La courbe en J et le théorème des élasticités critiques

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La courbe en J et le théorème des élasticités critiques Définition La courbe en J est la forme que prend l’évolution du solde commercial au cours du temps après une dévaluation. Avec le temps en abscisse et les variations de la balance commerciale en ordonnées, la courbe en J de la balance commerciale montre une détérioration du solde commercial après la dévaluation et une remontée au fil du temps. On impute aux élasticités-prix la raison de la forme de la courbe. Origine Le solde de la balance commerciale d’un pays dépend à la fois de l’écart conjoncturel entre ce pays et le reste du monde et de la compétitivité de ses produits. Une dévaluation améliore en monnaie étrangère la compétitivité des exportations mais renchérit les importations. Les importations sont d’autant plus chères que leurs prix sont libellés en devises. Dans un premier temps, après la dévaluation, le renchérissement automatique des importations creuse le solde commercial. À plus long terme, la compétitivité accrue des exportations joue : les exportations augmentent, les importations baissent du fait de la baisse de pouvoir d’achat enregistrée. Le solde commercial s’améliore alors. 1

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L a c o u r b e e n J e t l e t h é o r è m e d e s é l a s t i c i t é s c r i t i q u e s

Définition

La courbe en J est la forme que prend l’évolution du solde commercial au cours du temps après une dévaluation. Avec le temps en abscisse et les variations de la balance commerciale en ordonnées, la courbe en J de la balance commerciale montre une détérioration du solde commercial après la dévaluation et une remontée au fil du temps. On impute aux élasticités-prix la raison de la forme de la courbe.

Origine

Le solde de la balance commerciale d’un pays dépend à la fois de l’écart conjoncturel entre ce pays et le reste du monde et de la compétitivité de ses produits. Une dévaluation améliore en monnaie étrangère la compétitivité des exportations mais renchérit les importations. Les importations sont d’autant plus chères que leurs prix sont libellés en devises. Dans un premier temps, après la dévaluation, le renchérissement automatique des importations creuse le solde commercial. À plus long terme, la compétitivité accrue des exportations joue : les exportations augmentent, les importations baissent du fait de la baisse de pouvoir d’achat enregistrée. Le solde commercial s’améliore alors.

J. Robinson (1936) et A. Lerner (1945) ont défini dans le théorème des élasticités critiques appelé aussi condition de Marshall-Lerner la condition nécessaire pour qu’une dévaluation réussisse. Pour que le solde commercial s’améliore il faut que la somme des élasticités prix des importations et des exportations soit supérieure à 1.

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Contestation théorique

L’application de ce théorème est critiquée pour deux raisons. La première est que le calcul des élasticités est délicat et pose des problèmes d’agrégations. La seconde vient de ce que ce théorème repose sur des hypothèses de fixation de prix très simplificatrices qui sont appliquées à la courbe en J de façon permanente. Or, l’évolution du solde commercial en forme de J s’explique par des élasticités prix qui varient avec le délai qui suit la dévaluation.

Le théorème en lui-même est critiqué par les auteurs non-keynésiens car il repose sur une logique keynésienne de relance par la demande. Le solde commercial apparaît alors comme une variable clé du plein emploi. La dévaluation de la monnaie n’est plus alors considérée que comme un moyen d’assurer un emploi maximum.

Développement

La courbe en J vient de ce que l’effet prix est beaucoup plus rapide que l’effet volume. Autrement dit, dans un premier temps l’effet prix joue en renchérissant les importations à volume constant d’importation et d’exportation. L’effet volume c’est-à-dire l’augmentation des exportations par augmentation des parts de marché et la baisse des importations par réduction des importations par moindre pouvoir d’achat ne vient qu’après coup. Il résulte aussi de la condition Marshall-Lerner que plus le déficit initial est grand plus les élasticités prix doivent être fortes pour que le solde commercial retrouve une valeur positive.

Cependant, l’évolution au cours du temps du solde commercial dépend de trois critères. Le premier concerne le contenu en matière première des importations. Si les importations en matières premières facturées en devises représentent un poste important dans les importations, une dévaluation va provoquer un creux plus important dans un premier temps et un redressement limité par la suite. En effet, les matières premières ne sont forcément pas substituables à des produits nationaux. Le second facteur concerne le comportement des exportateurs. La courbe en J fait l’hypothèse que le prix des exportations en monnaie nationale ne varie pas. Cela exclut la possibilité qu’ont les exportateurs de moduler leurs marges bénéficiaires. Or, les exportateurs peuvent avoir un comportement de marge. Si les exportateurs vendent dans un pays dont la monnaie s’apprécie, ils peuvent accroître leurs marges pour bénéficier de profits accrus en monnaie nationale. S’ils vendent dans un pays dont la monnaie se déprécie ils peuvent réduire ces marges pour limiter leur perte de part de marché en freinant la hausse de leurs prix en devises. Enfin, la dévaluation à moyen terme augmente les exportations donc la production, ce qui suscite la hausse des importations. La hausse des prix importés se répercute sur les prix domestiques et réduit ainsi la compétitivité.

Débat

La courbe en J donne-t-elle une image de la conjoncture ? Depuis le début des années 80, la condition de Marshall, Lerner et Robinson est considérée comme nécessaire mais pas suffisante. Pour qu’une dévaluation soit réussie, il faut que cette condition soit remplie mais cela ne suffit pas à la réussite de la dévaluation. Les Etats-Unis, malgré une somme d’élasticités critiques comprise entre 1,3 et 2,2, n’ont pas enregistré une corrélation entre dépréciation du dollar et redressement des comptes extérieurs sur les années 80-90.

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Trois éléments contribuent au succès d’une dévaluation. Le premier concerne les comportements de marge. La période précédant la dévaluation est généralement marquée par une compression des marges des producteurs domestiques de biens exportés, due à un différentiel d’inflation entre le pays en question et le reste du monde. Pour rester compétitif, il a fallu comprimer les marges. La dépréciation sera alors l’occasion de les restaurer : les prix des producteurs domestiques de biens exportés augmentent en monnaie nationale. De même, les producteurs de biens importés diminuent le prix de leurs produits afin de limiter leur perte de compétitivité sur le marché du pays qui dévalue. Ce comportement de marge limite l’effet positif de la dépréciation sur la balance commerciale. L’efficacité de la déprécation dépend en fin de compte de l’arbitrage opéré entre comportement de marge et comportement de parts de marché. Entre 1985 et 1987, les prix en dollars des importations américaines n’ont augmenté que de 10,7 % alors que le dollar se dépréciait de 30%. Dans le même temps les prix en dollars des exportations américaines augmentaient de 5,5%. Le comportement de marge réduit l’efficacité de la dépréciation : le déficit commercial s’est aggravé dans la même période.

Le second élément concerne les pratiques commerciales comme la différenciation des produits qui permet une compétition monopolistique sur des segments de marché. La baisse du taux de change n’affecte pas alors les ventes de produits étrangers qui bénéficient ainsi de parts de marché acquises par un positionnement stratégique.

Le troisième élément concerne la demande intérieure. Pour qu’il y ait une amélioration de la balance commerciale, il ne faut pas que la demande intérieure soit telle qu’elle absorbe toute la production nationale. Une politique restrictive de la demande permet de dégager un surplus exportable : la production disponible est alors vendue et permet de résorber le déficit commercial. Faute de quoi, la dépréciation risque de provoquer une hausse des prix.

Actualité

La dévaluation comme outil de relance conjoncturelle est dans une logique keynésienne : il s’agit de dévaluations compétitives. La courbe en J fonctionne comme un indicateur des effets prix sur la demande. Mais, tout dépend des capacités d’offres disponibles et rentables. Les dévaluations ont été fortement critiquées à la fois comme source d’inflation importée et comme source de mauvaise spécialisation internationale privilégiant les productions les plus sensibles aux prix donc de plus faible valeur ajoutée. Le SME a été crée pour éviter dans un régime de changes flottant de pratiquer des dépréciations compétitives. Des crises de changes au sein du SME ont suscité des dévaluations. Entre l’été 1992 et la mi-1995, la lire italienne a chuté de 33% par rapport au franc, la livre sterling de 20% et la peseta espagnole de 24%. La Grande-Bretagne a connu une phase de croissance, une baisse durable des taux d’intérêt et une baisse du taux de chômage. La baisse du taux de chômage n’est pourtant pas due à l’augmentation du taux d’emploi mais par une hausse des inactifs. L’appréciation de la livre sterling depuis 1997 a eu deux effets différents. Le premier effet a contenu l’inflation importée; le second effet a détérioré la compétitivité. Or, la structure de la production s’est déformée : sur les dix dernières années la croissance de la valeur ajoutée a atteint 30% dans les services contre 4% pour l’industrie (les services représentent 66% du PIB contre 27% pour l’industrie. La dévaluation ne peut résoudre les problèmes de fond de l’économie et l’effet de la dévaluation dépend de la structure de l’économie.

Jean-Gabriel Bliek, La macroéconomie en fiches, Ellipses, Paris, 2002.

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