L' Aquitaine sous les derniers merovingiens aux VIIe...

48
-/ SQ L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MIROVINGIENS AUX VII0 ET VIII! SIÈCLES • On sait de quelles obscurités est enveloppée l'histoire de l'quitaine pendant le vu 0 et le vill e siècle, jusqu'à l'avènement des Carolingiens. La célèbre charte d'Alaon avait paru projeter quelques lumières sur ces ténèbres ; mais, par son étude, si pé- remptoire dans son ensemble 1 , sur ics Mérovingiens d'Aquitaine, M. Rabanis a relégué pour toujours au rang des falsifications historiques ce document, dont les savants auteurs de l'Histoire générale de Lan quedoc, au xvme siècle, et M.' Fauriel , au xix, avaient fait un usage si inopportun. Tout récernmnt, M. Perroud, aujourd'hui recteur à l'acadé- mie de Toulouse, a repris, la question en sous-oeuvre '. Il a étudié de plus près les monuments contemporains, et a essayé de montrer par suite de quelles révolutions politiques l'Aquitaine avait été amenée à se constituer en État indépendant. En récom- pensantcette oeuvre de critique, l'Académie a rendu un juste Les Mérovingiens d'Aquitaine. Essai historique et critique de la charte d'Âlaon, par M. Enhanis. Paris, Durand, 1856, in-S i de 234 pnges. Ilisloire de la Gaule méridionale sous la domination des conquérants germains Paris, Paulin, 1836, 4 vol. in-8'. - La dissertation de M. R-a- banis, publiée en 1850, ayant eu un grand retentissement, et toutes les revues historiques ou scientifiques, notamment la Bibliothô que de l'École des chai-les (1856, p. 281), la Bibliographie catholique (1857, p. 38), la Revue Numismatique (1858, p- 334, Ilote 2), en ayant rendu compte comme d'un travail définitif, on s'explique difficilement comment les Bollandistes, en 1861, ont encore essayé de soutenir l'authenticité de cette pièce dans le tome X d'octobre, p. 131, de leur collection des Acta Sanctorum. CI. Perroud, Des ermqines du premier duché d'Aquitaine. Paris, Hachette (81, in-8' de 281 pages. - Document IIIIIIIIDhl DIIIIIll 0000005341771

Transcript of L' Aquitaine sous les derniers merovingiens aux VIIe...

  • -/ SQ

    L'AQUITAINESOUS LES DERNIERS MIROVINGIENS

    AUX VII0 ET VIII! SIÈCLES

    • On sait de quelles obscurités est enveloppée l'histoire del'quitaine pendant le vu 0 et le vill e siècle, jusqu'à l'avènementdes Carolingiens. La célèbre charte d'Alaon avait paru projeterquelques lumières sur ces ténèbres ; mais, par son étude, si pé-remptoire dans son ensemble 1 , sur ics Mérovingiens d'Aquitaine,M. Rabanis a relégué pour toujours au rang des falsificationshistoriques ce document, dont les savants auteurs de l'Histoiregénérale de Lan quedoc, au xvme siècle, et M.' Fauriel , auxix, avaient fait un usage si inopportun.

    Tout récernmnt, M. Perroud, aujourd'hui recteur à l'acadé-mie de Toulouse, a repris, la question en sous-oeuvre '. Il aétudié de plus près les monuments contemporains, et a essayé demontrer par suite de quelles révolutions politiques l'Aquitaineavait été amenée à se constituer en État indépendant. En récom-pensantcette oeuvre de critique, l'Académie a rendu un juste

    Les Mérovingiens d'Aquitaine. Essai historique et critique de lacharte d'Âlaon, par M. Enhanis. Paris, Durand, 1856, in-Si de 234 pnges.

    Ilisloire de la Gaule méridionale sous la domination des conquérantsgermains Paris, Paulin, 1836, 4 vol. in-8'. - La dissertation de M. R-a-banis, publiée en 1850, ayant eu un grand retentissement, et toutes lesrevues historiques ou scientifiques, notamment la Bibliothô que de l'Écoledes chai-les (1856, p. 281), la Bibliographie catholique (1857, p. 38), laRevue Numismatique (1858, p- 334, Ilote 2), en ayant rendu compte commed'un travail définitif, on s'explique difficilement comment les Bollandistes,en 1861, ont encore essayé de soutenir l'authenticité de cette pièce dans letome X d'octobre, p. 131, de leur collection des Acta Sanctorum.

    CI. Perroud, Des ermqines du premier duché d'Aquitaine. Paris,Hachette (81, in-8' de 281 pages. -

    Document

    IIIIIIIIDhl DIIIIIll0000005341771

  • G flEVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    hommage au mérite de l'auteur, qui a su grouper avec habiletéet talent une foule d'éléments utiles ii la solution du problème.Toutefois, plusieurs l'ont remarqué avec raison, il a laissé dansle vague les principales conclusions de sa thèse. Cette incerti-tude doit être attribuée à certaines idées générales et systé-matiques qui ont nui à l'impartialité de ses appréciations.

    Occupé,. depuis de longues almées, à l'étude assidue des mo-numents de l'Aquitaine en ' général et du Poitou en particulier,il m'a semblé.que je pouvais, sans témérité, essayer, à montour, d'élucider ce point intéressant de notre histoire na-.tionale.

    Toutefois, je n'ai nullement l'intention de faire une critiquedu travail de M. Perroud. Mon but est plus modeste. Je me pro-pose simplement d'exposer, dans un récit clair et succinct,les faits historiques que mes recherches personnelles m'ont suc-cessiyement permis d'étudier. C'est à peine si, de temps entemps, certaines opinions de M. flahanis et de M. Perroud serontcontradictoirement , discutées.

    Bien plus, je ne serais pas fâché, je l'avoue, si mon sentimentsoulevait quelques objections, inspirait même quelques contra-dictions, dans l'intérêt de la vérité que j'ai uniquement en vue.

    L

    Je ne parlerai pas des, divers partages de l'AquiWine auvi' siècle. M. Longnon a suffisamment éclairci cette question dansson livre désormais classique Géographie de la Gàule auVI' siéclé. Mon point de départ sera la mort du roi Gontrn (28mars 593).

    Ce prince avait légué tous ses États à son neveu Childebert Il,fils de Sigebert 1 , roi d'Austrasie. Ce legs, qui avait été solen-nellement sanctionné en .587 par un traité spécial signé àAndelot, portait un préjudice notable ail jeune Clotaire II, fils deChilpéric et de Frédégonde. En effet, Gontran, qui se disait sontuteur, l'avait dépouillé de presque tous les États de son père.Soissons même, l'ancienne capitale du royaume de Chilpéric,lui avait été enlevé ; et, à la mort du roi de Bourgogne,

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIENS.7

    Childebert s'en était emparé comme d'une portion de l'héritagede son oncle.

    A vrai dire, cette conduite ne semble pas avoir passé pourinjuste aux yeux de plusieurs contemporains ; car on se deman-dait si Clotaire H était réellement fils de Chilpéric, tant les déhaii-ches de Frédégonde étaient notoires.

    Mais cette femme ambitieuse n'était pas d'humeur à souffrirce qu'elle considérait comme une usurpation. Saisissant lemoment où le roi d'Austrasie était occupé à se mettre en pos-session du royaume de Bourgogne, elle réunit les fidèles de sonpupille, et réussit à s'emparer de Soissons, après avoir faitsubir une sanglante défaite aux Austrasiens.

    La mort de Childebert II fut l'occasion d'une nouvelle guerreencore plus profitable au jeune Clotaire II, alors âgé de douzeans (an. 59O). Mais bientôt la fortune le trahit complètement. Samère Frédégonde mourut l'année suivante, et trois ans plus tard,en 600, son armée était écrasée à Dormelles, au diocèse de Sens,par les forces combinées des deux fils de Childebert 1!. Ils senommaient Théodebert H et Thierry H. Le premier était devenuroi d'Austrasie et le second roi de Bourgogne.

    Le royaume d'Austrasie comprenait alors trois tronçons deterritoires assez singulièrement constitués. D'abord lAustrasieproprement dite, c'est-à-dire les possessions franques d'Outre-Rhin et les cités de Cologne, de Tongres, de Trêves, de Metz,de Verdun, de Toul, de Strasbourg, de Châlons-sur-Marne, deReims et de Laon, auxquelles il faut joindre Mayence, Worms,Spire, Bâle et Constance '.

    Le second tronçon, qui nous intéresse particulièrement, secomposait d'une partie des possessions aquitaniques des pre-miers Fois de Metz et de quelques cantons de la Provence. Ainsiles cités d'Auvergne et du Velay, le Gevaudan, le Rouergue, leVivarais, les évêchés d'Alais et d'Uzès, d'Aix, de Vence etd'Avignon, la moitié de la cité de Marseille et celle de Fréjus,puis une bande de territoire qui, des rives du Tarn, atteignaitles bords du Loir et touchait même à l'Océan, en englobant lesévêchés d'Albi, de Cahors, de Limoges, de Poitiers et de Tours',

    Longnon, toc. oit, p. 148.13o]land., Acta .38., t. 1V sept., p. 47; L. I sept., p. 271-272; t. IIIIebr., de B.Pippino dure, n. 12; L. 11 rnartii, p. 592; t. 111 april., P. 630

    Gizilia Christ., t. XIII, p. 693.697.Mabillon, Acta 88. 0. S. 13., sec. I, Vfta 8. Cotuni&ani, 11i3 46, 47.

  • REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    et les pays de Vendôme, de Dun, qui, sous le nom de passage(pervium); permettaient aux Austrasiens de communiquer avecl'Aquitaine.

    Le troisième groupe s'étendait de l'embouchure de la Girondeaux Pyrénéeset comprenait les diocèses de Bordeaux, d'Aire,de Labourd ou Bayonne, de Béarn, de Bigorre et de Conserans.

    Tel était le royaume d'Austrasie avec toutes ses dépendances,en 596. Plus tard, Dagobert y ajoutera les cités aquitaniquesvoisines de celles que nous venons de nommer, en sorte queces possessions d'Outre-Loire égaleront celles du bassin duRhin.

    Parle partage des deux fils de Childebert, on voit que leroyaume d'Austrasie, en 506, était encore considéré comme laportion la plus honorable de l'empire des Francs, puisqu'ellefut donnée à l'ainé, Théodebert Ii, qui concéda nième à sonjeune frère l'Alsace, où celui-ci avait été élevé concession qu'illui retira du reste, quatorze ans après, par un acte de violence

    La bataille de Dormelles, avons-nous dit, fut désastreuse pourClotairé II. Les vainqueurs le dépouillèrent de la plus grandepartie de ses États, et ne lui laissèrent que douze pagi, compre-nant à peu près les territoires des diocèses de Rouen, de Beau-vais et d'Amiens

    Ne pouvant se soumettre à cette humiliation, Clotaire essaya,en 604, de prendre sa revanche; mais, vaincu de nouveau, il nelui resta d'autre ressource que d'attendre de la Providence ccqu'il ne pouvait obtenir par les amies. 11 n'attendit pas long-temps. -

    En 610, Théodebert et Thierry s'armèrent l'un contre l'autre.Deux ans après, Thierry s'alliait avec Clotaire contre son frère,et lui faisait éprouver deux défaites consécutives (613). Théode-bert perdit même la vie dans le dernier combat. Le roi de Bour-gogne, malgré ses engagements, refusa de faire participer (Ho-taire au gain de la victoire et s'empara de tout le territoire quicomposait le royaume d'Austrasie.

    L'Aquitaine fut, en conséquence, annexée au royaume Austro-Bourguignon.

    Clotaire revendiqua ses droits, les armes à la main, Vaincu

    Longnon, toc. oit., p. 137, 138.2 Longnon, toc. cit., p. 145, note 2.

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIEN.O

    encore une fois, il allait sans doute expier cruellement son au-dace, lorsque la mort enleva subitement Thierry Il. Il laissaitquatre ifis en bas-âge, sous la tutelle de Brunehaut, sa grand-mère. -

    Mais, selon la prédiction de saint Colomban ', la vengeancedivine poursuivit ces enfants, nés de la prostitution. Ils furenttous privés du trône, et Brunehaut condamnée à d'affreux sup-plices.

    Le principal -auteur de cette révolution fut le duc Pépin deLanden, qui, à la tète d'une parue des Austrasiens, se joignitaux Bourguignons pour offrir à Clotaire Il le sceptre de l'em-pire des Francs tout entier.

    C'est ainsi que le fils de Frédégonde se trouva tout à couptransporté du fond d'un abîme de malheur au faite des bon-neurs et de la grandeur suprême, conformément aux prévisionsdu même saint abbé 2;

    Durant les quinze ans qu'il vécut encore (013-628), nos pro-vinces aquitaniques reconnurent sans conteste son autorité sou-veraine. Il semble même avoir eu à coeur de les gouverner lui-même; car il refusa constamment de les confier à son filsDagohert, bien que, dès l'an 4322, il lui eût décerné le titre deroi d'Austrasie.

    Ce refus fut particulièrement pénible aux chefs austrasiens,qui, en réclamant l'autonomie administrative pour i'Austrasie,avaient espéré que cette faveur s'étendrait à tout le territoire del'ancien royaume de ce nom. Les intérêts politiques n'étaientpas seuls en jeu dans cette revendication. Les plus illustresfamilles austrasiennes possédaient d ' immenses domaines enAquitaine, grâce surtout aux alliances matrimoniales qu'ilsaimaient à y contracter '. On couoit dès lors sans peine com-bien il leur importait que l'administration civile de cette pro-

    Maijillon, Acta 83. 0.3.13., sine. Il, Vila S. Cctu,nbani, n. 32.2 Mabillon. lac. cit., n. 43.

    S. lita, Comme de Pépin de Landen, était d'Aquitaine (B011and. Acta88., L. III niartii, p. 255; t. Itrnaii. p. 305, de B. lita; t. lii mliii, p. 53, n. 6,de S. Modoaldo; t. lii julii, p. 67, de S. Aniatberya; t. V julii, p. 255, deS. Wandregisito, n ' 12; t. 1 feb., p. SOI, de S. Adabaldo; t. III maii,p. 32,deS. Rictrudi ; t. Il 311g., p. 674. de S. Gaugerico; t. 1 sept., p269, n. il,de S. NLvardo; t. Vil oct., p. 917, de S. licreha-io; t. X oct., p. 134, desancla Oda; t. VI sept., p. 47, de S. (doerico, etc.

  • 40JIEVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    • vince ressortit directement du gouvernement austrasien dontils faisaient eux-mêmes partie, et non pas du royaume de Beur-

    •gogne, rival de l'Austrasie.Cette considération fut assurément d'un grand poids dans les

    résolutions prises dans les conseils du duc Pépin de Landen, etde ceux qui continuèrent, après lui, la politique austrasienne.

    Celte politique consistait à revendiquer pour l'Austrasie tingouvernement spécial et l'Aquitaine comme annexe indispen-sable. En effet, à partir du commencement du vii' siècle, laNeustrie cessa de former un royaume distinct, et.ne fut plus, enquelque sorte, qu'une annexe de la Bourgogne. Dès lors, l'équi-libre entre la Bourgogne et l'Austrasie était rompu, si celle-cin'obtenait pas une compensation suffisante par la cession del'Aquitaine, qui, du reste, lui appartenait presque tout entièreen vertu du traité d'Andelot. Cette idée, que les ducs cVA.ustrasiene cessèrent de poursuivre jusqu'à leur avènement au trône, semanifesta pour la première fois avec éclat lors du partage del'empire fait par Dagobert, en 634.

    Ce prince, avons-nous dit, avait été créé roi d'Austi-asie, duvivant de son père, et sous la tutelle de Pépin de Landen et desaint Arnoul, évêque de Metz '. Les précieuses qualités qu'ildéploya pendant les six années qu'il gouverna la portion de l'em-pire qui lui était conflée lui méritèrent la confince, l'estime etle respect, non seulement de ses sujets, tuais encore de toutesles nations barbares de la Germanie plus ou moins soumises àl'autorité des rois mérovingiens. Aussi, à la mort de Clotaire II(628), ses tuteurs sefircnt-ils un devoir d'employer tous leursefforts ' à le faire proclamer monarque unique de l'empire franc,au préjudice de son frère Charibert, qui ne reçut en partagequ'une autorité subordonnée sur quelques cités voisines desPyrénées, avec Toulouse pour.càpitale 1.-

    i Frcdegar. chronic., C. Lvi,.2 Frédégaire nous apprend (cap. Lvi)que,à la première nouvelle de la mort

    tic son père, Dagobert, sans aucun doute pat le conseil de ses tuteurs, donnal'ordre ic ses leudes austrasiens de réunir une puissante armée, qui exerçanécessairement une grande influence sur les votes des Neust,'iens et desBourguignons qui proclamèrent Dagobert seul roi de Franco; d'autant quede nombreux émissaires achevèrent par l'or et la persuasion ce que la ter-reur avait Commencé.• Fredeg. C. Lvii; e Fratri sue (Jhariberto ml transigenduni cd instar

    privato, ad vivendum.» M . . Perroud (10e. cil., note vi, p 221 ) prétend que

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIENS.li

    Pour In première fols l'unité de la monarchie fut posée, sinoncomme un principe, au moins comme une nécessité. Mais lesAustrasiens, qui croyaient avoir opéré cette révolution à leurprofit, furent déçus dans leurs espérances. Dagobert ne tardapas à s'émanciper de la tutelle austrasienne, et à se livrer auxNeustriens et aux Bourguignons, qui, pour le retenir dans leursfilets, l'entraînèrent dans un abîme de dépravation morale:.Lejeune monarque porta l'ingratitude jusqu'à retenir 'à. l'écartson fidèle mentor Pépin de Landen ', dont il redoutait l'oppo-sition.

    Toutefois, il fut contraint de tenir compte des revendicationsaustrasiennes. Son fils Sigebert à peine âgé de trois ans futproclamé roi d'Austrasie (année 633). Cette concessionsemblaitêtre le gage des plus grandes espérances pour les Auslrasiens.Né d'une jeune austrasienne nommée ilagnetrude 2 et confiéeaux soins de saint Chunibert, évêque de Cologne et du duc Mal-gisêle, cet enfant royal assurait dans l'avenir les intérêts lesplus chers du pays dans lequel Userait élevé. Et si la politiqueinaugurée par Dagobert prévalait après la mort de ce monarque,Sigebert, en possession de tout l'empire, ne pouvait manquerd'y faire prédominer l'élément austrasien.

    Ces rêves d'une ambition plus ou moins justifiée s'évanouirentdès l'année suivante. Dagobert avait des moeurs dignes d'unMusulman. Outre un grand nombre de concubines, il entrete-nait trois reines en titre à la fois 1 . L'une d'elles, nomméeNantechildis, lui donna, en 634, un fils qui fut appelé Clovis.Nantechildis était néustrienne. Elle n'eut pas de peine à obtenir

    c'est Clotaire Il qui concéda cet apanage à Charibert, et que Dagobert nefit que le confirmer etl'augrnentcr. Le savant professeur n'a pas transcritles paroles du texte qui détruisent son hypothèse : « Comique i'egnurnclilotarii tain quam l3urgundia e Dagoherto tpissct pnu000upa-tum, captis thesauris et soin redactis, TANDEM MISERICORDIA MOTUS. »Elle reste cité plus haut. Donc c'est bien Dagobert lui-in qui, par coin-passion, fit la concession susdite.

    1. Fredegar. chronic., Cap. LXI. M. Perroud (ibid., p. h4) (lit que Pépins'enfuit à Toulouse avec Sigebert, fils de Dagobert. C'est confondre lestemps et mal interpréter le texte de Frédégaire. Fin 630 Pépin n'était pasencore en disgrâce, et le voyage qu'il fit à Toulouse eut plutôt pour but defaire consentir Charibert à être le parrain de l'enfant royal, comme celaressort du chapitre suivant.

    Fredegar. c/ironic., esp. Lix.3 P'redegar, chronic., cap. Lx.

  • 12REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    que sou fils partagerait avec Sigebert les prérogatives de laroyauté- Mais cette prétention, qui détruisait les espérances desAustrasiens, n'eût probablement pas été réalisée si Dagobertn'eût pris, de son vivant, toutes les.précautions nécessaires pouren assurer l'exécution.

    Dans ce but, il convoqua, en une assemblée solennelle,tous lesprinces (primates), les évêques et les autres leudes d'Austrasie,et leur fit jurer sur les saints Évangiles qu'ils observeraient fidè-lemeift le pacte qu'il allait leur présenter. Or il consistait en unpartage égal de l'empire entre ses deux enfants, Sigebert etClovis ' Celui-ci, après la mort de Dagobert, régnerait sur laNeustrie et la Bourgogne réunies (soMato ordine) ; et Sigebertposséderait d'ab'ord toute l'Austrasie proprement dite (in inteqri-fate). De plus, afin de donner satisfaction aux prétentions desAustrasiens sur les contrées «au delà de la Loire, il fut convenuque toutes les cités aquitaniques qui avaient jadis appartenu àun titre quelconque au royaume d'Austrasie, Seraient placéessous la domination de Sigebert. Le duché de Dentelin, qui avaitété injustement enlevé à la Neustrie sous Clotaire If, fut seulexcepté de cette clause générale (634).

    Cette célèbre convention, qui eut sa pleine exécution après lamort de Dagobert (638), régla jusqu'à la fin de la dynastie méro-vingienne, et même sous les premiers carolingiens, les limitesde ce qu'on appela dès lors le duché d'Aquitaine'. Il ne compre-nait pas seulement les cités aquitaniques concédées à l'Austrasiepar le traité d'kndelot il s'étendait, en outre, d'après les termes,mêmes de la convention que nous venons de citer, à toutes lescontrées (quidquid) qui avaient appartenu dans le passé (ohm),à un titre quelconque, au royaume d'ustrasie. Cette distinctionentre les deux parties du texte de Frédégaire n'a pas été assez

    Fredegar. ci,rdnic., cap. lxxvI « Austrasioruin omnes Primates, Pou-tifices, cnter'ique tendes Si giberti, minus eorum pnnentes insuper, sacra-,iwntis lirmaverunt ut Neptricum et Burgundia solidato ordine ad regnumGhlodovei, post Dagoberti discessuni, adipisceu'ent Auster vero ideniqueordine solidato, eo qtod et de populo et de spatio terrai esseS cozequans, adregnum Sigiberti idernque in integritate deheret adspieere. Et QUIDQUID ADREGNUM AusTaAsIouu'M JAM OLIM PERTItUJERAT, hoc Sigibertus rex suœditioni geiendum reoiperet et pet'petuo riominendum haberet. s

    2 Le Comte, Anniit. Fi'ancorurn, t. liE, P 506, an. 667. n. 37. On voitaussi appm'ajtre, à la même époque, le titre de Dux Austrasio,'unt (D. Bou-quet, t. III, P. 517g;.

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MénOVINGIENS.43

    remarquée jusqu'ici Et cependant, elle seule permet de résoudreles difficultés relatives aux origines du duché d'Aquita i ne, telqu'il nous apparaît dans la suite. -

    LA.quitaine sera donc désormais une annexe de l'Austrasie,et non pas de la Bourgogne, comme le prétend M. Perroud.Sans doute, lorsque lAustrasie n'aura pas de gouvernementparticulier et obéira légalement au pouvoir central résidant enBourgogne, l'Aquitaine suivra son exempleet, comme elle, serasoumise plus ou moins au représentant de la royauté. Maisaussitôt qu'un roi.dAusttasie sera o?rjciellement reconnu, c'està ce royaume et non pas à celui de Bourgogne que l'Aquitainese rattachera. Marchant sur les traces des Maires du Palaisd'Austrasie, l'Aquitaine essaiera de secouer le joug des roismérovingiens; mais aussitôt que Pépin d'Héristal, prince desFrancs Austrasiens, aura réussi à identifier sa puissance aveccelle du roi, ce sera au nom des intérêts austrasiens lésés parles ducs d'Aquitaine ', qu'il fera invasion dans les contréesTransligériennes, et son fils et son petit-fils se couvriront dumême prétexte.

    II

    Les considérations que nous venons d'émettre ont une grandeimportance; elles sont comme la clef de voûte de l'édifice quenous essayons de construire. D'autre part, elles sont en contra-diction avec les opinions soutenues avec talent par M. Perroud.Ce savant, avec plusieurs autres, distingue deux duchés enAquitaine celui de Toulouse, et celui des autres régipns de laGaule méridionale 2 . Cette distinction ne me paraît pas fondée.En dehors des Wascons, qui, comme les Bretons, obéissent plusou noins à l'autorité royale, les textes ne nous montrent quedes ducs d'Aquitaine.

    Sous Dagobert P, c'est le duc Beraldus qui semble avoirexercé cette importante fonction 3 . Après sa mort, son filsl3arontus, qui, dès 631, jouissait d'une grande autorité eu Aqui-

    1 D. Bouquet, t. Il, P. 6'S0.2 Pen-ovd, toc, oit., P. 110, 141.

    Le Comte, loc. oit., an. 667, n' 38.

    r-

  • 14 REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    taire ', lui succéda dans sa charge. En 630 ? il, fut l'un desdix ducs chargés de réprimer l'insolence des Wascons. Sonautorité s'étendait non seulement sur les cités voisines dePoitiers, oŒ il' faisait sa résidence , mais encore sur Cahorset Clermont '.Dans un acte de l'an 631, il est déjà qualifié devii' inluster , titre qui nétait décerné qu'aux personnages de laplus haute distinction, et dont les 'rois eux-mêmes se tenaienthonorés 1 . Il était encore en charge le 2 janvier 600, comme onle voit pat la Vie de saint Viance (Viuccutianus), dont le P. LeComte G et D. Mabillon- ont justement apprécié la valeurhistorique.

    A cette date, une grande révolution politique se préparait dansles sphères gouvernementales. Sigebert III, fils de Dagobert Jer,était mort au commencement de l'année 66, après un règne devingt-trois ans, rempli de bonnes intentions, mais sous lafuneste domination de Grimoald, l'indigne fils de Pépin de Lan-den. Se croyant sûr de sa fidélité, Sigebert HT, mourant, luiconfia la garde de son jeune enfant Dagobert. Mais ,Grimoald,aveuglé par l'ambition, se concerta avec Bidon, évêque de Poi-tiers, répandit le bruit que le jeune Dagobert était mort et queson propre fils, nommé Childebert, avait été adopté par Sige-bert IIi. En conséquence, il fit proclamer Childebert roi dAus-trasie. Il devançait inopportunément de cent ans les destinéesprovidentielles de sa racé. C'est ainsi que les Capétiens s'es-sayèrent au pouvoir cent ans avant de détrôner dèfinitivcmént lesCarolingiens dégénérés.

    ' .Frcdegar. c/irohic,, cap. Lxvii.2 D. Bouquet, t. Il, p. 442.

    Le Comte, toc, oit., n'3S, 39, 40.Pardessus, Diplomate, chart, t. lI, p. 9..Pardessus (Diptomata, t. I, p. 149) a prétendu que ce titre était ex-

    clusivement réservé aux rois; c'est inexact. Dagobert lui-même l'a donnéoiflciellemeut tt saint Didier de Cahors (D. Bouquet, L. 111, p- 529).Le Comte, toc, ait., t. 111, p- 596-602. Mabillon, De re;diptometica, lib.V,f. 19, p. 378. Le P. Le Comte fait mourir ce saint en 667, mais c'est unecrieur, selon nous. Puisqu'il faut corriger quelque chose dans la date, c'estdans le chiffre de l'année du règne de Clotaire qu'il faut faire cette correc-tion. Au lieu de changer XV anno en £111 anno, je ci-ois qu'il faut lire1V anno. En 660 le 2 janvier était un vendredi. Le saint a pu mourir levendredi soir et être enterré le lundi, avec les circonstances rapportées dansla légende. D'ailleurs, raison démonstrative, en 667, Clotaire III ne régnaitpins en Aquitaine; c'était Chulderic Il; nu lieu que le 2janvier et même letS août 660, c'était encore Clotaire 111. (0. Bouquet, t. III, p. 690.)

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIENS.15

    La fraude de Grimoald ayant été découverte, il fut massacréavec son fils.

    Clovis II, roi de Bourgogne, se trouva ainsi maitre de toute lamonarchie française; mais, à la fin de ID. même année 050, ildescendit lui-même dans la tombe '. II laissait de la reine.Bathilde trois enfants en bas âge Clotaire, Childeric et Thierry.

    En vertu du principe inauguré par Dagobert, Clotaire 111 futproclamé souverain monarque de toute la Franco, à l'exclusionde ses deux jeunes frères.

    Cette disposition rejetait dans l'ombre le royaume d'Austrasie.Les puissants leudes de cet État ne purent souffrir longtempscette humiliation. Ils protestèrent, et, dès l'an 660, ils obtinrentde la reine l3athilde que Childeric leur fût donné pour roi, sousla tutelle du maire du palais Wulfoald. Il était âgé de sept à huitans.

    Le royaume dont ce jeune prince eut le gouvernement nomi-nal avait toute l'étendue que lui avait'donnée Dagobert .tur, par laconvention mise à exécution en 038, c'est-à-dire toutes les Aqui-taines et une partie de la Provence ? , avec la Wasconie pour tri-butaire tout au moins...

    L'antagonisme entre l'Austrasie et la Bourgogne s'accentuantde plus en plus, il est probable que Wulfoald écarta de l'adminis-trdtion des provinces tous ceux qui, contrairement aux prescrip-tions de Id Constitution de Clotaire Il, édictée en 014 ', avaientété pourvus du gouvernement dumie province sans lui appartenirparla naissance et l'habitation. Or Barontus, qui, depuis la findu règne de Dagobert, gouvernait les Aquitaines, était, né enAnjou , pays de l'ancienne Neustrie. Il dut donc être sacrifié àla nouvelle politique. S'il faut l'identifier avec le Bienheureuxsolitaire du même nom , sa disgrâce fut grandement salutaire àson Aine.

    D. Bouquet, t. 111, p. 688.2 D. Bouquet, t. 111. p. 689.S l3aluze, Capitutaria, t. I, P. 23 Pardessus, Diplwnata, t. H, P. 190.

    Le Comte, toc, cil., p. 596, n0 37.Mabillon, Acta 88. 0. S. B., sec. Il, p. 792. 11 est certain du moins que

    l'un et l'autre étaient de la Neustrie, de "ace très noble et tout â fait con-temporains. Le saint se retira avec son fils Agtoatdas dans l'abbaye deLongré, au diocèse de Bourges, ornnem.mundi postponcns pompant. Safameuse vision des enfers était célèbre au ix° siècle (Patrot. kit., t. CXXVI,coi. 1073).

  • 10REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.11 fut remplacé par un très noble et illustre patrice (nobilissi-

    muni et illustrempatritiuns), nommé Félix, originaire de la villede Toulouse (ex urbe Thoioscnpisium). L'écrivain, peuttre con-temporain, qui nous apprend cette particularité, ajoute queFélix fut établi prince de toutes les cités aquitaniques jusqu'auxPyrénées : « qui c-t principatum super onines civitates usquemontes PyrenLeos obtinebat, » y comprise la barbare nation desWascons.

    Nous avons vu que c'était le territoire assigné par Dagobert auroyaume dAustrasie.

    Cependant, sous l'empire de vieux préjugés que la charte d'A-laon n'a pas peu contribué à enraciner, on a donné à ce texteun sens tout différent.

    On a fait de Félix un duc de Toulouse. Cependant, le titre depatrice, bien que synonyme, en certain sens, de celui de duc, estle plus souvent simplement honorifique et n'exprime jas le com-mandement. D'ailleurs, s'il signifiait duc de Toulouse, le texte

    • porterait : patritium urbis ou in ui-ho ',et non pas ex ?trbe.Ensuite, on entend par 0m nos civitates usque (cd) montes Jy

    -renoeos, les cités de la Wasconie, oubliant que l'auteur les dis-tingue absolument de cc pays, en ajoutant: t et super nequissi-ma gentemWasconum.»

    D'ailleurs, un peu plus loin, le même légendaire, qui écrivaità Limoges, range cette ville parmi les cités sur lesquelles s'é-tendait l'autorité de Félix, et que voulut plus tard usurper sonsuccesseur Lupus. Enfin, nous verrons bientôt ce même. Lupuscommander en Auvergne et dans les villes vraiment aquitaniques.Son prédécesseur y exerçait donc, lui aussi, son autorité.

    Félix parait avoir conservé jusqu'à la mort 2 le pouvoir qui luiavait été délégué au nom du roi d'Austra gie, vers l'an 661. Maisil est difficile de dire à quelle époque précise il descendit dansla tombe. Il est néanmoins probable que ce fut vers l'an 670.

    En effet, il eut pour successeur Lupus. Or, le légendaire de saintMartial, que nous citions tout à l'heure, nous apprend que celui-ci dut son élévation, non à la faveur du roi Childéric II, mais àl'élection des seigneurs du pays et des fai-ons du royaûme deBourgogne exilés et fugitifs en Aquitaine : « Eu defunctù, dit-il,

    1 J'orniul. Marcutf, lib. I, cap. S.2 D. Bouquet, t. III, P. 580: « Eo defuneto, supradictum Luponem, etc.

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIENS.17supradictum Luponem principem super se omnes statuerunt,et ornnes vagi profugique ad eum adheserunt. »

    Cet écrivain, il est vrai, est assez obscur en cet endroit etmême inexact. Sous l'inspiration d'nue partialité manifestecontre Lupus, il représente celui-ci comme un homme de rien(Inter unus) qui, élevé à la cour du duc Félix, serait parvenupar l'intrigue et l'ambition jusqu'au titre usurpé de princed'Aquitaine. Or des documents certains nous le montrent sousune tout autre physionomie.

    En outre, le légendaire mêle évidemment à plaisir deux cir-constances distinctes de la vie de Lupus: son élévation au postede duc d'Aquitaine et sa révolte contre Ébroïn. Ce dernier étantle héros préféré du légendaire, quiconque lui a fait oppositionnest plus à ses yeux qu'un usurpateur et un bandit. Le texteque nous commentons doit donc être sévèrement contrôlé parles autres monuments historiques.- Un coup d'oeil sur la situation politique de la France eu 670nous aidera à résoudre cette difficulté.

    I II

    Clotaire III, roi de Neustrie et de Bourgogne, étant mort aucommencement de l'année 670, ou, selon le BollandisteCorneille de Bye', au mois de décembre de Pan 660, les esprits,en Neustrie et en Bourgogne, se divisèrent au sujet de sa suc-cession. Les uns voulaient déférer la triple couronne de l'empirefranc à Childeric II, déjà roi d'Austrasie; les autreS, le Maire duPalais de Clotaire III, Ébroïn, à leur tète- préféraient Thierry 111,le troisième frère du défunt.

    C'était la grave question de l'unité de gouvernement qui seposait de nouveau devant l'opinion publique. Prévoyant que,dans l'état présent des esprits, il n'avait à espérer aucune iI)lluence à la cour de Childeric Il, Ébroïn se constitua le cham-pion de la cause de Thierry; et, sans prendre conseil de per-sonne, il le proclama roi de Bourgogne et de Neustrie. Cetacte d'autorité arbitraire souleva contre lui une opposition una-

    ]lolland., Ada SS, t. I oct., p. 353, n' 121.T. XXXV. jtr JANVIER 1884. 2

    n

  • s18REVUE DES QUESTIO?S HISTORIQUES.

    nime ; sa tyrannie y mit le comble; en sorte que; au bout de- - quelques mois, une insurrection générale éclata. On s'empara

    de sa personne et de celle de son pupif le, et tous les deux furentrelégués dans un monastère: Ébroïn à Luxèuil, et Thierry àSaint-Denis près Paris.

    Saint Léger, évêque d'Autun, prit incontestablement part àcette révolution politique, bien qu'il soit difficile de dire en quellemesure . Toutefois, Autrasien par sa naissance, par ses alliancesde famille et son éducation, il dut naturellement se montrerfavorable à Childeric II, placé sous la tutelle de ses compatriotes,et représentant, à ses yeux, le parti le plus estimable de lanation. C'était ' du moins l'opinion de tous ceux qui, de près oude loin, se rattachaient à l'aristocratie de l'Austrasie et mêmede la Bourgogne 2•

    On peut constater une grande analogie entre la situation poli-tique qu'offrait la France en 670 et celle qu'elle subissai,t en 870.Les charges publiques étaient partout en fait, sinon en droit,inamovibles, et les hauts fonctionnaires de l'État exerçaientdans leurs départements respectifs une autorité presque souve-raine. Chaque principale portion du territoire était gouvernéepar un duc ayant sous ses ordres des comtes 1 et autres officiersinférieurs. C'était une hiérarchie d'autant plus fortement consti-tuée, qu'elle était entretenue et consolidée par la rccomnzan-dation, qui formait des liens bien plus intimes que l'antiquepatronage. Tout ordre royal qui désorganisait cette machinepuissante apparaissait dès lors comme un acte de violence. Iieût fallu une main aussi habile que modérée pour utiliser, con-denser et guider cette force immense. Les Mérovingiens no luiopposèrent que le caprice d'un maire du Palais, ou la passiondu moment: Ébroïn avait essayé de la briser; il s'était brisélui-même.

    En effet, aux yeux des membres de l'aristocratie d'alors, cetétat dé choses était ce que l'expérience du passé avait fait con-sidérer comme le plus conforme aux besoins de la société con-temporaine. Le haut clergé, sorti de ses rangs, pensait en généralcomme elle.

    Bolkand., Acta 85'., t. 1 oct., p. 315.2 llol]and., toc. rit., p. 465, n°8,3 Fvcdeyar. chronic., cap. Lxxviii.

  • L'AQUiTAINE SOUS LES MINIERS MÉROVINGIENS.10

    Il ne faut donc pas &tonner si Pinsurrection qui venait detriompher cl'Éhroin présenta au roi Childeridil une sorte dècon-stitution qu'il devait jurer , d'obscrver.Ell.e contenait trois princi-paux articles, dont lé-biographe anonyme de Léger d'Autunnous a conservé une;analyse exacte

    -".- -1 0 « Les juges, c'est-à-dire IS ducs et les: comtes chargés- de

    rendte la justice devront exercer-leurs.-fonctions confôrmémentauxlois eteontumes observées de temps irnmémoriab(antiqui/us)dans le pays dont ils auront le gouvernement; n' Cette prescrip-tien était justifiéepar Tes abusée pouvoir qui s'tauènt mubtiÏTis,à tous les degrés de l'échelle sociale, pendant l'administrationcl'Ébroïn, sous Clotaire III, et durant les derniers troubles. Ellene faisait, du reste, que leur rappeler leur devoir et confftmerles constitutions édictées en 560 par Clotaire' J , en 585 parGontran , etc.

    2° Les gouverneurs vcetores) d'une provihce n'empiéterontpoint sur les autres, et aucun d'eux, à l'exemple d'Ébroïn, nes'attribuera un pouvoir tyrannique, au point de mépriser ensuite,comme lui, ses collègues .

    Cet article, avait, ce semble, pour but d'écarter des occasionsde conflit entre la Bourgogne et l'Anstrasie. En sa qu:lité deIfairé du Palais de Clotaire III, Pàîné des fils de Clovis If etpen-

    :ant quelque temps souverain- de tout l'empire, Ébroin avaitsans doute prétendu exercer une autorité suprême sur l'a courde Cliilderic Il, roi d'AustTasie. De là des nïécontentementsqu'ilparaissait sage'd'éviter à l'avenu'.

    3° « Les deur. Maires du Palais de Bourgogne et d'Austrasie

    Bolland., Acta 38., t. I oct., P. 465, ne* iO Flilderibum expetnnt uni-versi, ut talia daret deoreta per tria quffl obtinuerat regna, ut uniuseujusque patriœ legem vel consuetudinem debererit, sieut antiquitiis, indicescon.servare; et ne de ana provincia recto,ea in alias ïntroirent, nuque ullus,instar Hebroini, tyraun-idèm assumeret, ut postmodùm, sicut ille, conturber-nales sucs despiceret; sed dura rnutuam sibi successioneni cuiniinis haberecognoscerent, nulles se alio anteferre auderet.

    Dans le décret de leur institution il était dit ' r Et ces recto tramitesccurtdurn legem et consuetudinem £rorum regas. » [ Marculf. For-mut., file. I,cap. S.)

    l3aluze, Capitul., t. 1, p. T; Pardessus. Diplomate, t. li, p. 120.Baluze, t. I, p. 9; Pardessus, t. II, P. 155.

    5 M. Perroud, (toc. cil., p.90) adonné un autre sens cet article ; maisnôtre est le vrai, selon.nous. .

  • 20REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    remplhônt à tour de rôle les fonctions de comte du Palais royal,et éviteront de s'attribuer une prééminence l'un sur l'autre. »

    Ce dernier point était une conséquence du second: mais il fautavouer qu'il était pratiquement difficile à exécuter. C'était enleverau roi le choix de son premier ministre et l'enchaîner à subirtour à tour les influences austrasiennes et bourguignonnes.

    Aussi Cbilderic 11 trouva-t-il ce joug intolérable. JI devaitpromulguer cette constitution par trois décrets distincts,adressésaux trois royaumes de l'empire ; il n'en fit rien. Il devait selivrer tour à tour aux Maires du Palais de Bourgogne et d'Aus-trasie ; il refusa de se séparer de son Maire austrasien Wul-foalde.

    Mais, s'il faut avouer que ce dernier article était nouveau et.peu pratique, il n'y a pas lieu, selon nous, de dire, avec M. Per-rond, que cette constitution était une capitulation du pouvoirroyal. Elle était simplement l'expression d'une situation poli-tique établie depuis plus de cinquante ans, et confirmée depuistrente ans. -

    C'était le régime constitutionnel, si vanté aujourd'hui, et ungouvernement aristocratique comme en Angleterre, niais avecdes moeurs barbares et un esprit d'indépendance que le Christia-nisme n'avait pas encore rappelé au devoir.

    D'autre part, la tyrannie d'Ébroïn avait jeté sur la terre d'exil,en Aquitaine et en Wasdonie, une foule de nobles mécontents,qui, privés de leurs biens confisqués, n'avaient d'autrS ressourceque de fomenter le désordre et les révolutions. Ils profitèrent,sans doute,des troubles politiques de 670 pour conférer la dignitéde duc d'Aquitaine au jeune Lupus, élevé à la cour du duc Félixet dont l'esprit actif ne reculait pas devant les difficultés présen-tes. C'est du moins ce qui ressort des textes contemporains déjàcités. Ces honneurs lui furent confirmés,ce semble, pat ChildericII, soit comme roi d'Austrasie, soit comme monarque de toutl'empire.

    Toutefois, l'autorité qu'il s'attribuait dès lors n'était pas celled'un simple gouverneur de province; c'était celle d'un Maire duPalais, tout au moins. Un document dune grande valeur nousen fournit une preuve évidente.

    Dans le but de se concilier la faveur du clergé des trois Aqui-taines, il convoqua, dans un castrum nommé Garnomo, dans le

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIENS.21

    diocèse de Bordeaux, un concile composé des évêques soumis àson autorité, et il les engagea à renouveler les canons ecclésias-tiques contre les clercs belliqueux ou insubordonnés ; ce qu'ilsfirent dans des décrets fort intéressants, mais qui nous sont par-venus sous une forme altérée, qu'il serait hors de propos de réta-blir ici.

    Toutefois l'importance de ce document nous oblige à en faireressortir toute la valeur.

    Cité par laluze ' et par D. Vaissete 2, il a été publié parM. Pardessus ', d'après une copie déposée dans les papiers deBaluze, qui l'avait découvert dans un manuscrit du j3Ée siècle,• conservé jusqu'à ce joui' dans la bibliothèque publique d'Albi 4.

    Bien que nous ne possédions plus les Actes originaux de ceconcile, la copie contenue dans le manuscrit d'Albi nous engarantit suffisamment la parfaite authenticité.

    La forme insolite de la convocation Medianle viro inlustri• Lupone dace per jU.9sioneflt - gioriosi principis Childericidémontre que ce monument appartient bien à l'époque troubléeque nous étudions. D'ailleurs, le style est absolument du VII' etnon du Ixe siècle. Remarquons notamment le mot jussionein,dansla première phrase. Cette expression est particulière au vit5siècle et à l'Aquitaine. On ne la trouve que dans une lettre deVerus, évêque de Rodez, à saint Didier de Cahors . La qualifica-tion de viroinlustri, donnée au duc Lupus, appartient bien éga-lement à la même époque. Enfin, si les évêques signataires sontpresque tous inconnus, il n'en est pas de même d'Adus, métropo-litain de Bourges , qui garantit ainsi la réalité de l'existence deses collègues.

    M. Pardessus a daté ce concile de l'an 662 environ. Mais, en632, Lupus n'était point encore duc d'Aquitaine; c'est à peine sison prédécesseur Félix avait alors pris la place de Barontus. Enoutre, les Pères du synode ne se seraient point servi, à cetteépoque, de l'expression insolite•Ifrïediante viro in) ust ri

    l3aluze, Capitul aria, t. li, P. 1229.2 D. Vaissete, Histoire générale de Languedoc, t. I, p, 31e, et Preuves,

    col. 23.Pardessus, Diplomate, t. Il, p' 129.Catalogue des manuscrits des départements, t. I, p. 452, n. 2.D. Bouquet, t. IV, p 47.Gatlià Christ., t. Il, p. 18 ; Le Comte, Hist. Franc., an. 668 , n.2.

  • 22REVUE DES J3ESTICNS HISTORIQUES.Lupouc duce. iCette mention d'un simple gouverneur de provinQe3:inteL'venan.teonjoifltement avec le roi, dans la convocationd'une assemblée d'évêques, ne peut sexphquer que par :lasituation politique faite à.la France après l'Ânnée 670.

    Les ddcrets.sont:souscrits par les archevêques de Bourges, deBordeaux et d'Eauze', par les évêques de Périgueux, d'Auch, deBéarn, de Bazas, dAire, de.Lectoure, de Conserans:(Saint-Lizier),d'Oleron, de Comminges, de Dax, d'Agen, et par deux abbésreprésentant lesOvêques de Limoges et d'Albi.

    On le voit, à part les évêques de Rodez, de Clermont, du Puy,d'Angoulême, de Saintes et de Poitiers, dont les siges pouvaientêtre vacants, ouqui pouvaient être empêchés par quelques obs-taclés canoniques 1 , tous les prélats des trois Aquitaines étaientreprésentés -dans cette assemblée conciliaire : L'autorité deLupus y était donc officiellement reconnue.

    Cependant, -son ambition aétait pas satisfaite; il aspirait àune plus complète,indépêndance.

    IV

    .Rescesuinthe, roi des Visigoths, venait de mourir( jer sep-tembre 072), et Wamba avait été élu son successeur. Les citésgauloises soumises aux Visigoths jugèrent le moment favorablepour secouer le joug espagnol. Sous l'inspiration de Hilderic,comte de Nimes,de.GumiId, évêquede-.Maguelone,et d'un certainabbé appelé Ranimire, elles organisèrent un vaste complot, deconcert avec le duc d'Aquitaine, qui 'Leur envoya même des-hommes et -des armes pour soutenir la lutte.

    Quel était le but des insurgés? On l 'ignore. Toutefois, lesagissements de Lupus tendantmanifestement -à former au sudde la Loireun État indépendant -de la monarchie mérovingienne,il est probable que les cités révoltées avaient une pensée ana-

    ' ogue; et leur alliance avec le duc d'Aquitaine indique assezqu'il devait y avoir, dans l'avenir, une fusion plus ou moinscomplète entre les deux al lies . Du reste, en fait, après la tics-

    M. Longnon,:ec. oit., p185) s cru â tort que cette ville avait perdu,dès le VE' sic1e, son litre de méti-opole. -

    Le copiste du xx' siècle •peut aussi navoir pas coulé tous les noms,comme cela est arrivé trop souvent.

  • L'ÀQUIT4JICE 80135 LES DERNIERS MÉROVINGIENS.23

    traction du royaume visigothique par les trabes en '714, cettefusion s'opéra comme naturellement et sans •difflculté..

    Quoi qu'il en soit, cette insurrection jeta l'alarme à la courde Tolède. Le roi Wamba envoya sans retard -un corps d'arméesous la conduite du comte Paul pour châtier lesrebelles. Maiscelai-ci se laissa gagner par les insurgés et se mit à leurtête.

    En apprenant cette défection, Wàmba réunit ses troupes lesplus fidèles, frânchit les Pyrénées avec une rapidité surpre-nante, s'empare de Narbonne, de Beziers, d'kgde, de Maguelone,et vient mettre le siège devant Nimes, où le comte Paul s'étaitenfermé avec les principaux chefs de la révolte et la plus grandepartie des soldats visigoths, aquitains et wascons qui compo-saient son .armée d'élite.

    On était dans les derniers jours d'août 673. Les assiégés, secroyant sûrs du succès de la campagne, insultèrent d'abord lesassiégeants- Lupus leur avait promis de venir, dans trois jours,à leur secours, avec une puissante armée qui, selon eux, ne pou-vait manquer de tailler en pièces des troupes épuisées par desmarches forcées et une série de combats meurtriers '. Mais ilsavaient compté sans l'activité du roi Wamba et 'sans une

    - coïncidence qui devait retarder l'arrivée du duc d'Aqui-taine.

    Le siège fut poussé avec tant de fureur que, dès le secondjour, les Visigoths pénétraient dans la place (ter septembre073). Les assiégés, refugiés dans les arènes, s'y -défendirentavec acharnement- Les Aquitains et les Wascons surtout 'y firentdes prodiges de valeur mais, dès le lendemain, ils furentcontraints de se rendre à discrétion et 'Wamba fit son entréetriomphale dans la ville. Les chefs de la rebellion furent punisdu dernier supplice ; les milices d'Aquitaine et de Wasconiefurent, au contraire, renvoyées sans rançon dans leurs pays.Cetteconduite était d'une habile politique ; elle réussit 'à mer-veille.

    Cependant, Wamha avait pris ses précautions contre les -secours annoncés avec ostentation par les assiégés. Enfin, cinq

    D. Bouquet, tU, P. 7H « Mihi cairn res notissinia ,nanet quant mutti-pticia nobis auvilia prreliandi oceurrant. Teflia ergo dies est quod exindeproperans venie » -

  • 24 flEVUE DES QUESTIONS HiSTORIQUES,

    jours après la reddition de la place, 13 6 septembre, le ducLupus apparut avec son armée sur les hauteurs qui avoisinent laville d'Aspiran. Mais, apprenant que la ville de Nîmes était priseet l'insurrection détruite, il rebroussa précipitamment chemin,laissant une partie de ses bagages entre les mains de l'ennemilancé à sa poursuite '.

    Que s'était-il donc passé entre le commencement de l'insur-rection et'la prise de Nîmes ?

    Non content de favoriser les insurgés du midi de la Gaule etde se préparer tout au moins des alliés, si non des sujets pourl'avenir, Lupus avait tramé un noir complot contre son souverainChilderjc If.

    Ce prince, on s'en souvient, s'était engagé, au début de sonrègne en Burgondie, à observer fidèlement les conventionsrédigées par les conjurés qui l'avaient élevé sur le trône. Mais ilne tarda pas à oublier ses serments. Réprimandé par l'évêque -d'Autun, saint Léger, il l'envoya en exil dans le monastère deLuxeuil, où'son adversaire politique Ébroïn rongeait son freinsous le froc monastique. Puis, s'abândonnant sans retenue à sesPlus violentes passions, il se livra contre les grands à une sériede brutalités, qui firent regretter la tyrannie d'Ébroïn. Dans unmoment d'emportement, il fit fouettéi, comme un vil esclave,l'un des farons de Bourgogne, nommé Bodiion.

    C'en était trop. Bodilon résolut de se venger. De concert avecPlusieurs personnages illustres, notamment Amalbert, Tngol-bert et Lupus 2 il forma le projet d'assassiner le roi, sa femmeet ses enfants ce qu'il exécuta pendant une partie de chasse 3 àlaquelle on avait attiré lé malheureux prince. C'était probable-ment au mois d'août de l'année 673 4.

    Toutefois, il faut l'avouer, cette date est fort incertaine,les uns

    I M. Perroud (toc. cil., P. 127) prétend que Lupus n'était pas le seul oheide la Gaule méridionale parce que Julien de Tolède l'appelle unuv; deducibus Francùc. Mais Julien parle évidemment de la Fiance entière enon pas seulement de la Gaule méridionale. D'ailleurs, tout ce que nousavons dit combat les interprétations de M. Pej'roud.

    2 D. Bouquet, t, 11!, p. 585, 55.Bolland., Acta 83., t. I octob., p. 468. Vila S. Leodegarfi, n. 20.Bolland., lot. cil., p. 393, n. 157: « Nihil obstat quozninus Childerieussub finem Augusti aut initium scptembris venationem exerouisse eredatur, j

    n

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIENS.25

    plaçant la mort de Chi ld crie au printemps,les autres en automne'.Ceux qui la fixent au commencement de septembre s'appuientsur la durée, pourtant problématique 2 , du règne de Childeric enNeustrie, sur la date arbitrairement interprétée d'un diplômepublié par D. Mabillon, et sur cette idée singulière que le princeayaiit été tué àla chasse, il s'ensuit que ce fut nécessairementau printemps ou en automne comme si un roi mérovingien nepouvait chasser en dehors des mois d'avril ou de septembre.

    Il n'y a donc pas lieu de rejeter, avec M. Perroud', la partici-pation directe de Lupus à l'assassinat de son souverain. Lesévénements de Nimes ne contredisent pas nécessairement cetteparticipation au crime.'Dans tous les cas, ce cruel forfait ne luifut d'aucune utilité, et lui causa, au contraire, des obstaclessérieux. -

    En effet, à la nouvelle de ce grave événement, Ébroïn sort ducloitre où il était renfermé, rassemble des troupes, s'empare dupouvoir, et proclame roi un prétendu fils de Clotaire III, qu'ilfait appeler Clovis 1 . Mais bientôt, s'apercevant qu'il ne pourraitlongtemps soutenir son fantôme de roi, môme par la violence etla persécution, il se rallie à la cause de son ancien pupille,Thierry III, qu'on avait enlevé de l'abbaye de Saint-Denis, pourl'élever sur le paroi. Ébroïn gagne facilement sa confiance.

    Une fois maître du pouvoir, il se pose en vengeur de Cliilde-ric II; et, sous le prétexte de punir les assassins de ce prince,il se livre sans frein à toute la fureur de ses vengeances person-nelles. Ses adversaires pélitiques, dans le passé comme dans leprésent, s'enfuient, soit dans la partie de l'Austrasie soumise itPépin d'J-Jéristal, soit au sud de la Loire jusque dans les monta-gnes de la Wasconie

    Le duc Lupus, complice notoire du comte Bodilon, ne pouvaitéchapper à la vengeance d'Ébroïn. Les biens qu'il possédait enOrléanais furent confisqués e , et un'arrêt d'exil fut lancé contrelui. Au milieu de la stupaur générale, les Aquitains oublièrent

    Bolland., toc. cit., p. 333, n: 11.2 I3olland., toc, oit., p. 384, n. 122.' Penoud, toc. oit., p. 123.

    Bolland., W. oit., p. 296-307.Bolland., toc. cil., p. 474,n. 38 490 note/.D. Bouquet, t. I, p. 697.

  • 26REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    un instant leur liberté, en grande partieacquise sous le dernierroi, etcourbèrent 'la tête sous le joug -du Maire du Palais, du seulMérovingien qui fùt alors -généralement reconnu eu France,puisque le fils dé Sigebert ni, Dagobert II, n'avait sous sa domi-nation qu'une portion assez restreinte de l'Austrasïe.

    Mais bientôt le parti de l'indépendance releva la tête et refusal'obéissance -aux agents d'Ébroïn. Poitiers entra -des premiersdans cette voie, et Ansoald, son évêque, se mit, ce semble, à latête du mouvement. 'Ii avait, -pour agir ainsi, des motifs à la foispersonnels et d'intérêt public. Assez prodhe parent de saintLéger, évêque d'Autun, et de son frère saint Guérin, comte dePoitiers, l'un et l'autre victimes ensanglantées de la fureurd'Ébroïn, Ansoald pouvait se croire autoriséà secouer le joug dece tyran, ministre d'un roi légitime, il est vrai, mais .-qui nerégnait pas -sur I'A-ustrasie, -dont l'Aquitaine en général et lePoitou en particulier étaient depuis longtemps considéréscomme une annexe. Puissant par sa haute naissance, par safamille et ses alliances, par ses richesses et ses vertus, Ansoaldmit toutes ces influences -au service de la cause qu'il croyaitutile de servir. Ii réussit complètement. Nous en avons unepreuve dans la vie de saintFilibert, abbé de Jumièges. Cc grandapôtre de la vie monastique au vile siècle, s'étant attiré les ven-geances d'Ébroïn par la liberté de son lSgage, avait été con-traint, -an 674, de chercher un asile contre ses persécutions. Ille trouva en Poitou auprès -d'Ansoald ce qui démontrequ'Èbroïn n'avait aucune, puissance en cette partie de l'Aquitaine.Le moine de Saint-Martial de Limoges déjà cité nous apprend,de son côté, que le Poitou ne fut pas le seul à se déclarer indé-pendant de l'administration d'Ébroin.

    Tous les vagabonds et les bannis de Bourgogne et de Neustriese joignant aux Aquitains, dit-il 2, décernèrent le titre de Princed'Aquitaine au duc Lupus, réfugié chez les Wascons. Une foule

    J3oltand. Acta 88., t. 1V augnst., p. 79.2 D. Bouquet, t. 111, p. bso Prineipern super -se omnes statueront et

    omnes vagi profugique ad cana adiinserunt, et tanta turbo, apué -eum assis.tebat ut regem Francorun, debellaret et in sedern regiam se adstare lace-rot... Adrenit et Pontificena ex ipsa urbe Lernovïea et omnes 'COflCLVCS adse adunare jussit, ut fidem corum extorçueret -et cos 5(1 saura regimen per-sti'ingeret. »

  • L'AQUiTAINE SOUS LES DERNIER S; MÉROVINGIENS.27

    immense se Péunit autour de son drapeau, en sorte qu'il futpromptement en étatilelutter avantageusement contre les par-tisans et les agents du roi Thierry 111. S'il ne prit as le titre deroi, il osa du moins se faire un trône, au pied'duqudlles Aqui-tains souniis'venaietït lui Tendre hommage et lui prêter le set-ment -de fidélité. Lorsqu'il se présenta devant limoges, l'évêqueet tous les citoyens sot'tirentr sa -rencontre et 'reconnurent sonautorité.

    Cependant, un vol sacrilège qii'fl commit dans -la crypte deSaint-Martial lui attira, de la part d'un homme du peuple, unchâtiment qui faillit lui coûter la Vie '.

    & quelle époque -eut lieu cette insurrection générale? Ii -estdifficile de le dire. -L'auteur qui -nous sert de guide a manifeste-suent réuni en un seul 'trait leux événements Tort distincts. 'Sil'on prend à la lettre ses paroles, tout cela se serait accompliaussitôt après la mort du duc Félix (co de/itncto), vers l'an 670.Maisnous avons vu 'que, postérieurement à cette date, Lupusreconnaissait l'autorité tout 'au moins nominale •du roi desFrancs et d'ailleurs Ébroïn, relégué dans -un monastère,n'étaitplus en-cause.

    Il 'faut donc admettre que 'le moine Lie Limoges, adversairepassionné du gouvernement de Lupus, a passé à dessein sousSilence la première administration de ce fonctionnaire de 670 à673, ou plutôt la confondue avec celle qui fut le résultat dumouvement insurrectionnel que je yiens de raconter, d'après sonpropre témoignage.

    Mais cette insurrection générale, ,postéiieure à 673, avait-elleété précédée ou fut-elle suivie de celle du Poitou, dirigée parAisoald ? .Gette'derŒière ne fut-elle qu'un épisode de la guerredéclarée par le duc d'Aquitaine? Ce sont là des problèmes his-toriques que 'la pénurie de documents nous contraint â laissersans solution .

    Ce que nous pouvons affirmer, c'est que l'insurrection de l'A-

    Si Lupus était mort de sa blessure le légendaire n'aurait pas manqué dele dire, cette circonstance devant encore faire éclater davantage la-ven-geance de saint Martial.

    2 Un diplôme du mois de mai de l'an 080 tendrait à prouver que dans lesactes publics, du moins dans certains monastères, on continuait â dater parles années (lu roi Thierry, malgré la déclaration d'indépendance do l'Aqui-taine. Pas-dessus, Diplomate, t. 11, p. 185.

  • 28REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.quitaine ne fut pas isolée. Elle semble, au contraire, se ratta-chet- à une vaste conspiration ou à une aspiration générale versl'indépendance chez tous les peuples situés sur les frontières del'empire des Francs.Les auteurs anciens s'accordent à constater 1,vers l'époque. que nous étudions, que les Frisons au nord, lesAllemans, les Thuringiens et les Bavarois à l'est, les Bretons àl'ouest, et les Aquitains au sud secouèrent comme de concert lejoug des Francs.

    Les Austrasiens, de leur côté, du vivant et après la mort deDagobert H, refusèrent constamment de se soumettre à l'autoritéd'Ébroïn et du roi Thierry.

    Après l'assassinat de Childéric Il, son Maire du Palais, Wul-foald, avait cherché un refuge en Austrasie, sa patrie, et avaitconfié, en mourant, à son fils Martin, le soin de relever le drapeau national. Martin avait glorieusement rempli sa mission. Deconcert avecson cousin Pépin d'Héristal, petit-fils par sa mèrede Pépin de Landen, il avait essayé de renverser du pouvoir lecruel Ébroïn. Mais vaincu à Lafau, il périt dans un guet-apenspréparé par son perfide ennemi. Pépin se préparait à venger samort, lorsque la Providence le délivra sans combat de son ter-rible adversaire: Ébroïn, en effet, périt assassiné par Erinenfroy,au printemps de l'année 681.

    Ce grave événement produisit les plus heureux résultats. Uneréaction en faveur du roi Thierr y se produisit dans toute l'étenduede l'ancien empire des Francs. Pépin diléristal mit immédiate-ment bas les armes et reconnut sans difficulté l'autorité aumoinsnominale du prince Mérovingien et de son nouveau Maire duPalais, Waratton, avec lequel il contracta alliance et amitié 2

    Le duc d'Aquitaine tint la même conduite. C'était vraisembla-blement encore le duc Lupus, le moine de Limoges, laissant âentendre que la paix universelle, produite par la mort dÊbroïn ,suivit immédiatement l'accident arrivé à Lupus dans la crypte dede Saint-Martial.

    D. Bouquet, t. II, p. 615, 677, 680,690; t. 111 , p. 547.D. Bouquet, t; Il, p. 570, 678; t. 1!!, p;694.Faune], JIiS(. de la Gaule méridionale, t. III, p- 32.

  • I

    L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÇROVINGtENS.O

    V

    A peine la nouvelle de l'assassinat d'Éhroïn fut-elle répandueen Poitou qu'Ansoald se rendit à la cour du roi Thierry. Il y ren-contra un grand nombre de prélats et de seigneurs de toutes lesparties de l'empire des Franc', qui vouèrent à l'anathème lamémoire du tyran qu'on venait d'immoler. L'évêque d'Arras yraconta le long martyre de saint Léger, évêque d'Autun, et lesnombreux miracles que Dieu opérait sur son humble sépulture.Le roi était présent. Il fut vivement ému de ce récit, que confir-mèrent de nombreux témoins.

    D'une voix unanime les prélats décrétèrent alors qu'il étaiturgent d'honorer d'un culte religieux ce grand martyr de la

    - liberté publique. Mais l'évêque d'Arras, dans le diocèse duquelil avait été inhumé, l'évêque d'Autun dont il avait été le prédé-cesseur, et l'évêque de Poitiers, parent de l'illustre martyre, aunom de cette parenté et de l'éducation et des dignités ecclésias-tiques exercées dans son diocèse par le défunt, revendiquèrent,à la fois, l'honneur de posséder ce trésor précieux.

    Le sort décida en faveur d'Ansoald 2, qui s'empressa de char-ger Andulfe, abbé de Saint-Maixent, d'opérer cette translationsolennelle dans son monastère. La cérémonie se fit au milieud'un immense concours de peuple, depuis la cité artésienne jus-qu'en Poitou, où les saintes dépouilles arrivèrent au mois d'août681 '.

    En même temps qu'Assoald se rendait à la cour de Thierry 111,pour cimenter le pacte de réconciliation entre le pouvoir royalet les Aquitains émancipés, saint Filibert, son ami, allait con-soler ses enfants du monastère de Jumièges qui, depuis plus dehuit ans, pleuraient sa perte. Puis, sur les instances de l'évêquede Poitiers, qui était venu jouir un instant de l'allégresse desmoines de Jumièges, il retournait en Poitou y compléter l'oeuvre

    l3olland., Acta 88. t. loci., p. 425 1 n, 276, p. 479, 480;Boltand., Acta 88., t. L oct., p. 479, n, 58, p. 425, n. 278.Bolland., toc. cil , p. 426, n. 283. Les moines de Saint-Aubin d'Angers,

    fêtaient, en effet, la translation de saint Léger le 17 août, Bibliothèqued'Angers, MSS. n°95).

  • 30REVUE DES QUESTIONS JIISTORIQUE&

    de restauration monastique qu'il y avait si heureusementcommencée '.

    Tous ces événements supposent que l'union et la paix avaientété rétablies dans toute l'étendue de l'empire des Francs, et queThierry II1 y était reconnu souverain légitime., et. universel dela monarchie.

    Cependant, cet accord ne fut pas de longue durée. Waratton,Maire du Palais de Thierry III, avait un fils nommé Gi'slemare,aussi dépravé qu'ambitieux, qui, à force d'intrigues, finit parsupplanter 5011 vertueux père auprès du trop facile monarque,vers la fin de l'année 683 2 Marchant sur les traces d'Ebroïn.C-islemare souleva, contre lui et le pouvoir q.uiL représentait,toute l'Aquitaine et I'Austrasie.

    L'année 084 se passa en combats incessants entre l'ambitieuxministre et le duc d'Austrasie Pépin d'Héi'istal. La mort du nou-veau tyran.' put seulernettre un terme à cette guerre civile ,.à lafin de cette même année 684. \àratton fut alors rétabli dans sacharge ; mais iLmourut lui-même peu de temps après, au débutde l'an 680..

    Berthaire', son gendre, qui lui succéda, avait tous les vices deGislemare, moins son habileté Aussi continua-t-il sa funestepolitique irritante. Elle ne lui: réusit pas. En 087,.. Pépin d'Hé-ristal remportait sur lui; à Testry, une complète victoire, s'em-parait de la persoirne du roi Thie'rry, imposait à celui-ci unMaire du Palais de son choix, et devenait le vrai souverainde la France, sous le couvert du monarque Mérovingien.- Dureste, il prit dès lors le titre de prince des Francs Austrasien(088) '.

    Durant ces guerres civiles qui désolèrent le nord et:iiest de laFrance, l'Aquitaine avait, encore une fois,, suivi Pexeniple de1'Austrasie. Comme celle-ci,, elle refusa de se: soumettre .Fau-torité de Gislemare, et se réconcilia, avec, la cour mérovingiennelorsque Waratton revint au pouvoir à la fin de l'année 684.. Voilàpourquoi- nous voyons: l'évêque de Poitiers, Ansoald,. souscrire,.

    Boiland., Acta S&T t. IV eut. , p. 79 n. 22-23.,- ' D. Bouquet, L. 111, p.- 694..

    J0 parie lé langage des elirohiqueurs carolingiens, à.défaut dc, rensei-gnements plus impartiaux.

    D. Bouquet, t. Il, p. 570, 080.-

  • L'AQUITAINE SOIS LES DEnNIERS MÉROVINGIENS.31

    à Compiègne, une donation faite par saint. Rieul, évêque métro-politain de Reims, en mai 685 ou 688'.

    Comme les Astrasiens encore,, les Aquitains firent opposi-tion au gendre de Warat.ton.

    Cependant, au milieu de ces révolutions continuelles de Palais,les liens de sujétin au roi mérovingien s'étaient de plus en plusrélfichés, en Aquitaine comme en Austrasie ; en sorte que,après la bataille de Tesiry, voyant le duc d'Austrasie, maîtreréel du pouvoir, gouverner en souverain indépendant les pro-vinces austrasiennes, le duc d'Aquitaine crut qu'iIpouvait suivreson exemple. Mais Pépin d'Héristal n'était pas homme à souffrirque, sous son principat, la France fût plus amoindrie quesous les ministres moins puissants qui l'avaient précédé.

    Dès l'année 688, il passa la Loire, et fit promptement rentrerles insurgés dans l'obéissance, bien peu étroite du reste, qu'ilsavaient promise à Thierry JJJ 2,

    Les Annales de Metz, qui nous font connaître cette campagne.de Pépin en Aquitaine, la rattachent à une série d'expéditionssemblables que le prince des Francs dirigea contre les diversesnations jadis sujettes ou tributaires de l'empire des FrancsAllemans, Bavarois, Bretons, Aquitains et Wascons, qui, profi-tant des dernières guerres civiles, avaient complètement secouéle joug.

    Les monuments de l'histoire ecclésiastique confirment lasser-tionda chroniqueur en ce qui concerne notre Aquitaine.

    En 688 saint Bonet est élevé sur le siège de Clermont envertu d'une double ordonnance, fait inconnu jusqu'alors. Sonfrère Avitus, évêque de Clermont, étant sur son lit de mort,l'avait choisi pôur son successeur, du consentement de sonclergé. « Sous Te prince Thierry, ajoute le biographe contempo-rain ', Pépin, qui tenait alors la première place dans le royaume(reqni prima (uni tenens) et gérait la mairie du Palais, disposaità son gré de toutes les charges publiques. Le B. Avitus, ayantenvoyé à la Cour sa requête pour obtenir l'autorisation royale(pro ad?iscenda auctoritate reqia), grâce à Dieu, obtint pleine

    I D. Mabillon, Annai. bcnedict., lit. XVII, an. 685, n° 43. - Pardessus,Diplomata, t. II, P 200202.

    D. Bouquet, t. 11, p. 680.D. Bouquet, t. 111, p. 628.

  • 32 REVUE DES QUESTiONS HISTORIQUES.

    satisfaction; et comme témoignage du consentement sollicité,il obtint un mandement du roi et un précepte du prince Pépin(ex rejjio fussu ejusqueprzcepto idem roboraretur consensu).

    Ainsi' Pépin intervient, par un précepte spécial, dans uneaffaire qui, jusqu'alors, avait été exclusivement réservée à.l'autorité royale. C'était un acte analogue à celui que nous avonsconstaté, de la part du duc d'Aquitaine, dans la convocation duconcile de Bordeaux. Peut-être Pépin prétendait-il avoir, commePrince d'Austrasie, un droit spécial d'intervenir en Aquitaine,qui n'avait pas cessé d'appartenir depuis longtemps au royaumed'Austrasie.

    Toutefois, répétons-le, Thierry III étant considéré commesouverain de tout l'empire franc, l'Aquitaine, comme l'Austra-sic, continuait à reconnaître son pouvoir nominal. -

    C'est en vertu de ce principe de soumission à l'autorité royaleet non pas comme sujet du ro yaume de Bourgogne, qu'Ansoaldassista, en 689 ', au concile de Rouen.

    Mais quel était, à cette époque, le duc d'Aquitaine? Était-ceencore Lupus? Était-ce le duc Boggis , mentionné dans lalégende apocryphe de saint Hubert 2 et dans tes Annales deLobbei 3 , et dont l'existence ne peut guère être contestée, bienqu'elle soit enveloppée de voiles m ystérieux? Était-ce déjà cetEudes, prince d'Aquitaine, qui joue un si grand rôle dans nosAnnales au commencement du VIII0 siècle? Les monuments jus-qu'ici découverts ne permettent pas de résoudre ces problèmes.

    Il n'est pas moins difficile de préciser l'époque où les ducsd'Aquitaine secouèrent de nouveau le joug des Princes d'Austrasie, qui gouvernèrent la France, après la mort de Thierry III(691), sous Les noms de Clovis III (691-693), de Childebert III(695-711) et de Dagobert 111(7±1-715). Il est du moins certainque Pépin d'Fléristal eut besoin de venir plus d'une fois leurrappeler les liens qui les rattachaient à la couronne de France.

    Bans le récit, ce semble, très authentique des miracles opérésPar saint Austrégésile , Pépin OEHéristal nous est représenté

    Mabillon, Acta SS. O. S. E., sec. ri. Vita S. Ansbertj, n° 27. GalljaChrist., t. XI, p. 16.

    D. Bouquet t. III. p. 600.WniLz; Monumenta Germani-e, t. XIII, p. 237.

    I D. Bouquet. t. III, p.660 Mabillon, Acta 55. 0. S. E., sue. ii, Lib.miracul. S. Austregili, nO 4

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MéROVINGIENS,33

    taisant invasion dans notre Aquitaine et commençant une expé-dition contre Eudes, Prince (I'Aquitaine, pat' le siège de Bourges,dont ses soldats incehdient les villages environnants.

    Peu de temps après (nec niulto posÉ lempore), c'est le princeEudes, au contraire, qui assiège la même ville, et qui ordonneà l'on de ses optimaU de prendre position dans le monastère deSaint-Austregésile, situé dans l'un des faubourgs de la cité-

    Aucune note chronologique n'est malheureusement indiquéedans le récit que nous venons de reproduire. Toutefois, un faitde la vie de saint Borel, évêque de Clermont, nous permet deproposer une date approximative.

    Le biographe de ce saint, parlant de son élévation à l'épisco-pat, nous a dit que Pépin d'l-lérista[, qui gouvernait sous le nomdu m-ci Thierry, y donna sorrconsenternent; fnais lorsqu'il rap-porte, un peu plus 13m, le choix que le saint Pdntife fit de sonsuccesseur, Nodorbert, il se sert clone expression qui sembleindiquer que le Prince qui confirma cette élection exerçait uneautorité indépendante de celle du roi. Il l'appelle le Prince duroyaume onde l'État (Principevi "eqni) terme insolite, qu'iln'aurait pas employé s'il se fût agi de Pépin d'Fléristal, qui sefaisait un devoir d'associer, tout au moins, le nom du roi ausien, dans les actes officiels. Par ce prince de PElai, il faut doncentendre le duc d'Aquitaine, à qui le même éciivain donneconstamment la qualification de prince et même de roi 2

    Or, comme saint Bonet désigna son successeur en 699 ou 700,c'est antérieurement à cette date qu'il faut placer les combatsentre Eudes et Pépia dont il était question tout à l'heure, cetteguerre civile supposant que l'indépenda nce de l'Aquitainen'était pas encore tolérée par la cour mérovingienne.

    Toutefois, cette lutte suprême entre les deux rivaux ne doitpas avoir précédé de beaucoup l'année 699. En effet, le Poitoufaisait incontestablement partie du duché d'Aquitaine à cetteépoque, comme l'a prouvé M. Longuon'. Or les monuments his-toriques nous montrent Ausoa]d, évêque de Poitiers, eh rapport

    direct avec la cour de Bourgogne et d'Austrasie, non seulement•

    Mabillomi et D. Bouquet, toc. cit., n° 16.-2 D. Bouquet, t. 111, p.. 660-66!, 21°5.

    Revue des questions historiques, iS9. t. XXV, p. 187.T. XXXV. jr JANVIER 1884.-

    (a'.1?

  • 34REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    le 28 février 693, jour o il assistait àun plaid, présidé â Valen-ciennes par le roi Clovis III mais encore le 6 mars 696, où ilsignait un privilège en faveur d'un monastère situé dans le dio-cèe de Chartres 2; et même le 14 mars 607, la troisième annéede Childebert III. Dans cette dernière circonstance, il assistaitencore à un pliid royal, tenu à Compiègne, et composé d'ungrand nombre de prélats et de seigneurs, parmi lesquels onremarquait les évêques d'Orléans, de Paris, de Beauvàis,d'Amiens et de Chantres '.

    A cette date, le Poitou, et par conséquent l'Aquitaine,n'avaient donc pas encore rompu les liens de sujétion qui lesunissaient à la royauté mérovingienne. L'époque où s'opéra lascission définitive se trouve ainsi limitée entre les années 607et 700.

    Le prince Eudes, qui parvint t cet état d'indépendance, étaitincontestablement aussi habile que brave. Mais à quel titreavait-il été mis à la tête tics populations du midi de la Loire,depuis Marseille jusqu'à Bourges et Poitiers? Etaitil simple-ment un soldat heureux, un optimat riche et puissant, que sesvertus ou ses intrigues avaient élevé au premier rang? Je ne lecrois pas. L'Aquitaine imitait trop servilement l'Austrasie dansses visées politiques pour n'avoir pas confié, comme elle, sesdestinées à une famille indigène qui avait bien mérité de lapatrie. D'ailleurs, à la mort d'Eudes, on voit ses enfants, commeceux de Pépin, hériter sans conteste de soit ce quisuppose un mode de succession déjà établi.

    Mais quel était son père? Etait-ce Lupus ? Etait-ce Boggis?Cette question l'este insoluble. -

    Les chroniqueurs, qui' ont tous écrit sous les Carolingiens,cherchent manifestement à déprécier le rôle 'et les succès duprince d'Aquitaine. Cependant, il faut bien admettre que, tout

    D. Mabillon, Arisai. bened., an. 693, liii XVIIi, n. 25 De ro dipioma-Uca. lib. VI, p. 475.— Pal-dessus, Diplomate, t. Il, p. 229.

    ' Mabillon, Assai, banS., t.XVIII, p. 40; De t-c dipiom., 11h. VI, P. 475.- pardessus, lac, ait., p. 234.

    Mabillon, Avinai., lib. XVIII, p. 55; De rc dipionzat., t. VI, p. 479.- pardessus (lot. ait., p. 242, not. 1) fait observer que ]e règne de Childe-beit ayant commencé en mars, sans qu'on sache le jour, de lan 695, le14 mars de la troisième année de son règne pourrait à la ligueur 50 rap-porter à l'an 697.

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIENS.35

    au moins depuis la mort do Pépin d'Héristal (714), il sut main-tenir son indépendance, puisque,vers la fin de l'année 717, le roiChilpéric II et son Maire du Palais, Ragenfroy, implorèrent lesecours de ses armes contre leur vainqueur Charles MartelIls contractèrent avec lui, comme avec un égal, une allianceoffensive et défensive ; et l'on dit môme 2 , cc qui n'est pas invrai-semblable, qu'en échange du secours sollicité, le roi mérovin-gien envoya au prince aquitain une couronne d'or et de richesprésents, reconnaissant ainsi officiellement son indépendancepolitique..

    Gagné par de si séduisantes largesses, Eudes réunit une puis-sante armée et rejoignit au delà de Paris ses nouveaux alliés.Cependant Charles Martel s'avançait à marches forcées du fondde l'Austrasie. La rencontre des deux armées eut lieu non loinde Soissons. Les Aquitains, ne pouvant soutenir le choc desAustrasiens, se débandèrent. Eudes se replia sur Paris. Là, pre-nant avec lui le roi Chilpéric et son riche trésor, il s'enfuit audelà de la Loire (719.)

    Charles Martel, en habile politique, ne poUrsuivit pas le roifugitif. Il se contenta de faire élever surie pavoi un jeune rejetonde la race mérovingienne, qu'il nomma Clotaire IV. Mais cefantôme royal étant mort peu de temps après, le prince austra-sien prit le parti de réclamer Chilpéric II, avec son trésor,comme un bien qui lui appartenait. Eudes n'osa résister à cetterevendication, moitié pacifique, moitié menaçante. Il remit leroi mérovingien, avec une partie de son trésor, entre les mainsdu prince austrasien, à la condition toutefois que celui-ci con-firmerait la souveraine indépendance de l'Aquitaine, officielle-ment reconnue par Chilpéric 11(720).

    Ce traité de paix souriait assez, du reste, au prince d'Aqui-taine, qui préférait se passer de l'ombre même de l'autoritéroyale attachée ii la personne du monarque fugitif. Il entrait, aucontraire, dans les plans des ducs d'Austrasie de couvrir leurpouvoir usurpé du nom et de la présence de leur souverain,

    Waitz, Monurnc,ila Germanite, t. XIII, p. 19. - D. Boiiquet, t. Il, p. 454,664, 683.

    D. Bouquet, t. 11, p- 454Legationem cd l3udonem dirigunt, ejuspostulantes auxilium, regnum et munera tradunt. » -

  • 36REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.jusqu'au jour où l'opinion publique jugerait inutile ce masque deroyauté sans réalité.

    Cependant, les Aquitaitis eurent à peine le temps de jouir deleur liberté politique,si chèrement achetée. Dès l'année suivante,721 1 , les Sarrasins envahissaient la Septimanie ; et malgré uneSanglante défaite que leur infligea, près de Toulouse, le dued'Aquitaine, ils ne cessèrent plus de menacer nos provincesméridionales de nouvelles invasions.

    En effet, en 7252 et même peut-être en 731 ', ils firent irrup-tion en France par la Provence et ravagèrent tout le bassin duRhône.

    D'autre part, Charles Martel, sous un prétexte quelconque,envahissait, jusqu'à deux fois, en la même année 731 4 , le fer et lefeu à ]a main, les provinces soumises à la domination du princeEudes. On dit que, réduit ainsi au plus affreux désespoir, celui-ci ouvrit ]os passages des Pyrénées à ces mêmes Sarrasins qu'ilavait vaincus dix ans auparavant. Quoi qu'il en soit, il ne tardapas à se convaincre qu'il ne pouvait avoir de plus cruels adver-saires que ces ennemis fanatiques du nom chrétien, et il se vitcontraint d'implorer le secours du prince Austrasien. Celui-ci,qui avait autant d'intérêt que personne à arrêter cette effroyableinondation de barbares, se précipite à leur rencontre. Déjà • ilsavaient couvert de ruines toutes les Aquitaines, jusqu'à Poitiers,dont ils avaient brûlé les faubourgs. C'est près de cette ville quele prince des Francs les attaque, les culbute et en fait un hor-rible carnage 1 (732).

    La chrétienté était sauvée par cette immortelle victoire maisCharles Martel la fit payer cher à l'Êgi se 'et au prince Eudes.Ce dernier eut probablement à subir des conditions qui limitaient

    D. Bouquet, t. Il, p. 640. Monurnento GermaniŒ, t. XIIi, p. 19,460.2 D. Bouquet, t. III, i. 650.

    D. Bouquet, t. III, P. 701.D. Bouquet. t. Il, p. 640, 641, 642, 655; L. V. p. 434. - Monurne,,ta

    Germani,r, t. XiII, P. 19, 304.D. Bouquet, t. li, p. 454, 574, 660, 674, 684.Toutefois ils commirent d'horribles ravages en revenant en arrière. Ils

    brûlèrent les monastères et massacrèrent tous les chrétiens qu'ils rencon-trèrent. Tylabillon, Acta SS. O. S. B., sec. III, pars. t, Vila S. Pardulp/mé,n°13; Bolland. Acta 88., L. III oct., p. 436.

    B. Gué,'u,'d, Polyptyque a'Jrminon, t. I, p. 533; 13o1]and., Acta 88.,t. XII oct., P. 680.

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS M1tROVINGIENS.37

    la pleine indépendance de l'Aquitaine vis-à-vis du pouvoir royal.Du reste, il ne tarda pas à mourir (735).

    Un fait touchant qui prôuve ses sentiments religieux, nous-tété conservé parle biographe de saint Pardoux' Ce saint abbé,sur son lit de mort (737), croyait encore entendre retentir à sesoreilles le son de la corne d'or avec laquelle son illustre ami, leduc Eudes, avait tant de fois appelé ses guerriers au combat.

    VI

    A la nouvelle de la mort de ce prince. Charles Martel envahitl'Aquitaine, s'en empare (736) et en confère le gouvernement àHuriald, l'un des trois fils de l'illustre défunt, à la conditiontoutefois qu'il se considérera comme vassal des princes d'ius-trasie 2

    On le voit, le fils de Pépin d'Héristal ne perdait pas de vue lesliens qui rattachaient l'Aquitaine à l'Austrasie ; et c'est au nomde ces liens anciens, rompus par suite des guerres civiles, qu'ilPrétendait imposer au fils d'Eudes le serment de fidélité et deva sse I age.

    Ce serment, prêté non seulement au vainqueuL', mais à sesfils Pépin et Carloman, fut la source de toutes les prétentionscarolingiennes sur l'Aquitaine et de tous les malheurs dont cemalheureux pays fut la victime pendani plus de quarante ans.Toute tentâtive d'indépendance de la part des fils et du petit-filsd'Eudes fut désormais, aux yeux des Carolingiens, un acte defélonie plus encore que de rebellion. C'est ce qu'attestent toutesles chroniques du temps. On y ajouta le prétexte religieux.Oubliant que son père en avait donné l'exemple, Pépin reprocha,comme un crime de lèse-majesté divine, aux ducs d'Aquilaine,la spoliation des biens des églises et des monastères.

    Hunald avait accepté les conditions qui lui étaient imposées.

    Bofland, Acta .99., t. III oct., p. 438, n° 19.2 D. Bouquet, t. il, p. 084 « Ducatum ilium solita pietate Hunaldo, fluo

    Eodonis dedit; qui sibiet fuis suis Pippino et C ' rIu,anno fidem proinisit. s.M. Waitz a montré la grande valeur des sources dans lesquelles avait puisél'auteur des Annales de Mefz, pour les faits relatifs au viii' siècle surtout.(Monumenta Gennanim, .t XIII, p- 1, 26.)

  • 38REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    mais avec l'arrière-pensée de s'en délivrer à la première occa-sion.

    Charles Martel mourut le 15 octobre 641. Aussitôt llunaldsecoua le joug. Il osa même faire arrêter et incarcérer le véné-rable Lantfrède, abbé de Saint-Germain-des-Prez, envoyé enAquitaine par le prince d'Austrasie, l'année précédente, pourtraiter de diverses questions que l'histoire ne nous a pas faitconnaître. Peut-être s'agissait-il des biens que possédaient, enPoitou et ailleurs, l'abbaye de Sai lit- Germai n-des-Prez et cellede Saint-Denis, et qu'Hunald avait livrés à des mains séculières.Quoi qu'il en soit, malgré le double caractère de prêtre et d'am-bassadeur dont Lantfrède était revêtu, il fut traité en 'espion etrenfermé dans une étroite prison pendant plus de trois ans etdemi'.

    Pépin et Carloman , fils et héritiers de Charles Martel, semirent, dès l'année 742, en devoir de châtier ce qu'ils appelaientla félonie du prince d'Aquitaine. Ils passèrent la Loire à Orléans,inèendiêrent les faubourgs de Bourges, se dirigèreit vers laTouraine, s'emparèrent de la petite ville de Loches, qu'ils rédui-sirent en cendres, et s'avancèrent jusqu'au Vieux-Poitiers, où,réunissant les prélats et les barons de leurs Cours, ils se parta-gèrent l'empire des Francs 2,

    Cependant le résultat de cette campagne ne parait pas avoirété considérable, puisque nous voyons Hunald continuer Li agiren maître dans ses États.

    Son frère Hatton s'étant peut-être laissé séduire par les pro-messes des princes austrasiens, Hunatd résolut d'exercer contrelui une vengeance digne de ces temps barbares. Il le fit sôrtirde Poitiers, où il exerçait sans doute la charge de comte, et l'atti-rant à sa cour, sous un prétexte quelconque, il lui fit crever lesyeux , (744). Ce fratricide méritait un châtiment.

    Pépin et Carloman se préparaient, l'année suivante, à le luiinfliger, en envahissant l'Aquitaine, lorsque l-Junald vint offrir sasoumission avec des otages et détourna ainsi le fléau qui lemenaçait 1.

    ' D. Bouquet, t. V, pt 426 GaUla chritiana, t. VII, p. 422.2 D. Bouquet, t. II, p.576, 646; t. V, p.32, 106.

    D. Bouquet, t. 11. p. 687. - Bolland., Acta 85., t. Il julii. p. 318, n. 2.-Monument'c Gern,anirn, t. XIII, p. 675, 702.

    D. Bouquet, t. ii, p. 687.

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNI E RS MÉROViNGIENS.30

    Mais le remords, parait-il, ou une habile politique, le déter-mina à un acte qui eût été héroïque, s'il avait été produit sousune inspiration plus surnaturelle. II abdiqua en faveur de sonfils Waifre, et se retira dans un monastère de l'ile de Ré, enSaintonge'.

    Jeune, brave , fécond en ressources, ardent et amoureux de laliberté, \ aifre prit d'une main ! courageuse les rênes du gouver-nement. Le temps, du reste, lui était favorable.

    Carloman, imitant 1-[unald, mais avec une Pensée plus reli-gieuse, s'était retiré dans un monastère de Rome, et son frèrePépin avait trop à faire en Bourgogne et en Austrasie pour son-ger à l'Aquitaine. Seul maitre désormais du pouvoir, ce derniersongeait d'ailleurs à se faire décerner le titre de roi, dont ilexerçait depuis longtemps la puissance. Pour accomplir plus sûre-ment ce coup d'État, il s'appuya sur l'autorité de l'Église, dont ilprit hautement en mains les intérêts. Ayant ainsi gagné à sa causesaint Boniface, l'apôtre de l'Allemagne, et les papes Zacharie etEtienne 11, il se 'fit sacrer à Soissons par le saint archevêque deMayeice, après avoir relégué dans le monastère de Saint-Bertin,

    Saint-Orner, le dernier représentant de la dynastie mérovin-gienne (752).

    Pépin avait un frère,nornmé Griffon,qui, après avoir essayé dese créer un État indépendant en Bavière, avait reçu de soitte gouvernement de la ville du Mans et de douze autres comtéscirconvoisins 2 . Ne pouvant supporter cette séquestration. Griffons'était enfui en Aquitaine (750). Pépin somma WaiI're 3e luilivrer le fugitif. Le prince d'Aquitaine refusa fièrement de coin-mettre cette lâcheté (752)'. Mais Griffon, ne voulant pas attirersur les États de son ami la vengeance de son frère, se dirigeaitvers la Lombardie, lorsqu'il périt dans un guet-apens au passage.des Alpes .

    Tous ces événements et les campagnes de Pépin en Italiepermirent à Waift'e de consolider son autorité sur les trois.Aquitaines et jusqu'en Wasconie. Durant quinze ans, son indé-

    D. Bouquet, t. li, P. 687.— Monwn, Germanix,t. XIII, p. 227. Bolland.Acta SS., t II julii. p. 313.

    2 D. Bouquet, t. Il, P. 576, 016, 080.D. Bouquet, t. V , P . 33, 335.D. Bouquet. t. V, p. 336.

  • 40HEvtJE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    pendance ne fut pas sérieusement inquiétée. Ce lut vraisern-blablement pendant ce temps que des monnaies furent frappéesà son nom, avec la. marque de l'atelier de Mdc en Poitou. M.Lecoi litre- Dupont, de Poitiers, possède dans sa riche collectionnumismatique plusieurs pièces frappées à Melle, qui portent audroit un nom abrégé dans lequel on peut récon1aitre celui deVafarius. Du reste, M. dé Loogpérier a publié un savant com-mentaire de deux deniers portant en toutes lettres le nom deW (k) FARLUS '.

    Le nouveau roi des Francs, fier dès titres qu'il avait acquis àLa reconnaissance de l'Église romaine, en la délivrant du jougdes Lombards, se posa comme le vengeur des droits desÉglises de France foulés aux pieds par le duc d'Aquitaine 2En conséqueiice, il envo ya signifier à Waifre qu'il eût à resti-tuer aux Églises de Bourgogne et d'Austrasie les biens que cesÉglises possédaient dans ses États et dont il s'était emparé (760)'.Les envoyés avaient mission de réclamer également les sujetsde leur maître rél'ugiés en Aquitaine 4.

    W'aifre répondit sans doute par une fin de non recevoir,attendu que, à l'égard des biens ecclésiastiques, il ne faisaitqu'imiter Charles Martel et Pépin lui-mème, et que son honneurlui faisait un devoir de ne pas écouter la seconde proposition.

    Cette réponse, à laquelle on s'attendait, fut le signal d'uneguerre aussi longue que sanglante, qui aboutit à la ruine del'Aquitaine, à l'oppression des Églises de cette province, et à ladestruction de la liberté politique acquise au prix de tant d'effortspar le duc Eudes et ses enfants.

    En effet, après cette réponse de Waifre. Pépin franchit laLoire près d'Auxerre, ravagea le Berry et le Poitou, et s'emparade la petite ville de Doué (T/icoclad) 5 , qui appartenait alors auduc d'Aquitaine, sur'flonfins de l'Anjou et du Poitou.

    Waifte, faignant de demander grâce, députa vers Pépin les

    1?cvucNumismat., 1858, p. 331.2 D. Bouquet, t. V, p. 4, 35:xPippinus rex cernens \Vaffariùrn duceni

    Aquitanoi'uin minime consentire justitias cectesiarum quœ orant in Francia,conci]iuln fouit cum Francis ut itor ageret supradietas justitius qurendoin Aquitania. »

    'D. Bouquet, t. \T, p. 4. 3, 63, 367.D. Bouquet, t. V, p. 4.D. Bouquet, t. V, p. 17, 35, 199, 335.

  • L'AQUITAINE SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIENS.41

    comtes Aubert et Dadin ou I3landin, lui offrit pour otages deuxAquitains illustres, Adalgaire et Aitier, et promit de réparer lesinjustices qu'on lui reprochait'.

    Sur ces assurances, Pépin repassa la Loire etregagna l'Austra-sic. où il célébra les fêtes de Noël et de Pâques au château pater-nel de Kiersy-sur-Oise;

    Mais quelle n'est pas sa colère, lorsque, l'année suivante, aumilieu dun plaid solennel qu'il tenait â Duren, il apprend que leduc d'Aquitaine, suivi des mêmes comtes de Bourges et de C l er

    -mont, s'est jeté â l'improviste sur ses ltats et a porté le fer etle feu dans tout le territoire d'Autun et jusqu'à Châlous-5urSaône 2 .Aussitôt, il rassemble ses gueiriers, se metà la poursuitedes pillards, s'empare de Bourbon l'Archambault -et de Chan-telle, dans le devant Çj._..mont , qu'il livre aux flammes, après avoir fait prisonnier lecùnTide cette cité.

    Il se dirige ensuite vers Limo ges, répandant partout la dévas-tenon dl la mort. Puis il revient à Kiersy célébrer les fêtes deNoël et de Pâques.

    En 762,nouvelle invasion en Aquitaine, dont les fruits princi-paux furent la prise de l'importante ville de Bourges et celle duchâteau de Thouars, qui, par sa position stratégique, était la clédu Bas-Poitou. Waifre avait mis dans ces deux places une fortegarnison d'Aquitains et de \ ascons. Pépin renvoya les premiersdans leurs foyers pour se les rendre favorables 1 et retint lesseconds près de lui, ainsi que les deux comtes qui avaient étéchargés de défendre ces deux places. Après quoi, il alla célébrerb Gentilly les fêtes de Noël et de Pâques '.

    Il réunit ensuite à Nevers une grande assemblée des prélats etdes seigneurs du royaume pour délibérer sur les affaires les plus -urgentes: Puis, envahissant une quatrième fois l'Aquitaine, ils'empara de Calirs et de Na1m]ne 5 , revint , par Limoges, passerles fêtes de Noël et de Pâques à Longlare, dans le diocèse deLiège.

    D. Bouquet, t. V, p. 4, 35.2 D. Bouquet, t. V, P. 5, 338.

    D. Bouquet, t. V. P. 5.D. Bouquet, t. V, P. 17, 35.

    Bouquet, t. V, p 6,18, 3 5 , 199 , 3 33-

  • 42REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.

    Pendant cette expédition Pépin avait éprouvé une cruelledéception: son neveu, Tassilon, duc de Bavière, avaitquitté l'ar-mée et s'était retiré dans ses États. On ignore le motif de cettedéfection.

    La plus grande partie de l'année 704 se passa â cornbiner,dansun plaid tenu à Worms, les moyens les plus énérgiques et lesP lus efficaces, pour réprimer la double insurrection de Waifre etde Tassilon.

    Pendant l'année 765, Pépin ne fit aucune expédition militaire.II préparait un grand coup pour l'année suivante.-

    Les hostilités ne furent cependant pas suspendues. Waifreavait établi en embuscade, sur le chemin de Nqrhonne, le comteMancion, son cousin, avec ordrè de tomber à l'improviste surles soldats de la garnison établie clans cette ville par le roi desFrancs, s'ils en sortaient pour retourner dans leur pars, commeon le croyait. C'est ce qui arriva. Mais officiers et soldats francsse défendirent si bien, qu'ils taillèrent en pièces les troupes