Invitation Incomplète à l'Aporie

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Invitation incomplète à l’aporie Quand je me mets à écrire ces lignes, qui seront, hélas, forcément confuses de par leur brièveté obligée, je ne peux pas m’empêcher de croire que c’est bien moi qui se met à écrire. Mon identité est ma seule expérience immédiate, instantanée. Le moi est ma façon de vivre l’expérience du monde, ma propre intentionnalité est le seul mode d’être qui m’est accessible. Or, si je suis mon expérience première, je ne suis pas le spectateur de cette dernière, mais son sujet. Je est l’acteur de l’expérience, mais celle ci semble lui s’imposer. Je pense et je agit, mais la pensée et l’intention sont-ils le fruit de son libre arbitre ? Autrement dit, si je est un acteur, n’est-il aussi un masque ? Beaucoup le pensent, confortés par les 7 secondes de Haynes. Si des scans du cerveau peuvent prédire, avec une certitude de plus en plus raffinée, le choix d’appuyer sur un bouton, comment ne pas croire, avec Nietzsche, que des pensées s’imposent à l’agent mais que ce ne sont pas ses pensées ? Le je est le masque que prend le spectateur quand il se veut acteur, puisque je ne peut pas se concevoir autrement qu’en tant que source et action. C’est son essence que d’agir, que d’être intentionnellement lié au monde et à soi même en tant qu’objet. Je ne permet pas, de par son mode d’être, la conception d’un monde déterministe, car la relation entre la conscience et le monde est intentionnelle, sa causalité est conceptuellement unilatérale. Mais la liberté de ce je serait, alors, illusoire, bien qu’incontournable de son point de vue, le seul point de vue accessible. La conscience ne serait, alors, que le corollaire de l’action et non pas sa cause, le mode d’être du spectateur qui se projette sur la scène, un mécanisme biologique étrange. Le libre arbitre ne serait pas, néanmoins, seulement une illusion. Pour reprendre le propos de Harris, cette illusion serait elle-même une illusion, car en fin de compte le spectateur et l’agent seraient eux mêmes illusoires. Il ne s’agit pas, en effet, de penser le je comme le spectateur du théâtre cartésien. Je est ici la façon dont les pensées, les impulsions, se projettent intentionnellement par rapport à leurs objets, un mode d’être nécessaire et non pas une entité enfermée dans le cerveau, contrairement à ce qu’on la tendance de penser beaucoup des neuroscientifiques. Mes décisions ne seraient pas, alors, mes décisions, mais les décisions qu’impose l’algorithme des synapses et dont le mode d’être nécessite un moi. Je est, donc, ailleurs, puisqu’il est la modalité dont se traduit l’intentionnalité entre les pensées déterminées par le cerveau (ou par le Big Bang ?) et leurs objets. Or, il y a ici une confusion conceptuelle. Si certains ont pu croire que les neurosciences signifient la fin du libre arbitre, sinon la fin de l’arbitre tout court (le je relationnel), c’est parce qu’on met un écart entre la conscience et la matière du cerveau, comme si le déterminisme physico- biologique ne serait pas compatible avec la liberté du je. Si on abandonne l’idée d’un moi coincé dans le théâtre de l’esprit et si on accepte que ce moi

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Réflexions noétiques

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Invitation incomplte laporie Quand je me mets crire ces lignes, qui seront, hlas, forcment confuses de par leur brivet oblige, je ne peux pas mempcher de croire que cest bien moi qui se met crire. Mon identit est ma seule exprience immdiate, instantane. Le moi est ma faon de vivre lexprience du monde, ma propre intentionnalit est le seul mode dtre qui mest accessible. Or, si je suis mon exprience premire, je ne suis pas le spectateur de cette dernire, mais son sujet. Je est lacteur de lexprience, mais celle ci semble lui simposer. Je pense et je agit, mais la pense et lintention sont-ils le fruit de son libre arbitre? Autrement dit, si je est un acteur, nest-il aussi un masque? Beaucoup le pensent, conforts par les 7 secondes de Haynes. Si des scans du cerveau peuvent prdire, avec une certitude de plus en plus raffine, le choix dappuyer sur un bouton, comment ne pas croire, avec Nietzsche, que des penses simposent lagent mais que ce ne sont pas ses penses? Le je est le masque que prend le spectateur quand il se veut acteur, puisque je ne peut pas se concevoir autrement quen tant que source et action. Cest son essence que dagir, que dtre intentionnellement li au monde et soi mme en tant quobjet. Je ne permet pas, de par son mode dtre, la conception dun monde dterministe, car la relation entre la conscience et le monde est intentionnelle, sa causalit est conceptuellement unilatrale. Mais la libert de ce je serait, alors, illusoire, bien quincontournable de son point de vue, le seul point de vue accessible. La conscience ne serait, alors, que le corollaire de laction et non pas sa cause, le mode dtre du spectateur qui se projette sur la scne, un mcanisme biologique trange. Le libre arbitre ne serait pas, nanmoins, seulement une illusion. Pour reprendre le propos de Harris, cette illusion serait elle-mme une illusion, car en fin de compte le spectateur et lagent seraient eux mmes illusoires. Il ne sagit pas, en effet, de penser le je comme le spectateur du thtre cartsien. Je est ici la faon dont les penses, les impulsions, se projettent intentionnellement par rapport leurs objets, un mode dtre ncessaire et non pas une entit enferme dans le cerveau, contrairement ce quon la tendance de penser beaucoup des neuroscientifiques. Mes dcisions ne seraient pas, alors, mes dcisions, mais les dcisions quimpose lalgorithme des synapses et dont le mode dtre ncessite un moi. Je est, donc, ailleurs, puisquil est la modalit dont se traduit lintentionnalit entre les penses dtermines par le cerveau (ou par le Big Bang?) et leurs objets. Or, il y a ici une confusion conceptuelle. Si certains ont pu croire que les neurosciences signifient la fin du libre arbitre, sinon la fin de larbitre tout court (le je relationnel), cest parce quon met un cart entre la conscience et la matire du cerveau, comme si le dterminisme physico-biologique ne serait pas compatible avec la libert du je. Si on abandonne lide dun moi coinc dans le thtre de lesprit et si on accepte que ce moi est la fiction narrative issue de ce que Hofstadter appelle une boucle trange, ltat dun systme qui devient autorfrentiel de par la densit informationnelle des couches qui le composent, le problme ne se pose plus, et ceci sans devoir chercher la solution dans lincertitude de Heisenberg. Laissons les chats pour le dessert. Je est le cerveau, la faon dont les couches oprationnelles de celui-ci entrent en relation les unes avec les autres pour crer une unit. Si le cerveau montre les signes dune dcision simple 7, 5 ou 4 secondes avant que je en ait conscience, cest toujours je qui prend cette dcision, puisque je est le systme dans sa totalit et non pas seulement sa couche consciente, lespace du travail global, de la computation difficile et de lquilibre entre les diffrents algorithmes parasitaires (car tout algorithme neuronal est parasitaire). Peut tre le mieux serait de penser au jeu de la vie. Bien sr, les rgles basiques sont simples et ncessaires, mais avec lcoulement du temps des structures stables (pour emprunter le vocabulaire de Dawkins) mergent, avec des comportements caractristiques, dfensifs ou agressifs, qui assurent leur survie. Pourquoi ne pas voir, alors, dans le jeu de la vraie vie, la conscience comme ltat atteint par un systme suffisamment complexe pour devenir autorfrentiel et, plus important encore, pour pouvoir reconnaitre des motifs stables dans sa propre faon dtre? Quand aux autres, leur je ne serait que le fruit de ma capacit de me projeter dans la narration dun organisme qui me rassemble. Le rductionnisme doit tre correct, puisquil ny a pas dautre solution pour expliquer le monde. Ds lors que la matire est unique, elle est exclusive et capable dexpliquer lensemble des phnomnes, y compris les phnomnes mentaux. Mais si on assume un je comme narration de la matire (sachant que le mcanisme de lmergence de cette narration nous est inconnu), y-a-t-il encore place pour un je libre, une matire libre delle-mme? A un sens fondamental, la rponse est certainement ngative. Au sens holiste de la totalit, pourtant, la libert de lagent est incontournable, fut ce linguistiquement. Mais comment concilier les deux niveaux, les fourmis et la tante Hillary. Peut tre il ne faut mme pas essayer. Peut tre le je libre, comme le je tout court, est indicible car purement subjectif, une narration propre chaque matire mais non transmissible par le biais du langage commun. Peut tre, alors, la conciliation des niveaux nest quun problme de langage. Ceci est mon aporie.