Jacques Demy

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Le monde en-chanté de Jacques Demy

Transcript of Jacques Demy

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Prix France 45 € TTCISBN 9782081295322

« Pourquoi je filme ? ⁄ Parce que j’aime ça ⁄ Parce que ça bouge ⁄ Parce que ça vit ⁄ Parce que ça pleure ⁄ Parce que ça rit […] ». Quelques mots et c’est tout un monde qui s’ouvre, celui de Jacques Demy, enchanté et sensible, que les pages de ce livre fourmillant d’inédits comme de témoignages précieux glissés ici et là par Agnès Varda, Michel Legrand, Catherine Deneuve, Harrison Ford, etc, invitent à découvrir. Et, serti dans le papier, un morceau de pellicule comme un présent inattendu.

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Personnage en papier découpé créé par Jacques Demy pour son film d’animation Attaque nocturne, 1948

Jacques Demy mettant en scène son film d’animation La Belle endormie, 1952-1953

Photogrammes des films d’animation de Jacques Demy, Attaque nocturne, 1948 (à gauche), et Le Pont de Mauves, 1944 (à droite)

Collection Succession Demy

« J’ai découvert Jacques Demy très jeune, dans son grenier, où il avait installé sa propre caméra et où il fabriquait lui-même de petits décors dans lesquels il tournait d’extraordinaires dessins animés. Certain de son talent, j’ai tout fait pour convaincre son père de le laisser entrer à l’école de Vaugirard, où il apprit plus tard le cinéma pour devenir le grand cinéaste que l’on connaît. »Christian-Jaque, TF1, 24 mai 1976

Carton « Jacques Demy présente », réalisé par le jeune cinéaste pour ses films d’animation, vers 1948

Brouillon de lettre de Jacques Demy pour le cinéaste Christian-Jaque, après leur rencontre à Nantes, le 3 mars 1948

Collection Succession Demy

Le Pont de Mauves, 1944Attaque nocturne, 1948La Belle endormie, 1952- 1953

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Raoul Coutard (directeur de la photographie), Jacques Demy et Marc Michel sur le tournage de Lola dans le passage Pommeraye à Nantes photographiés par Agnès Varda, 1960Collection Agnès Varda

Dessin et lettre de Jean Cocteau réalisés à la sortie de Lola, 1961

Anouk Aimée sur le tournage de Lola photographiée par Agnès Varda, 1960Collection Agnès Varda

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La Mélodie du Bonheur

1963 - 1967

Les Parapluies de CherbourgLes Demoiselles de Rochefort

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Jacques Demy dirigeant Catherine Deneuve, Gene Kelly, Danielle Darrieux, Françoise Dorléac et Jacques Perrin, sur le tournage des Demoiselles de Rochefort photographié par Hélène Jeanbrau, 1966

Pages 110-111 : George Chakiris, Grover Dale, Danielle Darrieux, Michel Piccoli, Gene Kelly, Françoise Dorléac et Catherine Deneuve dans Les Demoiselles de Rochefort photographiés par Hélène Jeanbrau, 1966

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Model Shop

LosAngeles

Trip1967 - 1969

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UnRuban

deRêves

1970 - 1978

Peau d’âne — The Pied Piper ( Le Joueur de fl ûte)Lady Oscar — L’Événement le plus important depuis que l’homme

a marché sur la Lune

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UN RUBAN DE RêVES (1970 -1978)

« Ce qui m’intéressait le plus, c’était la possibilité, voire la nécessité, de faire cohabiter le réalisme et la magie. » Jacques Demy

Si Jacques Demy est tant plébiscité par le public jusqu’à aujourd’hui, c’est beaucoup grâce à sa passion du conte de fées, qui le fit réaliser en 1970 Peau d’âne, conçu avec sophistication et originalité. Tourné dans les châteaux de Chambord et du Plessis-Bourré, ce film signe son retour au cœur de la culture de son pays natal – mais montre aussi à quel point sa « période américaine » a été riche d’enseigne-ments, transformant à jamais ses conceptions esthétiques les plus profondes (c’est d’ailleurs le psychédélique Jim Leon, qui crée les décors du film). Comme si Demy était soudain désinhibé par rapport à la tradition française et se permettait de nouvelles audaces, de nouveaux débordements.Un récit onirique où, derrière le baroque, s’exprime un pan de l’intimité du cinéaste. Le spectateur y retrouve sa passion pour Hollywood comme celle pour l’iconographie fantastico-romantique du xıx e siècle (Gustave Doré) ou pour les maîtres de la poésie française du xxe, Cocteau et Prévert en première ligne. Un film hypnotique, tout en pierreries, lierres luxu-riants, cristaux, vitraux colorés, broderies, qu’exaspèrent de troublants effets spéciaux : jeux sur le ralenti et l’accélération, lecture de la pellicule en marche arrière, scènes de dédouble-ments réalisées en transparence (le prince charmant sortant de son habit rouge, tel un être divin, pour revêtir, le temps d’un rêve, un habit blanc et or).Avec Peau d’âne, le « ruban de rêves » métaphorique du cinéma 1 trouve son emblème paroxystique dans la robe couleur du temps, taillée à partir de toiles d’écran de cinéma, sur laquelle se projettent des nuages en mouvement. Catherine Deneuve, bonne fée du cinéma de Demy, porte cette robe comme elle portera plus tard dans le film la robe dorée couleur de soleil et la peau de l’âne, qui incarnent les deux pôles extrêmes de son personnage – une princesse insaisissable, loin des images d’Épinal, troublante et lisse à la fois.Après Peau d’âne (d’après Charles Perrault), serti dans son écrin sacré, Demy continuera durant les années 1970 à s’inté-resser aux légendes. En 1971, il s’attache à celle du Joueur de flûte (d’après les frères Grimm), pour lequel il choisit de confier le rôle principal à Donovan, chanteur embléma-tique des années flower power. Dans ce film plus âpre que le précédent, seuls les artistes et les enfants survivent au désastre d’une civilisation moyenâgeuse dévorée par la peste et l’obscurantisme – une civilisation vénale où bourgmestre et barons n’hésitent pas à brûler l’alchimiste juif Mélius (encombré d’une étoile jaune sur sa toge) comme au temps de l’Inquisition, ou même du nazisme. Le film est passion-nant dans son rapport à la musique. À la différence de Peau d’âne, il ne s’agit pas d’une comédie musicale. La musique, très présente, y est devenue le sujet même du récit. Objets de convoitise et d’attirance, les chansons interprétées par le ménestrel ont des vertus salvatrices et thérapeutiques 2. La musique est partie prenante, dans le champ. Ce n’est plus

un principe : c’est une réalité de la diégèse. Elle accompagne les personnages et devient le contrepoint libératoire à cet enfermement généralisé que filme Demy le long de travellings sans cesse contraints par des obstacles (ville primitive de remparts, où la libre circulation est interdite, faite de ponts-levis, de grottes et de passages secrets, couverts, sur ses murs, de dessins monstrueux qui évoquent des Jérôme Bosch géants). Échappant à la persécution, les jeunes se détachent des adultes pour disparaître vers un horizon meilleur, dans une scène filmée comme une résurrection. Vers un noma-disme qui est aussi celui du cinéaste à cette époque, oscillant entre plusieurs territoires de travail et de réflexion.Quelques années plus tard, en 1978, à la recherche d’une nou-velle expérience, Demy réalise Lady Oscar, commande éma-nant d’un jeune producteur japonais qui avait alors acheté les droits d’adaptation d’un manga très populaire au pays du Soleil-Levant, The Rose of Versailles, écrit par Riyoko Ikeda. Dans ce film, le cinéaste mêle le destin d’une femme travestie en homme (dont l’ambiguïté est une force) à l’histoire de la Révolution française.Deux films internationaux (production anglaise pour l’un, japonaise pour l’autre), qui confirment que le cinéma de Demy n’a pas de frontières, mais aussi que son centre de gravité, à force de se déplacer, met ses films en orbite, loin de tout circuit de distribution traditionnel (Le Joueur de flûte et Lady Oscar ne sortiront tout simplement pas en France). Une schize s’installe. Un éloignement aussi entre lui et les spectateurs qui l’ont pourtant tant chéri.Pour Jacques Demy, le conte est une manière de mettre le réel à distance, mais pas de s’en évader totalement. D’ailleurs, si L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune, tourné lui aussi au cœur des années 1970, exploite une veine fantastique (un homme « enceint » est au cœur de cette fiction habilement tissée d’invraisemblances), c’est sur fond de (douce) satire sociale, contre l’hégémonie des médias, avec une tendresse affirmée pour les revendications féministes, qu’incarne dans la vie sa compagne Agnès Varda. Véritable conte de la vie moderne, L’Événement est plus un film visionnaire que futuriste, teinté d’une émotion toute particulière si l’on se souvient que la mère de Demy était coiffeuse (à l’instar du personnage de Catherine Deneuve) et son père garagiste (ici, Marcello Mastroianni dirige une auto-école). Comme si avec L’Événement, et pour la pre-mière fois, Demy filmait des petites cérémonies d’amour sans encombres. Ce film du détournement et de la méta-morphose corporelle crée un récit moins univoque qu’on pourrait le croire. C’est au final, dans un registre populaire, un objet cinématographique qui met en perspective la ques-tion essentielle du « performatif ». Et quoi de plus performatif que l’enfantement (littéral ou artistique) ? L’Événement est comme le doux fantasme de cette scène originelle, par nature impossible à filmer. Pour l’approcher au mieux, et briser les tabous qui l’encombrent, Demy inverse avec délectation les figures paternelle et maternelle, ce qui l’autorise, in fine, à filmer une naissance en fiction, qui est un peu aussi celle de l’artiste. Matthieu Orléan

1 Une expression d’Orson Welles. 2 À propos de la jeune Liza malade, Mélius dit : « Il lui faut de la musique, qui est un remède qui a fait ses preuves. » Cette phrase aurait pu être prononcée par Demy lui-même, en parlant de son public !

Page précedente : Essai de costume de Delphine Seyrig pour Peau d’âne, photographiée par Michel Lavoix, 1970

Catherine Deneuve dans Peau d’âne photographiée par Michel Lavoix, 1970

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