Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est...

24
Le monde dans mon assiette Journée Mondiale de l’Alimentation © Belga en collaboration avec 15/10/2016 Supplément gratuit du journal Le Soir O Le bio, la solution à tout ? P.4-5 O Du producteur à l’assiette, la vie de nos aliments P.12-13 O Olivier De Schutter : Réhabilitons la cuisineP. 20-21

Transcript of Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est...

Page 1: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

Le monde dans mon assiette

Journée Mondiale de l’Alimentation

© B

elga

en collaboration avec

15/10/2016 Supplément gratuit du journal Le Soir

Le bio, la solution à tout ? P.4-5 Du producteur à l’assiette,

la vie de nos aliments P.12-13 Olivier De Schutter :

“�Réhabilitons la cuisine�” P. 20-21

Page 2: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

795millions

Une personne sur neuf souff re de la faim dans

le monde. Soit 795 millions de personnes.

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 2

V ous voulez être un citoyen responsable ? Cela passe, aussi, par… votre assiette.

Nous sommes de plus en plus nom-breux, dans nos sociétés, à mesurer l’importance d’une alimentation saine et équilibrée. Les méfaits de la junk food ne sont plus à démon-trer… Sans même verser dans l’ex-cès de graisses et de sucres, nous sommes encore très majoritaire-ment à côté de la plaque en matière de régime alimentaire. Nous man-geons beaucoup trop de viande, de friandises sucrées ou de snacks salés, pour ne citer que quelques (mauvais) exemples. Pire : la der-nière étude publiée par l’Institut de santé publique n’indique guère d’évolution sur les dix dernières an-nées. Nous devons donc tous remettre en question notre consommation de nourriture. Il y va de notre santé… mais pas seulement. Si la planète se déglingue plus vite que jamais dans l’histoire, c’est aussi une question d’alimentation. Nous nous sommes habitués à pouvoir acheter tous les produits toute l’année, peu im-porte que les fraises de novembre traversent deux océans avant de plonger dans la crème fraîche, ou que les thons rouges disparaissent à force d’être pêchés sans limite. Crise oblige, nous faisons tous la chasse aux prix cassés, peu importe les conséquences sur l’économie et l’emploi qu’elles supposent, ou le gaspillage alimentaire qu’elles in-duisent. Nous achetons encore trop souvent sans réfl échir à l’impact de notre Caddie sur l’économie, l’em-ploi, l’environnement de nos ré-gions. Et nous sommes encore plus aveugles au sort de celles et ceux qui sont loin de nos regards, les paysans, du Nord comme du Sud, exploités, fi nancièrement, sociale-ment et humainement.

Nous ne sommes pas seuls à nous mobiliser. Au Sud aussi, les consciences s’éveillent. Le passage à une agriculture plus respectueuse de l’environnement est amorcé. Est-ce un choix pour tous ces pe-tits producteurs ? Non, car ils ob-servent d’année en année que les sols se dégradent, que l’accès à l’eau devient de plus en plus diffi cile. Dans ces écosystèmes plus fragiles que le nôtre, les eff ets de nos ac-tions se font plus rapidement sen-tir. C’est donc tout un mode de pro-duction qui est à réinventer, là-bas aussi. Mais cela nécessite souvent des formations et un suivi person-nalisé. Dans un monde désormais globalisé où la pollution et les chan-gements climatiques ne s’arrêtent plus aux frontières, la solidarité est devenue une nécessité. Une solida-rité bénéfi que à tous.

Que faire donc ? Agir ! C’est tout le sens de ce supplément, fruit d’une collaboration entre Le Soir et Iles de Paix. Nous rappeler que cha-cun de nos choix pèse. Que chacun d’entre nous peut consommer de manière plus durable, plus respon-sable. En privilégiant les produits locaux, les fi lières bio, les circuits courts, en limitant les quantités, en contrôlant les provenances. Cela ne prend pas nécessairement plus de temps, cela ne coûte pas forcément plus cher, mais cela procure beau-coup de plaisir, celui de rencon-trer les producteurs, de découvrir de nouvelles saveurs, de tester de nouvelles recettes. Un geste citoyen majeur pour la planète et ses habi-tants. Que les politiques devraient prolonger, encourager, développer.

CHRISTOPHE BERTI ET LAURENCE ALBERT

ÉditoChristophe Berti, rédacteur en chef du SoirLaurence Albert, directrice générale d’Iles de Paix

© R

epor

ters

Page 3: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

A ussi, bien que les multinationales de l’agroalimentaire clament haut et fort qu’elles font tout pour ga-

rantir l’alimentation des 9,7 milliards d’hu-mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème de la faim et qu’il génère des déséquilibres ali-mentaires majeurs au sein de la population.

Qui plus est, ce modèle compromet sérieu-sement notre avenir du fait de sa contribu-tion directe au réchauff ement climatique, à la dégradation des écosystèmes, à l’épuise-ment des sols ainsi qu’à la perte de la bio-diversité. Le changement climatique, qui se traduit par des événements météorolo-giques plus fréquents et extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, et par une moindre prévisibilité des précipita-tions, entrave déjà sérieusement la capa-cité de certaines régions et communautés à subvenir à leurs besoins alimentaires. L’évolution des températures moyennes menace l’aptitude de régions entières, en particulier celles qui vivent de cultures plu-viales, à maintenir les niveaux actuels de production agricole.

Le seul exemple de la fi lière de la viande nous en dit long sur le caractère non du-rable du système alimentaire actuel. L’éle-vage industriel nécessite en eff et de très grandes quantités de nourriture et donc de grandes étendues de terres cultivables. Au total, ce sont plus de 70 % des terres agricoles qui sont actuellement utilisés directement ou indirectement pour l’éle-vage. Les impacts environnementaux de cette fi lière au rang desquels fi gurent les émissions de gaz à eff et de serre, la défo-restation et la pollution de l’eau sont évi-demment insoutenables. Or, s’appuyant sur les standards de consommation des pays riches et la démographie mondiale, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que la production annuelle de viande devrait continuer à croître de façon très rapide, passant de 268 millions de tonnes en 2010 à 464 millions de tonnes en 2050 ! Partant

de ces constats, l’Evaluation internationale des connaissances, des sciences et des tech-nologies agricoles pour le développement, commanditée par la Banque mondiale et la FAO en 2008, a tiré des conclusions sans appel. Pour les 400 experts mondiaux qui ont participé à cette évaluation, le statu quo n’est plus une option : nous devons impéra-tivement changer notre modèle de produc-tion et de consommation alimentaire.

C’est pourquoi, s’appuyant sur de nom-breuses études scientifi ques, Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’alimentation entre 2008 et 2014, n’a eu de cesse de préconiser l’adoption du modèle de l’agroécologie, le soutien à la pe-tite agriculture familiale ainsi que la revalo-risation des marchés locaux via les circuits courts. De plus en plus d’études montrent en eff et que ces options sont non seulement viables sur le plan économique mais surtout qu’elles présentent de nombreux avantages comparatifs sur le plan social (création d’emplois ruraux, rémunération équitable des producteurs, reconstruction des liens producteurs/consommateurs) et, bien sûr, sur le plan environnemental (protection des sols, de l’eau et de la biodiversité, rési-lience face au changement climatique). Ce sont également les seules options qui nous permettront de faire face au défi de l’ali-mentation de la population mondiale dans

le contexte de raréfaction des énergies fos-siles bon marché dont le modèle agro-in-dustriel actuel est totalement dépendant.

Au Nord comme au Sud, de plus en plus de producteurs et de consommateurs sont à la base d’initiatives qui démontrent que le changement est possible et qu’il est à notre portée. Qui plus est, ces initiatives sont porteuses de sens sur le plan humain. Dans notre société obnubilée par la croissance, le rendement et la compétitivité, c’est sans aucun doute ce qui a suscité l’enthousiasme du million de personnes qui a visionné cette année le fi lm Demain de Cyril Dion et Mé-lanie Laurent.

C’est donc cette voie prometteuse de l’agroécologie que les ONG belges membres de la Coalition contre la faim ont décidé de soutenir et défendre par leur action tant au Nord qu’au Sud. C’est également dans cette perspective que l’association Iles de Paix fondée par Dominique Pire (prix No-bel de la paix en 1958) a décidé de s’associer au journal Le Soir pour vous off rir ce dos-sier spécial intitulé “ Le monde dans mon assiette ”. Nous vous en souhaitons bonne lecture.

OLIVIER GENARD,

Le monde dans mon assiette À l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation ce 16 octobre, il convient de rappeler que, malgré tous les efforts réalisés au cours de ces dernières années, 795 millions de personnes continuent à souffrir de sous-alimentation chronique dans le monde . En même temps, suivant l’Organisme mondial de la santé (OMS), plus de 1,9 milliard d’adultes sont aujourd’hui en surpoids et, parmi eux, 600 millions sont obèses (soit deux fois plus qu’en 1980).

INTRODUCTION

© Îles de Paix

Responsable de l’appui stratégique et du suivi des résultats

des programmes Iles de Paix

Page 4: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 4

Faut-il acheter des produits bio qui viennent de loin ? Est-ce que le bio coûte forcément cher ? Focus sur un secteur en pleine expansion.

REPORTAGE

L e bio a le vent en poupe. En Wallonie, au 31 décembre 2014, on comptait 1 287

agriculteurs bio. Soit un agricul-teur sur dix ! En un an, ce nombre a augmenté de 7,7 %. En Flandre, entre 2008 et 2012, les surfaces cultivées en bio ont augmenté de 41 %. Enfi n, en Europe, en 2013, le bio représentait 5,7 % des sur-faces agricoles utiles. Soit environ 11 millions d’hectares. Les grandes surfaces ont bien compris l’attrait des consommateurs pour le bio et ont rapidement emboîté le pas aux petites épiceries spécialisées. Du bio, on en trouve partout, mais il soulève quelques questions. Ainsi, est-il bien raisonnable d’acheter des produits bio qui ont parcouru des milliers de kilomètres en avion ? Certains diront que ce qui compte avant tout, c’est leur santé. D’autres s’interrogeront sur l’impact envi-ronnemental d’une fi lière qui a jus-tement pour principe de respecter la planète. “ Le client associe souvent le bio au local ”, observe Ho Chul Chantraine, administrateur délégué d’Agricovert, une coopérative qui propose des paniers de fruits et lé-gumes.

Chez Agricovert, on défend une agriculture paysanne bio. “ Cela va beaucoup plus loin que le label bio. Ainsi, nous ne proposons que des produits de saison. Il faut savoir que les légumes de saison ont leurs raisons. Les choux présents en hi-ver sont très bons pour l’immunité, par exemple ”, note-t-il. C’est aus-si ce que défend Serge Peereboom ( voir par ailleurs ). Chez Agrico-vert, on observe l’intérêt croissant pour le bio. Il y a cinq ans, la coo-

pérative comptait 19 producteurs. Aujourd’hui, ils sont au nombre de 30. “ Les producteurs qui rejoignent la coopérative ont deux ans pour se convertir au bio. Nous souhaitons soutenir ceux qui veulent se lancer ”, poursuit-il. Le nombre de clients a également augmenté. Aujourd’hui, Agricovert vend 500 équivalents paniers par semaine. Plus de dix tonnes de fruits et légumes tournent dans la coopérative chaque semaine.

Et à ceux qui arguent que le bio est cher, Ho Chul Chantraine rétorque que, pour 9 euros, on peut avoir un panier de fruits et légumes pour une semaine. “ L’alimentation est accessible à tous. Mais il y a une réappropriation à se faire. Actuellement, on dit que le loyer est la priorité numéro un dans le budget, suivi par la santé, les loisirs et enfi n l’alimentation. Pour nous, l’alimentation – qui est liée à la santé – doit venir en deuxième place. Le problème, c’est que les gens ne savent plus cuisiner. Si on mettait des cours d’alimentation obligatoires à l’école, les gens auraient de meilleurs réfl exes. Les restaurateurs ont aussi un rôle à jouer en proposant des plats qu’on peut cuisiner avec les produits de saison ”, pense Ho Chul Chantraine.

Enfi n, par rapport au rendement de l’agriculture bio, les études montrent que le bio, parce qu’il op-pose à la monoculture de l’agricul-ture conventionnelle des cultures variées, aura de meilleurs résultats en cas de contraintes environne-mentales.

VIOLAINE JADOUL

“ L’alimentation bio est accessible à tous ”

32,5millions

C’était le nombre d’hectares de culture bio dans le monde en 2013

© René Breny

Page 5: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

I l est inattendu, ce champ rempli de choux, de salades ou encore de carottes. Un coin de verdure en bordure du Zo-

ning Nord de Wavre. À deux pas d’une énorme fi rme pharmaceutique, ici on cultive fruits et légumes sans recourir aux produits chimiques. Du 100 % naturel. Pour parve-nir au champ, il faut passer derrière une en-treprise qui vend des chaussures et franchir un parking. Là, on découvre deux serres qui accueillent les dernières tomates de la sai-son, des poivrons et des aubergines. Un peu plus loin, deux conteneurs servent à stocker la récolte et à constituer les paniers de fruits et légumes vendus chaque semaine. L’as-sortiment annonce l’hiver, avec de belles nuances de verts et, ça et là, quelques taches mauves des salades.

Un métier qui a du sensC’est au milieu de ces légumes qu’on trouve Quentin et Charlotte Lefebvre. Un frère et une sœur qui ont décidé de se reconver-tir dans le maraîchage. C’est Quentin qui a sauté le pas en premier en suivant une formation au maraîchage bio au Crabe à Jodoigne. “ Je souhaitais un métier qui ait plus de sens. Je voulais être plus proche de la nature et faire un boulot manuel ”, explique-t-il. A l’issue de sa formation, il a trouvé ce champ en location et a emmené sa sœur dans l’aventure. C’est ainsi qu’est né le pro-jet “ Tomate chérie ”. Depuis janvier 2015, ils louent un hectare mais n’en cultivent que 35 à 40 ares, déjà une belle surface à gérer à deux. Et elle leur permet de composer de 80 à 100 paniers de fruits et légumes chaque semaine. Quentin met en pratique les ensei-gnements reçus lors de sa formation. Pour le reste, tous deux apprennent par essais et erreurs. Et ça leur réussit ! “ C’est la deu-xième saison et on ne s’est pas trop mal dé-brouillés ”, sourit Quentin. “ Il y a quelques plantations qui n’ont pas fonctionné mais nous sommes fort dépendants de la météo. Il faut prendre du recul et se dire qu’on ne peut pas tout maîtriser ”, estime-t-il. Char-lotte et Quentin ont bénéfi cié d’une cou-veuse d’entreprises pour se lancer. Cela leur a permis de limiter les risques. Lui travaille

à temps plein, elle à mi-temps. “ Si on n’est pas trop gourmands en salaire, c’est un bou-lot qui peut rapidement nourrir. On gagne moins qu’avant mais on est plus épanouis. Le soir, on est fatigué, une bonne fatigue ”, note Quentin.“ Tomate chérie ” est en voie d’être certifi ée bio. Il faut en eff et trois ans pour obtenir le label. “ C’était une évidence de travailler en respectant les règles du bio mais pas forcé-ment de se certifi er. Le label sert surtout à rassurer les gens et à vendre aux magasins. Mais il y a d’autres systèmes qui se mettent en place ( comme le SGP, voir par ailleurs ) dans lesquels je me retrouve encore davan-tage. Et puis, une fois que les gens nous connaissent, ils voient comment on tra-vaille. On n’a alors pas besoin d’un label ”, estime Quentin.

Un rôle d’éducationLa rencontre avec les consommateurs est primordiale pour Quentin et Charlotte. “ Une relation de confi ance se crée. On essaie de voir ce qui plaît, annonce Charlotte. Il faut trouver le bon équilibre entre le fait de proposer des choses nouvelles et le fait que cela reste gérable pour les gens. Mais nous avons un rôle d’éducation aussi. ” Ainsi, cette année, “ Tomate chérie ” propose pas moins de huit courges diff érentes. “ Mais nous mettons des photos sur Facebook pour expliquer de quoi il s’agit et nous postons

quelques recettes. Il faut faciliter le change-ment d’habitudes ”, poursuit Charlotte. La visite se termine par une dégustation de deux types de tomates : une noire de Crimée au goût fumé et une cornue des Andes à la saveur plus sucrée. Le grand-père de Quen-tin et de Charlotte cultivait des tomates il y a cinquante ans. Le nom du projet est-il un clin d’œil à l’aïeul ? “ C’est au niveau de ces fruits que la diff érence est la plus fl agrante en matière de goût. Entre une tomate cueillie bien mûre et une tomate achetée en magasin qui a été récoltée verte et qui a mûri en ma-gasin ”, souligne Quentin. Ils ont donc vou-lu faire connaître le vrai goût des tomates et montrer qu’il était possible d’en cultiver en Belgique. “ Elles poussent bien, c’est juste que la saison est moins longue ”, précise-t-il. Les tomates sont cultivées en serres mais celles-ci ne sont pas chauff ées.

Chez “ Tomate chérie ”, on est persuadé qu’on pourrait faire vivre la population avec de petites exploitations comme celle-ci. “ Rien qu’à deux on fait vivre 200 à 250 personnes ”, déclare Quentin. “ Il faudrait encore davantage d’éleveurs bio, d’abattoirs dédiés au bio… Il y a encore des progrès à faire mais la Belgique a du potentiel pour être autonome. On l’était avant, alors pour-quoi pas dans le futur ? ”

VIOLAINE JADOUL

“ Tomate chérie ”, la conversion d’un frère et d’une sœur au maraîchage bio

Charlotte et Quentin cultivent un champ en bordure de Wavre. Ils veulent faire redécouvrir aux gens le vrai goût des légumes grâce à leurs paniers. Et notamment à leurs tomates.

REPORTAGE

© René Breny

Page 6: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

165,6L’indice de la FAO des prix

alimentaires s’affi chait à 165 points en août 2016. Il était à 155 en août

2015 et à 240 en avril 2011.

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 6

Page 7: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

Éloigner les spéculateurs des marchés alimentaires

Pour éviter de nouvelles « émeutes de la faim », la spéculation alimentaire doit être bannie, plaident de nombreuses ONG. Les réglementations tardent à entrer en vigueur. Depuis 2011, les prix sont retombés. Mais une étincelle pourrait provoquer une nouvelle flambée.

L ’Histoire se souviendra que c’est en 2007-

2008 qu’éclatèrent les premières émeutes de la faim du XXIe siècle. Dans plusieurs pays d’Afrique, du sous-continent indien, d’Amérique centrale et du Sud-Est asiatique, les populations

descendent dans les rues des grandes villes pour protester contre la flambée des prix des denrées alimentaires. Relativement stables pendant les années 1990, ceux-ci s’emballent à partir de la deuxième moitié des années 2000 : entre juin 2007 et juin 2008, l’indice des prix des produits alimentaires de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ( FAO ), qui compile les cours mondiaux de la viande, des produits laitiers, des céréales, des huiles et du sucre, grimpe de 43 %. Pour les seules céréales, la hausse est de 75 %. De quoi provoquer la colère des citoyens des pays les plus pauvres. Une colère qui resurgira à peine trois ans plus tard, en 2010-2011, lorsqu’une nouvelle et brusque envolée des cours provoque encore une fois des émeutes.

Les hedge funds se déportent sur les matières premières Les causes de ces explosions des prix sont multiples : accroissement de la population, mauvaises récoltes dues à des événements climatiques, faible niveau des stocks, flambée concomitante des prix des produits pétroliers… Rapidement pourtant, c’est une autre responsable qui est pointée du doigt : la spéculation ! Chassés de leur dernier terrain de jeu ( l’immobilier ) par la crise des “ subprimes ”, banques, “ hedge funds ” et autre fonds d’investissement se seraient massivement déportés vers les matières premières ( “ commodities ” ), y compris agricoles, augmentant d’autant la volatilité des prix. Pour ce faire, ils

disposent d’instruments toujours plus sophistiqués comme les produits dérivés ( OTC ) ou les fonds indiciels ( ETF ), sortes de “ paniers ” de matières premières diverses. Des fonds qui ont gonflé ( jusqu’à dépasser les 300 milliards de dollars en 2008 ) parallèlement à la hausse des cours. De là à voir les premiers influencer les seconds, il n’y a qu’un pas. Selon la FAO, les spéculateurs seraient à l’origine de 60 % des fluctuations des prix sur ces marchés. Notons que d’autres études concluent pourtant à l’absence d’impact des “ financiers ” sur les cours des produits agricoles.

Une autre arme, le “ name and shame ” Peu nombreux toutefois sont ceux qui nient le caractère moralement très discutable de ces investissements sur des marchés affectant la survie de centaines de millions, voire de milliards d’êtres humains ( producteurs et consommateurs ). “ L’agriculteur a toujours spéculé, rappelle Jean-Jacques Grodent, responsable de l’information chez SOS Faim. En fonction des perspectives de marché qu’il anticipe, il choisit quel produit il va cultiver. En langage agricole, on parle d’ailleurs de “ spéculation ” pour désigner ce choix. Mais si la spéculation est purement financière, c’est-à-dire qu’elle n’a aucun lien avec les produits et les quantités échangées, elle n’apporte rien de bon à l’équilibre du marché. Il y a constitution d’une bulle détachée de la valeur objective des biens à disposition. ”

C’est contre cette forme de spéculation-là que, dès 2008, Etats et organisations internationales ( Etats-Unis, G20, Union européenne ) ont annoncé vouloir lutter. Des annonces suivies, jusqu’à aujourd’hui, de peu d’effets. En Europe, la directive Mifid II qui doit apporter une plus grande régulation des marchés d’instruments financiers n’entrera en vigueur que le 3 janvier 2018. Et parmi les ONG, des voix s’élèvent déjà pour dénoncer

une réglementation qui ne sera pas suffisamment restrictive.

“ On n’a pas avancé du point de vue réglementaire, déplore Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11. Alors on a utilisé une autre arme, celle du “ name & shame ” ( “ nommer et couvrir de honte ” ). ” En 2013, plusieurs ONG ont publié un rapport dénonçant les banques belges qui proposaient des produits d’investissement dans les marchés agricoles à leurs clients. “ On a dévoilé leurs pratiques, et la plupart d’entre elles ont fait marche arrière en retirant ces produits de leur gamme, pour des raisons d’image et de marketing, explique Arnaud Zacharie. Mais certaines banques continuent de spéculer pour leur compte propre. ”

Le spectre d’une nouvelle crise Pour l’heure, ralentissement économique oblige, les prix des matières premières ont plutôt reflué. Mais ça ne veut pas dire qu’une nouvelle crise alimentaire n’est pas possible. “ Il y a pas de gros déséquilibre entre l’offre et la demande à l’heure actuelle, constate Jean-Jacques Grodent. Les spéculateurs ne sont donc pas aussi actifs qu’en 2008 et 2011. Mais ils n’attendent qu’un événement déclencheur, comme une sécheresse, pour revenir. ” C’est pourquoi, au-delà de l’aspect réglementaire, les ONG plaident pour une “ exception ” alimentaire à la libéralisation des marchés, pour permettre aux pays les plus fragiles de retrouver une véritable souveraineté alimentaire, via des mécanismes de régulation et d’intervention des Etats sur les marchés ( ce qui est interdit par l’Organisation mondiale du commerce – OMC ), ainsi que des mesures de soutien aux producteurs et d’investissement dans une production agricole diversifiée.

BERNARD PADOAN

ANALYSE

Jean-JacquesGrodent, Directeur de l’information chez SOS Faim.

Page 8: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

“ Il ne faut pas attendre que le système soit parfait pour agir”

Peut-on consommer équitable, responsable et durable�? Pas si simple, mais possible, selon le professeur Eric Lambin, géographe à l’UCL et à Stanford, qui vient de publier “ Le Consommateur planétaire ” ( éditions Le Pommier ).

D ans un monde où l’industrie agroalimentaire est dominée par des multinationales

planétaires, le citoyen consommateur peut-il vraiment consommer de manière responsable et durable ? Ou est-il nécessairement destiné à tomber dans les chausse-trappes de produits qui ont fait deux fois le tour de la terre avant d’arriver dans son assiette, comme ces crevettes grises d’Ostende décortiquées au Maroc grâce au vil prix du transport de fret aérien ? Eric Lambin, géographe à l’UCL, répond à ces questions dans un livre éclairant, Le Consommateur planétaire. Nous l’avons rencontré.

Vous décrivez un monde devenu “ complètement plat ” grâce au faible coût du transport, qui permet d’externaliser la pollution et la charge de la production à des milliers de kilomètres. Là où nous ne voyons plus les conséquences de nos choix…

Quand nos ancêtres, pour se nourrir ou se loger, dégradaient leur environnement, polluaient leur sol ou leur eau, ils en payaient directement le prix, ils savaient pourquoi la terre avait brûlé ou l’eau était devenue

toxique. Une des conséquences de la mondialisation est l’augmentation de la distance géographique et sociale entre la consommation et la production de biens. Les fi lières d’approvisionnement en marchandises qui relient producteurs et consommateurs deviennent plus complexes, impliquent un nombre plus élevé d’acteurs et traversent plusieurs pays. Les acteurs qui extraient les matières premières n’ont plus de liens sociaux et culturels avec les consommateurs de leurs produits. Les coûts sociaux et environnementaux de la consommation sont dès lors éloignés et ne sont plus directement perçus par les consommateurs, ils sont externalisés. Dès lors, la réponse des consommateurs aux impacts négatifs de leur consommation s’atténue. L’éloignement limite la connaissance des impacts et aff aiblit la motivation pour ajuster sa consommation en conséquence. Les eff ets pervers de la consommation sont rejetés dans l’ombre et ils n’inhibent pas le consommateur dans ses envies d’avoir toujours davantage de biens à moindre prix. Si vous en êtes en bateau et que vous avez un réservoir de 300 litres d’eau pour une semaine, vous allez adapter votre consommation, la fréquence des douches, l’usage de l’eau potable. Mais si vous avez un robinet qui coule sans fi n et si l’eau semble ne rien vous coûter ( ce qui est toujours une illusion ), pourquoi le fermeriez-vous ?

Eric Lambin, professeur à l’UCL et auteur de “ Le consommateur planétaire ”

ENTRETIEN

32milleUne soupe tomates-

boulettes en boîte parcourt 32.000 kilomètres

de la production au consommateur

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 8

Page 9: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

Comment alors sortir ces mécanismes de l’ombre ?

Par l’information et la conscientisation, grâce à des fi lières d’approvisonnement plus transparentes. Je suis convaincu qu’il est possible de développer un mode de consommation gratifi ant pour l’individu, à la fois socialement responsable, durable sur le plan environnemental et ouvert sur le monde, une consommation qui apporte de la plénitude sans repli sur soi et permet de partager les bénéfi ces de la prospérité à l’échelle planétaire. Une solidarité à l’échelle mondiale doit être possible, et elle doit pouvoir s’exprimer non seulement par un élan moral mais aussi par des mécanismes économiques et sociaux. Il y a une voie du milieu possible entre l’idéologie néolibérale sans régulation et l’idéologie altermondialiste “ bobo bio ”. Un marché libre, mais sous contrôle strict du consommateur informé et responsable. Sera-ce suffi sant pour promouvoir un développement durable à l’échelle de la planète ? Je ne pousse pas l’optimisme jusqu’à la naïveté. Mais il faut saisir toutes les opportunités de rendre la mondialisation plus vertueuse.

Pratiquement, que faire ? Acheter uniquement des produits belges ? Bio ? Certifi és équitables ? Les trois ?

Ce serait hélas trop simple. L’exemple de la crevette grise décortiquée au Maroc avant de revenir dans les supermarchés de la côte belge montre bien qu’acheter belge ne suffi t évidemment pas pour être rassuré. Les matières premières qui composent la plupart des biens de consommation de base proviennent des quatre coins du monde. Ce qu’il faut, c’est donc comprendre comment les produits que nous consommons sont élaborés. C’est évidemment complexe. Un simple objet comme un téléphone portable contient plus de 200 éléments. Comment savoir d’où proviennent ces composants et s’ils ont été forgés de manière équitable ? De même, diffi cile de savoir si l’un des ingrédients d’un plat préparé et cuisiné “ in Belgium ” n’a pas été élaboré de manière totalement inéquitable.

Ne peut-on pas se tourner vers les certifi cations, censées faire ce travail d’enquête pour nous permettre de dormir sur nos deux oreilles ?

C’est en eff et la voie la plus directe pour augmenter ses chances d’acheter juste. Mais il faut aussi mettre ces labels sous le feu du questionnement. Il en existe aujourd’hui plus de 400, certains ne sont pas parfaits,

d’autres pratiquent l’écoblanchiment à bon compte, notamment quand les fi rmes déclarent unilatéralement qu’elles vérifi ent leur chaîne d’approvisionnement… ou qu’elles mettent sur pied un label ad hoc qui leur convient évidemment. Tout cela induit une certaine confusion auprès des consommateurs. Heureusement, il y a aussi des sources fi ables d’information sur ces labels, comme infolabel.be ou mescoursespourlaplanete.com. Ou le site web d’Oxfam “ La face cachée des marques ” ( http://www.behindthebrands.org/fr-be ). Il ne faut pas attendre que le système soit parfait pour agir. Il faut exiger toujours plus de transparence et de clarté sur l’origine de nos biens de consommation.

Mais le consommateur n’a pas des centaines d’heures pour vérifi er si ses céréales ont été produites équitablement ou si son téléphone n’a pas été construit avec du minerai extrait par des enfants.

C’est vrai. C’est pourquoi je recommande à chacun de choisir une cause qui leur est chère et de s’y consacrer : de lire des documents à ce sujet, de savoir faire la part des choses comme citoyen-consommateur. Cela peut être le travail des enfants ou les ressources en eau ou la biodiversité, par exemple. Et d’agir lors de ses achats en tenant compte de ce qu’il a appris. Si chaque citoyen agit comme cela, nous infl uencerons les acteurs du marché dans le bon sens, il y a aura un mouvement dont les entreprises productrices et les distributeurs devront tenir compte. Un boycott d’un produit inéquitable ou, à l’inverse, le référencement positif d’une fi lière innovante ont de véritables impacts sur la planète. Mais il faut aussi avoir le courage de faire ce que l’on dit. Plus de 90 % des gens affi rment, dans les sondages, qu’ils sont prêts à modifi er leur comportement d’achat pour des fi lières équitables et responsables. Mais la demande actuelle n’atteint pas les 10 %. Il y a donc une grosse diff érence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait.

FRÉDÉRIC SOUMOIS

“�Choisir les produits du terroir�? Une idée trop simple�!�”Une des voies n’est-elle pas d’acheter des produits du terroir planétaire, comme le quinoa ou l’açaï, un fruit tropical aux multiples vertus de santé�?C’est l’une des réponses, mais attention une fois encore aux idées trop simples�: l’intégration dans l’économie mondiale de petits producteurs de régions reculées et marginales peut, en théorie, contribuer à les sortir de la pauvreté et à préserver leur environnement naturel. Mais si un ensemble de conditions ne sont pas réunies, ils ne tirent que très peu de bénéfi ces sur les plans économique et social, et leur environnement naturel peut être rapidement dégradé. Cela a été le cas pour certains producteurs d’huile d’argan, dans le sud-ouest marocain. Par contre, des études ont montré que les producteurs de baie d’açaï au Brésil, de safran en Iran et de champignons chenille au Tibet ont profi té fi nancièrement du commerce international, jusqu’à 70 à 90 % de leur revenu global. Pour que cela ait des chances de fonctionner, il faut que les producteurs locaux soient propriétaires de leur terre, que la fi lière ne comporte pas trop d’intermédiaires, ni de situation de monopole et qu’on instaure une distribution équitable des bénéfi ces. Des politiques peuvent également contribuer à stabiliser les prix et à augmenter les profi ts pour les producteurs, afi n d’éviter que l’essentiel de la marge bénéfi ciaire soit accaparée par les intermédiaires ou fl uctue trop au gré des aléas climatiques. En plus des producteurs, les détaillants jouent un rôle important, car ils développent l’image du “�produit de niche�” auprès des consommateurs fi naux, ce qui en fait précisément sa valeur. Identifi er un nouveau produit, en voir le potentiel commercial et amorcer la demande pour ce produit nécessitent un esprit d’entreprise. Toutefois, sans régulation ni certifi cation “�commerce équitable�”, le risque est très important que les intermédiaires captent une part disproportionnée des marges bénéfi ciaires aux dépends des producteurs.

FR. SO

Le consommateur planétaire, Eric Lambin. Edition Essai Le Pommier

Page 10: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 10

Bons pour la santé, le goût et la planète ?

Yvan Larondelle, professeur à l’UCL

L e professeur Yvan Larondelle de la faculté des bioingénieurs de l’UCL,

lui, ne rêve plus. Il tente justement de combiner le développement de nouveaux aliments-santé avec la valorisation et, dès lors, la préservation des écosystèmes riches de biodiversité. “ Les vrais super-aliments doivent à la fois off rir une qualité nutritionnelle élevée et des impacts positifs sur la santé, mais aussi se caractériser par une empreinte environnementale faible, voire dans certains cas positive. ” Mais les super-aliments d’Yvan Larondelle et de son équipe de recherche ne sont pas nécessairement exotiques.

Un bel exemple concerne le lait de vache. Avec ses collègues Michel Focant ( UCL ) et Eric Froidmont ( Centre wallon de recherches agronomiques – CRA-W ), le professeur a élaboré une démarche alimentaire naturelle pour produire un lait “ mieux gras ” et dont l’empreinte environnementale est fortement réduite. En intégrant la graine de lin, source d’acides gras insaturés, dans l’alimentation des vaches, et en sélectionnant mieux

la ration alimentaire de base, les chercheurs sont parvenus à créer un lait « santé ». Le produit est riche en acide ruménique, un acide linoléique conjugué (CLA) vraisemblablement anti-cancer, antidiabétique, antiathérogène (ndlr., qui réduit les conséquences d’un excès de choléstérol) et immunostimulant (jusqu’à 7 fois plus concentré que dans le lait classique), il contient des acides gras oméga 3 (4 fois plus) et est nettement moins chargé en acides gras saturés athérogènes (moins 50 %). Cerise sur le gâteau, cette stratégie alimentaire diminue de 20 % les rejets de méthane et réduit de manière substantielle l’utilisation des matières azotées comme les protéines. Bon pour la santé, bon pour le climat et bon pour le portefeuille du fermier européen tellement malmené ces dernières années.

Mais c’est surtout autour de la planète, et en particulier au Brésil, que le professeur Yvan Larondelle, son équipe de recherche et ses étudiants de la faculté des bioingénieurs “ AGRO Louvain ” pistent des plantes aux vertus étonnantes : au Brésil, la forêt amazonienne mais aussi l’écosystème du Cerrado recèlent des trésors de biodiversité, menacés par la surexploitation et l’agrobusiness. Parmi ces trésors, des centaines de plantes dont les propriétés sont inconnues, ou qui

Et si on eff açait, d’un coup de baguette magique, la malbouff e, qui engraisse les grands groupes agroalimentaires plus soucieux de payer un dividende à leurs actionnaires qu’à faire progresser la santé humaine�? Et si on trouvait des “�super-aliments�” qui combinent des qualités pour la santé avec une fabrication équitable et durable�? Si on rêvait�?

INNOVATION

90%En 2015, 90%

de la production OGM de la planète se déroulait dans

des pays en voie de développement

© P

hoto

new

s

Page 11: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

ont été peu à peu oubliées, balayées par la mondialisation de l’alimentation. C’est ainsi que l’açaï, le fruit d’un palmier amazonien, dont le jus est gras et fi breux, n’était utilisé que localement, dans la région du Pará dans les années 1990. Les recherches ont rapidement montré que ce jus contenait des quantités exceptionnelles de composés phénoliques aux vertus antioxydantes. “ Un grand verre de jus contient environ 1 gramme de composés phénoliques, c’est-à-dire l’équivalent de la dose ingérée avec cinq portions de fruits et de légumes, explique le professeur Larondelle. Nous avons mis en évidence chez des volontaires que la prise de 350 ml de jus de ce fruit, pendant 28 jours, diminuait de moitié le niveau d’oxydation des LDLs circulants ( le “ mauvais cholestérol ” ) chez les individus sensibles. Or on sait que les LDLs oxydés sont à la base de la formation des plaques d’athérosclérose. ”

Avec les collègues de l’université fédérale du Pará, à Belém, les chercheurs de l’UCL ont travaillé sur la conservation du jus d’açaï, ont optimisé sa récolte, ont élaboré des produits dérivés. Tout cela a largement contribué à donner des lettres de noblesse internationales à l’açaï, classé aujourd’hui comme “ super-fruit ”, vendu dans tout le Brésil et largement exporté. On le retrouve dans des produits distribués dans le monde entier. “ La plante ne pousse que sur place dans un écosystème particulier et il est peu envisageable d’en faire des plantations massives, qui mettraient potentiellement en péril la biodiversité de la forêt… et les revenus des petits fructiculteurs locaux. Mais c’est une menace qu’il faut surveiller. En tout cas, pour le moment, les paysans locaux ont augmenté de quatre fois leur prix de vente et peuvent entrevoir un meilleur avenir ( scolarité, accès à la santé... ). Ils ont aussi le sentiment de compter à l’international puisqu’ils sont les seuls au monde à produire ce jus santé. ”

Les super-aliments ont le vent en poupe, l’intérêt des consommateurs est grandissant et les initiatives agroalimentaires vont dès lors un peu dans toutes les directions. “ Il convient de garder un regard critique sur les nouveaux produits qui colonisent notre marché. Après avoir tenté de laver plus vert, certains n’hésitent pas à surfer sur la nouvelle vague de l’aliment-santé sans se préoccuper de l’équilibre alimentaire ou des impacts environnementaux et sociétaux ”, commente Yvan Larondelle.

FRÉDÉRIC SOUMOIS

Simple comme un œufAméliorer son cholestérol en mangeant des… œufs, pourtant réputés chargés en cholestérol�? C’est en tout cas ce que prétend la fi rme Columbus, qui a “�inventé�” cet œuf depuis presque vingt ans. Cet œuf aurait la particularité de garantir un parfait équilibre entre les acides gras insaturés oméga-6 et oméga-3. Le rapport est de 1/1, alors qu’il est de 20 pour 1 dans les œufs classiques. L’alimentation est notamment enrichie en graines de lin. Et les poules Columbus ne mangent pas de maïs, source de ces oméga-6 dont notre alimentation est déjà trop riche. Cet équilibre retrouvé régulerait le cholestérol. Selon ses concepteurs, “�cela diminue le

mauvais cholestérol ( LDL ) pour augmenter

le bon (  HDL  ). Les études prouvent aussi

qu’on diminue de 15 à 30  % les matières

grasses (  “�triglycérides�”  ) dans le sang�”… Et le professeur Larondelle de renchérir�: “�Aujourd’hui, plusieurs entreprises four-

nissent des œufs riches en acides gras

oméga-3 et c’est une bonne chose. Par contre,

je peux vous dire que les innovations au niveau

des œufs ne sont pas terminées. La poule est

en eff et une magnifi que usine métabolique.

Si on lui donne les bons substrats, elle fera

le nécessaire pour mettre dans son œuf

le maximum de nutriments bons pour le

poussin… et dès lors vraisemblablement très

intéressants pour le consommateur humain.�”

Des super-fruits dans nos vergers�?

Il n’y a pas que les fruits exotiques pour nous faire rêver à une alimentation plus saine. Les vergers de nos grands-parents présentaient une belle diversité de variétés de pommes, poires, prunes et autres cerises. Et leurs cousins sauvages qui avaient colonisés nos forêts européennes depuis belle lurette augmentaient la panoplie des fruits comestibles de chez nous. Ce patrimoine précieux, préservé dans plusieurs vergers conservatoires et en particulier au Centre wallon de recherches agronomiques ( CRA-W ), ne demande qu’à nous révéler ses secrets. “�Nous criblons

actuellement des variétés anciennes de

pommes et de poires, de même que leurs

cousins sauvages, pour identifi er les individus

dont la pelure est riche en triterpènes car

il s’agit là de composés bioactifs anti-

infl ammatoires. Encore un travail collaboratif

où nos étudiants bioingénieurs de Louvain-

la-Neuve s’associent avec des chercheurs

du CRA-W et du Centre de Michamps,

mais aussi avec des collègues de la faculté

de pharmacie de l’UCL et du Luxembourg

Institute of Science and Technology (  LIST  )

pour percer les mystères de ces fruits

anciens, dans la perspective de leur donner

un nouvel avenir, hors des musées mais dans

nos vergers… et nos corbeilles de fruits�”, s’enthousiasme Yvan Larondelle. “�Gageons

que ces nouvelles pistes de valorisation de

notre patrimoine agricole ou naturel pourront

off rir de nouvelles voies de diversifi cation à

nos fructiculteurs, mais aussi aux entreprises

de transformation prêtes à nous préparer de

nouveaux jus, de nouvelles compotes ou de

nouvelles gelées avec une note santé plutôt

parfumée.�”

Une barre nutritionnelle pour concentrer les bienfaits de la nature

Deux étudiants bioingénieurs néo-louvanistes ont élaboré un nouvel aliment-santé qui se veut équilibré et concentré en nutriments�: une barre hypocalorique, satiétogène, savoureuse et surtout riche en nutriments. Ce prototype intéresse déjà des industriels wallons dont les ambitions internationales sont franchement avouées. “�L’idée est ici de constituer une matrice de

base équilibrée, riche en protéines végétales

de haute valeur nutritive, en acides gras

oméga-3 et en fi bres alimentaires solubles

et de la décliner en diff érentes versions via

l’incorporation d’extraits de super-fruits�”, explique Yvan Larondelle. “�Nous avons

voulu mettre en avant des ingrédients

de qualité déjà commercialisés par des

entreprises wallonnes réunies dans le pôle

de compétitivité Wagralim. L’originalité est

de les associer de manière optimale pour la

santé du consommateur. Et puis nous nous

faisons plaisir en ajoutant à cela de l’extrait

d’açaï et bientôt d’autres extraits de fruits-

santé qui sont dans notre ligne de mire�”, commente encore Yvan Larondelle. Et le chercheur de rêver à une large gamme de “�Waliments�” qui, “�comme sa région natale,

serait diversifi ée et ouverte sur le monde�”.

Trois exemples de « super-aliments » d’aujourd’hui ou de demain

Page 12: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 12

Déguster une bavette de bœuf a un coût. Et celui-ci n'est pas uniquement financier, mais aussi environnemental. La viande bovine poursuit un long circuit, entre le moment où la vache paît dans son champ et où le steak arrive dans notre assiette.

Modes de transportsQuantité de CO2 émise pour le transport d’une tonne d’aliment sur une distance d’un kilomètre

Bateau 15 à 30 g/tonne/km

Train 30 g/tonne/km

Voiture 168 à 186 g/tonne/km

Camion 210 à 1.430 g/tonne/km

Avion 570 à 1.580 g/tonne/km

Le veau est engraissà l’aide de soja impoce qui peut provoquet de la pollution lié

Le produitvers les suD’abord dpuis dans accessible

Le client, lui, va se rendre au supermarché pour acheter sa viande et ensuite la ramener chez lui.

De la vache à l’assiette

15%Selon la FAO, l’élevage

représente près de 15% des émissions de gaz à effet de serre dues

à l’action humaine

Page 13: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

Depuis l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Afrique vers l’EuropeLe transport de denrées se fait par avion ou par bateau selon la rapidité avec laquelle les denrées doivent arriver à destination. Les produits frais ou exotiques le seront par avion. Tandis que les kiwis, bananes, le riz, les conserves… le sont par bateau.

De et vers l’EuropeLe transport de denrées à l’intérieur de l’Europe se fait généralement par camions

Un commerce de viande globalisé

sé. Cela se fait souvent orté de l’étranger, uer de la déforestation ée au transport.

La vache est acheminée depuis l’exploitation vers l’abattoir.

Une fois tuée, elle sera envoyée vers une usine de transformation où la viande sera découpée en morceaux, éventuellement utilisée dans des préparations puis emballée.

Les emballages, eux, ont dû être acheminés depuis un site de production vers l’usine de transformation de la viande.

t fini est envoyé upermarchés.

dans un grand dépôt s des supermarchés es au grand public.

Page 14: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

10%Au Sénégal, 10%

de la population est sous-alimentée

Cela fait des années que SOS Faim est présente au Pérou. Fin des années 1990, l’ONG belge a commencé à soutenir des coopératives de petits producteurs de café et de cacao. Quelques années plus tard, elle fait de même avec des producteurs de céréales locales.

ONG BELGE

Pérou : un grain équitable dans le café

C omme d’autres pays du Sud, le Pérou est très dépendant de l’agriculture familiale pour

nourrir sa population. Une personne sur quatre travaille dans le secteur agricole. Parmi les paysans, 83 % sont des agriculteurs “ familiaux ” qui cultivent des parcelles de moins de 5 hectares ; 80 % de leur production sont consommés sur le marché local.

Dans la Selva Central, région forestière semi-tropicale coincée entre la forêt amazonienne et les Andes, des producteurs de café se regroupent. La Florida, première coopérative soutenue par SOS Faim depuis plusieurs années, cherchait à l’époque à panser les plaies de la guerre ayant opposé le Sentier lumineux et les forces armées péruviennes. “ D’abord il s’agissait d’un soutien fi nancier, le préfi nancement de la récolte des membres de la coopérative, explique Claire Stoeckel, responsable des partenariats au Pérou et en Bolivie. Ensuite, l’aide s’est étendue à d’autres coopératives ”. Aujourd’hui, elles sont 14 qui regroupent 12 000 ménages, soit 5 % des producteurs de café et de cacao du Pérou.

Les coopératives se regroupent elles-mêmes en une “ Centrale Café Cacao Pérou ” qui apporte un appui technique à ses membres, les assiste dans la recherche de fi nancements publics, délivre des formations. Les occasions de conseils ne manquent pas : “ Les agriculteurs travaillent sur des petites surfaces, la productivité est faible. On peut l’améliorer. Par ailleurs, le Pérou est très aff ecté par les impacts du changement climatique, l’érosion des sols accentuée par la déforestation, les perturbations du régime des

précipitations. ” La démarche est la même, plus loin, dans la région andine de Cuzco où SOS Faim soutient plusieurs coopératives qui réunit des petits producteurs de céréales locales, dont le fameux quinoa. Il faut trouver les semences les plus adaptées, les meilleures techniques pour faire face à des conditions de culture compliquées, faciliter la transition vers le bio par des parcelles de démonstration, des tests pour convaincre les paysans.

De quoi améliorer le revenu des agriculteurs qui ont désormais accès à de nouveaux marchés. Dans le pays, les choses changent. L’Etat soutient davantage les produits agricoles locaux. Même s’il a moins pignon sur rue que les cafés brésilien et colombien, le grain péruvien s’exporte de mieux en mieux et surtout se consomme de plus en plus dans le pays, même si le visiteur se voit encore souvent accueillir avec un café instantané soluble… “ On sent une volonté croissante de revaloriser les produits traditionnels péruviens comme le café ou le quinoa. La nouvelle gastronomie nationale valorise ces produits et contribue à en augmenter la consommation interne. Et ici aussi, les classes moyennes et supérieures cherchent des alternatives aux produits de l’agriculture conventionnelle et aux produits importés. ”

Café, cacao, quinoa, la démarche est similaire : tendance au bio, agrofores-terie, commerce équitable, production locale, autonomie alimentaire.

MICHEL DE MUELENAERE

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 14

Page 15: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

© SOS Faim

RENFORCEMENT Dans la région de Thiès, au Sénégal, une trentaine de femmes d’horizons divers (administration, ONG, indépendantes) ont mis en commun leur savoir et leur expérience depuis 2011 au sein de l’association Référence. Le but ? Entre autres, chercher à améliorer la sécurité alimentaire des communautés locales.

Sénégal : l’agriculture familiale comme Référence

N ous travaillons avec un peu plus d’une centaine de familles, soit un millier de

personnes ”, explique Mossane N’Dour. La présidente de l’association, repré-sentante du forum social sénégalais soutenu par le CNCD-11.11.11, était de passage à Bruxelles, fi n septembre.

Objectif de l’association : renforcer la capacité de production des petits agri-culteurs familiaux, développer leurs connaissances, faire renaître d’an-ciennes pratiques agricoles, dévelop-per des circuits de commercialisation en favorisant l’adaptation aux impacts négatifs du changement climatique. Il y a là des petits éleveurs, des paysans qui produisent des légumes pendant l’hivernage… “ Tout le monde travaille en bio, bien que nous n’ayons pas la certifi cation. Les démarches sont bien trop coûteuses et nous ne nous adres-sons qu’au marché local.”

L’agriculture familiale en Afrique est un pilier de la sécurité alimentaire. Les exploitations industrielles sont pour la plupart tournées vers l’exporta-tion et ce sont les petites parcelles qui nourrissent les habitants. Le Sénégal, qui importait plus de 50 % de son ali-mentation, notamment du riz, tente de prendre le chemin d’une plus grande autonomie. Une nouvelle loi facilitant l’accès des petits paysans à la terre et garantissant le maintien sur celle-ci est en passe d’être adoptée. Il est temps. “ Les terres s’appauvrissent de plus en plus, explique Ndour. C’est le résultat d’années de monoculture de l’arachide, de l’utilisation intensive d’engrais chimiques, de l’érosion des sols due à la diminution de la couverture forestière

et à l’avancée du désert venant de Mau-ritanie. La montée du niveau de la mer entraîne également une salinisation de plus en plus importante des sols, les rendant impropres à la culture.” Avec ses faibles moyens, Référence assure la formation des paysans et un “ suivi technique de proximité ”. “ On les aide dans le choix des semences, on leur fait découvrir des bonnes pratiques an-cestrales comme les champs collectifs, une parcelle que se partagent plusieurs familles, voire plusieurs villages. Cela renforce la cohésion sociale, le chef de ménage retrouve son autorité et cela met la femme au centre du jeu, puisque c’est elle qui organise et distribue la ré-colte.”

L’agroécologie, qui enrichit le sol, est au centre des pratiques : fertilisation organique, association des cultures, as-solement (rotation des cultures)… On retrouve les semences traditionnelles. On plante des dizaines de milliers d’arbres, notamment des anacardiers (pommiers-cajous) à la triple vertu : protection contre le vent et l’avancée du désert, récolte de la noix de cajou et source de bois. Le résultat : tomates, aubergines, manioc, piment, niébé (un haricot local), fruits, volailles prennent chaque jour le chemin du petit marché bio du samedi dans la ville de Thiès. “ On nous traitait de rêveurs au début. Mais la demande de produits bio est plus forte que l’off re, c’est une fi lière dé-laissée par l’Etat qui promeut toujours l’agriculture conventionnelle, conclut Mossane Ndour. Et nos prix sont iden-tiques à ceux des produits convention-nels.”

MICHEL DE MUELENAERE

Page 16: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

Le Mouvement d’action paysanne soutient le développement de petites fermes qui travaillent au plus proche des consommateurs

Un label de qualité qui rapproche les producteurs et les consommateurs

J e suis paysan ! ” C’est le slogan mis en avant par le Mouvement d’action paysanne ( MAP ) qui

vient d’être désigné ambassadeur du développement durable. L’idée étant que nous devrions tous soute-nir l’agriculture paysanne ou, mieux encore, être partie prenante de celle-ci. Devenir des “ consomm’acteurs ”.“ L’alimentation est devenue sujette à spéculation comme n’importe quel bien, or elle doit être accessible à tous. Et pas n’importe quelle alimentation ”, scande Serge Peereboom, co-président du MAP. L’objectif du MAP est de “ tendre vers la souveraineté alimentaire en passant par la repaysanisation, ex-plique Catherine Tellier, secrétaire générale du MAP. Nous le faisons en intégrant de nouvelles générations de paysans via notre école. Celle-ci soutient les paysans de la formation jusqu’à l’installation. Deuxièmement, nous voulons aider ceux qui sont dans l’agriculture conventionnelle à redevenir des paysans. C’est – à – dire des gens qui nourrissent les autres. ” Ce que le MAP défend, ce sont de petites fermes travaillant au niveau local et les plus proches possible des consommateurs. Cela permet de sen-sibiliser ces derniers au travail de la terre, aux fondements de l’agroécolo-gie. “ L’agroécologie va au-delà de la production. On est dans une dimen-sion humaine, sociétale et environne-mentale. On produit de la nourriture pour les humains mais il faut le faire en respectant la nature. L’agriculture conventionnelle appauvrit les sols et contribue à la destruction des espèces ”, déclare Catherine Tellier. Aux certifi -cations bio, le MAP préfère le système participatif de garantie ( SPG ). “ Dans

le bio, on ne prend en compte que l’ab-sence de produits chimiques. C’est pas mal mais on oublie l’énergie ou les conditions sociales. C’est comme ça qu’on importe des produits bio sur de longues distances par avion ”, regrette Serge Peereboom. Le principe ? “ Il s’agit d’une relation de confi ance entre les producteurs et les consommateurs. Le SPG contient trois niveaux : le pro-ducteur entouré par des producteurs du même secteur, les consommateurs et le milieu associatif qui joue le rôle de troisième œil ”, explique le co-président du MAP. En Bolivie, où le système est fort développé, ce sont les municipali-tés qui jouent le rôle du troisième œil. “ Mais nous n’en sommes pas encore là en Belgique ”, poursuit Serge Peereboom. La garantie est donc octroyée suite à une concertation entre les trois ac-teurs. “ On trouve important que les consommateurs soient sensibilisés à ce que nous produisons. Cela permet de s’améliorer. Par exemple, en Flandre, un producteur arrosait ses cultures avec l’eau de distribution. Cela ne plaisait pas aux consommateurs car celle-ci est traitée. Ils ont donc mis en place un système pour capter l’eau de pluie et ont fi nancé eux-mêmes les travaux ”, raconte Serge Peereboom. Pour autant, le MAP ne souhaite pas mettre en place des systèmes de sanc-tions pour ceux qui ne respecteraient pas les règles. “ C’est peu productif. De nombreux producteurs arrêtent ou ne se lancent pas à cause de cela. Nous souhaitons les accompagner les pro-ducteurs. On a tous à y gagner ”.

VIOLAINE JADOUL

INITIATIVE

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 16

© Michel Tonneau

Page 17: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

Les évolutions alimentaires se marquent aussi dans les cuisines de collectivités. Un nombre croissant d’écoles, de cantines de sociétés privées, se mettent à « l’alimentation durable ».

ALIMENTATION DURABLE

E n réalité, explique Noémie De Coninck, de l’ASBL Biowallonie, de nombreuses

initiatives existent depuis un moment. La diff érence, c’est qu’au-jourd’hui on en parle beaucoup plus. ” Un concept multiforme : produits bio, achats en circuits courts, produits de saison, menus allégés en viande, lutte contre le gaspillage alimentaire, menus équitables, utilisation de céréales locales… les possibilités sont nombreuses.

La Région bruxelloise, où l’admi-nistration et le politique se sont fortement investis dans le soutien à la “ Good Food ”, a lancé un appel à projets pour octroyer un label à des cantines exemplaires. En Wallonie, une plateforme d’échange d’expé-riences et de “ coaching interactif ” des cantines scolaires par des ex-perts vient d’être créée.

“ L’engouement grandit incontesta-blement, explique Anne Thibaut, experte en alimentation durable chez Inter-Environnement Wallo-nie. Mais il ne faut pas négliger les freins ” Les habitudes ancrées, la disponibilité des produits, la pres-sion productive, la rédaction d’un nouveau cahier des charges pour les fournisseurs. Et puis, il y a les réac-tions des “ clients ”. “ Dans certains endroits, des gens se sont révoltés parce qu’en hiver il n’y avait plus de rondelles de tomates dans les sand-wichs. Dans d’autres, c’est la dimi-nution de la portion de viande qui a été très mal prise. ” Le grammage moyen de viande en collectivité se situe entre 150 et 200 grammes de viande. La recommandation de san-té tourne autour de 90 grammes…

L’auberge de jeunesse Jacques-Brel, à Bruxelles, a entamé ce che-min en 2009, en participant à un programme de formation pour “ cantines durables ”. Améliorer les menus, passer en revue les fournis-seurs… “ Cela a commencé en fai-sant passer le petit déjeuner au bio, explique Fabienne Matton, la di-rectrice. Puis on a progressé : notre auberge reçoit un public jeune et, pour des réunions, de nombreuses associations. Il nous paraissait es-sentiel de proposer quelque chose qui sorte de l’image vieillotte de cuisine de collectivité, vite faite. Et qui soit cohérent avec notre projet. On n’est plus dans la mise en œuvre de produits, il faut une aspiration, dans un autre projet. Il faut se for-mer, chercher, écouter le client. ” Au-jourd’hui, l’auberge de 170 lits, cer-tifi ée “ Clef Verte ” et en voie d’être labellisée “ Good Food ”, sert plus de 10 000 repas par an. “ Une bonne part de l’approvisionnement est d’origine biologique, même si nous ne voulons pas être des ayatollahs. Nous avons fait un gros travail de recherche pour trouver des fournis-seurs locaux, de viande en particu-lier. Toutes les préparations sont “ de saison ”, et faites maison ”. Si le prix du repas n’a pas augmenté, il a fallu intégrer des nouvelles contraintes : “ Cela demande plus de travail et de préparation de ne travailler qu’avec des produits frais. C’est plus tech-nique et, lors des coups de feu, il faut parfois renforcer l’équipe de trois personnes. Par ailleurs, il y a da-vantage de manutention et d’espace de stockage nécessaire. ”

MICHEL DE MUELENAERE

L’auberge Jacques Brel : cantine jeune, cantine durable15kg

On estime que chaque

Bruxellois gaspille 15 kilos d’aliment

par an

Page 18: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 18 Briser le ce en préserv

Fort de cinquante ans d’expérience dans la coopération au développement, Iles de Paix privilégie une agriculture familiale durable et une alimentation responsable. Son modus operandi ? Approche participative - Formation de proximité - Solutions simples et reproductibles.

ANALYSE

D ix heures du matin. Depuis plusieurs heures déjà, Barnabé et un groupe de huit paysans frappent en cadence

la terre rouge. Pliés en deux sous un soleil de plomb, les hommes fendent la terre, armés de houes : la végétation indésirable disparaît et le labour prend forme. Le champ sera bientôt prêt à recevoir les semences, après avoir été enrichi grâce au compost préparé au village. Pas de temps à perdre : les nuages gorgés d’eau arrivent, alors que la pluie se fait attendre depuis des semaines. A Boukoumbé, dans le nord du Bénin, quelques semaines de pluie sont censées satisfaire l’ensemble des cultures annuelles… Une fois le sol correctement amendé, le maïs et le soja semés en alternance sur la même terre, Barnabé pourra mieux respirer : son champ sera dans les meilleures conditions pour produire un maïs vigoureux, qui s’épanouira jusqu’à la récolte. A ce moment, la fi erté et le soulagement d’avoir de quoi nourrir sa famille l’année durant se liront sur son visage.

Des rendements triplés, sans engrais chimiques Il y a peu, des centaines de cultivateurs comme Barnabé étaient confrontés à la famine chaque année. Des conditions de vie très dures et une pauvreté extrême aff ectaient déjà la région. Mais les récents dérèglements climatiques ont encore accentué la précarité de ces communautés. Au manque d’eau s’est aussi ajouté un appauvris-sement général des sols, dû aux apports répétés en engrais chimiques. Les récoltes mises à mal, les revenus ont rapidement fait défaut dans de nombreuses familles. S’ensuivent malnutrition, endettement, déscolarisation et impossibilité de payer les soins de santé.Pour enrayer cette spirale, il était nécessaire d’agir. Iles de Paix a dès lors lancé un programme de formation en matière d’agriculture familiale durable sur un mode participatif. Comment

© Iles de paix[ Ce contenu est fourni par Iles de Paix ]

Page 19: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

rcle vicieux de la pauvreté ant l’environnement

arriver à produire plus de céréales avec moins d’engrais chimiques ? Comment faire pousser des légumes avec moins d’eau ? Pour y réfl échir, les paysans se sont rassemblés sous l’arbre du village. En débattant de pratiques observées ailleurs, quelques pistes d’expérimentation ont été choisies, comme la fumure organique et la réalisation de compost à base de bouses de vaches glanées par les femmes. En même temps, le calendrier de culture a été étudié sous un nouvel angle. Formateurs et paysans ont ensuite créé une parcelle de démonstration. Son objectif ? Apprendre aux producteurs les diff érents types de labours, la distance idéale entre les semis ou, encore, la pratique de cultures associées. Des voyages d’échanges entre cultivateurs ont également été mis en place pour favoriser le partage des meilleures techniques.Mis bout à bout, ces apprentissages ont permis à Barnabé et aux autres paysans de multiplier leur production de façon specta-culaire. Une fois le projet lancé, les rende-ments de maïs ont triplé. Résultats : de la nourriture en suffi sance pour les familles et davantage de revenus grâce aux surplus.Parallèlement au maïs, une culture ma-raîchère a été développée pour réduire les déséquilibres nutritionnels en diversifi ant

l’alimentation. Oignons, piments et autres légumes enrichissent aujourd’hui la pâte de maïs traditionnelle. Diff érents produits, transformés par les femmes du village, ont également été améliorés : fromage à base de soja, riz étuvé ou couscous de fonio de qua-lité sont désormais vendus avec succès au marché. Une activité à la fois source de fi erté et de revenus pour ces femmes, capables à présent de fi nancer les soins de santé et la scolarité de leurs enfants.

Ni argent ni cadeau La formation est une des pierres angu-laires de l’approche d’Iles de Paix : diff u-ser des techniques simples, peu coûteuses et facilement reproductibles. Même si ces techniques sont fondamentales, elles ne représentent cependant qu’un maillon du changement. L’essentiel est en eff et d’instau-rer une dynamique communautaire. C’est pour cette raison qu’Iles de Paix met en place une démarche participative avec ses parte-naires locaux : des solutions basées sur un savoir-faire local et expérimentées soi-même ont bien plus de chances d’être adoptées de façon durable.

“ Quand j’ai vu les Blancs arriver, j’ai cru qu’ils venaient “ faire leur théâtre” puis qu’ils

partiraient, comme les précédents. Ceux-ci sont restés, mais ils nous ont prévenus : ni argent, ni cadeau, seulement une promesse : de la sueur et du travail ! C’est vrai, je n’ai pas ménagé mes eff orts, j’ai dû apprendre et changer mes pratiques. Mais grâce à Iles de Paix, j’ai maintenant la main froide (ndlr : je ne dois plus tendre la main pour deman-der). Jamais je n’aurais pensé qu’un jour ma famille mangerait toute l’année à sa faim ! ”

“�Les grands embrasements naissent de petites étincelles�” Le coordinateur du programme d’Iles de Paix au Bénin aime à dire que “ le dévelop-pement du Bénin appartient avant tout aux Béninois ”.Si l’objectif d’Iles de Paix est d’améliorer à long terme les conditions de vie des popu-lations fragilisées, il vise aussi à les rendre autonomes, pleinement maîtresses de leur destin.Les cultivateurs béninois ont plus de talent et de courage qu’il n’en faut pour transfor-mer leurs rêves d’une vie meilleure en réali-té. Une impulsion a pourtant été nécessaire pour l’enclencher. C’est cette étincelle que la belle solidarité belgo-béninoise a provoquée.

Soutenez leurs projets d’avenir

Merci de verser vos dons sur BE97 0000 0000 4949avec en communication�: “�Mon assiette Le Soir�”. Déduction fi scale à partir de 40 € par an.

PÉROUVous fi nancezla formation d’une famille en agriculturerespectueusede l’environnement et en cultures rentables.

BURKINA FASOVous rendez possible la formation spécifi qued’un agriculteur àla production delégumes et l’achatd’outils nécessaires à cette nouvelle activité.

TANZANIEVous off rez un

accès à l’eau pour deux

personnes etleur troupeau.

BENINVous permettez

à une femme de se lancer et

de bien gérerune activité

rémunératrice.

24�€ 120�€

321�€50�€

Découvrez l’ensemble de nos réalisations sur www.ilesdepaix.org

Page 20: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

Olivier De Schutter est copré-sident du groupe internatio-nal d’experts sur l’alimenta-

tion durable. Entre 2008 et 2014, il a été le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Il pointe les pesanteurs de nos systèmes alimentaires et agricoles. Mais aussi leur dynamique.

Votre constat ?

Je fais deux constats, concernant les pays développés du Nord. Le premier est que nous avons vécu, depuis une quarantaine d’années, une “ transi-tion nutritionnelle ”. Celle-ci fait que nous dépendons de plus en plus de produits alimentaires transformés, notamment de plats préparés. C’est une tendance forte dans tous les pays développés et de manière croissante au sein de la classe moyenne des pays émergents. Cela a considérablement alourdi notre empreinte environ-nementale : on consomme plus d’énergie pour la transformation des aliments, pour leur transport sur de longues distances, pour leur conser-vation, etc. Cette évolution est liée à nos modes de vie, beaucoup plus pressés que par le passé. Il est para-doxal de constater que notre capacité de nous déplacer plus loin et plus rapidement a progressé, mais que nous avons l’impression de disposer de moins en moins de temps. Notam-ment du temps pour cuisiner.

Second constat ?

C’est que les modes alimentaires sont très diff érents selon les niveaux de revenus. Dans nos sociétés avancées, les revenus les moins élevés sont les plus aff ectés par la malbouff e, avec des taux d’obésité et de surpoids importants et leurs conséquences en termes de maladies cardio-vascu-laires, de diabète, etc. Cette injustice découle du fait que l’information disponible, les normes sociales dans certains milieux, ne facilitent pas un mode de vie adéquat et plus sain.

Ces évolutions sont-elles liées ?

Elles sont liées à la politique agricole productiviste des années 1950-1960 qui a consisté à accroître la produc-tion en augmentant fortement les rendements agricoles. L’industrie agroalimentaire a pu avoir accès à une matière première agricole bon marché et écouler ses produits transformés à des prix abordables. Dans le même temps, s’est dévelop-pée une off re alimentaire low cost, sous prétexte de maintenir des prix abordables pour les consommateurs les plus pauvres. C’est ce qui a accélé-ré l’épidémie de surpoids et d’obésité que nous connaissons.

Y a-t-il un espoir pour que cela change ?

Le poids des routines est extrême-ment important dans les compor-tements alimentaires. Les change-ments sont donc très lents. Pour changer de manière signifi cative, il faudrait réfl échir aux horaires de travail, à la distance entre le domicile et le travail, à la durée des navettes, à la répartition des rôles au sein de la famille : la cuisine reste considérée comme une activité féminine, donc

“ Contre les plats préparés, réhabilitons la cuisine ”

Olivier De Schutter, Coprésident du GroupeInternational d’experts sur l’alimentation durable.

3,1La malnutrition

provoque la mort de 3,1 millions

d’enfants de moins de 5 ans chaque

année

© Photonews

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 20

Page 21: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

dévalorisée et peu importante. Certes, dans certaines catégories de population, la de-mande croît pour des produits alimentaires de qualité et à prix abordable. On s’intéresse de plus en plus à la manière dont les denrées sont produites, au respect environnemen-tal et à celui des droits des travailleurs agricoles. Cela complexifie la demande des consommateurs : d’un côté, des prix bas, de l’autre, des exigences qui augmentent. La grande distribution et l’industrie de la transformation tentent de s’adapter à cette nouvelle donne. Cela dit, les consommateurs disposent en général de trop peu d’infor-mations qui leur permettraient de faire des choix éclairés. Même s’ils veulent changer, la qualité de l’information ne le permet pas.

Comment améliorer la transparence ?

Il faut par exemple plus de clarté dans l’utilisation des labels, avoir la possibilité de vérifier si ce que disent les distributeurs et les producteurs de produits alimentaires correspond à la réalité. Le consommateur est perdu face à la multiplication des alléga-tions et a du mal à faire le tri entre ce qui est crédible et ce qui l’est moins. Il faut garantir la fiabilité et la transparence en certifiant les codes de conduite, en contrôlant mieux les labels. Certains labels sont certifiés, d’autres ne le sont pas. Et même ceux le sont, ne sont pas toujours d’une fiabilité parfaite. Le moment est venu d’aller vers plus d’harmo-nisation et de contrôle de la fiabilité. Si le consommateur se rend compte qu’on abuse de sa crédulité, même les bons labels vont en pâtir.

Qu’est-il possible de faire pour changer cette situation ?

La première chose, c’est la relocalisation des systèmes agroalimentaires. C’est à cela qu’appellent les tenants de la souveraineté alimentaire. Ce qu’on peut produire chez soi pour sa consommation, il faut le faire. Ainsi, on augmente la capacité pour chaque région de satisfaire ses propres besoins. Il ne s’agit pas de tendre vers l’autarcie, mais de considérer que le commerce international doit garder une fonction subsidiaire. Cette reconstitution de systèmes agroalimentaires locaux accroîtra par ailleurs la résilience aux chocs climatiques et économiques qui s’annoncent. Pour le reste – ce que l’on ne peut pas produire chez soi, donc que l’on importe –, il faut généraliser le commerce équitable. C’est une manière de s’assurer que le commerce international bénéficie effectivement aux communautés paysannes. Le problème est qu’aujourd’hui le commerce équitable a atteint une sorte de plafond. Il a bien progressé pour certains produits,

mais par manque d’incitants fiscaux ( par exemple, des tarifs d’importation réduits ), par manque d’une information suffisante du public, il pourrait ne plus progresser beaucoup.

La troisième priorité est de permettre aux petits agriculteurs de pouvoir bénéficier de ces opportunités des chaînes mondiales d’approvisionnement. Aujourd’hui, l’agroa-limentaire d’exportation se trouve entre les mains de gros producteurs qui maîtrisent les normes, le rapportage, les contraintes sanitaires. Ce n’est pas le cas des petits agriculteurs. Ces derniers doivent pouvoir se regrouper en coopératives pour renforcer leur pouvoir de négociation, pour disposer de moyens de stockage et de transformation sur place. Il faut enfin que les standards qui sont de plus en plus imposés par les grandes firmes agroalimentaires et les grands producteurs, surtout axés sur la sûreté de la chaîne alimentaire, soient négociés avec des représentants des associations paysannes et intègrent le respect des droit des travail-leurs, le respect de l’environnement, etc.

L’agroécologie, c’est la solution ? S’impose-t-elle ?

Si l’on prend en compte le nombre de réfé-rences à l’agroécologie dans les déclarations internationales, on constate que la prise de conscience progresse, que la préoccupation pour la “ soutenabilité ” est de plus en plus partagée. Dans beaucoup de régions, les sols sont fortement érodés et dégradés par les monocultures et les abus de l’agricul-ture conventionnelle. L’agroécologie est la solution. Mais, sur le terrain, les choses progressent très lentement. Parce qu’il est beaucoup plus facile de reproduire les solu-tions classiques de la révolution verte ( les

engrais azotés, les pesticides, les semences commerciales produites par des semenciers spécialisés ) que d’opérer une transition vers une agriculture écologique. Cela suppose qu’on investisse dans la formation des agri-culteurs et des agricultrices, qu’on dispose de débouchés pour la production issue de cette agriculture. Aujourd’hui, les acheteurs cherchent des grands volumes uniformes répondant à des cahiers des charges déter-minés. L’agroécologie, c’est le contraire. C’est la diversité, le mélange. Il lui est donc très difficile de percer sur les structures actuelles de marché.

Que dire au consommateur lambda ?

Il faut lui dire de réduire sa consommation de protéines animales. Pour des raisons de santé et d’économie des ressources natu-relles, il est important de réduire la consom-mation de viande. L’impact de l’élevage industriel sur l’environnement est très important. Cela étant, il existe une viande produite à partir de l’élevage en pâturage, locale, très bonne, source excellente de protéines, de vitamines et de fer, tout à fait combinable avec le respect des principes agroécologiques. Il y a une bonne et une mauvaise viande : le problème est que les consommateurs n’ont pas la capacité de choisir, faute d’informations pertinentes et de choix. Seconde recommandation : quand on peut acheter des produits lo-caux, c’est mieux. Plus un produit a circulé sur une longue distance, moins sa qualité nutritionnelle sera élevée. Enfin, quand il s’agit d’acheter des produits tropicaux, il faut se tourner vers le commerce équi-table. Ces trois règles, on peut les suivre facilement. Ensuite, il y a un changement plus radical : réduire la consommation de produits alimentaires transformés, d’ali-ments recomposés, de snacks, de plats préparés qui contiennent très souvent des additifs visant à préserver ou à améliorer le goût, la couleur, l’attractivité et à créer une addiction par ajout de sel ou de sucre. Ces aliments fortement transformés sont peu à peu à éviter. Il faut cuisiner chez soi à partir de produits frais dont on connaît la provenance. Il faut réhabiliter la cuisine et le repas pris en commun, on cuisine d’autant plus volontiers qu’on est ensemble et qu’on mange en grande convivialité. Malheureuse-ment, la cuisine est souvent décrite comme une corvée.

MICHEL DE MUELENAERE

Page 22: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

Pour aller plus loin, des li

La faim dans le monde expliquée à mon fi lsÉditions Seuil

Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’ONU de 2000 à 2008, Jean Ziegler a sorti un 1999 un livre où il répond aux questions que lui pose son fi ls, qui sont aussi celles que se posent tous les enfants du

monde, sur la faim dans le monde. Un ouvrage didactique où le Suisse ne cache pas son indignation.

Le business est dans le préÉditions Fayard

Aurélie Trouvé, co-présidente d’Attac France entre 2006 et 2012, retrace de façon pédagogique l’essor de l’agro-business et sa mainmise sur l’alimentation. Comment les multinationales et les fonds fi nanciers en ont fait un instrument de profi t, détruisant au passage l’emploi et la

nature tout en utilisant des slogans pseudo-écologistes, voire éthiques. Le livre veut plus témoigner des luttes et alternatives qui transforment déjà nos façons de produire, de consommer et d’échanger.

Nourrir l’humanité, c’est un métierÉditions Antoine Degive

Il y eut d’abord un spectacle. Puis un livre, tout aussi fort et pourtant totalement diff érent. Le point commun : la situation des agriculteurs aujourd’hui. Comme dans le spectacle d’Art & tça, le photographe Daniel Fouss montre

des choses simples : des visages, des paysages, des pratiques, des gestes qui semblent porteurs de pratiques immuables et qui sont pourtant en voie de disparition. Dates du spectacle sur www.artetca.com/agenda.

L’Agroécologie, une éthique de vie Éditions Actes Sud

Pierre Rabhi, paysan, écrivain, penseur, est un des pionniers de l’agroalimentaire en France. Des milliers de personnes se massent pour venir l’entendre. Des personnalités comme Nicolas Hulot ou Marion Cotillard se revendiquent ouvertement de son héritage et de sa

pensée. Dans son livre “ L’agroécologie, une éthique de vie ”, le paysan-philosophe précise le sens qu’il donne à ce terme depuis plus de trente ans.

Demain Réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent

Le documentaire français sorti en 2015 est devenu un vrai phénomène de société. Réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, il a conquis le grand public et les spécialistes du cinéma en remportant de nombreux prix, dont le César du meilleur

documentaire en 2016. Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, le documentaire citoyen montre des initiatives positives dans des domaines très variés. L’agroécologie, les incroyables comestibles, la transition énergétique, l’économie circulaire…

Food Inc.Réalisé par Robert Kenner

Nominé pour un Oscar, le documentaire provocant Food inc. lève le voile sur l’industrie alimentaire américaine et ses eff ets sur la santé humaine et sur l’environnement. Des immenses champs de maïs aux rayons colorés des supermarchés, en passant par des

abattoirs insalubres, un journaliste mène l’enquête pour savoir comment est fabriqué ce que nous mettons dans nos assiettes. Derrière les étiquettes de “ produits fermiers ”, il découvre la réalité des lobbys agro-alimentaires.

À lire

À voir

LE MONDE DANS MON ASSIETTE 22

Page 23: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

vres, des fi lms, des sites...

Et maintenant nos terres Réalisé par Benjamin Polle et Julien Le Net

Ce documentaire raconte l’histoire de trois résistants à l’accaparement des terres en Afrique, trois fi gures emblématiques de la paysannerie qui défendent leurs terres et leur mode de vie face à des investisseurs étrangers. Un fi lm qui montre que

les alternatives à l’agriculture industrielle se multiplient et font leurs preuves en Afrique.

Des légumes, ça se fristouillewww.fristouille.org

Du mal à trouver une recette avec les choux Kale, ou les

radis noirs que vous découvrez dans le “ panier de légumes ” locaux de la semaine ? C’est parfois un obstacle pour ceux qui veulent manger local et de saison. Le site bien nommé www.fristouille.org donne non seulement des recettes, y compris végétariennes ou végétaliennes mais s’adapte également aux ingrédients qui se trouvent dans le frigo. C’est parfois simple, parfois pas.

Exposition Café InMucem à Marseille (France) Le Mucem de Marseille propose Café In, une exposition qui montre

près trois de cents œuvres d’art, photographies, objets, gravures, dessins,… Avec notamment un zoom sur la logique du marché du café et la mise en lumière de certains aspects moins connus : le poids des multinationales, les conséquences des crises de surproduction, l’émergence de modes nouveaux de production et de consommation plus équitables. Du 26 octobre 2016 au 23 janvier 2017 au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée.

Alimentation : restons groupéswww.groupesalimentaires.be

Envie de créer un groupement d’achats alimentaire locaux ?

À la recherche d’un groupement près de chez vous ? À la recherche d’un producteur pour compléter l’off re d’un groupe existant ? À l’inverse, vous êtes un producteur et cherchez un débouché ? Le site www.groupesalimentaires.be est l’annuaire qu’il vous faut. Les ressources sont nombreuses et mises à jour. On y trouvera également des explications sur les démarches à suivre. À visiter aussi : www.gasap.be et www.natpro.be.

À table, du champ à l’assiettewww.expo-atable.be/fr/catalogue En 2012, l’exposition “ A

Table : du champ à l’assiette ” se dressait à Tour et taxis. Elle montrait les étapes qui conduisent les aliments du champ à l’assiette. L’exposition nous en apprenait beaucoup sur nos manières de manger, de gaspiller etc. Des solutions étaient proposées et posaient plusieurs réfl exions : l’agriculture durable, produire autrement… Si l’exposition n’est plus visible, ses catalogues sont toujours disponibles avec les mêmes questions qui se posent.

Nourrir le corps et la têtewww.alimentationdequalite.be

Encore besoin de recettes ? D’un calendrier de saison, voire d’un guide de course ? Direction le site du réseau wallon pour

une alimentation durable, initiative de 19 associations wallonnes. Mais il n’y a pas que des recettes ( même celles de Carlo de Pascale ) dans la boîte à outils. Il y a également de quoi nourrir… les réfl exions. Et d’éveiller la conscience qu’une meilleure alimentation est possible, mais qu’elle ne se dessinera pas toute seule.

À consulter

Page 24: Journée Mondiale de Le monde dans mon assiette · mains qui vivront sur terre en 2050, force est de constater que le modèle qu’elles nous proposent n’a pas résolu le problème

BE97 0000 0000 49 49www.ilesdepaix.org

J’apprends à cultiversans engrais chimiques!

Si je reçois un poisson, je mangerai un jour.Si j’apprends à pêcher, je mangerai toute ma vie.

C

© Olivier Detournaij