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    Intellectica, 2004/2, 39, pp. 139-167

    2004 Association pour la Recherche Cognitive.

    Gomtrie et vision dansDing und Raum de Husserl

    Jean PETITOT

    RSUM. Cet article aborde la question de la naturalisation de la phnomnologie partir d'exemples prcis concernant les descriptions husserliennes des relations dedpendance entre extension spatiale et qualits sensibles, de la perception paresquisses, des anticipations perceptives et des liens entre gomtrie, vision et contrlekinesthsique, descriptions dveloppes par Husserl en particulier dans Ding undRaum. Il montre que des modles gomtriques existent. Ils font intervenir desconcepts de gomtrie diffrentielle assez sophistiqus tels ceux de fibration, decalcul des variations, de stratification, de contrle ou de singularit. Ils permettent nonseulement de comprendre la nature de l'intentionnalit perceptive, mais de dplacerl'opposition traditionnelle entre cognitivisme symbolique et constructiviste.

    Mots cls : Vision, gomtrie diffrentielle, Husserl, phnomnologie, intentionnalitperceptive.

    ABSTRACT.Geometry and vision in Husserls Ding und Raum. The challenge of anaturalized phenomenology is tackled here through precise examples concerning

    Husserlian descriptions of the dependance relationships between spatial extension andsensitive qualities, of adumbrated perception, of perceptive anticipations and of thelinks between geometry, vision and kinesthesic command, descriptions which can befound in Husserl's Ding und Raum. The paper presents actual geometrical modelswhich include sophisticated concepts of differential geometry, such as fibration,calculus of variations, stratification, control and singularity. Such models help tounderstand the nature of perceptual intentionality, and to change the approach of theopposition between symbolic and constructive cognitivism.

    Key words: Vision, differential geometry, Husserl, phenomenology, perceptualintentionality.

    INTRODUCTIONLe problme de la naturalisation de la phnomnologie est devenu ces

    derniers temps un enjeu crucial des sciences cognitives. Cela se comprendfacilement. Les dveloppements remarquables des neurosciences cognitives etde la robotique ont plac au premier plan les relations langage-perception-action. Or, comme toute science authentique, les sciences cognitives ont besoindabord de mthodes et de protocoles exprimentaux leur permettant dacqurirleurs donnes, puis de modles mathmatiques et informatiques leur permettantdeffectuer la synthse computationnelle de leurs phnomnes, enfin defondations pistmologiques.

    En ce qui concerne ces dernires, on rencontre de srieuses difficults. D'unct la plupart des traditions philosophiques continentales ont sombr dans lesabysses mtaphysiques de la ngativit du sens. D'un autre ct la seulephilosophie scientifique srieuse, savoir la philosophie analytique, reste, de par ses origines logicistes, affine aux modles symboliques classiques. Or

    CAMS, EHESS et CREA, cole Polytechnique. E-mail : [email protected].

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    ceux-ci sont remis en cause par les rsultats des neurosciences cognitives. Dol'intrt dune alternative philosophique srieuse.

    Par ses descriptions eidtiques pures des contenus mentaux, des vcuscognitifs et de la conscience constituante, mais aussi par un gnie scientifique propre rest ingal, la phnomnologie peut prtendre incarner une tellealternative. Elle propose une base philosophique remarquable pour toute

    thorie des liens langage-perception-action. Parti de rflexions ontologiques etsmantiques sur les thories logiques de la signification (du sens et de larfrence) qui taient assez proches des thories logicistes et formalistes,Husserl, aprs son tournant transcendantaliste, sest orient entre autre versles problmes de la perception et de laction. Ses analyses dans ces domainessont dune tonnante actualit, et il est donc tout fait comprhensible quellesaient t remises lordre du jour par un certain nombre de personnessoucieuses de les librer de leurs interprtations heideggeriennes et post-heideggeriennes.

    Pour notre part, cest vers le milieu des annes 70 que nous avons tabli un premier lien entre la phnomnologie de la perception (en particulier tellequelle est traite dans les Ideen I) et lapproche dynamique-morphologique(morphodynamique) des formes sensibles dveloppe par Ren Thom.Paralllement, un certain nombre de philosophes de premier plan ont rhabilitHusserl comme savant. Nous pensons en particulier au groupe de KevinMulligan, Barry Smith, Peter Simons, ainsi qu Dallas Willard, RonMacIntyre, David Woodruff Smith, Claire Hill, et videmment Hubert Dreyfusavec son ouvrage de rfrence Husserl, Intentionality, and Cognitive Sciencefaisant de Husserl le pre des sciences cognitives contemporaines.

    Depuis plusieurs annes cette convergence du renouveau de la phnomnologie et de lpistmologie des sciences cognitives na fait quesaccentuer ainsi quen attestent de nombreuses entreprises comme parexemple les remarquables Ateliers organiss par Jean-Luc Petit lUniversitde Strasbourg et au Collge de France avec la collaboration dAlain Berthoz.

    En collaboration avec Jean-Michel Roy, Francisco Varela et BernardPachoud, nous avons fond un groupe de travail qui, travers un Colloque

    international organis lUniversit de Bordeaux par J-M. Roy, a dbouchrcemment sur la publication dun ouvrage Naturalizing Phenomenology: Issues in Contemporary Phenomenology and Cognitive Science, StanfordUniversity Press.

    videmment, la phnomnologie ne saurait participer llaboration dunepistmologie cognitiviste qu condition de sinscrire dans une conceptionnaturaliste du mental, de la signification et de la conscience. Cela peut paratre paradoxal dans la mesure o Husserl a constamment dnonc avec la plusgrande vigueur toute tentative de naturalisation des vcus de conscience. Le point est extrmement technique et difficile. Nous y avons consacr denombreuses analyses. On pourra aussi consulter le long essai introductif delouvrage sus-cit Naturalizing Phenomenology. Nous considrerons donc icicomme justifi dadopter une telle perspective.

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    Nous nous proposons ici danalyser dans ce contexte certains passages desLeons de 1907 Ding und Raum excellemment traduites par Jean-FranoisLavigne1.

    I.LE TOURNANT TRANSCENDANTAL DE LA PHNOMNOLOGIE DE LAPERCEPTION

    Les analyses de Chose et Espace relvent de la phnomnologietranscendantale car elles visent clarifier par dduction transcendantale lafaon dont le monde chosique 3D se constitue comme transcendant dansl'immanence des vcus de conscience et des actes intentionnels objectivantscorrlatifs (la corrlation nose/nome prenant toute son ampleur dans lesIdeen I)2.

    La rduction transcendantale (l'poch) mettant entre parenthses temps etespace objectifs, les vcus purs ne sont plus des vnements psychologiques(i.e. des contenus, actes et processus mentaux). Par consquent

    l'intentionnalit perceptive, qui est au fondement de toute apophantiqueet des actes logiques corrlatifs, n'est pas une simple prise de connais-

    sance, une relation--l'objet (comme c'est encore le cas chez Brentano);elle a au contraire le sens d'une vritable donation, d'une productionabsolument originaire de l'objet, bref, dj d'une "constitution" (p. 13).

    Il faut donc tout d'abord dcrire et clarifier la couche originairement dona-trice que constitue la perception et analyser la faon dont les structureseidtiques de l'exprience perceptive s'originent dans les enchanements rglsdu flux des vcus. C'est en effet l'ordre temporel immanent des vcus qui, parses rgles, se rvle tre constituant d'objectivit.

    L'analyse (par rduction) des vidences perceptives et en particulier de lacorrlation entre d'un ct les donnes sensorielles et les vcus immanents etd'un autre ct les proprits objectives des objets transcendants qui s'esquis-sent dans ces donnes et ces vcus conduit la nouvelle question de droit(dansun sens kantien repens):

    comment de telles vidences sont-elles possibles ?

    Ainsi s'amorce une analyse transcendantale du sens commun perceptif et

    s'ouvre la difficult fondamentale de la constitution, dans le phnomne, de cequi est objectif (p.41).

    Husserl formule trs prcisment la question au 7 dans une explicationpralable :

    Comment sont possibles des noncs vidents portant sur une objectivitqui n'est pas donne effectivement dans le phnomne? (p.41).

    Comment sont possibles des corrlations entre moments immanents et pro-prits transcendantes ainsi que la croyance perceptive (doxa et mme Urdoxa)se rapportant thtiquement l'objet. Dans le processus cognitif de la perceptionil n'y a qu'une succession d'enchanements de vcus rgls par la synthsetemporelle de leur flux. Il n'y a pas d'objets.

    1 Husserl (1907). Les rfrences ce texte seront faites dans le texte (prcdes de la mention JFLlorsqu'elles concerneront les commentaires de Jean-Franois Lavigne).2 Comme le remarque J.-F. Lavigne (p. 5), cela permet de justifier le ralisme naf de la perceptionet de rfuter l'idalisme solipsiste.

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    L'objectivit se constitue dans les vcus. Comment doit-on comprendrele se-constituer diffrents niveaux, en tant que donne vise et se confir-mant progressivement? A quoi ressemble le se-constituer? (pp.41-42).

    Bref, comment (...) se constitue [l']intentionnalit de la perception? (p.175).

    II. GNRALITES PRLIMINAIRES1. Vcus et spatialitComme nous le verrons, l'une des grandes difficults que rencontre Husserl

    est lie son impossibilit de pensergomtriquementune extension spatialequi ne soit pas celle de la spatialit physique objective en tant que spatialitconstitue. Ds le dbut de la deuxime section concernant l'Analyse de laperception externe inchange (Chap. III : Les lments de la corrlation deperception, 14 : Contenus de sensation et qualits chosiques) il revient sur ladistinction prjudicielle entre ce qui relve des vcus et ce qui relve des objets(les couleurs senties comme moments rels des vcus de perception (qualia) nesont pas les couleurs comme proprits des objets perus, etc.). Et propos dumoment de l'tendue, il insiste sur le fait que toute perception possde vi-demment un moment d'tendue,

    mais que ce serait une confusion fondamentale que de la qualifierd'tendue (p.66).

    Car l'espace est la forme ncessaire de la chosit, et non la forme des vcus(...) "sensibles" (p.66).

    Le point est si crucial que Husserl en arrive critiquer drastiquement leconcept kantien de forme de l'intuition ou d'intuition pure. Selon lui, il s'agit-ld'une

    expression fondamentalement fausse ,

    d'une expression errone lourde de consquences (p.66).

    C'est que, comme nous l'avons dj not, l'espace est toujours pour Husserlct objet, ct nomatique. Forme de la transcendance externe, il est constituet s'esquisse lui-mme dans des vcus spatiaux. Le problme critique est queHusserl n'est jamais arriv penser correctement la spatialit immanente de cesvcus spatiaux. Certes, il est parfaitement conscient du problme et s'interrogesouvent sur la question

    de la relation du pr-phnomnal au phnomnal : continuit de l'appa-raissant et continuit de l'apparatre (p.97).

    Mais il en donnera des descriptions conceptuelles analogiquement ou mtapho-riquement gomtriques sans jamais vraiment, semble-t-il, admettre qu'uneauthentique gomtrie (diffrente videmment de celle de l'espace objectif 3Dconstitu) y opre.

    2. Perception et chosit

    Il existe donc tout un ensemble de niveaux conduisant des contenus de sen-sation et des vcus perceptifs, aux choses, tats-de-choses et vnements quis'y esquissent. Dans un appendice au 1, Husserl rcapitule ces niveaux.

    1. Il y a la chose comme unit dans le flux temporel des esquisses.

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    2. Il y a ensuite le schme spatial (ou mieux spatio-temporel) constitupar l'extension (le corps spatial) de la chose.

    3. Il y a aussi le schme spatial rempli par les qualits sensibles (cou-leurs, textures, rugosit, etc.). C'est l'image sensible intuitionne, le fantme de la chose.

    4. Il y a enfin le complexe des proprits causales de la chose. Objet de

    la physique, elle constitue une couche suprieure fonde sur la couche sensiblequi est l'objet de la phnomnologie de la perception.

    III. LES LIENS AVEC LA TROISIME RECHERCHE LOGIQUEAvant d'aborder la description husserlienne du champ visuel et de son

    contrle kinesthsique, disons quelques mots de la faon dont Chose et Espaceapprofondit la troisime Recherche Logique en ce qui concerne le remplisse-ment des extensions par des qualits sensibles.

    1. La troisime Recherche Logique et le concept gomtrique defibration

    Rappelons d'abord quelques lments de la troisimeRecherche Logique etla gomtrisation que nous en avons propos partir du concept de fibration.3Elle met en jeu deux concepts gestaltistes fondamentaux qui ont une porte trsgnrale, celui de Verschmelzung, de fusion, de merging et celui de Sonde-rung, de sparation, de segmentation. Ils sont fondamentalement lis ceux derecouvrement (berdeckung) et de remplissement (Erfllung, filling-in).

    Husserl dveloppe les points essentiels au 4 en se rfrant aux travaux deCarl Stumpf.4 Comme figure corporelle , l'extension de l'objet (en fait del'esquisse considre) est une qualit premire remplie par des qualits sensi-bles:

    Tout corps, et plus prcisment tout schme sensible de la pleine corpo-rit est une corporit spatiale (une figure spatiale), "sur laquelle" ou"dans laquelle" des qualits sensibles s'tendent (p. 347).

    Ceci dit, on ne peut apprhender des moments intuitifs qualitatifs que silscomposent une unit globale qui doit se dtacher en tant que phnomne. Ce

    que Husserl appelle une phnomenale Abhebung. Pour tre saisi, un phno-mne doit, comme le dirait Thom, tre saillant. Comment se constitue la sail-lance ? Husserl introduit, toujours la suite de Stumpf,

    la diffrence entre les contenus "spars" intuitivement [...] de contenusconnexes, et les contenus fusionns avec ces derniers (8, p. 26).

    Le fusionnement (Verschmelzung) de contenus voisins produit un effet detotalisation,5 un passage du local au global. En revanche, la sparation, ladisjonction (Sonderung), parce qu'elle fait obstruction au fusionnement, permetde limiter des parties. Husserl insiste sur le fait qu'elle repose sur le concept dediscontinuit :

    3 Husserl (1900-1901). Pour une analyse de ce texte central, cf. Smith, Mulligan (1982).4 Pour une introduction au concept de Gestalt (en particulier chez Stumpf, von Ehrenfels et Meinong),cf. Smith (1988).5 Pour des prcisions sur ce concept fondamental de fusion phnomnale, cf. Smith (1988). Husserllutilise aussi pour comprendre les moments d'unit figuraux de collections discrtes comme des lignes d'arbres, des tas de pierres, des essaims d'abeilles, etc. (Pour ce point, cf. galementPetitot, 1994d).

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    Sonderung beruht (...) auf Diskontinuitt.Et il rsume ainsi le fusionnement (le passage est entirement soulign parlui) :

    Deux ralits concrtes sensibles simultanes forment ncessairementune "unit indiffrencie", quand l'ensemble des moments immdiatementconstitutifs de l'une passe continment dans les moments constitutifs cor-

    respondants de l'autre (8, p. 27).Quant aux discontinuits qualitatives, ce sont des transitions brusques entre

    diffrences spcifiques ultimes, des discontinuits de la dpendance fonction-nelle qualit extension . Elles concernent le rapport de recouvrement(Deckungszusammenhang) de l'extension par la qualit. Elles ne sont saisissa-bles que si elles sont contigment dployes

    sur le fond d'un moment variant continment, savoir le moment spatialet temporel (9, p. 29).

    Bref, l'extension spatio-temporelle doit tre le support d'une propagation (Aus-breitung) des qualits ; et elle doit en contrler les variations. D'o cetteremarquable dfinition du concept gestaltiste de discontinuit qualitative :

    C'est partir d'une limite de l'espace et du temps que l'on saute d'une

    qualit visuelle une autre. Dans ce passage continu d'une partie d'es-pace une autre partie d'espace nous ne progressons pas la fois aussid'une manire continue dans la qualit qui les recouvre, mais du moins un endroit de l'espace les qualits "limitrophes" ont un cart fini (et pastrop petit (9, p. 29).

    La description eidtique que nous venons de rsumer est d'ordre nomati-que. Elle constitue la plus simple et la plus primitive des composantes desschmes sensibles. On peut la schmatiser (au sens du schme d'un concept) engomtrisant les concepts suivants:

    (i) espace-tendue-extension ;(ii) qualit concrte / qualit abstraite, espce, genre ;(iii) dpendance / indpendance, indtachabilit / dtachabilit, insparabi-

    lit / sparabilit ;(iv) dpendance fonctionnelle unilatrale et fondation qualit exten-

    sion , recouvrement, filling-in ;(v) fusion / sparation de qualits voisines ( connexes ) ;(vi) continuit / discontinuit ;(vii) diffusion, dploiement (Ausbreitung).Notre thse est que la schmatisation de la loi de fondation qualit ex-

    tension doit correspondre une catgorie de structures mathmatiques d'uncertain type. Le type correspond aux essences (aux genres ) sur lesquelles porte la loi. Quant aux structures mathmatiques spcifiques appartenant lacatgorie elles correspondent des modles des instances phnomnales de laloi.

    De quelle catgorie de structures s'agit-il ? Il s'agit de celle de fibration oud'espace fibr.6

    6 Pour une introduction pdagogique aux structures gomtriques localement triviales (revtements,fibrs, faisceaux, etc.), cf. Petitot (1979), et surtout sa bibliographie.

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    De faon intuitive un espace fibr est une varit diffrentiable E munied'une projection diffrentiable :EMsur une varit diffrentiable de baseM.

    (i) Mest la base de la fibration;(ii) est la projection structurale;(iii) Eest l'espace totalde la fibration;(iv) l'image rciproque Ex= -1(x) d'un pointx de la base Mest la fibre de

    la fibration au-dessus dex.On exige les proprits suivantes (axiomes):F1: toutes les fibresEx sont isomorphes une fibre typeF;F2: est localement triviale : pour toutxM, il existe un voisinage U

    dex tel queEU= 1(U) soit diffomorphe au produit direct FU, la restric-tion de EUse transformant par ce diffomorphisme en la projection cano-niqueFUUde ce produit sur son second facteur (voir fig. 1 et 2).

    E

    M

    x

    E =

    (x)=F

    x

    -1

    Figure 1

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    E

    M

    x

    U

    EU= UF

    Figure 2Dans l'exemple qui nous occupe ici, la varit base Mest lespace ambiant

    de l'extension W du substrat et l'espace fibre F est l'espace G du genre desqualits sensibles considres (par exemple les couleurs). C'est la structure deprojection constitutive d'une fibration qui schmatise la loi de fondation en tantque loi d'essence. Elle introduit une dissymtrie entre la varit base Met lavarit fibre F: la base est un espace externe extensif, la fibre un espace interne intensif. Le fait que la projection structurale projette E sur M

    exprime alors la dpendance unilatrale des grandeurs intensives relativementaux grandeurs extensives : c'est l'espace externe qui contrle l'tat interne .

    La structure gnrale de fibration permet de mathmatiser facilement etcorrectement le concept husserlien de dpendance fonctionnelle. Soit :EMune fibration. Unesection de dfinie sur un domaine ouvert UdeMest une application s : UEqui remonte Udans E, c'est--dire qui, tout xUassocie un lment s(x) de la fibre Ex de au-dessus de x.7 Celas'exprime en disant que l'application compose os : UEest l'identit deM. Si elle existe sur U, une trivialisation locale U:EUFUUtransforme s en une applicationx (f(x),x) de UdansFUof: UFestune application (une fonction ) de UdansF. La sections sera dite continue,diffrentiable, etc. suivant que flest. Elle peut prsenter des discontinuits le

    long d'un lieu singulier (voir fig. 3 et 4).

    7 Pour des raisons techniques les sections sont dfinies sur les ouverts de M. Mais on peut tenir comptedu fait phnomnologique que les domaines obtenus par segmentation doivent plutt tre considrscomme des ferms.

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    E

    M

    x=(s(x))

    s

    s(x)

    Figure 3

    E

    M

    s

    K

    Discontinuity

    Figure 4

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    On note traditionnellement (U) ou (U) lensemble des sections de dfinies sur le domaine Ude M.

    Une section dune fibration exprime donc trs prcisment une dpendancefonctionnelle spcifique des moments qualitatifs de la fibre par rapport l'extension de la base. Et elle l'exprime en relation avec la loi de dpendanceque schmatise la fibration. Nous retrouvons donc exactement la description pure husserlienne. Cela prouve que, contrairement laffirmation deHusserl, celle-ci est mathmatisable.

    Les discontinuits qualitatives rendant un phnomne saillant sont desdiscontinuits de sections. De faon plus prcise, soient q1, ..., qn les qualitssensibles (les moments dpendants) recouvrant l'espace externe W. Ellesappartiennent des espaces de genre G1, ..., Gn (couleurs, textures, etc.).Soients1(w), ...,sn(w) les sections exprimant le recouvrement de Wpar lesqi (i.e. si : WEi est une section de la fibration i :EiW de fibre Gi).Cette donne permet de schmatiser le concept de saillance phnomnologiqueconstitutif du concept de morphologie. C'est l'un des grands mrites de Thomque de l'avoir compris.8 Avec lui, on appellera rgulier un point wW otoutes les sections si(w) sont localement continues, i.e. continues dans un

    voisinage de w. Par dfinition, les points rguliers forment un ouvertR de W.9Soit K le ferm complmentaire K= WR de R dans W. Kest constitu des points dits singuliers o l'une au moins des sections qi(w) estdiscontinue. Il ralise une morphologie dont la saillance phnomnologiquecorrespond exactement la description husserlienne.

    Il faut ajouter cette description le fait que, en gnral, les espaces G dequalits sont eux-mmes catgoriss en essences . Cela signifieessentiellement qu'il existe :

    (i) une dcomposition de G en domaines (catgories) p1, ...,pk par unsystme de frontires (ce que l'on appelle une stratification), et

    (ii) des prototypes correspondant des valeurs centrales dans cesdomaines.10

    L'introduction de telles catgorisations engendre en gnral desdiscontinuits qualitatives supplmentaires. En plus des discontinuitsprovenant de celles des sectionssi(w), il y a les discontinuits provenant du faitque les valeurs si(w) changent de catgorie. Elles peuvent exister mme si lasectionsi est continue (voir fig. 5).

    8 Cf. Thom (1980).9 Rappelons qu'un ouvert est en effet un voisinage de chacun de ses points.10 Une faon simple de catgoriser un espace est d'introduire une dynamique. Les prototypess'interprtent alors comme les attracteurs de cette dynamique, les catgories comme les bassinsd'attraction et les frontires comme les sparatrices des bassins. Les modles connexionnistes demmoires associatives sont des implmentations de tels modles dynamiques.

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    Figure 5La schmatisation morphologique permet de mathmatiser la description

    phnomnologique en faisant droit toutes ses composantes eidtiques.1. La dpendance fonctionnelle existant au niveau des diffrences

    spcifiques ultimes se trouve modlise par une section particulires : WEd'une fibration particulire.

    2. Les discontinuits qualitatives sont modlises par des discontinuits

    des sections.3. La loi d'essence dtermine concrtement par ses contenus

    correspond une fibration particulire :EMayant pour fibre un genre dequalits particulier G. Il s'agit d'un premier niveau de gnralit : l'extensionglobale (espace ambiant) M et le genre de qualit G sont dtermins, maisaucun domaine Wni aucune section particulire ne sont privilgis. Il s'agitdonc d'une loi de dpendance entre genres dtermins concrets (et non plusentre diffrences spcifiques ultimes).

    4. La loi synthtique a priori de dpendance qualitextension correspond la structure mathmatique gnrale de fibration. Elle porte sur desgenres abstraits (des essences : espace et qualit).

    5. L'axiomatisation analytique de la loi de dpendance dans le cadrede l'ontologie formelle correspond enfin l'axiomatique (cette fois au sens fort,hilbertien, du terme) de la structure de fibration, c.a.d. la catgoriemathmatique de fibration.

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    2. Materia prima vs. Materia secundaAprs ces rappels sur la schmatisation morphologique de la troisime

    Recherche Logique, revenons Ding und Raum.Au chapitre IV La constitution de l'extension temporelle et spatiale de

    l'apparaissant, 20-23, Husserl prcise la notion de remplissement.L'extension de l'objet (en fait de l'esquisse considre) est un corps spatial ,

    une figure corporelle , une forme d'espace . C'est une qualit premireremplie par des qualits secondes. Comme il le rpte dans un addendum: tout corps, et plus prcisment tout schme sensible de la pleinecorporit est une corporit spatiale (une figure spatiale), "sur laquelle"ou "dans laquelle" des qualits sensibles s'tendent (p.347).

    Bien que secondes , ces qualits remplissantes correspondent la materiaprima comme

    concretum de chose au sens fondamental (p.92).

    A cette materia prima s'oppose la materia secunda constitue d'autresdterminits comme le son ou l'odeur. Elles se propagent dans l'espace, ydiffusent, mais ne l'occupent pas vritablement. Comme le remarque finementHusserl

    c'est en quelque sorte l'image d'un fluide qui sert de guide (p.93).Cette distinction entre deux modes fondamentalement diffrents de

    prsence spatiale, l'occupation d'un domaine dlimit par des bords ou ladiffusion-propagation, correspondent l'opposition introduite par Ren Thomentre saillances et prgnances. Les saillances sont morphologiques et perceptivement saisissables. Les prgnances se propagent ou se diffusentcomme des fluides conformment des quations aux drives partiellescaractristiques comme l'quation de la chaleur ou l'quation des ondes.

    3. L'extension comme format topologique des qualitsAu 21, Husserl insiste sur le fait fondamental que c'est la cohsion de

    l'extension, son ordre spatial (on dirait maintenant sa topologie) quiconfrent leurunit aux qualits.

    Les data de couleur ne sont pas parpilles et sans liaison, ils ont uneunit fixe et une forme fixe, la forme de la spatialit pr-phnomnale (p.94).

    La spatialit est, dirait-on prsent, un format, et mme le formatunique et universel pour les qualits prsentatrices. Elle est la mme

    pour les diffrentes modalits sensorielles. L'extension de la coloration est la mme que celle de la rugosit ou du

    pli (p.98).

    L'unit des diverses spcifications de dterminits matrialisantes sefonde dans l'unit identique du corps, de l'espace de chose (p.98).

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    4. Le primat de l'extension et la dpendance unilatrale des formestopologiques qualit extension

    Comme Husserl l'explique au 78 concernant La connexion entre figure spatiale et remplissement qualitatif, la figure pr-empirique et la colorationpr-empirique peuvent certes varier indpendamment. Toutefois,

    il existe un rapport fonctionnel entre la couleur pr-empirique et la

    figure objective (p. 312).La figure prescrit leur rgle aux qualits remplissantes et leurs variations,cela conformment des

    lgalits typiques de remplissement (p. 312).

    C'est mme ainsi que s'acquiert le purement spatial, en tant que forme fondamentale de la choseit avec

    ses possibilits changeantes de comblement qualitatif (p. 313).

    Ce primat de l'extension (comme asymtrie de la relation de dpendance)est souvent soulign. Par exemple au 53 concernant entre autres Le champvisuel en tant que systme de lieux, Husserl insiste sur le fait que les qualitssont dtermines et individues par l'ordre spatial de l'extension.

    C'est par le systme d'ordre que forment les points locaux, que sontordonns les lments de couleur localises en eux, pour former une seulecoloration unitaire (p. 223).

    Les qualits se distinguent par les lieux qui les individuent et les diffrencient. L'unit de la coloration repose donc sur la forme d'ordre propre l'tendue en tant que systme de lieux qu'elle recouvre (p. 223).

    Les colorations ne tiennent leur unit que des systmes de lieux qui assureleur coordination (p. 223).De mme, dans un addendum aux 20 sq, il insiste sur le fait que

    le privilge de la marque distinctive spatiale consiste en ce que sacontinuit correspond la continuit des qualits, et que les diversesqualits (visuelles et tactiles), en elles-mmes dpourvues de connexions,reoivent par elle l'unit (p. 400).

    L'asymtrie l'unilatralit de la dpendance entre l'ordre continu (latopologie) des qualits et celui de l'extension est fortement affirme:

    Les lieux ne reoivent pas leur ordre des couleurs, ce sont au contraireles couleurs [qui le reoivent] des lieux (p. 402).

    Toutes les colorations partielles sont ordonnes dans l'unit de lacoloration globale, dont la forme d'ordre est prcisment l'tendue

    globale (p. 401)

    et c'est en ce sens que l'ordre pr-empirique-spatial est un fondement (p. 401).

    5. Le problme de l'abstraction des qualitsDans un addendum au 78, Husserl se pose alors juste titre le problme de

    l'abstraction des qualits partir des recouvrements pr-empiriques.A un premier niveau, en ce qui concerne les couleurs simples (le rouge)

    on peut considrer que le rouge est l'lment commun aux choses rouges.Mais ce point de vue navement extensionnel n'est pas satisfaisant. D'abord il

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    prsuppose l'axiome nominaliste que les choses individues sont des donnespremires, ce qui n'est pas du tout le cas puisque la constitution de la chose estau contraire un processus notico-nomatique extrmement complexe. Ensuite,il ne tient pas compte du fait qu'en gnral, dans un recouvrement, la qualitvarie. D'o la question:

    l'emploi gnral du concept de qualit n'est-il pas rendu possible en

    ralit par une formation de concept idalisante ? (p. 420).La rponse de Husserl cette difficult est assez subtile. Elle passe par leconcept de localisation des recouvrements des petites parties de surface .On dcompose l'extension en domaines o la qualit recouvrante peut treconsidre comme simple (i.e. constante).

    Toute coloration qui n'est pas l'extension d'une qualit simple est doncdcompose par un partage spatial en colorations partielles de qualits

    simples diffrentes (p. 420).

    Mais si la coloration varie beaucoup, alors la dcomposition en petits domainesdoit tre pousse la limite, et l'on conclut en dfinitive que

    la qualit simple devient ainsi le plein d'un point spatial (p. 420).

    6. Les qualits simples comme germes de sections

    Le problme est le suivant. Reprenons les concepts de fibration et desection introduits au 1. Si nous supposons connue la fibre Fde la fibration: EW, et si nous considrons une section s(U) au-dessus de U alorsnous pouvons considrer sa valeurs(w) en chaque point w de W. On peut en particulier, pour chaque lmentf de F i.e. pour chaque qualitsimple considrer la section constante sf dfinie par sf(w)=f pour toutwU. Mais la connaissance pralable de F quivaut prcisment prsupposer dj donne l'abstraction des qualits par idalisation.

    Supposons donc que nous ne disposions pas d'une telle abstractionidalisante pralable et que nous ne disposions que des recouvrements i.e. dessections s(U) pour les diffrents domaines U. Comment reconstituer partir de cette donne, la fibre Fi.e. le genre de qualit considr?

    La premire ide est celle de localisation, c'est--dire de restriction d'une

    section dfinie sur un ouvert U un sous-ouvert Vde U. Si s(U) et VU,la restriction de s Vest tout simplement, nous l'avons vu au 1, la sections|V(V) qui est gale s sur V. Il y a videmment transitivit desrestrictions. On trouve cette ide explicite (mais videmment non formalise)chez Husserl dans l'addendum au 20 sq dj cit. Aprs avoir expliqu quec'est la continuit spatiale qui confre l'unit aux dterminits qualitatives (cf.plus haut 4), il s'interroge plus profondment:

    Pourtant tout cela ne suffit pas encore, il se cache quelque chose l-derrire (p. 400).

    Et il pousse d'un cran la description. La couleur[pr-empirique] recouvre l'tendue [pr-empirique], se

    forme, s'ordonne dans l'tendue. A chaque fragment de l'tenduecorrespond un fragment de la coloration, et chaque fragment du

    fragment nouveau. Et toutes les colorations partielles sont ordonnesdans l'unit de la coloration globale, dont la forme d'ordre est prcismentl'tendue globale (pp. 400-401).

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    Cette description peut maintenant s'exprimer techniquement de la faonsuivante. Si s(U) est une section sur U, pour dfinir sa valeur en wUuniquement en termes de sections, on considre les sous-ouverts V de Ucontenant w. Ils forment une structure appele un filtre (le filtre des voisinagesde w) qui exprime essentiellement la faon dont les voisinages V de w tendent vers w par restriction et on montre qu'il est possible de prendre lalimite des restrictionss|

    Vdes relativement ce filtre. On obtient ainsi ce que

    l'on appelle le germe de la sections au point w, c'est--dire la restriction des un voisinage en quelque sorte infinitsimal de w. Il comprend la valeurfdes en w et en plus une tendance infinitsimale au prolongement de s autourde w. Cela correspond parfaitement la description husserlienne du pleind'un point spatial .

    7. Discontinuits qualitatives et segmentationsC'est l'extension des esquisses prsentatrices qui constitue l'extension de

    l'apprhension et de l'apparition (Erscheinungsextension). Pour que des objetsapparaissent il faut donc qu'il y ait des lignes de discontinuit qui sontautant de

    lignes de dlimitation pr-phnomnales (p. 95).

    Il faut ce que l'on appelle une segmentation, ce que Husserl appelait, nous

    l'avons vu au 1, Sonderung ou fragmentation. Cela s'effectue au travers dediscontinuits qualitatives, c'est--dire de sauts qualitatifs.

    Un saut fragmente et cre le premier la "limite" (p. 97).

    La segmentation correspond des sections discontinues des fibrationsmodlisant les processus de remplissement qualitatif. Elle est la premirecondition de possibilit de la perception d'objets.

    Sans discontinuit qualitative par rapport l'environnement, nulleimage ne se dmarque, ni ne vient se proposer part l'attention (p. 223).

    Comme l'explique Husserl au 48 concernant Les moyens d'exposition duchamp visuel, la possibilit de fragmentation est une caractristique duchamp visuel et se trouve intimement li son ordre spatial (i.e. sa

    topologie). Cette capacit de se partager par dlimitation implique aussi, etimplique essentiellement, la limitation rciproque .

    Cela prcisment caractrise le champ, qu'une multiple fragmentationlui appartienne en tant que possibilit, et que chaque fragmentationdistincte fonde un enchanement d'ordre .

    Le partage se constitue dans l'apparition grce des discontinuitsqualitatives (p. 201).

    Sans segmentation, il n'y aurait pas d'objet possible car ce n'est rien d'autre que la discontinuit qualitative (...) qui donne l'image uneexistence spare .

    IV. L'ORDRE SPATIAL 2D DU CHAMP VISUELVenons-en maintenant la faon dont Husserl dcrit l'ordre spatial bi-

    dimensionnel du champ visuel oculomoteur.

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    1. Le caractre basique du champHusserl consacre des analyses extrmement prcises ce qu'il appelle le

    champ visuel, comme tendue pr-empirique munie d'un ordre spatial. Quatrequestions doivent tre rsolues son propos:

    (i) sa structure;(ii) son contrle kinesthsique;(iii) la constitution phnomnologique partir de lui de l'espace global qui

    est co-peru dans toute perception (origine phnomnologique del'esthtique transcendantale);

    (iv) la constitution de l'tonnante position spare du Je corrlatif dumonde environnant, ce Je et ce corps propre qui permettent la conversion devcus purs en vcus psychiques internes (analogue phnomnologique duproblme de l'embodiment des processus cognitifs abstraits).

    2. La finitude du champ et l'espace comme varit (multiplicit,Mannigfaltigkeit)

    D'une part le champ est d'extension finie et d'autre part, tout contenuexposant en est un fragment dlimit par des discontinuits qualitatives. Cettefinitude implique deux consquences cruciales.

    (i) D'abord l'impossibilit d'une prsentation adquate et complte d'unechose (ce qui, nous l'avons vu, est la source de l'intentionnalit perceptive).

    (ii) Il y a donc ncessit et il s'agit d'une ncessit synthtique a prioride la perception d'un recollementdes diffrents remplissements du champ,ces recollements constituant un espace globaldans lequel chaque perceptionconstitue, comme flux de vcus et d'esquisses, un chemin temporel, un flux derecollements successifs. Cette structure est subtile et c'est sa descriptiondtaille que Husserl consacre une grande partie de ses analyses.

    Le champ est structur par l'ordre fixe des positions qui y sont possibles. C'est cet ordre qui caractrise (...) le champ comme un systme fixe de

    places (p. 201).

    Il assigne chaque lment de sensation concret une place, un ici

    (p. 201). La position dans le champ est donc une dtermination fondamentalede tout lment de sensation et transforme celui-ci en ce que Lotze appelait un signe local . On parle maintenant de champs rcepteurs rtiniens et dertinotopie.

    Mais les positions sont toutes quivalentes et peuvent s'changercontinment. Leur ordre de connexion fait donc que

    le champ visuel est une multiplicit bi-dimensionnelle, congruente avecelle-mme, continue, simplement homogne, finie, et il s'entend, dlimi-te (p. 202, je souligne).

    Husserl dgage donc parfaitement les proprits caractristiques faisant duchamp une varit 2D au sens moderne du terme.

    (i) C'est une varit continue, et mme diffrentiable, finie et dlimite

    i.e. mtriquement borne. Cela suppose que ce soit une varit riemannienne.La finitude est une proprit de compacit. Quant la dlimitation elle pose unproblme car la rsolution au bord du champ est faible et le bord n'est doncdfini qu' une chelle grossire. En fait le champ est une varit 2D multi-

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    chelle et mme chelle variable. Il ne peut donc tre dcrit correctement qu'travers un concept de varit multi-chelle (cf. plus bas ).

    (ii) C'est un espace homogne (c'est--dire dont tous les domaines, i.e. lesdisques ouverts, sont isomorphes) possdant un groupe d'automorphismestransitif (i.e. pouvant changer deux points quelconques). Ce concept degroupe est conceptuellement explicite chez Husserl (mais toujours non

    formalis).3. Dimensionalit et stratificationOn sait qu'il est trs difficile de dfinir correctement le concept de

    dimensionnalit d'un espace.Ses dfinitions mathmatiques habituelles ne sont pas phnomnologiques

    dans la mesure o elles sont abstraites et idales et ne sont pas donnes dansl'vidence intuitive de l'exprience.Phnomnologiquement, seuls sont donnsdes fragments de recouvrement qualitextension. Pour dfinir purement phnomnologiquement la dimension, Husserl a recours une intuitiongomtrique remarquable qui est celle sous-tendant le concept gomtriquemoderne (en grande partie d Ren Thom) destratification.

    La bidimensionnalit signifie que chaque fragment du champ estdlimit par des limites dpendantes, qui sont elles-mmes leur tour desmultiplicits continues, donc nouveau fragmentables de telle sorte que

    ses fragments "se limitent rciproquement". Mais les limites ne sontmaintenant pas fragmentables, elles sont de simples lments de l'tendue,des "points" (p. 202).

    La donne phnomnologiquement premire est, nous l'avons vu, lasaillance des discontinuits qualitatives limitant des domaines (des fragments ) du champ W. En termes gomtriques, on peut dire que Husserlintroduit la notion de sous-varitDWconstituant un domaine de W. En tantque fragment de W, la varit D a la mme dimension que W (que l'on a dterminer). Elle est munie d'un bord B=D. Husserl fait implicitement deshypothses de rgularit sur les bords. Ce sont eux aussi des multiplicitscontinues , c'est--dire en fait des sous-varits diffrentiables par morceaux.La premire intuition fondamentale est que le bord d'une varit de dimensionn est de dimension n-1. La seconde intuition fondamentale est que l'on peutitrer l'opration et considrer kD pour k=1,2,.... La troisime intuitionfondamentale est que les points sont infragmentables et donc de dimension0.

    V. LE RLE CONSTITUTIF DES KINESTHSES

    1. Primat du continu et synthse cintique L'identit effective de l'objet qui apparat ne peut pas se concevoir

    partir de prsentations isoles. L'identit de sens reliant entre elles lesdiffrentes perceptions esquissant une mme chose est une identit logique.Mais elle n'est pas premire et originaire. Elle prsuppose au contraire lapossibilit depasser de faon continue d'une esquisse l'autre.

    Ce n'est que lorsque, dans l'unit de l'exprience, le passage continud'une perception l'autre est garanti, que nous pouvons parler del'vidence selon laquelle l'identit est donne (p. 190).

    On retrouve encore une fois l'ide cruciale que, pour tout ce qui concerne la perception, il y a un primat du continu, du spatial, du gomtrique sur le

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    symbolique, le logique, le signitif. Tel est mme le fondement du synthtique apriori. La synthse logique de l'identit prsuppose la synthse continue del'identit qui, seule, relve de l'intuition donatrice originaire.

    Cette synthse continue doit tre au fondement pour que la synthselogique, celle de l'identification, produise l'vident tre donn de l'identitdes objets qui apparaissent dans des perceptions diffrentes (p. 190).

    Les perceptions n'existent donc pas l'tat isol. Il faut les concevoircomme des phases d'une synthse continue. Mais comme cette synthse estaussi temporelle (le passage d'une perception l'autre est toujours temporel), lasynthse est en fait une synthse cintique. Elle est celle d'enchanementsphnomnologiquement rgls.

    La synthse cintique concerne le changement continu des contenusexposants. Ces changements sont eux-mmes lis au mouvement (avecvidemment la relativit caractristique de tout mouvement). Les mouvementspeuvent tre de trois ordres:

    (i) les mouvements oculaires;(ii) les mouvements du corps;(iii) les mouvement des objets.

    Mais l encore, pour dsintriquer et faire le partage entre ces trois types demouvement, il ne faut pas confondre le constituant et le constitu et, comme lefait spontanment l'attitude naturelle, partir du mouvement des objets externescomme s'il tait premier. En effet il est le produit d'une constitution. Dans unedescription eidtique correcte, on doit par consquent commencer par la sourcephnomnologique de tout mouvement possible et celle-ci se trouve dans lessensations kinesthsiques.11

    2. L'espace de contrle kinesthsique et ses cheminsNous avons vu au III.1 qu'il ne peut y avoir d'espace que si les sensations

    exposantes sont extensionnelles i.e. ont la particularit distinctive de fusionner pour former des champs (p.195).

    Cependant, il ne s'agit l que d'une premire condition de possibilit. Le moment extensionnel de la sensation visuelle (...) ne suffit pourtantpas rendre possible la constitution de la spatialit (p.196).

    Il faut en plus les sensations kinesthsiques. Celles-ci ont un statut trsparticulier. En effet:

    (i) elles appartiennent l'apprhension animatrice, la morphintentionnelle des synthses notiques (pour utiliser le langage desIdeen);

    (ii) elles n'ont pas en tant que telles de fonction prsentatrice, ellesn'appartiennent pas la projection de la chose, elles rendent possiblel'exposition des objets externes mais sans exposer elles-mmes.

    En fait elles agissent comme des contrles sur les champs.Il faut remarquer que l'espace K des contrles kinesthsiques est

    multidimensionnelet hirarchis. En effet, il correspond aux degrs de libertdes mouvements oculaires, des mouvements de la tte et des mouvements ducorps, degrs contraints d'une part intrinsquement (limitation anatomique de

    11 Pour une brve histoire du terme de kinesthse , cf. Jean-Franois Lavigne, p. 461.

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    ces mouvements) et d'autre part en fonction de leurs couplages. Husserl estd'accord sur ce point: les sensations kinesthsiques

    forment des systmes continus de plusieurs dimensions (p. 207).

    Mais elles n'oprent et n'assurent leur fonction physico-objectivante de prsentation (qui n'est pas, nous l'avons vu, directement exposante) qu'l'intrieur de la synthse temporelle. C'est dire qu'ils n'oprent qu' travers des

    chemins temporelsk(t) (ou kt) dansK. Les sensations kinesthsiques n'difient d'units continues que sous la forme de dcours, o unemultiplicit linaire, extraite de la multiplicit globale des sensationskinesthsiques, se superpose, la manire d'un continuum remplissant, l'unit continue du dcours 12 temporel pr-empirique (p. 207).

    On rencontre ici une parfaite dfinition intuitive du concept de chemin ausens mathmatique du terme, savoir une application continue k: TKd'uncontinuum T (en gnral l'intervalle I=[0,1] de la droite relle R) dans unevarit K. L'image k(t) est bien une multiplicit linaire plonge dans K(i.e. extraite deK) qui remplit T.

    3. Le contrle kinesthsique n'est pas directement un lien associatifmais un oprateur sur les chemins

    Husserl commence par tudier la situation la plus simple o le corps propretant fixe et les objets en repos le contrle se rduit la correspondance kientre la sensation kinesthsique purement oculaire 13k et l'image visuelle i. Sil'on considre une srie temporelle t1, ..., tn on aura alors une srie decorrespondances k1i1, ..., knin et si l'on considre un flux temporel, onaura une correspondance continue ktit.

    Husserl analyse alors la nature de cette relation de dpendance rciproqueki et commence par montrer qu'elle n'est pas de nature associative (au sensde l'associationisme empiriste). Les corrlations ki ne sont pas de ce type.Un contrle k ne dtermine pas une image particulire i. N'importe quelcontrle k peut tre li n'importe quelle image i. Il n'y a donc pasd'association, de motivation empirique, entre ket i. Quelle est donc la nature deleur lien?

    L'ide de Husserl est la suivante. Considrons une liaison initiale k'i'etune autre image i". A un chemin visuel itallant de i' i"correspond un cheminkinesthsique kt allant de k' un autre contrle k"qui tablira une nouvelleliaison k"i". Autrement dit,

    avec la reprsentation d'un mouvement d'images i'i", j'ai tout de suitela reprsentation d'un coulement kinesthsique k'k", comme d'uncoulement lui appartenant (p. 217).

    Et Husserl s'interroge : Comment faut-il comprendre cela? . En termesmodernes, cette situation peut s'expliciter de la faon suivante. Introduisons l'espace Ides images visuelles. Idalement, c'est un espace fonctionnel dedimension infinie car, comme remplissement qualitatif de l'extension du champ

    12 Le traducteur a choisi de traduire Verlauf (droulement, volution, cours) par dcours comme onle trouve dans certaines disciplines psychologiques. En fait il s'agit de cours comme le cours dutemps, ou le cours d'un fleuve, c'est--dire de chemins dans un sens abstrait. Nous utiliserons plutt ceterme qui est devenu d'usage courant en mathmatiques.13 Husserl note K les contrles kinesthsiques. Comme nous rservons pour notre part cette notationaux systmes de discontinuits qualitatives, nous utiliserons ici la notation k.

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    visuel, une image est une section de fibration (avec en gnral desdiscontinuits). Kcontrle I au sens o les chemins dans K oprent sur leschemins dans I. Plus prcisment, soit une liaison initiale ki et un chemin ktd'origine kdans K(par exemple un mouvement oculaire). Alors ktdtermineun mouvement dans I (un mouvement d'images) it et, qui plus est, avec lemme paramtrage temporel.

    Cette corrlation est suffisamment forte pour que le systme visuel puissersoudrele problme inverse, savoir reconstituer un chemin kt partir de ladonne du chemin it.

    Mais cette clarification n'est pas encore suffisante. Les changements itsontdes variations du remplissementdu champ W, et celui-ci est contingent. Or ilfaut arriver comprendre la nature du lien entre K et W lui-mme. L'ordrespatial de Wreprsente un systme de lieux fixe :

    La multiplicit des lieux est quelque chose d'absolument invariable, detoujours donn (p. 217).

    On dirait maintenant qu'il fait partie du cblage neuronal, du hardware, del'architecture, du systme visuel. Mais

    elle n'est jamais donne sans un k .

    Il y a donc bien une association fixe , non pas entre tel kKet tel iImaisentre les espaces Wet Keux-mmes, entre l'entire extension de lieux [et] k en gnral ,

    ken gnral signifiant un kquelconque. Comment comprendre et dcrire avec plus d'exactitude la situation

    phnomnologique (p. 217)

    constitue d'une part par l'association fixe WK et d'autre part par lescorrlations non associatives ktit?

    4. Apparitions et circonstancesIl existe selon Husserl une diffrence fondamentale entre les contrles ket

    les images i remplissant le champ W. Pour l'expliquer, il considre l'exempleo l'on parcourt des yeux un carr en suivant son bord abcda.

    a b

    d c

    A chaque position de l'il [fixant l'un des sommets] correspond alorsune figure pr-empirique dtermine (p. 218)

    et l'on obtient ainsi une suite de telles figures fafbfcfdfa se

    transformant continment l'une en l'autre. De mme, il existe un continuum desensations kinesthsiques kakbkckdka. Ce sont des exemples decorrlations ktit(avecft=it). La diffrence phnomnologique fondamentaleentre les ket lesfest que

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    dans cette transformation continue fa "renvoie" son voisin continu

    alors que, au contraire, les ka ne renvoient pas les uns aux autres (p. 218).

    Ils s'coulent simplement.Ce renvoi de fa fb, etc. est exprim par Husserl en termes intentionnels

    comme constituant une conscience d'unit: des intentions traversent la srie de fa fdet se remplissent continmentdans l'coulement de la srie. Nous trouvons une conscience d'unit

    fonde sur ces moments, qui les traverse (p. 218).

    Au contraire, les k ne sont pas les supports d'intentions qui les traversent

    et ne sont donc pas unifis dans/par une conscience d'unit.Cette analyse qui dfinit phnomnologiquement ce que nous appelons

    contrle permet Husserl de distinguer deux moments, fonctionnant de faon tout fait diffrentes .

    Selon sa formulation, les k sont les "circonstances", les f sont les "apparitions" (p. 219).

    Lorsque l'image varie librement, les changements ktdes contrles kimpliquentdes changements corrlatifs ftdes figures f. Mais ce sont toujours les f seulesqui produisent la conscience d'unit.

    Dans la srie d'images qui s'coule, l'une renvoie continment l'autreet toujours de nouveau d'autres, ou bien travers elle passent l'intentiond'unit et le remplissement d'unit (p. 219).

    5. Le contrle kinesthsique comme oprateur de recollementLa description husserlienne correspond alors la situation simplifie

    suivante (on suppose que le carr n'est pas trop grand relativement D; si teln'est pas le cas, il suffit de considrer suffisamment de points intermdiaires).

    A chaque position a, b, c, dcorrespond un exemplaire indexDa du champD.Et si la figurefa remplissantDa renvoie la figurefb remplissantDb, c'estparce queDa et Dbse recouvrent, autrement dit qu'ils se recollent traversleur intersection Uab.

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    Cela signifie qu'il existe un isomorphisme local de recollementab: UabDaUabDb identifiant l'intersection Uab vue comme sous-domaine de Da avec Uab vue comme sous-domaine de Db. Si l'on passe aucontinu, on aura une srie temporelle d'exemplaires deDtcontinment indexsavec des oprateurs de recollement tt'(si tet t'sont assez voisins). C'est cettesrie purement spatio-temporelle qui se trouve remplie par la srie desft.

    Dire que le renvoi des ftest intentionnel, ou encore que des intentions traversent la srie des ft, c'est dire que l'intentionnalit correspond desoprateurs de recollement. Cette interprtation sera confirme plus bas lorsquenous verrons Husserl parler de rayons intentionnels traversant les images etidentifier les points correspondants d'images diffrentes. Mais l'intuition durecollement est vidente chez lui. Dans un addendum, il explique que

    l'identification court de telle faon qu'elle n'amne pas le champ du stade-k et le champ du stade-k' concidence, mais au dcalage(berschiebung), une partie seulement [tant] en concidence (p. 413).

    Mais encore faut-il que ces oprateurs de recollement soient raliss dans laconscience. C'est ici que le contrle kinesthsique devient crucial: les ktsontdes protocoles de recollement.

    On voit ainsi se distinguer trois niveaux:

    (i) celui des contrles kinesthsiques ktqui sont des chemins dansK;(ii) celui des varits diffrentiables obtenues par le recollement des Dt

    (tous identiques puisqu'il s'agit du champ visuel fixe index) conformmentaux kt; c'est en elles que les rayons intentionnels traversent les imageset produisent la conscience d'unit;

    (iii) celui des remplissements qualitatifs it(ouft) desDt.A travers lesDt, les ktcontrlent les iti.e.KcontrleI.

    6. La catgorisation de l'espace desI-chemins par lesK-cheminsLes chemins itdeIse regroupent en classes d'quivalence de chemins que

    Husserl appelle des chemins types. Et c'est chaque type de chemin que setrouve associ un chemin kinesthsique k bien dtermin et qui concidetemporellement avec lui. C'est de cette faon que le systme des coulementsd'images itse trouvent corrl au systme des coulements kinesthsiques kt.Entre un chemin type itet un chemin kinesthsique ktil peut alors y avoir etil y a de fait une liaison associative, c'est--dire un vritable contrle. C'estdonc la forme le type des chemins dans I qui se trouve associe auxchemins de K. C'est dans la mesure o les multiplicits d'images exposantesd'objets sont conformes des chemins types, mme si elles se renouvellentconstamment de faon contingente, qu'elles sont contrles parK. Ce contrledevient alors une motivation.

    On voit donc que Husserl introduit l'ide remarquable que les chemins ktdans K catgorisent l'espace CIdes chemins it dans I, c'est--dire ledcomposent en classes d'quivalences, chaque classe tant l'ensemble destokens (des occurrences) d'un chemin type. Mais cela signifie exactement queles chemins kt oprent sur les chemins it: partir d'une image initiale i0

    quelconque, ktdfinit via le protocole de recollement des Dtpermettant lerecollement de leurs remplissements un chemin it et tous ces it sont desoccurrences d'un mme chemin type associ kt.

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    7. Intentionnalit, conscience d'unit et dynamiqueHusserl ajoute qu'tant donn le fondement temporel des chemins (le

    flux est un coulement ), l'intention est une intention vers . Chaque phase de la composante-i est "intention vers" de telle faonqu'elle traverse, en faisant porter au-del d'elle et travers elle sonrenvoi, la phase suivante (p. 226).

    Non seulement il y a une rtention dans chaque itdes it"le prcdant (pourt" assez voisin de t), mais il y a en plus une protention de it dans les it'successifs (toujours pour t' assez voisin de t) et cela au niveau desremplissements eux-mmes dans leur fonction prsentatrice d'objets.L'intention-vers

    remplit a parte ante et se remplit elle-mme aussitt a parte post dans lacontinuit du flux (p. 227).

    Ce caractre protentionnel du contrle kinesthsique est crucial car il estdterminant pour les anticipations perceptives (qui elles-mmes sontconstitutives de l'intentionnalit visuelle).14En termes contemporains (mais les concepts existaient dj depuis longtemps l'poque de Husserl part celui d'espace fonctionnel) on dirait que les

    coulements sont des trajectoires de champs de vecteurs dans l'espacefonctionnel des imagesI.Cela signifie que si l'on considre le chemin itet un

    instant particulier t0 on peut considrer le vecteur drivedit

    dt en t=t0. Ce

    vecteur drive est un vecteur tangent Ien i0 = it0 et s'interprte intuitivementcomme une dformation infinitsimale de i0. C'est cette dformationinfinitsimale qui schmatise la protention, i.e. le fait que i0 anticipe sur les itqui le suivent immdiatement, it = it0+t.

    i0

    it

    protention

    Husserl possde clairement l'intuition de vecteur tangent puisqu'il parle de direction linaire de changement et mme de diffrentiel . Dans unaddendum consacr aux esquisses, il prcise quatre choses (p. 403):

    (i) D'abord que chaque esquisse est phase dans de multiples passages d'esquisses

    possibles ,

    14 L'intentionnalit visuelle fonde elle-mme l'intentionnalit en gnral dans un sens extrmementdiffrent la fois de la dnotation d'un symbole (interprtation analytique de Husserl) et de l'intentionfinalise (interprtation mtaphysique de Husserl). L'enjeu philosophique est donc crucial.

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    autrement dit, chaque lment iI appartient une multiplicit (infinie) dechemins it.

    (ii) Ensuite que partir de la mme phase, je peux passer d'autres dans des"directions" fort diffrentes .

    Autrement dit, en tout point i deIil existe un espace tangent TiIIqui estl'espace vectoriel des directions tangentes des diffrents chemins issus de i.

    (iii) Ensuite que chaque caractre d'apprhension porte en soi des renvois anticipatifs etrtrospectifs ,

    autrement dit qu'il y a bien protention-rtention le long d'une trajectoire, c'est--dire une dynamique.

    (iv) Enfin que les trajectoires de ces dynamiques intgrent bien (au sensmathmatique) des champs de vecteurs tangents (des quations diffrentielles).En effet

    un 'diffrentiel' dtermine (...) la direction de progression dans le dve-loppement actuellement remplissant et dtermine alors la direction descomposantes de remplissement .

    Cela correspondrait (si on peut lui donner un sens) la formule diffrentielle :dit = it+dt it( )dt.

    De mme au 30, propos des directions de l'coulement des esquisses,il explique que ces directions sont dfinies par un diffrentiel demouvement qui fait que chaque esquisse pointe vers l'avant (protentionanticipatrice) (p. 132).

    8. Intentionnalit transversale et rayons intentionnels : del'identification l'identit

    La chose (au repos) se constitue, nous l'avons vu, dans un systme idal de sries continues possibles d'apparitions en conci-dence temporelle avec des sries kinesthsiques possibles, continues etmotivantes (p. 228).

    Ces sries sont les trajectoires ktitet la chose est produite par l'unit de ceflux. L'unit repose sur l'intention-vers (la protention le long de latrajectoire temporelle) et celle-ci n'est pas dlimite i.e. rduite une seulephase momentane.

    En vertu de son essence, elle n'a pas son terme dans l'image dtermine(...). Elle la traverse et garde ce caractre d'lment transversal, de quel-que faon que la continuit d'apparition actuelle puisse s'largir; cedfaut de dlimitation appartient l'essence de la situation (p. 229).

    Le fait que l'intention-vers traverse continment le continuum d'image itdfinit l'animation de l'apprhension. La synthse cintique est une synthsenotique d'animation.

    Mais quelle est exactement la nature de cette intentionnalit transversale?

    Husserl l'explicite partir du fameux concept de rayon intentionnel. Les rayons intentionnels qui traversent les images actuellement donnes(...) rattachent en une conscience d'unit des points correspondants desimages qui se transforment continment l'une en l'autre, et (...) constituent

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    de ce fait le mme moment objectif, qui tombe continuellement dans l'ap-parition en propre (p. 230).

    Ces rayons intentionnels sont bien conus par Husserl comme des isomorphis-mes de recollement, i.e. comme des injections (en fait des plongements) d'unepartie de itdans it', puisqu'il parle leur propos de correspondance mono-univoque (p. 238). L'ensemble des rayons intentionnels dfinissant ces bijec-

    tions constitue un faisceau intentionnel .Et la conscience d'identit se fondesur ces oprations d'identification. Les points qui se trouvent sur le mme rayon intentionnel exposent parleurs contenus un seul et mme point d'objet (p. 238).

    Husserl insiste beaucoup sur ce point fondamental. Une conscience posant l'unit traverse donc ici la continuit temporelle

    pr-empirique (), et un flux de contenus, pris en enfilade par le rayonintentionnel, expose, phase par phase, le mme point de chose (p. 238).

    La figure 7 montre comment une image globale I15 d'extension globale Wpeut tre constitue travers une fentreD (un carr pour plus de simplicit) sedplaant diagonalement dans W. La premire image montre I dans W. Laseconde image montre comment D volue. Elle montre en fait le remplisse-

    ment de trois exemplaires de D. Elle montre aussi un point distingu poccupant trois positions diffrentes dans les trois exemplaires de D. Ces troisfentres reprsentent les donnes locales immanentes dont le recollementengendre l'extension objective W. La troisime image montre le rayonintentionnel poursuivant p et le transformant en un point de chose objectif individu. Quant la figure 8, elle montre comment, une fois l'imageobjective constitue, il devient possible de penser le champ visuel comme unesous-fentre se dplaant dans W.

    15 Les figures sont calcules avec Mathematica. Pour des raisons de simplicit, il nous fallait uneimage simple avec une morphologie suffisamment diffrencie et asymtrique. Nous avons pris undodcadre, et nous avons laiss volontairement l'image pixlise.

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    (a)

    (b)

    (c)Figure 7

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    Figure 8On saisit bien ici l'essence nomatique des objets comme ples d'identit:

    une trajectoire de points identifis d'image en image correspond un seul etmme point objectif. L'identit d'un objet a pour condition de possibilit que

    tout point dans sa place relative, est pos comme un identique etintentionnellement maintenu comme un identique (p. 259).

    Nous assistons ici la gense, mieux l'mergence, de la transcendance horsde l'immanence des actes et des contenus cognitifs.

    On ne saurait tre plus clair:

    (i) les rayons intentionnels identifient les points correspondants desimages: ce sont des isomorphismes de recollement t,t';

    (ii) c'est en ce sens que leur intention traverse les images;(iii) en fait ces recollements constituent un flux de recollements, une

    trajectoire de recollements, qui intgre (au sens mathmatique) desrecollements diffrentiels t,t+dt;

    (iv) ces trajectoires de recollements dfinissent des trajectoires de pointscorrespondants dans le flux d'image it: cela permet de suivre les diffrentspoints des images16 ;

    (v) c'est cette possibilit de traage qui dfinit la conscience d'unit;(vi) ce n'est qu' partir de cette conscience d'unit que l'objectivit externe

    peut merger comme invariant ( le mme moment objectif ).

    16 On sait que ce problme du tracking des points des images dans un film est actuellement l'un desproblmes centraux de l'analyse d'image.

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