intersubjectivité chez Husserl

download intersubjectivité chez Husserl

of 76

Transcript of intersubjectivité chez Husserl

Bulletin danalyse phnomnologique Revue lectronique de phnomnologie publie par lunit de recherche Phnomnologies de lUniversit de Lige Volume II, numro 5http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm Octobre 2006ISSN : 1782-2041 Sommaire John TRYSSESOONE Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl 3-76 2006 vt t e t i va` avat , . e be vove vot og i qve , tous droits rsers Le prsent texte peut tre reproduit gratuitement, sans autorisation pralable du BAP, pour un usage strictement non commercial. 1oute copie ou impression doit contenir la mention du copyright, de l`auteur et de la reue. L`utilisation a des ins commerciales sans autorisation expresse constitue une inraction pnale. J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76

Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl Introduction Ladcouvertedelaphnomnologietranscendantalesaccom-pagne dune exigence radicale, que Husserl ne cessera jamais dassu-mer*.Cetteexigence,peut-treindite,consisteposer,auniveaule plusoriginaire,unepluralitdabsolus.Silidalismetranscendantal de Husserl parat devoir commencer, pour des raisons de mthode, par unegologietranscendantale,ilnesauraitpourtantseraliser pleinement que dans une monadologie transcendantale, sous peine de sevoirdisqualifi.Leproblmephnomnologiquedelinter-subjectivit,auquellacinquimedesMditationscartsiennesrendit ses lettres de noblesse, nest donc pas un problme constitutif anodin surlechemindelaphnomnologie ;ilestjustementunproblme quellerencontresurlechemindesaralisation,entantquilestle sol partir duquel tous les problmes constitutifs devront recevoir leur fondationultime.P.Ricuraremarquavecjustessequelinter- *CetexteestissudunmmoiredeDEAsoutenuenseptembre2006lUni-versit de Lige. Je tiens remercier Daniel Giovannangeli pour son soutien et ses prcieuses remarques critiques. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 4 subjectivitremplace,danslesMditationsdeHusserl,lavracit divinedeDescartes,entantquellefondetoutevritettouteralit quidpasselasimplerflexiondusujetsurlui-mme1.Aussi,sile point de dpart gologique des Mditations cartsiennes doit sassurer mthodiquementdelafondationabsoluedelaphnomnologie transcendantale,ilnesauraittrelgitime,entantquecommence-ment,quenvuedelintersubjectivitgagner,sansquoiil sinvalideraittoutsimplementauvudumondequilnousaurafait perdre.Lexigencedabsoluitdelasphredtretranscendantale devra, en dfinitive, se rendre conforme lexigence de son universa-lit intersubjective. Or,ilnestpascertainquunetelleconformitpuissejamais saccomplir.Ilsepourraitmmequelaphnomnologietranscen-dantale,toutenstipulantunemultiplicitdabsolus,neparvienne jamaisenrendretoutfaitcomptedefaonabsolue.Lesautres absolus pourraient se refuser se donner absolument labsolu que je mesaisindubitablementtre.Quilssoientprivsdefentres,etla pluralitdesabsolusseraituneexigencescientifique,unfait prsomptif,maisnonunevidenceapodictique.Laphnomnologie transcendantale,pourpeuquellecontinueserefusertoutemta-physiquedogmatique,seretrouveraitalorsdchireentrelesdeux exigencessurlesquelleselleassoitsesprtentionstreunephilo-sophie premire. Ou bien, absolue, elle se refuse lintersubjectivit et lemondeobjectif ;oubien,intersubjective,elleserefusela fondation absolue. Elle serait alors dans une perptuelle tension entre unegologieprivedevracitdivineetunemonadologieprivede monade des monades. Toutefois,sicertainsontpuvoirdansleproblmedelinter-subjectivitlafindelaphnomnologietranscendantale,telnesera pasnotrepropos :ceseraitluneprtentionquinonseulement excderaitnosmoyens,maisquiserait,enoutre,contrairenotre propre conviction. Celle-ci consiste plutt voir dans le problme de lintersubjectivitlasourceduneremiseenquestionetdunrenou-vellementconstantdelaphnomnologieelle-mme.Sileproblme delintersubjectivitsetrouvesurlecheminquiconduitla 1 P. Ricur, lcole de la phnomnologie, Paris, Vrin, 2004 (1986), p. 197. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 5phnomnologietranscendantale,nousauronsloccasionderemar-querquececheminnestniuniquenidfinitif.Cestbienpluttle dynamisme de la phnomnologie, la crativit de son pre fondateur que nous aurons loccasion de constater. Cettevolution,quenoustudieronstraversquelquesgrands texteshusserliens,nousintresseraparticulirementdanssontroite affinitaveclvolutiondelathoriedelarductionphnomno-logique.Eneffet,commelindiquedjFranoiseDasturdanssa remarquable tude sur Rduction et intersubjectivit 1, le problme delintersubjectivitcommencehanterHusserldefaondeplusen pluscritiquedslpoqueoildcouvrelarductionphnomno-logique2.Aussi,crit-elle, laproblmatiquedelarductionetcelle delintersubjectivit,loindtreinconciliables,formentaucontraire uneseuleetmmeproblmatique 3.Celle-ci,fait-elleparailleurs voir, est sans cesse vivante, se refusant systmatiquement se laisser fixerdansunethoriequisoitdfinitivementsatisfaisante.Cequi nousporteconsidrerlaproblmatiquedelintersubjectivit,tout autant que celle de la rduction, comme tant en constante volution, et cette volution comme motive par le jeu mme de leurs mutuelles influences. Pour le dire encore en prvision, une rduction gologique conduitlintersubjectivitsousuncertainangle,quidiffre ncessairementdeceluiauquelmneunerductionintersubjective. Chacune de ces rductions conduit la phnomnologie transcendan-taleparunparcoursquiluiestpropreetdontlaspcificitdoit rejaillirsontoursurlasignificationdelaphnomnologieainsi atteinte.Aussi :lescheminsdelaphnomnologiesont-ilsles cheminsdelintersubjectivit.Rductionetintersubjectivitontun 1F.Dastur, Rductionetintersubjectivit ,dansHusserl,collectifsousla direction d. Escoubas et M. Richir, Grenoble, Millon, 1989, p. 43-64. 2Certainstravauxrcentsontmontrqueleproblmedelintersubjectivitse posait dj lpoque des Recherches logiques. Voir en particulier B. Bouckaert, LeproblmedelaltritdanslesRechercheslogiquesdeEdmundHusserl , dansRevuephilosophiquedeLouvain,99/4,nov.2001,p.630-651 ;etB. Bouckaert,Lidedelautre :Laquestiondelidalitetdelaltritchez Husserldes LogischeUntersuschungen aux IdeenI ,Kluwer,Dordrecht, 2003 (Phaenomenologica, 168).3 F. Dastur, art. cit., p. 61. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 6 destinli,quenoustenteronsdeparcourirdanssesdiffrentes configurations.Afindenousgarantirunaccscelles-ci,nouspartironsdela tripartitionquenproposeIsoKerndanslarticle,siclairant,quil consacreaux Troisvoiesdelarductionphnomnologique transcendantaledanslaphilosophiedeEdmundHusserl 1.IsoKern, quiestparailleurslditeurdestroisvolumesdesHusserliana :Zur PhnomenologiederIntersubjektivitt,reliedunefaonchaquefois pntrante la problmatique de la rduction phnomnologique celle delintersubjectivit,confirmantencelalesproposdeFranoise Dastur. Rduction gologique et rduction intersubjective trouveront se mettre en uvre travers ces trois voies : la premire dans la voie cartsienne ,etlasecondedanslesdeuxvoiesdites noncart-siennes ,quIsoKernidentifiela voieparlapsychologieinten-tionnelle et la voie de lontologie . Nous nous inspirerons aussi fortement,bienquedefaontrslibre,destravauxrassemblsdans Transcendance et incarnation2 par Natalie Depraz, qui mobilise quant elledjlarticledIsoKern,dontellesigneparailleursla traduction. Ces trois voies de la rduction phnomnologique nous serviront decadreconstantdanslequelnousespronspouvoirdployerune rflexionaussipersonnellequepossible.Leurplurivalencenous paratradynamiseparlatensionentrelesdeuxexigences,peut-tre antagonistes,dabsoluitetduniversalitintersubjective.Cesdeux exigences de la phnomnologie transcendantale trouveront sexpri-mer de faon diffrente selon les voies empruntes. Tandis que la voie cartsienneinsisterasurlancessitdunefondationabsoluedela phnomnologie,lesvoiesnoncartsiennesserendrontdavantage attentiveslintersubjectivitgagner.Exigeantuncommencement absolu,lapremirerencontrelintersubjectivittitredeproblme constitutifpostrieurlgologietranscendantale.Lessecondesau contraire,commenantdabordnavementparprendreactede 1I.Kern, Lestroisvoiesdelarductionphnomnologiquetranscendantale dans la philosophie de Edmund Husserl , dans Alter, n11, 2003, p. 285-323.2 N. Depraz, Transcendance et incarnation. Le statut de lintersubjectivit comme altrit soi chez Husserl, Paris, Vrin, 1995. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 7luniversalitdelintersubjectivittranscendantale,rencontreront lgologiequantlafondationdeleursacquistranscendantaux.Ce quenouspouvonsencorediredelamaniresuivante :larduction gologiqueestrductionlasphredeltretranscendantalabsolu, tandis que les rductions intersubjectives seront rductions la sphre de ltre transcendantal universel ; condition toutefois dajouter qu aucunmoment,nidanslavoiecartsiennenidanslesvoiesnon cartsiennes,Husserlnerenonceragagner,ensonsensleplus propre, une intersubjectivit absolue.Nousessayeronsdoncdedonnerunaperudecestroisvoies, galementpraticablesendirectiondunephnomnologietranscen-dantale,enlesparcourantchacuneleurtour.Leproblmede lintersubjectivitsyformulerachaquefoisdansuncontexte particulier,etenmobilisantdesressourcespropresquinousferont voir ltonnante profusion de la phnomnologie husserlienne. I. LA REDUCTION EGOLOGIQUE (MEDITATIONS CARTESIENNES) Noustenteronsdanscepremierchapitredecernerlaspcificit ducheminempruntparlesMditationscartsiennes,sachantque dautrescheminsgalementparcourusparHusserloffrirontdes optionssensiblementdiffrentesauproblmedelintersubjectivit. Lapproche explicitement cartsienne de 1929-30, qui tait dj celle, reconnue, des Ides I, parat se distinguer par sa confrontation directe auproblmemajeurdelaphnomnologietranscendantale :lexis-tencedumondeobjectif.LoptionchoisieparlesMditationscart-siennes sera de traquer inlassablement le point le plus critique dans la mise en uvre de la phnomnologie comme science authentiquement universelle.Un premier moment consistera ds lors identifier le problme, le nommer et indiquer en quel endroit il devra recevoir un traitement adquat. Ce problme, inhrent la rduction de type gologique, sera reconnucommetantceluidu solipsisme ,dontlarsolutionest reportelacinquimeetdernireMditationsurlintersubjectivit transcendantale.MaissiHusserlparvientainsi,certesnonfonder, JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 8 maisarc-bouterldificephnomnologiquedansunethoriede lintersubjectivit,ladisproportiondelacinquimeMditationpar rapportauxprcdentessuffitassezmontrerlesimmensesdiffi-cultsquicommencentservler,dunpointdevuenonplus gnral mais spcial, au pre de la phnomnologie.Undeuximemomentconsisteradslorstraquer,lintrieur de cette cinquime Mditation, le point prcis qui subit la pression la plusforte.Dansuneffortinlassabledecloisonnement,aumoyen dunenouvellerductionla sphredupropre ,Husserlvatout mettreenuvrepouridentifier,lintrieurdesathoriede lintersubjectivit,lesdifficultsconstitutivesdelexpriencede lautre.Quecesdifficultsytrouventunersolutiondfinitiveou suffisante,laquestiondemeureraouvertepournous.Ilnoussuffira dans ce premier chapitre de nous rendre ces difficults prsentes et de mesurerdansquellemesureellespeuventtreimputeslavoie quont dlibrment emprunte les Mditations cartsiennes. 1. La position du problme La porte dentre des Mditations cartsiennes est la qute dune premirevidenceapodictiquepourfonderlensembledelascience universelledontlaphnomnologiedoitressusciterlide.Siune science veut dpasser la navet, elle doit pouvoir puiser son autorit unevidenceapodictique,dontlobjetnestpasseulementunobjet dont lexistence est certaine, mais aussi un objet dont linexistence est inconcevable. Selon une critique que les Ides I mnent de faon plus systmatique,Husserlrefusenotrecroyanceenlexistencedu monde,issuedenotreexpriencetranscendante,unetelleapodicti-cit :ilsepourraiteneffetquelemondenesoitquun rve cohrent . Le phnomnologue dbutant est donc conduit pratiquer une poch, qui touche non seulement le monde dans sa valeur dtre, demmequelensembledessciencesquitiennentdecelle-cileur propre validit, mais aussi, et du mme coup, tous les autres sujets que lui-mme : Celaconcernegalement,criteneffetHusserl, lexistenceintramondainedetouslesautresje[].Lesautres hommesetlesanimauxnesont,eneffet,pourmoi,quedesdonnes LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 9delexprience,envertudelexpriencesensiblequejaideleurs corpsphysiques(krperlichenLeiber) ;or,puisquelleestmiseen question,jenesuispasfondutiliserlavaliditdecette exprience1. Lexistencedautruiestdonc,surlecheminenqute duncommencementabsolu,immdiatement carte, en mme temps quelexistencedumondeengnral,detouteprtention lapodicticit.Aucuneexprienceaussiindubitablequelecogitone permetdeprendreautruipourpointdedpartdelaphilosophie,ni doncdelexempterdelarductiondontjedoisaffecterlemonde. AutruinapparattoutdaborddanslesMditationscartsiennesque comme un cas particulier de donne de lexprience mondaine ; il est doncemportcetitreparluniverselle modificationdevaleur (Geltungsmodifikation)quelephnomnologuefaitpesersurle monde en gnral. Le phnomnologue est donc ramen lunique existence dont il disposedansunevidenceapodictique :son propre ego. Le caractre solipsisteducommencementdelasciencephnomnologiqueest assumdsledbut,enmmetempsquestaffirmelancessitde retrouver,partirdeceseulcommencement,lensembledeceque lpochnousafaitperdre : Legoainsirduitpratiquealorsune philosophiedetypesolipsiste.Ilcherchedesvoiesapodictiquement certaines grce auxquelles il peut accder, dans son intriorit pure, uneextrioritobjective2. Laconsignedelaphnomnologiesera ds lors de parcourir, lintrieur de lpoch, lensemble du domaine delexpriencetranscendantale3.Aumoyendelarflexion,legode celuiquiphilosophepeutsetournerverssespropresvcus,les saisir 1MC,p.60-61/58.Nousrenverronsdefaonsystmatiqueparlespremiers chiffres la traduction franaise (Mditations cartsiennes et Les confrences de Paris, trad. M. De Launay, Paris, PUF, 1994, abrg MC) ; et par les seconds la paginationdutexteallemanddansHuaI,CartesianischeMeditationenund Pariser Vortrge, d. par S. Strasser, La Haye, M. Nijhoff, 1950.2 MC, p. 45-46/45. 3IlestimportantdenoterqueHusserlprsenteceparcoursdudomainede lexpriencetranscendantalecommeunpremiermouvementdexploration,qui devra tre suivi dune critique de lapodicticit. Or, cette critique, Husserl recon-natra dans les mots de conclusion (p. 203/177) que les Mditations cartsiennes ne sy sont pas encore livres. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 10 dansleurcorrlationnotico-nomatique,demmequedansleur coulementtemporel.Detellesortequelaphnomnologiese prsenteracommeunereconqutedumondeobjectifpartiret lintrieur de la subjectivit constituante, qui prend la forme, selon les termesdelarductionopre,dunegologiepure : Cestun idalisme qui nest rien dautre que, mene de manire cohrente sous laformedunesciencegologiquesystmatique,lauto-explicitation demonegocommesujetdetouteconnaissancepossible,dansla perspectivedechaquesensdeltantquidoitprcismentpouvoir avoir du sens pour moi, lego1. Son principal travail devra porter sur la transcendance du monde en gnral.Maiscestalors,auseuildelacinquimeMditation,que lapparenteconfianceensoiduphnomnologueseretourneen inquitude,uneinquitudequinetouchepasentoutpremierlieu seulement autrui, mais de faon plus grave la prtention mme de la phnomnologie transcendantale dtre dj une philosophie transcen-dantale, et donc de pouvoir rsoudre sous la forme dune thorie et duneproblmatiqueconstitutivesedployantdanslecadredelego transcendentalement rduit les problmes transcendantaux touchant lemondeobjectif 2.Ladifficultestlasuivante :commentune gologiestricte,prtentiondephilosophieuniverselle,parvient-elle rendre compte de la totalit de ce que la rduction mon propre ego nous a fait perdre ? Plus prcisment, comment parvient-elle rendre compte du monde en tant quil est, dune part, monde objectif, cest--dire en tant quil doit demeurer un monde identique pour une pluralit desujets,et,dautrepart,unmondedelacultureetnonunesimple natureobjective ?Nousrapportionsplushautleconstatsiremar-quablequeproposeRicur,selonlequel leproblmedautruijoue lemmerleque,chezDescartes,lavracitdivineentantquelle fondetoutevritettouteralitquidpasselasimplerflexiondu sujet sur lui-mme 3. La ncessit pour Husserl de dvoiler , selon le titre de la cinquime Mditation, la sphre dtre transcendantale commeintersubjectivitmonadologique proviendraitenfinde 1 MC, p. 134/118. 2 MC, p. 137/121. 3 P. Ricur, op. cit., p. 197. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 11comptedunedifficultinhrentelgologietranscendantaledans sonensemble,avantquedtreunproblmespcifiqueausujet dautrui. Correctementcompris,ledangerquipsesurlensemblede lgologie phnomnologique se voit ds lors condens dans la brutale objectiondusolipsisme,sasolutiontantindiqueductdune intersubjectivitmonadologique.Toutefois,silaphnomnologiene veutpas tre ramene une mtaphysique inavoue qui reprendrait secrtementcertainslmentsdunetraditionleibnizienne ,ellene pourrasenremettrequsespropresressources,cest--dire, essentiellement,uneconsciencegologiqueetsonintentionnalit constituante.Surcetteseulebase,laphnomnologiedevrarendre explicite la faon dont le sens dalter ego se constitue en moi, et dont il se justifie comme existant, sil est vrai que les autres ego ne sont pas desimplesreprsentationsnidesimplesobjetsreprsentsenmoi [],maisprcismentdesautres 1.Autrementdit,elledevrafaire apparatreparquelmoyenmoi,egotranscendantal,jeconstitue dautresego,maisdetellesortequilsnesoientpasapprhends comme de simples objets constitus par mon ego transcendantal, mais aussicommesujetssauto-constituantdefaonabsolue,etse rapportantintentionnellementaumondeainsiqudautressujets,et donc a fortiori moi-mme, pour nous constituer. Un autre absolu, et mmeuneinfinitdautresabsolusdoiventtreconquispartirde moi-mme. Mais labsolu, premier en soi, cest moi, les autres devant donc tre constitus par moi, et pourtant comme absolus.CestalorsqueHusserl,afindecernerauplusprslepoint problmatiquedecequilnommel expriencetrangre (Fremd-erfahrung),vaproposerderadicaliserlgologieenjeudansles Mditations cartsiennes, en invitant au 44 pratiquer une seconde rductionlintrieurdelarductionphnomnologique,appele rvlerlegodanslasphredesontrepropre(Eigenheitssphre). lintrieur de la sphre transcendantale universelle de lego, il pratique uneabstractiondetouteslesfonctionsconstitutivesquirenvoient dautressujets,cequiconcernedabordlesintentionnalitsimm-diatesquiserapportentdeshommesoudesanimaux,mais 1 MC, p. 137-138/121. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 12 galementlesintentionnalitsquisyrapportentdefaonmdiateen visantdesobjetsculturels,lesquelsprsupposentpourleurconstitu-tion dautres sujets. La rduction lEigenheitssphre radicalise donc linsularitdelegoquirsultaitdjdelarductiongologique : tandis que cette premire rduction avait dj neutralis la validit de ltredautrui,voicieneffetquelaseconderductionvient oprer, lintrieur mme du phnomne neutralis monde , une abstraction dusensalterego,dunome autrui .Lasphreprimordialese constitue ds lors, en premire analyse, du faisceau cohrent de toutes lesintentionnalitsquivisentdunon-tranger :cestunecouche cohrentequisedcoupeabstractivementduphnomnedumonde, que Husserl nomme nature propre (eigenheitliche Natur). De plus, mon propre corps (Leib) y bnficie dune position toute particulire. Eneffet,parmitouslescorpsphysiques(Krper)quicomposentma nature propre, mon propre corps est le seul qui se donne moi sur un mode original comme corps (Leib) quhabite un sujet, moi-mme, qui endisposedunefaonlibreetimmdiate.Cestparcetteauto-comprhensiondelegodanscequiladepluspropresanature propreet,ensoncentre,sonpropreLeibquilprend,pourainsi dire,phnomnologiquementactedecequildevraprcisment reconnatreenautrui,pourleconstituercommealterego.Cest partirdecettereconnaissanceultimedemonegomonadiqueparla rductionlEigenheitssphre,quiestenmmetempsunecoupure radicale vis--vis de tout ce qui mest tranger, que devra tre saisie la spcificit,voireleparadoxedelintentionnalitvisantlesautres : Danscetteintentionnalitsingulireseconstitueunnouveausens dtrequitransgresseltrepropre(Selbsteigenheit)demonego monadique, et il se constitue un ego non comme je-mme, mais en tant quil se reflte dans mon je propre, dans ma monade1. Afin dassurer un sol plus ferme au traitement de lexprience de lautreetdenesquisserplusprcismentlesenjeux,Husserlva sattarderunecaractrisationpositiveplusminutieusedelasphre dupropre.Unefoisrcuprs,au46,ductnotique,linfinit 1 MC, p. 143/125. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 13ouvertedufluxdelaconscience1etau47,ductnomatique, lobjetintentionnelcommefaisantpartiede ltre pleinement concret de lappartenance (Eigenheitlichkeit), Husserl peut tablir, au 48, la distinctionfondamentaleentrelatranscendancedumondeobjectifet latranscendanceprimordiale : Lefaitdelexpriencedeltranger (lenon-je)seprsentecommelexpriencedunmondeobjectif incluant dautres non-je sous la forme dautres je ; et ce fut un rsultat importantdelarductionlappartenancedecesexpriencesquede dgagerunestrateintentionnelleprofondedanslaquelleservleun monde rduit en tant que transcendance immanente. Dans lordre de la constitutiondunmondetrangerauje,dunmondeextrieurmon jeconcrtementpropre,cestensoilapremiretranscendance,la transcendance (ou monde) primordiale2. On pourrait se demander si cettedistinctionnetendpas,avanttout,rendreplussensibleque jamaislesolipsismequimenacelgologietranscendantale,mais aussi,dummegeste,lecloisonnerdanslappartenance,etdonc en rduire la pertinence pour le seul monde primordial. En effet, si le mondeprimordialestlersultatdecettedcoupeabstractiveopre surlemondeobjectifparlarductiondelexpriencedelautre,il apparatcommesimplephnomnedemonde,danslequeljesuis justement solus ipse, et o le monde est une simple formation de mes synthsesconstitutives.Laquestiondevientdslors :comment dpasserlemondeprimordialpourregagnerlemondeobjectif ? Commentlexpriencedelautreparvient-elletransgresserma sphredappartenance ?Commentdpasserlesolipsisme ? Ilfaut doncmaintenantfairecomprendrelamaniredontalieu,auniveau 1Nousnetiendronspascompte,dansleprsentchapitre,desdifficultsque suscitelexpriencetranscendantaleauniveaudemonproprecourantde conscience. tant donn toutefois que nous entendrons par la suite la critique que Husserladresseralui-mmelavoiecartsienne,critiquequiporteranon seulementsurlesolipsisme,maisencoresurlalimitationdelexprience transcendantale la seule perception phnomnologique absolue, il peut tre utile denuancercettedernireproposition.Eneffet,lefluxdeconsciencenesaurait vritablementrpondre au critre de lapodicticit que dans sa forme structurale. Lecontenudupassetdufuturdemonfluxestquantluilaissaubanc.Cf. MC, p. 72-73/67, 151-153/133.2 MC, p. 154-155/136. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 14 suprieuretfond,ladonationdesensdelatranscendanceobjective proprementdite,secondeselonlordredelaconstitution ;et,ce,en tant quexprience1. Surlabasedeladistinctionentresphredappartenanceet monde objectif, et avant de se confronter cette ultime difficult que reprsente lexprience de lautre qui sdimente en dfinitive toute la problmatiquedelatransgressiondelasphredupropredansun obligatoirerespectdesrglesfixesparlgologietranscendantale, Husserlsedonneunedernirefoisletempsdeprciser,dunefaon plusaffermiegrceauxacquisdecespremiresconsidrations,la figurequedevraprendrelensembledudomainetranscendantalpour pouvoirconstituerquelquechosecommeunmondeobjectif.Cette dernire esquissepralable du49contientnonseulementde prcieusesindicationssurlasignificationduneintersubjectivit monadologique,maisparlmme,ellepourraitaussiservler dterminantequantladirectionqueprendralexpriencedelautre quelques pages plus loin.Laconstitutiondumondeobjectifenappelle,commenous lavonsvu,unepluralitdesujetsentantquepluralitdabsolus. Cest cette pluralit, que nous ne possdons pas encore, quil sagit dornavantdedonnerunvisage,unvisagecommunautaire : Ilest dans lessence de cette constitution partir des autres purs (qui nont pasencoredesensmondain)quelesautrespourmoinedemeurent pasisols,maisquaucontraireseconstitue(dansmasphrepropre naturellement)unecommunautdejequiminclutentantque communaut de je qui sont les uns pour et avec les autres, finalement unecommunautdemonadestellequelleconstitueunseuletmme monde (par son intentionnalit constituante communautaire)2. Selon sesexigencespremires,laphnomnologiedoitsentenirla subjectivit transcendantale. Elle ne peut donc lgitimement atteindre latranscendancedumondeobjectifpourautantquellelatteigne quaumoyendelatranscendanceimmanentedelasubjectivit constituante.Sasolutionconsistedslorslargirlesensdela subjectivittranscendantale,quidgologiquesefaitintersubjective, 1 Ibid. 2 MC, p. 156/137. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 15afindersorberlatranscendancedumondeobjectifdansunesphre dappartenance intersubjective.Cequiimporteparticulirementpournous,cestlesexigences quune telle solution implique pour la communaut intersubjective des monades : Lemondeobjectifcommeide,commecorrlatidal duneexprienceintersubjectivequiseffectueetquiesteffectuer idalementdemanireconstammentconcordanteuneexprience intersubjectivementmiseencommun,cemondeest,selon lessence,rapportlintersubjectivit,elle-mmeconstituedans lidalit dune ouverture sans fin, dont les sujets singuliers sont dots desystmesconstitutifscorrespondantsetconcordantslesunsavec les autres. Par consquent, la constitution du monde objectif implique essentiellementuneharmoniedesmonades,prcismentcette constitutionharmoniquesinguliredanslesmonadessingulires,et doncaussiunegensequisedrouleharmonieusementdansles monadessingulires1. Ilressortdecelongextraitquelemonde objectif, en tant que corrlat dune exprience idalement, cest--dire infiniment,concordante,nepeutsecontenterdelinfinittemporelle du flux dune conscience gologique, mais doit en outre ouvrir une infinitintersubjective.Cequiexigequelesmonadesparticulires possdent des systmes constitutifs correspondants et concordants , que rgne entre elles une harmonie . Ce dernier concept leibnizien, dans sa rappropriation par la phnomnologie, devra ncessairement puiser sa lgitimit mme lexprience phnomnologique, et donc, defaonplusprcise,mmelathorietranscendantalede lexpriencedelautre.Cequirclame,commeHusserllereconnat dans dautres textes, que la phnomnologie transcendantale corrige la monadologie leibnizienne sur un point bien prcis : Chaque moi est unemonade.Maislesmonadesontdesfentres.[]Lesfentres sontlesintropathies2. Aussi,lathorietranscendantaledelexp-riencedelautreest-elleunethoriedecesfentres,unethorie transcendantale de lintropathie. 1 MC, p. 156-157/138. 2 Hua XIII, Zur Phnomenologie der Intersubjektivitt 1920-1928, Beilage XXX (autour de 1921), p. 233 ; cit et traduit par N. Depraz, op. cit., p. 323-324. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 16 Par ailleurs, cette ide de concordance exige que lexprience de lautrerendecompteduneharmonieentrelesmonadespeuprs semblablecellequirgneentremonegoprsentetmonegopass oufutur,silestvraiquelemondeobjectifestlecorrlatde lexprienceintersubjectiveidalementconcordante.Maiscevaste dificequiprsenteunecontinuitetuneharmonieapparente,les Mditations cartsiennes le font ultimement reposer, de par son mode decheminement,surunefracturequiparatinfranchissable :une fracture, pourrait-on dire, qui spare non pas tant la monade singulire delacommunautuniverselledesmonades,maisleproprede ltranger, non pas tant la subjectivit de lintersubjectivit, mais lego de lalter ego. Cest dans ce contexte que Husserl se voit contraint de proposer une formulation de lexprience de lautre. 2. Lexprience analogique dautrui DanslesMditationscartsiennes,Husserlfaitsecristalliseren quelquesortelensembledeladifficultquesoulvelexpriencede lautreengnral,deltranger,dumondeobjectifsortiedela sphrepropre,sortiedunsolipsismedlibrmentaccentu,sur lexprience particulire de lautre comme exprience de ltranger absolumentpremier(lepremiernon-je) ,savoir lautre-je 1. Commentuneexprienceinsigne, premiretapeverslautre 2, parvient-elle,sinonrsoudre,dumoinsincarnertoutdabordle problme ?Lexprience,nousditHusserl,estune conscienceenori-ginal (Originalbewutsein).Cettecaractrisation,quisinscritdans lathoriehusserliennedelvidence,nousrappellequelexprience nestpasseulementlavideintentiondunechoseouduntatde chose,maisparfaitgalementcetteintentionenpermettantson remplissement(Erfllung).Lobjetestalors,selonlesmotsde Husserl,donnlaconscience enoriginal ,prsent enper-sonne ,immdiatementintuitionn.Quellesdifficultssuscite lexprience de lautre ? Nous disons bien, lorsque nous percevons un 1 MC, p. 156/137. 2 MC, p. 157/138. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 17autrehomme,quecelui-ciestprsentenpersonne.Pourtant,le phnomnologue ne peut accorder rigoureusement quune part limite devritaulangagecommun :nestdonn,ausensstrict,dansune vritableprsentation(Gegenwrtigung),quelecorpsphysique (Krper)delautre,etnonjustementlesvcusetlecourantde conscience,cest--direlautrequihabitececorpsetquinepeut jamaistreobjetduneperception(Wahrnehmung)transcendanteni immanente.Ilneseprsentedansmasphreoriginalequelesobjets physiques de ma nature primordiale parmi lesquels seul mon corps est Leib, tous les autres tant des Krper , et jamais dautres sujets, dautrescorpsdotsduneme,etc.Silentaitautrement,siles vcus dautrui mtaient donns dans une perception immdiate, et si soncorpsmtaitdonndansuneintentiondirectementremplie commeLeib,autruineseraitpasunalterego,unfluxdeconscience spardumien,etsoncorpsneseraitpaslecentredunesphre propre autre que la mienne ; autrui serait plutt moi-mme, ses vcus seraientmoi,soncorpsseraitlemien.Ladifficultdelasaisie dautruiestdoncavanttoutinhrentelavritablealtrit laquelle elledoitnousfournirlaccs.Pourdpasserlesolipsisme,le phnomnologuedoitparvenirrendrecompte,danslunitdune exprience,dunedmultiplicationdelasubjectivitgologique,qui nousouvre,plusquunesimpleschizophrniedelego,une vritable intersubjectivit transcendantale, tout en continuant pourtant dassumersonpointdedpartdanslego,sujetdetouteexprience possible.Lexpriencedautruisembledoncoffrirunespcificitquila distingueradicalementdetouteexpriencedechose :ellenepeutse satisfaire, pour saisir lalter ego comme ego, de la seule prsentation, dansmanatureprimordiale,desoncorps.Husserlnouscontraint plutt concevoir, sur la base de celle-ci, une certaine mdiatet de lintentionnalit partant de la strate sous-jacente du monde primordial qui est en tout cas toujours fondamentale, et qui reprsente un l-avec (Mit da) qui pourtant nest pas lui-mme l, et ne peut jamais devenir unlui-mme-l(Selbst-da).Ilsagitdoncdunesortedecoprsen-tation(Mitgegenwrtig-machens),dunesortedapprsentation JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 18 (Apprsentation)1. Pourtant,cetermedapprsentationnestpas encoresuffisantpourcernerlaspcificitdelexpriencedelautre. Cest quen effet, nous dit Husserl, une telle apprsentation est dj luvredanstouteexpriencedechosequiconstituemanature primordiale :nemeststrictementdonneenpersonnequelaface peruedelachosedanslaconscienceactuellequejenai,detelle sortequilestncessairedapprsenter,pourenavoirconscience commedunevritablechose,etnoncommedunsimpleprofil,les autresfacesquinesontpasactuellementperues,etdontlinfinit constitueuneideausenskantien.Or,cesautresfacessonttoujours apprsentescommedesfacespotentiellementperceptibles,dontune prsentationoriginaleesttoujourspossible ;cequi,essentiellement, estimpossibledanslexpriencedelautre,quinepeutjamaisse confirmerdansuneprsentation.Lexpriencedelautrenousplace doncdanslasituationinconfortablededevoirpenser,enliaisonla prsentationdesoncorps,uneprsentification(Vergegenwrtigung) dusensegodelalterego,quinepeutjamaistreobjetdune prsentation,niactuellementnipotentiellement.Quelquencessaire que cet enchevtrement (Verflechtung) paraisse pour la saisie dautrui danslunitduneexprience,ilsoulveimmdiatementdeux questions :enamontconcernantlamotivationdunetelleapprsen-tation, et en aval concernant sa confirmation. Laquestiondelamotivationseformuleainsi : Comment lapprsentationdunesphreoriginaleautreet,parl,lesensautre peuvent-ilstremotivsdanslamienneentantquexprience []2 ? Ellenousamneladterminationdelasaisiedautruien termes danalogie. Lanalogie en appelle normalement deux termes. Lepremierquenouspossdonsestlegorduitabstractivementsa sphre propre, dans laquelle il est seul et unique Leib. Le second est le Krper de lautre, seule et unique trace perceptible que je possde de lautrelintrieurdemasphrepropre.Pourquelanalogiepuisse fonctionner, il est donc ncessaire de ddoubler tout dabord (toujours lintrieurdemasphrepropre)lundecesdeuxtermes,afin de le rendreconformelautre :cequiadvientparcequeHusserlappelle 1 MC, p. 158/139. 2 Ibid. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 19une auto-aperceptionobjectivante (verweltlichendeSelbstapper-zeption),quimefaitapercevoirmonLeibcommetantaussiun Krperdumonde.Lanalogie,allantdeKrperKrper,devient alorslemotifdunddoublementnonplusdemoncorps,maisdu corpsdelautre :cequiadvientparcequeHusserlappelleun transfertaperceptif (apperzeptivebertragung),quiconfreau Krperperul-basdansmasphreproprelesensdeLeibtranger. Puisque, dans cette nature et ce monde [primordiaux], crit Husserl, mon Leib est lunique Krper qui est originairement constitu comme un Leib (organe qui fonctionne), ce Krper, l-bas, qui est nanmoins saisientantqueLeibdoittirercesensduntransfertaperceptifissu demonLeib,etcelademanireexclureunejustificationeffective-ment directe, donc primordiale, des prdicats de la Leiblichkeit propre, une justification par perception vritable1. Les quatre termes mis en jeu dans le transfert analogique devront videmment tre ramens la dualit :demmequemonLeibetmonKrpersontduneseuleet mmepice,leKrperperul-basetleLeibtrangerquejy apprsenterenvoientuneseuleetmmeralit ;cettedouble identificationestuneconditionncessairelaconstitutiondune natureobjectivecommune.Toutefois,silapremirenesoulve aucune difficult apparente, la seconde apparat en revanche de faon beaucoup plus problmatique.LaquadripolaritdelastructureanalogiqueLeibpropre/ Krperici/Krperl-bas /Leibtrangermeteneffetenjeuune triplesparation.Lesdeuxpremirespratiquentunpartagegaldes quatre termes : une ligne de dmarcation spatiale ici et l-bas , etuncritredelacorporit leiblich et krperlich .Mais lapparentesymtriedecettecompartimentationneparvientpas rduireladissymtrie,etmmelevritableabmecreusentrele propre et l tranger : de mme que mon Leib et mon Krper, le Krper peru l-bas appartient encore ma sphre propre, tandis que leLeibtrangerrelvedunesphreradicalementautre,abstraiteet renduemthodiquementinaccessiblepartirdemasphrepropre. Cetteinaccessibilitdirecte,queHusserlutilisebondroitcomme argumentenfaveurdelaltritdautrui,desonirrductibilitmon 1 MC, p. 159-160/140. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 20 appartenance,nemet-ellepasdummecoupendanger,deparsa radicalit,lapossibilitdejamaisramenerlesquatretermesdeux, cest--diredepouvoirjamaisidentifiersynthtiquementleKrper peru l-bas avec le Leib tranger apprsent ? NotrequestionseprciseaveccequeHusserlnomme l appariement (Paarung). Celui-ci est une structure particulire de la synthse dassociation, quil distingue expressment de la synthse didentification.Lasynthsedidentification,explicitedsla deuximeMditation,estcetteunificationsynthtique,scoulant passivementdansletemps,dunemultiplicitdecontenusde conscience,dorsultelaconscienceunitairedunobjetidentique. Contrairementcelle-ci,lasynthsepassivedassociation,qui rassemblegalementplusieurscontenusdanslunitdunecon-science,enprserveleurdistinction.Danslassociationappariante, nousditHusserl,lesdeuxcontenus sontdonnsdanslunitdune conscienceselonunedistinctionintuitive,surlefondementde laquelleilsfondentphnomnologiquement,entantquapparitions distinctes,uneunitderessemblance,etsontdoncprcisment toujoursconstituscommecouple 1.Lappariementprservedonc bienlaltritdelalterego.Sonuvreestlapprsentationdusens egooriginairementconstituenmoi :elleconsisteenunrecouvre-ment (Deckung), dont la ralisation saccomplit comme transfert de sensentrelesdataapparis,cest--direlaperceptiondelun conformmentausensdelautre 2.Parcetteassociationappariante, leKrperperu l-bas peut tre aperu la fois comme autre ego, et egoautrequemoi :ilestvisdanslesensdunalterego.Maisle vocabulaire de la paire, pas plus que celui de lanalogie, ne permet de recouvrir,enfait,lirrductiblegouffrequispareleproprede ltranger,legodelalterego.Deuxlmentsnouspermettentde prciser celui-ci.Dunepart,lappariementncessiteune archi-institution (Urstiftung).Lesensego,etdonclesensLeibsontncessairement constitus dans une archi-institution partir de mon ego, de mon Leib propre.Celle-cifaitapparatrelavritabledissymtriedelastructure 1 MC, p. 161-162/142. 2 MC, p. 162/142. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 21analogiqueoudappariement :letransfertdusensegoseffectue toujours sens unique de moi-mme autrui. Si une telle orientation dans lordre de la constitution est conforme une gologie pure, nous aurons loccasion de nous interroger sur sa conformit lexigence de rciprocitproprelintersubjectivitmonadologique.Seuleeneffet uneexistencerciproquedechaquemonade,commeexistantabsolu-mentpoursoi-mme,peutfournirlemotifdelaconstitutiondun mondeidentiquepourtous,calquesurlepatrondunesynthse didentificationinfinimentconcordantedansluniversalitdemon flux gologique. Dautre part, lassociation appariante est dite receler en elle, et de faonessentielle,unecertaine transgressionintentionnelle (inten-tionalesbergreifen).Eneffet,enpermettantlapprhensiondu Krperl-basaveclesensalterego,lappariementfaitempiterun lmentoriginairementinstitulintrieurdelasphrepropre( savoirlesensmmedego)dansunesphretrangrequilexcde. Dummecoup,legooutrepassesanatureprimordiale,etviseplus quecequiluiestoriginairementdonn.Quelprixdoit-ilpayerpour cettetransgression ?Endroit,silanalogiefourniteffectivementle motif de la vise du sens alter ego, il nest pas certain que cette vise trouvejamais,enfait,sonremplissementmmeuneviveexp-rience. En transgressant sa sphre propre, en transgressant la plnitude concrte de sa monade, il se pourrait au contraire que lego outrepasse sondomainelgitimedevalidationdtre(Seinsgeltung),etque, visantunegotranger,etplusforteraisonunemultiplicitde monades trangres, il pntre dans un champ de significations vides, quiserefusentparprincipeauremplissementetlidentification synthtique.Notrequestionestdslorslasuivante :dansquelle exprienceconcrte,etparquellesynthseconcordante,lesens dalteregoapprsentdanslassociationappariantereoit-iljamais sonremplissementetsateneurontique ?Commenouspouvonsle souponner,Husserlseraunenouvellefoiscontraintderecourirau modledelasynthsedidentification ;maiscelle-cipeut-elle entirement secourir sa concurrente associative ?Ce dernier faisceau de questions nous conduit donc en aval de la saisieanalogisantedautrui,ductdesaconfirmationdans JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 22 lexprienceconcrte.Husserlsedemande : Commentsefait-il, ainsi que nous lenseignent les faits, que le sens transfr reoive une validit dtre comme contenu existant des dterminations psychiques duKrperl-bas,puisquecelles-cinepeuventjamaissemontrer elles-mmesdansledomaineoriginairedelasphreprimordiale1 ? La marge de manuvre est faible, maigre rsidu dun conflit acharn entrelesexigencesdelgologie(sensetexistencecommecorrlats delaconsciencegologique)etlesexigencesdelintersubjectivit et/oudelafacticit(altritetexistencedelalterego) ;permet-elle de rendre compte de lopration ? Concrtement, elle restreint Husserl luniquesolutionquisoffrelui : Encequiconcernelexp-riencedelautre,ilestclairquesapoursuiteremplissanteetconfir-mante(erfllendbewhrenderFortgang)nepeutseffectuerquepar denouvellesapprsentationssedroulantdemaniresynthtiqueet concordante, et par la manire dont celles-ci empruntent leur validit dtrelaconnexiondemotivationsavecdesprsentationspropres (eigenheitlichenPrsentationen)quienfontconstammentpartietout enchangeantsanscesse2. Pourpouvoirjustifiercetemprunt, Husserl va tre contraint damenuiser sans cesse lcart entre associa-tionetidentification,entreoriginaireetnon-originaire,ouencore entreprsentationetprsentification(ouapprsentation)3,dont limpossible rsultat devrait tre lidentit.Lemoyenquilmetenuvrersidedanslaperceptiondu comportement dautrui. Refusant une accessibilit en original autrui, aucunesynthsedidentificationconcordanteetconfirmantenepeut jamaisnousfournirlavalidationexistentielleimmdiatedelalter ego.Plusprcisment,siautruinestpasseulementunKrper,mais aussiunemedanslunitdunLeib,lexistencedecetteentit psychophysiquenepeutnoustreconfirmequeparlaconcordance de sa composante physique, cest--dire perceptible. Aussi faut-il que celle-cifournisseuncertainpontversleversantpsychique,cequi 1 MC, p. 163/143. 2 MC, p. 163/144. 3VergegenwrtigungetApprsentationsonteneffetdessynonymesdansles Mditationscartsiennes,demmequeGegenwrtigungetPrsentation, auxquels ils sopposent. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 23advientparsoncomportementchangeant,maistoujoursconcordant : Celui-ci,nousditHusserl,quipossdeunversantphysiqueindi-quantdefaonapprsentativeleversantpsychique,doitmaintenant apparatretitrederemplissementdanslexprienceoriginaire ;etil envademmedanslechangementcontinuducomportementde phaseenphase1. Oncomprendqueparcemdiateur,parcepont, Husserlaittentdefairepntrerlasynthsedidentificationdansle domaineapprsentparlassociation,detellesortequesygreffela validitdtredenotreexprienceconcordanteduKrperperul-bas. Danscettesortedaccessibilitconfirmabledecequiest originairement inaccessible, crit-il, se fonde le caractre de ltranger existant(seiendenFremden)2. Maisnousvoyonsaussilalimitation de ce fondement : seul l indice corporel peut recevoir entirement lesceaudelexistence,tandisqueltredelapsychapprsente demeureattach,oupluttassocicetindice,quinepeutdslors jamaistreidentificommeunepreuve.Lasphretrangrenepeut recevoirdassiseontologiquedansmasphrepropre,danslorigina-lit de mon exprience concordante, quindirecte, cest--dire, encore, apprsentative et jamais prsentative. Le mode de remplissement de la saisieanalogiquedautruiestdonc dans une perptuelle et ncessaire tensionversladonneoriginaire ;etcestnonmoinsncessairement quil ne peut jamais y accder lui-mme. Lautre difficult que soulevait le gouffre creus dans la structure analogiqueparlasparationdupropreetdeltrangerconcernaitla dissymtriedelarelationego-alterego.Lauto-constitutionduLeib propreyapparaissaiteneffetcommelarchi-institutiontoujours vivantesurlaquellereposaitlensembleduprocessusanalogique. Commentsortir,surlechemindunecommunautrciproquedes monadesetdoncverslaconstitutiondunmondeobjectif,de cette dissymtrie constitutive, tout en respectant notre point de dpart gologique ? Husserl va proposer une judicieuse alternative qui repose surlimaginationetleslibresvariationsquellerendpossibles. CommelenoteRicur,celle-ciaeneffetlericheavantagedese dtacher de mon exprience originaire, cest--dire de mon exprience 1 MC, p. 163-164/144. 2 MC, 164/144. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 24 cloisonne dans le propre et laquelle jessaye sans cesse de ramener autrui,poursetournerplusdirectementversleLeibtrangerafinde lapprhender dans sa proprit1. Par un jeu de limagination sur mes potentialits,jepeuxmettrelecentrespatialdemasphreprimor-diale, lici en lequel trne mon Leib, la place du l-bas o je perois leKrperdautrui.Parcetteintrusionfictivelaplacedelautre, japprhendelensembledelenvironnementauqueljelefaisais dabordappartenirextrieurementdansuneorientationentirement nouvelle ;jeconstituepourainsidireimaginairementunnouveau mondeprimordial,avecsonproprefoyerdeperspective,occupen soncentreparunLeibsurlemodedelicietdanslechampduquel touslesautresKrpersontperuscommel-bas.Detellesorteque lautre non seulement napparaisse pas comme une simple rplique de moi-mmedotedummemondeprimordialquemoi,maisquen outrefassependantlauto-constitutiondemonLeibpropresurle modedelicilaconstitutionimmdiateetabsolueparlautrelui-mme de son propre Leib en un ici qui lui est propre : Lautre est apprsentivementperuentantquejedunmondeprimordialou dunemonadeosoncorpspropreestoriginairementconstituet exprimentsurlemodedeliciabsolu,prcismententantque centrefonctionneldesonrgne2. Nouscomprenonsquunrapport rciproque pourra stablir sur cette base, savoir que tout autant que je constitue autrui dans ma sphre propre sur le mode du l-bas, autrui me constitue partir de son propre centre constitutif galement sur le modedul-bas.Surcechemincommencepoindrelobjectivitdu monde, et tout dabord celle dune nature commune.Pourtant, avant de rcolter les fruits de son labeur, Husserl se fait uneobjectioncinglante,puisquellerintroduit,enfait,dansnotre problme,lesdifficultsduneidentificationduneentitappartenant masphrepropreavecuneentittrangre.Eneffet,Husserlse demande : Maiscommentsefait-ilquejepuisseparlerdumme Krperquiapparat,dansmasphreprimordiale,surlemodedul-bas,et,danslasienne,pourlui,surlemodedelici ?Lesdeux sphresprimordiales,lamiennequi,pourmoicommeegoestla 1 P. Ricur, op. cit., p. 210-211. 2 MC, p. 166/146. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 25sphreoriginale,etlasienne,quipourmoiestapprsente,nesont-ellespas,eneffet,sparesparun abme que je ne peux pas franchir effectivement,carcelasignifieraitquejauraisuneexprience originaire,etnonparapprsentation,delautre1 ? Commenousle voyons,cestleproblmedelasynthsedidentificationquiresurgit sur le terrain de jeu associatif. Ou bien est-ce la synthse dassociation qui est somme de rendre des comptes lidentification : savoir pour sa transgressionintentionnelle ?Leproblmeseposetoutefois sous un angle nouveau, diffrent de celui de la validation existentielle delasphreapprsentepartirdemonexprienceoriginaire(de Krperl-basLeibtranger).Suiteauxacquisdemeslibres variations,cestdornavantsurlidentificationdunmmeKrper, prsent comme l-bas de ma sphre propre, apprsent comme ici de lasphretrangre,queporteladifficult.Ellenengageriende moinsquelaconstitutiondunmondeintersubjectif,dontlepremier objetestlidentitdeceKrper(dautrui)quiappartientdeux sphreslafois.Commeauparavant,Husserlestcontraintdelaisser lepaslassociation,maisenfaisantapparatrepeut-treplus qualorslavritabletensiondelaprsentificationverslaprsenta-tion : Lapprsentationprsupposecommetelle,nouslavonsdj dit,unnoyaudeprsentation.Elleestuneprsentificationliepar associationcettedernire,laperceptionauthentique,maiscest uneprsentificationtellequelleestconfondueaveccetteperception danslafonctionparticuliredelaco-perception(Mitwahrnehmung). En dautres termes, elles sont confondues au point quelles se tiennent danslacommunautdefonctionduneseuleperceptionqui,enelle, tout la fois prsente et apprsente, en mme temps toutefois quelle produit, pour lobjet global, la conscience de sa propre existence ; et Husserldeprciserque nimportequelleperceptionextrieure appartient ce groupe 2. Toutefois, on pourrait opposer ce dernier ajout que dans le cas de la (co-)perception de simples corps physiques, les prsentifications en jeu peuvent chaque fois faire lobjet dune prsentation correspon-dante, de telle sorte que la synthse didentification y recouvrirait (au 1 MC, p. 170/150. 2 MC, p. 171/150. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 26 besoindelacomparaison)lasynthsedassociation.Orcela,comme nous le savons, est impossible dans le cas de lexprience de lautre : leversantapprsentnepeutjamaistreprsent,souspeine didentifierautruimoi-mme.Lasynthsepassivedassociationa bien plutt pour charge de prserver laltrit dautrui contre le risque de lidentification. Mais celle-ci est-elle, la longue, viable en rgime gologique ?Larductionlasphreduproprenenousfait-ellepas pluttvoirquelesensdelalteregononseulementseconstitue partirdunearchi-institutiondontjesuisluniqueterme,maisencore quil ne peut recevoir son remplissement qu la condition de franchir laltritdelassociationparlavalidationdelidentification ?Or,un telfranchissementreviendrait,unefoisdeplus,ramenerlautre moi-mme.Endfinitive,lathorietranscendantaledelexprience delautresembledoncprisedansunealternativeentrelerespectde laltritdautrui,quiserefuseraitunevalidationexistentielle partir de moi-mme, et sa validation existentielle, mais qui ramnerait lalter ego lego absolu. La pluralit dabsolus est associative, mais leurpositionestirrationnelle ;elleestrationnelle,maissersorbe dans lidentification de lego absolu.Danssoncheminementverslaconstitutionintersubjectivedun monde commun, Husserl sera, en fait, contraint de rendre ses droits lasynthsedidentification,etderamenerluvresynthtiqueentre deuxsphrestrangres,aumodlegologique :cestqueneffetje doispouvoir identifierlanatureconstitueparmoiaveclanature constitueparautrui .Detellesortequildoivereconnatreunpeu plus loin : Cette identification synthtique nest pas une nigme plus grande quune autre, donc pas plus que celle qui a lieu dans ma sphre originairepropre,envertudelaquellelunitobjectiveengnral acquiertpourmoisensettreparlebiaisdeprsentifications1. Et cestenfindecomptesurlexempledutempsgologiqueetdes prsentificationsdusouvenirqueHusserlenvientpenserlintro-pathie,aurisquedensacrifierdummecouplaspcificit : De mmequemonpassentantqueremmortranscendemonprsent vivant en tant que sa modification, de mme ltre tranger apprsent 1 MC, 176/155. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 27transcende ltre propre1. Nous aurons loccasion de remarquer que cerapprochemententrecesdeuxtypesdeprsentificationsnestpas fortuitdansluvredeHusserl,etquilappelaitdj,danslecours Philosophiepremire,laqutedunealternativelavoiedite cartsienne.LadifficultquerencontrelacinquimeMditation sortirdusolipsismedelegorduitsolipsismerenforcparune seconderductionlasphredupropreetdoncaussilerisque pourlaphnomnologiededevoirrenoncersonidaldescience universelle,conduironteneffetHusserlreconsidrerlesconditions defonctionnementdelaphnomnologieengnral,commencer parlamiseenuvredelarductionphnomnologique,qui, dgologique, se fera intersubjective. II. LA REDUCTION INTERSUBJECTIVE Lavoiedelgologietranscendantaledveloppedansles Mditations cartsiennes, et qui tait dj celle que systmatisrent les Ides I, conduit, comme nous le voyons, reconnatre la spcificit de lexpriencedeltranger,delalterego,etladifficultpourune gologiephnomnologiquedesedployerenintersubjectivit transcendantale.Husserltaitlui-mmebienloindemconnatreces difficults ;etildemeurenotresenstoujourspossibledeliredans lesMditationslaveudecesdifficults,pluttqueleurrsolution manque. Mais ce qui se rvle particulirement surprenant, cest que Husserldveloppaparalllementunecritiqueexplicitedela voie cartsienne ,etsinterrogeasimultanmentsurlapossibilitde nouveaux chemins pourlaphnomnologie,alorsmmequil entrinaitlavoiecartsienne.Eneffet,en1910-1911,soitquelques annes peine avant la parution des Ides I, Husserl prononce le cours sur les Problmes fondamentaux de la phnomnologie. Cest dans ce coursquiladresseunepremirecritiquela limitation de lvidenceapodictiqueducogito,ettente,parunnouveauparcours rductionnel,desaisirlasphredelexpriencetranscendantaledans soninfinitaussibientemporellequintersubjective.Cestensuite 1 MC, 164/154. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 28 danslecoursPhilosophiePremiret.II :Thoriedelarduction phnomnologiquede1923-1924,soitquelquesannesseulement avant les Mditations cartsiennes, que Husserl reprend et systmatise ses intuitions de 1910-1911, pour nous livrer lexpos le plus dtaill delarductionintersubjective.LaCrisedesscienceseuropennes, enfin,sembletmoignerdansuntextecettefois-cidestinla publicationduneultimereconnaissancedelinsuffisancedela voiecartsienne,etdelancessitdunrecoursdautreschemins, notammentparunequestion-en-retourlaprioriontologiquedu monde de la vie. Ladifficultquenousrencontreronsseratoutefoisqueces nouvellesorientationsdelamthodephnomnologique,sielles saccompagnentbeletbienduneplusgrandeproximitlgardde lintersubjectivit transcendantale, ne permettent pas, en revanche, de rsoudrelaporieparticuliredela thoriedelEinfhlung sur laquelletaitvenuebuterlacinquimeMditation,bienquelles lclairentsousunjournouveau.Enfait,cestdansuncontexte entirementrenouvel,danslequellintersubjectivittranscendantale reoitunesignificationplusriche,pluttquunefondationplus certaine,quecesvoies noncartsiennes reprsententuneavance indniable.Moinsquenopposition,nousconsidronsdoncces nouveauxcheminscommetantcomplmentairesdelavoiecart-sienne1. Dune part, en effet, la rduction intersubjective ne renie pas lgologietranscendantale,maislapprofonditetlaralisedanssa dimension intersubjective. Dautre part, lorientation philosophique de ces voies, partant non plus de lapodicticit du cogito pur, mais de la pleineextensiondelexpriencenaturelle,muesoitparunepremire rflexionsurlepsychismehumain(voiedelapsychologiedans PhilosophiePremire),soitparunerflexionsurlemondedelavie (voiedelontologiedanslaKrisis),tendpluttfairereconnatre, 1 Nous suivons en cela lintuition de N. Depraz (op. cit., p. 24). Cette complmen-taritnousapparatratoutefoisplusproblmatiquequeN.Deprazveutbienle reconnatre,danslamesureolathoriedelEinfhlung,dontlemotifest minemmentcartsien,etlarductionintersubjective,propreauxvoiesdela psychologieetdelontologie,serontfinalementrenvoyesdosdoslorsquil sagira de rendre compte de lexistence absolue dautrui. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 29comme nous le verrons, une plus grande place au factum autrui, cest--dire, en somme, intgrer dans la mthode ce qui apparat, en 1929-30, tre une aporie dans le rsultat. Quant ces nouvelles voies elles-mmes, voie de la psychologie et voie de lontologie, nous prfrons les lier dans le prsent chapitre, choisissantdenvisagernouveauunapprofondissementdela premireparlaseconde.Lavoiedelapsychologienouspermettra dacqurir le motif de la rduction intersubjective, qui est lacquisition dunesphreuniverselledelexpriencetranscendantale ;tandisque la voie de lontologie nous la rvlera dans sa fonction de subjectivit universelleultimementconstituanteencorrlationaveclapriori ontologiquedumondedelavie.Nouspartironsdoncdaborddela critiquequeHusserlformulelendroitdelavoiecartsienne,afin dacqurirlesolproblmatiquesurlequelestnelidedune rductionintersubjective,daborddanslesProblmesfondamentaux de la phnomnologie puis dans Philosophie premire, et finirons par lavoirluvredanslaquestionultimementphilosophique,cest--dire ontologique, de la Krisis. 1. Critique de la voie cartsienne La critique que Husserl adresse la voie cartsienne trouve donc unepremireformulation,djtranchante,danslecadreducoursde 1910-1911Problmesfondamentauxdelaphnomnologie1.Elle surgitloccasiondel Examenpralable queHusserlpropose dequelquesobjectionscontreleprojetdelarduction phnomno-logique 2.Troisobjectionsservlentparticulirementmenaantes : cellecontrelesolipsisme,cellecontrelapossibilitdelamisehors circuitduje,etcellecontrelecaractreabsoludeladonne 1Nousrenverronsnouveaulatraductionfranaiseetlditionallemande : Problmesfondamentauxdelaphnomnologie(abrgPFP)trad.J.English, Paris,PUF,1992 ;HuaXIII :ZurPhnomenologiederIntersubjektivitt,Erster Teil : 1905-1920, texte n6, d. par I. Kern, La Haye, M. Nijhoff, 1973. 2 Selon le titre du chapitre III, PFP, p. 152/154. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 30 phnomnologique1.Contrairementauxapparences,ilnesagitpas pour Husserl de passer simplement en revue quelques objections plus oumoinshtroclites.Bienpluttest-cedanslvolutionetla retraductionduneseuleetmmeobjectionquelesProblmes fondamentauxtrouventlamarquepropredeleurcritique,qui dterminera essentiellement le cours ultrieur de la recherche. Nousconnaissonsdjlagravitdelobjectiondusolipsisme quipsesurlgologie,puisquecestsouscetterubriquequeles Mditationscartsiennesseheurterontlaquestiondelobjectivit dumondeintersubjectifengnral,etlimpassedunethoriede lEinfhlung en particulier. Pourtant, ce nest pas immdiatement sous cetitrequelesProblmesfondamentauxsenprennentlavoie cartsienne.Lobjectiondusolipsismeesteneffetrapidement balaye,sevoyantrameneunsimplemalentendu :Husserlse contentedydcelerunemcomprhensiondelaspcificitdela rductionphnomnologiqueradicaleetuneconfusionentre immanencephnomnologiqueetimmanencepsychologique.Selon cettepremireesquissededfense,lasolutionauproblmedu solipsismeenappelleraitdoncmoinsdesrecherchesconstitutives ultrieurescommedanslesMditations,quuneclarificationdes conceptsdimmanenceetdetranscendance.Entantquephnomno-logue, je me mets justement moi-mme hors circuit, de la mme faon que le tout du monde, de telle sorte quil ne reste pas mme, aprs la rductionphnomnologique,desolusipseassignablelasphre immanenteainsiatteinte.Seulelimmanencepsychologiquepeutds lorstretaxe,selon Husserl, d immanence solipsiste 2. Comme il lesoutenaitdanslesRecherchesLogiques,etcommeSartrelesou-tiendra dans La transcendance de lego, les Problmes fondamentaux semblent donc tenir lego pour une ralit transcendante, se tenant du ctdeschosesetdumonde,etdoncemportparlemmemouve-ment rductif. Mais cet apparent rapport de filiation aux Recherches logiques se voitrapidementbranlsittqueHusserlconsidrelaseconde 1 Nous ignorerons donc celle, par ailleurs importante dans le contexte de ce cours, sur labsence de motivation de la rduction phnomnologique.2 PFP, p. 153/154. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 31objection, ayant trait la possibilit dune telle mise hors circuit du je. Unjenedoit-ilpas,eneffet,accompagnerncessairementtoute cogitatio,detellesorte,commeleprciseHusserl,que cequiest absolumentdonnenfait,cest,commelevoulaitDescartes,le cogito 1 ?Siladopteencoreuneapparentehsitation(quimarque peut-trelecaractretransitoiredesProblmesfondamentaux), prcisantque surcela,nousnavonspasencoreprendrede dcision ,larponsequeHusserlesquisseen1910-1911esten ralit beaucoup plus proche de la position qui sera celle dIdes I que decelledesRechercheslogiques.Suspendantlejeempiriquede limmanence psychologique, Husserl nen est effectivement pas moins amenrintroduire,lintrieurdelimmanencephnomno-logique,unjepur.Lobjectioncontrelapossibilitdunemisehors circuitduje,crit-ilencesens, peutdoncseulementvouloirdire que, en face du je empirique, il y a encore admettre un je pur, en tant quequelquechosedinsparabledescogitationes 2.Or,cette concessionladeuximeobjectiondevraitsuffirebranlerlappa-rentevidenceaveclaquellefutdissipelapremire.Carnousne voyonsplus,sittquestassociunegotoutecogitatio,enquoi limmanencephnomnologiqueseraitfavoriseparrapport limmanencepsychologique ;plusprcisment,commentlegode cetteconscienceparviendraitsortirau-deldesonimmanence phnomnologique.Ensomme,lemmenuagedusolipsismequi obscurciralecieldes Ides I et, de faon plus temptueuse, celui des Mditationscartsiennes,nevient-ilpaspesernouveausurles claircissements par lesquels nous tentions de le dissiper ?Mais plutt que den revenir la rubrique du solipsisme, comme illeferadansPhilosophiepremire,Husserlchoisitpluttde retraduire en quelque sorte cette premire objection en une troisime, quiorienteradefaondcisivelamarcheultrieuredesProblmes fondamentaux.LatroisimeobjectionquiretientHusserlconcerne maintenantlecaractreabsoludeladonnephnomnologique :le phnomnologuea-t-il,enaccordaveclexigencecartsiennedela philosophie, chaque fois affaire une donne absolue ? Autrement dit, 1 PFP, p. 153/155. 2 Ibid. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 32 la sphre de limmanence phnomnologique, de part en part, doit-elle rpondreaucritredelapodicticitdelego ?Et,supposerquece soitlecas,unetelleexigencenouspermettrait-elle,concrtement,de dployer une science universelle de la subjectivit constituante et, par suite,unephilosophieuniverselle ?Enfait,remarqueHusserl, Descartes lui-mme, avec ltre non douteux de la cogitatio, na rien pucommencerdeplus 1.Aucunedonneultrieurenapudfendre soncaractrededonneabsolueavecautantdesatisfactionquele cogito.Lexigencedapodicticitducommencementphnomno-logique risque au contraire de nous borner ce seul commencement ; denousclouerlegoapodictiquequi,pourtreannonccomme tant archimdien , nen demeure pas moins un simple point . LarfrenceDescartessuffitsuggrerunemiseenquestion latente, et en provision que Philosophie premire mnera au grand jour,etenraction,delgologiephnomnologique.Mais lobjection contre le caractre absolu de la donne phnomnologique permetdapprofondiretdtendrelobjectiondusolipsismeque lgologie sadressera elle-mme. Dune part, elle reformule en effet une dnonciation du caractre solipsiste de la subjectivit gologique, maisquelleintgre,dautrepart,dansunecritiqueplusradicalede lgologiephnomnologiqueetdesonmodedefonctionnement.Ce queHusserlviseenpremireligne,cestcequilappelleune limitationartificielle 2delasubjectivittranscendantalela donne phnomnologique absolue. Cette limitation nous cantonnerait nonseulementausolipsismedelegopropre,maisencorela ponctualit du cogito actuel. Car, en exigeant que toute donne lui soit livredansuneperceptionphnomnologiqueabsolue,lephno-mnologueserendaveugleuneinfinitdactes danslesquelsune subjectivit pure peut lui tre donne, bien que de faon non absolue. Lesprsentificationsdesouveniroudattente,parexemple,nous livrentunevietranscendantalepropre,passeoufuture,dansune extension potentiellement infinie. Il en va de mme des vcus dintro-pathiedanslesquelsjepuisfairelexprienceduneautre,etmme 1 PFP, p. 154/156. 2 Selon le titre du 34 des PFP, p. 189/177, sur lequel nous nous attarderons un peu plus loin. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 33duneinfinitdautressubjectivitstranscendantales.Cestlalu-miredecesvcusparticuliers,nousdonnantdusubjectif-transcendantalbienquedefaonnonabsolue,quelesProblmes fondamentaux, mais aussi Philosophie premire, vont dvelopper une nouvellevoiedaccslaphnomnologietranscendantale.En rvaluantdefaonradicalelemodedefonctionnementdela phnomnologieetdemiseenuvredelarductionphnomno-logiquequi,afindintgrerdanslasphredelexprience phnomnologiquecetypedevcus,donnerala rduction double ou intersubjective ,cesdeuxcoursvontnouspermettre dapprofondirlesensdelasubjectivittranscendantaleparson creusementaussibientemporelquintersubjectif. Solipsisme et ponctualit delegoseraientensommelesdeuxvisagesdune mme limitation delasubjectivit,inhrentelavoiedela rduction de type cartsien, et quune nouvelle mthode aura ds lors pourchargededpasser.Ladifficultseratoutefoisquuntel dpassement, ou, disons plutt, un tel gain , se fera ncessairement sur un terrain qui sera sans cesse en dette vis--vis du sol absolu exig parlavoiecartsienneet,dunefaongnrale,parlaphnomno-logietranscendantaleentantquephilosophieabsolumentfonde.La rductionintersubjectivenepourraprtendrelargirlarduction gologiquequensautantau-dessusdesbornesdeladonneabsolue delasubjectivittranscendantale.Nousdevronsdoncconstaterune perptuelletensionentrelarductionintersubjective,entantque purificationphnomnologiquedeluniversalitdelasphredtre transcendantale, et la rduction gologique, en tant que fondation de la philosophiedansunesphredtreabsolue.Aussi,cettetension tmoigne-t-ellepeut-tredecequelintersubjectivitsansdoute aussilatemporalitacculelaphnomnologietransgresserdes limites pourtant absolues.Maisavantdenvenirlexposdelarductionintersubjective queHusserlconsidredanslesProblmesfondamentauxcomme tantce dpassementdunelimitationartificielle ,etquil systmatiseradansPhilosophiepremire,pourlareprendreensuite danslaKrisis,ilconvienttoutdaborddenousassurerdela convergencedelacritiquequecesdeuxdernierstextesadressent JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 34 lendroit de la voie cartsienne avec celle qui nous a t prsente en 1910-1911.LecoursPhilosophiepremire1de1923-1924sedivise,grosso modo, en deux parties. Dans un premier temps, Husserl y esquisse un cheminanalogueceluidIdesI :critiquedelanon-vidence absoluedelaconnaissancetranscendantedumonde,dorsultela ncessit dune mise entre parenthses de ce dernier, dans lequel sont comprislesautres hommes en tant quapprsents par leur corps. Est alors reconnu, titre de rsultat ngatif de la critique de lexprience dumonde : lesolipsismetranscendantal 2.Maislesensdecette critiqueseprcise,alorsqueHusserlprsente,enunsecondtemps, l ouverture dun second chemin vers la rduction transcendantale 3. Est ds lors explicitement vise lgologie transcendantale, en tant que phnomnologiesolipsiste 4 :rduisantduncouptoutechosedu monde,etdoncaussitoutLeib(propreoutranger),larductionest rductionmonpropreegotranscendantal,celuiquioprela rduction, et ma vie propre . Quant aux autres, on ne conoit pas comment, dans la rduction transcendantale, ceux-ci seraient plus que des phnomnes poss dans mes actes positionnels de lintropathie 5. La rduction transcendantale semble donc immanquablement conduire unegologietranscendantale,etlaphnomnologientrepossible qucetitre ;lephnomnologueparatncessairementcondamn tre un penseur solipsiste 6. Husserl poursuit alors, anticipant les termes de la critique dans la Krisis : Le dbutant pensera peut-tre ici moins quil nprouve djcespressentimentsailsquilincitentcherchertoute extrioritvraiedanslintrioritquilarriverabienunmoment 1Philosophiepremire(1923-1924),Deuximepartie :Thoriedelarduction phnomnologique, trad. A. L. Kelkel, Paris, PUF, 1972 (abrg PP) ; Hua VIII : ErstePhilosophie(1923-1924),ZweiterTeil :Theoriederphnomenologischen Reduktion, La Haye, M. Nijhoff, 1959. 2 PP, 36e leon, p. 89/64.3 PP, troisime section, p. 115/82. 4 Cf. le titre de la 53e leon, b) : Lgologie transcendantale (phnomnologie solipsiste) et le passage la rduction intersubjective. (PP, p. 239/173.) 5 Ibid. 6 PP, p. 240/174. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 35toutdemmeoilfaudraleverlpochphnomnologique,quil faudrabienquereviennelemomentolonauranouveauune exprience naturelle et o lon pensera de manire naturelle, et o lon sesatisferadessciencesnaturelles.Etalorslasubjectivittrangre seraelleaussirtabliedanssesdroits1 Autrementdit,lpoch phnomnologiqueparatsirestrictive,quilnesemblepaspossible dedployerensonseinunesciencephnomnologique,etmoins encoreunephilosophieuniverselle.Lecaractrelimitatifapparat donc nouveau comme le dfaut majeur de la voie cartsienne, qui ne permetpaslaccsausenspleindelasubjectivittranscendantale quiestprcismentlintersubjectivit.Dslecommencement, lgologiephnomnologique,enlimitantjustementlintrioritla donneabsolue,encourtdonclerisquededevoirleveraussittla rductiontranscendantaleetretomberdanslattitudenaturelle.Cest cequeHusserlreconnatau43delaKrisis :sile chemin cartsien exposdansIdesIestlecheminlepluscourtvers lpochtranscendantale,ilace grosdsavantage ,nousdit Husserl,depouvoirtrsvitenousramenerlattitudenaturelle,car legotranscendantalnyapparat,poursuit-il, quedansunvide-de-contenu apparent, devant lequel on se demande avec embarras ce que lon a bien pu gagner par l, et comment on doit gagner partir de l unesciencefondamentaledungenreentirementnouveau,dcisive pour une philosophie 2. Il va donc sagir, dans la Krisis comme dans PhilosophiepremireetdansProblmesfondamentaux,dedployer l intriorit phnomnologique illimite au moyen dune rduction authentiquementuniverselle,cest--diresansrsidu. Pourmoi-mme,critHusserlen1923-1924,jelereconnais,lapremire intuitionquejaieuedelarductionphnomnologiquefutdune porte limite et telle que je lai dcrite plus haut. Pendant des annes jenevoyaisaucunepossibilitdelatransformerenrduction intersubjective.Mais,finalement,jevissouvrirdevantmoiun 1 Ibid.2Krisis,p.176/158.Lacrisedesscienceseuropennesetlaphnomnologie transcendantale(abrgKrisis),trad.G.Granel,Paris,Gallimard,1976 ;Hua VI :DieKrisisdereuropischenWissenschaftenunddietranszendentale Phnomenologie, d. par W. Biemel, La Haye, M. Nijhoff, 1954. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 36 cheminquidevaittreduneimportancedcisivepourlapossibilit de raliser une phnomnologie pleinement transcendantale et un niveau suprieur une philosophie transcendantale1. 2. Mise en uvre de la rduction intersubjective Lesensdelacritique,adressepartroisfoislgologie transcendantale,paratdoncreposerprincipalementsurlecaractre limitatif de la subjectivit qui y est atteinte. Non seulement le passage dela subjectivit propre lintersubjectivit parat hypothqu ds le dpart,maisencorelasubjectivitproprenesemblepaselle-mme pouvoirsedptrerdelaconscienceduprsentendirectiondela temporalitplniredufluxdeconscience.Ilsembledslors impossible,partirdeceseulpointactueletsolipsistedelvidence apodictiqueducogito,dedployerunesciencedelaconsciencequi soit universelle et fondamentale sans en venir, un moment donn, leverlesbornesdelarductionphnomnologique.Maisceserait comptersansles pressentimentsails quiincitrentHusserllui-mmepersvrerdanslavoiede lintrioritvraie ,afindy dcouvrir sa pleine et universelle extension ; ce serait compter sans sa capacitmettreenuvreds1910-1911une rductiondune porteplusgrande,nouslereconnatrons,quecellelaquellenous tionsdabordparvenusparlavoiecartsienne 2.Carcestbiendu ctdelarductionelle-mmequeleseffortsdeHusserlsecon-centrerontpourpermettreded-limiter(sansreste)largion phnomnologiquedelaconscience.Parunerductiondabord double,puisuniverselle,Husserlparviendraeneffetpulvriserla gelesolipsisteetponctuelledelego,etpntrerdanslechamp infini de la subjectivit complte, intersubjective et fluente. Maissilyparvient,cenepeutplustreensuivantlechemin cartsien,qui,commenouslavonsvu,partantdunecritiquede lexpriencemondaine,exigedslecommencementlvidence absoluepourlaphilosophie.Cequi,nouveau,revientdire :la nouvelle rduction (intersubjective) ne se mouvra pas dans les bornes 1 PP, p. 241/175, n.1. 2 PP, p. 180/129. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 37delabsoluitquelavoiecartsienneassignelarduction(go-logique).Maisquellessontalorscesnouvellesvoiesempruntespar Husserl ?Etcomment,lgitimement,lesdistinguerdelavoieetde lexigencecartsiennes ?Selonlatripartitiondesvoiesproposepar IsoKern1,lapartieAdelaIIIesectiondelaKrisis(KrisisIIIA),se meut sur le chemin de lontologie, tandis que Philosophie premire et KrisisIIIBvoluentsurlecheminparlapsychologieintentionnelle. LecoursProblmesfondamentauxdelaphnomnologie,quIso Kernattribuelaseulevoiedelontologie,nousparatraquantlui participerdesdeuxvoieslafois.Ilnousfaudradoncchaquefois spcifier, dans la mesure du possible, sur quel sol nous progressons, et selonquellesconditionsetconcessionsnousenfreignonslaconsigne cartsienne. a)Larductiondouble(Problmesfondamentauxdelaphnomno-logie) Larductiondoubleestprsentepourlapremirefoisdansles Problmesfondamentauxdelaphnomnologie.Cecoursde1910-1911, nous lavons signal, nous semble participer indistinctement de la voie de lontologie et de la voie de la psychologie. cette poque, prcdant la parution des Ides I, non seulement la voie cartsienne ne futpasencoreempruntedefaonconsquente,maisvoiedela psychologieetvoiedelontologiedemeuraientencoreenattentede leurlaborationsystmatiquedanslecourantdesannes1920et 19302.Cetteindistinctionnousindiqueaumoinsuneparent communeentrelesdeuxchemins,quiseronttousdeuxlelieudune rductionintersubjective,etdontlarductiondoubleprsentedans les Problmes fondamentaux se veut la prfiguration. 1 Cf. Iso Kern, art. cit. 2 Nous suivons en cela N. Depraz, pour qui, dans les Leons de 1910-11, seule la dtermination non cartsienne est clairement marque : la caractrisation onto-logique ou psychologique y demeure plus indcise (N. Depraz, op. cit., p. 200). Nous aurons loccasion dajouter avec N. Depraz une justification plus positive cette premire indication sommaire. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 38 DanslesProblmesfondamentaux,Husserlseretientformelle-mentdetropspcifieraucuncommencement.Cequirevient,en phnomnologie,cderlanavetnaturelle.Soninquitude premireconcernetoutefoismoinslassisedelaphnomnologieen unpointdedpartabsolumentcertain,quelapossibilitdedployer unesciencephnomnologiquecapabledersorberlensemblede lempiriecompriseparlessciencesmondaines.Husserlsesoucie moins,en1910-1911,delancessitpourlaphnomnologiedtre ds le dpart philosophie (apodicticit) que de sa capacit le devenir (universalit). Son point de dpart se trouve ds lors dans le monde naturel , sorte de prfiguration de la Lebenswelt, et dans la tche qui syrvledclairerlaprioriontologiqueparunerflexionradicale sur la subjectivit dont il est le corrlat. Contre la voie cartsienne, il seretientdoncdelevertropttlavaliditdumonde.Dansune attitudeplusambigu,ilproposepluttdelaissersepoursuivreune premire rflexion sur la subjectivit, certes encore nave, mais qui ne prjugeenriendusolapodictiquegagnerparlarduction.Parce moyen,Husserlentendtendrelexpriencetranscendantaleau-del delaperceptionphnomnologique(seuletreabsolue),pour intgrer galement dans la mthode des prsentifications phnomno-logiques. Nousdevonscetgard,crit-il,largirleconceptde lintuitionphnomnologique,detellesortequilsoitparallle lexprienceempirique,doncquildeviennepourainsidirelexp-riencephnomnologique :prsentationetprsentificationphno-mnologiques1. Nousconnaissonslimportancequecetermedeprsentification (Vergegenwrtigung)jouedanslanalyseintentionnelledelaFremd-erfahrung.Lesvcusdintropathie,maisaussidesouvenir,dattente ouencoredimaginationsontautantdexemplesdeprsentifications. LapropositionqueformuleHusserldtendre,sansautreformede procs,lexpriencephnomnologiquedesprsentifications phnomnologiques, a de quoi surprendre. En effet, en accordant droit decitdesprsentificationsphnomnologiques,Husserlenfreint pourlemoinslecritrerationneldunephnomnologiedelvi-dence, savoir la prsence originaire de lobjet vis. Lexpression de 1 PFP, p. 160/159. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 39prsentification phnomnologique tmoigne de ce quil ne sagit plus seulement de dgager dans une perception phnomnologique le vcu lui-mme de prsentification auquel cas nous serions ramens la prsentation phnomnologique dun vcu concret, donn absolument danssaprsence,maisgalementdeprendreenchargelevcu dont il est la prsentification, ce vcu tant de fait inaccessible par une intuitionoriginairementdonatrice.Utiliserdeconcert,ctdela prsentationphnomnologique,uneprsentificationphnomnolo-gique,revientdoncsedonner,dunedoublefaon,deuxtypesde vcus :lesuns,defaonabsolue,perus,etlesautres,defaonnon absolue,prsentifis.Parcemoyen,Husserlvatenterdansles Problmesfondamentauxdelaphnomnologiedesauterduncoup demonvcuprsentdintropathieauvcuprsentifidautrui.Ces deuxvcusdgagsparlexpriencedevrontdslorstretousdeux justiciablesdunerductionphnomnologique,entenduecomme rductiondouble.Lecreusementdelarductiongologiqueen rductionintersubjectivecommencedoncparexiger,dansses principes, une sortie de la phnomnologie au-del du domaine de la donne absolue 1. Lintropathienesttoutefoispaslepremiertypedeprsenti-fication qui retient Husserl. Ses premiers efforts se consacrent en effet auxvcustemporelsdunseuletmmecourantgologique,dont lintropathieservleratreunevarianteparticulire.Lexemple privilgiparHusserlestlevcudesouvenir.Ilnouspermettrade comprendretoutdabordcommentlechoixdepartirdelarflexion naturellepermeteffectivementdedsenclaverlefluxdeconscience du point absolu de son maintenant vivant. Le souvenir est la prsenti-ficationdunechoseouduntatdechosepasss,auquelnous naccdonsplusenoriginal.Sinousopronslepassagelattitude phnomnologique,compriseausensdelavoiecartsienne,alors nous suspendons dun coup la validit que nous accordions au monde, afortiorilachoseoultatdechosepasss,ennousentenant unerflexionsurlevcuderessouvenirentantquactedema subjectivit prsente. Seul le vcu prsent de ressouvenir mest donn defaonabsoluemmeune prsentationphnomnologique . 1 PFP, p. 159/159. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 40 Toutefois,unerflexiondanslepass,quiesttoujourspossible, menseignequelobjetsouvenurenvoiencessairementune perception passe1. Mon vcu prsent de souvenir ne se contente donc pas de se rapporter intentionnellement un objet mondain pass, mais contientencore,impliquedanscettepremireintentionnalit,une seconderelationintentionnelle,quisedirigecettefois-cisurmon propre vcu pass, cest--dire sur lexprience effective passe que je fisdelobjetconsidr.Unerfrence longitudinale reliedonc intentionnellementmonvcuprsentmonvcupassentantque perceptionconstitutivedelobjetressouvenu. Unsouvenir,dira encoreHusserl,medonnedutranscendantaldedeuxmanires.[] Nonseulementcestcommevcutranscendantalprsentquemest donnmaintenantlejemesouviens,maiscelui-ciinclutenmme tempslesouvenirdemavietranscendantalepasse2. Aussi admettra-t-il une double rduction transcendantale. Ce quil importe toutefois de prciser avant den venir celle-ci, cestquelarflexionquicommenceparmedonnermavietranscen-dantale passe est dabord une rflexion nave, en tant quelle sopre ncessairement dans un pass qui nest pas encore rduit. Llargisse-mentdelaconsciencelatotalitdesonfluxnestpossible,crit Husserl, quesinousprenonsdabordlecourantdeconscience commeilsoffrenousdanslapremirerflexion,danslarflexion naturelle, et nexerons la rduction phnomnologique quensuite 3. Cetterflexionestnaturelleprcismentparcequelletablesur lexistencedelobjetsouvenu.Cestparcequejemesouviensde faon nave de lobjet pass comme dun objet ayant exist que je 1LesIdeenIanalysentgalementcegenrederflexions dans lesprsenti-fications du type du souvenir ou de lattente (Ideen I, 77-78). Aussi Husserl y conclut-il en opposant la validit absolue de la rflexion en tant que perception immanente et de la rtention immanente , la validit relative du ressouvenir immanent (IdeenI,p.256-257).Leressouvenirpossdecertesunecertaine validit ,ouencore,pourledireaveclaphnomnologiedelaraison,un certain poids rationnel, quil emprunte une perception originaire, mais dont nouscomprenonsquilnepeutprtendrelvidenceparfaite,nilavalidit absolue qui sont alors exiges pour la phnomnologie.2 PP, p. 121/85. 3 PFP, p. 189/178. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 41peuxrflchir dans monsouvenir,afindydgagerlefait davoirtperu quimpliquecelui-ci.Autrementdit,lobjetral coul dans un pass objectif est pour moi lindicateur transcendant de la connexion immanente de mon vcu prsent avec mon vcu pass. Il paratdslorsncessaire,pourdcouvrircedernier,denepaslever duncouplintrtquejeportelobjetpass,ni,dunefaon gnrale,autempsobjectifpasslesmmesconstatationstant transposables dans les prsentifications de lattente. Nous comprenons dslorscequipousseIsoKernenconclureque ladtermination objectivedutempsestlaconditiondepossibilitdeladtermination subjective du temps, ou bien lexprience externe est la condition de possibilit de lexprience interne, qui ne peut tre que la rflexion surlexprienceexterne.Cenestlriendautrequelintentionnalit radicale de la conscience1. LesProblmesfondamentauxproposentdoncdintroduireune mdiationparletempsetlexprienceempiriquesdanslacquisition phnomnologique de la totalit du courant de conscience. En faisant prvaloirunerflexionnaturelleavantlarflexionproprement phnomnologique,Husserlenviendraitdunecertainefaon reconnatreleslimitesquisimposentlabsoluitdelaperception phnomnologique.Aussiva-t-ilsyagirdlaborerunenouvelle mthode,cest--direunenouvellerductionquitabledabordsurla rflexionnaturelle,afindelapurifierensuiteenunerflexion phnomnologique(perceptionetprsentification).Untelparcours prfigure,commenouslesentons,lavoieparlapsychologieque systmatiseralecoursPhilosophiepremire.Mavietranscendantale passenemyesttoutdaborddonnequentantqueviedecet hommepsychophysique,objectivementcontemporaindelobjetral navement souvenu. Cest donc la manire dun psychologue que je commenceparrflchirnaturellementsurmoncourantdecon-science ;etcenestquainsique,larductionmechangeanten phnomnologue,jepourraiacqurirlatotalitdemonflux individuel2. 1 Iso Kern, art. cit., p. 297-298. 2UnenotemarginaledeHusserlprcisequelesProblmesfondamentaux,etla conscience qui y est rduite, ne se tiennent pas encore au niveau dune phnom- JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 42 Larflexionnaturellenousdonnedonc,pournousentenir encore lexemple du souvenir, deux vcus psychiques : lun prsent et lautre pass. Ce point de dpart naturel nen garantit pas moins la possibilitderduirecesvcus,dabordmondains,leurpuret transcendantale. En effet, tout autant que mon vcu de souvenir, mon vcusouvenuvaaccepterdtrephnomnologiquementrduit. Dansleressouvenir,critHusserl,nonseulementunerflexionet rduction est possible, qui fait passer le ressouvenir lui-mme en tant quevcultatdobjetduneperceptionphnomnologique absolument donatrice, mais encore une seconde rflexion et rduction, qui scoule pour ainsi dire dans le ressouvenir et qui amne un vcu ressouvenuentantqutatdepassphnomnologiqueladonne, mais non plus la donne absolue qui exclut tout doute1. Nimporte quelvcudeprsentificationdontlobjetprsentifi,lexempledu souvenir,est,ouimplique,unsecondvcu,admetunerduction phnomnologiquedouble.Celle-ci,nouslecomprenons,nestpas rduction la donne absolue. Pourtant, nous dit Husserl, elle nen est pas moins une rduction phnomnologique, et la subjectivit quelle dgageunesubjectivittranscendentalementpure.Larduction doublenousaeffectivementlevsau-dessusdelasubjectivitpsy- nologieidtique : Larductionidtiquenapastaccomplie.Larecherche considrelaconsciencephnomnologiquementrduitedanssonfluxindivi-duel. (PFP,p.163/162,n1.)Cetteprcisionservledimportance,dansla mesureoelletendfaireapparatrelesoucimajeurquihantecesleonsde 1910-1911,savoirlesoucidercuprerlintrieurdelasphredexprience phnomnologiquelafacticitmmedelaconsciencetranscendantale,dontle tempsestsansdoutelexpressionpremire.Parailleurs,ilsepourraitquelleait unecertaineincidencesurleproblmedelintersubjectivit,danslamesureo une note, celle-ci issue des Mditations cartsiennes, prcisera que le passage de monegofacticeleidosegonenousfaitpasavancerdunpasendirectionde lalter ego : Dans le passage de mon ego lego en gnral, on ne prsuppose ni la ralit ni la possibilit dun espace englobant les autres. Ici, lespace de leidos egoestdterminparlauto-variationdemonego.Jenefaisquemimaginersi jtais un autre, je nimagine pas autrui. (MC, p. 120/106, n1). Connaissant par ailleursladifficultquauralacinquimeMditationrendrecompteconstitu-tivement de lexistence de lalter ego, ce souci pourrait donc se rvler significatif dans le cadre dun largissement de lexprience transcendantale au factum autrui.1 PFP, p. 171-172/167-168. LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006, p. 3-76 43chologique et du niveau de la rflexion simplement naturelle ; et cest dornavant en phnomnologues que nous pouvons considrer le vcu pass, en tant quappartenant la vie de la subjectivit transcendantale dontluvrefutlaconstitutiondelachoseoudeltatdechose passs.Silparatncessairequelephnomnologuenepuisse sinstaller que mdiatement dans lattitude du spectateur dsintress, celaneluienlverienmoinsquelapossibilitderduirela subjectivitpsychologiquesapurettranscendantale.Etmme : cestparcequenousprenonsdabordlecourantdeconscience individuel comme il soffre nous dans la premire rflexion naturelle que nous pourrons ensuite dgager la totalit de celui-ci dans sa puret transcendantale.Lepassageparlarflexionnaturelleavantla rductiontranscendantalepermetdoncdviterdavoirretomber danslanavetnaturelleaprslarduction :ilpermetdviterque nousayonsleverlarductionpourremdierlaponctualitdela donneabsoluedelego,commeHusserlleredoutait(particulire-ment dans la Krisis) propos de la voie cartsienne. Lacquisition de la totalit du flux de la vie transcendantale nest toutefois pas lunique objectif poursuivi par la rduction phnomno-logiquedouble.DansunenoteannexedePhilosophiepremire, Husserl reconnatra que si lon poursuit ici la rcapitulation [] des genresdedonnesdelarductionphnomnologiqueenprsentant maintenantlesactesdelaprsentification,entantquilssontdes actesdont la relation intentionnelle est double, cest afin de servir de transitionlextensiondelarductionlintersubjectivit 1. Toutefois,lesProblmesfondamentauxnatteignentlarduction doubleappliquelintersubjectivitquetardivement,etsanslui consacrergureplusquunparagraphe.Maislarichessedes dveloppements sur la donne temporelle permet de condenser en ces quelquespageslesintuitionsfondamentalessurlarductioninter-subjective,quePhilosophiepremireauraencoredployeret approfondir de faon systmatique.Larductionintersubjectiveestrductiondoubleapplique lintropathie. Comme le ressouvenir, lintropathie est une prsentifica-tion dont lobjet intentionnel implique un second vcu. Lintropathie a 1 PP, p. 271/316. JOHN TRYSSESOONE 2006 vttetiv a`avat,.e bevovevotogiqve http://www.bap.ulg.ac.be/index.htm 44 donclammepropritquelesvcustemporels,savoirquese dcouvre en elle une intentionnalit double. Dune part, une rflexion, au sens de la perception immanente, me donne de faon absolue mon proprevcudintropathie ;maisdautrepart,unerflexionnaturelle exerce dans lintropathiervlequemonproprevcucontient aussi, intentionnellement impliqu en lui, le vcu prsentifi dautrui. Surlecheminquenousvenonsdeparcourir,lintropathienesemble doncpasprsenterdedifficultsparticulires : Iciaussi,crit Husserl, le double genre de la rduction : en premier, lintropathie en elle-mme,quenousavons,enintuitionnant,donnedansla perceptionphnomnologique[].Mais,dautrepart,lintropathie estlexprienceduneconscienceintropathise(eingefhlten),dans laquellenouspouvonsaussiexercerlarductionphnomno-logique1. Parlapremirerduction,dallurecartsienne,jerduis lobjetprsentifi autrui ;ellelibremavietranscendantale gologiqueetactuelledansuneintuitiondonatriceoriginaire.La seconde,parcontre,considreautruinoncommeobjetmaiscomme vcu. Elle est donc rduction du vcu prsentifi dautrui, cest--dire miseentreparenthsesdelobjetquejeprsumetreposparlui,et dontnavement,danslapremireattitude,jaccomplissaismoi-mme aussi la validit. Celle-ci libre la vie transcendantale actuelle dautrui dans sa puret phnomnologique.Ilfauttoutefoisnoterquesilapremirerductionsapparente unerductioncartsienne,ellenesauraittoutefoisrevtirlamme signification. En effet, si le premier geste de rduire autrui et de se tournerversmonproprevcudintropathieestconulamanire duncommencementabsoludelaphilosophie,antrieurausecond gesterductif,alorsladeuximerduction,entantquerduction lintrieur de la conscience dautrui, perdrait toute signification. Cette dernire doit plutt prcder la premire, ou encore lui tre simultane danslunitdune rductiondouble .Maisilsimposeaussique, mmedouble,larductionphnomnologiquenesauraitplustout faitbnficierdelabsolueprsancedontellejouissaitselonlavoie cartsienne. En effet, la rduction double ne peut sexercer que si nous 1PFP,p.207/188-189.Nousmodifionssystmatiquementlatraductionde Einfhlung et ses drivs, que J. English, le traducteur, rend par empathie . LES CHEMINS DE LINTERSUBJECTIVITE J. Tryssesoone, Les chemins de lintersubjectivit dans la philosophie de Husserl , Bulletin danalyse phnomnologique, II/5, octobre 2006