont parlé; nous nous limiterons à relever tout ce qui a apporté une perspective nouvelle à la problématique posée dans le document de travail.

Nous avons toutefois établi une distinction entre pays, non pas arbi- trairement une fois encore, mais bien parce que les délégations des pays en voie de développement ont à juste titre souligné maintes fois que le problème des déperditions se pose différemment selon que l’on se trouve dans un pays industrialisé ou dans un pays en voie de développement.

Problèmes des pays industrialisés

Considérations générales

La cause principale des déperditions résiderait dans le fait que l’on tend à considérer l’enfant fait pour l’école plutôt que l’école faite pour l’enfant; l’école est conçue non comme un lieu où il est facile d’apprendre, mais où il est facile d’enseigner, voire d’inspecter. La notion d’échec y est consub- stancielle au système.

Dans une étude effectuée en mars 1970 dans les deux premières classes d’une école primaire en France, dans une région mi-rurale, mi-urbaine, on a cherché à déterminer les causes des redoublements, qui sont à la fois

L’enquête de I969 et la Conférence de I970

d’ordre matériel et psychologique. Nous avons jugé intéressant d’en publier in extenso les résultats.

129

Causes matérielles

Redoublement dû : à des classes surpeuplées à l’absence d’une année préparatoire à des absences prolongées (14 jours à 2 mois) et au fait que le maître, surchargé, n’a pu aider à rattraper le retard accumulé à des changements trop fréquents d‘école à des changements trop fréquents de maître dans une école (Certaines catégories se recouvrent)

Causes psychologiques

Redoublement dû : au fait qu’un élève au Q.I. trop bas n’a pas été dirigé tout de suite vers un enseignement spécial au fait qu’un élève vient d’une famille d’immigrants à un manque de maturité à 1’ envir onnement familial à la fatigue ou à divers autres motifs

YO

17,8 10

27 14,2 20,2

YO

31 18,8 16,8 16 14,6

I1 a été signalé par ailleurs que, s’ils le pouvaient, beaucoup de jeunes quitteraient l’école avant la fin de la scolarité obligatoire, indépendamment des facteurs d’échec ou de redoublement. Une enquête menée à ce propos a montré des variations frappantes entre ce que les jeunes veulent et ce que leurs éducateurs pensent qu’ils veulent. On a demandé à des élèves entre 13 et 16 ans, à leurs parents et à leurs maîtres, ce qu’ils attendaient de l’école. Ce qui primait pour les élèves, c’était d’apprendre quelque chose d’intéressant mais surtout d’utile, qui leur permette d’apprendre un bon métier. Les parents, eux, mentionnaient aussi l’importance de la for- mation en vue d’un métier futur, mais insistaient sur le fait que l’école doit apprendre à bien parler, à bien écrire, etc. Quant aux maîtres, ce qu’ils jugeaient essentiel, c’était le rôle de l’école dans la formation de la per- sonnalité et du caractère de l’élève, son indépendance et son comporte- ment vis-à-vis de ses tiers. Cette enquête nous relie directement au problème des parents et des enseignants, dont l’importance est majeure dans le contexte des déperditions.

Les parents évaluent trop souvent le rendement de l’éducation d’après les résultats aux examens, qui pour eux représentent quelque chose de tangible, de concret.

130 L a déperdition scolaire : un problème mondial

On a parlé des enseignants comme de ces «gens qui se sont trouvés tellement bien dans l’institution scolaire qu’ils ont choisi d‘y rester)). On a dit d’eux, qu’ils avaient tendance à se considérer comme des «élus», comme appartenant à la «race bénie)). L’argument ((puisque j’ai réussi, moi ... », révèle une attitude anti-démocratique qui fait obstacle à l’en- seignement de masse.

Il importe de garder présents à l’esprit tous les facteurs inconscients qui entrent dans les relations maître-élèves, notamment la difficulté pour le maître de dépasser les méthodes utilisées lors de sa formation, ce qui a pour effet de ralentir les mesures envisagées, quelque bonnes qu’elles soient. D e plus, former des maîtres est une chose, mais les voir appliquer ce qu’ils ont appris, une fois confrontés à la réalité, en est une autre.

L’importance de la langue maternelle, de la lecture et de (( l’écoleparallèle». Dans les premières classes de l’école primaire tout le problème du redou- blement est lié à l’apprentissage de la lecture qui, à son tour, dépend de la langue maternelle de l’enfant, parfois différente de celle que l’on enseigne à l’école. Pour beaucoup, notamment pour les parents, le but de l’appren- tissage de la lecture, c’est de pouvoir lire n’importe quoi, un journal, un article, etc. La lecture n’est en fait qu’une question de différenciation des lettres.

Le pédagogue, lui, a une ambition différente: apprendre à lire, ce n’est pas seulement être capable de lire un message, mais aussi de l’écrire; la prononciation dépend d’une compréhension critique du texte, ce qui une fois encore, met l’accent sur le rôle de la langue maternelle. Du fait qu’on lit plus vite, qu’on écoute et qu’on parle plus vite qu’on écrit, il ressort que l’on apprend à parler en écoutant, mais aussi beaucoup en regardant. a L‘école parallèle )) en est une conséquence directe. Les grands moyens d’information, la télévision notamment, prennent de plus en plus d‘importance. Lors d’une enquête menée dans un arrondissement de Paris, on a découvert que les enfants au début de l’école primaire regar- daient la télévision jusqu’à 24 heures par semaine, soit plus longtemps qu’ils ne voyaient leur maître. Si la langue des parents est différente de celle de l’école, l’enfant apprend le langage de la télévision: l’école n’a plus le monopole de l’enseignement.

Solutions proposées et remarques

Avant de décrire les domaines précis dans lesquels des mesures ont été proposées, il faut mentionner un point qui a été mis fréquemment en avant lors de la Conférence: il est absolument indispensable d’agir sur les

L'enquête de 1969 et la Conférence de 1970 131

mentalités en même temps que sur les structures. L'opinion publique en général et les parents en particulier ont, à propos de l'école, des idées déterminées, voire même des préjugés. Or tout changement structurel ne portera ses fruits que si les parents participent activement à l'évolution de l'école. I1 importe donc de modiñer l'idée que se fait de l'école l'opinion publique. Les grands moyens d'information de masse doivent être utilisés au maximum pour renseigner sur les nouvelles méthodes pédagogiques et expliquer le but nouveau de l'école. Dans certains pays où dominent les régions rurales, il est nécessaire d'entreprendre une action de propagande, des réticences envers l'école pour les diverses raisons déjà énoncées s'y faisant souvent sentir.

Remèdes contre la déperdition. L'une des premières mesures proposées, en relation directe avec ce qui vient d'être dit, est de convaincre les parents qu'un redoublement n'est pas une catastrophe. L'école n'est pas la mesure de toute chose et il y a des gens qui échouent à l'école et réussissent très bien dans la vie. Cela ne résout d'ailleurs rien, car il faudrait expliquer les raisons de l'échec à l'école (échec de l'élève ou échec de l'institution) et de la réussite sociale (réussit-on parce qu'on a des qualités sociales? qu'est-ce que la réussite?). I1 ne faudrait toutefois pas que cette idée, même si elle contient une part de vérité, diminue l'efficacité des effets entrepris pour lutter contre les déperditions.

Pour faire face au problème des redoublements, certains moyens ont été envisagés : suppression de la division par cycle; diminution du nombre d'élèves par classe; garantie de la promotion sans examen.

Dans le cas des abandons, les mesures suivantes sont appliquées dans divers pays: création de postes d'enseignants dans toutes les localités où il y a au moins 7 élèves; amendes aux parents qui ne se plient pas au prin- cipe de la fréquentation obligatoire de l'école pour leurs enfants; amendes très fortes aux chefs d'entreprises qui engagent des jeunes au-dessous de 16 ans; participation financière des entreprises à des cours du soir ou par correspondance pour ceux qui n'ont pas leur certificat d'études; pour ces mêmes personnes, complément de formation lors du service militaire; création de résidences temporaires pour étudiants défavorisés.

L'enseignement et les méthodes. I1 est faux de considérer l'éducation élé- mentaire comme une éducation supérieure d'un niveau inférieur. Ce sont les méthodes de l'école maternelle qui devraient inspirer l'éducation élé- mentaire. Une des solutions au problème des déperditions résiderait dans un tronc commun, qui permettrait par la suite un choix libre, ou dans une structure verticale, c'est-à-dire diversSée, de l'enseignement primaire, où les changements de direction seraient possibles.

132 L a déperdition scolaire : un problème mondial

L'éducation permanente est jugée nécessaire. I1 faudrait notamment développer le système des cours du soir pour ceux qui, pour quelque motif que ce soit, ont été obligés d'interrompre leurs études.

L'accent a également été mis sur un enseignement qui valorise le travail manuel tout autant que le travail intellectuel et qui inculque la notion de la dignité du travail, tout en contribuant au changement des mentalités et à l'élimination d'un certain élitisme.

Les progrès psychomoteurs doivent aller de pair avec les progrès intellectuels ; il est essentiel de dispenser aux enfants une éducation physique régulière et adaptée, à considérer du reste comme l'un des éléments de l'éducation totale.

Enfin, pour éviter la pré-détermination sociale, cause d'échecs nom- breux, il a été recommandé de généraliser l'enseignement préscolaire gratuit et, à l'école primaire, de donner la priorité A la langue maternelle et aux mathématiques, plutôt qu'au savoir verbal encyclopédique.

On ne saurait assez mettre l'accent sur l'importance du maître, et nous retiendrons ici deux propositions dignes d'intérêt. La première, en rapport avec le manque de personnel qualifié et le besoin urgent qu'on en a, recommande de former des enseignants sur le tas, de préciser leur statut et de valoriser leur profession. La seconde est liée à l'action sur les mentalités: les maîtres doivent être formés de façon à être au courant de tous les problèmes psychologiques, sociologiques, raciaux, que pose l'éducation. Tout est possible dans le domaine de l'éducation si le maître est lucide et conscient du processus qu'il utilise.

Promotion et sélection. Les solutions proposées varient selon les besoins des pays concernés. Nous nous contenterons de relever trois remarques.

Premièrement, on a décelé une contradiction entre la promotion auto- matique, qui suppose un enseignement individualisé, et l'enseignement démocratique, l'enseignement de masse, que certains préconisent; les deux systèmes sont matériellement incompatibles, pour des raisons évi- dentes de temps, de moyens, etc.

Deuxiemement, dans un pays qui a réussi à éliminer dans une large mesure la déperdition (3,3 % en 1969 pour tout l'enseignement), on con- sidère la promotion automatique comme mauvaise, parce qu'elle fait baisser le niveau, alors que les examens et les redoublements augmentent le niveau des connaissances. On envisage le redoublement comme un problème principalement pédagogique : si le maître sait intéresser et déve- lopper l'élève, celui-ci ne redouble pas. L'échec n'est plus celui de l'élève, mais celui de l'institution ou de l'éducateur.

Troisièmement, un pays a fait l'expérience du remplacement des

L’enquete de 1969 et la Conférence de 1970 133

méthodes traditionnelles de sélection par des méthodes qu’il juge beaucoup plus humaines, en adjoignant à la sélection par les notes un système d’ob- servation et d’orientation (installations psychomédicales et autres). Une remarque fort pertinente permet de conclure : quelle que soit l’urgence du problème considéré, il est dangereux de faire des changements sans expérimentation préalable. Ce sont toujours les élèves qui en souffrent, et l’on va ainsi à l’encontre du but fixé.

Les problèmes particuliers des pays en voie de développement Dans les pays en voie de développement, le problème des déperditions se complique par la présence de facteurs dont l’influence est encore loin d’avoir été neutralisée.

Ces facteurs ne jouent pas partout le même rôle et n’expliquent peut- être pas les taux variables des déperditions. Cependant, dans la plupart des pays, l’action de ces facteurs se combine et rend plus difficile la recherche de solutions. Les séquelles de la colonisation. Dans les pays anciennement colonisés, on peut dire que la déperdition est due au choix de l’école, qui se voulait élitiste et cherchait à former des administrateurs. Etant donné que beau- coup de ces pays n’ont accédé à l’indépendance que depuis peu, les struc- tures scolaires n’ont pu encore être modifiées entièrement; les progrès sont rares, le système scolaire est inadapté et contribue à la formation d’oisifs.

La langue enseignée dans les écoles est souvent celle des anciens colo- nisateurs; pour beaucoup de gens, en particulier pour les paysans, le langage est indissociable des souvenirs de la colonisation; pour des raisons psychologiques compréhensibles, ils refusent catégoriquement de l’ap- prendre. Par crainte de perdre leur personnalité ou leurs valeurs culturelles, on voit beaucoup de parents en milieu rural retirer leurs enfants de l’école au bout de 2 ou 3 ans. La pluralité des ethnies et des langues parlées peut aussi avoir des conséquences sur la déperdition: le choix, souvent arbitraire, d’une langue officielle obligatoire dans les écoles incite parfois les minorités linguistiques à refuser de laisser ou même de mettre leurs enfants à l’école.

Le facteur décisif est celui du manque de ressources. L’explosion démographique, qui a résulté de l’amélioration des conditions de vie, ne simplifie pas le problème.

Conséquences de l’interaction de ces divers facteurs

Le gaspillage et l’ineficacité. Certains pays, qui consacrent le quart de leur budget à l’éducation, arrivent à des taux de déperdition de 90% dans

134 L a déperdition scolaire: un problème mondial

l’enseignement primaire. Il y a à cela deux raisons essentielles. La première est que l’école reste encore élitiste et est inadaptée à la situation réelle; elle applique une sélection qui va à l’encontre des besoins du pays ; la seconde est la pénurie d’enseignants et le bas niveau de leur formation. I1 ne sert pourtant à rien de former des maîtres qui, pour se conformer aux possi- bilités du système, réduisent les effectifs au terme de l’année scolaire et ((jettent les élèves dans la rue)).

Le manque de place dans les écoles. La déperdition provient aussi du fait qu’on ne peut pas faire entrer dans les niveaux supérieurs tous les élèves qui ont réussi en primaire. Dans un pays, sur 34 O00 candidats aux exa- mens sanctionnant l’entrée au niveau du secondaire, on n’en prendra que 7400, soit moins du quart.

Cette inadaptation de l’infrastructure peut s’expliquer par l’accroisse- ment spectaculaire de la population scolaire. Un pays d’Amérique centrale, par exemple, a 2 290 000 élèves dans les écoles, sur une population totale de 8 millions d’habitants.

Solutions proposées

Le rôle de l’école. Plus encore qu’ailleurs, l’école dans les pays sous-déve- loppés doit donner une formation pratique et assurer la garantie de l’emploi. Ii a été relevé que le but de l’éducation n’était pas seulement de développer l’homme, mais aussi d’augmenter la main-d’œuvre. Les me- sures suivantes ont été proposées: éducation de masse avec, pour ceux qui réussissent, la garantie de l’emploi; éducation technique généralisée; for- mation à la vie pratique dans les écoles secondaires en liaison étroite avec le village ; enseignement rural à fonction économique et sociale.

Le problème des régions rurales se pose de façon aiguë, et l’école peut jou‘errrt-ir6Ie important en introduisant de nouvelles méthodes dans les campagnes et en expliquant aux paysans traditionalistes l’avantage d‘une modernisation et de l’éducation en général. Fort d’une grande ex- périence dans ce domaine, un pays estime qu’il ne suffit pas d’entreprendre des campagnes d’alphabétisation dans les zones rurales ; l’établissement de ((zones de culture)) doit suivre si l’on ne veut pas que les ex-analphabètes oublient tout ce qu’ils ont appris.

Les déperditions. Pour revenir plus précisément au problème des déperdi- tions, on a noté que, dans les pays en voie de développement, la lutte prin- cipale se situe à l’école élémentaire et dans les régions rurales principale- ment; la création d’un enseignement préscolaire généralisé pourrait s’avérer profitable.

L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970 135

A cela il est objecté que l’on ne saurait créer cet enseignement tant que toute la population d’âge scolaire ne fréquente pas l’école primaire.

O n a parlé de l’instauration d’un système de récupération pour ceux qui redoublent plus de trois fois ou qui abandonnent l’école: quatre heures par jour prises SUT leur horaire de travail en usine sont consacrées à l’éducation, de sorte qu’ils ont la possibilité de continuer à étudier, tout en occupant un poste dans la production.

L‘importance du maître est à nouveau mise en évidence. On recom- mande notamment la création de centres spéciaux de formation et de recy- clage.

Education et développement. I1 y a une très forte relation entre l’éducation et le développement; un taux trop élevé de déperdition peut, à long terme, signifier un ralentissement, voire même un arrêt du développement. L‘Etat subit des pertes appréciables lorsqu’on oblige l’élève à être bon ou moyen dans toutes les branches.

Les propositions suivantes ont été faites: en plus de la part du budget national, consacrer 1 % des impôts payés par chaque citoyen à l’éducation; faire des plans d’utilisation optimum des ressources; établir une liaison très étroite entre l’école, le milieu d’origine des élèves et les institutions civiques; restructurer les matières en fonction de la vie de la communauté; prévoir des programmes d’alimentation scolaire. Les mesures à prendre varient bien sûr selon les besoins et surtout selon les ressources de chaque pays ; cependant, la bonne volonté, l’enthousiasme, sont plus importants que les conditions matérielles. Citons en conclusion de cette analyse, la déclaration suivante : ((L‘éducation est un facteur essentiel de progrès social et la precondition du développement des sociétés modernes. Elle est le plus profitable des investissements sociaux)).

LA RE C OMM ANDATI O N

Faire adopter une recommandation par une assemblée de plus de 200 délé- gués relève plus de la diplomatie que de la pédagogie. En effet, le problème des déperditions revêt tant d’aspects différents d’un continent à un autre, voire même d’un pays à son plus proche voisin, qu’il importe de trouver un dénominateur commun sans pourtant renoncer à l’essentiel : l’amélioration et l’efficacité des systèmes d’éducation. Ceux qui, pendant des mois, ont dépouillé les réponses des Etats et préparé le document de travail ne pouvaient, en juillet 1970, qu’être déçus par le texte adopté. Il manquait de mordant, semblait placer toutes les causes sur le même plan et proposer des remèdes peu originaux. L’Annexe 1 en contient le texte intégral.

136 La déperdition scolaire: un problème mondial

A vrai dire, à six mois de distance, notre avis est plus nuancé, les 28 articles consacrés aux mesures pratiques pour réduire les déperditions passent bien en revue tous les aspects d’un système d’éducation qui doivent être améliorés. C‘est tout le fonctionnement de l’école qui est mis en question, même si cela n’est pas dit explicitement. Dès lors, il ne saurait être question d’originalité, mais bien de rénovations, celies que les grands maîtres de la pédagogie ont tenté de promouvoir depuis de nombreuses décennies.

Par ailleurs, une recommandation peut-elle établir une hiérarchie parmi les remèdes proposés? Il appartient à chaque pays de décider des mesures prioritaires, de retenir celles qui le concernent plus particulière- ment, car il n’y a pas de solution universelle au problème des déperditions, si étroitement dépendant de la politique culturelle, économique et sociale d’un Etat. Aussi paraît-il superflu de procéder ici à une analyse détaillée des divers articles, d’autant plus que nous avons essayé, dans les deux chapitres précédents, de mettre en évidence le rôle des principaux facteurs. Bornons-nous donc à dégager quelques idées directrices.

Toute politique scolaire qui tend à réduire les déperditions dépend d’abord des finalités assignées à l’éducation (art. 4). Or, bien souvent, les textes officiels relatifs aux objectifs sont rédigés en termes généraux, imprécis: ils donnent l’impression d’avoir été ajoutés après coup, en tête des lois, des règlements ou des programmes. A notre avis, la réponse à la question : ((Quel type d’homme veut-on former? )) commande, à la fois, le choix des structures scolaires, le contenu des programmes, les méthodes et le mode d‘évaluation du travail des élèves.

De nouvelles finalités ne sauraient d’ailleurs plus se concevoir en dehors du concept d’éducation permanente (art. 5). Encore faut4 ne pas entendre par là une espèce de complément aux systèmes d’éducation ac- tuels, mais bien une conception nouvelle qui exige une refonte totale de l’école. Nous ne saurions assez insister sur le rôle et l’importance de ces réflexions préalables à toute rénovation, sur la nécessité d’inventer de nouveaux modèles. Rares sont les systèmes d’éducation structurés et pensés jusque dans les détails à partir d’objectifs précis et complets: on a plutôt l’impression d’avoir affaire à un ensemble de pièces placées les unes à côté des autres, sans lien organique et sans rapport avec les buts pro- posés. La multiplicité des embranchements dans les structures scolaires, de même que l’évolution des programmes, n’illustrent que trop bien cette situation: il est évidemment plus aisé de procéder à des réformes de détail que de rénover l’ensemble. Ces quelques remarques valent aussi pour la mise en œuvre de la recommandation par les ministères de l’éducation; il serait vain de croire que l’application d’une mesure prévue par tel article

L’enquête de 1969 et la Conférence de 1970 137

ou tel alinéa isolé puisse entraîner une amélioration effective. Les com- mentaires qui suivent n’ont de signification qu’éclairés par les réflexions précédentes.

L‘importance des premières années d’école est mise en évidence par les articles 13(e), 17, 18, 19 et 20. A-t-on fait systématiquement l’inventaire du nombre de sons, de signes et de mots qu’un enfant doit assimiler en 2 ou 3 ans pour savoir lire, écrire et maîtriser les notions de base de l’arithmétique?2 La difficulté de ces apprentissages est accrue par le fait que souvent la langue d’enseignement n’est pas la langue maternelle. Dans les pays où ces deux langues sont identiques, le vocabulaire de l’école cependant diffère de celui des familles d’ouvriers ou de paysans, ce qui donne à l’élève l’impression d’apprendre une nouvelle langue. Que l’en- seignement préscolaire représente un progrès est indubitable à condition qu’il ne tente pas de commencer prématurément les apprentissages de base, mais se contente de les préparer par des exercices sensori-moteurs adéquats et le développement du langage oral. On doit se demander si, dans les pays où le manque de ressources ne permet pas de mettre sur pied ce type d’enseignement, il ne serait pas indispensable de réserver un temps suffisant, au début de la scolarité, à cette préparation.

Les articles 3, 6, 7, 9, 13(g), 21, 22, 24, 25 et 26 traitent de l’évolution des méthodes et du contenu des programmes: inutile de résumer ici, le contenu du chapitre 4, qui leur est consacré. Insistons néanmoins sur le fait que, à l’intérieur du système scolaire, tout se tient et qu’une action efficace concerne rarement des éléments isolés.

On peut s’étonner qu’un seul article (art.8) se rapporte au rôle des enseignants : il est vrai que les considérants mentionnent la recommanda- tion de 1966 sur la condition du personnel enseignant, mais celle-ci ne fait aucune allusion aux déperditions, aux innovations nécessaires dans la formation des maîtres en vue de les préparer à leur intervention dans la lutte contre les redoublements.

Mentionnons encore les articles 10, 11, 12, 14 et 15, qui font appel à une meilleure coopération des divers responsables de l’école : éducateurs, administrateurs, psychologues, médecins et assistantes sociales et à leurs relations avec les parents, à l’importance de l’information réciproque des uns et des autres. Tous ceux qui œuvrent dans un système d’éducation sont solidairement responsables de son efficacité, vis-à-vis des familles et de l’opinion publique.

2. L’introduction de la mathématique moderne à l’école primaire n’apporte guère d‘amélioration à cet égard, car elle entraîne une augmentation du nombre des signes à mémoriser.

Chapitre sept

Conclusions

C’est à dessein que dans le chapitre précédent, nous n’avons pas analysé la dernière partie de la recommandation adoptée par la Conférence. En effet, les neuf derniers articles (31 à 39) proposent diverses mesures qui nous apparaissent comme autant de remarques finales à la présente étude.

BTU DES s TATI s TIQUE s

Nous avons longuement étudié cet aspect du problème dans le chapitre 3. Ce qui retient l’attention, c’est d’une part l’absence ou l’insuffisance des statistiques scolaires et, d‘autre part, la diversité des méthodes utilisées pour les rassembler, avec toutes les lacunes qu’elles comportent, qui rendent difficile toute comparaison ou prise de conscience de l’ampleur du phéno- mène ((déperdition ».

I1 importe donc de normaliser et d’organiser le rassemblement des données et, à cette fin, I’Office des statistiques de l’Unesco doit jouer un double rôle: proposer des modes de calcul des taux d’abandon et de re- doublement et aider les bureaux et les centres régionaux à mettre en place, sur le terrain, les équipes de spécialistes. Que l’on recoure d’emblée aux techniques modernes semble indispensable. O n objectera que cela peut entraîner pour les Etats membres des dépenses élevées: or, en fait, s’il est nécessaire que les données de base soient rassemblées dans chaque pays de façon exacte et selon des méthodes éprouvées, l’évaluation peut très bien être codée à des offices spécialisés : les techniques à disposition permettent de réduire à un petit volume le matériel à transmettre à un centre de calcul. Ce qui est vrai à l’échelon des grandes entreprises commerciales peut sans autre s’appliquer au domaine de l’éducation.

Si important qu’il soit de déterminer des taux nationaux, il faut cependant insister sur la nécessité de disposer de données locales et

140 L a déperdition scolaire : un problème mondial

régionales : la situation dans les villes diffère de celle des zones rurales ; il est certain aussi que, dans une agglomération, il faut distinguer les quar- tiers les uns des autres; certaines régions campagnardes sont plus défavo- risées que d'autres. Pour être efficaces, les remèdes doivent tenir compte de ces différences et on ne saurait trouver des solutions uniformément appli- cables à l'ensemble d'un pays.

Par ailleurs si, pour plusieurs délégués, la promotion automatique apporte une solution définitive - ou presque - au problème, d'autres ont émis de sérieux doutes à ce propos et posé des questions pertinentes:

a) si, dans le cadre de la scolarité obligatoire, les déperditions ont disparu, que se passe-t-il au cours des études ultérieures et, plus particulière- ment, comment évolue le taux des abandons?

b) comment les adolescents libérés de l'école s'intègrent-t-ils dans la vie économique du pays?

Alors que la seconde question se rapporte à l'efficacité externe du système et exige des enquêtes sociologiques, la première, en revanche, vise le fonctionnement de l'école elle-même : la promotion automatique con- duit-elle à une autre attitude des élèves et des parents face aux divers types d'études postérieures à la scolarité obligatoire? En d'autres termes, le fait de ne pas avoir été perturbé par des échecs donne-t-il aux adolescents le désir d'acquérir une formation aussi complète que possible?

I1 reste enfin un domaine dont la Conférence s'est peu occupée: celui de l'enseignement supérieur. Bien que la Conférence générale de l'Unesco ait décidé d'inclure l'université dans l'enquête, force est de constater que les Etats membres n'ont pas voulu ou n'ont pas pu répondre de manière satisfaisante, et le document de travail a révélé l'insuffisance des données quantitatives sur les déperditions à ce niveau. Nous avons déjà signalé la complexité du problème et mis en cause le questionnaire lui-même.

Le problème demeure entier et on ne saurait en sous-estimer la gravité. L'université et les institutions du même niveau grèvent lourdement les budgets : le coût unitaire des études supérieures peut, selon les facultés, être dix fois plus élevé que celui de l'enseignement secondaire. A juste titre, on se pose la question du rendement des investissements: même si un étudiant qui abandonne l'université après quelques semestres se trouve, face à la société, dans une situation totalement différente de l'élève qui a quitté l'école primaire, il n'en demeure pas moins que les dépenses con- senties par la communauté en Vue de sa formation sont gaspillées dans une large mesure. Qu'une analyse systématique des déperditions dans l'en- seignement supérieur soit devenue nécessaire paraît évident du point de vue de ?Etat, mais on ne saurait oublier que les autorités universitaires sont

Conclusions 141

souvent peu favorables à ce genre d’enquête; elles y voient souvent une atteinte à leur autonomie et même une possibilité de diminuer leur liberté d’action et d’enseignement. A défaut d’enquête au niveau national, ne pourrait-on pas se limiter à l’étude de quelques établissements choisis par le gouvernement et obtenir ainsi des informations à partir d’un échantillon qui devrait être significatifau sens statistique du mot.

I1 serait non seulement nécessaire de connaître, dans chaque faculté, quelles sont les années où les abandons se produisent, mais aussi quelles sont les disciplines qui entraînent le plus d’échecs. I1 vaudrait la peine de mettre ces diverses données en relation avec la situation économique des étudiants et le travail à temps partiel.

On pourrait enfin se demander dans quelle mesure les études anté- rieures jouent un rôle dans la réussite à l’université. L’Office des statis- tiques de l’Unesco devrait établir des modèles qui permettraient d’éviter d’inutiles tâtonnements et de comparer les résultats à l’intérieur d’un pays ou entre pays où l’enseignement supérieur est conçu et organisé de façon analogue.

ETUDES, RECHERCHES ET EXPERIENCES

Depuis quelques années, chaque fois que l’on se heurte à une difficulté dans le domaine de l’éducation, on réclame des recherches. Tout se passe comme si l’on espérait ainsi trouver des solutions plus ou moins miracu- leuses; là où l’école a échoué, on attend des instituts spécialisés la dé- couverte des moyens qui redresseront la situation. On méconnaît ainsi les caractères spécifiques de la recherche pédagogique, sa place dans les insti- tutions scolaires et les moyens dont elle dispose.

La pédagogie expérimentale est une science relativement jeune qui n’est nullement comparable aux sciences exactes ou naturelles, même si elle s’efforce de recourir à des méthodes propres à toute recherche scienti- fique. Elle est par essence interdisciplinaire et doit sans cesse tenir compte de la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, de la sociologie et de la conception éthique et politique de l’homme dans la société à laquelle il appartient. Quand un chimiste tente de réaliser la synthèse d’un produit déterminé, une fois qu’il a imaginé un procédé, la chaîne de réactions né- cessaires et le type des appareils qu’il utilisera, son intervention dans le déroulement de l’expérience se limite à des actions précises qui peuvent toutes être décrites et mesurées exactement. Son état d’esprit, ses senti- ments personnels ne jouent aucun rôle. Dans les sciences humaines, l’ex- périmentateur n’est jamais neutre face au sujet et celui-ci n’est pas passif, il peut constamment modifier le déroulement de l’expérience. On s’efforce

142 La déperdition scolaire: un problème mondial

évidemment, pour éliminer l’effet du comportement individuel, de prévoir un grand nombre de sujets et au besoin de changer d’expérimentateur. O n obtient ainsi des résultats «moyens» valables pour un petit nombre de sujets; mais l’action pédagogique ne concerne pas seulement un individu moyen, en quelque sorte idéal, eile concerne un groupe. Face aux déper- ditions, on doit précisément se demander si l’échec de l’école, dans une certaine mesure, ne tient pas au fait qu’elle est conçue pour un élève-type.

La recherche pédagogique, qu’elle soit l’affaire d’instituts universi- taires ou de services spécialisés, demeure souvent en marge de l’école. Les administrateurs scolaires à tous les niveaux sont mal informés sur les travaux et les résultats, les enseignants de leur côté se méfient des cher- cheurs qui n’ont guère de contact avec la vie quotidienne d’une classe d’enfants ou d’adolescents. La psychologie semble encore plus suspecte aux maîtres d’école qui s’interrogent sur la validité des recherches qui traitent l’enfant comme un objet de laboratoire, le placent dans des situa- tions qui paraissent sans rapport immédiat avec l’enseignement. Le senti- ment est fréquemment renforcé par la nature des cours donnés dans les écoles normales ou dans les centres de formation psychopédagogique des futurs maîtres secondaires.

I1 faut enfin souligner que, compte tenu des budgets attribués à la recherche scientifique en général, les moyens disponibles dans le domaine de l’éducation demeurent insuffisants : la recherche pédagogique apparaît comme un parent pauvre. N’est-ce pas le signe révélateur du scepticisme qui règne à son sujet aussi bien dans les milieux universitaires que parmi les autorités, voire même les ministères de l’éducation?

L’ampleur des déperditions exige des solutions nouvelles : il s’agit moins d’augmenter le nombre des laboratoires de pédagogie que de créer des écoles expérimentales où les chercheurs en pédagogie, en psychologie et en sociologie collaboreraient étroitement avec les enseignants. I1 faut, en effet, associer les maîtres à la recherche: non seulement ils connaissent mieux les aspects pratiques de la vie scolaire, mais c’est l’occasion de les sortir de la routine, de les stimuler, de leur confier des responsabilités dans la bataille engagée contre les déperditions. De par leur situation, ils sont l’élément moteur, on ne fera aucun progrès si l’on ne les convainc pas que programmes, méthodes, évaluation, doivent changer, que le climat de la classe est décisif pour l’avenir des élèves. Dans cette optique, il est évident que la formation des maîtres doit en premier lieu susciter des recherches: ce qu’il faut d’abord créer, ce sont les écoles normales expérimentales dont nous avons déjà parlé à la fin du chapitre 4. Là encore, soulignons l’importance du travail en équipe multidisciplinaire ; les candidats-maîtres doivent être très tôt incorporés dans les groupes de recherche, se former en

Conclusions 143

prenant une part active aux travaux en cours. Mentionnons enfìn qu’il existe un domaine où des recherches qui échappent à l’analyse critique faite plus haut, peuvent être organisées rapidement et sans grands frais: celui de l’évaluation et des examens. Nombreuses sont les administrations scolaires qui conservent dans des archives des compositions d’examens ; on pourrait constituer des échantillons significatifs et les faire évaluer par une dizaine d’experts difîérents à deux reprises, à six mois d’intervalle environ, on recueillerait ainsi des données statistiques précises qui per- mettraient de faire comprendre, de façon irréfutable, la relativité de toute évaluation et, en particulier, de celle des notes d’examens. A partir des registres ou des fichiers de résultats de divers types d’écoles, il serait pos- sible d’étudier la validité des règlements de promotion ou d’examen: de telles recherches de nature statistique ne poseraient guère de problèmes méthodologiques. En attendant des réformes fondamentales - indispen- sables -, de tels travaux permettraient de modifier les règlements à partir de données établies scientifiquement.

Revenons au texte de la recommandation: chercher les causes - ar- ticle 33 - revient à essayer des remèdes. L‘apprentissage de la lecture par exemple crée, semble-t-il, des perturbations qui se répercutent au cours des premières années d‘école. Pour vériñer cette assertion, on essaiera d‘autres méthodes dont on mesurera les effets : si l’on arrive à des conclusions posi- tives on aura ainsi trouvé une solution. Précisons à propos de cet exemple qu’il ne s’agit pas d’une simple question de technique pédagogique: la collaboration des psychologues, la connaissance de l’environnement de l’enfant et de son vocabulaire joueront un rôle décisif dans la construction des méthodes. Ce qui vient d’être écrit à propos d’un moment précis de la carrière scolaire pourrait être répété pour toutes les autres étapes. I1 est possible que les chercheurs, préoccupés par la pureté scientifique de leur travail, hésitent à entreprendre des expériences qui mettront en cause plusieurs variables: mais on doit se demander si la situation du laboratoire est transposable dans la classe et si, en fait, il n’est pas impos- sible d’agir sur une ou deux variables isolées. En particulier, le maître change d’une classe à l’autre et, avec lui, la qualité de la relation avec les élèves; même si l’on parvenait à appliquer des programmes et des méthodes rigoureusement identiques - ce qui est déjà problématique - le fait que maîtres et élèves soient différents modifie de façon essentielle les données du problème. Nous sommes par conséquent convaincus qu’il faut inventer de nouveaux modes de recherche à l’intérieur même des classes, ce qui exige la prise en considération de la variation de plusieurs facteurs qu’il conviendra d’analyser aussi systématiquement que possible.

L‘article 34 traite à nouveau de la question des priorités (voir art.4).

144 L a déperdition scolaire : un problème mondial

Nous ne saurions assez insister sur la nécessité de réflexions à ce propos. Que celles-ci mettent en cause une conception politique et éthique de l’homme est évident et à aucun moment la pédagogie expérimentale ne doit ni ne peut l’oublier; sinon elle court le risque de travailler en dehors de toute réalité politique et sociale. On doit même se demander si ses travaux ne pâtissent pas de l’absence de modèle théorique et si elle n’est pas ainsi condamnée à s’occuper de faits isolés, sans efficacité réelle faute d’un cadre général.

L‘article 35 revient à la notion de promotion automatique. I1 est in- dispensable que l’on recueille des informations scientifiques sur les mesures connexes qu’elle implique: enseignement par niveaux et non plus par classe, rattrapage, recyclage des maîtres.

c o o P É RAT I o N INTERN AT I ON A LE

La tâche qui incombe aux ministères de l’éducation face aux déperditions est d’une telle importance que seule une véritable coopération entre Etats membres peut permettre de prendre des mesures efficaces. Que les orga- nisations internationales doivent assumer une large part d’initiative et de responsabilités est bien évident: il faut à tout prix éviter une dispersion des efforts, assurer un échange constant des informations et des résultats des recherches, mettre à la disposition des pays qui le demandent des experts qualifiés. Encore faut-il que ces derniers soient préparés à leur tâche, capables d’innover et de tenir compte des situations propres aux pays concernés: n’a-t-on pas transplanté dans les pays en voie de déve- loppement des programmes et des méthodes appliquées dans les pays industrialisés sans même s’interroger sur leur efficacité dans les pays qui les ((exportaient)) et encore moins dans ceux qui les ((importaient))?

LE RECOURS A L’ÉDUCATION PERMANENTE

Quelle que soit la rapidité de réaction des gouvernements face à la gravité du problème, quelle que soit l’efficacité des mesures prises, il faut être réaliste : les déperditions se manifesteront durant plusieurs années encore. Des adolescents quitteront l’école à divers niveaux, après avoir reçu une éducation incomplète, et iront grossir les rangs de leurs aînés qui auront suivi le même chemin. Dans les pays en voie de développement, cela signifie, pour beaucoup d’entre eux, le retour à l’analphabétisme, qui se trouvera ainsi renforcé par les sous-produits de l’école. Dans tous les pays concernés par le phénomène, on continuera à lancer dans la vie des jeunes gens aigris, inadaptés, plus ou moins profondément perturbés par leur

Conclusions 145

scolarité ratée; il n’est pas dit que la jeunesse supportera longtemps encore une telle situation sans réagir d’une manière ou d’une autre. Par ailleurs, on ne peut qu’être frappé par la passivité et aussi l’impuissance des parents.

Y a-t-il une solution ou faut-il simplement attendre l’effet des mesures proposées? Nous sommes convaincus qu’une double action est nécessaire : transformer les systèmes scolaires et, parallèlement, créer ou dévelop- per l’éducation des adolescents et des adultes. C’est précisément ce que réclament les promoteurs de l’éducation permanente. Celle-ci n’atteindra sa pleine efficience qu’au moment OU les écoles de base primaires et secon- daires auront évolué, mais rien n’empêche qu’on mette en place, dès maintenant, des formations postscolaires en s’efforçant d’atteindre d’abord les adolescents sortis de l’école et victimes des déperditions, ainsi que les parents des élèves malmenés par le mauvais fonctionnement du sys- tème. Il est évident que l’éducation permanente concernera tôt ou tard l’ensemble de la population, mais, comme il paraît impossible de prévoir sa mise sur pied sous sa forme la plus générale dans un avenir proche, il est nécessaire de s’occuper dès maintenant des milieux les plus menacés. I1 est superñu de décrire ici ce que doit être l’éducation permanente ou, selon la dernière formule à la mode, l’éducation récurrente: nombreux sont les ouvrages qui s’y rapportent. Aussi allons-nous nous limiter à en mettre en évidence quelques aspects en rapport avec notre thème.

Il importe d’abord de créer des centres d‘éducation postscolaire dans de petites communautés rurales ou urbaines, après avoir analysé les besoins immédiats en matière de formation : les programmes ne devraient pas être conçus dans une administration, ils devraient être élaborés sur place de manière aussi souple que possible. (A cet égard, les expériences de Bertrand Schwartz dans des centres de mineurs des environs de Nancy méritent de retenir l’attention.) I1 n’y aurait pas d’enseignants au sens tra- ditionnel du mot, mais des animateurs, des hommes ou des femmes qui auraient reçu une formation suffisante pour exercer ces fonctions, et qui y consacreraient quelques heures par semaine à côté de leur emploi princi- pal. Les responsables d’une vingtaine de centres d’éducation, par exemple, dépendraient d’un organisme régional chargé d’assurer la formation et le perfectionnement continu des animateurs plusieurs fois par trimestre, selon les besoins.

On pourrait de même prévoir que les entreprises agricoles, indus- trielles ou publiques, possèderaient leur propre organisation, non pas seulement pour assumer un perfectionnement professionnel, mais pour consolider et améliorer les connaissances de base ou, de façon plus géné- rale, pour élever le niveau culturel de leurs employés.

146 La déperdition scolaire: un problème mondial

Par ailleurs, là où existe un réseau suffisant de télévision, il serait possible d’augmenter la place accordée à l’éducation dans les programmes: lorsqu’on prend conscience du nombre d’heures consacrées à des émis- sions plus ou moins enrichissantes, on ne peut qu’être alarmé par la place minimum réservée à la formation des adolescents et des adultes. Certes la télévision n’a de valeur formative que si les spectateurs sont encouragés, stimulés à en tirer profit, mais ne serait-ce pas là le rôle des centres dont nous parlions plus haut?

On objectera que l’on manque des ressources nécessaires. Dans de nombreux pays industrialisés, il s’agit d’une question de priorité. Dans les pays en voie de développement, c’est une affaire de coopération inter- nationale, de choix fondamentaux dans l’aide qu’apportent les grandes organisations ou les Etats.

En définitive, il s’agit de savoir si, face à la crise mondiale de l’éduca- tion, on va continuer à sacrifier la majorité des enfants de chaque géné- ration: plus qu’un problème pédagogique, c’est là une question de poli- tique.

Annexe 1

Recommandation No 66 concernant l'amélioration et l'efficacité des systèmes d'éducation, en particulier par la réduction des déperditions d'effectifs à tous les niveaux de l'enseignement

P REA M B U LE

La Conférence internationale de l'éducation, convoquée à Genève par l'Orga- nisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, s'étant réunie le ler juillet 1970 pour sa 32e session, adopte le 8 juillet 1970 la recom- mandation suivante :

La Conférence, Considérant l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme

(194817 Considérant la Déclaration des droits de l'enfant (1959),

Considérant la Convention et les Recommandations concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement adoptée par la Confé- rence générale de l'Unesco à sa onzième session (1960),

Considérant la Recommandation concernant l'enseignement technique et pro- fessionnel adoptée par la Conférence générale de l'Unesco à sa douzième session (1962),

Considérant la Recommandation concernant la condition du personnel en- seignant adoptée par la Conférence intergouvernementale spéciale sur la condition du personnel enseignant (1966),

Considérant la Déclaration des principes de la coopération culturelle interna- tionale adoptée par la Conférence générale de l'Unesco à sa quatorzième session (1966),

Considérant les recommandations de la Conférence internationale sur la plani- fication de l'éducation (1968),

Considérant que nous entrons dans la Deuxième Décennie du développement,

148 L a déperdition scolaire : un problème mondial

Considérant que l'année 1970 a été proclamée Année internationale de l'éduca- tion,

Considérant les recommandations pertinentes adoptées par la Conférence inter- nationale de l'instruction publique lors de ses différentes sessions,

Considérant que l'éducation a pour but non seulement d'inculquer à l'élève des connaissances fondamentales, mais aussi et surtout de développer tous les aspects de sa personnalité, et que les méthodes pédagogiques devraient être adaptées à cette fin,

Considérant qu'il est indispensable que chaque élève soit mis à même d'achever le cycle d'études qu'il a entrepris et qu'une éducation continue puisse être assurée, dans le cadre de l'éducation permanente, à l'élève ayant quitté pré- maturément l'école,

Considérant que les déperditions d'effectifs posent, sous une forme ou sous une autre, des problèmes graves dans la plupart des pays et que l'analyse sta- tistique montre clairement l'étendue et la répartition du phénomène de la déperdition aux différents niveaux et points des systèmes d'enseignement,

Considérant que les abandons en cours d'études correspondent souvent à une dépense improductive et que les redoublements accroissent le coût de l'éducation, nuisant ainsi à son amélioration qualitative et quantitative, sans parler des troubles qu'ils peuvent occasionner pour les élèves,

Considérant que l'amélioration de l'efficacité des systèmes d'enseignement et, en particulier, la réduction des déperditions d'effectifs sont essentielles, d'une part pour assurer à tous l'exercice du droit à l'éducation et, d'autre part, pour renforcer la contribution de l'éducation au développement social et économique de la société,

Soumet la recommandation ci-après aux Ministères de l'éducation des différents pays :

PRINCIP ES FOND A M E NTAUX

1. L'étude des mesures à prendre pour réduire la déperdition des effectifs sco- laires devrait s'inscrire dans le cadre des principes suivants : (a) Tous les aspects du contexte économique et social et des systèmes d'en-

seignement ont une incidence sur la déperdition scolaire ; (b) Les facteurs qui contribuent à la déperdition aux différents niveaux

de l'éducation sont nombreux et diffèrent souvent d'un pays à l'autre, notamment selon le niveau de développement. O n peut les grouper sous les catégories suivantes :

Annexe 1 149

le milieu

(i) le foyer et la collectivité : les contraintes des conditions géographi- ques, sociales, économiques et culturelles (éloignement de l'école, milieu défavorisé, différenciation linguistique, sous-développement, mentalité du public, etc.);

(ii) le système scolaire (administration, organisation, programme d'études, nombre et qualification des maîtres, relation entre la fa- mille et l'école, bâtiments et matériel, etc.);

la personnalité de l'enfant (facteurs physiques, mentaux, intellectuels et moraux, motivations, etc.).

(c) Les facteurs liés à la déperdition scolaire sont généralement conjugués et il faut étudier à la fois leur interaction et leurs effets indépendants, en s'appuyant notamment sur les enseignements de l'expérience re- cueiliis dans un contexte donné.

Le renouvellement des systèmes d'éducation, auquel conduit l'évolution de la civilisation, doit inciter à réétudier, en fonction des caractéristiques spé- cifiques de chaque pays, l'aménagement et le renouvellement des pro- grammes (en particulier dans les premiers stades de la vie scolaire), le rôle des systèmes d'évaluation et les modalités d'orientation scolaire et profes- sionnelle en vue de réduire les déperditions scolaires comme les échecs subis à l'entrée dans la vie active.

2.

MESURES PRATIQUES POUR REDUIRE LES D~PERDITIONS SCOLAIRES

3.

4.

5.

I1 importe de prendre une série de mesures dont certaines, de caractère gé- néral, visent à améliorer l'efficacité des systèmes d'éducation et à assurer leur rénovation en les rapprochant de la vie, des besoins économiques et sociaux, et des aspirations individuelles, alors que d'autres, d'une nature plus spécifique, auront trait aux différents facteurs liés aux déperditions. Il convient de définir les nouvelles finalités assignées à l'éducation dans un monde en cours de transformation rapide, compte tenu de la contribution que l'éducation doit apporter au développement social, économique et humain et de la réalisation effective du droit à l'éducation.

Il apparaît souhaitable de s'inspirer de la perspective de l'éducation penna- nente qui lie l'éducation à la vie, et assure la mise à jour continue des con- naissances, ainsi que l'articulation de l'enseignement scolaire et de l'édu- cation extrascolaire. I1 apparaît nécessaire de réviser les structures de l'édu- cation dans le sens d'une plus grande souplesse et d'une meilleure articula- tion de ses différents éléments, en assurant le maximum de continuité à l'intérieur des systèmes et en facilitant les transferts d'un type d'enseigne- ment à l'autre et d'un niveau à l'autre.

6.

7.

8.

9.

10.

11.

12.

13.

I1 conviendrait également de veiller à ce que le contenu de l'enseignement s'inspire de la nécessité d'apprendre à apprendre, autant que de dispenser l'instruction; fasse la place souhaitable aux connaissances de base; ajoute, dans la mesure nécessaire, les matières nouvelles qui correspondent aux progrès des connaissances et comporte une initiation à la vie pratique et à la technologie ainsi que la formation d'attitudes utilisables sur le plan pro- fessionnel.

I1 apparaît souhaitable d'améliorer constamment les méthodes d'enseigne- ment et d'éducation en tirant parti des moyens modernes d'information et de la technologie éducative d'une part, et en faisant appel aux résultats de la recherche pédagogique et psychologique pour une meilleure adaptation des méthodes aux besoins de l'enfant, d'autre part.

I1 apparaît indispensable d'améliorer la formation et le recyclage des maîtres ainsi que des mesures prises pour les conseiller, en s'attachant particulière- ment à les préparer à leur nouveau rôle, compte tenu de la nécessité d'une nouvelle forme de relation entre enseignants et enseignés, et d'une large préparation à la vie.

I1 importe de réexaminer les procédures de sélection et de contrôle des con- naissances et d'évaluation des résultats scolaires, en éliminant au maximum les éléments d'arbitraire et de subjectivité ; il apparaît souhaitable de s'ins- pirer d'une attitude positive à l'égard des élèves et de tenir compte des aspects affectifs et caractérologiques de la personnalité de chacun. A cet égard, il semble souhaitable d'adopter des mesures pour évaluer l'efficacité des établissements d'enseignement dans leur ensemble.

I1 apparaît nécessaire de développer et d'institutionaliser les services d'orien- tation scolaire et professionnelle, en vue d'assurer une large information de l'enfant, de la famille et du public sur le système éducatif et sur les ouver- tures qu'il comporte sur la vie et l'emploi.

I1 apparaît souhaitable d'assurer une étroite coopération entre administra- teurs, pédagogues et éducateurs, psychologues scolaires, conseillers d'orien- tation professionnelle, médecins et assistantes sociales, et parents.

I1 apparaît indispensable d'assurer une liaison étroite entre l'école, la famille et la collectivité.

I1 convient, en vue de compenser certains désavantages sociaux, économi- ques ou géographiques, susceptibles d'entraîner des déperditions, de prendre certaines mesures, telles que :

(a) l'extension de la gratuité scolaire à tous les niveaux et l'extension et l'amélioration du réseau scolaire, et une meilleure répartition des établissements scolaires, en s'attachant particulièrement aux besoins

150 La déperdition scolaire : un problème mondial

des régions rurales et des groupes minori-taires;

Annexe 1 151

(b) la création d'internats, notamment pour les enfants originaires des ré- gions à faible densité de population;

(c) la création ou le développement de services sociaux ou l'adoption de mesures d'aide à la famille ou à l'enfant (cantines, distribution gratuite d'aliments ou de vêtements, ramassage scolaire ou allocations de trans- port, foyers d'accueil pendant les heures de travail des parents, etc.) ;

(d) le développement des services de santé et de médecine scolaires;

b{e) le développement de l'éducation préscolaire, notamment dans les zones

(f) une plus large attribution, suivant des critères équitables, de bourses et d'allocations diverses de scolarité et de bourses d'enseignement supé- rieur visant à libérer les étudiants de certains travaux rémunérés peu compatibles avec leurs études;

rurales et dans les quartiers surpeuplés des grandes agglomérations ;

(g) des études surveillées facultatives après les heures de classe.

14. I1 serait souhaitable de prévoir une action systématique et permanente d'information afin de faire prendre conscience aux parents de l'importance de la fréquentation scolaire.

15. Il convient de prendre les mesures nécessaires pour instituer l'obligation scolaire, en assurant les facilités qui permettront à tous les enfants de s'inscrire à l'école et, en outre, en prévenant les abandons prévisibles et volontaires, particulièrement quand ils résultent du travail des mineurs.

16. La création ou le développement de services de dépistage des enfants phy- siquement ou mentalement déficients et d'établissements à leur intention serait nécessaire.

d7. I1 importe d'améliorer l'apprentissage de la langue d'instruction en tant que matière et instrument de connaissance.

d18. Il convient de prendre les mesures nécessaires pour éliminer les facteurs de déperdition liés à l'utilisation comme langue d'enseignement d'une langue autre que la langue maternelle.

d19. I1 apparaît souhaitable d'accorder un intérêt particulier à l'enseignement de disciplines de base qui sont parfois la cause de déperditions: la langue maternelle et les mathématiques, par exemple.

20. I1 conviendrait de mettre au point les mesures propres à réduire les taux de redoublement au cours des premières années de l'enseignement primaire, années pendant lesquelles ils apparaissent particulièrement élevés.

u'

152 L a déperdition scolaire : un problème mondial

21. I1 importe, en révisant le contenu de l'éducation, de faire place à des ma- tières nouvelles, en rapport avec la vie, le milieu et le travail, afin de ren- forcer les motivations des élèves.

22. I1 apparaît également opportun de renforcer l'intérêt de l'enfant pour l'école par diverses activités scolaires hors programme ou par des activités extrascolaires.

23. I1 conviendrait de créer des services de psychologie scolaire, ou de les amé- liorer et notamment de redéfinir, en l'étendant, le rôle du psychologue scolaire.

24. I1 convient de prévoir, dans les structures éducatives, des types complé- mentaires d'éducation qui permettent aux enfants ayant abandonné leurs études ou souffrant d'un grave retard, d'acquérir un complément de con- naissances générales et une formation professionnelle ou préprofessionnelle, afin de les réintégrer dans le système d'éducation ou de les insérer dans le secteur productif.

25. I1 conviendrait d'étudier la possibilité et l'opportunité d'introduire dans les établissements d'enseignement général, au niveau approprié, l'appren- tissage des métiers ou des cours d'initiation à la vie du travail.

26. Il convient d'examiner, lors de la révision du contenu et des structures de l'éducation, l'opportunité que l'enseignement scolaire donne à l'élève, à un âge approprié, une expérience pratique du monde du travall, à la produc- tion, dans le cadre d'une préparation à la vie.

27. Il faudrait améliorer les conditions matérielles de l'enseignement (notam- ment l'équipement, le matériel pédagogique), des laboratoires et des biblio- thèques.

28. I1 conviendrait d'éliminer le facteur important de déperdition constitué par les classes surchargées en réduisant leur effectif en fonction d'un rapport élèves-maîtres raisonnable, dans les pays où les circonstances le permettent, tout en veillant à ne pas recourir à cette mesure dans ceux OU elle aggrave- rait la situation en matière de scolarisation. Pour ces pays, il conviendrait que les responsables de la recherche élaborent des formules dont l'applica- tion améliorera le rendement de ces classes, réduisant ainsi la déperdition.

29. Il importe de diffuser et de généraliser les résultats de l'expérience acquise par les maîtres et les établissements d'enseignement qui ont réussi à réduire très sensiblement, voire à éliminer, les déperditions.

30. I1 importe, dans la rénovation des systèmes d'éducation et l'élaboration des mesures particulières propres à réduire les taux de déperdition, de recon- naître le rôle que peuvent jouer la recherche pédagogique et les sciences de l'éducation.

Annexe 1 153

ETUDES A POURSUIVRE

I. Etudes statistiques

3 1. I1 conviendrait de normaliser et d’organiser systématiquement le rassemble- ment des données à des fins nationales. A cet effet, pour le calcul des taux d’abandon et de redoublement et (ou) pour estimer l’efficacité des systèmes d’éducation, on pourrait s’inspirer, en les améliorant, des méthodes utilisées dans l’enquête de l’Unesco sur la mesure statistique de la déperdition sco- laire (1969) et tirer parti, éventuellement, des techniques modernes de l’informatique.

32. I1 conviendrait de procéder à de nouvelles études en utilisant la méthode des études de cas au niveau national et en faisant appel à l’aide internationale. Si possible, l’Unesco devrait prendre l’initiative de promouvoir ces études dans lesquelles les bureaux et centres régionaux de l’éducation pourraient jouer un rôle actif. I1 conviendrait de faire porter les études sur les points suivants, en prenant en considération les travaux des diverses organisa- tions régionales :

(a) amélioration de l’exactitude de rassemblement des données;

(b) vérification de la sûreté des indices de la déperdition et des déductions

(c) mise au point de techniques d‘évaluation de la déperdition dans les

(d) mise au point d’indicateurs de déperditions à des fins de simulation en

(e) examen du caractère et de l’incidence de la déperdition dans l’enseigne-

que l’on en tire;

systèmes scolaires sans redoublements ni abandons;

fonction d‘hypotheses alternatives;

ment supérieur.

II. Etudes, recherches et expériences

33. I1 apparaît nécessaire de procéder à une mise au point des méthodologies et à des études en profondeur sur les divers aspects du problème des déper- ditions, notamment sur les causes de retard scolaire, le processus d’acqui- sition des connaissances, les motivations dans des contextes et dans des endroits divers.

34. I1 conviendrait de redéfinir les finalités et les principes de base des systèmes d’éducation afin de veiller à ce qu’ils retiennent dans les classes le maximum d’élèves sans compromettre pour autant les résultats de l’enseignement en qualité.

154 L a déperdition scolaire : un problème mondial

35. I1 conviendrait également de procéder à des études et à des recherches sur les critères et les procédures de promotion et d'évaluation des résultats scolaires, notamment en ce qui concerne la promotion automatique.

COOPERAT ION INTERNATIONALE

36. Il importe de favoriser la coopération internationale dans le domaine de l'échange d'informations, de données statistiques, de résultats de recherches et d'expériences, ainsi que dans le domaine de la libre circulation des tests qui se sont avérés efficaces dans la pratique scolaire.

37. I1 serait souhaitable que les conférences régionales de ministres de l'éduca- tion convoquées par l'Unesco étudient le problème des déperditions sco- laires, leurs causes et les remèdes possibles.

38. I1 serait souhaitable que l'Unesco mette au point des programmes coor- donnés pour l'étude des problèmes de déperdition, sur le plan national et régional, auxquels seraient associés le BIE, l'IIPE, l'Institut de l'Unesco pour l'éducation à Hambourg et les bureaux et centres régionaux.

39. Il serait souhaitable que l'Unesco mette à la disposition des Etats membres, sur leur demande, une assistance en vue de préparer des études sur le pro- blème des déperditions et de former des spécialistes pour l'étude de ce pro- blème. Les bourses mises à la disposition des gouvernements dans le cadre des programmes d'aide extérieure pourraient être utilisées à cette fin. Les Etats membres pourraient également avoir recours à l'aide extérieure pour assurer le rassemblement et la normalisation des données statistiques.

Annexe 2

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