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. Intérêts et mise en place d’une pédagogie ludique de l’espagnol (en collège). Introduction p. 1 Quelques pré-requis : qu’entend-on par « jeu » et « ludisme » ? p. 2 I Ludisme et autorité 1) tenue de classe. p. 4 2) règles et consignes. p. 6 3) savoir gérer et administrer le ludique. p. 8 II Ludisme et apprentissage 1) le jeu et les différentes phases de l’apprentissage. p. 12 2) un nouvel antagonisme : le jeu versus l’exercice scolaire ? p. 15 3) motivation et valorisation de l’élève. p. 17 III Ludisme et variété 1) variété des approches et des supports. p. 20 2) cibler les centres d’intérêts. p. 22 3) la place du rire et de l’humour. p. 25 Conclusion Bibliographie p.29.

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Intérêts et mise en place d’une pédagogie ludique de l’espagnol(en collège).

Introductionp. 1

Quelques pré-requis : qu’entend-on par « jeu » et « ludisme » ?p. 2

I Ludisme et autorité

1) tenue de classe.p. 4

2) règles et consignes.p. 6

3) savoir gérer et administrer le ludique.p. 8

II Ludisme et apprentissage

1) le jeu et les différentes phases de l’apprentissage.p. 12

2) un nouvel antagonisme : le jeu versus l’exercice scolaire ?p. 15

3) motivation et valorisation de l’élève.p. 17

III Ludisme et variété

1) variété des approches et des supports.p. 20

2) cibler les centres d’intérêts.p. 22

3) la place du rire et de l’humour.p. 25

Conclusion Bibliographie p.29.

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Introduction

Etre un tout jeune professeur qui débute et découvre, sans transition après les

concours, les multiples visages d’une classe d’élèves et les multiples stratégies de la

pédagogie, voilà de quoi occuper et même préoccuper mes pensées de façon quasi

exclusive. Pas un jour ne se passe sans que je ne revisionne mentalement le film des

heures de cours de la journée, et sans m’imaginer comment se passeront les cours du

lendemain. Cependant, au bout de quelques mois de pratique avec mes classes de 4ème et

de 3ème du collège Gaston Roupnel de Dijon, et au fil de la formation professionnelle à

l’IUFM, cette réflexion obsessionnelle et inquiète du début d’année scolaire s’oriente peu

à peu, fait la part des choses entre les difficultés rencontrées et les moments de plaisir

lorsque s’établit enfin un climat de confiance avec les élèves, une vie de classe animée et

productive, et des progrès chez les élèves. C’est donc à partir de cette notion de plaisir en

cours, tant chez l’enseignant que chez les élèves, que je me suis proposé de réfléchir, ce

qui m’a conduit à considérer une facette riche et variée de notre métier : le ludisme

comme stratégie pédagogique.

En effet, en quoi le jeu, et les notions dérivées de plaisir, exploration, détente,

découverte, compétition, dépassement de soi, communication, peuvent-ils aider le

professeur d’espagnol à accomplir sa mission didactique, mais aussi citoyenne ?

Nous éluciderons avant toute chose ce que l’on entend par « ludisme », « jeu

ludique », « jeu éducatif » et « jeu pédagogique » afin de voir quelle(s) définition(s) et

quels objectifs en retenir. Ensuite nous porterons cette analyse sur les intérêts et la mise

en place d’une pédagogie ludique de l’espagnol dans trois directions, en illustrant notre

propos du récit et de l’analyse d’expériences menées en classe : pour commencer nous

confronterons les notions de ludisme et d’autorité, puis celles de ludisme et

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d’apprentissage, enfin nous envisagerons la diversité des approches et la place de

l’humour dans le cours d’espagnol.

Quelques pré-requis : qu’entend-on par « jeu » et « ludisme » ?

La question semble vaste, mais il est primordial de s’y frotter car les réponses

qu’en donnent les dictionnaires et les chercheurs sont loin d’être unanimes. Partons de la

définition de « jeu » donnée par le Petit Robert :

Activité physique ou morale purement gratuite, généralement

fondée sur la convention ou la fiction qui n’a, dans la conscience de celui qui s’y

livre, d’autre fin qu’elle-même, d’autre but que le plaisir qu’elle procure.

Plaisir, gratuité et liberté sont donc les maîtres mots de cette définition qui

semble convenir parfaitement au jeu de l’enfant dans ce qu’il a de plus récréatif ;

toutefois, de la récréation à la salle de cours, il y a tout un parcours à effectuer. De fait, la

notion de jeu est beaucoup plus complexe :

Mais le jeu n’apporte pas que le plaisir ; il est aussi une activité

nécessaire au développement de tout individu.1

Ce complément de définition nous permet de considérer une autre dimension

du jeu, tournée vers l’éveil de la personne, et ainsi donc, vers l’éducation et les

apprentissages. Du jeu naturel, libre et non commandé chez l’homo ludens2 présent en

chaque enfant, au jeu structuré par des règles, et qui perd sa finalité exclusive de plaisir et

1 OSTENIETH, « Jouer, c’est grandir ! », Revue belge de Psychologie et de Pédagogie, 1979, tome 41, n° 167,p. 85.2 Expression empruntée à Johan Huizinga.

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de gratuité, nous nous rapprochons du jeu comme moyen – agréable et attractif –

d’acquérir de nouvelles compétences. Le rôle du pédagogue va donc être de savoir

orienter ce jeu et d’en tirer profit. Nous pouvons à présent aborder divers niveaux de jeu à

travers les notions de « jeu ludique », « jeu éducatif » et « jeu pédagogique », malgré

certaines contradictions dans les termes, comme le soulignait Rabecq-Maillard en1969 :

Les mots jeu éducatif renferment au départ une contradiction dans

les termes. En effet, à partir du moment où il devient éducatif, le jeu, activité gratuite

par excellence, sans autre but qu’elle-même et que le divertissement qu’elle entraîne,

cesse en réalité d’être un jeu… à partir du moment où l’on demande au jeu de

développer telle aptitude, d’accroître les connaissances d’un individu dans tel ou tel

domaine, il cesse d’être un jeu.3

Ce jeu détourné – non pas trahi, mais plutôt exploité de manière réfléchie et

efficace – peut se décliner sur trois paliers, tel que l’explique N. De Grandmont4. Le jeu

« ludique » correspond à une phase d’exploration et de découverte, à une initiation encore

proche du jeu voué au plaisir et à la détente. En revanche, le jeu « éducatif » explicite

clairement ses règles et oriente l’exploration dans la direction des nouvelles compétences

à découvrir puis à acquérir. Finalement, le jeu « pédagogique » permet d’évaluer le degré

d’acquisition des savoirs et ouvre la porte au transfert, au réemploi plus ou moins

spontané des connaissances dans un contexte différent de celui de l’apprentissage.

Comment prendre en compte ces multiples possibilités d’exploitation du

ludisme, valables dès l’école maternelle, et surtout, comment les adapter aux réalités du

cours d’espagnol LV2 en collège, avec des adolescents ? Quels types de jeux mettre en

place avec les élèves, dans quelles perspectives et de quelle manière ? J’aborderai sans

plus tarder la question de l’élaboration d’une pédagogie ludique de l’espagnol en fonction

de divers objectifs : ludisme et autorité, ludisme et apprentissage, sans négliger le plaisir

lié à la variété des approches et des supports.

3 RABECQ-MAILLARD, cité par DE GRANDMONT Nicole, Pédagogie du jeu, De Boeck Université,Bruxelles : 1999, p. 58.4 DE GRANDMONT, op. cit., p. 55 à 79.

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I LUDISME ET AUTORITE

Songer à construire une pédagogie fondée sur le ludique dans l’optique de

rendre le cours et l’apprentissage plus agréables, aussi bien pour l’élève que pour

l’enseignant qui cherche à diversifier sa pratique, voilà un projet louable et prometteur à

première vue. Cependant, la bonne volonté du professeur n’est pas seule garante du bon

déroulement du cours et le recours au ludisme n’est envisageable que si sont remplies les

conditions sine qua non. En effet, songer à « jouer » avec les élèves peut se révéler

périlleux si l’autorité du professeur n’est pas constamment réaffirmée et acceptée par sa

classe. En outre, le jeu tel que peuvent le concevoir les élèves dans la cour de récréation

ou en dehors du système scolaire est bien différent de l’usage pédagogique du jeu tel que

nous prétendons l’exploiter. Se pose alors la question suivante : comment passer de

l’antagonisme apparent entre ludisme et autorité à l’équilibre entre le plaisir d’apprendre

de façon différente et la rigueur dans le travail et le comportement ?

1) la tenue de classe.

Notre projet d’inclure le ludisme comme complément de la façon d’enseigner

et d’apprendre ne peut se concrétiser que dans la mesure où, au bout de quelques mois, la

pratique et la connaissance des élèves aidant à se faire une idée de leurs besoins, leurs

difficultés et leurs comportements, il s’est créé une ambiance de classe propre au cours

d’espagnol, ainsi qu’un climat de confiance et de respect mutuel. En effet, pour le jeune

professeur, imposer sa personnalité, tout en découvrant un nouveau reflet de soi-même en

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tant qu’enseignant, puis prendre confiance en soi pour oser être inventif tout en intégrant

les nombreux apports pédagogiques et méthodologiques de la formation professionnelle

sur la connaissance de la personnalité de l’adolescent élève, tout cela prend du temps et

met l’accent autant sur l’efficacité didactique que sur la gestion du groupe classe, public

et acteur vivant et parfois imprévisible. La recette que nous avons retenue est celle de la

ritualisation, c’est-à-dire structurer et varier les moments du cours, depuis l’installation et

la révision de la leçon par les élèves, la reprise générale ou individualisée des dernières

connaissances, la correction des exercices, l’entrée dans un document nouveau de la

progression linguistique, voire également thématique, jusqu'à la prise de note de la leçon

au tableau et les questions éventuelles des élèves. Dans ce canevas sous-tendu par la

gestion des minutes, où inclure du ludique, dans quelles proportions et avec quels

objectifs précis ?

Nous évoquerons tout d’abord le recours au jeu comme une étape ritualisée du

cours pour créer un climat de travail et de confiance, en nous basant sur le caractère

hautement social du jeu comme facteur d’insertion:

[…] dans le jeu réglementé, tous les rôles différents se trouvent

intériorisés sous la forme d’un tout cohérent qui est une situation sociale.5

Cela nous autorise à penser qu’à partir du moment où l’on dit : « Nous allons

faire un petit jeu », on s’attire momentanément les bonnes grâces de l’auditoire qui va

concourir à une même activité, dans un cadre d’écoute et d’échange privilégiés. C’est

l’expérience que nous avons menée en tout début d’année avec la classe de 4ème LV2

débutants, pour les amener à déduire les toutes premières notions d’orthographe et de

prononciation de l’espagnol à partir de l’élaboration de la page de présentation du cahier.

« Nous allons faire un petit jeu : qui peut me dire les différences qu’il remarque par

rapport au français dans l’écriture et la prononciation ? On lève la main. Levantamos la

mano ». La mention du mot « jeu » m’est apparue comme un formidable déclencheur de

5 Encyclopaedia Universalis : « jeu », « le jeu dans la société : jeu et sociabilisation ».

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parole spontanée et comme une façon de rompre la glace en cette période de rentrée

scolaire.

Désormais, le recours à ce genre de jeux de déduction, orientés davantage à

présent sur l’étymologie proche du français ou du latin ou sur la composition du mot

(préfixe ? suffixe ? radical ?, ce qui permet ensuite de recomposer d’autres mots) est une

pratique courante, qui tend à se banaliser de par son caractère de parenthèse rituelle. Si

l’aspect ludique de cette méthode a sans doute décru pour un certain nombre d’élèves,

gageons qu’elle reste intéressante et enrichissante pour la majorité. A travers cet exemple,

nous rejoignons la définition de jeu « éducatif » citée plus haut : fixer des règles et

orienter. Ce type de jeu ne perd cependant pas tout son intérêt ludique : c’est l’occasion

pour les élèves de faire des remarques intéressantes, ou bien d’oser prendre la parole,

l’erreur n’étant plus connotée négativement, mais apparaissant au contraire comme un

jalon normal sur le cheminement jusqu’à la réponse. Le but est tout autant l’exploration et

la prise de conscience du fonctionnement de la langue espagnole que l’instauration d’une

micro-société dans la classe où chacun, pourvu qu’il lève la main pour demander la

parole, peut s’exprimer sans subir trop de stress ou de pression et trouve par ce

stratagème de la pause ludique une occasion de se desinhiber. C’est un moyen de

désacraliser l’acte d’apprendre et la peur de ne pas comprendre ou de se tromper.

Le mot « jeu » est-il alors un mot magique ? Le professeur démiurge et

apprenti sorcier doit toutefois se méfier.

2) règles et consignes.

La quête de plaisir et de nouveauté via le jeu peut vite devenir un vrai

cauchemar si elle n’est pas constamment accompagnée d’une exigence de rigueur. Qui dit

jeu dit règles et meneur de jeu. Tel est le rôle du professeur et telle doit être l’image qu’il

renvoie du haut de son estrade ou à travers les rangs des élèves: celle d’un arbitre

impartial, mais également rassurant. Cela revient à dire que jamais les élèves ne doivent

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être pris en traître ou perdus par des consignes confuses, vagues ou se prêtant à une

mauvaise interprétation. Pas plus que la volonté, louable, du professeur de faire jouer, et

même rire ou sourire son public, ne doit se retourner contre l’enseignant et jeter le

discrédit sur son autorité et sur le travail et l’attitude exigés en classe. Ce rôle du

professeur à multiples casquettes nous plonge dans l’un des aspects primordiaux de notre

profession, celui non seulement de dispenseur de savoir, mais également d’éducateur

avisé :

Le goût de l’effort et de la difficulté, le sens de la consigne, le respect

des autres, le contrôle de soi, toutes ces valeurs constituent pour l’éducation autant

d’objets essentiels dont le jeu permet l’assimilation.6

C’est dire en quelques lignes l’importance d’un bon meneur de jeu en classe.

Tout d’abord, c’est celui qui a pensé à l’avance quel type d’activité ludique il va proposer

à ses élèves pour pouvoir ouvrir la parenthèse ou l’espace « jeu » en cours et clore

rapidement cet instant du cours pour passer à autre chose. Notre courte expérience nous a

révélé que tenter d’improviser un jeu, en promettant un type de bonus mal défini pour les

bonnes réponses et en énumérant des consignes peu claires entraîne plus souvent une

perte de minutes et une polémique liée aux réclamations des joueurs qui s’inquiètent de la

validation de leur bonus, ou qui protestent car considèrent que tel ou tel élève a été

privilégié. C’est une situation vécue lors d’une tentative d’un jeu pratiqué désormais à la

suite de la reprise avec les 4ème , en début de cours, lorsqu’il y a eu un ou plusieurs

absents les cours précédents. Ce jeu, baptisé « la lección del campeón », adaptation d’un

célèbre quizz télévisé, se présente comme une interrogation de quatre ou cinq mots de

vocabulaire vus dans les leçons précédentes et reliés thématiquement entre eux, et d’une

compétition entre un ou deux volontaires qui désignent un élève « joker » en cas de trou

de mémoire. Cette version élaborée ne s’est pas faite en une fois, il a fallu rectifier et

affiner les consignes. Il apparaît également nécessaire de ménager la susceptibilité

d’élèves voulant absolument participer et qui soufflent les réponses et faussent le jeu…

On juge cependant l’intérêt de ce type de jeu à l’investissement des élèves qui exigent

eux-mêmes le silence si un autre élève souffle la réponse ou couvre la réponse donnée.

6 Encyclopaedia Universalis, « jeu », CHATEAU, Jean : « le jeu chez l’enfant : les apprentissages ludiques et letravail ».

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En fait, il semble que leur désir de participer puisse seconder le rôle d’arbitre et de

meneur de jeu du professeur.

Au fil de l’année scolaire, ce type de jeu a tendance à se ritualiser, perdant

peut-être de son attrait et de sa nouveauté, mais il n’en demeure pas moins une façon

efficace de compléter une reprise et de récupérer des élèves absents, tout comme on peut

le prolonger par un nouveau challenge : « Qui se porte volontaire pour employer les

mots… dans une phrase ?». La capacité d’évolution d’un jeu mis en place avec les élèves

grâce à des consignes simples permettant une transition avec la suite du document ou le

document suivant est encore un des aspects de cette stratégie d’une pédagogie ludique.

Cependant, suite à un débordement d’enthousiasme, ou parce que cette pause

ludique qui n’apporte en soi rien de nouveau, mais est une redite, se dissout dans les

bavardages, ou bien encore parce que le petit malin de service veut faire son intéressant et

sape le bon déroulement du jeu, on pourrait douter de l’efficacité de ces pauses ludiques.

Cela ne doit pas nous faire oublier que rien n’est acquis définitivement, que ce que l’on

croit, en tant qu’enseignant, être plaisant, peut lasser ou ouvrir la porte à une perte

d’attention. Le jeu, qui se veut gant de velours, ne doit que partiellement dissimuler la

main qui s’efforce d’être de fer. Voilà qui nous conduit à l’interrogation suivante :

comment doser et intégrer cet usage d’une pédagogie ludique ?

3) savoir gérer et administrer le ludique.

Ou pour reprendre une autre image, comment prescrire ces moments de jeux

éducatifs et pédagogiques à nos élèves ? En effet, le jeu n’est qu’un moyen et non une fin

en soi, malgré les vertus positives de l’instauration d’une communication en classe et

d’une dynamique de l’oral. Et c’est, à mon avis, autour de l’oral, c’est-à-dire de la double

compétence de la compréhension et de l’expression orales que doit graviter l’usage du

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ludisme. Nous ne négligeons cependant pas les compétences liées à l’écrit, mais nous les

développerons plus loin.

De fait, je privilégie l’association ludisme et pratique orale de l’espagnol,

comme activité qui précède ou seconde un nouveau document abordé en classe. Comme

nous l’avons déjà évoqué, le principe du jeu avec les élèves se concrétise comme une

parenthèse permettant de faire la reprise des dernières connaissances, dans l’optique

d’une réutilisation quasi immédiate. Le jeu peut aussi intervenir comme un moyen de

récapituler. Par exemple, on peut demander à un élève de commencer une phrase (« El

padre y su hija están haciendo la compra. Están comprando…) et de la compléter, puis on

désignera un autre élève qui devra tout répéter et compléter à son tour la liste. Deux

remarques cependant concernant ce jeu : il n’est considéré comme ludique que dans une

très mince et courte mesure, les élèves se rendant compte de la difficulté croissante et de

l’attention accrue que cela suppose, et à laquelle ils ne sont ni tous ni toujours disposés ;

c’est une fois de plus au professeur de savoir créer une rupture et mettre en relief cette

étape du cours en éveillant l’intérêt : « Nous allons jouer à un jeu un peu plus difficile

que les autres, dans lequel votre attention et votre écoute seront récompensées. Ce jeu

commence dans le silence le plus complet… ». En outre, on voit rapidement comment les

élèves motivés se préparent mentalement à répondre. L’observation de leur préparation

mentale permet justement de choisir les élèves à interroger, à commencer par les plus

faibles, tout en se laissant la possibilité de les interroger de manières successives et

rapprochées. Et surtout, il ne faut pas interroger les enfants en suivant l’ordre du plan de

classe, mais s’arranger pour que la parole circule en tout endroit de la classe, de manière

imprévisible pour maintenir leur attention.

Ce type de jeu a ainsi l’intérêt de forcer les élèves à s’exprimer à haute voix et

à répéter, tout comme il entraîne la mémoire. Toutefois, sa durée est limitée chez des 4ème

débutants. On peut alors varier l’amorce de départ : « A la hija le apetece comprar… »,

pour entreprendre un nouveau tour de classe et faire participer un maximum d’élève à

partir d’une nouvelle structure déjà vue, que l’on va réemployer : c’est également une

progression dans la difficulté du jeu, la reconnaissance de la structure réintroduite et la

mobilisation lexicale. Ces parenthèses prétendument ludiques viennent donc compléter et

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enrichir l’oral. Elles peuvent également donner lieu à une trace écrite dont les élèves,

guidés par le professeur, seront les compositeurs : le jeu peut même se clore par la dictée

du résultat du jeu par un élève à un camarade qui viendra l’inscrire lui-même au tableau.

Notre pratique pédagogique a donc tendance à recourir au ludique de façon

ciblée, presque au goutte-à-goutte, comme complément et support de l’activité orale des

élèves. Néanmoins, il est des séances, avec les 3ème, qui se tournent davantage vers un

« tout ludique ». En effet, l’emploi du temps de cette année présente la particularité,

difficile à gérer, d’intercaler deux des trois heures hebdomadaires d’espagnol sur la

journée du vendredi, la première heure en tout début de matinée, à 8h30, et la seconde

après la récréation de l’après-midi, à quelques minutes du week-end. Comment faire alors

pour conserver l’attention de ces élèves en fin de semaine, sachant qu’ils ont déjà

travaillé en espagnol le matin même, et que malgré la qualité du travail fourni dans la

matinée, les nouvelles connaissances n’ont pas eu le temps d’être assimilées ? Il a fallu

élaborer diverses stratégies, pour pouvoir alterner entre elles et gérer cette deuxième

heure du vendredi. La première stratégie est de prévoir un document ou une association

thématique de deux documents différents, en général texte et petit document

iconographique, et de les aborder dans les deux heures pour élaborer une leçon

homogène, tant sur le plan linguistique que lexicale. Une autre stratégie est de dédier la

deuxième heure à un bilan grammatical suivi d’exercices ciblés. Ou bien encore de

réserver la deuxième heure aux évaluations sommatives ou de compréhension écrite, en

profitant de l’heure du matin pour mettre en place des activités de révisions et de

relecture des textes.

Enfin, il est également très enrichissant de consacrer cette heure à des activités

plus ludiques et plus détendues, en mettant l’accent davantage sur les apports culturels :

chansons, relecture d’un texte à plusieurs voix en distribuant les rôles, composition d’un

court poème en vers libres, sur l’exemple du « Poema de la soleá » du Cante Jondo de

García Lorca, afin de jouer sur les rimes et les assonances en espagnol à partir des

adjectifs et des participes passés à valeur adjectivale. En même temps, on prépare les

élèves à répondre à l’initiative du Printemps des Poètes. Le professeur est alors à la

disposition des élèves pour leur apporter du lexique, et on peut prévoir également des

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dictionnaires du CDI pour cette séance en atelier créatif. Le poème corrigé peut ensuite

être préparé à la maison pour être récité : pour vaincre la réticence des élèves, une

récitation à deux voix par deux camarades sur le même poème est envisageable.

Le choix est ainsi fait de faire du ludique des parenthèses venant compléter et

enrichir l’oral, de façon ponctuelle et cadrée, même si ce qui est présenté comme un jeu a

tendance à se ritualiser. Ne perdons pas de vue que le cadre reste celui d’une salle de

classe et non d’une cour de récréation et que le délassement des élèves n’est pas notre but

premier, mais l’apprentissage dans les meilleures conditions possibles. Cependant, des

séances de type atelier créatif ou éducation musicale sont envisageables, offrant ainsi aux

élèves des plages ludiques plus vastes qui alternent avec une gestion du jeu plus

chronométrée par le professeur.

Nous pouvons développer à présent plus en profondeur les liens entre le

ludisme et l’apprentissage des élèves.

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II LUDISME ET APPRENTISSAGE

La décision du professeur de soumettre ses élèves à de petits jeux est une façon

détournée de les amener à de nouveaux apprentissages et de nouvelles aptitudes. Nous

avons déjà évoqué le fréquent recours à diverses activités présentées comme ludiques

pour activer et surtout réactiver l’oral, notamment en début de cours à la suite de la

reprise, moment privilégié où l’attention des élèves est encore forte et durant lequel on

peut escompter que la mémorisation ou remémoration seront plus efficaces. Mais il ne

faut pas négliger les autres moments du cours et les autres compétences liées à la pratique

et la compréhension écrite de l’espagnol. C’est donc la vaste question du lien entre le jeu

et la mémorisation progressive que nous allons soulever ici.

1) le jeu et les différentes phases de l’apprentissage.

Notre toute récente découverte du métier d’enseignant nous oblige à porter une

attention particulière à ce que la pédagogie appelle les profils cognitifs des élèves, en

fonction desquels il nous faut élaborer une progression linguistique, voire thématique,

cohérente, ce qui constitue tout le travail en amont, et en fonction desquels il nous faut

également savoir adapter une stratégie d’approche et de découverte de la langue, tout en

veillant à mener la classe à bon port. Le choix d’une pédagogie misant en partie sur le

ludisme intervient à divers degrés pour réaliser cet impératif multiple.

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Tout d’abord, le choix d’une activité ludique, en tant qu’activité différente du

reste du cours et ouvrant une parenthèse qui tend à être perçue comme un moment plus

détendu, peut être envisagé comme un moment de rupture voire de surprise, et par là

même on peut supposer que l’attention des élèves connaîtra un regain. On peut en effet

légitimement penser qu’en variant les activités, on améliorera l’écoute et que l’on

favorisera ainsi les chances de mémorisation durant le cours. Il est bon de rappeler

également que les élèves présentent des profils cognitifs différents, certains étant plus

visuels et d’autres plus auditifs, et qu’il faut par conséquent essayer de couvrir ces

différents canaux par lesquels le savoir peut être transmis. Plus concrètement, il faut

stimuler et pour ainsi dire séduire les élèves par divers moyens, dont le jeu, et durant les

diverses étapes du cours. Nous ne reviendrons pas sur le rôle du jeu à la suite de la reprise

en début de cours, aussi parlerons-nous à présent de l’usage du jeu aux autres moments

de l’heure de cours.

Une règle simple semble être de rigueur : comme la gestion du temps et de

l’attention des élèves, dans un souci constant d’efficacité, est une préoccupation de

chaque heure, multiplier les parenthèses ludiques dans le bref délai de cinquante-cinq

minutes nous paraît difficile à tenir, d’autant plus que le jeu n’est pas une fin en soi. En

outre, pour revenir sur les risques de la ritualisation des activités ludiques, gardons

présent à l’esprit que répétition et redite sont synonymes d’ennui, et que commencer trop

systématiquement le cours par une séquence ludique pour revenir ensuite à un travail plus

scolaire et aborder de nouvelles connaissances, synonymes de difficulté et

d’incompréhension, peut casser le rythme du cours, la fin du jeu et le début de la

nouveauté envisagée comme obstacle pouvant démotiver certains élèves. Il faut donc, au

sein de chaque progression, varier les aires de ludisme en fonction des nouveaux

apprentissages.

Pour schématiser, partageons l’apprentissages en deux temps : la leçon à

apprendre et le transfert des connaissances7. En premier lieu, retenons la nouveauté à

7 Nous glosons en les simplifiant les apports de la formation IUFM ainsi que les explications de Nicole deGRANDMONT, op. cit. Nous laissons volontairement de côté un des temps de l’apprentissage évoqué par lapédagogue belge, celui de l’oubli, de la latence, voire de la régression, facteurs que tout professeur gardeprésents à l’esprit et qu’il peut également combattre grâce à des activités ludiques.

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surmonter, l’effort de compréhension durant le cours et l’effort de mémorisation par

cœur, à la maison, de la leçon. Il va falloir présenter cette nouveauté aux élèves de façon

attractive, de manière à stimuler leur intérêt et à susciter le désir de surmonter la

difficulté. Concrètement, au début d’une nouvelle progression, on peut attirer l’attention

de la classe sur les enjeux de ces nouvelles connaissances sur le plan communicatif. Par

exemple, avec les 4ème débutants, au moment d’aborder « gustar » et « apetecer », on peut

dire aux élèves : « Aujourd’hui nous allons apprendre à exprimer nos goûts ». On peut

ensuite leur demander d’écrire le nom, en français puisqu’il s’agit de débutants, de leur

activité sportive, de leur chanteur et de leur plat préférés pour une mise en commun de

lexique au tableau et l’élaboration de phrases personnelles à partir des structures

introduites par le professeur : « Pues, a mí me gusta el fútbol, y a ti, ¿qué te gusta ? ».

Cette activité linguistique peut-être présentée comme un jeu si le professeur adopte une

attitude proche de la confidencialité et de la conversation et s’il revêt l’activité d’un titre

comme « el juego de A mí me gusta », qui reviendra par la suite comme un point de

référence pour remémorer ce moment du cours et ce nouvel apprentissage. Cette

approche, certainement plus communicationnelle que ludique à proprement parler vise un

triple objectif : aplanir la difficulté liée à la nouveauté, déclencher le désir et le besoin de

s’approprier la nouveauté pour s’exprimer personnellement, enfin, faciliter la

mémorisation et créer un point de référence pour permettre par la suite le transfert de la

connaissance.

La capacité de transfert, autrement dit la capacité d’adapter à un nouveau

contexte une connaissance abordée dans un contexte différent est le deuxième temps de

l’apprentissage, celui où le savoir contenu dans une leçon apprise scolairement et par

cœur devient véritablement acquis par l’élève qui se l’approprie pour s’exprimer

spontanément, sans attendre une sollicitation du professeur qui serait fermée. C’est

d’ailleurs par des sollicitations variées et ouvertes, telles que des amorces, que le

professeur peut vérifier la spontanéité des réponses et l’état des acquis et des transferts de

connaissances. Ou bien encore par des activités ludiques, en fin de progression, qui

peuvent intervenir comme un moment de révision avant une évaluation sommative, ou

comme remédiation à la suite de la correction d’un contrôle.

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Cependant, il pourrait sembler contradictoire de vouloir assimiler l’évaluation,

c’est-à-dire l’éternel et traumatisant « contrôle » ou bien encore la remédiation, autrement

dit le constat d’un échec de l’apprentissage, avec une activité ludique. Intéressons-nous

justement à cet antagonisme apparent.

2) un nouvel antagonisme, le jeu versus l’exercice scolaire ?

En réalité, toutes les pratiques mises en place par le professeur et présentées

comme ludiques sont des exercices pensés et conçus par un adulte pour amener des

élèves à un apprentissage, donc à un effort mental. L’exercice semble ainsi bien différent

du véritable jeu, gratuit et non arbitraire tel que le conçoivent les enfants. D’ailleurs

certains ne sont pas dupes, et chez les moins motivés, non seulement par la matière, mais

par tout le système scolaire en général, lorsqu’ils demandent à « faire un jeu », ils

espèrent, en vain, que le professeur va s’effacer pour les laisser agir à leur guise et ne plus

véritablement travailler. On observe cependant la réaction inverse chez les élèves motivés

qui sont avides d’activités où l’implication personnelle est plus importante et qui

supposent un dépassement de soi : c’est le cas des sketches et jeux de rôles dont certains

sont très friands, surtout en 4ème, où la prise de parole est étonnamment plus spontanée et

déshinibée qu’avec les 3ème.

Le sketch et le jeu de rôle peuvent être considérés comme des activités

ludiques par excellence. D’une part, il s’agit de faciliter la parole en luttant contre les

facteurs timidité et mutisme et en faisant revêtir un masque à l’élève. « Tú haces de

camarero y tu vecino hace de cliente en una cafetería ». Bien souvent, le professeur peut

lui-même montrer l’exemple « Yo hago de camarero », et jouer ce rôle de la façon la plus

réaliste possible, descendant de son estrade avec un cahier et un crayon pour prendre les

commandes des élèves. On joue ici sur la facette d’acteur du métier d’enseignant et on

mise également sur la gestuelle, l’intonation et le rapport direct avec l’élève dans une

situation de communication. D’autre part, le côté exercice fastidieux disparaît dans la

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reconstitution d’une situation de communication de la vie ordinaire : le jeu de rôle permet

de dépasser et faire oublier les contraintes scolaires pour retrouver la spontanéité de la

langue maternelle. Et puis, au passage, projetons les élèves dans le futur et faisons-les

rêver en leur parlant des vacances en Espagne qu’ils auront très certainement l’occasion

de passer au cours de leur vie, ce qui souligne l’importance de savoir communiquer en

espagnol et crée même, à plus ou moins long terme, le besoin d’acquérir ces nouvelles

connaissances.

Le jeu de rôle, exercice complet qui mobilise les capacités d’écoute, de

répétition, de réemploi et d’improvisation n’est donc pas dénué de tout plaisir. Et l’effort

de mémorisation semble être amoindri. On peut également exploiter et développer un

premier sketch en faisant réécrire à la maison ou en contrôle un dialogue semblable, avec

des consignes précises et en indiquant des réemplois à faire, ou bien en faisant rejouer les

petites scènes au cours de la reprise et en suscitant des réemplois et des transformations :

après le passage de deux élèves au tableau pour la restitution d’un sketch, on peut en faire

venir deux autres en leur demandant de jouer la même scène mais en passant au

vouvoiement par exemple. On peut même profiter d’un sketch pour introduire une

nouvelle connaissance, ou une expression idiomatique, ou une tournure un peu plus

familière, en leur demandant d’imaginer que tel personnage n’a plus faim, qu’il est

rassasié, et chacun est alors libre de proposer, avec le vocabulaire dont il dispose, une

solution, que le professeur corrigera, inscrira au tableau et fera immédiatement

réemployer dans la variante du sketch. En restant dans cette dynamique du jeu de rôle où

les élèves sont convaincus d’être acteurs de leur apprentissage, il nous semble que

l’aspect d’exercice scolaire évolue et suscite plus de motivation et de plaisir à apprendre.

L’exercice scolaire peut également être transcendé en défi ou en prouesse à

réaliser, ce qui lui confère soudainement une dimension plus ludique et plaisante. On peut

en jouer comme d’un coup d’accélérateur sur l’attention des élèves pour démêler un

moment du cours où l’écoute se relâche, ou bien lorsque l’apathie semble gagner les

élèves, pour redynamiser la classe. Nous pensons plus concrètement, lors des pauses

récapitulatives, à ouvrir une parenthèse baptisée « el concurso de pronunciación ». Car il

est vrai que les élèves trouvent un certain plaisir à répéter et à faire des efforts de

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prononciation. On peut soit proposer une répétition collective par rangée, animée par le

professeur qui donne le la et montre l’exemple, puis fixe du regard chaque élève de la

rangée pour vérifier si certains ne se contente pas de faire du play-back. Cela permet

aussi de considérer chaque élève individuellement, ne serait-ce que pendant une fraction

de seconde et de leur faire sentir notre intérêt pour eux. Après quelques répétitions, le

professeur attribue de façon symbolique une note sur l’échelle de la qualité de la

prononciation. On peut aussi nommer un élève qui désignera un autre élève qu’il mettra

au défi de mieux prononcer tel mot que lui. Dans ce cas, les prononciations désastreuses

sont vite repérées par la classe et le professeur s’empresse d’imposer la bonne

prononciation. Pour ne pas perdre trop de minutes précieuses lors de cet exercice

divertissant et redynamisant, il faut se cantonner à quelques mots seulement, ou bien alors

en profiter pour faire la synthèse du nouveau vocabulaire en fin d’heure, avant la prise de

note de la leçon. Si l’on dispose de plus de temps, on peut s’adonner aux joies des

trabalenguas, ou du moins composer des expressions mettant en jeu des consonnances, à

partir du vocabulaire de la leçon, comme par exemple : « Qué le pide Pepe al panadero ?

Pepe le pide pan. » que l’on fera ensuite traduire et noter. Ce qui apparaît comme un jeu

permet cependant de fixer du vocabulaire et des structures et d’insister sur l’importance

de l’accent tonique. Et c’est en outre un facteur de redynamisation, ce dont nous allons

parler davantage à présent.

3) motivation et valorisation de l’élève.

Le jeu pendant l’heure de cours d’espagnol, et surtout, le jeu comme moteur de

l’apprentissage et comme facteur dynamisant, voilà le thème que nous développerons

dans cette sous-partie. A travers les divers exemples que nous avons déjà donnés de notre

pratique d’activités ludiques en cours, nous pouvons dégager et regrouper plusieurs

phénomènes qui vont jouer un rôle important dans l’apprentissage des élèves.

Dans un premier temps, il nous faut tenir compte, pour le bon accomplissement

de notre tâche d’enseignant, de la disposition de l’élève vis-à-vis de la matière enseignée.

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Pour des élèves de 4ème qui découvrent l’espagnol, ou bien pour des élèves de 3ème ou

encore pour des redoublants ayant une expérience plutôt négative de leur propre

apprentissage et de l’enseignement de la matière, les approches ne seront pas toujours les

mêmes, mais l’objectif premier du professeur motivé est toujours le même : rendre sa

motivation contagieuse, donner envie d’apprendre, de découvrir et de s’amuser à

communiquer. Le jeu permet, à ce propos, d’exploiter plusieurs filons en étroite relation

avec la motivation. En effet, comme nous l’avons décrit plus haut, le jeu permet souvent

la mise en place d’une compétition et d’une émulation sensée susciter chez l’élève l’envie

de briller, de montrer ses connaissances, mais aussi l’envie de se dépasser, voire de

multiplier la prise de risque en se lançant, intuitivement, dans l’élaboration de phrases de

plus en plus complexes. Nous avons constaté auprès d’élèves, brillants certes dans toutes

les matières en général, que le fait de créer une sorte de compétition qui les obligent à se

dépasser, avait eu un effet très positif : lorsque j’ai distribué une fiche d’auto-évaluation

de l’oral à mes élèves de 4ème, en début d’année, en leur précisant bien les dix critères pris

en compte (capacité à répondre à une question sur un document, capacité à répéter une

phrase, à compléter, à s’autocorriger ou corriger quelqu’un, poser les questions en

espagnol…) l’attention de certains d’entre eux s’est immédiatement portée sur le critère

n° 10 « je sais construire des phrases de plus en plus complexes ». Je les ai alors rassurés

en leur disant que ce critère aurait moins d’importance au premier trimestre, du fait de

leurs débuts en espagnol, cependant j’ai vite constaté qu’ils se sont rapidement approprié

la tournure « mientras que » ou le mot « entonces » pour se lancer dans des phrases de

plus en plus longues et parfois, dans une prise de parole interminable, enchaînant

conjonctions de coordinations et propositions relatives. Le fait de les avoir ménagés voire

sous-estimés au départ, à fait naître chez certains le goût de la prise de risque. Toutefois,

le déséquilibre est alors frappant entre ces élèves motivés qui fonctionnent à l’émulation

et à la prise de risque, et les élèves beaucoup plus discrets à l’oral, pour diverses raisons.

Aussi faut-il toujours doser la difficulté dans le jeu compétitif et privilégier les élèves que

l’on entend peu ou surtout au moment de la reprise pour des jeux tels que « la lección del

campeón » que nous avons décrit plus haut.

En outre, la motivation s’entretient en trouvant des documents susceptibles de

stimuler l’intellect et de jouer avec les idées, ou tout simplement, qui permettent à l’élève

de formuler des idées personnelles. Sans nous épancher davantage sur ce sujet, car nous y

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reviendrons plus tard, citons un exemple de commentaire, spontané et plein de fraîcheur

d’une élève de 4ème qui a fait sourire toute la classe. A propos d’un dialogue mettant en

scène une marchande de fruits et légumes et une cliente, l’élève a spontanément réagi :

« La señora quiere comprar zahahorias para ser amable ». Peut-être l’intonation du

personnage sur la bande audio lui a-t-elle suggéré ce commentaire personnel et

enrichissant pour le cours. Il y a également motivation là où la créativité, la liberté

d’expression et le désir d’être original sont encouragés.

Finalement, la motivation passe aussi par la valorisation des élèves, depuis les

encouragements et les félicitations jusqu’à la responsabilisation de l’élève. Afin de rendre

mes élèves de 3ème pleinement acteurs du cours et responsables de leur apprentissage, j’ai

mis au point un jeu intitulé « El gran inquisidor ». A la suite d’une petite rédaction sur un

thème précis, faite à la maison, je convoque à l’estrade , tour à tour, quelques élèves pour

venir lire leur production. Ensuite, je demande au reste de l’audience de noter les fautes

qu’ils repèrent, aussi bien au niveau de la grammaire que de la prononciation. Puis

j’interroge un de ces inquisiteurs et lui demandent son avis. Je fais ensuite compléter le

réquisitoire et corriger les fautes, à la relecture, par l’élève venu au tableau. Enfin, si

l’inquisiteur désigné n’a que grossièrement rempli son rôle, c’est à lui de venir à la barre

des accusés. Ce jeu, dans cette mise en scène judiciaire, nécessite beaucoup de temps,

aussi est-il réservé pour les rentrées de vacances, de manière à remettre les élèves dans le

bain. Le fait de les rendre acteurs dans la correction de la langue, avec en dernier recours

la sentence professorale du grand inquisiteur, mais également le fait de surmonter le

stress de la lecture de son travail en public et le fait de réussir à s’autocorriger permettent

aux élèves de prendre conscience de leurs difficultés pour mieux les surmonter, mais

c’est aussi l’occasion de les encourager et de souligner les points positifs, même si ce jeu

que nous venons de décrire est une activité sérieuse et studieuse de tout premier ordre.

Cette volonté de notre part de faire feu et de faire jeu de tout bois s’inscrit donc

dans le projet de favoriser l’apprentissage et la mémorisation, mais également

d’entretenir le feu de la parole en espagnol en cours et la motivation mutuelle, pour

échapper à l’immobilisme et à l’ennui. Le jeu s’inscrit ainsi dans une logique de la

diversité.

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III LUDISME ET DIVERSITE.

Miser sur le ludique comme complément et consolidation de l’apprentissage

des élèves, et par là même s’efforcer d’être le plus créatif possible pour tirer profit d’un

maximum de tactiques, voilà un projet qui n’a rien de révolutionnaire en pédagogie et qui

est d’ailleurs encouragé dans le cadre d’un enseignement qui fonctionne grâce à un

certain éclectisme. Et cela se justifie aisément : pour reprendre l’ancien terme latin de la

rhétorique, la varietas, autrement dit la diversité, est l’un des composants du plaisir

littéraire ; pourquoi ne le serait-elle pas également concernant le plaisir d’apprendre ?

C’est ce que nous allons voir dès maintenant.

1) variété des approches et des supports

La variété des approches et des supports réclament, de la part du professeur, un

investissement sérieux dans la préparation des cours et une curiosité permanente, qui se

transforme parfois en déformation professionnelle : voit-on un film espagnol à la

télévision et déjà on l’analyse et on se pose la question de son exploitation avec les

élèves. Il en va de même avec la lecture de revues, les publicités dans les magazines…et

sincèrement je ne pense pas caricaturer le comportement du professeur en manque de

matériel et d’innovation pour aller plus loin que ce que proposent les manuels scolaires.

Ce comportement dérive-t-il aussi d’un désir de ne pas s’ennuyer et d’offrir de la

nouveauté à son public ? La question nous semble purement rhétorique ; mais le plaisir

du professeur à varier et à expérimenter de nouveaux documents et de nouvelles

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approches n’est que l’un des aspects de l’importance de la diversité tout au long d’une

année scolaire, au sein de chaque progression linguistique et thématique et à l’intérieur

des cinquante-cinq minutes que dure un cours.

C’est en effet le regard constant sur les élèves qui détermine les stratégies et les

moyens à mettre en œuvre. Pour compléter ce que nous glosions précédemment au sujet

des profils cognitifs des élèves, il est important d’avoir présent à l’esprit que toutes sortes

de paramètres rentrent en compte au niveau de la réceptivité et de la mémoire, et qu’il

faut considérer l’heure de cours comme une scène où se déroule un véritable spectacle.

Nous reprendrons la théorie des élèves CIPAL, c’est à dire réceptifs à un ou plusieurs des

champs suivants : aux Choses, comme par exemple une carte de l’Espagne fixée au mur

ou un poster, aux Informations, le contenu de la leçon et les explications, aux Personnes,

autrement dit le professeur ou tout autre intervenant ou élève prenant la parole, aux

Attitudes, la gestuelle, et enfin aux Lieux. A partir de ce constat, si le professeur est

capable de se souvenir de plusieurs de ces paramètres pour les rappeler aux élèves

comme le point de référence d’un moment d’apprentissage, et plus encore, s’il s’efforce

de jouer sur tous ces paramètres, il multiplie les chances de mémorisation. Le jeu et le

ludisme, considéré ici plus que jamais dans son sens de plaisir, sont alors des atouts

prodigieux. Le but est en effet de construire des progressions didactiques en multipliant

les supports et en variant les approches, en privilégiant, quand cela se présente

naturellement, le ludique pour simplifier la tâche.

Il semblerait que dès que l’on aborde un document autre qu’un texte, que ce

soit une bande dessinée, une publicité, une photographie, une vidéo ou une chanson,

l’attention se porte davantage sur la forme du document qui vient ensuite étayer et

illustrer le contenu et donc la matière didactique. Il suffit de dire à mes élèves de 4ème :

«Acordaos de la historieta de Bebé Gorila » pour qu’aussitôt la totalité de la classe se

rappelle de la leçon « A Bebé Gorila le gusta… ». En revanche, la localisation de

l’information dans le souvenir d’un texte est beaucoup plus difficile. Cela tient sans

doute également au fait que tout document différent du classique texte scolaire permet un

regard plus direct, plus accessible et plus plaisant sur le monde. C’est d’ailleurs le

meilleur moyen de susciter intérêt et curiosité, facteurs de motivation et de participation.

Un exemple concret avec les 3ème a été de leur promettre, pour la fin d’une progression

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sur le subjonctif (présent), élaborée en partie avec des documents du manuel Anda

traitant du Mexique, une chanson de la mexicaine Chavela Vargas, Que te vaya bonito.

L’heure de cours était donc non pas espérée ardemment, mais du moins accueillie de

façon détendue. J’en ai ainsi profiter pour jouer avec leur expectative, en leur disant de

faire bien attention à l’accent mexicain, au seseo, imitant moi-même cet accent, avant de

passer à l’audition, en leur distribuant le texte à trou de la chanson, les trous portant sur

les formes verbales au subjonctif. Pendant et après l’audition, certains élèves n’ont pu

réprimer un mouvement de rire, qui s’est expliqué par la voix extrêmement grave et

androgyne de la chanteuse, et par les intonations hyperboliques, disons-le, de cette

chanson d’amour malheureux. Evidemment, les élèves ne s’attendaient pas du tout à ce

genre de chanson, et la surprise de la découverte a été un bon déclencheur de parole.

Lorsqu’à la fin de l’heure certains m’ont demandé sur le ton de la plaisanterie, où l’on

pouvait se procurer le disque, j’ai bien compris que certes la chanson en soi ne

correspondait pas du tout à leur goûts musicaux, mais toutefois l’heure de cours s’était

déroulée et s’achevait dans une ambiance détendue et agréable. Il en a résulté une forme

de ludisme que je n’avais pas forcément prévue, mais qui a bien fonctionné avec cette

classe d’élèves.

Que penser alors du document nouveau qui surprend et qui surtout cible

parfaitement les centres d’intérêts des élèves ?

2) cibler les centres d’intérêts.

Etablir des choix, miser sur des intuitions, sonder le public de (pré)adolescents

pour connaître leurs goûts semble être l’une des démarches indispensables pour

quiconque se décide pour le ludique et désire offrir un minimum de plaisir d’apprendre et

de s’exprimer à ses élèves. Alors qu’avec la chanson de Chavela Vargas nous étions aux

antipodes de leur culture musicale, cet écart et la surprise créée ayant justement contribué

à la création d’une ambiance détendue pendant l’heure, nous avons appris à cibler avec

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plus de discernement les véritables centres d’intérêts des élèves, tout comme nous avons

appris à juger le niveau de difficulté de tel ou tel document en fonction d’une classe.

Parmi ces centres d’intérêts, tout ce qui gravite autour de la personne de l’élève revêt une

importance capitale si l’on veut les motiver à parler d’eux-mêmes et à créer de la sorte

une situation communicationnelle la plus proche possible de la réalité. Avec des

débutants et surtout avec des 4ème dont la prise de parole est spontanée, il est facile de

proposer des jeux de rôle où l’élève incarne son propre rôle et doit se présenter

physiquement, exprimer « lo que suele hacer » ou bien « lo que le gusta hacer » ou

encore dire quelles sont ses origines familiales et géographiques, le tout étant présenter

comme un casting, avec un élève chargé de poser les questions, pour une émission de

télévision nommée, profitons de l’actualité, « operación triunfo ». Rappelons qu’il est

nécessaire de réunir les conditions favorables à une bonne communication et une correcte

interactivité dans la classe et de ne tolérer aucune moquerie : un jeu dans lequel un élève

doit se dévoiler et parler de lui-même suppose une exposition de soi aux regards des

autres, aussi serait-il lamentable de courir le risque de remarques moqueuses et

méchantes.

Faire que les élèves parlent spontanément, sans avoir à s’exposer

personnellement est également possible si on entre dans la fiction : on peut par exemple,

à la suite des traditionnelles présentations du début d’année, prendre le temps de les faire

parler de façon originale et amusante en leur demandant de se décrire par le contraire de

leur personnalité. La prise de distance agit comme un masque qui protège l’individu et le

recours à l’exagération peut aussi favoriser le côté ludique : il est bon que le professeur,

au lieu d’expliquer les règles, montre lui-même l’exemple, en jouant aussi sur la gestuelle

et les intonations : « Yo soy una persona muy, muy, pero muy pequeña. Solamente mido

un metro y veinte centímetros. Soy rubio como el sol y no tengo barba. Soy muy

perezoso, no me gusta estudiar ». Il est envisageable, en fonction du moment dans

l’année, de laisser quelques minutes de création au brouillon tout en restant à la

disposition des élèves pour le vocabulaire. Ce jeu, où l’on entre dans la fantaisie ludique,

peut se révéler un réactivateur de la présentation et ouvre la voie au vocabulaire de la

personne et du caractère, que l’on peut ensuite regrouper par antonymes. A la maison, les

élèves peuvent ensuite inventer un personnage, soit parfait à tout point de vue, soit

présentant force défauts.

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En outre, il nous semble primordial d’axer aussi la communication autour de

thèmes qui intéressent les élèves, pour essayer de les amener à une implication non plus

uniquement scolaire, mais également affective : cela revient également à les faire parler

d’eux-mêmes et à exprimer une opinion. Dans ce cas-là, l’aspect ludique, ou plutôt,

l’intérêt suscité viendra davantage du choix du thème du document (musique, sports,

cinéma, voyages, animaux, multimédia) et sera renforcé par une stratégie d’exploitation

non fermée mais permettant l’expression de l’opinion de l’élève et le dialogue au sein de

la classe, ou entre le professeur et ses élèves. Par exemple, sur le thème des téléphones

portables, qui immanquablement recueillent tous les suffrages de la classe de 3ème, le

professeur peut jouer à être un vilain détracteur qui exige des arguments positifs pour

contrer ses arguments contraires. Le mini débat sur un thème d’actualité peut être encore

une fois l’occasion d’une véritable situation de communication. Cependant, si l’on choisi

un thème aussi général et non propre à la culture hispanique, mieux vaut se renseigner si

en anglais ils ont abordé ce thème, pour éviter une redondance. Et pour instaurer un

climat de confiance et de communication, on peut se livrer à une petite enquête de

recensement de la population de téléphones portables dans la classe, (tout en menaçant de

sanctionner le premier dérapage ou bruit de sonnerie) et engager le dialogue sur le thème,

ou bien jouer au préalable à présenter l’appareil en le personnifiant : « Qué edad tiene ?

Cuánto pesa ? Qué dice cuando lo enciendes ? Cómo se alimenta ?… » afin de compléter,

par ce côté fantaisiste et créatif, le débat qui est appréhendé parfois comme un thème

rebattu.

L’introduction de fantaisie et de surprise est un ingrédient indissociable du

ludisme et du plaisir de la découverte, et c’est une chance pour l’enseignement de

l’espagnol d’offrir une vitrine culturelle aussi riche et diversifiée. Chaque référence

culturelle est en effet une épice qui relève le goût de la langue espagnole. Un exemple

tout simple : à la suite d’une vidéo sur la famille royale espagnole avec les 4ème, en

faisant l’arbre généalogique avec les élèves, nous en sommes venus à parler du titre de

prince des Asturies, ce qui a été l’occasion d’une parenthèse en français pour leur

expliquer l’origine de ce titre, à partir de la carte de l’Espagne, en parlant rapidement de

l’arrivée des dynasties musulmanes et de la Reconquête. A la fin de ces trois minutes

d’explication inattendues pour les élèves, habitués à des repères et des bilans

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grammaticaux, l’un deux m’a demandé si l’on ferait plus souvent de l’histoire, preuve

que cette parenthèse avait été tout à fait à son goût.

Finalement, nous pouvons aussi jouer sur l’expectative d’un prochain voyage à

Barcelone en mars avec les 3ème et les faire envisager de futures situations de

communication réelle ou exprimer des souhaits (ojalá…) quant au déroulement du

voyage et l’hébergement en famille. Nous avons justement préparé un questionnaire pour

pouvoir au retour présenter les familles d’accueil et nous anticipons le voyage par un

court reportage de la TVE sur Gaudí et la Casa Batlló repris sur une cassette Télélangue

du CRDP de Bourgogne. Ce travail d’anticipation et de préparation du voyage, avec à la

clé la récompense finale, est également générateur d’une ambiance agréable et d’une

prise de parole sincère et motivée des élèves. Et afin que les élèves ne partant pas en

Espagne ne se sentent pas laissés pour compte, une visite virtuelle sur internet de cartes

postales à 360° (au sein desquelles la souris peut se déplacer) a été prévue, avec un

questionnaire concernant Barcelone et ses principaux monuments.

Il apparaît que la recherche du plaisir, de la diversité et du jeu n’influe pas

uniquement sur la qualité de l’écoute ; de la participation et de l’apprentissage et des

efforts, mais qu’elle constitue également la base de relations humaines équilibrées et non

conflictuelles entre les divers acteurs de la classe. C’est d’ailleurs dans ce souci

d’équilibre et de respect mutuel qu’il ne faut surtout pas négliger une dernière dimension

du ludisme : le rire et l’humour.

3) la place du rire et de l’humour.

Nous bouclerons cet exposé en rejoignant sur certains aspects le thème du

ludisme et de l’autorité.

Nos souvenirs d’écoliers n’étant pas aussi éloignés, et notre récente expérience

du métier d’enseignant venant le confirmer, il n’est guère que les heures de contrôle où

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l’on n’entende pas un rire pendant l’heure de cours. Quelle est donc la nature de ces

rires ? Et avant tout, ne faudrait-il pas faire la distinction entre le rire, collectif et partagé,

géré et distillé par le professeur et apparaissant comme un constat positif sur le travail en

cours, et les rires qui échappent toujours à notre vigilance et dont les causes sont autant

d’écueils où se brisent l’attention, l’écoute ; la participation et aussi la patience du

professeur ?

Parler du rire revient à considérer la pleine dimension humaine, communicative

et sociale de l’interaction élève-professeur et des relations entre les élèves. Parler du rire

implique également de parler du sourire, comme élément de communication non verbale,

signe de reconnaissance, de respect et de valorisation, élément indispensable du climat de

confiance dans la classe, tout comme le rire et l’humour. Quelles dérives éviter cependant

pour maintenir à la fois plaisir et rigueur, fermeté et climat rassurant ?

Le rire et l’humour peuvent en effet se révéler une arme à double tranchant :

tout d’abord, à trop vouloir faire rire ses élèves, ou rire avec eux, on court le risque de

passer pour « le rigolo de service », ce qui nuira ensuite à l’autorité. En outre, sur un

autre registre, il faut faire une nette distinction entre l’humour, qui permet de souligner

un trait d’esprit, de dédramatiser une situation ou de caricaturer une réalité8, et l’ironie,

arme tournée contre autrui. Certes, une remarque ironique bien sentie à l’encontre d’un

élève agité, ou pour constater une apathie collective, ou un travail bâclé peut tout à fait

renforcer l’autorité du professeur et stigmatiser un comportement non désirable, mais il

est des limites à ne pas dépasser. Le but de l’ironie n’est pas tant de faire rire, mais de

faire prendre conscience d’un problème et exprimer un mécontentement. Toutefois il faut

éviter de froisser les sensibilités et s’obliger à bannir l’ironie blessante destinée à rire de

quelqu’un. En revanche, l’ironie au sein de documents étudiés en cours, et non plus au

sein de la communication entre les acteurs de la classe, est un bon stimulant pour la prise

de parole et l’expression de la subjectivité : ce sont deux choses bien distinctes que le

support de la parole en cours et la situation réelle et sociale entre les personnalités en

présence dans la classe.

8 Nous retiendrons cette définition de l’humour qui nous vient d’un professeur de français qui nous a laissé debons souvenirs en 4ème et en 3ème : l’humour, c’est parler avec sérieux de choses frivoles et parler avec frivolité dechoses graves et sérieuses.

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Mieux vaut alors opter pour l’humour comme moyen de rire avec l’autre et non

de lui, comme le dit l’adage. Citons le point de vue suivant :

Je pense que l’humour, non seulement peut améliorer le climat mais

également doit accompagner les démarches didactiques […], favorisant par là

l’apprentissage, le développement et la maturation. Mais en même temps, il est chez

l’adulte enseignant signe de son ouverture à l’enfance.9

L’accent est une fois de plus porté sur la confiance dans la relation professeur-

élève. Cela revient donc à faire de l’humour un stimulant de la prise de parole, une

perche tendue, sous forme d’amorces, afin de faire réagir les élèves. Ou bien encore, il

peut permettre de dédramatiser une erreur : un élève commet une faute de grammaire, le

professeur réagit par une grimace, ou feint une douleur aiguë dans les oreilles pour faire

réagir la classe et corriger l’erreur. Si la faute commise est une confusion lexicale qui fait

cependant sens, profitons-en pour décortiquer l’erreur et mettre à jour tout le contresens.

Par exemple, dans l’énoncé : « El frutero vende la frutera en la frutería », l’explication de

l’erreur est amusante et convaincante dans l’absurde qui en découle. A partir d’une erreur

corrigée, on dépasse la gêne de la maladresse et le rire n’est pas un constat négatif mais

signe de reconnaissance d’erreur et de correction, qui sera peut-être mieux mémorisée par

ce biais de l’humour.

L’humour et le rire géré peuvent intervenir à divers moments du cours, soit de

manière imprévue pour les élèves, et bien souvent de façon improvisée de la part du

professeur qui saisit la balle au bond quand une occasion se présente, soit de façon

prévue et ritualisée. Attention toutefois à ne pas faire du cours un prétexte pour

l’humour : les choses se passent dans le sens contraire, l’humour étant un petit plus qui

ne doit pas prendre non plus des proportions temporelles ou lexicales ingérables. En

revanche, une parenthèse d’humour et de ludisme peut être ménagée, de façon rituelle,

une fois par semaine, en fin de cours, par exemple le vendredi, avant l’heure de la

cantine, une fois que la leçon et le travail sont copiés. Le professeur peut préparer une

blague ou une devinette qui vont venir renforcer l’apprentissage de la semaine. Par

9 LETHIERY, Hugues, (Se) former dans l’humour. Mûrir de rire, Chroniques sociales, Lyon : 1998, p. 158.

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exemple : « ¿Cuál es el punto común entre un profesor y un termómetro ? » permet de

donner un exemple de verbe à diphtongue dans la réponse : « Cuando los dos marcan

cero, los alumnos tiemblan ». Ou bien encore, le professeur peut aller faire son marché

sur Internet pour s’approvisionner en adivinanzas10. Il reste ensuite à effectuer un choix

pour une bonne adéquation entre la leçon et le complément ludique et humoristique. Pour

le plaisir, citons une autre devinette, qui illustre la conjugaison de certains verbes : « Yo

tengo calor y frío y no frío sin calor. Y sin ser mar ni río, peces en mí he visto yo »11. La

constitution d’archives et leur consultation régulière au moment de la préparation des

progressions didactiques est une solution efficace pour mettre à profit ce recours au jeu et

à l’humour. Un recours à l’humour et à la détente intellectuelle bien préparé est souvent

aussi efficace qu’un trait d’esprit, qui sera la plupart du temps exprimé en français.

L’intérêt est aussi d’inciter les élèves à faire de l’humour et des jeux de mots en

espagnol.

10 Les pages consacrées à l’espagnol sur le site http://www.cafépédagogique proposent un vaste panel de sitesespagnols destinés aux enfants : http://www.elhuevodechocolate.com/index.htm (devinettes, comptines, fables,poésies, dictons, classés par thème) Http://perso.wanadoo.fr/proverbes (en français et en espagnol) http://acertijos.net/trabalenguas.com

11 Respuesta : la sarten.

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Conclusion

Ainsi donc, le thème du ludisme nous a permis de considérer le métier

d’enseignant sous plusieurs de ces principaux aspects : tout d’abord, l’impératif

d’autorité et l’équilibre entre la rigueur du travail et des comportements exigés des élèves

et le plaisir de se livrer à certaines activités ludiques dans un climat de confiance et

d’échange, tout en prenant en compte la gestion du temps, la ritualisation des activités de

l’heure de cours et l’importance des consignes. Ensuite, nous avons vu qu’un choix bien

ciblé d’activités ludiques trouvait parfaitement sa place dans le processus d’apprentissage

par les élèves : en s’efforçant d’amener les élèves à effectuer avec plaisir et spontanéité

une tâche qui abordée d’une autre manière serait appréhendée comme plus rébarbative,

on démystifie l’effort d’apprendre et la difficulté : sans que cet effort soit absent, au

contraire, il est tout simplement moins perçu par l’apprenant. Les exercices, présentés

sous forme de jeu, doivent faciliter la prise de parole et l’appropriation des

connaissances, pour pouvoir passer de la simple mémorisation au transfert et au réemploi

spontané des acquis dans un contexte nouveau. Enfin, le besoin de créer des situations de

communication les plus proches de la vie réelle passe par le ludisme, c’est-à-dire par la

recherche de supports déclencheurs de la parole, par l’envie de parler de soi-même, de

faire état de son esprit critique ou bien d’entrer dans la connivence d’une fantaisie

ludique et de prendre la parole derrière un masque tacite de fiction, ce qui permet

d’envisager le cours avec humour.

C’est donc vers une pédagogie basée sur l’éclectisme que l’on se tourne, garant

de nouveauté et de surprise, de motivation et aussi d’accès aux diverses personnalités

cognitives et aux sensibilités des élèves. C’est un travail de chaque jour, qui recherche le

plaisir d’enseigner et celui d’apprendre, enseñar y aprender deleitando, grâce au jeu,

moyen d’apprentissage, d’échange et de communication.

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Bibliographie

Articles :

CHATEAU, Jean, « Le jeu chez l’enfant : les apprentissages ludiques et le travail »,

Encyclopaedia Universalis.

DECURE, Nicole, « Jouer ? Est-ce bien raisonnable ? », Les Langues Modernes, 1994,n° 2, p.16-24.

FAUGERE Patrick, « les théories psychologiques du jeu », Les Langues Modernes,1994, n° 2, p. 6-15.

OSTENIETH, « Jouer, c’est grandir ! », Revue belge de Psychologie et Pédagogie,1979, tome 41, n° 167.

Ouvrages :

CAILLOIS, Roger, Les jeux et les hommes, Paris, coll. Folio Essais, 1998 (éditionprinceps 1958).

CHARMAN et O’NEIL, Les enfants et l’enseignement des langues étrangères, Hatier,coll. LAL, Paris : 1993.

DABENE L. et CICUREL M-C, Variations et rituels en classe de langue, HATIER,coll. LAL, Paris : 1990.

DE GRANDMONT, Nicole, Pédagogie du jeu, De Boeck Université, Bruxelles :1999.

LETHIERY, Hugues, (Se) Former dans l’humour. Mûrir de rire, Chroniques sociales,Lyon : 1998.

Adresses Internet :

http://www.elhuevodechocolate.com/index.htm

http://perso.wanadoo.fr/proverbes

http://acertijos.net/trabalenguas.com

Http://elperiodico.es/info/servicios/postales360 (photos à360° des principales villesespagnoles, avec possibilité d’exploration de la photo)

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INTERETS ET MISE EN PLACE D’UNE PEDAGOGIELUDIQUE DE L’ESPAGNOL

(en collège)

Résumé :

Comment favoriser l’écoute, dynamiser la classe et asseoir sonautorité tout en instaurant un climat de confiance et en essayant sesusciter le plaisir d’apprendre en s’amusant ? Ce mémoire propose uneréflexion autour du jeu en classe de langue vivante et présenteplusieurs jeux mis en place ainsi que des approches et des supportsdifférents qui font appel à l’humour et à l’imagination pour faciliterl’apprentissage des élèves et les amener de la mémorisation autransfert des connaissances.

Mots clés :

JeuEclectismeMotivationApprentissageAutorité

Collège Gaston Roupnel, 71, avenue du Drapeau, 21000 Dijon

Classes prises en charge : 4ème débutants et 3ème en LV2 espagnol.