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LA CHASSE AUX FEMMES

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ANDRÉ BURNAT

LA CHASSE AUX FEMMES

PRESSES DE LA CITÉ

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'Article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code Pénal.

© Presses de la Cité, 1979.

I S B N 2-258-00-494-2

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La jeune fille courait à perdre haleine. Des branches la cinglaient au passage, mais elle ne

sentait pas la douleur. Ses jambes allaient mécani- quement, à grandes foulées.

Elle était entièrement nue. Son corps magnifique aux longues cuisses mus-

clées, aux hanches étroites, était maculé de boue et des feuilles mortes collaient à ses jambes. Ses petits seins hauts et fermes tressautaient au rythme de la course.

Une peur intense déformait son visage. Ses immenses yeux verts étaient fixes et exorbités. Un filet de bave sortait de ses lèvres entrouvertes.

Au fur et à mesure de sa course, les branches qui la fouettaient laissaient des marques rouges sur son corps.

Insensiblement, ses jambes se firent plus lourdes et son allure se ralentit.

Elle s'arrêta enfin, le souffle court. Son visage gardait la même expression hagarde, qui pouvait être le signe de la peur aussi bien que celui de la folie. Elle serra ses bras contre sa poitrine et se recroquevilla sur elle-même, comme si elle prenait soudain conscience de sa nudité. Elle allait s'apaiser et peut- être s'étendre sur le sol pour reprendre son souffle,

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quand des aboiements la firent sursauter. Sa main se porta à sa bouche. Elle la mordit jusqu'au sang.

Un nouveau bruit succéda au premier : des coups sourds et rythmés, qui se rapprochaient. Un cheval...

La jeune fille se lança brusquement dans les fourrés épais et reprit sa course. Cette fois, elle n'avait plus la même aisance et ses mouvements étaient désordonnés, maladroits. Elle se cogna rudemment l'épaule contre un tronc de bouleau, en voulant changer de direction. Une longue éraflure marqua sa peau blanche, tandis qu'elle repartait péniblement.

Soudain, elle buta contre une racine, s'affala sur le sol glacial et ne fit aucune tentative pour se relever. Le visage enfoui dans l'humus en putréfaction, elle se mit à geindre comme un enfant.

Les chiens firent leur apparition. C'étaient deux magnifiques doberman, à robe

noire et fauve. Ils s'approchèrent en trottinant, oreilles pointées

en avant. Quand ils furent près du corps étendu, ils le

flairèrent d'un air méfiant et tournèrent autour en grognant vaguement.

La jeune fille restait prostrée. Sa peau couverte de sueur était parcourue de frissons.

Soudain, les deux chiens tournèrent la tête. Leur maître venait de faire son apparition. Le cavalier se tenait très droit sur sa monture, un

superbe alezan dont les flancs dégageaient de petits nuages de vapeur. Il avait trente-cinq ans environ. C'était un homme maigre et sec, aux cheveux couleur maïs coupés ras. Ses yeux bleu pâle étaient profondé- ment enfoncés dans son visage bronzé à l'ossature longue. Tout en lui respiraient la morgue et l'instinct de domination.

Une expression de jubilation intense animait ses

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traits. D'un léger coup de sa cravache de cuir noir, il fit avancer sa monture.

— Allons, Annie, lança-t-il, du courage ! Est-ce que tu t'avoues déjà vaincue ?

Sa voix était moqueuse, faussement bienveillante. Il semblait apprécier particulièrement cette minute où le gibier traqué commence à demander grâce...

Mais il était trop tôt pour la curée. Pour lui procurer tous les plaisirs qu'il en escomptait, la chasse devait continuer.

Tenant ses rennes d'une main, il se pencha et menaça la jeune fille de sa cravache.

— Debout, allez, debout ! lança-t-il d'une voix plus sèche.

Annie se protégea instinctivement le visage de son coude, puis parvint à se mettre à quatre pattes.

— Plus vite, plus vite ! cria Francis Maixence. Il cingla le corps nu d'un violent coup de cravache. La jeune fille poussa un cri de douleur et parvint à

se relever en titubant. Mais, de nouveau, le cavalier frappa, s'acharnant

sur les cuisses, les seins de la victime, qui se zébraient de rouge. Annie hurlait à présent sans discontinuer tout en tentant maladroitement de se protéger des coups qui pleuvaient. Les deux chiens aboyaient férocement en tournant autour d'elle.

Ce qui lui restait de force la poussa à reprendre sa course à travers bois. Les doberman couraient et jappaient à ses côtés, tandis qu'elle se cognait aux troncs et aux branches, changeant de direction à chaque obstacle rencontré. De fait elle tournait en rond et le cavalier qui avait retenu sa monture l'observait avec un plaisir intense.

— Superbe ! Très bien ! apprécia-t-il d'une voix rauque.

Il attendait le moment où sa victime, à bout de forces, serait à sa merci.

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— Le salaud, murmura Pauline. Malgré son manteau de fourrure, la jeune femme

frissonnait. A travers les jumelles de haute puissance qu'elle

braquait depuis son poste d'observation, elle pouvait détailler les traits de Francis Maixence.

Une tête d'oiseau de proie qu'elle n'était pas prête d'oublier, après ce qui s'était déroulé au cours d'un certain week-end, il y avait de cela plusieurs mois...

Tout avait commencé fort normalement. Un homme qui n'avait pas voulu dire son nom lui avait téléphoné, pour lui proposer un petit voyage en province. Pauline avait donné ses tarifs, qui avaient été acceptés sans discussion. Puis la voix au télé- phone lui avait minutieusement décrit l'itinéraire à suivre pour aller au rendez-vous.

La jeune femme avait quitté Paris en fin d'après- midi, au volant de sa petite Austin. Elle était de bonne humeur. Il faisait beau, elle allait toucher une belle somme d'argent, et une petite partouze chez des provinciaux l'amusait toujours. C'était souvent des couples en quête de sensations nouvelles qui avaient recours à ses talents. Ah ! ces dames de la bonne société provinciale cachaient bien leur jeu. C'était souvent elles les plus audacieuses, les plus imaginatives, quand l'alcool commençait à faire ses effets...

Pauline s'attendait à une réunion de ce genre, à moins qu'elle ne fût l'invitée surprise d'un club de joyeux drilles, comme cela arrivait parfois.

Passé Orléans, elle avait suivi une départementale qui s'enfonçait dans les bois, puis une petite route étroite, un chemin plutôt, où les amortisseurs de l'Austin avaient été mis à rude épreuve.

Puis elle avait longé un mur de propriété pendant

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un kilomètre et trouvé une porte dont la grille était ouverte, certainement à son intention. La petite Austin s'était enfoncée dans un chemin forestier, au bout duquel se dressait un petit pavillon de chasse assez délabré.

Un homme l'attendait. Son visage lui disait quel- que chose. Mais ce n'est que plus tard, une fois revenue à Paris, qu'elle avait su qu'il s'agissait de Francis Maixence, l'industriel play-boy, qui faisait les beaux jours des magazines pour midinettes. Sur le moment, bien sûr, il lui avait donné un faux nom.

Et Pauline avait découvert qu'elle était son unique invitée.

Le soir, ils avaient dîné dans un petit salon du rez- de-chaussée qui sentait le renfermé et dont certains meubles étaient recouverts de housses. A en juger par la poussière et les toiles d'araignée qui ornaient les pièces, on ne devait pas souvent venir ici faire le ménage...

Francis Maixence se comportait en parfait gentle- man, courtois mais distant. Deux magnifiques doberman, un peu effrayants, allaient et venaient dans les pièces silencieuses.

Pauline, très intriguée par la réserve de son hôte, s'attendait aux débordements nocturnes les plus extravagants.

Mais, à la fin du repas, Francis Maixence lui avait montré sa chambre et souhaité bonne nuit.

— Dormez bien, chère amie, je compte sur vous demain matin.

Comme Pauline le regardait, sans comprendre, il avait souri.

— J'espère que vous aimez les promenades mati- nales dans la forêt ? Demain matin, très tôt, partez la première, je vous rejoindrai. Dormez bien, mainte- nant.

Quelle pouvait être la perversion de cet homme ? Elle s'était posée la question quand elle s'était

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retrouvée dans sa chambre aux meubles anciens rongés de moisissure. Elle s'était glissée tout habillée dans les draps humides en se disant qu'il ne tarderait peut-être pas à la rejoindre. Peut-être lui demande- rait-il de s'habiller en poupée, ou encore de le fouetter jusqu'au sang?... Elle en avait vu de toutes sortes, dans ce domaine et rien ne pouvait vraiment la surprendre. Pourtant, quelque chose chez cet homme l'inquiétait.

Pour se remonter le moral, elle avait songé à l'argent que ce week-end allait lui rapporter. Ajouté à ce qu'elle avait mis de côté jusqu'ici, cela faisait un joli pécule. Bientôt, elle pourrait quitter la France, changer de vie...

Le mieux était de partir pour l'Amérique du Sud. Là, don Leone ne parviendrait jamais à l'atteindre. En France, et même en Europe, elle risquait à tout

moment d'être retrouvée par les sbires du vieux mafioso, malgré toutes les précautions qu'elle avait prises.

En Amérique, elle serait sauvée... C'est sur cette pensée rassurante qu'elle s'était

endormie. Le lendemain matin, une pendulette placée sur sa

table de chevet l'avait réveillée en sursaut. Il était cinq heures et demie. Elle avait fait une rapide toilette avec l'eau froide qui emplissait un broc, puis était sortie de la chambre.

Son hôte était invisible, les chiens avaient disparu. En hésitant, elle s'était engagée dans l'épaisse

forêt qui entourait le pavillon. C'est alors que la « chasse » avait commencé...

Pauline posa les jumelles à côté d'elle. La jeune femme était juchée sur le toit d'une vieille tour qui

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garnissait le mur d'enceinte, et d'où elle avait une vue imprenable sur le pavillon de chasse et son parc.

Elle sortit de son sac de voyage un appareil photo ultra-moderne, qu'elle braqua en direction du cava- lier.

Francis Maixence apparut dans le cadre de son viseur. Il faisait avancer sa monture à petite allure et s'arrêtait de temps en temps pour donner à sa victime la possibilité de se relever et de repartir.

Pauline cadra l'homme en plan général et appuya sur le bouton de l'obturateur.

Puis, réarmant l'appareil d'un coup de pouce, elle chercha la fille et la découvrit à une vingtaine de mètres. Elle titubait, escortée par les deux molosses.

Pauline prit une seconde photo, manœuvra la bague du zoom pour faire un gros plan au télé- objectif.

Le visage de la fille lui causa un choc. Ses yeux avaient une expression absente, lointaine. De la bave coulait de ses lèvres. Elle l'essuyait du revers de sa main, ce qui lui barbouillait le visage. Pourtant, elle était belle. Pauline admira au passage ses longues cuisses, ses seins pointus, son ventre plat qui se terminait par un petit triangle noir.

— Où est-il allé la chercher, celle-là ? s'interrogea la call-girl en réarmant son appareil.

Elle prit un cliché, en songeant que maintenant, des choses sérieuses allaient se dérouler.

Elle savait lesquelles. Elle les avait vécues, lors de ce fameux week-

end...

Alors qu'elle marchait dans la forêt, elle avait entendu les chiens. Puis Francis Maixence était apparu sur son cheval.

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Il galopait dans sa direction en hurlant des insultes, la cravache levée.

Pauline était restée quelques secondes stupéfaite, puis avait détalé prise d'une panique incontrôlable. Par la suite, elle avait regretté ce réflexe stupide.

Il l'avait poursuivie, se jouant de ses pauvres ruses pour lui échapper. Et quand enfin elle s'était écrou- lée, épuisée, il était descendu de cheval et s'était avancé vers elle, une expression démente dans le regard.

Il l'avait cravachée, au visage puis au buste. Folle de douleur et de rage, elle avait tenté de répliquer à coups de pied et de poing, mais il semblait insensible et continuait de frapper, de plus en plus vite, de plus en plus fort.

Quand elle s'était effondrée sur le sol, en gémis- sant, à demi évanouie, il lui avait arraché ses vêtements. Puis l'avait brutalement retournée sur le ventre, et s'était laissé tomber sur elle. Lui écartant les cuisses avec violence, il l'avait pénétrée en force.

Pauline avait hurlé sous la formidable poussée qui lui écartelait les chairs.

Elle avait tenté de se débattre, mais son bourreau l'écrasait de son poids et la maintenait collée contre les feuilles et la boue, tandis qu'il commençait à aller et venir en elle, d'abord lentement, puis à un rythme de plus en plus rapide. En même temps, ses mains gantée se refermaient sur ses seins, qu'il pétrissait violemment.

Pauline mordait la terre en gémissant, le corps secoué par les coups de boutoir de l'homme qui la chevauchait. Elle avait l'impression qu'un fer rouge lui fouillait les entrailles, de plus en plus profond...

Et soudain, l'homme s'était redressé et avait lancé ses dernières forces dans un assaut plus brutal encore. Pauline s'était sentie presque soulevée de terre par la monstrueuse virilité, dont les soubresauts la faisaient tressauter.

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Elle avait poussé un hurlement de bête, tandis qu'il s'agitait frénétiquement, avec des râles de plaisir.

Puis elle s'était évanouie.

D'un coup de pouce, elle arma de nouveau l'appa- reil.

Ce qu'il lui avait fait subir, Francis Maixence allait maintenant le payer au centuple.

Elle l'observa, à travers le dépoli du viseur. Il s'approchait de la fille étendue à terre. Elle le vit brandir sa cravache et frapper à coups

redoublés. De son poste d'observation, Pauline n'entendait

rien. Mais elle savait que la fille hurlait de douleur, comme elle l'avait fait elle-même...

Elle s'était réveillée dans un lit. La petite pièce aux murs beige où elle se trouvait faisait tout de suite penser à un établissement médical. Pauline se sentait complètement engourdie, dans un état cotonneux. Une grosse infirmière l'observait d'un air revêche et méprisant.

— Alors, ma jolie, tu as eu ce que tu voulais ? avait-elle lancé en ricanant.

Sur ces paroles réconfortantes, la grosse femme avait quitté la pièce.

Cette voix rauque... C'était la voix au téléphone, Pauline l'aurait juré. Les souvenirs avaient alors afflué : les coups de téléphone, la soirée au pavillon de chasse, et puis la forêt... l'horreur. Elle était encore entre les mains de cet homme, puisque l'infirmière semblait sa complice.

La porte de la chambre s'était ouverte, et un homme en blouse blanche était apparu. Pauline avait

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eu un sursaut de peur. Le nouveau venu ressemblait étonnamment à son bourreau : il avait les mêmes cheveux maïs, les mêmes yeux d'un bleu délavé, une forme de visage identique.

Sans un mot, il avait pris son pouls, l'avait aus- cultée.

Puis il s'était planté au pied du lit et avait parlé. Il avait une voix chaude et rassurante, aux

inflexions raffinées. Il avait expliqué à Pauline que son frère, dont elle avait eu à subir les sévices, était un grand malade nerveux qu'on ne pouvait considé- rer comme responsable de ses actes. Il fallait pardon- ner, à présent, et oublier ce cauchemar...

A la fin de son petit discours, il lui avait tendu un chèque d'un montant triple de la somme prévue.

Il avait ajouté qu'il était dans l'intérêt de Pauline de ne pas prévenir la police, car la police se garderait bien de leur faire des ennuis, à son frère et à lui : ils étaient en effet des personnages très importants, jouissant d'une grande considération dans la haute société locale. Et c'était Pauline, avec son métier, qui risquait d'avoir des ennuis au cas où elle déciderait de faire du scandale. Il fallait donc qu'elle promette de rester bien tranquille...

Elle l'avait promis sans hésiter. Ce qui comptait pour elle, à ce moment-là, c'était de sortir au plus tôt de cet endroit.

Elle était pourtant restée deux jours à la clinique, ce qui lui avait permis de se rendre compte qu'il s'agissait, en fait, d'une maison de repos très peu fréquentée. A peine avait-elle entrevu quelques rares pensionnaires silencieux, qui se promenaient autour du bâtiment. Durant tout son séjour, elle n'avait pas quitté la chambre, qui était fermée à clef, et n'avait eu de contact qu'avec la grosse infirmière à la voix d'homme.

C'est elle qui l'avait conduite jusqu'à sa voiture, lorsque Pauline avait été jugée suffisamment rétablie

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pour pouvoir reprendre la route. L'Austin l'atten- dait, garée dans une dépendance.

La jeune femme avait pris le volant et, sans un mot, avait démarré en trombe. La clinique était entourée d'un vaste parc et, tant qu'elle n'avait pas quitté les limites de la propriété, Pauline avait eu peur. Enfin, elle avait retrouvé la surface lisse et rassurante d'une petite route, puis la nationale.

Mais depuis le moment où elle avait repris conscience, elle ne pensait qu'à une chose : se venger et tirer le maximum de fric de ces deux salauds.

Toujours juchée sur le toit de la tour d'enceinte, Pauline vit Francis Maixence enlever ses vêtements et se ruer sur sa victime étendue sur le sol.

La jeune femme prit une série de photos au télé- objectif. Aucun détail de l'anatomie de Maixence ne lui échappait. Comme photos pornos, ça allait être plutôt réussi...

Déjà, l'homme avait pris possession de la fille nue et s'agitait furieusement en la maintenant clouée sur le sol. Sa victime se débattait comme un animal pris au piège.

— Pauvre petite, murmura Pauline, dont la pitié n'allait cependant pas jusqu'à intervenir.

Elle continua de mitrailler la scène en variant les focales.

La famille Maixence allait cracher une fortune pour ces clichés...

Au paroxysme de la jouissance, Francis Maixence se tendit comme un arc.

Ses mains gantées se refermèrent comme des serres sur le cou d'Annie, et serrèrent...

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Puis il poussa un grondement de plaisir et retomba Sur le côté, anéanti.

Pendant quelques secondes la forêt fut silencieuse. Et soudain, les deux chiens levèrent le museau vers

le ciel et gémirent. Francis Maixence, revenu à la réalité, se rhabilla

rapidement. Il jeta ensuite un coup d'œil en direction d'Annie et resta pétrifié.

Le corps nu était strictement immobile, dans la position où il l'avait laissé. Annie était couchée sur le ventre. Ses cuisses largement écartées étaient macu- lées de sang.

Sa tête avait pris une curieuse position. Tandis que les deux chiens continuaient de gémir,

l'homme fit un pas en avant et posa sa main gantée sur la joue de sa victime.

Annie ne réagit pas. Francis s'agenouilla, tourna le visage vers lui et

reçut un choc. Les yeux étaient fixes et vitreux. Du sang sortait de

l'une des oreilles et maculait la joue, formant une plaque qui commençait à sécher.

L'homme ôta brusquement sa main, comme s'il Venait de se brûler.

Il se redressa et passa machinalement son avant- bras sur son front en sueur.

Annie était morte.

Pauline continuait de mitrailler, avec une hâte fébrile.

Elle ne comprenait pas pourquoi l'homme restait ainsi immobile, les yeux fixés sur la fille nue.

Celle-ci n'avait pas changé de position. Curieux, songea la call-girl, l'œil collé au viseur. Elle vit Francis Maixence remonter en selle et,

suivi de ses chiens, s'éloigner rapidement.

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Sa victime, elle, était toujours immobile. Et, soudain, Pauline comprit. Lentement, elle abaissa son appareil, tandis qu'un

souffle glacial lui traversait la poitrine. La fille était morte. Francis Maixence était non

seulement une brute dépravée, mais un assassin. Et les photos qu'elle venait de prendre valaient

mille fois plus qu'auparavant...

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La jeune femme qui entra dans le bar paraissait très énervée. Elle pinçait les lèvres, regardait fré- quemment sa montre, jetait de rapides regards autour d'elle. D'une main tremblante, elle alluma une cigarette.

— Qu'est-ce que vous prenez ? Elle sursauta en entendant le barman. — Je ne sais pas... un café, s'il vous plaît. Paul Angstrôm, dont la table était voisine du

comptoir, leva les yeux de son journal et examina la nouvelle venue. Elle en valait la peine : avec ses cheveux bruns mi-longs, ses grands yeux bleus et son visage à peine maquillé à l'ovale parfait, elle était fort belle à contempler. Son tailleur de bonne coupe s'arrondissait exactement là où il fallait. Angstrôm se serait volontiers intéressé à elle... mais ce n'était vraiment pas le moment !

Il vérifia machinalement la présence sous son aisselle gauche de son Beretta à canon plat, bien logé dans son étui de cuir. Une belle arme, et qui rendait de précieux services. Deux jours auparavant, elle lui avait sauvé la mise.

Il convoyait depuis Hambourg, dans un car de tourisme, un groupe de mineures destinées aux bordels du Moyen-Orient. Tout était réglé comme du

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La porte de la chambre s'ouvrit brusquement. Albin, qui était assis à sa table et lisait un journal,

sursauta. C'était Magdalena. L'infirmière-chef portait un

plateau-repas. — Vous pourriez frapper, lança le petit tueur sur

un ton grinçant. Magdalena lui lança un regard dédaigneux. — Vous avez si peur que ça ? Je parie que vous ne

devez pas avoir la conscience tranquille. Elle posa le plateau-repas sur la table. Au moment de sortir, elle se retourna. — Si vous attendez, ça va être froid. Albin ne répondit pas. L'infirmière-chef n'insista pas et referma la porte

derrière elle. Le petit tueur replia son journal et tendit la main

vers le verre de lait posé sur le plateau. Il le porta à sa bouche, mais y trempa seulement

les lèvres, et le reposa. C'était la première fois que l'infirmière-chef lui

conseillait de manger chaud. C'était la première fois aussi que le lait n'avait pas le même goût que d'habitude.

Un goût un peu plus aigre.

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Depuis qu'il vivait à la clinique, Albin se méfiait. Les deux frères avaient cédé un peu trop facilement, à son gré. Plusieurs fois, il avait averti Nino d'être sur ses gardes.

Mais depuis quelques jours, Nino était bizarre : insouciant, euphorique même, il ne se méfiait plus de rien...

Albin se leva et alla vider le verre de lait dans le lavabo.

A l'exception du yaourt, qui était capsulé et qu'il mangea de bon appétit, il fit disparaître le contenu du - plateau dans les waters de la chambre.

Puis il s'étendit sur son lit et ferma les yeux. Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvrit

doucement. La tête de l'infirmière-chef apparut. Elle vit Albin dormir. Il ronflait bruyamment.. Ce spectacle parut la ravir. Elle referma la porte, suivit le couloir et entra dans

le bureau du médecin. Charles-Henry s'y trouvait en compagnie de son

frère. — Il a bu, il dort, annonça Magdalena. Le médecin parut satisfait. — Très bien. Comment va l'autre ? — Il somnole, docteur. Les neuroleptiques ont

bien agi. Il est très réceptif. — Allons-y. Les deux hommes et l'infirmière sortirent du

bureau et se dirigèrent vers la chambre de Nino. Ils passèrent devant la lingerie. La porte était entrouverte. Sophie les vit passer. Elle défit son médaillon et le porta à ses lèvres. — Ici Blanche-Neige, annonça-t-elle. Les deux

frères et la grosse infirmière viennent d'entrer dans la chambre de Nino. J'ai l'impression qu'il se passe quelque chose. Je veille au grain...

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— Je veille au grain... Dans la chambre bleue, Griffon écoutait, une

cigarette aux lèvres. Son instinct lui disait que quelque chose d'impor-

tant allait se dérouler. Pourtant, il devait rester là, à écouter, alors que Sophie était en première ligne. Il y avait de quoi rager !

Charles-Henry et son frère entrèrent dans la cham- bre de Nino, en compagnie de Magdalena.

Etendu sur son lit, le truand somnolait. Le médecin posa une petite boîte d'aluminium sur

la table de chevet, en tira une seringue et un petit flacon.

Il emplit la seringue et fit jaillir une petite goutte de liquide au bout de l'aiguille.

— Qu'est-ce que c'est ? questionna Francis. — Une sorte de penthotal, répondit Charles-

Henry. Il dénuda le bras de Nino. Francis observait attentivement l'opération. — Pourquoi est-ce que tu y penses seulement

aujourd'hui, au sérum de vérité ? — Je te l'ai déjà dit, je lui ai fait absorber des

drogues pour rendre possible son action. Il fallait créer le terrain favorable.

Il injecta le contenu de la seringue dans la veine. — Ça n'a pas l'air de lui faire beaucoup d'effet,

remarqua Francis, nerveux. Sans répondre, Charles-Henry prit une chaise et

s'installa au chevet du dormeur.

Plaquée contre le mur du couloir, Sophie se tenait à côté de la porte de la chambre.

Lentement, elle se pencha et vint coller son œil

Page 23: LA CHASSE AUX FEMMESexcerpts.numilog.com/books/9782258004948.pdfAu fur et à mesure de sa course, les branches qui la fouettaient laissaient des marques rouges sur son corps. Insensiblement,

contre le trou de la serrure. Le silence qui régnait dans la chambre de Nino l'intriguait.

Elle distingua les deux frères et Magdalena, réunis au chevet du truand comme pour une veillée funèbre.

Tous étaient silencieux. Soudain, le médecin se pencha sur Nino et lui

tapota doucement la joue. L'autre geignit. Charles-Henry se mit à lui parler, d'une voix

douce.

— Réveillez-vous, Monsieur Della Serra, dit Charles-Henry. Comment allez-vous ?

— Bien... — Vous avez gagné : nous avons payé. Vous avez

une fortune entre vos mains, à présent ! Un sourire de contentement apparut sur le visage

du truand. — Vraiment? — Bien sûr. Vous allez pouvoir nous quitter,

maintenant. Le médecin se pencha. — Vous pourrez désormais vous consacrer à votre

nouveau cabaret, comment s'appelle-t-il déjà ? — Le Paradis Cosmos. — Vous êtes heureux ? — Très heureux... La voix de Charles-Henry se fit chaude, amicale. — Nous y sommes, à présent : votre voiture vous

attend, vous partez, et à Paris, vous récupérez les photos...

— A Paris ? Nino semblait surpris. — Non, je me trompe, évidemment, rectifia aussi-

tôt le médecin avec un petit rire, elles ne sont pas à

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Paris. Ce qui n'empêche qu'elles sont en lieu sûr, n'est-ce pas ?

— Oui, évidemment. — Pas à la clinique ? Les lèvres de Nino bougèrent lentement. — Non, pas à la clinique... C'est Albin qui a eu

l'idée, il a toujours de bonnes idées, Albin. Il m'a dit que personne ne penserait à cet endroit-là...

Francis s'approcha. — Bon Dieu, mais dites-nous donc... — Tais-toi, jeta son frère. Nino tourna péniblement la tête. — Qu'est-ce qu'il y a, qu'est-ce qui se passe ? — Rien, dit le médecin d'une voix apaisante, tout

va bien. Avant de partir pour Paris, vous allez vous rendre à l'endroit où Albin a caché les photos... ce n'est pas très loin d'ici, n'est-ce pas?

— Non, docteur. Sous le couple en bronze. Les deux frères le fixèrent, stupéfaits.

Un bruit venait de retentir dans le couloir. Sophie plongea littéralement vers la porte de la

lingerie. Elle la repoussa silencieusement derrière elle, en

reprenant sa respiration, puis regarda par l'entrebâil- lement.

Albin venait d'arriver devant la porte de la cham- bre de Nino. Au lieu d'entrer, il restait immobile, les mains plongées dans les poches de son imper.

Sophie prit son médaillon et le porta près de ses lèvres.

— Je viens de me planquer dans la lingerie, murmura-t-elle, car le type à l'imper vient de débar- quer. C'est dommage, ça devenait intéressant : ils ont drogué Della Serra pour le faire parler. Il est question d'un rouleau de photos et de fric.

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Elle jeta un nouveau coup d'œil vers le couloir. — Le copain de Nino a pris ma place devant la

porte. Il écoute tout ce qui se dit à l'intérieur.

— Qu'est-ce que c'est que cette histoire de couple en bronze ? interrogea Francis.

Son frère se pencha vers Nino, à qui il parla d'une voix douce.

— Je vais vous emmener en voiture chercher les photos. Où se trouve le couple en bronze ?

L'autre n'hésita pas : — Dans le salon du pavillon de chasse. Albin a

toujours de bonnes idées, non ? Francis accueillit l'information avec une joie mani-

feste. — Formidable, frérot! Tu as été génial, ils ne

nous tiennent plus, maintenant!... J'y vais tout de suite !

Il se dirigea vers la porte. Celle-ci s'ouvrit brusquement. Albin parut sur le seuil. Il s'avança dans la pièce. — J'ai l'impression que j'arrive juste à point,

observa-t-il sur un ton impassible. Il plongea sa main dans la poche de son imper et la

ramena armée de son pistolet, qu'il braqua sur les deux frères.

— Dommage que je n'aie pas bu la potion magi- que que vous m'aviez préparée, docteur.

Charles-Henry haussa les épaules. — Je ne vois pas à quoi vous voulez faire allusion. Du canon de son arme, le tueur désigna Nino. — Vous êtes peut-être venus pour le border? Le médecin ne répondit pas. Son frère intervint.

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— Votre imbécile de patron s'est fait avoir, pas vous. Nous pourrions traiter.

Albin eut un léger sourire. — Dites toujours. — Vous nous laissez récupérer les photos, vous

empochez un million pour la peine, et on se quitte bons amis.

L'autre hocha la tête. — Pas question. Quand je passe un contrat, je le

respecte toujours. Tout stupide qu'il soit, Nino est mon associé. Quant à vous, vous feriez bien...

Il se tut brusquement. Quelque chose passa dans son regard, dont l'ex-

pression se ternit. Ses lèvres s'entrouvrirent, mais aucun son n'en

sortit. Il regarda fixement les deux hommes puis lente-

ment, tourna sur lui-même. Son corps s'affala sur le linoléum de la chambre. C'est alors qu'un objet apparut, planté dans sa

nuque. Le manche d'un scalpel, dont la lame était plongée

dans le bulbe rachidien. Magdalena se trouvait derrière lui, immobile. Charles-Henry se précipita vers le corps inerte,

l'ausculta rapidement pour constater qu'il était privé de vie.

Lentement, il se releva. — Ainsi, vous avez fait ça, murmura-t-il, accablé,

en regardant l'infirmière-chef. — Mais docteur, il vous menaçait ! Charles-Henry ne répondit pas. Comme un somnambule, il fit quelques pas, puis se

laissa tomber sur une chaise. — Vous avez tué, Magdalena. — C'était un gangster, intervint Francis. Le médecin haussa les épaules, sans répondre.

Quelque chose semblait s'être brisé en lui.

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Son frère le rejoignit et le secoua furieusement. — Bon Dieu, mais qu'est-ce qui te prend ? Ce

n'est vraiment pas le moment de flancher ! Ces types nous auraient empoisonné la vie, on est libres, maintenant !

Charles-Henry eut un rire amer. — Libres, avec du sang sur les mains... — C'est moi qui ai tué, docteur, intervint Magda-

lena. J'en assume toute la responsabilité. Le médecin resta silencieux, prostré. — Magdalena, dit Francis, le docteur vient de

subir un choc, il a besoin de repos. Il faut que je file, je vous expliquerai pourquoi plus tard. En attendant, vous interdisez à quiconque l'accès de cette chambre, bien entendu.

— Très bien, monsieur Francis, répondit sans hésiter l'infirmière-chef.

— Je vous remercie. Il sortit de la chambre et passa devant la lingerie. A l'intérieur, Sophie sortit précipitamment son

médaillon, qu'elle porta à ses lèvres. — Francis Maixence vient de ressortir de la cham-

bre, annonça-t-elle rapidement. Il a l'air pressé. Je lui colle au train. Terminé !

Elle sortit rapidement de la chambre, courut rapidement dans le couloir.

Quand elle déboucha à l'extérieur, la Triumph de Francis Maixence était en train de descendre l'allée et allait s'engager sur la route.

Sophie sauta au volant de sa R.4 et démarra en trombe.

Griffon, l'oreille collée au haut-parleur, sursauta. On n'entendait plus que des grésillements. Il tourna frénétiquement les boutons de l'amplifi-

cateur, mais le bruit n'en résonna que plus fort.

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— Merde, murmura-t-il, elle a pris sa voiture, évidemment. Gribo aurait dû penser à munir les bougies d'antiparasites plus puissants. Si jamais elle commet une imprudence, cette idiote, je ne saurai même pas où elle est !

Il se mit à arpenter la chambre bleue, comme un ours.

Il avait envie de sauter dans sa voiture de louage et de sillonner le coin pour retrouver la trace de Sophie. Quelque chose de grave allait peut-être se passer...

Mais il lui fallait rester ici et attendre que la jeune femme reprenne contact.

Dès qu'elle aurait quitté son véhicule, le contact radio serait rétabli.

Il s'assit sur le lit et alluma une cigarette.

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15

Francis arriva en trombe devant le pavillon de chasse et freina en faisant jaillir un geyser de graviers.

A peine son véhicule s'était-il immobilisé qu'il en descendit et courut vers la porte.

D'une main fébrile, il tourna la clé dans la serrure et entra.

Quelques secondes plus tard, Sophie stoppa sa R 4 deux cents mètres plus loin.

Elle descendit et, tout en marchant d'un bon pas vers le pavillon de chasse, porta le médaillon à ses lèvres.

— Patron, j'arrive à un petit pavillon, un peu délabré. Il se trouve au centre d'un parc, à 2 km environ de la clinique, sur la route de Villepinte. Maixence vient d'y entrer, je vais voir ce qu'il fabrique. Terminé.

Un petit bronze trônait sur une cheminée du salon.

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Il représentait un couple de cavaliers, sur des chevaux caracolant.

Francis Maixence le saisit, le retourna. Le bronze était creux. Sa main l'explora et rencon-

tra bientôt un objet collé par un sparadrap. Il le décolla d'un coup sec et le ramena à la

lumière. C'était une petite boîte d'aluminium cylindrique,

dont il défit fébrilement le couvercle. Quand il retourna la boîte, un rouleau de négatifs tomba dans le creux de sa main.

Il l'examina à la lumière du lustre et reconnut tout de suite les personnages qui figuraient sur les cli- chés...

— Sauvé, murmura-t-il. — C'est joli, ces photos ? Il sursauta et aperçut, debout à la porte du salon,

une jeune femme dont le visage lui fut aussitôt familier.

C'était la nouvelle infirmière. Pendant quelques secondes, il resta stupéfait, puis

reprit son assurance. — Ainsi, vous étiez trois dans le coup? jeta-t-il

avec hargne. Il glissa le rouleau dans sa poche. — Dommage que vous arriviez trop tard, ma

jolie : maintenant, vous ne pourrez plus rien obtenir de moi.

Sophie réalisa qu'il la prenait pour la complice des deux truands.

Elle ne le détrompa pas — c'était trop long et trop compliqué — et sortit son pistolet, qu'elle braqua sur lui.

— Donnez-moi ces photos. Francis Maixence recula. Lançant sa main en arrière, il la referma sur un

fouet de chasse à manche torsadé qui se trouvait sur un meuble.

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Il le brandit en direction de Sophie. — Ne bougez pas, ou je tire ! lança Sophie. L'homme eut un rire bref. — Tu ne vas tout de même pas tuer la poule aux

œufs d'or ? Il s'avança, le fouet levé, puis fit un mouvement

rapide du poignet. La mèche claqua. Sophie fit un bond de côté et pressa la détente. L'automatique fit un petit bruit sec. Le percuteur avait frappé à vide. Sans s'affoler, la jeune femme dut coulisser la

culasse de l'arme pour engager une nouvelle balle dans le canon. Mais au même moment, une douleur fulgurante lui parcourut le bras.

Avec un petit cri, elle lâcha son arme, qui tomba sur le tapis.

— Je vais te punir, cria Francis Maixence, comme j'ai puni toutes les autres ! Maintenant, je suis hors d'atteinte, plus personne ne peut rien contre moi !

Il frappa, avec violence. Sophie tenta de se protéger de ses bras relevés,

mais les coups pleuvaient sur ses hanches, ses cuisses, sa poitrine...

Son chemisier se déchira, tandis que sa peau se zébrait de rouge. La mèche continuait de claquer...

Avec un hurlement de douleur, Sophie s'effondra. Francis continua de la fouetter, comme un forcené,

une lueur de folie dans le regard. Puis il cessa brusquement, en constatant qu'il

frappait un corps inerte. Sophie s'était évanouie. L'homme se pencha vers elle, la secoua. — Allons, ricana-t-il, du courage! Debout...

allez, debout ! Mais la jeune femme était toujours inconsciente. Une expression de rage passa dans les yeux de

Francis Maixence.

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— Tu vas te lever ! hurla-t-il en brandissant de nouveau son fouet, ou alors...

Ses derniers mots se bloquèrent dans sa gorge. Une main de fer l'avait saisi et le serrait à

l'étouffer. — Commissaire principal Griffon, dit une voix.

Au nom de la loi, je vous arrête. Francis Maixence se sentit soulevé de terre... et

partit en vol plané à travers le salon. Il percuta un fauteuil et s'effondra sur le tapis, K.-

O. pour le compte. Griffon se pencha vers Sophie. Celle-ci était en train de reprendre conscience. — Je crois que vous êtes arrivé à temps, patron,

bredouilla-t-elle. Griffon l'aida à se remettre debout. Tant bien que

mal, la jeune femme rajusta son chemisier. — Ça va mieux, petit ? questionna anxieusement

le commissaire. Sophie passa la main sur son visage tuméfié. — Ça pourrait aller plus mal, en tout cas. Elle désigna le corps inanimé de Francis Maixence. — Les photos sont dans sa poche. Griffon l'aida à s'étendre sur un divan, puis fouilla

Francis Maixence et sortit le rouleau de négatifs, qu'il examina rapidement.

Il poussa un long sifflement. — C'est si intéressant que cela ? s'informa Sophie,

en allumant une cigarette. — Tu ne peux pas savoir à quel point ! Ces clichés

représentent notre ami en train de... enfin, d'abuser de la fille qu'on a trouvée morte.

La jeune femme hocha la tête. — C'est le sort qu'il m'aurait sans doute réservé, si

vous n'étiez pas intervenu à temps. Griffon fourra le rouleau de négatifs dans sa poche

et s'empara du téléphone. Il appela Orléans et

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demanda à parler à l'inspecteur du S.R.P.J, celui qui l'avait accompagné à la morgue.

Quand il l'eut au bout du fil, il lui narra brièvement les derniers événements.

— Venez donc prendre livraison de Francis Maixence, poursuivit-il, en prévenant par la même occasion le juge d'instruction. Oui, je sais que l'information est terminée, mais il se fera un plaisir de rouvrir le dossier... Pendant que vous y êtes, envoyez quelqu'un à la clinique, j'ai l'impression qu'il doit s'y passer des choses pas très catholiques. Je vous attends ici, collègue !

Il raccrocha. — Vous allez mettre le feu aux poudres, observa

Sophie. Griffon acquiesça. — Je l'espère bien. Il faut que cette affaire éclate

au grand jour. Il sortit le rouleau de pellicule et le fit sauter au

creux de sa main. — J'ai déjà le détonateur. Sophie sourit. — C'est Lalande, qui va en faire une tête !

Le chef de cabinet arborait un large sourire. Il invita Charpin à prendre place devant son

bureau. — Commissaire, je vous félicite, s'exclama-t-il :

une fois de plus, votre « commando spécial » a été à la hauteur de sa réputation. J'ai d'ailleurs reçu à ce sujet des compliments de la bouche même du minis- tre, et je vous les transmets bien volontiers.

— Je vous remercie, monsieur l 'at taché de cabinet.

Charpin toussota.

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— Euh, je crois savoir que le commissaire Lalande a fait l'objet d'une promotion ?

Le haut fonctionnaire acquiesça. — Vos informations sont toujours aussi bonnes,

Charpin. En effet, le commissaire Lalande a été nommé au service administratif général, où il aura la responsabilité des fichiers centraux. Cela correspond tout à fait à ses aptitudes, n'est-ce pas : c'est un cerveau plus qu'un homme de terrain, comme cette affaire nous l'a d'ailleurs montré.

— Et Griffon ? L'autre lui jeta un regard surpris. — Eh bien quoi, Griffon ? — Est-ce qu'il est toujours... en disponibilité ? L'attaché de cabinet eut un geste auguste. — Commissaire, je n'allais tout de même pas

accepter qu'on sanctionne l'homme qui venait de réussir si brillamment ! Je suis personnellement inter- venu pour que notre ami Griffon soit réintégré à la tête de son petit groupe.

Il se leva en se frottant les mains. — Eh bien, tout cela me semble parfait : tout est

bien qui finit bien, non? — Si, si, se hâta de répondre Charpin. Tandis que l'autre le raccompagnait vers la porte,

il se décida à poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début de l'entretien.

— Et les frères Maixence, monsieur l'attaché de cabinet, que sont-ils devenus ? Je n'ai rien lu à leur sujet dans la presse et la Chancellerie est étrange- ment muette. Je m'attendais à ce qu'il y ait un scandale, mais...

L'autre lui tapota l'épaule. — Charpin, n'oubliez jamais ceci : malheur à celui

par qui le scandale arrive. — Mais encore ? Le haut fonctionnaire hésita, puis baissant le ton : — Ecoutez, Charpin, à vous je peux le dire, étant

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bien entendu que je compte sur votre discrétion : Francis Maixence a été considéré par les autorités judiciaires comme un malade mental et comme tel, pénalement irresponsable de ses forfaits. Il ne sera donc pas jugé mais placé dans une institution psy- chiatrique.

— Et son frère ? — Son frère a été très sévèrement frappé : il a été

rayé de l'ordre. Il y a aussi cette infirmière, je ne sais plus son nom. Elle, elle va se retrouver en prison. Vous voyez, Charpin, nul n'est intouchable !

Le commissaire divisionnaire ne répondit pas. Il avait un goût de cendre dans la bouche.

— La fourgonnette bleue cahota sur le chemin puis s'immobilisa à l'entrée de la clairière.

Le brigadier Desmet, qui ne portait plus aucune trace de sa blessure, était assis à l'avant aux côtés de son collègue Duvillard. Il descendit et alla ouvrir la porte arrière du véhicule

Petit Pierre sauta à terre. Il avait maigri et ses cheveux avaient été coupés

court, signe de son séjour en prison. — Te voila libre, maintenant, dit Desmet. J'es-

père que tu sauras te tenir tranquille, à présent, et que tu cesseras un peu de braconner dans la région !

Petit Pierre ne répondit pas. Les mains enfoncées dans les poches de son pantalon, il fixait le sol.

— Bon, dit Desmet, en tout cas, on en a fini avec toi. Allez salut !

Il fit un signe à Petit Pierre puis remonta à bord de la fourgonnette.

Le véhicule fit demi-tour et repartit en direction de la route.

Resté seul, Petit Pierre demeura quelques secon- des immobile. Puis il haussa les épaules et se dirigea

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vers sa caravane. Un soleil froid brillait au-dessus de la clairière.

— Mes enfants, il y a tout de même une justice ! s'exclama Griffon en débouchant une bouteille de Champagne.

Il emplit les verres que lui tendaient Sophie, Lionel et Gribo.

— Ça fait plaisir de se retrouver chez soi, com- menta Lionel. Je commençais à croire qu'on était mal partis...

— De quoi te plains-tu? l'interrogea Sophie, qui portait sous l'œil gauche un sparadrap passé au fond de teint. Si j'ai bien compris, il a fallu envoyer la police pour te tirer des bras de ton infirmière rouquine !

Pendant que tout le monde riait, Charpin fit son appartion. Griffon lui tendit un verre.

— Tiens, toi aussi tu l'as bien mérité. — Qu'est-ce qu'on fête? interrogea le division-

naire. — Nous, dit Griffon, nous nous fêtons nous-

mêmes d'avoir survécu. Il désigna le bureau voisin, où Lalande avait

précédemment installé ses quartiers. — Maintenant que Crâne-d'œuf a quitté cet étage

pour aller exercer ses talents ailleurs, je présume que tu vas nous faire don de ce local ?

— Oui, enfin... Charpin prit un air gêné. — Tu comprends, Pierre, on a beaucoup apprécié,

en haut lieu, la façon dont tu as mené cette enquête. On va donc te donner ce local mais...

Il y eut un silence. — Mais... quoi? interrogea Griffon. — Eh bien, il sera affecté à un administrateur, qui

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veillera à la bonne tenue des comptes, à la régularisa- tion des ordres de mission, etc. Tout ça dans le but de te faciliter le travail, bien entendu.

Il y eut un nouveau silence, cette fois à couper au couteau.

— C'est pas possible, soupira enfin Griffon, ces gens-là veulent notre peau !

La petite voix un peu nasillarde de Gribo s'éleva. — Moi, à votre place, patron, je ne m'en ferais

pas trop : ce type-là non plus ne fera pas long feu. Vous allez voir comment on va vous l'administrer, votre administrateur !

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Achevé d'imprimer le 4 janvier 1979 sur les presses de l'Imprimerie Bussière

à Saint-Amand (Cher)

— N° d'édit. 4002 — N° d'imp. 2169 —

Dépôt légal : 1 trimestre 1979.

Imprimé en France