Kératites du chien et du chat
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PratiqueVet (2012) 47 : 590-594 (590)
Graves et invalidantes, les kératites infectieuses méritent un traitement précoce, puissant et adapté aux agents en cause et aux lésions présentes.
F. FAMOSE, DV, CES d’ophtalmologie vétérinaire
42 av Lucien Servanty31700 Blagnac
OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES
Savoir reconnaître et identifi er les
différentes lésions cornéennes d’herpès
virose féline.
Connaître les modalités de leur
traitement.
Savoir reconnaître et traiter une kératite
bactérienne.
Savoir évaluer la gravité d’une kératite
bactérienne.
RÉSUMÉ
L’infection par l’herpèsvirus félin
s’accompagne de lésions cornéennes
graves dans la phase primaire et dans la
phase secondaire de la maladie. Son
diagnostic repose sur la clinique et la
PCR. Le traitement est basé sur l’emploi
de virostatiques.
Les kératites bactériennes suivent une
lésion épithéliale et s’accompagnent
d’une destruction du stroma. Leur
traitement repose sur l’utilisation locale
intensive des anti-infectieux et si
nécessaire sur une chirurgie.
L’infection par le virus herpès félin de type 1 est fréquente chez le Chat
Kératites infectieuses
l’es kératites infectieuses sont caractérisées par une infl ammation et des lésions cornéennes de gravité variable provoquées par le développement de germes tels que virus, bactéries ou parasites.
Ces infections sont graves par l’étendue de la destruction cornéenne pouvant conduire à la cécité, par l’importance de leurs séquelles et par la douleur qu’elles causent. Pour limiter ces conséquences, il est impératif d’identifi er rapidement ces affections, d’en déterminer la cause et de débuter au plus vite un traitement.
Pathogénie
Le virus herpès félin de type 1 (VHF-1) est responsable de la rhinotrachéite féline. Cette infection est responsable d’environ 50 % des affections respiratoires supé-rieures chez le Chat.
L’infection primaire, après pénétration initiale du virus par voie nasale, orale ou conjonctivale, est caractérisée par une nécrose épithéliale débutant 48 heures après le contact initial et atteignant son maximum en 8 jours environ.
La régénération épithéliale débute à ce moment mais l’excrétion virale dans les
Confl its d’intérêts : néant
écoulements oculaire ou nasal peut per-sister jusqu’à 20 jours.
Quatre-vingt pour cent des chats atteints restent porteurs latents : le virus reste à l’état quiescent dans divers tissus ocu-laires (cornée, uvée antérieure) et dans les tissus nerveux associés (ganglion du nerf trijumeau).
Cette phase ne s’accompagne d’aucun symptôme ni d’excrétion virale. Le virus peut se réactiver chez 50 % des sujets : cette infection secondaire est favorisée par le stress, les maladies intercurrentes ou une corticothérapie prolongée
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Symptômes
> Infection primaire
Elle est plus fréquente chez le chaton ou le jeune chat non vacciné. Elle associe des symptômes de rhinite aiguë et d’in-fl ammation conjonctivale ou cornéenne bilatérale.
Isolée ou associée à l’infection conjonc-tivale, elle débute par la formation d’ulcères épithéliaux dendritiques carac-téristiques qui confl uent pour former des ulcères “en carte de géographie”. Elle évolue favorablement en deux à trois se-maines. Les complications bactériennes existent et l’ulcère s’étend alors au stro-ma cornéen.
> Infection secondaire
Elle survient lors de la réactivation virale chez le chat adulte, même vacciné. Elle
peut être inapparente ou se traduire par une kératite ou une conjonctivite le plus souvent unilatérale sans signe de rhinite. Un écoulement marron-rouge peut per-sister plusieurs mois :
■ kératite ulcéreuse d’évolution chronique ou récidivante qui peut se compliquer d’une nécrose stromale ;
Photo 1. Kératite stromale chez un chat adulte. Œdème cornéen centralavec vascularisation périphérique abondante. Noter l’absence d’ulcérationcornéenne.
Photo 2. Séquestre cornéen félin chez un persan de 5 ans. Le séquestre est superfi ciel et la cornée périphérique est claire.
Photo 3. Symblépharonchez un chaton. Adhérenceentre le corps clignotant etla face postérieure des paupières avec disparitiondes culs de sacconjonctivaux.
■ kératite interstitielle : le plus souvent unilatérale et isolée, elle correspond à une réaction immunitaire consécutive à la présence du VHF-1 dans le stroma cornéen mais dont le mécanisme est ac-tuellement mal connu. Les lésions d’in-fi ltration cellulaire et de fi brose stromale se traduisent par une opalescence, ainsi qu’une néovascularisation superfi cielle et profonde (PHOTO 1).
Son évolution est soit la guérison, soit la récidive, l’apparition d’un séquestre cor-néen (PHOTO 2) ou la persistance des vais-seaux et de la fi brose du stroma.
Sans traitement, elle est responsable d’un défi cit visuel.
> Les complications, séquelles et lésions imputables au VHF-1
■ Symblépharon : observé le plus souvent après l’infection primaire, il se manifeste par la présence d’adhérences conjoncti-
Figure 1. Modalités de traitement des kératites associées à l’herpès virose féline.
Infectionprimaire
• Antiviraux• Antibiotiques• Traitement
symptomatique
• Virostatiques• Gestion du stress
Infectionsecondaire
• Corticoïdes• Ciclosporine• Virostatiques ?
Kératitestromale
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Les kératites bactériennes correspondent à une surinfection d’une lésion de la surface de la cornée
vales tarsales sur la cornée, la membrane nictitante ou les paupières (PHOTO 3).
■ Occlusion des points lacrymaux ;
■ Vaisseaux cornéens “fantômes” ;
■ Insuffi sance lacrymale : le VHF-1 est la première cause de kérato-conjonctivite sèche (KCS) chez le Chat (dacryoadénite)
■ Fibrose cornéenne avec opacité irréver-sible ;
■ Séquestre cornéen et la kératite éosino-philique.
Diagnostic
> Diagnostic différentiel
Il est à faire avec les kératites trauma-tiques, bactériennes, mycosiques et par corps étranger.
> Examens complémentaires
Au plan cytologique, un infi ltrat infl am-matoire contenant des lymphocytes est évocateur. L’identifi cation virale par immunofluorescence sur les cellules conjonctivales est maintenant remplacée par la PCR (Polymerase Chain Reaction)
Tableau 1 : Molécules à activité virostatique ou adjuvante.
Molécule Dosage Prix Commentaires
Trifl uridine (Virophta® [H]) Solution 1% 4-6x/jour locale, 21 j
Env. 15 € Pas d’essai clinique contrôlé
Ganciclovir (Virgan® [H]) Gel 0,15% 4-6x/jour locale, 21 j
Env. 13 € Pas d’essai clinique contrôlé
Famciclovir (Oravir® [H]) 30 à 40 mg/kg 1 à 2 fois/jour, PO, 8 à 28 jours
Env. 35 €par semaine
Effi cacité clinique contrôlée
Interferon alpha humain (Roferon® [H])
1000 UI/jour locale 26 €/3 MUI Pas d’essai contrôlé in vivo
Interferon omega felin (Virbagen®)
Solution à 0,5 MUI/mL 3 à 5 fois par jour pendant 10 j locale
166 €/10 MUI Pas d’essai contrôlé in vivo
L-Lysine (Herpelysine®) 250-500 mg/j PO 14,5 €/ 100 MUI
Effi cacité controversée
L es kératites bactériennes corres-pondent à une surinfection d’une
lésion de la surface de la cornée : trau-matisme, corps étranger, KCS.
Elles sont plus fréquentes chez le Chien que chez le Chat, et rencontrées principa-lement chez les animaux brachycéphales ou prédisposés aux insuffisances la-crymales ou aux traumatismes oculaires.
Les germes responsables sont variés (sta-phylocoques, streptocoques, pseudomo-nas,…) et leurs propriétés d’adhérence et d’activation de métalloprotéases condi-tionnent la gravité de l’infection.
Symptômes
■ Les signes locaux sont la rougeur, l’écou-lement purulent et la perte de transpa-rence cornéenne.
■ Les symptômes sont la douleur, la pho-tophobie et le défi cit visuel.
■ L’examen ophtalmologique met en évi-dence des lésions stromales localisées (abcès cornéen) avec ulcération focale et œdème stromal périphérique (PHOTO 4).
■ Des complications de kératomalacie et parfois perforation oculaire (PHOTO 5), d’uvéite antérieure avec hypopion peuvent être notées.
Démarche diagnostiqueLe diagnostic repose sur les signes cli-niques et les symptômes de suppuration cornéenne dans un contexte d’affection cornéenne préalable.
La biomicroscopie permet d’évaluer la profondeur de la lésion. La cytologie par grattage cornéen permet une première
approche de l’agent causal qui pourra être identifi é par bactériologie ou PCR.
Les germes les plus fréquents sont Sta-phylococcus sp., Streptococcus sp. et Pseu-domonas aeruginosa [4]. L’isolement et l’identifi cation de bactéries anaérobies strictes (Clostridium sp.) ne sont pas ex-ceptionnels [5].
Traitement, pronostic et complications
Le processus de colonisation de la cornée est différent selon les germes en présence (FIGURE 2) [6].
Les enjeux du traitement sont :
■ soulager la douleur ;
■ lutter contre le développement bacté-rien et ses conséquences ;
réalisée à partir des cellules épithéliales conjonctivales ou cornéennes prélevées à la cytobrosse ou sur le tissu de kératec-tomie.
Les résultats sont à interpréter avec pré-caution: les faux positifs et faux négatifs sont fréquents [1]. En pratique, on consi-dère que toute kératite ulcéreuse féline est liée à la présence du FHV-1, jusqu’à preuve du contraire [2].
Traitement
Les modalités de traitement sont décrites dans la FIGURE 1.
Les antiherpétiques sont à la base du trai-tement. Les différentes molécules dispo-nibles sont comparées (TABLEAU 1) [3].
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Photo 4. Kératite infectieuse (Staphylococcus spp.) chez un chien. Œdème )cornéen et collagénolyse localisée.
Photo 5. Perforation oculaire (Pseudomonas spp.) chez un chien. )Collagénolyse étendue et présence de matériel irien dans la plaie deperforation.
Figure 2. processus de colonisation de la cornée selon la nature des germes en présence. IL-8 = interleukine 8.
Multiplication bactérienne Multiplication bactérienne
ToxinesToxines
LeucocytesLeucocytes
Altération réponse immune
Altération réponse immune
Lésionscornéennes
Lésionscornéennes
AdhésionAdhésion
KératocytesKératocytes
Activationenzymatique
Matriceextracellulaire
Matriceextracellulaire
Gram —
IL-8
Gram +
■ préserver ou rétablir l’étanchéité cor-néenne ;
■ limiter la perte visuelle.
> Traitement antibactérien
En pratique, l’examen bactériologique est rarement réalisé avant la mise en place du traitement.
L’antibiotique est choisi sur des critères de probabilité d’effi cacité : antibiotiques à large spectre (chloramphénicol (Oph-talon®), fluoroquinolones-ciprofloxa-cine (Ciloxan®[H])) ou à concentration renforcée (gentamicine : 9 à 15 mg/mL).
Le traitement local est instillé toutes les deux heures et l’amélioration doit inter-venir en 48 heures.
Le traitement par voie générale est sur-tout indiqué en cas de perforation ocu-laire.
> Traitement de la collagénolyse
L’utilisation d’anticollagénases (sérum autologue, acétylcystéine et EDTA (NAC® collyre)) est indiquée lors de col-lagénolyse.
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>>A LIRE...
1. Veir JK et Lappin MR. Molecular Diagnosis Assays for Infectious Diseases in Cats. Vet Clin North Am Small Anim Pract. 2010 ; 40 : 1189-200.
2. Hartley C. Aetiology of corneal ulcers - Assume FHV-1 unless proven otherwise. Journal fo Feline Medicine and Surgery. 2010 ; 12 : 24-35.
3. Maggs DJ. Antiviral Therapy for Feline Herpesvirus Infection. Vet Clin North Am Small Anim Pract. 2010 ; 40 : 1055-62.
4. Moore CP et Nasisse MP. Clinical Microbiology. In : Gelatt KN, ed, Veterinary ophthalmology. Third edition. Philadelphia : Lippincott Williams and Wilkins ; 1999 : 259-90
5. Ledbetter EC et Scarlett JM. Isolation of obligate anaerobic bacteria from ulcerative keratitis in domestic animals. Vet Ophthalmol. 2008 ; 11 : 114-22.
6. Gilmore MS et coll. Infectious keratitis. In : Levin, LA, Albert DM, eds, Ocular Disease- Mechanisms and Management. Saint Louis : Saunders Elsevier ; 2010 : 49-55.
7. Marlar AB et coll. Canine keratomycosis : A report of eight cases and literature review. J Am Anim Hosp Assoc. 1994 ; 30 : 331-40.
POINTS FORTS
■ L’herpès virose oculaire féline se manifeste par deux phases : une forme primaire aiguë bilatérale et une forme secondaire chronique unilatérale. 80 % des chats restent porteurs.
■ Le diagnostic est multiple : éléments cliniques, PCR, diagnostic thérapeutique.
■ Le traitement est adapté à la forme et repose le plus souvent sur les antiviraux dont l’intérêt clinique n’est pas toujours prouvé.
■ Les kératites bactériennes se manifestent par une destruction du stroma cornéen consécutive à une lésion épithéliale.
■ Le mode d’action des bactéries en cause varie selon leur espèce (gram+/gram -).
■ Le traitement repose sur l’élimination bactérienne et la consolidation de la cornée restante.
■ Les séquelles sont graves et invalidantes.
Les kératites mycosiques sont rares chez les Carnivores domestiques
L es kératomycoses sont des infections fon-giques de la cornée. Ces affections sont
rares et sont consécutives à des blessures cor-néennes par des matériaux contaminés (corps étrangers végétaux, outils de jardinage,…).
L’évolution est habituellement lente : la kéra-tite d’abord localisée a tendance à s’étendre lentement malgré les traitements antibio-tiques ou anti-infl ammatoires.
Les lésions les plus fréquentes sont : la douleur oculaire, l’œdème cornéen, l’ulcération super-fi cielle de la cornée dont l’épithélium prend un aspect blanchâtre (PHOTO 8).
Le traitement consiste en l’application d’anti-fongiques locaux (voriconazole 1 %, itracona-zole). Le pronostic reste réservé car la réponse au traitement est très variable [7].
> Traitement de la douleur
La douleur peut être traitée par des antal-giques par voie générale (Anti-infl ammatoires non stéroïdiens, morphiniques).
Sur un plan local, les cycloplégiques (Atropine 1 %® [H] en collyre) sont indiqués pour lever le spasme ciliaire.
> Traitement chirurgical
Lorsque le risque de perforation cornéenne est élevé ou lorsque la perforation est présente, un traitement chirurgical de la cornée doit être entrepris :
■ Par greffe conjonctivale libre ou pédiculée, partielle ou totale (PHOTO 6) ;
■ Par greffe de biomatériaux (Vetbiosis®) avant perforation (PHOTO 7) ;
Malgré la mise en œuvre d’un traitement puissant et précoce, le pronostic des kératites bactériennes reste réservé. La cicatrisation implique un degré de fi brose cornéenne dont l’intensité est plus ou moins invalidante au plan visuel. Lors de perforation oculaire, le risque d’endophtalmie et de perte de l’œil est élevé.
Photo 8. Kératomycose chez un chat. Noter l’aspect dépoli de la cornée et les dépôts blanchâtres. Noterégalement l’infl ammation conjonctivale associée.
Photo 6. Aspect d’une greffe conjonctivale pédiculée surun œil de chat (ulcère profond et étendu) un mois aprèsl’intervention.
Photo 7. Greffe de vetbiosis après kératectomie sur unchat atteint de séquestre cornéen.