Installation de M. Bernède, président de la cour d'appel chef du service judiciaire

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Auteur : Loubère / Ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane. Archives Départementales.

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INSTALLATION DE M. BERNÈDE,

P R É S I D E N T D E L A C O U R D ' A P P E L ,

CHEF DU SERVICE JUDICIAIRE A LA GUYANE FRANÇAISE.

Audience solennelle du 5 juin 1 8 7 1 .

Aujourd'hui 5 juin 1 8 7 1 , la C o u r d'appel de la G u y a n e fran­çaise, séant a C a y e n n e , s'est réunie, e n robes rouges, dans la salle ordinaire d e ses séances, sur la convocation et sous la présidence de M . Jadot, Conseiller, désigné par M . le Gouverneur pour remplir par intérim les fonctions de Président, Chef d u service judiciaire.

L e Tribunal civil de première instance, le Tribunal de paix et les notabilités d e la ville, p a r m i lesquelles o n remarquait M M . l'Or­donnateur, le Directeur de l'intérieur, le Contrôleur, les m e m ­bres d u Conseil privé, le Maire d e Cayenne, le Conseil munici­pal , le Curé d e la ville, les chefs des divers services et les officiers des différents corps d e la marine, les officiers de la gendarmerie, répondant à l'invitation qui leur avait été adressée, étaient venus assister à cette solennité judiciaire; des sièges leur avaient été réservés dans l'enceinte.

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L e s avocats et les avoués étaient assis à la barre, et derrière eux se tenait debout u n n o m b r e u x public.

A u m o m e n t d e prendre séance, M . le G o u v e r n e u r d e la co­lonie, qui avait manifesté le désir d e présider cette c é r é m o n i e , c o n f o r m é m e n t a l'article 4 8 d e l'ordonnance organique d u 27 août 1 8 2 8 , s'étant trouvé subitement indisposé, la C o u r est m o n t é e sur son siège à huit heures d u matin.

M . Jadot déclare la séance ouverte et désigne u n e députation c o m p o s é e de M M . Mourié, Conseiller, Pain, Conseiller auditeur et Bogaërs, Substitut, p o u r aller prendre d a n s la c h a m b r e d u conseil et introduire d a n s l'enceinte M . B e r n è d e , n o m m é Prési­dent d e la C o u r , C h e f d u service judiciaire.

L a députation, précédée d e l'huissier, a introduit M . B e r n è d e .

A v a n t de s'asseoir sur le fauteuil qui lui était préparé, M . le Président salue la C o u r dont tous les m e m b r e s lui rendent le salut sans se lever.

M . le Conseiller Jadot d o n n e la parole a M . le Procureur d e la R é p u b l i q u e , qui requiert qu'il soit d o n n é lecture de l'arrêté e n date d u 9 avril 1 8 7 1 , d e M . le Président d u conseil des Ministres, C h e f d u Pouvoir exécutif d e la République française, qui n o m m e M . B e r n è d e , Président de la C o u r d'appel d e C a y e n n e , C h e f d u service judiciaire à la G u y a n e française, et ensuite d e l'extrait d u registre des procès-verbaux d u Conseil privé d e cette colonie constatant la prestation de s e r m e n t d e M . le Président B e r n è d e entre les m a i n s de M . le G o u v e r n e u r ; il requiert e n outre q u e ce magistrat soit installé d a n s ses fonctions et que d u tout il soit dressé procès-verbal sur les registres d e la C o u r .

S u r l'invitation d e M . le Conseiller président, le Greffier e n chef d o n n e lecture desdits arrêté et procès-verbal, dont e x p é ­dition sera transmise a M . le Ministre de la m a r i n e et des colo­nies.

M . le Conseiller Jadot invite M . le Président a prendre posses­sion d e son siège. U n e fois qu'il y est installé, M . L e g e r , P r o ­cureur de la République, p r o n o n c e le discours suivant :

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« Messieurs,

« M . le G o u v e r n e u r n o u s avait fait espérer qu'il viendrait présider à cette fête d e famille do la magistrature d e la G u y a n e ; a l'instant seule­m e n t n o u s a p p r e n o n s q u e n o u s d e v o n s être privés d e cet h o n n e u r . L e Chef d e la colonie a bien voulu adresser a M . le Président la lettre suivante, d o n t je suis autorisé a d o n n e r lecture à la C o u r :

« C a y e n n e , le 5 juin 1871.

« MONSIEUR LE C H E F DU SERVICE JUDICIAIRE,

« J'ai le vif regret d'être privé d e l'honneur d'assister, ce matin, a l'audience solennelle qui doit inaugurer votre entrée e n fonctions c o m m e Président d e la C o u r d'appel et C h e f d u service judiciaire de notre colonie.

« J'aurais été h e u r e u x d e pouvoir, le premier, vous souhaiter la bienvenue d a n s cette audience solennelle, et d e v o u s e x p r i m e r publiquement, e n présence d e vos collègues et d e n o s principaux fonctionnaires, toutes les espérances q u e la haute honorabilité et la distinction d e vos services d a n s la magistrature métropoli­taine m'autorisent à fonder sur votre administration.

« M a conviction est, en effet, q u e je puis et dois attendre b e a u c o u p de vos lumières, d e votre expérience et d e la fermeté d e votre caractère, p o u r contribuer au d é v e l o p p e m e n t d e la pros­périté d e la G u y a n e , e n y assurant le maintien d e l'ordre public et le respect d u principe d'autorité.

« A g r é e z , M o n s i e u r le C h e f d u service judiciaire, avec l'ex­pression de m e s regrets, dont je vo u s prie de faire part à M e s ­sieurs vos collègues, l'assurance d e m a considération la plus distinguée.

« Le Gouverneur de la Guyane française.

« L O U B È R E . »

« Permettez-moi, Messieurs, d'exprimer à m o n tour, à M . le G o u v e r ­neur, le vif regret q u e n o u s é p r o u v o n s tous d e n e pas le voir assister à cette audience solennelle.

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« Avant d e m'adresser à M . le Président, je serai encore l'interprète de vos sentiments, Messieurs, en remerciant M M . les Chefs d'administra-tion et MM. les Chefs d e service et de corps d e l'empressement qu'ils ont m i s a venir saluer l'entrée e n fonctions d u n o u v e a u Chef d e la justice.

« La magistrature n e saurait s'étonner d e cette m a r q u e d'estime et d e sympathie de leur part, et pourtant elle s'en réjouit, car elle la consi­dère c o m m e u n n o u v e a u gage d e b o n n e h a r m o n i e d a n s l'avenir entre elle et les divers ordres d e fonctionnaires d e la colonie.

« Chargés d'une é n o r m e responsabilité, puisque notre mission c o n ­siste à sauvegarder l'honneur et la fortune des citoyens, n o u s pourrions n o u s effrayer d e l'immensité d'une pareille tâche si n o u s n'étions assu­rés d e l'appui des autorités d u pays. N o u s continuerons, Messieurs, sous la direction d u magistrat qui prend aujourd'hui, avec la présidence d e cette C o u r , les fonctions d e Chef d u service judiciaire, à m a r c h e r , c o m m e par le passé, parallèlement à v o u s d a n s la voie qui n o u s est tra­cée par la loi, p o u r atteindre avec v o u s - m ê m e s ce but auquel tendent n o s efforts c o m m u n s : la sécurité et la prospérité d e cette intéressante colonie.

« M o n s i e u r le Président,

« P e r m e t t e z - m o i d e v o u s souhaiter ici la b i e n v e n u e a u n o m d e tout le corps judiciaire d e la G u y a n e .

« Appelé à p r e n d r e d a n s cette colonie la direction d u service d e la jus­tice, vous avez déjà c o m p r i s toute l'importance des hautes fonctions qui v o u s sont confiées. Ces fonctions ont été occupées par des h o m m e s qui ont laissé de grands souvenirs d a n s la magistrature coloniale. P o u r n e citer q u e quelques n o m s : M . le Procureur général Vidal d e Lingendes, d o n t les mercuriales sont encore lues avec intérêt, a v u s'établir d a n s la co­lonie l'organisation judiciaire d e 1828 ; après avoir été n o m m é a u x fonc­tions de Procureur général Chef de la justice a la Martinique, il a voulu revenir a u m ê m e titre à C a y e n n e p o u r reprendre cette administration intelligente et sage qui a d u r é jusqu'en 1852, c'est-à-dire jusqu'à la veille d u jour o ù devaient être si fortement ébranlées les bases d e l'or­d o n n a n c e organique d e 1828.

« D a n s le cours d e sa longue carrière, M . le Procureur général Vidal d e Lingendes a su, c o m m e le magistrat d o n t il traçait le portrait d a n s s o n discours sur la Conscience, « se créer u n trésor d e b o n s témoignages « d e l u i - m ê m e , et parvenir a ce c a l m e et a ce c o n t e n t e m e n t intérieurs « qui valent tous les biens de la terre. »

« Après lui, Je service de la justice a été dirigé par M . le Président Mittaine, qui a rempli par intérim les fonctions d e Procureur général

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jusqu'en 1854. L a G u y a n e se rappelle encore l'exquise distinction en m ê m e t e m p s q u e l'élévation d'esprit de ce magistrat qui passe à b o n droit p o u r u n jurisconsulte c o n s o m m é . E n quittant la G u y a n e , M . Mit-taine est allé prendre la présidence d e la C o u r de la Martinique, et dans cette c o m p a g n i e dont il dirige avec u n si g r a n d talent les travaux depuis seize a n s passés, a u milieu d o cette magistrature a laquelle il peut servir d'exemple, il a toujours été entouré d'un respect m ê l é d e sincère affec­tion.

« V o u s connaissez aussi, M o n s i e u r le Président, la grande réputation d'orateur et de savant d e M . le Président B a u d o u i n , qui, après avoir rempli avec h o n n e u r u n haut e m p l o i a u parquet d e la C o u r impériale de la G u a d e l o u p e , a réuni le premier, après la promulgation d u décret d e 1854 à la G u y a n e , les fonctions d e Chef d u service judiciaire a u x fonc­tions d e Président de la C o u r .

« Si je vous dis ces quelques n o m s qui n e seront pas oubliés, c'est q u e je veux q u e vous sachiez q u e notre magistrature a, elle aussi, ses an­nales.

« Les travaux des h o m m e s é m i n e n t s dont je viens de parler témoignent d e leurs efforts énergiques p o u r arriver à la solution d e tant d e pro­blèmes é c o n o m i q u e s o u sociaux, d o n t la plupart restent encore a ré­soudre.

« V o u s continuerez leurs traditions, M o n s i e u r le Président. V o u s vous dévouerez tout entier, c o m m e ils l'ont fait, à la colonie o ù v o u s venez administrer la justice; c o m m e e u x vous travaillerez, d a n s les conseils d u G o u v e r n e m e n t , à l'amélioration de la situation d e ce pays si plein d e ressources et cependant si pauvre encore ; et votre d é v o u e m e n t trouvera, n'en doutez point, sa r é c o m p e n s e d a n s la gratitude d u pays m ê m e .

« En n o u s félicitant d e voir arriver a u premier rang d u corps judi­ciaire u n magistrat qui a déjà servi dans u n des premiers tribunaux d e la Métropole, n o u s s o m m e s persuadés q u e notre légitime satisfaction sera partagée par les habitants d e la G u y a n e .

« D a n s la ville q u e v o u s venez d e quitter, vous avez e u souvent occa-sion d e connaître et d'apprécier le caractère créole ; v o u s savez d o n c déjà toutes les qualités des populations a u milieu desquelles vous venez exer­cer le m a n d a t important q u e v o u s a confié le G o u v e r n e m e n t d e la R é ­publique. V o u s avez, p o u r le b o n h e u r d e ces populations, u n e mission a remplir : vous n'y faillirez pas, M o n s i e u r le Président, car cette mission est digne d e l'ambition d'un esprit élevé.

« Ai-je besoin d e vous dire q u e vous pourrez toujours, d a n s l'exercice d e vos fonctions, c o m p t e r sur le concours empressé des magistrats qui vous entourent?

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« Éloignés d e la Métropole et privés des dernières lois p r o m u l g u é e s en France, d o n t le bienfait a été pourtant étendu à la plupart des colo­nies françaises, notre tâche est souvent pénible, parce q u e n o u s avons a appliquer u n e législation qui réclame d e profondes modifications. N o u s n o u s réunirons autour d e vous, M o n s i e u r le Président, p o u r faire p r o ­fiter les justiciables des conseils d e votre expérience.

« Laissez-moi ajouter q u e v o u s trouverez ici u n barreau toujours exact a l'accomplissement d e ses devoirs. Bien q u e le décret d u 16 août 1854 l'ait placé d a n s u n e situation a n o r m a l e , e n o r d o n n a n t q u e les magistrats absents o u e m p ê c h é s soient remplacés par l'appel d'un o u d e d e u x fonc­tionnaires o u anciens fonctionnaires m e m b r e s d u collège des assesseurs, les avocats et les avoués qui ont l'honneur d e plaider devant cette C o u r seront toujours h e u r e u x d e voir se resserrer les liens qui les unissent à la magistrature. Chez e u x c o m m e chez n o u s v o u s trouverez, M o n s i e u r le Président, le m ê m e zèle, le m ê m e désintéressement, le m ê m e a m o u r d e la justice d a n s l'exercice des fonctions q u e la loi n o u s confie. »

M . le Président prend ensuite la parole et p r o n o n c e le discours qui suit :

« Messieurs,

« E n prenant possession des fonctions q u e je dois à la bienveillance des éminents Ministres qui dirigent les D é p a r t e m e n t s de la m a r i n e et d e la justice, m o n premier devoir est d e leur e x p r i m e r m e s sentiments d e profonde gratitude.

« C'eût été p o u r la magistrature u n g r a n d h o n n e u r q u e d e voir le Chef d e la colonie user d e l'une d e ses plus belles prérogatives e n se rendant a u milieu d'elle présider cette séance. L a m a n i è r e d o n t il vient d'exprimer ses regrets m ' a vivement é m u ; aussi, d e crainte d e blesser sa modestie, je n'évoquerai pas le souvenir d e sa longue et brillante carrière militaire et des services qu'il a r e n d u s a u x colonies et d o n t la G u y a n e n e tardera pas à apprécier le mérite; il m e suffira d e rappeler qu'il appartient à cette belle a r m e d e l'infanterie d e m a r i n e qui toujours bravant les dangers des climats intertropicaux, après avoir prodigué son sang sur les c h a m p s d e bataille d o la C r i m é e , d e la Chine, d e la Cochinchine, d u Sénégal et d u M e x i q u e , vient d e se couvrir d e gloire d a n s cette dernière et fatale guerre contre la Prusse, en d o n n a n t a S e d a n , sous les m u r s d e Paris, a l'armée d u N o r d , d e l'Est et d e l'Ouest, côte à côte avec les héroïques marins, l'exemple d u d é v o u e m e n t , d e la disci­pline, d u courage et d'une ardeur invincible.

« E n présence de l'empressement avec lequel les autorités et les prin-

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cipaux fonctionnaires d e la colonie, les représentants d u clergé, d e l'armée, d e la m a r i n e et d e l'administration, o n t bien voulu, par leur présence d a n s cette enceinte, m e d o n n e r les m a r q u e s d'une sympathie d o n t je conserverai toujours le souvenir, qu'il m e soit permis, e n leur adressant m e s remercîments, d'espérer pouvoir entretenir bientôt avec e u x des relations plus intimes, qui n o u s permettront, par n o s efforts c o m m u n s , c h a c u n d a n s notre sphère d'attributions, d e contribuer a u d é v e l o p p e m e n t d e la prospérité d e cette belle colonie.

« Il est impossible q u e sous la direction habile et expérimentée d e notre n o u v e a u G o u v e r n e u r , n o u s n e puissions pas concevoir l'espérance q u ' u n e nouvelle ère d e progrès va c o m m e n c e r .

« D a n s les phases critiques q u e notre chère patrie traverse, n o u s a v o n s tous besoin, si éloignés q u e n o u s soyons d e la Métropole, d e n o u s unir ensemble, d e conserver entre n o u s u n e parfaite h a r m o n i e , à l'effet d e maintenir l'ordre et le respect d e l'autorité sans l'égide desquels la liberté, qui seule peut servir a fonder des institutions durables, n e saurait fleurir et prospérer.

« Je n'essaierai pas d e v o u s dire, m e s chers collaborateurs, tout ce q u e je ressens, a u fond d u c œ u r , d e l'accueil q u e v o u s m e faites. C e serait v o u s parler d e m o i . I n c o n n u d a n s la magistrature coloniale, ce n'est qu'à l'œuvre q u e v o u s pourrez m e juger, lorsque je mettrai e n pratique m o n p r o g r a m m e qui sera toujours : Faire aimer et respecter la justice.

« Je m'efforcerai d e m a r c h e r , v o u s p o u v e z e n être assurés, sur les traces des é m i n e n t s magistrats qui m ' o n t précédé sur ce siège et d o n t M . le P r o c u r e u r d e la République, avec le talent qui le distingue, vient d'évoquer les précieux souvenirs.

« Je sais tout le fond q u e je puis faire sur les magistrats distingués q u e je m ' h o n o r e d'avoir à m e s côtés et dont je connais les longs services ; e n éc h a n g e d e leur confiance, ils peuvent c o m p t e r sur m o n d é v o u e m e n t .

« D a n s l'accomplissement d e m a mission si difficile et délicate d e chef d e service, c o m m e je sais le zèle, l'exactitude et le d é v o u e m e n t q u e tous les magistrats d e ce ressort apportent d a n s l'exercice d e leurs fonctions, ils p e u v e n t être certains q u e j'emploierai tous m e s efforts p o u r faire apprécier et ressortir leurs services auprès d e ceux qui seuls p e u v e n t les r é c o m p e n s e r .

« Jaloux d'assurer u n e exacte discipline p a r m i les officiers publics, je veillerai a u maintien des b o n n e s traditions par lesquelles se r e c o m m a n ­dent ici les auxiliaires d e la justice, et a u besoin je les défendrais contre d'injustes attaques avec le m ê m e esprit d e décision q u i marquerait m a sévérité le jour o ù j'aurais à leur reprocher des abus.

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« Permettez, messieurs, qu'avant d e m e d o n n e r tout a vous, m o n souvenir se reporte sur ceux q u e je viens d e quitter, vers cette belle F r a n c e si d o u l o u r e u s e m e n t éprouvée, d a n s laquelle j'ai exercé m e s fonctions judiciaires et o ù j'ai trouvé d e si c h a u d e s et n o m b r e u s e s s y m ­pathies. Q u e m e s collègues d e tous les tribunaux o ù j'ai milité et parti­culièrement ceux d u tribunal d e Nantes, d o n t je n'ai p u m e séparer sans un profond serrement d e c œ u r , reçoivent, ainsi q u e tous les a m i s q u e je laisse par delà l'Atlantique, ce dernier adieu q u e je leur envoie, hélas, d e si loin !

Maintenant je dois arrêter m e s regards sur cette colonie d e la G u y a n e d a n s laquelle j'espère l o n g t e m p s exercer m e s fonctions judiciaires. Q u a n d o n a v u la prospérité des contrées qui n o u s touchent, il est impossible d e n e pas croire q u e le tour d e la G u y a n e française n e doit pas tarder a arriver.

C o m m e o n c o m p r e n d l'enthousiasme des premiers colons qui abor­dèrent sur ces rives, à l'aspect d u spectacle merveilleux d e cette végéta­tion luxuriante qui n e se repose jamais, d e ces splendides forêts vierges qui recèlent tant d'arbres utiles et i n c o n n u s , d e ce sol qu'il suffit d'ou­vrir p o u r qu'il v o u s d o n n e tous les produits agricoles et toutes les richesses minéralogiques qui tentent ceux qui veulent arriver p r o m p t e -m e n t à la fortune.

« C'est avec juste raison qu'on avait désigné autrefois la G u y a n e sous le b e a u n o m d e France équinoxiale; car si le m o u v e m e n t d e l'immi­gration et d e la colonisation avait été conduit avec intelligence et per­sévérance, elle serait depuis plus d'un siècle la plus belle colonie d e la Métropole. — N e désespérons pas d e l'avenir d e ce p a y s ; il prendra bientôt u n e place importante d a n s le g r a n d m o u v e m e n t d e la civilisa­tion. — P o u r le favoriser, il faut q u e l'union et l'entente existent entre tous les habitants et fonctionnaires d e la colonie. Il faut, e n présence d u but c o m m u n auquel o n doit atteindre, m o n t r e r u n véritable patrio­tisme e n faisant abnégation d e ses sentiments personnels.

« Puisque la colonie est appelée à faire entendre sa voix a u milieu des représentants d e la France, elle doit se servir d e l'exercice d e ce droit avec intelligence, e n évitant toutes les occasions et les causes d'agitation qui pourraient c o m p r o m e t t r e son avenir à tout jamais, et n e penser u n i q u e m e n t qu'au m o y e n d'assurer le d é v e l o p p e m e n t d e son c o m m e r c e , d e son agriculture et d e s o n industrie.

« Il m'est impossible d e n e pas, avec vous, envisager et étudier l'or­ganisation toute spéciale d o la magistrature à la G u y a n e , afin d e bien définir les attributions des diverses juridictions et des différents m a g i s -

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trats, cl d e prévenir des conflits toujours déplorables d a n s l'intérêt de la b o n n e administration d e la justice.

« V o u s savez q u e ce fut vers 1 8 2 7 q u ' u n C o m m i s s a i r e d e justice était e n v o y é d e France a u x colonies avec mission d e rechercher les m o y e n s à p r e n d r e p o u r rapprocher autant q u e possible l'organisation judiciaire des colonies d e celle d e la Métropole. — D è s ce m o m e n t existait cette idée qui n'a fait q u e s'affirmer et grandir d e jour e n jour, qui tend à u n e assimilation, à u n e fusion c o m p l è t e d e la magistrature coloniale avec celle métropolitaine.

« Le 24 d é c e m b r e 1828, parut l'ordonnance royale qui régla l'organi­sation d e la magistrature à la G u y a n e , e n instituant à C a y e n n e u n e C o u r royale, u n Tribunal d e p r e m i è r e instance et u n e Justice d e paix.

« La C o u r royale se c o m p o s a d e sept Conseillers et d'un Conseiller auditeur, d a n s le but d'assurer l'autorité des décisions qu'elle aurait à rendre par le n o m b r e des magistrats qui devaient y participer.

« U n Procureur général, ayant les attributions étendues et définies par le c o d e d'instruction criminelle et les o r d o n n a n c e s coloniales, c o n ­centrait entre ses m a i n s la direction de l'action publique et des affaires criminelles, la surveillance de l'exécution des lois, la discipline des offi­ciers ministériels et des magistrats, et avec sa qualité d e m e m b r e d u Conseil privé et d e Chef d u service judiciaire, il avait des fonctions si bien réglées q u ' a u c u n prétexte d e conflit n e pouvait surgir.

« Le Tribunal d e première instance était constitué avec u n Président, u n Lieutenant d e juge et d e u x Juges auditeurs.

« Ces institutions judiciaires fonctionnèrent jusqu'au 4 6 août 1 8 5 4 , é p o q u e à laquelle, d a n s u n but d ' é c o n o m i e , ainsi q u e l'énonce les motifs d u décret, tout e n réduisant à sa plus simple expression le per­sonnel des magistrats, o n crut devoir modifier la constitution n o r m a l e d e la C o u r , ainsi q u e la procédure criminelle d e la G u y a n e .

« Les fonctions d u Procureur général furent s u p p r i m é e s et le Pré­sident d e la C o u r devint Chef d u service judiciaire, et, e n cette qualité, chargé d'exercer toutes les attributions administratives et d e surveillance conférées a u P r o c u r e u r général. L e Procureur de la R é p u b l i q u e d u Tri­bunal d e C a y e n n e et ses substituts reçurent la mission d e remplir auprès d e la C o u r les fonctions d u ministère public.

« E n indiquant s i m p l e m e n t cette organisation nouvelle et spéciale, o n se rend c o m p t e d e la cause d e s conflits incessants qui, depuis bien des années, ont surgi d a n s la magistrature d e la G u y a n e , et q u e , p o u r m a part, je ferai, d a n s l'avenir, tous m e s efforts p o u r conjurer, — et j'espère y réussir, grâce a u d é v o u e m e n t d e m e s collègues. — M . le G o u -

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verneur, avec sa haute expérience, s'est é m u d e cette situation, le Conseil municipal et le Conseil privé s'y sont, je crois associés, et se proposent d e d e m a n d e r a u G o u v e r n e m e n t des modifications sur les­quelles vous c o m p r e n d r e z q u e , par discrétion, je n e dois pas ici m e prononcer.

« L a C o u r d e C a y e n n e est souveraine e n matière correctionnelle, et soit qu'elle siège à ce titre o u c o m m e C o u r d'assises, elle est saisie di­rectement des affaires par le Procureur d e la République, qui se trouve c o m p l è t e m e n t maître d e la direction d e l'action publique, m ê m e des af­faires qui o n t été instruites par le Lieutenant d e juge, lequel n'a pas, c o m m e en France, l'obligation d e clore ses procédures par u n e o r d o n n a n c e q u e l c o n q u e .

« Voici encore u n e f o r m e d e procéder qui d e m a n d e peut-être quelques modifications qui n'ont pas é c h a p p é a votre sagacité.

« Enfin, il importerait q u e le Tribunal d e C a y e n n e d o n t v o u s c o n ­naissez l'importance qui, d a n s ce m o m e n t , est présidé par u n magistrat aussi instruit qu'éclairé, lequel siège seul, c o n f o r m é m e n t a u décret d u 16 a o û t 1854, qui fait exception à ceux qui régissent les autres colonies, fût modifié e n d o n n a n t a u Lieutenant de juge et a u Juge auditeur voix délibérative.

« Je v o u s indique r a p i d e m e n t les imperfections qui viennent d e frap­per m e s y e u x d a n s l'organisation judiciaire d e la G u y a n e ; — m a i s r a p p e ­lons-nous toujours q u e n o u s s o m m e s magistrats avant tout, et q u e n o u s n'avons pas p o u r mission d e discuter les lois, et q u e , si défectueuses q u e pourraient paraître celles q u e n o u s possédons, n o u s d e v o n s d o n n e r tout notre talent, notre sagacité, notre travail, notre abnégation, p o u r e n faire la plus juste et la plus saine application.

« Je pense qu'en n o u s pénétrant bien d u b u t auquel n o u s d e v o n s arriver, et n o u s efforçant c h a c u n d e rester d a n s les limites étroites des attributions qui n o u s sont tracées, évitant les susceptibilités inutiles, les tracasseries (odieuses, mettant d e côté notre a m o u r - p r o p r e , envi­sageant notre belle et sainte mission p a r s o n caractère élevé, n o u s faisant les concessions compatibles avec le sentiment de notre dignité et la délimitation intelligente d e n o s fonctions, n o u s arriverons à r e h a u s ­ser l'éclat et l'autorité d e n o s décisions e n faisant aimer, h o n o r e r et respecter la justice.

« L a justice, messieurs, est le p r e m i e r besoin des peuples et le plus puissant lien des sociétés h u m a i n e s .

« L ' h o m m e lui doit la liberté d e sa p e r s o n n e , la sauvegarde d e son h o n n e u r , la sécurité et la protection d e sa propriété.

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« Aussi, n o u s qui s o m m e s investis d e la mission d'en être les dispen­sateurs, quelle charge lourde et difficile a v o n s - n o u s à remplir !

« Qu'elle est admirable par la g r a n d e u r qu'elle présente ! « Qu'elle est effrayante par la vertu qu'elle exige et par la responsabi­

lité qu'elle i m p o s e ! « N o u s d e v o n s assurer le règne des lois et la paix entre les citoyens ;

tracer à c h a c u n d'une m a n i è r e impartiale et f e r m e la limite d e ses droits et d e ses devoirs ; rester impassible a u milieu d u choc d e s passions et l'agitation des partis; braver a u besoin la puissance et secourir la fai­blesse; flétrir et réprimer l'injustice e n q u e l q u e lieu qu'elle se place et sous q u e l q u e m a r q u e qu'elle se couvre ; raffermir la m o r a l e publique en frappant ceux qui l'ont offensée ; protéger et faire respecter la religion sans laquelle les nations n e sauraient grandir et prospérer !

« S'il n e n o u s est pas p e r m i s de n o u s élever à ces hautes sphères o ù l'histoire a placé les d e T h o u , les M o l é , les Daguesseau et les autres magistrats des siècles passés qui ont illustré la magistrature parce qu'ils avaient u n i m m e n s e talent rehaussé par u n g r a n d caractère, souvenons-n o u s toujours d e cet enseignement sublime d u g r a n d Michel d e l'Hôpital, le Ministre intègre, le sujet fidèle, l'ennemi des partis, le pacificateur des passions, l'éloquent apôtre d e l'impartialité, lorsqu'il disait :

« Si vous ne vous sentez pas assez forts et assez justes pour commander vos passions et aimer vos ennemis comme Dieu l'ordonne, abstenez-vous de l'office de juge. »

« Suivons les préceptes d u chancelier Daguesseau, la g r a n d e figure des parlements : Ayons l'esprit de discipline qui fait la force de chacun en constituant la dignité de la compagnie, et surtout pratiquons l'amour de notre état, parce qu'il conduit à l'aspiration des vertus qui lui sont nécessaires et de la science qui forme le jugement et le sens judiciaire. »

« Messieurs les Avocats et A v o u é s ,

« Notre fraternité d'origine, notre tendance vers le m ê m e but, notre coopération à la m ê m e œ u v r e , f o r m e le plus puissant lien qui v o u s rat­tache à n o u s .

« Q u o i q u e vous n e puissiez pas acquérir le r e n o m d e vos collègues d e France, plusieurs d'entre v o u s les égalent en talent.

« Soyez toujours notre puissant auxiliaire et éclairez n o s arrêts par la patience d e vos recherches et la lumière de vos discussions.

« V o u s p o u v e z c o m p t e r sur m o n d é v o u e m e n t et m o n concours, parce q u e je sais d'avance, qu'en unissant vos sentiments a ceux d e la magistrature, v o u s donnerez l'exemple d e l'amour de votre état, d e l'es­prit de discipline et d u respect de la loi. »

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M e H o c q u e , avocat et d o y e n d u barreau, ayant d e m a n d é et o b t e n u la parole, p r o n o n c e l'allocution suivante :

« Monsieur le Président, « Monsieur le Procureur de la République, « Messieurs de la Cour, « Messieurs,

« C'est avec une émotion bien légitime que je prends inopinément la parole pour répondre en quelques mots aux discours que nous venons d'entendre.

« Aussi, fier d'être aujourd'hui l'interprète des sentiments de mes confrères, n'ai-je qu'une crainte : ne remplir que très-insuffisamment m a tâche improvisée.

« Votre indulgence, Messieurs, m'est donc déjà acquise, je l'espère. « Oui, Monsieur le Président, soyez le bienvenu parmi nous, c o m m e

l'a si bien dit tout à l'heure M. le Procureur de la République. « Soyez le bienvenu, car avant votre arrivée, nous savions que vous

étiez à la hauteur de vos éminents prédécesseurs dont les n o m s ont été cités.

« Vous avez bien voulu, Monsieur le Président, joindre l'autorité de votre parole sympathique à celle du Chef du parquet pour exprimer votre bienveillance et votre confiance à l'égard du barreau.

« Permettez-moi, Messieurs, de dire à m o n tour que si le barreau, qui s'honore de faire partie de la grande famille judiciaire, compte sur votre protection, la magistrature entière, de son côté, peut être assurée de notre respect et de notre dévouement sans bornes. »

A p r è s c e discours, la séance est levée.

CAYENNE. — Imprimerie du Gouvernement.

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