La Condition Humaine - 3 Pages

54
René Magritte, La Condition humaine II, 1935 (collection privée). E E n 1933, André Malraux publie le roman La Condition humaine, dont il emprunte le titre au philosophe Blaise Pascal (1623-62): il semble vouloir illustrer une des Pensées qui comparait les hommes à une assemblée de prisonniers condamnés à mort se regardant partir pour le supplice les uns après les autres. Malraux prête à son roman le pouvoir de suggérer, au-delà de la narration, une méditation sur la nature humaine et sur la vision du monde qui en découle. Dans cette interrogation lancinante sur lui-même, le personnage romanesque laisse entrevoir toute la complexité des questions qu’un individu est obligé de se poser pour se situer et se comprendre. f Parcours La condition humaine Unité 1 La condition humaine entre liberté et responsabilité Unité 2 La conscience du temps et la mort Unité 3 Le sacré et l’absurde Il y avait d’abord la solitude, la solitude immuable derrière la multitude mortelle […]. Moi, pour moi […], que suis-je? Une espèce d’affirmation absolue […]: une intensité plus grande que celle de tout le reste. Pour les autres je suis ce que j’ai fait. (A. Malraux, La Condition humaine, 1933)

description

La Condition Humaine - 3 Pages

Transcript of La Condition Humaine - 3 Pages

  • Ren Magritte, La Condition humaine II, 1935 (collectionprive).

    EEn 1933, Andr Malraux publie le romanLa Condition humaine, dont ilemprunte le titre au philosophe Blaise Pascal(1623-62): il semble vouloir illustrer une desPenses qui comparait les hommes uneassemble de prisonniers condamns mortse regardant partir pour le supplice les unsaprs les autres. Malraux prte son romanle pouvoir de suggrer, au-del de lanarration, une mditation sur la naturehumaine et sur la vision du monde qui endcoule. Dans cette interrogation lancinantesur lui-mme, le personnage romanesquelaisse entrevoir toute la complexit desquestions quun individu est oblig dese poser pour se situer et se comprendre.

    fParcours La condition

    humaine

    Unit 1 La condition humaine entre libert et responsabilit

    Unit 2 La conscience du temps et la mortUnit 3 Le sacr et labsurde

    Il y avait dabord la solitude, la solitude immuable derrire la multitudemortelle []. Moi, pour moi [], que suis-je? Une espce daffirmation absolue[]: une intensit plus grande que celle de tout le reste. Pour les autres je suisce que jai fait.

    (A. Malraux, La Condition humaine, 1933)

  • dictionnaire

    DANS LES DICTIONNAIRES

    TYMOLOGIQUES Le mot con

    dition drive du

    latin condicio, qui signifie situati

    on rsultant dun

    pacte, do situation en gnral.

    Ladjectif humain

    est un emprunt au latin humanu

    s, qui est propre

    lhomme.

    EN FEUILLETANT LES DICT

    IONNAIRES

    Lexpression condition (humaine

    ) date du XIIIe

    sicle, mais son acception philos

    ophique se

    dveloppe relativement tard (fin

    du XVIIe sicle).

    En cherchant une dfinition du terme decondition humaine, nous sommes ame-ns aborder un ensemble de problmesqui nont pas de solutions dfinitives. laube du XXIe sicle, la question est dautantplus cruciale que leffondrement des idolo-gies et des espoirs de progrs infini abrouill tous les repres auxquels lhommesest rfr jusque-l.

    Pourtant, paradoxalement, les crivainsdu XIXe sicle (et Victor Hugo le tout pre-mier), avaient imagin un XXe sicle glo-rieux, permettant toute lhumanit devivre dans une Rpublique universelle, paci-fique, dispensatrice de libert et de bien-tre, rpondant toutes les questions exis-tentielles grce aux progrs des connais-sances et la diffusion de linstruction. Defait, le XXe sicle a connu le dchanementdes totalitarismes, la cruaut de deuxconflits mondiaux, les gnocides, les souf-frances des peuples coloniss en lutte pourleur libration. Ces vnements tragiquesont eu raison de loptimisme des Euro-pens qui avaient prtendu apporter desexplications dfinitives tous les problmesque les hommes peuvent se poser.

    Dans cette priode de grande incertitu-de, la littrature, qui sest toujours refuseaux rductions simplistes, retrouve une

    place primordiale, par le fait quelle propo-se une mditation sur les questions quetout homme est amen se poser. Ce par-cours sera donc essentiellement une suitedinterrogations centres sur les textesdcrivains qui ne sarrtent pas desconclusions dfinitives prtendant la vri-t absolue. Quel sens donner sa vie?Comment user de sa libert? Commentapprcier la part de responsabilit quiincombe chacun dentre nous? Commentvivre avec lide que lon doive mourir unjour? Comment inscrire son existence dansle temps? Quel rapport tablir avec le sacr?

    Alberto Giacometti, LHomme qui marche II, 1960,bronze, photographie dErnst Scheidegger.

  • Unit 1La condition humaine

    entre libertet responsabilit

    Mettre en relation la condition humaine et la libertinvite explorer les diffrentes acceptions du mot. Eneffet la libert suppose des actions qui rpondent une dcision volontaire et consciente et qui ne sontpas dtermines par des causes extrieures quiempchent lindividu lexercice de sa libre volont.

    DANS LES DICTIONNAIRES TYMOLOGIQUES

    libert est emprunt au latin libertas, qui sert

    dsigner la qualit de lhomme libre en opposition

    avec celle de lesclave. Le mot apparat au XII

    e sicle.

    responsabilit, apparu tardivement (fin du XVII

    e sicle)

    dans la langue franaise pour traduire le mot anglais

    responsibility, est un driv de responsable, apparu

    au XIIe sicle. Le mot vient du latin responsus, particip

    e

    pass de respondere, rpondre au sens de rpondre

    de ses actes.

    EN FEUILLETANT LES DICTIONNAIRES

    libert nom fminin: la proprit de soi, et plus

    gnralement ltat dindpendance, dautonomie par

    rapport aux causes extrieures et aux contraintes.

    responsabilit nom fminin: 1 la condition qui

    suppose lobligation de rpondre de certains actes

    2 lobligation ou ncessit morale de rparer une

    faute, de remplir un devoir, un engagement.

    Lesclave, par exemple, est dpouill par son matrede toutes les prrogatives qui feraient de lui unhomme libre. Lexercice de la libert implique pour lesujet le libre choix de ses comportements et de sesactes, ce qui signifie aussi assumer totalement la res-ponsabilit de ses dcisions et le poids de leursconsquences.La notion de libert est donc indissociablement lie celle daction responsable. En effet, la responsabilitsuppose que lindividu rponde de ses actes devantune autorit quil reconnat comme lgitime, que cesoit sa propre conscience morale ou un pouvoirquelconque.Il y a une autre acception du mot responsabilit quiest au centre du dbat littraire: le rle et la respon-sabilit de la littrature et de lcrivain face lasocit et aux problmes qui la traversent. Il peutchoisir de les ignorer ou bien dcider de les aborderen utilisant lexpression littraire comme instrumentde dnonciation et de propagande des grands thmessociaux et politiques. Il peut choisir entre lart pourlart, soumis aux seules proccupations esthtiques,et lart engag, domin par le souci dinterprterles grands thmes du progrs social et politique delhumanit.La discussion sur lexercice social de la libert a tanime par les philosophes de lge des Lumires.Ces auteurs ont t les protagonistes du dbat qui afaonn la conscience de lindividu moderne et quia conduit institutionnaliser lide mme de libert:cest ainsi que le premier article de la Dclaration desdroits de lhomme et du citoyen (1789) affirme que leshommes naissent libres et gaux en droits.

    Dilemme delunivers tragique

    La tragdie* ancienne a mis au centre des proccupations humaines le conflit entre lavolont humaine et les limites imposes par le destin, par des forces qui dpassentlhomme et finissent par lcraser. Dans ce cadre, le pouvoir des dieux devient le symbolede la force de la fatalit qui met en cause la libert de lindividu.Pendant lentre-deux-guerres, la production thtrale soriente souvent (Giraudoux,Cocteau, Anouilh, Sartre) vers la relecture des mythes de lAntiquit, o elle trouve des

    Textes et auteurs1.1

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 7

    Jean Cocteau(1889-1963) vol. B, pp. 252-253

    t1Antigone

    contre sa patrie. Antigone sinsurgecontre cet ordre et dcide denseveliren cachette son frre. Arrte, elle estcondamne mort par Cron et estemmure vivante. Mais lorgueil du roitrouve vite sa punition. Son filsHmon, fianc dAntigone, se rvoltecontre lui et se suicide aux pieds de celle quil aime. Sa femme Eurydice se donne la mort lannonce de cettesrie de nouvelles tragiques. Croncomprend trop tard quil y a des loisque lhomme ne peut outrepasser.Lextrait choisi suit de trs prs le textede Sophocle. Antigone, surprise par le garde en train de rendre les honneurs funbres Polynice, est conduite devant Cron.

    Aprs les ravages de la Premireguerre mondiale et lanantissementde toutes les valeurs culturelleseuropennes, Cocteau a voulu reveniraux sources mmes des grandsprincipes de la pense occidentale en ractualisant les grands mythesfondateurs: cest ainsi quil propose en1922 une contraction de la tragdie*de Sophocle (Ve sicle av. J.-C.),Antigone. tocle et Polynice, les deuxfrres dAntigone, doivent rgner tour de rle sur la ville de Thbes. Mais une guerre fratricide sallume bienttet les deux hommes sentretuent. Leur oncle Cron devient roi et imposede rendre les honneurs funbres tocle et dinterdire toute spulture Polynice, parce quil a port les armes

    thmes universels qui se prtent bien exprimer une nouvelle vision tragique de lhom-me moderne et de sa condition. Jean Cocteau explore le mythe grec dAntigone, o la jeunefemme refuse la loi de son oncle, le roi Cron, pour obir sa loi intrieure, garantie par lesdieux. Elle refuse donc dtre responsable devant lautorit politique de la cit, juge in-juste, pour revendiquer une responsabilit devant les lois immuables et divines de la justice.De mme Jean-Paul Sartre reprend le mythe dOreste, en lui faisant refuser la notion dunelibert synonyme* dirresponsabilit, dabsence de conditionnements pour choisir une li-bert responsable qui lobligera affronter les consquences de ses actes.

    CCRON Et toi. Toi, avec tes yeux modestes, tu nies? Tu avoues? ANTIGONE Je lai fait. Je le dclare.CRON [] tu connaissais ma dfense1?ANTIGONE Oui, elle tait publique.CRON Et tu as eu laudace de passer outre.ANTIGONE Jupiter navait pas promulgu cette dfense. La justice non plus nimpose pas deslois de ce genre; et je ne croyais pas que ton dcret pt faire prvaloir le caprice dun hommesur la rgle des immortels, sur ces lois qui ne sont pas crites, et que rien nefface, ellesnexistent ni daujourdhui ni dhier; elles sont de toujours. Personne ne sait do ellesdatent. Devais-je donc, par crainte de la pense dun homme, dsobir mes dieux? Jesavais la mort au bout de mon acte. Je mourrai jeune; tant mieux. Le malheur tait de lais-ser mon frre sans tombe. Le reste mest gal. Maintenant, si tu me traites de folle, tu pour-rais bien tre fou.

    5

    10

    1. dfense: divieto.

  • 8 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    LE CHUR2 ce naturel3 inflexible on reconnat la fille ddipe. Elle tient tte au malheur. CRON Mais sache que ces mes si dures sont les moins solides. Cest le fer le plus dur quiclate. Un petit mors calme un cheval qui fait des siennes4. Voil beaucoup dorgueil pourune esclave une esclave du devoir. Elle moutrage exprs. Elle me nargue5 et elle senvante. Cest elle qui serait lhomme si je la laissais faire. Quoique je sois frre de Jocaste6, nielle, ni sa sur7 nviteront leur sort. Car Ismne doit tre complice, je suppose. Quon mela cherche. Je lai aperue tout lheure dans le palais, affole comme une chauve-souris8.Les mes nocturnes se trahissent vite. Maisl, ce que je dteste surtout, cest le crimi-nel, qui, pris sur le fait, se mle dembellirson crime. ANTIGONE Exiges-tu quelque chose de plusque ma mort? CRON Non.

    (J. Cocteau, Antigone, 1928)

    2. chur: nelle tragedie greche il coro intervallavalazione scenica con un commento collettivo.

    3. naturel: temperamento.4. qui fait des siennes: che fa le solite bizze.5. nargue: sfida.6. Jocaste: Giocasta, madre di Antigone.7. sur: Ismene.8. chauve-souris: pipistrello.

    Comprhension globale1. Qui est Antigone? Qui est Cron?

    2. Quels sont les rapports familiaux qui les lient?

    3. Quelle est lhistoire qui les a amens cet affrontement?

    4. Quel est le dfi lanc par Antigone au roi, son oncle?

    5. quelle notion de libert se rfreAntigone? Choisissez: libert de suivre les lois des dieux /libert de transgresser les ordres du roi /libert dagir de faon arbitraire / libertdagir selon ses intrts personnels.

    Analyse du texte6. Reprez dans le texte les arguments*

    utiliss par Antigone.

    7. Reprez dans le texte les arguments* dont se sert Cron.

    8. Identifiez les mots-cls dans les deuxdiscours antagonistes.

    9. Quel point de vue* exprime votre avislintervention du chur?

    10. Quels sont les lments qui caractrisentle registre* tragique* de cet extrait?Choisissez: ton solennel / niveau de langue soutenu / vocabulaire fortecharge motive / phrases interrogatives et exclamatives / emploi de mtaphores*/ thmes de la responsabilit / conflitentre libert et fatalit.

    largissementCe conflit met en cause la responsabilitindividuelle face lexcution dordres et de lois que lon ressent comme contraires des normes morales immanentes, intrieuresau sujet. Quen pensez-vous? Pensez-vousquon puisse le mettre en relation avec desvnements plus proches de nous?

    Jean Cocteau, LAnge, lithographie.

    15

    20

    25

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 9

    Jean-Paul Sartre(1905-80) vol. B, pp. 290-296

    O

    t2Les Mouches

    choisir, Oreste dcide de venger lemeurtre de son pre, en assumantlibrement les consquences de son acteet en librant ainsi les habitantsdArgos. Lassassinat de Clytemnestre et dgisthe devient ainsi le dbutdune nouvelle re. En entranantderrire lui les mouches, symbole du remords qui afflige la ville dArgos,Oreste dlivre en effet la cit de saculpabilit et de loppression de lordremoral impos par gisthe et, au-dessus de lui, Jupiter. Aux hommeset eux seuls, dsormais, de dfinir ce qui est bien et mal.Dans lAntiquit, Oreste finissait par sombrer dans la folie; chez Sartre,il sloigne en hros* certes solitaire,mais en hros* victorieux de Jupiter. Dans lextrait suivant, Oresterevendique devant sa sur lectre la signification de son geste et la libert qui en dcoule.

    Au XXe sicle Sartre revisite la lgendedAgamemnon en choisissant Oreste et sa sur lectre comme personnagesprincipaux. Selon le mythe grec,Oreste retourne Argos longtempsaprs quAgamemnon, son pre, a tassassin par Clytemnestre, sa mre, et par gisthe, amant de celle-ci, qui est devenu roi de la cit. Rompant avec la tradition la plusancienne, Sartre nous prsente le personnage dOreste comme un intellectuel lev selon le modledune libert illusoire qui, son retour Argos, trouve une ville crase sousle poids du remords et de la mauvaiseconscience. La permanence de cessentiments est assure par gisthe et par Jupiter, symbole de la volontdes dieux de garder les habitants dansune situation de soumission. Pourpermettre ses concitoyens et lui-mme de retrouver la libert de

    ORESTE Je suis libre, lectre; la libert a fondu sur moi comme la foudre.LECTRE Libre? Moi, je ne me sens pas libre. Peux-tu faire que tout ceci nait pas t?

    Quelque chose est arriv que nous ne sommes plus libres de dfaire. Peux-tu empcher quenous soyons pour toujours les assassins de notre mre?ORESTE Crois-tu que je voudrais lempcher? Jai fait mon acte, lectre, et cet acte tait bon.Je le porterai sur mes paules comme un passeur deau1 porte les voyageurs, je le ferai pas-ser sur lautre rive et jen rendrai compte. Et plus il sera lourd porter, plus je me rjouirai,car ma libert, cest lui. Hier encore, je marchais au hasard sur laterre, et des milliers de chemins fuyaient sous mes pas, car ilsappartenaient dautres. Je les ai tous emprunts, celui deshaleurs2, qui court au long de la rivire, et le sentier dumuletier3 et la route pave des conducteurs de chars4;mais aucun ntait moi. Aujourdhui, il ny en a plusquun, et Dieu sait o il mne: mais cest mon chemin.

    (J.-P. Sartre, Les Mouches, 1947)

    5

    10

    1. passeur deau: traghettatore.2. haleurs: coloro che tirano la barca con lalzaia.3. sentier du muletier: mulattiera.4. conducteurs de chars: conduttori di cocchi.

    Lassassinat de Clytemnestre par son fils Oreste, dcoration dune coupeattique figures rouges, fin du ve sicle av. J.-C.

  • 10 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Comprhension globale1. Qui est Oreste? Qui est lectre?

    2. Racontez lhistoire de leur famille.

    3. Quelle est la raison de leur conflit?

    4. Il y a trois notions diffrentes de libertexprimes par lectre et par Oreste:je ne me sens pas libre. Peux-tu faireque ceci nait pas t? (l. 2); Jai fait mon acte, lectre []. Je leporterai sur mes paules [] et jenrendrai compte (l. 5-7); Hier encore, je marchais au hasard sur la terre, et des milliers de chemins fuyaient sous mes pas, car ils appartenaient dautres (l. 8-10).Essayez de les illustrer.

    5. Expliquez cette affirmation dOreste: ma libert, cest lui (mon acte) (l. 8).

    Analyse du texte6. Quel type de phrase utilise le plus

    frquemment lectre (dclarative,ngative, exclamative, interrogative)?

    7. Quelle est la fonction des interrogationsdans la communication* dramaturgique?

    8. La fonction de litalique dans monchemin (l. 14): y a-t-il une indicationimplicite* pour le jeu de lacteur?

    9. Le thtre de Sartre a t souvent dfinicomme un thtre dides. Quel est,selon vous, le sens de cette dfinition?Est-elle approprie cette pice?

    Atelier dcritureOreste se prsente, se dcrit et raconte sonhistoire: Je mappelle Oreste et Cherchezsur Internet le rcit du mythe grec.

    Du pote prophte lcrivain engag

    Aprs les convulsions de la Rvolution de 1789 et lpisode tourment du Premier Empire,les crivains franais dveloppent une nouvelle sensibilit qui fait cho au mouvementromantique qui a dj pris forme dans lEurope du Nord. Ils trouvent en Chateaubriand etMadame de Stal des modles et des inspirateurs qui entretiennent des rapports contra-dictoires avec la socit et le monde politique (ils appartiennent aux cercles traditionalistestout en montrant avec clairvoyance le chemin des volutions futures). De nombreuxartistes se font ainsi les interprtes des aspirations du peuple pour plus de libert et de jus-tice. Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, George Sand pour les crivains, tout commeFranz Liszt pour les musiciens ou Eugne Delacroix pour les peintres, prennent la dfensedes peuples opprims sous la domination doccupants trangers (Pologne, Italie, Grce). Ilssont sensibles galement la rflexion sur lorganisation sociale et dcouvrent avec com-passion la misre ouvrire. La Rvolution de fvrier 1848 sera ainsi la conscration depotes qui interviennent directement dans la vie publique.

    Avec laffaire Dreyfus (1894-1906), un nouveau type dintervention de lcrivain dans la viepublique voit le jour. Persuad de linnocence de Dreyfus et de liniquit de sa condamna-tion, lcrivain mile Zola comprend que cest toute une conception de la France commepays de la libert et des droits de lhomme qui est en pril. Trs courageusement il se sertde sa notorit et de son talent pour dfendre la vrit. Ds lors potes, romanciers, philo-sophes interviennent activement dans la vie politique et sociale; les crises du sicle leurdonnent loccasion dexprimer leur attachement aux valeurs de la libert. Sartre rend lescrivains responsables de la faon dont ces valeurs sont traites: en effet se taire, laisserfaire nest quune faon lche dtre complice des attentats commis contre la libert.

    1.2

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 11

    Alphonsede Lamartine(1790-1869) vol. B, pp. 36-37

    S

    t3 M. Flix Guillemardet sur sa maladie

    et il dfinit les buts moraux et politiques quil poursuit. Il sagit desavoir si le monde social avancera ourtrogradera dans sa route sans terme;si lducation du genre humain se ferapar la libert ou par le despotisme, qui la si mal lev jusquici; si les lgislations seront lexpressiondu droit et du devoir de tous ou de la tyrannie de quelques-uns.

    Dans une vie entirement dvoue laction, les Recueillements potiquesde Lamartine se prsentent comme des moments de rflexion. Dans unelettre prface*, lauteur prend le soin de prciser comment il tente deconcilier ses deux destines de pote et dhomme politique. Il rejette les arguments de ceux qui veulent le persuader de sen tenir la posie

    Saint-Point, 15 septembre 1837

    Frre, le temps nest plus o jcoutais mon meSe plaindre et soupirer comme une faible femmeQui de sa propre voix soi-mme sattendrit,

    5 O par des chants de deuil ma lyre intrieureAllait multipliant, comme un cho qui pleure,

    Les angoisses dun seul esprit.

    Dans ltre universel au lieu de me rpandre,Pour tout sentir en lui, tout souffrir, tout comprendre,

    10 Je resserrais en moi lunivers amoindri1;Dans lgosme troit dune fausse penseLa douleur en moi seul, par lorgueil condense,

    Ne jetait Dieu que mon cri.

    Ma personnalit remplissait la nature:15 On et dit quavant elle aucune crature

    Navait vcu, souffert, aim, perdu, gmi;Que jtais moi seul le mot du grand mistreEt que toute piti du ciel et de la terre

    Dt rayonner sur ma fourmi!

    Pardonnez-nous, mon Dieu! tout homme ainsi commence.20 Le retentissement universel, immense,

    Ne fait vibrer dabord que ce qui sent en lui2;De son tre souffrant, limpression profonde,Dans sa neuve3 nergie, absorbe en lui le monde

    Et lui cache les maux dautrui.

    (A. de Lamartine, Recueillements potiques, 1837)

    1. amoindri: ridotto, limitato.2. ce qui sent en lui: la parte

    sensibile, emotiva di s.3. neuve: fresca, giovane.

  • 12 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Comprhension globale1. Lamartine propose ici deux conceptions

    diffrentes de la fonction du pote:Frre, le temps nest plus o jcoutaismon me / Se plaindre et soupirercomme une faible femme (v. 2-3);De son tre souffrant, limpressionprofonde, / Dans sa neuve nergie,absorbe en lui le monde / Et lui cache les maux dautrui (v. 22-24).Choisissez:a. le pote doit surtout sinspirer

    ses sentiments personnelsb. le pote doit ignorer les souffrances

    du mondec. le pote doit devenir linterprte

    des maux dautrui

    2. Par quelles expressions Lamartinecaractrise-t-il les textes potiques de sa premire priode?

    3. Quels sont les thmes dont il veut trelinterprte dornavant?

    Analyse du texte4. Lamartine semble proposer ici

    une nouvelle dfinition du concept de solidarit. Identifiez les expressionsqui le suggrent et expliquez leur sens.

    5. tudiez la faon dont lauteur use destemps verbaux: quelle fonction ont-ils?

    6. Comment appelle-t-il le lecteur? Ce choix est-il cohrent avec le thme du pome?

    7. tudiez le jeu des rimes* et laconstruction de la strophe*: quelle est lasensation suscite par lorganisation desvers dans chaque strophe?

    Odilon Redon, Lil, comme un ballonbizarre se dirige vers linfini, illustration tirede la srie Edgar Allan Poe, 1882 (Paris,Bibliothque Nationale).

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 13

    Victor Hugo(1802-85) vol. B, pp. 44-47

    t4La Prface des Misrables

    galement un formidable succspopulaire.Dans la prface* du roman, Hugojustifie sa dmarche en dnonant la socit tout entire. Cest la phaseultime de la lente volution qui laconduit du soutien des Bourbons lorsde la Restauration au militantismerpublicain de la dernire priode.

    Le roman historique de la maturit de Victor Hugo prsente une intrigue*trs complique et souventmlodramatique, mais cest unegrande fresque sociale nourrie dun souffle pique* qui simposecomme une dnonciation de la misreet de linjustice. sa parution il suscita un norme scandale mais

    TTant quil existera, par le fait des lois et des murs, une damnation sociale crant arti-ficiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant dune fatalit humaine ladestine qui est divine; tant que les trois problmes du sicle, la dgradation de lhomme parle proltariat, la dchance1 de la femme par la faim, latrophie2 de lenfant par la nuit3, neseront pas rsolus; tant que, dans de certaines rgions, lasphyxie sociale sera possible; endautres termes, et un point de vue plus tendu encore, tant quil y aura sur la terre igno-rance et misre, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas tre inutiles.

    Victor Hugo, Hauteville-House, 1er janvier 1862.

    (V. Hugo, Prface aux Misrables, 1862)

    5

    1. dchance: avvilimento, miseria.2. atrophie: arresto dello sviluppo, deperimento.

    3. la nuit: le forze del male. In Hugo, la notterappresenta sempre simbolicamente il male.

    Comprhension globale1. Cherchez dans le dictionnaire

    la dfinition du mot prface*.

    2. Soulignez les mots-cls et dfinissez la fonction de lcrivain selon Hugo.

    3. Quels sont les trois problmes du sicleque lauteur souligne?

    Analyse du texte4. La structure priodique de ce texte

    est sensible dans le rythme* adopt par lauteur. Cherchez llment rptitifqui lui permet dobtenir cet effet.

    5. Quelle est la sensation provoque par la brivet de la propositionprincipale finale?

    6. Quelle porte cette prface* donne-t-elleau roman quelle prsente?

    Honor Daumier, Les Mendiants, 1845 (Washington, National Gallery).

  • 14 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    mile Zola (1840-1902) vol. B, pp. 134-138

    M

    t5Jaccuse

    des preuves qui ne seront pasacceptes par le tribunal militaire: le vrai coupable, le commandantEsterhazy, sera acquitt. Cest aprs cet acquittement scandaleux que Zolaadresse son pamphlet* au prsident de la Rpublique Flix Faure: il accusepubliquement un certain nombre de hauts grads militaires davoircommis de graves infractions pourprotger le coupable. Ce nest quen1906 que Dreyfus est reconnu innocentet rintgr dans larme. Le choix dextraits qui suit permet de prendre connaissance de la faondont Zola assume ses responsabilits.

    Jaccuse est une lettre ouverte publiepar Zola le 13 janvier 1898 dans lejournal LAurore au temps delaffaire Dreyfus. Cet vnement, qui aeu des retentissements dans lEuropeentire, tait le symptme de lantismitisme qui avait gagndivers secteurs de larme et de la socit franaise.Le 15 octobre 1894 le capitaine juifAlfred Dreyfus est accus despionnageau profit de lAllemagne et arrt.Condamn par un conseil de guerre, il est dport au bagne de lle duDiable en Guyane. Les dfenseurs de lofficier se mobilisent et prsentent

    Monsieur le Prsident,Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil que vous mavez fait

    un jour, davoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre toile, si heureuse jus-quici, est menace de la plus honteuse, de la plus ineffaable des taches? []Mais quelle tache de boue sur votre nom jallais dire sur votre rgne que cette abomi-nable affaire Dreyfus! Un conseil de guerre vient, par ordre1, doser acquitter un Esterhazy,soufflet2 suprme toute vrit, toute justice. Et cest fini, la France a sur la joue cettesouillure, lhistoire crira que cest sous votre prsidence quun tel crime social a pu trecommis. Puisquils ont os, joserai aussi, moi. La vrit, je la dirai, car jai promis de la dire, si la jus-tice, rgulirement saisie, ne la faisait pas, pleine et entire. Mon devoir est de parler, je neveux pas tre complice. Mes nuits seraient hantes par le spectre de linnocent qui expie l-bas3, dans la plus affreuse des tortures, un crime quil na pas commis. Et cest vous, Monsieur le Prsident, que je la crierai, cette vrit, de toute la force de marvolte dhonnte homme. Pour votre honneur, je suis convaincu que vous lignorez. Et quidonc dnoncerai-je la tourbe malfaisante des vrais coupables, si ce nest vous, le premiermagistrat du pays? []Cette vrit, cette justice, que nous avons si passionnment voulues, quelle dtresse lesvoir ainsi souffletes, plus mconnues et plus obscurcies! [] Telle est donc la simple vrit, Monsieur le Prsident, et elle est effroyable, elle resterapour votre prsidence une souillure. Je me doute bien que vous navez aucun pouvoir encette affaire, que vous tes le prisonnier de la Constitution et de votre entourage. Vous nenavez pas moins un devoir dhomme, auquel vous songerez, et que vous remplirez. Ce nestpas, dailleurs, que je dsespre le moins du monde du triomphe. Je le rpte avec une cer-titude plus vhmente: la vrit est en marche et rien ne larrtera. Cest daujourdhui seu-lement que laffaire commence, puisque aujourdhui seulement les positions sont nettes:

    5

    10

    15

    20

    25

    1. par ordre: per ordini superiori.2. soufflet: schiaffo, oltraggio.

    3. l-bas: lle du Diable in Guiana.

  • Comprhension globale1. Reprez les indices qui permettent de reconnatre que ce texte est une lettre ouverte.

    2. Qui est le destinataire de la lettre?

    3. Y a-t-il des destinataires qui ne sont pas nomms explicitement?

    4. Zola accuse-t-il le prsident dtre un complice du crime?

    5. Au nom de quels principes Zola prend-il aussi fermement position? a. amour de la vritb. refus de la xnophobiec. reconnaissance de la justiced. respect de la hirarchie et du principe dautorite. courage daffirmer ses idesf. respect des biensancesg. responsabilit

    6. Quel est le souhait final quil exprime?

    Analyse du texte7. Le ton de la lettre est fortement rhtorique* et dclamatoire: sur la base de quels indices

    peut-on laffirmer? (Par exemple lemploi de lapostrophe Monsieur le Prsident).Continuez votre recherche.

    8. Reprez les mots-cls du plaidoyer de Zola.

    9. Deux champs lexicaux* sont prsents: lun renvoie la notion de crime, lautre la notion de principes thiques. Reprez les noms qui relvent de lun et de lautre et compltez le tableau ci-dessous:

    Crime Principes thiques

    10. Les phrases finales expriment lide que Zola se fait de lintellectuel et de sa fonction.Essayez de les expliciter.

    Atelier dcriture Rdigez une lettre ouverte destine la presse sur un thme (tel que racisme et/ouxnophobie) o vous dnoncerez un vnement qui a provoqu votre indignation.

    1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 15

    dune part, les coupables qui ne veulent pas que la lumire se fasse; de lautre, les justiciersqui donneront leur vie pour quelle soit faite. Je lai dit ailleurs, et je le rpte ici: quand onenferme la vrit sous terre, elle sy amasse, elle y prend une force telle dexplosion, que, lejour o elle clate, elle fait tout sauter avec elle. On verra bien si lon ne vient pas de pr-parer, pour plus tard, le plus retentissant des dsastres. Je nai quune passion, celle de la lumire, au nom de lhumanit qui a tant souffert et qui adroit au bonheur. Ma protestation enflamme nest que le cri de mon me. Quon ose doncme traduire en cour dassises et que lenqute ait lieu au grand jour! Jattends. Veuillez agrer, Monsieur le Prsident, lassurance de mon profond respect. mile Zola

    (. Zola, Jaccuse, LAurore, 13 janvier 1898)

    30

    35

  • S16 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Sur mes cahiers dcolierSur mon pupitre et les arbres

    Sur le sable de neigeJcris ton nom

    5 Sur les pages luesSur toutes les pages blanchesPierre sang papier ou cendreJcris ton nom

    Sur les images dores10 Sur les armes des guerriers

    Sur la couronne des roisJcris ton nom

    Sur la jungle et le dsertSur les nids sur les gents1

    15 Sur lcho de mon enfanceJcris ton nom

    Sur tous mes chiffons dazurSur ltang soleil moisi2

    Sur le lac lune vivante20 Jcris ton nom

    Sur les champs sur lhorizonSur les ailes des oiseauxEt sur le moulin des ombresJcris ton nom

    25 Sur chaque bouffe dauroreSur la mer sur les bateauxSur la montagne dmente3

    Jcris ton nom

    Sur la mousse des nuages30 Sur les sueurs de lorage

    Sur la pluie paisse et fade4

    Jcris ton nom

    Sur les formes scintillantesSur les cloches des couleurs

    35 Sur la vrit physiqueJcris ton nom

    Sur les sentiers veillsSur les routes dployesSur les places qui dbordent

    40 Jcris ton nom

    Sur la lampe qui sallumeSur la lampe qui steintSur mes maisons runiesJcris ton nom

    45 Sur le fruit coup en deuxDu miroir et de ma chambreSur mon lit coquille videJcris ton nom

    1. gents: ginestre.2. moisi: ammuffito (allusione allimmagine del sole

    che si rispecchia nelle acque stagnanti).

    3. dmente: demente (richiama la follia dellevette che si slanciano nel vuoto).

    4. pluie paisse et fade: pioggia fitta e monotona.

    Paul Eluard(1895-1952) vol. B, pp. 213-214

    t6Libert

    premire fut tisse clandestinementpendant la guerre, et le peintreFernand Lger en donna uneillustration sous forme de pome-objet*dpliant. La premire dition dans la revue Fontaine donna lieu unquiproquo* cocasse avec les censeursnazis. Ceux-ci nayant pas lu le pomejusquau bout (le titre ayant t rajoutpostrieurement), donnrent leurimprimatur en sexclamant Ah! Ces franais, toujours lamour, toujourslamour! (souvenirs de Max-PolFouchet, directeur de la revueFontaine).

    Eluard attribuait ce pome, dont letitre initial tait Une seule pense, laqualit de pome de circonstance.Compos sous lOccupation allemandeet trs tt diffus dans la clandestinit,il souleva immdiatementlenthousiasme de ses premiers lecteurs.Il fut imprim sous forme de tract et laR.A.F. (laviation de guerre anglaise) enlana des milliers dexemplaires danstoute la France. Le compositeur FrancisPoulenc sen servit pour composer unecantate (Figure humaine). Lartiste JeanLurat composa deux cartons pour destapisseries dAubusson, dont la

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 17

    Comprhension globale1. Dans le dictionnaire le mot litanie est

    dfini: longue numration*.Comment ce pome peut-il tre rattach cette dfinition?

    2. Examinez la liste des lments sur lesquels le pote crit le nom de la libert. Que reprsentent-ils dans leur ensemble?

    3. La libert est le mot final; quel sensdonne-t-elle tout ce qui prcde?

    4. Le titre du pome a t chang: Uneseule pense est devenu Libert. Tenantcompte de la situation dans laquelle il at compos, comment pouvez-vousexpliquer et commenter ce changementde titre?

    5. Quindique la mprise du censeur nazi propos du genre* et du ton de ce pome?

    Analyse du texte6. Le pome est riche en images

    et mtaphores*. Reprez-les toutes et faites une liste.

    7. Essayez dexpliciter celles qui vousparaissent obscures: Ex. ltang soleilmoisi (v. 18). Pourquoi ltang est-ilassimil un soleil moisi? Il vous fautrechercher dans un dictionnairemonolingue les diffrents sens des motspour trouver le lien possible entre les deux lments de la mtaphore*.

    8. On appelle posie militante celle quitransmet des messages politiques forts et intervient sur une ralit conflictuelle.Peut-on parler de posie militante propos de ce pome? Justifiez votrerponse par des analyses du texte.

    9. Comment interprtez-vous la dnomination de pome de circonstance utilise par Eluard?

    Atelier dcritureSur le modle de Libert (Sur / Sur /Sur / Jcris) crivez un pome sur unthme de votre choix: amour, amiti ouautre.

    Sur mon chien gourmand et tendre50 Sur ses oreilles dresses

    Sur sa patte maladroiteJcris ton nom

    Sur le tremplin de ma porteSur les objets familiers

    55 Sur le flot du feu bniJcris ton nom

    Sur toute chair accordeSur le front de mes amisSur chaque main qui se tend

    60 Jcris ton nom

    Sur la vitre des surprisesSur les lvres attendriesBien au-dessus du silenceJcris ton nom

    65 Sur mes refuges dtruitsSur mes phares crouls

    Sur les murs de mon ennuiJcris ton nom

    Sur labsence sans dsir70 Sur la solitude nue

    Sur les marches de la mortJcris ton nom

    Sur la sant revenueSur le risque disparu

    75 Sur lespoir sans souvenirJcris ton nom

    Et par le pouvoir dun motJe recommence ma vieJe suis n pour te connatre

    80 Pour te nommer

    Libert.

    (P. Eluard, Posie et vrit, 1942)

  • 18 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Jean-Paul Sartre(1905-80) vol. B, pp. 290-296

    D

    t7Quest-ce que la littrature?

    son uvre comme dgage des contraintes et des problmatiquesde cette situation spcifique. Il penseque lcrivain ne peut ignorer les problmes sociaux et politiques de son temps et il le considre mme,dans son ventuel oubli, aussiresponsable des maux de son poqueque ceux qui les ont provoqus.

    Dans Situations (1947-76), ouvrage qui regroupe des essais* littraires et politiques, Sartre crit un texte dontle titre Quest-ce que la littrature?nous fait part de son interrogation sur lorigine, la fonction et la structurede luvre littraire. Il considre que lcrivain, qui vit et agit dans un contexte donn, ne peut concevoir

    [] ds prsent nous pouvons conclure que lcrivain a choisi de dvoiler le monde etsingulirement lhomme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de lob-

    jet ainsi mis nu leur entire responsabilit. [] La fonction de lcrivain est de faire ensorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne sen puisse dire innocent. Et commeil sest une fois engag dans lunivers du langage, il ne peut plus jamais feindre quil ne sachepas parler: si vous entrez dans lunivers des significations, il ny a plus rien faire pour ensortir; quon laisse les mots sorganiser en libert, ils feront des phrases et chaque phrasecontient le langage tout entier et renvoie tout lunivers; le silence mme se dfinit par rap-port aux mots, comme la pause, en musique, reoit son sens des groupes de notes qui len-tourent. Ce silence est un moment du langage; se taire sur un aspect quelconque du monde,ou selon une locution qui dit bien ce quelle veut dire: de le passer sous silence, on est endroit de lui poser une troisime question: pourquoi as-tu parl de ceci plutt que de cela et puisque tu parles pour changer pourquoi veux-tu changer ceci plutt que cela?

    (J.-P. Sartre, Quest-ce que la littrature?, 1948)

    5

    10

    Comprhension globale1. Pour Sartre, la fonction de lcrivain est

    de faire en sorte que...

    2. Prcisez le sens du mot innocenttel quil est utilis dans ce contexte*. Voil quelques dfinitions proposes par le dictionnaire: pas mchant / pas dangereux / pas coupable / pur /irresponsable / candide / crdule /inoffensif / bnin / irrprhensible.

    3. Reprez les phrases o Sartres parle de la fonction de lcrivain et expliquezquelle responsabilit il lui attribue.

    4. Quelle analogie* avec la musique tablit-il, propos du silence?

    5. Pourquoi as-tu parl de ceci plutt quede cela? [] pourquoi veux-tu changerceci plutt que cela? (l. 12-13), Sartreparle ici de la responsabilit des lecteurs.Quel est leur rle? Choisissez entre

    les options suivantes:a. contrler la production de lcrivainb. oprer une sorte de censurec. se confronter avec lcrivaind. stimuler lauteur largir ses horizonse. lui rappeler sa responsabilit

    Analyse du texte6. Cet extrait est un texte argumentatif*.

    Reprez thse, arguments* et articulations logiques.

    7. Selon Sartre le silence est aussi lourd de consquences que la parole. Reprezles phrases o il exprime cette notion.

    8. Expliquez lexpression de Sartre[lcrivain] parle pour changer (l. 13)et trouvez le rapport avec la notion delittrature militante propose pour laposie Libert dEluard (voir p. 16).

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 19

    Eugne Ionesco(1912-94) p. 123

    B

    t8Lhomme... Ne prononcez plus ce mot!

    lexception de Brenger qui tente de sauver la libert et dchapper labdication de sa volont libre. Dans la ville, la rhinocrite gagne peu peu. Brenger, venu annoncer Jean la contamination dun de leurscollgues, M. Buf, constate que son ami devient de plus en plus vert.

    En 1959 Ionesco prsente la piceRhinocros, o il dnonce tous les totalitarismes, hystries collectives,soutenues ou non philosophiquement,et dont des peuples entiers deviennentpriodiquement la proie. Tous les habitants dune ville se transforment en rhinocros,

    BRENGER Laissez-moi appeler le mdecin, tout de mme, je vous en prie.JEAN Je vous linterdis absolument. Je naime pas les gens ttus [Jean entre dans la

    chambre. Brenger recule un peu effray, car Jean est encore plus vert, et il parle avecbeaucoup de peine. Sa voix est mconnaissable.] Et alors, sil est devenu rhinocros deplein gr ou contre sa volont, a vaut peut-tre mieux pour lui. BRENGER Que dites-vous l, cher ami? Comment pouvez-vous penserJEAN Vous voyez le mal partout. Puisque a lui fait plaisir de devenir rhinocros, puisque alui fait plaisir! Il ny a rien dextraordinaire cela.BRENGER videmment, il ny a rien dextraordinaire cela. Pourtant, je doute que a luifasse tellement plaisir. JEAN Et pourquoi donc? BRENGER Il mest difficile de dire pourquoi. a se comprend.JEAN Je vous dis que ce nest pas si mal que a! Aprs tout, les rhinocros sont des craturescomme nous, qui ont droit la vie au mme titre que nous!BRENGER condition quelles ne dtruisent pas la ntre. Vous rendez-vous compte de la dif-frence de mentalit?JEAN [Allant et venant dans la pice, entrant dans la salle de bains, et sortant] Pensez-vous que la ntre soit prfrable?BRENGER Tout de mme, nous avons notre morale nous, que je juge incompatible aveccelle de ces animaux. JEAN La morale! Parlons-en de la morale, jen ai assez de la morale, elle est belle la morale! Ilfaut dpasser la morale.BRENGER Que mettriez-vous la place? JEAN [Mme jeu] La nature! BRENGER La nature? JEAN [Mme jeu] La nature a ses lois. La morale est antinaturelle. BRENGER Si je comprends, vous voulez remplacer la loi morale par la loi de la jungle! JEAN Jy vivrai, jy vivrai. BRENGER Cela se dit. Mais dans le fond, personne... JEAN, [Linterrompant, et allant et venant] Il faut reconstituer les fondements de notre vie.Il faut retourner lintgrit primordiale. BRENGER Je ne suis pas du tout daccord avec vous. JEAN [Soufflant bruyamment] Je veux respirer. BRENGER Rflchissez, voyons, vous vous rendez bien compte que nous avons une philoso-phie que ces animaux nont pas, un systme de valeurs irremplaable. Des sicles de civili-sation humaine lont bti!JEAN [Toujours dans la salle de bains] Dmolissons tout cela, on sen portera mieux. BRENGER Je ne vous prends pas au srieux. Vous plaisantez, vous faites de la posie.

    5

    10

    15

    20

    25

    30

    35

  • 20 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    JEAN Brrr... [Il barrit presque.] BRENGER Je ne savais pas que vous tiez pote. JEAN [Il sort de la salle de bains.] Brrr... [Il barrit de nouveau.]BRENGER Je vous connais trop bien pour croire que cest l votre pense profonde. Car, vousle savez aussi bien que moi, lhomme...JEAN [Linterrompant] Lhomme... Ne prononcez plus ce mot!BRENGER Je veux dire ltre humain, lhumanismeJEAN Lhumanisme est prim1! Vous tes un vieux sentimental ridicule [Il entre dans lasalle de bains.]BRENGER Enfin, tout de mme, lesprit... JEAN [Dans la salle de bains] Des clichs! vous me racontez des btises.BRENGER Des btises!JEAN [De la salle de bains, dune voix trs rauque difficilement comprhensible]Absolument.BRENGER Je suis tonn de vous entendre dire cela, mon cher Jean! Perdez-vous la tte?Enfin, aimeriez-vous tre rhinocros?

    1. prim: superato, morto.

    40

    45

    50

    Salvador Dal avec rhinocros, 1956-81, photographie de Philippe Halsman.

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 21

    Comprhension globale1. Faites une brve synthse de ce qui se passe dans cette scne.

    2. Jean et Brenger reprsentent respectivement le conformisme sopposant au dsir de libert. Par quels arguments* chacun dfend-il son point de vue*? Remplissez le tableau ci-dessous avec des citations de lextrait:

    Jean Brenger

    3. Lopposition Jean/Brenger peut aussi tre lue comme une autre manifestation du conflitnature/culture. Qui reprsente la nature et pourquoi? Et qui la culture?

    4. Le thme du totalitarisme et de la socit de masse est prsent dans lensemble de la scne: reprez ses manifestations dans les mots des personnages.

    5. La victoire finale est incertaine. Pensez-vous que Brenger russira rsister la rhinocrite?

    Analyse du texte6. Quel est le rle des didascalies*?

    7. tudiez les effets de contraste entre le langage articul et les cris inarticuls.

    8. Thtre didactique* est la dfinition dun type de thtre qui se propose de transmettreun message pdagogique et dduquer le public. Peut-on parler ici de thtre didactique*?

    largissementLa massification, le conformisme et la difficult de choisir librement sa vie sont parmi les risques principaux de notre poque: cest le thme central de cette scne. Cherchez dans les autres textes de cette unit le fil rouge de cette problmatique et organisez un dbatsur ce thme.

    JEAN Pourquoi pas! Je nai pas vos prjugs. BRENGER Parlez plus distinctement. Je ne comprends pas. Vous articulez mal. JEAN [Toujours de la salle de bains] Ouvrez vos oreilles!BRENGER Comment?JEAN Ouvrez vos oreilles. Jai dit, pourquoi ne pas tre un rhinocros? Jaime les change-ments. BRENGER De telles affirmations venant de votre part... [Brenger sinterrompt, car Jeanfait une apparition effrayante. En effet, Jean est devenu tout fait vert. La bosse deson front est presque devenue une corne de rhinocros.] Oh! vous semblez vraimentperdre la tte [Jean se prcipite vers son lit, jette les couvertures par terre, prononcedes paroles furieuses et incomprhensibles, fait entendre des sons inous.] Mais nesoyez pas si furieux, calmez-vous! Je ne vous reconnais plus.

    (E. Ionesco, Rhinocros, Acte II, Tableau 2, 1959)

    55

    60

    65

  • 22 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Un long combatpour la Libert

    Ds le XVIe sicle, laube des temps modernes, les crivains commencent examiner lesconditions dans lesquelles la notion de libert peut concrtement prendre forme dans laralit sociale et politique. Ils sinterrogent donc sur les critres de type moral permettantde diffrencier le tyran du bon roi. Rabelais, en ridiculisant dans son roman Gargantua letyran Picrochole, montre les ravages que peut produire un pouvoir qui se moque de toutesles recommandations concernant ltre humain, considr comme un tre libre. Gargantuapropose le modle dun pouvoir juste et bon, garant des liberts publiques. Au XVIIIe sicle,autour de lEncyclopdie, une rflexion de type politique voit le jour. Son influence grandis-sante conduit aux bouleversements de la Rvolution qui met fin lAncien Rgime. Tousceux quon a lhabitude de ranger sous la rubrique des philosophes du sicle desLumires (Montesquieu, Diderot, Voltaire, Rousseau) ont particip ce dbat.

    1.3

    Montesquieu(1689-1755) vol. A, pp. 270-273

    I

    t9Diverses significations donnes au mot de libert

    De plus il montre que toute enqutehistorique srieuse doit sappuyer surles sciences humaines, lconomie, la dmographie.Dans lextrait suivant, Montesquieuprcise les diffrentes significationsattribues la notion de libert.

    Dans LEsprit des lois, Montesquieudfinit les lois gnrales qui expliquentles lois effectives des diffrents pays du monde. Il y dveloppe les thses de la sparation des pouvoirs et de la variabilit des lois selon le climat, le gouvernement, les usagessociaux et culturels, la religion.

    Il ny a point de mot qui ait reu plus de diffrentes significations, et qui ait frapp lesesprits de tant de manires, que celui de libert. Les uns lont pris pour la facilit de

    dposer1 celui qui ils avaient donn un pouvoir tyrannique; les autres, pour la facult dli-re celui qui ils devaient obir; dautres, pour le droit dtre arms, et de pouvoir exercer laviolence; ceux-ci, pour le privilge de ntre gouverns que par un homme de leur nation, oupar leurs propres lois. Certain2 peuple a longtemps pris la libert pour lusage de porter unelongue barbe3. Ceux-ci ont attach ce nom une forme de gouvernement, et en ont exclules autres. Ceux qui avaient got du gouvernement rpublicain4 lont mise dans ce gouver-nement; ceux qui avaient joui du gouvernement monarchique lont place dans la monar-chie5. Enfin chacun a appel libert le gouvernement qui tait conforme ses coutumes ou ses inclinations.

    (Montesquieu, LEsprit des lois, 1748)

    5

    10

    1. dposer: deporre.2. Certain: qualche.3. longue barbe: allusione ai russi, che non

    potevano sopportare che lo zar Pietro imponesseloro di tagliare la barba.

    4. gouvernement rpublicain: riferimento alla

    Roma antica e alletimologia della parolarepubblica (res publica).

    5. monarchie: gli abitanti della Cappadociarifiutarono lo stato repubblicano offerto loro dai Romani.

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 23

    I

    t10Ce que cest que la libert

    Dans cet extrait, Montesquieu prcisepar contre ce quil faut entendre par libert, le sens quil faut donner ce mot.

    Il est vrai que dans les dmocraties lepeuple parat faire ce quil veut; mais la

    libert politique ne consiste point faire ceque lon veut. Dans un tat, cest--diredans une socit o il y a des lois, la libertne peut consister qu pouvoir faire ce quelon doit vouloir, et ntre point contraintde faire ce que lon ne doit pas vouloir.

    Il faut se mettre dans lesprit ce quecest que lindpendance, et ce que cestque la libert. La libert est le droit de fairetout ce que les lois permettent; et si uncitoyen pouvait faire ce quelles dfendent,il naurait plus de libert parce que lesautres auraient tout de mme ce pouvoir.

    (Montesquieu, LEsprit des lois, 1748)

    5

    10

    15

    Comprhension globale1. Quel est le thme gnral trait

    dans ces deux extraits?

    2. De quel type de textes sagit-il?

    Analyse du texte3. Reprez dans le premier extrait (t9)

    la thse et les arguments*.

    4. Reprez toutes les formes de libertrappeles par Montesquieu.

    5. Le relativisme du concept de libert est une ide-cl, trs moderne dailleurs,de Montesquieu. Quel est le procdrhtorique* quil emploie pour la suggrer de manire forte?

    6. Dans le deuxime extrait (t10),Montesquieu dfinit sa notion de libert.noncez-la et expliquez loppositionlibert/indpendance sur laquelle il fondesa conclusion.

    7. Comment dfiniriez-vous son discours?Polmique, didactique*, ironique ou encore autre? Justifiez votre choix.

    largissementMontesquieu met en relation libert et respect des rgles. votre avis cetteaffirmation est-elle encore actuelle et valable?Recherchez dans votre exprience actuelle de la vie scolaire et sociale des exemples pour soutenir cette thse.

    Atelier dcriture1. Construisez un texte argumentatif*

    lappui de la thse que le concept de libert est relatif.

    2. Dressez une sorte dinventaire de vos ides de libert.Ex. Pour moi, la libert cestRegroupez ensuite vos affirmations dansdes rubriques diffrentes par exemplela libert de shabiller comme on veutrelve du domaine de lindividu, le droitde vote du domaine politique etc.Par la suite, confrontez avec voscamarades les listes obtenues.

    Tableau dcole franaise, Montesquieu, 1728(Versailles, Muse National du Chteau).

  • 24 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Voltaire (1694-1778) vol. A, pp. 287-295

    T

    t11Libert et galit

    toucher un public plus vaste que celuidu modle duquel il sest inspir. Il aborde de nombreux sujets dordreesthtique*, moral, religieux oupolitique. Dans larticle galit, il dveloppe une conception de lalibert qui le rattache lidologiebourgeoise, engage dans le combatrvolutionnaire contre les privilgesdes aristocrates de lAncien Rgime.

    Conu comme une sorte de rsum ou aperu de la grande Encyclopdie, le Dictionnaire philosophique (1764) seprsente comme un dictionnaire o lesmots sont classs par ordre alphabtique.Les dimensions rduites et la formeplus directe au lieu de procder pardes dfinitions, Voltaire se laisse aller exprimer librement ses rflexions devaient, dans lintention de lauteur,

    Tout homme nat avec un penchant assez violent pour la domination, la richesse et lesplaisirs, et avec beaucoup de got pour la paresse; par consquent tout homme voudrait

    avoir largent et les femmes ou les filles des autres, tre leur matre, les assujettir tous sescaprices, et ne rien faire, ou du moins ne faire que des choses trs agrables. Vous voyezbien quavec ces belles dispositions il est aussi impossible que les hommes soient gaux quilest impossible que deux prdicateurs ou deux professeurs de thologie ne soient pas jalouxlun de lautre.Le genre humain, tel quil est, ne peut subsister, moins quil ny ait une infinit dhommesutiles qui ne possdent rien du tout; car, certainement, un homme son aise1 ne quitterapas sa terre pour venir labourer2 la vtre; et, si vous avez besoin dune paire de souliers, ce ne sera pas un matre des requtes3 qui vous lafera. Lgalit est donc la fois la chose la plusnaturelle et en mme temps la plus chimrique.Comme les hommes sont excessifs en tout quandils le peuvent, on a outr4 cette ingalit; on a pr-tendu dans plusieurs pays quil ntait pas permis un citoyen de sortir de la contre o le hasardla fait natre; le sens de cette loi est visiblement:Ce pays est si mauvais et si mal gouvern quenous dfendons chaque individu den sortir,de peur que tout le monde nen sorte. Faitesmieux: donnez tous vos sujets envie de demeu-rer chez vous, et aux trangers dy venir.Chaque homme, dans le fond de son cur, a droitde se croire entirement gal aux autres hommes;il ne sensuit pas de l que le cuisinier dun cardi-nal doive ordonner son matre de lui faire dner; mais le cuisinier peut dire: Je suis hommecomme mon matre, je suis n comme lui en pleu-rant; il mourra comme moi dans les mmes

    5

    10

    15

    20

    25

    30

    1. son aise: agiato.2. labourer: arare.3. matre des requtes: magistrato incaricato

    di esaminare i ricorsi. 4. outr: accentuato.

    Frontispice de lEncyclopdie (1751-72).

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 25

    Comprhension globale1. Quel est le thme gnral abord dans ce texte?

    2. De quel type de texte sagit-il?

    3. Quel est le ton gnral des argumentations proposes? Quelles impressions en avez-vous?

    Analyse du texte4. Dgagez le projet adopt par Voltaire dans cet extrait et distinguez les tapes

    de son argumentation (thse, arguments*, conclusion).

    5. Diffrenciez les exemples utiliss par Voltaire. Caractrisez les exemples qui serventdillustration et les exemples argumentatifs:

    Exemples illustratifs Exemples argumentatifs

    6. Soulignez les points o son discours peut tre dfini comme subjectif.

    7. Relevez les marques de lironie de Voltaire. qui sen prend-il?

    8. Quelle est lide de lhomme qui se dgage de cet extrait?Voltaire est-il optimiste ou pessimiste dans sa vision de la socit?

    largissementComparez les textes de Montesquieu et de Voltaire. Lequel vous parat-il le plus convaincant?Expliquez les motifs de votre rponse, en vous basant sur des lments dordre formel et de contenu.

    angoisses et les mmes crmonies. Nous faisons tous les deux les mmes fonctions ani-males. Si les Turcs semparent de Rome, et si alors je suis cardinal et mon matre cuisinier,je le prendrai mon service. Tout ce discours est raisonnable et juste; mais, en attendantque le Grand Turc5 sempare de Rome, le cuisinier doit faire son devoir, ou toute socithumaine est pervertie6. lgard dun homme qui nest ni cuisinier dun cardinal ni revtu daucune autre chargedans ltat, lgard dun particulier qui ne tient rien, mais qui est fch dtre reu par-tout avec lair de la protection ou du mpris, qui voit videmment que plusieurs monsignorsnont ni plus de science, ni plus desprit, ni plus de vertu que lui, et qui sennuie dtre quel-quefois dans leur antichambre, quel parti doit-il prendre? Celui de sen aller.

    (Voltaire, Dictionnaire philosophique, article galit, 1764)

    35

    5. Grand Turc: il sultano turco. 6. pervertie: snaturata.

  • 26 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Denis Diderot(1713-84) vol. A, pp. 306-310

    A

    t12Pouvoir monarchique et libert

    du XVIIe sicle. Il sagit de dmontrerque la source de lautorit est la volont des individus qui ont dcidpar contrat de sunir en socit. Cetteconception ruine le principe de droitdivin. Dautre part, la diffrence de lautorit paternelle, cette autoritnest plus un fait de nature. Diderotcontribue limiter de fait le pouvoirmonarchique: les sujets conserventcertains droits inalinables, puisque le pouvoir, nayant pas son fondementdans la nature, ne peut les dtruire.Au contraire, le contrat a pour but degarantir ces droits parmi lesquels onpeut ranger la libert et la proprit.

    LEncyclopdie (1751-72) nat commeun rpertoire moderne du savoirhumain, mais bientt le projet prendlampleur dune critique dirige contreles prjugs et les croyances de lpoque.Dans larticle Autorit politique Diderotattaque les deux principes sur lesquelsse fonde le pouvoir de lAncien Rgime:dune part lautorit royale tait fondesur la volont divine et dautre part cepouvoir tait assimil au pouvoirpaternel. Diderot rsume dans cetarticle de lEncyclopdie des thoriesqui avaient t dveloppes en Angleterre et en Allemagne au cours

    Aucun homme na reu de la nature le droit de commander aux autres. La libert est unprsent1 du Ciel, et chaque individu de la mme espce a le droit den jouir aussitt quil

    jouit de la raison. Si la nature a tabli quelque autorit, cest la puissance paternelle: maisla puissance paternelle a ses bornes2; et dans ltat de nature, elle finirait aussitt que lesenfants seraient en tat de se conduire3. Toute autre autorit vient dune autre origine quela nature. Quon examine bien et on la fera toujours remonter lune de ces deux sources:ou la force et la violence de celui qui sen est empar; ou le consentement de ceux qui sysont soumis par un contrat fait ou suppos entre eux et celui qui ils ont dfr4 lautorit. La puissance qui sacquiert par la violence nest quune usurpation et ne dure quautant quela force de celui qui commande lemporte sur celle de ceux qui obissent; en sorte que, sices derniers deviennent leur tour les plus forts, et quils secouent le joug5, ils le font avecautant de droit et de justice que lautre qui le leur avait impos. La mme loi qui a fait lau-torit la dfait alors; cest la loi du plus fort. Quelquefois, lautorit qui stablit par la violence change de nature; cest lorsquelle conti-nue et se maintient du consentement exprs6 de ceux quon a soumis: mais elle rentre parl dans la seconde espce dont je vais parler et celui qui se ltait arroge7 devenant alorsprince cesse dtre tyran.La puissance, qui vient du consentement des peuples, suppose ncessairement des condi-tions qui en rendent lusage lgitime, utile la socit, avantageux la rpublique, et qui lafixent et la restreignent8 entre des limites; car lhomme ne doit ni ne peut se donner enti-rement et sans rserve un autre homme, parce quil a un matre suprieur au-dessus detout, qui seul il appartient tout entier. Cest Dieu...Dailleurs le gouvernement, quoique hrditaire dans une famille, et mis entre les mains dunseul, nest pas un bien particulier9, mais un bien public, qui par consquent ne peut jamais

    5

    10

    15

    20

    1. prsent: dono.2. bornes: limiti.3. se conduire: comportarsi secondo le regole.4. dfr: ceduto. 5. joug: giogo (in senso figurato).

    6. du consentement exprs: con il consensoesplicito.

    7. se ltait arroge: se ne era appropriato.8. restreignent: limitano.9. particulier: personale, individuale.

  • 1 LA CONDITION HUMAINE ENTRE LIBERT ET RESPONSABILIT 27

    tre enlev au peuple, qui seul il appartient essentiellement et en pleine proprit. Aussiest-ce toujours lui qui en fait le bail10: il intervient toujours dans le contrat qui en adjuge11

    lexercice. [...] Celui qui porte la couronne peut bien sen dcharger absolument sil le veut:mais il ne peut la remettre sur la tte dun autre sans le consentement de la nation qui lamise sur la sienne. En un mot, la couronne, le gouvernement, et lautorit publique sont desbiens dont le corps de la nation est propritaire, et dont les princes sont les usufruitiers12,les ministres et les dpositaires.

    (D. Diderot, Encyclopdie, article Autorit politique, 1751-72)

    10. en fait le bail: lo aliena temporaneamente con un contratto.

    11. adjuge: attribuisce.12. usufruitiers: usufruttuari.

    Comprhension globale1. Quel est le thme abord dans cet

    extrait?

    2. Pour chaque paragraphe, proposez votrersum de lide-cl.

    3. Comment dfiniriez-vous ce type de texte? Descriptif* / narratif /argumentatif* / prescriptif* etc.

    Analyse du texte4. Reprez dans chaque paragraphe

    les arguments* proposs par Diderot.

    De quel type darguments* sagit-il?Choisissez parmi les options suivantes:logiques / par analogie* / dautorit.

    5. Reconstruisez la progression du raisonnement travers lequel Diderot dtruit les fondements de la monarchie de droit divin.

    6. Prcisez la signification du mot contrat.

    7. Prcisez la faon dont Diderot envisagela notion de libert.

    Jean-JacquesRousseau(1712-78) vol. A, pp. 314-320

    t13Proprit et perte de la libert originelle

    la deuxime partie de son discoursRousseau tente dexpliquer commentsest opre la perte de la libert et comment sest instaure une socitingalitaire o lhomme naturel a perdu lessentiel de ses droits et de ses qualits. Rousseau reconstitueainsi une histoire du genre humain et il en reconstruit les tapesessentielles. Dans lextrait suivant il voque une des tapes ultimes o lhumanit a pu goter un bonheurirrmdiablement perdu.

    Le Discours, do est tire cette page de Rousseau, a t compos en 1755pour rpondre la question proposepar une socit de gens de lettres et de savants, lAcadmie de Dijon, savoir: quelle est lorigine delingalit parmi les hommes, et si elle est autorise par la loinaturelle. La rponse de Rousseauobtient le premier prix.Aprs avoir peint ltat de bonheurabsolu de lhomme ltat de nature,jouissant dune libert totale, dans

    25

    30

  • 28 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    TTant que les hommes se contentrent de leurs cabanes rustiques, tant quils se born-rent coudre leurs habits de peaux avec des pines ou des artes1, se parer de plumeset de coquillages, se peindre le corps de diverses couleurs, perfectionner ou embellirleurs arcs et leurs flches, tailler avec des pierres tranchantes quelques canots depcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant quils ne sappli-qurent qu des ouvrages quun seul pouvait faire, et des arts qui navaient pas besoin duconcours de plusieurs mains, ils vcurent libres, sains, bons et heureux autant quils pou-vaient ltre par leur nature, et continurent jouir entre eux des douceurs dun commer-ce2 indpendant; mais ds linstantquun homme eut besoin dusecours dun autre; ds quonsaperut quil tait utile un seuldavoir des provisions pour deux,lgalit disparut, la proprit sin-troduisit, le travail devint ncessai-re et les vastes forts se chang-rent en des campagnes riantes quilfallut arroser de la sueur deshommes, et dans lesquelles on vitbientt lesclavage et la misre ger-mer et crotre avec les moissons.

    (J.-J- Rousseau, Discours sur lorigine et les fondements

    de lingalit parmi les hommes, 1755)

    5

    10

    15

    20

    Comprhension globale1. Rousseau dcrit lhomme sauvage ltat

    de nature. Quelles taient ses activits?Et son organisation sociale?

    2. Il utilise quatre adjectifs pour dfinir cet homme: lesquels?

    3. Avec quelles expressions, la fin de lextrait, dfinit-il, par contre, la vie dans la socit ingalitaire?

    4. Quel est lvnement quil pose commecause du changement?

    Analyse du texte5. Comment Rousseau tablit-il le lien entre

    proprit et perte de la libert? Quelssont les principaux concepts mis en jeu?

    6. Ce que Rousseau soutient est lerenversement du rapport traditionnel

    nature/culture. Voltaire crivit Rousseau une lettre o il affirmait, propos de ce texte: il prend enviede marcher quatre pattes. Que pensez-vous de cette affirmation?

    largissement1. Confrontez lextrait de Rousseau avec

    celui de Voltaire qui prcde. Quellessont les diffrences entre les deuxphilosophes pour ce qui concerne lidedgalit?

    2. Essayez de reprendre le thme du conflitnature/culture tel quil se manifeste dansles textes de Rousseau, dites votre pointde vue et essayez dactualiser laproblmatique en la rapportant auxvnements contemporains.

    Jean-Baptiste Regnault, La Libert ou la Mort, 1794-95 (Hambourg, Kunsthalle).

    1. artes: lische.2. commerce: rapporti.

  • Unit 2La conscience

    du tempset la mort

    La consciencedu temps

    Pour tout tre humain, le temps constitue un fait vi-dent puisquon en fait quotidiennement lexprienceet ne ncessite pas de dfinition a priori. Pourtant lanotion est loin dtre aussi simple quelle peut leparatre premire vue. Au temps objectif mesurpar les horloges, soppose un temps subjectif vcupar chaque individu de faon contraste. Une minutepeut paratre dune longueur insupportable alors quele temps ddi une activit qui passionne peutparatre extrmement court.Philosophes et potes ont insist sur langoisse queltre humain prouve partir du moment o il prendconscience que le temps ne peut pas changer dedirection, quil est irrversible et inluctable. Le philo-sophe franais Vladimir Janklvitch (1903-85) faitremarquer que la mort est une dimension essentiellede notre conscience du temps. Faisant cho la for-mule propose par lcrivain Andr Malraux, selonlaquelle lhomme est le seul animal qui sait quil doitmourir, il soumet notre rflexion la proposition sui-vante: cest parce quil peut mourir que lhommepeut penser, souffrir, aimer et avant tout crer. Sil dis-posait dun temps infini, lhomme resterait strile etlaction aurait tt fait de lendormir dans une passi-vit vgtative, pompeusement appele ternit.Mais si la mort, dans labsolu, ne peut donner un sens la vie, elle oblige lhomme sinventer des raisonsde vivre.

    Depuis le Moyen ge, la prise de conscience de la fragilit des tres humains, du caractrephmre de leur existence, a pouss les crivains donner forme aux angoisses et au sen-timent de vanit qui peut saisir les individus face lcoulement du temps. La religionchrtienne a accentu cet aspect pour souligner le contraste entre les ralits terrestresdcevantes, instables, toujours remises en question et les certitudes clestes, garantes devrit et de stabilit. Au XVIIIe sicle, une nouvelle sensibilit se fait jour qui laisse place une conscience individuelle laque: linterrogation sur le temps saccompagne dunerecherche du sens donner la vie et de lexpression dun malaise existentiel. Le mou-vement romantique amplifie cette nouvelle conception et cherche dans la nature la foisle reflet de la destine des hommes (tout est changement) et limage de lindiffrence (lanature est ternel recommencement) ressentie avec amertume.Au XXe sicle, lcrivain Marcel Proust a su faire du temps la matire mme de sa crationromanesque en marquant durablement la sensibilit de tous les artistes qui lont suivi.

    Textes et auteurs2.1

    DANS LES DICTIONNAIRES TYMOLOGIQUES

    temps, emprunt au latin tempus, qui signifie espace

    de temps, apparat au Xe sicle. Ds les premiers

    textes, le mot cumule les deux valeurs des mots latins

    tempus et aevus, linstant et la dure.

    mort est issu ds le IXe sicle du latin mors. Le pre

    mier

    sens est celui de cessation de la vie humaine. Depuis

    le XVIIe sicle, il exprime aussi lide plus gnrale

    et abstraite de dclin.

    EN FEUILLETANT LES DICTIONNAIRES

    temps nom masculin: le milieu indfini o paraissent

    se drouler les existences dans leur changement, les

    vnements et les phnomnes dans leur succession.

    mort nom fminin: 1 (sens propre) larrt des

    fonctions de ltre vivant 2(sens figur) fin,

    loignement, privation.

  • 30 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Franois Villon(1431 - aprs 1463) vol. A, p. 98

    D

    t14Ballade des dames du temps jadis

    des numrations. En utilisant cetteforme, Villon ne cherche pas innover,mais il joue avec la contrainte en entrecoupant la longue litanie de noms et de remarques piquantes.Cette ballade* a t popularise au XXe

    sicle par le chanteur GeorgesBrassens qui a compos une musiquepour laccompagner.

    La ballade* fait son apparition au XIVe

    sicle. Elle comporte trois strophes* et une demi-strophe ou envoi* (ici la ballade* est en octosyllabes*, elle comporte donc trois strophes* de huit vers et une de quatre). Toutes les strophes* sont construites sur les mmes rimes*. La contraintetechnique explique que trs souvent les potes ont eu recours

    Dites-moi o, nen quel pays,Est Flora1 la belle Romaine,

    Archipiades2, ni Thas3,Qui fut sa cousine germaine,

    5 cho4 parlant quand bruit on mneDessus rivire ou sur tang,Qui beaut eut trop plus quhumaineMais o sont les neiges dantan5?

    O est la trs sage Hlos,10 Pour qui fut chtr et puis moine

    Pierre Ablard6 Saint-Denis?Pour son amour eut cette essoine7.Semblablement, o est la royne8

    Qui commanda que Buridan9

    15 Fut jet en un sac en Saine10?Mais o sont les neiges dantan?

    La reine Blanche11 comme lisQui chantait voix de sirne,Berthe au grand pied12, Bietris13, Alis14,

    20 Haremburgis15 qui tint le Maine,Et Jeanne16 la bonne LorraineQuAnglais brlrent Rouen;O sont-ils, o, Vierge souveraine?Mais o sont les neiges dantan?

    25 Prince, nenquerrez de semaineO elles sont, ni de cet an17,Qu ce refrain ne vous remaine18:Mais o sont les neiges dantan?

    (F. Villon, Testament, 1462,version modernise)

    1. Flora: cortigiana romanaevocata da Giovenale nelle sueSatire.

    2. Archipiades: Alcibiade, citatonellantichit come modello dibellezza, nel Medio Evo fuscambiato per una donna.

    3. Thas: la cortigiana che seguAlessandro in Egitto.

    4. cho: una ninfa.5. les neiges dantan: le nevi

    dellanno passato.6. Hlos Ablard: Abelardo fu

    il primo intellettuale del MedioEvo (1072-1142). Diventatoprima precettore poi amante diEloisa, che gli era stata affidatadallo zio, fu castrato peristigazione di questultimo.

    7. essoine: prova.8. royne: regina.9. Buridan: rettore dellUniversit

    di Parigi.10. Saine: Senna.11. La reine Blanche: la regina

    Bianca di Castiglia.12. Berthe au grand pied: madre

    di Carlo Magno secondo la leggenda.

    13. Bietris: Beatrice.14. Alis: forse Aelis, personaggio

    delle Chansons de gestee di canzoni liriche.

    15. Haremburgis: Arembourg, figliaed ereditiera di Hlie, conte del Maine.

    16. Jeanne: Giovanna dArco.17. de semaine ni de cet an: n

    questa settimana, n questanno(quindi mai).

    18. Qu ce refrain ne vousremaine: senza che io vi richiamiquesto ritornello.

  • 2 LA CONSCIENCE DU TEMPS ET LA MORT 31

    Comprhension globale1. Quelle est linterrogation autour

    de laquelle se construit cette ballade*?

    2. Quel thme le pote veut-il aborder en se posant cette question, reprise dans le refrain*? Remplacez le titre par un autre plus li au thme mme.

    3. Que reprsentent les neiges dantan?Pourquoi avoir choisi la neige?

    4. Pourquoi votre avis Villon a-t-il choiside proposer une liste de damesclbres pour voquer la caducit du temps?

    Analyse du texte5. Villon voque plusieurs figures fminines

    qui appartiennent des priodeshistoriques diffrentes. Classez-lesdaprs leur appartenance (monde

    classique, mythologie, histoire de France,mmoire populaire, lgendes de sontemps). Que signifie ce mlange?

    6. Y a-t-il une progression thmatiquedepuis la premire jusqu la dernirestrophe*?

    7. Reprez le rythme* du pome: est-il le mme dans les trois premiresstrophes*? Et la dernire?

    8. Analysez le rle du refrain*: quapporte la forme interrogative?

    9. Villon mle deux thmes caractristiquesde la posie lyrique. Lesquels?Lequel est dominant?

    10. Choisissez dans la liste qui suit un adjectifpour dfinir le ton de la ballade*: joyeux/ rflchi / triste / gai / mlancolique /dtach / indiffrent / navr /pathtique*.

    Paul Valry(1871-1945) vol. B, pp. 169-170

    C

    t15Le Cimetire marin

    Compos en 1920, Le Cimetire marinfut inclus dans le recueil Charmes,paru deux ans aprs.Dans cet extrait, qui est le dbut du pome, Valry analyse ltat dmequi nat de la contemplation dun cimetire dominant la merMditerrane: ce lieu baignant dans la lumire lamne mditer sur le Temps, la Mort et lAbsolu.

    Valry a prsent lui-mme ce texte en affirmant que [Le pome est] un monologue* de moi, dans lequelles thmes les plus simples et les plusconstants de ma vie affective et intellectuelle, tels quils staientimposs mon adolescence et associs la mer et la lumire dun certainlieu des bords de la Mditerrane,[sont] appels, trams, opposs.

    Ce toit tranquille o marchent des colombes1

    Entre les pins palpite, entre les tombes;Midi le juste2 y compose de feuxLa mer, la mer toujours recommence!

    5 rcompense aprs une penseQuun long regard sur le calme des dieux!

    Quel pur travail de fins clairs consume3

    Maint 4 diamant dimperceptible cume,Et quelle paix semble se concevoir!

    1. toit ... colombes: il mare paragonato a un tetto. Le colombe sono le vele che lo solcano.

    2. Midi le juste: il sole di mezzogiorno si trovaesattamente sopra il capodellosservatore.

    3. consume: brucia.4. maint: pi di uno.

  • 32 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    10 Quand sur labme un soleil se repose,Ouvrages purs5 dune ternelle cause,Le Temps scintille et le Songe est savoir.

    Stable trsor6, temple simple Minerve,Masse de calme et visible rserve,

    15 Eau sourcilleuse7, il qui gardes en toi Tant de sommeil sous un voile de flamme8, mon silence! difice dans lme,Mais comble9 dor aux mille tuiles, Toit!

    Temple du Temps10, quun seul soupir rsume,20 ce point pur je monte et maccoutume,

    Tout entour de mon regard marin;Et comme aux dieux mon offrande suprme,La scintillation sereine11 smeSur laltitude un ddain souverain.

    (P. Valry, Charmes, 1922)

    5. Ouvrages purs: le Temps ele Songe del verso successivo.

    6. Stable trsor: il mare. 7. sourcilleuse: increspata

    e severa.8. voile de flamme: per effetto dei

    riflessi del sole sulla superficiemarina.

    9. comble: sommit.10. Temple du Temps: parole riferite

    a je del verso successivo.11. sereine: pura, calma.

    Comprhension globale1. Ce pome, dont vous navez lu quun extrait, est trs difficile interprter.

    Pour approcher les concepts que Valry y formule travers les images, rdigez une synthse de chaque strophe* et identifiez lide-cl.Ex. Premire strophe*: le pote regarde la mer quil compare un toit o marchent des colombes. Il est midi, la surface marine est flamboyante cause des rayons du soleil.Les deux derniers vers sont une rflexion: regarder la mer (le calme des dieux) est une rcompense pour lhomme qui pense.Continuez avec vos camarades et avec laide de votre enseignant.

    2. Quelles sont les premires impressions suscites par ces images?

    Analyse du texte3. Reprez toutes les expressions qui se rapportent la mer. Sil sagit de mtaphores*,

    essayez dexpliciter les associations sur lesquelles elles se fondent (Ex. toit tranquilleo, la surface de la mer quand elle est plate peut ressembler un toit, les voilesblanches des bateaux font penser des colombes). Continuez.

    4. Dans ces strophes* il y a de nombreuses images concernant le dcor naturel.Regroupez-les autour de ces rubriques avec leurs adjectifs (sil y en a):

    Mer Ciel Arbres Cimetire

    Lesquelles prdominent? Avec quelle connotation* donne par les adjectifs?

    5. La contemplation des images naturelles entrane une mditation sur le temps. Comment se fait le passage?

    6. Quelle ide du temps est prsente dans ces strophes* du pome?

  • 2 LA CONSCIENCE DU TEMPS ET LA MORT 33

    Marcel Proust (1871-1922) vol. B, pp. 175-180

    J

    t16Tout ce temps tait ma vie

    le pass et le prsent se rejoignent.Aprs une longue retraite, au coursdune rception chez les Guermantes il fait deux dcouvertes bouleversantes:le poids des annes quil a dj vcueset les ravages du temps sur ses amis et sur lui-mme.

    Dans Le Temps retrouv, dernierroman du cycle la recherche du tempsperdu, le narrateur* retrouve danstoute sa plnitude la mmoire dutemps perdu. Grce au pouvoir delcriture, sa vie passe a pu chapper la destruction opre par le temps:

    Jprouvais un sentiment de fatigue et deffroi sentir que tout ce temps si long non seu-lement avait, sans une interruption, t vcu, pens, secrt par moi, quil tait ma vie,

    quil tait moi-mme, mais encore que javais toute minute le maintenir attach moi,quil me supportait, moi, juch1 son sommet vertigineux, que je ne pouvais me mouvoirsans le dplacer. La date laquelle jentendais le bruit de la sonnette du jardin de Combray2,si distant et pourtant intrieur, tait un point de repre dans cette dimension norme queje ne me savais pas avoir. Javais le vertige de voir au-dessous de moi, en moi pourtant,comme si javais des lieues de hauteur, tant dannes.

    Je venais de comprendre pourquoi le duc de Guermantes, dont javais admir, en leregardant assis sur une chaise, combien il avait peu vieilli, bien quil et tellement plus dan-nes que moi au-dessous de lui, ds quil stait lev et avait voulu se tenir debout, avaitvacill sur des jambes flageolantes3 comme celles de ces vieux archevques sur lesquels ilny a de solide que leur croix mtallique et vers lesquels sempressent des jeunes smina-ristes gaillards, et ne stait avanc quen tremblant comme une feuille, sur le sommet peupraticable de quatre-vingt trois annes, comme si les hommes taient juchs sur de vivanteschasses4, grandissant sans cesse, parfois plus hautes que des clochers, finissant par leurrendre la marche difficile et prilleuse, et do tout dun coup ils tombaient. Je meffrayaisque les miennes fussent dj si hautes sous mes pas, il ne me semblait pas que jaurais encorela force de maintenir longtemps attach moi ce pass qui descendait dj si loin

    (M. Proust, Le Temps retrouv, 1927)

    5

    10

    15

    Comprhension globale1. Qui parle dans cet extrait? qui

    sadresse-t-il? Dans quel but?

    2. Quest-ce qui fait prouver au narrateur*un sentiment de fatigue (l. 1)?

    3. Quest-ce qui lui donne le vertige?

    4. On utilise souvent lexpression avoir sa vie derrire soi. Comment Proust a-t-il transform ce lieu commun?

    Analyse du texte5. Le narrateur* compare le temps pass

    des chasses. Dcrivez les tapes

    de la construction de cette mtaphore*: le vertige, les chasses, les chasses de gant.

    6. Relevez les mtaphores* annexes. Quelleimage monstrueuse lexpression en moipourtant amne-t-elle par la suite?Quapporte de nouveau la comparaison*du duc de Guermantes avec un vieilarchevque?

    7. Essayez de rsumer et de prsenter avecvos mots la notion du temps proposepar Proust.

    1. juch: appollaiato.2. Combray: villaggio della sua infanzia.

    3. flageolantes: traballanti.4. chasses: trampoli.

  • 34 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Michel Butor (n en 1926) p. 123

    J

    t17Labyrinthe temporel

    aux souvenirs doctobre les souvenirsde la semaine qui vient de scouler.Bientt, le 21 juillet, il est encoreretard par la relecture de ce quil a crit partir du mois de mai. Les vnements des trois poques se superposent, sclairent ou sobscurcissent mutuellement.

    Le premier mai, Jacques Revel, hros*du roman LEmploi du temps, paru en 1956, entreprend de raconter son sjour Bleston, ville anglaise o il sennuie depuis son arrive, le premier octobre prcdent. Mais lentreprise est plus longue quil ne le prvoyait, parce quil mle

    Jai devant les yeux cette premire page date du jeudi premier mai, que jai crite toutentire la lumire de ce jour finissant, voici trois mois, cette page qui se trouvait tout

    en bas de la pile qui sest amasse lentement devant moi depuis ce temps-l, et qui va sac-crotre dans quelques instants de cette autre page que je raye de mots1 maintenant; et jedchiffre cette phrase que jai trace en commenant: Les lueurs se sont multiplies, dontles caractres se sont mis brler dans mes yeux quand je les ai ferms, sinscrivant enflammes vertes sur fond rouge sombre, cette phrase dont jai retrouv les cendres sur cettepage quand jai rouvert mes paupires, ces cendres que je retrouve maintenant. []Cette page date du premier mai, je vais la remettre sa place sous la pile de celles qui lontsuivie, sur cette table couverte des mmes objets que ce premier mai, des mmes docu-ments sur le coin gauche, du mme exemplaire du plan de la ville, neuf ce jour-l, que jevenais de racheter quelques jours auparavant Ann Bailey2, du mme exemplaire duMeurtre de Bleston3, du schma des lignes des bus, du guide et de la notice4 illustre de laNouvelle Cathdrale. Le lendemain, jai continu, puis peu peu presque tous les soirs de semaine depuis, men-fermant dans cette recherche que je ne prvoyais, certes, ni si lente ni si dure, mimaginantalors qu la fin du mois de juillet jaurais depuis longtemps termin non seulement mon rcitde lautomne, mais celui de lhiver et du printemps jusqu la fin davril; et le surlendemain,le samedi, je me suis retrouv solitaire [] tournant dans Alexandra Place, errant de gareen gare, djeunant au buffet de Hamilton Station, buvant pinte sur pinte, puis longeant laSlee5 jusquau soir pluvieux.

    (M. Butor, LEmploi du temps, 1956)

    5

    10

    15

    20

    1. que je raye de mots: su cui allineo parole.2. Ann Bailey: giovane donna inglese

    di cui Revel si innamorato, ma che trascura per scrivere le sue memorie.

    3. Meurtre de Bleston: romanzo poliziesco che si svolge nella cittadina dove risiede il narratore.

    4. notice: foglio contenente spiegazioni, cenni storici.

    5. Slee: fiume che bagna la citt.

    John Ruskin, Vue depuis ma fentre Mornex,o jai sjourn pendant un an, 1861-62 (Kendal, AbbotHall Art Gallery).

  • 2 LA CONSCIENCE DU TEMPS ET LA MORT 35

    Comprhension globale1. Qui parle dans lextrait?

    qui sadresse-t-il?

    2. Dfinissez le dcor de la scne: quels objets sont voqus?

    3. quelle pile (l. 3) fait-on allusion?

    4. Comment le narrateur* passe-t-il ses samedis?

    5. quoi comprenez-vous que sa vie est solitaire et quil sennuie?

    Analyse du texte6. Reprez toutes les indications permettant

    de reconstruire le cadre temporel:a. jour o le narrateur* commence

    crire son journal

    b. jour qui est le premier tre racontdans son journal

    c. jour o il crit la page que vousvenez de lire

    7. Cerclez de couleur diffrente les phrasesqui se rapportent aux trois poques dontil est question dans lextrait: temps actuel(aujourdhui); dbut de lcriture; tempspass (racont dans le journal).Lentrecroisement des trois couleurs vous montrera la complexit du texte et lenchevtrement des trois niveauxtemporels.

    8. Montrez comment le texte introduit une impression de vertige.

    La mort

    Dans la littrature, la mort a dabord t un objet de mditation propre rappeler auxhommes la misre de leur condition. Cest du moins dans ce sens que les prdicateurschrtiens ont pris la mort comme thme de leurs sermons, et quils en ont amplifi leseffets oratoires lors des crmonies funbres officielles o lon rendait hommage auxmembres de llite aristocratique. Trs tt galement, et ceci ds le Moyen ge, la mort asymbolis la marche inluctable du temps, dont la conscience pousse les potes jouir delinstant prsent et exalter la vie. Cette double approche (mpriser les biens terrestres

    dun ct et en jouir profondment de lautre) fournit unnombre inpuisable de motifs littraires, tels que lexhor-tation nesprer quen Dieu, la fragilit de la beaut et dela jeunesse, lappel profiter de tous les moments delexistence, la ncessit de donner un sens au bref passagesur la terre de lhomme.Le XIXe sicle lie trs souvent les thmes de lamour et dela mort, tandis que la diffusion du roman policier partirdes nouvelles* de lcrivain amricain Edgar Allan Poe,impose un autre statut la mort: elle devient sujet dunenigme qui organise la trame romanesque puisque legenre* suppose que soit trouv, la fin de luvre, lauteurdu meurtre. Les potes du XXe sicle introduisent unemditation en demi-teinte sur le thme de la mort, eninsistant sur sa prsence secrte et refoule dans un uni-vers qui en rejette systmatiquement limage et la repr-sentation.

    2.2

    Horace Vernet, La Ballade de Lnore ou Les Morts vont vite, 1839(Nantes, Muse des Beaux-Arts)

  • 36 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Jacques BnigneBossuet (1627-1704) p. 123

    C

    t18Madame1 se meurt!

    o il prtait la mort le rle de rvlateur du poids des destineshumaines. Henriette dAngleterre tait la cousinedu roi Louis XIV, fille de Charles IdAngleterre et de son pouse Henriettede France. Rfugie la Cour de France aprs la dcapitation de son pre, extrmement brillante et cultive, elle meurt lge de vingt-six ans, en 1670.

    Loraison funbre tait un genre*codifi o il sagissait de faire llogedun Grand aprs sa disparition.Ordonn prtre en 1652, Bossuetprononce les oraisons funbres de plusieurs personnages de la Courde France et transforme le genre* en mditation sur la mort et sur la destine des Grands, sur les leonsde lhistoire et de la politique. Il avaitdailleurs rdig un sermon

    Considrez, Messieurs, ces grandes puissances que nous regardons de si bas. Pendantque nous tremblons sous leur main, Dieu les frappe pour nous avertir. Leur lvation en

    est la cause; et il les pargne si peu, quil ne craint pas de les sacrifier linstruction du restedes hommes. Chrtiens, ne murmurez pas si Madame a t choisie pour nous donner unetelle instruction. Il ny a rien ici de rude pour elle, puisque, comme vous le verrez dans lasuite, Dieu la sauve par le mme coup qui nous instruit.Nous devrions tre assez convaincus de notre nant: mais il faut des coups de surprise noscurs enchants de lamour du monde, celui-ci est assez grand et assez terrible. nuitdsastreuse! nuit effroyable! O retentit tout coup comme un clat de tonnerre, cettetonnante nouvelle: Madame se meurt! Madame est morte! Qui de nous ne se sentit frapp ce coup, comme si quelque tragique accident avait dsol sa famille?Au premier bruit dun mal si trange, on accourut Saint-Cloud2 de toutes parts; on trouvetout constern, except le cur de cette princesse: partout on entend des cris; partout onvoit la douleur et le dsespoir, et limage de la mort. Le roi, la reine, Monsieur3, toute la cour,et tout le peuple, tout est abattu, tout est dsespr; et il me semble que je vois laccom-plissement de cette parole du prophte: Le roi pleurera, le prince sera dsol, et les mainstomberont au peuple de douleur et dtonnement.

    (J. B. Bossuet, Oraison funbre dHenriette dAngleterre, 1670)

    5

    10

    15

    1. Madame: alla corte di Francia, titolo attribuitoalle figure femminili della famiglia reale.

    2. Saint-Cloud: anticamente, una delle residenze

    del re.3. Monsieur: alla corte di Francia, il fratello del re.

    Comprhension globale1. Exposez la situation dans laquelle nat ce texte.

    2. De quel type de texte sagit-il?

    3. Qui sont les grandes puissances (l. 1) nommes par lorateur?

    4. Pourquoi Dieu frappe-t-il les grands personnages?

    5. Pourquoi les hommes ont-ils besoin de coups de surprise (l. 7) qui leur rappellent leur nant?

  • 2 LA CONSCIENCE DU TEMPS ET LA MORT 37

    Analyse du texte6. Recherchez dans ce texte tout ce qui relve du caractre oral (phrases courtes,

    exclamations, apostrophe, invocation etc.).

    7. Reprez les diffrents procds rhtoriques* et les caractristiques du langage potique(allitrations*, assonances*, mtaphores* etc.) utiliss par Bossuet.

    8. Soulignez les expressions qui font appel aux sentiments des auditeurs. De quoi se nourrit le pathtique* de Bossuet?

    9. Expliquez la modalit double de la phrase Madame se meurt! Madame est morte! (l. 10). Quelle valeur motive ce procd ajoute-t-il?

    10. Le dernier paragraphe prsente une tonnante rptition du mot tout. Soulignez les occurrences* du mot et dites quel effet ce procd produit sur les auditeurs.

    11. Quelle est la valeur que Bossuet attribue la mort?

    Franoisde Malherbe (1555? - 1628) vol. A, p. 174

    T

    t19Consolation Monsieur Du Prier sur la mortde sa fille

    profondment original, avec des trouvailles qui scartent de la convention. La fille de MonsieurDu Prier, gentilhomme dAix-en-Provence, avait cinq ans.

    Ce pome date de 1598-99. Malherbeest pote de Cour et crit des picesofficielles. Mais la logique et la densitdexpression font de cette pice de genre un moment potique

    Ta douleur, Du Prier, sera donc ternelle,Et les tristes discours

    Que te met en lesprit lamiti1 paternelleLaugmenteront toujours?

    5 Le malheur de ta fille au tombeau descenduePar un commun trpas2,Est-ce quelque ddale o ta raison perdueNe se retrouve pas?

    Je sais de quels appas3 son enfance tait pleine,10 Et nai pas entrepris,

    Injurieux ami, de soulager ta peineAvecque4 son mpris.

    Mais elle tait du monde, o les plus belles chosesOnt le pire destin,

    15 Et rose elle a vcu ce que vivent les roses,Lespace dun matin.

    Puis quand ainsi serait, que selon ta prire,Elle aurait obtenu

    1. amiti: amore.2. trpas: morte.3. appas: appts, attrattive,

    bellezze.4. Avecque: (ant.) avec.

  • 38 Parcours f LA CONDITION HUMAINE

    Davoir en cheveux blancs termin sa carrire,20 Quen fut-il advenu?

    Penses-tu que, plus vieille, en la maison clesteElle eut plus daccueil?Ou quelle eut moins senti la poussire funesteEt les vers du cercueil?

    25 Non, non, mon Du Prier, aussitt que la Parque5

    te lme du corps,Lge svanouit au-de de la barque6,Et ne suit point les morts.

    []

    Ne te lasse donc plus dinutiles complaintes:30 Mais songe lavenir,

    Aime une ombre comme ombre, et de cendres teintes,teins le souvenir.