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1 LA CRITIQUE ET LA CRISE DU CAPITALISME GLOBAL Flávio Bezerra de Farias 1 Introduction Il s’agit ici de faire la critique de certaines approches économicistes de la crise du capitalisme global qui se sont plus ou moins laissées influencer par la thèse de la primauté des forces productives sur les rapports de production, dans le cadre de la catégorie marxienne du mode de production capitaliste. Ces approches s’éloignent de celle-ci dans la mesure où elles soulignent la nature motrice tant des innovations financières du capitalisme patrimonial que des technologies de l’information et de la communication du capitalisme cognitif, au préjudice de la catégorie lutte de classes dans la dynamique du capitalisme libéral contemporain. À partir de la configuration historiciste régime d’accumulation, ces économistes prennent des points de vue différents et se rapportent à la cohérence ou à la crise soit du capitalisme global, lorsqu’ils deviennent réformistes (AGLIETTA et BERREBI, 2007; AGLIETTA, 2008), soit de la globalisation du capital, quand ils se font radicaux (JOHSUA, 2006; 2009). Pourtant, en tant que prolongement de la « crise de la nouvelle économie », la « grande crise » actuelle « débouche à l’évidence sur un autre monde dont nous ne pouvons pour l’instant que deviner les contours. » (JOHSUA, 2009, p.126). Au lieu de mettre en place les « plans de sauvetage » pour entrainer « la privatisation des profits et la socialisation des pertes », la solution provisoire de la « grande crise du XXI e siècle » exige, d’abord, « contrôler les finances » (Idem, p. 121 a 126). Cependant, « en s’approfondissant, la crise elle-même montrera qu’on ne peut s’en tenir à l’aspect financier, qu’il faut tout autant remodeler l’économie réelle », sous la forme « d’un nouveau modèle de développement », avec « planification » et « intervention » de l’État, dans contexte de réforme et démocratisation des institutions internationales (p. 127 a 129). Pourtant, il s’agit plus de croire à la répétition de l’histoire des formes capitalistes que d’affirmer la possibilité d’une grande transformation 1 Docteur d’État ès Sciences Économiques (Paris XIII). Professeur à l’Université Fédérale du Maranhão (Brésil). [email protected]

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LA CRITIQUE ET LA CRISE DU CAPITALISME GLOBAL

Flávio Bezerra de Farias1

Introduction

Il s’agit ici de faire la critique de certaines approches économicistes de

la crise du capitalisme global qui se sont plus ou moins laissées influencer

par la thèse de la primauté des forces productives sur les rapports de

production, dans le cadre de la catégorie marxienne du mode de production

capitaliste. Ces approches s’éloignent de celle-ci dans la mesure où elles

soulignent la nature motrice tant des innovations financières du capitalisme

patrimonial que des technologies de l’information et de la communication du

capitalisme cognitif, au préjudice de la catégorie lutte de classes dans la

dynamique du capitalisme libéral contemporain. À partir de la configuration

historiciste régime d’accumulation, ces économistes prennent des points de

vue différents et se rapportent à la cohérence ou à la crise soit du

capitalisme global, lorsqu’ils deviennent réformistes (AGLIETTA et BERREBI,

2007; AGLIETTA, 2008), soit de la globalisation du capital, quand ils se font

radicaux (JOHSUA, 2006; 2009).

Pourtant, en tant que prolongement de la « crise de la nouvelle

économie », la « grande crise » actuelle « débouche à l’évidence sur un

autre monde dont nous ne pouvons pour l’instant que deviner les

contours. » (JOHSUA, 2009, p.126). Au lieu de mettre en place les « plans

de sauvetage » pour entrainer « la privatisation des profits et la

socialisation des pertes », la solution provisoire de la « grande crise du XXIe

siècle » exige, d’abord, « contrôler les finances » (Idem, p. 121 a 126).

Cependant, « en s’approfondissant, la crise elle-même montrera qu’on ne

peut s’en tenir à l’aspect financier, qu’il faut tout autant remodeler

l’économie réelle », sous la forme « d’un nouveau modèle de

développement », avec « planification » et « intervention » de l’État, dans

contexte de réforme et démocratisation des institutions internationales (p.

127 a 129). Pourtant, il s’agit plus de croire à la répétition de l’histoire des

formes capitalistes que d’affirmer la possibilité d’une grande transformation

1 Docteur d’État ès Sciences Économiques (Paris XIII). Professeur à l’Université

Fédérale du Maranhão (Brésil). [email protected]

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sociale et historique, pour l’abolition de l’état de choses présent, en accord

avec les anticipations concrètes marxiennes.

Bien au contraire, tout en enfonçant le clou réformiste, le dépassement

positif de la grande crise du capitalisme global implique essentiellement la

modification tant dans les conditions structurelles du régime d’accumulation

que dans la nature de la régulation étatique et contractuelle néolibérale

(AGLIETTA, 2008, p.124). À plus long terme, il s’agit

« [...] de la fin du modèle de croissance fondé sur la montée inexorable de

l’endettement qui a été observé dans les vingt dernières années. Cette

période exceptionnelle a été due à la conjonction d’une gouvernance

d’entreprise tournée exclusivement vers la création de valeur pour

l’actionnaire en Occident qui a élargi démesurément les inégalités de revenus

et à une extension de la mondialisation après l’effondrement de l’URSS et la

montée des pays émergents qui a créé un marché du travail beaucoup plus

vaste avec un excès global de main d’œuvre. Parce que les évolutions des

salaires réels et de la productivité ont été déconnectées, la croissance dans

les pays développés, surtout dans les pays anglo-saxons où le phénomène a

été plus accentué, est venue de la baisse de l’épargne et de la consommation

à crédit. » (Idem, p.124).

À un degré distinct, ces deux formulations éclectiques portent la

marque de l’objectivisme, de la réification technoscientifique, etc. Bref, en

tant qu’idéologies fétichistes concernant l’ensemble de formes sociales et

historiques, elles peuvent servir pour exemplifier que « quand dans la

pensée du monde, l’être cesse de jouer son rôle de contrôle, tout devient

possible et tout ce qui est possible se réalise, du moment que cela arrange

les courants économiquement, socialement, politiquement puissants de

l’époque. » (LUKÁCS, 2009, p. 328). Les deux approches unilatérales de la

« praxis », alors qu’elle « désigne la vie de l’homme dans la totalité de leurs

déterminations réelles », ignorent « que le lien effectif grâce auquel cette

exigence de totalité peut être respectée c’est le fait de la historicité elle-

même » (CHATELET, 1972, p. 215).

Au lieu d’appliquer à l’échelle mondiale l’idée générale marxienne de

primauté de la base sur la superstructure, les deux courants historicistes

contribuent à ériger une économie politique de la globalisation, de manière

étroite, en tant que « discipline scientifique spécialisée », pour tenter de

« faire de l’objectivité des processus économiques une sorte de seconde

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nature » (LUKÁCS, 2009, p. 389), qui détermine objectivement tout le reste

de la formation socioéconomique globale. Ne pas oublier le « devenir évite

le risque d’attribuer arbitrairement a une de ces dimensions un privilège

exorbitant, et garantit, d’une certaine manière, contre le dogmatisme

entrainé nécessairement par cet arbitre. » (CHATELET, 1972, p. 215).

C’est un penchant dogmatique, et comme auparavant « cette tendance

est également devenue prédominante dans la praxis scientifique

universitaire officielle » et, paradoxalement, certains courants

habituellement critiques de l’économie politique sont devenus « toujours

plus incapables de comprendre en termes ontologiquement corrects même

des moments partiels du processus global. » (LUKÁCS, 2009, p. 314).

Ce tout est perçu en tant que simple unité de parties conflictuelles,

mais régulables d’un procès sans sujet, au sein duquel les prolétaires a

priori ne constituent pas une classe décisive. D’ailleurs, la relation entre la

crise et la philosophie de l’histoire a été mise en évidence comme suit :

« Il appartient à la nature de la crise qu’une décision soit imminente, mais

qu’elle ne soit pas encore prise. Le fait que la décision qui sera prise reste

ouverte réside aussi dans sa nature. Pourtant, l’insécurité générale d’une

situation critique est traversée par la certitude selon laquelle, sans que l’on

sache avec certitude quand et comment, la fin de l’état critique est proche. La

solution possible reste incertaine, mais la fin elle-même, la transformation des

circonstances en vigueur – menaçante, peureuse ou désirée –, c’est sûre. La

crise invoque la demande au futur historique. » (KOSELLECK, 1999, p. 111).

Cependant, une approche « matérialiste et dialectique » saurait

premièrement « qu’il y a un penchant dangereux », chez l’historicisme qui

ne reconnait que des règles et des normes en particulier, « à faire

abstraction de l’action du sujet et à prendre les lois du monde social actuel

comme définitives et éternelles » (GOLDMANN, 1980, p. 23).

Deuxièmement, que « l’histoire est caractérisée par le fait que les lois

constitutives des sociétés humaines changent elles-mêmes avec le devenir

de ces sociétés. » (Idem, p.65).

Au contraire, pour le penchant économiciste et dogmatique, même s’il

s’agit d’une grande crise, elle ne serait capable d’offrir aux prolétaires la

« possibilité objective » d’une grande transformation sociale, en accord avec

ses intérêts spécifiques et suprêmes, pour « la réalisation historique » de

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l’anticipation communiste, « qui ne peut exister qu’entre hommes

entièrement libres, communauté qui suppose la suppression de toutes les

entraves sociales, juridiques et économiques, à la liberté individuelle, la

suppression des classes sociales et de l’exploitation. » (p.14).

Pareillement aux révisionnistes du début du XXème siècle, « au lieu de

s’appuyer sur l’évolution telle qu’elle se présente actuellement, s’y

abstraient volontairement, pour rêver. » (LÉNINE, préface de 1915,

BUKHARIN, 1969, p. 15). Au début du XXème siècle, une fois niée au premier

abord une grande transformation sociale ayant pour référence

l’internationalisme socialiste, Aglietta et Berrebi (2007, p. 401) incarnent un

« esprit cosmopolitique », devant la crise économique globale. D’ailleurs,

avec ce même esprit, « les Nations Unies et les cours pénales

internationales se sont montrées incapables de garantir au monde une paix

stable et universale, on n’oserait pas le souhaiter pleinement » - car il s’agit

plutôt d’une utopie abstraite – « mais, seulement de conditionner un petit

peu la tendance des grandes puissances à utiliser ad libitum l’exorbitante

force militaire dont elles disposent. » (ZOLO, 2007, p. 19).

Au lieu d’adopter um idéal kantian démodé, dont le principal intérêt

téorique et politique réside dans le soutient du statu quo ante, il vaut mieu

aiguiser la pointe critique contre la régulation de la mondialisation. Étant

donné que la mondialisation impérialiste de la « Triade » entraîne la

déréglementation, la privatisation et la libéralisation, il s’agit d’un oximore

banal bien caractéristique des réformistes dans leur acceptation fataliste du

capitalisme global, au même temps qu’ils rejetent l’anticipation concrète

d’un monde meilleur qui passe par le socialisme. Ainsi, au lieu de devenir

une forme cosmopolite idéaliste, la mondialisation impérialiste « se produit

dans de telles conditions et à un rythme tel, de même que par

l’intermédiaire de tels antagonismes, conflits et convulsions – non

seulement économiques, mais aussi politiques, nationaux, etc. –», que

« l’impérialisme s’éfondra fatalement » (LÉNINE, préface de 1915,

BUKHARIN, 1969, p. 15), de sorte que le capitalisme soit enfin dépassé

dans un mouvement réel qui aboli effectivement l’état de choses présent.

Par contre, l’oximore de la régulation de la mondialisation a été créé

pour soutenir idéologiquement la pertinence de la raison techniciste, devant

l’échec large et catégorique du capitalisme libéral, y inclut sa base

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historiquement déterminé. Sous le fétichisme de la primauté des forces

productives, on ne voit d’avenir que dans un régime qui n’ambitionne pas

de « refaire l’histoire par la base, mais seulement de la changer », il s’agit

donc du « régime qui devrait être cherché, au lieu d’entrer encore une fois

dans le cycle de la révolution. » (MERLEAU-PONTY, 2006, p. 273, épilogue).

Avec la crise globale, il y a la mise en cause du « privilège spécifique du

capitalisme libéral » qui consiste à « s’exonérer de ses plus spectaculaires

échecs et de se rétablir sans cesse dans la position du modèle

indépassable. » (LORDON, 2008a, p. 119-120).

À partir de sa barricade d’idées, le régulacionisme suggère une

réforme dans cette configuration de la société bourgeoise, avec un retour

cosmopolite de l’interventionnisme, pour vaincre la bataille de la nouvelle

« grande crise » - en supposant qu’elle ne conduit pas nécessairement au

contexte de dépassement du capitalisme, mais « il désigne analytiquement

l’arrivée aux limites d’un régime d’accumulation et l’ouverture d’une phase

indécise qui verra la recomposition d’une nouvelle cohérence capitaliste. »

(LORDON, 2008b, p. 203).

Par contre, dans sa barricade d’idées le marxisme doit montrer la

possibilité sociale et la necessité historique du dépassement radical de la

société bourgeoise, en particulier dans le capitalisme libéral, dans l’époque

située au-delà du fordisme et dans la globalisation, qui porte la marque de

la réification planétaire. Au sens propre, devant la chosification

régulationniste, bureaucratique et impérialiste, on souligne l’importance de

l’actualisation da la problématique du sujet collectif révolutionnaire, dans le

mouvement réel qui aboli l’état des choses présent.

La crise globale et le retour de la régulation

La crise mondiale du capitalisme met en évidence le phénomène de la

persistance objective de la division capitaliste du travail liée de manière

organique à la subjectivité de la lutte de classes, tout en donnant de la

substance aux structures étatiques gouvernementales, qui sont en train

d’être transformées dans le crucial début du XXIe siècle, dans tous les

niveaux spatiaux, des locaux aux globaux. En même temps, l’échec de

l’idéologie néolibérale stimule souvent l’imagination holistique des partisans

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des pactes de classes keynésiens, transposés en ce moment à un contexte

plus large, sous l’empire de la gouvernance mondiale.2

Pour certains régulationnistes, deux leçons peuvent être tirés de la

crise actuelle, a savoir : d’une part, elle montre la faillite d’une idéologie qui

a conduit les autorités à abandonner sa fonction de régulation et

surveillance, d’autre part, elle met en avant les dangers d’une globalisation

qui ne se suit pas des coopérations internationales exigées par celle-ci

(BRENDER & PISANI, 2009, p. 5). Ainsi, en situation de sauve-qui-peut et

d’annonce de grande crise, il faut combattre de toute urgence l’utopie du

marché libre et éternel, surtout quand cette configuration se trouve dans

l’imminence d’entraîner un « état de guerre sociale » (VINCENT, 2004,

p.56), occulté ordinairement tant par le voile pseudo-concret, dans le

rapport salarial postmoderne, que par le voile objectiviste, dans l’idéologie

fétichiste des innovations. Actuellement, l’exploitation de l’homme par

l’homme est dissimulée, comme si l’argent faisait de l’argent,

superficiellement, en circulation illusionniste, qui dissémine

« des objets sociaux porteurs de jouissances, notamment les objets sociaux

qui incorporent des technologies nouvelles. La force de suggestion de cette

surface brillante est telle qu’elle semble se subordonner la production de biens

et de services. Le renouvellement ininterrompu des marchandises se donne

pour le moteur de la dynamique sociale, la production ne faisant que

s’adapter au développement insatiable des besoins. De cette façon, la

production devient partie prenante de la superficie. Le profit lui-même n’est

plus qu’un indicateur technique d’une adaptation réussie aux mécanismes de

marché et à la combinaison optimale des facteurs de production. Les crises

deviennent des fluctuations économiques causées par une insuffisante

mobilité des capitaux, des matières premières et, bien sûr, de la main

d’œuvre. La part des profits qui échoit aux capitalistes est, dans cette logique

2 Cf. Mathieu et Sterdyniak, in [http://gesd.free.fr/ofce1103.pdf] 2/8/09. Dans

l’économie politique de la globalisation, il y a les keynésiens, comme Stiglitz qui

sont plus proches d’un étatisme bienfaisant exterieur à l’économie et élargi à

l’échelle mondiale et comme l’école de la régulation qui pensen que « le capitalisme

n’est pas viable sans un appareil d’institutions venant enquadrer et réguler les

tendances autrement déstabilisatrices du fonctionnement spontané des marchés. »

(LORDON, 2009, p. 245-246). Au sein de cette école, il y a les différents niveaux

concernant l’affirmation de la thèse selon laquelle le marché et les institutions sont

« congénitaux » (idem, p. 246). On est encore très loin de la thèse matérialiste et

dialectique de l’organicité entre l’État et le capital (FARIAS, 2000), y incluse la

dimension globale.

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de la superficie, la juste rémunération de leur créativité et de leur capacité à

anticiper l’évolution des marchés. » (Idem).

Contre « le fanatisme du marché » devenu démodé – alors qu’il était

pris dans le capitalisme néolibéral pour libre et éternel –, s’élève sur les

épaules de ses apologistes plus au moins explicites tant le mythe du State

building (FUKUYAMA, 2005) que l’utopie de construire « un autre monde »

avec le concours fétichiste de formes étatiques bénéfiques et techniquement

neutres vis-à-vis des intérêts antagoniques et sous un régime politique

davantage démocratique de « gouvernance globale » (STIGLITZ, 2006).

Cependant, cette démocratisation est discutable, car la gouvernance

pratiquée partout au monde signifie un ensemble de normes anglo-

saxonnes inhérentes à la gouvernance corporative, devant les quelles tous

les pouvoirs politiques et économiques devraient se plier, y inclus les États,

de sorte que cela devient une redoutable menace à la démocratie

(VÉDRINE, 2008, p. 62). On ne peut donc pas changer le monde sans

toucher à l’État dans la forme globalisée, à l’époque de « l’invention de

nouveaux territoires » (ARTOUS, 2010, p. 87 et suivantes).

Au début du moment des adversités montantes de la globalisation,

toutefois, le réformisme apparaît en tant qu’horizon indépassable de notre

époque (GIRAUD, 2008, p. 158). Au sens propre, une réforme pour

démocratiser la gouvernance est prise pour cruciale (AGLIETTA, 2008, p.

115), y inclus l’arrivée au point de concrétiser l’idéalisme cosmopolitique de

l’État global (AGLIETTA & BERREBI, 2007, p. 400). Devant les difficultés de

la mondialisation néolibérale – dans la logique de laquelle il n’y aurait pas le

besoin d’une gouvernance politique (Idem, p. 399) –, sans une théorie

réformiste, il n’y a pas une pratique réformiste. Pour cela, s’est érigée une

« approche transversale » (p.7), tout en donnant une nouvelle impulsion

keynésienne à l’idéologie du « capitalisme patrimonial »3, par l’intermédiaire

de la téléologie d’une régulation du capitalisme mondial. Ce néo-

interventionnisme qui implique la globalisation et la démocratisation de la

gouvernance a deux composantes idéologiques, a savoir : la première est

3 Cette catégorie a des implications positivistes, en ce qui concerne la possibilité de

faire du sistème bourgeois un type idéal de société désirable, c’est-à-dire, un

monde meilleur, avec une nouvelle régulation de la société salariale (AGLIETTA,

2008, p. 108). Pour cette raison, les régulationniste les plus critiques préfèrent la

désignation « régime d’accumulation financiarisé », ou « régime d’accumulation

sous la dominance financière » (LORDON, 2008a ; 2008b).

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explicitement libérale, tout en universalisant la devise républicaine « de la

liberté, de l’égalité et de la fraternité » (p.420), tandis que la seconde est

implicitement conservatrice, tout en universalisant la devise positiviste « de

l’ordre et du progrès », comme nous avons souligné ailleurs (FARIAS,

1988 ; 2000, p.90). Le résultat c’est l’artifice stratégique diffusé dans le

roman Il Gattopardo de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : « Si nous voulons

que tout reste inchangé, il faut que tout change ! »4 Dans la logique

régulationniste, un retour pendulaire des pratiques étatiques et

contractuelles normalisatrices, pour une nouvelle expérience historique de

production vertueuse des objets, cela rendrait encore une fois possible

l’unité sans lutte entre les pôles au sein de la nouvelle société salariale.

Avec la crise globale, il s’agit d’installer un nouveau régime de croissance,

car celui qui existait avant la crise a mis en évidence son caractère

insoutenable ainsi que ses dangers et, une fois écartée la répétition du

fordisme national, devient possible l’émergence soit d’un capitalisme

organisé sous régulation supranationale, soit d’un régime mixte sans

étatisation nationale, un capitalisme financiarisé global, libéral, mais

complété par des instances régulatrices elles-mêmes mondiales (DOCKÈS &

LORENZI, 2009, p.61-62).

Même pour ceux qui aiment les antinomies, il n’est pas facile

d’accepter ce mélange historique assez bizarre. D’autre part, la

démocratisation de la gouvernance signifie une contradiction dans les

termes, car elle est une expression phénoménale du fait que, dans la

conjoncture actuelle, l’intensification des rapports organiques entre l’État et

le capital implique une configuration socioéconomique autoritaire (FARIAS,

2003, p. 161). Cette tendance est perçue « lorsque l’on considère ces

relations entre catégories dans une ‘vue transversale’ du processus

d’ensemble, et non en tant que succession et résultantes dans son

déroulement... » (LUKÁCS, 2009, p.354). Au contraire de l’approche

transversale régulationniste, dans la totalité concrète formée par l’État et le

capital, «on observe, dans leur action commune, la même structure

dynamique, la même compénétration dans la dialectique de leur autonomie

de principe et de leurs multiples interdépendances. » (Idem). D’ailleurs,

4 [http://it.wikipedia.org/wiki/Il_Gattopardo_(romanzo)] 20/7/09.

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pour réaliser l’objectif de « stabilité globale », – dans les termes qui

intéressent aux grandes puissances, une fois maintenus les mécanismes de

développement inégal et combinés, « qui percent un abîme de plus en plus

profond entre les pays riches et les pays pauvres » —, « la guerre

d’agression globale, appelée soit comme guerre humanitaire, soit comme

guerre contre le terrorisme, c’est une prothèse nécessaire. » (ZOLO, 2007,

p. 117).

Dans les termes néo-positivistes de Aglietta et Brender (1984), la

société salariale fordiste est devenue capitalisme patrimonial postfordiste,

dont la dynamique réside désormais dans les métamorphoses financières

néolibérales. Le processus de libéralisation, dérégulation, etc., renforcé par

la normalisation postmoderne, aurait favorisé les innovations financières, –

tout en changeant en profondeur le mode de circulation des capitaux et des

risques –, lesquelles favorisent la croissance dans tous les pays, si

l’intervention publique se charge de la limitation des dérives des finances,

ainsi que de la canalisation de leurs développements (BRENDER & PISANI,

2009, p. 121). Ces auteurs affirment que les crises successives récentes

soulignent les retards de ces interventions de surveillance et

d’encadrement, ainsi que l’insuffisance des coopérations mises en place, de

sorte que mettre la globalisation financière au service du développement

économique exige moins une réforme de la finance ou du capitalisme

qu’une redéfinition du rôle de l’État dans le fonctionnement de la finance et

du capitalisme (Idem).

On constate qu’avec la crise du néolibéralisme à l’échelle globale,

l’étatisme remonte à la surface. Ainsi, un auteur annonce même l’arrivée

d’un « retour des nations », dans le cadre planétaire d’un « changement de

siècle politique », de manière qu’au lieu du siècle américain, c’est le

nouveau siècle XXI qui s’est installé (SAPIR, 2008, p. 37). Pour un autre

auteur, la nouveauté concerne la reprise de la régulation – qui suppose le

retour providentiel des interventions étatiques, puisque, dans la crise

actuelle, l’État est redevenu « le pivot de l’activité économique et

financière. » (AGLIETTA, 2008, 123). C’est le retour, aussi, de la taxonomie

dichotomique keynésienne de l’emploi, où la force de travail est fractionnée

en fonction de son accès à la condition d’emploibilité, toujours supposée

bénéfique, mais effectivement légitimatrice du profit. Dans les marchés des

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pays centraux, l’obtention du profit et la garantie de l’emploi auraient des

difficultés originaires de la « concurrence des pays émergents » (AGLIETTA

e BERREBI, 2007, p. 63). En accord avec l’intégrationniste keynésien, le

profit de l’entrepreneur n’est pas le résultat de l’exploitation capitaliste,

mais il vient d’une juste récompense du risque de déclencher l’activité

productive préalable à l’accumulation de capital. Cependant, la primauté des

finances est interprétée en tant que soumission de « l’accumulation de

capital aux exigences de rendement financier, qui induisent comportements

déséquilibrants pour les entreprises et pour l’économie globale. » (Idem, p.

63). De manière analogue au martyre de la crise, la pénitence du risque est

inhérente au capitalisme ; mais, dans sa forme patrimoniale, les profits

financiers sont devenus impurs, lorsqu’ils échappent à la via crucis qui est

propre à l’activité productive. Sans pitié, le risque est relancé sur les

salariés, par l’intermédiaire de la déconnexion entre les salaires et la

productivité, du chômage et de la précarité (p.63). Contre la croyance selon

laquelle « la vertu sauvera le monde », deux questions ironiques se posent,

à savoir : « après la ruine financière, le salut à travers l’éthique ? »

(LORDON, 2008a); après la ruine financière, le salut à travers la scolastique

positiviste ? S’il y a critique du capitalisme, chez certains, « la négation du

capitalisme reste le plus souvent abstraite, morale, mêlée souvent de rage,

d’impuissance. » (VINCENT, 2004, p. 57). Chez d’autres, la critique du

capitalisme se réfugie dans la croyance selon laquelle « la barbarie du

Capital finira par susciter des réactions de plus en plus fortes, mais ils

doivent bien constater que de nombreuses réactions se tournent vers des

fondamentalismes ou des intégrismes religieux, voire des

communautarismes exacerbés » (Idem), sans oublier la logique de changer

le monde sans prendre le pouvoir (HOLLOWAY, 2002), de même que

l’illusion de l’Empire sans impérialisme (HARDT & NEGRI, 2000).

Dans le régime d’accumulation fordiste, la cohésion sans luttes aurait

favorisé les progrès nationaux (matériaux, techniques et sociaux), tandis

que dans le régime d’accumulation patrimonial les luttes sans cohésion

deviennent « désordres dans le capitalisme mondial » (AGLIETTA e

BERREBI, 2007). Sans doute, le positivisme régulationniste refuse le

désespoir tel qu’il s’exprime chez le Hamlet de Shakespeare : « Notre

époque est détraquée. Maudite fatalité, que je sois jamais né pour la

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remettre en ordre ! »5 Pourtant, il s’agit de reformer le capitalisme mondial

pour le faire fonctionner de plus en plus mieux, dans l’intérêt de toute

l’humanité. Devant les inégalités de répartition de la richesse, le désastre

écologique, les désordres financiers et l’inefficacité des politiques

économiques nationales, alimentées par l’échec des institutions

internationales, qui n’ont pas réussi mettre en place leur projet de nouvelle

architecture après la crise asiatique, le « défi » actuel résiderait précisément

dans le processus que l’idéalisme hégélien désignait par « négation de la

négation » : d’abord l’État keynésien a été nié par la globalisation

financière ; ensuite, la disparition de la primauté du politique sur les

finances a entraîné les désordres du capitalisme mondial ; enfin, nier

l’inversion de la hiérarchie des valeurs entre le marché et le politique mise

en place par le néolibéralisme, cela revient à affirmer, de même que Ulrich

Beck, la conception cosmopolitique de l’État dans la mondialisation

(AGLIETTA e BERREBI, 2007, p. 400). Au niveau théorique, ces auteurs

s’approchent d’ailleurs des penseurs nostalgiques de la leçon kantienne qui

« soutiennent que les droits humains peuvent avoir des fondements

cognitifs et normatifs rigoureux, de sorte qu’il est évident qu’ils peuvent

être proposés à toute l’humanité sens que cela entraîne aucune forme

d’impérialisme culturel. » (ZOLO, 2007, p. 89). Par contre, dans la

perspective critique de l’idéalisme hégélien le processus de dépassement

tend vers une grande mutation sociale, qui n’est pas une simple utopie,

mais une synthèse de multiples déterminations « qui dans les différents

domaines s’opposent à la logique de la valorisation capitaliste », qui

s’accompagne de la « logique de la séparation et de l’affrontement dans la

soumission à des machineries sociales, qui sont comme des puissances

étrangères au dessus de la tête des hommes. » (VINCENT, 2004, p. 64).

Une grande transformation sociale orientée par l’anticipation marxiste d’un

monde meilleur, en accord avec la négation de la négation, exige le

dépassement effectif de la nature marchande simple et développée du

capitalisme et, donc, de l’exploitation de l’homme par l’homme – dont le

pseudo-concret réside dans la société salariale. Au lieu de rester au niveau

des réformes,

5 [http://www.shakespeare-literature.com/Hamlet/5.html/Time] [6/7/09].

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« Il s’agit de réorienter la production sociale de façon à ce qu’elle cesse d’être

production du capital, de valeurs et de plus-values pour devenir production de

rapports sociaux. La production pour la satisfaction des besoins ne s’opère

plus dans le cadre d’une économie autonomisée, elle se présente comme une

production de biens et de services, de valeurs d’usage sans valeurs

marchandes. Elle est le support d’échanges libérés des contraintes de la

valorisation, elle ne suppose pas planification centrale lourde et pesante, mais

de multiples procès de concertation, des formes souples et mobiles

d’appropriation sociale. » (Idem).

Dans le néo-idéalisme régulationniste, au contraire, le capitalisme

mondial signifie le progrès inégal et combiné de multiples types de

capitalisme, dont la subsistance et la perpétuation exigent de l’ordre. Ainsi,

la coexistence des capitalismes divers en une même « finance globale » doit

être organisée à travers une « gouvernance politique transnationale », de

même que les États ne peuvent aboutir collectivement, en ce qui concerne

la « cohésion sociale » dans le cadre du système d’États, que s’ils cherchent

arriver à des « buts transnationaux de coopération » les uns avec les autres

– pour qu’ils puissent dépasser leur diminution et « rétablir une régulation

de la finance globale. » (AGLIETTA e BERREBI, 2007, p. 400).

En tant que deus ex machina, les finances globales imposent des

exigences fonctionnelles qui conduisent à l’avènement nécessaire des

formes étatiques cosmopolitiques, dont les rapports de causalité ont été

exprimés dans le tableau suivant (idem, p. 398). Dans la taxonomie

systématisée par les régulationnistes, les configurations polaires ont été

synchronisées, identifiées, distinguées et caractérisées seulement à partir

de critères soit financiers concernant le contrôle ou la libéralisation des

capitaux, soit politiques relatifs aux coopérations entre les États nationaux.

Dans la vision diachronique des régulationnistes, l’État keynésien a été

détruit par la globalisation financière propre au néolibéralisme, qui a établi

la primauté du marché sur le politique, de sorte qu’au lieu de mettre les

finances au service des buts collectifs, il prétend soumettre les choix

collectifs démocratiquement élaborés à l’avis des marchés financiers

globaux, sous une conception individualiste, d’une part ; et, d’autre part, il

soutient les politiques de privatisation de la protection sociale en faveur

d’une universalisme qui nie la spécificité dos modèles sociaux (p. 399).

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13

LES TYPES D’ETATS ET LES STRUCTURES DES FINANCES

Finances segmentées Finances globalisées

Souveraineté

nationale

séparée

État protectionniste

Croissance autocentrée

Barrières élevées aux

capitaux étrangers

État néolibéral

Finances libéralisées

Concurrence des systèmes

sociaux sous la domination des

finances

Instabilité financière endémique

Souveraineté

nationale avec

coopérations

transnationales

État keynésien

Contrôle des capitaux

limité

Garantie mutuelle contre

les crises de la balance

des paiements

État cosmopolitique

Formation d’espaces monétaires

régionaux

Coopération dans le

fournissement des biens publics

globaux

Il est vrai que les régulationnistes font la critique de l’idéologie

néolibérale en ce sens que celle-ci favorise une telle extension mondial des

marchés qu’elle dépasse toutes les particularités des groupes humains, pour

ne reconnaitre que l’individu soit disant rationnel et universel (p. 399).

Cependant, en tant que partisans de la théorie keynésienne de l’emploi,

utilisent la logique formelle pour esquisser un modèle dichotomique, à la

fois simple et fétichiste, ce qui les rend empiriquement incapables d’aller

au-delà de l’apparence immédiate du marché du travail, d’une part ; et, de

l’autre part, qui les rend adeptes d’une scolastique positiviste, passible

d’occulter la nature organique et historique du phénomène de l’emploi du

prolétariat, ainsi que sa dynamique interne.

La crise globale et la recomposition de la surpopulation relative

Avec la crise globale, le prolétariat des pays centraux a été touché par

la réduction des salariés actifs, par la chute des salaires, par la baisse de la

consommation, etc. Le BIT a fait une prévision d’augmentation du nombre

de chômeurs dans le monde de l’ordre de 50 millions de travailleurs.6

Dans la conclusion de son livre d’inspiration cosmopolitique, l’analyse

régulationniste des désordres du capitalisme mondial tombe dans le

provincialisme, concernant sa proposition de plein emploi, qui a été limité

dans la planète, en tant qu’un défi européen. En effet, avec la crise, le

chômage a augmenté tant dans l’espace européen que dans l’Union

6[http://gesd.free.fr/apexcri9.pdf] 2/8/09

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Européenne.7 La France, notamment, devrait faire face à la compétitivité

commerciale mondiale de pays émergents comme la Chine et l’Inde, dont la

réserve de main d’œuvre et de productivité son immenses, d’une part ; et,

d’autre part, la France devrait aussi assurer un niveau de croissance de la

demande suffisante pour éviter de se laisser emporter dans le cycle réel

déflationniste actuel, en raison des capacités productives oisives (AGLIETTA

e BERREBI, 2007, p. 404).

Le défi latino-américain est d’une autre nature, car la crise va

entraîner des « séquelles », comme l’a avoué la Secrétaire-exécutive de la

CEPAL, Alicia Bárcena, dans sa présentation de l’étude économique

régionale 2008-2009.8 Dans cette période, les retombées sur le prolétariat

urbain régional se sont manifestées par la perte de l’emploi de plus d’un

million de travailleurs, ainsi qu’en général l’augmentation du taux de

chômage, des niveaux de pauvreté et de l’emploi informel.9

Cependant, au lieu d’accepter les schémas dualistes, tout en opposant

le travail formel versus le travail informel, l’employé versus le sans-emploi,

l’utilisation de la conception marxiste de l’unité et de la diversité du

prolétariat, avec ses frontières dynamiques, tout en obéissant aux lois

générales de l’accumulation capitaliste (MARX, 1976, p. 437 et suivantes),

peut servir à saisir et à dépasser la situation mondiale contemporaine de

travail flexible, mobile et précaire. Dans l’approche de ces « activités

humaines », la logique positiviste de l’emploi est insoutenable, en raison de

« les transformer en simples objets de manipulation (par le biais de

l’omnipotence des ‘informations’) », d’une part ; et, d’autre part,

« d’éliminer complètement l’être de la sphère de la connaissance »

(LUKÁCS, 2009, p. 312), pour l’intégrer et affaiblir la résistance prolétaire,

en tant que « résistance à l’exploitation économique, mais aussi, et ce n’est

pas secondaire, résistance des travailleurs à leur réduction à l’état de force

de travail corvéable et jetable. » (VINCENT, 2004, p. 59). La critique de

l’économie politique a montré le caractère inévitable de cette résistance, qui

« peut être réprimée et s’assoupir, mais elle est inextinguible et porte

7[http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/IYY_PUBLIC/3-31072009-BP/EM/3-

331072009-BP-EM.PDF] 3/8/09 8[http://mwglobal.org/ipsbrasil.net/nota.php?idnews=4934] 18/07/2009 9[http://www.bbc.co.uk/portuguese/noticias/2009/07/090715_cepalprevisaoalfn.shtml]

18/7/09.

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toujours des aspirations à vivre autrement, autrement qu’en appendice des

machineries du Capital. » (Idem). Inversement, les apologistes néolibéraux

ont proclamé la fin de l’histoire, ou mieux, « la liberté pour le Capital

d’exploiter sans vergogne à l’échelle planétaire en se comportant comme un

prédateur qui n’obéit à aucune loi et n’a plus à craindre de contestation

majeures. » (p.61). Devant cela, la logique positiviste de l’emploi tombe

encore une fois dans le fétichisme du salut providentiel de l’humanité. Ainsi,

sous une abstraction humaniste, l’approche cosmopolitique soutient que les

individus n’ont la capacité d’exister que par l’intermédiaire de leur inclusion

dans un contexte social façonné par les règles et les institutions – dont la

légitimation passe par « le principe de souveraineté qui fonde l’inclusion des

individus dans un groupe humain. » (AGLIETTA e BERREBI, 2007, p. 400).

Au contraire, sous la forme d’armée active ou de réserve, la force de travail

susceptible d’être exploitée par les capitalistes est une importante

abstraction rationnelle marxienne, dont la méthode recouvre des aspects

gnoséologiques et ontologiques, simultanément.

Pour un analyste de l’économie politique de la mondialisation, la

première leçon que l’on doit tirer de la grande crise actuelle réside dans la

constatation de la permanence du capitalisme en tant que système

fondamentalement « anarchique » (JOHSUA, 2009, p.121). D’ailleurs,

lorsqu’il fonctionne c’est en profit de quelques uns, au détriment de la

majorité qui produit les richesses, tandis que lorsqu’il ne marche pas, il

entraîne toute la population dans sa chute (idem). Cependant, cette critique

oublie une remarque de Marx (1977, p. 165), sur le fait que la population

est une abstraction, lorsque l’on néglige par exemple les classes qui la

composent.

À partir de l’abstraction rationnelle qui applique la thèse de Spinoza,

omnis determinatio est negatio, à une analyse critique et révolutionnaire de

la catégorie surpopulation relative (MARX, 1976, p. 437 et suivantes), la

logique matérialiste et dialectique marxiste peut être développée et

actualisée, ainsi qu’enrichie par sa capacité d’utiliser les instruments

mathématiques, comme la théorie des ensembles, très intéressante pour

l’examen critique des informations statistiques officielles sur la population

touchée par la crise globale. Selon Spinoza,

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« Pour ce qui est de cette idée que la figure est une négation mais non

quelque chose de positif, il est manifeste que la pure matière considérée

comme indéfinie ne peut avoir de figure et qu’il n’y a de figure que dans des

corps finis et limités. Qui donc dit qu’il perçoit une figure, montre par là

seulement qu’il conçoit une chose limitée, et en quelque manière elle l’est.

Cette détermination donc n’appartient pas à la chose en tant qu’elle est, mais

au contraire elle indique à partir d’où la chose n’est pas. La figure donc n’est

autre chose qu’une limitation et, toute limitation étant une négation, la figure

ne peut être, comme je l’ai dit, autre chose qu’une négation. » (SPINOZA,

2007, p. 283-284).

La dialectique marxienne part de cette idée spinozienne pour montrer

que les prolétaires ne s’unifient pas a priori, en tant que force de travail de

la population active, mais ils aussi se diversifient en tant que membres

d’une immense surpopulation relative, en accord avec le modèle suivant :

L’UNITÉ ET LA DIVERSITÉ DU PROLÉTARIAT

Le résultat obtenu illustre que la dialectique marxienne a refusé une

certaine « opération logique de la détermination » spinozienne qui consiste

en « dénier à la totalité toute figure », mais elle a accepté la thèse selon

laquelle « la négation comme moment de détermination de la figure de

toute chose finie exprime le rapport de tout être singulier à l’être-autre des

autres étants, sous une forme non problématique pour la pensée. »

(LUKÁCS, 2009, p. 168-169). Il s’agit de l’unité et de la diversité du

prolétariat, qui exprime un concret pensé, car il a été obtenu par l’analyse

concrète de l’existence différenciée du prolétariat dans la société capitaliste,

Légende Salariés Surpopulation relative

F1 + F2 + FA Flottante = F1 + F2 Latente = L1 + L2 Stagnante = E1 + E2

Sources MARX (1976) e FARIAS (1988).

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où chaque paire 1 et 2 peut représenter les inégalités concernant l’âge,

l’espace, le sexe, l’éducation, parmi d’autres. En termes de logique formelle,

diverses inégalités combinées apparaissent dans un graphique publié par

l’OCDE,10 tandis les inégalités concernat les pays et les âges s’expriment

dans un tableau originaire de cette même institution internationale.11

Dans ce contexte d’inégalités diverses, survient toute forme d’attentat

à la dignité humaine, où les prolétaires « peuvent même se tourner contre

eux-mêmes et contre ceux qu’ils sentent plus faibles et possibles objets

d’agression dans une sorte de spirale régressive. » (VINCENT, 2004, p.57).

Pour les opprimés, les rapports sociaux cognitifs apparaissent souvent en

tant que rapports fétichistes et pseudo-concrets qui servent à dissimuler

l’exploitation de l’homme par l’homme, de sorte que « la barbarie des

rapports sociaux capitalistes peut ainsi être intériorisée et naturalisée et se

manifester comme barbarie des rapports interpersonnels, mais surtout

comme barbarie des rapports entre hommes et femmes...[etc.] » (Idem).

Le prolétariat dans son tout arrive à avoir une certaine perception de

l’exploitation, de la domination et de l’humiliation qu’ils subissent au travail,

mais tout en restant attachés au marché du travail et au sauve-qui-peut du

quotidien, ils ne peuvent pas déchiffrer le rapport entre sa situation

concrète et la dynamique de l’accumulation du capital, de même que saisir

le rapports spécifique entre production et circulation dans le cadre de cette

dynamique, de manière que « beaucoup de travailleurs sont ainsi conduits à

juger de leur situation à travers le prisme de la surface, de leurs difficultés

à s’y affirmer et des frustrations qu’ils ressentent à chaque moment. »

(VINCENT, 2004, p. 57). Le capitalisme libéral a introduit des innovations

dans les domaines des mythes et des artifices qui cherchent soit à

segmenter le prolétariat et à l’empêcher d’appréhender sa propre vie

d’ensemble et de sous-ensembles, soit à cacher ses réalités et pratiques

spécifiques. Surmonter ces obstacles c’est

«...dépasser la vieille problématique de la prise de conscience, de la

progression de la conscience empirique de classe vers la conscience

révolutionnaire à travers les luttes. Par elles-mêmes les luttes, seraient-elles

très dures, n’indiquent pas les voies et les moyens à utiliser pour démonter

10 [http://ses.ens-lsh.fr/1240820270603/0/fiche__article/] 3/8/09 11 [http://gesd.free.fr/flas9320.pdf] 4/8/09

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les constructions sociales autonomisées du Capital qui passent par dessus la

tête des hommes. C’est seulement lorsque les luttes ébranlent certains

éléments habituels de la reproduction des symboliques du Capital, les

représentations et les visions communément admises que les masses peuvent

entrevoir d’autres façons de vivre ensemble. » (Idem, p. 58).

Dans ces « temps liquides », caractérisés en tant qu’ « époque

d’incertitude », surtout pour un prolétariat qui subit à toute forme de

barbarie et d’exclusion, anticipées et dénoncées par les marxistes du début

du XXe siècle, on se plaint que

« ...maintenant la planète est pleine, et cela implique, entre autres choses,

que des processus typiquement modernes, comme la construction de l’ordre

et du progrès économique, se réalisent partout et, donc, dans toutes les

partie du monde se produisent et s’expulsent des ‘scories humaines’ en

quantités de plus en plus grandes ; en ce moment, toutefois, il y a un manque

de poubelles ‘naturelles’ appropriées au stockage et au recyclage potentiel. »

(BAUMAN, 2008, p. 79-80).

Avoir beau la critique incisive au capitalisme et la dénonciation agitée

de ses barbaries augmentent avec la crise du capitalisme global, ce refus

est loin de fournir automatiquement les moyens et les voies adéquates pour

la mise en place de son dépassement. Mais, la crise globale implique aussi

la nouvelle configuration de l’impérialisme et du sujet collectif

révolutionnaire.

La crise globale et la nouvelle configuration de l’impérialisme

Les analystes économiques positivistes et fonctionnalistes de la crise

actuelle, à la fin de leurs textes remplis de défis réformistes, attribuent un

nouveau rôle aux formes étatiques, sans préalablement examiner la nature

des formes étatiques nationales, régionales et globales au sein d’une

totalité concrète, complexe et contradictoire. Effectivement, on ne saisi pas

le processus de mondialisation en faisant abstraction de la Triade, qui a

joué un rôle décisif dans la mise en place des mesures de dérégulation,

privatisation, libéralisation, etc., surtout, dans la crise d’endettement des

pays du sud, ainsi que dans la stratégie de les éterniser en tant

qu’exportateurs de produits primaires. Aussi, on ne saisi pas le nouveau

impérialisme en affirmant les aspects universels d’homogénéisation et en

faisant abstraction les aspects spécifiques concernant la différenciation et

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l’hiérarchisation, où « la violence des offensives du Capital contre les pays

dits émergents et contre les pays les plus pauvres sous différentes formes »

(y incluses celles originaires des formes étatiques globales) « a semé le

désordre, la misère dans une grande partie du monde. » (VINCENT, 2004,

p. 61).

L’approche concrète de la totalité étatique concrète devrait tout

d’abord obéir au principe méthodologique selon lequel une fonction étatique

signifie une forme prise par la forme étatique dans une situation donnée,

dans le temps et dans l’espace. Pourtant, cette forme (pour si, en

puissance) a une primauté ontologique sur sa fonction (en soi, en acte). Il

s’agit d’un rapport organique, dont le processus est irréversible,

historiquement déterminé, dans le contexte d’une nouvelle configuration de

l’impérialisme (GOWAN, 2003; HARVEY, 2004).

En général, « seule l’idée de l’historicité concrètement universelle des

catégories de tout être peut indiquer le chemin qui mène à une perspective

juste, en même temps unitaire et historiquement différenciée de façon

rigoureuse. » (LUKÁCS, 2009, p. 74). En particulier, « le marxisme, parce

qu’il met au centre de sa méthode et de ses applications concrètes le

caractère historique de l’être plus résolument que toute autre théorie, doit

voir dans le développement inégal la forme typique des processus socio-

historiques. » (Idem, p. 242). Toutefois, les meilleurs auteurs de l’économie

politique de la mondialisation ont très peut utilisé le référentiel théorique et

méthodologique de Marx (1976 ; 1977) pour dépasser les approches

fonctionnalistes.

En premier lieu, ils « centrent leur attention sur les contradictions

proprement économiques du capitalisme », de manière que l’on peut

facilement constater « que la dynamique économique n’apparaît pas reliée

chez eux de façon systématique et élaborée à la dynamique sociale. »

(VINCENT, 2004, p. 55). Même s’ils n’ignorent pas les luttes sociales et

politiques, celles-ci « ne sont pas intégrées dans des enchaînements et des

agencements d’ensemble », alors qu’il y a la primauté ontologique de

l’économie, mais cette primauté « a besoin de compter sur des rapports et

des processus sociaux et sur des agents qui doivent être reproduits

conformément à ses impératifs », d’un côté ; et, de l’autre, « d’être

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confortée par une mise en tutelle de l’extra-économique, mais cela ne se

fait pas sans frictions ou sans crises. » (Idem). Ainsi,

« les rapports entre les classes sont sans cesse désarticulés et réarticulés et

les individus sont souvent en décalage par rapport à ce qu’exigent les

rapports de travail. Les mouvements de l’économie et les processus sociaux

se perturbent réciproquement en permanence, même lorsque en apparence il

n’y a pas de crise majeure. » (Ibidem).

En second lieu, ils se limitent à rechercher la solution des problèmes

économiques originaires des inégalités structurelles de développement, ainsi

que des abus propres à la financiarisation, à la spéculation, etc., pris pour

régulables à travers le simple contrôle publique de flux commerciaux et

financiers globaux. L’approfundissement de la crise elle-même indique qu’il

faut aller au-delà de la réforme financière pour « remodeler l’économie

réelle. » (JOHSUA, 2009, p. 127). Cependant, sur la primauté ontologique

de la base, « Marx a toujours eu raison de souligner ce caractère

ontologique de l’économie et de n’admettre aucune fétichisation de sa

nature réellement fondatrice. » (LUKÁCS, 2009, p. 118). Seulement dans

une réification de l’évolution du capitalisme, « à partir de la crise de 1929 »,

une trajectoire de la forme et des fonctions de l’État pourrait être abstraite

dans l’explication d’une « trajectoire du capital » (JOHSUA, 2006).

Par contre, Mandel (1969, p. 65), lorsqu’il a donné « la réponse

socialiste au défi américain », il a souligné aussi la quête de trouver une

nouvelle forme d’État correspondant à la nouvelle réalité socio-économique.

Il s’agissait d’une grande transformation historique – au sens de Engels

(1976, p. 70) – comme celle d’aujourd’hui. S’il y a globalisation du capital, il

y a aussi globalisation de l’État en raison de la propre organicité entre ces

formes.

Aux origines du processus de globalisation, – à la base duquel il y a eu

la gestation d’une mondialisation du capital ou d’un capitalisme mondial –,

la marche vers le marché mondial dépasse les « frontières », mais non les

« barrières » nationales, et aussi de nouvelles idéologies sont nées, « selon

lesquelles l’intégration de fait aurait désormais dépassé ces barrières

nationales et l’humanité aurait devant elle, comme perspective actuelle, des

formes d’intégration plus développées et plus vastes. » (LUKÁCS, 2009, p.

343).

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Nous avons fait une critique des utopies postmarxistes occidentales,

concernant l’État globalisé (FARIAS, 2004b). Il est toujours étonnant de

constater avec Védrine (2008, p. 65), qu’une catégorie aussi puissamment

totalitaire puisse rester attirante pour une certaine gauche anti-totalitaire.

Dans la perception élémentaire de la permanence des formes étatiques

nationales, celles-ci sont prises par le régulationniste en tant qu’institutions

utiles pour la gestion de la crise généralisée, dans la mesure où elles sont

capables d’introduire les grands moyens exigés par l’ampleur des difficultés

affrontées. En dépit des différences formelles, les plans mis en place par

chaque État national doivent suivre les mêmes principes, surtout le rôle

providentiel de financer ces opérations de soutient massif au système

financier. C’est le fonctionnalisme qui légitime ces actions étatiques, tout en

acceptant naturel et passivement que l’État élève la dette publique, comme

une mesure souveraine qui lui est inhérente (AGLIETTA, 2008, p. 81).12 Le

sauvetage de la forme capital prime sur le sauvetage de la forme État, qui

voit sa subsistance fisco-financière mise en cause (JOHSUA, 2009, p. 119).

Au lieu de s’en soucier, le régulationniste dore la pilule avec des menaces

effrayantes, tout en insistant que la socialisation des pertes comme sortie

de la crise actuelle c’est sûrement trop cher, mais indispensable pour éviter

une terrible dépression (AGLIETTA, 2008, p. 87).

Les protestations de masse en europe (en France, en Grèce) indiquent

que les prolétaires ont une autre perception des récentes intromissions

étatiques, qui cherchent à rétablir une prétendue normalité capitaliste avec

tout un arsenal d’aides extrêmement copieuses pour ceux qui personnifient

le capital sous ses diverses formes. Il s’agit d’arrangements étatiques

illégitimes et douteux concernant la privatisation des profits et la

socialisation des pertes. Ainsi, dans le combat à la récession, dans les plans

fiscaux d’augmentation des dépenses et de diminution des impôts, dans les

plans de sauvetage d’entreprises et de banques en faillite, etc., la dépense

publique est élevée dans tous les pays, en même temps que le soulagement

de la dette privée devient la pesanteur extrême de la dette publique. La

générosité envers les entrepreneurs se fait en contraste avec la timidité des

12 Sur l’endettement publique en France et au Brésil, voir : [http://economia.uol.com.br/ultnot/afp/2009/06/30/ult35u70392.jhtm] 2/8/09. [http://www.agenciabrasil.gov.br/noticias/2009/06/29/materia.2009-06-29.6202274701/view] 2/8/09.

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aides aux prolétaires, qui restent les plus grandes victimes de la crise.

Toutefois, comme auparavant, ces moments de protestation et de

sentiment d’injustice ne représentent pas encore la « construction de

nouvelles pratiques », ni l’avènement « de nouvelles lectures collectives de

la société et du monde » et, même s’il est important que les opprimés

résistent, « les intuitions qu’ils portent et les aspirations qu’ils manifestent

ne sont pas transformées ipso facto en armes critiques contre les rapports

sociaux de connaissances asservies aux machineries du Capital. »

(VINCENT, 2004, p. 58).

La reproduction élargie du capital social total ne se poursuit pas de

manière cohérente et équilibrée, elle ne se réalise pas comme un cercle

vertueux. Il s’agit d’un contexte où se produit « la dévalorisation, qui est le

lot du plus grand nombre, les déprécie à leurs propres yeux et aux yeux des

autres, les transformant en victimes, coupables de ne pas avoir réussi »

(idem, p. 57), d’une part ; et, de l’autre, « le Capital ne fait pas qu’exploiter

les salariés employés dans la production de valeurs et de plus values, il

s’approprie des revenus, des capitaux en expropriant massivement des

couches entières... » (p.55). Il recompose la surpopulation relative

mondiale, car

« les capitaux dévalorisés lors des crises servent la valorisation d’autres

capitaux dans la mesure où toute dévalorisation massive de capitaux modifie

sur une grande échelle les conditions de l’accumulation. Que cela entraîne des

destructions matérielles ou l’exclusion de la production de nombreux salariés

est tout à fait secondaire, ce qui prime c’est la poursuite de la marche aveugle

du Capital. » (Idem).

L’État y joue son rôle tant comme prémisse que comme médiation des

contradictions du capital en général et des capitaux nombreux. Dans

l’analyse des formes étatiques globales (FARIAS, 2001; 2004a; 2004b;

2005; 2007), on a pu constater la pertinence de la thèse selon laquelle

« malgré tous les problèmes que les effets économiques du marché mondial

ont engendrés, les formes nationales du capitalisme ont réussi à se

maintenir. » (LUKÁCS, 2009, p. 343). Cependant, les formes étatiques se

sont intégrées dans une totalité concrète, complexe et contradictoire qui

tend à envelopper dans un même syllogisme ses déterminations

universelles, particulières et singulières, comme dans le tableau suivant :

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Cette totalité sous la forme d’un syllogisme « s’affirme, en tant que

tendance, causalement, de façon inégale, contradictoire, en produisant des

oppositions, etc., comme toutes les orientations importantes du processus

de socialisation des hommes. » (Idem, p. 342). Les éléments de l’empire

réellement existant sont des catégories spécifiques concernant « les germes

d’une réalisation sous la forme du marché mondial et de ses conséquences

sociales et politiques, dans lesquelles se manifeste dans les faits pour la 13 Sous l’hégémonie de la Triade. Il s’agit d’un concept distinct de celui de l’

« impérialime collectif » de Samir Amin (2002). 14 Sous l’hégémonie de l’Amérique du Nord (sans le Méxique). Il s’agit d’un concept

distinct de celui de l’ « impérialisme hégémonique global » de Mészáros (2003). 15 Sous l’hégémonie de l’Union Européenne. Pour Mandel (1969, p.14), le Plan

Marshall et la construction économique européenne débutent le nouvel essor des

multiples puissances impérialistes régionales, mais dans le cadre d’une

grandissante interdépendance vis-à-vis des États-Unis. Sans que la France soit une

véritable exception, cette condition au sein de l’alliance impérialiste mondiale était

voulue et revendiquée par les puissance européennes, en accord avec leurs

« intérêts de classe et leur défense de classe face aux puissances et aux

mouvements non-capitalistes. » (Idem). 16 Sous l’hégémonie de l’UNASUL. « L’impérialisme correspond à l’expression

perverse de la différentiation subie par l’économie mondiale, en tant que résultat de

l’internationalisation de l’accumulation capitaliste, qui a oposé au schéma simple de

division du travail – cristallisé dans le rapport centre versus périphérie, qui

inquiétait la CEPAL –, un système de rapports beaucoup plus complexe. » (MARINI,

1992, p. 137). Voir aussi Marini (1972, p. 92 et suivantes). 17 FARIAS, 2004. 18 Cette tendance vient d’être confirmée, par sa pleine incorporation aux forces

militaires de l’OTAN. 19 « La dictature militaire brésilienne a mis en place une pratique sous-impérialiste

qui avait pour objectif la conversion du pays en un centre intermédiaire de pouvoir,

au sein du système mondial de domination structure au tour des États-Unis, avec

une projection préférentielle sur l’Amérique latine et, en général, sur l’Atlantique

Sud. » (Marini, 1992, p. 135). Évidemment, dans ce contexte, les formes sous-

impérialistes régionales et nationales actuelles ne se sont pas encore consolidées,

mais elles se manifestent déjà avec pompe et circonstance dans l’occupation du

Haïti, surtout par les pays membres de l’UNASUL, le Brésil à la tête. Sans oublier le

rôle que la diplomatie brésilienne essaie de jouer dans les affaires iraniennes. 20

Sur ce syllogisme, voir Henri Lefebvre (1980, p. 172).

LE GRAND SYLLOGISME : L’EMPIRE RÉELLEMENT ÉXISTANT

Universel Particulier Singulier

Forme Globale Formes Régionales Formes Nationales

Impérialisme collectif ideal planétaire13

Impérialisme hégémonique central nord-américain14

Sous-impérialisme central européen15

Sous-impérialisme périphérique latino-americain16

Impérialisme étatsunien17 Sous-impérialisme français18 Sous-impérialisme brésilien19

Petit Syllogisme 1

Petit Syllogisme 2

Petit Syllogisme 3

Homogénéisation - Différenciation - Hiérarchisation20

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première fois la tendance à aboutir à l’unité sociale effective de

l’humanité. » (p. 342). Pour l’instant, l’humanité reste intégrée sous la

barbarie impérialiste, en l’absence de l’intégration socialiste, c’est-à-dire,

sous un véritable internationalisme prolétaire.

Par contre, le champ réformiste de l’économie politique du capitalisme

global soutient que l’avènement d’un régime de croissance durable passe

par la coopération internationale entre les grandes constructions régionales

mondiales – sous la régulation de la Triade –, car sans cette coopération, la

correction désordonnée des déséquilibres pourrait entraîner de reculs

protectionnistes et exacerber les rivalités politiques (AGLIETTA & BERREBI,

2007, p. 404). En accord avec cette realpolitik, il ne reste à la périphérie

latino-américaine, africaine, etc. que d’y prendre conscience et se

conformer à la nouvelle donne. Pourtant, la sortie régulationniste pour la

crise financière globale anticipe le renforcement tant de l’impérialisme

collectif idéal planétaire, que de celui des pays dits émergents, de sorte

que, dans les prochaines années, sur toute la planète, il y aurait un

changement dans le centre de gravitation du pouvoir économique, dans la

mesure où les déficits publiques iront affaiblir tant les États-Unis, que

l’Union Européenne (AGLIETTA, 2008, p. 65).

Au sens propre, s’éternise l’affaiblissement étatique national, en dépit

de leur efforts de coopération, sous le risque de voir leurs aspirations au

multilatéralisme devenir en réalité une association des impuissances

(VÉDRINE, 2008, p. 68). On souligne que l’État national « n’est plus

l’unique représentant exerçant sa suprématie sur les organisations sociales,

politiques, économiques et culturelles », dans cette nouvelle configuration

où « l’intégration mondiale est totale et profonde », ce qui pose « un défi

inconnu dans l’histoire » (LIANG & XIANGSUI, 2003, p. 306).

Toutefois, le champ critique et révolutionnaire s’était déjà rendu

compte que seulement la socialisation peut fournir une sortie pour cette

construction que n’arrive pas à émergir nette, claire et totalement, en

même temps que mettait la lutte pour les États Unis socialistes de l’Europe

directement en opposition aux monopoles américains et européens

(MANDEL, 1969, p. 161).

Malheureusement, la régionalisation réellement existante, en Europe et

ailleurs, reste une construction néolibérale. L’existence au sein de la Triade

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de « rapports de concurrence en matière économique et fiscale ne doit pas

masquer qu’ils exercent une véritable tutelle sur une grande partie de la

planète et cherchent sans cesse à la renforcer » (VINCENT, 2004, p. 63), y

inclut à travers la financiarisation globale. Dans ce domaine, la rationalité

économique de l’exploitation se combine avec une logique sociale de

domination et d’humiliation, qui se soutiennent mutuellement dans une

société mondiale, laquelle « n’est en aucun cas une société unifiée, c’est au

contraire une société tronçonnée, fragmentée, divisée contre elle-même,

marquée par des mouvements erratiques et par des guerres régionales à

répétition. » (Idem, p. 61).

Sous l’égide de la domination inhérente à la postmodernité, d’un côté,

« les tendances récurrentes à la baisse des taux de profit poussent les

capitalistes à pratiquer la prédation sans vergogne à travers les

spéculations financières et boursières », en même temps que les

organismes internationaux « sous couvert d’ajustements structurels,

organisent une véritable hémorragie de capitaux du Sud ver le Nord. » (p.

55). En tous lieux, du local au national,

« Les privatisations s’attaquent au secteur et à la Fonction publique pour les

piller et transformer les États nationaux en appareils d’expropriation réduisant

de plus en plus les systèmes de protection sociale et hypertrophiant les

instruments répressifs. Derrière la globalisation des marchés financiers se

dissimulent une hiérarchisation et une polarisation des plus accentuées du

monde sur un fond d’accroissement vertigineux. Les marchés sont en réalité

des lieux ou des dispositifs où s’affrontent les stratégies des multinationales

pour tirer le meilleur parti des faiblesses des autres acteurs économiques à

une échelle planétaire. » (p. 55-56).

Par ailleurs, l’impérialisme est potentialisé à travers de mécanismes

originaires des technologies de l’information et de la communication qui,

loin d’être neutres, se dédoublent tant en contrôle médiatique, qu’en

contamination et invasion culturel du american way of life, ainsi qu’en de

nouvelles croisades manichéistes. Il ne s’agit pas simplement de

« domestication de la culture », car

« la fantasmagorie marchande-médiatique ne fait pas que fasciner les esprits,

elle s’inscrit aussi dans les affectivités et les sensibilités. Les marchandises

vantées et transfigurées par la publicité se proposent sous des jours toujours

nouveaux à l’investissement libidinal des clients réels et potentiels, les images

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et les sons électroniques (cinéma, télévision, internet) fournissent,

apparemment sans limites, des schémas de comportement, des objets

d’identification (personnes ou choses), des moyens d’évasion. Les

marchandises médiatisés et l’imaginaire marchand s’insinue en fait dans

l’inconscient et le psychisme des individus, en leur interdisant de saisir leurs

propres expériences et les modalités de leur insertion dans les rapports

sociaux. » (VINCENT, 2004, p. 57).

Enfin, le mythe antinomique du bien contre le mal se combine

parfaitement avec l’idéologie fétichiste – dévoilée par la critique de

l’économie politique – dans laquelle « la magie de l’argent qui engendre de

l’argent est une sorte de transcendance qui ne contredit pas d’autres formes

de transcendance, en particulier celle des religions révélées. » (Idem, p.

62). Ainsi, la sainte croisade du capital est naturalisée, éternisée et bénie à

l’échelle mondiale. Au niveau de la superstructure, cela se combine avec

« la justice des vainqueurs (de Nuremberg à Bagdad) », qui implique la

« guerre humanitaire » et la « guerre globale préventive » (ZOLO, 2007).

Avec la fin de la guerre froide, ou mieux,

« Depuis la fin de la bipolarité jusqu’à aujourd’hui, les puissances occidentales

ont non seulement utilisé arbitrairement la force militaire, comme aussi ont

mis explicitement la main sur l’ordonnancement juridique international au

nom de leur inconditionné jus ad bellum. De ce bilan d’échecs ne s’exclut pas

l’invention institutionnelle du XXe siècle, le droit pénal international... L’intérêt

dont il faut se mettre en quête avec la force des armes c’est la stabilité de

l’ordre mondial... Il s’agit, en somme, de garantir le développement des

processus de globalisation dans une démarcation de haute et croissante

asymétrie politique et économique dans les rapports internationaux. » (Idem,

p. 83 et 117).

Pourtant, il est pressant, donc, d’actualiser et de renforcer la position

anticapitaliste et anti-impérialiste, contraire au développement de la libre

initiative bourgeoise, spécialement sous sa forme dite sans sujet et, donc,

attachée au fétichisme de la société salariale postmoderne, élargie à

l’échelle mondiale et approfondie à travers une régulation cosmopolitique.

Conclusion

L’économie politique de la globalisation reste sur ses diverses

manifestations contraires à la forme de capitalisme de l’époque située au-

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delà do fordisme et dans la globalisation, sans toutefois arriver à des

positions critiques et révolutionnaires et, donc, s’approcher effectivement de

positions classistes concernant l’émancipation du prolétariat. Par ailleurs,

elle écarte du moment de la crise globale, à la faveur de l’historicisme, la

dialectique entre le capital et l’État, dont la médiation n’est reconnue qu’en

tant que positive et régulatrice, surtout au niveau des capitaux nombreux,

des contradictions inter-capitalistes, des finances dominatrices des activités

productives. Lorsqu’il s’agit de la dépuration de la crise, quand ces

économistes essaient d’amoindrir les inégalités dans la répartition de la

richesse et les dégâts entraînés par les pratiques financières spéculatives,21

ainsi que les dits conflits entre le capital et le travail, ils ignorent que

l’émancipation humaine exige tant la lutte pour le dépassement des

conditions qui entraînent l’antagonisme entre capitalistes et prolétaires,

qu’une lutte plus générale contre les fondements des diverses formes

d’oppression inhérentes au capitalisme (COUTROT, in HUSSON, 2004, p.

78-79). Ainsi,

« La dominance de l’économie sur toute la société, sa pénétration dans toutes

les activités, l’empreinte qu’elle laisse sur le symbolique et l’imaginaire, tout

cela l’oblige à tenir compte de temporalités, de pesanteurs qui résistent plus

ou moins aux rythmes et aux modes de fonctionnement proprement

économiques. Les individus sont sans doute entraînés, bousculés par les

mouvements, leur vécu et leur quotidien ne peuvent jamais entrer de plain-

pied et complètement dans le monde du Capital. C’est pourquoi

l’économique... est en guerre permanente pour briser ce qui lui résiste. »

(VINCENT, 2004, p. 56).

Le sujet collectif résistant ne doit pas s’attacher bureaucratiquement à

l’économicisme, ni plonger dans le volontarisme, en tant que déviations

opportunistes, qui essaient respectivement influencer le prolétariat à travers

deux attitudes idéologiques, à savoir : la première, « qui doit sans aucun

21 Évidemment, avec une nouvelle eutanasie du rentier peut être inspirée de deux

évidences, à savoir : 1º « Les pirates ne sont pas, et ne seront jamais, les amis

sincères des navigateurs » Histoire de l’infamie, Jorge Luis Borgès, in

[http://gesd.free.fr/ofce1103.pdf] 2/8/2009.

2º « On ne peut donc devenir un Robinson sans qu'une pirogue accoste votre île,

sans que des cannibales y apparaissent un jour ou l'autre ! »

in [http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99%C3%89cole_des_Robinsons/16]

2/8/2009.

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doute directement limiter, et même freiner, toute praxis réellement efficace,

socialement universelle », la seconde, « qui l’isole subjectivement de sa

base ontologique légitime, de la totalité dynamique du processus socio-

économique dans son ensemble. » (LUKÁCS, 2009, p. 208). Enfin,

« la totalité jamais complètement connaissable des déterminations de l’être

en question rend socialement possibles et nécessaires aussi bien le

fonctionnement prolongé et imperturbé de théories incomplètes contenant des

vérités partielles que leur dépassement. » (Idem, p. 48).

Dans la recherche de la sortie de la crise globale,22 il faut dépasser

l’économie politique tant de la globalisation du capital que du capitalisme

global, tout en développant en profondeur et en extension les recherches de

philosophie politique dans le sens critique et révolutionnaire.

Si l’on reste dans l’hypothèse historico-économiciste majoritaire d’une

« crise du régime de croissance », alors « c’est l’ensemble des formes

institutionnelles du capitalisme déréglementé sous la dominance financière

qui exige une profonde transformation. » (LORDON, 2008b, p. 212).

Cependant, il s’agit d’appréhender et de transformer le phénomène

substantiellement et, donc,

« Les actions collectives, même lorsqu’elles sont défensives, ne doivent pas

s’en tenir à l’immédiat, mais mettre en branle des processus visant à changer

en profondeur les positionnements des uns et des autres. À la production

sémantique du Capital et de ses agents, il faut opposer une autre production

sémantique qui, au lieu de vanter les vertus de l’entreprise capitaliste, de la

compétence et de la performance, dise explicitement la barbarie dans les

rapports de travail, les souffrances endurées. » (VINCENT, 2004, p. 58).

Sur la globalisation située dans le temps et dans l’espace, le

régulationnisme porte la marque de l’historicisme qui est propre à sa vision

du régime d’accumulation isolé abstraitement de toute généralité. Tout de

go, il met en évidence la spécificité de la catégorie en question, car pour lui

le capitalisme n’existe qu’à travers ses actualisations historiques et que

celles-ci sont, par définition, changeantes, d’une part ; et, de l’autre, il

occulte l’universalité du mode de production capitaliste, même s’il pondère

de la possibilité d’obtenir « un concept général du capitalisme » et que,

« dans cette matière, difficilement on ferait mieux que Marx » (LORDON,

22 [http://hussonet.free.fr/lacrise.htm]

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2OO8b, p. 186-187). Toutefois, pour le régulationniste, ce concept « reste

nécessairement sous-déterminé » et c’est à « l’histoire » qui revient la

tâche de le compléter et de lui donner ses formes « concrètes » (Idem, p.

187). Il s’agit d’un complément théorico-méthodologique qui n’est pas sans

ambiguïtés techno-économicistes. D’une part, il tombe dans les réifications

du soi-disant capitalisme cognitif, attachés « aux développements de

l’informatique, qui tendent à faire croire que les problèmes de la société

peuvent être résolus par le progrès technique, la netéconomie, les

engouements pour des pseudo-solutions à des problèmes graves... »

(VINCENT, 2004, p. 58). D’autre part, il n’évite pas les engouements

économicistes proprement dits, dont la critique marxiste radicale se pose

naturellement en tant que « lutte contre la fragmentation des points de vue

en mettant en lumières des enchaînements, une lutte pour la totalisation

d’expériences éclatées contre les séparations fétichistes entre politique et

économie, vie privée et vie publique. » (Idem).

Ainsi, la primauté de la base (forme-capital) ne doit pas occulter que la

mondialisation concerne aussi la superstructure (forme-État). En termes

d’ontologie de l’être social, la situation historiquement déterminée n’élimine

pas l’analyse concrète, où l’économie n’est pas une seconde nature, etc. Le

processus d’accumulation du capital ne se restreint pas à des régimes de

croissance régulables étatique et contractuellement, car il « est mise en

branle et modulation des rapports sociaux dans la perspective de leur

reproduction en tant que rapports soumis aux mouvements de la

valorisation... » (p. 56). En effet,

Devant l’empire réellement existant, le sujet collectif révolutionnaire

ne doit pas « vouloir revenir aux souverainetés nationales », pour se

conformer simplement à l’idéologie étatique interventionniste, de même

qu’elle ne doit pas se limiter à la dénonciation des formes néolibérales du

capitalisme et de la modalité de l’action des institutions multinationales, car

« la mondialisation n’est pas seulement la globalisation des marchés

appuyée par des organisations internationales », bien que l’on ne doive pas

« abandonner les terrains nationaux et ne pas lutter contre les États tels

qu’ils sont dans leurs interdépendances multiples. » (p. 63-64).

Le sujet collectif qui totalise diverses formes de lutte contre

l’exploitation, la domination et les attentats à la dignité humaine ne doit pas

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se limiter à la conquête tactique « de ce que le capitalisme est prêt à leur

concéder », mais stratégiquement et sous toutes les perspectives ou toutes

les références prises, « il doit toujours viser un au-delà du capitalisme et ne

pas se laisser absorber par le champ institutionnel, notamment le champ

politique profondément marqué par l’économisme. » (p. 59). D’où

l’exigence de changement dans la politique classiste prolétaire héritée du

XXe siècle, en ce sens de dépasser tant ses formes corporatistes et

bureaucratiques, que ses impositions autoritaires venues du dehors ou de

l’au-dessus des masses prolétaires, sans toutefois tomber dans le simple

spontanéisme ou anarchisme de l’anti-pouvoir. Le dépassement des crises

du capitalisme n’est pas le résultat d’une réforme du régime de

gouvernement, mais implique un processus de démocratisation « où la

société capitaliste est mise à nu dans ses différents mécanismes » (p. 60).

Dans ce sens,

« La conception militariste de la prise du pouvoir doit être écartée

comme conduisant à des impasses. La violence révolutionnaire n’est

n’importe quelle violence, elle est une contre-violence qui se fixe pour but

de combattre la violence des rapports. Elle n’est pas déchainement sans

mesure contre un ennemi de classe, mais maîtrise raisonnée et politique

des moyens de coercition et de répression. » (p. 60-61).

Les êtres politiques indispensables au dépassement du capitalisme

doivent agir « comme des organisations qui contribuent à augmenter les

capacités de réflexion autonome des masses en faisant retour avec elles sur

les incidences et les prolongements. » (p. 59). Par ailleurs, ce processus

pousse tant à « toucher aux rapports de propriété afin de promouvoir des

formes démocratiques de contrôle de l’économie et une politique de

démarchandisation de la force de travail » qu’à « l’exigence, sans cesse

réitérée, d’inscription de droits sociaux et politiques », ainsi qu’à la

proposition « d’une logique de démocratisation radicale du pouvoir

politique » (ARTOUS, 2010, p. 151).

L’objectif stratégique anticapitaliste ne doit pas être séparé des

concrétisations des transformations sociales à travers les diverses luttes

pour l’émancipation humaine, qui seraient inefficaces dans l’absence de

« contenu social intégral » (CHE GUEVARA, 2002, p. 114). Ainsi, « il doit y

avoir une dialectique permanente, un conditionnement réciproque entre

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parti et mouvement social » (VINCENT, 2004, p. 60), pour que de la lutte

de classes dépasse l’économicisme et implique la conquête de droits

politiques et sociaux, dans un processus de démocratisation capable de faire

face au « schéma du pire... qui se réalise et qui à chaque jour rappelle à

tous ceux qui pensent l’immensité du désastre et les sanglants résultats de

ce désastre » (LEFEBRVRE, 1980), sous la forme du syllogisme de l’État

global.

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