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JEAN-JACQUES BAZIN En 1952, est publié par les presses de l'Imprimerie de Montligeon, un livre intitulé : Le chanoine Jean Bazin 1767- 1855 : la restauration du diocèse de Séez après la Révolution. La Fondation des sœurs de la Miséricorde Religieuses Infirmières à domicile. Il a été écrit par deux frères Jean et Gabriel Letourneur qui étaient prêtres. C'est une œuvre magistrale complète et scientifique puisque les sources sont bien indiquées. Jean Bazin est né à Frênes le deux avril 1767. Ce nom Bazin est très répandu dans cette commune et dans ce secteur du Bocage Normand. Tous ceux qui ont des ancêtres dans ce secteur ont des chances de trouver ce nom dans leurs quartiers. La famille Bazin est très ancienne à Frênes, elle y est citée depuis le Moyen-âge. Elle y vit honorablement et on la trouve dans toutes les couches de la société. Au XVème siècle, on sait qu'un certain Clément Bazin a épousé Catherine du Rocher une des cinq filles du baron de Frênes. D'après le dictionnaire Dauzat des noms de famille, Bazin, qui s'écrit aussi souvent sous l'ancien régime Basin, veut dire : vendeur de basin. Ce mot est une sorte de tissu ou cotonnade. Michel Bazin, le père de Jean, vit dans une certaine aisance pour l'époque puisqu'il est propriétaire. Il exploite ses quelques pièces de terre et en plus il est artisan tisserand. Dans le livre cité, il est écrit : « La maison du bourg était rustique, couverte en chaume,

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  • JEAN-JACQUES BAZIN

    En 1952, est publié par les presses de l'Imprimerie de Montligeon, un livre intitulé :

    Le chanoine Jean Bazin 1767- 1855 : la restauration du diocèse de Séez après la Révolution. La Fondation des sœurs de la Miséricorde Religieuses Infirmières à domicile. Il a été écrit par deux frères Jean et Gabriel Letourneur qui étaient prêtres. C'est une œuvre magistrale complète et scientifique puisque les sources sont bien indiquées.

    Jean Bazin est né à Frênes le deux avril 1767. Ce nom Bazin est très répandu dans cette commune et dans ce secteur du Bocage Normand. Tous ceux qui ont des ancêtres dans ce secteur ont des chances de trouver ce nom dans leurs quartiers. La famille Bazin est très ancienne à Frênes, elle y est citée depuis le Moyen-âge. Elle y vit honorablement et on la trouve dans toutes les couches de la société. Au XVème siècle, on sait qu'un certain Clément Bazin a épousé Catherine du Rocher une des cinq filles du baron de Frênes. D'après le dictionnaire Dauzat des noms de famille, Bazin, qui s'écrit aussi souvent sous l'ancien régime Basin, veut dire : vendeur de basin. Ce mot est une sorte de tissu ou cotonnade.

    Michel Bazin, le père de Jean, vit dans une certaine aisance pour l'époque puisqu'il est propriétaire. Il exploite ses quelques pièces de terre et en plus il est artisan tisserand.

    Dans le livre cité, il est écrit : « La maison du bourg était rustique, couverte en chaume,

  • une grande pièce accessible par cinq marches, au-dessus de l'étable avec écurie. On se chauffe et on cuisine à la cheminée. Dans le plant, le puits, le fournil, un pigeonnier ». Pour nous actuellement, cette description d'intérieur, nous paraît bien pauvre et pourtant c'est la vie courante et même celle de la petite noblesse rurale au XVIIIème siècle. Il est aussi écrit que Michel Bazin a fait construire à gauche de son habitation un atelier de tissage où une douzaine de personnes y fabriquent du droguet. Au premier étage, il y a un atelier de teinturerie. Cet ensemble a été en grande partie conservé et modernisé, on peut s'imaginer la famille Bazin dans ce décor.

    Dans cette deuxième moitié du XVIIIème siècle, la paroisse de Frênes compte près de 1500 habitants. Elle est composée de cultivateurs, de marchands, de journaliers, d'artisans, principalement des tisserands. Il y a trois familles nobles qui font exploiter leurs terres, mais une seule réside à Frênes.

    L'année d'avant la naissance de Jean Bazin, Charles Vautier est devenu curé de Frênes, ayant Jacques Moulin comme vicaire. Il y a aussi d'autres prêtres dans cette paroisse qui vivent dans leur famille. N'ayant pas obtenus de cure, vu qu'il n'y en a pas assez, ils sont dits obitiers pour dire les messes fondées par des familles. Mais aussi ils ont une charge importante : c'est d'enseigner à lire, écrire et compter aux enfants de cette population.

    C'est auprès de ces prêtres, que Jean Bazin appris sans doute son premier abécédaire. Dans sa bibliographie, il est écrit qu'après sa première communion, il alla vivre chez sa sœur Madame Tirard à Vassy. Dans cette ville venait d'être ouvert une école par l'abbé Claude Elisabeth-la-Coudre où il resta externe pendant trois ans. Ce jeune prêtre renommé lui donna les bases pour l'envoyer au réputé Collège Royal de Vire. Il resta cinq ans dans cette ville y terminant sa Philosophie en 1787. On lit : « C'était un fort jeune homme de 20 ans, pas très grand (1 m 68), mais trapu, solide, avec des yeux bruns, des cheveux châtains, un visage coloré. Il aimait à raconter qu'un médecin renommé s'était émerveillé en le voyant et lui avait dit : si vous voulez m'en croire, vous ne boirez jamais ni eau de vie, ni liqueur ; et je vous garantis que vous vous porterez toujours bien. Jean Bazin fut fidèle à la consigne, tant par hygiène que par vertu ; ce ne fut pas sans mérite

  • pour un garçon dont le père, toujours cultivateur et tisserand, s'était lancé dans le commerce du cidre et de l'alcool ! Que ferait-il de sa vie ? Aucune hésitation n'était possible : Dieu l'appelait au sacerdoce ».

    Vers le 15 août 1787, il se rend pour une retraite d'un mois dans la ville épiscopale de Bayeux dont Frênes dépend alors. Il choisit de faire ses études au Séminaire des Eudistes, à Caen, près de l'Université, sans doute sur les conseils de son compatriote, l'abbé Jamet, qui vient d'y terminer ses études. Le 21 décembre 1787, dans la chapelle de cet établissement, il y reçoit la tonsure et les Ordres mineurs. Ces études de théologie durent trois ans. Aux vacances 1788, l'abbé Bazin, est appelé aux Ordres de sous-diacre et le 9 octobre suivant il rentre à Caen pour une deuxième année. L'hiver qui suit se produit une terrible famine suivie de pillages et de meurtres. Les finances du royaume sont si catastrophiques que Louis XVI se décide à convoquer les Etats Généraux, ce qui passionne les esprits.

    Aux vacances de 1789, Jean Bazin rentre à Frênes et c'est là qu'il apprend la prise de la Bastille qui a eu lieu le 14 juillet. Le 4 août suivant c'est l'abolition des privilèges. C'est le début de la Révolution, mais la famille a d'autres soucis à ce moment là puisque Marie Buffard, la mère de Jean est gravement malade. Elle meurt le 16 août suivant à l'âge de 51 ans, ayant eu huit enfants ; son dernier fils n'a que 12 ans. En octobre 1789, Jean Bazin retourne au séminaire de Caen pour sa dernière année. Les cours reprennent normalement mais en novembre suivant les biens du clergé sont saisis au profit de la Nation. Il termine son année d'études dans un calme relatif malgré les grands changements administratifs.

    Au milieu de l'année 1790, l'Assemblée Nationale décrète la refonte des évêchés. Frênes avec d'autres communes de ce secteur du département de l'Orne sont rattachées au diocèse de Séez. Le 12 juillet 1790, la Constitution civile du clergé est votée. Le 18 septembre suivant Jean Bazin reçoit les Ordres de diaconat et en attendant sa prêtrise qui doit durer un an, il reste à Frênes chargé de faire le catéchisme.

    La population de Frênes est troublée par tous ces changements. Des esprits s'échauffent et le 20 octobre 1790, des révolutionnaires vinrent piller et brûler le château de la Corderie. Mr de Thoury, son propriétaire, n'eut la vie sauve qu'en prenant la fuite à travers les champs.

    Le 27 novembre 1790, la loi oblige tous les prêtres, ayant charge d'âmes, à prêter le serment de fidélité à la Constitution. Les évêques de Bayeux et de Séez refusent de jurer fidélité. Pour sauver leurs paroisses, des curés et vicaires prononcent un serment restrictif mais les autorités administratives le déclarent invalide et ils sont destitués.

    Les prêtres révoqués sont remplacés par des curés jureurs mais ils ont du mal à être acceptés. Ils sont même harcelés par les contre-révolutionnaires. Une loi du 29 novembre 1790 oblige tous les prêtres à prêter le serment civique. L'abbé Jean Bazin refuse et reste chez son père mais celui-ci favorable aux idées nouvelles est furieux contre son fils. Il est écrit que les discutions sont fréquentes, vives et passionnées de la part du père, qui ne recule pas devant les gros mots. L'abbé Bazin répond avec calme et respect, mais fermement, qu'il ne marchera jamais contre sa conscience ; quoi qu'il pût advenir, il restera fidèle à son Dieu, fidèle au Pape et fidèle à son évêque légitime.

  • Le 20 avril 1792, la France déclare la guerre à l'Autriche. En juillet, les Prussiens alliés des Autrichiens envahissent notre pays. La Patrie est proclamée en danger. Les patriotes se lèvent et s'enrôlent sous les drapeaux. Les aristocrates et les prêtres réfractaires sont suspectés. A la suite de troubles entre jureurs et non-jureurs à Chanu, le Conseil du District décide le premier août d'arrêter tous les prêtres réfractaires. Les plus âgés sont astreints à résidence, et ceux qui n'ont pas pris le maquis sont envoyés en prison à Domfront. Vingt-quatre prêtres y sont internés, l'abbé Jean Bazin y retrouve Charles Vaultier ex-curé de Frênes.

    Dans sa prison, Jean Bazin reçoit la visite de son père qui le conjure de se soumettre à la loi. Mais il reste inébranlable. Le 4 septembre 1792, il est traduit devant le Directoire qui le somme de jurer. Il répond aussitôt « plutôt mourir ! ». Le lendemain, il est condamné à la déportation en même temps que 14 autres confrères. Ils demandent à se réfugier à Jersey et leurs passeports sont aussitôt préparés. Ils sont convoyés au port de Granville mais à cause d'une tempête doivent attendre le 14 septembre pour appareiller. Il est écrit qu'à peine le bateau fut-il en mer que la tempête reprit avec une violence accrue. Le voilier mit trois jours pour accoster sur l'île de Jersey. A ce moment-là près de 3000 réfugiés sont débarqués de Normandie et de Bretagne troublant la tranquillité des habitants de cette île. L'abbé Bazin est logé chez un certain maître Lebrun à Saint Laurent, paroisse à l'ouest de Saint Hélier.

    Installé à Jersey, Jean Bazin, diacre, va rendre hommage à son évêque Mgr de Cheylus, lui aussi réfugié sur cette île. Le 25 novembre 1792, il est ordonné prêtre au milieu de tous ces proscrits. Sa seule consolation est sans doute de retrouver ces premiers maîtres : les abbés Moulin, vicaire de Frênes, et Elisabeth-la-Coudre, enseignant à Vassy.

    En plus du problème de logement sur Jersey, s'ajoute celui du ravitaillement à partir de février 1793 quand la France déclare la guerre à l'Angleterre. Le gouvernement Britannique décide de faire venir un certain nombre de prêtres et l'abbé Bazin en fait partie. Avec un sauf-conduit daté du 16 mars 1793, Jean Bazin débarque à Portsmouth avec environ 200 autres prêtres. Il est conduit à Winchester où il reste six mois. Puis il est dirigé sur Londres où il demeure jusqu'au printemps de 1802.

  • Cette vie de proscrit est difficile pour tous ces milliers de prêtres et de nobles exilés en Angleterre. Enfin après dix ans, le traité d'Amiens signe la réouverture des frontières. Le 20 mai 1802 Jean Bazin débarque à Cherbourg et rentre dans sa famille à Frênes.

    Au retour de déportation, Jean Bazin retrouve sa famille mais aussi ses amis prêtres comme l'abbé Vautier, curé de Frênes, qui a subi la prison pendant la Révolution. L'abbé Jacques Moulin, vicaire de Frênes, rentre aussi d'émigration. Lui au moins, il est vivant, car son cousin germain, l'abbé Guillaume Moulin, de Saint Jean des Bois, y fut fusillé par l'armée révolutionnaire à l'automne 1799. Il retrouve aussi son compatriote l'abbé Jamet, aumônier des sœurs du Bon Sauveur de Caen qui a réussi à se cacher dans cette ville.

    Enfin la guerre civile est finie. La lutte a été terrible dans notre bocage entre les Bleus et les Chouans. Beaucoup est à reconstruire, plus de 80 maisons ont été brûlées dans la ville de Tinchebray. Les églises ont été délaissées, les curés intrus n'ayant pas eu la confiance de la plupart des habitants.

  • Dès son retour d'exil, l'abbé Jean Bazin se met à la disposition de Monseigneur de

    Boischollet, évêque de Séez, qui vient d'être sacré le 9 avril 1802. Par le Concordat du premier Consul Bonaparte, le nouvel évêque doit réorganiser son diocèse en accord avec le préfet, qui a fiché tous les prêtres de son département. Il est écrit sur celle de notre prêtre : « A Fresnes, Bazin, insermenté, déporté, rentré depuis 4 mois, éclairé, pacifique, tolérant, de mœurs pures ». On ne peut trouver plus bel hommage !

    En octobre 1802, l'abbé Bazin est chargé d'exercer le ministère de la chapelle de la Mare à Saint Pierre d'Entremont. Ce pauvre édifice a été édifié avant la révolution par une grande partie de sa population pour remplacer l'antique église du vieux Saint Pierre d'Entremont. Celle-ci avait le désavantage d'être décentrée de son territoire et elle est souvent inondée l'hiver. Mais les anciennes familles, environ 40% de la population, refusent de laisser tomber leur ancien lieu saint. Ils pétitionnèrent auprès de leur évêque pour avoir un desservant à eux.

    En mars 1803, Mgr de Boischolet veut bien leur accorder un curé après une enquête de la préfecture. Le 11 juillet suivant, le préfet La Magdeleine estime que la commune de Saint Pierre d'Entremont n'a pas pour le moment les moyens de transformer leur chapelle en une église décente. L'évêque rend son verdict : la vieille église gardera son titre séculaire et ordonne la fermeture de la chapelle de la Mare.

    Sans doute, en août 1803, l'abbé Jean Bazin, obéissant, fait sa dernière messe à Saint Pierre d'Entremont. Il dit aux assistants : « Cette église est fermée aujourd'hui, mais le projet renversé sera exécuté plus tard : la justice le veut ! ». Il a raison puisque moins de 30 ans après s'élève une église pour remplacer la chapelle de la Mare. Elle occupe celle que l'on peut voir encore actuellement. Il vient la bénir le 21 juillet 1832 devant une centaine de prêtres et près de dix mille personnes.

    Le 19 septembre 1803, Jean Bazin est nommé curé de Clairefougère. En 1792, cette cure fut rattachée à celle de Montsecret. Son dernier curé l'abbé Leherquier est rentré très vite d'émigration et s'est caché dans la campagne. Il est dit ainsi qu'il a desservi 72 paroisses dans la clandestinité.

    Cette commune de Clairefougère contient 400 habitants à cette époque. Ses paroissiens ont réclamé chaleureusement l'abbé Bazin par une supplique du 28 mars 1803. Ses paysans ont choisi ce jeune prêtre de leur milieu et leur voisin. Par les chemins creux, il n'y a qu'environ deux kilomètres entre l'église de Clairefougère et la ferme de la famille Bazin.

    Jean Bazin est solennellement installé le 9 octobre 1803. Le presbytère de Clairefougère ayant été vendu comme bien national pendant la Révolution, la municipalité lui loue une maison. Il en accepte le loyer pendant un an et prête l'argent afin que l'on puisse acheter un nouveau presbytère.

    Pendant les six ans qu'il reste à Clairefougère, il s'engage à restaurer son église qu'il a trouvée délabrée. Pour l'éducation de ses pauvres paroissiens, il ouvre une école dans son presbytère. Il y mène une vie simple au milieu de ses habitants. Bien qu'austère pour lui, il est dit qu'il était joyeux, accueillant, qu'il débouchait volontiers une bouteille de vin lorsque survenait un ami. Par héritage, il possédait des rentes ainsi il aurait pu mener une

  • existence confortable et bien tranquille dans le voisinage des siens.

    L'évêque de Séez sait par le curé de Frênes et bien d'autres la grande valeur de l'abbé Bazin. En septembre 1809, Mgr de Boischollet l'appelle près de lui pour lui donner le poste de supérieur du Grand Séminaire. Il a la charge de former de nouvelles générations de prêtres perdus pendant la Révolution. Dans cette ville tout lui est nouveau, il doit s'y faire de nouveaux amis. Ainsi le fut l'abbé Guillaume Villeroy, qui m'est très cher car membre de ma famille. Comme lui venu de l'ancien diocèse de Bayeux, en effet, il est originaire du Teil près de Vassy, et a les même origines paysannes. L'abbé Villeroy, en plus d'être son ami, devient son confesseur.

    Après la mort de Mgr de Boischollet en 1812, l'empereur Napoléon nomme le chanoine Baston à l'épiscopat de Séez. Mais ce nouvel évêque n'est pas agréé par la papauté. Si bien qu'il est mal accepté par la plupart de ses curés et les séminaristes refusent d'être ordonnés par lui. L'abbé Bazin souffre de cette ambiance. Elle continue jusqu'à l'abdication de l'empereur et enfin s'arrête après les Cent Jours. Pendant cette période de troubles, c'est l'abbé Bazin, comme secrétaire du Conseil Capitulaire, qui gouverne les prêtres du diocèse. Au retour des Bourbons, Alexis Saussol est nommé évêque de Séez. Ce prélat sorti du peuple arrive à Séez en octobre 1817 et s'accorde bien sûr avec Jean Bazin. Il en fait son vicaire général.

    Pour le soulager de tant de travail, il lui est donné un adjoint, ayant le titre de Préfet. Ce dernier devient supérieur d'un petit Séminaire lorsqu'il est créé. En 1819, lorsque Mgr Saussol est sacré, il garde près de lui l'abbé Jean Bazin, vicaire général et supérieur du Grand Séminaire. Il devient son confident le plus intime et le meilleur de ses conseillers.

    L'abbé Jean Bazin remplit sa fonction de formateur par sa rigueur, sa bonté et sa sainteté pendant 27 ans. Il marque profondément les 600 prêtres qui se sont succédés pendant cette période.

  • En plus de s'occuper des hommes, l'abbé Jean Bazin pense aux pauvres jeunes filles qui veulent rentrer dans les Communautés religieuses. Mais comme elles n'ont pas de dot, elles ne peuvent y accéder.

    Au début du XXème siècle, la révolution industrielle donne du travail mais aussi de la misère quand les ouvriers tombent malades. Ils restent chez eux dans des logements insalubres, souvent véritables taudis. Les médecins sont rares et coûtent cher. Les anciens hôtels-Dieu transformés en hôpitaux ne sont pas assez nombreux. Une idée lui vient : pourquoi ne tenterait-il pas l'essai d'une Communauté dans laquelle on prendrait les filles trop pauvres pour entrer ailleurs. Ses religieuses travailleront pour gagner leur vie et donneront des soins gratuits aux indigents, à domicile. C'est à la fin de 1818 que son projet prend corps avec l'aide d'une vieille demoiselle mais c'est un échec.

    Fin 1821, soutenu par son évêque et son confesseur, le Père Bazin loue une pièce d'une maison proche des Clarisses à Séez. Il rappelle Anne Sénéchal, Victoire Louvel et Jeanne Leveau qui ont fait partie de son premier essai et qui l'ont supplié de les reprendre. Début mars 1822, deux nouvelles Sœurs s'ajoutent à cette petite Communauté. Le fondateur rédige un Règlement pour ses Servantes de Jésus et Marie, qu'on appelle désormais Sœurs de Charité. Elles gardent leurs vêtements séculiers, mais adoptent la coiffe, telle que certains l’ont connue. Pour sortir, elles prennent une mante noire. Le jour, elles gagnent leur vie pauvrement et le soir, elles s'occupent des malades.

    Le 21 mars 1823, ces cinq novices prononcent leurs vœux en y joignant le promesse de se dévouer au service des malades. De nouvelles postulantes se présentant, il faut s'agrandir et ces femmes vivent dans la plus grande pauvreté en se nourrissant très légèrement. En avril 1825, les Clarisses retournant à Alençon, l'abbé Bazin récupère leurs locaux et les remet à ses chères sœurs. Elles sont un peu plus à l'aise et enfin elles ont une chapelle, l'ancien oratoire des Saintes-Claires.

    En 1825, la Communauté est composée de 30 religieuses et c'est à ce moment qu'il est décidé d'essaimer. C'est à Alençon, que sept Sœurs de Charité et une novice s'installent où y vit déjà les Filles de Charité, Sœurs de St Vincent de Paul, tenant l'hôpital. Pour éviter cette confusion de nom, l'évêque de Séez, propose au fondateur de les appeler Sœurs de la Miséricorde.

    En 1828, des sœurs s'installent à Falaise, puis en 1829 à Mortagne au Perche. En 1830, c'est la fondation de la communauté de Vimoutiers. En 1834, il y en a trois nouvelles : à Tinchebray, à Poitiers et à Vire. En 1835, les sœurs s'installent à Flers et en 1836 aux Mans, à Mamers et à Condé sur Noireau. A cette dernière date la Congrégation et ses onze filiales comptent une centaine de professes.

    Le Père Bazin n'a de cesse d'agrandir et de propager sa Communauté. Ces fondations multipliées ne se font pas sans de grands sacrifices. Souvent les sœurs donnent plus qu'elles ne reçoivent et l'abbé doit boucher les trous en faisant appel à la générosité. Il faut reconstruire et il veut une chapelle digne pour sa Congrégation et celle-ci est bénite le 13 avril 1832. Son clocher est la preuve matérielle que la Miséricorde est définitivement fondée.

  • Outre la formation spirituelle de ses Religieuses, le Père Bazin doit leur faire apprendre leur vocation d'infirmières. Il leur disait : « Il faut d'abord, vous appliquer à apprendre dans la maison la manière de faire un bon lit, un bon bouillon et de bien vous conformer aux ordonnances des médecins, pour ce qui est de la tisane et des autres potions prescrites ; ne mettre que ce qu'il faut de chaque chose et le donner exactement au temps marqué ; prendre bien garde de ne rien donner contre la défense du médecin, quelque défense qu'on en fasse, car on aurait de grands reproches à se faire si, par condescendance, on mettait le malade en danger. Du reste, être bien attentif à tous ses besoins pour voler à son secours au premier signal, s'y prendre de la meilleure façon possible pour éviter de le blesser ou de le faire souffrir, accompagner le tout d'une grande douceur, d'un air de bonté qui plaise et d'une prévenance qui gagne sa confiance ». Quoi de plus beau et de plus moderne.

    Le 7 février 1836, Mgr Saussol, meurt. Rome ratifie la nomination de Mellon Jolly comme évêque de Séez. Impulsif, presque tous les anciens cadres sont congédiés sans préavis de leurs fonctions. Décontenancé, l'abbé Bazin se réfugie à la Miséricorde mais peu après on lui nomme un nouveau directeur. Les sœurs sont désolées et doivent obéir. Le Père Bazin n'a plus rien à faire dans cette maison et laisse échapper : « Nous sommes, à ce qu'il paraît, dans un siècle de vertige ». Disgracié, il décide de quitter Séez. Tous ses amis veulent l'avoir près de lui.

    Dès les premiers jours de février 1837, malgré la neige et ses 70 ans, l'abbé Bazin se rend à Tinchebray pour devenir simple vicaire. C'est l'abbé Gouhier, curé de cette paroisse qui l'a demandé et lui a été accordé par son évêque. Les frères Letourneur écrivent : « A Tinchebray, le fondateur fut hébergé chez un commerçant, M. Yver, près de l'église Saint Rémy et de la Communauté de la Miséricorde (qu'il avait fondé trois ans plus tôt). Ce fut dans cette église, aujourd'hui désaffectée, (plutôt dans cette chapelle, car à cette époque, elle n'avait déjà plus de nef), qu'il établit son quartier général. Il évita soigneusement d'aller chez ses Filles et ne leurs permit même pas d'assister à sa messe. Le dimanche, il se rendait à la paroisse pour les offices ; M. Gouhier, qui lui cédait sa stalle, le chargeait de prêcher. ». C'était dans la nouvelle église Saint Pierre de Tinchebray qui venait d'être inaugurée le jour de Noël 1835. Il est écrit encore : « On ne saurait dire tout le bien que M. Bazin opéra alors dans les âmes. Fresnes, Saint Pierre d'Entremont, Clairefougère étaient tout proches ; sa réputation, établie de longue date, n'avait fait que grandir ; on le savait immensément bon et miséricordieux. Ce fut une allée et venue incessante de fidèles, et plus encore de pécheurs, qui accouraient de toutes les paroisses, même des cantons voisins, attirés par son renom de vertu ».

    Ce séjour à Tinchebray ne dure que près de six mois car le 20 juillet suivant Mgr Jolly lui écrit réclamant son retour à Séez. Le prélat a compris qu'on l'a trompé et il demande au vicaire général honoraire de reprendre sa place au Conseil épiscopal. Le Père Bazin doit remettre de l'ordre dans les affaires de la Miséricorde en crise pendant son absence. C'est près de ses religieuses qu'il va vivre 18 années encore. En 1838, le Jeudi Saint, l'évêque veut lui donner une preuve éclatante de son estime devant 36 prêtres représentant chacun leurs cantons. Ces délégués, en se retournant, ont la consolation de savoir que leur cher Supérieur est pleinement réhabilité.

    En 1839, la Maison Mère est reconnue par le roi et les autres établissements sont autorisés. Le 15 août 1842, Mgr Jolly approuve la règle définitive soumise au Père Bazin

  • de la fondation de la Communauté des Religieuses de la Miséricorde.

    En 1844, Mgr Jolly est nommé archevêque de Sens. Il est remplacé comme évêque de Séez par Charles Frédéric Rousselet. Ce prélat réfléchi est un grand administrateur pour son diocèse. Il est bon pour le Père Bazin mais ne le demande pas pour son conseil. Ainsi le fondateur peut se consacrer à sa vie spirituelle et à sa fondation.

    Il termine ses jours auprès de ses chères sœurs en se mortifiant et en priant. Son revenu sert pour le donner entièrement aux pauvres. Le Père Bazin avait une fois ardente qui rayonnait dans toute sa conduite, est-il écrit.

    On lit encore : « La vieillesse du fondateur a été bénie, comme la vieillesse des patriarches : à 85 ans, il n'avait connu que quelques maladies plus ou moins sérieuses, lisait sans lunettes, marchait sans bâton, toujours droit comme les frênes de son Bocage ».

    Pendant trois ans, la santé du Père Bazin décline jusqu'à sa mort qui arrive le 15 novembre 1855. Il avait 88 ans. Dès la nouvelle de sa mort, la consternation fut générale, on ne parlait que de ce décès. L'éloge du défunt, de son humilité, de sa charité, de sa piété, de son détachement, fut sur toutes les lèvres.

    Cinq jours plus tard a lieu ses funérailles à la cathédrale de Séez. Toute la ville est là, clergé, séminaires, congrégations, et fidèles. Deux cents prêtres sont accourus, pour la cérémonie, ainsi que 150 professes de la Miséricorde et 66 novices. Il est inhumé dans une chapelle provisoire de la nouvelle Miséricorde. Il repose depuis 1876 dans la crypte du sanctuaire de la maison mère de la Miséricorde. Les frères Letourneur écrivent en épilogue de leur extraordinaire publication : – Le chanoine Bazin a aimé sa vie de prêtre séculier. – A Londres, il a su tirer le meilleur parti de dix années d'un exil démoralisant. – A St Pierre d'Entremont et Clairefougère, il a mené l'existence solitaire et laborieuse du curé de campagne. – A Séez, pendant 27 ans, il fit preuve d'un dévouement admirable. Finalement, on le congédia sans cérémonie. Il ne fut plus dès lors que l'un de ces vénérables chanoine de cathédrale. – Il a toujours empli avec zèle les charges insignifiantes ou honorables, qui lui furent confiées. – Il n'aimait point les dignités, mais il sut accepter la première place, due à ses fonctions. – Il a connu le succès ; ses vertus ont exercé sur beaucoup de ses contemporains une indiscutable emprise. D'autres se moquaient de ses lacunes, de ses distractions, de son sommeil invincible. Il a éprouvé l'humiliation de l'échec, l'incompréhension, l'injustice, l'ingratitude. Son cœur délicat en a souffert : il ne s'est pas aigri ; il ne s'est pas plaint. – Jean Bazin avait une vertu humaine ; il reste à la portée de tous. Il avait le goût de l'hospitalité cordiale et joyeuse ; chose plus rare, il savait accepter gentiment la taquinerie. – Il aurait pu, comme bien d'autres, se cantonner dans un conformisme prudent et confortable : il fut un homme d'avant-garde. – Ce prêtre, si absorbé par ses fonctions administratives et la direction des âmes, s'est penché sur les questions sociales. Pour porter aux indigents un secours efficace, il a fondé la Miséricorde, ouvrant en même temps aux jeunes filles de bonne volonté, exclues des couvents par leur défaut d'instruction et leur pauvreté, les portes de la vie religieuse.

  • Lui, qui n'avait fait d'autre noviciat que celui de la misère à Londres, il a mis sur pied une Congrégation florissante et pleinement paroissiale, qui compta parmi les meilleurs auxiliaires du clergé diocésain. Ces écrivains se posent la question : Comment cet homme dépourvu de dons brillants, comment ce prêtre venu du commun, s'est-il élevé à la hauteur de sa tâche, et de quelle tâche ? Quel est secret de ses succès ? ----------------------------------- La Miséricorde de Tinchebray.

    L'abbé Dumaine écrit dans son troisième tome de l'histoire de Tinchebray que c'est à la demande du curé desservant de cette ville qu'une communauté de religieuses de la Miséricorde vienne s'y installer.

    Les abbés Letourneur racontent que cette fondation eut lieu à Tinchebray en 1834 dont le curé, M. Gouhier, fut l'élève à Séez du Père Bazin.

    Pierre François Gouhier, qui est curé de Tinchebray depuis la fin de l'année 1821, se préoccupe de leur trouver un domicile. Devant le notaire de Chanu, le 26 mai 1835, il apporte 6000 francs aux mains de trois religieuses pour qu'elles achètent une ancienne auberge à Tinchebray, dans la rue de la Prison, appelée des Caves à cette époque.

    Marie Eulalie Gattecloud dite Bellecroix, Marie Anne Marguerite Coursière et Marie Anne Morin, signataires de l'acte d'acquisition, sont dites religieuses de la congrégation des sœurs de la Miséricorde de Sées. Ainsi nous apprenons le nom des trois premières religieuses qui vinrent s'installer à Tinchebray au printemps 1835.

    Dans l'histoire de la Congrégation, il est écrit qu'à Tinchebray, les Sœurs ne mangeaient de la viande qu'une fois par mois environ. Un mardi-gras, elles furent tout heureuses d'avoir des pommes de terre. Elles n'avaient pas de chaises ; l'abbé Gouhier leur permit d'en prendre à l'église, à condition de les rapporter pour les offices ; le manège dura plus de dix ans. A la fin d'une année, la Supérieure constata qu'à huit, elles avaient dépensé, en tout et pour tout, 900 francs.

    Les religieuses devaient aller uniquement à domicile, de nuit comme de jour, secourir les malades. La Congrégation se consacrerait au soulagement des pauvres. S'il était permis de soigner les riches, il était interdit pour autant d'abandonner les indigents. Si l'on manquait de Sœurs pour soigner à la fois les riches et les pauvres, les malheureux avaient la préférence, puisque les autres avaient le moyen de recourir à des aides. Il était interdit, dans tous les cas, d'accepter la moindre rétribution. Les obligés de la Miséricorde pouvaient faire une aumône à la Communauté, mais ce n'était qu'une aumône bénévole. Les Sœurs ne devaient manifester aucune contrariété, si ce don était disproportionné avec les ressources du patient et les services rendus, même au moment où leur Communauté se débattait dans la misère.

  • Le 8 août 1850, l'abbé Gouhier se trouve au notariat de Sées pour signer l'acte de donation de la maison de Tinchebray au profit de la Congrégation des religieuses de la Miséricorde qui est représentée par Victoire Michel dit la Roche, sœur Augustin, la supérieure générale. Dans ce document, il dit qu'il souhaite que les sœurs doivent « soigner gratuitement à domicile ceux des malades pauvres de la commune de Tinchebray qui le demanderont ». Pierre François Gouhier, curé-doyen de Tinchebray, chanoine honoraire de Sées, mourut le 15 octobre 1852, âgé de 60 ans, trois ans avant le père Bazin.

    Les sœurs étant devenues plus nombreuses à Tinchebray, manquant de place, elles ont vendu leur premier établissement comme on le voit dans la mise en adjudication du 15 octobre 1857.

    Moins d'un mois plus tard, le 12 novembre 1857, les religieuses de la Miséricorde rachètent une nouvelle propriété à Tinchebray. Celle-ci est bien située sur la Grande Rue, avec un grand jardin et une maison qui fut la résidence d'une famille bourgeoise de cette ville. Dans le registre de mutation des propriétés de Tinchebray, il est écrit que les sœurs ont fait reconstruire la maison du numéro 112 de ladite Grande Rue. Dans ce registre communal, il est écrit qu'en 1871 elles ont fait construire une chapelle attenante à leur résidence. En fait, l'abbé Dumaine écrit « En 1870, les sœurs ont fait bâtir une gracieuse chapelle de style roman ; un clocher la surmonte, ses murs ont de chaque côté des ouvertures à plein cintre ; quoique les religieuses puissent y accéder de leurs appartements, un portail à tympan sculpté s'ouvre sur la rue, pour l'entrée du public ; enfin une sacristie de même style est adossée au chevet. Cette chapelle a été inaugurée en 1871. Au-dessus du maître-autel se voit un tableau, qui n'est pas sans mérite, dont le sujet est la résurrection de la fille de Jaïre ; c'est un don fait à la reconnaissance à la communauté. Cette chapelle a été érigée sous le vocable de St Vincent de Paul, dont la fête s'y célèbre solennellement chaque année le 19 juillet. La communauté compte en nombre ordinaire quinze religieuses, chiffre assurément bien insuffisant pour le nombre des malades qu'elles ont à visiter ».

    Le 11 mai 1882, Monseigneur Trégaro, qui vient d'être nommé évêque de Séez, est en visite dans cette ville de son diocèse. Il est écrit dans La Semaine Catholique de Séez : « Certes, personne n'ignore à Tinchebray que les sœurs de la Miséricorde étaient à leur rang dans le cortège de Monseigneur, qu'en face de leur maison se dressait un des plus jolis arcs de triomphe de ce jour qui en a vu tant d'autres, et qu'enfin Monseigneur avait réservé pour elles, avant son départ, une de ses visites les plus fécondes en bénédictions ».

    L'abbé Dumaine écrit encore en 1884-1885, « la supérieure actuelle est sœur Emerence, qui depuis plus de vingt ans gouverne la maison et vient au secours des nombreuses misères du pays avec une bonté et une délicatesse que tous savent apprécier ». Cette religieuse a succédé à la fin de l'année 1862 ou début 1863, à sœur Maurice. C'est donc sœur Emérence qui a décidé de faire construire leur chapelle.

    Du vivant même du Père Bazin, les maisons avaient fini par s'installer convenablement. Chaque établissement était doté d'un personnel suffisant et qualifié. Les préventions premières étaient vite tombées. Bientôt, le Congrégation ne se recruta plus seulement parmi les ouvrières, les servantes, les paysannes. La multiplication des écoles permettait aux Contemplatives, aux Enseignantes et aux Hospitalières, de trouver

  • facilement des sujets qualifiés. Le fondateur, sans crainte de leur nuire, pouvait donc admettre dans son Institut un grand nombre toujours croissant de jeunes filles instruites, capables de se perfectionner dans leur état, de constituer des cadres solides. A partir de 1902, sous l'impulsion de M. Grenet, leur supérieur, les sœurs se mirent à préparer leurs diplômes, ce qui leur permit de devenir, non plus de simples garde-malades, mais des infirmières de premier ordre.

    En 1952, les frères Letourneur écrivent qu'à cette date 330 sœurs ont reçu le diplôme d'Infirmières de la Croix Rouge ; 105, le permis d'Hôpital ; 549, le diplôme d'Infirmières d'Etat ; 209, le permis d'exercer. Ces religieuses dans le corps médical étaient réparties dans 56 maisons en France et quatre à l'étranger.

    Missionnaires discrètes, avec leur petite croix sur la poitrine, on les rencontrait dans les rues, sur les routes, à pied, en carriole, en vélo moteur. Elles acceptent de passer les nuits seules au chevet des grands malades. Cela n'empêche point les sœurs de courir dans la journée chez les pauvres, de faire leur ménage et de soigner leurs plaies. De nuit comme de jour, elles assistent les agonisants, ensevelissent les morts ; rien ne les effraie. Bénies des prêtres, bénies des pauvres, elles passent en faisant le bien. Simples, ferventes, dévouées, elles n'ont qu'un idéal dans la vie : exercer leur œuvre de miséricorde.

    De 1834 à 1968, 119 religieuses de la Miséricorde ont vécu à la Communauté de Tinchebray comme on peut le voir dans le registre des entrées. Les supérieures de Tinchebray.

    Sœur Marguerite, née Marie Anne Marguerite Courcière, une des trois premières arrivées à Tinchebray en 1834, est la première supérieure de cette Communauté. Dans la liste nominative des habitants de 1836, elle est dite âgée de 39 ans et sa Communauté est déjà composée de neuf religieuses. Elle est élue pour trois ans. Elle naquit à La Ferrière Bechet vers 1797 et mourut à Séez en 1842.

    Sœur Mathilde, née Anne Leprince est supérieure de 1837 à 1843. En 1841, sa Communauté est composée de dix Sœurs.

    Sœur Basilie, née Jeanne Françoise Gallier, elle est citée comme supérieure en 1843. Dans la liste nominative de 1846 sa communauté est composée de dix religieuses et en 1851 de neuf. Originaire de Tinchebray, elle est âgée de 53 ans lors de sa mort rue de la Prison le 24 février 1854.

    Sœur Maurice, née Ursule Vergnaud, est supérieure de 1854 à 1862. C'est sous son autorité qu'a dû être décidé la vente de l'ancienne maison de la communauté de Tinchebray et de l'achat de la nouvelle. Dans la liste nominative de 1856, elle est dite âgée de 33 ans et sa Communauté est composée de treize Sœurs. Originaire de Vivonne dans la Vienne, elle meurt à Tinchebray le 6 décembre 1862 âgée de 40 ans.

    Sœur Emerence, née Marie Victorine Lelièvre, née à Beauchêne en 1821, est supérieure de 1862 à 1901. Sa Communauté est composée de 14 Sœurs en 1866, de 15 en 1872 et 1876, de 14 en 1881, de 10 en 1886, de 12 en 1891 et 1896, 14 en 1901. C'est elle qui fit reconstruire la maison de sa communauté et d'y ajouter une chapelle. Elle est décédée à Tinchebray le 14 décembre 1903, âgée de 82 ans.

  • Sœur Olympe, née Emélie Anastasie Normand, née à La Ferté Macé en 1868, est

    supérieure en 1906. Cette année-là, sa Communauté est composée de huit religieuses.

    Sœur Théodor, née Marie Domeon, est supérieure de 1911 à 1923. Elle est née en 1860 à Pornic. En 1911, sa Communauté est composée de onze religieuses et de dix en 1921.

    Sœur Amédée, née Marie Léonie Belval, est supérieure de 1924 à 1930. Elle est née à Coutances en 1869. En 1926, sa Communauté est composée de onze religieuses.

    Sœur Basilie, née Marie Friloux, née à Saint Quentin les Chardonnets en 1853, est supérieure en 1931. Cette année-là, sa Communauté est composée de treize religieuses.

    Sœur Firmat, née Fortin Louise, née à Saint Cosme de Vair, est supérieure de 1930 à 1936. En 1931, la municipalité de Tinchebray vote une subvention exceptionnelle de 200 francs aux religieuses de la Miséricorde. Il est dit dans le registre municipal que cela fait suite à la médaille d'honneur de l'assistance publique accordée à quatre religieuses et à la médaille d'argent à Sœur Bazilie. C'est sous l'autorité de cette religieuse qu'eut lieu les fêtes du Centenaire de sa Communauté de Tinchebray.

    Sœur Eurosie, née Emélie Lecocq, née à Saint Sauveur Lendelin en 1868 , est supérieure de 1936 jusqu'au 28 mai 1942. En 1936, sa Communauté est composée de onze religieuses. Elle est décédée à Séez le 20 juillet 1947.

    Sœur Marie-Françoise, née Henriette Carnet, est supérieure de 1942 jusqu'à sa mort. Gravement blessée lors d'un bombardement à Messei, le 12 août 1944, elle est transportée à l'hôpital temporaire de Pont-Ramon à La Chapelle Biche. Agée de 35 ans, elle y décède ce même jour à 22 heures. Elle était née en 1908 à Argouges (Manche).

    Sœur Francis, née Joséphine Duguey, née en 1879, est supérieure de 1944 à 1948. En 1946, sa Communauté est composée de treize religieuses.

    Sœur Marie-Alphonse, née Denise Noirel, née en 1914, est supérieure de 1948 jusqu'au 15 octobre 1954. En 1951, la municipalité de Tinchebray vote une subvention pour faire réparer les vélo solex des religieuses. En 1953, la même municipalité offre à leurs religieuses une concession funéraire à perpétuité dans le cimetière. En 1954, la Communauté est composée de douze religieuses.

    Sœur Marie-Jacques, née Suzanne Allaigre, est supérieure de 1954 jusqu'au 10 octobre 1960. En 1955, il fut organisé une souscription pour offrir une voiture « Citroën deux chevaux » aux religieuses de Tinchebray. Elle quitta cette ville pour être nommée supérieure à Clermont-Ferrant. Elle décède à Rennes en 1998.

    Sœur Louis, née Marie Augustine Barbot, née en 1924, est supérieure de 1960 jusqu'à fin septembre 1966. En 1962, sa Communauté est composée de neuf religieuses.

    Sœur Marie-Célestin, née Gilberte Auvray, née à Tourlaville. Elle dirige cette communauté du dernier trimestre 1966 jusqu'au départ des religieuses de cette ville fin septembre 1968. Cette année-là, sa Communauté est composée de huit sœurs.

  • ----------------------------------- Les Sœurs victimes de leur dévouement.

    Les religieuses de la Miséricorde de Tinchebray ont rappelé dans un petit opuscule manuscrit la vie de leurs Sœurs sur ce sujet. Il est écrit : « En 1835, un an après la fondation, une jeune Sœur Elisabeth en faisant ses premières armes auprès des typhiques contracta leur maladie et mourut en même temps que ses malades, qu'elle avait dû quitter pour s'aliter. En 1840, Sœur Radegonde eut le même sort. Au plus fort d'une épidémie dont elle avait soigné bien des cas, elle succomba elle-même. En 1863, un habitant de Landisacq avait les fièvres typhoïdes. Il était seul dans sa maison, aucun des voisins ne voulait lui porter secours, à cause de la contagion. L'un d'entre eux alla chercher une Sœur à la ville. Sœur Damase fut désignée pour cette campagne, elle fut mise absolument en quarantaine avec son malade. Quand venait le repas, on lui portait une galette de sarrasin qu'on jetait sur la table d'aussi loin qu'on pouvait. La pauvre sœur ne peut tenir devant toutes ses fatigues et les privations qui lui étaient imposées, elle tomba malade et fut obligée de rentrer à Tinchebray, où elle expira au bout de quelques jours... Dans une famille pauvre dépourvue de tout, sinon de vermine, les fièvres typhoïdes gagnaient quatre personnes sur cinq dans une maison. On faisait le vide autour de ces contagieux. Pendant cinq mois, les sœurs de la Miséricorde se sont dévouées tour à tour dans cette maison par leurs soins vigilants, elles ont rendu la santé à tous les malades et laissé le ménage de son état à propreté ; qu'on n'avait jamais connu auparavant. Une autre Sœur fut envoyée à la campagne, près d'une pauvre vieille, dont la misère était au comble. La grabataire couchait sur la paille, n'ayant pas même un drap sous elle. Malgré l'odeur repoussante, qui s'échappait de ses plaies, Sœur Marie, lui prodigua les soins les plus empressés pendant quinze jours et quinze nuits et la prépara au grand voyage du temps à l'éternité. Une autre fois, Sœur Henriette, voyant l'embarras où était sa Mère d'envoyer une de ses compagnes dans un village très éloigné, s'offrit elle-même, malgré le mauvais état de sa santé. La Supérieure finit par céder à ses instances, la Sœur partit. Comme les chemins étaient plein de fondrières, Sœur Henriette fut obligée de descendre de voiture et de marcher dans l'eau et dans la boue ; arrivée chez le malade, elle fut mal nourrie, mal secondée de sorte qu'elle rentra au bout de quelques jours, ayant contracté la maladie de poitrine dont elle mourut deux ans après, faisant avec joie le sacrifice de sa vie. Citons encore le dévouement d'une Sœur auprès de deux vieux cancéreux. Leurs enfants quittaient la maison le matin sans se soucier de la tâche, qu'ils laissaient à remplir à la garde-malade. Ils ne comprenaient pas comment la Sœur pouvait endurer de pareilles odeurs et rendre aux moribonds des soins aussi répugnants. Les pauvres malades moururent à quelques semaines de distance en remerciant la Sœur qui ne les avait pas abandonnés. Sœur Z... avait trois malades à soigner dans la même maison, une pauvre mère atteinte de tuberculose et deux enfants, l'un varioleux et l'autre scarlatineux. Grâce à ses bons soins et à son dévouement, les enfants guérirent. La mère succomba à son mal implacable. Elle expira en bénissant la religieuse et en lui confiant les orphelins ». Les sœurs pendant la guerre 1914-1918.

    Les religieuses de la Miséricorde de Tinchebray ont beaucoup aidé et soigné les blessés de cette horrible guerre qui étaient en convalescence dans cette ville. L'ancienne congrégation des Pères de Sainte Marie de Tinchebray avait été transformée en hôpital temporaire.

  • Le musée de Tinchebray conserve un souvenir de ses Sœurs garde-malades. Dans un cadre sont inscrit les noms de six religieuses de la Miséricorde ayant soigné les blessés. Leurs noms sont sœurs Eugénia, Claudie, Marc, Léopold, Adolphe et Estève. La fête du centenaire.

    En 1936, dans la liste nominative de Tinchebray, Emelie Lecocq est dite supérieure de la communauté qui comprend en tout onze religieuses. Née en 1868 à Saint Sauveur Landelin dans la Manche, elle a donc 68 ans à cette époque.

    En 1946, donc après la guerre, la liste nominative dit que c'est Joséphine Duguey qui est la supérieure à Tinchebray. Elle comprend une communauté de treize religieuses. Née en 1879, elle a donc 67 ans.

    En 1954, Denise Noirel est dite chef infirmière dans la liste nominative de la communauté de Tinchebray. Citée en premier, elle doit en être la supérieure ayant sous ses ordres onze religieuses. Elle est dite née en 1914, elle a donc 40 ans.

    Dans le Journal de Tinchebray à la date du 15 janvier 1905, on trouve l'article suivant : « La mort, qui depuis quelque temps semblait s'acharner contre la jeunesse de Tinchebray, vient de frapper une des plus vieilles religieuses de la Miséricorde, Mme Doënel, Cécile-Marie, en religion sœur Marine, décédée le 6 janvier, à la l'âge de 80 ans. Sœur Marine était bien connue dans les quartiers pauvres de la ville et aussi dans les villages les plus éloignés de la campagne où, nuit et jour, elle allait vaillamment soigner les malades, depuis 42 ans. Son inhumation a eu lieu lundi matin, dans l'église de Tinchebray. Une foule nombreuse assistait aux obsèques de sœur Marine et l'a accompagnée jusqu'au cimetière ».

    Dans le journal de la Croix de Flers : Mardi 29 mai 1934, Fête du Centenaire des sœurs de la Miséricorde. Programme. A 8 h. 30 à la mairie, réunion des autorités civiles et militaires, des Sociétés de Vétérans Mutilés, Médaillés militaires, Anciens Combattants, Anciens Prisonniers de guerre, Musique municipale, Sapeurs-pompiers et enfants des écoles. A 9 heures, à la Miséricorde, formation du défilé pour se rendre à la Porte de Condé. Réception de Monseigneur l'Evêque de Sées. Itinéraire : Grande Rue, rue de l'Industrie, rue de Paris, Grande Rue. A 10 heures, à l'église, bénédiction des orgues par Monseigneur l'Evêque de Sées. Grand'messe en chant Grégorien, sous la direction de l'abbé Guinchat. Allocution de M. le Doyen. Les orgues seront tenues par M. l'abbé Guibé, de La Ferté-Macé. A l'issue de la cérémonie, défilé du cortège. Itinéraire : Grande Rue, route de Sourdeval, Cour d'honneur de la Chocolaterie, Grande Rue. Dislocation du cortège face la Communauté des sœurs de la Miséricorde. A 15 heures à la Miséricorde, remise de médailles de l'Assistance Publique. Défilé, itinéraire : Grande Rue, rue de l'Industrie,, rue de Paris, Grande Rue. A 16 heures, à l'église, salut solennel en musique. A 17 heures, défilé, itinéraire : Grande Rue, rue de Sourdeval, Cour d'honneur de la Chocolaterie, Grande Rue. Dislocation du cortège face à la Communauté des sœurs de la Miséricorde. A 21 heures, à la Porte de Condé, concert par la Musique municipale. Le maire de Tinchebray invite les habitants à pavoiser et à illuminer. Le Maire de Tinchebray. Louis Morel.

  • Fanfare municipale Sainte Cécile. A l'occasion des fêtes religieuses qui auront lieu à Tinchebray pour le Centenaire de la Miséricorde, la Fanfare Municipale Sainte Cécile donnera un concert, sur la place de la Porte de Condé, mardi prochain 29 mai à 21 heures et dont voici le programme : 1. La Gerbe d'or. Pas redoublé. Sciupi. 2. Czardas n°1 Michiels. 3. Ouverture fédérale. Blemon. 4. Fantaisie sur Mireille. Gounod. 5. Allegro.

    Dans le numéro du 3 juin 1934, compte rendu du Centenaire de la Miséricorde : « Bien étonnés étaient les voyageurs passant à Tinchebray, mardi. Une question leur venait sûrement à l'esprit : Qu'y a-t’ il ? De fait, il y avait de quoi surprendre. Ce jour sur semaine avait l'allure des plus grandes fêtes. Usines et ateliers fermés, commerce interrompu, un peuple entier dans les rues parées des plus somptueux atours comme pour recevoir un illustre personnage. Ceux de ces voyageurs qui ignorent les forces spirituelles ont dû s'étonner encore plus quand ils ont su... Tinchebray unanime, Maire, conseil municipal, clergé, riches et pauvres, ouvriers et patrons, commerçants, paysans, rendait un hommage solennel à ses bonnes sœurs de la Miséricorde, à leurs 100 ans. A leurs 100 ans ! Entendons-nous. Aucune d'elles n'avait cet âge vénérable. Sous le voile noir de la religieuse qui prodigue ses jours et ses nuits aux malades, la vie se consume en beaucoup moins d'un siècle. Et cependant si les yeux fermés depuis 100 ans s'étaient rouverts, en ce moment, n'auraient-ils pas vu ces bonnes sœurs telles qu'ils les virent en 1834 ? Même habit, même visage dont on ne songe pas à distinguer les traits, parce qu'il est le visage de la charité, à peine celui d'un être humain. Elles sont immortelles ces sœurs comme la première des vertus chrétiennes. N'hésitons pas à écrire que Tinchebray rendait hommage à leur centenaire. L'âme du pays ne s'y trompa point. C'est elle qui voulut et qui réalisa ce magnifique triomphe. Triophe en vérité ! D'un bout à l'autre de la cité et en tous sens, les fleurs et les feuillages associés et enchaînés avec un art de fine dentellière, en guirlandes, en berceaux, en festons que des mâts de verdures sommés de corbeilles soulevaient élégamment, symbolisaient l'union des cœurs ; faisaient mieux que symboliser... car, à n'en pas douter, toutes leurs beautés avaient jailli des cœurs admirablement accordés, plus que des forêts et des jardins. Aux extrémités et aux carrefours des diverses artères de la ville, toutes ces lignes merveilleuses de blancheur venaient s'épanouir en des monuments que volontiers, sans excessive imagination, nous comparerions aux portails des cathédrales. D'ailleurs les rues devant lesquelles ils s'ouvraient avec leurs pilastres, leurs arcs innombrables et la religieuse attitude de la foule, ressemblaient tant aux nefs les plus grandioses de nos églises ! Ils dressaient en plein ciel, dans leurs sculptures de mousses, ici les attributs de la Miséricorde : la croix et la couronne d'épines, là les paroles évangéliques qui constituent le programme et l'idéal poursuivi inlassablement de la communauté sagienne. Celle-ci même était évoquée quelque part sous la forme d'une ruche qui avait essaimé en d'autres ruches. Gloire à la mère abeille, comme chante l'office du samedi-saint, et à toutes les abeilles qui ont dispensé à la France et à Tinchebray en particulier leur miel réconfortant ! Et toutes ces splendeurs se donnaient rendez-vous à l'église à l'église paroissiale, où elles se déployaient jusqu'aux voûtes. Voilà le cadre où se déroulèrent les cérémonies de cet anniversaire qui restera une date mémorable dans l'histoire locale. Ces cérémonies débutèrent à la porte de Condé. A 9 h. ½, réception de Mgr l'Evêque qui avait daigné les présider. M. le Maire et son Conseil, la Musique municipale, la compagnie des Sapeurs-pompiers, les Anciens Combattants et leurs drapeaux se joignirent au clergé pour accueillir le premier pasteur du diocèse qui consacrait de sa haute autorité et immense et émouvant témoignage de reconnaissance. Les bonnes religieuses, héros au sens propre du mot, de cette manifestation, paraissaient quelque peu intimidées. Elles ne s'enorgueillirent point. Elles ont trop l'habitude de l'humilité. Comme le maréchal Foch, au soir de la victoire : Non nobis, Domine, non nobis,

  • sachant que tout cela, à travers leurs vertus, s'en allait au Seigneur. Rarement procession fut plus grandiose. Le brave homme qui me confiait son impression en ces termes : comme c'est respectable ! Traduisait fort bien l'impression de tous les assistants devant ce défilé guidé par la croix, qui lentement au chant d'une schola, entre le silence des spectateurs debout sur les trottoirs et aux fenêtres, s'écoulait vers l'église. Oui, comme c'était respectable ! C'était le respect de la France, de la patrie pour l'idéal chrétien que représenta Jeanne d'Arc, aux siècles lointains, que représentaient aujourd'hui ses sœurs dans la foi et sur le champ de bataille de la pitié. Les drapeaux des poilus dont les religieuses infirmières avaient pansé les blessures et consolé les camarades mourants, m'a-t-il semblé, ne parlaient pas autrement. La messe célébrée par M. le curé de Fresnes, successeur après un siècle, du vénérable abbé Bazin fondateur de la Miséricorde, en présence de Monseigneur qui présidait pontificalement, d'une foule à laquelle pourrait s'appliquer l'expression de la bible : nombreuse comme les grains de sable du rivage, apporta la preuve que l'on avait eu raison d'honorer ces sacrifiées, disciples et filles du sacrifice divin. Elles furent honorées, le soir, officiellement, au nom du gouvernement, sur la place Saint Rémi. M. le Maire salua, en un discours de forme et de sentiment, leur dévouement à la souffrance humaine, dévouement allant jusqu'à l'extrême limite de la fatigue et de la privation, jusqu'à la tombe. Elles meurent à la tâche, ces dévouées s'il le faut. Et quatre médailles s'attachèrent au long chapelet de leurs bonnes actions. Monseigneur, à la bénédiction du Saint Sacrement, sanctionna de sa parole paternelle cette manifestation qui révèle le cœur, le grand cœur de Tinchebray. Hélas ce compte-rendu n'est qu'une pâle esquisse. Impossible de tout dire. Pour tout dire, il eût été nécessaire que l'on eût tout vu, ni tout entendu. Lui aussi, le journaliste, il est un humble, oublié dans sa cellule, renseigné surtout par son âme et son cœur. L'âme et le cœur de ses lecteurs répareront facilement ses omissions. Au reste cette conclusion sera garante de sa volonté de n'oublier rien ni personne : ce fut beau et ce fut grand ! ». L'article est signe A. Broudin.

    Le journal du Courrier de Flers en date du 3 juin 1934 se fit aussi l'écho de cette fête. On y lit « … A l'issue de la messe, au cours de laquelle M. le chanoine Garnier, curé-doyen avait esquissé un remarquable historique de la communauté en fête, les chœurs de jeunes gens et jeunes filles chantent avec un remarquable souci des nuances le cantique Gloire au Roi de Gloire. C'est ensuite la sortie, puis le départ du cortège dans le même ordre jusqu'à l'arrivée, vers la route de Sourdeval, à l'entrée de laquelle s'élève un arc de triomphe symbolique, où les cinq maisons centenaires de la Miséricorde: Sées, Alençon, Vimoutiers, Mortagne et Tinchebray, sont représentées par cinq ruches caractérisant on ne peut mieux l'activité des femmes de devoir de cette œuvre. Le retour au siège de celle-ci est immédiatement suivi d'un déjeuner offert par la Miséricorde au clergé et à la municipalité. Il y aurait évidemment quelque indiscrétion à trop s'étendre sur une réunion de ce genre que l'autorité religieuse voulait aussi intime et aussi modeste que l'est le mérite des femmes de bien qu'une ville entière honorait d'un même geste et d'un même cœur, mais il nous faut toutefois donner le résumé des discours éloquents et émus que prononcèrent à tour de rôle le chef de la paroisse, le premier magistrat de la cité, puis Mgr Pasquet lui-même.

    Discours de M. le Curé-Doyen. Tinchebray est une ville digne, malgré sa vieille

    histoire qui n'est pas toujours à son honneur. On dit que César avait délégué un de ses lieutenants pour faire la reconnaissance du pays et que celui-ci disait que le pays est une caverne de voleurs. Malgré ses légendes, qui rappellent que Tinchebray-Domfront étaient considérés comme les pays du diable, quel qu’il en soit, Tinchebray est en train de refaire

  • une nouvelle et belle histoire par les sentiments de reconnaissance si splendidement exprimés. Reconnaissance qui va à son Excellence Monseigneur l'Evêque, dont la présence est pour nos religieuses un encouragement et une récompense. A Monsieur le Maire et à la municipalité, qui a donné l'exemple en votant une subvention de 5000 francs supplémentaire, prix princier, et en ouvrant une souscription publique. A nos deux docteurs, MM. Vivien et Ledos, qui ont toujours su encourager le dévouement de nos sœurs garde-malades en leur donnant toute confiance. A la population, merci ! Avec elle, je lève mon verre à la prospérité de la maison !

    Discours de M. Morel. C'est un très grand honneur pour la ville de fêter avec éclat

    celles qui ont été pour notre population la miséricorde même. M. le Curé a été incomplet dans la distribution des compliments qu'il vient de faire. Je voudrais le remercier de la part sérieuse qu'il a prise et qu'il a partagée, avec ses dévoués vicaires, dans l'organisation de ce centenaire. C'est un plaisir et un honneur pour moi et MM. Les Adjoints de nous trouver ici près de vous, Monseigneur, et au milieu des prêtres auxquels nous prêterons toujours notre appui. Nous tenons à fêter dignement nos religieuses, car si le nombre d'heures passées à confectionner les milliers de pétales, de géraniums et de marguerites est grand. Ce n'est rien à côté du nombre d'heures passées depuis cent ans au chevet des malades par nos religieuses garde-malades. Je termine en levant mon verre en l'honneur de Monseigneur, de Monsieur le Curé et des prêtres présents, dont je suis très heureux de fêter le dévouement parfait et absolu.

    Discours de Monseigneur. Si Tinchebray avait à se racheter, il l'a fait aujourd'hui.

    Mgr remercie M. le Maire et M. le Curé décernant un prix ex-aequo à l'un et à l'autre, pour l'organisation de cette magnifique fête, un prix ex-aequo à MM. Les docteurs patrons du dévouement des sœurs. Mgr, exalta ensuite l'union des autorités civiles et religieuses en cette phrase sonore : Si tous les Français s'aimaient comme on s'aime à Tinchebray, la France serait bien belle. Le centenaire de la Miséricorde est la fête de l'union. On pourrait sur ce point donner Tinchebray comme modèle. C'est une fête de famille. Tous les cœurs battent aujourd'hui à l'unisson, celui du riche comme du plus pauvre. Cette fête qui n'augmente pas les fatigues de votre évêque c'est la fête du repos augmentée de bien douces joies.

    A l'issue du déjeuner, M. Morel, maire, allait remettre la médaille d'argent de

    l'Assistance publique à l'une des sœurs de la Communauté, sœur Sylvère, née Pellan Marie-Rose, 40 ans de services, qu'une grave maladie consignait à la chambre. Voici d'autre part les noms et états de service de quatre autres religieuses de la Communauté à qui M. le Ministre de la Prévoyance Sociale, avait sur les instances de M. Roulleaux-Dugage, député, et Morel, Conseiller général et maire, décerné la même distinction. Sœur Firmat, née Fortin Louise, supérieure de la Miséricorde de Tinchebray, 36 ans de services dont 4 ans d'ambulance comme infirmière major à l'hôpital de Saint Jean d'Angely, 18° région, avec citation à l'ordre de la division. Sœur Celesta, née Lambert Léontine, assistante à la communauté de la Miséricorde de Tinchebray, 26 ans de service dont 2 d'ambulance. Sœur Jean-Baptiste, née Trépetil Philomène, de la Miséricorde de Tinchebray ; 34 ans de services. Sœur Adolphe, née Renard Eugènie, de la Miséricorde de Tinchebray ; 27 ans de service dont 3 ans d'ambulance.

    Dès 3 heures, un imposant cortège se formait à nouveau et reprenait le chemin de

    la Porte de Condé où Mlle Morel offrait une magnifique gerbe de fleurs à Madame la Supérieure de la Miséricorde qui ne devait pas tarder à la déposer sur le monument aux

  • morts de la grande guerre. C'était ensuite au tour de Mlle Vivien de dire, du reste parfaitement, un poème consacré spécialement au centenaire par un poète du cru dont nous devons respecter l'anonymat volontaire.

    De là, le même cortège se rendait sur la place du Marché où avait été édifié un

    magnifique arc de triomphe, tellement et si justement admiré qu'il a été décidé de le laisser en place, ainsi du reste que toute la décoration de la ville jusqu'à demain dimanche soir. C'est là, qu'en face du monument aux morts, M. le Maire procède à la remise de la médaille d'argent de l'Assistance publique aux quatre autres religieuses de la communauté, dont nous avons cité les noms d'autre part, remise précédée du discours suivant que les plus rapprochés des auditeurs ne manquèrent pas d'applaudir à plusieurs reprises : Mes sœurs, Excellence, Mesdames, messieurs,

    Pour commémorer le centenaire de la fondation de la Miséricorde, la commune de Tinchebray a l'honneur de recevoir votre Excellence. Au nom de ses habitants, je vous présente des hommages très respectueux et vous remercie de donner, par votre présence, à cette fête tout l'éclat qu'elle mérite. Pour recevoir ses hôtes et témoigner sa reconnaissance , la population a garni toute la ville de fleurs, de verdures, de magnifiques arcs-de-triomphes, pensant que c'était la meilleure façon de manifester ses sentiments, impossibles à exprimer, malgré le riche vocabulaire de la langue française, qui ne possède encore assez de mots pour définir l'étendue des bienfaits, du dévouement et de l'abnégation de nos religieuses.

    Le soin des malades disait le chanoine Bazin doit comporter un zèle infatigable, une

    compassion affectueuse, une grande douceur, une patience à toute épreuve, une vigilance continuelle, une charité que rien ne puisse rebuter.

    Ne sont-ce pas les qualités fondamentales que nous admirons chez toutes les sœurs

    de la Miséricorde, et n'est-ce pas pour cette raison que nous voulons fêter et glorifier de pareilles vertus, pratiquées par elles depuis cent ans à Tinchebray ?

    Leur but n'est-il pas en effet d'embrasser dans leur action de bonté, de relèvement,

    de guérison, le cycle complet de la souffrance humaine, depuis l'enfant abandonné ou mal soigné, depuis la mère malheureuse incapable de nourrir son enfant à cause de la misère, depuis l'adulte qu'un travail trop pénible ou malsain a conduit à la maladie et au lit de souffrances, jusqu'au vieillard vaincu par l'âge et ses infirmités ?

    Ce dévouement, nous en avons des preuves dès l'arrivée des sœurs à Tinchebray ;

    mais je m'en voudrais d'ajouter, ne fut-ce que quelques mots, à l'historique si complet que nous en a fait ce matin à l'église, M. le Doyen dans sa parfaite allocution. Je veux simplement m'associer à ses paroles, saluer la mémoire des religieuses qui ont payé de leurs vies des soins empressés donnés aux typhiques en 1835, 1840, 1863, en allant jusqu'à l'extrême limite de la fatigue et de la privation. Je veux évoquer aussi le souvenir de celles qui dorment paisiblement à l'ombre du vieux clocher des Montiers.

    Des faits comme ceux-ci suffiraient à provoquer le respect le plus absolu,

    l'admiration la plus parfaite, si nous ne connaissions pas les services, le réconfort, le soulagement physique et moral que ces femmes d'élite apportent chaque jour dans les foyers de la ville et des villages.

  • Consolatrices dans les heures graves et pénibles, elles ont le don merveilleux de réconforter les parents et les amis. Il semble que plus la tâche est difficile, plus elles sont satisfaites.

    Pour toutes ces raisons, Madame la Supérieure, je vous offre les remerciements

    profonds et le témoignage de sympathie le plus parfait d'une population qui vous estime et vous vénère, aussi bien à Tinchebray, que dans les communes voisines. Je ne passerai pas sous silence, les grands services que vous avez rendu pendant la guerre, à l'ambulance militaire, où vous avez prodigué aux soldats des soins dévoués et joué un rôle très important.

    Les anciens combattants, ici présents, vous remercient, au nom de leurs camarades. Les drapeaux de leurs sections vous témoignent, en ce moment, leur reconnaissance. Nous vivons à une époque où l'on doit apprécier encore d'avantage les valeurs morales et spirituelles, alors que l'improbité, les scandales, la corruption, la démoralisation, et l'égoïsme sont monnaie courante. Aussi devons-nous nous féliciter de posséder ici votre communauté, véritable gardienne du bon ordre, du devoir et de la moralité, au temps où les maladies contagieuses, par l'effroi qu'elles inspiraient, devenaient des espèces de délits à châtier, au temps des léproseries, des dépôts de mendicité où s'entassaient pêle-mêle, des filles, des enfants trouvés, des infirmes, des vieillards et des voleurs. A ces jours d'horreur succédèrent, il est vrai ceux plus cléments du XIXe siècle, mais qui informaient encore une sorte de déchéance au malade ou à l'indigent.

    Votre vie Madame la Supérieure, et la vôtre, mes sœurs, n'est qu'un long chapelet de bonnes motions, et quand on parle de votre dévouement, il faut donner à ce mot toute sa signification ; de gestes accomplis avec quelquefois grand péril poussé simplement par un continent généreux.

    Je dois maintenant adresser à M. le Doyen des félicitations pour la parfaite

    organisation de la fête, pour la magnifique cérémonie à l'église, où il a su s'entourer d'artistes de premier ordre. Je dois le remercier d'avoir contribué pour une très large part à la réussite de cette journée commémorative. J'adresse à la population de Tinchebray mes compliments et mes remerciements chaleureux. Vous avez mes chers compatriotes, passé des jours et des nuits à confectionner des magnifiques guirlandes que nous admirons aujourd'hui et qui vont conserver à notre cité la réputation de savoir, comme nulle part ailleurs, dresser de féeriques décors et glorifier les héros.

    Je salue et remercie toutes les sociétés, toutes les autorités civiles et militaires qui, depuis ce matin, nous accompagnent et forment une escorte d'honneur...

    Cet hommage public au mérite fut suivi d'un salut où la bénédiction solennelle du Saint Sacrement fut donnée par Mgr l'Evêque, après une partie artistique dont voici le programme : Tollite, choeur à 4 voix ; O Salutaris, choeur des hommes ; Tota Pulchra es, Tantum ergo, Laudetur, et encore Jésus charité infinie, chœur spécialement composé pour le centenaire. Après un vin d'honneur servi à la Miséricorde, il y eut foule pour la visite de la communauté superbement décorée et où la supérieure de la Miséricorde ne ménagea pas ses remerciements à la population pour le précieux témoignage de sympathie qui avait marqué cette grande et belle journée. L'impression fut d'ailleurs telle que le vénéré chef du diocèse ne se retint pas de dire qu'il n'avait encore rien vu d'aussi beau pour un centenaire...

  • Ajoutons-y que ces brillantes fêtes eurent le soir même le couronnement qui s'imposait par un remarquable concert donné par l'excellente musique municipale sur la place de la Porte de Condé, où il y avait à nouveau foule pour l'entendre et l'applaudir. Remerciements : La Révérende Mère Supérieure Générale de la Congrégation de la Miséricorde de Sées, la Mère Supérieure de la maison succursale de Tinchebray et ses sœurs expriment au clergé, à M. le Maire, au Conseil municipal et à la ville, l'hommage de leur profonde reconnaissance pour les grandioses manifestations préparées et réalisées pour la journée du centenaire de la fondation, avec une délicatesse qui les a vivement émues. En retour, elles donnent aux chers habitants de Tinchebray la nouvelle assurance de leur absolu dévouement. Une Supérieure Générale originaire de Tinchebray.

    Dans le journal de la Croix de Flers du 10 juin 1834, on lit cette nécrologie : « La Communauté de la Miséricorde est en deuil. La R. Mère Romuald a rendu sa belle âme à Dieu. Supérieure générale jusqu'à ces dernières années, jusqu'au déclin de ses forces, elle a été au sens spirituel de ce mot, 30 années durant, la mère de l'admirable famille qui a vu tant d'âmes grandir en sagesse et en vertu. Ces paroles évoquent une autre maison que la sienne. Mais en les appliquant à la sienne nous ne trahissons pas l'Evangile. Les leçons de Nazareth : pureté, obéissance, humilité, sacrifice, ne sont-elles pas l'idéal de la Miséricorde ? Mère Romuald les incarna dans toute sa vie exemplaire. Tinchebray où elle naquit d'une famille profondément chrétienne qui donna son fils aux religieux de Sainte Marie : le père Marcère, eut les prémices de sa piété et de sa charité. A l'école de son père le juge de paix unanimement respecté, elle avait appris que la meilleure collaboratrice de la justice est la miséricorde. Sans doute, son souvenir a-il contribué au triomphe du centenaire qui lui rappela les saintes joies de sa jeunesse et fut pour sa vieillesse l'aurore de l'éternité. Chargée d'ans et de mérites elle a quitté ce monde sur un doux et magnifique : consummatum est. Ses obsèques ont eut lieu, jeudi, sous la présidence de Mgr l'Evêque de Séez qui, en tournée de confirmation, a tenu à lui apporter l'hommage de la reconnaissance diocésaine ». Le témoignage des religieuses pendant l'exode en 1944.

    « Juin 1944 : les événements se précipitent. Après le débarquement et les bombardements de Vire, Flers et Condé, Tinchebray, à son tour, subit un raid le 7 qui fait deux victimes auprès de chez nous. Un second bombardement le 12, fait tomber les vitraux du côté nord de la chapelle et les carreaux des fenêtres du même côté ; ainsi que ceux du lavoir. Le 13, nous nous installons aux Châtaigniers, dans la maison que les propriétaires veulent bien mettre à notre disposition, Sœur Nativité, notre grande malade a... , avec l'une de nous pour la soigner. Nos Sœurs sont effrayées par les mitraillages et la crainte des bombardements, y partent coucher le soir, revenant le lendemain pour la prière du matin. Notre Mère et sœur Marie-Françoise, pourtant demeurent à la Communauté pour éviter le pillage. Nous cachons en terre : vêtements, ornements, linge et nos quelques provisions, heureuse précaution dont nous eûmes, plus tard, lieu de nous féliciter.

    Dans la nuit du 6 au 7 août, Tinchebray fut arrosé par l'artillerie allemande et eut à

    déplorer trois victimes ; ..i, dès le matin, l'ordre fut-il donné d'évacuer. Le 7 , nous prîmes donc la route de Chanu avec tous les Tinchebrayens, trainant brouettes, remorques ; nous

  • avions une petite voiture à âne... Le 8, des religieuses sont demandées pour soigner trente vieillards déposés là, au centre d'accueil, sans linge et sans soins. Trois d'entre nous s'y dévouèrent. Afin de n'être pas dispersées, nous étions restées à Chanu dans une grande étable un peu éloignée de la route. Nous espérions bien y demeurer jusqu'à la fin des hostilités lorsque, le 11 au matin, nous sommes arrosées d'obus par l'artillerie allemande. Il fallut prendre la route de Messei, la seule alors possible. Nous arrivâmes à Messei à sept heures du soir, sous un mitraillage en règle, harassées de fatigue (nous avions marché sans arrêt depuis sept heures du matin!). Hélas : dans le bourg, plus de place ! Force nous fut de nous réfugier dans un champ, à cent mètres de la localité : nous y étions soixante personnes.

    Après un souper en plein air, nous nous étendîmes sous une tente improvisée...

    Vers minuit, des forteresses, attirées sans doute par le rassemblement d'un certain nombre de chevaux, vinrent bombarder le lieu où nous étions réfugiées : c'est dans ce raid tragique que deux d'entre nous devaient trouver la mort... Sœur Léopold fut littéralement coupée en deux ; Sœur Marie-Françoise et Sœur Adalberte, blessées, furent transportée, dans une ambulance allemande, à l'hôpital de Pont-Ramond (sur La Chapelle au Moine), où la première succomba vers neuf heures du matin... Dénuées de tout secours, nous dûmes déposer notre chère sœur Léopold dans une tranchée allemande, ainsi qu'une dame de Tinchebray tuée également à nos côtés. Comment décrire notre douleur... le calvaire qu'il nous fallut gravir ? Mais nous ne pouvions demeurer dans ce champ sinistre : nous reprîmes la route pour Bellou en Houlme. Arrivées à ce village vers sept heures du soir, nous y fûmes très bien accueillies par une famille (Ferey) de chrétiens charitables. Cent soixante personnes étaient réfugiés dans leur ferme, et cependant, chacune pouvait s'y mettre aisément à l'aise, tant était vaste ce logement.

    Les nuits des 15 et 16 août furent terribles par suite des tirs d'artillerie, mais le 17,

    vers cinq heures du soir, nous fûmes libérées par les troupes américaines et, dés le lendemain, nous reprenions la route de Tinchebray où nous arrivâmes vers sept heures du soir. Nous fîmes le trajet d'un trait, sans boire ni manger, transportées par une famille (Bouvet, de Ménil-Ciboult) réfugiée dans la même ferme que nous. Dans quel état avons-nous trouvé notre chère Communauté ? Les portes et fenêtres enfoncées, les volets à terre, un désordre sans nom dans toutes les pièces, tous les placards dévalisés !... Vitraux et carreaux étaient tombés, impostes et châssis manquaient. Les toitures, surtout celle de la chapelle, étaient très endommagées. La chapelle pourtant, si elle avait été pillée, avait été respectée par les obus.

    Le 20 et le 22 août, nos Sœurs restaient à Chanu et nos trois malades, qui avaient été transportées chez les religieuses de Perrou à la Ferrière aux Etangs, rentrèrent à leur tour.

    Quinze jours après, environ, nous pûmes trouver une camionnette pour le transfert

    des corps de nos deux chères victimes, déposées si hâtivement dans des fosses, sans cercueil. Sœur Léopold fut ramenée la première, et nombreux furent les paroissiens de Montsecret, où elle s'était dévouée si longtemps, qui vinrent rendre un dernier hommage de reconnaissance à celle qui les avait si souvent soulagés. Le corps de notre petite Sœur Marie-Françoise fut rapporté huit jours après. Leurs obsèques eurent lieu dans l'église paroissiale, au milieu d'une assistance nombreuse et recueillie...

  • La joie de la libération et du retour à la Communauté fut pour nous bien attristée par ce double deuil. Dieu s'était choisi parmi nous deux victimes : puisse leur sacrifice contribuer au rachat de notre chère France ! ».

    Dans le registre d'état civil de la commune de La Chapelle au Moine, on trouve l'enregistrement du décès à Pont-Ramon d'Henriette Marie Victoire Armandine Carnet le 12 août 1944 à 22 heures. Elle est dite religieuse de la Miséricorde de Tinchebray, âgée de 35 ans, née à Argouges, Manche, en 1908. En pleine, campagne à Pont-Ramon était transféré l'hôpital de Flers qui avait été bombardé lors du débarquement. Cette religieuse est sœur Marie-Françoise.

    Dans le registre d'état civil de la commune de Messei, on trouve l'enregistrement du décès de Juliette Victoire Morin le 13 août 1944 à 3 heures 30, au lieu-dit La Croix Boissée. Elle est dite religieuse garde malade, demeurant à Tinchebray, âgée de 63 ans, née à Montbizot, Sarthe, en 1881. Cette religieuse est Sœur Léopold.

    Ces deux religieuses sont bien sûr inscrites sur le monument aux Morts de la ville de Tinchebray qui se trouve placé devant la mairie. Une Sœur méritante à Tinchebray.

    Sœur Marc, née Victoire Julie Legallais, naquit le 12 décembre 1869 à Evrau (Côtes du Nord) . En 1901, elle est citée dans le registre de la population de Tinchebray au nombre des Sœurs de sa Communauté. Elle y arriva le 18 avril 1896. En 1946, elle fête son jubilé sacerdotal à Tinchebray. En 1951, elle est décorée par l'assistance publique. Elle meurt à Tinchebray le 23 décembre de cette dite année, âgée de 82 ans.

    Une des dernières Sœurs connue à Tinchebray.

    Sœur Saint-Jean-l’ Evangéliste, née Andrée Bremont naquit en 1913. Elle arrive à Tinchebray en 1937 et quitte cette ville le 28 septembre 1958. Elle était donc à Tinchebray pendant la dernière guerre. Elle est morte presque centenaire à Séez le 16 juillet 2012. Discours de M Gérard VILLEROY pour la cérémonie

    du BICENTENAIRE DU PERE BAZIN en l’Eglise de FRENES

    le 2014 04 12.