Intellectuels et extrême-gauche - le cas du Secours rouge

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  • Les annes 68 : vnements, cultures politiques et modes de vie

    Lettre dinformation n32

    Sance du 18 mai 1998 Intellectuels et extrme-gauche : le cas du Secours rouge

    Par Bernard Brillant

    Lhistoire du SR prsente, du point de vue des rapports entre les intellectuels et lextrme-gauche, un intrt plus dun titre. Stendant sur une priode relativement brve qui va de juin 1970 lt 1972, elle couvre une des priodes les plus chaudes de laffrontement entre le pouvoir et lextrme-gauche notamment les maostes de la Gauche proltarienne (GP) et au cours de laquelle limplication dintellectuels aux cts de celle-ci est peut-tre la plus intense. Elle constitue, de ce point de vue, un bon observatoire des interactions complexes entre lensemble de ces acteurs dans le champ des luttes sociales, politiques, institutionnelles et internationales de laprs-mai. travers lhistoire du SR, je me propose dtudier lhypothse dune lgitimation rciproque des intellectuels et de lextrme-gauche savoir : la possibilit, pour les premiers, de redfinir leur rle en rompant avec le compagnonnage de route tel quil sest pratiqu aux cts du PCF et de rpondre la contestation du statut mme de lintellectuel par une nouvelle gnration d apprentis intellectuels (la jeunesse tudiante) saffirmant aussi comme intellectuel collectif en tant que militants dorganisations rvolutionnaires. Il sagit de refonder la lgitimit du rle spcifique de lintellectuel sur la scne politique vis--vis de nouveaux interlocuteurs qui se sont est affirms en mai et qui, contestant le monopole du savoir par une lite ou un groupe spcifique, postulent llaboration thorique tout en mettant en cause les principes de la mdiation et de la reprsentation. Les nombreux articles, entretiens et essais qui tentent de redfinir le statut des intellectuels au cours de cette priode tmoignent de cette volont (le Plaidoyer pour les intellectuels de Jean-Paul Sartre en 1972 en est un) la possibilit pour lextrme-gauche de nouer des alliances susceptibles damplifier son audience, de lui donner un impact et de la poser comme force

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    politique capable de capitaliser les contestations issues de mai 68, mais aussi de rsister au laminage de ses forces entrepris par le ministre de lIntrieur depuis cette mme date. Un dnominateur commun : la lutte contre la rpression Un climat daffrontements La cration du SR en juin 1970 a dabord rpondu un objectif prioritaire : la lutte contre la rpression dont les organisations dextrme-gauche et leurs militants sont lobjet au cours de cette priode. cet gard, il faut rappeler que le SR a un anctre : le Secours rouge international cr au dbut des annes vingt par la IIIe Internationale afin de dfendre les militants du mouvement ouvrier, de leur fournir des avocats, et qui devient le Secours ouvrier international en 1936. La rfrence historique nest pas fortuite. Elle joue sur les deux registres du politique et du mythologique, inscrivant la refondation du SR dans la rappropriation dune histoire (celle de la fondation en France dune organisation communiste hrite de la Rvolution dOctobre) perue comme dvoye par un PCF que les organisations dextrme-gauche qualifient de rvisionniste ou de tratre . Il faut donc examiner les options rpressives de laprs-Mai 68, notamment celle de Maurice Grimaud, prfet de police Paris et celle de Raymond Marcellin, alors ministre de lIntrieur. Dans son ouvrage En Mai, fais ce quil te plat (Stock, 1978), Maurice Grimaud, qui eut entre les mains la responsabilit du maintien de lordre Paris en 1968, affirme navoir cd aucun moment la tentation de la thorie du complot. La traduction concrte de son analyse de la situation fut une politique alliant la fermet et la souplesse qui vita sans doute des drapages dramatiques au cours des journes de violents affrontements de mai-juin. Toute autre est lapprciation de Raymond Marcellin, nomm ministre de lIntrieur le 31 mai 1968 en remplacement de Christian Fouchet et qui restera ce poste jusquau 1er mars 1974. La thse centrale de Raymond Marcellin est en effet celle du complot international . Le ton est donn au cours de son allocution lAssemble nationale lors de lexamen du budget de lIntrieur pour 1969, au mois de novembre 1968. Le ministre de lIntrieur observe en effet une simultanit troublante des mthodes daction des groupes rvolutionnaires depuis 1967 en Europe. Tout en restant prudent sur le sujet de laide internationale dont bnficient ces mouvements, il voque toutefois la confrence Tricontinentale de La Havane qui sest droule du 3 au 13 janvier 1966 et affirme que certains leaders multiplient les contacts avec des agents officiels ou secrets trangers. Rappelant les mesures prises pour le maintien de lordre, il annonce quelles sont accompagnes dune forte augmentation des effectifs de la police (5 500 emplois supplmentaires) et dune progression des dpenses de matriel et de personnel. Cest donc bien un renforcement du dispositif rpressif, dans le cadre de la lgislation existante, auquel procde le ministre de lIntrieur. cet effet, il fait tablir un rpertoire des

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    militants permanents des mouvements dextrme-gauche et rassemble les renseignements concernant ceux-ci dans une brochure distribue la presse le 27 aot 1968, complte, en fvrier 1969, par un livre, LOrdre public et les groupes rvolutionnaires. Critiquant les hsitations du pouvoir en mai 1968, le ministre de lIntrieur fonde sa politique de maintien de lordre sur une liaison troite entre les Chambres et le Parquet. Ds la fin du mouvement de mai-juin 1968, la lutte contre la rpression mobilise des intellectuels, des organisations, des mouvements et des associations. La lutte contre les expulsions dtrangers ayant particip au mouvement, notamment dartistes peintres, est la premire forme active de lintervention des intellectuels en juin 1968. La presse fait tat de protestations dcrivains, de cinastes, de peintres, etc... la fin du mois de juin, des intellectuels (Marguerite Duras, Alfred Kastler, Michel Leiris, Jacques Monod, Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet, etc...) constituent un Comit pour la libert et contre la rpression qui entend lutter contre la dissolution de 11 organisations dextrme-gauche, contre les expulsions dtrangers, contre les violences lencontre des distributeurs de tracts et les sanctions pour fait de grve. Du ct des organisations politiques, syndicales et des associations, une confrence de presse, tenue le 1er aot 1968 par lUNEF, les CAL, le Comit daction crivains-tudiants, le Comit pour la libert et contre la rpression, le Groupe daction judiciaire, le PSU, les tudiants socialiste unifis, les tudiants socialistes-SFIO, la Jeunesse socialiste, le Mouvement Tmoignage chrtien, le MCAA, le CVN, le Comit dinitiative pour un mouvement rvolutionnaire, Le Nouvel Observateur, Combat, Action, Les Temps Modernes, Les Cahiers de mai, appelle constituer un Front uni contre la rpression. Les avocats (Jean-Jacques De Felice, Henri Leclerc, Michle Beauvillard, etc...) et les magistrats ne sont pas en reste puisquen mai-juin 1968, se constitue le Groupe daction judiciaire (qui deviendra Mouvement daction judiciaire) qui se dclare contre les mesures dinterdiction lgard de lextrme-gauche. Deux groupes sont crs son initiative : Dfense active qui tient une permanence juridique hebdomadaire gratuite et Dfense collective qui cre des commissions (arme, jeunes, prisons) afin de confronter les ides et les pratiques . la fin de lanne 1969 Les Cahiers de mai annoncent la cration dun Comit contre la justice de classe et la rpression dans la vie quotidienne qui se propose de mettre en place une permanence daccueil pour la dfense active ouverte tous les jours ainsi quune permanence au tribunal des flagrants dlits le lendemain de chaque manifestation. Aprs une anne 1969 relativement calme , le dbut de lanne 1970 annonce un regain de tension et daffrontements entre lextrme-gauche et le pouvoir, marqu par la multiplication des actions de commando de la Gauche proltarienne et de Vive la rvolution. Il ne faut toutefois pas oublier que 1969 a t maill de violents incidents sur le plan social (petits commerants Bourgoin en avril, squestration du ministre Olivier Guichard pendant quelques heures par des agriculteurs en Loire-Atlantique en novembre).

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    De loccupation du CNPF le 10 janvier 1970 lattaque de lpicerie Fauchon, le 8 mai 1970, la rubrique agitation du Monde ne dsemplit pas : attaque du commissariat de Mantes (23 janvier), par un commando de la Nouvelle rsistance populaire, bras arm de la GP, occupation des locaux de lducation surveille Paris (23 janvier), violences contre le doyen Ricoeur Nanterre (26 janvier), sabotage de grues aux chantiers navals de Dunkerque (5 fvrier), incendie des bureaux des Houillres Hnin-Litard (16 fvrier), violents affrontements sur le campus de Nanterre et saccage des bureaux du doyen Zamansky Paris (3 et 4 mars), attaque de la mairie de Meulan (6 mars), etc... Dans ce contexte, la rpression envers les organisations dextrme-gauche et leurs militants se fait plus pressante. Elle se traduit notamment par la multiplication des interpellations de vendeurs de journaux et de diffuseurs de tracts sur la voie publique, linterdiction de meetings (comme celui appel le 17 mars 1970 par le Comit pour la libration des soldats emprisonns auquel doivent participer Jean-Paul Sartre, Alain Krivine et Michel Rocard), la saisie de journaux, notamment la Cause du Peuple partir davril, pour provocation au crime contre la sret de ltat et apologie du meurtre, du pillage, de lincendie et provocation ces crimes , la condamnation des peines de prison avec sursis et les incarcrations prventives aprs des actions violentes sur la voie publique ou les occupations de locaux. Il faut y ajouter les arrestations successives des directeurs de la Cause du Peuple : Jean-Pierre Le Dantec le 22 mars, Michel Le Bris le 20 avril. La liste sallonge dans les semaines qui suivent et Le Monde du 11 juillet 1970 publie les extraits dune interview de Raymond Marcellin Combat qui fait le dcompte des auteurs gauchistes dactes de violence : 90 crous, 153 personnes en libert provisoire, 150 peines de prison avec sursis, 202 peines damende. Le 7 avril 1970, le Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, annonce dans un entretien tlvis avec Pierre Desgraupes : Il est ncessaire que les casseurs soient les payeurs . Ds le lendemain, le conseil des ministres adopte le projet de loi sur les nouvelles formes de dlinquance , dite aussi loi anti-casseurs , dpose par le garde des Sceaux, Ren Pleven. Un nouvel article 314 du code pnal cre la responsabilit pnale collective de tous les participants une manifestation et institue la responsabilit civile des coupables dactions violentes au cours de rassemblements en les condamnant solidairement au paiement des dommages et intrts. En outre il est ajout un alina larticle 184 du code pnal rprimant la violation de domicile en ltendant aux lieux affects des services publics de caractre administratif ou scientifique et culturel. Le projet adopt en premire lecture le 30 avril est dfinitivement vot, aprs modification, le 4 juin. Avant dexaminer la convergence des ractions et des initiatives entre organisations dextrme-gauche et intellectuels, il faut souligner lvolution des modes daction et des thmes sur lesquels ces derniers sengagent. Loccupation du CNPF, en janvier 1970, inaugure de ce point de vue un engagement plus social , aux cts de lextrme-gauche organise et il ne fait pas de doute quun certain nombre dintellectuels sont, au cours de cette priode, la recherche de contacts avec les groupes rvolutionnaires. Cest ainsi que, selon Michel Rotman, un certain nombre dcrivains et dartistes (Marguerite Duras, Delphine Seyrig, etc...) ont

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    sollicit une rencontre avec les dirigeants de la Ligue communiste afin de sinformer sur son programme et ses objectifs et quun cadre de runion informel a t mis en place pendant quelque temps. Michel Piccoli aurait mme propos Michel Rotman, alors membre du Bureau politique de la Ligue communiste, dabandonner le mtier dacteur pour devenir militant ! Au-del du caractre anecdotique, on ne peut que sinterroger sur cette demande de militantisme de la part dune frange dintellectuels prts sengager aux cts de lextrme-gauche : fascination pour l activisme ? Volont de marquer (ou de confirmer pour nombre dentre-eux) une rupture sans retour avec le PCF tout en faisant la dmonstration pratique dun ancrage gauche ? En tout tat de cause, des intellectuels sont disponibles pour un type de mobilisation allant au-del de leur fonction protestataire traditionnelle et les ractions face laccentuation de rpression marquent, comme on va le voir, une gradation dans cet engagement. Lapprciation porte sur les actions violentes de la GP est parfois empreinte, dans un premier temps, dune certaine rserve. Ainsi, dans le Nouvel observateur, Jean Daniel met en garde lextrme-gauche contre lutilisation de la violence et son impopularit du moment. Sous le titre Quelle violence choisir ? le rdacteur en chef de lhebdomadaire prvient : La violence nest pas politique quand elle ne sinscrit pas dans un projet qui est pour tout le monde vident, concret, raliste Or, selon Jean Daniel, la violence des maos suscite des ractions morales aux antipodes du but politique recherch. Un nouvel ditorial du 27 avril 1970 ( Nous ne sommes pas en 1905 ), souligne nouveau les dangers des comportements insurrectionnels et appelle les rvolutionnaires offrir une stratgie de lutte qui garantisse qu toutes les tapes, la justice et les liberts formelles ne seront pas bafoues. Si les apprciations de Jean Daniel traduisent les rserves dune partie des intellectuels face la violence dploye par les maostes de la GP, elles nempchent pas nombre dentre-eux, face la rpression, de tmoigner ou de protester en utilisant leur capital de notorit ou leurs comptences dans le domaine judiciaire. Ainsi, Henri Leclerc, dans Le Monde du 21 fvrier 1970, sous le titre Le nouveau champ de larbitraire dnonce le rgime de la garde vue (ramen 6 jours en matire politique par le garde des Sceaux en dcembre) et la dtention aprs interpellation qui sinstitutionnalise depuis 1968 lgard des vendeurs de journaux. De leur ct, Jean-Paul Sartre, Maurice Clavel, Michel Leiris et Jean Genet tmoignent, le 23 fvrier, au procs de Roland Castro, inculp aprs loccupation du CNPF. Une nouvelle tape est franchie lorsque Sartre accepte la direction de La Cause du Peuple, le 27 avril 1970. Il sagit cette fois dutiliser son capital de notorit comme bouclier mais aussi comme dfi lanc au pouvoir davoir justifier la politique du deux poids deux mesures dans lapplication de la justice. Les ractions au projet puis au vote de la loi anti-casseur sont, elles, sans quivoque : une loi grecque pour Maurice Duverger dans le Nouvel observateur du 26 avril, une loi de guerre civile pour G. Bergougnoux de Tmoignage chrtien (23 avril), la loi sclrate pour Henri Leclerc dans Tribune socialiste, tandis que Robert Badinter et Jean-Denis Bredin dnoncent lescalade dans Le Monde du 29 avril.

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    Du ct des organisations de gauche et dextrme-gauche, linterdiction des meetings portant atteinte au moral de larme , et notamment celui de la GP du 14 mars, puis celui du Comit pour la libration des soldats emprisonns prvu le 17 mars, donne lieu des confrences de presse de protestation et surtout un meeting contre la rpression , sous la caution de la fdration de Paris du Parti socialiste et prsid par Jean-Pierre Chevnement, auquel participent les tudiants socialistes, la CIR, le PSU, la Ligue communiste, lAJS, lAMR, Lutte ouvrire, lOrganisation trotskyste et lUNEF. On y dbat, selon Le Monde, de la constitution dun Front rvolutionnaire . Le PCF a dclin loffre par une longue lettre dans laquelle il nentend pas cautionner les groupes gauchistes . Par ailleurs, et malgr le profond sectarisme qui les anime, plusieurs organisations dextrme-gauche (Ligue communiste, LO, PSU, GP, FA) se retrouvent pour un dbat, le 23 avril, au Cercle franais de la presse o saffirme une solidarit sans faille lgard de Jean-Pierre Le Dantec. Dans le mme temps, le PSU propose, dans une lettre au PCF, une rencontre immdiate pour organiser ensemble une action dcisive contre la rpression policire . La dmarche du PSU sinscrit, comme on le verra, dans une volont de jouer les intermdiaires entre lextrme-gauche et la gauche traditionnelle qui runit un meeting le 23 avril la Bourse du travail contre le projet de loi anti-casseurs . Les participants (CGT, CFDT, SGEN, FEN, UNEF, PCF, PS, PSU, CIR, etc...), dcident dune journe nationale de protestation pour le 29 avril et mettent en place un cartel qui sera assez vite abandonn par lUNEF, puis par le PSU, dont laile gauche condamne la solidarit slective et lostracisme vis--vis de lextrme-gauche . Les initiatives convergentes se multiplient en mai-juin dans le contexte daffrontement exacerb qui entoure le procs de Jean-Pierre Le Dantec et de Michel Le Bris, la dissolution de la GP et larrestation dAlain Geismar. Dans la mme journe du 27 mai 1970 on assiste en effet la demande de saisie de tous les exemplaires des numros 15, 16, 17, 18 et 19 de La Cause du Peuple qui pourraient tre trouvs, au procs de ses deux directeurs successifs qui sont condamns respectivement un an et 8 mois de prison ferme et la dissolution de lorganisation maoste. Au procs, tmoignent le Pre Michel Blaize, franciscain, rdacteur de la revue Frres du monde, le Pre Jean Cardonnel, dominicain et Jean-Paul Sartre qui stonne de ne pas encore avoir t arrt. Dans la soire du 27 et du 28 mai, de violents affrontements avec la police se produisent au Quartier latin et, le 30 mai, un mandat darrt est lanc contre A. Geismar pour provocation directe, suivie deffets, violence et voies de fait contre les agents de la force publique . Malgr les profondes divergences qui les sparent, les organisations dextrme-gauche tiennent, ce qui ne stait pas vu depuis 1968, un premier meeting unitaire prsid par Jean-Paul Sartre, la Mutualit, le 25 mai, au cours duquel Manuel Bridier du PSU propose un Front uni contre la rpression. Au lendemain du procs, tandis que LHumanit rappelle que cette journe (...) a nettement soulign quel point de tels aventuriers sont trangers au mouvement ouvrier et dmocratique et rejet par lui. , lUNEF, la Ligue

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    communiste, lAJS, le PSU et le CERES publient un communiqu de protestation et un nouveau meeting unitaire est appel le 8 juin. Les intellectuels ne sont pas en reste puisque, dans la semaine qui prcde le procs du 27 mai, le Nouvel observateur ouvre ses colonnes la GP en publiant une interview dAlain Geismar par Jean-Paul Sartre sous le titre Sartre donne la parole aux casseurs . Le Nouvel observateur prcise quil tient exprimer son dsaccord avec les analyses et les mthodes de la GP mais quil souhaite que le dbat idologique sinstaure et que le PC, le PS et les syndicats rpondent aux maos autrement que par des injures. Alain Geismar dveloppe, dans cet entretien, son analyse de la fascisation du rgime laquelle il convient de riposter par la prparation dune guerre populaire prolonge et par lorganisation dune nouvelle rsistance . Le jour du procs, Le Monde publie une tribune libre de Sartre : Toute la vrit , dnonant la volont du gouvernement de dnier aux inculps la qualit de politiques. Il est intressant de constater par ailleurs que la thmatique gpiste de la fascisation du rgime et de la rsistance est reprise telle quelle ou dans des versions attnues par nombre dintellectuels. Ainsi, Sartre dveloppera, un mois plus tard, dans une interview la TV allemande lide que la France sachemine vers une guerre civile dans laquelle les intellectuels doivent sengager tandis que, de son ct, Dyonis Mascolo, dans un Projet dadresse aux intellectuels , dat de mai 1970, dveloppe le thme dune guerre ouverte avec la classe possdante (in Lignes n33, mars 1998). Sur un ton plus modr, Jean Daniel note, dans Le Nouvel observateur du 1er juin 1970 que, sans tre dj en tat de guerre, nous entrons peu peu dans une re rpressive et que la peur du gouvernement conduit lobsession du complot et lengrenage policier. Il ne fait pas de doute que les maostes de la GP influencent le discours et les reprsentations dune fraction notable des intellectuels en les polarisant autour deux dans une srie dinitiatives destines dfendre et protger, alors quils viennent dtre dissous, leur moyen dexpression, la Cause du Peuple. LIdiot international du mois de mai 1970 publie ainsi un appel dune cinquante dintellectuels (Alexandre Astruc, Simone de Beauvoir, Jean-Louis Bory, Cavanna, Maurice Clavel, Gilles Deleuze, Marguerite Duras, Armand Gatti, Jean-Luc Godard, Flix Guattari, etc...) contre les saisies de la Cause du Peuple et pour la libration de Le Dantec et de Le Bris, ainsi quun appel de plusieurs directeurs de publications : Daniel Anselme (Les Cahiers de mai), Guy Degorce (Tribune Socialiste), Jean-Edern Hallier (LIdiot international), Claude Perdriel (Le Nouvel observateur), Paul Noirot (Politique aujourdhui), Bernier (Hara Kiri). Au dbut du mois de juin, se constitue, linitiative de Simone de Beauvoir et de Michel Leiris une Association des amis de La Cause du Peuple tandis que Sartre et plusieurs intellectuels diffusent deux reprises le journal des maostes dans la rue, pisode emblmatique de cette priode. La convergence de ces prises de position et de ces initiatives aboutit au lancement dun appel, dat du 11 juin, pour la cration du Secours rouge. Le Comit dinitiative du Secours rouge : les intellectuels

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    Dix-sept personnalits , constituant le Comit dinitiative du SR, signent lappel. La qualit de 11 dentre-eux est prcise entre parenthses. Il sagit de : Claude Angeli, Eugnie Camphin (rsistante, mre de Pierre et Ren Camphin), Jean Cardonnel (Frres du Monde), Georges Casalis ( Christianisme social ), Jean Chaintron (ancien secrtaire du SRI), Robert Davezies (rseau de soutien au FLN), Henri Guilloux (syndicaliste), Yvonne Halbwachs-Basch (fille de V. Basch assassin par la milice, pouse de M. Halbwachs mort en dportation), Bernard Hertzberg, Marcel-Francis Kahn, Bernard Lambert (paysan), Henri Leclerc, Georges Montaron (Tmoignage chrtien), Roger Pannequin (Franc-tireur et Partisans), Jean-Paul Sartre, Charles Tillon (Franc-tireurs et Partisans), Vercors. La composition du CI ne doit videmment rien au hasard et il est intressant de ltudier la lumire de plusieurs variables (rseaux, strates gnrationnelles, itinraires individuels) pour tenter den dgager le sens. Sans reprendre ici lensemble des dbats sur la dfinition de lintellectuel , je voudrais simplement rappeler les difficults de cerner cette catgorie floue, au carrefour de la sociologie et de lhistoire. Ainsi que le rappellent Jean-Franois Sirinelli et Pascal Ory dans leur Histoire des intellectuels de lAffaire Dreyfus nos jours (A. Colin,1986), on navigue toujours, en la matire, entre deux extrmes : soit une dfinition sociologique (acception large des professions de crateurs et de mdiateurs), soit une dfinition idologique (acception restreinte qui met en avant la fonction critique et de contestation qui sous-entend que les intellectuels ont vocation lengagement). Les auteurs tentent de trouver une troisime voie qui rejette symtriquement ces deux extrmes en avanant la dfinition suivante :

    Un homme du culturel, crateur ou mdiateur, mis en situation dhomme du politique, producteur et consommateur didologie. Un statut (sociologique) transcend par une volont individuelle (thique) et tourn vers un usage collectif

    Plus laconiques, Jacques Julliard et Michel Winock dfinissent, dans leur Dictionnaire des intellectuels franais (Seuil, 1996), lintellectuel comme Un homme, une femme qui applique lordre politique une notorit acquise ailleurs . Le problme demeure de toute faon dans la recherche de critres objectifs car on trouve toujours un individu qui se situe lintersection de telle ou telle catgorie et, dans limmdiat, il convient peut-tre de conclure avec Louis Bodin :

    Lintellectuel est une construction, rien de plus, rien de moins. En termes collectifs, cette construction sinscrit dans une histoire sociale et culturelle ; en termes individuels elle est aussi tributaire du regard que chacun porte sur soi, par lui-mme ou travers le regard des autres. Lapprciation subjective compte ici autant que la dtermination objective dans lvaluation des critres dappartenance. On comprendra que dans ces conditions, la question des intellectuels nen finisse pas de se poser (Les intellectuels existent-ils ?, Bayard ditions, 1997)

    Le Comit dinitiative du SR est, donc compos pour une large part dintellectuels dont la qualification varie en intensit selon quon dplace le curseur

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    entre les deux ples de lancrage professionnel et de la dimension thique ou idologique, lintensit tant bel et bien tributaire ici de ce regard subjectif dont parle Louis Bodin et de lusage collectif quvoquent Jean-Franois Sirinelli et Pascal Ory. Une seconde remarque simpose : on ne trouve, au Comit dinitiative, pratiquement aucun universitaire (hormis Bernard Herzberg) qui est pourtant le groupe dominant chez les intellectuels aprs la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, les femmes, peu nombreuses, sont qualifies comme mre et comme pouse . Le texte de lappel rpond un certain nombre de rgles implicites de lactivit ptitionnaire (cf. Rmy Rieffel, La tribu des clercs) et suppose notamment lexistence de rseaux latents. Dans le cas prsent il est bien vident que plusieurs dentre-eux ont t mobiliss : celui de Sartre et des Temps Modernes, celui des ex du PCF, celui des anciens des mobilisations contre la guerre dAlgrie ou sur le Vietnam, celui des anciens membres de la direction du SNE-Sup de 1968. La rfrence aux rseaux doit tre croise avec dautres variables telles que les strates gnrationnelles, les sensibilits et les cultures politiques. Il faut noter toutefois quaucun groupe politique nest reprsent en tant que tel, mme si certaines personnalits appartiennent au PSU ou la Ligue communiste puisque le SR refuse dtre un cartel dorganisations. La composition du Comit dinitiative (CI) se dploie donc selon deux logiques : une logique interne : le CI est le reflet de solidarits gnrationnelles et militantes qui se mobilisent dans ce contexte bien prcis. une logique externe : la volont de mobiliser une frange militante large, autour dun ensemble de reprsentations et de sensibilits idologiques qui connotent avec dautres priodes de lhistoire de chacune des strates gnrationnelles et de litinraire des individus qui composent le CI. Les extraits dune interview de Sartre dans Le Monde du 20 juin 1970 fournissent une des cls de la logique qui prside la constitution du SR et plus prcisment de son CI. Il dfinit en effet le CI du SR comme la ralisation de lunion de trois gnrations dans la lutte : la Rsistance, la guerre dAlgrie, Mai 68. y regarder de plus prs, les choses sont plus complexes. La notion de gnration frquemment utilise depuis une dizaine d'annes pose un certain nombre de problmes que je nai malheureusement pas le temps de dvelopper ici. Ce qui importe, cest de constater que la remarque de Sartre trahit dune certaine faon la logique externe voque plus haut, cest--dire le travail de reconstruction de la mmoire opr en vue dune mobilisation des esprits autour de quelques ples de rfrence qui nont videmment rien danodin. Lexemple de Charles Tillon, n en 1897, et de Roger Pannequin, n en 1920, est clairant de ce point de vue : ils nappartiennent ni la mme gnration dge, ni la mme gnration politique, ni la mme gnration de militants du PCF, mais il est bien vident que ce qui les runit ici est leur commune appartenance la Rsistance communiste mobilise ici pour les besoins de la cause. Autre exemple : la gnration 68 nest pas proprement parler prsente dans le CI. Cest plutt la participation aux luttes reprsentatives de Mai 68 et de laprs-68 qui est sollicite

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    ici (Herzberg et le SNE-Sup ou Lambert et les paysans). La composition du CI rpond donc une volont doprer une synergie (la fusion de Sartre) entre des mmoires militantes et des cultures politiques : les ex du PCF et les compagnons de route , la Rsistance ; les chrtiens de gauche et la guerre dAlgrie ; la nouvelle gauche et lextrme-gauche ; ainsi que laspect professionnel (Leclerc lavocat, Lambert le paysan, Kahn le mdecin, Angeli le journaliste, Guilloux le syndicaliste ouvrier, Herzberg luniversitaire). Il faut noter le statut particulier de Sartre au carrefour de plusieurs variables et qui est dailleurs dvolue la prsidence dhonneur du SR. Il conviendrait enfin de mettre en relief les itinraires singuliers de chacun des membres du CI. Notons simplement que, concernant les ex du PCF, il ne sagit pas de simples militants ou de cadres intermdiaires mais de grandes pointures , figures prestigieuses du PCF et de la Rsistance communiste qui ont t au coeur de lappareil et dont le parcours a t marqu par lexclusion. De leur ct, les clercs, catholiques ou protestants, sont tous des animateurs du clerg contestataire qui se manifeste avec force depuis Mai 68 (R. Davezies et les groupes Echanges et dialogue ), les syndicalistes viennent pour certains de se voir retirer leur responsabilit pour leurs prises de position juges trop gauche (B. Lambert la Fdration rgionale des syndicats agricoles de lOuest ou B. Herzberg au SNE-Sup), les militants dorganisation viennent de rompre avec une organisation concurrente ( M. F. Kahn vient de quitter le PSU pour la Ligue communiste) ou bien figurent dans lopposition minoritaire (H. Leclerc au PSU), etc... Au total sil existe un dnominateur commun la plupart de ces itinraires cest celui de la rupture et de la contestation face linstitution, le parti ou lappareil auquel ils ont particip ou participent encore. Il y a l une identit contestataire qui les identifie lune des dimensions majeures de Mai 68 qui na pas t lvnement dateur constitutif de leur gnration, mais qui a ractiv des engagements antrieurs pour la plupart, provoqu ou parachev des ruptures entames auparavant pour certains. Pour finir, je voudrais en quelques mots retracer litinraire de linclassable Sartre dans ses rapports avec lextrme-gauche depuis Mai 68. Nayant compris quaprs coup la dimension de Mai 68 selon ses propres termes (On a raison de se rvolter), Sartre se rapproche indniablement de lextrme-gauche aprs Mai 68 jusqu son compagnonnage avec les maos . Cest ainsi que dans limmdiat aprs-68, une place importante est donne au problme de la construction du parti rvolutionnaire, dans les Temps Modernes, qui ouvre ses colonnes Ernest Mandel, dirigeant de la IVe Internationale. Lors de la campagne lectorale de 1969, Sartre signe un appel voter pour Alain Krivine puis participe, avec la Ligue communiste et le PSU, la campagne pour la libration des soldats emprisonns en janvier-fvrier 1970, soutenant par ailleurs le dirigeant de lorganisation maoste VLR, Roland Castro son procs. Le rapprochement avec les maostes seffectue en avril 1970, lorsquil accepte la direction de La Cause du Peuple. Au-del de laspect moral de son engagement aux cts des maos , Sartre expliquera, dans ses entretiens avec Philippe Gavi et Pierre Victor (On a raison de se rvolter), ce rapprochement sur le mode affectif de lamiti, dune forte relation .

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    Les composantes politiques du Secours rouge : lextrme-gauche Le Monde du 19 juin publie un communiqu commun de plusieurs organisations ( UNEF, PSU, AMR, VLR, Voix proltarienne, Ligne rouge, Comit dinitiative pour un mouvement rvolutionnaire) sassociant la cration du SR. La Ligue communiste, qui nest pas signataire de ce communiqu, en est galement partie prenante. Il faut noter labsence de Lutte ouvrire (qui voit dans le SR un tat-major de personnalits, gnralement ex-dirigeants staliniens tels, Tillon, Chaintron, Halbwachs et dautres plus ou moins lis la coterie Garaudy ) ainsi que de lAJS, du PCMLF et des organisations anarchistes en tant que telles. Trois organisations structurent principalement le SR : le PSU, la Ligue communiste et la GP dissoute auxquelles il faut ajouter toute une frange d inorganiss qui le SR fournit un cadre dorganisation et daction hors des groupes rvolutionnaires. Fort de 15 000 adhrents, le PSU, qui publie lhebdomadaire Tribune Socialiste et qui est dirig par Michel Rocard depuis le Congrs de Paris de juin 1967, a connu une modification de sa composition depuis 1968 en recrutant de nombreux militants jeunes (selon M. Rocard, en 1969, plus de 42% des membres sont des adhrents de 1968). Le Congrs de Dijon (mars 1969) a marqu une inflexion du parti vers lextrme-gauche en se donnant comme principal objectif la tche de construire un parti rvolutionnaire . En ralit, le PSU, travers par des courants multiples, fait le grand cart entre la gauche traditionnelle et lextrme-gauche. Ce qui lui pose le problme de ses alliances. Si le Congrs de Dijon proclame son dsir de sadresser aux masses influences par le PC il affirme aussi sa volont de conclure des alliances prioritaires avec les forces du courant de Mai . Il en rsulte une politique de contacts unitaires tous azimuts aussi bien du ct du PCF que du ct de lextrme-gauche. Paralllement, Marc Heurgon et une partie de la gauche du PSU crent, avec Gilbert Mury du Groupe marxiste-lniniste, Nicolas Baby de lAMR et Bernard Herzberg, un Centre dtudes et dinitiatives rvolutionnaires dot dune revue, Que faire ?, dont le premier numro proclame le rejet de toute stratgie rformiste. En avril 1970, face la politique mene par R. Marcellin, le Bureau national du PSU sadresse au Bureau politique du PCF afin de mener une campagne contre la rpression et pour la dfense des liberts . Le PCF y oppose une fin de non recevoir, accusant le PSU de patronner les groupes gauchistes aprs les affrontements violents qui ont eu lieu le premier mai dans la rue. Le dbat sur le problme-cl des alliances du PSU rebondit donc en juin 1970 au Conseil national o sopposent les partisans dune alliance privilgie avec lextrme-gauche et ceux dune alliance avec la gauche traditionnelle. Une rsolution est vote proposant de poursuivre la discussion avec tous les groupes rvolutionnaires sur la construction du parti rvolutionnaire et appelant une politique de Front unique avec le PCF avec lespoir de montrer au PC lerreur de ne pas dfendre les militants rvolutionnaires face la rpression . De fait, aprs sa participation phmre au cartel des organisation de gauche contre la loi anti-casseurs au mois davril, le PSU se tourne rsolument

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    vers lextrme-gauche avec la cration du SR annonce dans Tribune Socialiste le 25 juin 1970. La Ligue communiste ne en avril 1969 de la fusion des Jeunesse communistes rvolutionnaires et des trotskistes du Parti communiste internationaliste de Pierre Franck affilis la IVe Internationale se prsente comme une organisation qui allie la rigidit doctrinale et la discipline sur le plan organisationnel avec une certaine souplesse, en tout cas une permabilit aux mouvements de contestation. Publiant lhebdomadaire Rouge, elle dclare 5 000 militants principalement implants dans la jeunesse tudiante et lycenne et dployant une activit internationaliste importante. La Ligue communiste entend construire le parti rvolutionnaire qui a fait dfaut, selon elle, en Mai 68, en visant limplantation en milieu ouvrier par une tactique dite de la priphrie vers le centre (du mouvement tudiant vers la classe ouvrire) et en misant sur des ruptures au sein des partis traditionnels, notamment le PCF auquel elle entend arracher des pans entiers par une tactique de Front unique conue selon le triptyque initiative-unit daction-dbordement . Le cadre du SR, sans tre prioritaire par rapport la construction de lorganisation, et sans quil soit encore moins question de sy noyer, peut fournir un levier pour imposer lunit daction sur des objectifs limits (la rpression) la gauche traditionnelle mais aussi pour jouer sur les contradictions du PSU afin den rallier des fractions. La Ligue communiste connat cependant lexistence dun courant minoritaire qui refuse ladhsion la IVe Internationale laquelle lorganisation sest affilie lors de sa fondation. Ne fin 1968-dbut 1969 du regroupement dune partie des membres de lUJCML dissoute et de membres du 22 Mars, la Gauche proltarienne a renou avec la pratique de l tablissement lautomne 1969. Lordre du jour est la proltarisation de lorganisation et la transformation idologique des intellectuels qui la composent tandis que lorientation est marque par la rupture avec la ligne syndicale qui prvalait lUJCML. La GP analyse la situation politique, au lendemain de Mai 68, comme une fascisation dj amorce du rgime et dveloppe la ncessit de riposter par une guerre prolonge place sous le signe dune nouvelle Rsistance. La conception de lorganisation qui en dcoule nest donc pas celle dun parti lniniste prparant une prise du pouvoir de type bolchvique mais passe par lorganisation de dtachements de partisans . Il sagit de regrouper les ouvriers les plus radicaliss dans des structures nouvelles du type units de base mais de fait trs centralises autour du Comit excutif de la GP. Cette ligne de durcissement et de violence ouverte place sous les auspices dune Nouvelle rsistance populaire (NRP) est amorce en aot 1969 avec le n11 de La Cause du Peuple qui titre Patrons, cest la guerre ! . Les numros suivants accentuent encore ce ton violent : On a raison de squestrer les patrons (octobre 1969), Nous sommes les nouveaux partisans (dcembre 1969), etc... tandis que les actions de commandos se multiplient.

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    La GP saisit loccasion de sa dissolution, le 27 mai 1970, pour se dissoudre dans les masses . Nexistant plus comme organisation, elle va multiplier et susciter des structures soit lies directement aux maos en un ensemble hirarchis selon la proximit avec le coeur de lorganisation dissoute et son bras arm, la NRP (Groupes ouvriers anti-flics, Milices ouvrires multinationales, Groupes ouvriers de riposte ), soit de type tampon , qui entourent et protgent lorganisation dissoute en faisant appel aux dmocrates cest--dire aux intellectuels (ex : les Amis de la La Cause du Peuple ). La cration du SR, dans ce cadre, tombe point nomm et peut permettre de remplir cette fonction dorganisation de masse et de couverture . La naissance du SR nest pourtant annonce que par une brve vocation dans le numro de la La Cause du Peuple du 16 juin qui reproduit lappel sans commentaire. Au total, la cration du SR rsulte de la convergence dun faisceau dattentes dont chaque organisation et mme chaque sous-courant dorganisation peut tirer parti, assurant par l le succs du lancement mais constituant une faiblesse originelle que le mouvement ne parviendra pas dpasser. Le temps du succs (juin 1970-printemps 1971) Un cadre trs souple Les tmoignages divergent quant au lancement du SR et la cristallisation du Comit dinitiative. Selon Michel Rotman, la Ligue communiste avait le projet de constituer une organisation de solidarit internationale mais lide semble de toute vidence stre transforme par la suite. De son ct, Claude Angeli assure en avoir parl Alain Geismar, Serge July et des dirigeants de la Ligue mais sa proposition aurait rencontr peu dcho, chacun saffairant construire sa propre organisation. Pour Michel Fontaine enfin, le SR serait n de contacts entre Jeannette Colombel, Serge July et lui-mme. Les contacts auraient ensuite t pris avec ceux qui allaient composer le CI. Le texte de lappel, auquel Sartre et Davezies ont mis la dernire main au domicile de Pierre Halbwachs, souvre sur une des thmatiques majeures de la contestation des annes 68 : celle de la dnonciation du secret et de la dissimulation oprs par le pouvoir ( Le pouvoir tente de dissimuler les causes du mcontentement ). Nombre dintellectuels y puiseront la justification de leur engagement et de leur fonction : faire clater la vrit, et, au-del, dvoiler lessence rpressive du pouvoir. Les victimes de la rpression sont, elles, dsignes par un ventail social allant des lycens aux immigrs en passant par les tudiants, les ouvriers, les petits commerants, les paysans et les jeunes soldats sous luniforme appels constituer un vaste front de lutte contre la rpression et lexploitation capitaliste . Cest pourquoi, le CI appelle constituer le SR comme lieu de la solidarit populaire contre lalliance du patronat, de ltat, de sa police, et contre tous leurs complices. . Ladversaire dsign va donc au-del des forces rpressives

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    de l'tat, englobant le patronat et ses complices , ce qui laisse la porte ouverte un large champ dadversaires politiques et une conception trs extensive de la rpression. Le cadre fix par lappel est celui dune organisation lgalement dclare, indpendante vis--vis de toutes les organisations . Les adhsions seront individuelles, le SR refusant dtre un cartel auquel les organisations adhreraient en tant que telles. Cette volont dindpendance traduisant en partie la volont des intellectuels de jouer un rle propre, comme rassembleurs capables de transcender les courants politiques constitus, trouvera vite ses limites. Les rfrences au nazisme, la dictature policire , la rsistance linjustice , etc... constituent dj autant dindices dune influence des maostes de la GP sur la rdaction dun texte qui se conclut par : Le Secours rouge, issu du peuple, le servira dans son combat (Servir le peuple tait le titre du journal de lUJCML en 1968). Le SR, anim par son Comit dinitiative, est une organisation fonde sur la dcentralisation et une large autonomie des comits locaux. Le CI se runit de faon hebdomadaire chez les Halbwachs. La participation de ses membres y est ingale et irrgulire. Vercors, selon les tmoignages ne sy est jamais rendu, Sartre y vient pisodiquement. Les piliers en sont Robert Davezies, Claude Angeli, Henri Leclerc et Pierre Halbwachs qui, bien que ne figurant pas dans la liste des signataires de lappel, en est la vritable cheville ouvrire. N en 1916, Pierre Halbwachs est entr dans la Rsistance et a adhr au PCF pendant la guerre, avant dtre dport avec son pre, Maurice Halbwachs, Buchenwald. Professeur de lettres dans lenseignement secondaire aprs la guerre, il a offici Radio-Budapest en 1952-1953, en pleine guerre froide. Il accde lenseignement suprieur en devenant rptiteur de franais en Italie, en 1960. Commence alors une opposition latente au PCF qui s'approfondit lors de son retour en France et de sa participation au Bureau national du SNE-Sup dirig, partir de 1966, par A. Geismar. Exclu du PCF en 1969, il constitue lexemple de ces intellectuels qui, malgr une faible visibilit, occupent une place stratgique, au carrefour de nombreux rseaux, dans les coulisses . Si les organisations dextrme-gauche nadhrent pas en tant que telles au SR, leurs reprsentants participent aux runions du CI. Ainsi, on y retrouve Philippe Barret et Gilbert Castro pour lex-GP, Jean Ren Chauvin, Michel Rotman, pour la Ligue communiste, Alain Rist et Marc Heurgon pour le P.S.U. Les comits locaux de SR, de rgion, de dpartement, de ville, de facult, de lyce ou dentreprise bnficient dune large autonomie, ce qui posera parfois au CI. le problme davoir assumer des actions lances par telle ou telle organisation politique, notamment les maos de lex-GP, auxquels le SR fournit une couverture depuis leur dissolution. Les comits de SR se constituent partir de lautomne 1970 dans toutes les grandes villes, avec des points forts en fonction de limplantation des organisations parties prenantes. Le nombre des comits est de 150 en octobre 1970 ; 300 en province, 80 en rgion parisienne en janvier 1971 ; on en dnombre prs de 150 rien que pour cette dernire rgion la runion nationale davril 1971 o sont reprsents 23 dpartements. Le SR dispose, par ailleurs, de commissions : presse (Angeli), mdicale (Kahn), avocats (Leclerc).

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    Les effectifs sont impossibles valuer. Un ordre dide de lattraction quexerce le SR est fourni par la participation aux manifestations comme celle du 1er mai 1971 Paris o, sur 40 000 manifestants runis par lextrme-gauche (12 000 selon la Prfecture), le SR rassemble les plus gros contingents avec ceux du PSU, selon Le Monde. La presse du SR se rsume, au plan national, deux bulletins publis lun en janvier 1971, lautre en fvrier 1972. Les comits locaux, de leur ct, ditent souvent un bulletin ou des brochures ronotyps. Il faut signaler un bulletin de plus grande envergure : celui du Nord-Pas-de-Calais Libert vaincra. Les finances du SR reposent le plus souvent sur la bonne volont et, aprs avoir collect des souscriptions, le SR ne tranchera jamais vraiment le dbat sur linstauration dune cotisation. Ses partisans (notamment les ex du PCF) seront souponns de bureaucratisme par les courants spontanistes et devront sincliner. Entre rpression et internationalisme Laction du SR ne commence rellement qu la rentre de septembre, avec les mobilisations sur la question des prisonniers politiques . cette date, on compte une centaine demprisonns pour fait de gauchisme (Le Monde 02/09/70), la plupart en prventive ; 25 dentre-eux ont rpondre devant la Cour de sret de ltat. Le 1er septembre 1970, les militants maostes emprisonns Fresnes, la Sant, la Petite Roquette, commencent une grve de la faim pour lobtention du rgime spcial . Le statut de prisonnier politique nexistant pas en France, le rgime dit spcial (pas dastreinte au travail, incarcration en quartier particulier, lecture des livres de son choix et de la presse dactualit, visite tous les jours) est accord par le garde des Sceaux et appliqu, pour lheure, aux 25 dtenus inculps devant la Cour de sret de ltat ainsi quaux dtenus pour dlit de presse, Le Bris et Le Dantec. Assurant le relais du mouvement lextrieur, le SR publie un communiqu prcisant quil ne rclame pas de privilges par rapport aux dtenus de droit commun et ajoute : Bien plus, nous voulons que notre combat, dnonant le scandaleux rgime actuel des prisons, serve tous les prisonniers . Un meeting central exigeant le rgime politique, lamlioration du statut des prisonniers de droit commun, la suppression de la Cour de sret de ltat et des juridictions dexception, est convoqu la Mutualit le 19 septembre, avec la participation de Sartre, Chaintron, Montaron, Halimi, Guilloux, Cardonnel, Kahn, Lambert. Le 22 septembre 1970, le garde des Sceaux, Ren Pleven, modifie le rgime des dtenus en autorisant les visites six jours sur sept, le regroupement des prisonniers par deux, et laugmentation de la dure des promenades quotidiennes. Le SR publie un communiqu de victoire mais la grve de la faim ne cesse quaprs le transfert dAlain Geismar lhpital des prisons le 25 septembre. Cest le sort de ce dernier qui mobilise ensuite le SR. Au dbut du mois doctobre, la justice a eu la main plus lourde que dhabitude en condamnant un an

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    de prison ferme deux militants de lex-GP, Jean-Claude Marti et Jean-Pierre Liban, pour reconstitution dorganisation dissoute. Le SR voit dans ces condamnations un avant-got de ce qui attend A. Geismar lors de son procs en correctionnelle le 20 octobre 1970 et runit, la veille, un nouveau meeting central la Mutualit. Le procs de Geismar donne lieu des manifestations violentes Paris et en province tandis que Jean-Paul Sartre, refusant de tmoigner la barre, intervient aux portes de Renault-Billancourt, juch sur un tonneau, image emblmatique de cette priode. Geismar est condamn le 22 octobre 18 mois de prison ferme. Un deuxime procs lui est intent en Cour de sret de ltat, le 24 novembre 1970, pour reconstitution dorganisation dissoute. Condamn deux ans de prison ferme, non confondus avec la premire peine et 1 000 francs damende, il se voit par ailleurs priv de ses droits civiques et parentaux. Les peines seront confondues plus tard, en appel. La campagne du SR et le durcissement des peines provoquent ce que certains courants du SR attendaient : la mobilisation des dmocrates . la fin du mois doctobre, la direction nationale de la CFDT est mandate pour engager des discussions avec toutes les organisations syndicales, politiques et dmocratiques afin de reconstituer le collectif de dfense des liberts . Le PCF, de son ct, propose de reconstituer le cartel mis en place loccasion de la loi anti-casseurs tandis que Robert Badinter et Jean-Denis Bredin publient, dans Le Monde du 4 novembre 1970, un long rquisitoire sous le titre La rpression de la jeunesse, un exorcisme collectif . Le dbut de lanne 1971 est marqu par une deuxime campagne pour les prisonniers politiques. Au dbut du mois de janvier commence en effet une nouvelle grve de la faim afin dobtenir le rgime spcial pour ceux qui ont t emprisonns depuis octobre 1970, mais aussi pour dnoncer, de faon plus gnrale, lunivers carcral. Ce mouvement est soutenu par des militants du SR qui entament de leur ct, le 22 janvier 1971, une grve de la faim la chapelle St Bernard, sous la gare Montparnasse. Dans les jours suivants, le mouvement stend Notre-Dame de Lorette, lUER de philosophie de la Sorbonne, Champigny, Amiens, Aix, Lille, Nice mais aussi Fleury-Mrogis o de jeunes prisonniers de droit commun dcident de soutenir les politiques ! Les grvistes de Saint-Bernard reoivent le soutien dartistes et dintellectuels qui viennent leur rendre visite (Yves Montand, Simone Signoret, Maurice Clavel, Vladimir Janklvitch, etc...) tandis que Francis Blanche, sur Europe 1, appelle soutenir ce rgime contre le rgime . Lditorial de Jean Daniel dans Le Nouvel observateur du 1er fvrier 1971 rclame lobtention du rgime spcial sous le titre Entre le crime et limposture . Enfin, le 4 fvrier 1971, une dlgation compose dAlfred Kastler, Pierre Vidal-Naquet et Laurent Schwartz est reue par Ren Pleven. De son ct le SR dite une affiche, Exigez lamlioration des conditions gnrales de dtention. Exigez le rgime politique pour les rvolutionnaires emprisonns et appelle le 1er fvrier une manifestation (interdite) Denfert-Rochereau puis une Fte populaire des comits de SR de Paris VI et Paris VII la Halle-aux-Vins.

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    Le mouvement prend fin le 8 fvrier lorsque Henri Leclerc et Georges Kiejman annoncent, au cours dune confrence de presse, lobtention de mesures damlioration des conditions de dtention, passant ensuite la parole Michel Foucault, Pierre Vidal-Naquet et Jean-Marie Domenach qui viennent de crer le Groupe dinformation sur les prisons (GIP). Un dbat assez vif a lieu le soir-mme au Comit dinitiative du SR, opposant les partisans du maintien de la manifestation appele le lendemain place de Clichy (et qui est interdite par la Prfecture) ceux qui demandent son annulation. Maintenue, la manifestation, que la Ligue communiste boycotte, est durement rprime. Richard Deshayes, est grivement bless au visage et un autre lycen, Gilles Guiot, est arrt. Le SR mobilisera ses troupes, dans les jours qui suivront, pour sa libration, mais les dsaccords, qui vont jusquau boycott dune initiative du SR par une de ses composantes politiques, rvlent une crise profonde du mouvement. Hormis les mobilisations pour les prisonniers politiques , le SR donne la lutte contre la rpression une acception trs large. Ainsi, les affaires Deshayes et Guiot lui donnent loccasion de repartir en campagne, contre la police et ses mthodes, cette fois. Un meeting est appel la Halle aux vins sur le mot dordre surveillons la police et une fte est organise, le 27 fvrier, la Mutualit pour la libert dexpression et contre les violences de la police . Par ailleurs, un texte du CI Des citoyens au-dessus de tout soupon ? Le Secours rouge vous parle de la police est diffus loccasion de la journe de dialogue organise par la police en direction de lopinion le 4 mars 1971. Le CI y dnonce les arrestations arbitraires, les brimades, les svices , et appelle les policiers qui contestent refuser dexcuter des ordres qui peuvent les conduire des actes criminels . De partout, dans le mme temps, affluent au SR des demandes dinformation, de soutien, contre des actes de rpression locale : agressions racistes, expulsions de militants trangers, interpellations abusives, etc... Cest galement contre la rpression patronale que se mobilisent certains comits locaux dentreprise o sont prsents les militants maostes, notamment chez Brandt ou chez Valentine et pendant la grve des OS de Renault au Mans en avril-mai 1971. Lactivit du SR se dploie encore sur le terrain de lAction sociale (du type Secours populaire franais) puisque le mouvement a inaugur son activit en aot 1970, en organisant, linitiative des comits locaux dAsnires, Gennevilliers, Villeneuve-la-Garenne, la Goutte dOr, une excursion au Trport laquelle participent plusieurs dizaines denfants et leur famille, le 23 aot. En novembre 1970, des militants sadressent au SR propos de la destruction de la Maison du peuple construite la Pentecte par des militants maostes Villeneuve-la-Garenne. On voit galement le SR procder la remise de cadeaux des enfants de travailleurs immigrs de Citron Nol 1970. Cest enfin une conception offensive de la lutte contre la rpression qui conduit le SR du Nord-Pas-de-Calais tenir, le 12 dcembre 1970, un tribunal populaire Lens, aprs la mort de 16 mineurs le 4 fvrier 1970. Sous la prsidence de Jean-Paul Sartre, le tribunal populaire entend ainsi rpliquer au procs qui doit se tenir le 14 dcembre en Cour de sret de ltat contre Jean Schiavo, Bernard

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    Victorri et Dominique Lacaze arrts et incarcrs aprs l incendie des bureaux des Houillres dHnin-Litard par un commando de la GP dans la nuit du 16 au 17 fvrier 1970. Cette initiative donne lieu, au SR, de vifs dbats qui rebondiront par la suite, comme on le verra, sur la question de la justice populaire . En tout cas, les maos reoivent, en lespce, le soutien de Sartre qui dveloppe sa position dans une longue interview donne J'accuse n1, le 15 janvier 1971, sous le titre La justice populaire . Les propos de Sartre ouvrent la porte bien des drapages ultrieurs et notamment lide que les maostes de lex-GP peuvent se substituer au peuple ainsi quen atteste un texte interne Les maos et lide du tribunal populaire, notre point de vue , dat de juillet 1971 :

    Cest simple, pour nous, la justice populaire commence ds linstant quune commission ou un groupe enqute et informe les gens en dehors de la loi ; elle peut aller jusqu lexcution des sentences et pour ce qui nous concerne, nous assumons totalement cette justice (Archives BDIC, chemise Secours rouge, F. Delta Rs. 576/5/8)

    Il y a l matire sinterroger sur la responsabilit des intellectuels en gnral, de Sartre en particulier, dans la radicalisation des maostes de lex-GP jusqu lenlvement de R. Nogrette en mars 1972. De ce point de vue, il nest pas inintressant de lire la fin de linterview de Sartre sur la justice populaire :

    tes-vous prt rclamer des ttes ? Cela supposerait que nous ayons une guillotine pour les faire tomber et nous nen sommes pas l. partir du moment o il y aurait des tribunaux rvolutionnaires, jy serais si lon my met. Je ne le souhaite pas tellement mais ce nest pas la question. Jai t l pour marquer par des raisonnements logiques en quoi des hommes taient responsables et lesquels

    Il est clair que ce type de propos lve un certain nombre de tabous dans la revendication de la violence rvolutionnaire dalors. Lautre versant de lactivit du SR est linternationalisme, marqu en premier lieu par le soutien la rsistance palestinienne. En septembre 1970, le SR envoie en effet une quipe de mdecins (dont M.-F. Kahn) et dinfirmiers qui acheminent une tonne de mdicaments et dinstruments de premire urgence lors de septembre noir en Jordanie. Deux mois plus tard, alors que seize militants de lETA attendent dtre jugs en Espagne et que six dentre-eux risquent la peine de mort, le SR engage une campagne de solidarit internationale qui culmine au mois de dcembre avec lappel une manifestation qui runit 10 000 personnes Place des Ternes, le 1er dcembre 1970. Dans les jours suivants, le 3 puis nouveau le 10 dcembre, le SR se joint aux manifestations appeles par les organisations de gauche et les organisations syndicales. Enfin, le 29 dcembre, lannonce du verdict de mort, plusieurs milliers de personnes descendent encore dans la rue lappel du SR rejoint par 4 sections CFDT de Paris. Les mobilisations contre le procs de Burgos constituent un des grands moments du SR qui sest impos comme force de mobilisation, en drainant un fort

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    courant de sympathie, mais entranent les critiques violentes des courants (maostes notamment) qui dnoncent ce type de campagne nationale et le ralliement aux initiatives lances par la gauche traditionnelle. Mouvement de masse ou auberge espagnole de la contestation ? Laffaire des tribunaux populaires et la campagne pour les militants Basques rvlent les profondes divergences qui traversent le SR. Celles-ci portent au fond sur la nature du mouvement et, sil nest pas possible, dans le cadre de cette communication, den dvelopper tous les aspects, on peut en rsumer les grands traits. De fait, le SR oscille entre deux conceptions tout fait diffrentes : Une conception restreinte dans ses objectifs mais large dans son recrutement (le SR comme front de lutte sur un objectif limit et prcis, la rpression, qui est le dnominateur commun tous les courants politiques qui le composent). Cette conception est dfendue par la Ligue communiste et par les ex du PCF. Une conception large dans ses objectifs (correspondant une conception largie de la rpression) qui fait du SR un instrument de lutte sur tous les fronts, mais qui, de ce fait, amne le mouvement se dterminer, au mme titre quun parti, sur des questions dorientation politique et menace le caractre ouvert du mouvement. Cette version du SR est celle des maostes et de Sartre, mais aussi dune partie du PSU et des chrtiens rvolutionnaires qui voient l loccasion de militer lextrme-gauche tout en restant hors parti, ainsi que le souligne Bernard Schreiner dans la revue La Nef de juin-septembre 1972. Ce dbat ne cesse de senvenimer au fil des mois, entretenant un climat de crise rampante que le PSU, de son ct, sefforce de dpasser en dfendant une articulation souple de lautonomie des comits locaux avec la ncessaire coordination du Comit dinitiative. En attendant, un premier signe de la crise que traverse le SR est donn par la dmission de Sartre du CI, au mois de mars 1971. Paralllement, lactivit du SR a une incidence sur les forces politiques qui le composent et sur les rapports avec les organisations extrieures. Lorientation de la Ligue communiste au sein du mouvement est ainsi dsavoue par sa minorit qui fait scission au mois de mars pour crer lorganisation Rvolution. De leur ct, les maostes de lex-GP avouent, dans un bilan dress en mai 1972 et faisant rfrence cette priode, faire face des difficults lies leur prsence dans un SR devenu pour eux un cheval de Troie de lidologie petite bourgeoise et portant atteinte la puret doctrinale de leur organisation. Crise et disparition (mai 1971- t 1972) La campagne contre la police Aprs une apparition russie, le 1er mai 1971, la manifestation unitaire appele par le PSU, la Ligue communiste, LO et lAMR, le SR organise une nouvelle campagne contre la police la suite dune srie d affaires . Aprs

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    laffaire Jaubert qui a vu des intellectuels (Franois Chtelet, Michel Foucault, Jean-Luc Godard, etc...) signer un appel Nous portons plainte contre la police et constituer une commission denqute la fin du mois de mai 1971, le SR dnonce les agissements de la police dans l affaire Claire Blanche , matre-assistante lUniversit dAix-en-Provence, dont les tudiants ont saisi de fausses cartes de presse sur un policier en civil, tandis que Claude Angeli est lobjet de filatures pendant plusieurs jours et que Michle Manceaux est apprhende son domicile. Enfin de violents incidents, dnoncs comme une provocation policire, se sont drouls au Quartier latin, le 5 juin 1971, donnant lieu la publication dune brochure Z - Provocation , supplment La Cause du Peuple, et se terminant par un appel de Jean-Paul Sartre la tenue d un tribunal populaire contre la police . Cette srie daffaires relance donc le dbat sur la question des tribunaux populaires qui a dj trouv un terrain dapplication Grenoble, aprs des affrontements violents sur le campus de la facult, le 28 mai 1971, entre deux militants sud-vitnamiens et des militants du SR. Ceux-ci ont tenu, le 2 juin, un tribunal populaire afin de juger les militants sud-vitnamiens qui ont t ensuite livrs la police. La convocation dune nouvelle sance de ce tribunal par le SR de Grenoble et le refus du maire de mettre une salle disposition pour la tenue de cette assemble provoque, en outre, une grve de la faim de militants du SR de Grenoble partir du 8 juin. Le comit local se voit cependant contrainte de reculer devant les poursuites annonces par Ren Pleven et lordre donn par Raymond Marcellin aux prfets dinterdire absolument les tribunaux populaires . Au dbut du mois de juin, parat donc un manifeste en faveur dun procs populaire de la police sign par Claude Angeli, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Jean Chesneaux, Pierre Halbwachs, etc...). Par ailleurs, parat, ainsi quon la vu, un appel, qui mane manifestement des maostes de lex-GP, un tribunal populaire de la police pour le 27 juin ...sign galement par Sartre. Les deux initiatives semblent maner de la mme instance et limpression en est renforce par un long communiqu du SR dans LIdiot International du 26 juin 1971 : Quest-ce quun tribunal populaire ? . Or, sur la notification dinterdiction du rassemblement du 27 juin qui lui est porte par un officier de police, Pierre Halbwachs fait ajouter une dclaration dans laquelle il proteste contre le fait quelle lui ait t adresse ... vu que je suis tranger lappel et lorganisation de la manifestation prcite dans les conditions o elle est prcise dans larrt . De fait, il apparat qu on [ les maos ] a bel et bien voulu forcer la main du SR et de son Comit dinitiative. Cette apprciation est corrobore par les documents internes des maostes qui font autocritique pour avoir voulu brler les tapes en imposant lide du tribunal populaire de la police par la manipulation et qui ont pens acquis laccord des intellectuels alors que ceux-ci mettaient le doigt sur la contradiction entre tribunal populaire et procs . Cette campagne contre la police trouvera une conclusion dans la manifestation dautonomie dun certain nombre dintellectuels qui constitueront la fin de lanne 1971 un Comit de vigilance sur les pratiques policires auquel participeront J. P. Faye, J. Chesneaux et R. Guglielmo.

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    La crise et les Assises nationales La confusion entretenue autour de laffaire du tribunal populaire de la police ajoute encore ltat de crise du SR qui sest approfondie avec le report des Assises nationales prvues pour fin mai 1971. Dans le mme temps, un certain nombre de comits ont cr des coordinations par secteur et dsign un secrtariat parisien dinfluence trs spontaniste selon Tribune socialiste du 17 juin 1971. La crise clate vritablement en juin et souvre avec le dpart de quatre membres du CI, Tillon, Chaintron, Kahn et Pannequin qui signent ensemble un texte dat du 4 juin 1971 faisant le bilan de lactivit du SR et mettant en cause : Des groupes [qui] sacharnrent faire du Secours rouge la couverture dactivits dites spontanes et le camouflage dune organisation sans responsables connus [...] . son tour, le 28 juin 1971, Rouge publie une rsolution du Comit central de la Ligue communiste qui annonce son dpart du SR tandis que les clercs et les chrtiens de gauche du Comit dinitiative, sans quitter le CI, nen publient pas moins un texte dat du 14 juin qui dnonce limprialisme des partis qui [...] ont cart des comits beaucoup dhommes sincres qui y auraient oeuvr volontiers contre la rpression (Archives de P. Halbwachs). Enfin, le PSU sinquite, dans Tribune socialiste du 17 juin 1971, sous le titre Crise de croissance ou maladie grave ? , de lvolution de nombreux comits qui saventurent de plus en plus loin de leurs objectifs initiaux et qui tendent devenir lquivalent des Comits daction de 1968 mais aussi de lvolution du SR en rgion parisienne. Un deuxime article du 24 juin, Le Secours rouge lheure des choix , renvoie dos dos la Ligue communiste et les maos et appelle le VIIe Congrs du PSU dterminer des axes dintervention clairs pour ses militants dans le SR. Les Assises nationales souvrent enfin le 20 novembre 1971 par un rapport du Comit dinitiative qui fait le bilan de lactivit du SR depuis sa fondation et se conclut par un vibrant : Le Comit dinitiative est mort ! Vive le Secours rouge ! qui marque la fin de lexistence du CI remplac par un secrtariat national auquel ne participent pas les anciens membres lexception de Pierre Halbwachs. La rsolution dorientation, prsente par Henri Leclerc et vote lunanimit, entrine llargissement de lactivit et de la fonction du SR dont la vocation saffirme dornavant comme celle dun mouvement de masse anti-rpressif et anti-capitaliste . Une mort sans spulture Fort des axes dintervention dfinis par les Assises nationales , le SR participe de nombreuses mobilisations o les intellectuels prennent de plus en plus linitiative, mais de lextrieur : antiracisme, la fin de lanne 1971, avec les manifestations organises par le comit Djellali aprs lassassinat de ce dernier la Goutte dOr et auquel participent Michel Foucault, Claude Mauriac, Jean-Paul Sartre, Jean Genet, etc... ; soutien aux prisonniers aprs les grandes rvoltes des

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    centrales de Clairvaux en septembre 1971 puis de Toul en dcembre 1971, le SR diffusant des tracts communs avec le GIP en fvrier 1972 et organisant, sur les marchs, des prises de parole danciens dtenus ; participation aux initiatives prises par Jean Chesneaux, Pierre Vidal-Naquet, Alain Jaubert sur laffaire Thvenin ; soutien aux luttes ouvrires, notamment Pennaroya, au Joint franais, Renault o les militants maostes licencis font la grve de la faim avant lassassinat de Pierre Overney loccasion duquel le SR diffuse un tract A Renault, les assassins sortent de lombre , dnonant les milices patronales . Enfin, le SR lance une campagne sur le logement en occupant des maisons vides, au dbut de lanne 1972. Le deuxime numro de Secours rouge est publi, en fvrier 1972, portant en gros titre Occuper les maisons vides cest normal . Le SR lance alors un appel la rsistance aux expulsions, la grve des loyers et des charges, la constitution de comits de lutte et de dfense des mal-logs. son initiative, plusieurs immeubles sont occups, notamment celui de la rue Jacquier dans le 14e arrondissement, par une dizaine de familles et, aprs une manifestation organise le 26 fvrier 1972, un rassemblement a lieu au mois davril, dans le quartier de Belleville. Malgr ces initiatives tous azimuts, le SR a de moins en moins de ralit au niveau national. Les personnalits qui y taient restes aprs les assises le quittent petit petit et ses forces stiolent progressivement au cours de lt 1972, mme si, ici ou l, tel ou tel comit local survit quelque temps encore. Il faut, pour finir, tenter de rpondre aux questions poses dans lintroduction de cet expos et tout dabord quant laffirmation dune force dextrme-gauche la gauche du PCF. Le fait que, durant quelques mois, le SR ait t un ple capable de rassembler, au-del des seules organisations rvolutionnaires une nbuleuse gauchiste disponible pour laction militante peut tre considr comme le signe dune russite partielle, mais lclatement tait inscrit dans un tel projet tant donn les stratgies politiques opposes qui se ctoyaient au SR et leur extrme sectarisme. Le transfert de souverainet quimpliquait ncessairement, pour les organisations constitutives, une forme de mouvement qui se voulait non cartellis, pouvait difficilement rsister la volont des uns et des autres de saffirmer comme le noyau dun futur parti rvolutionnaire , revendiquant pour soi le label d avant-garde . Par ailleurs, lambigut sur la nature dun tel rassemblement, ne pouvait que conduire lchec, en en faisant le champ clos des affrontements entre organisations dextrme-gauche, en condamnant ses initiateurs intellectuels limpuissance et en les rduisant au rle darbitre, dans le meilleur des cas, dotages dans le pire des cas. chec encore si lon suit Ren Lourau dans lanalyse quil fait des manifestes dauto-dissolution des avant-gardes comme dcision lucidement assume et porteuse davenir (R. Lourau, Autodissolution des avant-gardes, 1980). laune de cette apprciation, il faut bien conclure que labsence dacte de dcs officiel du SR masque le pire des checs : celui qui ne se dit pas.

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    Des remarques qui prcdent, il me semble quon peut tirer un enseignement quant lhistoire des mouvements sociaux ou des fronts de lutte des annes 1970 et des formes organisationnelles dont ils se sont dots. Lemploi de lune ou de lautre de ces deux expressions pour dsigner les mouvements de contestation des annes 1970 souligne dailleurs assez le problme pos : celui de leur autonomie par rapport aux organisations dextrme-gauche. Or la notion de mouvements sociaux exprime un degr dautonomie que ne contient pas celle de front de lutte , qui dsigne plutt un rapport dinstrumentalisation de tel ou tel secteur de la contestation par les groupes dextrme-gauche. Si la plupart de ces mouvements (mouvement des soldats, mouvement des femmes, mouvements anti-imprialistes, mouvements anti-rpressifs comme le SR, etc...) ne sont bien videmment pas dans un rapport de stricte dpendance envers lextrme-gauche, on ne peut, me semble-t-il, et lhistoire du SR le montre assez bien, comprendre lmergence de ces mouvements, leur histoire, les dbats qui les traversent sans faire un dtour par lhistoire des organisations dextrme-gauche de ces annes-l, de leurs stratgies dans les mouvements de masse quelles ont souvent contribu impulser, parfois structurer et faire vivre, ou qui sont ns de leur dcomposition. Enfin, laction des intellectuels aux cts, ou aux marges de lextrme-gauche, soulve de la mme faon le problme des relations d instrumentalisation-autonomie complexes entre les deux champs et ce pour plusieurs raisons. La premire est que les intellectuels sont trs sensibles sur la question de leur autonomie qui est sans doute, ainsi que lcrit Christophe Charle dans un ouvrage rcent (Pour une histoire compare des intellectuels, Complexe, 1998), leur dnominateur commun . Des annes de sujtion ou de compagnonnage de route aux cts du PCF, pour nombre dentre-eux, les ont rendus dautant plus mfiants. En second lieu, les intellectuels ne forment pas un groupe homogne, loin sen faut. Les dbats politiques qui traversent la socit se rfractent invitablement dans le champ intellectuel et viennent interfrer dans les rapports qui le rgissent en en accentuant la fragmentation en autant de groupes et sous-groupes que le sociologue tente didentifier et dont lhistorien cherche la trace pour tenter de mesurer, travers eux, les pulsations dune poque dans ses manifestations culturelles et politiques. Il ne fait pas de doute que nombre dintellectuels sont dans laprs-68 la recherche dun cadre daction qui leur permette de redfinir leur rle par rapport aux nouvelles formes dexpression politiques issues de Mai 68. Le SR a, de ce point de vue, rempli momentanment cette fonction et a mme propuls un certain nombre dentre eux au rle de fdrateurs dune extrme-gauche disperse entre forces rivales mais aussi celui de cristallisateurs de toute une nbuleuse contestataire non organise. Ce projet pouvait cependant difficilement tenir au del de quelques mois ds lors que les organisations politiques structuraient le rassemblement. Cela pose bien videmment la question du rle des intellectuels dans le champ politique et des engagements qui en dcoulent. Un double constat simpose concernant le SR et cette priode trs particulire de laprs-mai qui va de 1970 1972 : Des intellectuels ont jou un rle dimpulsion dans lmergence de ce rassemblement, ils nont gure pu aller au-del.

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    partir de lexprience du SR et de son chec, mais aussi sa priphrie, des intellectuels ont pris lhabitude de dvelopper, parfois sur le modle de lextrme-gauche, une intervention propre, sur de multiples terrains daction, en suscitant la cration de comits et de commissions denqutes destins rvler ou dvoiler la face cache de loppression tatique (prison, police, justice, etc...), en faisant la lumire sur telle ou telle affaire afin de porter au coeur du dispositif social jug rpressif et oppressif dans son essence, le fer dune contestation radicale. Le rle de Michel Foucault et sa dfinition dun intellectuel spcifique est, de ce point de vue, une tentative de relgitimation tout fait novatrice du rle des intellectuels dans le champ politique, qui tente de rompre avec le compagnonnage , dont Sartre ne parvient pas se dpartir, et qui sefforce de prserver cette part sacre de lactivit des intellectuels : leur autonomie.