La beauté de la vie religieuse

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La beauté de la vie religieuse Dr. Jean-Marie Hyacinthe QUENUM 1 , SJ LA CHASTETE DES PERSONNES CONSACREES, SOURCE D’UNE GRANDE FECONDITE CONTEMPLATIVE ET APOSTOLIQUE Tous les baptisés appelés à la sainteté pratiquent la chasteté dans leurs relations intersexuelles génitales. De façon générale, la chasteté est le rapport juste de chaque personne humaine à son propre corps et à celui d’autrui selon les règles sociales d’échanges. La pratique de la chasteté porte sur l’amour humain du corps dans ses rapports à soi et à autrui. Le corps humain dans la perspective chrétienne est le lieu où le Christ et l’Esprit Saint établissent leur demeure. A ce titre, le corps humain, don de la nature, peut être assumé comme une réponse à la vocation particulière de la chasteté des personnes consacrées comportant de soi le renoncement aux relations intersexuelles génitales. Les personnes consacrées, saisies par l’amour du Christ, renoncent à l’amour conjugal et à la descendance en donnant leur vie à Dieu pour le Royaume de Dieu. La chasteté des personnes consacrées est un charisme 2 vécu dans le célibat évangélique à la suite et à l’imitation du Christ qui a choisi ce style de vie pour sa mission rédemptrice d’amour. Les personnes consacrées vivent leur chasteté dans une communauté religieuse orientée vers des fins contemplatives ou apostoliques. 1 Jean-Marie Hyacinthe QUENUM est Docteur en théologie et maître des novices Jésuites à Bafoussam au Cameroun. 2 LUMEN GENTIUM n° 43-44.

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La beauté de la vie religieuse

Dr. Jean-Marie Hyacinthe QUENUM1, SJ

LA CHASTETE DES PERSONNES CONSACREES, SOURCE D’UNE GRANDE FECONDITE CONTEMPLATIVE ET APOSTOLIQUE

Tous les baptisés appelés à la sainteté pratiquent la chasteté dans leurs relations intersexuelles génitales.

De façon générale, la chasteté est le rapport juste de chaque personne humaine à son propre corps et à celui d’autrui selon les règles sociales d’échanges.

La pratique de la chasteté porte sur l’amour humain du corps dans ses rapports à soi et à autrui.

Le corps humain dans la perspective chrétienne est le lieu où le Christ et l’Esprit Saint établissent leur demeure.

A ce titre, le corps humain, don de la nature, peut être assumé comme une réponse à la vocation particulière de la chasteté des personnes consacrées comportant de soi le renoncement aux relations intersexuelles génitales.

Les personnes consacrées, saisies par l’amour du Christ, renoncent à l’amour conjugal et à la descendance en donnant leur vie à Dieu pour le Royaume de Dieu.

La chasteté des personnes consacrées est un charisme2 vécu dans le célibat évangélique à la suite et à l’imitation du Christ qui a choisi ce style de vie pour sa mission rédemptrice d’amour.

Les personnes consacrées vivent leur chasteté dans une communauté religieuse orientée vers des fins contemplatives ou apostoliques.

L’engagement dans une communauté religieuse soustrait les personnes consacrées aux responsabilités du mariage et de la famille.

Libres de tout attachement à la tendresse de l’amour érotique ou familial, les personnes consacrées dans leur condition chaste peuvent centrer leur vie sur le Christ et sur son œuvre en appliquant toutes leurs énergies à l’écoute, à l’accueil et au service du prochain.

1 Jean-Marie Hyacinthe QUENUM est Docteur en théologie et maître des novices Jésuites à Bafoussam au Cameroun. 2 LUMEN GENTIUM n° 43-44.

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La chasteté des personnes consacrées, source d’une grande fécondité contemplative et apostolique

En quoi le célibat évangélique des personnes consacrées est-il un choix libérateur pour approfondir la relation à Dieu et au prochain ?

Comment les personnes consacrées préparent-elles la venue du Royaume de Dieu par leur vie chaste alimentée par l’espérance d’une communauté eschatologique à venir ?

Quelle est la fécondité du lien vécu de la personne consacrée avec le Christ dans le célibat évangélique ?

Nous réfléchirons sur la fécondité du célibat évangélique choisi et assumé quotidiennement en la situant dans le contexte de la vie de foi où prière, œuvres de charité, actions pour la justice, obligations ethiques de miséricorde et de réconciliation absorbent l’énergie vitale de la personne consacrée dans son espérance du royaume de Dieu déjà là et à venir.

Nous préciserons dans cet essai, la place, la signification et la fonction du célibat évangélique dans l’Église et dans le monde.

1. Le célibat évangélique : un choix libérateur pour approfondir la relation à Dieu et au prochain

La personne consacrée qui choisit et assume le célibat évangélique comme style de témoignage de sa vie intérieure et de sa relation privilégiée à Dieu et au prochain s’oriente sur le chemin de la foi et de l’espérance.

La foi consiste à désirer la présence mystérieuse de Dieu, qu’on ne peut voir ni toucher.

« Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » (Jean 20,29).

Le Dieu de la révélation chrétienne est un Dieu caché qui ne se laisse pas saisir comme une réalité fixe, figée et stable.

Ce Dieu ne peut être enfermé dans aucune image, dans aucune expérience et dans aucun discours sur lui. Ce Dieu est un mystère absolu à explorer dans la crainte révérencielle et dans un engagement quotidien à le trouver dans les diverses manifestations de la vie de la chair et de l’esprit.

La personne consacrée reçoit l’appel de vivre le mystère de Dieu révélé dans la vie et dans la personne du Christ dans son engagement à conformer sa vie à celle de son Seigneur et maître.

Ce Dieu présent et insaisissable mobilise le désir de la personne consacrée à le rechercher dans la solitude de la prière et dans le service du prochain au sein d’une communauté religieuse et dans le monde.

La personne consacrée choisit une forme de vie où elle engage son affectivité dans la relation privilégiée à Dieu et au prochain sous le mode des deux commandements en Mathieu 22, 37-39.

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La personne consacrée vit sa relation à Dieu et au prochain dans une communauté qui renonce à l’expression génitale conjugale de l’amour humain pour signifier le royaume de Dieu déjà là et à venir.

L’expérience conjugale sacramentelle du mariage n’étant pas l’appel et le choix de la personne consacrée, la vie religieuse incarnée dans une communauté de même sexe, devient le lieu d’expression de l’affectivité de la personne qui embrasse le célibat évangélique.

Le choix du célibat évangélique est libérateur quand il mobilise la personne consacrée à rechercher Dieu et à le servir dans ses créatures et dans les évènements de la vie qui renvoient à l’humanité.

Le projet de rechercher Dieu et de le servir dans ses créatures et dans les évènements de la vie se concrétise dans la vie commune de l’institut religieux qui éduque le cœur, l’esprit et le corps au rythme de la méditation quotidienne de l’Écriture et à l’effort pour vivre ensemble avec des compagnons de route partageant le même projet de vie.

Par des exercices spirituels appropriés, la personne consacrée rend son être entier disponible pour le service du Dieu et du prochain, dans l’Église et le monde.

Ce service de Dieu et du prochain est spécifié dans la Règle ou Constitutions de l’institut religieux. L’interprétation de la règle ou des Constitutions de l’institut religieux permet à la personne consacrée de vivre le charisme contenu dans la lettre du texte et même de le renouveler dans la liberté.

Les moyens inspirés par l’évangile pour vivre un célibat évangélique épanoui et heureux sont donnés dans la règle ou Constitutions de l’institut religieux .

Ils ont pour noms : mourir à soi-même, pour laisser vivre en soi le Christ, accueillir la vie de l’esprit en soi, accueillir les autres avec amitié et compassion, progressive communion fraternelle dans l’Église et ouverture au monde.

En effet le célibat évangélique est un don de Dieu à l’Église.

Ce don de Dieu concourt à la sainteté de l’Église par le dévouement sans partage de la personne consacrée à la cause du royaume de Dieu.

La personne consacrée appartient entièrement à Dieu par son baptême et renonce au don mutuel du corps dans le mariage.

Elle vit sa chasteté dans une communauté qui l’éduque à la grâce du célibat évangélique.

Le célibat évangélique apparaît comme le non-mariage volontaire qui se vit dans un cœur libre pour aimer. Le célibat évangélique est l’option pour un amour préférentiel de Jésus qui permet d’approfondir sa relation avec lui dans la foi et la grâce particulière d’une vocation vécue sous le mode surnaturel.

En tant que continence volontaire (Matthieu 19, 10-12), le célibat évangélique est une vocation spéciale pour signifier l’adhésion au Christ dans les épousailles spirituelles.

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Amour immédiat du Christ, sans passer par le signe du conjoint, le célibat évangélique est l’anticipation de la nouvelle création où l’on « ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel » (Matthieu 22, 30sq).

Ainsi le célibat évangélique est le don d’un état de vie qui permet d’approfondir la relation à Dieu et au prochain dans la vie religieuse ordonnée à des fins contemplatives et apostoliques. Une vie de silence et de solitude favorisée par la vie religieuse en dépit de ses épreuves est une condition pour une rencontre authentique avec Dieu. La vie fraternelle dans les instituts religieux est une occasion privilégiée pour développer l’authenticité des relations humaines à travers des conflits et des tensions qui s’apaisent dans le pardon donné et reçu dans l’amour.

2. Célibat évangélique et Royaume de Dieu

Le célibat évangélique est l’une des nouveautés qu’apporte la venue du Verbe incarné dans l’humanité. Avant la venue de Jésus le Christ dans l’histoire humaine un nombre réduit de personnes avait adopté le célibat pour des raisons morales, cultuelles et culturelles.

Le célibat évangélique est inspiré par l’Esprit Saint pour manifester la puissance de la nouvelle création suscitée par la résurrection du Christ.

Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d’en haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, votre vie, paraîtra, alors vous paraîtrez avec lui en pleine gloire3.

Le célibat évangélique est l’expérience d’hommes et de femmes qui au nom de leur foi en la résurrection du Christ donnent la priorité à leur vie cachée dans le Christ, le déjà là du royaume à venir.

La vie actuelle devient pour les personnes consacrées un temps de passage à la vie définitive qui ne peut être qu’eschatologique. Cette vie actuelle, cachée est née de leur écoute de la Parole de Dieu reçue dans la foi et prenant corps dans leur chair manifestant l’amour de Dieu révélé dans la résurrection de Jésus le Christ.

Le célibat consacré est l’état d’expression de l’amour de Dieu qui par sa nature est respectueux, désintéressé et gratuit. Vécu dans l’attente du Royaume eschatologique de Dieu, le célibat évangélique n’est pas le fait d’une élite morale ou religieuse, mais le don de l’Esprit accessible à tous ceux qui reçoivent dans la foi le message de Jésus et le don d’une relation intime avec le Christ ressuscité.

Signe, de la création nouvelle, le célibat évangélique, exprime le mystère de la manière de vivre du Christ ressuscité en chaque personne qui croit en lui.

3 Col 3,1-4

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En effet, Le Christ, à la plénitude des temps, a vécu au sein de l’humanité comme un être de chair suscité par l’Esprit Saint et délivré de la mort.

La résurrection du Christ annonce un monde nouveau où le Christ qui vit en chaque personne y mène une vie immortelle. Le corps transfiguré de la personne en qui le Christ ressuscité habite anticipe par la chasteté l’existence incorruptible de la vie éternelle.

Ainsi la chasteté des personnes consacrées dépouillée du sexuel génital est une porte qui s’ouvre sur l’infini. Elle atteste que les hommes et les femmes sont faits pour autre chose que le temps.

La chasteté des personnes consacrées n’a de sens que dans une perspective eschatologique. C’est dans la foi au Christ ressuscité que renvoie la décision d’assumer le célibat évangélique.

Le célibat évangélique vécu pour le royaume de Dieu est un appel à la communion avec le Dieu trinitaire de la foi chrétienne. De cette communion résulte une ouverture du cœur à la fraternité universelle d’où jaillit la réalisation de soi dans la liberté, la joie et la paix du royaume de Dieu déjà là.

Loin de dévaloriser le monde de la chair validé par l’incarnation du Fils unique de Dieu, le célibat évangélique vécu pour la mission du Christ est un acte dé dépossession du corps pour l’édification du Corps du Christ dans l’histoire humaine. Assumé dans la joie et la liberté, le célibat évangélique manifeste l’épanouissement du charnel dans les biens du monde eschatologique à venir.

La consécration au célibat évangélique est est une parole solennelle projetée dans le futur et assumée dans chaque instant présent qui est une porte qui s’ouvre sur l’infini du Dieu d’amour accueilli dans la fragilité de la chair. C’est en honorant cette parole solennelle que les personnes consacrées deviennent témoins de l’invisible et responsables de l’œuvre du Christ comme disciples et apôtres.

3. La fécondité contemplative et apostolique de la chasteté des personnes consacrées

Les personnes consacrées dans l’Église maintiennent leur esprit, leur âme et leur corps dans une relation intense avec le Christ ressuscité. La consécration dans le célibat évangélique éduque à la liberté de l’Esprit. Le célibat évangélique transfigure le cœur à travers des combats soumettant la chair à l’emprise de l’Esprit. La grâce du célibat évangélique coopérant avec la liberté humaine conduit par étapes progressives, les personnes consacrées à apprivoiser leurs pulsions sexuelles.

En confiant la faiblesse de leur nature au Christ ressuscité dans la prière, les personnes consacrées convertissent leurs pulsions sexuelle en énergie de vie pour le service désintéressé du prochain.

La méditation constante de l’Écriture, la présence au monde par des œuvres de charité et de miséricorde et l’acceptation humble de la condition humaine dans l’amitié sont les moyens qui rendent fécondes la vie contemplative et apostolique des personnes consacrées.

La fécondité de la vie des personnes consacrées dépouillée du génital et de la descendance s’observe dans leurs œuvres de générosité, de justice et de charité à la suite du Christ. Leurs influences

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s’éternisent dans les personnes qui ont bénéficié de leurs services. Leurs relations sont moins possessives et leur présence aux autres est marquée par une distance qui fait exister.

Conclusion :

Le célibat évangélique est pour un baptisé une ouverture du cœur à l’amour préférentiel de Jésus. Il est le don de l’Esprit de Jésus qui exclue pour les personnes consacrées l’état du mariage. La vocation au célibat religieux se fonde sur l’imitation de Jésus, cet homme qui a vécu au sein de l’humanité comme l’image parfaite de Dieu. L’originalité de cette option se comprend à la lumière de la mission de Jésus. Jésus est venu révéler que la vie humaine est un passage à une vie définitive, pleine et lumineuse. La personne consacrée vit au sein d’une communauté religieuse cette attente eschatologique sous la règle de l’évangile qui assure sa maturation entre solitude et communion. Le recueillement de la solitude, l’immersion dans la vie communautaire, le travail apostolique et les possibilités de rencontres multiples et variées rendent la vie des personnes consacrées féconde et apte à la communion éternelle. La qualité des relations nouées par les personnes consacrées dans leurs communautés religieuses et dans leur travail apostolique les préparent à la mort, qui scelle le sens de leur vie comme une continuation de l’œuvre du Christ.

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LA GRANDEUR DE LA CHASTETE CHRETIENNE

La révolution sexuelle du vingtième siècle a libéré les hommes et les femmes des tabous qui les empêchaient de vivre leur désir charnel de manière éclairée et responsable.

Dans le prolongement de la libération sexuelle du siècle passé, est –il encore possible de parler de la chasteté comme une vertu assurant l’intégration de la personne humaine dans sa capacité d’aimer ?

Dans les sociétés contemporaines saturées d’expressions sexuelles, que vaut la chasteté de l’homme et de la femme au regard du laxisme ambiant et de la permissivité d’aujourd’hui?

La virginité dans la vie consacrée et la fidélité dans le mariage sont-elles aujourd’hui des vertus ringardes, désuètes, incongrues et insolites ?

Nous réfléchirons sur la grandeur de la chasteté chrétienne dans une perspective évangélique de foi en nous référant au baptême comme une consécration sans partage de la personne humaine convertie à Jésus, le Christ et Seigneur ( 1Corinthiens 6, 12).

Dans la perspective du baptême, le corps humain de la personne convertie à l’évangile, appartient au Seigneur, Jésus le Christ (Romains 6, 3-4 ; 12-13).

Ce corps humain, temple de l’Esprit Saint est le centre visible du rayonnement physique, psychique et spirituel de la personne dans le don d’elle-même à Dieu et aux autres.

Le corps humain du baptisé devenu la demeure de la Sainte Trinité et membre du corps mystique de Jésus le Christ épouse les caractéristiques fondamentales de la chasteté du Fils de Dieu fait homme, premier-né d’entre les morts.

Ce corps humain du baptisé transfiguré par le mystère de la résurrection et délivré des peurs et des convoitises est par la pratique de la chasteté, le centre par excellence du don de la personne à Dieu et aux autres.

Allié d’un authentique amour, le corps humain, par la pratique de la chasteté, valorise la parole échangée, la qualité des relations d’intimité, une vie partagée et le mystère de la personne dont il est le point d’incandescence.

1. La Chasteté, une pratique positive qui affermit la personne humaine dans sa capacité d’aimer.

La pratique de la chasteté commence dès la tendre enfance. Elle est une expérience fondatrice qui s’impose dans les relations parents-enfants.

En effet, en allaitant leurs enfants et en prenant soin d’eux, les parents interviennent sur leur corps pour y inscrire ordre et modération dans la gestion du désir et du plaisir.

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Les travaux de Sigmund Freud montrent éloquemment que la pratique de la chasteté est inhérente au développement psychologique et à la maturité affective de l’enfant et de l’adolescent4.

Associée aux fonctions génitales et aux pulsions sexuelles, la pratique de la chasteté diffère la satisfaction du désir, socialise et humanise l’homme et la femme et détermine leur rapport à leurs propres corps et à celui d’autrui.

La pratique de la chasteté enrichit les possibilités d’exercice du désir, de la génitalité et de la sexualité comme des dons merveilleux de plaisir, de communication, de communion et de don de soi aux autres.

L’engagement amoureux dans le dévouement et la fidélité sans partage du mariage renforce les liens de fécondité corporelle, sociale et spirituelle de la personne humaine5.

Ainsi la chasteté a une valeur positive en structurant la personne dans sa capacité d’aimer son corps humain.

Le corps humain devient ainsi le lieu d’ouverture aux autres dans le respect de la dignité humaine des autres corps qui ne sont point des objets à consommer, à exploiter ou à dominer, mais des sujets à aimer (Jean 13,34).

Une discipline s’impose à toute personne humaine, par la pratique de la chasteté pour soumettre les pulsions du corps et la force de l’instinct à la raison et à la volonté.

La modestie du regard, le dépouillement du cœur humain de la convoitise et le renoncement aux plaisirs narcissiques sont des moyens psychologiques et spirituels pour apprécier et intégrer le corps sexué comme un don pour la communion et l’amour.

La chasteté loin d’être une privation de plaisir ou une absence d’union sexuelle est une manière d’être qui apprécie le corps humain comme la présence visible de la personne désirante dans son ouverture aux autres corps sexués.

La chasteté est la capacité de vivre son corps sexué comme une ouverture au monde et à l’univers des autres corps.

Elle est capacité d’amour et de relation qui produit les émotions d’intimité et d’affection.

La chasteté est la capacité d’aimer et d’être aimé avec la distance et le respect qu’exige une communion authentique qui débouche sur la joie.

4 Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, PUF, 1971. 5 Xavier Léon –DUFOUR, Mariage et célibat, Cerf, coll. « COGITATIO FIDEI » 1965, pp. 25-38.

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2. La chasteté de l’homme et de la femme au service de l’amour

Les baptisés consacrent leurs corps humains au Seigneur, Jésus le Christ en devenant membres de son corps mystique.

Le corps humain des baptisés illuminé par le mystère de la résurrection du Christ devient une présence visible ordonnée à l’amour gratuit, désintéressé et oblatif.

Les baptisés qui s’engagent à vivre dans la continence jusqu’au mariage font l’option de désirer l’autre pour lui-même et non pour le plaisir immédiat qu’il procure.

L’expérience de la continence est pour les baptisés une meilleure préparation pour vivre la chasteté conjugale ou la chasteté permanente des personnes consacrées dans la vie cléricale ou celle des instituts religieux ou apostoliques.

Désirer l’autre pour lui-même est la marque d’une maturation affective qui sait reconnaître l’autre comme autre capable d’une parole échangée et d’une vie partagée sous le signe de l’alliance6.

Les époux chrétiens qui vivent la chasteté conjugale dans la fidélité à leur union monogamique s’engagent à vivre l’aventure amoureuse dans l’acceptation de la différence qui débouche sur une altérité enrichissante7.

Ils développent entre eux une union intime exclusive ouverte à l’amour érotique et romantique s’épanouissant dans une vie familiale au sein de l’Église domestique.

En personnes mûres et responsables, évêques, prêtres et diacres et membres d’instituts de vie consacrée et apostolique vivent librement et volontairement comme des eunuques du Royaume dans la pureté et la virginité fécondes de cœur et de corps (Matthieu 19, 12).

L’expérience de la chasteté des personnes consacrées est le renoncement à l’exercice de la sexualité génitale en vue de promouvoir les valeurs du Royaume de Dieu8.

Les valeurs du Royaume de Dieu ont noms : relation à Dieu, service d’amour du prochain, établissement de communautés fraternelles et égalitaires, service de la justice, de la communion et de la réconciliation dans l’esprit de l’évangile.

Pour promouvoir les valeurs du Royaume de Dieu les baptisés dans le respect de leurs appels respectifs acceptent de suivre le Christ chaste en unissant leur solitude affective à celle du Christ se donnant sans retour sur lui-même à l’humanité.

En portant la croix de la chasteté, les disciples du Christ chaste se convertissent aux valeurs du royaume et leur mort à eux-mêmes débouche sur la vie de relations inter- personnelles élargissant leurs cœurs libérés aux dimensions du Royaume de Dieu.

6 Jack DOMINIAN, Passionate and Compassionate Love: a vision for Christian marriage, DLT 1991, p 94 -95. 7 Donald Evans, “Can Christian teaching be good news about sex?” CONCILIUM, 1982. 8 Edward SCHILLEBEECKX, Celibacy. New York: SHEED and Ward, 1968.

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3. La virginité dans la vie consacrée et la fidélité dans le mariage

Beaucoup de baptisés continuent en notre temps de laxisme et de permissivité sexuelle d’adopter l’état de virginité dans l’état clérical et dans les instituts de vie consacrée et apostolique.

Les baptisés qui ont l’expérience de la continence sexuelle se sentent appelés pour des motifs apostoliques et eschatologiques à accueillir le don du célibat consacré.

Ce célibat consacré est inspiré par l’Esprit Saint en vue du service des pauvres, des malades, des rejetés, des exclus, des marginalisés et des handicapés de la vie.

Le désir d’une plus grande intimité avec Jésus le Christ pousse des hommes et des femmes à imiter le Christ dans l’état de Chasteté comme un trésor caché découvert au fond du cœur épris de la liberté d’aimer sans s’enfermer dans un amour érotique et romantique.

La chasteté en vue du Royaume de Dieu fait participer le baptisé consacré à la vie nouvelle de foi, d’amour et d’espérance de Jésus le Christ, vainqueur de la mort et promoteur d’un monde plus fraternel, plus juste, plus solidaire et plus réconcilié.

En renonçant à l’exercice de leur sexualité génitale, le baptisé consacré donne la priorité à sa relation à Dieu traduite souvent par un amour détaché de toutes formes d’égoïsmes.

Dieu en unissant l’homme et la femme dans les liens du mariage, appelle les époux au don mutuel de leurs corps (1 Corinthiens 7, 3-5 ; Ephésiens 5,21-32).

En effet, le mariage des baptisés promeut un amour généreux et parfait à l’exemple du Christ se donnant entièrement à son Église perçue comme son épouse9.

En vivant dans leur mariage le mystère de l’union du Christ avec l’Église, les baptisés vivent pleinement leur sexualité dans un dialogue existentiel qui n’exclut pas leur ouverture à Dieu dans la prière personnelle (1Corinthiens 7, 5).

Le mariage des baptisés est une valeur érigée en sacrement qui exprime l’union du Christ avec l’Église. Mais l’union charnelle de l’homme et de la femme dans le mariage sacramentel n’épuise pas le mystère de l’union du Christ avec son Église.

La fécondité de l’union du Christ avec son Église peut se traduire aussi par le célibat consacré des vierges, des veuves, des religieux et des clercs.

Les personnes consacrées des deux sexes peuvent trouver leur épanouissement humain en s’unissant au Seigneur à travers la rencontre solitaire d’une vie contemplative qui donne sens à leur service d’amour de l’humanité.

Aussi pouvons-nous affirmer sans risque d’erreur que la virginité et la fidélité dans le mariage monogamique ne sont point des vertus ringardes, insolites et étranges. Ce sont des contre-valeurs d’une

9 Pierre GRELOT, Le couple humain dans l’Écriture, Cerf, 1962.

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La grandeur de la chasteté chrétienne

société laxiste et permissive qui range le sexe au nombre des biens consommables bafouant la dignité de la personne dans sa capacité d’aimer.

Conclusion :

La grandeur de la chasteté chrétienne réside dans le fait de l’incarnation.

Le fils de Dieu en venant dans le monde de la création originelle à travers les traits de l’époux élève le mariage des baptisés au rang de sacrement.

L’union charnelle des époux baptisés exprime la fécondité de l’union du Christ avec l’Église dont il est la tête.

Les époux baptisés s’aiment en s’inspirant de la fidélité du Christ envers son Église.

La chasteté conjugale tire ses lettres de noblesse de la fidélité du Christ dont l’amour parfait et exemplaire façonne les nouveaux rapports entre hommes et femmes dans l’exercice de la sexualité génitale en vue du Royaume de Dieu.

La venue du Christ dans le monde n’abolit pas l’œuvre créatrice qui se poursuit à travers la procréation dans le mariage des baptisés.

Le Christ en inaugurant la création nouvelle par sa résurrection fonde la virginité comme un état anticipant le monde eschatologique.

En effet, « A la résurrection on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel (Matthieu 22,30).

Ainsi la grandeur de la chasteté chrétienne des personnes consacrées est le fait d’une vocation spéciale à imiter la chasteté du Fils de Dieu fait homme.

La réponse libre à cette vocation spéciale en fait une option personnelle, libre et volontaire.

La chasteté chrétienne des personnes consacrées est un charisme de l’Esprit Saint qui rend féconds les ministères du Royaume de Dieu.

Le mariage comme institution divine de la première alliance est la voie commune pour vivre la sexualité ordonnée à l’amour des conjoints, à la procréation, à l’éducation et à la socialisation des enfants.

Le mariage tout en étant le sacrement de l’union du Christ avec l’Église, ne fait pas l’objet d’un appel spécial du Christ comme l’est l’appel au célibat consacré.

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LES DEFIS DE LA PRATIQUE DU VŒU DE PAUVRETE RELIGIEUSE EN AFRIQUE

L’Afrique est un continent plein de ressources naturelles, où ne manquent ni les terres fertiles, ni les populations laborieuses, ni les initiatives politiques et économiques de développement.

Pourtant le mode dominant de vie en Afrique est celui de millions de personnes manquant de biens matériels indispensables à la vie heureuse.

Des désordres économiques, sociaux, politiques et culturels ont rendu impossible pour la majorité des africains la satisfaction de leurs besoins vitaux.

Dans le contexte d’une misère sociologique, toutes les formes de pauvretés se donnent rendez-vous en Afrique à travers des situations scandaleuses de manque, de dépendance, de précarité, d’insécurité, d’exclusion et de marginalisation.

Que peut signifier dans ce contexte de misère sociologique, la pratique du vœu de pauvreté 10 dans ce continent aux formes multiples de déshumanisations ?

De quoi témoigne la pauvreté religieuse11 en Afrique ?

Quelles valeurs véhicule la pauvreté religieuse12 en Afrique ?

Nous réfléchirons sur les défis de la pratique du vœu de pauvreté en Afrique en évoquant la pauvreté de Jésus le Christ qui enrichit comme paradigme de la vie religieuse en Afrique.

La pratique du vœu de pauvreté religieuse en Afrique ne deviendra crédible que si elle se libère d’une vision individuelle, ascétique et légaliste.

La pratique du vœu de pauvreté religieuse doit résolument s’orienter vers une perspective communautaire en contestant de façon prophétique la misère sociologique et en créant des liens de solidarité avec les pauvres appelés à transformer leurs situations scandaleuses de manque en opportunités de vies décentes.

1. Le sens de la pauvreté religieuse en Afrique

Dans l’Église catholique, les personnes consacrées s’engagent à imiter la générosité, la justice et la charité de leur maître et Seigneur, Jésus le Christ, qui de riche qu’il était s’est fait pauvre pour enrichir l’humanité (2 Co 8,9).

10 Jean-Marie R. TILLARD, « La pauvreté religieuse »dans Nouvelle Revue Théologique 92, 1970, 806-848, 906-94 ; « Religieux sur les chantiers des hommes », dans Lumen Vitae 30, 1975, 238-246. 11 Simon LÉGASSE, L’appel du riche, contribution à l’étude des fondements scripturaires de l’état religieux, «VERBUM SALUTIS, Collection annexe 1 », Paris Beauchesne, 1966. 12 Augustin GEORGE, La pauvreté évangélique, « Lire la Bible », 27, Paris, Cerf, 1971, pp.13-35.

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Les défis de la pratique du vœu de pauvreté religieuse en Afrique

Ainsi les personnes consacrées, selon le charisme de leurs instituts religieux, mettent en commun leurs possessions et en disposent de façon frugale pour des fins apostoliques.

Le choix d’une vie sobre et modeste par les personnes consacrées à l’exemple de Jésus le Christ témoigne du mystère de l’incarnation où le Fils unique de Dieu engendré éternellement se fait pauvre dans le temps pour élever l’humanité à sa réalité divine.

L’homme Jésus ne révèle sa nature divine qu’en embrassant la condition humaine précaire, contingente et fragile.

Cette forme de pauvreté radicale du Fils unique de Dieu qui se fait homme dans l’abaissement de sa condition divine est pratiquée par les personnes consacrées en Afrique pour vivre avec les pauvres et pour les pauvres.

En choisissant de vivre comme les pauvres, les personnes consacrées se rapprochent d’eux en leur exprimant leur solidarité et leur désir de partager par amour leur condition afin d’en éliminer les causes par des services appropriés.

Le style de vie pauvre des personnes consacrées en Afrique reflète le mystère de l’incarnation du Fils unique de Dieu qui s’abaisse pour enrichir l’humanité en manque.

Le partage de la condition des pauvres est une protestation prophétique contre les situations dégradantes de pauvreté qui méritent des efforts de mobilisation, de conscientisation et d’actions de libération pour des changements structurels.

La pratique du vœu de pauvreté des personnes consacrées en Afrique se réfère à Jésus qui annonce le royaume de Dieu qui équivaut à la fin des pauvretés.

En effet, l’être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu est dans sa condition actuelle, un être de manque.

Dans sa fragilité, l’être humain est dépendent de son milieu, incertain de sa destinée et menacé par la souffrance et la mort. Il ne doit son salut qu’à l’intervention gracieuse de Dieu dans l’histoire qui lui annonce la fin de sa pauvreté à travers l’œuvre du Christ.

La bonne nouvelle de Jésus le Christ inaugurant le règne de Dieu porte sur la fin de toutes formes de pauvreté humaine.

L’établissement du règne eschatologique de Dieu mettra fin au mal, à la souffrance et à la mort (Apocalypse21, 2-4).

Une nouvelle création rétablira l’être humain dans les biens indispensables pour une vie heureuse.

La pauvreté qu’elle soit matérielle, anthropologique, psycho-sociale ou ontologique sera bannie dans la nouvelle création.

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Les défis de la pratique du vœu de pauvreté religieuse en Afrique

Santé, bien-être, relations justes avec Dieu et le prochain et harmonie sociale seront les caractéristiques de la nouvelle création.

Cette nouvelle création est devenue une réalité historique avec l’entrée du Christ dans le monde comme serviteur s’abaissant jusqu’à la mort salvifique de la croix.

La pratique de la pauvreté religieuse est une imitation du Christ dans l’usage sobre et la mise en commun des biens temporels à travers un style de vie qui exprime la solidarité avec les pauvres.

En témoignant dans leur vie personnelle et communautaire de la pauvreté de Jésus le Christ, les personnes consacrées se donnent totalement à Dieu et à l’humanité pour continuer l’œuvre du Christ dans le monde.

La pauvreté de Jésus le Christ est ce mouvement descendant du Fils unique de Dieu vers l’humanité et le monde créé.

En devenant homme, le Fils éternel de Dieu, créateur et Seigneur, se fait pauvre pour enrichir l’humanité de l’autorité de sa parole et de l’intervention gracieuse de sa personne divine.

Devenu pauvre, Jésus le Christ fait participer l’humanité à la plénitude de sa vie divine.

Par les actions gracieuses de son ministère public, Jésus le Christ enrichit l’humanité de son pouvoir de guérison et de libération13. Il annonce aux pauvres, la fin de leur misère sociologique en transformant leurs situations de manque en béatitudes évangéliques.

L’espérance de la victoire de Jésus le Christ sur la souffrance et la mort est un appel à transformer les situations de misère sociologique en opportunités de vie décente compatible avec la dignité des personnes humaines.

En imitant la pauvreté de Jésus le Christ, la personne consacrée en contexte de misère sociologique devient solidaire des pauvres en mettant à leur service ses dons et talents comme moyens modestes de libération et de transformation de leurs situations scandaleuses de précarité, d’exclusion et de marginalisation.

Ainsi la profession et la pratique du vœu de pauvreté en Afrique deviennent des moyens de libération et de transformation des pauvres.

Valeur essentielle de la suite du Christ, la pauvreté religieuse requiert une vie simple et sobre détachée de la recherche immodérée des biens matériels.

En imposant des limites dans l’usage et dans la disposition des biens matériels selon le droit particulier de leurs instituts religieux, les personnes consacrées manifestent leur foi aux valeurs du Royaume de Dieu.

13 Dominique NOTHOMB, Comme un trésor caché…Essai sur la pauvreté évangélique, Paris, 1993.

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Les défis de la pratique du vœu de pauvreté religieuse en Afrique

2. Valeur de la pauvreté religieuse en Afrique

Les personnes consacrées mettent en commun leurs biens et salaires et les partagent fraternellement à l’intérieur et à l’extérieur de leurs instituts religieux.

Cette manière de vivre fut celle de Jésus durant son ministère public avec ses apôtres.

Ce style de vie privilégie la vie fraternelle, le projet commun des instituts religieux et le rayonnement de leurs œuvres communes avec les pauvres et pour les pauvres défavorisés.

La pauvreté religieuse exclut le cumul des richesses. Elle prône la gestion compétente des ressources limitées disponibles et le sens de la responsabilité dans l’usage du bien commun.

La pauvreté religieuse est une voie évangélique caractérisée par la possession commune et l’usage limité des biens matériels.

En tant que composante du projet de vie religieuse, la pauvreté évangélique est un bien qui unit les membres d’un institut dont le charisme spécifie les modalités.

La pauvreté évangélique est un mode de relation aux biens matériels motivé par l’imitation du Christ pauvre, humble, modeste enrichissant les pauvres par son attention fraternelle à leurs besoins.

La pauvreté évangélique est un bien en Afrique quand son organisation institutionnelle sert à reculer

Le règne de la pauvreté sociologique au profit d’une société, juste, fraternelle et sans pauvres.

3. Défis et impact de la pauvreté religieuse en Afrique

Le vœu de pauvreté des personnes consacrées n’est pas un engagement à vivre dans la misère qui est un mal à éradiquer dans les sociétés africaines.

Le vœu de pauvreté engage les personnes consacrées à assumer leur condition humaine dans la dépendance au Dieu de la révélation chrétienne qui comble les manques de ceux qui lui font confiance en s’abandonnant à sa providence.

Les personnes consacrées témoignent par leur foi de leur pauvreté radicale devant Dieu en vivant dans la confiance et en participant au mystère de la croix du christ par une vie d’abnégation et d’humilité.

En renonçant à la propriété personnelle au profit d’une communauté de partage de biens et de salaires, les personnes consacrées optent pour une société sans pauvres (Deutéronome 15, 4).

La mise en commun des ressources dans le cadre d’un projet de vie religieuse met les personnes consacrées dans les liens d’une fraternité et d’une communion senties et vécues (Actes 4, 34, 35).

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Les défis de la pratique du vœu de pauvreté religieuse en Afrique

Les communautés de personnes consacrées avec leur style modeste de vie contestent de façon prophétique la tendance des élites africaines à l’accumulation de l’avoir pour des fins de prestige, d’exploitation et d’oppression.

Les personnes consacrées manifestent surtout leur solidarité avec les pauvres de toutes sortes en créant avec eux et pour eux, des espaces d’écoute, d’accueil, de partage, de services organisés de promotion sociale et de développement.

Le vœu de pauvreté vécu de cette manière peut avoir un impact sur les sociétés africaines modernes dont le mode de pensée s’articule autour de l’économie de faibles revenus investis et partagés dans la solidarité communautaire.

Ce type d’économie au service des personnes est proche de la manière des religieux de mettre leurs biens et salaires en commun.

Le vœu de pauvreté vécu par les personnes consacrées peut susciter en Afrique un autre type d’économie au service des personnes où celles qui ont de faibles revenus peuvent former des communautés ou associations mettant en commun leurs ressources dont une gestion communautaire les rendrait moins vulnérables à la misère.

Ce type d’économie au service des personnes avec une gestion communautaire rigoureuse serait la contribution du style de vie des personnes consacrées aux nouvelles initiatives dans l’éradication de la pauvreté en Afrique.

Ce type d’économie présupposerait une règle de vie communautaire ou associative à laquelle adhèrent les personnes volontaires. Une économie au service des personnes volontaires avec une gestion communautaire rigoureuse peut mieux enraciner la solidarité dans les mœurs de l’Afrique moderne.

Ce type d’économie exigerait la conversion des mœurs en Afrique. La conversion des mœurs postule la fraternité vécue au quotidien sous le mode de la mise en commun des ressources rigoureusement gérées au profit des personnes et au service d’une société juste, paisible et harmonieuse.

Avec l’avènement d’une économie au service des personnes volontaires en communautés ou associations rigoureusement gérées, la misère sociologique disparaîtrait au profit d’une pauvreté qui enrichit, paradigme d’une vie de pauvreté religieuse heureuse.

Conclusion :

Pour inventer l’avenir de l’Afrique, il est urgent de recourir à la soif d’absolu qui anime les personnes consacrées qui font vœu de pauvreté religieuse pour conformer leur vie à celle de leur créateur et Seigneur, Jésus le Christ.

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Les défis de la pratique du vœu de pauvreté religieuse en Afrique

Témoins du Royaume de Dieu, les personnes consacrées optent pour une qualité de vie communautaire faite de mise en commun de ressources partagées selon les besoins et simplicité de vie de leurs instituts religieux.

Ce don de la vie religieuse à l’Église peut inspirer l’Afrique d’aujourd’hui et de demain dans la recherche d’un modèle de développement qui soit au service des personnes en communautés ou en associations.

La bonne nouvelle du vœu de pauvreté est qu’il est possible de bâtir une communauté fraternelle avec la mise en commun des biens et des salaires en vue d’un projet apostolique qui transforme le monde en royaume de Dieu.

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LES JOIES ET LES EPREUVES DE L’OBEISSANCE RELIGIEUSE

Le vœu d’obéissance, pratiqué dans le dialogue, est un engagement délibéré, volontaire, irrévocable et public à rechercher dans l’abnégation la volonté de Dieu dans les médiations de l’histoire ecclésiale d’un institut religieux.

Le vœu d’obéissance religieuse présuppose, un appel de Jésus à le suivre par amour dans sa mission, le charisme et le projet de vie de l’institut, le désir de se recevoir d’autrui, la responsabilité commune, le dialogue fraternel et l’exercice de la liberté avec l’autorité religieuse pour accéder dans la solidarité à une existence servante devant soi et devant Dieu.

Comment le vœu d’obéissance conditionne t’elle la participation des instituts religieux 14 à la mission de l’Église ?

Quel est le rôle de la liberté humaine dans la mystique15 politique de l’obéissance ?

Quelles sont les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse ?

Dans les lignes qui vont suivre, l’obéissance des personnes consacrées sera envisagée comme un moyen spirituel de caractère juridique reliant les membres d’un institut religieux dans la finalité commune de leur projet de vie fraternelle pour la mission de l’Église.

L’obéissance religieuse est basée sur la confiance réciproque et la solidarité des personnes consacrées dans un institut.

Elle contribue à l’union des cœurs dans l’unité et la cohésion de l’institut.

L’obéissance religieuse dispose les personnes consacrées à l’écoute de l’Esprit Saint à travers les réalités quotidiennes du « vivre ensemble » et de la mission.

L’obéissance des personnes consacrées est en étroite relation avec la dimension spirituelle de l’autorité reçue de Dieu pour le service de l’institut. L’autorité dans la vie religieuse est au service de la croissance spirituelle et humaine des personnes consacrées et du corps social et apostolique de l’institut.

Exercée à la manière aimante, discrète, attentive et respectueuse du Christ, l’autorité religieuse gère le paradoxe des intérêts particuliers des personnes consacrées et le bien commun du corps social et apostolique de l’institut à travers les entretiens personnels, les consultations et les concertations.

L’autorité spirituelle n’est efficace que si elle se fonde sur l’écoute mutuelle, le présupposé favorable, la liberté de la parole dans la communication interpersonnelle, l’ouverture des échanges fraternels à un

14 Nous envisageons les instituts religieux tels qu’ils sont définis au n° 607 du droit canonique de 1983. 15 La vie religieuse est une consécration à Dieu et au prochain dans l’union au Christ. Elle ouvre la possibilité d’une expérience mystique de l’obéissance gérée par l’autorité religieuse sous le mode unitif d’un accord du vouloir humain avec la volonté de Dieu. D’où la pertinence de l’expression « mystique politique ».

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Les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse

élargissement à la mission globale de l’Église, le discernement et les décisions appropriées pour les personnes et le choix des orientations apostoliques pour la mission de l’Église dans le monde.

1. Le vœu d’obéissance, condition pour une participation active des instituts religieux à la mission de l’Église

L’obéissance chrétienne n’est pas une soumission servile à Dieu comme à une autorité extérieure à soi. Elle ne consiste pas non plus à suivre des règles extérieures à soi ou à appliquer des normes d’une tradition religieuse bien établie au nom de Dieu.

L’obéissance chrétienne consiste pour le disciple de Jésus à consentir au réel de sa vie en y déchiffrant les appels de Dieu et en y répondant avec la grâce agissante de Dieu.

Ainsi l’obéissance est une manière authentique de vivre la foi en répondant à l’appel de Jésus à le suivre dans sa mission rédemptrice.

L’obéissance dans la perspective du Nouveau Testament est une réponse de foi à un appel de Jésus à le suivre dans sa mission d’amour. Comme corollaire, l’obéissance religieuse proprement dite est une ouverture du cœur à une parole de vie qui met en mouvement la liberté d’adhérer à Jésus et à sa mission dans une communauté dont le projet de vie est clairement défini dans ses Constitutions.

Pour le peuple d’Israël, l’obéissance était l’écoute attentive de la Parole du Dieu de l’alliance qui débouche sur la réalisation de ses promesses.

Dans le Nouveau Testament, l’obéissance est la condition de naissance et de croissance du nouveau peuple de Dieu.

Ce nouveau peuple de Dieu est engendré par le Père, à travers la proclamation du Royaume de Dieu par le Fils enseignant et guérissant. Le Fils en proclamant le Royaume de Dieu par son enseignement sur la nouvelle justice qui accomplit la Loi et les Prophètes suscite la foi de ses disciples qui le reconnaît comme le Christ. L’autorité de filiation de Jésus, serviteur de la nouvelle justice de Dieu dévoile le dessein bienveillant du Père à l’égard de son peuple.

En effet par l’obéissance, la Parole de Dieu s’est incarnée dans le nouvel Adam qui conduit à sa perfection la première alliance.

En Jésus de Nazareth brille l’obéissance du Fils éternel envoyé par le Père pour rassembler dans l’Esprit les fils d’adoption constituant le nouveau peuple de Dieu.

Le nouveau peuple de Dieu naît et croît à travers l’obéissance filiale, cette prise de conscience d’être aimé par le Père et d’être envoyé par le Père dans l’Esprit pour construire, l’Église, le nouveau peuple de Dieu.

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Les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse

La vie religieuse est l’une des voies de participation à la mission de l’Église au titre de servante de la mission du Christ.

La personne consacrée dans la vie religieuse s’identifie au Christ envoyé par le Père dans la puissance de l’Esprit pour faire advenir le Royaume de Dieu.

En consacrant toutes leurs personnes à Dieu, les religieux sont un don total à Dieu pour répondre à l’amour de Dieu reçu dans le don de l’appel à suivre radicalement Jésus le Christ, Fils et Serviteur.

Détachés du monde, les religieux appartiennent totalement à Jésus le Christ et deviennent des signes visibles, publics et ecclésiaux de la présence de leur maître et Seigneur.

Les religieux obéissent au Christ comme des épouses en partageant l’amitié et l’intimité de leur maître et Seigneur. Ils s’unissent au mystère pascal de leur maître et Seigneur en devenant des cultes vivants pour la louange de la Sainte Trinité.

Les religieux par leur donation totale et complète à Dieu reflètent dans le monde l’amour trinitaire qui est l’amour donné et reçu dans la plénitude de l’Esprit qui déborde en œuvres d’amour.

En consacrant leur liberté à l’avènement du Royaume de Dieu, les religieux font vœu d’obéissance à Dieu selon les Constitutions de leurs instituts pour prendre une part active à la mission de l’Église selon le charisme de leurs fondateurs.

L’obéissance religieuse en perspective chrétienne est ainsi l’offrande libre de soi pour participer à la mission du Christ à travers les médiations ecclésiales d’un institut.

Les religieux par leur vœu d’obéissance vivent l’évangile d’une manière pertinente selon le charisme de leurs instituts approuvés par l’Église.

La manière chrétienne de vivre des religieux est déterminée par leur aptitude à vivre le charisme de leurs instituts à travers un service particulier de l’Église.

Les religieux vivent l’obéissance à Dieu avec les membres de leurs communautés et à travers eux.

Le responsable du corps social et apostolique de l’institut religieux reçoit de Dieu l’autorité d’écouter l’Esprit Saint à l’œuvre dans la vie des membres pour discerner la direction que prend la mission d’amour de l’Église dans le contexte du temps et des personnes consacrées à Dieu.

L’autorité religieuse, don de Dieu, tient la place du Christ au sein des instituts pour être à l’écoute de l’Esprit Saint à l’œuvre dans les cœurs et dans la vie fraternelle des personnes consacrées.

2. Le rôle de la liberté humaine dans la mystique politique de l’obéissance

La vie religieuse dans les instituts de vie consacrée est toujours la proposition d’une expérience d’union avec Jésus le Christ.

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Les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse

La liberté humaine joue un rôle essentiel dans la mystique politique de l’obéissance.

La liberté humaine des religieux est sollicitée par la Parole de Dieu écoutée et accueillie comme une force de renouvellement de la vie d’amour avec le Dieu Trinitaire et le prochain.

L’appropriation de l’esprit des Constitutions des instituts religieux dans la vie quotidienne, dans le travail apostolique et dans les délibérations communautaires favorise l’écoute plus subtile de l’Esprit Saint à l’œuvre aujourd’hui dans le monde qui se fait.

La liberté humaine est au cœur de la croissance spirituelle de toutes vies d’amour avec le Dieu Trinitaire et le prochain. La liberté humaine est engagée dans le discernement des décisions personnelles et communautaires. Elle est mise en œuvre pour déterminer les options apostoliques.

Le bien commun d’un institut religieux est assuré par le service de l’autorité capitulaire, monarchique ou collégiale. Le gouvernement d’un institut religieux peut être paternel ou maternel, fraternel ou spirituel. Quel qu’il soit le gouvernement d’un institut religieux fait croître la personne consacrée afin qu’elle suive le Christ à l’écoute de sa Parole dans le contexte ecclésial et relationnel de son insertion contemplative et apostolique dans le monde.

La liberté de la personne consacrée est en permanence engagée dans un dialogue fraternel et confiant pour discerner avec l’autorité les décisions qui rendent possible la mission d’Église.

Les décisions de l’autorité se prennent à l’écoute de l’Esprit qui œuvre dans la personne consacrée en dialogue avec l’autorité et dans les instances de subsidiarité de l’institut religieux.

L’autorité religieuse aide à faire corps pour la mission de l’Église. Elle affermit la foi des personnes consacrées qui suivent Jésus le Christ à travers les ombres et les lumières d’un parcours aux modulations intérieures variées.

L’autorité religieuse trace les chemins de la mission en libérant les énergies généreuses de l’angoisse, des résistances et de l’indécision. Elle fait croître la liberté du corps social de l’institut dans une communion fraternelle plus grande pour la mission.

3. Les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse

L’appel de Jésus à le suivre dans un institut religieux façonne une manière d’être et de vivre dans l’Église.

La vie religieuse restructure et socialise la personne consacrée en lui donnant la joie d’une autre identité reçue d’une tradition ecclésiale et réappropriée dans la liberté d’une fidélité créatrice.

La vie religieuse offre d’immenses possibilités de relation de confiance mutuelle et de collaboration étroite.

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Page 22: La beauté de la vie religieuse

Les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse

La vie religieuse donne la joie de mener une vie d’amour oblatif pour Dieu et pour le prochain dans une Église qui témoigne de la présence de Dieu dans le monde.

La joie de se désapproprier de sa volonté individuelle au profit d’un projet commun de vie, la joie de l’évangile comme le nouveau fondement de vie dans la ligne particulière de l’institut, la joie d’aimer Jésus et de le faire aimer dans la prière comme dans l’action, la joie d’être un instrument modeste au service de la mission du Christ et de l’Église et la joie de la docilité à l’Esprit Saint sont autant de points de lumière dans le parcours d’une personne consacrée à Dieu et à l’humanité.

Les épreuves ne manquent pas dans la vie de la personne consacrée à Dieu dans l’obéissance religieuse.

Elles sont une participation au mystère pascal de Jésus. Elles adviennent dans les failles et fragilités de la personnalité et dans les traumatismes psychiques et les frustrations de la vie quotidienne.

Les épreuves ayant souvent des caractères passagers contribuent à la maturation religieuse et spirituelle. Elles sont les signes d’une vitalité qui se heurte à la réalité contingente de l’existence humaine.

Conclusion :

L’obéissance religieuse dans l’Église est un moyen spirituel d’union au Christ à travers une communauté vivant le charisme d’un fondateur d’institut de vie consacrée.

L’obéissance religieuse structure et socialise les personnes consacrées pour la mission du Christ dans l’Église.

L’exercice de l’autorité dans la vie religieuse permet d’obtenir sans contrainte des attitudes et des comportements qui disposent les personnes consacrées à la communion fraternelle et à la mission.

L’autorité religieuse s’exerce dans l’écoute mutuelle, la confiance et la soumission à l’Esprit Saint à l’œuvre dans la vie des personnes consacrées et dans une dynamique communautaire fidèle à l’esprit des Constitutions de l’institut.

Les joies du vivre ensemble, les joies de la croissance spirituelle et les joies de l’engagement dans la mission servante du Christ dans l’Église sont des actualisations constantes de l’alliance des personnes consacrées avec le Dieu Trinitaire révélé par Jésus le Christ pour une expansion de l’amour de Dieu dans le monde.

Si l’obéissance religieuse autorise les personnes consacrées à vivre dans l’amour à l’image du Dieu Trinitaire, les épreuves ne manquent pas dans la vie personnelle, communautaire et apostolique.

Les épreuves quand elles adviennent sont perçues par les personnes consacrées comme une participation au mystère pascal de Jésus le Christ.

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Page 23: La beauté de la vie religieuse

Les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse

Les épreuves ont noms : tentations, souffrance, fragilités, blessures, frustrations, rivalités mimétiques, manque de confiance à l’autorité religieuse, tiédeur, négligence, paresse, difficultés de santé, fatigue, désolation et découragement.

Conduites par l’Esprit Saint et une autorité bienveillante et miséricordieuse dans une communauté fraternelle, les personnes consacrées ont plus de joies que d’épreuves.

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Page 24: La beauté de la vie religieuse

LA PRIERE PROPREMENT EVANGELIQUE

La prière proprement évangélique est celle qui est inspirée par l’Esprit Saint et centrée sur la personne de Jésus le Christ révélant la voie unique et originale de s’adresser à Dieu comme un Père plein de sollicitude pour ses créatures.

Elle est une conversation cœur à cœur avec le Dieu révélé par Jésus le Christ comme le Père qui n’est qu’amour et source de tous les dons excellents.

Par la prière proprement évangélique, le Fils s’adresse au Père en action de grâces pour reconnaître son amour et adhérer à la réalisation de son dessein bienveillant sur lui, sur l’humanité et sur la création.

La prière proprement évangélique est une relation filiale où les disciples de Jésus animés par l’Esprit Saint s’adressent au Père de leur maître et Seigneur pour lui exprimer leur désir de l’aimer pour lui-même en le louant, en l’adorant, en le servant et en recherchant l’avènement de son règne d’amour, de paix et de justice.

La prière proprement évangélique est celle qui réunit les disciples de Jésus dans la louange, dans l’imploration et la supplication communes au sein d’une Église historique pauvre et sacrement du salut.

La prière proprement évangélique est fidèle à l’Esprit Saint. Elle inspire la suite de Jésus le Christ et réalise en lui et avec lui l’œuvre du Père qui est réconciliation, communion et nouvelle création.

En quoi la prière proprement évangélique reflète t’elle l’expérience humaine du Verbe de Dieu incarné en Jésus de Nazareth?

Comment les disciples de Jésus de Nazareth entrent-ils dans le mystère de la docilité filiale de Jésus en ayant en eux « les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus » (Ph 1,5). ?

Que nous révèle la prière des disciples de Jésus sur l’action de grâces qui est le climat de toutes prières authentiques faites au nom du maître et Seigneur Jésus le Christ ?

La perspective de notre réflexion est la prière proprement évangélique qui s’inspire de la manière de prier de Jésus qui fut une intense union filiale avec le Père par l’Esprit dans la louange et l’action de grâces.

Jésus, le Verbe incarné a prié comme un Fils qui s’adresse au Père, créateur de toutes choses et source de toute vie.

La prière de Jésus est une action de grâces qui communique par l’Esprit le don du Fils pour la vie du monde (Jean 6, 49-51).

Elle est l’anticipation d’un service humble de rédemption et de réconciliation qui passe par le don de soi pour la communion fraternelle.

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La prière proprement évangélique

La prière d’action de grâces de Jésus est une victoire anticipée sur le péché, la faim, les malheurs de l’existence humaine, la maladie et la mort.

La prière de Jésus est un sacrifice d’action de grâces mettant en évidence son existence pour Dieu et pour ses frères et sœurs qu’il sert jusqu’au bout par le don de sa vie, par amour.

Elle est une invitation à rendre grâces en toutes circonstances (1Th 5, 18 ; Col 3, 17).

La prière d’action de grâces de Jésus est au service de la communion fraternelle pour la gloire du Père, du Fils et de l’Esprit Saint.

Elle est l’assurance du Fils qui accomplit sa mission rédemptrice de réconciliation et de communion en suscitant la foi et en libérant les hommes et les femmes de toutes les formes de servitudes et d’aliénations.

La prière proprement évangélique est ininterrompue et faite dans la solitude d’un cœur passionnément et secrètement épris du Père (Luc 18, 1 ; Matthieu 6,6). Elle est faim et soif de l’amour du Père communiqué à travers la vie de son fils éternel incarné, Jésus le Christ.

1- La prière proprement évangélique : une expérience humaine du Verbe incarné en Jésus de Nazareth

Jésus, le Verbe incarné, le Fils de Dieu devenu notre frère, a prié Dieu comme un fils tendrement et infiniment aimé par un Père qui n’est qu’amour et source des dons qu’il reçoit continuellement pour lui-même et pour ses frères et sœurs en humanité.

Le cœur à cœur de Jésus avec Dieu révèle un Dieu proche, familier et prêt à écouter les confidences de son fils « Père, je te rends grâces de m’avoir écouté ; je savais bien que tu m’écoutes toujours… » (Jean 11, 41-42).

Jésus, le Fils de Dieu s’adresse au Père pour exprimer sa reconnaissance : « Je te dis ma reconnaissance Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux habiles et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Luc 10, 21).

La prière de Jésus est filiale. Elle est accueil des dons du Père, action de grâces et reconnaissance d’une relation d’amour qui le fait vivre dans la gratitude et dans l’abandon à la volonté du Père.

La prière de Jésus est celle d’un homme humble plein de reconnaissance et de confiance filiale, toujours en recherche constante de la volonté de Dieu pour satisfaire les besoins humains comme la faim ou la restauration d’une vie humaine (Matthieu 15, 32 ; Jean 11,39).

Jésus est toujours prêt à recevoir de son Père pour donner et distribuer ses dons comme un pain qui se partage dans la communion fraternelle.

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La prière proprement évangélique

La prière de Jésus est une participation à la bonté de Dieu (Jacques 1,17). Elle est toujours une anticipation d’une grâce que révèlent les besoins, les événements et les situations.

La prière de Jésus révèle le Père, un Dieu sans limites exerçant son action sur la création.

Elle est la vie intérieure de Jésus qui dans sa liberté d’homme rencontre un autre que lui dont le visage familier l’appelle à une réponse personnelle d’amour se traduisant par son engagement total pour la cause du règne du Père.

La prière de Jésus est l’écoute du Père dans la disponibilité en vue d’un don de soi à son œuvre de rédemption et de réconciliation de l’humanité.

La prière proprement évangélique est centrée sur la libération de l’humanité restaurée à l’image et à la ressemblance de son créateur et Seigneur. Elle introduit l’humanité dans le mystère de la filiation divine de Jésus dans l’Esprit.

En Jésus le Christ, l’humanité apprend à nouveaux frais la manière filiale de s’adresser à Dieu comme le Père éternel de Jésus le Christ.

Jésus le Christ révèle un Dieu qui n’est qu’amour (1 Jean 4,8). En effet, le Dieu Père est l’amour absolu, origine de tout ce qui existe. Le Père n’est que don totalement présent dans le Fils et dans l’Esprit Saint.

Par la prière proprement évangélique, Jésus le Christ associe ses disciples à la communion Trinitaire où tout est don, reconnaissance et amour mutuel dans l’action de grâces.

2- La prière des disciples de Jésus : une entrée dans le mystère de la docilité filiale du Maître et Seigneur et une expérience de discernement des motions de l’Esprit Saint

Les disciples de Jésus prient le Père révélé par le Fils dans l’Esprit.

La prière des disciples de Jésus est une expérience de communion. Elle est une attitude filiale à la suite de Jésus qui fait entrer ses disciples dans une communion avec le Père par l’Esprit.

Cette communion avec le Père, le Fils et l’Esprit Saint conduit à une communion fraternelle où les fils et filles d’un même Père se trouvent réunis dans l’Esprit Saint par le Verbe incarné, Fils et Frère.

En entrant dans la docilité filiale de Jésus, les disciples de Jésus par la prière proprement évangélique entrent dans le projet du Père qui est de restaurer l’humanité et le monde captifs de la chair et des défaillances des libertés humaines.

La prière proprement évangélique est centrée sur les gestes et attitudes de Jésus qui suscitent un amour généreux et désintéressé, fruit de la contemplation du Seigneur dans les évangiles.

La contemplation de Jésus dans les évangiles conduit les disciples de Jésus à marcher sur les pas de leur maître et Seigneur qui était très sensible à la misère des pauvres et des marginalisés de son temps.

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La prière proprement évangélique

La prière proprement évangélique médite sur l’histoire humaine comme point d’ancrage de l’annonce de la bonne nouvelle. Elle y découvre les traces et les signes de la présence de Dieu qui appellent à une action inspirée par l’Esprit Saint.

La prière proprement évangélique est celle qui entre dans l’expérience douloureuse de Jésus à Gethsémani. Elle n’épargne pas aux disciples les souffrances mais elle produit en eux l’esprit de supplication dans la constance et la persévérance.

La prière proprement évangélique exige le discernement des esprits16.

Les disciples du Seigneur en prière doivent trier les motions de l’Esprit Saint dans le flot des désirs, pensées, images qui agitent leur vie intérieure.

Attentifs à l’Esprit Saint qui animait les gestes et attitudes de Jésus contemplé dans les évangiles, les disciples du Seigneur sauront reconnaître dans leur propre vie intérieure les motions de l’Esprit Saint qui leur apportent la paix, la joie, le courage et la croissance dans la foi, l’espérance et la charité.

Les disciples du Seigneur par la prière proprement évangélique peuvent discerner à travers leurs désirs, aspirations et rêves, les motions de l’Esprit Saint qui les conduiront à prendre part au projet de Jésus sur l’humanité et sur le monde.

3- La prière de Jésus : une continuelle action de grâces anticipant dans l’Esprit le règne du Père

La prière de Jésus est une continuelle action de grâces anticipant dans l’Esprit le règne du Père.

Jésus se laisse mener par l’Esprit Saint pour révéler l’amour gratuit et désintéressé du Père se manifestant dans le dénouement tragique de son ministère à Golgotha.

A Golgotha, Jésus fit l’expérience de l’absence de Dieu.

Jugé, torturé, humilié et rejeté, Jésus est le pauvre homme défiguré et crucifié qui révèle Dieu par son humilité et son désir de pardonner ses bourreaux.

Cette expérience ultime de l’absence de Dieu est le lot de tous ceux qui s’abandonnent au mystère du Dieu Trinitaire dont la présence dans le quotidien est humble, discrète et secrète.

En effet le Dieu Trinitaire ne se manifeste pas habituellement dans les événements exceptionnels de la vie quotidienne. Il est le Dieu caché qui respecte la liberté humaine et apprécie l’offrande des pauvretés et fragilités qui mènent à une foi nue et à une espérance contre toute espérance.

16 Jacques Guillet, « Discernement des esprits »dans le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Saint –Augustin, 1999, vol. 3, col. 1222-1247.

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La prière proprement évangélique

Le Dieu Trinitaire est à la fois transcendant et proche, Inconnaissable dans son essence mais saisissable dans le visage humain de Jésus, le Christ. 17C’est à travers l’humanité de Jésus de Nazareth que les disciples de Jésus s’approprient le mystère de leur relation au Père dans l’Esprit Saint.

La prière proprement évangélique est la communion au Père, au Fils et à l’Esprit Saint. Elle est continuelle action de grâces, louange, jubilation, supplication et service de la communion fraternelle.

Conclusion :

La spécificité de la prière des disciples de Jésus se laisse percevoir à travers l’Esprit Saint qui est à l’origine du style proprement évangélique de la vie chrétienne. L’Esprit Saint inspire la prière chrétienne (1 Th 5, 19-22).Discerner selon l’Esprit Saint revient à reconnaître les motions qui guident les libertés humaines dans la recherche d’une vie proprement évangélique. La prière chrétienne est la méditation de l’évangile qui change le regard porté sur l’histoire humaine. Le regard évangélique s’éduque à travers la Parole de Dieu, la vie de l’Église et l’histoire du monde.

17 Bruno Forte, La Trinité comme une histoire, Paris, Nouvelle Cité, 1989.

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L’ACCOMPAGNEMENT SPIRITUEL DANS LA TRADITION DE SAINT IGNACE DE LOYOLA

L’appel impératif du concile Vatican II de tous les baptisés à la sainteté nous invite à réfléchir sur l’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola comme un moyen de développement et d’approfondissement de la vie chrétienne.

Nul ne peut avancer et croître dans la vie spirituelle sans l’aide d’un guide éclairé qui l’entraîne dans sa passion de conformer sa vie à l’évangile.

L’accompagnateur qu’il soit un homme ou une femme est le témoin de l’éveil d’un frère ou d’une sœur à la vie spirituelle.

L’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola remonte aux origines du Christianisme. Il est un ministère pratiqué pour rendre les baptisés conformes à l’évangile.

En quoi le ministère d’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola est-il important dans le cheminement humain et la quête de l’accomplissement spirituel des baptisés ?

Quelles sont les responsabilités de l’accompagnateur spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola ?

Comment les baptisés qui ont un désir passionné de la sainteté peuvent-ils aujourd’hui tirer profit de l’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola ?

Notre réflexion fera appel au baptisé accompagné comme le centre de la relation d’aide spirituelle. L’expérience spirituelle du baptisé est l’horizon qui met en évidence la qualité du lien mystérieux qui l’unit à la personne mandatée par l’Église pour l’aider à retrouver dans sa vie les signes et les contre signes de la présence du Dieu qui fait grâce.

Dans la tradition de saint Ignace de Loyola, l’accompagnateur spirituel a un rôle comparable à celui de la sage-femme. Il aide à la naissance de Dieu dans le cœur croyant de l’accompagné 18en stimulant sa générosité et sa capacité de discernement. Il encourage l’accompagné tenté et désolé et le rassure en lui révélant les ruses de l’ennemi de la nature humaine. Il adapte les exercices spirituels au tempérament et à l’expérience unique et originale de l’accompagné.

Sans se substituer à l’accompagné, l’accompagnateur est le témoin privilégié de l’action de Dieu dans l’expérience spirituelle du baptisé avec qui il fait route en observateur de ce qui se passe dans son âme et en l’aidant à répondre à son appel à la sainteté (Matthieu 5, 48).

1- L’importance du ministère de l’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace

18 Le directoire des exercices spirituels de 1591.

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L’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola

L’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola est une activité d’aide aux personnes qui font les exercices spirituels pour discerner la volonté de Dieu. (Annotations des Exercices spirituels 1, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 14,15, 17, 18).

Les personnes qui reçoivent les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola ont, dans le cadre de l’accompagnement spirituel, des entretiens avec ceux qui les donnent.

L’accompagnement spirituel dans le cadre d’une retraite à la manière de saint Ignace de Loyola, consiste à suivre les personnes en prière pour les aider à être dociles au maître intérieur qui est l’Esprit Saint.

L’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola peut se faire en dehors du cadre d’une retraite accompagnée en appliquant les règles des Exercices spirituels aux situations concrètes de la vie quotidienne.

Il a souvent pour objets : le cheminement vers le choix d’un état de vie, la prière, la conversion, un projet de vie chrétienne, les relations dans toutes leurs complexités, les crises de croissance humaine, la prise ou la mise en œuvre d’une décision, le discernement des esprits, une délibération ou le cheminement vocationnel dans une maison de formation religieuse ou cléricale.

L’accompagnement spirituel est centré sur l’écoute de la personne en recherche de la volonté de Dieu (Exercices spirituels 1,4).

Il se vit au sein de l’Église où la foi grandit à travers le discernement des motions de l’Esprit Saint.19

L’accompagnement spirituel a pour matière première, la totalité de l’expérience humaine du baptisé traversée par l’action gracieuse de Dieu rencontrant l’ouverture ou les résistances de celui-ci. Entièrement fondé sur l’expérience de la personne qui fait les exercices spirituels, l’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola vise à connaître les divers mouvements intérieurs qui agitent la conscience de l’orant en situations de discernement.

Les motions intérieures dans le discernement de leur origine permettent à l’accompagnateur et à l’accompagné d’interpréter les états intérieurs de consolation et de désolation.

L’ouverture de cœur de l’accompagné autorise l’accompagnateur spirituel à confirmer l’œuvre de l’Esprit Saint dans la vie intérieure du baptisé en l’aidant à surmonter ses tentations et en lui dévoilant ses illusions.

Le but de l’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola est de communiquer la vie du Christ à l’accompagné en le mettant en contact direct avec Dieu.

Le contact direct avec Dieu se fait à travers la prière méditative ou contemplative.

Le but de la prière méditative ou contemplative est de faire entrer l’accompagné dans le silence qui précède l’appropriation et l’assimilation des mots et images de la Sainte Écriture. 19 1 Jean 4, 1.

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L’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola

Dieu étant au-delà des mots et des images, la rencontre de Dieu s’effectue dans le silence du cœur où le tout-autre se révèle librement à l’âme dévote.

La rencontre de l’âme dévote avec Dieu est attestée positivement par les dons divins de la paix et de la joie qui dilatent le cœur de l’orant à la pauvreté évangélique, à l’humilité existentielle et à la charité discrète se déployant dans la foi et l’espérance.

L’accompagnateur spirituel facilite les conditions d’une vie de croissance spirituelle en invitant l’accompagné à centrer sa relation à Dieu sur le cœur priant libéré des attaches mondaines.

En s’adonnant aux exercices spirituels, l’accompagné qu’il soit dans le cadre d’une retraite ou dans son environnement familier unifie son être dans un recueillement qui se laisse affecter par l’Esprit de Dieu.

Les exercices spirituels faits dans le cadre de l’accompagnement ont pour fonction de traduire l’évangile dans la vie quotidienne de l’accompagné.

La Parole de Dieu entendue, méditée, contemplée et goûtée intérieurement croît la liberté de l’accompagné d’aimer Dieu et le prochain.

En se recevant de Dieu à travers la contemplation du Fils en qui Dieu s’est révélé, l’accompagné s’ajuste progressivement aux caractéristiques fondamentales de la vie du Christ, son créateur et Seigneur.

La relecture de la vie quotidienne à travers la prière de vigilance joue un rôle essentiel dans la croissance spirituelle.

Cette prière d’évaluation d’une journée repère les bienfaits du Dieu créateur dans l’existence concrète de l’accompagné pour le rendre reconnaissant et rempli d’action de grâces.

En revisitant ses pensées, ses paroles et ses actions, tout au long de la journée passée, dans une prière d’alliance, l’accompagné se rend docile à l’Esprit Saint en découvrant avec émerveillement les traces de la présence de Dieu dans sa vie et son manque de générosité à l’égard de l’action de Dieu.

Les péchés commis et regrettés font l’objet de demande de pardon avec une contrition qui prépare l’amendement et la reforme de vie.

Ainsi la prière constante et régulière de l’accompagné aboutit à la louange, à la révérence et au service du Dieu créateur et Seigneur qui fait signe à travers les créatures et la création.

2- Les responsabilités de l’accompagnateur spirituel.

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L’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola

Dans une relation d’aide spirituelle, l’accompagnateur qui a des aptitudes requises20 s’embarque dans une aventure humaine qui met en relief, le mystère de la personne humaine et le mystère de la grâce.

En facilitant la rencontre de l’accompagné avec le Dieu vivant, créateur et seigneur de la tradition chrétienne, l’accompagnateur spirituel se rend totalement disponible par le don d’une présence attentive et affirmative.

L’accompagnateur spirituel est un communicateur qui se rend présent à l’accompagné par son écoute, son regard empathique et par sa capacité d’amour.

La tâche de l’accompagnateur est d’écouter attentivement ce qui arrive aux baptisés accompagnés dans leur relation à Dieu.

L’accompagnateur spirituel aide les baptisés accompagnés à relire leur vie à la lumière de l’action de l’Esprit Saint.

L’accompagnement spirituel apporte aux baptisés accompagnés le soutien et la confirmation de leur vocation spécifique.

La personne qui accompagne est perçue comme un confident discret qui écoute avec respect l’expérience humaine des baptisés accompagnés.

Elle apporte aux baptisés accompagnés un soutien effectif qui leur permet de progresser dans l’amitié et dans l’intimité du Christ médité et contemplé à la lumière de l’évangile.

La prière de l’accompagné le conduit à des choix et à des renoncements évangéliques. Elle devient sur fond de persévérance, la présence de l’accompagné à Dieu qui l’interpelle dans sa vie quotidienne et l’introduit dans la pâque du Christ.

La Pâque du Christ est le passage de la mort à la vie. C’est en mourant en lui-même et en vivant dans le Christ ressuscité que l’accompagné devient un homme ou une femme complètement mortifiés capables de faire la volonté de Dieu qui donne à l’existence chrétienne paix et joie.

3- L’accompagnement spirituel aujourd’hui et demain

Prier est l’une des activités humaines qui met le baptisé en contact avec l’évangile de Jésus le Christ.

La vie spirituelle pour le baptisé consiste à recevoir en soi la vie du Christ, à travers la prière enracinée dans une vie d’engagement professionnel, social et politique.

Cette vie est reçue, dans la tradition de saint Ignace de Loyola selon les aptitudes de ceux qui font les exercices spirituels.

20 Une bonne formation et une longue et profonde expérience de l’accompagnement spirituel sous la supervision des professionnels d’aide sont nécessaires.

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L’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola

L’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola adapte la communication de la vie du Christ à la personne qui fait les exercices spirituels en respectant ses forces physiques et psychiques.

Tout baptisé peut tirer profit de la tradition de saint Ignace de Loyola en faisant la relecture de sa vie et de sa prière sous la conduite d’un accompagnateur compétent et fraternel.

L’accompagnement spirituel insiste sur la suite du Christ comme un chemin vers Dieu. C’est en devenant un disciple du Christ que le baptisé entre dans la plénitude de l’appel à suivre le Christ. Cet appel à suivre le Christ est balisé par la grâce de la conversion obtenue dans la première semaine des exercices spirituels.

Avec la restauration de la liberté humaine disposée à faire un bon usage des créatures, la vie s’ordonne autour du Christ comme principe et fondement de l’existence chrétienne.

L’accompagnement spirituel aide à parcourir le chemin du Christ vers Dieu à travers la connaissance pratique du Christ qui se livre dans les évangiles contemplés et médités en vue de la transformation du baptisé qui fait dans son histoire du salut, l’expérience de la miséricorde divine, à travers sa contemplation du Christ en croix mort pour les péchés d’une humanité exilée de Dieu.

L’accompagnement spirituel est au service de la croissance humaine et spirituelle en délivrant les baptisés de tout repliement sur eux-mêmes. Il promeut une remise entière du baptisé à Dieu aimé et servi dans le désintéressement, la fidélité et dans le don concret de lui-même aux appels de la famille, de l’Église et de la société.

La prière à la manière de saint Ignace, loin d’être un temps d’évasion est surtout un stimulant pour surmonter les difficultés quotidiennes et les appels de la grâce.

En notre temps d’angoisses et de stress, l’accompagnement spirituel valorise la purification du désir, la liberté de cœur, la prise de parole pour s’assumer comme sujet de sa propre histoire sainte.

Une attention à l’action de Dieu dans une vie chrétienne doit rendre l’accompagnateur spirituel plus sensible à l’expérience spirituelle de l’accompagné à travers sa prière et la relecture de sa vie qui donnent des indications sur ses attitudes et choix.

L’accompagnateur spirituel aide le baptisé accompagné à structurer au gré de la grâce, son intelligence du mystère chrétien en l’ancrant sur des pratiques ascétiques et éthiques appropriées.

Conclusion :

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L’accompagnement spirituel dans la tradition de saint Ignace de Loyola

La vie du Christ se transmet à travers ceux qui s’approprient l’évangile en contemplant du fond de leur cœur la personne et l’œuvre de Jésus le Christ.

L’accompagnement spirituel est l’un des moyens mis à la disposition des baptisés pour les amener à atteindre la plénitude de la vie du Christ.

La vie spirituelle reçue comme un don conduit le bénéficiaire à des attitudes évangéliques de pauvreté, d’humilité et de générosité.

La conversion aux attitudes évangéliques conduit le contemplatif dans l’action à continuer la mission du Christ dans la vie professionnelle, sociale et politique.

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LES CONSTITUTIONS DE LA COMPAGNIE DE JESUS : UN CHEMIN POUR LE SERVICE DIVIN DE LA MISSION DU CHRIST

Les Constitutions de la Compagnie de Jésus21 présentent avec rigueur la manière de procéder qui fraie aux personnes consacrées dans la vie religieuse Jésuite un chemin particulier pour le service de la mission du Christ dans l’Église et dans le monde.

Admis, formés, incorporés et envoyés dans « la vigne du Seigneur », les Jésuites à la suite du Christ, appartiennent à un corps apostolique, fraternel, vivant et dynamique maintenu dans l’unité par un gouvernement spirituel et une mystique d’obéissance et de dialogue fraternel dans la confiance mutuelle.

Cet essai montrera comment le candidat à la vie religieuse qui choisit librement de vivre comme Jésus, serviteur, pauvre, humble et obéissant à la suite de la pratique des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola devient un compagnon avec Jésus aux différentes étapes de son incorporation dans le groupe missionnaire des Jésuites.

La vie personnelle et apostolique du compagnon de Jésus étant comprise comme une continuation de l’œuvre du Christ, la consécration à la mission du christ après une longue probation est perçue comme une invitation spirituelle, morale et juridique à devenir un membre vivant, fraternel et dynamique d’un corps apostolique qui se construit dans l’histoire de l’Église à travers les moyens surnaturels et naturels.

Que nous révèle de l’identité Jésuite une analyse attentive du texte des Constitutions de la Compagnie de Jésus ?

Quelles expériences et quelles pratiques ont-elles conduit la Compagnie de Jésus à élaborer ses Constitutions ?

En quoi Les Constitutions de la Compagnie de Jésus peuvent t’elles refonder cet institut religieux dans son insertion concrète dans l’histoire de l’Église et dans le travail d’évangélisation du monde ?

Dans un premier temps de notre réflexion, nous préciserons l’identité de la Compagnie de Jésus en parcourant le mouvement génétique des Constitutions qui fait passer de façon progressive les membres du corps apostolique des médiations spirituelles, humanistes, philosophiques, scientifiques, théologiques et pastorales au service actif du prochain pour lui faire atteindre sa fin selon le principe et fondement des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola.

Dans un second temps, nous mettrons en évidence l’engagement des membres du corps apostolique de la compagnie de Jésus à entrer dans les expériences et les pratiques qui ont été à l’origine de l’institut.

Enfin nous examinerons l’actualité des Constitutions pour la compagnie de Jésus d’aujourd’hui et de demain.

21 Les Constitutions de la Compagnie de Jésus (Collection Christus), T.1, DDB, Paris, 1967.

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

Notre réflexion sera dans le prolongement des travaux, de Joseph de GUIBERT22d’André Ravier 23 d’André de JAER24, d’Antonio M. de ALDAMA25 et de Dominique Bertrand26.

Elle s’articulera autour des principes de discernement et d’élection contenus dans les Constitutions qui rendent possible l’organisation du corps apostolique de la Compagnie de Jésus en vue de la mission du Christ.

Les mécanismes de vie commune seront examinés et évalués selon la perspective génétique qui donne une meilleure intelligence du texte des Constitutions.

1. L’identité de la Compagnie de Jésus selon les Constitutions.

Les Constitutions de la Compagnie de Jésus révèlent l’identité Jésuite par la manière dont elles présentent la genèse du Jésuite de la candidature à la profession des vœux solennels27.

Tout Jésuite est un disciple de Jésus qui quitte tout pour le suivre.

En suivant Jésus dans l’abnégation, le Jésuite devient par les conditions et les moyens de sa formation religieuse, humaniste, scientifique, philosophique, théologique et pastorale, un apôtre, un frère et un prêtre de l’Église Catholique.

La Compagnie de Jésus selon ses Constitutions est une manière particulière d’accueillir les disciples de Jésus et d’organiser leur mission fraternelle, apostolique et sacerdotale en Église selon les décrets d’approbations papales de 1540 et 155028.

Les Jésuites forment un corps fraternel « d’amis dans le Seigneur »dont le charisme est d’annoncer le royaume de Dieu à la manière des apôtres.

Les Jésuites ont pour vocation d’annoncer le royaume de Dieu à l’univers habité.

22 Joseph de GUIBERT, La spiritualité de la Compagnie de Jésus, Rome, 1953. 23 André Ravier, Ignace de Loyola fonde la Compagnie de Jésus, Paris, DDB (coll. Christus, n°36) – Bellarmin, 1974. 24 André de JAER, Faire Corps pour la mission : Une lecture sapientielle des Constitutions de la Compagnie de Jésus , Édition LESSIUS, Bruxelles, 1998. 25 Antonio M. de ALDAMA, The Constitutions of the Society of Jesus: An introductory commentary on the Constitutions, ST. Louis Missouri, 1989. 26 Dominique BERTRAND, Un Corps pour l’Esprit, Paris, DDB (coll. Christus, n° 38), 1974. 27 L’Examen premier et général présente au candidat la compagnie et amorce un dialogue avec lui en lui indiquant les caractéristiques fondamentales de la vocation Jésuite. Les parties I et II des Constitutions abordent l’admission en probation et le renvoi des candidats qui ne sont pas aptes à la vie religieuse Jésuite. Les parties III et IV des Constitutions présentent la formation spirituelle, intellectuelle et pastorale des Jésuites en formation. La partie V des Constitutions traite de l’incorporation du Jésuite formé. 28 La Formule de l’Institut approuvée par Paul III le 27 septembre 1540 présente l’identité de la Compagnie de Jésus et sa mission comme un ordre religieux de clercs réguliers. Le pape Jules III confirme la formule de l’Institut dix ans plus tard en 1550 en élargissant ses perspectives selon l’expérience de l’ordre.

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

Ils font un vœu spécial d’obéissance au pape en ce qui regarde les missions et se disposent à promouvoir le bien universel de l’évangélisation par leur disponibilité et mobilité.

Ordonnés au titre de la pauvreté volontaire et de la science suffisante, les Jésuites ne se fixent pas de façon permanente en un lieu mais manifestent une mobilité missionnaire par leurs œuvres apostoliques variées orientées vers la formation chrétienne.

La cause du royaume de Dieu pour les Jésuites s’identifie au combat pour Dieu et pour l’humanité appelée à se constituer en fraternité universelle dans la justice, le partage et la solidarité.

Les Jésuites selon la formule de l’institut travaillent pour la propagation et la défense de la foi Catholique reçue des apôtres de Jésus Christ.

Ce combat pour Dieu sous l’étendard de la croix est mené à travers la proclamation de la Parole de Dieu, les ministères spirituels, l’apostolat social, l’éducation des couches sociales, l’administration des sacrements, les œuvres de charité et de miséricorde et l’évangélisation des cultures par le service de la foi et la promotion de la justice29.

En effet,

La fin de la Compagnie n’est pas seulement de s’occuper, avec la grâce divine, au salut et à la perfection de nos âmes, mais avec cette même grâce, de travailler intensément à aider au salut et à la perfection de celles du prochain.30

Les Jésuites se distinguent des autres disciples et apôtres de Jésus Christ par l’organisation en institut religieux de leur vie fraternelle qui manifeste la présence du Christ serviteur, pauvre, humble et obéissant livrant sa vie dans la gratuité de l’amour oblatif.

Les Jésuites qui suivent le Christ optent pour une pauvreté évangélique qui libère en eux, la joie et l’humilité du cœur. Ils se disposent à embrasser la folie de la croix en rejetant la logique du monde.

Les Jésuites n’ont rien en propre. Ils mettent en commun leurs ressources et vivent comme des pauvres à travers une simplicité et une sobriété de vie. Vivant sous l’étendard de la croix, ils sont prêts à donner totalement leur vie pour l’annonce de l’évangile.

Embrasser la folie de la croix présuppose le choix lucide de partager la vie de Jésus par le rejet de la gloire furtive qui vient des hommes en travaillant uniquement et exclusivement pour la gloire de Dieu.

29 « Quiconque veut militer pour Dieu , sous l’étendard de la croix, dans notre Compagnie à laquelle nous désirons donner le nom de Jésus, et veut servir notre unique Seigneur et le Pontife Romain, son vicaire sur la terre, doit bien se persuader qu’il devient, après avoir prononcé solennellement le vœu de chasteté perpétuelle, un membre d’une communauté fondée avant tout pour l’avancement des âmes dans la vie et la doctrine chrétiennes, pour la propagation de la foi par la prédication, par les exercices spirituels et les œuvres de charité, et tout particulièrement pour l’enseignement de la religion aux enfants et aux gens sans culture »(Formule de l’institut, n°1) 30 Examen général, n°3.

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

La gloire de Dieu est le rayonnement du service apostolique qui crée des liens de solidarité dans la communauté fraternelle de l’humanité disposée à inscrire le royaume de Dieu dans les relations interhumaines de réconciliation, d’amitié et de coexistence pacifique.

Le royaume de Dieu est la manière de Jésus de restaurer des liens de fraternité, de justice et d’égalité au sein de l’humanité divisée et bafouée par la répartition injuste des biens de la création.

Dans les Exercices Spirituels de saint Ignace, Jésus pour établir le royaume de Dieu invite la personne qui médite à militer sous l’étendard de la croix.

Le Jésuite est le disciple dont le désir est éveillé de suivre radicalement son maître dans la peine pour partager sa gloire.

En optant pour le royaume de Dieu, le disciple se décentre de ses intérêts et de ses préférences pour s’offrir à l’œuvre du rétablissement de la fraternité au sein de l’humanité.

Fasciné par la douceur et l’humilité de Jésus, le Jésuite devient compagnon de Jésus pour manifester l’amour de Dieu au monde par le service apostolique.

Ce Christ serviteur, pauvre, humble et obéissant est celui qui est contemplé dans les méditations centrales de la deuxième semaine des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola.

C’est le Christ invitant à militer sous l’étendard de la croix avec la promesse de partager sa vie dans la peine et dans la gloire.

Ce Christ opère en celui qui le suit le dépouillement radical qui rend disponible pour son œuvre de salut. Celui qui suit le Christ partage son intimité et son esprit de service.

Tout Jésuite est alors invité à refaire à travers les Exercices Spirituels l’expérience religieuse31 de saint Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus.32

L’expérience religieuse de saint Ignace de Loyola est consignée dans le livret des Exercices Spirituels.

Les Exercices Spirituels permettent la rencontre avec Jésus, le fils unique de Dieu qui invite ses disciples à une vie d’intimité et de service apostolique.

La contemplation des mystères de Jésus et de son message conduit la personne qui fait les Exercices Spirituels à une démarche de conversion qui aboutit à un choix de conformer sa vie à celle de Jésus, le modèle d’une vie livrée dans la gratuité de l’amour pour le salut de l’humanité.

Ainsi le Jésuite est celui qui ayant rencontré le Christ des évangiles se décide dans la docilité à son Esprit à incarner sa suite du Christ dans le corps vivant, dynamique et fraternel de la Compagnie de Jésus.

31 L’expérience religieuse proposée par saint Ignace dans les Exercices Spirituels consiste à se découvrir comme une créature aimée de Dieu et comme un pécheur pardonné par un Dieu bon et miséricordieux qui appelle la personne qui fait les Exercices Spirituels à devenir disciple partageant la vie d’envoyé du Jésus, rédempteur de l’humanité souffrante. 32 Joseph THOMAS, Le Christ de Dieu pour Ignace de Loyola, Paris, DDB (coll. Jésus et Jésus Christ, n°15), 1981.

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

Le Jésuite suit le Christ, serviteur, pauvre, humble et obéissant qui se livre par amour pour le salut de l’humanité.

L’expérience personnelle des Exercices Spirituels offre au Jésuite un cadre de prières et d’actions pour son dialogue spirituel avec le monde à évangéliser.

Durant sa formation initiale, le Jésuite refait l’expérience de saint Ignace, pèlerin sur les routes de son temps pour dépendre humblement de Dieu et de ses contemporains pour la nourriture et le logement. Cette vie errante du fondateur de la Compagnie de Jésus après sa conversion est un exercice spirituel d’humilité, de confiance et de pauvreté.

Le Jésuite en formation initiale qui part en pèlerinage comme saint Ignace fait :

Une découverte de la liberté et de la mobilité liées plus tard à la mission apostolique ; une confiance de la conduite de Dieu et la capacité de manifester cette confiance par une humble dépendance à l’égard de ceux dont on attend nourriture et logement, ainsi que le renoncement à toute assurance propre pour le soutien même de sa propre vie ; l’entrée plus consciente dans un univers régi par la gratuité du dialogue et de l’échange ; l’adhésion à une pauvreté concrète faite de remise de soi-même dans les mains des autres et de Dieu ; l’entrée dans une prière qui accompagne et soutient la marche de chaque jour. L’exercice auquel se plie humblement le corps provoque à son tour l’appauvrissement intérieur et une souplesse faite de modestie dans la rencontre de Dieu et des hommes. La tradition de la vie religieuse a toujours souligné l’importance des rythmes physiques et de la discipline corporelle pour grandir dans l’accueil de l’Esprit. Ici l’exercice auquel se plie le pèlerin opère autrement que la régularité monastique ; si cette dernière avec douceur et constance, soumet le désir à la souveraineté de la Parole et de la louange, la marche du pèlerin fait entrer dans les attitudes de fond qui seront plus tard celles de l’apôtre, selon les consignes de Jésus aux disciples , lorsqu’il les envoie en mission.33

Les consignes de Jésus dans son discours d’envoi des apôtres en mission en Matthieu 10, 9-13 inspire la vision de saint Ignace sur l’expérience du pèlerinage pour le Jésuite en probation.

Le Jésuite en formation initiale sert pendant un temps dans les hôpitaux pour refaire l’expérience de saint Ignace et des premiers compagnons de Jésus qui ont consacré dans leur ministère une place décisive aux pauvres et aux malades.

L’enseignement de la doctrine chrétienne aux enfants et « aux gens sans culture», les travaux peu valorisants dans la maison de formation, la prédication et l’administration du sacrement de réconciliation pour les prêtres constituent des ministères auxquels s’exercent les Jésuites en probation.

Le noviciat Jésuite selon les Constitutions est fait d’expériences spirituelles variées orientées vers une communion avec le Dieu trinitaire de la révélation chrétienne.

33 Simon DECLOUX, La voie ignatienne : A la plus grande gloire de Dieu Paris, DDB, 1983 p. 41. .

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

La formation spirituelle tout en mettant le novice Jésuite en communication avec le monde à évangéliser adapte à son itinéraire des épreuves apostoliques qui affermissent son désir de se donner totalement au combat pour Dieu et pour l’humanité.

Initiant à une vie fraternelle, le noviciat Jésuite par des expériences apostoliques pose les fondements d’une présence du compagnon de Jésus à l’humanité souffrante à consoler.

L’expérience du noviciat Jésuite selon les Constitutions est à la fois l’attraction de la personne de Jésus et le désir d’aider le prochain. Elle implique une séparation d’avec le monde et une entrée consciente dans un corps apostolique en apprivoisant l’esprit de l’institut.

L’Esprit de l’institut est défini par les formules de l’institut de 1540 et de 1550.

Approuvées par le pape Paul III et le pape Jules III, les formules de l’institut donnent les caractéristiques fondamentales de la vie religieuse Jésuite.

La vie religieuse Jésuite est une vie de service divin au profit d’une fraternité universelle.

Elle est la proclamation de la filiation divine en Christ sous l’autorité du pape son vicaire sur terre.

La vie religieuse Jésuite est au service de la Parole de Dieu proclamée pour aider l’humanité à s’engager dans les relations d’amour.

La Compagnie de Jésus est un corps engendrant des personnes responsables de la mission du Christ qui rendent le Dieu de Jésus Christ présent dans l’humanité.

Dieu est présent dans l’humanité par la relation des personnes au Christ rassemblant ceux qui se mettent à sa suite en une communauté d’alliance pour le Père dans l’Esprit.

Cette communauté universelle est « la vigne » dans laquelle le disciple de Jésus est transformé en frère, apôtre et prêtre pour aider le prochain.

La formation spirituelle initiale du Jésuite vise le progrès dans les vertus solides d’humilité, de charité et d’amour de l’Église et de l’humanité.

En se dépouillant de lui-même pour se conformer au Christ, serviteur pauvre et humble, le Jésuite s’ouvre au reste de l’humanité par son désir de répondre à l’appel du Christ qui personnalise et humanise.

En effet on ne devient humain comme Jésus qu’en menant une existence libre, plus donnée aux autres et plus ouverte à la fraternité universelle.

Cette existence n’est possible qu’en répondant dans la disponibilité aux appels de Dieu et des hommes.

Le Jésuite dans une démarche spirituelle d’élection répond librement à l’appel du Christ qui l’invite à le suivre dans la Compagnie de Jésus.

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

Cette offrande de lui-même au règne du Christ, se traduit par son admission dans la Compagnie de Jésus par l’autorité compétente.

L’admission du candidat à la compagnie de Jésus est précédée d’un dialogue à travers l’examen général où il est informé sur l’institut et les conditions d’admission.

La qualité d’ouverture du candidat à la Compagnie de Jésus conditionne la connaissance de ses relations au Christ et le niveau de son engagement humain pour discerner sa vocation religieuse Jésuite.

Admis à la première probation et à la seconde probation, le novice Jésuite accomplit librement les divers objectifs propres à cette étape de sa formation qui consistent à discerner la volonté de Dieu sur lui, à imiter le Christ et à renforcer sa capacité de servir l’Église et le monde .

Intégré à la vie commune de la maison de la seconde probation, le novice acquiert un enseignement approfondi de son institut. Il s’exerce aux vertus requises pour partager l’esprit de l’institut.

A la fin de sa formation initiale, le novice Jésuite se consacre à Dieu par les vœux perpétuels de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. En promettant d’entrer dans la Compagnie de Jésus à la fin de sa formation humaniste, philosophique, théologique et pastorale, le scholastique se soumet à une longue probation qui s’achève à la fin de sa troisième année de noviciat qui est son école du cœur. Il est alors appelé aux vœux solennels qui l’intègrent pleinement au corps apostolique de la Compagnie de Jésus selon ses dons, talents et capacités apostoliques.

Dans les Constitutions de la Compagnie de Jésus, les études ont une finalité apostolique. Elles visent à donner au Jésuite une connaissance profonde de l’univers culturel où se déploiera son activité apostolique. L’étude des lettres, des sciences dures et molles et de la philosophie préparent le Jésuite à se rendre familier des questions décisives et des pratiques intellectuelles de son temps. La théologie lui donne des outils critiques sur l’accueil de la révélation chrétienne dans l’histoire du salut de l’humanité.

Tout en laissant aujourd’hui une place importante à la formation permanente dans un monde où s’observent des changements rapides, les études dans la compagnie de Jésus intègrent dans la vie religieuse du Jésuite les dimensions spirituelles, intellectuelles, communautaires et pastorales du charisme de la Compagnie de Jésus.

Le Jésuite formé pour la mission du Christ est un homme ouvert, disponible, capable de dialogue, de fidélité créatrice et apte à faire le pont entre divers langages significatifs de la culture de son temps.

2. Une vie ordonnée à la mission du Christ

La vie Jésuite qui est une consécration totale à Dieu est ordonnée à la mission du Christ (Marc 3, 13-14). Le projet évangélique de la Compagnie de Jésus est de suivre le Christ pour participer à sa mission.

La pratique de la mission est au cœur de la genèse du Jésuite.

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

Les Constitutions sont une manière de vivre la vocation religieuse Jésuite.

La vocation religieuse Jésuite est au service de la défense et de la promotion de la foi Catholique selon les besoins du monde à évangéliser.

Les Constitutions donnent une place centrale à l’expérience des Exercices Spirituels d’où la vie religieuse Jésuite tire sa vigueur et son renouvellement.

Les fondements spirituels de la vie religieuse Jésuite sont enracinés dans l’expérience des Exercices Spirituels.

Les Constitutions ont une vision universelle de la mission de la Compagnie de Jésus.

Elles reconnaissent dans ses principes de discernement, la diversité des situations, la pluralité des cultures et la variété des défis.

La pédagogie des Constitutions est progressive, réaliste et flexible.

L’activité missionnaire du Jésuite a sa source dans le mystère du Verbe incarné envoyé par amour par le Père pour sauver l’humanité et la sanctifier par l’Esprit Saint.

Le Jésuite s’unit à Jésus, premier évangélisateur envoyé par le Père pour sauver et réconcilier les hommes entre eux.

Jésus, le premier évangélisateur a vécu comme un pauvre pour les pauvres.

Le royaume de Dieu qu’il annonce requiert la promotion de la justice.

La justice ne s’établit qu’à travers un dialogue avec les cultures et les traditions religieuses de l’humanité.

Le travail complexe d’évangélisation commencé par Jésus par son style de prédicateur itinérant du royaume de Dieu a été un dialogue avec les cultures de son temps et les traditions religieuses qui les légitiment.

Le Jésuite à la suite du Christ doit entreprendre une évangélisation intégrale comprenant les dimensions inséparables d’annonce de la foi au message d’espérance de Jésus pour une promotion de la justice dans le dialogue avec les cultures et les traditions religieuses de l’humanité.

Selon les Constitutions, le Jésuite reçoit sa mission du souverain pontife, vicaire du Christ en terre, du préposé général de la Compagnie de Jésus ou des supérieurs de la Compagnie.

Cette mission procède du Christ, l’envoyé du Père.

En participant à l’obéissance du Fils envoyé par le Père, le Jésuite se dépouille de sa volonté propre pour continuer l’œuvre du salut de Celui qui révèle le Père par l’action de l’Esprit Saint qui anime la vie de l’Église.

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

La grâce de la vocation Jésuite qui a germé et grandi au cours de phase de formation spirituelle, communautaire, intellectuelle et pastorale s’épanouit dans la mission au profit de l’humanité besogneuse et souffrante.

Le Jésuite a la conscience d’être un envoyé qui reçoit sa mission de ses supérieurs qui tiennent la place de Jésus, Christ et Seigneur.

L’obéissance missionnaire du Jésuite est enracinée dans sa vie conforme à celle du Christ, l’envoyé du Père.

Comme le Christ, le Jésuite est un apôtre qui continue l’œuvre de salut du Christ.

Ses gestes, ses paroles, ses attitudes et ses actions apostoliques prolongent dans le temps la mission de Jésus, le Christ.

La présence missionnaire du Jésuite dans le monde est la conséquence de son engagement à suivre radicalement Jésus le Christ et à poursuivre son ministère.

Aimé et choisi par Jésus, le Christ, le Jésuite par sa foi livre sa vie pour servir ses frères et sœurs dans la pauvreté d’un homme qui laisse Dieu agir en lui.

Apôtre et prêtre de Jésus, bon pasteur, le Jésuite participe au mystère de son maître et Seigneur, qui continue d’offrir sa parole et sa présence dans la vie sacramentelle de son Église.

La chasteté du Jésuite lui permet d’être « aux affaires du Père » comme Jésus. Il investit son dynamisme affectif dans une communauté de dispersion où il vit l’amitié, le partage et la solidarité dans une communauté apostolique orientée vers l’évangélisation du monde.

3. Serviteur de la mission du Christ aujourd’hui

Le Jésuite aujourd’hui poursuit sa mission dans un monde complexe, pluraliste et fragmenté.

Ce monde a besoin d’une vision intégrale de l’évangélisation s’adressant à l’homme et à tout l’homme. La réalité complète de l’homme détermine aujourd’hui les services apostoliques de la Compagnie de Jésus.

Les pauvres, les exclus, les handicapés de la vie et les défavorisés sont les cibles privilégiées des services apostoliques offerts par les Jésuites d’aujourd’hui encouragés par les dernières Congrégations Générales de la Compagnie de Jésus34 à poursuivre la propagation et la défense de la foi par la promotion de la justice.

34 Les Congrégations Générales de la Compagnie de Jésus sont les assemblées représentatives qui actualisent les Constitutions et proposent des normes complémentaires en fonction des besoins apostoliques du temps.

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

GAUDIUM et SPES35, EVANGELII NUNTIANDI 36 et autres textes produits durant le pontificat de saint Jean-Paul II ont considérablement influencé l’approche missionnaire de la Compagnie de Jésus.

Le Jésuite sous l’action de l’Esprit Saint est aujourd’hui serviteur de la mission du Christ à travers des ministères de consolation qui manifestent la bonne nouvelle de la présence du royaume de Dieu dans l’histoire humaine.

Les ministères de la Compagnie de Jésus : exercices spirituels, prédication de la Parole de Dieu, administration des sacrements, œuvres de compassion, apostolat social, apostolat de l’éducation, apostolat des moyens de communication sociale, ministères pastoraux, évangélisation de la culture …, n’ont qu’un but : exhorter pour susciter la foi qui transforme la société humaine en royaume de Dieu.

Les ministères dans la Compagnie de Jésus sont exercés dans la perspective de la promotion de la justice dans les sociétés humaines qui sont tentées de vivre dans la logique de la rivalité mimétique, de la consommation et de l’exclusion.

En recherchant l’unité de l’humanité par l’œcuménisme et en aidant à limier les ravages de l’incroyance par l’apostolat intellectuel, le Jésuite met son charisme au service du discernement spirituel, apostolique et communautaire.

Le Jésuite proclame ainsi la Parole de Dieu dans un climat de foi qui appelle à la conversion et à la transformation de la société humaine selon le dessein bienveillant de Dieu.

Conclusion :

Le Jésuite formé pour la mission du Christ peut appeler les hommes d’aujourd’hui à une expérience personnelle du Dieu révélé dans l’Esprit Saint par Jésus, le serviteur, pauvre, humble et obéissant de l’évangile.

L’évangile de Jésus, proclamé par le Jésuite dans son contenu et dans sa lettre a le pouvoir de transformer la société humaine en royaume de Dieu.

Dieu est roi dans les sociétés humaines quand les hommes se laissent guider par l’Esprit d’amour de Jésus établissant une fraternité universelle où le partage équitable des biens de la terre crée une communion compatible avec la dignité d’hommes et de femmes crées à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Dieu est roi dans les sociétés humaines quand le service mutuel, la compassion et la pureté de vie de disciples créent une harmonie sociale entre les membres de l’humanité réconciliée.

35 Un document phare du Concile Vatican II sur le rapport de l’Église avec le monde36 Un document du pape Paul VI sur l’évangélisation

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Les Constitutions de la Compagnie de Jésus : Un Chemin pour le service divin de la mission du Christ

Dieu est roi dans les sociétés humaines quand la justice établie dans la paix, la réconciliation instaurée dans le pardon des offenses et le bien commun promu dans la volonté de vivre ensemble contribuent à la louange, au respect et au service du Dieu Trinitaire de la révélation chrétienne.

Le secret des Jésuites réside dans la fidélité créatrice de leur corps apostolique au charisme de leur institut de propager et de défendre la foi au Christ, pauvre, humble et obéissant qui conduit les hommes de la croix à la gloire, du service apostolique au royaume de Dieu, du service de la foi à la promotion de la justice dans le monde.

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L’ACTUALITE DES EXERCICES SPIRITUELS DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

La vocation de tout baptisé est de vivre au cœur du monde tout ce que Jésus a enseigné et prescrit (Matthieu 28, 19-20).

Saint Ignace de Loyola37 est l’un des hommes du seizième siècle qui a élaboré une spiritualité ecclésiale forte qui a permis à tant d’hommes et de femmes de vivre leur vocation baptismale au cœur même de leurs activités séculières quotidiennes38.

Homme de prière et d’action, saint Ignace de Loyola39 est le guide spirituel avisé du « contemplatif dans l’action ».

Selon le témoignage de Jerôme Nadal, saint Ignace de Loyola « en toutes choses, actions, conversations, …sentait et contemplait la présence de Dieu et le goût des choses spirituelles , il était contemplatif dans l’action même.Ce qu’il avait coutume d’exprimer par ces mots : il faut trouver Dieu en toutes choses »

La pédagogie des Exercices spirituels40 de saint Ignace de Loyola est une invitation à participer sous l’étendard de la croix au combat pour Dieu dans le monde afin d’y vivre l’esprit de l’évangile.

Les exercices spirituels sont élaborés de manière méthodique « pour préparer et disposer l’âme, c’est-à-dire pour écarter tous les attachements désordonnés, puis une fois ceux-ci écartés, chercher et trouver la volonté divine dans la disposition de sa vie, pour le bien de son âme » (Première annotation des Exercices spirituels).

Les exercices spirituels dans leur originalité donnent l’occasion de « laisser le créateur agir sans intermédiaire avec la créature, et la créature avec son créateur et Seigneur » (ex. sp. 15).

Faire les exercices spirituels exige une sortie de soi-même pour rencontrer le Dieu Trinitaire de la révélation chrétienne à travers l’humanité du Verbe Incarné obéissant au Père dans l’Esprit afin de s’engager dans le travail de la transformation du monde en royaume de Dieu par un service désintéressé , libre et responsable dans l’amour.

Cet engagement personnel des âmes dévotes dans le monde requiert la recherche de la volonté de Dieu dans les circonstances concrètes et particulières de leurs vies à travers l’expérience intérieure des motions spirituelles qui indiquent la manière de suivre Jésus le Christ dans le contexte historique de leur existence.

37 A. GUILLERMOU, La vie de saint Ignace de Loyola, Seuil, 1956. 38 R. FüLOP –MILLER, Les Jésuites et le secret de leur puissance. Histoire de la Compagnie de Jésus. Son rôle dans l’histoire de la Civilisation. Traduit de l’allemand par Jean-Gabriel GUIDAU, 2 vol., Paris, Plon, 1933. 39 Saint Ignace de Loyola, Autobiographie, traduit et commenté par Maurice Guliani, Collection Christus, Desclée de Brouwer, 1962. 40 Exercices spirituels, traduction E. GUEYDAN, coll. Christus,DDB,1986.

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L’actualité des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola

Comment le livret des Exercices spirituels est-il un guide pour une rencontre avec Dieu qui transforme les rapports des âmes dévotes41 avec le monde 42?

En quoi la rencontre des âmes dévotes avec Dieu à travers les exercices spirituels permet-elle de percevoir le combat spirituel à l’œuvre dans le cœur humain traversé par les mouvements de la diversité des esprits ?

Quelle est l’actualité des Exercices spirituels pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui et de demain ?

Nous montrerons comment l’expérience spirituelle de saint Ignace de Loyola consignée dans le livret des Exercices spirituels est une aide précieuse pour les hommes et les femmes engagés dans les tâches quotidiennes de la vie familiale, professionnelle et sociale.

En ffet saint Ignace de Loyola, par ses exercices spirituels, conduit les âmes dévotes qui font les exercices spirituels à recevoir de Dieu par grâce, des illuminations sur les mystères de foi produisant une connaissance intérieure affective et intellectuelle débouchant sur le service d’Église par amour de Dieu.

1. Le livret des Exercices spirituels : un guide pour une rencontre avec Dieu qui transforme les rapports des âmes dévotes avec le monde.

Quiconque fait les exercices spirituels, sous l’effet de la grâce, abandonne ses rêves illusoires et ses projets prétentieux en s’ouvrant dans une humilité amoureuse à la mission de Jésus le Christ dans la pauvreté spirituelle d’une créature humaine passionnée de la louange et de la gloire de Dieu.

Le Dieu créateur, roi éternel et Seigneur de toutes choses est compris dans la méditation du « Principe et Fondement » comme celui qui appelle les hommes et les femmes à la fin pour laquelle ils sont créés.

Les hommes et les femmes dans leur condition historique sont créés pour Dieu et ils approprient les choses crééés et les reseaux de leurs relations pour rejoindre Dieu dans leur volonté de l’aimer et de le servir.

Le service de Dieu consiste à collaborer à son œuvre de création et de salut dans la dynamique de l’existence historique en observant ses commandements, les directives de son Église et en recherchant dans un esprit de gratuité, de louange et de révérence sa volonté particulière dans le processus de la procédure Ignatienne de l’élection.

La première semaine des exercices spirituels de saint Ignace prépare la créature humaine à reconnaître ses limites,le drame de ses nombreux péchés et son son exil dans une création en rupture de relation avec Dieu ,le véritable roi de l’univers.

41 Nous désignons par « âmes dévotes »les personnes qui se recueillent durant quelques jours pour faire les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. 42 Hugo Rahner, Ignace de Loyola et la Genèse des Exercices, Apostolat de la Prière, Toulouse, 1948.

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L’actualité des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola

La créature humaine déchue au gré de la grâce, fait l’expérience personnelle de libération en tournant son regard vers celui qui est en croix, Jésus le Christ, manifestant la tendresse et l’admirable miséricorde de Dieu.

L’action de grâces du pécheur pardonné se traduit par la question « Que doit-il faire pour le Christ ? »

Avec le désir de se reformer, et de se convertir, la créature humaine déchue, pardonnée et libérée de la honte et de la confusion choisit de suivre l’appel du Christ comme le Principe et Fondement de sa vie.

Le Christ pour les âmes dévotes qui font les exercices spirituels, est Jésus, le Fils de Dieu, le Verbe éternel de Dieu fait chair, conduit par l’Esprit Saint qui délivre l’humanité de la colère de Dieu( Rm 1, 18 ; Ap 16, 19).

Jésus est le baptisé du Jourdain vainqueur des tentations (Luc 4,1-13). Il est le prédicateur itinérant du Royaume deDieu contemplé dans les scènes évangéliques soumises à la mémoire biblique et personnelle, à l’intelligence des Écritures et à l’affectivité de l’exercitant qui se déploie dans les colloques où le Dieu de Jésus Christ devient un interlocuteur écouté et prié.

Dans les méditations et contemplations, les signes et les merveilles du Royaume de Dieu se laissent percevoir dans le ministère de Jésus le Christ qui enseigne, guérit, prie et annonce la bonne nouvelle du Royaume de Dieu (Marc 1,21-39).

La bonne nouvelle de Jésus le Christ s’adresse aux hommes et aux femmes engagés dans le travail de la transformation du monde en Royaume de Dieu. Ces hommes et ces femmes doivent renoncer à leurs volontés propres pour faire comme Jésus le Christ ce qui plaît le plus à Dieu.

Le Royaume de Dieu advient quand les hommes et les femmes font à l’exemple de Jésus le Christ la volonté de Dieu en s’adonnant à la mission qui leur est confiée et en assumant le travail de Dieu dans leur vie quotidienne.

En effet selon saint Ignace de Loyola, Dieu est au travail dans le monde en faisant tout concourir à l’établissement de son royaume de paix, de justice et de joie. Mais il ne peut le faire qu’avec les hommes et les femmes désencombrés et dépouillés de leurs visions partielles et partiales de la réalité. C’est en entrant dans la vision globale et universelle de Dieu que les hommes et les femmes regénérés trouvent la paix, la joie et la justice du Royaume.

Saint Ignace de Loyola prête à Jésus le Christ l’invitation à coopérer à sa mission dans l’appel du règne : « Celui qui voudra venir avec moi doit travailler avec moi afin que, me suivant dans la peine, il me suive aussi dans la gloire »(Ex. sp. N° 95).

Le travail créateur de salut que vient inaugurer Jésus par son œuvre rédemptrice est celui qui rend les hommes et les femmes vivants de l’Esprit de Dieu et naissant à une autre vie, qui n’est autre que la vie des enfants de Dieu qui renouent avec leur source et origine, la sainte Trinité.

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L’actualité des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola

L’Esprit du Royaume de Dieu s’oppose à l’Esprit de « l’ennemi de la nature humaine » qui séduit les hommes et les femmes à s’asservir aux créatures, aux richesses et au vain honneur du monde les conduisant à l’oubli de Dieu et au développement des œuvres de la chair(Ga 5, 19-21).

Le Royaume de Dieu prêché et vécu par Jésus, dans la pauvreté, les humiliations et l’humilité appelle les hommes et les femmes à son noble service pour combattre le « prince des ténèbres » qui travaille fébrilement à la destruction de la bonne création de Dieu, Roi éternel de l’univers.

En effet, la contemplation de Jésus dans les scènes évangéliques à travers les exercices spirituels de la deuxième semaine invite les hommes et les femmes à assumer leur vie quotidienne dans les « les dispositions qui furent celles du Christ Jésus » (Ph.2,5).Ses dispositions furent celles d’obéissance, du plus grand service du règne et du souci filial de la plus grande gloire du Père.

C’est en assumant courageusement leurs expériences spirituelles à travers l’alternance des consolations et désolations que les hommes et les femmes coopèrent avec Dieu dans le discernement des esprits à l’œuvre du Roi éternel de la création dans leurs cœurs et dans le monde.

Les Exercices spirituels de saint Ignace sont un guide pour une rencontre progressive avec Dieu qui transforme les rapports des âmes dévotes avec le monde.

Actes ascétiques, les exercices spirituels disposent les âmes dévotes à devenir passives à l’action de Dieu dans la contemplation.

Les exercices spirituels apprennent aux âmes dévotes à entrer en relation avec Dieu en développant l’activité mentale intérieure autour des figures bibliques contemplées, en les voyant, en les entendant et en les regardant. Cette activité mentale intérieure produit des réactions affectives dont les âmes dévotes tirent profit par la réflexion et les colloques.

Les exercices spirituels mettent les âmes dévotes en contact tangible avec Jésus contemplé dans les scènes évangéliques de l’incarnation du Verbe fait enfant, adolescent, adulte baptisé et tenté, parcourant les routes de Palestine du premier siècle, pour son ministère jusqu’à sa crucifixion, résurrection et ascension.

Les mystères de Jésus, de l’enfance à la mort, de la résurrection à l’ascension, donnent à voir,à entendre et à regarder Jésus le Christ dans le contexte de sa mission. Les âmes dévotes se rendent ainsi contemporaines de Jésus le Christ à travers la contemplation de l’image intériorisée de sa vie, de son ministère et de son mystère pascal.

Ainsi Jésus exalté est-il le Fils éternel de Dieu qui s’est abaissé dans la pauvreté de son humanité pour enrichir l’humanité de la présence de Dieu qui en lui (2 Cor 8,9).

Les âmes dévotes imprègnées de la mémoire des trois péchés types qui ont provoqué des désastres au sein de la création se tournent durant la première semaine des exercices spirituels vers le divin crucifié pour ordonner leurs vies souillées et paralysées par leurs péchés personnels.

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L’actualité des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola

La rencontre des âmes dévotes avec le divin crucifié est la source d’où jaillit leurs activités de conversion et de sanctification dans l’Église et dans le monde.

Cette activité est inspirée par l’amour plus grand de Jésus qui se donne à voir, à entendre et à regarder dans la parabole du Roi temporel de la contemplation du « règne du Christ ».

Les Exercices spirituels à travers la contemplation du « Règne du Christ » et la méditation des « Deux Étendards »conduisent les âmes dévotes à s’identifier à Jésus envoyé par le Père dans la puissance de l’Esprit pour combattre « l’ennemi de la nature humaine ».

Le divin crucifié provoque la réponse d’amour des hommes et des femmes pour qu’ils soient reçus sous son étendard afin del’imiter dans la pauvreté, les humiliations et l’humilité.

En s’enrôlant dans la milice du Christ, Roi de la nouvelle création, les âmes dévotes se rendent disponibles et dociles à l’appel du règne par leur service humble inspiré par l’amour de Jésus dans l’Église.

Ainsi l’offrande de soi pour le règne du Christ se traduit-il par un culte spirituel (Rm 12,1).

Ce culte spirituel est vécu dans le quotidien avec une plus grande aptitude à discerner les esprits et une prudence discrète dans les décisions pratiques qui mettent en œuvre la suite du Christ dans les trois temps d’élection.

En n’étant pas sourds à l’appel du règne du Christ, les hommes et les femmes qui font les exercices spirituels de la deuxième semaine , par grâce, parviennent à se libérer de leurs affections désordonnées pour les honneurs, la réputation et l’estime du monde. Elles s’offrent entièrement à la mission du Christ dans le renoncement aux valeurs mondaines de la richesse, du plaisir et du pouvoir oppressif.

En conformant leurs vies à celle du Christ, pauvre, humilié et humble, les âmes dévotes partagent les peines et les difficultés de la mission en plaçant le combat spirituel au sein de leurs propres cœurs qui aspirent à la jouissance charnelle, à la possession et à l’estime et au vain honneur du monde.

La rencontre avec le « Christ du règne » aboutit à la transformation du désir. Le désir de Dieu est exaucé quand les âmes dévotes qui font les exercices spirituels de la deuxième semaine acceptent et désirent de toutes leurs forces tout ce que le Christ a aimé et embrassé.

En désirant de toutes leurs forces tout ce que le christ a aimé et embrassé, les âmes dévotes imitent le Christ dans le monde. Leurs vies familiales, leurs vies professionnelles et leurs activités sociales sont impregnées de l’appel du Roi éternel , Seigneur de toutes choses qui veut soumettre au Père la création entière( 1 Co 15, 24-28).

Ce roi de la nouvelle création est la tête de l’humanité nouvelle, le premier-né d’entre les morts, le Ressuscité qui continue d’appeler les âmes dévotes à travailler avec lui dans le combat qu’il mène contre « l’ennemi de la nature humaine » présent dans l’histoire humaine depuis sa chute.

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L’actualité des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola

2. Le combat spirituel des âmes dévotes dans le monde

Les âmes dévotes qui font les exercices spirituels de saint Ignace ne sont pas appelés à une conquête extérieure du monde.

Leur modeste stratégie est de se vaincre en imitant le Christ, pauvre,humilié et humble se donnant volontairement par amour pour le salut de l’humanité , supportant les injustices et les traitements inhumains qui lui sont infligés quand au cours de sa passion il fut livré à ses adversaires pour être bafoué et mis à mort.

Les exercices spirituels invitent à un combat qui se déroule dans le cœur humain pour le règne du Christ. Le combat spirituel consiste à se tourner vers le Christ pauvre, humilié et humble de la troisième semaine des exercices spirituels pour comprendre sa voie étroite du salut qui met en œuvre les paradoxes de son Sermon sur la montagne.

Il s’agira sans volontarisme ni dolorisme,de souffrir, de s’attrister et de pleurer avec le Christ réduit à sa simple humanité devant une violence subie injustement (Exercices 195-196).

En entrant dans la passion de Jésus le Christ, les âmes dévotes sont en communion avec la sacrée humanité du Fils de Dieu qui pour opérer la rédemption du genre humain ,endure trahison, reniement, abandon, moqueries, opprobes, haine et silence de Dieu.

La passion est le temps où les âmes dévotes apprécient la fidélité de Jésus à sa mission divine et sa volonté de pardonner à ses ennemis et de réconcilier l’humanité avec son Père.

Le temps de la passion est celui du don total et ultime de Jésus à Dieu et à l’humanité. Ce don aboutit à la pâque du Christ, un passage de la vie mortelle à la vie glorieuse dont il fait grâce aux âmes dévotes.

Le combat des âmes dévotes qui font les exercices spirituels est une épreuve où les fausses valeurs entrent en conflits violents dans les débats intérieurs de la prière pour choisir les meilleurs moyens pour suivre le Christ de la troisième semaine dans des situations existentielles données.

En effet suivre le Christ de la troisième semaine qui va vers sa passion suscite dans le cœur humain des sentiments ambivalents et des résistances.

Le combat spirituel conduit les âmes dévotes à chercher et à trouver la volonté de Dieu dans la réalité de leurs histoires personnelles traversées par le péché, la grâce et la conversion.

Confrontées de manière subtile aux ruses de « l’ennemi mortel de la nature humaine », les âmes dévotes se servent du discernement des esprits pour clarifier leurs agitations intérieures et leurs illusions.

L’accompagnement des âmes dévotes au cours des exercices spirituels vise à les aider dans leur recherches personnelles de la manière dont elles veulent servir et aimer la divine majesté. Sans les manipuler, ni prendre leur place, l’accompagnateur dans un esprit d’écoute et d’accueil met à la

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L’actualité des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola

disposition des âmes dévotes les méthodes diverses de prière afin qu’elles réalisent pleinement leurs possibilités de rencontre avec Dieu.

Les âmes dévotes obtiennent une victoire dans leur combat spirituel quand libres de tout attachement désordonné, elles marchent allègrement et paisiblement dans la voie étroite de la passion qui est un chemin lumineux de l’oblation dans la louange et la révérence confirmant ainsi leur élection de la deuxième semaine des exercices spirituels.

3. L’actualité des Exercices Spirituels pour un engagement dans le monde de la famille, de la profession et de la société

Les Exercices Spirituels de saint Ignace sont une merveilleuse pédagogie spirituelle pour libérer les hommes et les femmes de leurs attachements désordonnés.

Cette libération s’opère à travers la lecture priante de la vie de Jésus le Christ en qui toutes âmes dévotes peuvent lire leurs propres vies.

La relecture de la vie de Jésus le Christ dans le cadre des exercices spirituels, est une compréhension nouvelle de sa vie, de sa personne et de sa mission dans la situation concrète des âmes dévotes en prière.

Cette relecture priante n’est ni une collection de souvenirs pieux à ressasser ni un rappel d’événements passés sans lien avec l’appel de Dieu dans l’aujourd’hui des âmes dévotes.

C’est pour répondre gratuitement à l’amour de Dieu manifesté dans la vie, dans la personne, dans le ministère et dans le mystère pascal de Jésus le Christ que les âmes dévotes s’exercent à confesser la miséricorde de Dieu à travers leurs errances et leurs inquiétudes.

En appliquant leur conscience, leur mémoire et leur parole à la vie de Jésus le Christ, les âmes dévotes retrouvent leurs propres histoires interpellées et dévoilées en vue d’une invitation à accompagner Jésus le Christ dans son ministère jusqu’à sa passion et à sa mort glorieuse.

Jésus le Christ devient ainsi celui qui appelle et guide les âmes dévotes à découvrir en elles ce que Dieu accomplit.

La reconnaissance de Dieu à l’œuvre dans les âmes dévotes se fait à travers la prière d’action de grâces qui nomme les dons de Dieu.

Le passé, le présent et l’avenir des âmes dévotes trouvent leur unification dans la perspective d’aimer et de servir le règne du Christ dans l’illumination reçue dans la prière.

Libérés de leur attachements désordonnés, l’appel du Roi éternel et la réponse généreuse à s’offrir pour le règne deviennent le principe et fondement de leur vie dans le monde.

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L’actualité des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola

Libres de leurs illusions et de leur résistances à suivre le Christ pauvre,humilié et humble de la troisième semaine, les âmes dévotes dans leur discernement des esprits parviennent à surmonter les ruses de « l’ennemi mortel de la nature humaine »en communiant dans la distance aux souffrances du Christ qui resta fidèle à sa mission divine et manifesta de manière magnanime sa volonté de pardonner à ses ennemis et de réconcilier l’humanité avec le Père.

Le Christ meurt crucifié sans ressentiments et appelle les âmes dévotes à vivre et à souffrir comme lui dans le monde de la famille, de la profession et de la société en hommes et femmes complètement regénérés poursuivant leur croissance spirituelle dans le corps du Christ qu’est l’Église.

En tant que pédagogie de la liberté pour aimer et servir, les Exercices spirituels ouvrent la voie à la consolation de la quatrième semaine.

La quatrième semaine des Exercices Spirituels est le temps où les âmes dévotes savourent le triomphe du Christ glorieux sur le péché, la souffrance et la mort.

La quatrième semaine des exercices spirituels est un temps d’accompagnement jusqu’à l’ascension où Jésus ressuscité et relié au divin rassure, console en étant avec ses disciples pour leur donner la certitude d’une présence à travers une absence sensible qui durera le temps du témoignage après son exaltation auprès du Père.

Les apparitions et disparitions du Christ glorieux préparent les âmes dévotes à leurs propres engagements dans le monde comme apôtres du Christ.

Apôtres du Christ ressuscité de la quatrième semaine des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, les âmes dévotes croient à la présence universelle du Christ dans sa Parole proclamée et dans son nom qui sauvent, guérissent et exorcisent le mal dans le monde (Mc 16, 15-18).

Habitées par l’Esprit du Christ ressuscité, les âmes dévotes témoignent du Christ ressuscité dans leurs milieux de vie dont elles transforment de l’intérieur leurs traditions, leurs coutumes et leurs histoires. Ainsi leur maison, leur quartier, leur ville et leur lieu de travail deviennent –ils des endroits privilégiés de témoignage.

« La contemplation pour parvenir à l’amour » à la fin des Exercices Spirituels met l’accent sur la reconnaissance comme fondement de l’action des âmes dévotes dans le monde.

Les âmes dévotes agissent dans le monde dans la gratuité de l’amour de Dieu reçu et communiqué avec générosité comme une dette de reconnaissance au Dieu, bon, juste et miséricordieux, ami de l’humanité et grâcieux pour ceux qui l’invoquent dans leurs exercices spirituels.

Conclusion :

Les Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola approuvés par l’Église et édités en 1548, sont les raccourcis de son expérience spirituelle de 1521 à 1528.

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L’actualité des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola

Ils représentent les lumières et les fruits d’un combat spirituel dans sa vie de pèlerin en quête de sa vocation et mission chrétiennes à Montserrat, Manrèse, Rome, Venise, Jérusalem, Barcelone, Alcala, Salamanque et Paris.

Saint Ignace de Loyola se livre discrètement dans les Exercices Spirituels comme un converti attiré par l’appel du Christ, Roi de l’univers envoyé par le Père dans la puissance de l’Esprit pour opérer la rédemption du genre humain sous l’étendard de sa croix glorieuse.

Saint Ignace de Loyola enracine la quête de la vie chrétienne dans le monde autour de l’expérience de la conversion qui est la rencontre avec le Christ crucifié « créateur et Seigneur » qui révèle la miséricorde et la tendresse de Dieu dans son acte d’oblation de lui-même dans la gratuité de l’amour pour la créature humaine déchue et pécheresse.

Le visage miséricordieux de Dieu révélé aux pécheurs à travers les figures bibliques et l’imaginaire chrétien de l’espérance au-delà du regret et du remords suscitent chez les âmes dévotes qui font les exercices spirituels la dynamique d’une conversion qui s’affine dans l’examen bi-quotidien d’une vie d’action de grâces et d’amendement de fautes volontaires.

Les exercices spirituels engagent dans une vie d’élection et de délibération qui aboutit à des choix selon Dieu dans ses trois temps de procédure.

Saint Ignace de Loyola à travers les Exercices Spirituels à laissé aux âmes dévotes une manière de procéder qui respecte la conscience de soi, la raison et les manières de prier pour laisser le créateur se communiquer sans intermédiaire à la créature dans l’Église.

L’accompagnement de la personne qui donne les Exercices spirituels tout en encourageant les âmes dévotes dans leurs colloques avec les personnes divines offre une aide discrète sur le discernement des esprits et favorise le passage d’un état affectif et spirituel à un autre.

L’émerveillement, l’action de graces, la louange et l’amour de Dieu, l’amour du prochain et l’amour de la création qui jaillissent de l’expérience des exercices spirituels font de saint Ignace de Loyola un guide avisé du contemplatif dans l’action qui obtient l’amour de Dieu comme un don offert et partagé dans la gratitude.

La dynamique des Exercices spirituels conduit à trouver Dieu en toutes choses sans se lasser de le chercher encore dans une création constamment renouvelée par la présence du Christ et de l’Esprit.

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L’EXPERIENCE DE LA GRACE ET LA PRATIQUE DU DISCERNEMENT DES ESPRITS

Le livre des Exercices Spirituels43 de saint Ignace de Loyola est une aide pour ordonner la vie humaine selon Dieu dans le cadre d’une retraite accompagnée, priante et silencieuse.

En faisant les exercices spirituels, le retraitant se dispose de manière génnéreuse et magnanime à trouver la présence de Dieu à travers la médiation de Jésus, le Christ, Rédempteur et Seigneur dont la vie humaine vécue dans la perfection évangélique est le critère de la croissance spirituelle.

Les règles du discernement des esprits de saint Ignace de Loyola sont dans une retraite accompagnée des critères d’interprétation de l’expérience spirituelle.

Elles guident le processus d’élection qui aboutit à des décisions lucides correspondant au vouloir divin.

Une retraite selon la lettre et l’esprit des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola est un temps d’oraisons, d’examens et de répétitions qui dans leur dynamique orientent vers la décision d’accomplir la volonté actuelle de Dieu.

La retraite à l’école de saint Ignace est un trajet de quatre saisons spirituelles balisées par quatre étapes qui se succèdent de façon graduelle et méthodique en vue de la perfection dans la louange, la révérence et le service divin.

Le but des exercices spirituels étant la recherche et l’accomplissement de la volonté de Dieu dans la docilité à l’Esprit de Dieu, en quoi les règles de discernement de saint Ignace de Loyola sont-elles originales et pertinentes pour une expérience spirituelle dans la perfection du service divin et du prochain ?

La vie spirituelle dans la tradition issue de saint Ignace de Loyola étant un dialogue où Dieu se communique à l’Esprit humain, quel est le rôle de la liberté humaine dans la pratique du discernement des esprits ?

Quelle est l’actualité du discernement des esprits dans un monde comme le nôtre marqué par le nihilisme, le subjectivisme, le relativisme, l’intériorité sans ouverture sur Dieu et l’autonomie de la personne qui perd le contact avec son origine ?

Notre réflexion aura pour fondement la vie spirituelle dans une perspective chrétienne où nous insistons sur la relation du retraitant avec Dieu et à son action sur le cœur priant.

L’action de Dieu sur le cœur priant se manifeste à travers les dispositions psychiques et les réactions conscientes et inconscientes du retraitant porté par son milieu culturel et l’influence des autres forces positives et négatives de la création.

43 Exercices Spirituels, Collection « Christus », n° 5, DDB, 1960.

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L’expérience de la grâce et la pratique du discernement des esprits

La vie spirituelle chrétienne sera comprise comme la rencontre active et passive avec le Verbe de Dieu fait chair qui a vécu au premier siècle de l’ère chrétienne et dont le souvenir est conservé dans les écrits du Nouveau Testament (Jean 1,1 ; 1,3 ; 1,9).

C’est en voyant, en entendant, en sentant, en goûtant et en touchant le Verbe fait chair dans les scènes évangéliques proposées par saint Ignace de Loyola dans les Exercices Spirituels que le retraitant qui se laisse voir par le regard miséricordieux du Christ créateur et Seigneur peut entrer en communion avec le Dieu Trinitaire qui se communique à l’esprit humain en diffusant libéralement son amour dans le cosmos.

Les règles de discernement des esprits de la première et seconde semaines des Exercices Spirituels nous serviront de critères d’évaluation de l’authenticité de la rencontre avec le Dieu Trinitaire qui se communique à travers la personne du Verbe incarné au moyen des sens internes du retraitant généreux, magnanime et courageux qui entreprend le trajet des exercices spirituels comme une créature aimée de Dieu.

1- L’originalité et la pertinence des règles de discernement des esprits de saint Ignace de Loyola dans la vie spirituelle

Le discernement spirituel chez saint Ignace de Loyola peut être à la fois personnel et communautaire. Il exige des dispositions intérieures de détachement, des méthodes, des spiritualités et des conditions de déploiement de son exercice.

Enraciné dans les évènements de la vie quotidienne, le discernement spirituel s’apprend et s’inscrit dans un acte de foi recréateur de la vie dans l’Esprit (Romains 12,2).

Pour bien discerner, une vie intérieure alimentée par la prière, la connaissance de soi et la connaissance profonde de la foi chrétienne attentive à la réalité humaine est absolument indispensable pour motiver l’amour de Dieu, du prochain et d’autrui.

L’accompagnement spirituel d’un expert des exercices spirituels permet de baliser la route du retraitant qui veut lire en Église le mystère de sa relation à Dieu.

Une ambiance de recueillement favorable à la réflexion silencieuse, une sympathie fraternelle aux situations humaines et une attitude d’indifférence 44pour accueillir des lumières inattendues sont nécessaires au travail de mémoire, d’imagination et d’intelligence.

Le discernement spirituel permet de voir avec justesse l’origine et les effets des inspirations qui agitent le champ de conscience du retraitant.

44 L’indifférence est une attitude de liberté qui se déprend de soi et de tout attachement désordonné aux créatures. L’indifférence permet le bon usage des créatures en fonction de la fin de l’être humain qui selon la perspective de foi du principe et fondement des Exercices Spirituels est de louer , de révérer et de servir le Créateur et Seigneur.

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L’expérience de la grâce et la pratique du discernement des esprits

Les inspirations peuvent venir de Dieu à travers les motions de l’Esprit Saint. Elles peuvent aussi venir de l’expérience humaine du retraitant. Certaines inspirations sont orchestrées par le Prince des ténèbres45 qui entraîne le retraitant dans les voies sans issuepar le trouble, la tentation et le découragement.

Le discernement spirituel se fait dans le cadre d’un combat spirituel qui a pour arène, le cœur priant où Dieu sépare la lumière des ténèbres.

Saint Ignace de Loyola a élaboré des règles de discernement qui aident le retraitant à reconnaître les motions qui agitent le cœur priant. Il s’agit des onze premières règles de discernement de la première semaine 46et celles dites de la seconde semaine.

Les onze premières règles de discernement de la première semaine des exercices spirituels de saint Ignace de Loyola aident le retraitant à reconnaître dans la variation de ses états affectifs les mouvements intérieurs qui le portent vers Dieu et ceux qui l’éloignent de son action.

En effet,les chrétiens croient en un Dieu, maître de l’histoire qui façonne les destinées personnelles et communautaires par sa venue dans le monde en la personne de Jésus, le Fils qui annonce le règne du Père, par sa vie, son ministère, sa passion, sa mort ,sa résurrection et son ascension qui permettent à l’Esprit de Dieu de rassembler les sujets de la nouvelle famille du Dieu Trinitaire.

Pour eux, les existences humaines sont conduites par l’Esprit de Dieu qui accompagne, instruit et guide les pas de ceux qui se conforment à l’image du Fils, révélation dans l’Esprit du Père.

La vie humaine dans la perspective chrétienne est l’imitation du Fils de Dieu qui s’abaisse dans la condition humaine pour faire la volonté du Père.

Pour connaître la volonté du Père, il est nécessaire d’être en relation avec le Fils dans l’Esprit commun du Père et du Fils.

La vie de relation avec le Père, le Fils et l’Esprit Saint est pour les chrétiens, la prière, qu’elle soit ponctuelle ou plongée continuelle dans le mystère de la présence trinitaire dans le cœur humain purifié et ajusté au milieu divin.

La prière chrétienne est un moment de contact avec le Dieu trinitaire où le retraitant par la méditation assimile et approprie le message historique de la révélation chrétienne du Royaume de Dieu.

La prière chrétienne peut aussi prendre la forme d’une contemplation des épisodes de la vie de Jésus afin de s’imprégner des mystères du salut offert par le Père à travers le Fils dans l’Esprit.

La prière chrétienne rend familiers au retraitant les gestes et attitudes de Jésus qui manifestent la proximité de Dieu dans l’humanité du Fils à travers l’Esprit Saint comme guide intérieur.

45 Le Prince des ténèbres est la figure biblique connue sous divers noms qui s’oppose au dessein bienveillant du créateur de l’univers. 46 Les règles de discernement de la première semaine définissent les réalités spirituelles comme la consolation et la désolation.

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L’expérience de la grâce et la pratique du discernement des esprits

La prière chrétienne confronte le retraitant à l’école de saint Ignace de Loyola à la chair47, au monde48 et à l’Esprit Saint49. Elle éclaire les moments décisifs et critiques de l’existence humaine en devenant un dialogue entre la créature et le créateur.

La prière chrétienne confronte l’esprit fini de l’être humain à la réalité transcendante et infinie de Dieu dont la bonté se diffuse dans la création et l’histoire humaine. Elle rapproche de son origine, l’être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et tenté de se détourner de son créateur par le refus de sa condition de dépendance.

En acceptant librement de dépendre de son créateur et Seigneur, le retraitant avec un cœur large et généreux entreprend un voyage spirituel qui le conduira d’étapes en étapes à la perfection de la louange, de la révérence et du service divin dans le cadre d’un investissement apostolique pour le salut du prochain et d’autrui.

Le voyage spirituel consiste à méditer et à contempler les mystères du salut de façon à devenir un sujet du Royaume à l’image du Christ humble, obéissant et se livrant par amour pour rassembler en son Esprit pour le Père, les sujets de la nouvelle famille de Dieu.

La méditation et la contemplation des mystères du salut aboutissent à une expérience religieuse où le retraitant découvre sa place personnelle dans la création et dans la communauté plus large des êtres créés par un Dieu d’amour en constante communication avec sa création.

Les règles de discernement des esprits de la permière semaine permettent d’interpréter l’expérience religieuse du retraitant dans son ouverture à la purification active et passive. En effet, la première semaine des exercices spirituels est le temps du combat spirituel pour se défaire des attachements désordonnés qu’ils soient inspirés par le milieu culturel ou les défaillances de la personnalité unique et particulière du retraitant. La prière durant la première semaine vise à ordonner la volonté, le cœur et la sensibilité en vue de la louange, de la révérence et du service de Dieu. La première semaine est le temps par excellence de la conversion qui rend apte dans la gratitude à l’imitation du Fils avec qui le retraitant veut être mis.

Les règles du discernement de la première semaine portent sur les troubles , les tentations et les états affectifs de découragement.

Les règles de discernement des esprits de la seconde semaine des exercices spirituels visent à interpréter l’expérience religieuse du retraitant dans son choix du meilleur service de Dieu.

47 L’être humain selon Genèse2, 7 est créé d’argile et du souffle de Dieu. La chair est la dimension profonde de l’être humain comme créature habitée par le souffle de Dieu qui devient son propre souffle dans la faiblesse de sa condition contingente. 48 Le monde est la réalité où l’être humain émerge dans ses relations avec le temps, l’espace et l’énergie qui transforment le créé dans le sentiment d’exister et de vivre. 49 L’Esprit Saint est la personne divine qui intervient dans la prière chrétienne pour apprendre à formuler les mots qui sont adressés au Père par le Fils.

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L’expérience de la grâce et la pratique du discernement des esprits

Les règles du discernement des esprits de la seconde semaine permettent d’écarter les risques d’illusions trompeuses qui peuvent se glisser dans le jugement pratique du retraitant engagé dans le processus de l’élection.

Les règles du discernement des esprits de la seconde semaine sont plus subtiles.

Elles aident le retraitant à adhérer fermement et sûrement à la stratégie du Christ pour éviter les pièges du tentateur déguisé en ange de lumière.

Les règles du discernement des esprits de la première semaine vont mettre en évidence les caractéristiques générales de l’expérience de la désolation et de la consolation50 comme critères d’interprétation des états affectifs et spirituels du retraitant.

Deux esprits sont à l’œuvre dans l’expérience spirituelle du retraitant, le bon et le mauvais esprits. Le bon esprit affermit le cœur priant en confirmant son désir d’entrer en communion avec Dieu.

Le bon esprit coopère avec les bonnes tendances du retraitant pour l’encourager à poursuivre son objectif spirituel qui est de louer, de révérer et de servir Dieu.

Par contre, le mauvais esprit exploite les inclinations au péché du retraitant pour l’entraver dans la poursuite des objectifs nobles de sa vie spirituelle.

En connaissant l’état spirituel du retraitant, l’accompagnateur peut déterminer l’esprit qui agite son cœur priant.

Le bon esprit favorise la poursuite de la vie en esprit en inquiétant le pécheur endurci et en le troublant afin qu’il passe de la culpabilité et du remords au repentir .

Le mauvais esprit tranquillise le retraitant tiède, paresseux et négligent en l’enfermant sur lui-même et sur ses péchés (règle 314).

Le mauvais esprit décourage le retraitant qui va du bien au mieux en suggérant l’abandon de sa quête spirituielle, tandis que le bon esprit dilate le cœur priant et l’attire vers la perfection du service divin de la louange et de la révérence(règle 315).

Le retraitant généreux et résolu dans sa marche vers la perfection du service divin doit s’attendre à l’alternance de la consolation et de la désolation spirituelles dans sa prière.

La consolation spirituelle est l’accroissemrent dans le cœur priant des vertus théologales de foi, d’espérance et de charité(Règle 316)51.

La désolation spirituelle par contre est l’état du retraitant séparé de Dieu n’éprouvant plus d’amour, d’espérance et de foi (Règle 317).

50 L. POULLIER, Consolation spirituelle, Dictionnaire de spiritualité, t. 2, col.1618-1621. 51 « l’âme vient à s’enflamer dans l’amour de son Créateur et Seigneur, en sorte qu’elle ne puisse plus aimer pour elle-même aucune chose créée sur la face de la terre, mais seulement dans le Créateur de toutes choses »

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L’expérience de la grâce et la pratique du discernement des esprits

Le retraitant dans l’état de désolation spirituelle est dans une sécheresse et une aridité psychologiques. Il est sans goût pour les choses de Dieu et il éprouve un ennui et une repugnance pour l’activité priante.

La consolation spirituelle est un don gratuit de Dieu dépendant de sa souveraine liberté(Règle 322).

Le retraitant généreux s’y dispose avec humilité et l’accueille avec gratitude (Règle 323).

La désolation spirituelle a trois causes(Règle 322).

La paresse, la tiédeur et la négligence peuvent provoquer la désolation spirituelle.

Dieu dans sa providence peut par la désolation spirituelle purifier les intentions intéressées du retraitant ou l’éduquer à ne compter que sur lui en l’associant à la passion de Jésus, le Christ.

La désolation spirituelle pour un retraitant généreux et affermi dans sa quête spirituelle est une épreuve salutaire de dépendance, d’humilité, de prudence et de reconnaissance de la pauvreté de la créature dans sa relation avec le Créateur.

En face de la désolation spirituelle, le retraitant ne change rien à sa manière d’avancer dans la vie spirituelle, malgré la crise. Il reste ferme , constant, patient, persévérant et combatif dans sa relation à Dieu en étant fidèle à ses temps et manières de prier et en résistant aux suggestions malicieuses du mauvais esprit (Règles 318, 319, 320, 321).

Les règles du discernement des esprits exposent les tactiques du mauvais esprit (Règles 325, 326, 327). Le mauvais esprit exploite la faiblesse humaine, agit dans le secret, se sert de l’imagination et de la sensibilité et profite de l’irrésolution timide du retraitant pour séduire et enchaîner.

Les règles du discernement des esprits de la seconde semaine portent sur la distinction entre consolation authentique et consolation fausse ou décevante (Règle 329).

La consolation sans l’intervention des facultés intellectuelles et sensibles, fort rare, est une irruption de Dieu dans l’âme du retraitant(Règle 330).

A l’inverse d’une consolation sans cause précédente, une consolation avec une activité préalable des facultés, est ambiguë (Règle 331).

Le critère d’évaluation des consolations de la phase iilluminative de la retraite est celui qu’on trouve dans l’évangile de Matthieu 7, 2052.

Le mauvais esprit peut se déguiser en ange de lumière pour suggérer sous couleur de bien ce qui est mal ou ce qui est moins bien en conduisant à dévier du chemin préalablement entrevu dans la lumière d’une prière authentique (Règles 332,33, 334).

L’originalité des règles du discernement des esprits chez saint Ignace de Loyola réside dans leur caractère bref, concis, pratique et prudent.

52 “C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez »

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L’expérience de la grâce et la pratique du discernement des esprits

Elles sont pertinentes pour interpréter l’expérience spirituelle dans le contexte de l’alternance des consolations spirituelles et désolations spirituelles.

Les règles du discernement des esprits sont utiles pour le retraitant et pour l’accompagnement spirituel.

L’usage des règles du discernement des esprits ne se limite pas au temps d’une retraite selon tradition issue de saint Ignace de loyola.

Ces règles prônent une fidélité généreuse en cas de crise spirituelle.

Pour écarter les tentations de déviation qui, fallacieusement, se présentent sous couleur de bien il convient d’appliquer un double critère. Un critère général, d’abord : se régler sur la sagesse évangélique qui est essentiellement la même pour tous, partout et toujours (on en trouve la formule pratique au troisième point des deux étendards) ; un critère complémentaire d’incidence personnelle , ensuite : unir à la règle précédente, le tempérament de discrétion réclamé par le devoir d’état respectif , conformément à l’obéissance ou à la direction dûment autorisées. Un discret contrôle spirituel est aussi supposé et suggéré dans ces règles53

2- La liberté humaine dans la pratique du discernement spirituel

La liberté humaine est la possibilité de vivre un appel de manière consciente et engagée. Loin de s’autocréer, la personne libre est celle qui répond à un appel en se dépossédant d’elle-même dans un dialogue qui le personnalise.

Les chrétiens sont personnalisés par Jésus Christ, le Fils de Dieu fait chair par qui toute personne humaine entend l’appel à vivre à l’image et à la ressemblance de Dieu.

L’être humain est une créature. Il se reçoit d’un autre et existe par un autre. L’être humain mène une vie authentique quand il existe par un autre et pour les autres.

Les chrétiens nomment cet autre par qui ils existent , Dieu.

Ce Dieu est tri-personnel : Père, Fils et Esprit Saint.

Le Dieu tri-personnel est la gratuité absolue et radicale qui fonde la liberté humaine.

Le Dieu tri-personnel invite la créature libre à le reconnaître en son Fils, Jésus Christ qui a traversé l’histoire humaine en offrant la possibilité de vivre un appel à le suivrepour entrer dans la plénitude de vie.

La pratique du discernement est une attitude active où le retraitant se refère au Dieu tri-personnel à travers Jésus Christ dans ses grands moments humains de décisions.

53 Hervé COATHALEM, Commentaire du livre des Exercices, Collection Christus n° 18DDB, Paris, 1965, p. 315-316.

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En faisant les exercices spirituels, le retraitant s’engage à l’école de saint Ignace de Loyola dans un chemin évangélique de purification, d’illumination, d’union et de libération.

La pratique du discernement dans le cadre d’une retraite selon la tradition de saint Ignace de Loyola exige l’écoute de l’évangile sous la conduite du saint Esprit.

Un accompagnateur est témoin de ce que vit le retraitant dans sa relation avec le Dieu tri-personnel de la révélation chrétienne.

La pratique du discernement engage la liberté humaine, la capacité de vivre par le Dieu Tri-personnel et pour l’humanité comme Jésus le Christ dans son humanité vivant par le Père et l’Esprit Saint et s’offrant pour la rédemption du genre humain.

La prière du retraitant est à la fois active et passive. Elle vise la louange, la révérence et le service de Dieu. Elle est un combat de fidélité aux décisions de l’existence humaine en s’inspirant de celles de Jésus le Christ.

La pratique du discernement dans la prière silencieuse est une école de décisions pour les responsabilités personnelles, familiales, ecclésiales et sociales.

Les décisions prises à la lumière de l’évangile acomplissent la liberté humaine en tenant compte des vues de Dieu sur la destinée mystérieuse du retraitant.

La pédagogie des exercices spirituels à travers les règles du discernement des esprits de la première et seconde semaines, aide le retraitant à entendre les appels de Dieu à travers les conditions concrètes de son existence en comptant sur son sens des responsabilités et à sa disponibilité à déchiffrer la volonté de Dieu dans le mouvement des esprits.

Le mouvement des esprits repercute les échos d’invitations intérieures qui habitent le cœur priant du retraitant.

Le discernement spirituel pour le retraitant consistera à trouver un chemin de réalisation de sa liberté et de sa responsabilité dans une décision d’aimer, de servir et de louer son Cr éateur et Seigneur dans un respect révérenciel.

3- L’actualité du discernement spirituel

Le discernement spirituel qu’il soit personnel ou communautaire est nécessaire pour connaître la volonté de Dieu.

Les méthodes de discernement spirituel varient selon le temps, les circonstances et les spiritualités.

La spiritualité selon la tradition de saint Ignace de Loyola situe le discernement spirituel dans le cadre de la pratique des exercices spirituels.

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L’expérience de la grâce et la pratique du discernement des esprits

Le discernement spirituel exige un temps de réflexion et de prière, un accompagnateur informé de la voie de saint Ignace de Loyola et les règles du discernement des esprits de la première et de la seconde semaines.

Le discernement spirituel fait partie du processus d’élection et trouve sa cohérence dans la dynamique des exercices spirituels de saint Ignace de Loyola.

Le discernement spirituel peut porter sur les appels de Dieu et sur les décisions à prendre à la lumière de l’évangile. Il peut aussi avoir comme objets, la relation à Dieu dans la prière ou les choix de vie.

Le discernement spirituel présuppose la liberté et la responsabilité de l’être humain qui coopère avec Dieu pour inventer de manière créatrice sa vie en se libérant des attachements désordonnés.

La volonté de Dieu n’est pas un projet pré-établi que Dieu suggererait à sa créature.

Le discernement spirituel s’effectue dans l’histoire personnelle de la créature libre qui se laisse inspirer par la vie de Jésus, le Christ.

Dans le discernement spirituel Dieu est reconnu comme le créateur qui constamment façonne la destinée humaine en mettant en place les conditions de possibilités pour l’exercice de la liberté humaine.

Le Dieu tri-personnel de la révélation chrétienne est la source créatrice de la liberté humaine en étant le don pur sur lequel peut s’appuyer la conscience priante du retraitant.

Le retraitant conscient de la présence de Dieu dans son histoire personnelle peut rencontrer le mystère du Dieu tri-personnel au carrefour des Écritures où le Père, le Fils et l’Esprit Saint se donnent dans la Parole advenue dans l’histoire de Jésus de Nazareth, actualisée dans l’Église, méditée et contemplée.

Cette parole méditéé et contemplée est de nature à susciter une réponse dans le cœur priant du retraitant qui confronte son histoire personnelle à celle du Dieu tri-personnel risquant le don de lui-même en Jésus le Christ, le Fils et en tous ceux qu’ils éclairent depuis son avènement dans l’histoire humaine.

Le discernement spirituel selon la tradition de saint Ignace de Loyola ne peut être envisagé que dans une perspective de foi chrétienne. Il s’appuie sur le Dieu de Jésus Christ et fait appel à une expérience de la grâce soit comme une illumination sans cause ou soit comme une illumination à travers les facultés de l’âme. Même le troisième temps d’élection qui utilise la raison se fait dans un contexte de foi et de prière implorante.

Dans un monde comme le nôtre, où l’on peut vivre sans affirmer nécessairement l’existence de Dieu et où domminent le nihilisme, le subjectivisme, le relativisme et la promotion de l’autonomie de la conscience humaine, certains peuvent donner un sens à leur vie en recourant à la rationalité pure.

L’intérêt des exercices spirituels est d’ouvrir dans l’expérience humaine un espace à la grâce, cette présence de Dieu qui se manifeste dans la relation effective de la créature avec l’auteur de la vie.

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L’expérience de la grâce et la pratique du discernement des esprits

En faisant les exercices spirituels, le retraitant s’ouvre à Dieu comme la réalité absolue et radicale qui fonde son existence. Ce Dieu Créateur de toutes choses peut transformer le cœur priant par une expérience de conversion. Il peut illuminer l’âme du retraitant et l’appeler à une union d’intelligence et de volonté.

L’âme humaine confrontée dans l’histoire à ses misères peut rencontrer dans les exercices spirituels la faveur imméritée d’un Dieu transcendant d’amour, de paix et de bonté qui lui offre gratuitement la surprise de s’appuyer sur l’espérance qu’il déclenche à travers le movement des esprits dans l’expérience de la prière contemplative.

Conclusion :

Les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola conduisent à une expérience de la grâce soutenue par une pédagogie de la prière implorante.

La pratique du discernement spirituel met le Dieu tri-personnel de la foi chrétienne au centre de l’acte de la liberté humaine disposant le cœur priant au mouvement des esprits pour revevoir la présence transformante de Dieu qui invente l’avenir avec la collaboration du retraitant.

Le retraitant est personnalisé par le Dieu tri-personnel qui en Jésus le Christ meut mystérieusement dans l’Esprit sa liberté en vue de louer, de révérer et de servir la divine majesté dans l’histoire humaine.

Les exercices spirituels sont un chemin vers Dieu où le retraitant peut faire dans une perspective de foi, une expérience de la grâce.

La grâce est la présence gratuite du Dieu tri-personnel dans l’existence humaine pour la fonder, l’appeler au dépassement de soi et la faire participer à sa vie d’amour.

La perfection de la décision de louer, de révérer et de servir est un acte d’amour qui inscrit la créature libre dans l’histoire humaine.

L’expérience humaine de la pratique du discernement spirituel met Jésus le Christ au centre de l’acte de la liberté humaine. Jésus le Christ devient pour le retraitant Celui par qui il entend l’appel du Dieu tri-personnel à œuvrer pour le royaume en en adhérant à la volonté du Père par le Fils dans l’Esprit Saint.

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Page 65: La beauté de la vie religieuse

LA REALITE PRESENTE DU MYSTERE DE JESUS-CHRIST

Le dogme christologique enseigne que le Verbe divin, préexistant, dans sa relation au Père et à l’Esprit Saint à travers le mystère de l’incarnation est devenu homme en Jésus-Christ.

Jésus Christ, Dieu fait homme, a pleinement vécu l’existence humaine comme un Juif de Galilée dont la vie, le ministère public et le mystère pascal révèlent sa place unique de rédempteur dans l’histoire du salut.

A la lumière de l’Écriture, Jésus-Christ est le serviteur par excellence de Dieu, le fils de l’homme et l’unique-engendré du Père.

Comment les siècles de méditations et d’investigations rationnelles de l’Église ont-ils abouti à un langage précis et concis sur l’identité de Jésus-Christ comme Dieu fait homme?

Quelles sont les difficultés d’ordre sémantique, exégétique et anthropologique qui entourent la définition de l’identité de Jésus-Christ comme Dieu fait homme ?

Quelle est la réalité présente du mystère de Jésus-Christ dans le contexte du XXIème siècle dominé par la pluralité religieuse et la troisième quête du Jésus historique54?

Dans notre exploration christologique, nous partirons dans un premier temps, de la méditation et de la pratique liturgique des communautés chrétiennes dans leur effort pour réfléchir sur le mystère de l’homme Dieu révélé dans l’Écriture et objet d’une analyse consciente dans les symboles et les actes des Conciles Œcuméniques de l’Église55.

Dans un second temps, nous confronterons l’interprétation de l’unique-engendré du Père dans l’Église aux erreurs sur l’identité de Jésus, vrai Dieu et vrai homme.

Enfin, dans un troisième temps, nous réfléchirons sur la réalité présente de Jésus-Christ dans la perspective d’une christologie d’en haut et d’une christologie d’en bas dans un monde marqué par la pluralité religieuse en élargissant notre enquête à la christologie narrative.

1. Le mystère du Christ révélé dans l’Écriture, dans les pratiques liturgiques et dans les Actes des Conciles Œcuméniques de l’Église

La question christologique « Pour vous, qui suis-je ? » initiée par Jésus à un moment décisif de son ministère public demeure toujours d’actualité pour chaque génération de disciples clarifiant leur rapport au prophète de Galilée et au prédicateur itinérant du Royaume de Dieu qui par le passage

54 La troisième quête du Jésus historique commence avec ERNST KÃSEMANN « Le problème du Jésus historique » dans Essais exégétiques, Neuchâtel, 1972, p.145-173. 55 Christian DUQUOC, Christianisme. Mémoire pour l’avenir, Paris, Cerf 2000.

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mystérieux de la mort à la vie devient objet de foi pour les premières communautés chrétiennes (Marc 8, 29 ; Actes des Apôtres 2, 24).

Chaque fois qu’un disciple de Jésus répond à cette question, « pour vous, qui suis-je ? », ce disciple fait de la christologie.

La christologie est la réflexion critique sur l’identité de Jésus comme l’oint de Dieu, comme sauveur et comme Seigneur ressuscité (Actes des Apôtres 2,36 ; Première Épître de Pierre1, 18-19).

La christologie comme réflexion critique sur l’identité de Jésus définit le rapport de cet homme étonnant et particulier du premier siècle, à Dieu et à toute l’humanité.

La réponse à la question christologique a un effet sur la vie personnelle et communautaire du disciple de Jésus-Christ dans l’Église, dans la société et dans le monde.

La réponse christologique s’inscrit dans deux perspectives distinctes de réflexion : la christologie d’en haut et la christologie d’en bas.

La christologie d’en haut a pour point de départ le Verbe divin du prologue de saint Jean qui devient pleinement homme en Jésus Christ. Le Verbe divin incarné est celui en qui demeure corporellement toute la plénitude de la divinité (Épître aux Colossiens 2,9).

La christologie d’en bas part de la figure humaine et historique de Jésus unie à Dieu dans la prière et dotée d’une autorité et d’une mystérieuse destinée extraordinaires qui lui donnent une place singulière et unique dans l’histoire du salut.

Les premiers disciples de Jésus au premier siècle de l’ère chrétienne, étaient des Juifs pieux qui ont continué à fréquenter le temple de Jérusalem (Actes 2, 46 ; Actes 3, 1). Ils professaient le monothéisme Juif tout en confessant Jésus-Christ comme celui qui accomplit les Écritures. Dans leurs prières d’action de grâces, ils mentionnaient les œuvres de Dieu en se servant des psaumes, cantiques et hymnes inspirés de la Bible Juive (Colossiens 3, 16). Mais peu à peu, les disciples de Jésus –Christ manifesteront la nouveauté de leur foi en le reconnaissant comme, Médiateur et Seigneur ressuscité par leur culte eucharistique célébré dans leurs maisons le premier jour de la semaine. 56Au cours des assemblées dominicales, les prières adressées à Jésus sont de résonance eschatologique et reconnaissent l’autorité de Jésus sur l’Église et sur l’univers (PHILIPPIENS 2,9-10 ; Romains 10, 9 ; 1 Corinthiens 12,3 ; Hébreux 1, 10). Les formules de baptême et les professions de foi traitent Jésus-Christ à l’égal du Père et de l’Esprit Saint (Matthieu 28, 19 ; DIDACHÈ).L’Église née du mystère pascal est profondément enracinée dans le mystère de l’incarnation rédemptrice.

Avec l’incarnation du verbe de Dieu dans le monde en Jésus –Christ, Dieu qui transcende le monde n’est plus isolé de celui-ci. Dieu a pris sa place dans l’histoire humaine en une personne distincte du Père qui est sa parole révélatrice et de même essence que les deux autres personnes de la Sainte Trinité, le Père et l’Esprit Saint.

56 L’épitre de Barnabé (entre 70 et 138) atteste cette pratique.

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Face à la révélation du mystère de l’incarnation deux erreurs ont vu le jour au deuxième siècle de l’ère chrétienne : le docétisme et l’adoptianisme.

Le docétisme est une conception théologique qui nie la véritable humanité du verbe divin devenu chair. En attribuant à Jésus, une apparence de corps, le docétisme nie la souffrance et la mort du Verbe divin impassible et immortel57.

L’Église réagira contre le docétisme en affirmant la pleine humanité du Verbe divin devenu homme souffrant et mourant pour le salut de l’humanité (1Jean 4, 2-3 ; 1 Corinthiens 15, 1-8 ; Éphésiens 1,7).

L’adoptianisme nie la divinité de Jésus-Christ en affirmant que ce n’est qu’à partir de son baptême, que le prophète de Galilée fut habité par l’Esprit de Dieu en vue de sa mission.

Les Ebionites58 comme CERINTHE ont répandu cette erreur en se fondant sur l’argument que Jésus n’avait pas opéré de miracles avant son baptême. Cette ligne de pensée fut développée par d’autres adoptianistes Romains59.

Dans la première moitié du 3ème siècle de l’ère chrétienne, Origène et Tertullien réfléchiront en profondeur sur le mystère du Verbe incarné.

Pour Origène, Le verbe divin a une génération éternelle. Il n’y eut pas un temps où il n’existait pas. Le verbe est la splendeur de la lumière éternelle et la sagesse du Père engendré de la substance divine elle-même. En vertu de l’incarnation du Verbe divin, Jésus-Christ est l’homme-Dieu avec l’attribution réciproque des qualités humaines et divines.

Pour Tertullien, le Verbe divin est de la même substance que le Père, immanent en Dieu de toute éternité et proféré au moment de la création du monde.

Par son incarnation, le Verbe divin a deux natures distinctes, une divine et une humaine.

Ces deux théologiens tout en s’inscrivant dans le courant qui subordonne le verbe divin au Père, confirment la pratique de l’Église qui consistait à vénérer Jésus-Christ comme le Seigneur de l’univers à côté de Dieu avec qui il a une relation ontologique de même nature. Qui plus est, l’Église administrait le sacrement de baptême au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Le culte eucharistique donnait une place centrale à Jésus-Christ Seigneur ressuscité et médiateur de la nouvelle alliance.

A partir de 315, un prêtre d’Alexandrie, Arius va affirmer que le Verbe divin n’est pas éternel comme le Père60. Le Verbe divin n’est Dieu que par participation.

57 Le docétisme est lié au mouvement gnostique dont le système d’explication de la réalité donne peu de place à la matière corporelle. 58 Les Ebionites sont des partisans d’un monothéisme strict au sein du Judaïsme. Les Ebionites ne donnent à Jésus que la place d’un homme dans l’histoire du salut.59Pour eux Jésus n’est qu’un homme, certes saint, qui reçut l’Esprit de Dieu au baptême devenant ainsi un fils adoptif de Dieu. Jésus n’est donc pas pour les adoptianistes une personne divine. 60 Arius affirmait que Dieu ne fut pas toujours Père ; il eut un temps où le Verbe divin n’existait pas. Le verbe divin procède du Père comme une créature parfaite.

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Saint Athanase réagira en montrant que si le Verbe divin n’est pas pleinement divin, il ne peut nous sauver.

Sur convocation impériale, le Concile de Nicée finira par affirmer la pleine divinité du Verbe en excluant toute subordination du Verbe au Père.

Ainsi le Verbe est né éternellement du Père, « Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non pas créé, consubstantiel au Père »

La foi de Nicée sera défendue par Saint Hilaire de Poitiers, Saint Ambroise, le pape Damase, Saint Athanase et les trois grands Cappadociens, Saint Basile, Saint Grégoire de NAZIANZE et Saint Grégoire de NYSSE.

A partir de la foi de Nicée sur l’identité divine du Verbe se posera le problème de l’âme humaine de Jésus au quatrième siècle de l’ère chrétienne61.

Apollinaire de Laodicée62 et Théodore de MOPSUESTE tenteront des solutions peu satisfaisantes.

Au cinquième siècle de l’ère chrétienne, les écoles d’Alexandrie et d’Antioche dans leurs perspectives respectives tenteront d’approfondir le mystère de l’Incarnation dans deux directions différentes.

L’école d’Alexandrie est plus théologique, plus platonicienne et plus allégorique dans ses méthodes qui contemplent l’unité du Verbe incarné sous le prisme descendant du Verbe qui assume la chair63.

Cette école théologique conduira à la solution séduisante du monophysisme qui croit à la divinisation totale de l’homme Jésus en enseignant, qu’après l’incarnation, la nature divine a totalement absorbé la nature humaine de Jésus-Christ.

Eutychès64 et Nestorius65 sont de grands défenseurs de l’unique nature de Jésus-Christ.

L’école d’Antioche est plus historique et plus analytique partant du fils né de la femme au fils de Dieu66.

Elle est plus attentive à l’humain en Jésus-Christ.

Les grands représentants de cette école sont THEODORET de Cyr, Théodore de MOPSUESTE et IBAS d’Edesse condamnés par le cinquième Concile œcuménique de Constantinople(553).

61 L’intégrité de la nature humaine de Jésus est visée. Jésus a un corps et une âme raisonnable. Jésus est pareil à tous les humains au niveau de l’intégrité de sa nature humaine. 62 Apollinaire de Laodicée remplaçait l’âme humaine de Jésus par le Verbe. Selon lui, Jésus aurait un corps, une âme animale et le Verbe remplaçant son âme humaine. Apollinaire fut condamné par le Concile général de Constantinople en 381. 63 Les principaux représentants de l’école d’Alexandrie sont : Clément, Origène, Athanase et Cyrille. 64 Eutychès est un moine influent de Constantinople radicalement opposé à l’école d’Antioche. 65 Nestorius, évêque de Constantinople au Vème siècle, prônait la dualité des sujets dans le Christ, l’homme Christ et le Verbe divin. 66 Les principaux représentants de l’école d’Antioche sont : Lucien, DIODORE de Tarse et Théodore de MOPSUESTE.

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Le concile d’Ephèse (431) malgré la tragédie lamentable d’une divergence de vues entre Nestorius, Cyrille et Jean d’Antioche approfondira le mystère de Jésus- Christ en affirmant l’unité personnelle de l’homme-Dieu.

Depuis Cyrille d’Alexandrie, la tradition ecclésiale a montré de manière convaincante que le Verbe de Dieu ne s’est pas uni extérieurement à Jésus-Christ. Le Verbe de Dieu a plutôt fait exister historiquement en Jésus-Christ un être de chair dans l’union intime de la nature divine et de la nature humaine.

Ainsi Jésus-Christ n’est pas habité par le verbe de Dieu comme le seraient les saints et les prophètes mais il est uni de manière unique et absolue au Verbe divin. Cette union hypostatique est la réalité humaine assumée par le Verbe de Dieu qui communique à toute l’humanité, l’amour de Dieu et le salut.

Il appartiendra au concile de Chalcédoine (451) de définir les deux natures en une unique personne de Jésus-Christ contre Eutychès et Nestorius.

Le Concile de Chalcédoine avait été un compromis entre la formulation de foi selon Cyrille d’Alexandrie plus exposée au monophysisme et l’expression commune de la foi du pape saint Léon I dans son tome à Flavien, patriarche de Constantinople. Ni le monothélisme67ni les tentatives politiques de se rallier les partisans du monophysisme n’auront raison de la foi commune des deux natures en une personne unique.

Jésus-Christ est selon la foi commune, l’unique engendré de Dieu devenu homme pour le salut de l’humanité. Il est adoré comme le Père et l’Esprit Saint (Concile de Constantinople I).La foi commune exclut que l’union de la nature divine avec la nature humaine soit faite par confusion, combinaison ou mélange (contre Eutychès). La foi commune exclut la conjonction des deux natures dans un état d’absorption (Contre Nestorius).

Les deux natures, divine et humaine se rencontrent en une personne unique. Cette union hypostatique du Verbe divin avec la nature humaine est une réalité mystérieuse et incompréhensible en elle-même.

Le Verbe incarné est le Tout-Autre insaisissable qui n’est pas à la portée de l’intelligence humaine. L’intelligence humaine peut saisir analogiquement cette réalité divine qui dépasse toute explication rationnelle en utilisant de manière approximative le langage de l’union de l’âme d’avec le corps. En effet, l’union hypostatique du Verbe divin avec la nature humaine est un cas unique, indicible qui surpasse l’intelligence humaine. « Ce qui est en Dieu, personne ne le connaît, sinon l’Esprit de Dieu » (1Corinthiens 2,11). C’est le cas éminent de l’union hypostatique du Verbe divin avec la nature humaine.

En Jésus-Christ se rencontrent une nature divine et une nature humaine. Ces deux natures de Jésus-Christ ne se mélangent pas. Elles ne se tiennent pas à distance l’une de l’autre comme une chose et une autre chose. De nature divine et de nature humaine, Jésus-Christ est le Verbe divin incarné qui subsiste indivisiblement dans l’une et l’autre nature. Telle est la christologie classique née de la lecture de

67 Le monothélisme enseigne qu’en Jésus-Christ ne s’exerce que la seule volonté du Verbe

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l’Écriture, des pratiques liturgiques, des investigations rationnelles et des actes de compromis des premiers Conciles Œcuméniques de l’Église sous un fond de conflits politiques et religieux.

2. L’engendrement divin de Jésus-Christ dans l’Église et les difficultés sémantiques, exégétiques anthropologiques qui entourent le mystère de l’homme-Dieu.

Le Concile de Constantinople III(553) dans l’un de ses canons, le canon 10, affirme : « Si quelqu’un ne confesse pas que celui qui a été crucifié dans la chair, notre Seigneur Jésus Christ, est vrai Dieu, Seigneur de la gloire et un de la Trinité, qu’il soit anathème »

Ce canon du Concile de Constantinople III résume la christologie classique de la foi commune de l’Église. Jésus-Christ, l’homme-Dieu est vrai Dieu et vrai homme.

Dans la christologie classique, la grandeur éminente de Jésus-Christ est soulignée dans des textes d’allure solennelle de l’Écriture :

« Et le Verbe s’est fait chair et il a campé parmi nous et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient du Père comme Unique-engendré, plein de grâce et de vérité » (Jean 1, 14).

« Nul n’a jamais vu Dieu, le Fils Unique-Engendré qui est dans le sein du Père, lui l’a fait connaître » (Jean 1,18).

« Qui me voit, voit le Père » (Jean 14,9).

« Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père sinon par moi » (Jean 14,6).

« Père, l’heure est venue ; glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés » (Jean 17, 1-2).

«Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jean 17, 3).

« Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même » (Première épître à Timothée 2,5).

« Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Actes des Apôtres 4,12).

« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre (Mathieu 28, 18).

« Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par un Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les mondes » (Épître aux Hébreux 1, 1-2).

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« Resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance, lui qui soutient l’univers par sa parole puissante, ayant accompli la purification des péchés, s’est assis à la droite de la Majesté dans les hauteurs, devenu d’autant plus supérieur aux anges que le nom qu’il a reçu en héritage est incomparable au leur » (Épître aux Hébreux 1, 3-4).

« C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue proclame que le Seigneur c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père » (Épître aux PHILIPPIENS 2, 9-11).

« Car Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils, l’Unique-engendré, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle » (Jean 3, 16).

Jésus-Christ dans les saintes Écritures est élevé au-dessus des créatures angéliques et humaines. Il surpasse les prophètes, les prêtres, les rois et les sages de l’Ancien Testament (Mathieu 12, 41 ; Luc 11,31 Mathieu 17,3).

Tout baptisé instruit par le Nouveau Testament confesse que Jésus-Christ est Seigneur et Dieu fait homme. Cette parole de foi du baptisé inspiré par l’Esprit Saint est une doxologie, une parole de glorification et de louange qui peut se convertir en un enseignement sur l’identité de Jésus-Christ unique et totale révélation de Dieu et promoteur du salut de l’humanité dans son union à l’humanité, dans sa vie de témoignage au Père dans l’Esprit et dans son mystère pascal.

Jésus-Christ est Dieu se présentant en un homme pour dévoiler son mystère (Éphésiens 1, 9-10). En lui, le Dieu invisible et inaccessible des traditions religieuses de l’humanité se révèle gratuitement ( DEI VERBUM VI, 2168).

Jésus-Christ est le porte-parole par excellence du Père. Il est envoyé à toute l’humanité pour parler et agir au nom de Dieu. Sa lettre de créance est sa divinité contenue dans les limites d’un homme du premier siècle de l’ère chrétienne.

Jésus-Christ est l’ultime dévoilement du Père dans l’Esprit Saint (Épître aux Hébreux1, 1-2).

Jésus-Christ dans la doxologie est aussi reconnu dans sa réalité divine comme le premier et le dernier, le commencement et la fin. L’unique engendré du Père qui a œuvré pour le salut de l’humanité est ainsi reconnu dans la doxologie comme l’égal de Dieu participant par son être d’unique engendré du Père au mystère absolu de Dieu.

L’engendrement de l’unique comme Verbe de Dieu est une confession de foi inspirée par l’Esprit Saint.

Le Verbe de Dieu est l’unique engendré du Père selon l’Écriture, les pratiques liturgiques et la réflexion théologique de l’Église.

68 « Dans les Saints livres, le Père qui aux cieux vient avec tendresse au-devant der ses fils et entre en conversation avec eux »

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Cette confession de foi pose des difficultés sémantiques, exégétiques et anthropologiques dans le contexte de la pluralité religieuse de notre XXIème siècle.

Jésus-Christ est Dieu parce qu’il est l’engendré unique du Père ou le Verbe de Dieu ou l’expression parfaite de celui qui est à l’origine de toute réalité. Une relation d’amour lie le Père éternel avec le Verbe qui est l’unique engendré du Père (Jean 1,18). L’unique engendré est l’unique aimé tirant son être d’unique engendré du Père qui est son origine. Il reçoit son être divin du Père. A l’égal du Père, l’unique engendré entretient une relation de communion, d’échange et de dialogue marquée par la mutualité, l’égalité, la réciprocité et le don total de soi. L’unique engendré, le Verbe de Dieu devient homme pour communiquer aux hommes la nouvelle naissance d’en-haut, le salut et la réconciliation avec le Père en tant que plénitude de la présence divine. De nature divine, le Verbe devient homme pour rendre participants de la nature divine ceux qui croient en lui (Épître aux Galates 6, 15, Jean 20,22 ; Deuxième Épître de Pierre1, 4).

Le Verbe de Dieu est la source d’une nouvelle naissance qui fait participer à la nature divine. L’unique engendré le Verbe devenu l’homme-Dieu est aussi le médiateur entre Dieu et la création. Il est comme le « premier né de toute créature » et comme « le premier-né d’entre les morts » (Colossiens 1, 13-18.22). Le Verbe incarné est ainsi le vivant par excellence qui en fin de parcours terrestre est aussi le vivant ressuscité qui conduit ses frères en humanité à la plénitude de la vie divine (Jean 10, 10). Le Verbe incarné est celui qui communique la vie divine par la singularité de son office de médiateur ouvrant l’accès à Dieu (La lettre aux Hébreux 9). En mourant dans un acte d’offrande, le Verbe incarné, l’homme-Dieu se donne au Père et aux hommes par amour. Jésus-Christ est aussi le fils de l’homme glorifié par l’acte de trahison et de livraison d’un de ses disciples. Il est celui qui révèle jusqu’au bout l’amour de Dieu en pardonnant à ses bourreaux et en priant pour ses disciples afin qu’ils soient un (Jean 17).

Jésus-Christ est celui qui donne l’Esprit Saint pour transformer les cœurs humains en des lieux de présence trinitaire (Jérémie 31, 31-34 ; Jean 20,22).

Ce langage de foi est-il pertinent dans un monde marqué par la pluralité religieuse ?

Jésus-Christ dans la tradition chrétienne est l’unique incomparable qui est communiqué à tous en dépit des ambiguïtés historiques.

Il est l’unique qui met en relation en étant à la fois du côté du mystère absolu de Dieu et du côté de l’humanité comme Frère de tous.

Jésus-Christ dans le langage complexe et diversifié de la confession chrétienne est celui qui fonde la relation à Dieu.

En reconnaissant le caractère fragmentaire de la perception du mystère de Jésus-Christ dans les traditions ecclésiales, une occasion est donnée dans le cadre du pluralisme religieux à d’autres religions d’explorer dans leurs contextes ce qui en cet homme incomparable et étonnant interpelle ou provoque la réception de son message de révélation et de salut.

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En effet, l’unique engendré du Père est aussi le premier engendré de la mort dont le mystère est accessible à tous69.

Toute personne humaine en s’exposant à la prédication chrétienne peut par l’action de l’Esprit Saint rencontrer le premier engendré de la mort, vivant pour toujours dans le témoignage apostolique et ecclésial.

Cependant la christologie contemporaine ne peut se contenter du dogme christologique tel qu’il est énoncé dans l’Église pour l’usage AD INTRA des croyants.

A l’heure de la pluralité religieuse, un effort doit être fait pour expliciter le mystère de l’unique engendré du Père qui est aussi le premier engendré de la mort dans ses manifestations au cœur des autres religions de l’humanité.

L’explicitation AD EXTRA du mystère de l’unique engendré du Père peut se faire à l’aide des catégories anthropologiques comme l’identité, le dialogue, la rencontre des religions, les compréhensions culturelle du temps, les enjeux éthiques, le sacrifice, et le rapport à la mort.

Des théologiens du pluralisme religieux s’efforcent aujourd’hui de comprendre le mystère de Jésus-Christ en se référant à la manifestation visible et publique du Verbe divin dans les autres religions de l’humanité.70

Pour eux, le mystère de Jésus-Christ déborde le cadre conceptuel du lieu d’incarnation du Verbe divin au premier siècle de l’ère chrétienne.

Selon les théologiens du pluralisme religieux, ce mystère est aussi accessible de manière implicite dans les expériences religieuses d’autres aires géographiques et culturelle qui n’ont pas connu le Verbe divin dans la particularité limitée et historique de sa manifestation originelle dans le Judaïsme du premier siècle de l’ère chrétienne.

Les saintes Écritures et la dogmatique chrétienne n’épuisent pas les richesses de la réalité de ce grand mystère de la foi au-delà des frontières visibles de l’Église.

En explorant la dimension cosmologique du mystère de Jésus-Christ sur l’arrière-plan des quêtes multiformes du salut dans l’histoire des religions, on découvre que toute personne humaine quelle que soit sa culture est un chercheur en quête du sens de la réalité ultime. Chaque chercheur emprunte un chemin religieux qui le conduit à explorer dans sa culture le mystère absolu de l’existence humaine. L’exploration du mystère absolu produit des chemins multiples et variés sur fond de connaissances fragmentaires, limitées et relatives au temps et à la culture. Mais, seul le christianisme affirme que Jésus-Christ est celui qui apporte le salut eschatologique de façon définitive et indépassable en étant l’unique médiateur entre Dieu et les hommes.

69 GAUDIUM ET SPES N° 22,570 RAIMUNDO PANIKKAR, Une CHRISTOPHANIE pour notre temps, Arles, Actes Sud, 2001, p. 11-47.

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Karl Rahner71 opère une distinction entre les voies du salut et la voie unique du salut en Jésus-Christ en distinguant les multiples figures du salut et la sagesse incarnée de Dieu invitant les membres de l’humanité à devenir fils et filles d’un même Père qui se révèle à ses enfants dispersés dans le monde afin de les réunir en son Fils engendré avant le temps et en qui ils ont la vie éternelle et les promesses d’une nouvelle création.

La confession de foi du christianisme affirme que le mystère absolu caché qui est objet de recherches de toutes religions est révélé en Jésus-Christ qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie (Jean 14,6 ; Épître aux Éphésiens 3, 9 ; Première Épître à Timothée 3, 6).

Quiconque emprunte le Chemin qu’est Jésus-Christ s’unit au Verbe divin incarné et devient semblable à lui qui est le lien qui unit une multitude de frères au mystère absolu de l’existence humaine. Une fraternité à l’échelle du cosmos ne peut être qu’un don du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Ce don se manifeste dans le mystère de Jésus-Christ, le Fils de Dieu qui a reçu le nom qui est au- dessus de tout nom et qui invite tout membre de l’humanité à accueillir le don merveilleux de la filiation divine, parce qu’il est l’homme-Dieu qui révèle dans les limites d’un homme du premier siècle de l’ère chrétienne la grandeur d’un Dieu d’amour qui s’anéantit en lui pour unir les membres de l’humanité entre eux et les libérer de tout ce qui empêche les êtres humains d’aimer.

3. La réalité présente de Jésus-Christ dans un XXIème siècle dominé par la situation de la pluralité religieuse et l’émergence d’une christologie narrative

Quelle est la réalité présente de Jésus-Christ dans le contexte de la pluralité religieuse et de l’émergence d’une christologie narrative?

La christologie classique présente Jésus-Christ, l’homme-Dieu comme l’unique sauveur du monde. L’œuvre rédemptrice de Jésus-Christ s’est opérée une fois pour toutes au premier siècle de l’ère chrétienne en un seul individu incomparable et éminent qui surpasse tous les médiateurs du salut, rois, prêtres, prophètes et sages.72

Le Dieu révélé par Jésus-Christ est un Dieu Père, origine de tout ce qui existe (Jean 14,28).

Le Fils éternel devenu homme en Jésus-Christ est l’expression parfaite de son être et le frère de tous les membres de l’humanité passée, présente et à venir (Luc 10, 22).

L’homme-Dieu crucifié et exalté est la révélation du mystère de Dieu. Il est l’unique chemin du salut en vertu de sa résurrection qui ouvre la voie à la parole ultime de Dieu à l’humanité entière.

Dans la chair crucifiée et exaltée du Verbe incarné, Dieu se révèle entièrement et rend participants de sa divinité tous les êtres humains qui parviennent dans l’Esprit Saint à la confession chrétienne73. 71 Karl Rahner, Traité fondamental de la foi. Introduction au concept du christianisme , Paris, Centurion, 1983, p. 358-359. 72 STANLEY SARMATHA, Un Christ, plusieurs religions, New York, ORBIS Book, 1991.73 DEI VERBUM N° 2.

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La confession chrétienne de l’unicité de Jésus-Christ ne s’oppose pas à l’universalité du dessein de salut de Dieu. Dieu a parlé de façon définitive à travers le Verbe incarné crucifié et exalté.

L’Esprit Saint poursuit l’œuvre d’approfondissement et d’explicitation de la révélation plénière en Jésus-Christ en faisant reconnaître les semences du Verbe enfouies dans les cœurs épris de vérité, de justice et d’amour. L’Esprit Saint conduit de manière mystérieuse et discrète les hommes ayant une conscience droite à la confession chrétienne.

En reconnaissant les semences du Verbe dans toutes manières de vivre qui incarnent l’amour, la justice et le respect de la dignité humaine, les disciples de Jésus-Christ entrent en dialogue et partagent le don de Dieu révélé en celui qui est le frère de tous avec les destinataires de cette Parole révélatrice, ultime et définitive du Père.

Cette Parole révélatrice, ultime et irrévocablement définitive est celle qui invite gracieusement à devenir des enfants du Dieu unique et trine dans la singularité et la particularité des situations culturelles, religieuses et existentielles.

Le Verbe incarné, l’homme-Dieu, Jésus-Christ, participant à l’unicité du Dieu révélé, Père, Fils et Esprit Saint est l’incomparable, le singulier, l’excellent, l’éminent qui communique à l’humanité l’amour de Dieu qui est le propre des personnes divines de la Sainte Trinité.

Les personnes divines dans leurs relations intra-trinitaires se donnent l’une à l’autre sans repli sur soi dans une réciprocité qui engendre la gratuité démesurée de l’amour qui est don, communion et échange infini. C’est cet amour divin que Jésus-Christ incarne dans une vie humaine complètement consacrée au Père et donnée aux hommes en ministères de guérison, de libération et de transformation de l’humanité.

Le Verbe incarné a manifesté de façon excellente une capacité extraordinaire de compassion active en se rendant proche de l’humanité souffrante et blessée au point de s’exposer à la violence qui le défigure, le crucifie et le transfigure dans la manifestation de son amour pour ses frères en humanité dans la mort et dans la résurrection.

Le Verbe incarné par son existence pour ses frères en humanité est le grain de blé tombé en terre qui meurt pour qu’il y ait beaucoup d’épis (Jean 12,24).

En donnant sa vie pour une multitude de frères, le Verbe incarné révèle l’amour de Dieu pour l’humanité souffrante et blessée en offrant une fois pour toutes par sa mort et sa résurrection l’espérance d’un monde réconcilié, fraternel, juste où sont possibles l’harmonie sociale et la révérence de la création du Dieu Père, Fils et Esprit Saint.

Cette christologie d’en haut qui est la christologie commune de l’Église est fondée sur la confession de foi à partir de la prédication primitive des communautés chrétiennes dont les traces se trouvent dans le Nouveau Testament et dans la dogmatique ecclésiastique.

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La réalité présente du mystère de Jésus-Christ

L’introduction au christianisme de Joseph Ratzinger en 1968, le Catéchisme de l’Église Catholique en 1994 et DOMINUS JESUS du 5 septembre 2000 reprennent à nouveaux frais les thématiques de la christologie d’en haut.

En affirmant que Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, la christologie d’en-haut, celle du Verbe divin devenu pleinement homme du prologue de l’évangéliste Jean, met l’accent sur la divinité et le caractère unique de l’envoyé du Père qui au terme de son passage de la mort à la vie rend possible la réception de l’Esprit pour continuer l’approfondissement de l’auto-communication de Dieu en sa personne.

Mais un grand mystère comme celui du mystère de Jésus-Christ ne peut être exploré et formulé exclusivement par la christologie d’en haut du prologue de l’évangéliste Jean ou les épîtres de la captivité de saint Paul.

La christologie peut et doit s’élaborer à travers les autres voix du Nouveau Testament et les diverses quêtes du Jésus historique.

Les autres voix du Nouveau Testament présentent Jésus-Christ comme une figure historique en solidarité avec l’humanité. 74

La christologie d’en- bas est plus sensible à cet aspect humain du mystère de Jésus-Christ.

Jésus-Christ est alors perçu comme un homme du premier siècle de l’ère chrétienne, semblable à ses contemporains en toutes choses, excepté le péché (Épître aux Hébreux 4, 15).

Jésus-Christ fut éduqué comme un Juif pieux et il participa de façon active au mouvement de réinterprétation et d’actualisation du Judaïsme du Second Temple.

Prédicateur itinérant du Royaume de Dieu, il fit une profonde impression sur ses contemporains par ses pouvoirs sur les esprits mauvais, la maladie et la nature.

Par son enseignement, Jésus-Christ était la parabole du Royaume de Dieu.

L’enseignement de Jésus-Christ éloigné du ritualisme, du légalisme et de l’interprétation de l’Écriture du Judaïsme contemporain des Pharisiens, des Scribes et des Sadducéens suscita l’envie et la jalousie de ceux-ci.

Personnage controversé dont l’autorité ne s’aligne sur aucune institution du Judaïsme conventionnel, Jésus fut dénoncé aux autorités Romaines comme une menace à l’ordre public. Il fut jugé, condamné, torturé et crucifié. Mais cet homme condamné à une mort infâme devint dans la prédication des communautés chrétiennes, l’oint de Dieu, celui dont la résurrection d’entre les morts, valide et confirme son rôle unique dans l’histoire du monde comme le Sauveur et l’unique engendré du Dieu du monothéisme chrétien.

Dans la christologie d’en bas, Jésus-Christ est évalué par ses disciples comme un homme compatissant, entièrement dévoué au bien-être de ceux qui souffrent. Il est le beau et bon pasteur qui est au service 74 GAUDIUM ET SPES, n°22

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des pauvres et des marginalisés. Il est le sage dont la parole et les paraboles du Royaume de Dieu suscitent l’espérance d’un monde meilleur, fraternel et juste.

La christologie d’en bas met en évidence, Jésus-Christ qui, dans le message de foi du Nouveau Testament n’est qu’amour de Dieu et du prochain. Jésus-Christ est l’Emmanuel, Dieu avec les hommes et pour les hommes. Il est l’homme pour Dieu et l’homme pour les autres.

L’Esprit de Dieu repose sur Jésus-Christ qui ne fait qu’un avec le Père dont il est le Fils. L’Esprit Saint présent et agissant depuis la création et assistant rois, prêtres, prophètes et sages dans leur mission est en plénitude sur l’homme Jésus comme la présence de Dieu unie de manière absolue à son humanité. Cette présence de l’Esprit Saint en Jésus-Christ dans la christologie d’en bas fait de lui le modèle de l’homme orienté vers le bien commun et le souci du prochain. En effet, l’Esprit Saint uni de manière absolue à l’humanité de Jésus-Christ, l’inspire, le guide, l’encourage, le console et l’ouvre à l’avenir du Royaume qu’il proclame dans ses paroles et actes.

La foi en cet homme sur qui repose en plénitude l’Esprit Saint donne accès au Dieu incarné dont la sollicitude fait advenir le meilleur dans un monde marqué par la souffrance dont les hommes s’infligent les uns aux autres. C’est à ce titre qu’il est Fils de Dieu qui rend Dieu proche et trace l’avenir absolu de l’humanité au cœur de la création rachetée.

Dans le XXIème siècle marqué par les thèses pluralistes en théologie et le dialogue interreligieux, la christologie d’en bas peut concilier l’affirmation de la pleine humanité de Jésus-Christ avec ce qui est vrai et saint dans les autres religions75.

En effet, le défi du pluralisme religieux oblige à repenser le mystère de Jésus-Christ en tenant compte des autres figures religieuses de l’humanité qui ont marqué des aires géographiques et culturelles par leur attention à l’œuvre de l’Esprit Saint en eux. Ces figures religieuses dont la mémoire est encore vivante dans les rites, les pratiques sociales et les comportements éthiques de leurs adeptes peuvent entrer en dialogue avec le Jésus de la christologie d’en bas pleinement humain et docile à l’Esprit Saint.

En tenant compte des autres figures religieuses de l’humanité, l’Église pourrait reformuler le mystère de Jésus-Christ de manière à intégrer dans sa doctrine les enjeux de la pluralité des traditions religieuses.

L’émergence d’une christologie narrative met en valeur le lien de Jésus avec l’Église. Jésus n’est connu que par le témoignage de foi de l’Église.

Dans la christologie narrative, l’Église raconte la vie de Jésus pour annoncer la nouvelle création et l’espérance suscitée par son mystère pascal.

La christologie narrative du Nouveau Testament raconte Jésus comme un homme étonnant et incomparable en qui le don du salut est offert à l’humanité.

75 NOSTRA AETATE du Concile Vatican II affirme que l’Église ne rejette ce qui est vrai et saint dans les autres religions.

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La christologie narrative est le récit sur Jésus en tant que cet homme étonnant et incomparable opère une transformation en ses disciples défaillants qui font l’expérience d’être pardonnés par le crucifié ressuscité et vivant de l’évangile76.

Les témoins de l’évangile sont ceux qui ont reçu le don du salut à travers leur transformation intérieure en vivant les événements liés à la vie publique de Jésus.

Adhérant au Jésus terrestre, les disciples pardonnés du Nouveau Testament sont des témoins qui ont fait l’expérience du salut. A travers leurs relations à Jésus, ils ont assisté à l’engendrement de la nouvelle humanité de Jésus, ressuscité d’entre les morts, donnant l’Esprit pour la rémission des péchés (Jean 20,23).

Ainsi l’Église témoigne de la nouvelle humanité d’un homme cru et prêché malgré les doutes comme l’unique homme sauvé de la mort par l’Esprit vivifiant du Père.

Le Père rend témoignage à son unique engendré par les voix humaines des disciples pardonnés qui proclament la nouveauté radicale de l’humanité souffrante et glorieuse de Jésus.

L’humanité souffrante et glorieuse de Jésus-Christ est désormais présente dans l’Eucharistie où les membres régénérés de l’humanité participent à la vie Trinitaire en devenant le Corps de celui qui s’offre pour le salut de tous.

Pour la christologie narrative, Jésus-Christ est l’unique engendré du Père qui devient un homme pour le salut de l’humanité. Sa passion pour l’humanité le conduit à la mort infâme de la croix. Sauvé de la mort par l’Esprit vivifiant du Père, l’humanité souffrante et glorieuse de Jésus-Christ est présente dans l’Eucharistie pour les membres régénérés de l’humanité qui poursuivent son œuvre grâce au don de l’Esprit du Père et du Fils.

Conclusion :

La christologie présuppose la foi en Jésus-Christ. Elle est liée à une expérience de relation avec Jésus. La christologie s’élabore à travers l’étude et la méditation de l’Écriture qui relate l’expérience de ceux qui ont cru en Jésus-Christ. La visée des Écritures est de susciter la foi en Jésus-Christ.

Jésus-Christ est le Verbe incarné, l’unique engendré qui fonde la relation de l’humanité à Dieu. Il est le sauveur de l’humanité et la révélation plénière de Dieu.

En s’unissant à la chair de l’humanité, le Verbe de Dieu donne l’Esprit du Père et du Fils qui est le lien de communion qui donne une connaissance immédiate de Dieu aux cœurs qui confessent Jésus-Christ, comme l’envoyé du Père qui réunit les membres de l’humanité en frères et en enfants de Dieu.

76 Étienne TROCMÉ, Jésus de Nazareth vu par les témoins de sa vie, Neuchâtel, 1972.

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L’incarnation du Verbe divin a une portée universelle. Tout homme peut participer par grâce à la gloire de l’homme-Dieu révélée dans le mystère de sa vie cachée couronnée par le mystère de sa vie publique rayonnant en mystère pascal avec l’espérance de son retour glorieux pour établir le règne de Dieu.

Le grand mystère de Dieu dévoilé par Jésus-Christ est articulé en christologies d’en haut et en christologie d’en bas.

La christologie d’en haut s’appuie sur l’Écriture et sur l’enseignement dogmatique de l’Église en insistant sur l’unicité de Jésus-Christ et le caractère définitif de sa révélation de Dieu.

Jésus-Christ y est évalué comme le médiateur unique et universel du salut de toute l’humanité.

La christologie d’en bas prend en compte les quêtes du Jésus historique et reconstruit le caractère humain de sa personne et sa solidarité avec l’humanité souffrante et blessée en insistant sur le rôle de l’Esprit Saint dans sa vie cachée, publique et pascale.

Par la christologie d’en bas, Jésus est le modèle par excellence de l’existence humaine par sa compassion et sa passion pour le Royaume de Dieu. En lui Dieu se révèle comme celui qui sauve l’humanité de l’idolâtrie, de l’injustice, de l’enfermement sur soi et de la violence.

C’est en combinant les deux méthodes de christologie77 que la réalité présente du mystère de Jésus-Christ peut éviter les tendances au monophysisme, à l’adoptianisme, au docétisme et à l’ébionisme.

La troisième quête du Jésus historique peut élaborer une christologie narrative qui va au-delà de la christologie d’en haut et de la christologie d’en bas en privilégiant le témoignage des disciples défaillants de la vie terrestre de leur maître humilié qui de manière inattendue font l’expérience du pardon par celui qui est vivifié par l’Esprit Saint et qui explique dans l’Écriture ce qui le concerne et reste présent dans la fraction du pain pour la formation de son Corps dans l’histoire humaine.

La réalité présente du mystère de Jésus-Christ dans le contexte de la pluralité religieuse et de l’émergence d’une christologie narrative est celle de l’unique engendré de Dieu qui met en relation une multitude de frères avec le mystère absolu de l’existence humaine.

77 Karl RAHNER, Les fondements du pluralisme religieux, 1974.

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