Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur W. BETTSCHART Crissier...

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ISSN 2112-6798 Revue n° 18 - octobre 2016 éditée par le Groupement des hôpitaux de jour psychiatriques - ASBL - Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles SOINS DE JOUR EN PSYCHIATRIE MULTIPLES DÉNOMINATIONS POUR UNE TENSION ENTRE PROGRAMME, ADAPTABILITÉ ET CRÉATIVITÉ XLIII ème Colloque des Hôpitaux de jour 2 et 3 octobre 2015 CAEN

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ISSN 2112-6798

Revue n° 18 - octobre 2016 éditée par le Groupement des hôpitaux de jour psychiatriques - ASBL -

Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles

SOINS DE JOUR EN PSYCHIATRIE MULTIPLES DÉNOMINATIONS POUR UNE TENSION ENTRE

PROGRAMME, ADAPTABILITÉ ET CRÉATIVITÉ

XLIIIème Colloque des Hôpitaux de jour 2 et 3 octobre 2015

CAEN

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18

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Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

ASBL

153, boulevard de la Constitution B - 4020 LIÈGE

Président Dr Christian MONNEY Ancien Médecin Directeur Adjoint des Institutions Psychiatriques du Valais Romand La Jauguettaz 1 1808 LES MONTS-DE-CORSIER SUISSE Téléphone : 41 (0) 79 449 22 83 Courriel : [email protected]

Secrétariat général Pr Jean BERTRAND Marie-France CHARON Hôpital de jour universitaire “La Clé” Bd de la Constitution, 153 B-4020 LIEGE BELGIQUE Téléphone : 32 (0) 4/342 65 96 Télécopie : 32 (0) 4/342 22 15 Courriel : [email protected] Courriel : [email protected]

Secrétariat français Dr Patrick ALARY Ancien psychiatre des hôpitaux BP 90053 64990 MOUGUERRE FRANCE

Téléphone : 33 (0) 6 80 21 16 28 Courriel : [email protected]

Secrétariat SUISSE Dr Christian MONNEY Courriel : [email protected] URL : www.ghjpsy.be

Comité scientifique Docteur P. ALARY Pau Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS Bruxelles Madame M.-F. CHARON Liège Docteur J.-Y. COZIC Bohars Docteur M.-F. DESSEILLES Beaufays Docteur P. GENVRESSE Caen Docteur Ph. GOOSSENS Bruxelles Docteur Ph. GUIGNARD Corsier sur Vevey Monsieur B. HUMBLET Liège Monsieur B. HUNZIKER Lausanne Docteur M. JADOT Verviers Docteur G. JONARD Namur Professeur B. KABUTH Nancy Monsieur M. KYNDT Verviers Docteur P. LISIN Liège Docteur Ch. MONNEY Martigny Docteur Ch. PLUMECOCQ Lille Madame M. REBOH-SERERO Lausanne Docteur M. SQUILLANTE Nantes Professeur J.-M. TRIFFAUX Liège

© La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

et des Thérapies Institutionnelles

ISSN 2112-6798 est éditée par

Le Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques ASBL – juillet 2016 – Liège

BELGIQUE

La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles n°18

octobre 2016

« Dans le Phédon, Platon pose que la construction de la science est la seule vraie réponse que l’on puisse faire à l’opinion (doxa). La mise en œuvre du savoir est en même temps la preuve de sa validité. Le Philodoxe se laisse fasciner par la perception, le philosophe accepte l’idée que connaître, ce n’est pas seulement percevoir, mais égale-

ment accéder au réel qui n’est pas que perçu… »

XLIIIème Colloque des Hôpitaux de jour

2 et 3 octobre 2015 CAEN

Soins de jour en psychiatrie

multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

On lit, parfois, que le premier hôpital de jour psychiatrique aurait vu le jour à Moscou en 1933 mais nul doute que cette “datation au carbone 14” est sujette à controverse ! L’hôpital de Jour en Psychiatrie fait partie de l’éventail des ressources de soins proposé à nos patients, charnière entre l’intra et l’extra, entre l’hôpital et l’ambulatoire, certes le soin est hospi-talier mais de Jour… Qu’est-ce donc qu’un soin hospitalier de Jour en psychiatrie ? En quoi s’origine-t’il à la fois d’une forme de sociothérapie, d’un accompagnement éducatif, de la psychoéducation jusqu’au soin proprement dit chimiothérapique et relationnel ? En effet, dans le gradient allant du plus près de l’environnement usuel au plus institutionnalisé, il existe une succession de prises en charge entre l’accueil, prémisse d’une possible consultation et l’hospitalisation. Cette chaîne à partir de l’ambulatoire déploie notamment ce que l’on appelle le Centre de Jour, le club thérapeutique, l’atelier thérapeutique ou le Centre d’accueil Thérapeutique à Temps Partiel. Pour les initiés, tout cela sonne comme une évidence et les différences entre ces structures vont de Soi, mais pour les néophytes (les familles, les patients, les médecins de famille), que d’interrogations que l’on pourrait condenser en une seule : Quelles sont les différences fonctionnelles et d’objectifs entre le Centre de Jour, un club thérapeu-tique et l’hôpital de Jour ? Il est une question qui mérite d’être posée même si elle peut sembler triviale et réductrice aux professionnels : lorsque les structures existent dans un dispositif de soins, avons-nous la réactivité, le dynamisme et le courage nécessaire pour réinterroger leur pertinence, leur efficience au regard des troubles, de la psychopathologie et surtout de la vie quotidienne de nos patients ? Ce préambule propose une sorte de réflexion à rebours. En effet, il est de règle de partir du symp-tôme du patient, de l’expression d’une souffrance pour penser le soin utile pour lui. On n’aura jamais assez répété que ce ne sont pas les établissements qui soignent mais bien ce que l’on veut bien y mettre dedans. Pour autant, pourquoi cela nous empêcherait-il de questionner notre façon d’instituer le soin, ne serait-ce que pour en confirmer la validité ? L’adaptabilité et la créativité sont deux idéaux fréquemment et fantasmatiquement convoqués en clinique psychiatrique. En quoi peuvent-ils s’exprimer au travers de nos structures pour le mieux-être de nos patients ?

Docteur Patrick GENVRESSE Maison des adolescents

Caen France

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© La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles

ISSN 2112-6798

Comité de lecture

BELGIQUE : Pr J. BERTRAND, Liège Pr M. ANSSEAU, Liège Dr M.-F. DESSEILLES, Beaufays Dr M. JADOT, Verviers Pr J.-M. TRIFFAULT, Liège

FRANCE : Dr P. ALARY, Pau Dr J.-Y. COZIC, Brest

Pr B. KABUTH, Nancy Dr Ch. PLUMECOCQ, Lille

SUISSE : Pr W. BETTSCHART, Crissier Dr Ph. GUIGNARD, Corsier sur Vevey Dr Ch. MONNEY, Martigny

Rédacteur en chef de la Revue

Dr Patrick ALARY, Pau

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des

Thérapies Institutionnelles n° 18

ISSN 2112-6798

octobre 2016

Rédacteur en chef adjoint pour ce volume

Dr Patrick GENVRESSE, Caen Organisation locale du colloque

Responsable : Dr Patrick GENVRESSE Maison des adolescents 9, place de la Mare 14000 CAEN FRANCE

[email protected]

Secrétariat pour ce numéro de la Revue

Docteur Patrick ALARY

Les numéros antérieurs peuvent être commandés au secrétariat général du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques sous réserve de leur disponibilité. Tous droits de reproduction strictement réservés. Toute reproduction d’article à des fins de vente, de location, de publicité ou de promotion est réservée au Groupement des Hô-pitaux de Jour Psychiatriques. Toute reproduction d’article dans un autre support (papier, inter-net, etc.) est interdite sans l’autorisation préalable de la rédaction de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Théra-pies Institutionnelles. Les articles sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs.

Soins de jour en psychiatrie multiples dénominations pour une tension entre ...... 1

programme, adaptabilité et créativité ................................................................................... 1

La Revue évolue… ........................................................................................................................... 5

Hommage à Guy Jonard .............................................................................................................. 6

Allocutions de bienvenue ................................................................................................... 7 à 11

Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements ! ...................................... 12 Muriel Rebboh-Serrero La clinique de concertation ..................................................................................................... 18 Dr Jean-Marie Lemaire

Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté Des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé à l’application en France ................................... 24 Dr Jean-Luc Rœlandt “Experiment” et compagnieQuand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”................................................................................................................ 31 Justine COUDOUX, Christine VANHAVERBEKE Profamille : impact sur l’humeur des participants ......................................................... 37 Pierre TAVARES, Annick NEUVILLE, Aurélie MONTAGNE-LARMURIER Quand les soignants mettent en scène les patients ......................................................... 42 Stéphanie BARON, Marie-Elodie DUBOST-VIEL L’hôpital de jour : un menu unique ou des soins à la carte ? ........................................ 46 Kerstin WEBER, Michèle CHARTRIN, Anne-Charlotte PAPORÉ, Eric VERGER, Alessandra CANUTO Visite à domicile ou quand la clinique amène l’hôpital de jour pour enfant à s’ouvrir et se montrer créatif .................................................................................................................. 50 Dr Yannick FISCHER, Aurélie GUASCH Les soins en hôpital de jour : du trou de serrure au jeu de clés... ................................ 53 Dr Benjamin REUTER, Céline TIBERGHIEN, Stéphanie NOIRFALISE, Pr Jean-Marc TRIFFAUX Privilégier l’ambulatoire même en phase aigüe L’expérience d’un hôpital de jour de courte durée en psychiatrie ..................................................................................................... 59 Dr Amélie DEROUET Quitter l’Espace de Soin et de Médiation : donner une dimension thérapeutique à la fin de la prise en charge des adolescents ............................................................................ 63 Delphine AUCOUTURIER, Jacques LEROY, Docteur Hélène NICOLLE, Anne-Françoise REGNOUF Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion .......................................................................................................... 68 Christophe MILECAN, Claire BELLANGER, Anne BOEGNER, Docteur Vincent LUSTYGIER Etre soi, être soigné : se soigner ou se travailler ? ........................................................... 74 Dr Frédéric SCHNEEBERGER, Emmanuel PECHIN L’Hébergement Thérapeutique : des soins de nuit comme alternative aux soins de jour dans la clinique de l’adolescent .................................................................................... 78 Dr Aymeric de FLEURIAN, Stéphane POULAIN Incarcération et thérapie : deux “mondes” antagonistes ? L’expérience d’un Hôpital de Jour au Centre Pénitentiaire de Caen ............................................................................. 83 Virginie COLLOMB, Christel FERE « La Terre est bleue comme une orange » : de la perception à l’élaboration, le groupe « Les cinq sens » ............................................................................................................ 87 Dr Mazen ALMESBER, Christine GARCIA-ADAMEZ, Alexandra MIARD, Virginie PERRIN A corps et à cri : quand pixels et pinceaux s’en mêlent ................................................... 92 Emilie SNAKKERS, Carolin JANETSCHEK, Gabriel ZEGNA, Fiona PARMENTIER

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Janus ou les mutations d’un hôpital de jour Le paradoxe de la femme aux chats 97 Dr Jean-Benoît DESERT, Joanne ARTUS, Isabelle GODFRIN, Viviane LOMBART, Latifa MACHKOURI, Dr Pierre GERNAY Réflexion sur l’historique des programmes de jour à Genève .................................... 104 Athina PETSATODI, Aline POCHON, Françoise LEBIGRE, Béatrice DELESSERT, Martine GOURNAY, Javier BARTOLOMEI Des blancs dans le programme : exercer en équipe l’art de border le vide ........... 108 Olivier RENARD, Alexandra SMAL, Dominique VALETTE, Ulrich WEILAND Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS) : un module original pour patients psychotiques à l’Hôpital de jour du secteur Caen Nord ............................................................................................................................................... 112 Aurélie MONTAGNE LARMURIER, Leila VARGAS, Fabienne VRINAT La ferme thérapeutique de May sur Orne : cohabitation d’une psychiatrie institutionnelle et des principes de réhabilitation psychosociale ............................ 116 Arnaud DUMOULIN, Dr Julie CAUCHY, Estelle LEROUX, Cécile PERRINE Soins de jour au KaPP : la pertinence et l’efficience mesurées dans l’après... ...... 121 Charles-Emmanuel BLONDIAU, Bruno MALEVEZ, Claire SAVEANT, Marguerite VAN DEN BERGH Oublis et vivre, créer au présent .......................................................................................... 127 Dresse Dragana FAVRE, Eric LAUBER, Catherine GARDIOL, Dr Aimilios KRYSTALLIS Synthèse du colloque ................................................................................................................ 135 Dr Xavier De LONGUEVILLE Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation ................................................. 137

Au menu : symptôme sur son lit de soignants servi en hôpital de jour : Cuisine, Contre-Transfert et Dépendances ............................................... Erreur ! Signet non défini. Dr Gilles SIMON, Dr Dino CARNEVALE, Sophie CHAMPAGNE, Claire LEHMAN, Florence PILOTTI, Robin LEJEANNE Amener le patient à bon port ? L’équipe soignante : entre singularités et synergies ......................................................................................................................................................... 142 Pr Yasser KHAZAAL La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles144

BULLETIN DE DEMANDE D’ADHESION ................................................................................ 145

BULLETIN DE RENOUVELLEMENT D’ADHESION .............................................................. 146

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La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles

Déjà parues

n° 1 : Entre idéal thérapeutique et réalité(s) économique(s): quel avenir pour les hôpitaux de jour?, Martigny, 1999

n° 2 : Violences et hôpital de jour, Nancy, 2000

n° 3 : Place, magie et réalité du médicament à l’hôpital de jour pour enfants, adolescents et adultes, Namur, 2001

n° 4 : Comprendre et (re)construire à partir de l’hôpital de jour, Brest, 2002

n° 5 : Évolution des structures de soins: rivalité ou partenariat?, Montreux, 2003

n° 6 : Actualités des psychothérapies institutionnelles pour l’hôpital de jour?, Lille, 2004

n° 7 : Quels projets aujourd’hui pour l’hôpital de jour... de demain?, Liège, 2005

n° 8 : Sorties, à quelles adresses?, Grenoble, 2006

n° 9 : diversite-hyperspecificite@hôpital de jour psy.lu, Luxembourg, 2007

n° 10 : Entre bouée et corset: devenirs de l’étayage à l’hôpital de jour, Champéry, 2008

n° 11 : Dépendances - d’une autonomie à l’autre, le risque de l’altérité, Bruxelles, 2009

n° 12 : Du sexe à l’hôpital de jour: place du pulsionnel dans la vie institutionnelle, Nancy, 2010

n° 13 : Émotions, résonance émotionnelle et hôpital de jour, Verviers, 2011

n° 14 : Dessine-moi un mouton… Cadre, permanence et temporalité à l’hôpital de jour, Saint Lô, 2012

n° 15 : Le modèle dans tous ses états, Lausanne, 2013

n° 16 : Le travail avec les familles en hôpital de jour, Brest, 2014

n° 17 : Au-delà du symptôme… la porte du soin en hôpital de jour, Namur, 2015

n° 18 : Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabi-lité et créativité, Caen 2016

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 5

Cette année 2016 marque une importante évolution pour notre Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Insti-tutionnelles. Le Colloque de Caen, en 2015, a été le mo-ment de propositions d’évolution du Col-loque, certaines ont bousculé les traditions et les habitudes. D’autres seront conservées, ayant fait la preuve de leur intérêt. Comme les hôpitaux de jour eux-mêmes, le Groupement évolue et espère ainsi, sans rien trahir de ses va-leurs, rester en phase avec le temps dans le-quel son activité s’inscrit. Il en va donc de même pour la Revue. Née en 1979, elle est la fille naturelle des Actes qui, depuis l’origine du Groupement, (il en est cette année à son 44ème Col-loque !), étaient publiés après chaque mani-festation. A partir de 2003, avec la création du site in-ternet du Groupement, la revue est devenue disponible sous forme informatisée un an après le Colloque dont elle rendait compte. Dans les prochains mois, le site est amené à évoluer et nous envisageons de rendre ainsi disponibles l’ensemble des revues depuis le numéro 0, paru à la suite du Colloque de Saint Lo, en 1978. Depuis 2003, également, le Prix de la Revue a été instauré qui récompense chaque année le travail de qualité d’une équipe, une ma-nière de rappeler qu’il faut plus que jamais soutenir ce travail pluridisciplinaire qui reste le fondement de l’activité en hôpital de jour. L’informatique a pris une part importante dans l’activité des professionnels de santé, certains le regrettent mais peut-on raisonna-blement échapper aux conditions-mêmes de notre existence ? Et, si l’on en croit Michel Serres, « petite poucette » est aujourd’hui le moyen le plus usité pour communiquer, s’informer, sa-voir... Le personnel de soins, et bien entendu en hôpital de jour comme ailleurs, use (et par-fois abuse dirons les anciens qui en ont même fait une addiction nouvelle !) de ces nouveaux moyens de communication.

Au détriment du papier, écologie oblige ! Alors s’est posée la question de maintenir la revue sous sa forme imprimée et notre Con-seil d’administration en a âprement débattu, sans que cela ne tourne à une querelle des anciens et des modernes... Pour les plus anciens cependant, l’attache-ment à l’objet-revue est profond... ce qui ne signifie pas qu’ils n’utilisent pas eux aussi leur smartphone ! C’est vrai, il est important, pour ceux qui ont animé un atelier, ou qui ont participé ac-tivement à l’un de nos Colloques, d’en gar-der une trace concrète. Mais, si nous voulons être présents auprès du plus grand nombre, dans un moment où la diversité des pensées et des pratiques est un enjeu éthique majeur, si nous souhaitons être reconnus de nos jeunes collègues, qui sont la psychiatrie de demain, il faut désor-mais que l’on puisse trouver la revue et ses articles en tapant chaque titre sur Google, ou tout autre moteur de recherche... C’est pourquoi nous avons décidé de sauter le pas. A partir de 2016, la Revue sera disponible au plus grand nombre sur Internet et sur le site du Groupement. Cela ne signifie nullement une moindre exi-gence éditoriale, bien au contraire. Notre comité de lecture ne modifie pas ses critères de validation, on pourra le constater cette année encore. Nous continuerons également à publier des articles concernant le travail en hôpital de jour ou questionnant la psychothérapie ins-titutionnelle, qui nous semble encore au-jourd’hui un outil majeur. Voici donc le premier numéro d’une nou-velle aventure ! Nous la souhaitons longue et fructueuse ! Longue vie à la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institution-nelles informatisée ! Je voudrais sincèrement remercier le Doc-teur Marie-Noëlle Alary pour sa relecture attentive qui m’a évité beaucoup d’erreurs et fait gagner beaucoup de temps…

Le rédacteur en chef Docteur Patrick ALARY

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Chers collègues, mon introduction sera un peu particulière cette année puisque le groupement des hôpitaux de jour est en deuil. Nous avons perdu au mois de mai le docteur Guy Jonard, qui était l’un des membres fondateurs du groupement, et je vais laisser Jean Bertrand retracer quelques lignes de sa carrière.

Bonjour Guy. Il me revient de vous faire part de notre émotion, et de la souligner en raison du dernier voyage que notre ami et vice-président Guy Jonard a entrepris, sans vraiment y croire, je peux en témoigner. Il n’a pu surmonter les dernières interventions chirurgicales, qu’il croyait au départ bénignes. Le connaissant bien, il n’aurait pas aimé nous voir s’apitoyer sur son départ. C’était pour nous un véritable ami, un compagnon de route, et aussi un bon vivant, comme vous le verrez sur les clichés de la revue splendide qu’a réalisé Patrick Alary pour saluer sa mémoire, et de même que le texte de Christian Monney. Je voudrais simplement souligner qu’il a toujours été très actif dans le groupement. Je citerais entre autres le fait qu’à l’heure de la première rencontre que nous avions initialisée en 73, il avait eu le plaisir de revoir le Docteur Georges Daumezon, qui était notre président à l’époque. Moment historique et marquant pour l’histoire de notre Groupement. Rappelons aussi son originalité puisqu’il avait introduit dans un colloque précédent, celui de Namur, en 2000, une réflexion originale pour l’époque : la place du médicament à l’hôpital de jour. Enfin, je voudrais vous signaler qu’il adorait les photos, et qu’il aimait vraiment qu’on le photographie. Je pense que l’inconscient de Patrick Alary était sans doute en action car on le retrouve à chaque page de la revue. Grâce à ceci aussi, Guy, tu ne nous quittes pas. Merci.

Merci Jean. Jean Bertrand est avec Guy Jonard le fondateur du Groupement des hôpitaux de jour en Belgique. Ici, nous nous trouvons en France, avec un président de ce groupement qui est suisse. En Suisse, nous avons une habitude, une tradition, qui est celle de faire une minute de silence en l’honneur des personnes que nous avons perdues. Aussi, vous serai-je reconnaissant de bien vouloir vous lever et de faire une minute de silence en la mémoire de Guy Jonard s’il vous plaît. ... Je vous remercie. Comme Jean Bertrand l’a rappelé, Guy Jonard était un bon vivant ; il aurait souhaité que ce colloque soit joyeux, et il le sera. J’aimerais dédier ce colloque à sa mémoire, et j’espère que nos travaux seront à la hauteur de ce qu’il espérait, c’est-à-dire festifs, joyeux, pleins d’échanges et de vivacité. Je vous remercie de votre attention.

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Bonjour à tous, Tout d’abord, je m’associe aux remercie-ments : - à l’Agence Régionale de Santé de nous faire l’honneur d’ouvrir ce colloque ; - à la municipalité Caennaise de son ac-cueil et de son soutien dans la tenue de ces journées ; - à nos conférenciers d’avoir bien voulu répondre présents ; - à l’Etablissement Public de Santé Mentale de Caen et l’Association PRISME pour le travail en commun dans l’organisation du colloque ; - à Metilde et à Vincent, pour leur effi-cacité et leur sympathie ; - à vous tous d’être là et à tous ceux que j’oublie, notamment notre équipe logis-tique qui vous accueille.

Alors Soins de Jour en Psychiatrie, tel est l’intitulé général de ces Journées. Nous sommes convenus d’explorer les différentes modalités des actions théra-peutiques de Jour en Psychiatrie, selon le lieu, le tempo, la technique, les principes et jusqu’aux programmes. Ce n’est donc pas étonnant que nous trouvions au fil des intitulés des ateliers les mots tels que « Expérience, Créativité, Hospitalité, Autonomie, Capacités sociales, Menu, Jeu, Laboratoire. » Ce sont tous ces mots qui ont été le fil conducteur de l’organi-sation de ce colloque. Ainsi nous avons souhaité que ce col-loque repose sur l’expérience, la créati-vité, l’autonomie et la socialisation de vous tous.

Nous proposons à chacun de déterminer les 6 ateliers, une sorte de menu, auquel il souhaite participer demain et d’en retenir d’ores et déjà les lettres et les salles cor-respondantes. Un responsable d’atelier vous accueillera et se chargera de la répartition dans la salle. Cette organisation qui semble flottante n’a pas manqué d’inquiéter notre comité scientifique... Nous comptons sur vous et vos choix actifs d’ateliers (les sessions sont affichées clairement dans le hall) pour que tout se déroule aussi bien que possible. De Caen, vous direz soit qu’il s’agissait d’un joyeux bazar, soit que tout cela n’était pas si mal. Nous comptons sur vous. Et pour ce faire, nous vous le rappellerons tout au long de nos journées, merci de penser à rensei-gner la fiche d’évaluation qui vous a été remise à votre arrivée Par ailleurs, sachez que nous aurons au cours de cet après-midi, des intervenants-surprise. Enfin, pensez, pour ceux que cela inté-resse, à vous inscrire pour la visite guidée du cloître et de l’hôtel de ville qui aura lieu ce soir à 19 heures. Les inscriptions se feront pendant la pause cet après-midi. Je déclare officiellement le XLIIIème Col-loque du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques ouvert !!! Merci à vous.

L’AUTEUR Dr Patrick GENVRESSE Psychiatre, Directeur médical Maison des Adolescents du Calvados 9 Place de la Mare 14000 Caen France

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Bonjour, Il m’appartient d’ouvrir ce colloque en ma qualité de premier intervenant. Je ne vais pas abuser de cette primauté pour vous accabler sur des considérations gé-nérales. Je souhaite simplement faire part de quelques observations puis adresser, en ma qualité de directeur de l’Etablisse-ment Public De Santé Mentale, quelques remerciements et pour conclure glisser une suggestion. Je voudrais : - Tout d’abord saluer l’existence du Groupement des hôpitaux de jour psy-chiatriques francophone, société qui a le mérite d’être transnationale dans un con-texte où, malheureusement, les nationa-lismes s’affichent de plus en plus. La présence de près de 80 belges, de 40 suisses et de 6 luxembourgeois à côté de 130 français est aussi l’illustration d’un esprit européen à défendre. - Saluer également la diversité des parti-cipants français qui viennent de plu-sieurs régions même si la composante normande, forte de 80 personnes, est im-portante, me réjouir de la présence d’une vingtaine des congressistes venant d’une région qui m’est chère, la Bretagne. A ce propos on pourrait, au moment où les deux Normandie vont se retrouver dans une seule région, réévaluer l’importance de cette délégation régionale en y inté-grant les 6 autres participants venant de Loire Atlantique. Mais j’en resterai là car je ne voudrais pas susciter des réac-tions à ce propos d’autant que nos amis belges et suisses savent combien il peut être difficile d’être confronté à l’altérité dans son propre pays. - Saluer aussi la diversité profession-nelle de votre assemblée où se côtoient nombre d’infirmiers, de médecins, de psychologues, d’ergothérapeutes et d’autres catégories professionnelles. Cette diversité montre que la pluri-pro-fessionnalité recommandée pour d’au-tres spécialités médicales est une réalité déjà ancienne dans le champ de la psy-chiatrie. - Souligner que dans une période où les pouvoirs publics français nous invitent à pratiquer avec le “benchmarking”, votre

société est depuis longtemps un lieu de confrontation des pratiques où les lo-giques comparatives sont à l’œuvre.

En matière de remerciements, je souhaite tout d’abord remercier le Groupement des hôpitaux de jour psychiatriques franco-phones de la confiance qu’il a accordé à l’établissement en lui confiant l’organisa-tion de son XLIIIème colloque. Je tiens aussi à remercier Patrick Genvresse pour l’initiative qu’il a prise en proposant au groupement que Caen soit le lieu de cette manifestation. Je me réjouis aussi que, compte tenu des perspectives nouvelles que va fixer la loi de santé en discussion devant le Parle-ment français, les équipes de l’Etablisse-ment Public De Santé Mentale de Caen et celles du Centre Hospitalier Universitaire de Caen ont pu travailler ensemble à la ré-ussite de cette manifestation. La nouvelle loi va inéluctablement nous conduire à nous rapprocher tant la situation Caen-naise, voire calvadosienne, est atypique. Il convient, malgré les nombreuses in-quiétudes qui s’expriment quant à la place faite à la psychiatrie dans le nouveau pay-sage hospitalier qui se dessine, d’aborder cette nouvelle période avec sérénité et confiance. Pour en terminer avec les remerciements, je veux saluer la petite équipe au sein de laquelle Métilde Havard et Vincent Kubker ont occupé une place essentielle et qui, depuis plusieurs mois, s’est activée pour que ce colloque soit une réussite. Mes remerciements seraient incomplets si je ne mentionnais pas la Ville de Caen qui, dès les premiers jours, nous a mani-festé son soutien et dont une des modali-tés pourra être appréciée par les person-nes qui participeront ce soir au diner de gala. Enfin, Monsieur le Président, je vous sug-gère de modifier le libellé de votre grou-pement pour qu’il reflète mieux le champ de vos intérêts et d’adopter comme déno-mination l’intitulé de la thématique de ce colloque : les soins de jour en lieu et place des seuls hôpitaux de jour. Bon colloque !

L’AUTEUR Jean-Yves BLANDEL Directeur Etablissement Public de Santé Mentale 15 ter, rue Saint-Ouen BP 223 14012 Caen cedex France

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 9

Bonjour à tous, En tant que représentant de l’Agence Ré-gionale de Santé de Basse-Normandie1, c’est un grand honneur et un grand plaisir de pouvoir accueillir à Caen le XLIIIème Colloque du Groupement des hôpitaux de jour psychiatriques francophones. Vous le savez, notre offre de soins est en constante évolution pour s’adapter aux besoins d’une société en profonde muta-tion, dans un contexte où la ressource mé-dicale et les moyens financiers sont comptés comme rarement auparavant. Simultanément, l’interpellation forte de notre système de soins par les individus, les usagers, la société, la contestation par-fois de ce système de soins, la dénoncia-tion de ses manquements avérés ou sup-posés, les difficultés de ce système de soins, nous renvoient collectivement, nous en tant qu’autorité de tutelle, vous en tant que professionnels de santé, à la question incessante de notre capacité d’adapter nos organisations pour tenter de répondre au mieux aux attentes expri-mées, et en même temps, ce qui n’est d’ailleurs pas forcément toujours la même chose, de prendre en charge les pa-thologies de la manière la plus appropriée dans une interaction constante et parfois compliquée avec la société. En région Basse-Normandie, la directrice générale de l’Agence Régionale de Santé, que je représente aujourd’hui, a engagé

une profonde réorganisation de l’offre de soins dans la région pour tenter de ré-soudre les difficultés que nous rencon-trons : démographie médicale atone, dif-ficultés financières des établissements, accès aux soins pour la population. Nous pourrions croire que cette réflexion n’aborde que très marginalement la psy-chiatrie tant elle paraît aujourd’hui, en tout cas dans cette région, se concentrer sur la recomposition des plateaux tech-niques spécialisés du court séjour. Ce sont d’ailleurs les difficultés suscitées par cette même recomposition que nous avons engagée qui m’empêcheront d’as-sister, je le regrette, à vos travaux cet après-midi, pris par d’autres manifesta-tions, sous une autre forme. Je crois cependant que cette recomposi-tion et que les réponses que nous tentons d’apporter aux difficultés sur ces activités peuvent peu ou prou inspirer des évolu-tions que nous devons engager dans le do-maine de la psychiatrie. Il nous faut réus-sir en effet à concilier en permanence des contradictions et relever au quotidien le défi du soin juste et adapté. Je souhaite vivement que ces journées d’échanges puissent alimenter, par le croisement des expériences menées dans vos pays, nos réflexions et nos actions à venir. Bon colloque !

L’AUTEUR Vincent KAUFMANN Directeur Général Adjoint Agence Régionale de Santé de Normandie 31, rue Malouet BP 2061 76040 Rouen France

1 Le 1er janvier 2016, les deux Normandie ont été réunifiée...

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 10

Bonjour, Je suis ravie de représenter Monsieur le maire, Joël Bruneau, pour vous accueillir aujourd’hui. Vous êtes tous des praticiens, des per-sonnes au contact avec la société, qui a besoin de vous, et vous venez de diffé-rents pays européens : étant en charge également dans ma délégation de maire-adjoint aux délégations européennes, je suis d’autant plus ravie de vous accueillir aujourd’hui. Je voudrais tout simplement rappeler et saluer tout le travail accompli au niveau des équipes de l’Etablissement Public de Santé Mentale de Caen, car organiser un colloque n’est pas toujours facile. Au nom de toute l’équipe municipale, je te-nais à vous en remercier, et à tous vous souhaiter la bienvenue. Très documentées et riches en échanges, les conférences et ateliers sur le thème des soins de jour en psychiatrie vont ponctuer ces deux jours et favoriser, je l’espère, les relations entre les différentes structures, encourager une réflexion com-mune sur les actions, la place, la spécifi-cité de ces unités de soins dans la trajec-toire du patient. Les travaux de ce colloque vous donne-ront aussi l’occasion de réfléchir et de tra-vailler ensemble sur l’évolution des pra-tiques en hôpitaux de jour. Je tiens aujourd’hui à remercier et à avoir un petit mot pour Monsieur Blandel, pour l’implication de l’Etablissement Public de Santé Mentale et de toute son équipe, car ils sont très importants au niveau de l’engagement actif au service de la lutte contre les maladies mentales. Je salue également le dévouement et le travail de monsieur Patrick Genvresse, qui en tant que chef du pôle de psychiatrie de l’en-fant et de l’adolescent à l’Etablissement Public de Santé Mentale et directeur mé-dical de la maison des adolescents du Cal-vados, est à l’initiative de ce colloque. Je tiens à vous en remercier très sincère-ment. Comme vous le savez certainement, la ville de Caen est assez au fait de toutes ces problématiques et a réalisé un dia-gnostic pour élaborer son plan local de

santé. Pour développer les initiatives et faire de la ville de Caen un territoire exemplaire, un conseil local de santé mentale a été élaboré en partenariat avec l’Etablissement Public de Santé Mentale. Inscrit sur toute la durée du contrat local de santé, ses missions vont consister à dé-velopper un observatoire permanent des questions de bien-être sur la ville de Caen, à améliorer la gestion des situations complexes, de crise, et des cas probléma-tiques, à développer des espaces de for-mation et d’information des acteurs du terrain, à constituer un guichet unique pour les Caennais, et enfin, développer des événements et des actions visant à dé-stigmatiser la souffrance psychique et lut-ter contre l’exclusion des personnes en souffrance psychique, car il est important de savoir ne pas les exclure. A ces fins, le conseil local de santé men-tale sera composé de différentes instances de coopération : je pense à la cellule de coordination qui pourra saisir de théma-tiques spécifiques et apporter des ré-ponses collectives aux besoins des Caen-nais et des acteurs du territoire, mais éga-lement à la cellule de gestion de cas com-plexes et de crise, qui aura pour mission d’apporter des pistes de réponse à des si-tuations complexes repérées. Pour toutes ces raisons, la ville de Caen est très fière d’accueillir votre colloque sur les soins de jour en psychiatrie, car ce colloque œuvre aussi pour l’évolution des pratiques par le biais de vos conférences et ateliers. En tant que maire-adjointe de la ville de Caen, je peux affirmer que nous avons ré-gulièrement l’occasion de nous rencon-trer avec les associations et les structures locales. Je pense à l’Agence Régionale de Santé et je salue Monsieur Kaufmann. Je tiens tout particulièrement au maintien de ce lien pour permettre la mise en œuvre des projets toujours plus adaptés aux soins de jour. J’en terminerai en remerciant toutes les personnes qui sont engagées autour de ce colloque dont la dynamique me ravit. J’ai appris que votre colloque se déplace en Europe, et donc je suis toujours très heu-reuse de pouvoir faire de Caen le centre sur une ou deux journées au niveau de ce que nous pouvons vous aider à réaliser.

Je vous remercie de votre attention, et je vous souhaite un excellent moment. Je ne serai pas parmi vous ce soir, je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Pour ceux qui l’ont souhaité, vous pour-rez visiter notre Hôtel de ville, qui est aussi un monument historique. Je vous souhaite de travailler pour le mieux-être de tous les patients et toutes les personnes qui souffrent au niveau psychiatrique et pour lesquelles on ne trouve pas toujours la solution. Bon colloque à tous et merci !

L’AUTEUR Catherine PRADAL-CHAZARENC Maire-Adjointe Mairie Esplanade Jean-Marie Louvel 14000 Caen France

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 11

Mesdames, Messieurs, chères consœurs, chers confrères, Je ne vais remercier personne mais je n’en pense pas moins. Je vais surtout vous remercier de votre présence, d’avoir pris ce moment pour consacrer du temps à la réflexion, à pouvoir enfin penser à nos pratiques, à échanger, ce que nous avons tant de mal à faire. Je vois ma collègue qui va animer un ate-lier demain, madame Aurélie Montagne-Larmurier ; nous travaillons au même en-droit très souvent mais nous passons pourtant la journée sans avoir le temps de nous poser pour discuter, et je crois que ce doit être aussi pour vous souvent le cas. Avec cette première séance plénière, nous allons d’emblée prendre les choses en main puisque nous accueillons deux professionnels de pratiques différentes, peut-être complémentaires, nous le ver-rons en prenant connaissance de leurs ex-posés. En tant que responsable de Centre Mé-dico-Psychologique, nous sommes sou-vent aux prises avec des situations de per-sonnes de plus en plus complexes, de plus en plus douloureuses, de plus en plus dé-structurées, qui nous mettent personnelle-ment en difficulté. Parfois, on se dit en ré-union : « Mais par quel bout va-t-on prendre cette histoire ? Par quel bout va-t-on pouvoir aborder la personne telle-ment tout semble chaotique et déstruc-turé ? ». Donc je pense que nous aurons grand pro-fit à faire connaissance avec vos ap-proches.

L’AUTEUR Pr Perrine BRAZZO Praticien hospitalier universitaire Centre Hospitalier Universitaire Avenue de la Côte de Nacre CS 30001 14033 Caen cedex 9 France [email protected]

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 12

Réflexions introductives À nouveau, Patrick Genvresse et son équipe nous proposent, dans le XLIIIème Colloque des hôpitaux de jour, de nous in-terroger sur nos pratiques au travers de trois questions principales : - Qu’est-ce qu’un soin de jour en psy-chiatrie ? - Qu’est-ce que le soin en hôpital de jour ? - Une définition de l’hôpital de jour est-elle possible ?

Après 42 colloques, on ne peut que faire le constat d’une grande diversité parmi les hôpitaux de jour, diversité fondée sur une multiplicité de critères, modèle théorique, structure architecturale, organisation des soins, équipe thérapeutique, tranches d’âges, pathologies traitées, situation géo-graphique dans la ville...

Aujourd’hui, il faut ajouter à cette multi-plicité les définitions administratives. En Suisse, par exemple, pour prétendre à la facturation “hôpital de jour”, il faut défi-nir et justifier d’un nombre prédéterminé d’heures d’activités thérapeutiques pro-posées par une équipe composée de pro-fessionnels bien spécifiques. Cela soulève toute sortes de questions, on peut l’imagi-ner. Ainsi, une question essentielle : qui détermine le soin en hôpital de jour ? Mais au-delà de ces tentatives de défini-tion, ce qui demeure fascinant dans le quotidien d’un hôpital de jour, c’est de constater à quel point il est un espace de vie, un organisme complexe qui se main-tient en équilibre et, dans le même temps, est en constante évolution.

Véritable bambou, subtile mais forte ten-sion entre des racines solides, perma-nentes et des branches souples, adap-tables, le soin en hôpital de jour n’est pas seulement technique, il est intriqué dans la vie et donc animé par différentes ten-sions sources de conflits, mais aussi diffé-rents leviers, pour autant qu’on puisse en avoir conscience et, encore mieux, en jouer.

Qu’est-ce que le soin en hôpital de jour ?

Pourquoi va-t-on à l’hôpital de jour ? Qu’y fait-on et comment le fait-on ? Dans notre hôpital de jour, un jeune pa-tient de 22 ans, en retrait, venait pour sa 2ème journée de visite en vue d’une inté-gration. Il s’est subitement exprimé lors de notre Forum hebdomadaire en ces termes : « Comment l’Institut Maïeutique soigne ses patients » ? La question de ce jeune interpelle. Lui bé-néficie d’un réseau de professionnels composé de différents partenaires, il est résident dans un foyer et il est également suivi par une case manager et un psy-chiatre dans le programme d’intervention précoce pour la psychose émergente. Que nous demande-t-il ? Comment la psychiatrie soigne-telle ses patients ? Comment l’hôpital de jour peut-il prendre une part dans ses soins ? Sommes-nous vraiment différents des autres interve-nants ? La question de ce jeune homme soulève aussi la question de l’identité de l’hôpital de jour. Nous y reviendrons car chaque hôpital de jour a une identité et une cul-ture différente.

« Alors que l’avenir reste insaisissable, les incertitudes du présent exigent de maquiller l’angoisse par une hyperactivité leurrante. » Toute prise en charge multidisciplinaire est mise à l’épreuve de tensions. L’hôpital de jour n’échappe pas à cette réalité, pour ceux qui soignent ou accompagnent, comme pour ceux qui sont soignés et accompagnés. Après avoir mis en évidence ces diverses tensions, entre thérapeutique et éducatif, entre sources et continuité, entre soin et réinsertion, entre tension et flottement, entre imperméabilité et perméabilité, entre processus et résultat, entre changement et résistance au changement, entre clinique et administratif, entre professionnalisation et humanisme, entre homogénéité et hétéro-généité, entre psychothérapie institutionnelle et modèle du rétablissement, entre permanence et adaptabilité, entre besoins indi-viduels et besoins groupaux, entre appartenance et autonomie, entre espaces formels et informels..., l’auteur montre comment la conflictualité est inhérente à la vie institutionnelle. Les conflits doivent être regardés comme nécessaires et constructifs s’ils permettent à l’équipe et aux patients de sortir d’une zone de confort, d’explorer, de jouer, d’évoluer. Mettre l’institution sous haute tension, c’est accepter de cheminer ensemble vers un équilibre sensible qui traverse le séjour du patient en hôpital de jour. La condition de ce cheminement, prélude au changement, c’est que chacun garde la capacité de maintenir une écoute flottante du patient et de ce qui se passe au niveau institutionnel : c’est dans l’équilibre entre la tension et le flottement qu’émerge la rencontre authentique et la vitalité institutionnelle. Mots-clefs : hôpital de jour, soin, changement, permanence, identité, médiations thérapeutiques, équilibre, alliance thérapeutique

High Voltage day hospital: attention changes!

“While the future remains elusive, the uncertainties of this demanding makeup anxiety by luring hyperactivity.” Any multidisciplinary care is put to the test voltages. Day Hospital is no exception to this reality, for those who care or accompany, as for those who are cared for and accompanied. Having highlighted these various tensions between therapeutic and educational, between sources and continuity between care and rehabilitation, between tension and flutter between waterproofing and permeability between process and result, between change and resistance to change, between clinical and administrative between professionalism and humanism, between homoge-neity and heterogeneity between institutional psychotherapy and model of recovery, between permanence and adaptability, be-tween individual needs and requirements grouped between belonging and autonomy, between formal and informal spaces ..., the author shows how conflictuality is inherent in the institutional life. The conflict must be regarded as necessary and constructive if they allow the team and patients out of a comfort zone, to explore, to play, to evolve. Turn on the high voltage institution is willing to walk together towards a delicate balance that runs through the patient’s stay in hospital day. The condition of this path, prelude to change, is that everyone keeps the ability to maintain a patient’s floating attention and what happens at the institutional level: this is the balance between tension and floating emerges authentic encounter and institutional vitality. Keywords: day hospital, care, change, permanence, identity, therapeutic mediation, balance, therapeutic alliance

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Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements !

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 13

Et si on remplaçait « Institut Maïeutique » par le nom de d’un autre hôpital de jour ? Que répondrait-on ? Au Centre Esquirol à Caen ? A la clinique Saint Jean à Bruxelles ? A l’ESCAL à Genève ? A la Clé à Liège ? Où situer les similitudes ? Comment dé-crire les divergences ? Et ces questions ne se posent-elles pas aussi à l’intérieur même des structures ? L’interpellation de ce patient a réactivé une réflexion qui sourde constamment en colloque d’équipe. L’hôpital de jour “d’aujourd’hui” n’est plus celui “d’hier”, le contexte dans lequel il évolue s’est considérablement modifié. Désormais, l’hôpital de jour fait partie d’un système de santé psychiatrique qui s’est métamorphosé, étoffé et diversifié. Il en va ainsi au travers de la réorganisation de l’hôpital et la diminution de la durée des hospitalisations, du développement des programmes spécifiques par patholo-gie, tel que le programme de traitement et intervention précoce dans les troubles psychotiques, ou, encore, du développe-ment des équipes mobiles qui intervien-nent dans le milieu et qui sont parfois d’excellentes alternatives à l’hôpital de jour. De l’hospitalier à l’intervention dans le milieu, chacun voit sa mission et son man-dat évoluer, le travail en réseau se multi-plier. ... Réseau de soin qui, soit dit en passant, est tenu de bien s’articuler pour la santé psychique de tous ! Des patients, mais aussi des équipes ! Dans ce nouveau contexte, il est impor-tant d’ajouter aussi les contraintes admi-nistratives qui mettent en tension l’hôpital de jour. D’un concept “vendu” » comme une intervention moins onéreuse que l’hô-pital, l’hôpital de jour devient parfois “trop cher”. Mais, s’il est aujourd’hui im-pératif de ne pas négliger le coût de la santé, ce serait avoir une vision trop ré-ductrice de l’évolution de l’hôpital de jour que de limiter la logique de son évolution à cette seule prise en compte des coûts. Pour penser cette évolution, plus fruc-tueuse est une piste multifactorielle qui ajoutera à ce qui précède la modification de l’attente des patients et des proches. Avec sa question, le jeune homme, pas en-core admis, nous invite à prendre en compte ce que lui attend spécifiquement des soins. Plus généralement, nous de-vons nous laisser interroger par la de-mande de chaque patient. A la création de l’Institut Maïeutique en 1955, les patients et les proches venaient chercher une alternative à l’asile. C’était une communauté thérapeutique où l’hôpi-tal de jour était investi comme un projet de vie avec une prise en charge globale et en continu.

Dans les années 80’, le projet de vie laisse place au projet de soin, un soin qui s’as-sume et se définit de plus en plus fine-ment. La durée des hospitalisations ayant beaucoup diminué, l’hôpital de jour de-vient une alternative ou une intervention post-hospitalière, la stabilisation y est une forme de consécration. Depuis une quinzaine d’années, l’hôpital de jour est investi par le patient comme un lieu de réinsertion, une structure intermé-diaire, souvent fréquentée à temps partiel et qui l’accompagne pour un temps… un temps qui diminue de plus en plus avec le temps ! Tous ces changements mettent l’hôpital de jour sous haute tension ! De plus en plus, la prise en charge se construit sur une conception où la maladie devrait être une parenthèse vite fermée qui conduite à une contraction du champ du soin. Les impératifs, plus ou moins ex-plicites, tendent vers un chevauchement entre le processus et la finalité ce qui en-gendre des enjeux de performance et d’ef-ficience pour tous les acteurs de l’hôpital de jour. Ce nouveau contexte amène de nouvelles questions : jusqu’où le soin reste-t-il le soin ? Quelle est l’articulation entre le soin et la réinsertion ? Et de quelle réin-sertion parle-t-on ? Sociale ? Scolaire ? Professionnelle ? Le fil conducteur du soin en hôpital de jour est-il encore l’accueil inconditionnel de la souffrance ? Comment donner du sens à ces change-ments relevant de pressions intérieures et extérieures ? Le changement est un processus dyna-mique et constant, à l’instar de la vie. Alors que le non-changement, l’homéos-tasie, implique la mort, lente, mais cer-taine. Dans ce contexte, les hôpitaux de jour doivent-ils s’adapter pour survivre ? Et, si la réponse est affirmative, jusqu’où peu-vent-ils le faire sans se dévoyer ?

Derrière la porte d’un hôpital de jour sous haute tension…

A l’intérieur de l’hôpital de jour, cette haute tension résonne et fait vibrer d’autres cordes sensibles.

En pratique, bien que notre volonté d’ac-cueillir une patientèle hétérogène en âge et en pathologie ait toujours été constante, la population a évolué. Aujourd’hui, 70% des patients ont entre 16 et 30 ans. Et cette patientèle arrive avec de nouvelles at-tentes. Nous constatons quotidiennement, que peu d’adolescents et de jeunes adultes sont demandeurs de soins. Période où l’enjeu identitaire est sensible, l’adoles-cence est en soi un bouleversement et une perte de repères. La construction d’un avenir y est centrale avec l’idée que le fu-tur professionnel se joue à ce moment-là. Les soins devant s’articuler avec ces con-tingences, ils n’en sont que plus difficiles à gérer et introduire. Les jeunes patients n’ont donc pas tou-jours de motivation pour un soin et n’en voient pas souvent le sens. La demande verbalisée c’est d’avoir une vie normale, avoir des amis, sortir ou ne pas sortir de son lit, ne pas prendre de médicaments, al-ler à l’école... Souvent, dans un premier temps, ils parlent peu de leur maladie mais plutôt de ses conséquences sur la vie concrète. L’intégration à l’hôpital de jour peut re-présenter une rupture dans la construction sociale avec cette question sous-jacente, comment construire un projet de vie alors que la scolarité/la formation est mise de côté ? Et pour nos patients, il est parfois difficile de s’engager dans des soins sans certitude quant à leur durée ou leur fina-lité. Il faut donc les amener à concevoir ce temps du soin, perçu comme perdu, comme un temps gagné. On pourrait dire que notre défi va être de “danser avec le patient” sur cette tension, entre le projet du patient, parfois trop am-bitieux, et le nôtre, parfois trop concret. Notre objectif est alors de s’allier à l’at-tente du patient qui se situe souvent dans un premier temps au niveau de la forme, tout en tentant de le mobiliser aussi autour de la souffrance. Nous avons besoin d’humilité et de sou-plesse pour accompagner le jeune patient à s’engager intentionnellement et contrac-ter une part de responsabilité dans son propre projet de soin. Le nom « Maïeu-tique », avait d’ailleurs été choisi pour il-lustrer cela à travers la métaphore de So-crate de la sage-femme et de l’accouche-ment pour valoriser la mobilisation des ressources et du partenariat dans le soin. La construction de ce partenariat prend place dans la tension entre la pression des différentes temporalités, celle du patient, des proches, du réseau, et les hésitations nécessaires et propres à ce processus d’engagement.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 14

Dans ce sens, l’adhésion au soin est en soi un processus thérapeutique car il renforce le jeune dans une position d’autodétermi-nation où il est accompagné dans sa glo-balité, tout en étant un sujet singulier et unique, pris dans sa culture et son histoire. Dès le premier contact et pour tout le sé-jour, le lien, la relation tissée avec le pa-tient, la rencontre intersubjective va être au cœur du soin de jour.

Le programme thérapeutique Malgré la modification de la demande des patients, le soin que l’on propose en hôpi-tal de jour reste fondamentalement per-manent. Mais cette stabilité est néanmoins bousculée et animée par des tensions. Pour le patient, le pari est de s’inscrire dans un programme de soins personnalisé qu’il aura co-construit. Il va investir cette organisation en fonction de sa probléma-tique, de ses ressources, et les enjeux pour chacun se déploieront ensuite à des ni-veaux différents, suivre ou non son pro-gramme de soins, y être seulement présent ou y travailler ses difficultés. Il s’agit donc principalement d’activités groupales et à médiation car la médiation dans les groupes permet la rencontre avec des patients qui ont des difficultés impor-tantes de symbolisation, à penser, à se penser. La médiation, le “faire ensemble”, permet également la valorisation des res-sources et chacun peut retrouver, voire trouver, du plaisir. De plus, il s’agit aussi d’être en lien avec les autres, les pairs, et de développer ainsi un sentiment d’appar-tenance au groupe. Un travail thérapeutique individuel s’ef-fectue au sein d’un groupe thérapeutique. Et il y a toujours une tension entre les en-jeux individuels et les enjeux groupaux. De même, entre les aspects thérapeutiques et les aspects éducatifs. Autrement dit, entre des éléments relevant de la vie psy-chique et ceux relevant de la réalité. Au sein de cette permanence, les types de médiations ont naturellement évolué avec le rajeunissement de notre population, pa-tiente et soignante, la comédie musicale, les activités de la vie quotidienne, le slam, la pâtisserie, le montage vidéo sont des exemples d’activités qui ont vu le jour ces dernières années à l’initiative des patients

et des membres de l’équipe. Ces nou-velles activités côtoient des activités qui existent depuis toujours comme la musi-cothérapie, le psychodrame, le séminaire de psychologie, l’ergothérapie. Pour rencontrer le patient autour de sa de-mande, nous avons aussi mis en place des temps individuels pour accompagner les jeunes dans leur projet de stage ou de re-cherche de formation. L’expérience de ces dernières années nous montre que c’est finalement une médiation comme une autre : le jeune a envie de parler de son avenir, qui le préoccupe, mais il ne va pas forcément au bout d’actions con-crètes… Alors, bien souvent, il n’est pas nécessaire dans un premier temps de réfé-rer le jeune à un spécialiste en orientation mais plutôt de porter ce projet d’ouverture extérieure, au sein du soin. La situation s’inverse évidemment lorsque le jeune se prépare à partir.

L’équipe en tension L’équipe doit s’adapter à l’évolution du soin de jour. Par évolution, évidemment, on n’entend pas roulement des collabora-teurs mais bien conception d’une équipe et de son fonctionnement au sein de l’hô-pital de jour. D’une équipe qui fonctionnait en continu et plutôt comme un tout indifférencié, les culture-métiers et les champs de compé-tences se sont spécifiés à travers le temps pour aboutir aujourd’hui à une équipe plu-ridisciplinaire. La polyvalence des colla-borateurs demeure un ingrédient fonda-mental du soin en hôpital de jour. Et nous veillons à préserver de nombreux mo-ments de la vie institutionnelle où nous nous retrouvons tous ensemble aux côtés des patients car l’équipe forme un tout et ce tout a une fonction contenante. Cette différenciation à travers la « profes-sionnalisation » de l’équipe a été vécue en même temps comme une nécessité et une évidence mais également, par moments, comme un risque de perdre en humanité. La tension est bien palpable… Il ne s’agit pas de prendre une position d’expert tout puissant, ni de se spécialiser indéfiniment dans les actes, mais bien de percevoir la possibilité d’émergence de capacités nou-velles.

L’AUTEUR Muriel REBOH SERERO Psychologue Fondation Institut maïeutique Giovanni Mas-tropaolo Rue Sainte-Beuve 4 1005 Lausanne Suisse [email protected]

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Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements !

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 15

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Parallèlement les exigences de transmis-sions écrites, des procédures et du travail administratif ont augmenté, possibles ori-gines de résistances. Quoiqu’il en soit, chaque membre de l’équipe peut être tra-versé par des tensions entre sa fonction et son vécu, entre un idéal et la réalité quoti-dienne, sans compter les tensions qui ani-ment les patients et qui entrent en réso-nance avec celles de l’équipe. Mais au sein de ces tensions, l’équipe fait preuve d’une incroyable capacité d’adap-tation et de créativité en se mobilisant quotidiennement pour rencontrer de ma-nière authentique les patients. Car c’est un véritable travail d’équilibriste d’accueillir leur demande, de les accompagner à pren-dre un bout de vie psychique à travers l’institution tout en les emmenant vers l’autonomie. A l’hôpital de jour, les pa-tients doivent pouvoir être accueillis tout en se préparant à aller ailleurs. Cette ten-sion entre le processus d’appartenance et celui d’autonomisation est un autre axe fondamental du soin en hôpital de jour.

La vie institutionnelle Nous vivons chaque jour une vie institu-tionnelle qui transcende la somme des parties. L’hôpital de jour est un tout complexe, vi-vant et dynamique car il accueille heure par heure la relation avec le patient. Et à l’image de ce dernier, il peut s’adapter à des changements mais ne peut pas se di-viser indéfiniment et se retrouver déman-telé et morcelé. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous défendons la facturation forfaitaire, à l’instar d’une facturation à l’acte qui pourrait paraître de prime abord plus avantageuse financièrement mais qui ne traduirait pas l’entièreté de notre travail. D’autre part, “l’action thérapeutique” prend place dans un programme de soin formel mais également dans des inters-tices qui habitent différents espace-temps du soin de jour. Ces moments informels, parfois perçus comme des flottements ou des vides, sont loin d’être anodins car ils offrent la possi-bilité de se rencontrer “sur le côté”, un subtil jeu relationnel.

Ils sont également un excellent baromètre ou régulateur des différentes tensions. Certains espaces interstitiels ne sont pas prévisibles. Certains sont proposés par les patients alors que d’autres peuvent être “construits” et pensés par l’équipe soi-gnante pour favoriser l’émergence du lien thérapeutique. Dans ce sens, notre réflexion en équipe sur les repas illustre de nombreux élé-ments déjà abordés. Il faut dire que même si nous nous sommes installés en 1955 au centre-ville pour favoriser l’insertion dans la cité, la discrétion était de rigueur et les frontières étaient plutôt imperméables. Les repas ont toujours été un moment important de la vie à l’hôpital de jour. Durant de nom-breuses années, toute l’équipe et tous les patients prenaient leur repas ensemble. Chacun était accueilli à table par une pe-tite plaquette personnalisée qui lui signi-fiait où était sa place. C’était le rôle du psychologue responsable que d’assigner à chacun, chaque matin, sa place. Progressivement, reflet de l’évolution de nos réalités, les patients ont commencé à venir à temps partiel, et certains souhai-tent manger dans les bistrots du quartier, ce que nous encourageons comme un signe d’intégration. L’équipe, jusque-là ensemble en continu, voit ses horaires se diversifier et le nombre d’activités for-melles augmente pour répondre aux exi-gences administratives. L’espace-temps repas se retrouve peu à peu compressé.

Et pourtant, on continue à défendre ce moment comme un liant important de la vie en hôpital de jour. On en parle beau-coup en équipe, on laisse tomber les pla-quettes, on met en place un soignant “hôte d’accueil” qui place à table, on fait des listes et des listes à n’en plus finir, on se définit comme une salle à manger et non comme une cafétéria, on se met même d’accord sur un temps qui respecte les dif-férents rythmes avant de se lever pour faire la vaisselle ensemble car ce qui n’a pas changé en 60 ans c’est « qui mange range ! ». On refuse les pique-niques, ar-gumentant qu’un repas partagé ou amené n’a pas la même symbolique, on invente un cybercafé dans la salle à manger après le repas, on crée des ateliers cuisine…

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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Bref, par “essai-erreur”, nous cherchons à combler une insatisfaction, la tension et l’écart qui se sont créés entre un mythe fondé sur la nostalgie de la communauté thérapeutique et notre réalité actuelle. On continue à en parler régulièrement en équipe. Un jour, il y a quelques mois, un bel hôtel lausannois procède à une liquidation et nous offre des tables rondes en bois qui font penser à ces tables conviviales. Ce réaménagement d’intérieur imprévu provoque un véritable changement. Il prend évidemment place suite à une longue élaboration mais néanmoins, du jour au lendemain, le climat se modifie, les échanges sont facilités, les frustrations diminuent. Encouragés par ce mouvement, nous pre-nons ensuite la décision de prendre soin de cet espace thérapeutique en restructu-rant l’organisation de notre journée pour nous donner ce temps de rencontre tout en laissant aux jeunes comme à l’équipe la possibilité de manger dans le quartier qui est très animé. L’hôpital de jour d’aujourd’hui a des frontières claires et contenantes mais aussi perméables. Et à l’image de l’impor-tance de la relation au sein de l’hôpital de jour, par la vie commune dans le quartier, les patients et l’équipe sont des citoyens qui évoluent dans la cité. Rien n’est anodin à l’hôpital de jour !

L’identité de l’hôpital de jour en tension

L’institutionnel transcende la somme des parties, mais ce tout occupe une place par-ticulière, toujours singulière et symbo-lique, empreinte de filiation. L’hôpital de jour est un concept mouvant, en perpé-tuelle adaptation, faisant face aux change-ments mais aussi en défense de son iden-tité propre. Chaque hôpital de jour a une généalogie, même si la filiation n’est pas biologique, avec une évolution au cours du temps, un moment fondateur allant vers des objec-tifs constants ou changeants. Il est donc fondamental de prendre soin de l’institution qui se modifie en étant à l’écoute de la crainte de ce qui disparaît et de la curiosité de ce qui émerge. Avec cette question sous-jacente, jusqu’où l’hôpital de jour peut-il évoluer sans perdre son âme ? Cette question nous mène à un nouveau champ de tension interne : la tension entre les sources et la continuité, entre la loyauté à l’histoire et l’évolution, entre la permanence et l’adaptation ou encore, entre le changement et la résistance au changement

« Changement et résistance au changement sont, comme les deux faces d’une même pièce, irrémédiablement liées. »

Bareil et Boffo, 2003 Cette tension résonne, vibre plus ou moins, à différents moments et au sein de différentes sphères de la vie institution-nelle de l’hôpital de jour. En ce moment, l’Institut Maïeutique est en pleine réso-nance avec ce sujet puisque nous fêtons cette année nos 60 ans mais également parce qu’il y a un “passage de direction” après 40 ans. C’est une période riche mais tumultueuse. Va-t’on s’enraciner ? Se dé-raciner ? Pourquoi tenir tant à garder son identité ? Pour qui est-ce important ? Pour les pa-tients ? Pour l’équipe ? Pour la qualité du soin en hôpital de jour ? Nous sommes profondément convaincus que l’identité se joue au quotidien à tra-vers la culture institutionnelle et que c’est un outil thérapeutique. C’est un référen-tiel commun qui, certes, s’apparente par-fois à un ensemble de croyances fantas-mées sur ce qu’il constitue, mais qui offre un cadre sécurisant tout en étant unique. Qu’on s’entende bien… ce n’est pas notre histoire qui remplit cette fonction mais le simple fait qu’il y en ait une. Chaque hôpital de jour a son histoire. Nous pouvons faire de l’identité institu-tionnelle un levier thérapeutique parce qu’elle permet une rencontre à l’autre hu-manisante et particulière. Tous ensemble, patients, membres de l’équipe et chacun individuellement, nous pouvons nous ins-crire pour un temps dans cette histoire. Cet ancrage permet à nos patients de cons-truire et renforcer leur identité et leur rap-port à leur propre historicité. Ainsi, l’identité institutionnelle est utilisée comme un élément du cadre de l’hôpital de jour qui offre la possibilité aux patients de trouver des repaires pour se structurer. Les manifestations autour de notre 60ème anniversaire illustrent ce propos. Chaque année, nous avons l’habitude d’organiser une soirée conférence, parfois en lien avec la psychiatrie, la plupart du temps non. Ainsi, l’année passée, avec l’écrivain Joël Dicker ou le chef d’or-chestre Michel Corboz l’année précé-dente, et nous invitons les proches et les membres du réseau. Cet événement est toujours une occasion de bousculer un rythme rassurant, de se mobiliser ensemble pour un projet, de penser autour du thème de la conférence, ou encore de renforcer le sentiment d’ap-partenance car “on reçoit à la maison”. Différents événements ont traversé cette année d’anniversaire, une présentation in-titulée « Jouons ensemble », une visite

guidée d’une exposition et une soirée con-férence donnée par Nicole et Philippe Jeammet sur la transmission. Au printemps, le groupe a mis en scène un aller-retour entre l’ici et maintenant et l’histoire de notre hôpital de jour.

Cette présentation dynamique a été prépa-rée par tous, jouant et superposant les sources et la continuité, composée de textes, musique, théâtre, danse, montage vidéo. Cette élaboration groupale a été passion-nante et a mis en tension la perception commune, mais parfois également diffé-renciée, du présent, du passé et de l’avenir de l’Institut Maïeutique, des soins en psy-chiatrie et, bien au-delà, du rapport au temps et au vécu des patients. Elle a permis à chacun de s’inscrire dans des racines solides, vivantes, qui se déve-loppent, foisonnent, se complexifient tout en vivant l’expérience de la souplesse, de l’évolution et du changement.

Le temps de conclure… Tensions entre thérapeutique et éducatif, entre sources et continuité, entre soin et réinsertion, entre tension et flottement, entre imperméabilité et perméabilité, entre processus et résultat, entre change-ment et résistance au changement, entre clinique et administratif, entre profession-nalisation et humanisme, entre homogé-néité et hétérogénéité, entre psychothéra-pie institutionnelle et modèle du rétablis-sement, entre permanence et adaptabilité, entre besoins individuels et besoins grou-paux, entre appartenance et autonomie, entre espaces formels et informels... Tant de tensions animent l’hôpital de jour. Toutes font vie tout en impliquant des conflits. Ces conflits sont nécessaires et

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Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements !

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même constructifs s’ils sont vécus comme l’opportunité de sortir d’une zone de con-fort, d’explorer, de jouer, d’évoluer. On pourrait débattre longuement sur cha-cune de ces tensions, mais n’était-il pas préférable de mettre sous haute tension aujourd’hui, celles qui émanent de la de-mande des patients, de l’articulation du soin et de la construction de l’avenir. Un équilibre sensible qui traverse le séjour du patient en hôpital de jour.

A l’image de l’hôpital de jour, les patients qui y cheminent devraient pouvoir être ac-compagnés dans un processus de change-ment et d’autonomisation.

Le souhait de chacun d’entre nous est de permettre aux patients d’avancer, d’évo-luer en dehors d’un projet psychiatrique. Dans le même temps, nous savons que cette perspective n’est pas adaptée pour tous et qu’on peut se réinsérer sociale-ment et professionnellement, y compris de manière protégée, comme on peut ré-ussir des parcours de vie en étant utile à son institution. Si le projet institutionnel à long terme n’est jamais centré sur un projet de départ, nous devons néanmoins donner du sens à ce départ lorsqu’il se profile. Nous avons vu à quel point l’hôpital de jour est influencé par la culture actuelle. Ce cadre nous rappelle que le soin se doit d’être performant et ne peut pas être dé-connecté du contexte dans lequel il prend place. Evidemment, affirmer cela n’amorce pas même une once de réponse autour de la question de ce qui constitue un soin ré-ussi ? Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’il n’y a pas de modèle performant en lui-même. Notre devoir de performance se situe au niveau de la rencontre avec le patient,

c’est de toujours mettre au centre ce qu’il exprime de son vécu. Mais c’est aussi notre capacité à penser, à formuler des hy-pothèses et à rester attentif à nos propres résonances car, en dépit de notre inten-tionnalité, de notre professionnalisme et de notre humanité, nous ne sommes pas à l’abri de sombrer dans un équilibre chro-nicisant. Ainsi, le défi de tous les professionnels du soin est de rester en tension tout en ayant la capacité de maintenir une écoute flot-tante du patient et de ce qui se passe au niveau institutionnel. Car c’est dans l’équilibre entre la tension et le flottement qu’émerge la rencontre authentique et la vitalité institutionnelle !

« Alors que l’avenir reste insaisissable, les incertitudes du présent exigent de maquiller l’angoisse par une hyperactivité leurrante. C’est pourquoi, il s’agira tantôt de valoriser un temps de l’ennui, de substituer à l’avidité ou à la boulimie d’activités programmées la disponibilité d’un temps en jachère où l’im-prévu et la surprise peuvent advenir (…) »

Vacher Neill, 2001

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Présentation Je vous remercie de m’avoir invité à ce joyeux bazar, à plus forte raison parce que la clinique de concertation est, comme le disait Lacan, « un dispositif qui laisse à désirer ». Depuis trente ans, dans la partie séden-taire de mon travail, je suis directeur de ce qui correspond à un Centre Médico-Psy-chologique en France, un service de santé mentale en Belgique, qui a cette particu-larité de ne pas du tout être subordonné au milieu médical mais au travail social. C’est l’un des services du centre public d’action sociale de notre commune, soit l’équivalent de votre Centre Communal d’Action Sociale, mais sachant que ce qui est géré à l’échelle départementale en France l’est à l’échelle municipale en Bel-gique. Depuis trente ans, j’évolue plus dans les codes administratifs et le langage du sec-teur social que dans les codes de commu-nication médicaux, ce qui fait que, bien souvent, les psychiatres disent qu’ils ne me comprennent plus parce que je parle comme un travailleur social, et les travail-leurs sociaux me disent que je parle tou-jours comme un psychiatre. Je vis donc une vie très solitaire.

1 Conflits de pouvoir, émulations de compé-tences, partage des responsabilités, émulsion de créativité

Je suis redevable de beaucoup à cet ac-compagnement des travailleurs sociaux dans ma carrière. Aujourd’hui, je suis invité aussi en tant que médecin directeur d’un centre de réa-daptation fonctionnelle qui fonctionne dans des dispositifs très proches de ce que l’on a entendu décrire à Lausanne, c’est le centre de réadaptation fonctionnelle du Club André Baillon à Liège. La clinique de concertation m’a alors amené à avoir une partie de mon travail qui est plutôt itinérant puisqu’aujourd’hui existent des associations nationales de cli-niques de concertation en Italie, en France, en Belgique et en Algérie, et que nous y avons des activités de formation et des activités cliniques.

La clinique de concertation J’ai repris dans le texte de présentation du colloque, ce passage, une question qui mérite d’être posée même si elle peut sembler triviale et réductrice aux profes-sionnels : « lorsque les structures existent dans un dispositif de soins, avons-nous la réactivité, le dynamisme et le courage né-cessaires pour réinterroger leur perti-nence, leur efficience, au regard des troubles de la psychopathologie, et sur-tout de la vie quotidienne de nos pa-tients ? »

2 http://concertation.net/site/texte/les-lettres-concertatives/

La clinique de concertation essaie de ré-pondre à cette question en incluant les personnes qui bénéficient d’un diagnostic de pathologie psychiatrique sévère, les fa-milles en détresses multiples, en les asso-ciant à des tentatives de réponse à ces questions. Nous entendons, sous le terme “clinique”, tout à la fois un dispositif thé-rapeutique, un dispositif de recherche et un dispositif de formation où se rencon-trent les personnes qui vivent ensemble, les membres d’une famille et leur envi-ronnement, et les personnes qui travaillent ensemble, c’est-à-dire qui sont mises au travail par ces personnes bénéficiant d’un diagnostic de pathologie psychiatrique sé-vère. Bien sûr, à l’échelle territoriale, à l’échelle du réseau, nous rencontrons des conflits. Comme l’indique l’intitulé de la sixième journée de formation à la clinique de concertation1, formations qui ont lieu à Liège, Bruxelles, Turin et Alger, on pour-rait dire que la clinique de concertation a pour objet de passer des conflits de pou-voir, présents souvent dans le réseau, à des émulations de compétences. En effet, ce qui apporte plus de bénéfice à partir du moment où il existe une émulation des compétences de chacun des cliniciens et des services, cela peut également être au bénéfice de ces personnes ; les conflits de pouvoir, beaucoup moins. Éventuelle-ment, il est possible d’évoluer vers des partages de responsabilités et à une émul-sion de créativité. Lors du troisième congrès international de la clinique de concertation à Paris, Patrice Maniglier2, philosophe, était venu nous aider, et a écrit un texte où il dit ceci : « Ainsi, à un problème admirablement terre à terre, les cliniques de concertation apportent elles-mêmes une réponse admi-rablement pragmatique : créer des es-paces relativement neutres, permettant aux différents individus engagés à un titre ou à un autre, voire sans titre, simplement parce qu’ils se sentent concernés, de se retrouver de sorte à potentialiser ainsi les dynamiques positives qui tiennent à ce

Le Travail Thérapeutique de Réseau soutenu par la « Clinique de Concertation » encourage les relations humaines les plus fiables (familiales, amicales, professionnelles, institutionnelles et politiques) et reconstruit des identités singulières. Activé dans et par le débat contradictoire convoqué par les personnes en détresses multiples, ce dispositif a été initié en 1996 par le Dr Jean-Marie Lemaire et de nombreux cliniciens de réseau. La « Clinique de Concertation » trouve ses étayages principaux dans l’éthique relationnelle posée par I. Boszormenyi-Nagy comme dimension incontournable de la relation. Mots-clefs : Clinique de concertation, sociogénogramme, thérapie contextuelle, réseau, thérapie familiale, formation, Contexte Extensif de Confiance, nomadisme concertatif, résistance, justice relationnelle

Symptom, Diversity and Humanity Jivaros, Patterns of a Post-Modern Nosology?

“Work Therapeutics Network” supported by the “Concertation Clinic” encourages the most reliable human relationships (family, friends, professional, institutional and political) and rebuilt-border identities. Activated in and through open debate convened by multiple people in distress, this device was launched in 1996 by Dr. Jean-Marie Lemaire and numerous network of clinicians. The “Concertation Clinic” has its main underpinnings in relational ethics posed by I. Boszormenyi-Nagy as essential dimension of the relationship. Keywords: “Concertation Clinic”, sociogénogramme, contextual therapy, network, family therapy, training, Extensive Back-ground Trust, “concertatif nomadism”, resistance, relational justice

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La clinique de concertation

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que les uns sont prêts à faire pour les autres, mais non pour soi. » Autrement dit, mettez les problèmes ensemble et vous trouverez une solution. C’est en ad-ditionnant les problèmes qu’on les résout, merveilleuse arithmétique de cette cli-nique. C’est donc un problème d’ingénierie du travail social, de tuyauterie des institu-tions de prise en charge. Le clinicien de concertation est une sorte de plombier un peu bizarre qui vient raccorder des canali-sations orphelines et réagencer un réseau qui ne conduit pas ses flux là où ils pour-raient circuler. Il s’agit même d’un pro-blème presque d’économie de l’état social qui concerne l’efficacité des dispositifs de prise en charge. C’est d’ailleurs de ce point de vue écono-mique qu’il convient d’évaluer ces dispo-sitifs. L’appui de ces cliniques de concertation va trouver ses sources au bord du lac Le-man dans les séminaires auxquels je par-ticipais avec Ivan Böszörményi-Nagy, thérapeute familial, hongrois d’origine, avec qui j’ai travaillé pendant treize ans. Les séminaires avaient lieu au-dessus de Vevey. Ivan Böszörményi-Nagy définit comme ceci le contexte : c’est le fil orga-nique entre ceux qui donnent et ceux qui prennent qui forme une toile de confiance et d’interdépendance. Le contexte humain étant les relations ac-tuelles d’une personne autant à son passé qu’à son avenir, il est constitué de la tota-lité de tous les grands livres d’équité dans lesquels les mérites et les obligations de telles personnes sont enregistrés. Son cri-tère dynamique relève de la considération due et non de la réciprocité de donner et prendre. Dans les cliniques de concerta-tion, c’est bien par cette porte de la justice relationnelle que nous entrons. Ivan Böszörményi-Nagy , qui avait émi-gré aux États-Unis et qui bénéficiait d’une position particulière en termes de re-cherche sur les personnes ayant un dia-gnostic de psychose, et qui bénéficiait de cette position dans le sens où il ne devait pas respecter les standards de traitement, constatait que quand on ouvrait la ques-tion de la justice relationnelle dans une fa-mille au sein de laquelle un membre bé-néficiait d’un diagnostic de pathologie psychiatrique sévère, la question de la jus-tice remettait les propos dans la cohé-rence. Les cliniques de concertation sont héri-tières de ce travail que j’ai eu la chance de mener pendant treize ans avec lui en l’ac-compagnant dans son travail, soit à Phila-delphie, soit lorsqu’il venait en Belgique

3 http://concertation.net/site/ressources/le-sociogenogramme/

dans les rencontres contextuelles qui ont eu lieu dans les années 90. Les formations de cliniciens de concerta-tion ont débuté en 1999. Il existe des associations belges, fran-çaises, italiennes et algériennes. Dès lors, quand une personne sur un territoire con-naît le dispositif et le trouve intéressant, elle sollicite l’association, qui dépêche un clinicien de concertation. Par exemple, en Champagne-Ardenne, la Maison Départementale des Personnes Handicapées et l’Agence Régionale de Santé faisaient appel à eux pour des jeunes gens de 16, 17 ans dont les Instituts Médico-Educatifs ne voulaient pas. Ces jeunes se retrouvaient en service de pé-dopsychiatrie mais cela ne convenait car on avait affaire à de grands jeunes gens, et ils mettaient en péril la sécurité des petits. On les plaçait alors dans le service de psy-chiatrie pour adultes, mais on les mettait en isolement pour qu’ils ne soient pas, eux, influencés par les adultes. Pour finir, les adultes venaient hurler à la Maison Départementale des Personnes Handica-pées ou à l’Agence Régionale de Santé en disant que ce n’était pas possible, et à ce moment-là, la réponse était, après des an-nées pendant lesquelles on avait dit : « Vous ne savez pas faire, nous allons faire » que faute de mieux, on les rendait à la famille. Cela ne convenait pas non plus. C’est dans ce contexte, à l’invitation de la Maison Départementale des Personnes Handicapées et de l’Agence Régionale de Santé en Champagne-Ardenne, que nous avons travaillé quelques années. Le financement en est très divers. Dans certains services, comme par exemple à l’hôpital Malévoz, c’était “à monter”, tan-dis que c’était une “belle idée” à Genève. En l’occurrence, c’était plutôt une institu-tion qui demandait des sensibilisations. A Cergy-Pontoise, c’est la communauté d’agglomérations qui finance. A Royan, c’était le conseil général. Voilà un peu comment cela fonctionne.

Le sociogénogramme3 La clinique de concertation a des outils. Elle s’appuie aussi sur la réalisation d’un sociogénogramme où nous soulignons les mots “avec” » et “grâce à” la participation de toutes les personnes concernées, ceux qui travaillent ensemble et ceux qui vivent ensemble, et parmi celles-ci, des per-sonnes qui bénéficient d’un diagnostic de pathologie psychiatrique sévère. Le “avec” » et “grâce à” a été une bascule qui a eu lieu à Brive-la-Gaillarde en Cor-rèze, à un moment où, prévoyant avec un

service qui s’occupe plutôt de jeunes gens dans des dispositifs de contrainte, à un moment où ce service Trampoline travail-lait autour des familles, des textes circu-laient dans lesquels il était men-tionné qu’ils accordaient de l’importance au tra-vail qui se faisait autour des familles. Et l’on pouvait, entre les lignes, lire “à cause” des familles, ces familles qui sont dans la désobéissance, qui sont inca-sables, etc. En travaillant avec les membres de cette équipe, nous nous sommes dits que, tout compte fait, on tra-vaillait “avec” les membres des familles, et nous sommes même parvenus à pouvoir dire que nous travaillons “grâce à” elles, que nous sommes d’une certaine manière redevables, dans les cas les plus com-plexes, les plus difficiles, redevables à ces personnes de nous aider à progresser dans notre travail. Progressivement, cette expression est de-venue “avec”, puis “grâce à” la participa-tion des membres des familles, et ce qui s’est passé à Brive-la-Gaillarde, c’est qu’une famille qui doutait ou qui hésitait à nous rejoindre pour travailler avec nous dans une clinique de concertation, quand elle a entendu “avec” » et “grâce à”, a dé-cidé de venir. Le sociogénogramme est une représenta-tion des circuits relationnels mis sous ten-sion ; on va retrouver ces tensions dans les cas complexes et les situations de dé-tresses multiples. Le sociogénogramme est né dans l’hôpital psychiatrique de la Citadelle à Liège où, en tant que thérapeutes familiaux, nous nous intéressions aux génogrammes. Nous avions un groupe au moment où se mettait en place le travail de réseau des plateformes psychiatriques, etc., dans les années 80. Ce groupe s’appelait le tiers demandeur. Travaillant dans un CMP, dans un service de santé mentale, nous étions frappés par le fait que, dans notre monde, il existait une hiérarchie de la qualité des de-mandes : les demandes exprimées par la personne qui avait bénéficié du soin étaient mieux considérées que celles qui étaient exprimées par un tiers demandeur. A l’époque, Marcel Bini, qui a évolué, c’était l’une de ses grandes qualités, dé-nonçait le risque que le tiers demandeur soit quelqu’un qui passe la “patate chaude” et se débarrasse de la situation. Nous avons dû sortir de ce regard suspi-cieux, que l’on rencontre encore assez souvent, sur le tiers demandeur. Nous avons commencé à travailler, à réaliser des génogrammes et nous nous sommes

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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rendus compte, dans des situations com-plexes, que notre dessin s’enrichissait : il représentait au fur et à mesure, avec le même feutre, l’école, le médecin généra-liste, le juge, etc. Mais à un moment donné, nous sommes arrivés à quelque chose d’illisible. Nous avons alors mis des couleurs pour nous y retrouver. Nous avons choisi le feutre vert pour représenter les profes-sionnels, le noir pour représenter le géno-gramme. Mais ce qui était surtout impor-tant dans ce génogramme, c’était les flux d’activation, et pas les demandes néces-sairement ; le hurlement ou la récalci-trance sont considérés comme ayant au-tant de noblesse que la demande : nous sommes “activés par”. Nous avons repré-senté les flèches vertes entre les profes-sionnels, bleues entre les gens qui vivent ensemble, et pour ce qui concerne les rap-ports entre les professionnels et les membres de la famille, rouge quand c’est à l’initiative des membres de la famille. C’est de cette manière qu’est né le socio-génogramme. Aujourd’hui, c’est devenu ma façon de prendre des notes. Si je décroche le télé-phone, je ne prends pas de notes, je fais un dessin. Je peux très facilement recons-truire le récit à partir du dessin mais je ne pourrais pas représenter la situation avec autant de détails si je passais par mon écrit pour refaire le dessin. Le sociogénogramme, c’est un gribouillis ou un embrouillis. Dans les cliniques de concertation, bien souvent, des gribouillis ont été effectués avant la rencontre. Lorsqu’une rencontre a lieu, si celle-ci est complexe, on fait appel à un clinicien de concertation. Or, la formation d’un clini-cien de concertation dure quatre ans. Donc, le sociogénogramme devient un objet transitionnel. Et il se construit avec toutes les personnes concernées. Dans le Gard en France, et nous avons tra-vaillé la semaine dernière avec une petite fille qui nous a demandé si l’on pouvait y ajouter une feuille. Pendant tout le temps, les enfants dessinent. Comme ils sont moins paralysés que les grandes per-sonnes, ils demandent des feutres, et il est extrêmement étonnant d’observer à quel point leurs dessins sont en rapport avec les thématiques abordées.

Le temps de concertation Il est d’une heure et demie. Une demi-heure précède pour une rencontre des pro-fessionnels, afin de vérifier la sécurité du dispositif pour ceux-ci. En effet, les pro-fessionnels qui rejoignent ce dispositif pour la première fois peuvent être extrê-mement inquiets quant au déroulement de la concertation. On ne parle pas de la fa-mille, on ne parle pas de la situation, on

parle plutôt de la procédure avec laquelle les professionnels rejoignent ce dispositif. Ensuite, une heure est consacrée au retour sur l’expérience afin de déterminer com-ment celle-ci a pu être formatrice. Donc, une concertation clinique dure trois heures. Cela, c’est le temps de la séance. S’agissant de la feuille de route d’une cli-nique de concertation, nous n’en organi-sons pas plus d’une tous les six mois, de façon à ce qu’il soit bien clair que la cli-nique de concertation est au service du travail thérapeutique. Si la fréquence de ce dispositif, qui est assez spectaculaire, était plus grande, nous risquerions de di-minuer proportionnellement les interven-tions quotidiennes, qui restent les inter-ventions principales. La clinique de con-certation est au service de ces interven-tions. Il y a un remodelage du réseau. A l’heure actuelle, les expériences les plus longues que nous connaissons sont à Cergy-Pontoise, où nous travaillons de-puis 2005. Nous y suivons une famille de-puis quatre ou cinq ans, au début tous les six mois, puis tous les ans. A l’heure actuelle, dans les recherches que nous menons, nous essayons de mettre en œuvre ce type de démarches avec des jeunes gens qui bénéficient du placement en famille d’accueil, etc. Nous essayons de faire en sorte d’obtenir un fi-nancement sur trois ans des cliniques de concertation. Je pense à des jeunes gens qui sont des « Formule 1 du réseau”, comme par exemple Miguel, dans le Gard, qui est passé par dix-sept services en un an. Il s’agit de faire en sorte qu’à partir du moment où une personne n’appartient plus à un service, ou en tout cas appartient à un réseau, nous puissions avoir à es-paces réguliers ce type de réunion, sans qu’elle soit liée à un seul service mais plu-tôt liée à un financement du conseil dépar-temental.

Antonella

Nous sommes en 2003. La clinique de concertation est activée par Francesca Sacco et Silvia Vintimilla, qui travaillent toutes les deux au service social d’Asti. Elles sont mises au travail par Antonella, qui a 31 ans à l’époque et dont les débor-dements sont très difficiles : Antonella se rend au service social sans respecter né-cessairement les heures de permanence, et menace de se jeter par la fenêtre dans des récriminations où elle demande à récupé-rer des contacts plus fréquents avec ses enfants. A plusieurs reprises, l’hôpital psychiatrique a été activé par Antonella, où elle a effectué de nombreux séjours. Elle est maman de Sara, qui est née en 91, elle est séparée du papa, et la maman de

L’AUTEUR Docteur Jean-Marie LEMAIRE Neuropsychiatre, thérapeute familial, Directeur de l’ILTF, Institut Liégeois de Thérapie Familiale et Directeur du Service de Santé Mentale de Flémalle en Belgique. Membre de l’EFTA (European Family Therapy Association) 26, Impasse de l’Ange 4000 Liège Belgique [email protected]

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La clinique de concertation

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BIBLIOGRAPHIE (suite) 5. LEMAIRE J.-M., DESPRET V. (2001), Collec-tive Postraumatic Disorders, Residual Re-sources, and an Extensive Context of Trust (Creating a Network in refugee Camp in For-mer Yugoslavia), in International Journal of men-tal Health, Vol. 30, 2, pp. 22-26. 6. LEMAIRE J.-M. (2002), Dansez sur moi, et autres rencontres, Cahiers critiques de thérapie fa-miliale et de pratiques de réseaux, vol. /1, n° 28, pp. 210. 7. LEMAIRE J.-M ., VITTONE E., DESPRET V. (2002), Clinica della Concertazione : alla ricerca di un setting aperto e rigoroso in Connessioni, n°10 « Orizzonti cornici prospettive », Milano, Marzo, pp. 99/108. (traduction française : « Cli-nique de Concertation et Système : à la recherche d’un cadre ouvert et rigoureux » in Génération, Pa-ris, Agence Régionale de Santé 2003, n°28, pp. 23-26). 8. LEMAIRE J.-M., VITTONE E., DESPRET V. (2003), Clinica della Concertazione : alla ricerca di un setting aperto e rigoroso in Connessioni, n°10 Orizzonti cornici prospettive, Milano, Marzo 2002, pp. 99/108. (www.concertation.net) ; trad. Fr. "Clinique de Concertation et Système : à la re-cherche d’un cadre ouvert et rigoureux" in Généra-tion, Paris, mAgence Régionale de Santé, n°28, pp. 23-26. 9. LEMAIRE J.-M., HALLEUX L. (2005), Service public et Clinique de Concertation : espaces habitables pour une psychothérapie authen-tique, in L’inventivité démocratique aujourd’hui, Brausch G. et Delruelle E. (dir.), Editions du Ceri-sier, pp.109-134. 10. LEMAIRE J.-M., HALLEUX L. (2010), Con-fiance, loyautés et Cliniques de Concertation au service du Travail Thérapeutique de Ré-seau, in Cahiers Critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, /1, n°44, pp. 137-152. 21. TREMINTIN J. JOSEPH M. (2011), La Cli-nique de Concertation. Rencontre avec une praticienne de la Clinique de Concert-ation, Lien Social, n° 1036 27/10/.

Gino était hospitalisée dans le même hô-pital. Gino, qui rendait visite à sa maman, a rencontré Antonella, ils ont formé un couple, et Valentina est née en 1998. Les inquiétudes des services sociaux ont ac-tivé le juge, qui a décidé du placement de Sara dans une famille d’accueil. Les pa-rents essaient de maintenir des contacts avec les enfants, et à un certain moment, en 1999, ils font un enlèvement et partent dans leur région d’origine, les Pouilles en Italie, dans le talon de la botte, avec ceci de particulier que, pendant le voyage, An-tonella signale son départ aux travailleurs sociaux. Les travailleurs sociaux du service social sont aussi mis au travail par des appels très fréquents de la maman d’accueil puisqu’Antonella ne fait pas qu’activer le service social directement par ses me-naces, etc., la maman de la famille d’ac-cueil estime être harcelée par les visites fréquentes, les rapprochements d’Anto-nella de cette famille. Le service social est en collaboration avec la doctoresse Bo-rello, neuropsychiatre infantile, puisque le comportement des petites filles inquiète les services sociaux et la famille d’ac-cueil. Pendant ce temps, Antonella vit des con-flits graves avec Gino, dans cette région de l’Italie, et elle commet un acte gravis-sime : elle incendie la grange de la ferme du père de Valentina. L’hôpital psychiatrique va mettre au tra-vail le service d’hygiène mentale avec la doctoresse Martinengo, psychiatre pour adultes. Cette situation active la commune d’Asti, petite ville où nous avons commencé à travailler invités par la prison, en 2003. Nous y travaillions précédemment depuis quatre ans. Les cliniques de concertation ont lieu à Asti tous les mois, elles se dé-roulent dans la Maison de la culture, qui est un lieu de la ville fréquenté par les jeunes gens et dans lequel sont organisés des événements culturels. Tout travailleur mis en difficulté, mis sous tension par des situations complexes qui débordent les compétences propres, spécifiques du ser-vice, peut mettre au travail cette clinique de concertation, et c’est ce qu’a fait Fran-cesca Sacco. Dès lors, une invitation se met en route, une invitation rédigée et signée en colla-boration entre les travailleurs sociaux les plus proches de la famille et la famille elle-même. Un lieu-dit neutre sera dési-gné par le juge pour les visites des enfants et d’Antonella. Nous sommes dans ce que nous appelons des situations activatrices du travail théra-peutique de réseau, c’est-à-dire là où ré-fléchir à ce qui peut se passer dans chaque structure de soins n’est plus suffisant, et

que nous devons plus travailler sur les flèches du schéma que travailler sur les petites maisons qui représentent les ser-vices. A titre de comparaison, on peut dire que si nous nous intéressons à la SNCF, nous ne pouvons pas nous intéresser seu-lement aux gares, nous devons aussi nous intéresser aux rails et à ce qui se passe dans les wagons. Donc, la clinique de concertation va pren-dre soin des concertations. Je vais vous ci-ter un mot qui n’existe pas en français, « lo sconcerto », qui est la déconcertation, c’est-à-dire cet état dans lequel nous pou-vons être lorsque nous sommes perplexes, lorsque nous sommes déprofessionnali-sés, dépersonnalisés par des situations qui dépassent nos compétences spécifiques. A ce moment-là, se met en place un travail qui, peut-être, doit plus remettre sur le métier la question des compétences non spécifiques, c’est-à-dire toutes celles que nous partageons, les responsabilités que nous partageons dans les différents ser-vices, mis au travail par une situation de détresses multiples. Lucia Donadio est l’une des personnes qui s’est formée à la clinique de concertation et qui continue aujourd’hui à travailler à Turin dans le service de détention pour mineurs dans les mains de la justice. Lors de la rencontre, Lucia fait une ré-ponse remarquable. Lorsque Antonella dit : « Sono agitata (je suis stressée) », elle répond : « Siamo in due. » A partir de ce moment, lorsque se réunis-sent cliniquement les réseaux de ceux qui vivent ensemble et ceux qui travaillent en-semble, effectivement, on se retrouve dans une situation clinique de gestion de stress et, curieusement, c’est du côté des professionnels que c’est insupportable plus souvent que du côté des membres des familles. En général, nous avons plutôt des familles. Ici, Antonella est seule. Gino va la re-joindre à la moitié de cette clinique. Antonella est revenue en clinique de con-certation six mois plus tard, et six mois plus tard, étaient présents tous les acteurs, ou au moins la plupart, une grande majo-rité des soignants qui accompagnaient Valentina et Sara. Je pense que deux ans plus tard, avec des aides sociales, la fa-mille s’est reconstruite, et nous avons en-core aujourd’hui des nouvelles d’Anto-nella.

Face aux résistances Il est quand même très important de savoir que la plupart des résistances que nous rencontrons sont souvent des résistances des professionnels à ce type de travail. Et il est tout à fait acceptable et légitime que les professionnels puissent dire que ce dispositif menace leur sécurité : ils font

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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partie d’une hiérarchie, ils font partie de services, ils ont des missions, des respon-sabilités, et nous n’avons pas la garantie, dans une clinique de concertation, de pou-voir assurer la sécurité des professionnels, sachant que les professionnels entre eux, souvent, et la famille et les professionnels, peuvent vivre des conflits dangereux. Qu’un professionnel dise qu’il ne veut pas participer à une clinique de concertation parce que le dispositif est insécurisé et in-sécurisant, c’est tout à fait recevable et lé-gitime. Ce qui est plus problématique, c’est lorsque les professionnels refusent de venir au nom de l’insécurité des membres de la famille alors que les membres de la famille, eux, en sont de-mandeurs. Par exemple, dans le Val d’Oise, à Cergy Pontoise où existe une clinique de concer-tation depuis 2005, les membres des fa-milles communiquant entre elles ont évi-demment connaissance de l’existence de ce dispositif, notamment à partir de tout ce qui se passe dans l’enseignement. C’est à partir d’une association qui s’appelle École et familles que nous travaillons. Lorsque la porte d’entrée est l’Éducation nationale, les enseignants, mais aussi les parents, les familles, connaissent ce dis-positif de clinique de concertation, et à partir du moment où ils le connaissent, ils peuvent le demander. C’est dans ce terri-toire, principalement à partir de l’école, qu’ont lieu les cliniques de concertation. Une part importante du dispositif de la cli-nique de concertation réside dans le fait que ces cliniques de concertation sont des lieux de recherche, ils peuvent s’apparen-ter assez bien à ce que Kurt Lewin propo-sait dans les recherches action. Ici, il existe une part de recherche, toute une lit-térature qui se construit autour des cli-niques de concertation. C’est donc un lieu de recherche, mais aussi un lieu de forma-tion : dans ce type de laboratoire, s’orga-nise une formation à ce type de travail, au travail thérapeutique de réseau, soutenu notamment par la thérapie contextuelle, et les familles perçoivent qu’elles viennent soutenir ce processus de formation. Or, pour des familles qui sont la cible d’interventions multiples, il se passe là quelque chose qui est de l’ordre d’une in-version du donner et du prendre. C’est-à-dire que dans ces circonstances, on peut, de manière congruente, dire aux familles que nous les remercions de venir nous ai-der à apprendre une partie du métier que nous connaissons mal, celle de travailler ensemble. J’ai fait cinq années de spécialisation en psychiatrie et, pendant ce temps, je n’ai jamais appris à travailler avec les autres dans une échelle qui serait plus large que

celle de l’équipe, à travailler avec les tra-vailleuses familiales, les aides ménagères, etc. C’est quand j’ai commencé à travail-ler dans le service social qu’à un moment, on m’a bombardé superviseur de quatre équipes d’aides familiales, de travail-leuses familiales, et je dirais que dans cette position de superviseur, j’ai appris mon métier, que ce sont elles qui ont pu m’apprendre le travail dans la proximité, un travail dans lequel on porte les res-sources sur le lieu des détresses, et non plus où l’on veut faire entrer les détresses à tout prix dans le lieu des ressources. Cette inversion de la flèche du donner et du prendre est perçue par ces familles. C’est-à-dire que ces familles à qui l’on dit comment vivre, que faire, comment se soigner, etc., de qui on demande une obéissance, tout à coup, et elles le com-prennent, elles viennent étayer un proces-sus d’apprentissage dans lequel elles n’ont pas cette position de cobaye. Je me souviens, à Alessandria, d’un mon-sieur dénommé Marco, qui avait une ex-périence d’errance dans la rue, de con-sommation de produits à haut risque, etc. Avec lui, c’était la première fois que nous recevions un an après une famille avec qui nous avions travaillé un an précédem-ment. Aujourd’hui, il est devenu beau-coup plus courant que, pendant cinq ans, nous ayons un processus dans lequel les cliniques de concertation ont lieu, par exemple, tous les six mois. Quand nous avons demandé à Marco : « Qu’est-ce que vous avez pensé de ce qui s’était passé l’année dernière ? », il nous a ré-pondu « Je ne me suis pas senti cobaye. ». Et la réponse que je lui ai donnée, c’est que, oui, évidemment, c’était nous qui étions les cobayes dans cette histoire parce que nous étions dans des dispositifs improbables, des dispositifs à risque. Ce Marco nous a bien aidés. Les cliniques de concertation articulent ce qui se passe entre les personnes qui vivent ensemble, la plupart du temps la famille (la petite famille, la grande famille). Quand nous travaillons en clinique de concertation, il est deux éléments au moins sur lesquels les personnes ont rare-ment pu être privées de leur position d’ac-teur, de leur position de sujet. Le premier élément, c’est de choisir com-ment elles souhaitent que l’on s’adresse à elles. On est toujours sûr de les rejoindre sur un domaine d’expertise. L’autre do-maine d’expertise, c’est l’échelle à la-quelle les personnes ont envie que l’on travaille. Lorsque s’organise une clinique de concertation, l’expression standard employée est : « Venez avec toutes les personnes dont vous jugez la présence utile. » Notre record, dans la banlieue

d’Alger, c’était 70 personnes dans la salle de la municipalité. Donc, sur certaines questions, nous ren-controns des gens qui n’ont jamais perdu leur place de sujet, leur place d’acteur ; le problème, c’est de les rejoindre là où ils l’ont gardée. Les cliniques de concerta-tion réussissent cette opération.

Pratiques et décideurs Il y a deux jours, j’ai reçu un courrier d’un ami, Philippe Guillaumot, de Pau, dans les Pyrénées Atlantiques. J’ai été ému par ce texte. Il dit : « On est au cœur de la triade concertative. ». La triade concertative, c’est le fait que l’on ne peut pas aborder des sujets de santé mentale sans se poser des questions dans une triade qui est évidemment celle de ceux qui travaillent ensemble : nous, les soignants, les travailleurs sociaux, etc., les membres des familles et les res-ponsables politiques élus ou les respon-sables administratifs. C’est cela que l’on appelle la triade con-certative, qui est mise en action dans les territoires où nous travaillons. Il convient de préciser que ces territoires où nous travaillons s’inscrivent la plupart du temps dans des échelles relationnelles qui varient entre 30 000 et 60 000 habi-tants. Nous ne travaillons pas à l’échelle de grandes métropoles, ou alors sur des quartiers, mais pas à l’échelle de grandes villes. Philippe Guillaumot est médecin psy-chiatre, thérapeute familial et contextuel au CCAS de Pau, président de l’associa-tion contre la maltraitance des personnes âgées, et très actif dans cette ville. Lors de la journée de sensibilisation à l’Institut du travail social à Pau, il a pré-senté la clinique de concertation en l’inté-grant à la question du parcours de soins, qui envahit à présent tous les discours mi-nistériels, ceux des Agences Régionales de Santé, ainsi que ceux des conseils dé-partementaux, en plus des termes “coordi-nation” et “intégration”. La représentante de l’Agence Régionale de Santé était dans la salle, elle m’en a re-parlé car je l’ai revue récemment à une inauguration. Elle a trouvé cela intéres-sant. Elle a bien sûr saisi le clin d’œil sur le parcours de soins. A partir du moment où l’on a une ambition thérapeutique, nous avons besoin de ces décideurs finan-ceurs, surtout si un jour on lance une for-mation action au travail thérapeutique de réseau soutenu par la clinique de concer-tation et la thérapie contextuelle sur le ter-ritoire palois. Le travail de proche en proche est-il né-cessaire et suffisant pour faire reconnaître la clinique de concertation dans le pay-sage socio-sanitaire de notre société ?

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La clinique de concertation

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Faut-il viser l’institutionnalisation de la clinique de concertation ? Comment ? Avec quels risques et avantages ? Le la-bourage du travail de terrain, de proche en proche, rendra-t-il évident ce passage pour les décideurs ? J’ai le sentiment que les convergences n’ont jamais été aussi fortes entre le dis-cours des décideurs et nos pratiques espé-rées. Mais pour avoir fréquenté les arènes du pouvoir, je les ai expérimentées comme étant très fatigantes et souvent sté-riles dans ma carrière.

La justice relationnelle Le terme de « justice relationnelle4 », dans la thérapie contextuelle, a le mérite d’être intégratif. Il reconnaît la dimension des faits, c’est-à-dire peut-être un dys-fonctionnement physiologique ; on n’a pas besoin de nier l’existence du dysfonc-tionnement physiologique, on peut agir sur lui en administrant, par exemple, un médicament. Il reconnaît bien sûr la dimension indivi-duelle de l’économie psychique, de la psychodynamique, et donc, il reconnaît ce type d’intervention, qui a toute sa place dans un processus thérapeutique com-plexe. Ce terme reconnaît la dimension de la sys-témie : le tout est plus que la somme de ses parties, et par conséquent, il existe une sorte de génie relationnel qui appartient à l’ensemble et non pas à chacun des élé-ments ensemble. En outre, il introduit cette quatrième di-mension que voit Imre Nagy : la régula-tion des rapports humains par une justice, ou comment les gens usent et abusent les

uns des autres. C’est là qu’il nous invite à placer notre levier thérapeutique, en ou-vrant ce débat. Ainsi, pour avoir rencontré avec Imre Nagy des personnes qui bénéfi-cient d’un diagnostic de pathologie psy-chiatrique sévère dans les hôpitaux, à l’hôpital Saint Vincent à Bordeaux par exemple, un jeune homme délirant, quand on ouvre cette question dans la famille et dans le réseau : « Est-ce qu’il y a justice relationnelle ou pas ? Est-ce que les gens usent ou abusent les uns des autres ? » Il se passe quelque chose d’extrêmement étonnant, à savoir que se rétablit la cohé-rence des choses, parfois dans des reven-dications sous haute tension. C’est là que Imre Nagy va placer son projet thérapeu-tique. Nous l’avons élargi : là où Imre Nagy le situait, le focalisait très fort sur la dimen-sion de la thérapie familiale, la clinique de concertation accepte des échelles beau-coup plus larges puisque nous avons des situations qui n’entreront jamais dans le cabinet du thérapeute familial. On peut évidemment se lamenter et le regretter, mais cela ne sert pas à grand-chose. En re-vanche, ces familles sont activatrices de réseaux extraordinaires. Si l’on prend le risque de dire : « Mettons entre quatre murs, dans une salle suffisamment grande, toutes les personnes qui ont été activées par cette famille, alors, nous pourrons commencer à poser ces ques-tions peut-être du côté des professionnels avant d’aller vers la famille. ». En effet, il existe aussi dans les institu-tions, dans la vie d’un réseau, des conten-tieux lourds entre les différents services, les différentes institutions ; et la problé-matisation familiale, souvent, se projette dans le réseau, par exemple, autour d’un

enfant hyperactif avec le défenseur de telle approche, le défenseur d’une autre approche, et à l’intérieur de la famille, les activations, les alliances qui s’organisent dans le réseau. La clinique de concertation n’est pas seu-lement au service des familles, elle est également au service des professionnels, car ces derniers sont en danger dans ce genre de situation.

En conclusion C’est l’occasion d’aborder la question de la thérapie contextuelle, où les pratiques de dialogue sont éloignées de la relation de pouvoir. Ce qui est difficile dans les débats, par exemple sur la coordination au conseil départemental, c’est de pouvoir argumenter sa fondamentale différence avec la concertation et son ambition comme figure thérapeutique du travail thérapeutique de réseau sans pouvoir in-troduire la thérapie contextuelle de façon simple. Dans ses interviews, Ivan Böször-ményi-Nagy ne veut pas en faire une nou-velle théorie, qu’il ne veut pas en faire une école où il suffirait de connaître par cœur le glossaire. A l’heure actuelle, la clinique de concer-tation continue à progresser de proche en proche, avec les personnes qui s’y intéres-sent, c’est-à-dire en général des travail-leurs de proximité. Si jamais un jour cette pratique s’institutionnalisait, il faudrait rester vigilant à ce que l’institutionnalisa-tion ne dénature pas la chance que nous avons de travailler de cette façon, avec et grâce aux familles en détresses multiples.

4 http://www.syste-mique.be/spip/spip.php?article840

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Je remercie Monsieur Genvresse de cette invitation.

Préambule Je suis psychiatre. J’ai fait le psychiatre pendant quarante-cinq ans, et actuelle-ment, je suis directeur du Centre collabo-rateur de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la recherche et la formation en santé mentale, basé à Lille, qui travaille également avec un groupement de coopé-ration sanitaire en recherche et formation en santé mentale regroupant quinze hôpi-taux en France. Les Centres collaborateurs sont au nombre de douze en Europe, sachant qu’il y a cinquante-deux pays et qu’il n’y en a

pas un dans tous les pays. Ce sont les re-lais des politiques de l’Organisation Mon-diale de la Santé au niveau local, et réci-proquement, ils sont là pour faire con-naître au niveau de l’Organisation Mon-diale de la Santé ce qui se passe dans les différents pays. J’ai essayé de reprendre un peu les con-cepts actuels qui mènent les politiques de l’Organisation Mondiale de la Santé dans le monde en santé mentale, puisque le plan santé mentale mondial 2013-2020 a été adopté par les 195 pays, dont la France, mais aussi la Suisse, la Belgique, tous les pays francophones, afin d’essayer de voir ce que cela peut donner concer-nant son application locale.

Le principe est toujours de penser global et agir local. Je vais vous parler de la conférence d’Alma-Ata, de la charte d’Ottawa, de la santé mentale dans le monde et en Europe, avec les plans votés au niveau mondial et au niveau européen, de l’application pra-tique en France, à partir de trois concepts-types, qui sont le rétablissement, le pou-voir d’agir (l’empowerment) et la ci-toyenneté. Je vous parlerai également un peu de la santé mentale communautaire et de la manière dont le secteur de la psy-chiatrie peut appliquer ces concepts ac-tuellement. Nous menons à Lille l’expérience de cette application.

Alma-Ata et Ottawa Vous connaissez certainement la déclara-tion d’Alma-Ata sur les soins de santé pri-maire. C’est là que l’Organisation Mondiale de la Santé a sorti, pour la première fois, sa définition selon laquelle la santé est un état complet de bien-être physique, men-tal et social, qui ne consiste pas unique-ment en une absence d’infirmité. C’est un droit fondamental de l’être humain et l’ac-cession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social extrême-ment important, qui intéresse le monde entier. Cela suppose, bien entendu, la par-ticipation de nombreux acteurs socio-éco-nomiques puisqu’on voit bien que les dif-férences d’espérance de vie dans les pays sont aussi liées aux problèmes socio-éco-nomiques. Quand il existe des problèmes de dénutrition, des problèmes de guerre, des problèmes de famine, bien évidem-ment, le niveau de vie et le niveau d’accès au système de santé diminuent considéra-blement. L’Organisation Mondiale de la Santé dit que tout être humain a le droit et le devoir de participer - ça a été le changement -,

Les troubles mentaux touchent des centaines de millions de personnes. Lorsqu’ils ne sont pas traités, ces troubles engendrent un énorme tribut de souffrances, d’invalidité et de perte économique. Pourtant, malgré le potentiel de traiter avec succès les troubles mentaux, seule une petite minorité de ceux qui en ont besoin reçoivent le traitement le plus élémentaire. L’intégration des services de santé mentale dans les soins primaires est le moyen le plus viable de réduire l’écart de traitement et s’assurer que les personnes présentant un problème de santé mentale reçoivent les soins dont elles ont besoin. Dès 2001, l’Organisation Mondiale de la Santé a recommandé d’intégrer le traitement des troubles mentaux au niveau des soins primaires. Le principe général des actions de l’OMS est « penser global et agir local ». Depuis, l’OMS a produit des outils et des guides afin d’accompagner et orienter les pays pour intégrer les soins des troubles mentaux à un système de soins primaires holistique, centré sur la personne. Nous ferons référence dans cet article aux principaux textes fondateurs de l’OMS structurant les orientations de sa politique de santé mentale, qui est basée sur les trois concepts suivants : l’empowerment, le rétablissement et la citoyenneté. Le cadre conceptuel de la mise en place de ces trois concepts est la santé mentale communautaire. Nous illustrerons ces orientations politiques par l’exemple concret de services de santé mentale intégrés dans la banlieue est de Lille. Mots-clefs : intégration, soins primaires, empowerment, rétablissement, citoyenneté, santé mentale communautaire

Recovery, power to act and citizenship Recommendations of the World Health Organization to the implementation in France

Mental disorders affect hundreds of millions of people. When not treated, these disorders create an enormous toll of suffering, disability and economic loss. Yet despite the potential to treat mental disorders with success, only a small minority of those in need receive the most basic treatment. Integrating mental health services into primary care is the most viable way to reduce the treatment gap and ensure that people with mental health problems receive the care they need. In 2001, the World Health Organization has recommended to integrate the treatment of mental disorders in primary care. The general principle of the WHO action is "think global and act local". Since then, WHO has produced tools and guides to accompany and guide countries to integrate the care of mental disorders in a holistic primary care system, centered on the person. We will refer in this article the main founding texts of the structuring WHO guidelines for mental health policy, which is based on three concepts: empowerment, recovery and citizenship. The conceptual framework of the implementation of these three concepts is the community mental health. We illustrate these policy orientations by the concrete example of mental health services integrated in the suburbs of Lille. Keywords: integration, primary care, empowerment, recovery, citizenship, community mental health

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Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté : des recommandations de l’OMS à l’application en France

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 25

d’une manière individuelle et collective à la planification de la mise en œuvre des soins de santé qui lui sont destinés. C’est un changement radical parce qu’aupara-vant, c’était la relation médecin-malade, système de soins-malade. Le malade était passif et le système de soins actif. Ce changement, on le situe généralement à partir de l’épidémie de Sida. En fait, pas du tout. Il a eu lieu dès 78, quand l’ensemble des pays s’est réuni lors de la conférence d’Alma-Ata et a déclaré que les pro-blèmes de santé étaient l’affaire de tout le monde. C’est l’affaire de tout le monde. C’est l’affaire de chacun d’entre nous pour sa santé. Nous avons tous des pro-blèmes de santé, nous les prenons en charge. On doit faire attention à sa santé. Mais c’est aussi une affaire collective. L’Organisation Mondiale de la Santé ne dit pas que c’est une affaire individuelle uniquement. Elle dit que les États, en tant que tels, doivent prendre en compte majo-ritairement l’état de santé de leur popula-tion. La charte d’Ottawa va compléter la décla-ration d’Alma-Ata. Cette charte, c’est la promotion de la santé, qui a pour but de donner aux individus davantage de maî-trise sur leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer. La santé est une ressource de la vie quotidienne. Cela doit être conçu comme tel, et cela doit être promu. C’est un concept positif qui va se baser sur les ressources sociales person-nelles et les capacités physiques.

Les déclinaisons de la déclaration d’Alma-Ata et de la Charte d’Ottawa

pour la santé mentale Parmi les conditions indispensables à la santé, très peu dépendent du système de soins. Ici, vous êtes quasiment tous des agents du système de soins, votre part dans la santé représente peut-être 10 ou 15 %. La première condition, c’est de pouvoir se loger. L’espérance de vie des SDF est drastique. Les personnes qui vivent dans la rue meurent beaucoup plus tôt : 45, 50 ans dans nos pays, bien moins dans d’autres pays. Il faut également pouvoir accéder à l’éducation : pas de santé sans éducation. Il faut pouvoir se nourrir con-venablement. Avec l’Organisation Mon-diale de la Santé, on travaille avec des pays où le problème de l’alimentation est un problème récurrent. Je vous assure qu’il n’est pas facile pour les gens, quand ils ne se nourrissent pas convenablement, d’avoir accès aux soins de santé. Il faut pouvoir disposer d’un certain revenu ; c’est vrai pour tout le monde, c’est vrai en France aussi. Il faut bénéficier d’un éco-système stable. Vous voyez ce qui se

passe en Syrie, je pense que les problèmes de santé mentale et de santé physique sont considérables. Il faut enfin pouvoir comp-ter sur un apport durable de ressources et avoir droit à la justice sociale. Vous voyez là tous les préalables qui con-ditionnent une bonne santé. Par rapport à cela, quels ont été les plans de santé mentale de l’Organisation Mon-diale de la Santé ? Je ne vais pas tous les reprendre, il y en a un certain nombre, je vais reprendre les derniers : le plan de 2013, qui a été adopté à l’Assemblée mondiale de la santé et le plan européen qui a suivi. L’Organisation Mondiale de la Santé dis-tingue six régions dans le monde, et nous faisons partie de la région Europe (soit cinquante-deux pays, et pas uniquement les vingt-huit de la Commission Euro-péenne, mais aussi l’Azerbaïdjan, la Tur-quie, et Israël qui est rattaché à l’Europe, on ne sait pas pourquoi). Dans son plan global, l’Organisation Mondiale de la Santé développe une vi-sion, la vision de tous les États. C’est un monde où la santé mentale serait promue véritablement, mise en valeur, protégée, où les troubles mentaux seraient recon-nus. En effet, une quantité de sociétés ne reconnaissent pas les troubles mentaux, et même dans la nôtre, parfois, on entend dire : « Oh, ils le font exprès ». C’est un vrai problème, que nous allons dévelop-per par la suite. Les personnes affectées par ce type de troubles sont capables d’exercer tous leurs droits humains ; et le problème, en psychiatrie et en santé mentale, est essen-tiellement celui des droits. Concrètement, pour les personnes hospitalisées actuelle-ment dans le monde, parfois dans des si-tuations catastrophiques, mais en France aussi (contention, isolement et compa-gnie), quels sont véritablement leurs droits ? Quels sont les droits des ci-toyens ? C’est, pour ce qui nous concerne, un accès à des soins, à des services sociaux de qua-lité et culturellement appropriés (il ne s’agit pas d’importer des thérapies qui ne sont pas culturellement appropriées à un État, cela ne marchera jamais) à des per-sonnes dans le but de promouvoir le réta-blissement. C’est la première fois que l’Organisation Mondiale de la Santé utilise le mot « re-covery » en anglais, donc « rétablisse-ment ». Il va changer toute la donne en santé mentale et en psychiatrie : essayer d’atteindre le plus haut niveau possible de santé, de participation complète à la so-ciété, au monde du travail, libre de toute stigmatisation et discrimination. Quand on sait la stigmatisation, la discri-mination liées aux personnes qui ont des

troubles mentaux, cette vision n’est pas acquise et elle le sera à la fin du plan. Il faudra encore attendre des siècles avant que cela aille un peu mieux. Donc, les principes transversaux sont les soins universels pour tout le monde et par-tout, les droits de l’homme, les pratiques basées sur les preuves (ne pas faire n’im-porte quoi), une approche tout au long de la vie. Dans la plupart des cas de troubles de santé mentale, 50 % des troubles des adultes ont commencé avant l’âge de quinze ans. Ce sont des chiffres interna-tionaux. Si vous ne prenez pas les choses tout au long de la vie, vous risquez de ne pas comprendre, en saucissonnant les gens en tranches d’âge. Il faut également une approche multisec-torielle, parce que si quelqu’un n’a pas de logement, vous aurez du mal à soigner sa santé mentale. Il faut donc une véritable approche avec tous les domaines de la société. Enfin, il faut se baser sur le pouvoir d’agir des personnes. C’est le pouvoir d’agir des personnes, qui effectivement doivent don-ner leur opinion sur les soins qu’elles re-çoivent, sur l’organisation des soins, et doivent être intégrées dans les systèmes d’organisation des soins. Le plan d’action européen sur la santé mentale va reprendre tout cela, en insis-tant, en Europe, sur la question de la santé physique des personnes qui ont des troubles psychiques, puisqu’il existe un fossé de vingt ans de différence d’espé-rance de vie pour les hommes qui ont des problèmes de santé mentale et de quinze ans pour les femmes. Cette situation est scandaleuse à plus d’un titre, elle n’a ja-mais été abordée frontalement, et l’Orga-nisation Mondiale de la Santé demande actuellement que tous les États l’abordent. C’est repris actuellement dans les plans mis en place en France. Le bureau régional va décliner tout cela. Ce sont les cinquante-deux pays. Le péri-mètre, c’est le bien-être, les droits et les services. Les déterminants du bien-être, comme je vous l’ai dit auparavant, cela re-couvre beaucoup d’aspects en dehors des soins : la petite enfance, l’école, l’emploi, le statut social, le revenu, les relations, le milieu, les groupes, les minorités. Une série d’études épidémiologiques ont été menées en Europe de l’Ouest. Les gens de l’Europe du Nord et les An-glais sont très pointus dans ce domaine et leurs études montrent que, y compris dans nos pays, le fossé est considérable entre les gens qui ont des troubles et les gens qui se soignent. Par exemple, pour la dé-pression majeure et sévère, 45 % des gens ne se soignent pas. Pour l’alcoolisme, en

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 26

France, c’est 92 %. Pour les cas de psy-chose, c’est beaucoup moins en Europe de l’Ouest, mais en Europe de l’Est, c’est beaucoup plus important. En Afrique, on est à des taux de 80 % de gens qui ne se soignent pas. Et pour les troubles bipo-laires, malgré les évolutions, encore 40 % des gens ne se soignent pas. Ensuite, quand les gens commencent un traite-ment, 25 % ne viennent pas et 25 % se dé-sengagent dès la première ou deuxième visite. Vous le voyez dans vos statistiques tous les jours dans les hôpitaux, dans les files actives.

Quels sont donc les objectifs ?

Le projet de vie L’égalité et la possibilité de bien-être mental à travers le projet de vie pour les plus vulnérables (ce sont toutes les équipes EMPP) est le premier. La crise économique a fait augmenter d’une manière importante le nombre de tentatives de suicide et les suicides, ainsi que les personnes ayant des problèmes de troubles de santé mentale. Moins en France qu’ailleurs tout de même ; à croire que le système de protection sociale a été plus amortisseur ici qu’ailleurs. Vingt-cinq ans plus tôt, il n’y en avait pas ou très peu de “SDF”, il s’agissait de quelques clochards que l’on connaissait tous. Ce phénomène a pris beaucoup d’ampleur dans nos sociétés occidentales.

La citoyenneté Les personnes avec problème(s) de santé mentale sont des citoyens et leurs droits humains sont mis en valeur, protégés et promus. Cela, ce sont les asiles tels qu’on les a connus, tels qu’ils existent encore. J’ai appris que la mise en pyjama était une pratique assez courante en France et ail-leurs. Des gens qui devaient rester tout le temps en pyjama, ce sont des atteintes à la liberté, au respect des droits, au respect des hommes. Quant aux histoires de con-tention, d’isolement, ce sont des catas-trophes. J’ai connu des périodes où cela n’existait plus. Dans certains endroits, cela n’existe d’ailleurs toujours pas. En revanche, cela a fleuri en France. Quant aux signataires de la convention des droits des personnes handicapées, comme vous le voyez, ce n’est pas encore tout le monde. Cette convention est vrai-ment bien faite, je vous conseille de la lire, elle figure sur le site de l’Organisa-tion Mondiale de la Santé.

L’accessibilité La troisième condition, ce sont des ser-vices de santé mentale accessibles. En Turquie, il a été décidé voici quatre ans,

pour se mettre aux normes européennes, de fermer les hôpitaux psychiatriques et de rapatrier tous les services dans les villes et dans les services d’hôpitaux gé-néraux. Ils sont venus en France pour ob-server comment fonctionnait le secteur et ils ont découvert la psychiatrie de secteur, la psychiatrie intégrée dans la commu-nauté. La fameuse pyramide de l’Organisation Mondiale de la Santé, c’est intéressant. En bas de la pyramide, c’est l’importance des besoins de soins et services de soins. On y retrouve le self care, les soins infor-mels dans la communauté. Le self care si-gnifie comment on prend soin de sa santé. Les soins informels, c’est tout ce qui n’est pas lié aux services de soins.

Ensuite, la pyramide diminue un peu, c’est-à-dire qu’on a moins recours à la médecine générale. Puis on arrive aux services de psychiatrie, ambulatoires et hospitaliers. Chez nous, ils sont encore reliés, j’espère pour un cer-tain temps. Ensuite, viennent les services de long sé-jour, qui coûtent très cher mais qui con-cernent très, très peu de personnes. Donc, quand vous êtes en santé mentale, vous êtes en bas de la pyramide. Si vous mettez un système qui est basé unique-ment sur la psychiatrie, vous mettez la py-ramide à l’envers. Cela devient un sys-tème extrêmement coûteux et inefficace. Donc, il faut remettre la pyramide à l’en-droit, prendre les déci-sions quant aux be-soins de soins tels qu’ils se manifestent dans la société. Si l’on reprend la définition du self care, c’est l’ensemble des soins non dispensés par les professionnels de santé. Le self help, c’est le style de vie adopté pour pré-server la santé (vous avez les groupes de soutien, d’entraide, les GEM), les mouve-ments d’émancipation des patients. Puis, vient la trilogie qui va fonder la pair-ai-dance. Les pair-aidants, des médiateurs de santé, c’est une expérimentation qui a eu lieu en France et dans bien d’autres pays. Elle se base sur le self care, le self help et les valorisations des acquis expérientiels.

L’AUTEUR Jean-Luc RŒLANDT Psychiatre CCOMS 211, rue Roger Salengro 59260 Hellemmes France [email protected]

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Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté : des recommandations de l’OMS à l’application en France

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 27

Cela signifie que tout patient a une con-naissance de sa maladie, que sa connais-sance lui est propre, et que la connais-sance de sa maladie par le patient doit être prise en compte par le système hospita-lier. Reprenons le modèle du XXème siècle : vous aviez un gros hôpital, un peu de santé primaire, ambulatoire, quelques in-firmiers psychiatriques qui allaient faire des visites à domicile. Au XXIème siècle, véritablement, on est dans un système de réseau de soins. On parle de parcours de soins et autres, mais vous avez des systèmes avec des équipes mobiles, des soins à domicile, un système intégré dans la communauté, intégré avec la médecine générale, qui tiennent compte du self care, du self help. C’est ce qu’ont mis en place les Anglais, qui nous ont dé-passés de vingt ans depuis quelque temps, et j’en suis tout à fait désolé en tant que Français, d’ailleurs, pour des raisons di-verses et variées. C’est ce que nous es-sayons donc de mettre en place avec un peu de retard. Vous avez la déclaration de l’Organisa-tion Mondiale de la Santé sur l’empower-ment en santé mentale. Un groupe a tra-vaillé avec les associations européennes de familles et de patients sur l’empower-ment dans la santé mentale, et il a produit ce document que je vous conseille de lire, qui est vraiment très intéressant et qui donne une série d’orientations sur l’em-powerment.

Respect, efficacité, sécurité Quatrième objectif : les personnes ont droit à un traitement respectueux, effi-cace, garantissant la sécurité. Cela concerne tout ce qui est médicamen-teux ou autre, c’est le respect des doses, notamment. Il existe maintenant des co-mités de retours d’expérience dans les hô-pitaux, où l’on fait attention aux erreurs médicamenteuses, mais il faut bien savoir aussi que les pratiques de soins doivent être efficaces et sûres. On ne peut pas don-ner n’importe quoi aux gens, il faut être vraiment à des doses minimales de traite-ment pour qu’ils se portent bien et il faut toujours faire attention aux effets secon-daires. C’est l’objet de toutes les recom-mandations. Dans notre pays, ainsi qu’en Suisse, en Belgique, au Luxembourg, ces recom-mandations existent, mais pas dans cer-tains pays, et dans ce cas, on ignore ce que les gens prennent comme médicaments. Ensuite, vient l’intersectorialité : bien se coordonner avec les autres secteurs, ce que nous avons mis en place en France avec les Conseils locaux de santé mentale.

La santé somatique L’objectif cinq, c’était la santé somatique, mais je vous en ai parlé.

La gouvernance Elle est organisée à partir de bonnes infor-mations et connaissances. L’Organisation Mondiale de la Santé a diffusé aux 195 pays une demande pour savoir précisément, dans chaque pays, quelles étaient les sommes allouées à la santé mentale, comment elles étaient al-louées, ce qui allait aux patients, etc. Très peu de pays ont pu répondre à tout. Même en France, on n’a pas pu répondre à tout ; nous avons pourtant des données en quan-tité, mais elles ne sont pas utilisables pour obtenir des comparatifs. Or, si nous vou-lons que la santé mentale progresse dans le monde, il faut que nous ayons des don-nées stables, mondiales, et que nous exa-minions d’année en année comment cela progresse. Or, nous n’avons pas cela, même en France. Les priorités pour l’Organisation Mon-diale de la Santé Europe, ce sont les op-portunités associées à la pleine citoyen-neté, égale à celle des autres personnes. Quand on a des troubles mentaux (nous sommes un certain nombre à en avoir eu), on n’a pas une diminution de sa citoyen-neté, et heureusement ; mais dans bien des cas, dans le monde, lorsque l’on souffre de troubles mentaux, on peut avoir une di-minution de citoyenneté. - Tenir compte des ajustements néces-saires pour compenser les handicaps : sur ce point, les lois françaises sur la compensation du handicap sont bien faites. Il reste à les appliquer, mais elles sont relativement bien faites. - Participer à la conception, à la mise en œuvre et le suivi de l’évaluation des po-litiques et services de santé mentale : c’est vraiment important, il faut que les usagers y participent. Ce sont eux qui de-vraient être majoritaires dans les conseils de surveillance, ils devraient être dans les CME, ils devraient être un peu par-tout. - Rendre possible la mobilisation des re-présentants des patients et des familles avec le soutien financier (qui n’est ja-mais suffisant), et impliquer les utilisa-teurs et les familles dans l’amélioration de la qualité. A L’Etablissement Public de Santé Mentale Lille-Métropole à Ar-mentières (je fais encore un peu partie de cet établissement), toute la certification s’est faite avec les représentants d’usa-gers et de familles, qui étaient constam-ment présents et ont donné leur point de vue au fur et à mesure sur la manière dont nous donnions les soins.

L’empowerment en santé mentale L’empowerment fait référence au niveau de choix et de contrôle que les usagers peuvent exercer sur les événements de leur vie. La clé de l’empowerment est la modification des barrières informelles et la transformation des relations de pouvoir entre individus, communautés, services et gouvernements. Faire donner du pouvoir aux patients. L’empowerment est complètement au cœur de la vision de la promotion de la santé prônée par l’Organisation Mondiale de la Santé. Quand je dis « prônée par l’Organisation Mondiale de la Santé », cela signifie prônée par tous les pays. C’est le niveau de choix, de décision, d’influence et de contrôle que les usagers et services de santé mentale peuvent exer-cer sur les événements de vie. J’ai déjà dit que c’est une transformation des rapports de force. L’empowerment a commencé avec un certain nombre de luttes. C’est un mot qui vient d’abord des luttes des femmes pour leurs droits et qui a été repris par les Afro-Américains victimes d’oppression (cela a été bien été étudié par Salomon en 1976). C’est le respect de la dignité, c’est l’infor-mation partagée, la possibilité d’avoir ac-cès aux informations. Les patients ont ac-cès directement au dossier médical dans les hôpitaux de jour. Ils peuvent regarder un dossier médical. Cela se fait également en médecine générale, où vous pouvez re-garder votre dossier. - La participation : est-ce qu’ils décident de la manière dont ils sont soignés, dont sont organisés les services ? - Le soutien mutuel, l’entraide mutuelle. - L’autodétermination : je fais ce que je veux quand je veux, si je veux. - Et l’autogestion (on en est loin) indivi-duelle et collective, donc la promotion de la santé.

Cela a été les domaines généraux des luttes pour les droits des minorités. Il est vrai que les femmes ne sont pas une mi-norité mais bien plutôt une majorité, mais considérée comme une minorité en termes de droits, raison pour laquelle elles se considéraient comme minoritaires. Ensuite, dans le domaine de la santé, c’est surtout le Sida qui a transformé les rap-ports entre les soignants et les soignés, très nettement, ce qui a donné les lois de 2002 chez nous, et qui a transformé tout le système de santé dans le monde. Le savoir médical n’est pas absolu, il ne remplace pas le savoir expérientiel. En ce qui concerne la défense des droits des ma-lades, il y a eu une quantité de dysfonc-tionnements, mais nous avons fini par avoir la loi sur les class-actions, ici en

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 28

France. L’histoire du Mediator est un scandale, mais il y en a eu d’autres. La lutte contre les exclusions qui en dé-coulent et l’autoformation, des soins plus démocratiques, c’est vraiment ce qui a été demandé. L’association européenne d’usagers a produit la déclaration de Bucarest pour une meilleure santé et une meilleure vie, qui reflète vraiment le système d’empo-werment. Une réunion s’est tenue à Lille avec l’Or-ganisation Mondiale de la Santé Europe et la Commission européenne, au cours de laquelle 21 recommandations d’empo-werment ont été faites avec 400 per-sonnes, dont 150 représentants d’associa-tions d’usagers et de familles euro-péennes. Nous avons conçu quelles de-vaient en être les définitions. Il y a trois grands thèmes : - La défense des droits fondamentaux, c’est important, ainsi que l’assistance lé-gale et juridique. Depuis cette réunion, dans notre hôpital, dès que quelqu’un ar-rive sous régime de contrainte, il peut voir un avocat, qu’on lui fournit en plus de son avocat, parce que ce dernier n’est pas toujours au point. Cela permet de ga-rantir l’accès des soins de santé mentale en prison, et, évidemment, de limiter les pratiques de soins sous contrainte. C’est une demande générale. Les pratiques de soins sous contrainte vont de 1 à 50 en proportion des secteurs en France. On ne me fera pas croire qu’il y a cinquante fois plus de gens à mettre sous contrainte à un endroit qu’à un autre ; ce sont, nette-ment, des différences de pratique médi-cale. - La participation à l’organisation, l’évaluation des soins. Il est vraiment important qu’il y ait des commissions des usagers dans les hôpitaux, des com-missions des usagers dans les secteurs, qui puissent participer aux conseils de pôle, qui puissent être acteurs, ainsi qu’une organisation de forums des usa-gers si c’est nécessaire, et le développe-ment des réseaux d’entraide mutuelle entre eux. - L’information et la communication, qui sont essentielles car on ne peut pas avoir de santé sans information et com-munication.

Dans dix ou vingt ans, nous n’en serons plus où nous en sommes actuellement dans le domaine de la santé avec le déve-loppement de la e-santé, y compris la e-santé mentale. Tout notre dispositif psy-chique d’organisation des soins devra évoluer de manière considérable.

Le rétablissement Pour terminer, cette définition fait à peu près consensus : le rétablissement est un

processus fondamentalement personnel (c’est-à-dire : mon rétablissement à moi, ce n’est pas celui du voisin), unique, qui vise à changer les attitudes, les valeurs, ses sentiments, ses objectifs, ses aptitudes et ses rôles. Quand on a eu une maladie grave ou une maladie chronique, des choses se modi-fient en soi, et après, il faut se réappro-prier sa manière de vivre. La question n’est pas de savoir si l’on est guéri ou pas, on est dans le rétablissement, en sachant que le mot « recovery » n’est pas tout à fait équivalent à « rétablissement » ; c’est le processus de guérison, c’est un proces-sus plus qu’un rétablissement qui se-rait « Retomber sur ses pieds comme avant ». Mais ce n’est jamais comme avant. Quand vous avez traversé un tel épisode dans votre vie, ce n’est jamais ainsi. C’est un moyen de vivre une vie satisfaisante, remplie d’espoir, et productive malgré les limites résultant de la maladie. C’est-à-dire que l’on peut être malade et rétabli. On peut être malade et en bien-être. Et on peut ne pas être malade et être très mal. Il faut réussir à modifier toutes ces concep-tions traditionnelles habituelles, cela aura des changements considérables dans vos pratiques au jour le jour avec les patients. Cela permet aussi de dire que toutes les personnes peuvent réussir leur vie et avoir des aspirations, comme tout un chacun, malgré la maladie. Sans refaire l’historique, cela a com-mencé avec les malades alcooliques. On est passé d’une vision très négative à une vision un peu plus positive. La maladie a été considérée très longtemps comme quelque chose de négatif. Essayez de dire à quelqu’un qu’il a une schizophrénie, par exemple, vous allez voir. Il faudrait trou-ver des mots qui donnent l’espoir, sinon ce sera un peu compliqué. Cela a entraîné un changement de para-digme, que j’ai connu ; étant un vieux psychiatre, j’ai connu une transformation des services, qui étaient centrés unique-ment sur le pouvoir sur la personne (la personne devait rentrer dans un pavillon, tout était fermé, elle ne pouvait rien faire) à un changement de paradigme permet-tant de s’orienter beaucoup plus sur le ré-veil du pouvoir de la personne. A nous, professionnels, de nous adapter à la per-sonne, complètement ; il s’agit non pas d’essayer de faire rentrer les gens dans des structures, mais d’offrir des services aux personnes, des services de soins, des ser-vices sociaux. C’est Marianne Farkas, de Boston, qui a montré la situation en Albanie, à la fin du soviétisme. Vous avez bien vu que l’Union soviétique avait inventé les hôpitaux de jour, mais

enfin bon... Ici, c’est la même personne, à l’hôpital, après avoir travaillé avec elle sur son rétablissement, l’avoir mise dans un système à peu près normal. Donc, il suffit de transformer les équipes, transfor-mer la vision des choses, transformer les structures, pour avoir une transformation des personnes.

La citoyenneté Tout cela pour en arriver à la citoyenneté. Nous sommes tous citoyens, nous avons tous le droit de vote, nous sommes recon-nus comme membres d’une cité ou d’un État. Cela implique la reconnaissance des droits civils, des devoirs, et aussi d’avoir un rôle dans la société (démocratie, accès à l’État et autre). La pleine citoyenneté est le principe directeur de tout cela. C’est le principe actif du rétablissement : non seulement de maintenir des gens dans la communauté, mais faire en sorte qu’ils soient de la communauté comme tout le monde. On ne dit pas : « Un malade men-tal, on va le réinsérer dans la cité. » C’est quelqu’un qui vient de la cité, donc on es-saie de trouver comment il peut continuer à y vivre. Le fait de la communauté implique des re-lations de réciprocité entre concitoyens. C’est surtout Larry Davidson, avec tous les chercheurs de Yale, qui a développé cela. J’ai eu la chance de travailler un peu avec lui. C’est assez extraordinaire si vous regardez tout ce qui a été écrit. Larry Da-vidson dit lui-même qu’il a eu une dépres-sion sévère, dont il est sorti, et il a remis en place tout un service de recherche à Yale avec des patients chercheurs. Ces notions de rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté sont évidemment très liées.

La santé mentale communautaire L’outil de tout cela, c’est la santé mentale communautaire. C’est important, mais c’est un peu ce que le secteur a loupé parce que le secteur est parti de l’hôpital et il a essaimé dans la ville. On parle de santé communautaire quand les membres d’une collectivité géogra-phique sociale réfléchissent en commun sur leurs problèmes de santé. En Suisse, une petite ville à côté de Ge-nève est un exemple international (San-drine Motamed a énormément publié à ce sujet), où les habitants ont pris en compte leurs problèmes collectifs de santé. Ils ex-priment les besoins prioritaires et ils ont eu le droit de prendre des décisions. Par le système suisse, il leur est possible de prendre des décisions adéquates à leur santé, y compris dans l’urbanisme et dans le fait d’avoir des personnes de différents

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Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté : des recommandations de l’OMS à l’application en France

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 29

âges et de différentes classes sociales vi-vant ensemble. Donc, ils font participer activement à la mise en place et au déroulement des acti-vités les plus aptes à répondre à ces prio-rités. L’institut Renaudot, en France, dispense une série de formations sur ce thème, je vous le recommande si vous avez le temps dans vos formations. Vous pourrez vous former à la santé communautaire. C’est extrêmement intéressant et participatif. Cela a donné aussi les ateliers Santé et Ville, dans les communes, pour les quar-tiers en difficulté dans le cadre de la poli-tique de la ville, qui va créer par la suite, à travers les ateliers Santé et Ville, les conseils locaux de santé mentale qui se développent maintenant partout en France.

Une application pratique des prin-cipes de l’OMS en France : expé-

rience de psychiatrie citoyenne dans la banlieue Est de Lille

En ce qui concerne l’application pratique en France, je vais essayer de vous parler un peu de mon expérience. Comment avons-nous essayé de mettre cela en ap-plication concrètement ? En France, la loi du 4 mars 2002 a modifié considérablement les rapports entre pa-tients et les services de soins, et donc, l’accès à la prévention, l’information sur les maladies, l’éducation thérapeutique et les droits. Cela a constitué un changement considérable, qui est encore en cours. Il faudra des décennies pour qu’il soit com-plètement effectif. En outre, la loi du 11 février 2005 a créé les GEM (les Groupements d’entraide mutuelle), qui sont au nombre de 380 en France maintenant, et prône l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes en situation de handicap.

Les principes Les principes que nous avons mis en place sur la psychiatrie citoyenne sont les sui-vants : - Le premier, c’est de ne pas avoir de partenaire mais d’être partenaire. Les mairies ont mis en place un conseil local de santé, avec les usagers, le service de santé et la psychiatrie. - L’hospitalisation alternative aux soins dans la communauté : sur ce secteur, 75 % du personnel est en ville et 25 % à l’hôpital. Donc, l’hôpital est une alterna-tive aux soins communautaires, très clai-rement, avec des équipes mobiles un peu partout. - L’insertion à la porte du patient : vous avez pu observer que lorsque les patients viennent vers le système de soins, une

fois sur quatre, ils ne viennent qu’une fois et ils arrêtent le traitement. Donc, si vous n’allez pas vers les patients, si vous ne bougez pas, si vous n’êtes pas à la porte pour les accompagner, cela ne ser-vira pas à grand-chose. C’est là qu’inter-viennent les équipes mobiles. On a vu la création des équipes mobiles en Angle-terre, développées en France, sur toute la Belgique (c’est l’expérience 107), et vé-ritablement, c’est d’une efficacité ex-traordinaire. - L’autonomisation des usagers, c’est le quatrième point : rien à propos de nous sans nous. Ce sont les GEM, les média-teurs de santé pairs.

On est passé en quarante ans de trois cents lits en pavillon fermé en pyjama avec de la contention à dix lits à l’hôpital général entièrement ouvert, sans salle d’isolement et autre. Il n’y avait qu’une contention par an, qui est une catastrophe nationale. On en est là. Tout cela parce que l’offre de soins était complètement variée et organi-sée dans la cité avec la cité.

L’accès aux soins immédiat pour tous Nous avons passé un accord avec les mé-decins généralistes. Nous leur avons dit : « Maintenant, nous ne recevons plus un patient s’il n’est pas envoyé par vous. » En effet, les médecins traitants peuvent prendre en charge un grand nombre de pa-tients, et ils le font déjà. Un grand nombre de personnes ne se tour-nent pas vers le système de psychiatrie, et pour un grand nombre d’entre elles, ce n’est en effet pas nécessaire. C’est le self help, le self care, et le médecin généraliste suffit. Ces personnes vont voir le médecin traitant ; soit il peut les prendre en charge, soit il trouve ses réseaux. Les personnes pour lesquelles c’est trop lourd, il nous les envoie. Nous avons mis les infirmières en première ligne, les fameuses pratiques avancées, avec délégation de tâches et de compétences. Nous voyons tout le monde en moins de quarante-huit heures de ma-nière systématique parce que plus vous at-tendez, moins il y a d’accès aux soins, plus les choses s’aggravent et plus vous risquez de retrouver ces patients à l’hôpi-tal. Le système fonctionne donc ainsi, avec l’ISO pour bien vérifier. Nous proposons donc un accueil infirmier en moins de quarante-huit heures. Les in-firmiers cliniciens sont excellents. J’avais vu cela en Mauritanie, on comptait deux psychiatres et trois infirmiers pour trois millions d’habitants. Les infirmiers fai-saient tout. J’ai fait venir les infirmiers mauritaniens pour former les infirmiers français en leur disant : « Vous êtes bac+3, vous pouvez faire beaucoup plus

qu’eux. » Et nous avons mis en place les pratiques avancées.

Lieux de soins psychiatriques S’agissant des lieux de soins psychia-triques intégrés, on essaye de fermer les CMP et les hôpitaux de jour, qui sont des émanations de l’hôpital psychiatrique. Il faut parvenir à s’intégrer complètement dans la cité. Il faut réussir à faire en sorte que les activités aient lieu dans les centres d’activité, que les dispenses de soins aient lieu dans les cabinets de médecine géné-rale, que l’on aille avec les infirmiers li-béraux. On y arrive peu à peu, on s’est im-planté dans la structure de la cité. On a fermé l’hôpital de jour, qui a bien été utile pendant vingt ans. On a dit : « Non, c’est terminé, les groupes de malades s’en-nuient trop, on va fermer. » La disponibilité, la flexibilité, on a trans-formé tout cela en équipes mobiles. Tout notre dispositif a été transformé en équipes organisées, avec deux types d’équipes mobiles : des équipes mobiles de crise, des équipes mobiles d’interven-tion à domicile, de soins aigus (sachant que les patients restent très peu à l’hôpital parce qu’ils sont suivis quinze jours à do-micile avec tout le dispositif de soins). On prend le virage ambulatoire un peu par-tout.

Les familles d’accueil C’est le modèle de Madison aux États-Unis, où on a vu des familles de crise. C’est un peu compliqué chez nous. Aux États-Unis, ils sont dans des ranches, ils sont armés. On ne pouvait pas faire cela chez nous. On a créé des familles “aiguës” pour les personnes ne pouvant pas rentrer chez elles en raison de problèmes familiaux. Auparavant, ces personnes étaient obli-gées de rester à l’hôpital. Nous avons ré-glé ce problème avec des familles d’ac-cueil : les personnes restent trois semaines dans la famille d’accueil, et tournent. Comme à l’hôpital.

Le service hospitalier En ce qui concerne le service hospitalier, nous tenons bon sur les droits, avec des forums organisés par les usagers eux-mêmes dans le service pour savoir com-ment apporter des améliorations à chaque fois qu’une difficulté se présente, et faire rentrer l’extérieur. Les familles y ont ac-cès, nous avons installé des lits pour elles afin qu’elles puissent rester avec leur pa-tient. Je passe sur les contrats de soins et les alternatives.

L’empowerment Pour les actions d’empowerment, nous avons intégré les médiateurs de santé

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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pairs, c’est une expérience que nous avons menée au centre collaborateur nationale-ment. Ce fut une aventure. Je pense qu’en Suisse, ils ont attendu un peu, mais le système des médiateurs est en route. Je pense qu’il en sera ainsi dans le monde entier. Je peux vous dire qu’en France, cela a bien résisté. Mais ceci dit, quel bonheur d’intégrer des gens dans les équipes en médiation ayant une expé-rience de savoir expérientiel. Ils sont d’un apport aux équipes qui est vraiment inté-ressant. C’était une pièce manquante. Je pense que plus il y a de compétences dans les équipes et mieux cela vaut. On ne reste pas dans l’entre soi. C’est donc vraiment un point positif. On les utilise pour l’éducation thérapeu-tique aussi. Il existe deux GEM gérés par les usagers eux-mêmes : ils participent aux conseils de pôle, conseils de service et ils sont intégrés dans le dispositif à tous les niveaux.

Les fiches d’information Enfin, nous avons distribué des fiches d’information dans tous les services sur la manière de faire avec les maladies. Nous essayons maintenant d’avoir des fiches pour les patients sur la présentation des médecins, des infirmiers, des psycho-logues, leurs compétences, afin qu’ils sa-chent à qui ils s’adressent quand ils ren-contrent des professionnels.

Mais aussi… Il existe encore beaucoup d’autres choses, comme les forums usagers, qui ont lieu en ville mais également à l’hôpital. Nous avons créé les conseils locaux de santé mentale. Il s’agit d’un ensemble ré-unissant tous les services sociaux, les usa-gers, les familles qui décident de la poli-tique de santé mentale d’une zone.

J’ai entendu dire que les zones, pour la concertation, ne devaient pas excéder 20 à 30 000 habitants. Il est vrai que j’ignore comment nous nous en sortirions avec une zone de plus de 100 000 habitants. La proximité est importante. Cela permet la mise en place d’observations en santé mentale : nous avons une série de chiffres et de données qui nous permettent l’obser-vation en santé mentale, en France, ac-tuellement, dans tous les quartiers. C’est très précis. L’accès et la continuité des soins, l’inclu-sion sociale, permettent de participer à la lutte contre la stigmatisation. Toutes les mairies se sont mises à organiser les se-maines d’information en santé mentale. Je pense que partout où l’on met en place ce dispositif, cela permet une sensibilisation de la population. Et promouvoir la santé mentale, bien sûr. Ce sont donc des actions très concrètes. Le point le plus spectaculaire réside dans le fait que les mairies ont mis à disposition de personnes souffrant de troubles psy-chiques, 170 appartements en trente ans. On a sorti tout le monde de l’hôpital. Nous avons mis en place des équipes mobiles pour suivre les patients, pour les habituer, puis on les a sortis de l’hôpital. Avec l’autogestion des patients, cela a fonc-tionné tout seul. Cela intègre maintenant les contrats locaux des villes Il existe actuellement 120 conseils locaux en France, et 200 sont en voie de création. C’est exponentiel. Je pense que c’est une vraie résurgence pour la psychiatrie fran-çaise de secteur. Les chiffres montrent que nous sommes passés d’une manière radicale d’un sys-tème centré sur l’hôpital, avec ses émana-tions qu’étaient le secteur, les hôpitaux de jour, etc., à un système centré sur la com-

munauté, avec une hospitalisation qui de-vient un temps de passage très court puisque les patients restent sept jours en moyenne à l’hôpital. Nous avons réglé le problème des patients chroniques depuis longtemps puisque ces patients vivent en ville avec leur établis-sement et les systèmes autour d’eux. Le système est passé essentiellement de jour-nées d’hospitalisation à un système entiè-rement ambulatoire. 60 000 actes ont été faits par l’équipe alors qu’elle n’en faisait aucun quarante ans plus tôt ! Le personnel exerce ses mis-sions à 72,5 % hors de l’hospitalisation. D’où la diminution drastique des hospita-lisations. Cela se poursuit dans la durée, avec une augmentation de plus en plus im-portante des prises en charge communau-taires.

En conclusion L’Organisation Mondiale de la Santé, qui représente 195 États, peut paraître à cer-tains moments comme ayant des positions avancées, mais elle ne fait que reprendre, d’une certaine manière, ce qui existe un peu partout dans le monde. Nous avons parlé de la France, mais l’Australie a un système beaucoup plus avancé que le nôtre, sur tous les thèmes. On peut trouver des approches et des pra-tiques très intéressantes un peu partout dans le monde. En Belgique, une grande réforme est en cours. En Suisse, on en parle depuis longtemps, mais je ne suis pas sûr qu’elle aura lieu ! Quoi qu’il en soit, ce changement de pa-radigme fait que l’espoir et le rétablisse-ment sont certainement dans le camp de la santé mentale des patients et des équipes dorénavant.

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Présentation d’Helix Helix est l’hôpital de jour psychiatrique de la clinique Saint Jean, situé au cœur de Bruxelles. Notre service accueille des pa-tients adultes en souffrance psychique pouvant profiter d’un suivi thérapeutique en groupe et où le lien à la parole est pos-sible. Les patients nous sont adressés par les ser-vices psychiatriques des différents hôpi-taux de la région bruxelloise, par des ser-vices de santé mentale, par des psy-chiatres ou des psychologues indépen-dants, par leurs médecins généralistes. Rarement le patient se présente de lui-même. Nous travaillons avec différentes patholo-gies, parmi lesquelles nous retrouvons principalement les psychoses, les troubles de l’humeur, les troubles anxieux, les né-vroses, les troubles de la personnalité, les problématiques d’assuétude. Le travail thérapeutique au sein de notre service est basé sur des ateliers de groupe.

A son entrée, le référent accueille le pa-tient, ensemble ils établissent une grille d’ateliers. Le référent est la personne qui accompagne le patient durant son séjour hospitalier en partenariat avec le médecin et l’équipe pluridisciplinaire. Lors de l’élaboration de la grille, le réfé-rent veillera à ce que la personne puisse investir les différents axes de travail pro-posés, à savoir : la parole, le corporel, les médias créatifs ainsi que certains ateliers en lien avec l’extérieur.

Pourquoi présenter notre travail au colloque ?

Après presque un an d’atelier, nous avons été marquées par la sensation, en fin de parcours, qu’il s’était passé quelque chose d’important, tant au niveau de la “créati-vité” que du “vivre ensemble”. Nous avions envie de : - Prendre recul face à notre pratique d’atelier.

- Relier certaines de nos observations à des concepts théoriques. Lien avec le jeu, l’espace, l’espace potentiel de D. W. Winnicot

Nous souhaitions nous attarder sur quelques observations effectuées en vi-vant l’atelier durant neuf mois, telles que : - La régularité des participants sur une longue période. - L’engagement, la ténacité et la volonté dans le travail de création malgré les nombreuses difficultés rencontrées. - Les formes apparues au sein de l’ate-lier, l’investissement affectif par l’appa-rition de “petits noms” donnés à leur pièce en cours de réalisation. - Les retours des patients sur la “bonne ambiance”, le plaisir de “chercher en-semble” les rires, et l’envie de retrouver le groupe pour vivre le temps de l’atelier. - Nous avons aussi été étonnées par l’en-vie manifestée par un participant de lais-ser sa pièce pourtant fort investie à l’hô-pital de jour, alors qu’il clôturait son sé-jour - Enfin nous avons aussi été intriguées par l’envie d’exposer les pièces et la question du choix du lieu pour cela.

Animation en duo Qui a donc mis en place cet atelier ? Deux femmes, 2 corps en présence, 2 voix différentes, 2 âges, 2 fonctions diffé-rentes, 2 prises de paroles à la fois diffé-rentes et complémentaires. Nous travaillons ensemble depuis 7 ans et nous avions une envie grandissante de mettre sur pied un atelier créatif. Nous avions un point commun, une envie de nouveauté et nous étions attirées l’une l’autre par l’envie de découvrir le média habituellement manié par l’autre en asso-ciant nos compétences propres pour créer un “tout” plus grand que nos deux singu-larités. Pour dire simple, l’une voulait sortir « de la pose de mosaïque sur des planches plates en bois », elle ressentait le besoin

L’atelier « Volume et mosaïque » est un élément du cadre de l’hôpital de jour Helix. Cet espace offre des possibilités théra-peutiques multiples. Dans cet atelier les attentes sont modestes, la performance, le résultat ne sont pas à l’ordre du jour, ne sont pas notre priorité. La seule chose qui est demandée aux patients, c’est de créer une forme en volume selon leur désir et de la couvrir de mosaïque. C’est ainsi que s’est créé un espace transitionnel où ce qui est mis en jeu est in fine le « vivre ensemble » avec toutes ses péripéties. La relation étant au cœur du processus thérapeutique. Contrairement à une hyper spécialisation qui se centrerait sur des objectifs à atteindre en fonction d’une pathologie déterminée, cette forme de travail transversal nous semble tout à fait pertinent pour la mission globale des hôpitaux de jour, et convoque nos propres ressources de créativité, de dynamisme et de courage. Cette mobilisation ne passe pas inaperçue auprès des patients et nourrit leur propre élan. L’exposé évoque la construction, le déroulement et l’aboutissement de cet atelier, tant auprès des soignants que des patients et tentera dans un second temps de déployer certaines balises théoriques permettant de comprendre ce qui était à l’œuvre. Mots- clefs : Expérimentation, jeu, espace, corps, création, forme, processus, volume, dispositif groupal, espace/objet transi-tionnel

“Experiment” and company When the transitional space invites himself in a workshop “Volume and tiled”

The workshop "Volume and mosaic" is part of the framework of the Helix day hospital. This space offers multiple treatment options. In this workshop expectations are modest performance, the result is not in the agenda, are not our priority. The only thing that is required of patients is to create a shape in volume according to their desire and cover mosaic. Thus was created a transitional space where what is involved is ultimately the "living together" with all its vicissitudes. The relationship is at the heart of the therapeutic process. Unlike a hyper specialization that would focus on objectives based on a specific disease, this form of transversal work seems entirely relevant to the overall mission of day hospitals, and convene our own creative resources, dynamism and courage. This mobilization has not gone unnoticed with patients and feeds their own momentum. The statement mentions the construction, the progress and outcome of this workshop, both with caregivers and patients and will try a second time to deploy some theoretical guidelines for understanding what was at work. Keywords: Experiment, play, space, body, design, form, process, volume, groupal device space / transitional object

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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d’explorer d’autres potentialités de ce mé-dia. L’autre avait envie de nourrir de possibi-lités son expérience de créations de vo-lumes en y incluant un média inconnu pour elle, la mosaïque. Notre ligne de conduite fût dès le départ basée sur la confiance, l’écoute, le respect de nos différences, le désir et la volonté de dépasser les difficultés si elles devaient survenir... Pas de « Mais... » Juste des « Et-Et-Et... » pour ouvrir. Nous avons donc décidé de nous engager l’une envers l’autre pour une durée de 9 mois, ce qui correspondait à la durée de la grille an-nuelle. Spontanément, une dénomination d’ate-lier intitulé “Volumes et mosaïques” s’est imposée à l’image du rassemblement de l’accordage de nos deux compétences, ce qui est apparu au sein du service dans la grille proposée comme un nouvel atelier, une nouvelle co-animation offerte à un nouveau groupe de patients. Que voulait-on y faire ? Quels en étaient les moyens ? - Une réelle autonomie en tant qu’ani-matrices pour la création de l’atelier, en nous dégageant d’une obligation de réus-site d’une pièce aboutie, finalisée. - Proposer aux patients un laboratoire de découverte, de recherche, avec, comme horizon, créer une forme en fil de fer, n’importe laquelle, et tenter de la recou-vrir d’une matière non encore définie pouvant accueillir par la suite la pose de tesselles de mosaïque. Nous proposions ainsi un jeu à partir d’un bout de fil de fer de deux tensions et duretés diffé-rentes. - Nous voulions un espace (un local) qui grâce à son aménagement ouvrirait à la possible création d’un terrain de jeu, afin que le jeu puisse devenir une activité dans laquelle le corps entier puisse parti-ciper et pas seulement “le bout des doigts” qui manipule de petites pièces sur une table - C’est ainsi qu’avant la naissance de l’atelier, nous avons commencé à jouer, un squelette de chien est alors né à l’aide de tuyaux de chauffage récupérés. Ce squelette de chien était posé dans le ser-vice à la vue de tous, suscitant chez cer-tains patients de la curiosité. - La ligne de conduite importante qui nous guidait en toile de fond était le res-pect du patient, de son projet en devenir ou pas, et sa sécurité au sein de l’atelier pour que les mains puissent s’engager à la naissance de formes. - Afin que les patients puissent s’enga-ger dans leur projet et faire naître des formes, nous étions conscientes de l’en-jeu d’offrir aux patients un espace sécu-risé.

Comme Winnicott en a souligné l’impor-tance, nous espérions tisser une relation avec les patients basée sur un sentiment de confiance. Confiance réciproque afin que le jeu se développe en interaction avec les participants, pour permettre l’investisse-ment de la relation grâce à la création d’un espace transitionnel. (Winnicott, 1971) Comment avons-nous tenté d’amener cette confiance, cette sécurité en nous ap-puyant sur le cadre de notre environne-ment de travail ?

Le cadre, structure spatio-temporelle

L’espace et le temps de la structure de notre atelier furent au préalable pensés à partir de ce dans quoi nous sommes ins-crites, à savoir un hôpital de jour psychia-trique ouvert 5 jours par semaine de 9h à 16h, chaque journée étant divisée en 2 plages de deux demi-journées où il est possible de placer une période d’atelier d’une durée de une ou deux heures, en matinée ou en après-midi. Rapidement, il nous a paru évident que le média qui allait nous occuper durant ces 9 mois à venir nécessite une plage de 2h d’atelier, défini par la suite dans la grille annuelle, le mardi de 14h à 16h. La construction de cet atelier nous a éga-lement plongées dans la réflexion du lieu qui allait pouvoir nous accueillir, et nous donner suffisamment d’aisance et de con-fort pour voir émerger croquis, formes, volumes et outils parfois volumineux. Il nous importait de pouvoir avoir la liberté de travailler sans devoir trop nous soucier de la propreté au moment même du temps réservé à la création, permettant de nous mouvoir dans un espace suffisamment grand, pouvant permettre les allées et ve-nues, un engagement corporel, mais aussi permettre à chacun de voir ce qui se passe chez son voisin. Nous souhaitions qu’il y ait aussi la pos-sibilité de créer au sein de cet espace de “petites niches” de petites tables afin que les patients ou nous-même puissions au besoin modifier l’aménagement dans l’es-pace du lieu pour, au besoin, pouvoir se créer un espace adapté durant la séance. Nous avons ensuite réfléchi au temps en termes de structure au sein même de l’ate-lier. Début d’atelier à 14h et qui se ter-mine à 16h. A 15h, il y avait une possibilité d’une pause (si elle était souhaitée par les parti-cipants ou nous-même en milieu de séance). La règle non négociable était le range-ment collectif de l’atelier en fin de séance et la responsabilité de chacun pour le ran-gement de sa pièce en cours et ses “petites affaires” (ex, Monique et ses photocopies,

Renata et ses plumes, Marianne et son tissu…). Nous étions décidées à ne pas devoir aller “pêcher” les patients qui trainent dans les couloirs ou autres, à rappeler notre souhait de ponctualité pour le début d’atelier. Nous étions dans une dynamique de res-ponsabilité et d’engagement face à leur inscription librement choisie pour ce choix d’atelier. Dès lors, nous avons énoncé notre souhait de commencer tous ensemble notre travail à 14h et qu’au-delà du quart d’heure dépassé, l’accès à l’ate-lier ne serait plus possible pour cette fois-là, ET... que nous les attendions à l’heure la semaine d’après. Au fil du temps, nous avons constaté que les retardataires se faisaient de plus en plus rares et dans les derniers temps, les patients étaient devant la porte avant l’ou-verture de l’atelier.

Accueil du groupe, début des premières expérimentations

La composition du groupe, animatrices comprises, s’est avérée être multicultu-relle : 2 personnes d’origine marocaine, 2 polonais, 1 roumain, 1 albanaise, 1 sici-lienne, 1 espagnol, 2 français, 4 belges, 1 luxembourgeoise. L’échelle des âges des participants était variée, allant de 24 ans pour le plus jeune à 67 ans. Au-delà des origines ethniques, la diversité se retrou-vait aussi au niveau de la psychopatholo-gie ayant justifié le séjour. Cette diversité, évidente et riche d’entrée, a ponctué le temps d’accueil en une table de conversation où chacun a pu, s’il le souhaitait, dire « bonjour » dans sa langue d’origine. Les premiers regards et rires sont apparus entre les patients, lorsque nous essayions de les répéter pour ac-cueillir chacun personnellement dans sa langue maternelle. Ce petit rituel d’ac-cueil s’est reproduit quelques séances. L’empressement des patients à jouer avec la mosaïque était tel que nous avons sorti les raviers de tesselles, les carrelages, les vaisselles cassées, et nous leur avons pro-posé d’aller à la découverte de ces diffé-rentes matières en les prenant en mains. Rapidement, est venue la question du sup-port en vue du titre de l’atelier “Volumes et Mosaïques” et c’est ainsi que nous avons demandé aux patients d’apporter une bouteille vide tandis que nous, de notre côté, allions approvisionner le stock de tesselles. Nous étions conscientes que nous leur demandions d’être acteurs, de poser un acte d’engagement qui pourrait éventuellement enclencher un début de processus. Pourquoi une bouteille ? Pour l’accessibilité de l’objet, l’absence d’in-tervention financière, le fait que ce soit un objet connu de tous et faisant partie de la vie quotidienne. Un appui connu.

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“Experiment” et compagnie : quand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 33

A notre grand étonnement, à l’exception d’un ou deux patients, la majorité avait apporté sa bouteille pour la séance sui-vante. L’espace s’est agencé naturellement avec la grande table de travail où les patients se sont rassemblés avec leurs bouteilles et une petite table recouverte de la bâche verte où trônait le squelette du chien, ra-mené du couloir dans l’atelier. La découverte de la mosaïque a débuté par quelques informations à propos de cette technique, et la découverte tactile, tou-cher, sentir, regarder, observer, recon-naître parfois des morceaux de carrelage, une anse de tasse, la lisière d’une jolie as-siette, un reste d’un vase japonais. Nous avions également des tesselles achetées en pot dans des commerces, des tesselles en pâte de verre, en céramique, des mini-galets. L’essence même de la mosaïque est l’as-semblage de ces petits bouts qui, au dé-part, ne semblent rien dire, ou sont les souvenirs d’un bel objet passé et hérité, à qui l’on souhaite redonner une vie, et qui prendront formes aux côtés d’autres mor-ceaux pour raconter une nouvelle his-toire... Ainsi Monique, qui a amené son assiette cassée lors du précédent week-end, et qui tenait à ce que cela soit donné à l’atelier car elle appréciait le bord qui pourrait être récupéré ! Ou encore une tasse cassée d’une collègue peinte par l’un de ses enfants et qui ne pouvait se résoudre à la jeter à la pou-belle ! Les premiers essais de pose de la mo-saïque sont apparus sur leur support en 3D ; premières réactions et ajustements. En même temps, Christine s’essayait pour la première fois à cette technique, Justine faisant des allées et venues entre ses pre-miers essais de plâtre sur le squelette du chien ramené dans l’atelier sur la bâche verte non loin de la grande table occupée à l’apprentissage par essais erreurs de la technique de la mosaïque. Pour jouer avec la mosaïque, on peut la tailler, lui donner une courbe, parfois la matière nous échappe, ça s’effrite, ça se coupe dans le mauvais sens, ça se casse complètement et parfois cela peut blesser ! Petit à petit, des échanges sont apparus et certains patients partageaient leurs trucs et astuces pour que les tesselles ne tom-bent pas du support. Certains travaillant à plat, d’autres posant les petites tesselles avec une pince à épiler afin de ne pas salir leurs doigts et d’autres essayant tantôt colle blanche, tantôt compactuna (adju-vant pour ciment). Ces moments furent précieux car ils nous donnaient à voir comment ils abordaient le travail et ce qui leur procurait une motivation, un désir.

Ainsi Saïd, attiré par les galets ronds et qui les pose ensuite de façon répétitive et qui semble aléatoire sur sa bouteille comme un remplissage d’une surface. Re-nata qui a un projet dessiné bien précis et qui stocke à la manière d’un écureuil de peur de manquer dans l’intérêt de sa propre pièce sans conscience de la collec-tivité. Pascal, tel un architecte fidèle à son idée de départ, trace des lignes avec des petits miroirs. Jean-François, discret, lent, et qui avance son petit bonhomme de che-min. Fernando, en partance du centre qui souhaite enfin ramener quelque chose de son passage à Helix pour ses enfants et qui réalise en mosaïque le prénom de sa fille sur la bouteille. Enfin Alita, qui fonce et colle, colle pour s’apercevoir enfin de par-cours qu’elle n’a pas assez de pièces pour finaliser son dessin. Petit à petit, les patients devenant auto-nomes dans la pose de la mosaïque sur leur bouteille, nous nous sommes retrou-vées de plus en plus à deux autour du squelette du chien, nous n’étions plus uni-quement des “mères toujours bonnes”. Il nous arrivait de demander aux patients un temps de latence entre leurs demandes et notre temps de réponse. Une émulation ré-ciproque est rapidement apparue suite aux difficultés rencontrées (ainsi le plâtre qui n’adhère pas, recherche d’autres bandes de résine en orthopédie, etc.), et une envie d’apprendre, de chercher à résoudre en analysant nos actions ou en tentant de les anticiper. Nous nous sommes nourries l’une, l’autre pour faire évoluer notre tra-vail par des confrontations et des échanges. Nous avons pris de risques, il y a eu de la place pour l’approximation, le questionnement, les tâtonnements et aussi du vide. Nos propres ressources différentes nous amenant à répondre, agir différemment face à la même situation vécue, nos ma-nières de procéder étaient parfois bien éloignées de ce que l’autre aurait imaginé ou souhaité. C’est sur cette petite table que nous avons fait ce que nous appelons notre « petit théâtre à deux ! » Et ce que les patients ont appelé par la suite « tout votre petit chipotage ! ».

Notre petit Théâtre à 2 ! Nous remarquions que nos discussions de “coulisses” apparentes et visibles au groupe, provoquaient de plus en plus de réactions (enfin audibles !) au sein du groupe de patients. Parfois l’un d’eux venait voir le résultat de nos recherches fructueuses ou plus dé-sastreuses. Les rires sont apparus, ou encore des re-gards qui se voulaient discrets vers nous, mais qui scrutaient nos réactions lorsque

l’une de nous deux osait plus que l’autre, ou que l’une était en désaccord, ou mar-quait son « ras-le-bol » et l’envie de tra-vailler à un autre endroit sur la pièce. Cer-taines fois, des participants sont venus ai-der au travail en cours ou regarder ce qui se passait. Voici une petite illustration du contenu de nos échanges. Avec le recul nous avons constaté qu’ils avaient pour teneur des propositions, des autorisations, du lâcher prise, de l’audace quant à l’issue de l’ex-périmentation, de la valorisation pour les compétences reconnues, des demandes d’aide, des étonnements, des inquiétudes, des mises en action, des remises en ques-tion, de la réserve, et de l’humour… Nous en bruits de fond qui “chipotons...”. « - Et si on essayait avec du plâtre ? « - Tu crois que cela va marcher ? « - On s’en fout on essaye, on verra bien ! pourquoi pas ? « - Zut, c’est moche, cela s’effrite... « - Cela ne tient pas... Qu’est- ce qu’on fait, tu as une idée ? « - On casse ! Comment ? Avec la pince ? Moi, je prendrais le marteau ! « - Vas-y, je te fais confiance, go ! « - Allez, pour la semaine prochaine, je termine la tête. « - Et si on essayait avec de la résine, il y en a dans l’hôpital. « - On aurait dû commencer par solidi-fier les pattes... Mais oui, c’est évident ! La prochaine fois on commencera par cela. « - On ne peut plus avoir de résine, c’est réservé pour les fractures, c’est coû-teux ! Qui a une idée ? [attente...] Si on essayait avec du ciment ? Qui a déjà fait cela, qui a déjà fabriqué du ciment, qui connait éventuellement la recette ? « - Et moi après, je terminerai la patte comme cela tu auras la surprise et enfin il tiendra debout ! « - ET si on coulait du ciment dans un pot de yaourt pour l’assise des pattes ? « - Il y en a ? « - NON, je vais voir dans le frigo ! J’en ai trouvé un, je le mange, tiens voilà le pot ! « - Et si on rajoutait de la colle compac-tuna en plus grande quantité ? »

Comme nous jouions à une certaine dis-tance « proche de l’espace de jeu des pa-tients », cela a vraisemblablement permis de faciliter les interactions. Nous interpellions et demandions l’avis du groupe pour valider une idée et/ou nous aider à réfléchir sur une difficulté. (Par exemple Pascal, qui propose une re-cette de ciment où nous devions mettre plus de sable). En dehors de ces appels de notre part, aucun d’entre eux n’intervenait spontanément dans notre “scène”.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 34

LES AUTEURS Justine COUDOUX Assistante sociale Christine VANHAVERBEKE Art-thérapeute Hôpital de jour psychiatrique HELIX Clinique Saint-Jean 100, rue du Méridien 1210 Bruxelles Belgique [email protected]

BIBLIOGRAPHIE 1. FLORENCE J. (1997), Art et thérapie liaison dangereuse ?, Presses de l’Université Saint-Louis, Bruxelles, 159 p. 2. TELLIER-LOUMAGNE F. (2010), 1000 Ma-nières de créer, Editions de La Martinière, 365 p. 3. WINNICOTT D. W. (1975), Jeu et réalité, Gallimard, Paris.

C’est progressivement, que certains d’entre eux ont commencé lors du tour de table à évoquer la bonne humeur, impor-tante à leurs yeux, parfois produite par nos mini-scénettes, à dire leur étonnement lorsqu’on osait tout casser et donc recom-mencer, à sourire de nos petits défis lors-que l’une de nous deux était absente lors de la prochaine séance à finir ceci ou cela. A cet instant, nous avons pu mesurer que nos échanges avaient eu pour certains un impact sur leur propre manière d’aborder leur travail et quelque fois alimenter leurs propres ressources afin de surmonter une difficulté ou de faire appel à leur imagina-tion ! C’était devenu une sorte d’appui, à l’image d’un puits dans lequel ils pou-vaient aller se servir à leur guise, une idée pour leur pièce (Ex : naissance de formes de différents animaux), une recette de ci-ment, une méthode de pose de mosaïque, etc, tout cela en toute liberté et avec le même rapport que nous face à l’agir c’est-à-dire, Se Permettre de faire/ Oser sans objectif de réussite ! C’est ainsi qu’un jour, en cours d’atelier, un patient a de-mandé comment s’appelait le chien, un patient a proposé un nom, « EXPERI-MENT ». Ces moments de rassemblement en fin d’atelier ont naturellement été baptisés : « les réunions de chantier ».

Retours de participants Saïd : « Mes oreilles sont toujours ou-vertes, pour apprendre beaucoup, être à la hauteur. C’était un bon guide. Quand je vois des problèmes chez les animateurs, je fais attention pour ne pas tomber dans le piège. Le mardi matin, je réfléchis à des idées pour continuer mon boulot l’après-midi ! » Mihaï : « A entendre les animatrices dis-cuter de leur projet, essayer, ne pas être d’accord, casser, recommencer leur tra-vail, tout ce chipotage, c’était amusant ! »

Les réunions de chantier... Ces réunions se placent en fin d’atelier au moment où le groupe après avoir bien rangé la pièce de façon communautaire et individuelle pour leur mise en sécurité de leur pièce se retrouvent autour de la grande table. - Direction donnée de ces réunions de chantier. - Prise de risque de la parole pour les ani-mateurs qui se propage au groupe, vigi-lance à ce que la prise de parole soit tein-tée de bienveillance, encouragement, écoute des instants de doute, de vides, les commentaires étant centrés sur la pièce en cours et non sur son auteur, la valori-sation et reconnaissance dans l’explora-tion du potentiel de chacun (un mouve-

ment qui apparaît, une découpe, un lis-sage, une façon de ligaturer le fil, la force, la patience, la valorisation des compétences).Et surtout pour chacun du groupe le moment de se féliciter d’avoir osé entrer et être présent dans l’atelier ce jour-là. Avec humour on mimait qu’on recevait une médaille ! - Inscrire l’expérience dans la continuité. - Que s’est-il passé pour votre pièce de-puis la dernière fois ? Avez-vous eu des difficultés, tout en nommant les nôtres ? Pour la semaine prochaine de quoi avez-vous besoin ? Voulez-vous faire une de-mande d’aide ? Y a-t-il un endroit de votre pièce que vous aimez et où vous souhaitez réintervenir ? Juste besoin de réfléchir ou de ne plus y penser pour l’instant…

C’est ainsi qu’un jour, Philippe qui sem-blait impassible durant son temps de créa-tion mais que nous ressentions comme bloqué devant un obstacle de faire tenir droite sa girafe, prend le risque de se dé-voiler et nous confie en fin d’atelier avoir ressenti une tension intense à l’intérieur de lui et un besoin « de crier par la fenêtre et de se défouler en tournant autour de la table ». L’engagement dans le jeu avait provoqué une tension, une pression in-terne qui semblait insupportable. Un échange s’est passé entre eux. Ils ont fait des propositions “pour se soulager”, comme quitter sa place, faire un tour dans l’atelier, regarder ce que font les autres, demander de l’aide, s’arrêter, prendre une pause. ... Philippe, toujours, la semaine sui-vante : « je vais m’attaquer aux pattes ! ». ... Saïd, pas satisfait de la tête de son ani-mal décide pour la prochaine séance de re-cimenter une partie afin que ce soit plus lisse car il anticipait les problèmes à venir lors de la pose des futures tesselles. ... Renata, qui parvient après plusieurs séances à demander enfin de l’aide, ou propose du bout des lèvres un peu de son matériel “personnel” pour le groupe. ... Pascal, qui organise son travail dans la durée et évalue le nombre de séances en-core nécessaires selon lui tout en énumé-rant ce qu’il lui reste à faire avant de pas-ser à l’étape de la pose de mosaïque ... Aelita, qui réalise qu’elle ne sait pas vraiment comment c’est une coccinelle, combien elle a de pattes et décide de re-garder d’ici la prochaine fois comment est finalement une vraie coccinelle et finale-ment réalise que sa coccinelle mesure en-viron 80 cm ! ... Monique qui doit s’acclimater de sa surprise de la transformation de son bi-chon frisé en oiseau « Bon, eh bien il lui faut un bec, alors ! ».

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“Experiment” et compagnie : quand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 35

Interrelation entre le jeu et l’espace Au fil du temps, nous avons pu remarquer l’évolution dans la taille, le volume des pièces en cours de réalisation, des dépla-cements des participants et l’apparition de nouvelles aires de jeux. Celles-ci se sont naturellement délimitées de par la nature du jeu (cimentage, pose de mosaïque, peinture, fil de fer, …) et de par le volume des pièces prenant de l’am-pleur. En fin de parcours, il s’est créé un espace de jeu polyvalent par l’apparition d’une aire de jeu plus informelle qui a pu ac-cueillir alternativement, moments de ci-mentage, dessin, pose de mosaïque pein-ture, petit à petit les patients ont pris pos-session de l’espace en le modifiant. Ceci nous ramène à l’idée de Winnicott selon laquelle l’enfant joue en agissant sur son environnement. Progressivement, les patients ont étendu leurs espaces de jeux, où ils se rencontrent, se croisent, pour se retrouver en fin d’atelier autour de la grande table pour les réunions de chan-tier. L’espace s’est aussi modifié physi-quement, des traces de ciment sont appa-rues sur le sol, l’évier s’est bouché, les pièces ont augmenté de volume, elles ont commencé à joncher le sol, les tables... Certaines pièces en cours se sont retrou-vées suspendues au plafond de l’atelier. Les petites maquettes ont occupé de l’es-pace dans l’armoire ce qui a demandé une réorganisation de celle-ci, certains maté-riaux se sont épuisés, d’autres ramenés par les patients sont apparus.

Quelques séances d’atelier...

Début octobre Sur la table le fil de fer et les pinces, nous ne savions pas ce qui allait se passer... Comme le dit Winnicott, l’intérêt du jeu est qu’il soit une expérience à l’initiative de l’enfant. La première initiative posée par les patients est de prendre la bobine, dérouler le fil à la longueur voulue, et de le séparer de son support en le coupant. (Le choix de la pince, coupante, plate ou ciseaux est laissé à l’initiative des pa-tients.) La mise en route a été plus ou moins longue ; hésitations, impatience, agressi-vité, sensation de vide, il a fallu un certain temps pour que “la mayonnaise prenne” et c’est ainsi qu’est apparu chez les patients le désir de réaliser une forme d’animal. Passer du croquis en deux dimensions vers une maquette en 3D, fabriquer un “squelette”, une armature solide, un sup-port rigide qui restera à l’intérieur de la pièce, prévoir les formes, comment les agencer, rechercher l’équilibre, la stabi-

lité. Ce processus fut difficile pour les pa-tients, et demandait de la vigilance, du soutien de notre part. Monique craint de se lancer sans appui, dessine une forme au crayon sur laquelle elle s’appuie pour tordre son fil. Elle res-tera attachée à son “plan” jusqu’à cons-truire le volume en papier sur ce même appui, pour ensuite la déployer dans l’es-pace. Pour Pascal, ce fut un squelette de chat à deux pattes qui ne trouvait pas de stabilité, pour Philippe un projet de girafe qui se transformera en ce qu’il appellera long-temps « la chose » pour terminer « dino-saure ». Renata et son perroquet baptisé « Coco Chanel »

Février... Brouette ! L’ambiance est au travail. Le matériel se met à manquer, les patients nomment ce dont ils ont besoin, en font la liste et, cette fois, c’est ensemble que nous sortons au Brico du coin, poussant une brouette remplie de ciment, de sable, de clôture, de plâtre, de compactuna, et que nous traversions allègrement la salle d’at-tente de l’hôpital, l’ascenseur pour arriver au 7ème étage, passer la porte du service Hélix et nous diriger vers la porte verte, lieu de notre caverne créatrice !

Mars Les corps sont engagés, un investissement très physique pour certains participants, « un bain d’expériences multisenso-rielles ». Toucher, frotter, gratter, lisser, arracher, casser, des actions qui s’exer-cent sur une limite définie par le volume de la pièce crée par chacun des partici-pants, des actions qui s’impriment sur leur peau…. (Rachida, à pleines mains, étale le ciment sur la surface de son support, l’odeur de la colle ; Monique coupe le mé-tal, tord le fil qui la blesse, le sang qui perle au bout du doigt). L’espace est investi, on entend des bruits de pinces, de fil de fer qui frottent sur la table, l’eau qui coule dans la bassine en fer, la cuillère qui tourne, racle le métal, la consistance du ciment, trop liquide, trop sec, mesurer, peser, lire des notices, les roulettes du chariot de matériel qui se déplace dans le local, l’armoire s’ouvre, se ferme, un objet tombe, le froissement du papier journal qui se glisse sous le mé-tal pour faire apparaître le volume, le bruit du scotch qui se déroule... Certains parti-cipants échangent autour de ce qu’ils sont en train de faire, une certaine collabora-tion naî parfois entre eux. Saïd, le costaud du groupe, tord à pleines mains les tuyaux de métal pour Marianne qui porte un corset. Raoul porte le sac de sable. Le matériau, essentiellement “du bâtiment” était une sorte de défi physique où les patients semblent avoir voulu se

mesurer ou se retrouver, Raoul, qui a eu une grande expérience de vie de chantier, retrouve avec plaisir exprimé certains gestes connus qu’il n’a plus pratiqués de-puis son hospitalisation. La couleur du ciment gris, la couleur du journal, gris, le plâtre, blanc, la colle blanche, nous avons baigné dans un dé-gradé de tonalités de gris pour ensuite al-ler vers la couleur, le gris qui nous a ac-compagné durant toute la naissance de la mise en forme du volume pour qu’appa-raisse ensuite la couleur lors de la pose des tessons sur le support et en finalité pour certains le choix d’une pose de cou-leur acrylique sur leur pièce venant la fi-naliser. L’humour est présent : - « pin-pon ! Je vais à l’infirmerie me soigner. », et nous, animatrices à rappe-ler que nous ne sommes ni l’une ni l’autre infirmières, alors « s’il vous plait ne coupez pas votre doigt, on pourrait tomber dans les pommes !!!! ». - « Le coucou de trois heures ! » Rires, toutes les onomatopées entendues durant le temps de l’atelier qui, parfois avec soutien à la mise en mots, signifiaient avoir mal aux doigts, ressentir de l’impa-tience, de la déception face aux ratages, du découragement ou de l’enthousiasme.

Les visites durant le temps de pause Les patients des autres ateliers curieux, qui viennent voir l’évolution de la nais-sance des pièces, les encouragements, les surprises, les étonnements. Etonnement car décalage entre le média, le chantier et le cadre de travail : un hôpi-tal !

Mai-Juin La période de pose de mosaïque a fait naître une nouvelle énergie au sein de l’atelier. Tous étaient portés par un désir d’esthétisme, de faire jaillir les couleurs sur leurs pièces cimentées. La nature des tons, exclamations, et con-seils ont aussi changé à ce moment, fai-sant place à des « WAW ! Oh c’est joli ! Tiens c’est original, ça ! Ce morceau tu l’as trouvé où ? » Nous avons pu observer le changement de leur propre regard qui s’est ouvert pro-gressivement tout au long des séances, une ouverture qui a permis à chacun d’être tantôt sensible à l’expérience de son voi-sin de table, tantôt conseiller et solidaire, on a pu entendre même dans la bouche de certains s’appeler par « eh collègue ! ». La difficulté de l’un devenait un souci de groupe pour réfléchir ensemble et dépas-ser celle-ci. L’envie d’exposer les animaux dans le service, une fierté de leur réalisation avec un regard parfois critique, les pièces té-moins des matériaux transformés, pièces

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 36

en chantier, finalisées ou pas, données à voir, transformant à leur tour l’espace du couloir où elles se retrouvent groupées non loin du local de jeu.

Conclusion Etonnement grandissant de notre part pour ces patients qui engagent une rela-tion « corporelle intense » avec la matière et en même temps trouvent là une sorte de tremplin pour assouplir la rigidité de leurs défenses psychiques. Jouer, créer... C’est S’ajuster... A chaque étape on se retrouve en ap-prenti... Chaque nouvelle expérience multiplie les possibles... Recherche de compromis satisfaisants... Prévoir des stratégies... S’ajuster...

Prendre du recul... Seul ou à plusieurs... Organiser le travail, parfois déléguer, de-mander de l’aide... Partager son expérience, échanger, mettre en commun... Aller chercher dans l’environnement ce dont on a besoin... Regarder, s’enrichir, s’émouvoir... Tester des recettes, déchiffrer des modes d’emploi, attendre le résultat des expé-riences qui si elles sont ratées révèlent des informations souvent essentielles... Faire des choix, se positionner... En résumé, créer, jouer, c’est un peu comme “jongler”, s’envoler d’une idée à une activité et l’inverse. C’est aussi expérimenter avec générosité, sans s’économiser. Les idées sont exponentielles. Il n’y a pas d’irréversibilité, chaque nouvelle expé-rience multiplie les possibles, permet

d’évoluer, de se renouveler, de se con-naître... Quand le jeu est divertissement, quand chacun, soignants et patients, s’amuse, le jeu permet d’explorer des positions psy-chiques différentes, d’expérimenter d’aut-res façons de jouer un rôle social. Comme le dit Winnicott l’activité de jouer favorise la croissance psychique, donc la santé. Laisser agir le temps avec confiance. Les prises de conscience personnelles, qui peuvent éventuellement surgir durant le jeu, le processus de création dépendent de la personnalité et de la disponibilité de chacun. L’effet thérapeutique, s’il y en a un, vient « de surcroit ».

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 37

Introduction Les programmes psychoéducatifs desti-nés aux proches de malades souffrant de schizophrénie se développent depuis plu-sieurs décennies. Ces interventions, qui avaient initialement comme objectifs le soutien et la formation des familles, se sont développés dans le contexte particu-lier de l’évolution des structures de soins et de l’ouverture de nouveaux champs de recherche concernant les interactions entre le malade et ses proches. Le mouvement de désinstitutionalisation et l’éloignement de la tradition asilaire, depuis les années 1960, a eu pour objectif le retour des patients dans la commu-nauté. Comme le relève Carpentier, les conséquences pour le milieu familial sont de plusieurs ordres : « À mesure que s’in-tensifie le mouvement de désinstitutiona-lisation, les décideurs et les politiciens considèrent la famille comme source pri-vilégiée de soutien émotionnel et social ainsi que comme place de choix pour re-localiser le patient psychiatrique. On dé-couvre alors les vertus des “soins infor-mels” ; l’environnement professionnel s’appuie de plus en plus sur la famille pour, principalement, fournir du soutien matériel et, potentiellement, des soins à long terme aux personnes souffrant de troubles psychiatriques. » (Carpentier 2001).

Les aidants dits naturels, ou informels, sont alors confrontés à des difficultés liées à la symptomatologie de la maladie schi-zophrénique. D’une part une symptoma-tologie bruyante, positive, hallucinations, idées délirantes, bizarreries comporte-mentales, troubles du cours de la pensée. Et d’autre part une symptomatologie né-gative, plus lancinante, comme l’appau-vrissement des affects et du discours, l’apathie, l’anhédonie, les troubles de l’at-tention et de la mémoire, la perte de la motivation. Cette symptomatologie est plus difficile à repérer pour les familles, et l’attribution de ces signes à la maladie n’a rien d’évident. Il en résulte un stress et des répercussions sur le fonctionnement global et la qualité de vie de la famille. Ce fardeau fait le lit d’autres difficultés, notamment sur le plan de l’humeur des aidants, ou encore sur l’ambiance émotionnelle de la famille, avec le risque d’entrer alors dans un en-grenage : l’aidant naturel (typiquement un membre de la famille), lui-même en diffi-culté, réagit moins bien, perd sa capacité à faire face, majorant en retour tous les dysfonctionnements. C’est dans ce contexte que les premiers programmes psychoéducatifs destinés aux familles se sont développés, avec comme objectif d’apporter de l’aide, du soutien, mais aussi des connaissances et

des savoir-faire aux proches, pour leur bé-néfice et celui des malades. Apparition des premiers programmes Le premier programme psychoéducatif dans la schizophrénie est celui du docteur Carol Anderson en 1980 (Anderson et al. 1980). L’approche retenue consistait à dé-velopper un modèle pour des interven-tions familiales dans le but de diminuer le taux de rechute des patients souffrant de schizophrénie. Ce modèle prend notamment acte de la plus grande vulnérabilité des patients aux stimuli externes et aux environnements stressants, en s’appuyant sur un ensemble de recherches pluri-disciplinaires concer-nant l’étude du milieu familial. Plus de 20 plus tard, Hogarty (Hogarty 2003) reviendra sur le contexte théorique qui avait poussé l’équipe à développer un tel programme. Il citera notamment 3 études décisives : - en 1975, une étude (Hirsch, Leff 1975), qui avait échoué à montrer la contribu-tion du comportement parental dans l’étiologie de la schizophrénie. - en 1976, une autre étude (Vaughn, Leff 1976) qui montrait que le comportement des proches pouvait influer sur le cours de la maladie de façon favorable ou dé-favorable. - en 1978, une troisième étude (Gold-stein et al. 1978) qui montrait l’efficacité d’interventions familiales ciblées sur la résolution des situations de crise sur les taux de rechute à court terme.

Le programme Profamille Le programme a été initialement déve-loppé au Canada par Cormier en 1988, avant de diffuser dans toute la francopho-nie. Il est actuellement coordonné par le Dr Hodé et son équipe du Centre Hospita-lier du Rouffach en Alsace. Le réseau comporte actuellement une cinquantaine de centres organisa-teurs. Profamille a pour particularités d’une part d’être un programme standardisé - le con-tenu et le déroulé des séances est théori-quement identique pour chaque centre - et, d’autre part, d’être un programme

Profamille est un programme de psychoéducation familiale dans la schizophrénie très utilisé dans la francophonie. Le but est de réduire le taux de rechute des malades et le fardeau familial. Il comprend des séances d’information et d’amélioration de la communication, de la capacité à faire face et de la résolution de problème. Un point clé du programme est l’amélioration de l’humeur. Nous avons étudié l’évolution de l’humeur de 57 participants au programme au cours des 4 dernières années. Nos résultats ont montré une amélioration significative de l’humeur, en particulier pour les sujets les plus déprimés initialement. Mots- clefs : Schizophrénie, psychoéducation, fardeau familial, dépression

Profamille: impact on mood of participants

Profamille is, in the French-speaking world, one of the most used psychoeducation program for schizophrenia patients’ families. The goals of the program are to decrease the risk of the patient’s relapse and to decrease the family burden. It includes infor-mation about the illness, and training in coping, communication and problem-solving skills. A key characteristic of Profamille is that it targets mood improvement. We studied the program impact on the mood of 57 participants in the Profamille program over the last 4 years. Results show that Profamille enabled a statistically significant improvement for the most depressed participants. Keywords: Schizophrenia, psychoeducation, family burden, depression

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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long, puisque le module principal du pro-gramme est composé de 14 séances de 4 heures chacune. Enfin, le programme propose un en-semble d’évaluations en début, en cours, et en fin de programme. Ces évaluations permettent de déterminer les répercus-sions du programme, d’obtenir des don-nées socio-démographiques sur les parti-cipants, mais également de le faire évo-luer au mieux et d’établir des critères de qualité pour les centres organisateurs. Les objectifs du programme sont mul-tiples : - directement, assurer un soutien aux fa-milles, aux aidants naturels des malades, soumis à un important fardeau lié aux soins ; - indirectement, améliorer le taux de re-chute des malades et leur qualité de vie.

Profamille développe 3 aspects classiques des programmes psychoéducatifs : un vo-let pédagogique, un volet comportemental et un volet psychologique.

Contenu du programme La version V3 du programme se structure autour de 14 séances de 4 heures dans un premier module s’écoulant sur la pre-mière année, et de séances de révisions et d’approfondissement dans un deuxième module qui se déroule dans un second temps -quelques mois après la fin du pre-mier module.

Module 1 Le module 1, au contenu dense, s’articule autour de quatre étapes dont l’ordre ne doit rien au hasard, les acquis de chaque séance étant régulièrement réinvestis par la suite et servant de base à la progression. La première étape est consacrée à l’édu-cation à la maladie et vise à corriger des erreurs d’attribution (attribution de la res-ponsabilité à la famille, attribution de la responsabilité au malade), à favoriser une meilleure acceptation de la maladie par une meilleure compréhension du diagnos-tic et de l’évolution de la maladie. La seconde étape s’attache au développe-ment des habiletés relationnelles, qui im-pactent sur le fardeau porté par la famille (à travers notamment les problèmes com-portementaux, le défaut d’activité ou en-core le risque suicidaire), afin de limiter le niveau de conflit et mieux aider le malade. La troisième étape est centrée sur les pa-rents, elle aborde la gestion des émotions et le développement de cognitions (repré-sentations, jugements, croyances et con-naissances de la personne) adaptées. L’objectif visé ici est à la fois une action directe, ciblée sur l’humeur des proches des malades, mais également une action indirecte intimement liée à la première : abaisser le niveau d’émotions exprimées

dans la famille, améliorer la qualité de vie et la santé des familles et enfin de faciliter les apprentissages. La quatrième étape enfin est consacrée au développement des ressources, des possi-bilités de trouver de l’aide (à la fois pour le malade et pour le proche) à travers l’in-sertion à un réseau social, le développe-ment de liens d’entraide.

Séance 1 : Accueil Cette séance permet de mettre en place en place le groupe et de présenter le pro-gramme. Au-delà de ces aspects, cette première séance permet de procéder aux évaluations initiales, sous forme de ques-tionnaires : - la situation au cours des douze derniers mois : l’anxiété, l’irritabilité, l’activité du malade, les hospitalisations, les fluc-tuations de la symptomatologie, les ten-tatives de suicide ; - l’évaluation du malade et l’évolution des troubles : le mode de vie du malade, la gravité des symptômes, le fonctionne-ment social et professionnel, la connais-sance du diagnostic et ses répercussions ; l’évaluation des pensées et émotions do-minantes, avec la réalisation de l’échelle Center for epidemiologic studies-depres-sion scale (Radloff 1977) sur les impres-sions ressenties, une échelle sur les juge-ments et croyances et un questionnaire sur le souci ; - l’évaluation de la répercussion de la maladie sur l’état de santé et le fonction-nement du participant ; - l’évaluation des connaissances, avec quatre mises en situation ; - l’évaluation du coping.

Séance 2 : Connaître la maladie La séance aborde des données épidémio-logiques, la symptomatologie, les comor-bidités, le pronostic, les rapports au corps médical, les causes possibles de la mala-die. Une part importante de la séance est consacrée à l’explication du fonctionne-ment cérébral et aux mécanismes à l’ori-gine des symptômes. Le modèle de fonctionnement cérébral schématise simplement les différentes structures impliquées et leurs rôles res-pectifs, les transmissions d’informations : le thalamus filtre et oriente les informa-tions, l’amygdale est impliquée dans la gestion des émotions, l’hippocampe dans la mémoire et la prise en compte du con-texte, le cortex préfrontal dans l’initiative et le maintien de l’action, l’action sur le striatum. Il est ainsi exposé la notion de neurotransmetteur, du déséquilibre de l’activité du striatum et de l’excès de do-pamine par le contrôle déficient en prove-nance de l’hippocampe, de l’amygdale, du cortex préfrontal.

LES AUTEURS Pierre TAVARES Assistant Spécialiste Annick NEUVILLE Aide-Soignante Aurélie MONTAGNE-LARMURIER Praticien Hospitalier Service de Psychiatrie du CHU de Caen Avenue de la Côte de Nacre CS 30001 14033 Caen cedex 9 France

BIBLIOGRAPHIE 1. ANDERSON C. M., HOGARTY G. E., RELSS D. J. (1980), Family Treatment of Adult Schizo-phrenic Patients: A Psycho-Educational Ap-proach, Schizophrenia, Bulletin.; 6 (3) : p. 490–505. 2. CARPENTIER N., (2001), Le long voyage des familles : la relation entre la psychiatrie et la fa-mille au cours du XXème siècle, Sciences sociales et santé, ; 19 (1) : p. 79–106. 3. FUHRER R., ROUILLON F. (1985), Évalua-tion de la version française de l’échelle : Center for Epidemiologic Studies-Depression Scale, Congrès de la Fédération internationale d’épidé-miologie psychiatrique, Bruxelles. 4. GOLDSTEIN M. J., RODNICK E. H., EVANS J. R., MAY P. R. A., STEINBERG M. R. (1978), Drug and Family Therapy in the Aftercare of Acute Schizophrenics, Archives of General Psy-chiatry, (35) : p. 1169–77. 5. IRSCH S., LEFF J. (1975), Abnormalities in the parents of schizophrenics, London: Oxford Uni-versity Press. 6. HOGARTY G. (2003), Does family psy-choeducation have a future ?, World Psychiatry; 2 (1) : p. 490–505. 7. KEITNER G., ARCHAMBAULT R., RYAN C., MILLER I. (2003), Family therapy and chronic depression, Journal of Clinical Psychol-ogy. 59 (8) : p. 873–884. 8. KNIGHT B. G., SILVERSTEIN M., MCCALLU T. J., FOX L. S. (2000), A Sociocul-tural Stress and Coping Model for Mental Health Outcomes Among African American Caregivers in Southern California, The Journals of Gerontology Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, (55) : p. 142–150. 9. PROFAMILLE (2012), Guide de l’animateur, Version 3.2. 10. RADLOFF L. (1977), The CES-D scale: a self-report depression scale for research in the general population, Applied Psychological Meas-urement, (1): p. 385–401. 11. TAVARES P. (2015), Profamille, programme psychoéducatif dans la schizophrénie : impact sur le fonctionnement familial, Mémoire de Di-plôme d’Études Spécialisées en Psychiatrie : CHU de Caen. 12. TAVARES P. (2015), Profamille, programme psychoéducatif pour les familles ayant un proche souffrant de schizophrénie : impact sur l’humeur des participants, Thèse d’exercice : mé-decine : CHU de Caen. 13. VAUGHN C., LEFF J. (1976), The influence of family and social factors on the course of psychiatric illness: A comparison of schizo-phrenic and depressed neurotic patients, British Journal of Psychiatry; (129): p. 125–137.

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Profamille : impact sur l’humeur des participants

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 39

Ces données théoriques, présentées comme ayant valeur d’hypothèse, four-nissent un support pour tous les autres points clé du programme.

Séance 3 : Connaître son traitement Cette séance développe les principes de prise en charge, les différents traitements, leur efficacité, effets secondaires.

Séance 4 : Développer des habiletés en commu-nication (1) Séance 5 : Développer des habiletés en commu-nication (2) Séance 6 : Développer des habiletés à poser des limites Séance 7 : Révision des séances 4 et 5 et 6 Cet ensemble de séances s’intéresse aux règles de communication et à la relation au malade. Il s’agit d’une part de mieux communiquer avec le malade, mais égale-ment avec les autres (pour demander de l’aide, par exemple). Cela passe par l’ap-prentissage d’un certain nombre de tech-niques, et de nombreux exercices de mise en pratique. Le principe général des séances visant à développer des habiletés de communica-tion est d’établir avec le malade une com-munication ouverte, claire et directe, en évitant les fortes charges émotives. Un rappel est fait sur les conséquences des déficits cérébraux sur la communication (dysfonctionnement de l’amygdale, de l’hippocampe, du cortex préfrontal). Des moyens mnémotechniques sont trans-mis. On note en particulier la règle des 4P, qui vise à augmenter le renforcement : Être Prompt à être Positif sur des Petits Progrès précis et éviter le “mais...” après un point positif. Cette règle sera mise en pratique à toutes les séances et pendant les exercices à la maison, avec de nombreuses mises en si-tuation. On note également la règle des 4S (diminution des facteurs négatifs) : éviter la surcharge émotionnelle, la sur-stimula-tion, le surinvestissement, la surprotec-tion. D’autres techniques sont abordées pour la formulation de demandes d’aides efficaces, l’affirmation de soi, la négocia-tion et l’amplification de la motivation. Il s’agit, globalement, d’apprendre à dia-loguer de façon pacifiée en pouvant abor-der les sentiments positifs comme les sen-timents négatifs. Un autre point clé de ces séances concerne la pose de limites, avec là encore de nom-breux exercices de mise en situation. On observe que les familles redoutent les li-mites, craignant la réaction du malade. Il s’agit ici d’éviter “d’acheter la paix” à court terme ce qui favorise l’épuisement des familles, la colère, les tensions qui fi-niront par s’exprimer dans la communica-tion et risquent de ne pas être compris par

le proche malade. L’absence de limites est nocif pour le proche et pour les familles et contribue à la majoration du niveau d’Emotions Exprimées. Les données théoriques abordées en amont prennent ici tout leur sens, puisque cette mise en pratique s’appuie sur la compréhension des comportements du malade résultant des dysfonctionnements cérébraux et de l’importance des facteurs de stress dans la rechute.

Séance 8 : Culpabilité et anxiété Séance 9 : Habiletés à gérer ses émotions / réduire sa souffrance Séance 10 : Habiletés à gérer ses pensées parasites / réduire sa souffrance Séance 11 : Approfondissement séance 10 et révision des séances 8, 9 et 10 Séance 12 : Développer des habiletés à avoir des attentes réalistes Ce bloc de séances couvre la thématique “Gestion des émotions et développement de cognitions adaptées”. Un des objectifs est une action ciblée sur l’humeur des proches, qui est justifiée par plusieurs études montrant que l’évolution favorable de la maladie n’entraîne pas né-cessairement une amélioration de l’hu-meur des familles (Keitner et al. 2003, Knight et al. 2000, cités dans le Guide de l’animateur, Profamille 2012). L’amélio-ration de l’humeur des proches permet d’une part d’améliorer leur qualité de vie et leur état de santé avec pour consé-quence d’abaisser le niveau d’émotions exprimées (qui a des répercussions, comme vu plus haut, sur le taux de re-chutes du malade), et d’autre part de faci-liter les apprentissages du programme. Le programme s’inspire ici de différents courants, des thérapies cognitivo-compor-tementales, du mindfullness, de la Théra-pie d’Acceptation et d’Engagement. D’une façon générale, l’accent est mis sur l’apprentissage des différences et des liens entre cognitions et émotions, l’in-fluence de ces émotions sur les processus cognitifs, sur le repérage de cognitions inadaptées et de jugements erronés. Des techniques pour la correction de ces co-gnitions et la meilleure utilisation des émotions sont mises en pratique. La séance 8 s’intéresse au sentiment de culpabilité. Elle permet de faire le point sur les différents courants théoriques ayant parfois attribué un rôle à la famille dans l’apparition de la maladie ainsi que d’aborder les différentes situations culpa-bilisantes susceptibles d’être rencontrées (hospitalisation par exemple). Elle décrit également les mécanismes de l’anxiété et des moyens pour la réduire. Enfin, une partie de la séance est consacrée à la re-

connaissance des émotions et sur la rela-tion entre pensées et apparition d’émo-tions négatives. La séance 9 va plus loin dans la reconnais-sance des émotions. Les liens entre émo-tions, cognitions et comportement sont abordés, ainsi que des techniques pour ré-duire l’intensité des émotions, ou encore en réduire les influences négatives. La séance 10, explicitement intitulée “Dé-velopper des habiletés à gérer ses pensées parasites et développer une bonne estime de soi” est particulièrement riche. Les thèmes abordés sont notamment : - Agir sur les émotions par action sur le comportement. - Agir sur les émotions par action sur nos pensées. - Les pensées automatiques. - Les règles de déduction et de raisonne-ment rapide. - Découvrir et adapter ses schémas de pensée.

L’apprentissage des “attentes réalistes” dans la séance 12 peut se décrire de façon triviale comme “apprendre à voir la réalité en face”. Il est ici question de l’avenir, et des croyances et évitements qui s’y ratta-chent. Le développement d’attentes réa-listes permet d’éviter des situations de souffrance et de stress à la fois au patient et à sa famille, générées par des attentes déçues. Il s’agit donc de développer des projets et des attentes en accord avec les capacités réelles et actuelles du malade. A contrario une attente irréaliste est décrite dans le programme comme “les projets que l’on aimerait voir se réaliser mais dont on per-çoit intuitivement que les chances de réa-lisation dans les 6 mois sont peu pro-bables”.

Séance 13 : Savoir obtenir de l’aide Séance 14 : Développer un réseau de soutien Il s’agit ici de développer les ressources des proches face aux différents problèmes et obstacles susceptibles d’être rencontrés directement ou indirectement en rapport avec la maladie : consolidation des pro-grès obtenus auparavant et passage vers une attitude active et efficace, avec l’ob-tention d’un certain équilibre émotionnel. Concrètement, le programme permet ici de préciser les types d’aides et les divers soutiens institutionnels ou associatifs ; l’apprentissage d’une demande d’aide ef-ficace ; la lutte contre la stigmatisation des malades et de leurs familles. Les familles apprennent à repérer les signes d’alarme, à pouvoir en parler avec le proche et être autorisé à joindre l’équipe de soin.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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Module 2 Le module 2 se déroule sur 24 mois et dé-bute environ 3 mois après la fin du pre-mier module. Il vise à maintenir les acquis et renforcer l’apprentissage, après un mo-dule 1 très riche et souvent concentré sur une période relativement courte.

Évaluation du programme L’évaluation fait partie intégrante de Pro-famille et a permis les nombreux ajuste-ments et améliorations du programme au fil du temps, aussi bien concernant le con-tenu que l’animation. L’efficacité du programme est évaluée à travers des questionnaires (avant, après et à distance des séances) qui en explorent plusieurs aspects : - les connaissances acquises - l’amélioration de l’humeur - l’amélioration de l’état du malade - l’acquisition de savoir-faire - le coping - la gestion émotionnelle - la modification des croyances et des ju-gements - l’évaluation de la validité sociale - la santé somatique des participants

L’évaluation se fait également au fil du déroulement du programme, avec des exercices à réaliser entre les séances qui permettent de mettre rapidement en pra-tique les connaissances acquises. Centralisés au niveau national, les résul-tats recueillis permettent par ailleurs de vérifier des critères de qualité pour les centres dispensant le programme.

Etude de l’impact du programme sur l’humeur des participants

Objectif Une particularité du programme Profa-mille est de cibler spécifiquement l’hu-meur des participants grâce à des séances dédiées. L’amélioration de cette humeur est un paramètre essentiel des résultats positifs du programme. Elle doit permettre l’amélioration des ca-pacités d’apprentissages des participants, d’améliorer le climat émotionnel de la fa-mille et de faciliter l’évolution des capa-cités de coping. Notre objectif a donc été de comparer l’humeur des participants entre le début et la fin du programme (Tavares 2015b).

Matériel et méthodes Les sujets de l’étude sont les 57 partici-pants de 4 sessions de Profamille au Centre Hospitalo-Universitaire de Caen, de 2010 à 2014. L’échelle CES-D est l’outil d’évaluation de l’humeur choisie par le programme Profamille. Cette échelle a fait l’objet d’une première publication en 1977

(Radloff 1977). La vocation première de cette échelle est l’évaluation de l’humeur dans des populations variées et non le dé-pistage individuel de syndromes dépres-sifs caractérisés. Il s’agit d’un auto-ques-tionnaire de 20 items, qui interrogent la symptomatologie présentée au cours de la dernière semaine : appétit, concentration, sommeil, tristesse, estime de soi, entrain, pleurs, repli social notamment. Les scores totaux vont de 0 à 60. L’échelle a été tra-duite et validée en 1985 (Fuhrer, Rouillon 1985). Le questionnaire est complété au cours d’une séance, au début et à la fin du pro-gramme. Nous avons distingué pour l’analyse :

- les sujets à risque de syndrome dépres-sif majeur (score initial > 16) ; - les sujets à haut risque de syndrome dé-pressif majeur (score initial >22) ; - les sujets non déprimés initialement (score initial inférieur ou égal à 16) ;

Les comparaisons de moyennes ont été ré-alisées via le logiciel de statistiques R, en utilisant un test de Wilcoxon bilatéral sur données appariées.

Résultats Trente-trois participants voient leur score à la CES-D s’améliorer entre le début et la fin du programme, soit 58% d’entre eux. Les sujets initialement à risque de syn-drome dépressif majeur (n=23), amélio-rent de façon marquée et significative leur humeur (p < 0,001, écart des moyennes de 12,1 points). Pour les sujets initialement à haut risque de syndrome dépressif majeur (n=18), l’amélioration est également significative (p < 0,001, écart des moyennes de 13,6 points). Les résultats ne sont pas significatifs pour les patients non déprimés initialement (n=31). Notre étude ne permet pas de mettre en évidence une dégradation de

l’humeur des participants non déprimés initialement.

Discussion Ces résultats sont importants sur plusieurs plans. Ils montrent tout d’abord que le choix fait par Profamille de cibler spécifiquement l’humeur des participants porte ses fruits : en moyenne, l’humeur des participants s’améliore entre le début et la fin du pro-gramme et en particulier pour les plus dé-primés d’entre eux. Le travail sur la ges-tion des émotions et le développement de cognitions adaptées (séances 7 à 11 en particulier) semble donc efficace. Il était par ailleurs important de vérifier qu’en contrepartie d’une amélioration pour les participants déprimés, l’humeur des participants non déprimés ne pâtissait pas du programme. Des participants ont ainsi pu clairement exprimer verbalement leurs craintes initiales : « si je parle de la maladie, je vais aller moins bien ». Notre étude ne permet pas de mettre en évidence une dégradation de l’humeur pour ces su-jets et ne valide donc pas cette inquiétude. Enfin, il faut souligner que cette amélio-ration de l’humeur est centrale parmi les bénéfices attendus du programme. Les ef-forts d’apprentissage demandés par le programme, sur le plan théorique mais aussi sur le plan des comportements, se-ront facilités par la bonne santé psychique des participants. Le proche moins déprimé gère mieux le stress aigu, les frustrations répétées, com-munique mieux. Il peut observer les chan-gements positifs et désapprend l’impuis-sance. Par ailleurs, il apprend mieux les apports de Profamille, les reproduit et les maintient dans le temps. Ces différents as-pects se renforcent mutuellement. La figure 1 tente de représenter ces inte-ractions. Les conditions du changement pour le malade sont alors réunies. Idéalement, il ne subit plus de surprotection ni de sous- stimulation, et l’aidant trouve une bonne distance. Une étude complémentaire que nous avons réalisée en 2015 permettait de retrouver une amélioration statistique-ment significative des capacités de coping des participants (évaluées par le Family Coping Questionnaire -Magliano et al. 1996), des connaissances (évaluées par un auto-questionnaire spécifique au pro-gramme). Les bénéfices sont doubles : d’un côté la famille est en meilleure santé et donc en meilleur capacité d’apporter une aide utile ; d’un autre côté, le proche acquiert avec plus d’efficacité des connaissances et des outils qui l’aideront à maintenir un climat émotionnel favorable.

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Profamille : impact sur l’humeur des participants

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Conclusion Notre étude a permis de mettre en évi-dence une amélioration significative de l’humeur des participants au programme Profamille. Une étude complémentaire (Tavares 2015a) a permis de confirmer que les as-pects pédagogiques, psychologiques et

comportementaux du programme Profa-mille s’articulent avec cohérence. Le proche aidant, en moyenne, réagit mieux face aux situations difficiles, connaît mieux la maladie et ses conséquences, et in fine adapte ses comportements -dans un contexte global d’amélioration de son hu-meur. Les bénéfices se retrouvent aussi du

côté du malade, dont les aptitudes et capa-cités progressent. Ce double bénéfice il-lustre de façon concrète le cadre théorique dans lequel s’est développée la psychoé-ducation familiale dans la schizophrénie, qui montre l’importance des interactions entre le malade et ses proches.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 42

Introduction Pouvoir se voir, se regarder, accepter son image, sa représentation face aux autres, sont des difficultés souvent rencontrées chez les patients psychotiques. La possibilité d’accéder à ces capacités parfois altérées peut être appréhendée à travers l’imagination, la créativité, le dé-passement de ses propres limites, etc., comme une opportunité d’avancer dans sa prise en soin en accédant à la partie saine de nos patients afin de les accompagner vers des projets de réinsertion sociale, de réhabilitation psychosociale et d’autono-misation. C’est à partir de ce postulat, que nous avons choisi de travailler avec un nouvel outil : la caméra. Ce médiateur s’est ré-vélé un outil formidable et nous avons souhaités vous faire part de notre expé-rience à travers cet article.

Présentation Le pôle de psychiatrie de Mantes compor-tait deux hôpitaux de jour. Suite à des pro-blèmes de locaux, les deux hôpitaux se sont réunis en septembre 2014. La bruta-lité du rapprochement a été source de con-

flits et de tensions assez importants. Com-ment regrouper deux équipes aux fonc-tionnements opposés et concepts de tra-vail différents ? C’est avec ces difficultés que le groupe Acteurs Studio est né. Il s’est constitué à partir du désir des in-firmiers des deux équipes de travailler au-tour de la vidéo. Les soignants ont fait le choix d’utiliser le conflit, la différence de pratique, pour monter un groupe en-semble. Nous avons réfléchi et collaboré pendant plusieurs semaines afin de mettre en commun les envies et les attentes de chacun par rapport à ce groupe. Il s’est ra-pidement avéré que les deux équipes avaient une vision globale et assez simi-laire des objectifs pour cet atelier, et c’est très naturellement que les infirmières in-téressées à mettre en œuvre ce groupe ont pu se concerter et définir les fonctions de chacune. En effet, l’atelier est composé de trois in-firmières, deux centrées plus sur la créati-vité et l’écriture des scénarios tandis que la troisième a un rôle plus axé sur la tech-nique et le matériel. Le groupe étant nou-veau, nous avons fait le choix pour cette première expérience d’utiliser du matériel

personnel (caméra, logiciel vidéo), en es-pérant selon l’avancée du groupe, pouvoir obtenir un financement dans les mois à venir pour l’achat de matériel adapté et nécessaire à la continuité de l’atelier. Les premières séances de travail, en équipe réunifiée, ont permis de réfléchir sur l’offre de soin de notre hôpital de jour réuni qui avait déjà de nombreux ateliers thérapeutiques. Il nous a semblé qu’il manquait des ateliers permettant aux pa-tients de se mettre en scène et de s’expri-mer. Lors de la création du groupe, il existait déjà un groupe théâtre qui avait des objec-tifs concomitants au groupe Acteurs stu-dio mais qui, toutefois, n’étaient pas ac-cessibles à certains de nos patients. C’est dans cette optique que nous avons élaboré les objectifs propres à notre groupe et à la façon dont nous souhaitions le mener. En effet, dans un premier temps, nous avons voulu travailler autour de la restau-ration narcissique à travers l’image de soi. L’une des problématiques de nos patients est d’arriver à exister en tant qu’individu et non en tant que sujet malade. Si nous définissons l’estime de soi comme étant une adéquation entre l’amour du Moi (au-trement dit le narcissisme) et l’idéal du Moi (présentant un modèle d’identifica-tion, qui décrit la satisfaction éprouvée face à la représentation en étant conforme aux représentations investies comme po-sitives), nous pouvons accompagner le patient à trouver ou à retrouver une image de soi dans laquelle il ait assez confiance pour s’autoriser à aller de l’avant. Prenons l’exemple d’un patient que l’on nommera Antoine, de nature plutôt introvertie et an-goissée. Celui-ci a eu beaucoup de mal à “jouer” un rôle mais, lors des répétitions, il a été régulièrement sollicité et valorisé. Si bien que, lors du visionnage du film produit par le groupe, il se présente avec un grand sourire disant que c’était bien, sous-entendu « je me trouve bien », et c’est alors qu’il nous demande quand sera le prochain film ? On peut comprendre cette situation, en lien avec la pensée de Winnicott lorsqu’il

La fusion de deux hôpitaux de jour aux pratiques différentes n’est pas simple, il est parfois difficile de trouver une cohésion d’équipe. L’opportunité de créer un nouvel atelier thérapeutique nommé Acteurs Studio, basé sur l’utilisation de la vidéo, donne l’occasion à chacun d’apprendre sur la pratique de l’autre. Grâce à la mise en place conjointe de cet atelier, les soignants ont pu découvrir sur leur façon de travailler. Les infirmières référentes du groupe ont accompagné des patients psychotiques à travailler et dépasser leurs difficultés d’estime de soi en lien avec la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes, en stimulant leur créativité et leur imagination et en développant la communication, en favorisant l’échange, tout ceci pour une participation intégrante et totale au projet du groupe par la concrétisation d’un film nommé “Où est le Nord ?”. Mots clefs : imagination, créativité, dépassement des limites, réinsertion sociale, réhabilitation psychosociale, autonomie, restau-ration narcissique, estime de soi.

When caregivers are staging patients

The merger of two hospitals in day to different practices is not easy, it is sometimes difficult to find a team cohesion. The opportunity to create a new therapeutic workshop named Actors Studio, based on the use of video, gives the opportunity for everyone to learn about the practice of the other. Through setting up joint workshop, caregivers were able to discover on their way to work. Referent nurses of the Group were accompanied by psychotic patients to work and overcome their difficulties of self-esteem in connection with the representation that they themselves, by stimulating their creativity and their imaginations and develop communication by promoting exchange all this for an integral and total participation in the project of the group by the realization of a film named “Where is North?”. Keywords: imagination, creativity, exceeding limits, social reinsertion, psychosocial rehabilitation, autonomy, narcissistic resto-ration, self esteem

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Quand les soignants mettent en scène les patients

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 43

LES AUTEURS Stéphanie BARON Marie-Elodie DUBOST-VIEL Infirmières Hôpital de Jour Corot Hôpital F. Quesnay 1 boulevard Sully 78200 Mantes-la-Jolie France [email protected]

BIBLIOGRAPHIE 1. GRUNBERGER B., (1975), Le narcissisme, Payot, p. 19. 2. Klein M. (1989), L’amour, la culpabilité et le besoin de réparation, in L’amour et la haine, de Mélanie Klein et Joan Rivière, Petite Bibliothèque Payot, p. 145. 3. WINNICOTT D. W. (1986), Jeu et réalité. L’espace potentiel, Editions Gallimard, p. 155.

dit « Peut-être un bébé au sein ne re-garde-t-il pas le sein ? Il est plus vraisem-blable qu’il regarde le visage (...). Que voit le bébé quand il tourne son regard vers le visage de sa mère ? Généralement, ce qu’il voit, c’est lui-même… » [3]. Nous pensons que le cadre étayant et rassurant du groupe a permis à ce patient de trouver en lui une certaine estime de soi. D’autres psychanalystes, en particulier Mélanie Klein [2] et Bela Grunberger [1], nous ont montré que l’amour de soi était une con-dition indispensable pour s’ouvrir à la re-lation objectale, c’est-à-dire à la relation aux choses, aux autres et au savoir. C’est à partir de ses réflexions que nous avons pensé les objectifs suivants : - relancer la créativité et le plaisir de création, - savoir se saisir de tout ce qui se passe lors de l’atelier (dynamique du groupe, ressentis, émotions, échanges, …), - développer l’imaginaire, l’expression de soi et la projection dans un person-nage dans un but de valoriser le patient et de diminuer l’isolement physique et / ou psychique ainsi que l’autoriser à ac-céder à une autre identité que celle de malade, - construire un projet commun et concret et atteindre un niveau de reconnaissance, auprès des autres patients de la structure mais aussi au sein de la structure fami-liale, - aider à la reconstruction en favorisant la perception que le patient a de lui-même, - rassurer, restaurer la confiance en soi et l’estime de soi, réinvestir la réalité et s’investir et s’impliquer sur l’extérieur, - stimuler les fonctions cognitives et les capacités sociales, - redécouvrir son corps en tant qu’une unité d’un ensemble, - développer des techniques de commu-nications verbales et non-verbales.

Impliquer les patients dans le champ artis-tique, sous-tend une forte motivation et une participation active lors de l’atteinte d’un but précis : la production du film comme objectif concret et l’opportunité de le diffuser en public (professionnels du pôle et familles) a permis une reconnais-sance du travail fourni et surtout un inves-tissement important des patients. Une fois les objectifs pensés en commun, nous nous sommes concentrées à la cons-truction et au déroulement du groupe. Nous avons décidé de partager la durée de séances en 3 parties : - écriture d’un scénario, par petits grou-pes de 3à 4 personnes (45 mn) - jeu et la mise en scène (45 mn) - “débriefing” permettant de parler des émotions ressenties lors du jeu, d’évo-quer les difficultés rencontrées mais

aussi de stimuler et d’encourager les pa-tients (30 mn).

Puis, nous avons réfléchi aux patients sus-ceptibles de participer. Cette étape nous a pris peu de temps car nous étions d’accord sur les indications des patients envisagés. Le plus difficile fût finalement, lors de notre flash hebdo-madaire en équipe complète, de présenter notre projet d’atelier thérapeutique et de proposer les patients pressentis. Il nous a fallu longuement argumenter le bien-fondé de l’indication de certains patients. Une fois le groupe défini, nous avons ren-contré chacun des 7 patients pressentis lors d’un entretien individuel pour leur présenter ce nouvel atelier et connaitre leurs attentes. Tous ont eu l’envie de s’en-gager dans cette aventure. Pour respecter le cadre légal, nous avons fait signer une autorisation de diffusion de droit à l’image à chacun des participants. Nous pensions rencontrer quelques réti-cences de leur part, de celle des familles ou des curateurs mais, à notre grande sur-prise, il n’en a rien été. Fin janvier 2015, le groupe commence. Nous débutons la construction d’une his-toire et d’un scénario. Rapidement, les différents échanges entre les patients ont permis la création d’un esprit d’équipe et un lien de confiance entre eux et nous. Cette cohésion a facilité le développe-ment d’une communication entre eux en-traînant une certaine aisance à jouer un rôle, avec une capacité à différencier leurs propres émotions et celles attribuées au personnage, surprenante au regard de leurs pathologies. L’apport de la caméra s’est fait progressi-vement au cours de séances afin d’habi-tuer les patients à ce nouveau médiateur et les préparer à intégrer la possibilité de voir sa propre image et accepter qu’elle soit regardée, observée, interprétée voire critiquée par les autres. Tout un travail préparatoire a été nécessaire pour arriver à cette étape et éviter ainsi tout malaise ou mal-être pouvant être engendré par son in-troduction. Il faut admettre que jouer un rôle devant la caméra peut être un exercice difficile pour les patients qui, au travers du jeu, peuvent exprimer leurs fantasmes incons-cients et leur agressivité. « C’est en jouant et peut-être seulement quand il joue que l’enfant ou l’adulte, est libre de se mon-trer créatif » remarque Winnicott [3]. Il précise que c’est un « processus exclusi-vement intrapsychique et fantasmatique où la représentation de soi est transférée à une représentation de l’objet ». Comme l’a défini Sigmund Freud à propos du cadre de la cure, il s’agit de permettre un transfert qui témoigne de la réalité psy-chique interne du patient. Pour rendre ce

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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transfert possible, il convient de mettre en place un cadre thérapeutique, c’est-à-dire faire en sorte que les éléments de la réalité du patient n’interviennent pas directement sur le soin. Cette réalité n’est prise en compte qu’à travers la subjectivité du pa-tient. D’où l’importance de l’alliance thérapeu-tique créée dans la relation de soin et de la mise en place d’une distance thérapeu-tique adéquate entre patients et soignants. L’idée étant que les soignants amènent les patients à l’individuation en tant que su-jet, à travers l’étayage porté par les soi-gnants qui occupent le rôle d’une “mère suffisamment bonne” au sein du groupe. Dans les années 30, Winnicott élabore dif-férents concepts, notamment l’interaction de l’enfant avec sa mère qui va lui per-mettre de forger son Moi. Il utilise la notion d’une “mère suffisam-ment bonne” qui doit prodiguer à l’enfant des soins (Handling) en lui permettant de prendre conscience de son corps et qui doit aussi apporter un soutien physique (holding). Si la mère est “suffisamment bonne”, il développera un « vrai-self » à partir duquel il pourra réaliser son iden-tité.

Mise en place Nous sommes mi-février et l’hôpital de jour organise pour la première fois en mai une représentation de ses ateliers auprès du pôle de psychiatrie et des familles dans une salle de spectacle. A cette occasion, le groupe Acteurs studio est sollicité. C’est avec ce challenge que nous com-mençons la construction du scénario du film. Celui–ci s’est fait de manière collé-giale et chaque patient a pu apporter ses idées de façon à se sentir investi dans ce projet. Le choix de la thématique s’est porté sur un film à suspense en mettant à profit l’expérience de l’angoisse, senti-ment connu par l’ensemble des patients sans qu’ils soient forcément eux-mêmes toujours angoissés même au moment des séances. Le titre choisit est « Où est le Nord ? ». La distribution des rôles s’est faite en pre-mière intention sur des personnalités dif-férentes des leurs mais il s’est avéré que les traits-forts de caractères principaux de chaque patient sont finalement ressortis dans le personnage en conservant tout de même cette distance entre personnalité propre et personnage. D’un commun accord, il a été décidé que notre présence et notre rôle se centreraient sur l’accompagnement et l’encadrement de l’atelier. Cette participation hors champ n’a jamais dérangé les patients qui avaient conscience d’être les acteurs prin-cipaux du film et de l’atelier en général.

Bien au contraire, on peut penser que cette présence soignante, rassurante, a facilité le déploiement de contenu chez les pa-tients, qui se sont sentis sécurisés par la prise en charge exclusive du cadre par les soignantes. Au niveau du scénario, nous avons fait le choix de laisser les patients libres de se laisser à l’improvisation, avec la possibi-lité de s’appuyer sur une phrase type no-tée sur le script. Cette façon de fonction-ner s’est montrée apaisante et leur a donné une certaine souplesse et liberté dans la façon de tourner et de s’approprier leur rôle. Ce mode de fonctionnement a ren-forcé la confiance avec l’équipe soignante qui n’attendait pas la perfection et l’at-teinte d’un résultat précis. De ce fait, toutes les séances consacrées à ce projet ont développé au fur et à mesure une ambiance de groupe solidaire, atmos-phère souvent ressentie dans les groupes où les patients se “mettent à nu”. De plus, de par leur investissement et leur motivation, les patients ont répondu pré-sents et se sont montrés actifs lorsqu’il leur a été demandé de venir pour des séances de tournage supplémentaires, souvent hors planning. Ils ont été particu-lièrement présents, participants et ont res-pecté les consignes comme l’apport de leurs tenues quelques semaines avant le tournage. Le groupe s’est montré très pro-ductif à l’annonce de ce projet et l’histoire a été rapidement choisie. Le scénario parle d’un groupe de randon-neurs qui partent pour la journée accom-pagnés d’un guide. Or, rien ne se passe comme prévu. Les randonneurs, en fait un groupe d’amis, sont accompagnés par un guide, François, qui les emmène en forêt, mais celui-ci perd vite ses repères et ne trouve plus le nord. Jean-Pierre marié à Cinderella se rapproche d’Isabelle, flattée par cette marque d’attention. Claire, la meilleure amie d’Isabelle se montre jalouse et ne supporte pas l’attitude de son amie. Yacin profite de la situation et essaye désespéré-ment de séduire Claire sans succès. Jo-seph, vieil ami de François est à l’origine de cette randonnée. Lors de celle-ci, des évènements étranges se produisent : des disparitions curieuses notamment. Voilà en quelques mots l’intrigue développée par le groupe. De la mi-février à la mi-avril, nous avons travaillé sur la mise en scène du scénario et le jeu d’acteur. Il est important de rap-peler que l’introduction de la caméra ne s’est faite que plus tard et de manière pro-gressive au fur et à mesure des répétitions, de façon à ce que les patients mémorisent l’histoire et se familiarisent avec leur per-sonnage. L’interaction entre eux s’est dé-

ployée assez facilement, résultat du tra-vail élaboré tout au long des séances et a permis un jeu de rôle assez juste et adapté. Dès lors, la caméra a pu être introduite de manière à habituer le groupe à sa présence et envisager, enfin, le tournage en condi-tion réelle. A chaque étape de travail, les échanges se sont montrés de plus en plus constructifs amenant les patients à bien supporter le regard des autres, la critique - positive comme négative – mais, surtout, un lien de confiance s’est confirmé lors du tournage, les uns connaissant les phrases et les moments d’intervention des autres.

Réalisation Pour le tournage, nous avons filmé en ex-térieur et, pour ce faire, nous avions pro-grammé plusieurs jours. Or, le jour du tournage, les patients se sont montrés très impliqués malgré la diffi-culté de la tâche. Il faut rappeler que ce sont des randonneurs dans l’histoire et qu’il a fallu plusieurs prises pour obtenir l’effet souhaité, ce qui veut dire qu’ils ont beaucoup, beaucoup marché et jamais ils ne sont plaints, alors qu’en temps normal, il s’agit de patients plutôt apathiques. Finalement, le tournage s’est effectué en une seule journée. Les patients satisfaits de pouvoir enfin concrétiser leur travail ont montré un certain professionnalisme. Une fois le tournage terminé, nous avons mis les patients à contribution pour le choix des prises de vues lors du montage, toujours en maintenant cette cohésion créée par le film, de façon à les impliquer à toutes les étapes du projet commun. Cela nous a donné un film de 22 minutes au lieu des 15 envisagées. Un peu intimidés lors des premières dif-fusions, ils ont au fur à mesure développé un esprit critique et su apprécier à juste titre leur prestation et leur travail. Lors de la diffusion du film au spectacle, les patients ont eu de nombreux retours positifs des familles, des soignants et des autres patients ce qui a été très valorisant pour des personnes ayant peu l’occasion de se mettre en valeur, et a été source de fierté et de satisfaction pour chacun. Cela a également suscité chez d’autres patients l’envie de vivre à leur tour cette expé-rience si enrichissante et constructive. Nous sommes début juin. Le groupe n’est pas terminé, il nous reste un mois avant la fin du groupe qui fera une pause pendant l’été. La construction du film ayant été menée à bien, nous avons eu l’idée de pro-poser un travail sur des publicités. Nous avons demandé aux patients de créer une publicité plutôt humoristique et une plutôt classique autour d’un même produit. Mais dès la première séance, nous consta-tons une baisse manifeste d’investisse-ment et de créativité. Ils sont de moins en

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Quand les soignants mettent en scène les patients

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moins assidus, on note beaucoup d’absen-téisme et le groupe s’arrête ainsi. L’été se passe, période qui est l’occasion chaque année de mettre en place des ate-liers ponctuels. Nous avons ainsi créé un groupe Jeux de mimes lors duquel nous demandions aux patients, par petits groupes, de jouer une scénette préalable-ment définie. Ce groupe était ouvert à tous les patients, afin de se faire une idée de ceux étant susceptibles de pouvoir inté-grer notre groupe à la rentrée. Fort du résultat, nous avons pu intégrer 3 nouveaux patients aux 7 déjà présents dans le groupe. Nous nous orientons, en effet, vers un agrandissement du groupe et la production d’un second film.

Conclusion Le groupe Acteurs studio est un jeune groupe qui a su tirer profit d’une situation difficile pour inventer un nouveau dispo-sitif de soins. L’engouement provoqué par le film auprès du public ainsi que la moti-vation et l’envie du groupe dans l’inves-tissement et la réussite de ce premier film ont permis de concrétiser cette fusion des deux hôpitaux de jour “au pas de course”, pour les soignants mais aussi pour les pa-tients, en la transformant en quelque chose de positif. Il convient de pointer que la finalité du projet a été un moteur des plus stimulants pour nos patients et a mis l’équipe soi-gnante sous tension pour produire un ré-sultat satisfaisant. En effet, chacun a dû puiser au fond de ses réserves psychiques

et émotionnelles pour développer ses ca-pacités de dépassement et de sublimation. A la reprise du groupe en septembre, nous avons émis le souhait d’assister au festival Vidéo psy en santé mentale à la Villette en novembre 2015 afin de pouvoir ren-contrer d’autres équipes et de découvrir le travail d’autres structures de psychiatrie. Pour autant, la pérennité de cet atelier thé-rapeutique n’est pas acquise aux vues de la situation économique de l’hôpital. En effet, aujourd’hui, nous ne sommes pas sûres d’obtenir les fonds nécessaires à la poursuite du groupe pour l’achat du maté-riel. Il reste que cette expérience innovante laissera une trace stimulante à l’hôpital de jour et source, nous le souhaitons, d’une certaine émulation.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 46

Introduction Chacun de nous a sa propre ligne mélo-dique, son rythme, son tempo. Cette mé-lodie nous caractérise comme individu de manière unique. Elle s’exprime notam-ment dans notre relation avec la nourri-ture, une relation de nature archaïque et complexe. Nous mangeons trop ou pas as-sez, parfois jusqu’à nous mettre en dan-ger. Avec le temps, certaines personnes - nos patients -, à force de rejouer leur mé-lodie trop souvent de la même manière, ne savent plus comment faire pour la jouer d’une façon différente. Cette mélodie caractérise l’expression de la souffrance des patients, mais également leur manière de demander de l’aide, d’en-trer en soin, d’accepter du soutien et un cadre thérapeutique, de s’engager dans un processus de guérison, de s’adapter au changement et de quitter la relation d’aide. La mélodie du patient est compo-sée d’un côté, de répétitions et de retours à l’identique, et, de l’autre côté, d’une or-ganisation singulière de la temporalité. En psychothérapie, la mélodie du patient rencontre la mélodie du soignant, les deux s’expriment, se mêlent, se lient. Chacune de ces rencontres est unique. En décrivant la rencontre entre une mère et son enfant, Daniel Stern utilise la métaphore d’une chorégraphie musicale pour décrire les re-lations mère-bébé ou thérapeute-patient.

Les accordages et les ajustements de cette chorégraphie visent à trouver ou à créer le rythme qui soutiendra la rencontre inter-subjective, la communauté d’expérience, le partage d’expérience (Ciccone, 2006). Dans cette rencontre, l’improvisation du patient consiste à avancer sans cesse dans sa phrase musicale, en ayant l’impression de se tromper à tout moment, mais de se rattraper à chaque instant. L’intensité et le rythme des soins se doivent d’être iso-morphes à cette dynamique émotionnelle.

Le rythme comme base de sécurité Une infirmière décrit sa rencontre avec une jeune patiente anorexique au sein de l’unité hospitalière des Espaces de soins pour les troubles du comportement ali-mentaire (ESCAL) des Hôpitaux univer-sitaires de Genève. Mlle A. arrive dans le service, accompagnée par sa mère. Elle est admise en hospitalisation non volon-taire. La mère exprime son sentiment d’impuissance face aux malaises à répéti-tion de sa fille, qui mange une galette de riz le matin et boit des jus et de l’eau le reste de la journée. L’infirmière accom-pagne la patiente pendant les repas en chambre pour éviter le dégoût face aux as-siettes des autres. La première semaine, la patiente est en observation sans obligation de manger. Le but est d’éviter un syn-drome de renutrition : ¼ d’une portion

normale est servie. « Mlle A. me dit avoir des angoisses dès qu’elle entend la sonne-rie retentir au sein de l’unité à 8h, elle sait que ce sont les chariots repas qui arri-vent. Elle nécessite un calmant pour dimi-nuer ses pensées obsessionnelles. Mlle A. décide de regarder le plateau repas, me dit être rassurée de voir qu’un quart du plateau. Elle commence par enlever le surplus de mie de pain puis elle effleure le couteau de beurre sur son pain et boit normalement son thé. Pendant le repas, la patiente me raconte le divorce de ses pa-rents, sa relation avec ses parents et ses frères et sœurs et m’avoue à la fin du re-pas que cela lui permet de ne pas penser à ce qu’elle mange. » Après le repas, l’infirmière débarrasse le plateau. La patiente est allongée sur son lit en pleurs. « Elle me dit ne pas se sentir bien, et avoir l’impression de ressembler à E.T., notamment le gros ventre... me dit aussi avoir l’impression d’avoir un ventre de femme enceinte... Je lui rappelle que son BMI est inférieur à la moyenne, qu’elle présente une atrophie cérébrale et que son bilan sanguin présente des troubles électrolytiques. La patiente est d’accord avec les données que je lui an-nonce mais me dit avoir tout de même ses ruminations. » L’infirmière lui propose des techniques de relaxation, elle a pu observer dans la chambre que la patiente a des huiles es-sentielles. Puis elle lui accorde un temps de repos. Sachant qu’elle doit passer régu-lièrement pendant cette heure afin de vé-rifier que la patiente ne se lève pas ou fasse des exercices abdominaux. Le res-pect du rythme de la patiente lui offre une base de sécurité. Daniel Stern dirait que pour cela, l’objet ne doit pas s’absenter un temps au-delà duquel le bébé est capable d’en garder le souvenir vivant. L’objet ne doit pas démentir la promesse de retrou-vaille, et la retrouvaille doit s’effectuer de manière rythmique, et à un rythme qui ga-rantisse la continuité (Ciccone, 2006). Deux mois plus tard, la patiente est sortie de l’unité hospitalière et intègre l’hôpital de jour d’ESCAL. Elle participe à présent

Chaque patient a son rythme et évolue selon sa propre mélodie. La rencontre psychothérapeutique nécessite un accordage et ajustement constant du rythme du dispositif de soin à celui du patient. Les programmes des Espaces de soins pour les troubles du comportement alimentaire (ESCAL) offrent au patient la possibilité d’une chorégraphie personnalisée, modulable selon ses besoins, son évolution clinique et les indications médicales du moment. Afin de garantir la synchronisation du rythme des soins avec la mélodie du patient, il importe d’accorder les objectifs et les délais psychothérapeutiques dans une relation de co-expertise entre le patient et l’équipe soignante. La modulation du rythme nécessite un jonglage constant entre continuité et rupture de l’intensité thérapeutique, les fausses-notes faisant partie intégrante du processus. Mots-clés : Trouble du comportement alimentaire, intensité des soins, rythmicité, rencontre psychothérapeutique

Day hospital: same treatment for everyone or treatment “à la carte”?

Each patient has his own rhythm and evolves according to his own melody. The psychotherapeutic relationship needs constant attunement and adjustment between the care setting and the patient’s rhythm. The treatment program of the “Espaces des troubles du comportement alimentaire” (ESCAL) offers the patient the possibility of a personalized choreography, customized according to his needs, the evolution of his clinical state and the actual medical indications. To ensure the synchronicity between the care intensity and the patient’s melody, it is necessary to tune the psychotherapeutic treatment objectives and deadlines, within a co-expertise relationship between the patient and the caregiving team. The modulation of the rhythm requires a continuous juggling between continuity and interruption of care intensity. Hitting the false note is an integral part of the process. Keywords: Eating disorders, intensity of care, rhythmicity, psychotherapeutic relationship

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L’hôpital de jour : un menu unique ou des soins à la carte ?

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 47

LES AUTEURS Kerstin WEBER Michèle CHARTRIN Anne-Charlotte PAPORÉ Eric VERGER Alessandra CANUTO Espaces de soins des troubles du comportement alimentaire (ESCAL) 15, rue des Pitons 1205 Genève Suisse [email protected]

BIBLIOGRAPHIE 1. AUSLOOS G. (1995), La compétence des fa-milles : temps, chaos, processus, Toulouse : Erès Relations, 174 p. 2. CICCONE A. (2006), Partage d’expériences et rythmicité dans le travail de subjectiva-tion, Le Carnet PSY, 109, pp. 29-34 3. DELLUCCI H. (2014), Psychotraumatologie centrée compétences, Thérapie Familiale ; 35, pp. 193-226. 4. FRAMBATI L., PLUCHART K., WEBER K., CANUTO A. (2014), Quand les mains parlent : le jeu de sable, Rev Med Suisse ; 385-388 5. MEKUI C., WEBER K. (2015), Troubles du comportement alimentaire et prise en charge en hôpital de jour psychiatrique, Rev Med Suisse ; pp. 406-408 6. ONNIS L. (2013), Anorexie et boulimie, le temps suspendu. Individu, famille et société, Paris : De Boeck, 336p.

aux repas en groupe. Dans la salle à man-ger commune, elle aide à mettre la table pour les autres patients et les soignants dans la salle à manger. Elle angoisse face à ce moment de convivialité, d’échange, de partage. Elle se sent terriblement seule avec les autres. Elle se sert elle-même son assiette. Très peu de féculents, beaucoup de légumes. Les jours suivants, un tout pe-tit peu plus de féculents, toujours beau-coup de légumes. Et elle boit de l’eau, toujours de l’eau. Sa nouvelle infirmière référente raconte à nouveau la rencontre. « Un jour, en man-geant mon orange, grosse, juteuse, appé-tissante, je lui tends un quartier. Elle le goûte, le termine, l’avale. Trois semaines plus tard, elle peut déjà manger trois quartiers en ma compagnie. Après 3 mois, elle se sert elle-même une orange entière et m’en tend une par la même occasion... Elle se demande comment elle pourrait arriver à faire de même à la maison... »

Une chorégraphie personnalisée Cette vignette clinique illustre l’évolution de la mélodie de la patiente et la modula-tion de la rencontre thérapeutique par l’équipe de soins pour accompagner les changements progressifs de l’état clinique de la patiente. Le programme ESCAL (www.escal.ch) s’adresse à toute per-sonne dès 16 ans exprimant une souf-france psychologique à travers un trouble du comportement alimentaire (associé ou non à d’autres problématiques psy-chiques). Il offre une porte d’entrée unique, une évaluation multidisciplinaire, puis ensuite une orientation de la prise en soins selon les besoins identifiés. L’intensité et le rythme des soins sont ainsi à tout moment adaptés et modulés selon les besoins du patient, afin de tenir compte au mieux de son évolution cli-nique. Trois niveaux de prise en soins sont à disposition : - La Consultation offre une prise en soins psychothérapeutique individuelle et groupale, à travers des approches di-verses (thérapie cognitivo-comporte-mentale, psychothérapie psychodyna-mique, thérapie par le jeu de sable, thé-rapie de famille). - L’Hôpital de jour, sur le modèle de la communauté thérapeutique, propose une approche intensive (plusieurs jours par semaine) en individuel et en groupe. La psychothérapie, la psychomotricité, l’er-gothérapie et la thérapie par le jeu de sable sont les axes d’intervention de l’équipe multidisciplinaire (Mekui & Weber, 2014). - L’Unité de psychiatrie hospitalière adulte accueille les personnes nécessi-tant des soins en milieu hospitalier. Elle

possède des compétences à la fois psy-chiatriques et somatiques.

Des approches transversales (groupe mul-tifamilial, auto-traitement par Internet, travail en réseau) s’intègrent dans les trois niveaux de soins.

Accordage des instruments Un autre patient, âgé de 17 ans, ne vient plus à l’hôpital de jour. Il consulte aux ur-gences psychiatriques, ayant mis son état de santé en danger. Trop de vomissements ont fait ralentir son cœur. Après avoir sta-bilisé ses constantes vitales, l’équipe des urgences psychiatriques le ré-adresse à l’hôpital de jour pour une nouvelle éva-luation. A travers des productions dans le groupe de psychothérapie par le jeu de sable (Frambati et coll., 2014), le patient ex-prime son ambivalence face aux soins. Il dit avoir besoin d’aide, mais il redoute l’intensité de ses soins.

« Je ne veux pas être hospitalisé à nou-veau, j’ai besoin d’aide… mais je ne veux pas annuler mes vacances... » Il pose deux murs faits des petits mor-ceaux mobiles entre lui (pantin en bois) et tous les intervenants de son suivi, l’équipe de l’hôpital de jour, la psychologue sco-laire, le thérapeute de famille, le doyen de l’école, le médecin traitant, etc.

Une autre patiente du groupe lui propose « Pourquoi tu ne penses pas à la possibi-lité d’enlever un morceau à la fois au lieu de penser de les abattre tous d’un coup ? ». En retirant une brique du mur, il explique aux membres du groupe qu’il y a qu’une seule possibilité d’ouverture pour lui, une seule proposition de soins à la fois. Il illustre ainsi clairement qu’il ne sert à rien de multiplier les intervenants,

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 48

et de jongler avec différents lieux et inten-sités de soins. Le patient ne peut se mon-trer disponible que pour un seul projet à la fois. Cette vignette illustre comment les instru-ments s’accordent parfois difficilement. Tout accordage demande d’abord de ré-gler les instruments du patient et des soi-gnants et de déterminer la note selon la-quelle les instruments seront accordés. Dans notre cas, il s’agit de définir si le but du suivi du trouble du comportement ali-mentaire sera la reprise d’un poids dans la norme, la résorption des symptômes dé-pressifs, la normalisation des valeurs mé-taboliques et du rythme cardiaque, l’amé-lioration de la qualité de vie, ou la reprise de l’école ou du travail ? Deuxièmement, il importe de fixer un dé-lai pour l’objectif retenu, afin d’accorder le tempo de la mélodie et le degré d’ur-gence. Or, ce délai varie selon l’état de santé physique du patient, les exigences familiales, les limites fixées par l’école ou l’employeur et enfin des contraintes des assurances maladie. Luigi Onnis (2013) souligne que toute chorégraphie est orga-nisée par une logique familiale, une lo-gique qui dit comment les membres doi-vent se comporter dans la famille, mais aussi comment ils doivent sentir, ressentir et même penser. Souvent, il s’agit d’une logique, d’un mythe, qui exalte l’unité et l’harmonie familiale et qu’il faut mainte-nir à tout prix. Le fantasme de rupture est constamment présent avec la peur qu’une manifestation conflictuelle menace et rompt la chorégraphie familiale. Ainsi, l’adhésion du patient à la chorégraphie fa-miliale est profonde, et il est indispen-sable de composer avec cette chorégra-phie dans tout objectif thérapeutique du patient et du délai associé. Le positionnement thérapeutique est orienté vers les compétences et les res-sources, l’équipe psychothérapeutique et le patient travaillent ensemble avec une expertise partagée, mais différente. Dans cette relation de co-expertise, les théra-peutes, avec tout ce qu’ils ont appris, leur expérience, leurs acquis, leurs ressources, sont expert que de la thérapie en général. La personne est experte de sa vie dans son contexte, de ses ressources et de son symptôme et, par là même, capable d’éva-luer les procédés de sa thérapie (Ausloos, 1995 ; Dellucci, 2014). De cette expertise partagée découle égale-ment la notion de responsabilité partagée : le thérapeute est responsable d’un cadre de travail sécurisant et de la mise en place de bonnes conditions de travail, sans les-quels il serait illusoire de demander à des personnes, même motivées, de se mettre

au travail. La personne, elle, est respon-sable du contenu qu’elle amène en théra-pie et des changements dans sa vie.

Modulation du rythme Une fois les instruments accordés, la mé-lodie se joue, se rejoue, s’affine et se per-fectionne, toujours en adaptant le rythme des soins au plus près de l’état, des res-sources et des limites du patient et des équipes. Afin de réussir la modulation de ce rythme, le programme ESCAL concilie deux dynamiques, respectant à la fois la continuité et la rupture du rythme. A tous les niveaux d’intensité et à chacun des trois niveaux, que ce soit à la consul-tation, à l’hôpital de jour ou dans l’unité hospitalière, tous les types de troubles ali-mentaires sont confondus. Tout au long du suivi, la prise en charge est pluridisci-plinaire, l’approche est globale, tenant compte de la personne dans son entièreté avec des axes de travail à la fois corporels, verbaux et artistiques. Les temps indivi-duels alternent avec les espaces psycho-thérapeutiques de groupe. Le travail en ré-seau et avec les familles et les autres in-tervenants extérieur (médecin traitant, école, etc.) se poursuit lorsque le patient passe d’un des trois niveaux à un autre. Simultanément, cette continuité est vo-lontairement interrompue pour souligner l’évolution de l’état clinique, que ce soit la survenue d’un moment de crise ou l’amélioration du trouble. L’intensité du suivi peut être à tout moment accrue ou diminuée, selon un gradient allant d’un entretien d’une heure de Consultation en passant par un suivi semi-intensif de 3-4 demi-journées en hôpital de jour et, ce, jusqu’à une hospitalisation temps com-plet. De même, la fréquence peut être modulée et varie d’un rythme hebdomadaire à quo-tidien à un rythme de jour ou de jour et nuit. Les délimitations avec l’extérieur du lieu de soins, la contenance et la sécurité offertes par les soins sont modulées pour favoriser l’autonomie du patient, allant d’espaces ouverts et libres d’accès aux chambres avec contacteurs et un contrôle alimentaire et hydrique strict. La perméa-bilité entre le lieu de soin et l’environne-ment se diminue ou s’accroît selon les in-dications et les besoins du moment. La rythmicité est une succession d’enga-gements et de retraits (Ciccone, 2006). Un sur-engagement continu conduira à la dé-pendance, si les anticipations sont trop confirmées, le jeu devient monotone. C’est dans le manque que naît l’anticipa-tion, l’autonomie. C’est là que commence, potentiellement, le ludique.

Potentiellement, car l’écart peut être an-goissant, faire craindre le manque, la soli-tude. Or, si après le défaut survient les re-trouvailles, l’écart produit de la jubilation, du plaisir.

Les fausses notes Mme A, 27 ans, est accompagnée à sa pre-mière évaluation par trois amis, à vélo. Les amis souhaitent qu’elle soit prise en soins car elle est très maigre et tellement faible qu’elle tombe de son vélo. Suite à l’évaluation, la patiente est orien-tée vers le service des urgences qui lui sauve la vie et elle est ensuite admise à l’unité hospitalière d’ESCAL. Après plu-sieurs mois à l’hôpital, Mme A. a repris quelques kilos et, sortie de l’hôpital, elle intègre le programme de l’hôpital de jour d’ESCAL. Mme A décrit ce changement d’intensité comme une bouffée d’air, une façon de sortir la tête de l’eau. Or, après quelques semaines à l’hôpital de jour, Mme A. a de nouveau perdu du poids. Elle est ré-hos-pitalisée. Elle sortira à nouveau après quelques semaines, mais refusera cette fois-ci tout nouveau suivi à l’hôpital de jour. Elle tient cependant à venir dire « au revoir ! » à l’équipe de l’hôpital de jour. Sur son choix, elle sera suivie en cabinet privé hors ESCAL. Il y a de nombreux “faux-pas” dans les danses chorégraphiques. La majorité des interactions sont des inte-ractions d’ajustement. Selon Ciccone (2006), les microanalyses des interactions révèlent que les trois-quarts environ sont des interactions d’ajustement. Seuls un quart des interac-tions sont des interactions de communica-tion, ou de communion. Autrement dit, il est normal de se rater, la dysrythmie est normale.

Conclusion Albert Ciccone (2006) souligne que le partage émotionnel et affectif repose sur et suppose l’implication, contrairement à l’explication. Seule l’implication permet la rencontre et la compréhension. Un pa-tient qui ne se sent pas compris d’un autre ne peut pas en apprendre quelque chose. On ne peut rien apprendre de quelqu’un qui ne nous comprend pas, même s’il sait très bien tout nous expliquer. La position clinique, thérapeutique et ses effets de soin supposent une implication, un accordage, un ajustement (se mettre au plus juste et renvoyer le plus juste de l’ex-périence subjective, affective, émotion-nelle de l’autre), qui conduit à un partage suffisant (pas trop mais suffisant) de l’ex-périence subjective pour produire une compréhension.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 49

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 50

Introduction On entend souvent que les hôpitaux de jours pour enfants en pédopsychiatrie sont des lieux clos, peu perméables et pas as-sez ouverts sur l’extérieur. Si cette “im-perméabilité” permet une contenance psy-chique des troubles psychotiques des en-fants accueillis, il n’en est pas moins vrai qu’une nécessité d’ouverture vers l’exté-rieur semble de nos jours de plus en plus d’actualité. Le cas d’un jeune accueilli à l’hôpital de jour, que nous nommerons Denzel, a été pour nous l’occasion de nous questionner sur nos pratiques et à nous encourager à la créativité en le replaçant, lui et sa mère, au centre du soins institutionnel par le biais d’une visite à domicile réalisée par son infirmière référente. Cet effort d’ou-verture s’est fait naturellement en permet-tant à l’institution d’être au service du pa-tient. Nous vous proposons, après une courte présentation de l’hôpital de jour, de vous montrer, à partir du cas clinique de Den-zel, comment l’inattendu de la situation a permis une évolution de nos pratiques en nous offrant l’opportunité d’une nouvelle ouverture vers l’extérieur par le biais de visite à domicile réalisée par les infirmiers de l’hôpital de jour.

Présentation de l’hôpital de jour

L’hôpital de jour de Cormelles le Royal est une unité du secteur de pédopsychia-trie Caen-Falaise qui appartient au pôle de pédopsychiatrie de l’Etablissement Public de Santé Mentale de Caen. Nous accueil-lons des enfants âgés de 3 à 11 ans présen-tant des pathologies diverses telle que des troubles envahissants du développement, des troubles de l’attachement, des dyshar-monies psychotiques, ou des troubles graves de la personnalité. L’équipe soignante se compose de trois infirmiers, de deux aides médico-psycho-logiques, d’une aide-soignante et d’une maitresse de maison qui sont présents tous les jours sur les temps d’ouverture de l’hôpital de jour. Elle comprend égale-ment une cadre de santé, un psychiatre, un psychologue et une assistante sociale qui interviennent régulièrement sur l’hôpital de jour dans la semaine. L’hôpital de jour accueille actuellement 14 enfants avec une prise en charge sous forme de journée complète ou de demi-journée. Nous fonctionnons avec des ate-liers à médiation thérapeutique qui sont menés par 2 soignants pour des groupes de 2, 3 ou 4 enfants.

La prise en charge des enfants suivis à l’hôpital de jour repose sur un axe théra-peutique, un axe éducatif et un axe péda-gogique ou scolaire. Un système de référence des enfants par un soignant et un co-référent est mis en place à l’arrivée de l’enfant. Aucune visite à domicile n’était pratiquée à l’hôpital de jour par les soignants. Celles qui pou-vaient avoir lieu étaient effectuées par l’assistante sociale. La situation de Denzel a été l’occasion d’instaurer cette “nouvelle” pratique, la visite à domicile par un soignant.

Présentation de Denzel Denzel est né en juin 2011, il a au-jourd’hui 4 ans. Il consulte pour la première fois en dé-cembre 2013 pour un retard global de dé-veloppement affectant notamment l’ac-tualisation du langage et s’accompagnant d’un trouble relationnel majeur et d’une agitation psychomotrice nécessitant une contenance permanente. Le contexte familial et social est très pré-caire. Sa mère, d’origine Malienne, est ve-nue seule en France enceinte pour fuir un mari violent et ce en désaccord avec sa fa-mille. L’accouchement a lieu 48 heures après son arrivée sur le territoire Français à 32 semaines d’aménorrhée. S’en suit une hospitalisation d’un mois du nou-veau-né pour une maladie des membranes hyalines. Il est à noter que le bilan soma-tique de Denzel, comprenant un élec-troencéphalogramme, des potentiels évo-qués auditifs et une échographie trans-fontanellaire, est normal. Denzel et sa mère sont ensuite initiale-ment pris en charge par le Centre d’ac-cueil de demandeurs d’asile puis sa mère obtient un droit de séjour au titre d’ac-compagnante d’un enfant malade et ils sont alors hébergés par le 115 (durant

Cet article a pour but de vous montrer la créativité dont a fait preuve l’hôpital de jour de Cormelles le Royal par l’instauration de visite à domicile par des soignants. L’un des enfants accueillis a beaucoup questionné l’équipe de l’hôpital de jour notamment en raison de sa situation familiale et de ses troubles. En ce sens, nos interrogations ont rejoint celles des équipes l’ayant précédemment ou conjointement pris en charge. Ainsi nous souhaitons vous faire partager le cheminement clinique qui a abouti à cette visite à domicile et vous la présenter. Mots- clefs : hôpital de jour, enfant, visite à domicile, psychose, créativité, ouverture, trouble envahissant du développement, pédopsychiatrie, retard global de développement

Home visits, when clinical facts brings the day hospital for children to open itself to the outside and to be creative

The aim of this article is to show how the creativity of the day hospital of Cormelles le Royal led to the instauration of home visits by its caregivers. One of the children we are taking care of questioned a lot the team because of his mental disorders and family situation. Our interrogations were the same has the teams that had previously or jointly taken care of him. We would like to share the clinical path that has led to this home visit and give a brief view of the visit itself. Keywords: day hospital, children, home visit, psychosis, creativity, pervasive development disorder, child psychiatry, global de-velopment delay. Keywords: Eating disorders, intensity of care, rhythmicity, psychotherapeutic relationship

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Visite à domicile, ou quand la clinique amène l’hôpital de jour pour enfant à s’ouvrir et se montrer créatif

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 51

LES AUTEURS Dr Yannick FISCHER médecin psychiatre Aurélie GUASCH infirmière Hôpital de jour 25 rue de la libération 4123 Cormelles le Royal France

sa prise en charge, leur appartement res-tera le même).

Sur le plan clinique, l’évaluation initiale montre une absence de réactions aux sol-licitations (aucune réaction verbale, ni vi-suelle de sa part), une absence d’investis-sement du jeu et la nécessité d’une conte-nance permanente au domicile car il pré-sente des conduite auto-agressives (ingère ses excréments et se tape la tête contre les murs). Une hospitalisation à temps complet à vi-sée évaluative est programmée et des soins sont mis en place au sein du service (groupe thérapeutique bi-hebdomadaire et prise en charge individuelle) en attendant une hospitalisation de jour. En avril 2014, la mère de Denzel est hos-pitalisée en urgence pour un pneumotho-rax ce qui entraine le placement en foyer de Denzel. Devant les difficultés du foyer à le conte-nir malgré un renforcement de l’équipe, l’hospitalisation à temps complet se fait en urgence. Après une évaluation de deux semaines et devant l’amélioration du ta-bleau clinique dans le contexte d’un cadre hospitalier sécure, les soins se poursui-vent en ambulatoire conjointement à des temps d’hospitalisation séquentielle jus-qu’en novembre 2014, date du début de l’hospitalisation de jour.

A son arrivée à l’hôpital de jour Sur le plan symptomatique on note une agitation psychomotrice modérée, exacer-bée par la présence de sa mère. Denzel ga-zouille, ne parle pas mais est en mesure de pointer pour se faire comprendre. Il a ten-dance à coller l’adulte et ne cherche pas le contact de ses pairs (il ne les rejette pas et peut même les imiter à postériori ou se saisir des jouets qu’ils ont utilisé). On note une ébauche de jeu symbolique qui se construira en cours de prise en charge. La propreté diurne est acquise mais pas nocturne. La séparation ne semble pas af-fecter Denzel, ce qui avait déjà été ob-servé lors de l’hospitalisation à temps complet. Parallèlement aux soins, une scolarité en classe passerelle se met en place. Des dif-ficultés sont rapidement pointées et la pré-sence d’une Auxiliaire de Vie Scolaire est nécessaire. Les rencontres avec la mère sont régu-lières par le biais d’entretiens médicaux en présence de son infirmière référente. Le lien mère/fils semble pathologique (un peu comme si le lien primaire ne s’était pas mis en place). Cette maman ne met pas les choses en mots. Les affects ne sont pas exprimés verbalement et quasi ab-sents physiquement voire même, par mo-ment, discordants. Son récit n’est pas teinté d’émotion et reste très vide et assez flou. Elle semble de bonne volonté et ac-cepte les soins et les conseils prodigués

sans forcément s’en saisir et les mettre en œuvre. Elle se montre peu accessible à l’élaboration (malgré la volonté de bien faire les choses). Parallèlement à ces rencontres, il nous semble que Denzel progresse. Il se montre moins agité, est plus en relation avec les autres enfants et est en recherche de celle-ci. Les premiers mots apparaissent. Cette évolution positive est également observée à l’école. Au domicile, la mère est en mesure de percevoir quelques progrès mais, globale-ment, le tableau qu’elle dépeint semble peu évoluer (contenance quasi perma-nente, mise en danger). Les échanges sont peu informatifs sur le plan clinique mais nous tentons tout de même d’appréhender au mieux cette relation mère/fils par le biais de son parcours de vie et de sa cul-ture. Malgré nos efforts pour étayer au mieux cette mère, elle se montre de plus en plus épuisée et nous lui faisons part de notre inquiétude. Devant l’épuisement maternel, le peu d’informations que celle-ci est en mesure de nous donner et, enfin, son appréhen-sion plutôt dramatique de la situation, il nous paraît important de réfléchir à d’autres modalités d’intervention. Après concertation et échanges au sein de l’équipe, nous envisageons de proposer une visite à domicile par l’infirmière réfé-rente, eu égard à plusieurs questions qui se posent : - Tout d’abord, qu’en est-il du cadre éducatif au domicile ? En effet, nous avons été informés à plusieurs reprises des difficultés comportementales au do-micile (mise en danger, fugue). Sa mère peut dire que c’est difficile, que son fils s’agite beaucoup, qu’il se tape la tête contre les murs, qu’il dérange tout, qu’il jette les objets, qu’il ne parle pas, qu’il s’endort le soir par épuisement, alors qu’à l’hôpital de jour il semble plus posé et calme ne présentant que peu de mo-ments d’agitation. - Ensuite, se pose la question du lien mère/fils devant l’absence d’émotion et d’ajustement maternel dans les interac-tions dont nous sommes les témoins. Ainsi, lors des retrouvailles avec sa mère, Denzel peut manifester des émo-tions en se mettant à courir ou en se je-tant sur elle. Du côté de sa mère, nous ne ressentons aucun affect. Notre regard sur ce lien qui semble perturbé est croisé avec celui de l’équipe de l’hospitalisa-tion à temps complet (nombreux progrès de Denzel durant l’hospitalisation et ab-sence de prise de nouvelles de sa mère et absence de désir de revoir son enfant)

Nous notons également une certaine dif-férence d’appréciation dans les données cliniques. En effet, la psychologue ayant

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 52

initialement pris en charge Denzel pensait qu’une guidance et un accompagnement maternel suffirait à améliorer l’état psy-chique de Denzel alors que l’équipe de l’hospitalisation à temps complet pensait plutôt à un placement familial. Bien qu’à l’hôpital de jour l’état psy-chique de Denzel s’améliore, il semble qu’au domicile, sa mère ne relate que peu d’amélioration malgré le travail de gui-dance parentale que nous lui prodiguons. Par ailleurs, l’épuisement maternel de plus en plus visible, à la fois physique et psychique, et ce, malgré notre interven-tion, semble renforcer l’idée qu’un étay-age plus important est nécessaire pour permettre à Denzel d’aller mieux et pour permettre un travail du lien mère/fils. Enfin, il nous semble essentiel d’avoir une approche clinique au plus juste du quotidien en raison des difficultés d’éla-boration de cette mère. Ainsi, face aux interrogations soulevées par les équipes ayant précédemment pris en charge Denzel concernant les troubles de la relation mère-enfant, nos propres in-terrogations, le peu d’éléments cliniques obtenus en entretien avec sa mère et l’état de fatigue qu’elle présente, il est décidé de réaliser une visite à domicile dans le but d’ajuster notre prise en charge thérapeu-tique.

Déroulement de la visite à domicile Le logement est vétuste et se trouve au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble du 115. La mère de Denzel attendait l’arrivée de l’infirmière. Lorsqu’elle a vu l’infir-mière, elle est sortie pour l’accueillir. La pièce principale est composée d’un lit pour 2 personnes, d’une armoire qui ne ferme pas et d’une petite table où est po-sée la télé. Denzel et sa mère dorment dans le même lit. Il a des jouets à disposi-tion (jouets dont il ne se sert pas selon sa mère). La télé est allumée en permanence et diffuse en boucle des clips musicaux. Denzel ne doit pas sortir car l’entrée de l’immeuble donne sur la route. Le garçonnet est surpris de cette visite, surprise marquée par un long moment d’excitation et d’agitation. Sa mère tente

en vain de le canaliser en lui demandant d’arrêter sur un ton monocorde, lisse, puis tente de le contenir physiquement sans lui parler. L’enfant crie, se débat et finit par se calmer. Sa maman le lâche alors. Un temps de jeu très bref est alors possible mais Denzel se disperse et s’agite à nou-veau. A aucun moment de la visite, madame n’élèvera le ton de la voix et ce malgré la forte agitation et la mise en danger de Denzel. Il court partout, grimpe sur les meubles et rapporte tous les objets qu’il peut saisir (médicaments, ustensiles de cuisine…). Lorsqu’il arrache un fil élec-trique, elle lui demande simplement de le rebrancher. Madame explique qu’habituellement, Denzel reste tout nu dans l’appartement, et qu’elle ne l’habille que pour sortir. Elle n’a pas expliqué à Denzel qu’il est habillé en raison de la visite et non en raison d’une sortie. De ce fait, il cherchera à de multiples reprises à sortir en mettant ses chaussures, en essayant d’ouvrir la porte, en mettant son manteau... Durant la visite, il n’y a eu que très peu d’interactions entre la mère et l’enfant, peu de paroles, Denzel allant plus volon-tiers vers l’infirmière lorsqu’il veut quelque chose (pas de jeux de regards entre la mère et l’enfant). Quand l’infirmière annonce son départ, Denzel met son manteau et son écharpe très rapidement et sa mère dit « il va me faire une crise quand vous allez partir » et, effectivement, l’enfant se met à crier quand la porte se referme En sortant du domicile, l’infirmière se sent vidée et presque déprimée. La ques-tion d’une pathologie dépressive chez la mère de Denzel semble s’objectiver.

Apports de cette visite et évolution de nos pratiques

Cette visite au plus près du quotidien nous a permis de repenser nos interventions et d’ajuster notre prise en charge pour Den-zel et sa maman. Nous avons renforcé la prise en charge de Denzel mais également de sa mère en proposant à la fois un ac-cueil plus important à l’hôpital de jour et

des entretiens médicaux plus fréquents. Nous avons également sollicité nos parte-naires, notamment sociaux, pour renfor-cer l’étayage de cette mère. Cette visite à domicile nous a encouragé à repenser nos façons de faire notamment en estimant indispensable de concevoir notre pratique de l’hôpital de jour beau-coup plus ouverte vers l’extérieur en lais-sant libre cours à l’initiative de chacun. Ouverture non seulement auprès du pa-tient mais également au sein de l’équipe par une réflexion prospective concernant nos “habitudes” professionnelles (cette visite dont l’initiative et l’indication a beaucoup fait débat - les limites du soin, la redéfinition des missions d’un hôpital de jour pour enfants…). Au-delà de notre structure, cette visite à domicile a également permis de stimuler la créativité du secteur. Une prise en charge singulière nous semblait indispen-sable pour cette maman devant ses diffi-cultés dans le lien mère/fils, devant son parcours de vie chaotique et traumatique et devant son épuisement psychique. En ce sens, une consultation transcultu-relle est en train de se créer au sein du ser-vice de pédopsychiatrie.

Conclusion La visite à domicile est devenue pour nous un nouvel outil à notre disposition mais nous ne l’utilisons pas systématiquement. Nous l’employons au cas par cas, selon le tableau clinique présenté par l’enfant et ses parents. Initialement questionnant l’équipe, la vi-site a permis de faire évoluer l’institution en l’ouvrant un peu plus sur l’extérieur et sur le quotidien de nos patients. Au-delà d’une simple visite, cet outil permet un apport clinique d’éléments à travailler avec les parents. Plus globalement il pose la question au sein de notre secteur de pédopsychiatrie de créer une équipe mobile de soins dé-diée à cette tâche pour l’ensemble des uni-tés du service de pédopsychiatrie.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 53

Introduction L’Hôpital de Jour a-t-il une fonction soi-gnante spécifique ? Si oui, laquelle ? N’obtiendrions-nous pas des résultats comparables si nos patients se rencon-traient quotidiennement dans un club de loisirs ? Telle est la question qui pourrait être po-sée par un profane ou par un neuroscien-tifique positiviste. La thérapie institutionnelle mériterait au-jourd’hui d’être confrontée aux données récentes des neurosciences et de sou-mettre son modèle à l’évaluation théra-peutique de sa fonction soignante. Accordant la priorité à la clinique du su-jet, nous avons pris le parti d’avoir, comme fil conducteur, le discours d’une patiente au travers de son parcours insti-tutionnel, ce qu’elle nous a confié lors d’un entretien-vidéo réalisé plusieurs se-maines après sa sortie de l’Hôpital de Jour.

Au travers de ce cheminement, de cette progressive transformation, nous avons tenté d’en comprendre les enjeux.

Caractéristiques de l’Hôpital de Jour La Clé

Notre Hôpital de Jour La Clé est un hôpi-tal autonome pouvant accueillir quoti-diennement 30 patients pour des séjours de 6 à 12 semaines. Sa gestion n’est inféodée ni à une grande structure hospitalière, ni à un groupe d’hôpitaux, ni à l’Université de Liège. Dans le trajet de soin du patient, l’hôpital de Jour se situe en première ligne dans 75% des cas. Ce sont principalement les psychiatres traitants (40%) (Annexe I) qui nous adressent leurs patients. Certains services partenaires (centres de réadapta-tion, clubs thérapeutiques) sont également des interlocuteurs privilégiés. 25% des patients sont admis en seconde intention (transfert d’une prise en charge hospitalière à temps complet). Certains

ont bénéficié d’un sevrage en toxique (al-cool, drogues), d’autres ont bénéficié de la fonction de contenance plus dévelop-pée qu’offre l’hospitalisation à temps complet (patients suicidaires, patients avec délires agissants…). A l’instar d’autres institutions psychia-triques, l’Hôpital de Jour La Clé remplit une fonction phorique dans un découpage spatio-temporel particulier inhérent à l’es-pace et la temporalité des soins prodigués. Cette fonction primaire d’accueil « per-met de se sentir porté et conduit et de se porter soi-même » (P. Delion [1]). L’ac-cueil, le cadre, le portage sont les premiers ingrédients d’une nouvelle aire transition-nelle dans laquelle le patient va rejouer sa problématique bien souvent à son insu. Grâce à cette fonction de portage, la souf-france subjective va pouvoir s’exprimer à l’attention de l’équipe soignante devenant porteuse et décodeuse des signes émis par le patient. Selon Milner, « la substance malléable est une substance d’interposition à tra-vers laquelle les impressions sont trans-mises aux sens. Cette substance, à la-quelle on peut faire prendre la forme de nos fantasmes, peut inclure la substance du son et du souffle qui devient nos pa-roles ». P. Delion reprend cette notion en ces termes : « l’équipe soignante va pou-voir être considérée comme ce medium malléable, qui va se déformer par ce qui vient des patients, elle ne peut pas se dé-truire de les recevoir tout en conservant une trace sur sa feuille sémaphorique ». La fonction sémaphorique est donc le re-cueil des signes par l’utilisation des mots, par l’usage de la parole. A l’Hôpital de Jour, le nombre élevé d’activités et de mo-ments partagés ainsi que l’intensité des contacts patients-soignants, font que nous observons énormément de ces signes. Au-delà de l’observation, le vécu des patients transféré sur l’équipe sera analysé et mé-tabolisé notamment lors des réunions d’équipe quotidiennes et des supervi-sions. Cette fonction métaphorique per-met de découvrir et de mettre en sens ce qui paraissait impensable voire insensé.

Dans une nouvelle vague de désinstitutionalisation rompant avec la tradition hospitalière des soins psychiatriques, la plus-value thérapeutique de l’Hôpital de Jour reste à démontrer. La dimension métaphorique du “passe-partout” pourrait s’appliquer aux hôpitaux qui s’inscrivent encore aujourd’hui dans l’histoire de la thérapie institutionnelle : les équipes soignantes ont efficacement remplacé les murs pour accueillir les souffrances psychiques les plus complexes. Différentes “clés” thérapeutiques y sont ainsi fabriquées et co-construites avec pour objectif fondamental de permettre au patient de (re)conquérir des parcelles de liberté perdues sous le poids de sa psychopathologie. Si depuis 40 ans l’Hôpital de Jour ne cesse d’évoluer et de se réinventer, il traverse étonnamment les crises avec une stabilité inhérente à son originalité. Stabilité ne signifie pas pour autant immobilisme : la remise en question quotidienne du travail thérapeutique en groupe nous amène à nous adapter en permanence aux réalités de nos patients. A travers cet article, nous mettrons en lumière plus spécifiquement l’impact thérapeutique observé au travers des différents modèles de prise en charge à l’Hôpital de Jour. Mots-clefs : Hôpital de Jour, psychothérapie institutionnelle, transfert/contre-transfert, symbolisation

Care day hospital: the keyhole to the key set

During a new period of disruption with the hospital-tradition of psychiatric care, the specificity and originality of the Day Hospital remains to be defined. The metaphoric dimension of the therapeutic “passe-partout”, could be appliqued to hospitals which are to this day, part of institutional therapy story: The care teams have effectively replaced the walls to accommodate the most complex mental diseases. Several therapeutic “keys” are well produced and co-constructed with the fundamental goal of allowing the patient to (re) gain freedom-bridges lost under the weight of his psychopathology. Even though in 40 years the Day Hospital continues to evolve and reinvent, it interestingly gets through crises. This ability to overcome crises is seen in the deinstitutionalization crisis where it was handled with stability due to its originality. Stability does not mean stagnation: the daily questioning of the therapeutic work group leads us… Through this article, we will specifically highlight the therapeutic effect observed across the different support models to the Day Hospital. Keywords: day-hospital, institutional therapy, transference/counter-transference, symbolization

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 54

Thérapie institutionnelle et dynamique de groupe

Tout au long de sa prise en charge, le pa-tient va être stimulé par de nombreuses in-teractions groupales. Nous observons très rapidement une activation de leurs méca-nismes de défense habituels, associés aux manifestations pulsionnelles et à leurs re-lations d’objets internalisés. Un conti-nuum apparaît entre ce qui a été assimilé durant leur construction psychique et la réactivation durant le “bain institution-nel”. L’équipe, le cadre, l’institution vont être à leur tour le support de projections transférentielles complexes que nous veil-lons ensuite à méta-analyser. « Le groupe est thérapeutique parce qu’il est le lieu de la réunification interne, le lieu du sens et le lieu du lien, l’accord re-trouvé entre le rêve et le mythe » (Kaes, 1999). Le groupe va également pouvoir renvoyer en miroir les comportements qui pertur-bent l’homéostasie de ce dernier, il va avoir un rôle régulateur des excitations psychiques des membres qui le compo-sent. La dynamique du groupe dans notre insti-tution peut être analysée en 3 niveaux principaux : - Le groupe dans son ensemble peut être considéré comme une entité psychique unique, avec ses aspirations, ses méca-nismes de défense, sa pulsionnalité ten-dant vers des objets qui lui sont propres. Cette entité psychique va bien au-delà de la somme des entités psychiques des membres qui la composent. - La place du sujet dans le groupe est analysée ainsi que ses modalités de rela-tions intersubjectives. Au travers d’acti-vités groupales codifiées, les processus d’empathie sont particulièrement activés au cours du traitement. - La thérapie institutionnelle va avoir une implication sur la vie intrapsychique des membres qui composent le groupe. Chacun réagira de façon individuelle au bain institutionnel. Les psychés peuvent réagir de manières très différentes à des stimulations groupales similaires. Les paramètres qui régissent ces différences sont souvent à mettre en perspective avec la structure de personnalité et le vécu antérieur des patients.

René Kaes a identifié une série de prin-cipes (Kaes, 1999) qui tentent de com-prendre et d’analyser la vie du groupe. La constante mobilité du groupe et les diffé-rentes oscillations qui permettent de maintenir une homéostasie groupale im-pliquent une série d’allers-retours entre principes qui s’opposent ou plutôt se com-plètent.

Plaisir / Déplaisir Cela se traduit par le plaisir d’être en groupe, de former un tout, d’être protégé, de recevoir une stimulation de pensée ré-gulée. Le groupe se constitue et se main-tient selon le principe de plaisir et d’évi-tement du déplaisir. Le principe de plaisir s’oppose également au principe de réalité, basé sur la dimension de loi sociale qui en est le principe organisateur. L’individu va pouvoir revivre ce passage de la toute puissance confronté au principe de réalité inhérent au groupe.

Indifférenciation / Différenciation L’oscillation entre l’indifférenciation des psychés suite à la vie de groupe et la pro-gressive différenciation s’observe quand le patient prend de la distance psychique avec le groupe. On peut faire le parallèle avec le progressif détachement de l’enfant de la dyade maternelle.

Dehors /Dedans Le groupe va créer une frontière, sorte de nouvelle peau englobant l’entièreté des psychismes du groupe. Cela va également permettre, pour les patients présentant un pôle d’organisation de personnalité fragi-lisé, de réassimiler, ou du moins, d’appro-cher ce principe de base de la construction psychique.

Autosuffisance / Interdépendance Cela organise les relations dans le groupe et se base sur des présupposés incons-cients organisateurs.

Constance / Transformation C’est le rapport qui met en évidence la tendance du groupe à maintenir une ten-sion minimale malgré les excitations et les conflits intragroupes.

Répétition / Sublimation Le groupe va permettre de surmonter les expériences traumatiques qui traversent l’expérience collective. Le passage de la horde au groupe se dégage du meurtre du père par le renoncement à la réalisation di-recte des buts pulsionnels (Freud, Totem et Tabou,1913).

Le patient acteur du changement A La Clé, le patient établit lui-même, chaque semaine, son propre programme d’activités. Il privilégie des ateliers ex-pressifs, corporels ou productifs, ce qui lui semble porteur et en phase avec son propre rythme. Il s’engage dans les sorties extérieures ou les activités sportives. Chaque activité se veut réfléchie et ré-flexive. Premièrement réfléchie dans le sens où chaque atelier est pensé, travaillé en équipe, évalué, amélioré et adapté aux symptomatologies individuelles. Deuxièmement, réflexive par le fait que tant le groupe constitué par les patients

que l’animateur sont un miroir pour le pa-tient lui-même. « Le patient est au centre de la prise en charge, il bénéficie d’une équipe soignante à son service, cela va lui permettre de s’appuyer sur cette constel-lation transférentielle, quel que soit son état clinique et ce tout au long de son par-cours. » (Delion, 2012).

La temporalité L’observation de l’équipe soignante dans le processus évolutif du patient au décours de l’hospitalisation a permis de mettre en évidence une succession de phases quasi-ment communes à tous. La différenciation se transcrit dans la durée de chaque phase et l’aisance pour le patient à passer de l’une à l’autre. Une première phase, qualifiée d’isolation, est associée à une grande détresse, à une phase d’observation du groupe, au fonc-tionnement de l’Hôpital, à la prise de con-naissance des autres patients et de l’équipe de professionnels. Plus la dyna-mique du groupe est à un niveau de bien-veillance suffisant, moins cette phase va être longue. Une seconde phase souligne l’ouverture du patient, une participation plus active à la vie de groupe, aux ateliers. C’est l’em-preinte sociale du groupe sur l’individu. L’hôpital devient alors un port d’attache pour le patient (Désert, 2013). Survient alors la troisième phase, la re-mise en question personnelle, qui s’ac-compagne d’une affirmation de soi au sein du groupe permettant, à ce moment-là, la différenciation sociale. Finalement, une quatrième phase de dis-tanciation prend sens : distance par rap-port au groupe, naissance d’un sentiment de nécessaire sevrage, du besoin de lar-guer les amarres, de s’éloigner du port d’attache.

Evaluation du travail clinique A l’heure de l’evidence-based medecine, les soins psychiatriques n’échappent pas aux procédures d’évaluation afin de vali-der la pertinence de ses interventions dont la plus-value reste à démontrer. Dans ce contexte, nous évaluons systéma-tiquement en fin d’hospitalisation le par-cours du patient selon l’échelle STAR (J. Bertrand, M. Jadot, J.-M. Triffaux, An-nexe II) dans laquelle nous cotons collé-gialement l’évolution du symptôme, l’at-titude face à celui-ci et la dynamique rela-tionnelle. Nous invitons également le pa-tient à s’auto-évaluer avec les mêmes cri-tères. Généralement, nous notons peu de différences entre la cote du patient et celle de l’équipe (Annexe III).

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Les soins en hôpital de jour : du trou de serrure au jeu de clés...

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 55

LES AUTEURS Dr Benjamin REUTER Médecin-assistant en Psychiatrie Céline TIBERGHIEN Psychologue Stéphanie NOIRFALISE Infirmière en chef Pr Jean-Marc TRIFFAUX Médecin Directeur Hôpital de Jour Universitaire « La Clé » Boulevard de la Constitution, 153 4020 Liège Belgique [email protected] [email protected] France

BIBLIOGRAPHIE 1. DELION P. (2001), Thérapeutiques institu-tionnelles, EMC, [37-930-G-10] 2. DELION P. (2012), Qu’est-ce que la psycho-thérapie institutionnelle ? Yapaka.be, http://www.yapaka.be/video/quest-ce-que-la-psy-chotherapie-institutionnelle. 3. DESERT J.-B., CHARON V., TRIFAUX J.-M. (2012), Chronos et la clé du temps, Revue des hô-pitaux de jours psychiatriques, pp.79-85. 4. FREUD S. (1913/2001, Totem et Tabou, Paris, Payot. 5. KAES, R. (1999/2014), Les Théories psycha-nalytiques du groupe, 5ème édition, Paris, PUF col-lection Que sais-je. 6. MIKOLAJCZAK G. et al. (2015), En-deçà du symptôme, en-dedans du cadre, au-delà du symptôme..., Revue des hôpitaux de jours psychia-triques, pp 98-104. 7. REYCHERTS M. (2007), Dimensions de l’ou-verture aux Emotions (DOE)- Un modèle de l’affect de traitement, Manuel n ° 168, Rapport de recherche. Université de Fribourg / Suisse, Dépar-tement de psychologie ; (www.unifr.ch/psycho/cli-nique/DOE), 34 pages. 8. ROUSSILLON R., (1991), Un paradoxe de la représentation : le médium malléable et la pul-sion d’emprise, Paradoxes et situations limites de la psychanalyse, Paris, PUF, pp. 130-140. 9. VANDER BORGHT C. (2014), Travailler en-semble en institution, Yapaka.be.

Afin de tester l’impact de la thérapie ins-titutionnelle sur les processus émotion-nels de nos patients, nous évaluons depuis 2008, en début et fin d’hospitalisation, les dimensions suivantes : perceptions phy-siologiques internes (PERINT) et ex-ternes (PEREXT) des émotions, représen-tations cognitives des émotions (REP-COG), capacité de communication des émotions (COMEMO) et capacité de ré-gulation des émotions (REGEMO). Pour ce faire, nous avons utilise la DOE-36 (Dimension Ouverture Emotionnelle) a laquelle nous avons associe une auto-évaluation de l’alexithymie en adminis-trant simultanément la TAS-20 (Toronto Alexithymia Scale de Taylor, Bagby & Parker, 1992). Cet échantillon, constitue de 240 patients âgés de 16 à 75 ans, présente les caracté-ristiques démographiques suivantes : 71 sont classés comme état-limites, 82 comme névrotiques, 31 comme psycho-tiques, 6 comme troubles adolescentaires et 50 comme diagnostics non spécifiés. Les différences entre l’entrée et la sortie ont été testées pour chaque variable avec un t-test de Student pour données appa-riées (test t paire). La majorité des variables montre une dif-férence significative entre l’entrée et la sortie (cf Annexe IV). Les variables CO-MEMO, REGEMO et TAS-20 en particu-lier présentent une différence entrée/sortie nettement plus marquée, ce qui plaide en faveur d’une meilleure gestion des émo-tions tant sur le plan individuel que social a l’issue du traitement.

Symbolisation du changement Lors de leur hospitalisation, les patients sont amenés à réfléchir à ce processus de changement que ce soit au travers des ate-liers d’expression ou des entretiens psy-chothérapeutiques. D’autre part, ils sont encouragés à “matérialiser” ce processus d’évolution au travers d’une création per-sonnelle de “leur propre clé symbolique”. Le but étant de permettre au patient un tra-vail de symbolisation de leur voyage psy-chique à l’Hôpital de Jour. Cette activité a souvent l’art de réactiver leurs capacités de symbolisation, d’oni-risme, de souplesse, capacités souvent fi-gées sous l’éteignoir de la souffrance psy-chique. Le développement concernant la fonction sémaphorique de l’institution a introduit cette notion de médium malléable. Dans la Revue du Colloque 2014, G. Micko-lajack l’évoquait, en parlant de l’objet ainsi créé, mais également en parlant du thérapeute. Si nous élargissons notre vi-sion, cette « substance intermédiaire au travers de laquelle des impressions sont

transportées aux sens » pourrait s’appli-quer à l’ensemble de l’équipe, de la théra-pie voire de l’institution comme un mé-dium malléable. Cinq caractéristiques ont été définies par R. Roussillon : l’indes-tructibilité, l’extrême sensibilité, l’indéfi-nie transformation, l’inconditionnelle dis-ponibilité et l’animation propre (Roussil-lon, 1991).

Indestructibilité Malgré les constants mouvements pul-sionnels envers l’équipe et la structure, l’Hôpital de Jour a trouvé, depuis 40 ans, les moyens de les contenir, de les absor-ber, de les métaboliser et de les analyser. Pour ne pas imploser, les pare-feux comme les réunions d’équipes et les su-pervisions, sont indispensables afin de maintenir cette capacité d’accueil de la ré-alité psychique des patients.

Extrême sensibilité La proximité du groupe et de l’équipe per-met d’être au plus près des réalités vécues par les patients.

Indéfinie transformation « On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau du fleuve » disait Héraclite. A l’Hôpital de Jour La Clé, la constella-tion transférentielle et ses infinis mouve-ments, font en sorte que le moment vécu est unique. Si cette mutation constante est inhérente à la thérapie institutionnelle, le cadre est, lui, garant d’une certaine idée d’inflexibilité et d’intemporalité. Il devra aussi être réfléchi, réévalué et réapproprié par tout le monde.

Inconditionnelle disponibilité Nous pouvons tout entendre, mais le groupe et à travers lui la vie psychique qui lui est propre, primera si un de ses membres la met en danger. Ici, l’incondi-tionnalité reste particulièrement difficile-ment transposable à la vie institutionnelle.

Animation Propre Si nous arrivons à positionner notre insti-tution comme un médium malléable suf-fisamment efficace, les patients vont don-ner sens au travail de l’Hôpital de Jour, vont lui donner vie et le rendre animé.

Cas clinique Lors de notre présentation, 3 extraits vi-déo nous ont montré la réalité psychique d’une patiente avant, pendant et après son hospitalisation. Ce cas clinique fût choisi pour être présenté lors du colloque au vu de l’illustration de ce processus de chan-gement observé dans l’histoire de cette patiente. Madame A. est une patiente de 48 ans. Le motif d’admission est un épisode dépres-sif majeur. Début 2015, suite à une tenta-tive de suicide médicamenteuse, elle a été

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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hospitalisée dans le service de psychiatrie d’un hôpital général de la région. C’est un médecin de ce service qui a pro-posé à la patiente de poursuivre sa “reva-lidation” à l’Hôpital de Jour La Clé. Lors de l’entretien de pré-admission, on note des symptômes dépressifs de forte intensité : anhédonie, aboulie, pleurs, perte de poids... La profondeur du déses-poir de la patiente et sa rigidité nous ont particulièrement interpelés. Elle présente, et ce depuis de nombreuses années, de gros troubles relationnels tant au niveau familial que professionnel. Au moment de son entrée dans notre ser-vice, aucun investissement libidinal ne semblait émerger de cette personnalité ri-gidifiée. Son implication dans la vie du groupe fût, au début, très limitée. Elle était pourtant présente dans le groupe, elle en faisait partie, elle écoutait beaucoup, parlait peu. Parfois nous avons observé des manifes-tations pulsionnelles massives, des mo-ments de colères, vis à vis du groupe et de l’équipe. Elle était profondément sous le poids d’un contrôle de ses désirs. Petit à petit au travers des ateliers, notamment ceux axés sur l’aspect corporel, nous avons vu la vie progressivement réinté-grer ce corps vide de sens. Lors d’entretiens individuels, à contrario des ateliers d’expressions en groupe, elle élaborait, remettait sans cesse en question ses expériences passées et présentes. Il a fallu du temps, du soutien, pour que la patiente puisse à nouveau élaborer sur sa vie psychique et petit à petit appréhender

son mode de fonctionnement qu’elle a pu regarder d’un point de vue différent lors de son parcours grâce à une prise en char-ge psychothérapeutique aux multiples fa-cettes qui s’est révélée d’une grande ri-chesse. Lentement nous avons vu s’amorcer ce processus de mutation. La capacité de symbolisation est peu à peu réapparue chez la patiente. Si bien qu’elle a produit, via l’atelier « Ma Clé », un ob-jet particulièrement “parlant” (Annexe V). Elle a illustré sa capacité à intégrer le lien qui s’est développé entre elle et l’ins-titution. Par un jeu de représentation d’elle-même, elle a symbolisé son évolu-tion en appui sur un pilier. Ce pilier repro-duit étonnamment la sculpture qui orne l’entrée de l’Hôpital (Annexe VI). Cette sculpture ornementale est symbo-lique par bien des aspects, chacun y trou-vera la signification qu’il voudra y voir. Il a été demandé à l’artiste de créer libre-ment une œuvre d’art représentant l’Hô-pital de Jour. L’assise en triangle peut évoquer, entre autres, le triangle œdipien. Les strates de plus en plus convexes vers le haut symbo-lisent la possibilité de quitter le, trop con-traignant, principe de réalité. Pas de clé, mais un trou de serrure, lais-sant entrevoir l’avenir et la réactivation des capacités oniriques. L’animal chimérique, posé au sommet, est un être avec des caractères de lapin, d’oiseau, de chat... Il symbolise une forme de mixité et hybridité entre espèces diffé-rentes formant néanmoins un tout : il

semble saluer les patients qui entrent puis sortent de l’Hôpital de Jour, métaphore ar-tistique du cadre thérapeutique que l’on intègre et que l’on quitte quotidienne-ment...

Conclusion Un jeu de Clé(s), voilà une image faite sur mesure pour conclure notre réflexion. Si le changement est un processus émi-nemment personnel voire intime, cet ar-ticle tente de trouver les déterminants communs aux mouvements d’évolution des patients lors de leurs parcours en hô-pital de jour. Pour construire, pour grandir, pour évo-luer, le patient doit se trouver dans un cli-mat de sécurité, de portage qui est apporté par la structure ferme de l’hôpital, ainsi que par une équipe pluridisciplinaire et cohérente. Le patient est au centre de la prise en charge, il va, via les différents moments thérapeutiques (ateliers, entretiens psy-chothérapeutiques), être l’acteur principal de son changement. La thérapie institutionnelle est au cœur de notre philosophie de travail. La méta-ana-lyse de tous les enjeux qui en découlent est un défi que nous tentons de relever au jour le jour. Au rythme de chacun, nous veillons à ce que les psychés des patients puissent tra-verser les différentes phases jusqu’à ce qu’ils puissent conclure le parcours par un travail de symbolisation.

Annexe I Distribution des différents modes d’arrivée des patients, (n=170)

Source : Rapport d’activité 2013 (HJU La Clé)

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Annexe II Echelle STAR (J. BERTRAND, M. JADOT)

Axe 1 Axe 2 Axe 3

Symptômes cibles Attitude face aux symptômes Relations humaines

Disparition 3

Amélioration 2 2 2

Stagnation 1 1 1

Aggravation 0 0 0

Annexe III Distribution des patients en fonction de leur combinaison de scores sur l’échelle STAR (n = 170). On note qu’une majorité de patients sont évalués avec au

moins 1 item en amélioration (n=22), la cote la plus fréquemment retrouvée est 222 (n=36), ce qui signifie une amélioration sur les 3 axes. Source : Rapport d’activité 2013 (HJU La Clé)

Annexe IV Comparaison des scores aux échelles DOE-36 et TAS-20 évalués en début et fin d’hospitalisation.

Légende : REPCOG Représentation cognitive des émotions REGEMO Capacité de régulation des émotions COMEMO Capacité de communication des émotions RESNOR Restrictions normatives du vécu émotionnel PERINT Perceptions physiologiques internes TAS-20 Toronto Alexithymia Scale

PEREXT Perceptions physiologiques externes

ENTREE SORTIE

Variables Moyenne Ecart-type Moyenne Ecart-type p d

REPCOG 1.99 0.80 2.35 0.74 0.000001 0.46

COMEMO 1.60 0.78 2.08 0.72 0.000001 0.63

PERINT 2.30 0.74 2.18 0.78 0.014 0.16

PEREXT 2.18 0.80 2.09 0.65 0.085 -

REGEMO 1.38 0.83 1.92 0.76 0.000001 0.64

RESNOR 2.40 0.75 2.42 0.71 0.59 -

TAS-20 57.42 12.08 50.93 12.56 0.000001 0.58

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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Annexe V Photographie de l’objet réalisé par la patiente lors de l’atelier « Ma Clé »

Annexe VI

Photographie de la sculpture ornant l’entrée de l’Hôpital de Jour La Clé.

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Introduction L’Hôpital de Jour de Courte Durée (HJCD) « Dour-Tan » a ouvert ses portes au Centre Hospitalier Guillaume Régnier (CHGR), hôpital psychiatrique de Ren-nes, en juin 2012. Cet outil de soins a été créé par l’établis-sement dans une période particulière qui faisait suite à plusieurs années de majora-tion des demandes d’hospitalisation abou-tissant à un surencombrement de l’établis-sement, notamment de ses unités d’admis-sions. Cette augmentation des besoins, ressentie et identifiée sur l’ensemble du territoire français (Cases C., 2004), était en lien avec une nette augmentation de la popula-tion rennaise, des files actives et de l’acti-vité sur ces dernières années, le nombre de lits restant constant sur l’établissement. Le tout aboutissant à une saturation des services, alors même que les durées

d’hospitalisation complète étaient en di-minution, ainsi qu’à une altération de la qualité des soins. Des moyens de soins supplémentaires étaient donc indispensables à court terme. Deux services du CHGR ont souhaité les privilégier en dehors de l’hospitalisation complète en proposant une alternative supplémentaire aux outils thérapeutiques déjà existants, notamment en phase aigüe de la pathologie, en proposant via cet hô-pital de jour mutualisé, des soins intensifs ambulatoires regroupés sur la journée.

Concept Le concept initial était donc la création d’un hôpital de jour de courte durée, pro-posant des prises en charge d’une durée moyenne de quelques semaines pour des problématiques psychiatriques aigües à subaiguës.

Ce projet place le patient dans une pers-pective plus active et plus dynamique, en visant une rémission symptomatique et fonctionnelle à court terme dans certaines situations cliniques habituellement plutôt prises en charge en unité d’hospitalisation complète. L’hôpital de jour de courte du-rée a été pensé comme une alternative qui, lorsqu’elle est possible, est préférable pour le patient. En effet la modalité de prise en charge à la journée est souvent mieux acceptée par le patient et sa famille, ce qui influe sur l’engagement dans les soins (Seulin C., 1995). Elle permet éga-lement de diminuer les complications liées à l’hospitalisation complète, la stig-matisation, l’évolution vers la régression (Ferrero F., 1986) et la chronicité ; le tout à moindre coût et, du fait de son implan-tation sur le site, en utilisant de façon op-timale les ressources du plateau technique du Centre Hospitalier Guillaume Régnier. L’hôpital de jour de courte durée assure des soins polyvalents individualisés en fa-vorisant le maintien des patients dans leur milieu habituel de vie. C’est un espace in-termédiaire, un lieu temporaire permet-tant au patient de continuer à investir ou de réinvestir son propre lieu de vie. Chaque soir constitue un point d’appui à la dynamique des soins (Barrelet L., 1983). L’hôpital de jour de courte durée permet d’accueillir aussi bien des patients connus que des premières admissions et propose à la fois des admissions directes, des re-lais d’hospitalisation, et des accueils de week-end. Les admissions directes ont lieu en phase aigüe ou subaiguë, dans un but thérapeu-tique ou préventif. Il peut s’agir d’hospi-talisations en urgence, d’hospitalisations programmées, ou de séjours de rupture. Les relais d’hospitalisation doivent per-mettre de raccourcir les durées d’hospita-lisation complète, de consolider la rémis-sion clinique et d’insister sur le travail de

L’hôpital de jour « Dour-Tan » a été créé en Juin 2012, au Centre Hospitalier Guillaume Régnier, dans l’idée de proposer une alternative aux hospitalisations temps plein, pour des troubles psychiatriques aigüs ou subaigüs. Cet hôpital de jour de courte durée accueille des patients, déjà suivis ou non, en admission directe afin d’éviter une hospitalisation temps plein. Il propose également des relais pour des patients en hospitalisation complète, permettant ainsi un retour au domicile plus rapide. Cet outil de soins se situe dans une perspective active et dynamique, qui vise une rémission symptomatique et fonctionnelle à court terme en proposant des soins polyvalents et en favorisant le maintien des patients dans leur milieu de vie habituel. L’hôpital de jour n’est exclusif d’aucune pathologie, dès qu’il y a chez la personne l’autonomie suffisante et le consentement aux soins. Cette modalité de prise en charge est souvent mieux acceptée par les patients et leurs familles. Cet article nous permettra de revenir sur la genèse du projet, les principes et modalités de fonctionnement de l’unité, le rythme des soins, les principes thérapeutiques. Puis nous terminerons par une analyse de notre activité sur l’année 2014. Mots-clés : hôpital de jour, soins aigüs, intensif, courte durée, autonomie

Emphasize even outpatient acute phase Experience a brief psychiatric day hospital

The day hospital “Dour-Tan” was founded at psychiatric hospital “Centre Hospitalier Guillaume Régnier”, Rennes, France, on June 2012. The main objective is to offer an alternative approach to full-time hospitalization in the cases of acute and subacute disorders. This short-stay day hospital receives patients, already followed or not, with a direct admission, in order to avoid a full-time hospitalization. The Dour-Tan day hospital can also represent a stepping stone for patients coming from full-time hospitalization, enabling to fasten the transition from hospital to home. This structure puts the patient in a more active and dynamic behavior, aiming at a short-term clinical remission, by offering polyvalent cares and favoring keeping patients as much as possible in their living environment. There are no restrictions in terms of targeted disorders, as long as the patient is autonomous enough and consents to treatment. Such a day hospitalization is often better accepted by patients and their relatives. In this paper, we present the genesis of the Dour-Tan project, its therapeutic approach, its main modalities, and the various cares which are offered. The paper ends with a synthetic report of its activity for year 2014. Keywords : day hospital, acute care, intensive, short stay, autonomy

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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liens avec les structures de soins qui ac-cueilleront le patient au décours de leur prise en charge à l’hôpital de jour de courte durée. Les accueils de week-end, comme un deu-xième projet au sein du projet initial, doi-vent permettre d’accueillir les patients déjà pris en charge la semaine sur l’hôpi-tal de jour, mais ils sont également propo-sés à une population non prise en charge la semaine par notre structure. Il peut s’agir de patients suivis dans un centre médico psychologique, en consultation li-bérale, de patients pris en charge sur d’autres hôpitaux de jour en semaine, qui nécessitent soutien et étayage soignant les week-ends et qui jusque-là ne pouvaient le trouver qu’en hospitalisation complète sur le temps du week-end. Les spécificités de cette structure sont : l’accueil d’une population adulte, pour une durée de séjour variant de quelques jours à quelques semaines au maximum, et des soins dispensés 7 jours sur 7.

Structure La structure a été créée en Juin 2012, au sein de l’établissement Guillaume Ré-gnier, dans des locaux déjà existants, ré-habilités pour le projet. Sur le plan architectural elle s’étend de plein pied, sur un seul niveau, et com-prend deux ailes principales réparties au-tour d’une véranda centrale donnant sur un jardin. L’entrée pour les patients s’ef-fectue par ce jardin, et l’accueil dans la véranda. La véranda centrale est donc utilisée pour les temps d’accueil du matin, et de prépa-ration au retour au domicile en fin d’après-midi. Elle sert également au temps du repas du midi et aux temps libres. Son orientation sur le jardin en fait un puits de lumière et un lieu convivial ouvert sur l’extérieur. Autour de cette vé-randa, deux ailes sont réservées aux soins : une première où sont répartis les bureaux médical, infirmier, la salle de soins, la pharmacie, une salle de repos, une chambre à deux lits, et une seconde réservée aux activités thérapeutiques. L’hôpital de jour Dour-Tan étant une structure mutualisée nous accueillons les patients de deux secteurs géographiques de Rennes (secteurs G5 et G10). Il s’agit de deux secteurs urbains. L’hôpital de jour est situé de manière centrale et faci-lement accessible depuis ces deux sec-teurs géographiques, et au sein de l’hôpi-tal psychiatrique Guillaume Régnier. Il a été choisi pour cet hôpital de jour le nom breton de Dour Tan, dans l’idée de s’harmoniser avec les hôpitaux de jour déjà existants sur le secteur G10 (« Ster-gann » et « Pen-Ty »). Dour Tan signifie « le phare », symbole positif qui guide et

indique une direction notamment durant les soins. La structure est ouverte tous les jours de l’année, 7 jours sur 7, y compris les jours fériés. Sa capacité d’accueil est de 20 pa-tients.

L’équipe soignante Elle est composée d’un médecin psy-chiatre, d’un cadre de santé, de 7 infir-miers, de 2 agents hôteliers, d’une psy-chologue et d’un médecin généraliste. Dès le début de la prise en charge des pa-tients dans notre unité, nous travaillons en étroite collaboration avec leurs deux sec-teurs de rattachement. Ceci dans un souci de continuité du lien thérapeutique. Une attention particulière est accordée au tra-vail de transmission entre les équipes in-firmières et les médecins référents de chaque patient. Chaque patient peut, du-rant la prise en charge, débuter, reprendre, ou poursuivre sa psychothérapie sur son secteur d’origine. Nous sommes égale-ment très en lien avec les assistantes so-ciales des secteurs.

Les critères d’admission Comme sur d’autres structures de jour et pour d’autres équipes, la question des cri-tères d’admission s’est également posée (Bouvet C, 2006). Par principe, l’hôpital de jour de courte durée n’est exclusif d’aucune pathologie, dès qu’il y a chez la personne l’autonomie suffisante et le con-sentement aux soins. Les facteurs limi-tants se situent également en termes d’in-tensité des symptômes, de comportement suffisamment adapté, de facteurs environ-nementaux suffisamment favorables pour permettre un retour au domicile le soir. Concernant les hospitalisations sous con-trainte, le cadre de l’hospitalisation de jour ne nous permet pas d’admission di-recte en soins à la demande d’un tiers (SDT), ou à la demande du représentant de l’état (SDRE) sur l’hôpital de jour de courte durée, mais nous proposons des prises en charge dans le cadre de pro-grammes de soins, souvent en relais d’hospitalisations complètes.

Les modalités d’admission Les admissions se font sur indication mé-dicale, d’un médecin psychiatre : psy-chiatres des deux secteurs G5, G10, des urgences, du service d’accueil et d’orien-tation du CHGR, ou psychiatres libéraux. Les demandes nous sont adressées par contact téléphonique et via une fiche mé-dicale de liaison. Cette fiche médicale re-prend l’ensemble des caractéristiques in-dividuelles (nom, prénom, date de nais-sance, adresse, mesure de protection

L’AUTEUR Docteur Amélie DEROUET Psychiatre Centre Hospitalier Guillaume Régnier 108 Avenue du Général Leclerc 35703 Rennes France [email protected]

BIBLIOGRAPHIE 1. BARRELET L. (1983), Nouvelle approche pour la prise en charge institutionnelle : l’exem-ple du Centre thérapeutique de jour de Ca-rouge (Genève), Médecine & Hygiène, vol. 41, pp. 3156-3162 2. BOUVET C. (2006), Les indications vers un centre de soins de réadaptation : Étude compa-rative des patients admis et non admis dans un hôpital de jour proposant des soins de réadap-tation, L’information psychiatrique, vol. 82, pp. 149-154 3. CASES C., SALINES E. (2004), Statistiques en psychiatrie en France : données de cadrage, Re-vue française des affaires sociales, vol. 1, num 1., pp. 181-204 4. FERRERO F., BARRELET L. (1986), Chapitre 8 : Intervention de crise et dispositifs de sec-teur, In : A. Andreoli J. Lalive G. Garrone, Crise et intervention de crise en psychiatrie, SIMEP 5. POMINI V., GOLAY P., REYMOND C. (2008), L’évaluation des difficultés et des be-soins des patients psychiatriques Les échelles lausannoises ELADEB, L’information psychia-trique, vol. 84, pp. 895-902 6. SEULIN C., DAZORD A. (1995), Processus psychothérapique dans un hôpital de jour : ré-sultats d’une enquête et intérêt des données qualitatives, L’Encéphale, ISSN 0013-7006, vol. 21, num. 3, pp. 235-245 7. WALTER M., TOKPANOU I. (2003), Identifi-cation et évaluation de la crise suicidaire, An-nales Médico-psychologiques, Elsevier, vol. 161, num. 2, pp. 173–178.

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Privilégier l’ambulatoire même en phase aigüe : l’expérience d’un hôpital de jour de courte durée en psychiatrie

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 61

éventuelle, personne de soutien, etc) et des éléments cliniques nécessaires à l’évaluation de la situation par l’équipe de l’HJCD : motif de la demande de soins, état clinique du patient et symptômes cible, objectifs de la prise en charge à l’HJCD, outils de soins déjà existants, et prise en charge en soins libres ou en pro-gramme de soins. Elle comprend égale-ment à titre indicatif, pour aide à la pres-cription, un tableau récapitulatif des situa-tions cliniques et des facteurs environne-mentaux favorables ou limitant les prises en charge à l’HJCD. A la réception de la demande de soins par l’équipe de l’HJCD, un entretien de pré admission est proposé au patient. Cet en-tretien peut, en fonction des besoins, être proposé très rapidement (le jour même ou dans les 48 heures), ou programmé, l’im-portant, dans ce type de projet, étant de pouvoir traiter les demandes de manière réactive et proposer des admissions ra-pides lorsque nécessaire. L’entretien de pré admission est réalisé par le psychiatre de l’unité et un membre de l’équipe infirmière, à l’HJCD. Cette première rencontre permet de préciser l’historique des troubles, d’évaluer leur intensité, les facteurs psychosociaux pré-cipitants ou protecteurs, la pertinence de la prise en charge à l’HJCD, les objectifs thérapeutiques, la durée des soins et leur fréquence. Cet entretien va permettre de définir un premier programme de soins personnalisé du patient, qui s’apparente à un contrat thérapeutique (Barrelet L., 1983), ainsi qu’une date d’admission, et d’initier sa prise en charge. Cet entretien permet éga-lement de présenter l’unité au patient, de lui faire visiter la structure, de lui présen-ter l’équipe, l’organisation des soins et les activités thérapeutiques proposées. Suite à cela l’équipe de l’HJCD reprend contact avec l’équipe qui adresse le pa-tient (service, centre médico psycholo-gique, psychiatre libéral), transmet les in-formations relatives à l’admission en cours (date et des modalités d’admission définies lors de l’entretien de préadmis-sion) et au programme de soins initié.

Déroulement d’une journée type La journée de soins commence par un temps d’accueil le matin entre 9h30 et 10h. Ce temps permet une reprise de con-tact du patient avec les soignants et le lieu de soins après la rupture de la nuit. C’est un temps qui permet la reprise des soins avec l’évaluation du déroulement de la soirée de la veille et de l’état de santé du patient en début de journée, et l’organisa-tion de la journée. La matinée est consacrée aux entretiens, médicaux, infirmiers, psychologues, aux

activités thérapeutiques et aux rendez-vous divers. Le repas du midi est un repas thérapeu-tique auquel participent 2 soignants. Il permet également l’évaluation des moda-lités relationnelles du patient, de ses com-pétences fonctionnelles, de son hygiène de vie, de ses conduites alimentaires. Le temps de l’après-midi commence par un temps de transmissions pour l’équipe, d’une trentaine de minutes. C’est un temps libre pour les patients qu’il est né-cessaire d’anticiper et d’expliquer, car pas toujours facile pour eux à investir. Le con-tenu de l’après-midi est assez similaire à celui de la matinée et centré sur la reprise des entretiens et des activités thérapeu-tiques. La journée de soins se clôture entre 16h30 et 17h30 sur un moment convivial autour d’un goûter. Il est accordé une attention particulière à ce moment qui doit per-mettre au patient de quitter l’unité en se projetant sur une interruption des soins durant laquelle il testera son autonomie, devra investir sa soirée et son lieu de vie, avant de reprendre les soins le lendemain matin.

Les actions thérapeutiques Les soins proposés par l’hôpital de jour de courte durée sont des soins polyvalents et individualisés (Ferrero F., 1986), adaptés aux demandes du médecin qui adresse, aux besoins du patient, et aux difficultés identifiées durant la prise en charge. Le projet de soins est individualisé et person-nalisé. Les actions proposées peuvent être des ac-tions d’évaluation : des symptômes, de leur intensité, de l’autonomie du patient notamment par rapport à son traitement, de ses habiletés sociales. Des outils d’éva-luation peuvent nous servir de support pour cette évaluation, comme par exemple le RUD (Risque Urgence Dange-rosité) concernant le risque suicidaire (Walter M., 2003), ou l’échelle ELADEB (échelle Lausannoise d’autoévaluation des difficultés et des besoins) concernant les difficultés et les besoins du patient (Pomini V., 2008). Il peut s’agir d’actions thérapeutiques ci-blées, par des instaurations ou des adapta-tions thérapeutiques. Elles ciblent l’en-rayement d’un processus aigu, une conso-lidation clinique, une surveillance d’un traitement d’entretien (traitement par Zy-padhera® par exemple). Il peut s’agir également d’actions de pré-vention, par des séjours séquentiels, par des hospitalisations programmées, ou par un travail d’éducation à la santé. Une attention particulière est également accordée au maintien ou à la reprise d’autonomie.

Ainsi chaque soirée constitue un point d’appui à la dynamique des soins à l’HJCD (Barrelet L., 1983). Par ailleurs, toute démarche allant vers un réinvestis-sement du patient à l’extérieur (réinser-tion sociale, professionnelle) et en dehors du soin est valorisée. Chaque patient peut voir ses soins aménagés autour de ses dé-marches personnelles de réinsertion.

Activités thérapeutiques et autres actions spécifiques proposées

Les activités thérapeutiques sont diversi-fiées et ciblent 4 axes principaux, à sa-voir : - L’anxiolyse : via la relaxation, la bal-néothérapie, la gymnastique douce, la marche. - L’expression des émotions : via les arts créatifs, l’art floral, la musique, l’écri-ture. - La restauration narcissique : via l’at-tention portée au patient, la valorisation de ses compétences, via des soins de bien-être et d’esthétique. - Le maintien de la santé : via des ap-proches de sensibilisation concernant l’hygiène de vie (le sommeil, l’alimenta-tion, la gestion du traitement) et l’éduca-tion thérapeutique du patient, et par l’orientation vers des programmes psy-choéducatifs spécifiques concernant la maladie.

D’autres actions spécifiques sont propo-sées : - Les évaluations à domicile : elles sont proposées dans des situations bien spéci-fiques, soit par l’équipe elle-même en cas de besoin ponctuel ou d’absence pré-occupante du patient, soit en partenariat avec le service d’ergothérapie du CHGR (service d’ergothérapie et d’intervention à domicile ou SEDOM). Ces évaluations à domicile permettent une vision com-plémentaire des difficultés et besoins du patient. Elles peuvent déboucher sur des interventions programmées, et parfois durables, pour le traitement des difficul-tés identifiées. - La reprise de la socialisation (Barrelet L., 1983) : la prise en charge en elle-même relance cette dynamique de rela-tion à l’autre, par le contact avec les soi-gnants, avec les autres patients, par la re-prise pour certains d’un rythme de vie compatible avec une vie sociale et des activités. Durant la prise en charge nous incitons et accompagnons nos patients vers une reprise du lien social et la fré-quentation de lieux d’activités, soit en lien avec les soins (comme les ateliers d’ergothérapie extériorisés ou les groupes d’entraide mutuelle), soit en de-hors du soin (associations, maisons de quartiers, centres départementaux d’ac-tion sociale ou CDAS).

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 62

- Le travail des relais : nous accordons une grande attention, notamment en fin de prise en charge, au travail des relais avec les partenaires (soignants et autres). Un accompagnement des patients vers leur(s) lieu(x) de soins ultérieurs est pro-posé, avec une visite des structures (centres médico-psychologiques, centres d’activités thérapeutiques à temps par-tiel, unité d’ergothérapie extériorisée, autres hôpitaux de jour). Enfin un compte-rendu d’hospitalisation est sys-tématiquement rédigé et adressé, avec l’accord du patient, aux médecins parte-naires (traitant, psychiatre).

Quelques indicateurs Sur l’année 2014, l’hôpital de jour de courte durée a pris en charge 158 situa-tions. Concernant la provenance des patients, il s’agissait d’entrées directes dans 38% des cas, et d’entrées mutations, donc de relais après une hospitalisation temps plein, dans 62% cas, avec une légère majorité de femmes (56% de femmes et 44 % d’hommes). L’âge moyen des patients était de 40 ans, avec une forte disparité (âges compris entre 18 et 75 ans). Concernant le type de pathologies prises en charge, une majorité des patients pré-sentait des troubles schizophréniques (40,5%) et des troubles de l’humeur (30,7%), puis des troubles de l’adaptation, de la personnalité et autres troubles (28,8%). La durée moyenne de séjour était de 14 jours. Ceci correspond au nombre de jours

de présence moyen des patients sur l’unité (il peut s’agir de 14 jours en continu, ou en discontinu, la durée réelle du séjour étant alors plus conséquente). Concernant les relais proposés à la fin de la prise en charge à l’hôpital de jour de courte durée, il s’agissait en grande majo-rité d’un relais vers les centres médico-psychologiques, les centres d’activité thé-rapeutiques à temps partiel, le psychiatre traitant libéral, ou le médecin généraliste. Des relais ont également eu lieu vers des hôpitaux de jour proposant des prises en charge plus longues. Pour certaines situa-tions une hospitalisation complète s’est fi-nalement avérée nécessaire. Celle-ci pou-vant d’ailleurs déboucher à nouveau sur un relais à l’hôpital de jour de courte du-rée. Enfin dans de rares situations le pa-tient ne souhaitait pas de suivi au décours de sa prise en charge à l’hôpital de jour de courte durée. Dans ces situations les coor-données du centre médico-psychologique de son secteur lui sont remises lors de la sortie. Pour une grande majorité des patients la prise en charge à l’hôpital de jour de courte durée a été vécue de manière très positive, avec une bonne adhésion, une bonne implication dans les soins, et une évolution favorable permettant d’éviter l’hospitalisation temps plein.

Conclusion Dans cet article nous avons présenté le projet et la mise en place d’un hôpital de jour de courte durée en psychiatrie au Centre Hospitalier Guillaume Régnier de Rennes.

L’objectif de ce nouvel outil de soins était de proposer une alternative supplémen-taire aux hospitalisations temps plein, soit par des admissions directes, permettant d’éviter l’hospitalisation temps plein, soit par des relais permettant d’écourter l’hos-pitalisation temps plein. Les particularités de ce dispositif de soins sont de proposer une prise en charge intensive du patient, sur des durées courtes de quelques se-maines en moyennes, via un hôpital de jour ouvert 7 jours sur 7. Les moyens né-cessaires pour développer un projet de ce type sont un personnel qualifié, multidis-ciplinaire, une disponibilité particulière des soignants, et un travail de collabora-tion étroite avec les secteurs ou soignants référents du patient en amont et au dé-cours de leur prise en charge à l’HJCD. Le bilan, après 3 années d’exercice, est que, pour une grande majorité des patients admis à l’HJCD, l’hospitalisation com-plète est évitée et que l’insistance sur le travail des relais permet une sortie sécuri-sée du patient à la fin de sa prise en charge. Cet hôpital de jour de courte durée reste, à l’heure actuelle, le seul outil de ce type sur l’établissement. Il permet d’ac-cueillir une partie de la population ren-naise correspondant uniquement à deux secteurs de la ville. Les résultats actuels nous laissent penser que ce modèle de soins constitue un complément straté-gique à l’offre de soins ambulatoire per-mettant de pallier davantage les hospitali-sations temps plein et que son extension au-delà des secteurs actuellement concer-nés serait profitable au reste de la popula-tion rennaise.

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Introduction L’espace de soin et de médiation (ESM) est un accueil de jour à temps partiel, thé-rapeutique, éducatif et pédagogique. Ou-vert en 2007 au sein de la Maison des Adolescents du Calvados (MDA14), il est, historiquement, le prolongement d’une équipe mobile de soins destinés aux adolescents hospitalisés en service de psychiatrie d’adultes, à l’EPSM de Caen. Comme dans tout le dispositif de la MDA14, l’équipe de l’ESM souhaite s’inscrire dans une prise en charge globale de l’adolescent en multipliant les regards et les approches : soignante, éducative, sociale et pédagogique. L’équipe est ainsi composée de professionnels issus de l’hô-pital psychiatrique, de l’Education Natio-nale et du champ socio-éducatif. Si les différences entre les formations initiales de chacun, les milieux professionnels d’où nous venions, nos référentiels, nos modes de lecture pouvaient être une véri-table richesse dans le regard que nous por-tions sur les adolescents, il nous a fallu quelques années pour trouver une com-préhension des problématiques et un lan-gage suffisamment communs... au risque de laisser certaines questions de côté,

comme ce fut le cas de la question de la fin de la prise en charge.

Modalités de prise en charge à l’Espace de Soin et de Médiation

Nous disposons de 10 places d’accueil, 5 au titre de l’hôpital de jour et 5 au titre du médico-social, de par notre montage ad-ministratif original. Nous y recevons des jeunes de 12 à 18 ans à raison d’une à quatre demi-journées par semaine, pour des problématiques di-verses mais dont le dénominateur com-mun est la difficulté d’intégration dans le monde usuel, celui de l’école ou des lieux de formation, celui des pairs et de la so-ciété, mais aussi celui de la famille ou d’autre lieu de vie (famille d’accueil, foyer…). Toutefois, on peut distinguer 2 grandes catégories de symptômes condui-sant à une admission : la 1ère est celle des troubles du comportement, qui existent souvent de longue date et peuvent s’ins-crire dans des troubles de personnalité sur fond de failles narcissiques massives, des dysharmonies évolutives de l’enfance, ou des troubles émergents de type dépressif ou psychotique lors de troubles du com-portement plus récents. Les autres types

de symptômes sont des difficultés à fré-quenter l’école en raison de phobies sco-laires, de phobies sociales, d’inhibitions, d’angoisses de séparation ou de mouve-ments dépressifs, et le plus souvent la combinaison de ces différents facteurs. De notre point de vue, ces problématiques s’ancrent aussi bien dans le champ de la psychopathologie individuelle et fami-liale que dans celui de l’éducatif. C’est ce pourquoi l’équipe en lien direct avec les adolescents est composée d’infirmiers, d’éducateurs spécialisés et d’un ensei-gnant, au sens où ces métiers sont en com-plémentarité opérante pour la plupart de ces adolescents. Au-delà d’hypothèses de compréhension à la fois psychodyna-miques et systémiques, un travail de par-tenariat étroit avec les autres services en charge de l’adolescent est indispensable, que ces services soient du champ du sco-laire, du sanitaire, du socio-éducatif ou du handicap. La prise en charge des adolescents s’ef-fectue dans un collectif restreint (maxi-mum 12 jeunes accueillis en même temps dans la structure), avec un taux d’encadre-ment important d’un adulte pour 2 jeunes en moyenne. Nous utilisons comme support à la rela-tion et à la parole les activités de média-tion : corporelles, manuelles, d’expres-sion, pédagogiques ou socialisantes. Les principaux axes de travail des médiations sont l’intégration dans le groupe de pairs, le travail de confiance et d’estime de soi, le travail autour de l’image corporelle, le réinvestissement de la pensée et de pos-sibles projets. La participation à tel ou tel groupe est autant déterminée par la mé-diation en elle-même que par la dyna-mique que nous présupposons de ces groupes fermés. Pendant les temps inters-titiels où tous les jeunes se croisent, la part d’accompagnement éducatif est plus large. La permanence de lieu, la pérennité des temps d’accueil et encore plus des personnes, soignants et pairs apportent

Après quelques années d’expérience, l’équipe de l’Espace de Soin et de Médiation constate que les sorties des adolescents de l’hôpital de jour sont peu satisfaisantes, pour les jeunes comme pour les professionnels. La question de la séparation, inhérente à la problématique d’adolescence, était contournée. Afin de mettre cette question au cœur du travail de l’hôpital de jour, l’équipe décide d’aménager différemment la prise en charge, notamment en introduisant une temporalité spécifique dans la prise en charge et en abordant d’emblée la sortie à venir…au plus tard à 18 ans. Nous présentons ici les outils que nous avons mis en place pour travailler cette sortie dans le souci de rendre ce temps de la prise en charge thérapeutique : le groupe de parole des jeunes en partance et l’accueil libre dit « auto-prescription ». Quelques exemples cliniques illustrent les enjeux de cette mise au travail de la séparation. Mots-clefs : adolescence, hôpital de jour, séparation, groupe de parole, fin de prise en charge

Leaving the day hospital: how to give a therapeutic dimension at the end of the treatment of adolescents

After a few years of experience, the team of the “Espace de Soin et de Médiation” noted that the releases of the adolescent day hospital are unsatisfactory for young people as for professionals. The question of separation inherent in adolescence problematic, was avoided. To treat this subject, the team decides to develop differently the care in the day hospital, including the introduction of temporality in the processing and talking immediately the next release …at the latest 18 years. We present here the measures we have implemented to work this release in order to make therapeutic this time of the care: the speaking group of young people leaving and free reception called "auto-prescription ". Some clinical examples illustrate the issues of this work of separation. Keywords: adolescence, day hospital, separation, group therapy, end of care

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 64

une sécurité indispensable à l’investisse-ment de ce lieu et à la possibilité de l’uti-liser comme un espace thérapeutique.

De la difficulté à penser la séparation aux remaniements de la proposition

de soin Après 5 années de fonctionnement, l’équipe a constaté qu’à défaut de s’inter-roger sur la fin de la prise en charge avec le jeune et ses parents, celle-ci finissait toujours par se déliter ou être escamotée. Petit à petit, certains jeunes manifestaient une lassitude, une démotivation vis à vis des médiations... avec un absentéisme de plus en plus marqué. Les jeunes finis-saient par ne plus venir sans que cela puisse être parlé ou reparlé, ils actaient pour nous la séparation. L’équipe restait alors avec le sentiment d’un travail non accompli. Et, pour ces adolescents, il est possible, bien qu’ils aient été acteurs de la rupture, qu’ils en aient gardé un sentiment d’abandon, de lâchage, bien peu structu-rant pour eux. D’autres jeunes, au contraire, conti-nuaient à venir à l’ESM, bien qu’irrégu-lièrement, et leur prise en charge ne pre-nait plus sens pour eux, ni pour l’équipe. Pour autant, l’équipe avait bien du mal à mettre fin à ces prises en charge... et, ré-gulièrement, l’équipe demandait à ce que l’âge de sortie de l’ESM soit retardé, 19 ans, puis 20 ans... c’était sans fin ! Il y avait là une forme d’évitement pour ne pas travailler la séparation : la difficulté à se séparer était notable tant pour les jeunes que pour l’équipe. Car la fin de prise en charge, c’est aussi regarder l’écart entre ce que nous avions projeté initialement, la réalité du projet engagé et l’aboutissement. Cela peut acti-ver du déplaisir et de la déception. Proba-blement que dans notre toute jeune struc-ture, nous n’avions pas envie de regarder nos “échecs”, et tentions de reculer cette échéance. Pour autant, la séparation ne peut pas être évitée. Nous avons constaté combien cette posi-tion de l’équipe rendait plus difficile le départ des adolescents de l’ESM et que nous escamotions ainsi l’accompagne-ment du processus d’individuation-sépa-ration propre à l’adolescence, décrit par Peter Blos. Se posait alors la question de comment soigner et penser la dernière étape de la prise en charge à l’ESM pour mieux se séparer ? Nous avons alors repensé les prises en charge, leur inscription dans le temps et la nécessité d’un travail au plus tôt concer-nant la sortie de l’ESM, et de là, la possi-bilité d’un véritable travail autour des questions de séparation et dépendance chez les adolescents.

Dès le début, quelque chose est dit de cette séparation à venir, dans le sens où la prise en charge est limitée dans le temps, au maximum à l’échéance des 18 ans. Il s’agit d’un repère temporel connu de tous, c’est la loi du temps. Les bilans intermé-diaires de prise en charge sont de véri-tables moments où la séparation est mise en scène, puisque la question de continuer ou de s’arrêter s’y trouve posée. Pour structurer de manière plus lisible pour tout le temps de prise en charge, l’équipe a fait évoluer l’organisation de l’ESM en 3 temps successifs de prise en charge avec : - un temps d’évaluation et d’observa-tion, nommé « Groupe entrants », de 2 à 4 mois, où il s’agit essentiellement de travailler “l’accroche” avec le jeune et élaborer son projet de soin à l’ESM. - un temps de prise en charge avec des médiations spécifiques, qui se décline en cycle d’une vingtaine de semaines, re-nouvelable autant de fois qu’utile au jeune. Le projet de soin évolue lors des synthèses pluridisciplinaires et des bi-lans avec le jeune et sa famille. - un temps de travail de la sortie de l’ESM, qui s’articule autour du « Grou-pe de parole de Jeunes en Partance ».

La fin de la prise en charge des jeunes à l’ESM s’envisage dans trois situations : - dans le meilleur des cas, elle est déter-minée par l’atténuation des symptômes, une insertion scolaire ou professionnelle, la reprise d’une vie sociale de meilleure qualité et la possibilité de poursuivre un travail thérapeutique en individuel. - Pour d’autres, l’arrêt s’impose en rai-son de leur âge et des limites d’accueil que nous nous sommes fixées. Les 18 ans viennent alors marquer la fin de la prise en charge à l’ESM, avec un relais vers d’autres structures du champ du soin, de la Protection de l’Enfance ou du handicap, qui s’est travaillé au cours des derniers mois de prise en charge. - Il arrive aussi que nous décidions d’ar-rêter la prise en charge avant la majorité malgré la persistance de certains symp-tômes, lorsque nous pensons que notre structure ne peut pas apporter plus à ce jeune ou que la prise en charge ne prend plus de sens pour les uns et les autres.

Quoiqu’il en soit, la fin de la prise en charge à l’ESM a pu être anticipée et pen-sée avec le jeune et sa famille. L’arrêt dé-finitif est alors programmé pour le cycle suivant : l’intégration du groupe de parole des jeunes en partance vient symboliser le début du processus de sortie et de sépara-tion. A l’issue des 8 séances du groupe de parole, le jeune sort de la structure, il n’y est plus attendu de manière programmée et contractualisée. Toutefois, le travail de séparation peut se poursuivre, si besoin,

par la fréquentation d’un temps d’accueil libre, que nous nommons « Auto-pres-cription ».

Le groupe de parole des jeunes en partance : un cheminement

progressif vers une séparation Afin de travailler cette fin de la prise en charge à l’ESM, nous avons pensé la mise en place d’un groupe de parole fermé, qui se déroule sur 8 séances hebdomadaires de ¾ d’heure. Le groupe a lieu le mercredi en fin de journée en dehors des vacances scolaires. Il peut se dérouler au maximum 2 fois par an, comme les autres cycles. Le groupe accueille l’ensemble des jeunes pour qui une décision de sortie a été prise, le nombre de jeunes varie donc d’un cycle à l’autre. Idéalement composé pour la dyna-mique de groupe, de 4 à 6 jeunes, il n’a jamais dépassé 5 jeunes et ne se tient pas si le nombre de participants initiaux est in-férieur à 3. Afin de créer une cohésion suffisante à la venue dans le groupe, nous proposons préalablement 2 temps d’accueil à l’en-semble des jeunes de ce groupe à venir. Cela leur permet de s’identifier, car tant bien même qu’ils sont pris en charge de longue date à l’ESM, certains d’entre eux ne se sont que croisés en raison de par-cours pour soin bien différents. Les règles de fonctionnement sont fixées en groupe à la première séance. Nous in-sistons sur les questions d’écoute mu-tuelle et du respect de la parole de l’autre, la prise de parole se fait au rythme de cha-cun. Ce qui est dit dans le groupe reste dans le groupe sauf si le jeune était amené à exprimer des éléments inquiétants qui nécessiteraient une forme de protection. La participation au groupe est un engage-ment sur les 8 séances et un calendrier des rencontres est remis à chaque participant. En cas d’absence, le jeune se doit d’en in-former son référent afin que nous puis-sions le relayer auprès du groupe. En cas de refus de poursuivre la participation au groupe de parole, la sortie de l’ESM est prononcée de manière prématurée. Les objectifs du Groupe sont de clore avec les jeunes le travail thérapeutique mené à l’ESM et de se donner du temps pour se dire au revoir, avant de partir. Pour cela, nous proposons aux jeunes de : - revisiter, relire leur parcours de soin ; - relier, reconnecter le passé au présent pour pouvoir aborder l’avenir... - partager leur expérience individuelle de leur intégration à l’ESM, car il y a certes un trajet commun, mais chacun y a mené un parcours singulier. - Echanger autour de ce que l’ESM a pu leur apporter et éventuellement de ce que cela pourrait apporter à d’autres.

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Quitter l’Espace de Soin et de Médiation : donner une dimension thérapeutique à la fin de la prise en charge des adolescents

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 65

- Partager leurs projets et leurs projec-tions dans l’avenir, et les doutes atte-nants, se soutenir mutuellement dans leurs projets et dans leur nécessaire dé-part de l’ESM.

En parallèle à la participation à ce groupe de parole, le jeune est reçu par son réfé-rent en entretiens individuels et c’est aussi l’occasion de reprendre et d’analyser avec le parcours réalisé au sein de l’ESM, à partir d’éléments de leur histoire person-nelle qui ne peuvent être évoqués dans le groupe. Il s’agit d’affiner et confirmer l’éventuel projet de prise en charge ulté-rieure. Le dispositif groupal a été pensé avec une co-animation du groupe à 3 adultes de l’équipe de l’ESM, dont 2 adultes en prise directe avec les jeunes lors de leur accueil à l’ESM. Ces 2 soignants, qui sont té-moins du parcours des jeunes au sein de la structure, vont être eux aussi mis au tra-vail. En effet, il y a un double travail de mémoire et de séparation à l’œuvre dans ce groupe, celui des jeunes qui vont partir mais aussi celui des adultes qui vont res-ter. La présence de ces 2 soignants permet de rendre dynamique un échange, qui se déroule parfois devant les adolescents, avant de pouvoir s’effectuer avec eux. Chacun des soignants a un regard diffé-rent sur les jeunes, avec qui ils ont partagé des relations singulières et différenciées. Cette co-animation à 3 permet aussi qu’un adulte puisse accompagner un jeune qui sortirait au décours de la séance, du fait des émotions suscitées par ce processus de sortie-séparation. Nous avons pensé utile la présence d’un tiers médiateur dans cette co-animation : parce qu’il n’a pas d’histoire commune avec les adolescents, il facilite les témoignages et le partage d’expériences vécues. Il peut aussi ques-tionner un discours trop convenu et tenter de le reformuler, interroger des évi-dences pour le groupe, des modes rela-tionnels jeunes - adultes qui se reprodui-sent. Le tiers médiateur introduit une pen-sée, un mode relationnel différents et une possible différenciation. Il est enfin le ga-rant du cadre et assure la mémoire du groupe. C’est l’assistante sociale de l’ESM qui joue cette fonction tierce. Elle a, en effet, une place singulière au sein de l’ESM : d’une part, elle n’est pas engagée avec les jeunes dans un suivi où l’intime vient s’exprimer et, d’autre part, de par son tra-vail d’accompagnement des jeunes et de leur famille, dans la construction de relais de prise en charge et des dossiers inhé-rents, elle vient symboliser quelque chose de l’ordre du passage. Or l’adolescence n’est-elle pas un passage de l’enfance à l’âge adulte, d’un état de

dépendance totale aux parents à un état d’autonomie psychique suffisant ? Lors de la première séance, les jeunes marquent chacun à leur manière leur en-trée dans le groupe et disent quelque chose de leur problématique de départ et de leurs éprouvés quant à la sortie de l’ESM et à la séparation imposée. La fin de la prise en charge ne manque jamais de réactiver les séparations passées, s’expri-ment alors des affects dépressifs, des fan-tasmes d’abandon, et l’intérêt du groupe est questionné... de cette question com-mune, nait le groupe qui peut se mettre au travail. Ainsi, Louis dit combien il ne veut pas partir « je veux rester toute ma vie, il faudra me tuer pour que je parte ». Sophie, jeune fille carencée au passé trau-matique, était un peu sauvage à son arri-vée à l’ESM, qu’elle avait eu beaucoup de mal à intégrer. Elle s’était d’abord présen-tée particulièrement grossière, avec moult propos sexualisés, cherchant à mettre l’autre à distance, puis elle s’était montrée de plus en plus confiante à l’égard des adultes, voire profondément attachée même si cela était impossible à recon-naître pour elle. Elle progresse beaucoup au décours de sa prise en charge et ses troubles du comportement s ’amendent. A son arrivée dans le groupe de parole de jeunes en partance, elle se présente de nouveau comme à son arrivée à l’ESM, elle arrive dans la salle en vociférant, grossière, elle jette son sac à travers la pièce puis s’assoit bruyamment. Elle en-voie des messages avec son téléphone, provoque les adultes, déclare que sa « ré-férente est une mongole » et qu’elle ne re-viendra pas. Elle quitte de manière préci-pitée la salle, mais finalement juste à l’heure de fin, et sera présente à l’en-semble des séances suivantes. Au cours des séances suivantes, nous tra-vaillons à l’expression des souvenirs en s’appuyant sur des techniques imagées : nous proposons aux jeunes d’ouvrir en-semble “l’album photos de leur histoire à l’ESM”, de revenir sur les premiers pas de chacun dans cet espace, de se rappeler des moments clef qu’ils y ont vécus et de re-visiter les différentes étapes de leur prise en charge. Les soignants aident les jeunes dans ce travail par un « je me rappelle que... », « est-ce que tu te souviens de... » afin de convoquer la mémoire, faciliter l’émergence des souvenirs de chacun. Les souvenirs des uns réactivent les souvenirs des autres, les jeunes et les adultes conju-guent leurs souvenirs de manière différen-ciée, les adultes y associent des ressentis pour amener les adolescents à exprimer leurs émotions. Le groupe prête sa mémoire, chacun ap-porte son témoignage et partage ses sou-venirs : chacun se souvient avec l’autre et

vient ainsi valider son témoignage. Le groupe a une fonction contenante et de ré-ceptacle de cette histoire. Après les souvenirs collectifs joyeux, vient l’expression de souvenir plus per-sonnel…on passe du groupal à l’indivi-duel. Au-delà de faire revivre le passé, il s’agit de le reconsidérer, notamment à la lumière du présent : se rapprocher de son passé pour mieux prendre de la distance. Les 2ème et 3ème séances sont consacrées à l’évocation de l’avant, de la période de pré-admission et nous demandons aux jeunes de créer une image photographique de ce moment et de se représenter « moi tel que j’étais, tel que je me percevais, tel que je me sentais être à mon arrivée ». En écho aux propos de Christine Ulivucci dans son livre « Ces photos qui nous par-lent », les photos proposées par les jeunes mettent en scène une part de leur problé-matique. Ces images photographiques questionnent l’absence, l’illusion de ce qu’on montre à voir ou pas, les confusions et les différenciations difficiles par le flou, le brouillard dans lequel ils peuvent se trouver au moment de leur arrivée à l’ESM. Une narration se crée autour de cette première image de soi et de la mise en scène... c’est une révélation progres-sive... petit à petit, le jeune parle de ce qu’il était, de ses difficultés, de sa place, de sa souffrance, de ce pourquoi il est ar-rivé à l’ESM... Sophie se décrit sur une photo en noir et blanc, « elle était violente, une sorte de bandit, elle faisait des fugues, elle traitait les éducateurs et les tabassait », « sur la photo, il y avait mon père, j’étais toujours avec mon père, triste ». Martin décrit lui une photo de son arrivée à l’ESM, « j’étais timide, j’étais étonné de ce qui se passait ici », « il y avait des gens qui n’avait pas les mêmes problèmes que moi, je me demandais pourquoi je suis seul à être différent, pourquoi je suis comme ça », « j’étais limite pas con-cerné », il évoque alors une scène sympa-thique de jeux extérieurs avec d’autres jeunes de l’ESM, la photo est haute en couleur. Lors des séances suivantes, nous revisi-tons les temps forts de leur accueil à l’ESM : la rencontre avec les jeunes, les adultes, les médiations qu’ils ont aimées, les séjours thérapeutiques, les contrariétés et déceptions éprouvées. Nous tentons de déterminer ceux qui pourraient être à l’origine de changement chez eux. Alors, est abordée la question de leur changement : « Comment je me suis vu grandir ? comment je t’ai vu changer ? comment les parents me voient grandir ? comment cela se traduit ? ». A partir de cette réflexion, nous leur proposons de

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 66

LES AUTEURS Delphine AUCOUTURIER Monitrice-éducatrice Jacques LEROY Educateur Docteur Hélène NICOLLE Psychiatre Anne-Françoise REGNOUF Assistante sociale Maison des Adolescents du Calvados 9, place de la mare 14000 Caen France [email protected]

BIBLIOGRAPHIE 1. CLEACH C. (2015), Adolescents en hôpital de jour : comment envisager l’après, Le journal des psychologues, /4 n°327, p. 38-42. 2. HAGMANN V., SERVANT B. (2011), Se ren-contrer, se connaître, se séparer : la cure des états limite en hôpital de jour soins-études, Re-vue française de Psychanalyse, /2 vol.75, p. 451-465. 3. HOCHMAN J. (1994), La consolation : Essai sur le soin psychique, Editions Odile Jacob. 4. JEAMMET P., CORCOS M. (2001), Evolution des problématiques à l’adolescence. L’émer-gence de la dépendance et ses aménagements, Doin, Références en Psychiatrie. 5. ULIVUCCI C. (2014), Ces photos qui nous parlent : une relecture de la mémoire familiale, Essais Payot.

WEBOGRAPHIE 6. VIRLOUVET N., La fin de la prise en charge, enjeu de séparation, http://www.meta-bole.asso.fr/espace-de-recherche/114-la-fin-de-la-prise-en-charge-enjeu-de-separation.html

créer une 2ème image photographique, sorte d’« auto-portrait d’aujourd’hui tel que je suis, tel que je me sens ». Le groupe mesure et valide ensemble le chemin par-couru en faisant retour sur la 1ère image photographique, celle de l’arrivée à l’ESM. Martin qui a été longtemps déscolarisé dit « aujourd’hui j’ai grandi mentalement, mais en plus j’ai changé », « je vais en cours, tout est mieux globalement, je m’amuse en cours, avec les autres, je suis content d’être avec les autres, c’est un changement ». « J’ai de la barbe mainte-nant, je suis un homme ». « J’ai changé de rail et j’ai continué... ». Sophie évoque une photo très en lien avec la séparation en cours, « mon père n’est plus là sur la photo, il est mort… il y a plus d’éduc’ », « je suis trop bonne, je suis courageuse depuis la maternelle », « une éducatrice m’a dit que j’étais cou-rageuse, elle ressemble à ma mère [décé-dée pendant l’enfance de Sophie], c’est mon père qui le dit ». Nous pouvons alors aborder la question du départ et de la séparation, qu’est-ce que cela leur fait, qu’est-ce que cela nous fait de les voir partir. Chacun peut repartir enrichi l’un de l’autre et de l’expérience partagée à l’ESM... Comme de bons parents, nous leur rappe-lons une dernière fois les projets que nous avons construits avec eux, les points d’ap-pui possibles, auprès de leurs consultants, des institutions où ils peuvent être ac-cueillis... et la possibilité de revenir par-fois en auto-prescription. Ce groupe de parole des jeunes en par-tance repose ainsi sur une co-construction du “roman thérapeutique” de chacun : le jeune va déplier son vécu, partager avec le groupe les événements marquants de son parcours à l’ESM, et l’écoute des autres, leurs témoignages participent à la mise en forme du roman thérapeutique par la mise en lien du vécu du jeune et des évène-ments de son parcours de soin. Le récit prend petit à petit sens, s’enrichit d’émo-tions, de ressentis... ceux du jeune mais aussi ceux du groupe, c’est ainsi que le “roman thérapeutique” peut s’élaborer... « Voilà ce que j’ai traversé et ce que je suis devenu aujourd’hui. ». Le “roman thérapeutique” devient pensable et racon-table, d’autant plus que le groupe assure une fonction contenante et rassurante. Il y est possible de penser ensemble pour l’autre, penser l’autre, se laisser penser par l’autre et être pensé par le groupe. Un décalage des statuts s’opère au décours du groupe, de soigné, on devient soignant, “co-thérapeute” les uns pour les autres. De la prise en charge groupale proposée par l’ESM, peut renaitre une individualité de par ce roman thérapeutique singulier.

Poursuivre le travail de séparation malgré la sortie de l’ESM

« l’Auto-prescription » Dès l’ouverture de l’ESM, nous avions pensé un espace d’accueil libre, d’une heure fixe par semaine, pérenne toute l’année, que nous nommions « Auto-pres-cription ». Nous pensions cet espace-temps, soit comme un temps supplémen-taire que les jeunes pouvaient se prescrire dans la semaine alors qu’ils étaient enga-gés dans un contrat de soins avec nous, soit comme une veille possible pour les jeunes sortis de l’ESM, qui pouvaient continuer à nous interpeller. Lorsque les jeunes sont sortis de l’ESM, la possibilité de participer à l’auto-pres-cription a des intérêts multiples : - aménager la séparation après la sortie. Si nous signifions clairement aux adoles-cents que nous les croyons capables de poursuivre leur évolution sans venir à l’ESM et capables de s’éloigner de nous, nous leur offrons la possibilité de s’ap-proprier l’objet de la séparation. Ainsi, ils deviennent acteur complet de leur prise en charge, en décidant de venir ou non, au moment où ils le souhaitent et quelles que soient leurs attentes. - Activer, réactiver devant nous une bonne image interne, par la validation avec nous de leur parcours, leurs choix et leur évolution globale. - Venir réactiver après de nous les images, les identifications insuffisam-ment intériorisées au décours de leur prise en charge. - S’émanciper de nous, se hisser avec nous dans un rapport d’adulte à adulte, en nous exprimant leur reconnaissance pour l’attention que nous leur avons porté, dans une forme parfois de contre-don.

Jacques vient depuis 2 ans en auto-pres-cription après 3 ans de prise en charge dans un contexte d’angoisses massives en milieu scolaire, pouvant mettre en péril la poursuite de sa scolarité. Il s’agissait au-tant d’angoisses de séparation que d’an-goisses de performance apparues lors de son entrée au collège. Cette étape d’indi-viduation-séparation était difficile pour ce fils unique de parents se montrant assez déprimés, d’autant plus qu’il était victime de moqueries des pairs, notamment du fait de son manque d’habiletés sociales. Pen-dant la prise en charge, il se montre très volontaire, se surpassant dans certaines activités comme la réalisation d’un court-métrage. Si d’emblée, il est en mesure de s’appuyer sur les relations avec les soignants, il ne trouve que petit à petit sa place dans le groupe de pairs de l’ESM. Il gagne en confiance en lui et peut prendre de la dis-tance avec ses parents avec sécurité, au

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Quitter l’Espace de Soin et de Médiation : donner une dimension thérapeutique à la fin de la prise en charge des adolescents

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 67

point d’envisager un internat après son cursus au collège. Il l’intègre sans diffi-culté et poursuit sa scolarité avec beau-coup plus d’apaisement. Jacques vient nous rendre visite 2 à 3 fois par an et fait à chaque fois état de progrès, il semble avoir besoin de vérifier ce que nous en pensons. Lisa a été accueillie pendant 4 ans à l’ESM, sa prise en charge a été extrême-ment difficile du fait de l’attaque récur-rente du lien : fréquemment, elle s’op-pose, elle s’absente, fugue ou ne vient pas, elle refuse de participer aux activités. Elle continue malgré tout de fréquenter l’ESM malgré les changements de lieux de vie itératifs, et peut investir pendant quelques semaines certaines médiations. Elle se dé-brouille pour que nous lui montrons com-bien nous tenons à elle et à son mieux-être... toutefois, elle rompt brutalement peu de temps avant sa majorité de par une longue fugue de son lieu de vie. Nous avons quelques nouvelles peu rassurantes par téléphone, ou par le biais d’autres jeunes qui la croisent. Elle nous contacte deux ans plus tard pour nous annoncer la naissance de son enfant, elle tient à venir le présenter à l’équipe avec son conjoint : elle a pu enfin se poser et accepte de s’ap-puyer sur différents professionnels pour accompagner son enfant. Pour les jeunes majeurs qui ont rompu avec nous avant qu’ils aient pu s’appro-prier un projet d’accompagnement ulté-rieur, c’est la possibilité de les amener à réfléchir aux possibles en termes de relais. En effet, certains réalisent dans l’après-coup que leurs difficultés perdurent et peuvent enfin être demandeurs de prise en charge adaptée. Ce travail est d’autant plus important que nous constatons régu-lièrement qu’il existe un fossé entre le type de prise en charge proposée aux mi-neurs et celui proposé aux majeurs, et que les structures pour jeunes adultes sont bien peu nombreuses. Un travail de mail-lage, sans se réengager complétement, est indispensable pour soutenir ces jeunes majeurs dans l’élaboration de leur projet d’accompagnement et l’attente de la mise en place de celui-ci.

Nous évoquons ici le cas de Corinne, ad-mise dans un contexte de déscolarisation après une tentative de suicide, elle présen-tait des carences narcissiques sévères et majorées par une histoire traumatique. Soutenue par l’équipe de l’ESM, elle avait réussi à retourner en scolarité et ob-tenir son diplôme de fin d’étude malgré ses difficultés cognitives. Elle avait trouvé à l’ESM un espace où elle prenait de plus en plus confiance en elle et s’ex-périmentait dans des relations différentes avec les pairs et les adultes, qu’elle avait beaucoup investi au cours de ses 2 années de prise en charge. L’annonce de la fin de prise en charge est compliquée pour Co-rinne qui aurait souhaité poursuivre des accueils à l’ESM malgré sa majorité, nos propositions de soins ultérieurs ne peu-vent être alors acceptés. Elle participe avec difficulté au groupe de parole de jeunes en partance, puis vient chaque se-maine en auto prescription. Lorsqu’elle réalise qu’elle ne peut plus faire les mêmes activités dans ce contexte, elle rompt tout lien avec nous pendant deux ans. Elle revient finalement en auto-pres-cription pour évoquer ses difficultés à s’insérer dans le monde du travail et à s’émanciper de ses parents. Elle est alors prête à engager de nouveau des consulta-tions, qu’elle avait cessé, et à demander une reconnaissance de handicap pour être accompagnée dans son insertion socio-professionnelle. Il s’agit bien plus d’une aide à la réflexion et à l’élaboration que d’un travail d’ac-cueil. En effet, après quelques années de fonctionnement mal défini, nous avons constaté que cet espace d’auto-prescrip-tion était beaucoup fréquenté et même embolisé par les jeunes les plus carencés, dans une demande plus affective qu’une réelle mise au travail psychique. Nous mesurions alors le risque d’entretenir une dépendance à notre service, et de contra-rier d’autres projets ou une adhésion aux services adaptés. Nous avons alors décidé d’imposer aux jeunes un entretien indivi-duel systématique à chaque visite, en plus d’un temps plus convivial d’accueil, afin

de pouvoir évaluer et travailler la de-mande, sans leurrer le jeune sur la possi-bilité de maintenir une pseudo-prise en charge en l’état. Sauf inquiétude majeure de notre part, nous ne fixons pas de rendez-vous à ces jeunes, qui peuvent nous interpeller quand ils le souhaitent : c’est ainsi que nous pou-vons revoir certains jeunes pendant plu-sieurs années, avec des présences souvent très espacées dans le temps.

Conclusion Il nous semble utile de nous rappeler que se séparer à l’adolescence signifie aussi grandir et devenir sujet. Aussi, il est de notre devoir d’aider les adolescents à nous quitter. S’il est indispensable que les soignants s’engagent fortement dans la relation avec ces jeunes pour que la prise en charge puisse commencer, nous ne devons pas les leurrer sur ce que nous pouvons leur apporter et sur le temps possible de notre accompagnement. Pour l’équipe, il faut opérer là un véritable renoncement aux fantasmes de toute puissance et de sauve-tage…et ceci n’est pas sans douleur et de-mande toujours à être remis au travail. Comme l’a théorisé Jacques Hochmann pour les enfants psychotiques, bien que proposant une approche globale des ado-lescents, l’ESM a tout intérêt à rester par-tielle, “lacunaire” et à renoncer à servir les jeunes de façon totale, à satisfaire tous leurs “besoins”. Car du manque peuvent naitre l’envie et l’échange, et n’avons-nous pas tous quelque chose à y gagner ? Chaque départ est l’objet d’une interroga-tion. Que savons-nous de l’avenir de ces adolescents lorsqu’ils nous quittent ? Nous espérons qu’eux savent que la porte de l’ESM leur reste ouverte pour un autre travail, celui de la séparation et du relais, cela témoignerait d’une forme d’internali-sation du travail que nous avons mené avec eux.

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Introduction En 2007, débutait à l’Hôpital de jour Paul Sivadon le projet pilote Archimède, mo-dule de réhabilitation psychiatrique à des-tination de jeunes patients schizophrènes entre l’âge de 20 à 35 ans, au décours d’une des premières décompensations. Le développement de ce projet a fait l’objet d’une communication au colloque des Hôpitaux de jour en 2008 [3]. A l’époque, l’ensemble du programme n’avait pas en-core été mis en œuvre totalement, ce qui rendait l’évaluation du travail réalisé dif-ficile. Huit années plus tard, que peut-on dire de l’évolution de ce projet ? Comment-a-t-il mis l’équipe à l’épreuve ? Comment-a-t-il fait évoluer la dynamique institution-nelle ? Quels sont les défis et les perspec-tives d’avenir ?

1 L’IPT, Integrated Psychological Treatment ou Programme Intégratif de Thérapies Psy-chologiques, est une approche de réadapta-tion destinée aux personnes souffrant de

Pour rappel, le projet Archimède se don-nait comme objectif de permettre une ré-insertion de jeunes patients schizo-phrènes, basée sur leur environnement spécifique, les habilités revalidées et les déficits résiduels dans le cadre d’un séjour de neuf mois en hôpital de jour. Basé sur les données scientifiques de la littérature sur les troubles psychotiques, ce module de réhabilitation psychiatrique avait pour objectif d’intégrer différentes dimensions considérées comme majeures dans la prise en charge des pathologies psychotiques [3], à savoir : - la disponibilité et la motivation du pa-tient à s’engager dans son traitement, - le traitement médical prenant en compte les différents déficits observés, y compris les symptômes négatifs et dé-pressifs,

schizophrénie, développée en 1992 en Suisse par Brenner et ses collaborateurs.

- la revalidation cognitive des déficits observés dans la psychose, - l’aménagement psychosocial de l’envi-ronnement du patient.

Le travail réalisé dans ce module visait à la fois à évaluer les déficits cognitifs et à établir un programme de revalidation spé-cifique et non spécifique de ces déficits, de manière à permettre un retour à une autonomie maximale dans l’environne-ment choisi par le patient, voulant ainsi éviter autant que faire se peut la chronici-sation. Il existait une volonté d’intégrer les programmes de revalidation cognitive, tel l’IPT de Brenner1 [1]. Pour l’implémentation du programme Ar-chimède, c’est le modèle de réhabilitation psychiatrique développé par Anthony, Farkas et Cohen (2004) dans le cadre de l’école de Boston qui a été utilisé, modèle d’orientation Cognitivo-Comportemen-tale. Ce modèle intègre une approche mé-dicale (incluant notamment la revalida-tion cognitive) et psychosociale, dans une vision bio-psycho-sociale de la maladie mentale. Le modèle de réhabilitation psy-chiatrique tel que développé par l’école de Boston consiste en une tentative d’inté-gration du modèle médical de la psychia-trie et du modèle social de la réhabilitation psychosociale. Le patient est envisagé dans sa globalité et dans l’environnement dans lequel il évolue. Il s’agit d’un mo-dèle pluridisciplinaire, pluridimension-nel, sensé faciliter le retour d’un individu à un niveau optimal de fonctionnement autonome dans la communauté [3]. Ce modèle différencie et intègre diffé-rentes phases de traitement : - le traitement médical : traitement mé-dicamenteux, traitement psychothéra-peutique, approche psycho-éducative (familiale et individuelle), revalidation cognitive.

Prolongeant le projet pilote « Archimède », module de réhabilitation psychiatrique à destination de jeunes patients schizo-phrènes débuté en 2007, nous développerons les différentes étapes et processus qui ont abouti à l’élaboration d’un programme thérapeutique spécifique, appelé module Emergence, destiné à une patientèle majoritairement psychotique ou souffrant de troubles bipolaires. Nous discuterons des modalités d’interventions progressivement déployées, évolutives et dynamiques (activités à médiation, psychoéducation, modèle ergothérapeutique KAWA, revalidation cognitive…), dans une démarche d’intégration des référents théoriques, des modèles psychothérapeutiques et des apports de la pluridisciplinarité. Nous verrons, au travers de l’évolution du projet Archimède, comment la cohésion de l’équipe a été mise à l’épreuve, comment la dynamique institutionnelle a évolué, comment les soignants ont été confrontés et ont pu réagir aux spécificités du transfert psychotique. Enfin, après quasiment deux ans de fonctionnement de ce module Emergence, nous aborderons la question de l’évaluation des pratiques et des inter-ventions. Mots-clefs : projet Archimède, intégration des modèles théoriques, cohésion d’équipe, modèle ergothérapeutique KAWA, trans-fert psychotique, isomorphisme, évaluation des pratiques

Evolution of the pilot project “Archimedes” Adapt, create, for the sake of coherence and cohesion

As a continuation of the Archimedes project, psychiatric rehabilitation module for young schizophrenic patients started in 2007, we will develop the steps and processes that led to the development of a specific therapeutic program called Emergence module. We will discuss the modalities of interventions gradually deployed, scalable and dynamic (mediated activities, psy-choeducation, KAWA model, cognitive revalidation...), in a process of integration of theoretical referents and psychotherapeutic models. We will see, through the evolution of the Archimedes project, how the cohesion of the team was put to the test, how the institutional dynamic has evolved, how caregivers have faced and have responded to the specificities of psychotic transference. Finally, we will approach the issue of the evaluation of the practices. Keywords: Archimedes project, integration of theoretical referent, team cohesion, KAWA model, psychotic transference, iso-morphism, evaluation of the practices

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Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 69

- le traitement psycho-social, visant à améliorer le fonctionnement concret du patient dans ses environnements de vie, à trouver ou retrouver des rôles sociaux valorisants. Le but est d’aider le patient à choisir, obtenir puis garder les environ-nements et les rôles qu’il préfère [3].

La littérature scientifique de ces 15 der-nières années donnant aux déficits cogni-tifs (par lesquels on entend classique-ment : troubles de l’attention, de la mé-moire, des fonctions exécutives) une place centrale dans la schizophrénie, une partie importante du projet consistait à tenter d’y remédier. Les hypothèses scien-tifiques évoquaient l’existence dans la schizophrénie d’un déficit fondamental de remémoration consciente. Fondé sur ces hypothèses, la revalidation des stratégies de remémoration consciente et de projec-tion dans le futur devait permettre une amélioration de la capacité d’identifica-tion des patients, favorisant les prises de décision et la résolution de problèmes. Le projet consistait également à accompa-gner le patient sur le terrain et développer des tâches spécifiques en fonction des souhaits exprimés (suivre une formation, reprendre une activité professionnelle, vivre seul en appartement...). En fonction des déficits résiduels observés, une aide de réseau était organisée avec le patient, sa famille et les différents intervenants potentiels. Ce qui impliquait dès lors de travailler avec l’environnement proche pour aider celui-ci à accepter les fragilités du patient et s’y adapter. Il existait également au sein du projet ini-tial une volonté de proposer à l’admis-sion, à la sortie et six mois après la sortie, une évaluation globale pluridimension-nelle (symptomatologie présentée, éva-luation neuropsychologique, évaluation de la qualité de vie…). Il s’agissait d’éva-luer les déficits mais aussi les ressources disponibles.

Evolution du projet Archimède Confrontation à la pratique

Une thérapeute a été formée en IPT Bren-ner et il existait une volonté d’implémen-ter le programme tel qu’il avait été éla-boré. Confronté à la pratique, le constat majeur, qui a débouché sur la nécessité de s’adap-ter, a certainement été celui de la diffi-culté de constituer une patientèle homo-gène, répondant aux critères de départ : jeunes patients schizophrènes entre l’âge de 20 et 35 ans, dans le décours d’une des premières décompensations. Difficulté de constituer une patientèle homogène sur le plan du diagnostic, de la conscience mor-bide, de la stabilisation de l’état psy-chique général, de l’âge ou encore de la chronicité.

A l’été 2013, une transition s’est progres-sivement effectuée entre le programme initial Archimède et sa version actuelle appelée module Emergence.

Comment s’est opérée cette transition ? Un épuisement se faisait ressentir : lutter pour garder une dynamique de groupe avec trois patients qui n’arrivaient pas à être présents le même jour devenait épui-sant. A cette même période, il n’y avait pas d’autres candidats susceptibles d’intégrer le programme Archimède, même en ne re-tenant que le diagnostic comme unique critère d’inclusion. Pendant plus de trois mois, nous nous approchions à reculons des ou le plus souvent DU patient, ne sa-chant plus que “faire avec”. Celui-ci per-dait toute motivation à revenir le lende-main... et DES participants nous sommes passés à UN (et en fin de séjour !!). La dé-cision du staff de clôturer le groupe, mo-mentanément, fût inévitable et nous avons trouvé un programme individuel pour ce patient avec soulagement. Mais la belle saison passant, il n’y avait toujours pas de candidatures à l’horizon et rester à ne rien faire n’était pas acceptable, tant du point de vue des thérapeutes que de l’institu-tion, d’autant que la liste d’attente de pa-tients pouvant intégrer les autres modules de l’Hôpital de jour s’allongeait de ma-nière de plus en plus conséquente. Nous partîmes alors de l’idée de créer un nou-veau module pouvant à la fois accueillir les “profils” Archimède, où un travail spé-cifique continuerait d’être réalisé, et d’autres patients sur liste d’attente depuis plusieurs mois parfois. Le binôme des thérapeutes engagés au sein du pro-gramme Archimède (ergothérapeute-as-sistante sociale) ressentait également le besoin de vivre d’autres expériences pour se ressourcer, retrouver de l’énergie, avant peut-être de s’y remettre par la suite, d’une autre façon. La nouvelle structure, sans assistante so-ciale impliquée au quotidien, compren-drait 2 ergothérapeutes (devenus 3 un an plus tard) avec intervisions avec le psy-chologue fraîchement arrivé dans l’équipe. Le psychiatre responsable du projet Archimède interviendrait régulière-ment dans le programme de réhabilitation, tout particulièrement sur les aspects de psychoéducation, avec une volonté de dé-marrer un programme spécifique autour des troubles bipolaires. Il y eu beaucoup de débats au sein de l’équipe de l’Hôpital de jour, période éprouvante pour les porteurs du nouveau projet, et quelques mois plus tard, le pro-jet s’est définit et, la poussée d’Archi-mède aidant, le nom d’EMERGENCE... a

fini par émerger. L’importance voulait être donnée aux activités à médiation, mettant en jeu l’infra verbal : faire émer-ger un désir, une étincelle, une lueur dans l’univers intrapsychique du patient... et un nouvel élan vital pour les soignants con-frontés aux spécificités du transfert psy-chotique ? L’accent voulait être mis sur l’utilisation d’un tiers, le média, pour amener progres-sivement, si possible mais pas nécessaire-ment, à une verbalisation. L’utilisation du corporel, la mise en mou-vement serait également privilégiée. Il était important de ne pas oublier la pré-cédente structure Archimède et de pou-voir continuer à travailler avec certains concepts du modèle de Boston. Le projet consistait à repenser la prise en charge de patients considérés comme “plus fragiles”, telles que les structures psychotiques et les personnes souffrant de troubles bipolaires, en conservant les élé-ments positifs du programme Archimède tout en ayant à l’esprit les difficultés prin-cipales progressivement rencontrées sur le terrain au fil des années (voir tableau I, infra). Ce sont sur ces bases que le module Emer-gence a débuté en novembre 2013, avec une capacité d’accueil maximale de 10 patients, pour une durée de séjour de 6 mois. Le travail, articulé sur cinq jours par semaine et non plus trois, y était envisagé autour de trois axes : l’activité, le travail dans le présent, la communication non verbale et verbale, facilitée par l’utilisa-tion de différents médias concrets et/ou créatifs, artistiques.

Exemples d’outils proposés - Psychoéducation, entretiens avec la fa-mille, - Cercle relationnel, gestion du temps, - Collage, l’île, le blason... - Jeux de rôles (type mise en situation), - Bilan patient, activité patient, - Écriture, dessin, bois, terre, corporel... - Photo, image, livre, - Sorties diverses, - Cycle avec intervenants extérieurs.

Dès le début, les activités à médiation ont été nombreuses et diversifiées : picto-grammes, photos, marionnettes... Les in-tervenants extérieurs multiples : kinési-thérapeute diplômé en sophrologie, artiste intervenante, psychiatre. Mais la conti-nuité dans la venue des intervenants exté-rieurs a été difficile à assurer. Il existait également une volonté de tenir compte de ce qui émane du groupe : adap-ter notre programme en fonction de la dy-namique observée, comme il est de tradi-tion de travailler à l’Hôpital de Jour. Nous avons pris en compte certains besoins. Par

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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exemple, la rigidité du corps, la mécon-naissance du schéma corporel nous a amené à proposer de la danse, du corps en mouvement, de la relaxation, plus de sport. Nous avons également travaillé avec certains désirs, si désir il y a, ou centres d’intérêt. Ce qui nous a entrainé vers une activité de jardinage. Dans le panel d’outils proposés et d’acti-vités à médiation déployées, dont un des objectifs est d’aider les patients psycho-tiques à reconstruire un espace intersub-jectif cohérent et petit à petit rassurant [2], nous voulions détailler un outil de ma-nière un peu plus spécifique : le modèle KAWA.

Le modèle KAWA Basé sur l’utilisation des métaphores, le modèle KAWA, qui signifie rivière en ja-ponais, est le premier modèle ergothéra-peutique non occidental. Ce modèle, où le patient détermine lui-même ses difficul-tés, permet de valider les objectifs ergo-thérapeutiques. Il s’agit de dessiner une rivière, qui repré-sente le cours de la vie, jusqu’à l’arrivée à la mer qui symbolise la mort. L’eau repré-sente la capacité d’agir, inséparable des facteurs environnementaux représentés par les rives et le lit de la rivière. Les ro-chers représentent quant à eux les obs-tacles, les problèmes rencontrés. Ce modèle, qui respecte la culture des per-sonnes concernées, se donne comme ob-jectif de « permettre au sujet de perce-voir, de décrire intuitivement ses pro-blèmes et ses déterminants personnels dans son environnement » [5]. Il donne un cadre pour organiser les problèmes de fa-çon plus signifiante, permet de valider les objectifs ergothérapeutiques, de négocier les moyens à mettre en œuvre et de ren-forcer le courant de vie. Fort de quelques résultats encourageants chez plusieurs patients, il existe une vo-lonté de poursuivre l’utilisation de cet ou-til au sein du module Emergence et de l’intégrer à divers projets d’études au sein de l’Hôpital de Jour.

Cohérence et intégration des modèles théoriques, mise à l’épreuve

de la cohésion de l’équipe thérapeutique

Depuis les années quatre-vingt, l’Hôpital de jour Paul Sivadon s’inscrit dans une démarche d’intégration et de complémen-tarité des référentiels théoriques, mul-tiples en institution. Le cadre se veut inté-gratif, multiple, inspiré des différents ré-férents théoriques : analytique, cognitivo-comportemental et systémique, mais néanmoins contenant et limitant [6]. Ces dernières années, l’équipe de l’Hôpi-tal de jour a vécu beaucoup de départs

(mise à la pension essentiellement) avec, en contrepartie, de nouveaux arrivants qui sont venus la rejoindre. Ainsi, une nou-velle dynamique d’équipe animait les ré-unions, chacun essayant d’y trouver et de s’y faire une place. De nouvelles idées, se mêlant aux anciennes, étaient lancées lors des réunions institutionnelles : psychoé-ducation des troubles bipolaires, intégra-tion de projets d’intervenants extérieurs, repenser la structure des modules… Nous avons pu alors constater la difficulté de faire s’accorder et coexister des désirs multiples portés par différents membres de l’équipe. Chacun défendait son do-maine, son orientation spécifique, avec des objectifs bien différents, et parfois op-posés. Il y eu beaucoup de débats au sein de l’équipe avant que le projet ne se définisse sous le nom de module Emergence, où l’importance voulait être accordée aux ac-tivités à médiation, tout en conservant un travail spécifique avec les patients schizo-phrènes. Mais, pour reprendre la vision développée par Kinoo quand il décrit le paradigme multifonctionnel interactif [4], il man-quait un “liant”, le ciment du projet théra-peutique commun. Dans le modèle multi-référentiel décrit par Kinoo, la cohérence se fait par adhé-sion dynamique et réfléchie des travail-leurs au projet thérapeutique [4]. C’est cette dynamique interactive entre les tra-vailleurs, avec leurs propres références, qui cimente l’équipe et construit les pro-jets thérapeutiques. « Ce n’est pas le col-lage des références qui fait le projet, c’est la reconnaissance de fonctions multiples et également nécessaires, assumées par des professionnels chacun compétent dans son domaine » [4]. Ce qui, progressivement, a pu faire lien, en dépassant les clivages d’écoles et de professions, s’est déroulé au sein de la ré-union d’équipe, via l’engagement dans un projet collaboratif et par l’intégration d’expériences professionnelles com-munes et conjointes. Progressivement, la cohésion et la confiance entre les diffé-rents membres de l’équipe s’est installée par la réunion d’équipe et par des mo-ments de “travailler ensemble” : être in-vité sur le terrain de l’autre et s’y laisser emmener. Comme le souligne Kinoo : « Il ne suffit pas d’avoir les meilleurs profes-sionnels, compétents dans leurs fonctions, il faut pouvoir travailler ensemble. Pas seulement dans le respect des différences mais dans une réelle intégration des ap-ports différents de chacun » [4].

Illustrons ces deux points

Importance de la réunion d’équipe et élabora-tion d’un premier projet collaboratif commun. En réunion d’équipe, temps minimum pour partager convergences et diver-gences, nous avons pu faire l’expérience d’un premier véritable projet collaboratif mais aussi de l’importance de disposer d’un espace de partage autour des diffi-cultés rencontrées par chacun. La commu-nication et la transmission des informa-tions en a été sensiblement améliorée, de même que le sentiment de confiance entre les collègues. Il existait une volonté par-tagée de se réunir une matinée par mois, en plus de nos intervisions hebdoma-daires, afin de construire notre projet commun et de consacrer suffisamment de temps à des moments d’élaboration théo-rico-clinique. Ce premier projet collabo-ratif commun, qui a commencé à produire du lien et à cimenter l’équipe, est celui que nous avons appelé « L’accueil amé-lioré ». Nous sommes partis du constat suivant : nous étions interpellés par le nombre con-séquent de patients qui arrêtaient rapide-ment leur séjour (parfois après un ou quelques jours), et n’arrivaient donc pas à “accrocher” avec l’Hôpital de jour et avec le module Emergence. Cela a fait partie d’une réflexion globale étalée sur plu-sieurs mois qui a fini par aboutir à l’éla-boration d’un trajet de candidature spéci-fique appelé accueil amélioré. Nous avons fait l’hypothèse que cette pa-tientèle, présentant pour la plupart une fragilité psychotique, présentait fort pro-bablement des difficultés à établir un lien sécurisant et à contenir leurs angoisses, par moments massives. Le premier objectif de cet entretien d’ac-cueil amélioré, réalisé par le binôme d’er-gothérapeutes présents en module, est de “faire du lien”, expliquer le cadre théra-peutique et le travail en module aux pa-tients qui restent sur liste d’attente plus d’un mois. Dans le cours de nos réflexions et de nos échanges, est survenue une pro-position créative d’un membre de l’équipe d’aller, à la fin de cet entretien, visiter l’accueil avec le futur patient afin d’amorcer un lien avec les infirmières d’accueil. La production d’un schéma couleur à destination de tous les membres de l’équipe est en cours d’élaboration. S’il est trop tôt pour évaluer l’impact au-près des patients de ce nouveau dispositif (peu de patients en ont encore bénéficié) il est certain qu’il a permis d’apporter de la cohésion dans l’équipe par l’engage-ment dans un projet commun qui donne du sens au travail d’équipe.

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Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 71

“Etre invité sur le terrain de l’autre et s’y laisser emmener” Pour véritablement être intégratif, le tra-vail d’équipe se construit par des mo-ments de travail en commun, des ateliers en partage [4]. C’est le principe de la co-intervention, déjà pratiquée au sein du module, que nous avons étendue aux en-tretiens avec la famille. Cela a été pour les thérapeutes un moment de découverte de l’autre, d’écoute et d’enrichissement mu-tuel. Cela a certainement modifié notre fa-çon de percevoir le travail de l’autre et de travailler ensemble. Dans le même ordre d’idées, une demande a été faite pour que le psychologue tra-vaille en co-thérapie au sein du module, et ne soit plus limité aux intervisions et aux échanges informels, car il existait et per-sistait au fil du temps un sentiment d’in-compréhension réciproque. Cette de-mande, récemment rencontrée, participe certainement au nouage et au recouvre-ment des fonctions [4]. Ce sont ces éléments, et probablement bien d’autres, qui mis bout à bout ont per-mis d’engager une dynamique cohésive et d’amener du liant entre les différents membres de l’équipe.

Transfert psychotique, contre-transfert soignant, réactions

isomorphiques et épuisement thérapeutique

En préparant cette communication et en échangeant entre thérapeutes, un élément est apparu : l’épuisement ressenti et rap-porté après deux ans de fonctionnement du module Emergence. Epuisement mis en lien avec les efforts déployés pour créer une cohésion d’équipe autour d’un projet thérapeutique commun mais aussi, et sans doute de manière plus fondamen-tale, en lien avec les spécificités du trans-fert et des angoisses psychotiques, aux-quelles les thérapeutes étaient à présent confrontés au quotidien et non plus trois jours par semaine. Comme le précise Hen-drick : « le contact avec les patients psy-chotiques, avec son cortège d’angoisses de mort, de morcellement, d’éclatement, de perte d’élan vital, évoque une confron-tation avec la mort » [2]. Hendrick nous rappelle également que soulager la souffrance psychotique ne se fait pas sans souffrance pour le personnel soignant et utilise le concept de « souf-france psychique partagée » pour décrire l’idée « que le patient ne souffre jamais seul et que son entourage d’abord, les équipes soignantes ensuite peuvent elles aussi entrer en souffrance. Ce qui peut amener son cortège d’épuisement théra-peutique, burn-out mais aussi rejet des patients par le personnel » [2].

Il s’est également intéressé aux processus dit isomorphiques, dont la nature est dy-namique et groupale : « comme un phéno-mène contagieux, l’exposition continue à la psychose conduit l’équipe soignante à des angoisses, vers des modes de pensée, des attentes réciproques et des processus relationnels similaires à ceux qui sont éprouvés par la famille du patient. Un système thérapeutique, une équipe psy-chiatrique, adopte et répète les patterns interactionnels dysfonctionnels de cer-taines familles de patients » [2]. En vertu du principe d’isomorphisme, « cette perte d’élan vital finit par affecter les membres de l’équipe. On en arrive à des réactions défensives compréhensibles mais inappropriées du personnel soi-gnant. Dans l’équipe thérapeutique, des sentiments d’être déniés, inexistants, sans rôle peuvent se développer. Pour se pro-téger, on incrimine le patient, la famille. Les soignants voudraient voir évoluer les comportements “inadaptés” du psycho-tique mais les mesures qui sont prises vi-sent bien plus à se protéger des affects éveillés par le psychotique que de soigner celui-ci » [2]. Les réactions défensives inappropriées que décrit Hendrick, telles un resserre-ment du cadre, où le patient est obligé de faire comme le soignant l’entend, ou un activisme thérapeutique, qui consiste à ré-pondre à la passivité chronique et dépri-mante des patients par l’activité, voire la suractivité, pour éviter sentiment d’im-puissance et perte de contrôle [2], ont été certainement présentes, à des degrés di-vers, au sein du module Emergence. Nous avons également pu expérimenter toute l’importance qu’il accorde à la con-certation clinique, « qui fonctionne comme un antidote face à la pensée chao-tique et au fonctionnement fragmenté des patients psychotiques, qui permet d’iden-tifier les phénomènes d’isomorphisme et d’assurer la cohérence des interventions, cohérence structurante pour le patient » [2]. Dans ce contexte de prise en charge insti-tutionnelle de patients psychotiques, nous voulions proposer une illustration du tra-vail quotidien qui témoigne de difficultés spécifiques à travailler avec les personna-lités psychotiques autour d’un projet com-mun mais aussi des émotions que les thé-rapeutes peuvent ressentir lorsqu’une étincelle jaillit, quand il “se passe quelque chose” d’inattendu et sans doute d’ines-péré. A nos yeux, il s’agit d’un exemple illus-tratif de la nécessité d’adapter le pro-gramme initialement prévu (en fonction de la pathologie des patients, de la dyna-mique qui s’installe) et de faire preuve de créativité.

LES AUTEURS Christophe MILECAN Claire BELLANGER Anne BOEGNER Docteur Vincent LUSTYGIER Hôpital de jour Paul Sivadon Institut de Psychiatrie et de Psychologie médicale 4, place Van Gehuchten 1020 Bruxelles Belgique [email protected]

BIBLIOGRAPHIE 1. BRENNER H.D et al. (1998), Thérapie psy-chologique des schizophrénies, Edition Mar-daga. 2. HENDRICK D. et DENIS J. (2014), Familles - Psychose - Institution et co-résilience, in Rési-lience. De la recherche à la pratique, sous la direc-tion de Marie ARNAUT et Boris CYRULNIK. Odile Jacob. 3. LUSTYGIER V. ZAIT E. (2009), La Réhabili-tation Psychiatrique entre majoration de l’auto-nomie et acceptation de la dépendance, Revue des hôpitaux de jour Psychiatriques, n°11, Groupe-ment des hôpitaux de jour psychiatrique ed., pp. 109-112. 4. MEYNCKENS-FOUREZ M., VANDER BORGHT C. et KINOO P. (2011), Eduquer et Soigner en Equipe, Manuel de pratiques institu-tionnelles, De Boeck. 5. MOREL-BRACQ M.-Ch. (2009), Le modèle Kawa (rivière) de Michel Iwana, in Modèles con-ceptuels en ergothérapie : introduction aux con-cepts fondamentaux, Marseille, Solal, pp. 89-96. 6. OUEHHABI S. (2012), Poupées russes : un cadre peut en cacher un autre, Revue des hôpi-taux de jour Psychiatriques, n°14, Groupement des hôpitaux de jour psychiatrique ed., pp. 63-67.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 72

Illustration : film d’animation Ce projet a été présenté au festival « Images Mentales » (Bruxelles, 11-12-13 février 2015) en présence des patients. Au départ, il s’agissait de proposer un tra-vail sur les émotions en réalisant un livre pop-up à base d’ombres chinoises. Deux ergothérapeutes encadraient l’activité, à raison d’une séance hebdomadaire de deux heures.

Première séance Après avoir défini les émotions de base, nous proposons aux patients de les repré-senter derrière un drap. Un patient est très motivé et amène une certaine dynamique. Les autres se laissent entrainer. En deu-xième partie, voyant que la dynamique est un peu retombée, nous leur laissons la li-berté de faire ce qu’ils veulent derrière l’écran.

Deuxième séance Nous leur proposons de refaire le même exercice que la séance précédente mais nous remarquons qu’il est très difficile de les faire bouger. Les patients semblent peu motivés : « Je n’ai pas envie », « Je ne sais pas quoi faire », « Je ne sais pas comment faire », « Encore pareil ! »... Peu de patients osent participer. Nous nous interrogeons. Différentes hypothèses sont envisagées : nous ne sommes pas dans le même local, nous ne sommes pas les mêmes thérapeutes, le nombre de pa-tients est différent, sont-ils fatigués ? Se lassent-ils de la répétition de l’activité ? Nous leur proposons de seulement traver-ser l’écran et ensuite de mimer des petites scènes collectives du quotidien. Certains tentent de faire quelques propositions mais beaucoup restent en retrait. Entre thérapeutes, nous devons nous concerter et trouver comment adapter, réarticuler le projet pour que les patients aient envie de l’investir. Nous nous rendons compte que nous n’avons pas assez de matière pour continuer le projet pop-up mais que les photos les unes à la suite des autres peu-vent créer une histoire. Nous vient alors l’idée de réaliser un mini-film d’anima-tion.

Troisième séance Nous leur proposons la nouvelle orienta-tion du projet : ils sont d’accord. Nous dé-cidons donc de choisir collectivement les photos que nous garderons pour le mini film. Les choix semblent évidents et assez unanimes. Seul un patient reste en retrait avec des « Comme vous voulez ».

Comment intégrer ce patient dans le projet ? Nous avons réussi à attirer l’attention de tous les patients, chacun a trouvé sa place, à sa manière, dans ce projet qui est devenu

le leur. Nous avons du mal à accepter qu’un seul reste en retrait. Nous savons qu’il adore la musique et qu’il joue de la guitare. Vient alors l’idée de proposer une séance musicale qui pourrait compléter le film. Pour la prochaine séance, nous leur de-mandons, s’ils le souhaitent, d’apporter une guitare ou un autre instrument de mu-sique de leur choix.

Quatrième séance Nous mettons à leur disposition des per-cussions et le patient resté à l’écart la séance précédente a apporté sa guitare. Nous leur demandons de découvrir, de tester les instruments mis à disposition. Ce patient, habituellement très en retrait, qui ne verbalisait pas, rentre directement dans cette proposition et commence à jouer de la guitare (magnifique !!). Les autres patients l’ont instinctivement ac-compagné avec les percussions. Nous ne nous attendions pas à un résultat aussi concluant, aussi rapidement ! Après un échauffement, nous leur proposons de les enregistrer pour créer un fond sonore au film. Tous sont d’accord et même enthou-siastes. Ce média a permis à ce patient de lui donner une autre place dans le groupe. Il a mené le groupe quelques minutes. Nous pensons qu’il a apprécié ce nouveau rôle mais jamais il ne nous l’a dit, évidem-ment !

Cinquième et dernière séance Pour clôturer le projet, nous organisons un atelier écriture, « Pour vous, l’Emer-gence, qu’est-ce que c’est ? ». Les patients paraissent peu enthousiastes dans un premier temps mais finissent par se prendre au jeu. Nous lisons les textes et le retour est très positif, pour un des textes en particulier. Proposition leur est faite de lire ce texte en voix-off et de l’insérer au film. Après de longues conversations, tout le monde lira une phrase !

Epilogue L’investissement des patients a claire-ment grandi au fur et à mesure de la cons-truction du projet. Nous avons, après chaque séance et parfois même au milieu de certaines séances, imaginé la suite, ré-orienté, réadapté le projet sans savoir où nous allions. Nous avons abouti à un ré-sultat très éloigné de ce que nous avions prévu de faire. Ce type de projet, avec une population majoritairement psychotique, demande une grande capacité d’adapta-tion, de réactivité et de créativité. Ce qui peut, à long terme, être épuisant.

Evaluation des pratiques Prendre le temps et le recul suffisant pour tenter d’évaluer la pertinence, l’apport

d’un projet, ce qui fonctionne, ce qui peut être amélioré ou repensé, nous semble être un moment indispensable. L’évaluation des pratiques peut se concevoir à diffé-rents niveaux, dont par exemple celui d’une supervision externe mais aussi, et c’est ce point que nous souhaitons briève-ment aborder pour en souligner toute la ri-chesse, celui de l’utilisation réfléchie de données statistiques. L’apport des statistiques nous semble riche d’enseignements lorsque l’on se pose la question de l’évaluation des pra-tiques. Il s’agit de confronter nos expé-riences subjectives, recueillies au contact quotidien des patients et de la vie institu-tionnelle, qui ont évidemment tout leur in-térêt, à des données objectives que sont les statistiques. Depuis 2014, à l’initiative de la psycho-logue S. Ouehhabi qui y consacre une pu-blication à venir, il existe à l’Hôpital de jour un recensement statistique plus fourni, qui ajoute aux traditionnelles dates d’entrée, date de sortie, diagnostic, des éléments pertinents, comme par exemple, une éventuelle reprise du travail, une for-mation, une rechute avec hospitalisation résidentielle, une prise en charge en centre de jour… Cet outil statistique permet de réfléchir à nos pratiques sur base de données objec-tives. Il permet des réflexions pouvant servir de base à d’éventuels ajustements, évolutions, remises en question et orienta-tions futures. Cela permet aussi de constater que la con-frontation aux statistiques amène son lot de surprises et ouvre la voie à des ques-tionnements qui n’auraient sans doute pu advenir autrement. C’est sur cette base que l’on est parfois amené à constater l’écart qu’il existe entre la perception sub-jective amenée par le fonctionnement quotidien et la réalité des données statis-tiques. Au sein du module Emergence, nous avons pu faire l’expérience de l’intérêt de ces statistiques (pourcentage élevé de pa-tients qui arrêtent leur séjour avant terme, absence de réintégration professionnelle des patients…) pour entamer des chan-tiers de réflexion. Cette démarche quanti-tative peut certainement s’intégrer et coexister en bonne intelligence avec une démarche qualitative, centrée sur le vécu, l’histoire, la subjectivité du patient. Se passer des statistiques, en tout cas de leur utilisation et de leur intégration dans une réflexion globale, c’est se priver d’un levier majeur et puissant dans l’évaluation de la pertinence des pratiques et comme source d’orientations thérapeutiques fu-tures.

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Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 73

Conclusions et perspectives d’avenir Le projet Archimède, dans son évolution depuis 2007 jusqu’à ce jour, a mis l’équipe à l’épreuve dans ses capacités d’adaptabilité, de créativité et de cohésion autour d’un projet thérapeutique com-mun. Sur le plan de la dynamique institu-tionnelle, on peut constater qu’il a intro-duit à l’Hôpital de jour une dimension de travail spécifique (la revalidation cogni-tive et la psychoéducation au sens large), tout en conservant une approche globale du patient, où le lien reste au centre de nos pratiques et l’institution envisagée comme agent thérapeutique. Comme le souligne S. Ouehhabi, « notre ambition reste avant tout que le patient puisse recréer du lien avec lui-même et

autrui » [6]. Le lien : la manière dont il se fait, dont il ne se fait pas, dont il peut être brisé, cassé, reconstruit, dont il peut être levier thérapeutique... reste le cœur de notre travail quotidien. Cela étant, il ne nous semble pas incom-patible et dénué d’intérêt thérapeutique, de proposer à nos patients des moments de travail spécifique tout en les conservant comme sujets. Au cours des années, le projet Archimède a certainement ouvert l’équipe à une vi-sion Cognitivo-Comportementale de la maladie mentale et ouvert la voie à d’autres projets orientés Thérapies Cogni-tivo-Comportementales (dont ACT, Ac-ceptance and Commitment Therapy, Thé-rapie d’Acceptation et d’Engagement en

français, en cours d’implémentation ac-tuellement). Il a fait évoluer le fonction-nement de l’Hôpital de jour en y amenant des ateliers et programmes spécifiques, en fonction des difficultés et des déficits ob-servés mais aussi de la demande du pa-tient et de ses ressources. Les perspectives du module Emergence impliqueront avant tout de maintenir la cohérence et la cohésion dans l’équipe, d’essayer de continuer à fonctionner en bonne articulation et complémentarité. Dans les années qui viennent, il existe également une volonté de mettre en œuvre des chantiers autour de l’évaluation de l’efficacité thérapeutique de nos pro-grammes et de nos prises en charges.

Tableau I Programme Archimède : aspects positifs et difficultés rencontrées

Ce qui nous est apparu positif Difficultés rencontrées

Psychoéducation Remédiation cognitive avec ou sans pro-

gramme précis (petits jeux) Entretien de famille/travail en réseau Bilans centrés sur la qualité de vie Travail sur les émotions Travail avec interprétation des images

(émotions, journaux) Sorties /situations concrètes Intégration les après-midis aux autres pa-

tients de l’Hôpital de jour Réunion hebdomadaire pluridisciplinaire

Côté stigmatisant du regroupement par symptôme et d’un rythme différent (3j/semaine pendant 9 mois au lieu de 5j/semaine durant 6 mois pour la plupart des autres modules de l’Hôpital de jour)

Difficulté de constituer un groupe homogène pour appliquer le programme initial Peu de personnel et peu de pluridisciplinarité Résistance d’une partie de l’équipe à ce nouveau concept (base TTC, vision de la psychose) Résistance à accueillir cette population spécifique dans les activités IPT peu adaptée à une patientèle pas suffisamment déficitaire

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 74

Les ateliers de l’unité de réhabilitation

L’unité de réhabilitation est intégrée dans un dispositif de soins complexes au sein du Centre Hospitalier Universitaire Vau-dois de Lausanne – Suisse. Elle s’adresse aux personnes pour lesquelles les consé-quences psycho-sociales de leurs troubles psychiques sont importantes. Elle vise à favoriser leur rétablissement. Il s’agit non seulement de soigner médi-calement leurs troubles, mais aussi de les aider à retrouver un rôle et des relations sociales, une identité intégrée et la satis-faction d’une vie remplie. L’unité com-prend une dimension thérapeutique (con-sultation ambulatoire, hôpital de jour, soutien à l’emploi) et ateliers de travail. Durant l’année 2014, les Ateliers ont ac-cueilli 343 personnes, dont 112 entrées et 107 sorties. Ces personnes signent un

contrat de collaboration et sont reconnues en qualité d’employés ou d’artisans sui-vant leur activité, qu’ils soient rattachés aux Ateliers de production ou aux espaces de création. L’âge moyen est de 45 ans et le groupe est composé de 131 femmes et 212 hommes. L’équipe d’encadrement compte 19 collaborateur(trice)s salariés, dont une grande majorité de maîtres so-cioprofessionnels. Plus précisément, la mission des Ateliers de l’Unité de Réhabilitation est de fournir à des personnes présentant des difficultés passagères, récurrentes ou invalidantes sur le plan psychosocial, des activités de production (sous-traitance industrielle), artisanales, artistiques et de bien-être. Les participants aux espaces de création, reconnus comme artisans, évoluent au sein de Césure (peinture, dessin, poterie, céramique et textiles), de Baz’art (créa-

tions avec divers matériaux), d’Erga-sia (galerie d’art, expositions) et de la bu-reautique (initiation au traitement de texte, image). Quant aux ateliers de production, leurs ac-tivités se déploient sous les filières et les appellations suivantes : Imprim’ser-vices (travaux pour l’imprimerie, coupe pliage, façonnage, reliure, assemblage), Conditionnement et recyclage informa-tique (emballage, étiquetage, expédition, démontage et récupération de matériel in-formatique), Artisanat bois (fabrication et restauration de meubles, travaux d’artisa-nat, d’ébénisterie et de menuiserie), Agro-alimentaire (espaces verts, huile de noix, bois de feu, tresses et pain), Maintenance informatique (récupération, assemblage et configuration d’ordinateurs).

Préambule à l’audace L’audace est sans doute une qualité, on peut aussi la considérer comme une vertu politique, sociale, sportive. Elle se noue dans un élan, une expression, un geste, qui impriment leur marque dans un temps donné. L’audace et l’audacieux ou l’auda-cieuse se déploient ainsi dans un champ d’activités qui les précède, qui est donc antérieur à leur propre déploiement. L’au-dace n’est pas l’innovation, bien qu’elle puisse concourir à une nouvelle forme d’expression qui ouvrira un nouveau champ d’activités. Par exemple, dans le champ des arts, modifier le cadre et cer-taines règles qui permettaient l’émer-gence d’un objet considéré jusqu’alors comme relevant de leur champ, est un geste initiateur de nouvelles expériences, restant néanmoins soumis aux critères d’évaluation antérieurs dont sont garants le cadre et les règles. Mais il peut aussi s’en écarter pour finale-ment les contester dans l’espoir d’ouvrir de nouvelles perspectives qui, solidifiées, après leur déstabilisation, édifieront un nouveau champ d’activité. Ou bien il peut mener directement à ce que l’on nomme prosaïquement “le bide”, l’échec. Il ne faut pas l’oublier : modifier le cadre et les règles dans le champ des arts est un risque

L’Unité de Réhabilitation du Service de Psychiatrie Communautaire de Lausanne (DP CHUV) est composée d’une unité de soins ambulatoires, d’un hôpital de jour et d’ateliers. La démarcation entre lieux de soin pour les deux premiers et lieu d’activité, de production et de création artistique pour les derniers ne dépend pas exclusivement de leurs modes de financement (pour les deux premiers, par l’assurance maladie de base obligatoire en Suisse ; par le Service de Prévoyance et d’Aide Sociales (SPAS) pour les derniers). En effet, l’expérience lausannoise montre que la prescription du soin est sous tension et solidaire de l’inscription des patients dans la formulation personnelle, singulière, de nouvelles marques, de nouveaux sillons, pourvoyeurs d’identités. L’engagement et le travail par une activité spécifique aux ateliers peut en faire partie. Sans doute des lieux deviennent des lieux de soin, des lieux d’activité et sont investis comme tels à condition d’être des lieux de mise en relation, mise en circulation (mise en circulation de la parole, mise en circulation de biens à produire, produits). Ainsi, de la prescription du soin à l’inscription personnelle, et de leur dynamique propre peut émerger ce que nous empruntons volontiers au domaine musical : une forme de transcription. La phase de reconstruction, décrite dans le processus de rétablissement, fait appel à l’audace (« oser faire autrement ») et aux ressources de chacun, comme la transcription musicale qui consiste à noter de la musique pour un instrument autre que celui pour lequel elle est initialement écrite, dans la perspective d’une exécution différente. Mots-clefs : psychiatrie, travail, travail social, rétablissement

Being oneself, being healed: to take care of oneself or to shape one’s life?

The Psychiatric Department of Community Unit of Lausanne (CHUV DP) is composed of the ambulatory care unit, of the day hospital and of workshops. The separation in terms of location between medical care and activities for the ambulatory care unit and the day hospital, as well as the separation between production and artistic creation for the workshops, is not only a consequence of their source of funding (the ambulatory care unit and the day hospital are financed by the mandatory Swiss basic health insurance whereas the workshops are financed by the Welfare Services and Social Assistance (SPA)). Indeed, the Lausanne experience shows that the prescription of care is under tension but also linked with the inscription of the patients in personal language, new landmarks, new paths and finally produces new identities. The engagement and the work itself in a specific activity made in workshops can also participate to it. There is no doubt that the spaces used for medical care or activities are experienced as such, provided that these spaces allow personal relations and the circulation of speech, of the things to produce and goods. Thus, from the prescription of medical care to the personal engagement with their own dynamic, it may emerge a kind of transcription that is used in the musical field. The reconstructing phase, described in the process of recovery, needs audacity (“dare to do things differently”) and personal strength. A comparison can be made with the musical transcription that would consist to write a piece of music for another instrument that is initially written for and in the perspective to play the piece of music differently. Keywords : psychiatry, employment, social work, recovery

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Etre soi, être soigné : se soigner ou se travailler ?

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2017 - n° 19 75

à prendre, sans garantie contre l’apprécia-tion négative, le rejet ou l’incompréhen-sion. L’audace et l’audacieux ne s’autorisent donc pas que d’eux-mêmes, ils prennent leur élan dans un lieu et en un temps ins-titués. En terres normandes, qui nous in-vitent en octobre 2015 à partager l’expé-rience lausannoise concernant certains as-pects des soins en psychiatrie sociale de l’unité de réhabilitation, l’audace n’est pas un vain mot, il résonne même histori-quement avec force, en nous renvoyant, nous qui ne l’avons ni vécu ni connu, sur le théâtre des opérations militaires du dé-barquement allié en juin 1944. L’audace commémorée, illustrée par différents “moments du combat militaire” et de leur répercussion immédiate au niveau de la population civile, prend une dimension héroïque, dimension que nous n’occul-tons pas mais que nous souhaitons, à notre mesure, questionner : quelle place pour l’audace, dans un rapport institué, entre clinique, malades psychiques et interven-tions sociales ? Pour nous aider nous nous appuyons sur un livre remarquable de l’écrivain suisse-allemand Ludwig Hohl, « Die Notizen oder Von der Unvoreiligen Versöh-nung » [2], traduit en français en 1989, sous le titre : « Notes ou de la réconcilia-tion non–prématurée ». Dans ce livre dense, foisonnant, un peu fou, l’écrivain prospecte, en notre compagnie, différents territoires plus ou moins connus, dans un style d’écriture sobre, précis. Le territoire humain qu’il sonde en un premier cha-pitre, réparti en 51 notices, prend en con-sidération la notion du travail. Nous avons choisi, dans la première no-tice de ce chapitre, les trois phrases sui-vantes : - « La vie humaine est brève. » - « Car la mesure d’une vie, ce n’est pas une horloge, c’est le contenu de cette vie. » - « Ce faire-là, et nul autre, voilà ce que j’appelle le travail. »

Ces trois phrases n’ont pas pour nous va-leur de vérité mais de guide pour dévelop-per une perspective, c’est-à-dire échafau-der un point de vue sur notre pratique ins-titutionnelle. Ce point de vue, Monsieur Gérald, patient rencontré dès août 2012, par son histoire et sa maladie, le complexifiera.

La vie humaine est brève Monsieur Gérald est arrivé aux ateliers de l’unité de réhabilitation à l’automne 2013, en rage et sans espoir, dans le cadre d’une mesure de réinsertion socioprofession-nelle, sous mandat de l’office de l’assu-rance invalidité (AI). Il fulminait, ne se re-connaissant plus ni dans ce qu’il était ni

dans ce qu’il avait traversé. Sa vie n’était plus vraiment sa vie, son sentiment d’existence en voie d’extinction. Il n’était plus temps de penser à ses origines, à l’élève moyen qu’il disait avoir été. Quand on a été très investi dans son tra-vail, quand on est méticuleux, apprécié par sa hiérarchie, quand on a obtenu à de nombreuses reprises des postes à respon-sabilité, “l’utilité sociale” devient une se-conde nature, une forme d’assurance, l’assurance que l’on existe bien, pour soi et pour autrui. Alors, se retrouver dans un endroit un peu vétuste, confiné, où l’on vous propose comme activité la mise sous pli... à proximité d’un hôpital psychia-trique en plus... Et on aura beau expliquer au psychiatre qu’on consulte depuis 2012 sur le même site que les ateliers qu’on ne se sent plus utile à rien, comment... Comment d’ail-leurs lui expliquer que jamais, par le passé, on ne s’était figuré qu’un jour on aurait recours à lui ? La santé, c’est le travail, et ce n’est pas à un homme approchant la soixantaine à qui on dira le contraire, surtout quand il en est la preuve vivante ! Trente-cinq ans dans un service après-vente comme technicien, que ce soit pour les pompes à essence ou encore les machines à café, appelable dans toute la Suisse, couvrant l’ensemble de ce petit territoire d’accord, mais qui connaît cette terre ? En effet, en 1997, suite au décès de son beau-père, Monsieur Gérald reprend l’exploitation agricole de feu celui-ci, tout en conservant son acti-vité professionnelle habituelle. Créatif, il développe, avec l’aval de sa famille, l’éle-vage d’autruches, d’alpagas et, plus ré-cemment, la culture d’épeautre. La santé, c’est le travail à condition de pouvoir gar-der la main mise sur la gestion du do-maine et du travail technique. Se retrouver à travailler dans une mesure à caractère socioprofessionnel, dans une activité ré-pétitive et évaluée par un maître sociopro-fessionnel, a suscité frustration et dépit qui nourrissaient sa colère. Au début, Monsieur Gérald subit la me-sure qu’il lui avait été demandé d’entre-prendre. Il ne s’inscrit pas dans ce “pro-jet” préférant faire valoir son caractère obstiné, « je n’accepte pas ». Il restait à son poste de travail, sans contacts avec ses collègues d’atelier et bougonnait. Iro-nique, « un technicien qui plie des enve-loppes », remarque adressée aux profes-sionnels d’encadrement. D’avoir son corps à “l’arrêt” et statique sur un poste de travail qui l’exigeait remet en cause son identité de travailleur “actif”, remet en cause son statut ainsi que l’emploi et l’in-telligence de son corps. Assez rapidement, malgré les réticences, Monsieur Gérald s’est intéressé au sens de

son “nouveau job” et a posé des questions quant à la commande : mailing publici-taire d’une entreprise d’horlogerie. Il a alors commencé à s’inscrire dans la com-munauté de travail, communiquant son enthousiasme et discutant avec ses col-lègues d’atelier. Il profite des pauses et des repas pour partager avec fierté son ex-périence personnelle d’agriculteur et éle-veur. La cafétéria devient pour lui un lien de convivialité. D’une mesure à “remplir”, prescrite admi-nistrativement, Monsieur Gérald choisit de négocier cette période de son existence et d’en faire une nouvelle inscription dy-namisant sa vie.

Car la mesure d’une vie, ce n’est pas une horloge, c’est le contenu de cette

vie La vie humaine est brève, elle est rythmée par des obligations, des enthousiasmes et des déceptions. Ludwig Hohl affirme de manière lapidaire « Sans la conscience que notre existence est brève, nous n’ac-complirons aucune action qui vaille ». La vie de Monsieur Gérald, “avant”, était séquencée par sa vie de famille et ses dif-férentes casquettes, son emploi de techni-cien, d’agriculteur et l’engagement en po-litique auquel il renoncera plus tard. Dans son dernier emploi, Monsieur Gé-rald, alors chef de groupe, accumule stress et “usure”. Il fait remonter son mal-être à l’arrivée d’un nouveau responsable au-quel il doit rendre des comptes, celui-ci « voulant montrer qu’il est le chef » en le dénigrant, le critiquant. Monsieur Gérald bénéficie d’un certificat d’arrêt de travail dès juin 2012. Des négo-ciations avec son employeur sont menées mais celui-ci se montre peu enclin à pro-poser des alternatives à son retour au tra-vail (aménagement du poste de travail). Sa situation de santé générale s’exacerbe suite à l’annonce de son licenciement pour fin janvier 2013. A ce moment-là, un retournement de si-tuation se produit : le licenciement est ré-voqué et une proposition de poursuite du contrat de travail est discutée au même poste de technicien-chef de groupe. Il re-fuse. Dans l’intervalle, au niveau médical, le diagnostic d’épisode dépressif sévère est posé et confirmé par une expertise psy-chiatrique. Monsieur Gérald essaie, puis refuse, puis essaie à nouveau, dans un va-et-vient in-cessant, de mesurer sa vie, d’en faire le bi-lan comme les professionnels le disent parfois, mais à quelle aune ? A l’aune d’une horloge implacable comme toutes les horloges ? Et le temps qui passe, et avance, avance... Ou bien en sous-pesant « le contenu de cette vie », comme l’écrit Hohl.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 76

LES AUTEURS Dr Frédéric SCHNEEBERGER Médecin Chef de clinique adjoint Emmanuel PECHIN Intervenant socio-éducatif CHUV, Département de psychiatrie Service de psychiatrie communautaire Les Ateliers de l’Unité de réhabilitation Route de Cery 1008 Prilly Suisse

BIBLIOGRAPHIE 1. Guide du rétablissement, Unité de réhabilita-tion, Lausanne, 2013, 61, pp. 5-6. 2. HOHL L., (1981), Die Notizen oder Von der Unvoreiligen Versöhnung, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 536, 11

Il n’y a sans doute pas de réponses simples à ces questions, des réponses im-médiates, évidentes, tranchées. Et c’est justement ce dont il dit souffrir le plus, « Vous savez, je n’arrive plus à prendre de décisions, je remets au lendemain ; même pour les foins... ». La maladie psychique de Monsieur Gé-rald le rend, pense-t-il, inutile. Ce qui rythmait sa vie prend des allures morbides de tocsin, comme si le contenu de sa vie ne devenait par moments plus qu’affaire d’horloge. D’ailleurs, il voudrait en finir. Il dit sa lassitude de cette attente d’un meilleur jour… qui s’éloigne de jour en jour. A ce propos, Ludwig Hohl écrit : « [...] nous serons peut-être actifs en ap-parence, mais nous vivrons, pour l’essen-tiel, dans une attente perpétuelle [...] ». Dans le cas de Monsieur Gérald, ce senti-ment d’attente, en dehors des circons-tances et des événements extérieurs l’af-fectant au moment de l’acmé de sa mala-die, a peut-être aussi été favorisé, du moins nous sommes-nous posés la ques-tion, par les échéances de la mesure de ré-insertion socioprofessionnelle aux ate-liers, les bilans fixés périodiquement, avec des objectifs “serrés” le mettant dans la position de devoir rendre des comptes concernant sa capacité de travail. En progression ? Stationnaire ? Nulle ? Durant le suivi thérapeutique, Monsieur Gérald s’est ouvert de ses idées suici-daires, douloureuses pour lui, d’autant plus quand un voisin agriculteur dont il était proche a mis fin à ses jours. Il a pu reconnaître que le fait “d’en parler” le soulageait un peu. Au fil des mois, et bien après sa mesure de réinsertion aux ateliers (soit fin 2014), sa situation clinique s’améliore jusqu’au moment où il nous annonce vouloir innover « en cultivant de l’épeautre ». Ce qui nous frappe, durant ce laps de temps, c’est sa meilleure santé, et son si-lence quant à celle-ci, perçue par nous. Il faut dire que notre suivi thérapeutique s’échelonne toujours sur un rythme heb-domadaire, alterné en binôme médico-er-gothérapique... comme si Monsieur Gé-rald était encore en pleine période de cas-sure, brisure ! En évoquant avec lui cette absence d’ajustement du suivi thérapeu-tique en fonction de son évolution, il ap-paraît que Monsieur Gérald, effective-ment, ne sait plus trop comment investir les soins : comme s’il devait répondre à l’exigence de voir les soignants régulière-ment, « parce qu’au fond ça ne va pas vraiment », alors même qu’il se sent mieux et nous fait part de ses projets ! Le cadre des soins l’a mis dans une situation, là aussi, d’attente perpétuelle « de revenir comme avant » alors même que le proces-sus de changement est enclenché...

Ce faire-là, et nul autre, voilà ce que j’appelle le travail

Dans notre expérience lausannoise, les personnes qui ont vécu une cassure, une brisure, et se retrouvent en soins, nous parlent souvent du travail et des compé-tences qu’ils ont perdu suite aux symp-tômes de la maladie. La capacité de reprise d’une activité pro-fessionnelle peut être le signe que le pro-cessus de rétablissement dans leur vie est en action. Travailler est aussi le signe de la récupération d’une place dans la com-munauté, d’une source de motivation mais cette perspective de reprise d’acti-vité engendre aussi des anxiétés, la con-frontation à la réalité, et la perte d’illu-sions. L’écrivain Ludwig Hohl oppose de ma-nière radicale ce qu’il nomme « des forces extérieures » et « sous la contrainte de forces extérieures, étrangères » à « ce qui t’est propre, sous la seule poussée de force intérieure », faisant de cette der-nière l’unique moteur de l’action et du tra-vail. Il semble qu’à la question devant la-quelle nous souhaitions trouver au moins une prémisse de réponse il oppose une fin de non-recevoir. En effet, toujours dans cette première notice, il écrit « Faire quelque chose, et de cette manière, c’est-à-dire faire ce qui t’est propre, sous la seule poussée de forces intérieures : cela seul donne la vie, cela seul peut sauver ». Au vu de notre pratique institutionnelle, nous nuançons cette affirmation. En effet, nous pouvons assimiler « les forces exté-rieures » de Hohl à la prescription médi-cale mais aussi sociale et sa « seule pous-sée de force intérieure » aux ressources de chacun favorisant le jeu de nouvelles ins-criptions, l’enjeu des soins psychiques étant alors l’art de les connecter. D’une certaine manière, Monsieur Gérald était “holhien” avant que nous ne lisions Hohl, un tenant de cette position tranchée qui compte, exige tout de soi, puise à l’in-térieur - pour s’orienter vers l’extérieur ; il exigeait de ses forces intérieures seules qu’elles le portent et le mènent là où il de-vait aller, ne comptant que sur elles pour faire ce qu’il avait à faire. L’histoire de sa vie en témoignait... jusqu’à l’épuisement ! Evidemment, nous ne nous permettrons pas de porter un jugement sur cette atti-tude et conviction humaines, relevant sans doute aussi d’un choix - et donc à respec-ter en tant que tel -, préférant nous con-centrer sur ce que Monsieur Gérald nous a donné à saisir de certains enjeux au cœur de notre travail, au moment où nous l’avons rencontré et suivi. Pour terminer, nous aimerions souligner que Monsieur Gérald a aussi osé faire au-trement quand il a conjugué et travaillé un

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Etre soi, être soigné : se soigner ou se travailler ?

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2017 - n° 19 77

élément hétérogène à sa vie et à son iden-tité professionnelle vacillante : être tech-nicien et plier des enveloppes ; sans doute, nous rétorquerait-il, qu’il s’en se-rait bien passé, et qu’il n’a cessé d’oser faire autrement, en tant qu’agriculteur vi-vant dans le canton de Vaud, en conti-nuant de construire des projets à la ferme.

Conclusion De la prescription du soin à l’inscription personnelle émerge une forme de trans-cription qui, comme dans une partition de musique, compose une harmonie de vie. Dans l’exemple cité dans notre présenta-tion, nous relevons que “la mélodie” de Monsieur Gérald a été ponctuée de

croches et de modulations, de soupirs et d’altérations, d’a capella et d’orchestra-tion. La prescription du soin couplée à l’ins-cription du patient exécute une mélodie qui se module et évolue apportant ainsi de riches et différentes exécutions.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 78

Introduction L’Hébergement Thérapeutique (HT) est une structure médico-sociale rattachée à la Maison des Adolescents (MDA) du Calvados. Il est ouvert depuis le mois de février 2012 bien que son projet existe de-puis la création de la MDA en 2006. C’est un dispositif d’accueil de soirée et de nuit pensé dès l’origine en complémen-tarité de l’Espace de Soin et de Médiation (Hôpital de jour pour adolescents de la MDA). Il a pour fonction d’accueillir des adolescents en état de souffrance psy-chique quel que soit le contexte psycho-pathologique. Ce projet expérimental a pu se mettre en œuvre au regard du constat d’un manque dans le soin aux adolescents, particulière-ment pour les problématiques de sépara-tion de plus en plus présentes dans la cli-nique actuelle. Dans le panorama local, les seules solutions pour permettre une mise à distance du milieu usuel sont l’hô-pital ou le placement au titre de la protec-tion de l’enfance, l’un comme l’autre ne convenant pas à toutes les situations cli-niques. Il nous semblait alors important de développer une alternative ancrée dans le champ du soin.

Les objectifs princeps de ce dispositif sont de permettre une séparation partielle d’avec le milieu usuel pour favoriser un apaisement psychique, d’engager l’ado-lescent dans une autre dynamique rela-tionnelle au sein d’un collectif de jeunes et d’adultes et ainsi de lui offrir une scène pour agir et penser sa souffrance avec l’aide de l’équipe. Les trois “conditions” permettant un ac-cueil sont l’existence d’un état de souf-france psychique, l’absence de décom-pensation psychiatrique aigue qui relève-rait de l’hôpital, et d’avoir un lieu d’hé-bergement usuel en dehors de la structure. L’HT a été pensé dès son origine comme un espace à même de soutenir un travail d’élaboration chez l’adolescent, à l’instar du concept de psychothérapie par l’envi-ronnement énoncé par Botbol, « Un “trai-tement par l’environnement” a certes un but limité : permettre aux patients aux-quels nous le proposons de se réappro-prier leur espace psychique élargi grâce au travail élaboratif dont il est l’objet. C’est bien sûr moins que les visées habi-tuelles d’une psychothérapie analytique. Mais, pour autant, c’est plus que l’objec-tif contenant classiquement dévolu aux institutions soignantes ». (Botbol M. 2000)

Ainsi, le travail psychothérapeutique mis en œuvre au sein de l’HT doit permettre à l’individu de mettre en lien sa réalité psy-chique interne avec la réalité externe, les deux venant souvent s’entrechoquer dans le social, entraînant souffrance et aliéna-tion. Ce travail de lien doit s’appuyer sur une articulation entre l’enveloppe formée par l’HT au sein même de ses murs – lieu privilégié de l’expression de la réalité in-terne – et la réalité externe s’exprimant au sein du lieu de vie habituel, du lieu d’étude ou de travail, dans la famille. C’est pourquoi ce dispositif a été pensé dans des modalités d’intervention discon-tinues où l’HT n’est pas l’acteur central du projet. En effet, être seul rendrait ca-duque ce travail, l’élaboration psychique dans un système différencié devenant im-possible. De plus, un travail partenarial soutenu s’est imposé comme une néces-sité afin de s’assurer de la continuité des espaces d’accompagnement autour de l’adolescent. Au travers de la présentation formelle du dispositif, nous essaierons de décrire les bases du fonctionnement de l’HT pour en-suite en développer certain aspects et va-leurs cliniques fondateurs de notre pra-tique.

Le dispositif L’HT accueille 8 à 10 adolescents de 12 à 18 ans tous les soirs de la semaine sauf le samedi soir. Les accueils sont pensés sur des temps séquentiels fixes sur chaque se-maine (entre deux et six nuits par se-maine). La file active représente une ving-taine de jeunes différents accueillis sur chaque semaine. Les projets s’inscrivant sur des durées allant de 3 à 6 mois, nous accueillons une cinquantaine de jeunes différents chaque année. De manière ex-ceptionnelle, les durées d’accueil peuvent être plus longues si la situation clinique le nécessite. L’encadrement est assuré par des infir-miers diplômés d’état, des éducateurs spé-cialisés, une maitresse de maison, un chef

L’Hébergement Thérapeutique a été pensé dès l’origine en complémentarité fonctionnelle avec les autres espaces de soin de la Maison des Adolescents du Calvados. On le nomme communément « La Maison des Ados de nuit » puisqu’il permet de recevoir des adolescents en souffrance psychique sur des temps d’accueil de soirée et de nuit dans le cadre de projet à moyen terme. En quoi un accueil de nuit est-il pertinent face aux évolutions de la clinique de l’adolescence ? Cette question rythme les évolutions nombreuses de ce dispositif encore très récent. Au travers de la présentation du dispositif, de son fonctionnement et ses étayages théoriques, nous discuterons en quoi ce type d’accueil nous paraît nécessaire et pertinent dans le panorama des soins aux adolescents et comment il s’inscrit dans une continuité avec les soins de jour. Mots-clefs : hébergement, soin, cadre, institution

Night Care as an alternative way of treatment in adolescent psychiatry

Originally, the “Therapeutic Accommodation” was thought to function in synergy with la Maison des Adolescents as a whole. Usually, we name it the Maison des Adolescents of the night as it permits to take in adolescents in psychic suffering from the evening until the morning. Care last from 3 to 6 months. What profit does adolescents can take from such a night medical facility in the light of recent adolescence disorders development? This issue constantly shapes the various evolutions of this young facility. Through a description of the facility, her organization and theoretical principles, we will discuss how this innovative approach might help suffering adolescents by creating efficient links with adolescent psychiatric day care. Keywords: accommodation, care, environment, institution

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L’Hébergement Thérapeutique : des soins de nuit comme alternative aux soins de jour dans la clinique de l’adolescent

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de service éducatif, un interne en psychia-trie et un médecin psychiatre. Nous es-sayons d’assurer la permanence d’un bi-nôme infirmier/éducateur au quotidien. Trois à quatre professionnels sont pré-sents dans les temps forts de l’accueil pour permettre un accompagnement per-sonnalisé de chaque jeune aussi bien en collectif qu’en individuel. Les nuits sont assurées par un infirmier pour permettre la continuité des soins. Le processus d’admission se décline en plusieurs étapes afin de permettre un in-vestissement progressif du projet par l’adolescent mais aussi par les adultes qui l’entourent (famille et partenaires). En ef-fet, l’accueil à l’HT n’étant pas contraint par un mandat ou un besoin de soin en ur-gence, il est indispensable que l’adoles-cent et son entourage puissent y mettre du sens. La première étape de ce processus est la pré-admission qui permet la rencontre des différents partenaires engagés dans la si-tuation, notamment le service demandeur. C’est à cette occasion que le projet d’ac-cueil est co-construit afin d’en assurer la cohérence. En effet, l’HT ne doit pas prendre une place centrale dans l’accom-pagnement mais plutôt s’adosser à un dis-positif pluriel déjà existant et venir le sou-tenir. Les demandes peuvent émaner aussi bien des services de soin (hospitalier ou ambulatoire), que d’établissements mé-dico-sociaux, de services de la protection de l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Par la suite, l’adolescent est reçu avec ses représentants légaux durant le temps de l’admission. Le dispositif est présenté et une visite des locaux est proposée. C’est le premier temps de l’investissement du lieu et de l’équipe. C’est aussi l’occasion de la contractualisation formalisée de l’accueil avec la signature du contrat de séjour par le jeune et ses parents. C’est un temps qui permet un échange autour de la problématique, même si nous faisons le choix de ne pas revenir sur l’anamnèse des troubles. Les échanges se construisent principalement autour des objectifs envi-sagés par chacun. Enfin, une soirée de contact, une semaine avant l’accueil définitif, est organisée afin que l’adolescent puisse venir “tâter” le terrain avant d’y dormir. Durant cette soi-rée, il rencontre plusieurs membres de l’équipe et les autres adolescents accueil-lis ce soir-là. Il participe à la vie du groupe et notamment aux médiations proposées s’il y en a. Ce processus doit s’accompagner d’un travail avec les partenaires demandeurs. En effet, nous avons l’expérience que le fait de s’engager dans un tel projet mobi-

lise espoirs et résistances tant chez l’ado-lescent que chez les parents et partenaires. Cela doit être mis en pensée pour per-mettre que le lieu soit investi pour les bonnes raisons. Ainsi, nous évoquons tou-jours avec les partenaires demandeurs l’importance de faire vivre le projet dans la tête de l’adolescent et de ses parents, même quand le délai d’attente semble long. Durant l’accueil, le travail thérapeutique s’ancre sur deux axes principaux : le col-lectif et les médiations. Le collectif per-met une expérimentation relationnelle dans un cadre contenant, aussi bien avec des adultes aux postures différenciées qu’avec des jeunes de provenances di-verses permettant une réelle hétérogénéité du groupe (âge, milieu social, parcours, problématique, psychopathologie). Le partage de la vie quotidienne autour de temps symboliques forts (goûter, diner, coucher…) permet une richesse des inte-ractions et des émotions qui y sont liées. Les médiations s’appuient sur de mul-tiples supports centrés aussi bien autour du corps que d’approches culturelles. Ce sont des groupes ouverts le plus souvent avec une modification du groupe régu-lière tant au niveau des adolescents que des professionnels qui l’encadrent. Par-fois, les jeunes bénéficient de groupes fer-més en lien avec la MDA. Outre l’accueil de soirée et de nuit, l’HT est en mesure de s’appuyer sur un en-semble d’autres possibilités d’accompa-gnement qui ont pour fonction de per-mettre à des adolescents trop en difficulté d’accéder différemment à un accueil clas-sique. Les séjours thérapeutiques en sont une illustration, de même que l’accueil de journée ou les suivis extérieurs. Les sé-jours permettent en outre un accueil sur les périodes de vacances scolaires en évi-tant l’écueil d’aller et retour entre l’HT et le domicile, peu efficient dans un travail de séparation. Ils sont construits autour de projets de cinq jours durant les petites va-cances, et de neuf jours durant les grandes vacances. Nous essayons autant que pos-sible de les inscrire dans une thématique qui donnera envie aux adolescents de s’y investir tout en s’assurant une continuité entre les différents supports de médiation. L’accompagnement des familles est un point central du travail, tout comme le partenariat. Il nous paraît en effet primor-dial de pouvoir intervenir auprès de l’en-vironnement des adolescents accueillis en parallèle de leur accompagnement en hé-bergement. Ce travail se décline à plu-sieurs niveaux, tant dans le quotidien dans des espaces interstitiels que dans des ren-dez-vous plus formalisés avec les réfé-rents, le coordinateur ou les cadres. Les bilans réguliers de l’accompagnement en

sont la déclinaison la plus formelle. Ils rythment la prise en charge et permettent d’ajuster régulièrement les objectifs et les modalités d’accueil. Au décours de cette présentation non ex-haustive du dispositif, nous souhaitions proposer quelques pistes de réflexion cli-nique autour de notre pratique. Ce sont des aspects qui nous apparaissent particu-lièrement importants et opérants dans la clinique actuelle de l’adolescent. (Saint André et al. 2008)

Le travail du cadre Le cadre thérapeutique de l’HT s’inscrit dans une filiation qu’on ne peut renier. L’HT s’inscrit dans la continuité de la MDA. Il est à la fois dans le champ sani-taire, social, médico-social. Le cadre syn-thétisé par l’HT ne peut s’extraire de cette filiation. A contrario, le cadre singulier, adressé à un individu, est modulable, adaptatif et évolutif. Ce cadre singulier ne peut être englobant du sujet et ne doit pas être ex-haustif, au risque d’enfermer le sujet, de l’aliéner dans une vision fermée de lui-même : « La marge, l’espace vide définis-sant le “partiel” du “cadre singulier”, sépare et individualise » (Chaperot, 2003). C’est cet espace de liberté subjectivant qui peut activer des processus psychiques et donner une valeur thérapeutique au dis-positif. C’est la rencontre du cadre théra-peutique et du cadre interne de l’individu qui va permettre un jeu au sens de Winni-cott et la réactivation de processus transi-tionnels. En suivant Chaperot, on peut po-ser au sein du cadre thérapeutique une dis-tinction entre l’épi-cadre et l’hyper-cadre : « l’épi-cadre correspondra à l’ap-port institutionnel. L’hyper-cadre quant à lui, correspondra à l’élaboration par le sujet de son propre système de balisage de la jouissance. Cela invite à penser un hy-per-cadre en croissance amenant l’épi-cadre à se restreindre jusqu’au “point li-mite” au-delà duquel le sujet se sent “lâ-ché”. Il s’agit bel et bien de la mise en dialectique dynamique des composantes d’étayage (épi) et d’élaboration singu-lière (hyper) » (Chaperot, 2003). L’épi-cadre, du fait de son incomplétude, de sa dimension partielle laisse la place à un hyper-cadre appartenant au sujet. L’enjeu est donc bien d’offrir un cadre flexible et malléable par le sujet mais suf-fisamment solide pour que le sujet ne le détruise pas en le manipulant, « le jeu pru-dent d’un vide peut amener le sujet à s’ap-proprier la béance pour y fonder son dis-cours, son repérage, sa vérité : autrement dit son hyper-cadre balisant sa jouissance

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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propre comme celle de l’Autre » (Chape-rot, 2003). Le cadre doit donc pouvoir accueillir la vie de l’autre sans la restreindre, sans la contraindre. Sinon, l’institution est prise dans une dynamique mortifère où le sujet n’est plus pensant. Il ne peut alors plus al-ler mieux. La dialectique entre épi-cadre et hyper-cadre va permettre au soignant de progressivement se représenter l’évo-lution des jeunes accueillis, jusqu’à pou-voir penser leur capacité à être seul, lâché. « De fait, l’Epi-cadre peut se réduire, hors conceptualisation, à mesure de la naissance d’un hyper-cadre qui est in-consciemment perçu et dont la qualité amènera les soignants à penser puis à dire « il va mieux », « il peut sortir » (de l’épi-cadre actuel, pour un autre ména-geant un espace partiel plus vaste). » (Chaperot, 2003) Un patient qui va mieux se caractériserait alors par un hyper-cadre ayant pris une ampleur suffisante pour permettre à l’in-dividu d’exister dans la relation à l’autre sans avoir besoin du soutien de l’epi-cadre. Il peut donc nous quitter ! L’epi-cadre dans sa dimension partielle offre un espace fondateur de l’hyper-cadre, c’est l’effet thérapeutique véritable de l’institu-tion. D’où la nécessité que l’HT ne soit pas engagé dans tous les domaines qui en-toure l’individu. On ne doit pas penser son projet dans une pensée désubjectivante ne laissant plus place à l’autre. Il faut que l’hyper-cadre de l’individu trouve un es-pace pour grandir. L’hébergement théra-peutique doit faire advenir du Sujet là où il n’y en avait plus. La mise en œuvre du cadre a donc avant tout pour fonction de permettre l’émer-gence d’un espace-temps propice à l’acti-vation de processus psychiques proches de ce qui peut se mobiliser dans un travail psychothérapeutique. Ce travail peut être artificiellement décrit en trois temps dis-tincts : « Dans un premier temps, il s’agit de donner forme à la conflictualité du pa-tient, cette conflictualité qui, à l’évidence, ne peut s’accommoder d’un espace théra-peutique comme la psychothérapie indivi-duelle, du fait de la violence et de l’am-pleur des mouvements excitatoires mobi-lisés, trouve un terrain propice au niveau d’une multitude d’intersubjectivités : plu-sieurs parties de cette conflictualité se trouvent comme détachées les unes des autres et mises en acte dans les relations différenciées que le patient noue avec les différents membres de l’équipe. Aucun travail de mentalisation des conflits n’est encore en cours, mais il y a modification dynamique et économique : tout ne se joue plus en même temps et avec tout le monde. Il y a alors mise en forme du conflit et

fragmentation de sa densité. » (Botbol, 2000). Dans un second temps, les équipes doi-vent se saisir de ce qui a été déposé auprès d’eux avec toute leur subjectivité. Alors, « les témoignages des soignants concer-nant le même patient commencent à diver-ger, pour peu que le médecin responsable reste vigilant afin que le discours et les at-titudes des soignants ne soient pas conti-nuellement soumis à une exigence d’ho-mogénéité. Ces différents témoignages se parlent, s’élaborent et convergent vers la mise en forme d’une série de pensées » (Botbol, 2000). Le dernier temps est celui de la restitution de ce travail d’élaboration auprès du patient : « cet ensemble plus ou moins cohérent est progressivement resti-tué au patient en cours de traitement, lors des entretiens avec le médecin ou dans les interactions et médiations multiples avec les soignants » (Botbol, 2000). Un tel travail ne peut se dérouler qu’en adoptant trois positions successives : ex-position - construction - restitution. Il s’agit donc « d’exposer une équipe aux mouvements d’identification projective du patient qui contre-investit sa conflic-tualité interne et l’“exporte” dans cet en-vironnement psychique disponible ». Puis, « à partir des effets de cette exposi-tion produire de la représentation, en s’en tenant au plus près de ce que l’on peut percevoir ou co-construire du monde in-terne et de l’histoire du patient, en s’ap-puyant sur les capacités d’empathie mé-taphorisante de chaque soignant en parti-culier et de l’équipe dans son ensemble ». Enfin, il faut « restituer au patient les ef-fets de cette élaboration, sous une forme acceptable par lui : par la parole ou, plus souvent, au travers d’actes multiples à l’occasion d’interactions quotidiennes, d’interactions plus exceptionnelles ou de recontractualisation du cadre des soins. On aura ici recours, le plus souvent, à ce que, avec Racamier, nous dénommerons des actions parlantes, c’est-à-dire des ac-tions qui valent plus par leur sens que par ce qu’elles réalisent concrètement. » (Botbol, 2000) Bien évidemment, ces postures se recou-vrent en permanence et ne se succèdent pas de manière artificielle dans le temps. Dans le quotidien, les professionnels sont dans des va et vient permanents entre les différentes postures pour se situer à la juste distance et produire de la représenta-tion partageable. Pour autant le cadre pensé au sein de l’institution doit per-mettre ces mouvements. Il est le support élaboré qui donne accès à un mode de mise en relation des jeunes avec les pro-fessionnels ouvrant l’accès à un travail psychothérapeutique par l’environne-ment.

La dynamique thérapeutique de l’HT ne semble alors pouvoir être pensée que dans un travail constant d’élaboration du cadre thérapeutique au sens de ce qui « consiste en l’ensemble des mesures et prescrip-tions qui établissent des limites aux com-portements, de même qu’il consiste en la matrice sensée favoriser l’élaboration psychique ou l’articulation au champ so-cial » (Chaperot, 2003). Il est finalement l’outil par lequel le collectif vient organi-ser et médier les échanges afin de les rendre supportables pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’en protéger avec leur seul psychisme, et enfin permettre aux professionnels de leur donner du sens. Dans cette mesure, les questions de l’ac-cueil, du travail du sens de la séparation et la flexibilité du dispositif sont au centre de nos préoccupations quotidiennes.

L’accueil, la fonction phorique, la contenance psychique

L’accueil est un aspect particulièrement important à l’HT. Il se décline à différents niveaux et peut concerner aussi bien les jeunes, les parents, nos partenaires, de nouveaux professionnels de l’équipe que des stagiaires. Prendre le temps de rece-voir l’autre dans de bonnes conditions est le préalable à une rencontre de qualité. La sensibilité d’un individu pour l’autre, le fait de prodiguer de l’attention, sont le lit d’une relation de confiance qui permettra à chacun de se sentir sécurisé. Cet énoncé semble une évidence, mais le fait de le si-gnifier permet de prendre conscience de tous les écarts qu’un quotidien parfois sous tension peut amener dans le désir de bien accueillir. Le sentiment de sécurité nous semble être le fondement d’une éventuelle contenance psychique tant de l’équipe que des jeunes. Cette notion de contenance que l’on peut rapprocher du holding de Winnicott (Winnicott, 1992) ne se construit que lors-que la singularité de l’autre est respectée et entendue pour ce qu’elle est. C’est ce à quoi nous nous attachons dans le lien quo-tidien avec les adolescents. Depuis leur retour de l’école avec un accueil indivi-dualisé pour faire le point, accompagné d’un temps de gouter, jusqu’au coucher, source d’angoisse, et nécessitant parfois de savoir s’accorder avec une ritualisation nécessaire, l’accueil de la sensibilité de l’autre est au centre de nos réflexions quo-tidiennes. Cette question de l’accueil nous semble rejoindre les conceptualisations clas-siques de la psychothérapie institution-nelle autour de la fonction phorique : « La fonction phorique concerne l’accueil, le cadre de la thérapeutique, le portage, tout ce qui est nécessaire pour définir une scène sur laquelle le patient va pouvoir

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L’Hébergement Thérapeutique : des soins de nuit comme alternative aux soins de jour dans la clinique de l’adolescent

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jouer sa problématique, souvent à son insu dans un premier temps » (Delion, 2006). Comme le signifie bien Pierre De-lion, la fonction phorique est une posture qui permet d’accueillir la souffrance de l’autre dans la rencontre. Cette posture se travaille au quotidien dans une volonté de portage de l’individu afin de lui permettre l’expression de sa subjectivité. Il faut lui permettre de prendre une position de su-jet, seule apte à lui offrir l’opportunité de s’engager dans un processus de change-ment. Prendre cette posture implique d’offrir un espace propice à la mise en scène de la subjectivité, mais aussi d’être prêt à rece-voir cette subjectivité et de s’en impré-gner. La scène que l’on propose trouve tout son intérêt en institution où les es-pace-temps sont multiples permettant une multiplication des contextes. On s’assure ainsi qu’il y ait une place pour que l’indi-vidu dépose ses difficultés. On peut alors envisager d’y avoir accès : « Prétendre appliquer à des pathologies délirantes ou comportementales une écoute stricte, ne considérant que ce qu’ils peuvent verba-liser en séance, nous ferait ressembler au quidam s’obstinant à chercher sous un ré-verbère sa montre perdue – non qu’il pense que c’est le lieu probable de cette perte, mais simplement parce que là au moins il trouve de la lumière ! » (Penot, 2004) En effet, le premier pas vers la compré-hension et l’élaboration des troubles pré-sentés par un adolescent est de s’offrir en tant que réceptacle et conteneur de l’ex-pression de la souffrance psychique, ce que permet la fonction phorique. « L’ins-titution qui assure cette fonction d’ac-cueil, de mise à l’abri et de contenance devient le lieu fécond où une conflictualité psychique peut se faire jour, en ce qu’elle permet aux forces en présence de se ren-contrer et de se dire sur la scène institu-tionnelle, afin qu’un travail de transfor-mation et de subjectivation puisse s’amorcer » (Billard, 2011). Ces préoccupations constantes nous sem-blent permettre l’émergence d’un désir, d’une parole signifiante qui nous aide chaque jour à mieux cerner les adoles-cents et à leur proposer un sens à leur souffrance dans une pensée collective. Cette pensée collective n’est possible que si l’équipe se sent elle-même suffisam-ment sécurisée pour se risquer à la ren-contre avec l’autre dans une intersubjecti-vité authentique. L’équipe doit donc être contenue, portée et accueillie. C’est donc bien une culture de l’accueil qui est culti-vée à tous les niveaux afin que chacun soit contenu.

La séparation comme outil de pensée L’HT a pour particularité d’offrir des temps de séparation d’avec le milieu usuel qui peuvent parfois être de plusieurs jours consécutifs. On peut le prendre comme un simple fait ou l’exploiter comme un outil de travail pensé dans le champ de la cli-nique. Le premier aspect d’importance est l’apaisement que peut offrir une sépara-tion. Quand le symptôme est trop bruyant et qu’il envahit chaque aspect du quoti-dien, ce qui s’avère de plus en plus vrai avec l’ensemble des conduites externali-sées (Jeammet, 2006), il devient difficile pour un adolescent, des parents ou des professionnels de se décaler et de mettre du sens sur cette « violence » relation-nelle. Se séparer c’est s’apaiser pour pen-ser et peut-être pouvoir commencer à aller mieux. A un autre niveau, la séparation physique peut être une nécessité pour mettre en mouvement les processus de différencia-tion et de subjectivation propres à l’ado-lescence. La clinique de l’adolescence nous confronte de plus en plus à des situa-tions dans lesquelles les problématiques de séparation sont au premier plan. Il est parfois nécessaire que l’adolescent et les parents l’expérimentent dans le réel pour envisager de s’y confronter psychique-ment. Dans ces contextes, la mise en œuvre d’une hospitalisation à temps com-plet peut s’avérer difficile et la flexibilité d’une séparation sur mesure permet une expérimentation progressive et moins an-xiogène pour tous. De plus, l’alternance entre les temps au domicile, en scolarité et à l’HT permet les allers et venues propres au travail psychique de l’adolescence. Enfin, se séparer de ses attaches habi-tuelles c’est aussi pouvoir venir se jouer différemment, s’autoriser à être un autre soi dans cet autre lieu. Cet aspect est par-ticulièrement saillant chez les jeunes d’institution pour qui cet espace tiers dé-gagé des enjeux habituels permet éven-tuellement de s’autoriser à aller mieux. Pas à pas ce mieux-être, initialement loca-lisé à l’HT, peut se translater aux autres espaces de vie de l’individu. Peut alors émerger une réelle amélioration clinique là où cela compte pour l’adolescent.

La flexibilité et l’adaptabilité pour répondre au temps de l’adolescence

Dans toute institution à dimension théra-peutique se joue le temps du cadre : « or-ganisation sociale réelle et symbolique du dispositif soignant, inscription des par-cours dans des limites chronologiques, durée des activités, des interventions, des séances, rythmes institutionnels, person-nels, corporels, psychiques, rythmes des

LES AUTEURS Dr Aymeric de FLEURIAN Psychiatre Stéphane POULAIN Chef de service éducatif Maison des Adolescents du Calvados 9, place de la Mare 14000 Caen France

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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échanges, de leur intégration, interpréta-tion, perlaboration, répartition des actes et de leurs niveaux de sens dans le temps en fonction des interventions tierces et des repères chronologiques extérieurs. » (Ké-bir, 2008) En effet, le soin psychique est une pra-tique du temps, les cadres cherchant un ef-fet de contenance et de transformation à visée thérapeutique étant pris dans une temporalité spécifique. Ce constat est par-ticulièrement juste quand on s’occupe d’adolescent dont la temporalité est prise dans les allers et retours entre immédia-teté et passivité. Un dispositif de soin qui leur est destiné doit pouvoir prendre en compte cette spécificité, avec en filigrane l’idée d’amener l’adolescent dans le temps du soin qui nécessite une certaine continuité. L’adolescent en souffrance est par es-sence dans l’urgence. Sa temporalité s’ac-corde souvent mal avec celle des institu-tions. Bien qu’il ne faille pas se laisser emporter par cette urgence, au risque de ne plus penser, il nous paraît nécessaire de la prendre en compte pour contenir psy-chiquement l’adolescent. Il faut recevoir et entendre pour mieux penser et mettre du sens dans un temps plus long. Pour pouvoir s’accorder avec ce besoin parfois irrépressible d’être entendu, pris en compte, il nous semble nécessaire de se montrer flexible et adaptable dans nos modalités d’accueil et de travail. Cela nous semble vrai autant dans le quotidien (se rendre disponible quand l’adolescent va mal) que sur le cadre plus large de la prise en charge (pouvoir augmenter le nombre de nuits d’accueil ou le dimi-nuer).

Le fonctionnement même de l’HT de-mande beaucoup de flexibilité psychique aux professionnels puisque sur deux sé-quences de travail d’un jour sur l’autre, le groupe peut être sensiblement différent avec une dynamique et des besoins spéci-fiques. Cette adaptation permanente, bien qu’éreintante, réinterroge à chaque fois sur sa posture vis à vis des jeunes et du groupe et nous semble être porteuse d’une disponibilité à être dans le tempo de l’autre. Encore une fois, s’accorder avec le rythme des adolescents en souffrance ne veut pas dire fonctionner en miroir et dans l’urgence. Les temps de réflexion clinique hebdomadaires sont le lieu de la pensée et de la décision hors de l’urgence. Pour au-tant il est toujours urgent de savoir écou-ter de la bonne oreille.

La complémentarité du soin et de l’éducatif

La spécificité historique de la MDA du Calvados est d’avoir voulu associer au même niveau l’intervention socio-éduca-tive et le soin dans l’approche thérapeu-tique des adolescents en souffrance. L’HT n’échappe pas à cette philosophie et cette réalité s’exprime d’emblée dans la com-position de l’équipe : des éducateurs et des infirmiers en première ligne - un chef de service éducatif et un psychiatre comme cadres responsables. Cette double valence dans l’approche thé-rapeutique, théorique à l’origine, nous ap-paraît aujourd’hui comme une évidence. Le regard croisé des deux champs nous offre une richesse dans la compréhension des situations, mais nous permet aussi une diversité des modes d’intervention auprès des adolescents. Les professionnels, au-

delà de leur individualité, s’engagent dif-féremment dans la relation et offrent ainsi des figures d’identification variées et pro-pices à de multiples mouvements transfé-rentiels. Enfin, la spécificité des cultures de l’édu-catif et du sanitaire nous permet de béné-ficier de compétences tant dans la prise en compte des dynamiques groupales que de l’écoute singulière de la souffrance de l’individu. En résulte un équilibre propice à l’épanouissement de chaque individua-lité dans le groupe sans que les troubles de l’un ou de l’autre ne viennent entraver la place de chacun.

Conclusion L’HT du haut de ses trois années de fonc-tionnement n’a que peu de recul. Cepen-dant, les évolutions de nos modalités de travail ont déjà été nombreuses et nous semblent encore rester en constante évo-lution. Chaque situation nouvelle est pour nous l’occasion de créer un nouveau dis-positif singulier. Cette créativité remanie nos pratiques enrichissant ainsi le disposi-tif. La “bonne disponibilité psychique” des professionnels est un enjeu majeur du bon fonctionnement du dispositif et s’appuie sur un co-pilotage médical et socio-édu-catif quotidien qui doit garantir une orga-nisation sécure. L’autorisation “expérimentale” de l’HT nous force pour le moment à être dans cette permanente remise en question. Es-pérons que la possible reconduction du dispositif ne nous enferme pas dans nos habitudes !

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Introduction Si carcéralité et psychiatrie peuvent appa-raître de prime abord comme deux “mondes” antagonistes, ceux-ci coexis-tent depuis 1994 et trouvent leur point commun dans la notion de l’institution to-tale de Goffman (1968). Ces deux institutions auraient alors une même définition, « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’indivi-dus, placés dans la même situation, cou-pés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont ex-plicitement et minutieusement réglées » (Goffman E., 1968). Mais deux logiques et deux missions s’opposent fondamenta-lement : la privation de liberté sous sur-veillance et soigner la souffrance psy-chique. Grâce à la loi 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la Santé Publique et à la Protec-tion Sociale, la prison a ouvert ses portes à l’hôpital public par la création des Uni-

tés de Consultations et de Soins Ambula-toires (Unité Sanitaire-Dispositif de Soins Somatiques) et des Services Médico-Psy-chologiques Régionaux (Unité Sanitaire-Dispositif de Soins Psychiatriques). Les SMPR, rattachés aux Etablissements Publiques de Santé Mentale, permettent aux détenus de bénéficier d’un accès aux soins comparables à ceux dispensés en milieu libre, à savoir le repérage, la pré-vention, le diagnostic et la prise en charge des troubles psychiques. S’y ajoutent deux axes spécifiques au monde carcéral : le suicide et l’addiction. Dans cette même logique, en 2010, le rôle spécifique des SMPR a été redéfini par le Plan d’Actions Stratégiques 2010-2014 relatif à la Politique de Santé des Per-sonnes Placées sous mains de Justice : toutes les régions devront disposer d’au moins une Unité Sanitaire de niveau 2, en d’autres termes une unité d’hospitalisa-tion de jour.

Depuis août 2012, le SMPR de Caen dis-pose d’une nouvelle offre de soin : un Hô-pital de Jour. Nous vous proposons donc de visiter cette nouvelle unité : un espace contenant dans un milieu fermé. Pour une meilleure compréhension des enjeux et limites de cet Hôpital de Jour, il est nécessaire que vous puissiez vous le représenter.

De l’indication à l’admission Il est essentiel de spécifier au préalable qu’en aucune façon l’Administration Pé-nitentiaire influe sur l’indication, l’admis-sion ou encore la fin d’hospitalisation d’un patient détenu. Face à une popula-tion incarcérée parfois agitée, transgres-sive même derrière les murs voire indisci-plinable pour certains, l’Administration Pénitentiaire pensait trouver un nouveau “quartier” de mise à l’écart à travers la création de cette unité d’hospitalisation de Jour annexée à des cellules d’héberge-ment spécifiques. Ce “lieu de vie” ratta-ché à l’Unité de Jour répond de prime abord du fonctionnement pénitentiaire mais il s’articule également avec celui du soin. Un espace au sein du milieu carcéral où seul le médical, en l’occurrence psy-chiatrique, décide. L’admission se fait donc sur décision pluridisciplinaire mé-dico-psychologique uniquement. Quels patients peuvent bénéficier de cette prise en charge ? Pour quelles indications thérapeutiques un patient va être adressé ? Combien de temps une hospitalisation peut-elle durer ? Cinq temps seront nécessaires pour une décider d’une admission : celui de l’Orientation par les soignants, puis la Présentation de la situation en staff, les Echanges et regards croisés qui vont don-ner lieu à la Décision. Et enfin celui de la Proposition de l’hospitalisation au patient avec signature du contrat de soin et con-sentement du patient avec le référent mé-dical.

Le milieu carcéral se définit comme un lieu de privation de liberté et non comme un espace thérapeutique, où la qualité de “détenu” prend souvent le pas sur celle de “malade”. Le Service Médico-Psychologique Régional de Caen a été créé en 1995 pour pallier ce clivage et répondre à l’objectif principal de la loi du 18 janvier 1994 stipulant « faire rentrer l’hôpital dans les prisons » en y prodiguant des soins psychiatriques comparables à ceux dispensés en milieu libre, au travers du service public hospitalier. Depuis 3 ans, le SMPR a élargi son offre de soin par la création d’un Hôpital de Jour. Pour certains patients-détenus, ce lieu permet un premier contact avec les soins psychiatriques et pour d’autres la continuité de leur prise en charge initiée avant l’incarcération. Cette unité hospitalière est située dans les murs du Centre Pénitentiaire : quand deux logiques se doivent de coexister. Nous vous présenterons ce nouvel espace de soin, ses principes et ses outils de médiation, ses différents intervenants, mais aussi les limites et perspectives de cette activité thérapeutique hors norme... Mots-clefs : hospitalisation de jour, incarcération, rupture, pluridisciplinarité, violence, bienveillance

Incarceration and therapy: two antagonists “worlds”? The experience of a Day Hospital in Caen Prison

The prison is defined as a place of deprivation of liberty not as a therapeutic space where the quality of “detainee” often takes precedence over that of “sick”. The Regional Medico-Psychological Service (SMPR) was created in Caen in 1995 to address this divide and meet the main objective of the law of 18 January 1994 stating “back to the hospital in prisons” are in providing psychiatric care comparable to those provided in free society, through the public hospital service. For 3 years, the SMPR expanded its care offer by creating a Day Hospital. For some patients, prisoners, this place makes first contact with psychiatric care and for other their continued support initiated prior to incarceration. This hospital-based unit is located within the walls of Prison when two logics have to coexist. We present this new treatment area, its principles and tools of mediation, its stakeholders, but also the limits and prospects of this exceptional therapeutic activity ... Keywords: day hospital, incarceration, rupture, multidisciplinarity, violence, kindness

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 84

Les patients susceptibles d’être accueillis sont tous des hommes majeurs, prévenus ou condamnés, incarcérés à la Maison d’Arrêt ou au Centre Pénitentiaire de Caen ou dans d’autres Etablissements Pour Peines de la région Basse Norman-die. En revanche, un refus d’admission se motivera pour un patient en crise suici-daire ou en décompensation psychotique, celui qui ne pourra gérer sa prise de trai-tement seul le soir et le week-end, un pa-tient sous prescription de Méthadone® et enfin pour les mineurs et les femmes. Pour quelles indications thérapeutiques adresse-t-on un patient ? On en compte cinq. Pour quatre d’entre elles, l’unité de jour est alors utile comme rupture d’avec une carcéralité souvent pathogène : l’ob-servation à visée diagnostique, la prépara-tion à la sortie, l’initiation d’un nouveau traitement et son observance, le séjour de rupture nécessité par une souffrance car-cérale trop prégnante. La cinquième indi-cation consiste en l’évaluation clinique de la prise en charge des Auteurs de Violence Sexuelle.

Un séjour à l’Hôpital de Jour « Exercer la psychiatrie en détention c’est prendre en compte la coexistence de deux logiques, celle du soin et celle de l’enfer-mement. » (Lhuilier D., 2001). Comment cette coexistence s’articule et fonctionne au sein de notre Unité de Jour ? Le patient sera accueilli à 9h00 par son ré-férent infirmier puis par un Chef de Dé-tention détaché à l’hébergement SMPR. Il est à noter que toute admission se fait en début de semaine pour permettre un temps d’observation suffisant avant le week-end. Une cellule lui est attribuée, le règle-ment intérieur donné et le contrat de soin bien réexpliqué. Quelle prise en charge pluridisciplinaire sera proposée au patient ? L’équipe est composée de psychiatres, de deux in-ternes en psychiatrie, d’une équipe infir-mière, d’une psychologue référente ainsi que d’une assistante sociale. Il s’agit éga-lement de travailler avec les partenaires quotidiens de l’univers carcéral, à savoir l’Administration Pénitentiaire, le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, l’US-DSS (CHU de Caen), l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie, les familles et enfin le culte. C’est un travail de lien et en lien, autour du patient souvent mis à mal par le choc carcéral (traumatisme d’arrivée en déten-tion), le monde carcéral et sa violence in-trinsèque, les faits commis et une possible pathologie psychiatrique. Cette unité de Jour résonne pour certains comme un premier contact avec la psy-chiatrie ou la continuité d’une prise en

charge initiée à l’extérieur et pour d’autres, un premier contact avec une en-ceinte bienveillante. Certains patients vont découvrir le jeu, la notion de cadre contenant résistant aux angoisses et à la destructivité. L’hospitalisation proposée se situera entre individualité et groupe, un cadre thérapeutique où règnera reconnais-sance de l’altérité, parole, corps et jeux. Temps carcéral et temps de soin s’allient et se superposent. Nous proposons, dans l’Annexe 1 (cf infra), une semaine type pour un patient : quelles activités lui se-ront proposées et pourquoi ? Dans le contrat de soin et règlement inté-rieur donné est souligné que les activités thérapeutiques sont obligatoires (sauf cas exceptionnels). Il est expliqué aux pa-tients qu’accepter de participer aux activi-tés signifie prendre une part active à la vie de groupe de l’Hôpital de Jour. La prise en charge du patient accueilli à l’hôpital de jour s’effectue du lundi au vendredi de 9h à 17h par l’équipe médi-cale pluridisciplinaire. Elle est ponctuée par des temps alloués aux soins et au temps carcéral. Cette unité de soins à taille humaine a pour vocation d’offrir un espace bienveillant, bien traitant avec une prise en charge individuelle et groupale. Le patient est pris en charge dans sa glo-balité. Le matin est un espace où l’on propose des entretiens individuels, lors de la déli-vrance des traitements en cellule ou dans un bureau de consultation. C’est souvent un moment propice pour évaluer l’intérêt, le regard du patient sur sa prise en charge, comment il va, d’évoquer les projets en lien avec l’accompagnement à la sortie, l’attente d’un jugement ou la mise en place de nouvelle thérapeutique. L’après-midi est un temps dédié aux médiations thérapeutiques qui ont lieu de 14h30 à 16h00 dans la salle d’activité ; pour la mé-diation sport elle a lieu le matin, deux jours par semaine. Elles se déroulent au sein des structures sportives du Centre Pé-nitentiaire. Les activités sont animées par un binôme infirmier, pour certaines médiations en présence d’un intervenant extérieur (ani-mateurs sportifs ou diététicienne) ou d’une psychologue (médiation Photo-Langage). Les médiations thérapeutiques permettent d’évaluer la capacité d’inté-gration, d’échange au sein du groupe. Elles sollicitent l’accès au champ émo-tionnel, l’imaginaire, la créativité. Elles mobilisent le corporel, tout en respectant les limites de chacun. Elles permettent de collecter des éléments cliniques. Nous proposons un panel large de médiation thérapeutique tels que le Photo-langage, Relaxation, Écoute Musicale, Atelier Su-

cré Salé, Groupe de paroles autour de dif-férentes thématiques (addictions, échange sur l’actualité, sensibilisation aux phéno-mènes sociétaux). Les médias utilisés sont très variables : extrait de musique, photos, journaux... La fin d’après-midi est dédiée à la déli-vrance des traitements médicamenteux, aux entretiens médicaux, au suivi psycho-logique. En dehors de ces différents temps de prise en charge soignante, les patients sont sous le régime pénitentiaire. Comme énoncé précédemment, les pa-tients hospitalisés peuvent bénéficier de la prise en charge d’une assistante de service social. Quelles sont ses fonctions spécifiques et leur mise en œuvre ? Evaluer les besoins sociaux des patients détenus au cours de leur prise en charge thérapeutique constitue sa mission princi-pale. L’accompagnement social doit con-sidérer les difficultés psychologiques lors de l’évaluation globale de la situation de la personne et lui permettre l’accès aux droits sociaux (très restreints en déten-tion). Pour ce faire, l’assistante de service social interpelle les partenaires internes et externes compétents selon les demandes exprimées par le patient et les besoins évalués par l’équipe soignante (SPIP, fa-milles, mandataires judiciaires, avocats, associations, structures médicales et d’aide à l’insertion professionnelle, etc.). La mise en place d’un projet de sortie est une des actions centrales de l’assistante de service social. Le projet doit prendre en compte les obligations et restrictions judi-ciaires post-carcérales de la personne con-damnée, ses souhaits et projections quant à sa sortie, l’état de santé global du patient ainsi que son degré d’autonomie. Cet ac-compagnement comprend d’une part la réalisation de dossiers de demandes liés à des pathologies psychiatriques (ex : re-connaissance du handicap, aide à l’ouver-ture de mesure de protection, demande d’admission en foyer de vie ou Etablisse-ments et Service d’Aide par le Travail, etc.) et d’autre part l’accompagnement de demandes liées à des troubles de l’addic-tion visant à orienter les personnes vers des structures spécialisées et adaptées (ex : postcure en Alcoologie, communau-tés thérapeutiques, orientation vers des Centres de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie). Cet accompagnement social se fait majo-ritairement dans le cadre d’entretiens in-dividuels, mais également au cours de co-entretiens avec un soignant afin de faire le point sur le projet thérapeutique et de vie post-carcérale du patient. Des co-entre-tiens avec les Conseillers d’Insertion et de Probation (SPIP) peuvent être également proposés au patient détenu pour l’aider à

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Incarcération et thérapie : deux “mondes” antagonistes ? L’expérience d’un Hôpital de Jour au Centre Pénitentiaire de Caen

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 85

comprendre sa réalité pénale, parfois très complexe. En outre, des rencontres avec les familles peuvent avoir lieu, visant à créer une certaine cohérence dans les pro-jets de sortie, tout en leur permettant de questionner les soignants sur l’évolution des symptômes du proche détenu, la prise du traitement, le dispositif de soins exis-tants en vue de sa prise en charge future, etc. En résumé, l’assistante de service social participe à la co-construction du projet de sortie, de vie et de soin de la personne. En ce sens, elle peut accompagner des pa-tients détenus pour la visite de structures extérieures après l’accord de la Juge d’Application des Peines. La place du psychologue au sein de l’Hô-pital de Jour s’articule autour de deux psy-chologues distincts et donc de deux fonc-tions : celle de la supervision clinique et celle de la prise en charge psychologique du patient hospitalisé. Les jeudis, une se-maine sur deux, se déroule au sein de l’unité un temps de supervision de l’équipe infirmière où participe également la psychologue référente. Ce temps est destiné à croiser les regards sur les pa-tients accueillis, de faire part des difficul-tés rencontrées, de pouvoir constater une évolution chez le patient et d’analyser la prise en charge et la pertinence de l’indi-cation d’hospitalisation. Le patient hospitalisé peut également bé-néficier d’un suivi psychologique, celui-ci n’est pas automatique mais il est pro-posé au patient lors de son admission. Soit il s’en saisit et dans ce cas, la demande peut se faire par le patient lui-même et elle sera relayée par l’équipe infirmière. Soit elle peut éclore au cours de l’hospitalisa-tion sur idée de l’équipe soignante soit du patient. Un suivi initié en Maison d’Arrêt ou au Centre Pénitentiaire pourra se pour-suivre avec le même psychologue, sinon le patient sera pris en charge par la psy-chologue référente. La participation à l’évaluation clinique des Auteurs d’Infractions à Caractère Sexuel représente une autre mission de la psychologue au sein de l’Hôpital de Jour. Depuis 2011, le SMPR de Caen s’est doté d’une Unité Clinique d’Evaluation des Auteurs de Violence Sexuelle. Le suivi médico-psychologique des AICS est sou-vent complexe en raison de la structure psychique des patients, de la gravité des faits et du risque potentiel de récidive. Cette unité clinique offre aux soignants en difficulté dans une prise en charge de re-penser le dispositif proposé au patient. La psychologue référente de l’Hôpital de Jour procède en binôme avec un psy-chiatre à ces évaluations dans le cadre d’une admission pour cette indication.

Quand l’hospitalisation prend fin A la signature du contrat de soin, il est ex-plicité au patient que la durée d’hospitali-sation est d’un mois renouvelable. Après ce mois d’hospitalisation, les référents du patient (psychiatre, infirmiers, psycho-logue, assistante sociale) procèdent à une synthèse qui a lieu en équipe. Il sera alors décidé soit du retour du patient dans son lieu d’incarcération soit d’une poursuite de l’hospitalisation. Dans le cas où le pa-tient reste hospitalisé jusqu’à sa libéra-tion, la continuité des soins est organisée : un rendez-vous sera pris avec le Centre Médico Psychologique de secteur, une hospitalisation en psychiatrie pourra être envisagée. Pour certains patients dont les pathologies sont lourdes, les soignants pourront présenter le patient aux futures équipes qui le prendront en charge. L’hospitalisation de jour est définie par la Circulaire DHOS/F3/02 no 2005-553 du 15 décembre 2005. C’est « une alterna-tive à l’hospitalisation complète et se ca-ractérise, à cet égard, par des soins poly-valents et intensifs prodigués dans la journée[...] A l’appui de projets indivi-dualisés de prise en charge, des activités polyvalentes et collectives sont privilé-giées alors que les temps de prises en charges individuelles, qui doivent rester minoritaires, doivent permettre notam-ment une réévaluation périodique de la prise en charge du patient, afin d’éviter toute chronicisation et d’introduire, dès que possible, les éléments de préparation à la sortie et à la réinsertion ». L’Hôpital de Jour du SMPR de Caen n’a donc de spécifique que son lieu d’implantation.

Retours d’expériences et bilan Quelles sont les difficultés les plus fré-quemment rencontrées ? Quelles sont les limites de ce dispositif ? Quels sont les avantages d’une telle structure au sein d’un SMPR et donc de l’univers carcé-ral ? Depuis son ouverture, l’Hôpital de Jour a accueilli 52 patients (pour une moyenne de 20 par an) et majoritairement incarcé-rés à la Maison d’Arrêt. Les séjours ont pu durer de trois jours à plus d’un an. Les deux principales indications ont été l’ob-servation à visée diagnostique et la prépa-ration à la sortie. Depuis ces trois ans, les difficultés les plus récurrentes ont été l’apparition de dé-compensations psychotiques au décours de l’hospitalisation, le recours pour cer-tains patients à des gestes suicidaires et auto-mutilatoires. Ces situations ont né-cessité des hospitalisations sous con-trainte à l’EPSM de Caen ou à l’Unité Hospitalière Spécialement Aménagée de Rennes.

LES AUTEURS Virginie COLLOMB Psychologue Clinicienne Christel FERE Infirmière Sophie GUEGUEN Assistante de Service Social SMPR 36, rue du Général Moulin 14000 Caen France

BIBLIOGRAPHIE 1. LHUILLIER D. (2001), Le choc carcéral, Pa-ris : Bayard, 310 p. 2. GOFFMAN E. (1968), Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Paris : Les Editions de Minuit, 451 p.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 86

La question de l’hygiène et notamment de l’incurie a nécessité de se questionner sur la limite entre soin de jour et respect des cellules d’hébergement pénitentiaires. Certains patients ont montré des pro-blèmes disciplinaires et de comportement tels que le trafic de stupéfiants, des com-portements agressifs vis-à-vis des surveil-lants pénitentiaires ainsi que des compor-tements sexuels non adaptés. Une bonne entente et compréhension entre le corps pénitentiaire et le corps soignant est alors primordiale. Ceci nécessite un ajustement et une réflexion sur ce qui relève de la pure transgression et de la pathologie. La maltraitance du cadre de l’Hôpital de Jour est fréquente, des mouvements de des-tructivité, de tests de l’équipe médico-psychologique mais parfois il s’agit de difficultés à tenir et respecter le cadre pro-posé et donc la question d’une orientation inadaptée se pose. Mettre fin à un séjour

est souvent compliqué car la plupart du temps synonyme de retour en détention. Mais nous avons pu nous apercevoir que malgré la crainte de l’équipe soignante, le patient n’a aucune difficulté à réintégrer la détention. Concluons ce retour d’expériences sur les bénéfices apportés par cette unité au sein du SMPR. Nous avons pu noter pour la majorité des patients une véritable amélioration des symptomatologies observées avant l’orientation, un réel investissement de leur part dans la vie de l’unité de jour. Avoir la possibilité d’accompagner les patients dans leur projet de sortie, de mettre en place des médiations avec la fa-mille, de créer un tissu pluridisciplinaire et avec tous les partenaires loin des fracas de l’univers carcéral constitue une véri-table respiration pour le patient. Pour l’équipe du SMPR, c’est un nouvel outil

de prise en charge, permettant un autre re-gard sur le patient. L’Hôpital de Jour amène aussi au SMPR un nouveau temps et un nouvel axe de réflexion institution-nel créant une nouvelle dynamique au sein de l’équipe.

Conclusion Exercer en milieu fermé dans un service extra-hospitalier suppose de ne pas se laisser enfermer dans un fonctionnement psychique et institutionnel sclérosant. Cette clinique nécessite donc d’être en lien, de sans cesse questionner sa position et réfléchir à sa pratique. Agis par la vio-lence intrinsèque à l’univers carcéral, contenants d’une souffrance archaïque et crue, les acteurs du SMPR se doivent de respirer psychiquement, tout comme leurs patients.

Annexe 1

Annexe 2

Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi

7h00 Douche

8h00 Promenade

A partir de 9h00 Délivrance du traitement

Sport

adapté

Sport

adapté

Midi Repas en cellule

Promenade Jeudi : Régulation des soignants (1 semaine sur

2)

14h00 Consultations: infirmier référent, psychiatre, psychologue ou assistante

sociale

14h30 activités

obligatoires

Groupe

Photo

Langage

Relaxation, atelier Sucré Salé, groupe de parole, médiation

autour du jeu,

Ecoute musicale, sensibilisation aux risques de consommation

de toxiques

16h00 Délivrance du traitement pour le soir & coucher / Consultations

Parloirs, accès au téléphone….

18h00 Fermeture des cellules pour la soirée et la nuit

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 87

Il n’existe rien dans l’intelligence qui ne préexiste dans nos sens physiques

Ludwig Feuerbach1

Introduction L’hôpital de Jour (HJ) de Psychiatrie de l’Âge Avancé à Lausanne fait partie du centre ambulatoire du Service Universi-taire de Psychiatrie de l’Âge Avancé (SU-PAA), qui appartient lui-même au dépar-tement de psychiatrie du Centre Hospita-lier Universitaire Vaudois (CHUV). Ouvert du lundi au vendredi, de huit heures à dix-sept heures, l’HJ suit actuel-lement une soixantaine de personnes âgées de plus de soixante-cinq ans, vivant à domicile (sauf Etablissements Médi-caux Sociaux, c’est-à-dire les maisons de retraite). La fréquence de suivi à l’hôpital de jour est décidée en fonction des besoins

1 Pensées sur la mort et l’immortalité (1830)

individuels, de un à cinq jours par se-maine. Nous accueillons des personnes souffrant de différents troubles psychia-triques (psychose, troubles de l’humeur, troubles anxieux, troubles de l’adaptation, dépendance à l’alcool, troubles cognitifs légers), excepté les démences avancées. Notre équipe, sous la responsabilité d’un médecin cadre, est composée de six infir-miers(ères), une infirmière cheffe, deux ergothérapeutes, une psychomotricienne, une assistante sociale, une psychologue et un médecin responsable. Les objectifs généraux de l’hôpital de jour sont l’évaluation diagnostique et théra-peutique, la stabilisation psychique, la ré-intégration dans la communauté, le main-tien du lien avec le réseau et la prévention des rechutes.

Le rétablissement psychologique Au niveau conceptuel, le département de psychiatrie a choisi de travailler sur la base du modèle d’Andresen et al. (2003), qui définissent le « rétablissement psy-chologique » comme « la réalisation d’une vie pleine et significative, d’une identité positive fondée sur l’espoir et l’auto-détermination ». Ce modèle comporte cinq stades : 1. Le moratoire : ce stade se caractérise par le déni, le repli, la confusion, la perte d’espoir, et une limitation de l’identité à la maladie. 2. La conscience : il s’agit de la première lueur d’espoir en une vie meilleure et dans la possibilité se rétablir. 3. La préparation : la personne com-mence à travailler sur le rétablissement, en faisant le bilan de ses ressources, va-leurs et limitations, en s’informant sur ses troubles et sur les soins disponibles, en s’impliquant dans des groupes ou en établissant des contacts avec des pairs engagés dans ce processus. 4. La reconstruction : c’est le stade le plus difficile, impliquant de se forger une identité plus positive, d’établir de nouveaux objectifs personnels et de tra-vailler à leur réalisation. L’individu as-sume la responsabilité de gérer sa mala-die, en prenant des risques et en surmon-tant les rechutes. 5. La croissance : l’individu, souffrant encore ou non de symptômes, sait com-ment gérer sa maladie et rester stable. Les caractéristiques associées à ce stade sont la résilience, la confiance en soi et l’optimisme pour le futur, une estime de soi positive et la croyance que l’expé-rience du rétablissement rend l’individu meilleur.

S’inspirant d’une expérience réalisée en psychiatrie adulte auprès de personnes déprimées (Croquet-Kolb C. et Sachetto S.), le groupe « Les cinq sens » propose une médiation inédite dans notre unité, stimulant notre créativité. Dans le cadre d’une approche multidisciplinaire, nous utilisons le modèle de la médiation par l’objet, en trois étapes successives au cours d’une séance : la description objective de l’objet (perception sensorielle), la description subjective (expression des émotions) puis l’élaboration et la mise en lien (accès aux représentations). Chaque participant est aussi encouragé à se concentrer sur le moment présent. D’un point de vue théorique, ce groupe s’appuie sur le constat suivant : un certain nombre de patients de notre unité présentent des troubles de l’élaboration, exacerbés par la crise. Beaucoup d’entre eux présentent un déficit de mentalisation, entraînant des difficultés à élaborer leur souffrance par la parole seule. Dès lors, en quoi ce groupe est-il thérapeutique ? Quelles sont ses indications ? Comment s’inscrit-t-il dans l’offre des soins de jour ? Quelle place tient la créativité dans ce projet ? Mots-clefs : groupe thérapeutique, cinq sens, créativité, multidisciplinarité, médiation, crise, mentalisation

“The Earth is blue like an orange” The perception in the development, the group “The Five Senses”

The group “The Five Senses”, a new kind of mediation in our geriatric psychiatry center, which stimulate our creativity, is inspired by a research realized in adult psychiatry with adults suffering from depression (Croquet-Kolb & Sachetto). As part of a multidisciplinary approach, we use the model of mediation by therapeutic object in three successive stages during a single session: an objective description of the object (sensory perception), a subjective description (expression of emotions) and finally, a psychological development process (access to mental and psychological representations). We guide each patient in order to focus on the present moment. From a theoretical perspective, this group is based on the following observations: numerous patients present difficulty in thought process, which is exacerbated by the crisis. Many of them have a mentalizing deficit, causing difficulty in verbalize their suffer-ings. Therefore, in which way this group is therapeutic? What are the indications? How is it integrated into the whole therapeutic process at the psychiatric unit? What is the place of the creativity in this project? Keywords: therapeutic group, five senses, creativity, multidisciplinary approach, psychiatric crisis, mentalization

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 88

Des allers-retours sont possibles entre les stades, et font du rétablissement un pro-cessus plutôt qu’un résultat (voir d’autres auteurs comme Huguelet, 2007 ou An-thony, 2003). Ce concept s’appuie sur les récits, abon-dants dans la littérature, de personnes re-latant leur expérience personnelle du réta-blissement. Andresen et al. sont partis de récits d’individus souffrant de schizo-phrénie ou d’autres maladies psychiques sérieuses, pour en faire une synthèse et fi-nalement aboutir à quatre dimensions es-sentielles constitutives du rétablissement et à une modélisation du rétablissement en stades. Les quatre dimensions constituant la clé de voûte du rétablissement psychologique sont selon eux : l’espoir, la redéfinition de l’identité, le fait de trouver un sens à sa vie et la prise de responsabilité dans son rétablissement.

Les cinq sens Selon ce modèle, le groupe « Les cinq sens » s’inscrit dans le stade du moratoire. Les patients traversant cette phase identi-fient difficilement leur problème, car ils sont, soit dans le déni de la maladie, soit dans l’incapacité de mettre leur souf-france en mots. Notre groupe thérapeutique peut jouer un rôle important en aidant ces personnes à franchir cette étape. En s’inspirant du modèle de symbolisa-tion de R. Roussillon, nous pensons que la médiation par les sens permet de travailler les capacités représentatives à partir des perceptions. C’est ce processus qui per-met de développer la capacité de mentali-sation, dont nous parlerons un peu plus loin. Ainsi, nous définissons le groupe « Les cinq sens » comme un « groupe thérapeu-tique utilisant des médiums afin de stimu-ler chaque sens, ceci permettant au pa-tient de se centrer sur ses perceptions sen-sorielles, d’exprimer les émotions qui en émergent, puis de travailler le lien entre les affects et les représentations ». Il s’agit d’un groupe semi-ouvert, qui se déroule sur dix séances d’une heure cha-cune, à raison d’une par semaine. Chaque sens occupe deux séances. Après un rapide tour de table, nous distri-buons une feuille (cf infra, Annexe 1) et un crayon à chacun des participants. Nous observons alors différentes réactions en lien avec la prise de notes : la surprise (le support écrit est rarement utilisé dans les autres groupes), la méfiance, l’appréhen-sion (en lien avec des troubles cognitifs débutants ou des difficultés avec la langue ou l’écriture par exemple). Par ailleurs, écrire demande un investissement impor-tant et empêche les tentatives de se mettre

en retrait du groupe. Nous avons égale-ment constaté que les participants avaient besoin d’être rassurés au sujet du devenir de leurs écrits. Nous leur indiquons donc que cette feuille leur appartient et qu’en fin de groupe ils peuvent soit nous la don-ner, soit la jeter, soit la garder. Quant aux personnes d’origine non francophone, elles peuvent écrire dans la langue qui leur convient (langue maternelle par exemple). Nous pouvons citer ici l’exemple de Mon-sieur G., qui présentait une dépression mélancoliforme. Né en Suisse et de langue maternelle fran-çaise, Monsieur G. mettait en avant le fait d’être allé à l’école jusqu’à quatorze ans seulement et d’avoir peu écrit dans sa pro-fession de boucher. Nos interventions consistaient alors à le rassurer autour du devenir de la feuille et de l’absence d’en-jeu de performance. Au bout de quelques séances, son vocabulaire s’est enrichi, ses descriptions se sont structurées, il évo-quait plus facilement ses souvenirs. Ajoutons que durant toute la séance, nous invitons les participants à se concentrer. Le support écrit, s’il peut être anxiogène comme nous venons de le voir, peut aussi devenir le support physique de cette con-centration. La suite consiste à présenter deux mé-diums en lien avec le sens concerné (par exemple : ail et vanille pour l’odorat, bet-terave crue et cuite pour le goût, tableau abstrait et figuratif pour la vue, musique de film et musique classique pour l’ouïe, perles et papier de verre pour le toucher). L’objectif ici est de mobiliser les fonc-tions sensorielles et cognitives. Lors des premières séances de ce groupe, nous proposions trois objets. Nous nous sommes rapidement aperçus que ce nombre était trop ambitieux, au vu du temps imparti et des difficultés psy-chiques des patients. Nous avons entre autres constaté qu’au-delà de deux propo-sitions, les capacités de concentration des participants étaient mises à rude épreuve. L’expérience nous a aussi conduit à faire des propositions contrastées pour amener les membres du groupe en dehors de leur zone de confort et favoriser la perception des sensations. Cela autorise également les personnes à expérimenter un ressenti négatif ou désagréable. Par exemple, lors d’une séance sur le toucher, nous avons proposé du gravier et de la laine mohair. S’agissant de la description à proprement parler, nous proposons d’abord aux per-sonnes de décrire de façon objective le premier objet, afin de permettre à chacun d’identifier et de nommer ses sensations. Au fil des séances, nous nous sommes aperçus qu’il était nécessaire d’accompa-gner la réflexion sur la méthodologie de la

description. Nous avons donc ajouté une étape préalable consistant à réfléchir en-semble à la façon de décrire un objet, une image, une odeur, une musique, un ali-ment. Comme nous l’avons expliqué plus haut, le fait de proposer des objets con-trastés facilite également la description. Citons par exemple une des premières séances sur le goût. Nous avions proposé la dégustation de trois types de chocolats différents. Les nuances entre ces trois pro-positions gustatives étaient trop subtiles à décrire pour les participants. Par la suite, nous avons pu proposer par exemple pomme et fromage. Nous nous sommes également aperçus que les parti-cipants avaient tendance à vouloir nom-mer directement l’objet, le “reconnaître”, plutôt que le décrire. Cela nous a conduits à proposer des objets difficilement identi-fiables, comme par exemple de l’écorce de bois, des musiques de films, des mu-siques contemporaines.

Concrètement… Voici deux types de réaction rencontrées dans le groupe, allant d’une description assez pauvre en termes de vocabulaire, à une extrême précision. Face à un tableau de Rothko, Monsieur A. pouvait seulement dire : « Je vois des cou-leurs », tandis que Monsieur J. nous dé-crivait la largeur des bandes au centimètre près, les différentes nuances de couleur, etc. Par ailleurs, nous nous attendions à ce que les descriptions objectives se recoupent plus ou moins. Or nous avons constaté que chacun, dès cette étape pouvait voir, entendre ou sentir de façon différente. Citons l’exemple de Madame P.. Lors des séances sur l’ouïe, nous utilisons un ordi-nateur pour diffuser la musique, Madame P. décrivait le fond d’écran plutôt que le morceau de musique. Ensuite, nous pro-posons aux participants de décrire l’objet de façon subjective. L’objectif est de fa-voriser la mise en lien des sensations avec les émotions. Décrire ce qu’elles ressentent s’avère dif-ficile pour certaines personnes. Repre-nons l’exemple de Monsieur A.. Quel que soit le sens étudié ou l’objet proposé, il partageait un vécu très ritualisé et peu ha-bité émotionnellement, « Je ressens le calme ». Pour certains, se positionner déjà entre l’agréable et le désagréable est complexe. En revanche, certaines personnes, comme Madame P., sont plus à l’aise pour déve-lopper cette partie. Il arrive aussi que les descriptions objectives divergent entre les membres du groupe, tandis que l’expé-rience subjective est partagée. Nous nous souvenons ici d’une séance sur l’ouïe dans laquelle nous avions écouté une

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« La Terre est bleue comme une orange » : de la perception à l’élaboration, le groupe « Les cinq sens »

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 89

chanson de l’artiste Woodkid. Plusieurs participants avaient évoqué la musique sacrée, alors que cette chanson n’appar-tient pas à proprement parler à ce réper-toire. Suite aux étapes descriptives, nous de-mandons aux participants d’évoquer un souvenir en lien avec l’objet. L’objectif est alors d’échanger autour des expé-riences sensorielles de chacun. Pour l’ouïe et la vue, nous proposons sou-vent non pas d’évoquer un souvenir, mais de donner un titre à l’œuvre proposée. De façon un peu caricaturale, nous sommes dans le domaine des réminiscences avec les sens plus archaïques que sont le tou-cher, l’odorat et le goût, et dans le do-maine de la créativité avec les sens plus “évolués” que sont la vue et l’ouïe. Nous avons également constaté que l’évo-cation des souvenirs peut conduire à un échange qui se fait difficilement en entre-tien individuel. Cela permet parfois de fa-voriser le lien avec la personne par le re-cueil d’éléments biographiques et l’accès à la sphère émotionnelle. Nous pensons ici à Monsieur N. au début de son suivi à l’hôpital de jour. Il se mon-trait très méfiant en entretien individuel, et il était difficile de recueillir des élé-ments anamnestiques. Lors d’une séance sur l’odorat, il a pu exprimer que l’infu-sion de sauge lui rappelait que durant la guerre, en Italie, sa mère cultivait des plantes aromatiques dans leur jardin en l’absence de médicaments à cette période. Ce souvenir a été pour Monsieur N. l’oc-casion de s’exprimer sur son rapport à sa mère. Nous émettons l’hypothèse que le cadre structuré et rassurant du groupe, ainsi que l’utilisation d’un medium, facilitent l’ex-pression des émotions. Le groupe permet aux personnes d’être accompagnées dans leurs perceptions, pour les mettre en lien avec leurs émotions, afin qu’ils puissent avoir une meilleure perception de soi-même et de l’autre. Ici apparaît la notion de mentalisation, que nous allons déve-lopper maintenant.

Mentaliser... Nous pouvons penser le groupe « Les cinq sens » de plusieurs manières. Il s’agit d’un groupe hétérogène du point de vue diagnostique, au sens de la CIM 10 (dépression sévère avec symptômes psy-chotiques, trouble délirant persistant, trouble de l’humeur...). Nous repérons toutefois deux éléments de dysfonctionnement chez les patients : un

2 Peter Fonagy et Anthony Bateman ont dé-veloppé la psychothérapie par mentalisation MBT.

défaut de mentalisation et une pensée opé-ratoire, qui, au fond, sont liés. Nous pou-vons aussi parler de problème de symbo-lisation. Bateman et Fonagy2 définissent la menta-lisation comme « le mécanisme mental par lequel un individu interprète implici-tement et explicitement ses actions et celles des autres comme ayant un sens, sur la base d’états mentaux intentionnels comme les désirs, les besoins, les senti-ments, les croyances et les raisons ». John G. Allen, quant à lui, indique que « l’ac-tion de mentaliser consiste à percevoir et interpréter d’une manière imaginative les comportements comme étant liés à des états mentaux intentionnels ». La mentalisation est une notion mise au point au début des années 1970 par P. Marty. Elle s’intéresse à des dimensions de l’appareil mental. Dans le concept de mentalisation, il est question de la qualité des représentations psychiques consti-tuant la base de la vie mentale de chacun d’entre nous. Ces représentations appa-raissent le jour sous forme de fantasmes et la nuit sous forme de rêves. Elles permet-tent les associations d’idées, les pensées, la réflexion intérieure et sont constam-ment utilisées dans nos relations directes ou indirectes avec les autres. La mentali-sation traite donc de la quantité et de la qualité des représentations chez l’indi-vidu. Elle n’a pas été objet direct des tra-vaux de Freud, sans doute dans la mesure où il s’intéressait spécialement à certaines organisations pathologiques de l’époque, c’est-à-dire les névroses mentales. La mentalisation est en lien avec la fonc-tion alpha proposée par Bion, qui est un processus de mentalisation du monde. Ce processus permet de passer de l’expé-rience sensorielle à la forme mentale de cette expérience. Bion déploie la concep-tualisation suivante : 1. Certains éléments peuvent être appré-hendés par le sujet, tel des phénomènes. Ces éléments sont dit éléments-alpha. 2. Certains éléments, par contre, ne sont pas appréhendables, et conservent une valeur de chose en soi, mais continuent cependant de travailler l’expérience du monde. Ce sont des éléments-béta. Les éléments-béta sont des impressions de sens, et les éléments-alpha sont des éléments de pensée. Il s’agit d’une déli-mitation assez classique, mais toute l’originalité de Bion est de penser la transformation du béta en alpha.

P. Marty, quant à lui, nous a indiqué com-bien nous construisons la réalité à partir

LES AUTEURS Dr Mazen ALMESBER psychiatre hospitalier, psychothérapeute FMH Christine GARCIA-ADAMEZ ergothérapeute Alexandra MIARD infirmière Virginie PERRIN infirmière Hôpital de Jour de Psychiatrie de l’Âge Avancé CAPAA – CHUV ch. de Mont-Paisible 16 1011 Lausanne Suisse

BIBLIOGRAPHIE

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 90

BIBLIOGRAPHIE (suite)

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de la sensorialité éprouvée, des émotions vécues et des représentations plus ou moins disponibles dans le préconscient, en fonction de nos mécanismes de dé-fense. Marty et Fain ont formalisé le concept de mentalisation grâce à des patients qui semblaient présenter un déficit de l’es-pace imaginaire avec une défaillance des capacités de mentalisation. Ceci conduit à ce que l’on décrit comme la pensée opé-ratoire (pensée essentiellement orientée vers des préoccupations concrètes), ou en-core l’alexithymie (difficulté à identifier, différencier et exprimer ses émotions, ou parfois celles d’autrui), se traduisant par un discours sans expression émotionnelle. A. Fonagy et ses collègues (Fonagy. Tar-get–1997) ont considéré quant à eux la mentalisation à partir de la théorie de l’at-tachement et de leurs travaux sur la “fonc-tion réflexive”, tributaire de la “théorie de l’esprit”. Commençons par la matière première du psychisme, les traces psychiques, que Freud appelle traces mnésiques. Ce qui est inscrit sur la surface du psychisme, que l’on appellera plus tard, quand la symbolisation sera apparue, le Ça, part du “soi brut” à laquelle nous n’avons pas d’accès direct. Ce sont des traces infraver-bales, polysensorielles, de nos expé-riences passées et présentes. Nous avons parlé plus haut de défaut de mentalisation. Dès lors, qu’est-ce qu’une “bonne mentalisation” ? Pour Pierre Marty, la qualité de la menta-lisation dépend de l’inscription psychique des perceptions et de la possibilité de les évoquer ultérieurement sous forme de re-présentations accompagnées d’affects. Lorsque la mentalisation est défaillante, les représentations semblent reproduire des perceptions vécues dans la réalité. Ces représentations sont de simples témoi-gnages de perceptions inscrites. Nous pensons par ailleurs que cette “bonne mentalisation” serait activement soutenue par le processus de symbolisa-tion. Attardons-nous un instant sur ce point. R. Roussillon propose de différencier deux modalités du processus de symboli-sation, en faisant la distinction entre sym-bolisation primaire et symbolisation se-condaire. De manière schématique, la symbolisation primaire concerne la pro-duction des représentations de choses, ou « symboles primaires », à partir d’une première inscription essentiellement per-ceptive. La symbolisation secondaire relie quant à elle la représentation de choses et la représentation de mots. Ce modèle s’appuie sur une différenciation entre trois types d’inscriptions psychiques de

l’expérience vécue, décrites dans les tra-vaux de S. Freud : la trace mnésique per-ceptive, la trace inconsciente (la représen-tation de choses) et la trace verbale pré-consciente (la représentation de mots). La nécessité de définir une symbolisation primaire vient d’une réflexion sur les con-ditions permettant la mise en place de l’activité représentative, qui échoue, au moins en partie, dans les problématiques psychotiques ou limites. La notion de symbolisation primaire per-met de compléter et complexifier le mo-dèle classique du passage de la trace mné-sique perceptive à la représentation basée sur la “simple” rétention énergétique, comme le propose S. Freud dans « L’es-quisse pour une psychologie scienti-fique ». Ce modèle est essentiel pour ex-pliciter la différenciation entre l’expé-rience première et sa représentation. Cette théorie de la retenue, fondée sur la perte et le deuil, rend nécessaire les notions de “symbolisation”. En effet, selon ce mo-dèle, la capacité de représentation im-plique de renoncer à retrouver une « iden-tité de perception » au profit d’une iden-tité symbolique, une « identité de pen-sée ». C’est l’absence qui est alors le mo-teur du travail représentatif, soutenu par la rétention d’énergie. Pour finir, il nous semble aussi qu’un lien existe entre défaut de mentalisation et crise. En effet, la crise comporte plusieurs as-pects. En mettant en tension le système défensif, elle exacerbe la difficulté rela-tionnelle, perturbe l’équilibre psychique et favorise la pensée de type opératoire chez les patients qui ont un problème de mentalisation. Si le groupe « Les cinq sens » permet d’accompagner les patients vers une sor-tie de la crise par un renforcement des ca-pacités de mentalisation, il implique un investissement important de la part des soignants. En ce sens, la créativité joue un rôle majeur, afin de renforcer la fonction alpha de Bion citée plus haut. La dimen-sion créative de ce groupe nous permet également de le préparer et de l’animer avec plaisir, ce qui contribue d’après nous à sa dimension thérapeutique. Nous es-sayons également de rendre une part de cette créativité aux patients, à l’intérieur du cadre très étayant du groupe. Par exemple, nous changeons parfois la der-nière consigne, qui est habituellement d’évoquer un souvenir en lien avec le sup-port sensoriel présenté. Ainsi, pour la vue et l’ouïe, nous proposons de donner un titre au tableau ou au morceau.

Conclusion Nous avons montré la place que notre groupe occupe au sein de l’hôpital de jour.

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« La Terre est bleue comme une orange » : de la perception à l’élaboration, le groupe « Les cinq sens »

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 91

S’inscrivant dans la phase du moratoire du rétablissement psychologique, il joue un rôle très spécifique chez des patients qui ont une difficulté de mentalisation. Nous avons aussi abordé la base théorique qui a permis de faire le lien entre la men-talisation et le processus de symbolisation en travaillant à partir de la perception sur les trois étapes du groupe. Ce travail thérapeutique en groupe permet une progression dans le processus de réta-blissement de nos patients en développant

leurs capacités représentatives. Cette évo-lution participe au traitement de la période de crise et très probablement à la préven-tion de la rechute. Des études plus pous-sées permettraient de valider nos observa-tions cliniques. Nous avons enfin évoqué la question de la créativité qui nous aide à accompagner les patients vers cet objectif : leur permettre de se centrer sur leurs perceptions senso-rielles, d’exprimer les émotions qui en

émergent, puis de travailler le lien entre les affects et les représentations. Le titre, La terre est bleue comme une orange, est le 7ème poème du 1er chapitre « Premièrement » du recueil 1 L’amour la Poésie, de Paul Eluard. .

Annexe 1

exemple de feuille utilisée dans le groupe

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 92

Lors du Colloque, la présentation s’est accompa-gnée de la réalisation d’un atelier photo selon les modalités pratiquées au CITE. Ainsi, cet atelier a permis de se plonger au cœur même du travail effectué au CITE avec les enfants et de découvrir les sensations, émotions et pen-sées qui peuvent émerger au cours d’un tel atelier à médiation.

Introduction Le travail qui est réalisé au Centre d’In-tervention Thérapeutique de l’Enfance de Lausanne est riche et varié, requérant des soignants - et de l’équipe multidiscipli-naire dans son ensemble - une grande sou-plesse psychique et une créativité cer-taine, afin de faire face aux aléas des jeunes Sujets qui y séjournent. Ainsi, chaque enfant accueilli au CITE intègre un groupe - encadré par plusieurs soi-

gnants, éducateurs ou infirmiers - où il re-trouve des pairs du même âge et voit sa journée structurée dans ses grandes lignes, toute adaptation ou changement impromptu n’étant par essence pas à ex-clure, au vu de la souffrance psychique des enfants et des adolescents. Dans ce cadre-là, divers ateliers à médiation sont proposés, au fil de la journée – dans des temps bien précis et avec un ou deux soi-gnants de référence -, ateliers qui sont par ailleurs entrecoupés par des moments de jeux libres sous l’œil bienveillant des soi-gnants ou par des entretiens individuels ou familiaux, avec l’équipe médico-psy-chologique du Centre. Les patients peu-vent ainsi être amenés à faire de la cuisine - tout en étant accompagné de manière plus ou moins soutenue en fonction de leur degré d’autonomie -, à travailler la

terre, le plâtre ou la peinture dans un ate-lier à visée créatrice ou encore à expéri-menter divers sports d’équipe dans l’ate-lier d’exercices physiques. Tous ces ate-liers permettent à l’équipe - dans une at-mosphère ludique et vivante - de se faire une meilleure représentation des enfants accueillis, afin de mieux comprendre la singularité du fonctionnement psychique de chacun, avec ses difficultés propres et ses fêlures mais également avec toutes les potentialités qui peuvent germer sous de meilleurs auspices, familiaux, sociaux et environnementaux. L’atelier photo s’ins-crit donc pleinement dans ce contexte de prise en charge, permettant aux enfants une véritable « forme de participation em-pathique au monde » pour reprendre l’heureuse expression de Tisseron. Cet atelier à médiation permet de mettre au travail le « champ de l’intermédiaire » (Kaës, 1983), véritable ouverture tant spa-tiale que temporelle entre plusieurs psy-chés en présence, afin que se développe une aire de jeu commune, à même de ma-térialiser et de transformer certains pro-cessus, certaines problématiques psycho-pathologiques dont l’abord ne peut se faire, à ce moment précis, par un autre biais. L’atelier photo sera présenté de ma-nière plus détaillée dans la seconde partie de cet article, après celle portant sur le CITE. Notre travail s’inscrit donc bien dans le cadre du colloque qui se tient à Caen en octobre 2015. L’atelier photo met en exergue de manière spécifique la tension entre le “pro-gramme” qui se doit d’être tenu dans un centre d’intervention thérapeutique tel que le nôtre mais ne pouvant faire fi de la nécessaire adaptabilité créatrice qui est à rechercher en chacun de nous afin de transformer, quand cela s’avère néces-saire, la destructivité à l’œuvre en proces-sus de liaison, menant alors à un dire por-teur de sens et d’ouverture vers une alté-rité - certes parfois anxiogène - plutôt qu’à un retour vers un informe angoissant. Néanmoins, et afin de ne pas vous laisser sur votre faim, nous avons choisi d’illus-trer in vivo nos propos en invitant certains

Le CITE est une structure de soins pédopsychiatriques qui accueille des enfants présentant des troubles psychiques dans une situation de crise et /ou dans une impasse thérapeutique, pédagogique ou sociale. Dans le cadre de ce travail institutionnel, différentes modalités d’interventions sont proposées, notamment des ateliers à média-tions artistiques effectués par des soignants, permettant un abord de la symptomatologie et de son dépassement afin de créer un nouvel espace d’expérience à même d’aider l’enfant à être dans un lien secure avec lui-même et autrui. La dimension créative des processus soignants mis en jeu permet une souplesse de fonctionnement non négligeable face à des psychopathologies souvent graves, portant atteinte au narcissisme même de l’individu, qui entravent la qualité d’un espace transitionnel apte à favoriser un jeu souple entre réalité interne et réalité externe. Il s’agit de pouvoir encourager ici une « activité libre spontanée » de l’enfant, en ne cherchant pas à tout prix ni à ne le comprendre ni à le “calibrer” selon certains standards. L’un des objectifs est d’aider l’enfant à avoir accès à son monde interne et ses vécus archaïques, non intégrés dans la personnalité en devenir, pour leur donner voix au chapitre et consistance, dans un processus de liaison et de symbolisation au travers d’une activité ludique. Ces espaces permettent aux patients et aux soignants de s’appréhender mutuellement d’une manière non conventionnelle afin de découvrir le plaisir « d’être ensemble » dans l’ici et maintenant via les médiations. Dans cet atelier, nous allons vous proposer de participer à une expérience interactive et ludique pour vous permettre une immersion vivante dans l’univers d’un de nos ateliers à médiation, ou quand les pixels sont à mêmes de faire des étincelles ! Mots-clefs : Créativité, processus, informe, plaisir ludique, transformation, médiations artistiques

Hue and cry: when pixels and brushes get involved

CITE is a child psychiatric care structure that welcomes children with psychological problems in a crisis and / or a therapeutic impasse, educational or social. As part of this institutional work, different types of intervention are proposed, including workshops in artistic mediations performed by caregivers, allowing first of symptomatology and its overflow to create a new space of experience in a position to help the child to be in a secure relationship with himself and others. The creative dimension of caregivers involved processes enables significant operational flexibility in the face of often severe psychopathology, affecting the same narcissism of the indi-vidual, which hinder the quality of a transitional space adapted to promote a flexible game between reality internal and external reality. This is to encourage here a "spontaneous free activity" of the child, by not trying at all costs not to understand nor to the "calibrate" according to certain standards. One goal is to help the child to have access to his inner world and its archaic lived not integral personality in the making, to give them a voice and consistency in the process of connecting and the symboli-zation through a fun activity. These spaces allow patients and caregivers to understand each other in an unconventional way to discover the pleasure of "being together" in the here and now through mediations. In this workshop, we will offer you to participate in a fun, interactive experience for you a living immersion in a universe of our workshops in mediation, or when the pixels are similar to sparks! Keywords: creativity, processes, reports, playful enjoyment, transformation, artistic mediations

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A corps et à cri : quand pixels et pinceaux s’en mêlent

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 93

d’entre vous à participer à notre atelier, afin de comprendre de l’intérieur - mais surtout de ressentir au plus profond de soi -, quels sont les processus qui peuvent être remis en jeu dans un tel contexte, cela pouvant déboucher sur une rêverie... créa-trice !

Présentation du CITE Le Centre d’Intervention Thérapeutique pour Enfants (CITE) est une unité du Ser-vice Universitaire de Psychiatrie de l’En-fant et de l’Adolescent (SUPEA) du Centre Hospitalier Universitaire a Lau-sanne (CHUV). Le CITE est un espace de soins qui ac-cueille des enfants de la naissance a 13 ans, répartis en deux groupes distincts : celui des 0-7 ans et celui des 8-13 ans. Ini-tialement le CITE s’appelait Centre de soins pédopsychiatriques, créé en 1989, il voit son mandat redéfini en 2003 et il s’oriente dès lors vers la crise, comme conceptualisée par Nicolas de Coulon. Le CITE offre des soins pédopsychiatriques intensifs et donne a l’enfant, a sa famille et au réseau, la possibilité d’une reprise évolutive par la construction d’un projet de soins, pédagogique et/ou social. Le CITE est un lieu d’observation et d’éva-luation permettant d’offrir la compréhen-sion du fonctionnement de l’enfant, de sa famille et du réseau, mais également la compréhension des ressources de chacun.

Cadre de notre pratique Le CITE fonctionne sur le modèle d’un hôpital de jour et accueille les enfants toute l’année. Selon les indications défi-nies par les cadres de soins, ils seront pris en charge suivant trois modalités : - sur un mode ambulatoire, deux jours par semaine pendant trois mois ; - sur un mode d’hospitalisation complète pendant trois semaines ; - sur un mode ambulatoire intensif jus-qu’a cinq jours par semaine.

A noter que lors d’une hospitalisation complète, les enfants sont accueillis et pris en charge par le service de pédiatrie de l’hôpital de l’enfance et par le service de liaison pédopsychiatrique du SUPEA. Cliniquement nous accueillons une grande diversité de tableaux cliniques et il n’y a pas de restriction “pathologique”, mis a part les troubles du comportement alimentaire. Les enfants présentent ainsi des troubles du comportement, de la com-munication, du langage, des refus sco-laires, des tableaux d’hyperactivité, des dépressions... Ils appartiennent au registre des troubles du spectre autistique, des pa-thologies limites, dysharmoniques et des troubles de l’humeur ou alors n’appartien-nent a aucun registre.

Les demandes de prise en charge sont adressées au cadre infirmier du service, qui peut ainsi centraliser et coordonner les demandes. Elles sont ensuite examinées et triées par le cadre infirmier et le chef de clinique selon un rapport indications/mis-sions du CITE. Le cadre infirmier, dans son rôle de coordinateur, peut écarter des demandes pour lesquelles le CITE ne pourrait pas répondre, du fait de critères tels que l’âge ou d’indications hors man-dat. Le soin au CITE est conceptualise comme un travail d’équipe. C’est l’intervention groupale coordonnée qui est thérapeu-tique, tout le monde participe au soin, in-dépendamment des activités, ateliers ou moyens de médiation et de rencontre. L’efficience au CITE réside dans une équipe pluridisciplinaire qui réunit méde-cins, psychologue, infirmiers, éducateurs, enseignant spécialisé et cuisinière.

L’atelier photographique au CITE

L’atelier en pratique La particularité de cet atelier photo est de permettre un rendu de très grand format. C’est sur papier ordinaire, provenant d’une simple imprimante de bureau, celle qui imprime vos mails et vos synthèses, que l’on tire les photos, on obtient un grand format en recomposant une mo-saïque composée de fractions de la photo. L’intérêt est multiple : - avoir un objet photographique, maté-rialisé, conservable par les participants ; - obtenir de très grands formats ; - avoir une activité peu onéreuse.

Ainsi, ce grand format permet, outre l’as-pect esthétique, d’obtenir une confronta-tion avec sa propre image. Un alter égo de taille identique peut facilement être ob-tenu, la photo se fait plus présente, à l’op-posé d’une photo sur un écran, plus petite, que l’on peut zapper. L’image papier, elle, est immuable, l’image sur écran est labile. Une autre particularité de cet atelier est de donner les pleins pouvoirs à la personne qui est prise en photo. Cela fait partie des conditions pour sécuriser l’atelier : c’est elle qui choisit qui doit la prendre en photo, qui va déterminer quelle est la bonne photo à exploiter, à imprimer… À tout moment il lui est possible de sortir du travail, effacer son image, avoir un veto absolu quant à l’utilisation de celle-ci. De ce fait, on se retrouve entre le portrait et l’autoportrait. L’atelier est proposé de façon collective : un groupe de 3-5 enfants accompagné de 2 soignants, ceux-ci sont là pour donner des conseils dans la réalisation, c’est à

dire adapter les idées aux contraintes tech-niques, pour maintenir une atmosphère sécurisante, propice à la créativité et au confort des patients. L’atelier d’autoportrait s’articule autour de 3 parties distinctes : - la séquence de prises de vue ; - la partie informatique de choix, de tra-vail et de mise en valeur de la photo ; - la partie de l’impression, la recomposi-tion, l’exposition de la photo.

Peu importe le type d’atelier photo, peu importe le thème, nous suivrons toujours cette trame qui revient à un allez retour entre la personne et son image où l’on capture puis apprivoise et enfin restitue une image de soi. Ainsi l’on peut aussi noter un aller/retour entre la réalité et le virtuel, qui transforme la personne. Un large éventail de possibilités est offert allant d’une prise de vue directe sans arti-fice (portrait simple) à une photo faisant appel à plus de trucages et de manipula-tions. L’atelier présenté au Colloque est celui du « portrait en exposition multiple ». Parmi ces différents processus, le portrait en exposition multiple est exactement à mi-chemin entre la simplicité d’un rendu brut et celui d’un trucage photo plus éla-boré, mais pas toujours facile d’accès pour tous. Le principe, simple, est d’additionner plu-sieurs clichés sur la même exposition qui vont s’entremêler par transparence. Pour la première séquence de l’atelier, celle de la prise de vue. Le visage ou le corps est, plusieurs fois, pris en photo, su-perposé, par exemple face, profils ne lais-sant que quelques détails apparents et in-telligibles, ceux qui se recoupent, se che-vauchent. La notion de “être beau/être moche” dis-parait puisque la personne est rendue mé-connaissable, du moins n’est reconnais-sable uniquement que par elle-même ou des personnes connaissant bien son vi-sage. Le trucage est réalisé directement par le boitier, sans l’aide d’un ordinateur, ren-dant les opérations très intuitives. Le rendu, sans pour autant être aléatoire, n’est pas maitrisable, ni par le sujet pris en photo, ni le photographe, permettant ainsi d’éluder les questions de maîtrise de l’ap-pareil pour le photographe comme de maîtrise des poses et attitudes pour le mo-dèle. La technique peut être utilisée pour un portrait en gros plan comme pour un plan plus général (visage, buste, vues d’en-semble). La distance sera clarifiée au dé-but de l’atelier, tout en laissant finalement le choix à la personne prise en photo d’en changer.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 94

LES AUTEURS Emilie SNAKKERS Carolin JANETSCHEK Gabriel ZEGNA Fiona PARMENTIER CITE (Centre d’intervention Thérapeutique pour Enfants) Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) Avenue d’Echallens 9 1004 Lausanne Suisse [email protected]

BIBLIOGRAPHIE

1. De COULON N. (1999), La crise, stratégies d’intervention thérapeutique en psychiatrie, édition Gaétan Morin. 2. BRUN A. (2011), Repères pour une évaluation de la créativité, Gérontologie et Société, numéro 137, pp 49-65. 3. BRUN A. et al. (2014), Formes primaires de symbolisation, Paris : Dunod. 4. CHOUVIER B., et al. (2002), Les processus psychiques de la médiation, Paris : Dunod. 5. TISSERON S. (1996), Le mystère de la chambre claire, Photographie et inconscient, Pa-ris : Les Belles Lettres.

Le cadre de l’atelier implique aussi, autant que possible, de demander aux modèles de garder une expression neutre, évitant un rendu parfois monstrueux avec des gri-maces, évitant aussi de rentrer dans des critères esthétisants (beau sourire...) au moment de la prise de vue, pouvant dé-courager les moins à l’aise. Pas non plus de mélange de visages de plusieurs personnes, pour rester à chaque fois centré sur la personne prise en photo, mais aussi pour des questions de partage et de droit à l’image de chacun. Ensuite, la partie de choix de la photo, de mise en valeur de celle-ci, est faite sur l’écran de l’ordinateur : il faut donc avoir réussi à faire faire plusieurs prises par per-sonne, ce qui n’est pas toujours facile. Il faut accompagner ce choix, souvent l’animer, par exemple en donnant assez rapidement un rendu esthétique, un ca-drage, qui mettra au mieux en valeur chaque photo. Parfois, la motivation du groupe, ou de certains s’effrite à cette étape. Plusieurs explications : - le changement de support, qui implique d’être tous proches autour d’un même objet, pouvant entraver certains pa-tients ; - le temps d’attente qu’il va mécanique-ment produire (chacun son tour) avec ce qu’implique l’attente comme difficul-tés ; - l’implication dans cet atelier devient d’un coup tangible : on a un résultat, on est présent ailleurs, sur l’ordinateur, à la vue de tous, cela peut être gênant.

Le choix se fait à plusieurs, chacun donne son avis mais c’est, bien sûr, la personne sur la photo qui donne l’avis décisif. En-core une fois, cette liberté est à rappeler pour sécuriser l’atelier. La partie où l’on choisit et travaille sa photo peut être exécutée de façon auto-nome par un participant plus chevronné, l’apprentissage fait aussi partie des inté-rêts de l’atelier. Pour la partie d’impression, de restitution, le rendu sur papier, en grand format, la re-construction (assemblage des feuilles) rend les détails du visage, du corps, plus visibles, moins intimes. Ces mêmes parties se chevauchent, se mé-langent pour donner un rendu éthéré, dé-sincarné. Cette reconstruction, monumentale, de-mande de trier, de recomposer un puzzle, et de joindre bord à bord chaque fraction de la mosaïque. Le processus est facilité car l’aspect irréel demande beaucoup moins de rigueur que dans un portrait classique pour lequel il faudrait joindre très précisément les feuilles A4 entre elles.

Enfin, pour l’exposition, il est important de souligner encore une fois que le choix est laissé au propriétaire de la photo : l’af-ficher ou pas, la mettre dans un lieu de passage, dans un endroit plus discret... C’est une fois la photo accrochée, et par-fois après avoir dû soutenir le regard du participant sur celle-ci, par exemple en proposant de faire le tour des réalisations, que l’intérêt s’éveille, certains vont préfé-rer être seul pour regarder les photos. Les patients pris en photo témoignent sou-vent d’un sentiment de non reconnais-sance, d’étrangeté, alors que les specta-teurs (les autres), connaissant celui-ci, vont y retrouver certains détails du visage, des traits familiers. “Oui c’est vraiment toi” en parlant de dé-tails inconnus par le sujet. La technique de la double exposition per-met d’accueillir avec plus de sécurité psy-chique quelqu’un qui ne veut pas se voir de façon trop brute. Elle peut faire réagir, rire ou déranger quelqu’un dont l’image, l’image de soi est problématique.

Aspects théoriques des ateliers à médiation

Cette capacité peu commune... de muer en terrain de jeu le pire désert.

Michel Leiris

L’atelier photographique a pris corps dans le courant de l’année 2014, au CITE, après l’arrivée de Gabriel Zegna, infir-mier, photographe semi-professionnel à ses heures, adepte de nouvelles tech-niques et de matériaux novateurs dans ce champ spécifique. C’est donc tout natu-rellement que l’idée d’ouvrir un tel atelier s’est faite, dans le but de rencontrer les en-fants par le biais des images réalisées tant par eux-mêmes que par les soignants réfé-rents de l’atelier, et de les travailler en-suite à l’aide de l’informatique, avant qu’elles ne soient exposées dans le couloir du Centre, visibles à tous, matières à par-ler, échanger, critiquer, frémir, sourire, vi-brer... à chaque fois différemment. Le champ de la photographie est resté longtemps lettre morte de nombreux do-maines relatifs aux sciences humaines, si ce n’est Roland Barthes qui a rédigé deux essais à ce sujet au début des années 1980 ou bien la photographie se retrouvait noyée dans le domaine plus vaste de l’ico-nographie - Debray, Sontag, etc.-, n’ac-quérant que le statut d’une façon de cap-turer le monde tel qu’il était, sans ré-flexion plus approfondie au sujet des pro-cessus psychiques à l’œuvre (Tisseron, 1996). A cette époque, la photographie est surtout comprise comme étant une ma-nière de figer un événement, afin que ce dernier reste inchangé dans la mémoire de

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A corps et à cri : quand pixels et pinceaux s’en mêlent

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 95

celui qui l’a capturé, véritable crypte in-tangible, prémices de la mort à venir (Tis-seron, 1996). Cependant, la fin du XXème siècle - et les développements technos-cientifiques fulgurants qui l’accompa-gnent - verra s’ouvrir d’autres horizons en ce domaine et la photographie pourra se conceptualiser, progressivement, comme faisant partie intégrante du processus de symbolisation, permettant alors au sujet de retrouver des émotions, des sensations, des traces fugitivement éprouvées et de pouvoir enfin les intégrer au sein de son monde interne (Tisseron, 1996). La pho-tographie serait donc un moyen - à l’occa-sion de la vision d’une image - de pouvoir retrouver et revivre les diverses compo-santes d’une expérience - avec un certain recul néanmoins - pour pouvoir se les ap-proprier d’une manière plus sereine, en étant éventuellement accompagné par un autre, à même de refléter et de nommer ce qui se joue pour le sujet à cet instant, tout comme l’a fait une mère suffisamment bonne en son temps (Tisseron, 1996). L’atelier photographique s’inscrit dans le champ des ateliers à médiation qui font florès dans les institutions soignantes à l’heure actuelle, l’idée de médiation en tant que telle n’étant pourtant pas nou-velle. En effet, ces derniers donnent l’op-portunité à des sujets en grande souf-france psychique - ayant de ce fait peu ac-cès à l’espace transitionnel au sens de Winnicott - d’éprouver, mais également de partager et de pouvoir intérioriser - tout en étant accompagné par un soignant dont le regard fait office de psyché maternelle dans son sens large - une expérience qui apporte satisfaction et qui assouplit quelque peu les imposantes barrières nar-cissiques mises en place par certains pa-tients limites face à autrui (Chouvier et al., 2002). Le « médium malléable » pour re-prendre l’expression que l’on doit à Mil-ner (Brun, 2011) - si tant est que le statut de la photographie puisse être considéré comme tel - permettrait à ces patients de matérialiser hic et nunc certains aspects de leur problématique intrapsychique (Roussillon, 1991, in Brun, 2011) mais de manière externalisée, évitant ainsi une confrontation trop directe avec ce qui fait souffrir et permettant alors une certaine latence pour traiter ce qui est source de douleur (Gimenez, in Chouvier, 2002). Dans ce champ spécifique qualifié d’in-termédiaire, il est à souligner que les ob-jets - cela peut être une photographie en l’occurrence - possèdent un statut particu-lier, n’étant ni interne ni externe mais étant plutôt « entre deux » (Gimenez, in Chouvier, 2002). Cependant, et il est im-portant de le relever, un objet n’a pas un statut d’intermédiaire par essence, ce der-nier n’étant acquis et ne prenant sens qu’à

travers une relation de soin, devenant par ce biais même un véritable « objet de re-lation » (Gimenez, in Chouvier, 2002). Bien que l’analyse du transfert et du contre-transfert ne soit pas l’objet du tra-vail dans le cadre de notre atelier à média-tion, notre médium permet par divers biais - cela va de l’attitude envers soi - même, envers d’autres patients ou les soi-gnants dans le contexte d’une séance d’atelier à la manipulation du papier sur lequel est imprimé la représentation pho-tographique – de révéler des facettes de la dynamique transféro-contre-transféren-tielle en présence (Gimenez, in Chouvier, 2002). En outre, le point nodal de tout atelier à médiation est la rencontre senso-rielle avec les qualités - à chaque fois di-verse et diversement vécu par chacun - du médium, ce qui met en route une dyna-mique sensorimotrice que l’on retrouve dans tout groupe à médiation, que cette dernière soit analysée ou qu’elle reste en arrière-fond, ne faisant pas l’objet d’un travail plus spécifique (Brun, 2014). C’est effectivement cette rencontre, ce vis-à-vis particulier avec la sensorialité du médium mais également avec l’espace-temps dans lequel l’atelier se déroule qui va véritablement réactualiser sur la scène psychique des expériences dites sensori-affectivo-motrices qui n’ont pas pu être parlées en leur temps et qui trouvent ici une nouvelle chance d’être non seulement exprimées mais aussi reçues et entendues et mises en forme (Brun, 2014). La photographie étant un domaine de pré-dilection pour Gabriel Zegna, il est tout à fait envisageable que certains patients aient repéré que cela représentait un lieu d’investissement privilégié pour notre in-firmier et qu’ils aient donc utilisé cet es-pace de façon particulière, « pensant » sans doute que ce dernier pouvait être à même de repérer des mouvements et pro-cessus passés jusqu’alors inaperçus aux yeux des autres (Gimenez, in Chouvier, 2002). La photographie en tant qu’objet médiateur peut ici acquérir une fonction pare-excitante, permettant d’élaguer et de tenir à une distance raisonnable ce qui ris-querait sinon - via des vagues d’affects non métabolisées - de déborder tant le pa-tient que le soignant et qui entraverait le bon déroulement du travail psychique ul-térieur (Gimenez, in Chouvier, 2002). « L’objet de relation » est à même de ré-activer toute la machine du préconscient et permet alors une reprise associative au sein même de la relation, mettant à jour des aspects en souffrance enfouis depuis longtemps mais dont les effets ne ces-saient de se faire ressentir, sans qu’aucune pensée ne puisse s’y accoler (Gimenez, in Chouvier, 2002). Cet auteur insiste sur

l’importance de la relance d’une « fonc-tion métaphorique » sur soi et son exis-tence - même courte ! -, apte à permettre enfin l’introjection d’une problématique restée alors en suspens, en attente d’un ré-cepteur potentiel. L’objet de relation donne aux interlocuteurs en présence l’es-pace et le temps pour explorer dans un cadre qui se veut sécure – mais aussi fil-trer et reconnaître - ce qui est là - en fili-grane - touchant la problématique d’un sujet (Gimenez, in Chouvier, 2002). Le but de ce processus est ainsi de co-créer un lieu permettant dans un premier temps le partage d’une expérience sensorielle, affective, cénesthésique puis de la trans-former petit à petit en expérience de pen-sée, rendant incongrue la part dévolue aux impensés. Il serait injuste, dans cette partie du tra-vail, de ne pas mentionner Winnicott qui a tant apporté à l’espace de jeu, à l’aire de jeu à laquelle le travail avec les média-tions se réfère, souvent de façon non ex-plicite. En effet, ce que le médium permet souvent - et avant tout - c’est un certain plaisir du jeu au sens large, donnant l’oc-casion à chacun de donner forme à ce qui est d’abord informe, en soi, face à l’autre, en l’autre et de commencer à pouvoir amorcer une pensée – par le biais de sen-sations, émotions, images brutes – sur ce qui se passe en soi, dans son monde in-terne, qui peut parfois se résumer à des tensions à peine nommables, au-delà de la sensation désagréable et douloureuse. Mais, comme l’affirme Winnicott (1971), c’est d’un état de non intégration de la personnalité que peut surgir l’acte créa-teur, porteur d’un sens en devenir. Et c’est seulement si cette créativité trouve à être réfléchie – comme le fait la mère miroir dans les premiers temps de l’infans - qu’elle pourra s’intégrer harmonieuse-ment à la personnalité, de façon authen-tique et pérenne, l’humain se donnant ainsi la capacité de ressentir ce qu’il sent vraiment. Pour ne pas paraphraser mala-droitement Winnicott (p. 85, 1971), nous préférons le citer in extenso : « c’est en jouant et seulement en jouant que l’indi-vidu, enfant ou adulte est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité toute entière ; c’est seulement en étant créatif que l’individu découvre le soi ».

Aspects théoriques portant sur la photographie L’appareil photographique est l’instru-ment de familiarisation, d’assimilation et d’appropriation du monde le plus efficace que l’être humain ait jamais mis à son ser-vice et le champ de la photographie cons-titue également un terrain très favorable pour travail d’introjection psychique et de symbolisation sensori-affectivo-motrice

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 96

et verbale, étant en continuité immédiate avec la vie psychique. L’ensemble des gestes par lesquels le preneur de vue se déplace, se rapproche ou s’éloigne de son objet, participe à l’opération de symboli-sation de l’évènement, sur un mode sen-sori-affectivo-moteur. Le cadrage participe plus particulièrement à la mise en forme et à l’appropriation symbolique du monde de façon certaine. Le travail de développement et de tirage des images confronte en effet le "tireur" à une fabrication de la représentation du monde, représentation qu’il a choisie de privilégier. Ne montrant qu’un fragment de la réalité, la photographie nous renvoie alors le fait que le monde n’est pas non plus semblable à l’image que nous en avons ou que nous souhaitons. Chaque acte photographique s’intrique dans deux d’ensembles d’opérations psy-chiques, à la fois contradictoires et com-plémentaires, de coupure (de flux lumi-neux, fermeture de la lentille) de capture (l’ombre, la lumière, l’image) d’une part, d’ouverture-connexion (la connexion a-vec le monde permet le geste de coupure, psychique et physique, qui fixe l’ima-ge) d’autre part. L’ensemble de ces différentes étapes éta-ye la certitude du photographe d’être pré-sent au monde de la même façon que les premiers traits de l’enfant étayaient sa certitude d’être psychiquement présent pour la figure maternelle. Enfin, au mo-ment où l’on regarde la photographie, s’ajoute, en règle générale, la symbolisa-tion verbale à la symbolisation sensori-af-fectivo-motrice. Parler autour d’une pho-tographie mobilise les processus de sym-bolisation propres à chacun(e). Certaines des expériences soumises à l’assimilation par la photographie sont partagées par l’ensemble des êtres humains. D’autres, au contraire, sont par-ticulières à chaque individu et à chaque groupe. Certaines sont liées à des conflits entre désir et interdit, des évènements

traumatiques, un sentiment de honte ou de culpabilité ou des secrets appartenant aux générations précédentes alors que d’au-tres ne le sont pas. Ainsi, selon Barthes, le noème de toute photographie renverrait, au-delà du contenu anecdotique de l’image, au questionnement central de chaque spectateur sur ses propres ori-gines, le “ça a été” de sa propre concep-tion. Il est également possible que les images témoignent d’expériences diffi-ciles à introjecter, et sont à peine regar-dables. Il semble que, dans ces cas, le pro-cessus de symbolisation sensori-affec-tivo-moteur mis en jeu dans le moment de la prise de vue ait alors été suffisant.

Conclusion Notre objectif, dans le cadre de cette pré-sentation et du présent article, était de pro-poser et mettre en pratique un alliage - heureux espérons-le - entre le soin et la photographie, plus particulièrement dans le cadre de notre Centre d’Intervention Thérapeutique de l’Enfance, à Lausanne. Il nous importait de pouvoir tenter une théorisation générale des éléments psy-chiques qui sont en jeu dans le contexte d’un tel atelier, mettant alors l’accent sur les processus et leur développement plu-tôt que sur tel ou tel aspect trop techniciste à notre goût. L’atelier photographique a, en tout cas, pleinement sa place dans un centre tel que le nôtre, donnant alors l’op-portunité aux patients mais aussi aux soi-gnants de se rencontrer de manière peu formelle autour d’un média à même de susciter des réactions diverses et variées, au-delà de toute stigmatisation psychopa-thologique. C’est le corps, dans toute son incarnation - et avec ses avatars - qui est reçu dans cet atelier, véritable aire transi-tionnelle de rencontre dans laquelle les subjectivités se croisent et s’entrecho-quent parfois, donnant alors lieu à des étincelles riches en découverte de soi, des autres et de soi en présence des autres. Un

tel espace peut aussi donner la possibilité à un enfant ou à un jeune adolescent de rêver son corps, de virtualiser des possibi-lités non encore advenues ou plus simple-ment non réalisables afin d’appréhender progressivement ce qui relève de l’imagi-naire et ce qui revient à la réalité, de sentir plus finement que les désirs ne peuvent pas tous prendre forme dans l’instant et que la transformation, le fait de grandir, est un processus sur le long terme. Tel peut être l’une des métaphorisations propres à cet atelier photographique. Si le ‘voir” permis par la photographie fait sans aucun doute appel à la pulsion sco-pique avec toute la charge libidinale et / ou agressive qu’elle peut entraîner et dé-chaîner, l’appareil photo permet égale-ment de mettre un tiers entre soi et l’image qui en est rendue, permettant donc d’aborder certaines problématiques liées à la chair et à la psyché au sens large au travers d’un filtre, de façon pare-exci-tante. Cette mise à distance entraîne ainsi la possibilité d’un espace ludique et expé-rientiel qui va favoriser l’émergence de processus créatifs dont l’une des finalités serait de pouvoir appréhender certains as-pects de soi et du monde avec davantage de sécurité, de confiance et peut-être de force. Ainsi donc, l’atelier photogra-phique participe - au sein d’une large pa-lette d’ateliers - à favoriser, mettre en jeu ce qui est du ressort de la symbolisation sensori-affectivo-motrice, symbolisation première sur laquelle se construiront la symbolisation primaire et secondaire, au fil des expériences de la vie, des ren-contres, des hasards et des reprises inéluc-tables. Cet atelier est alors une « petite pièce » parmi d’autres donnant toute sa vitalité et sa force à la co-construction d’un sujet en devenir, dont les avatars psycho-affectifs et / ou développemen-taux l’ont amené à être pris en charge dans notre centre, entre créativité et lucidité.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 97

Introduction Un an avant d’établir nos quartiers aux pieds du magnifique château de Caen, nous avons pris connaissance de l’argu-mentaire de ce 43ème colloque des hôpi-taux de jour. Si nous étions déjà coutumiers de la ma-nière toute singulière que les normands ont de répondre aux questions, nous avons agréablement découvert leur remarquable aptitude à questionner. Ainsi, derrière une réflexion qui nous était annoncée comme triviale, nos collègues caennais nous ont en fait dirigés dans un mouvement interrogatif vers les fonde-ments même de l’hôpital de jour et l’iden-tité propre de chacune de nos institutions. « Multiples dénominations pour une ten-sion entre programme, adaptabilité et créativité » ...

Il n’en fallut pas plus, effectivement, pour que, suite au questionnement de notre dé-nomination, nous entreprîmes un travail réflexif de fond sur notre identité. « Qui sommes-nous ?» De la sorte, pouvions-nous résumer notre compréhension globale de la question qui nous était posée à travers l’argumentaire de ce colloque caennais ? Cette question fondamentale, nous avons souhaité l’aborder au travers d’un raison-nement capable de figurer tant la com-plexité de notre existence institutionnelle que la pluridisciplinarité de notre travail au quotidien. Ainsi sommes-nous partis, à l’instar d’Erikson, dans une quête intros-pective de notre identité au travers de cinq axes privilégiés capables de relever ce défi figuratif lors de notre atelier pour ce 43ème colloque des hôpitaux de jour.

Nous proposons donc ici de reprendre ce raisonnement et de déployer notre pensée selon ces cinq pôles. Le questionnement fondamental pouvant se résumer par « Qui sommes-nous ? », nous aborderons un premier axe que l’on pourrait identifier à l’aphorisme suivant : « D’où venons-nous ? ». Au travers de cette interpellation, nous in-troduirons la question de l’Histoire. Sans résister aux plaisirs poétiques de la my-thologie, nous commencerons par une présentation succincte du Dieu antique Ja-nus que nous avons choisi comme guide pour notre aventure réflexive. Ce bref aperçu de notre Histoire commune sera le prélude à un développement plus abouti sur notre Histoire institutionnelle avec un intérêt particulier porté sur les éléments historiques conditionnant notre pratique psychiatrique actuelle. Le deuxième pôle réflexif s’établira sur l’aphorisme « Que pensons-nous que nous sommes ? ». Il sera ici question de notre philosophie de soins. Nous rendrons compte du travail d’analyse de cette phi-losophie, auquel nous nous sommes atte-lés en nous basant sur l’ouvrage récent de notre confrère, le Dr Jean-Louis Feys. Concernant le troisième pôle, et reprenant avec Roussillon les étapes du développe-ment psycho-sexuel des individus, nous rappellerons que la structure œdipienne, point culminant de ce développement, ar-ticule la question de la différence des sexes et la question de la différence des générations. Nous conviendrons égale-ment que l’identité, sujet de notre propos, se forge au chiasme de ces deux diffé-rences et de leur articulation. (Roussillon R., 2007) Transposant la théorie métapsycholo-gique à l’échelle institutionnelle, nous re-tiendrons l’importance accordée à la question de la différence, qui implique une nécessaire altérité. Nous développe-rons donc une réflexion concernant notre identité par rapport aux autres structures de jour ; et tout particulièrement la singu-larité de notre hôpital de jour semi-inten-sif - l’Envol - par rapport à son binôme intensif - Goéland -.

Janus, Dieu antique tourné à la fois vers le passé et vers l’avenir, sera la figure représentative de la réflexion d’équipe que nous avons entrepris dans le cadre de ce 43ème colloque des hôpitaux de jour et que nous retranscrivons ici sous forme d’article. Cette réflexion s’est construite sur deux piliers principaux. Le premier pilier est bien entendu l’argument de ce 43ème colloque qui, derrière une question présentée comme triviale, interrogeait en fait l’essence même de notre existence institutionnelle de jour. Le deuxième pilier de notre réflexion est l’ouvrage récent du Dr Jean-Louis Feys, « Quel système pour quelle psychiatrie ? », qui constitue un effort remarquable et sans précédent de clarification épistémologique des systèmes de pensées philosophiques caractérisant le soin en psychiatrie. « Qui sommes-nous ? ». Voici donc la question essentielle que nous développons dans notre article au travers d’une quête d’identité institutionnelle introspective. Nous avons tenté que cette dernière représente tant notre complexité existentielle que notre travail en pluridisci-plinarité. Notre démarche introspective aborde donc successivement des aspects historiques, philosophiques, politiques, pratiques et créatifs pour tenter de figurer le développement de notre service de jour et ses mutations récentes qui, d’un outil occupationnel, l’ont transformé en un outil médical psychiatrique complexe visant des objectifs affirmés de réinsertion sociale. Mots-clefs : hôpital de jour, désinstitutionalisation, système, humanisme, liberté, nosographie, modèle, droits du patient, psy-chose, loi

Janus or mutations in a day hospital: the paradox of the cats’ women

Janus, ancient God oriented towards both the past and the future, will be the representative figure of the team-reflection process we have undertaken as part of this 43th symposium of the Psychiatric Day Hospitals and that we transcribe here into an article. This thinking is built on two main pillars. The first pillar is of course the argument of this 43th symposium that, behind a question introduced as trivial, is in fact questioning the very essence of our day hospital existence. The second pillar of our thinking is the recent work of Dr. Jean-Louis Feys, “Which system for what psychiatry” which constitutes a remarkable and unprecedented epistemological clarification effort between the philosophical thoughts systems characterizing the psychiatric care. “Who are we? “. Here is the key issue that we develop in our article through an introspective search of institutional identity. Our answer to this question will try to represent the complexity of our existence as an institution and the diversity of our work as a team. Our approach therefore addresses successively historical, philosophical, political, practical and creative aspects trying to shape the development of our day service and its recent mutations, an occupational tool turned into a complex psychiatric medical tool targeting stated goals of rehabilitation. Keywords: day hospital, deinstitutionalization, system, humanism, freedom, nosology, model, patient rights, psychosis, law

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 98

LES AUTEURS Dr Jean-Benoît DESERT Joanne ARTUS Isabelle GODFRIN Viviane LOMBART Latifa MACHKOURI Dr Pierre GERNAY Clinique Notre-Dame des Anges Rue Emile Vandervelde 67 4000 Liège Belgique

BIBLIOGRAPHIE

1. DAMIRON Ph ; (1842), Cours de philoso-phie : deuxième partie : Morale, Paris : Hachette 2. FEYS J.-L. (2014), Quel système pour quelle psychiatrie ?, ISBN 978-2-13-063208-5, Paris : Presses Universitaires de France 3. Guide vers de meilleurs soins en santé men-tale par la réalisation de circuits et de réseaux de soins, consultable à l’adresse http://www.psy107.be 4. HUME D. (1740), Traité de Nature Humaine et appendice, L’entendement, Garnier Flamma-rion / Philosophie, 1999, 433 pages 5. KEMPENEERS J.-L. (2004), Philosophie des soins et politique organisationnelle à la Cli-nique Notre Dame des Anges, Liège : Clinique Notre Dame des Anges 6. KEMPENEERS J.-L. (2014), Inauguration du nouvel Hôpital de jour au CHS N.D. des Anges, Liège : Clinique Notre Dame des Anges 7. OVIDE (1857), Les Fastes, traduction M. Ni-sard, Firmin Didot, Paris : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k282076j 8. ROUSSILLON R., CHABERT C., CICCONE A. et al. (2007), Manuel de psychologie et de psy-chopathologie clinique générale, ISBN 978-2-294-04956-9, Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Mas-son 9. ROUSSILLON R. (2013), Paradoxes et situa-tions limites de la psychanalyse, ISBN 978-2-13-062061-7, Paris : Presses Universitaires de France.

Imprégnés de la théorie œdipienne, nous ferons précéder cette réflexion identitaire par un développement théorique tradui-sant les exigences surmoïques étatiques incarnées dans les lois en matière de santé publique. Nous transcrirons ensuite les mutations que notre offre de soins de jour a subies pour tenir compte du récent pro-jet de Loi 107, en matière de soins en santé mentale, établi dans notre pays en 2012. L’aphorisme choisi pour cette partie sera « Nous et les Autres, Nous et l’Etat », et nous y rendrons compte de notre politique appliquée. A la suite de ces développements théo-riques sur notre philosophie et sur notre politique appliquée, nous exposerons notre Pratique - « Que faisons-nous ? ». Nous traiterons alors d’un cas clinique qui nous éclairera sur les spécificités de notre pratique et qui nous permettra, par un dé-tour dans le paradoxe, d’établir des liens entre théorie et pratique institutionnelles. Notre dernier aphorisme, « Comment nous repensons-nous ? », nous amènera enfin, à travers un exemple concret, à montrer comment notre pensée théorique institutionnelle, qui se veut évolutive et créative, peut nous conduire à matérialiser des projets au quotidien.

D’où venons-nous ? Notre Histoire

Suivant Roussillon, nous aborderons cet axe en nous basant sur le premier énoncé fondamental de la métapsychologie psy-chanalytique : « Le premier énoncé - ce fut le premier formulé par Freud - est que le signe, le symptôme porte la trace d’un moment de l’histoire passée, d’une relation, d’une si-tuation ou d’un événement de celle-ci. » (Roussillon R., 2007) Nous pouvons relever ici la place majeure attribuée par Freud à l’histoire de l’indi-vidu dans son effort pour théoriser la mé-tapsychologie. A l’échelle d’une institution, il nous a donc paru essentiel, même si partant d’un raisonnement à l’inverse, de nous intéres-ser à notre Histoire pour prétendre abor-der notre existence, notre identité et notre fonctionnement institutionnel. Si François Mitterrand a pu dire qu’« un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité », vous nous laisse-rez probablement inférer qu’une institu-tion qui entreprend une quête de son iden-tité se doit d’analyser son histoire. Par politesse, nous faisons précéder ce dé-veloppement historique par une brève présentation de celui que nous avons choisi comme guide pour notre entreprise réflexive, le Dieu Janus.

« Janus est le dieu romain des commence-ments et des fins, des choix, du passage et des portes. Il est bifron et représenté avec une face tournée vers le passé, l’autre sur l’avenir. Son mois, Januarius (Janvier), marque le commencement de l’année dans le calendrier romain. » (Wikipédia citant Ovide, Les Fastes, 15 ap. J. C.) Ainsi faites les présentations, nous pou-vons entamer notre périple historique en revenant sur les fondements mêmes de notre institution et sur les évènements qui ont marqué son développement ainsi que celui de notre hôpital de jour. En 1928, la Clinique Notre Dame des Anges ouvre ses portes. Mère Marie Mag-deleine, fondatrice de la congrégation, et le Professeur Divry pour l’Université de Liège, jettent les bases du premier hôpital psychiatrique de Liège qu’ils voulaient moderne et dynamique, à la pointe de la recherche biomédicale. D’emblée les valeurs d’accueil, chères à la communauté chrétienne fondatrice, se matérialisent en la volonté d’accepter sans condition et discrimination sociale, nationale et religieuse, tout patient en né-cessité de soins. Le souci des familles est également présent au cœur même des fon-dements de l’hôpital. Cette volonté transparait clairement dans le projet des Pères fondateurs de la cli-nique et que nous rappelle notre médecin directeur, le Dr Kempeneers : « Accueillir en leur sein les plus souffrants et les plus rejetés, exemplairement les souffrances psychiques, et les accompagner sans ju-ger, quel que soit leur parcours de vie ». (Kempeneers J.-L., 2004) La prise en charge des pathologies les plus complexes s’est, par ailleurs, d’emblée transformée en un moteur d’innovations qui ont été légion jusqu’à nos jours. Nous en retraçons ici les plus marquantes. En 1943, la sismothérapie est introduite dans la clinique par le Pr Jean Bobon. En 1953, de nouveaux pavillons sont construits et un nouvel outil diagnostic est introduit : l’électroencéphalogramme. En 1958, commence « l’inauguration des premiers traitements efficaces sur les psychoses hallucinatoires et délirantes, qui ont per-mis de briser les chaînes de nombres de nos patients et de leur ouvrir l’espoir d’un après hors les murs ». (Kempeneers J.-L., 2014) Dans les années soixante, un atelier créa-tif d’art-thérapie voit le jour et la psycho-thérapie est introduite dans la clinique. Un service social et un service de kinésithéra-pie sont créés ainsi qu’un service d’ergo-thérapie, d’abord occupationnel puis thé-rapeutique. C’est également durant cette décennie que le ministère nous accorde une orientation psychiatrique définitive pour deux cent trente lits.

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Janus ou les mutations d’un hôpital de jour : Le paradoxe de la femme aux chats

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 99

Nous pouvons observer que la clinique a toujours mis un point d’honneur à « adap-ter ses outils aux nouvelles données des sciences biomédicales, aux possibilités nouvelles de désinstitutionalisation of-fertes par les avancées chimiothérapeu-tiques et psychothérapeutiques et les in-novations en thérapie institutionnelle ». (Kempeneers J.-L., 2014) Par ailleurs, notre Clinique a compris de-puis longtemps le phénomène de désinsti-tutionalisation amorcé dès l’après-guerre et s’accompagnant d’un effort d’écono-mie demandé au secteur de la santé qui se concrétisent actuellement dans le projet 107. Dans son discours pour l’inaugura-tion de notre nouvel hôpital de jour, notre médecin directeur revient sur les jalons historiques de ce mouvement vers la dé-sinstitutionalisation : « La clinique s’est [...] rapidement tournée vers des solu-tions alternatives à l’hospitalisation. En 1989, la clinique créait ses premières ha-bitations protégées. En 1992, l’hôpital de jour ouvrait ses premiers lits. La polycli-nique devenait un outil d’orientation et permettait d’affiner les indications d’hos-pitalisation en vue d’éviter les hospitali-sations superflues. Le mécanisme de post-cure était organisé et utilisé intensive-ment pour poursuivre en ambulatoire la thérapie institutionnelle et rétrécir les du-rées d’hospitalisation. Enfin, dès les pre-miers moments, nous nous sommes empa-rés du projet 107 pour déposer, dans le même esprit, un projet intégré, avec une proposition de réforme fondamentale de notre institution, réforme qui ne se limi-tait pas à la création d’équipes mobiles, mais voulait s’inscrire dans un réseau de soins étendu, pluraliste et multitâche, ca-pable de s’articuler adéquatement aux besoins multiples du patient et de la pre-mière ligne. » (Kempeneers J.-L., 2014) Ainsi exposés les repères de notre histoire institutionnelle, nous voyons plus claire-ment les évènements qui ont mené à la naissance de notre hôpital de jour. Avant de détailler les contours fonctionnels de notre outil, il nous paraît indispensable de caractériser le système de pensées qui lui a donné sa forme par les décisions prises.

Que pensons-nous que nous sommes ?

Notre Philosophie Encouragée par le Pr Jean Bertrand, la lecture du récent et passionnant ouvrage de notre confrère le Dr Jean-Louis Feys, « Quel système pour quelle psychia-trie ? », sur les systèmes philosophiques en psychiatrie, nous a permis de porter sur les fonds baptismaux de notre institution une réflexion fondamentale sur la maladie mentale et sur le soin en psychiatrie.

Une analyse détaillée de cet ouvrage nous a permis d’entreprendre un travail de ré-flexion, en équipe pluridisciplinaire, sur la maladie mentale, la philosophie du soin et le déterminisme en psychiatrie. Ce travail d’analyse a pu aboutir à une confrontation de la théorie développée par l’auteur à nos propres représentations in-dividuelles et à une riche discussion d’équipe. Au-delà des représentations individuelles, nous avons entrepris un travail de con-frontation de la thèse développée par le Dr Feys à notre philosophie institutionnelle et nous proposons de développer ici ce travail. Dans son introduction, le Dr Feys établit le constat selon lequel « la psychiatrie ne possède pas de fondement conceptuel propre et que la pratique clinique y est dominée, selon les époques et les régions, par le bon sens, l’humanisme, la morale, le paternalisme médical, les statistiques ou le souci sécuritaire. La psychiatrie ne serait qu’un conglomérat de sciences et de disciplines. En résulterait un manque de cohérence entre les principes explica-tifs utilisés par les différents psychiatres [...] » et donc un discrédit de leur propos qui « [...] disqualifie politiquement la dis-cipline et contrarie son enseignement. » (Feys J.-L., 2014) Le Dr Feys constate aussi que « Certains auteurs auraient tenté une synthèse de modèles dont le plus emblématique est le modèle bio-psycho-social ». Mais ces mo-dèles sont pauvres sur le plan épistémolo-gique et ils ne résolvent pas la question fondamentale de la psychiatrie, « Quelle idée nous faisons-nous des phénomènes psychiatriques ? ». De cette question en découlent d’autres tout aussi impor-tantes : « Quelles sont les lois qui permet-tent de classifier ces phénomènes ? », « Quelles sont les lois qui permettent d’en penser une causalité ? », « La classifica-tion et la causalité laissent-elles une place à la liberté de la personne ? ». » (Feys J.-L., 2014) Selon le Dr Feys, « nous occultons toute question concernant les fondements de la discipline et nous nous limitons à une pra-tique qui a la prétention d’être globali-sante. Or, nous finissons toujours par bu-ter sur certaines questions telles que celles de la responsabilité du patient. La question de la responsabilité du patient est inséparable de la question qu’on se fait de la pathologie, qui elle-même déter-mine la classification. Notre tentative d’y répondre variera en fonction de notre conception personnelle de la pathologie en présence, même si, faute de fondement épistémologique, c’est souvent le bon sens supposé commun qui dicte la pratique cli-nique. » (Feys J.-L., 2014)

L’hypothèse développée dans l’ouvrage est celle-ci : « Tous ces courants et ten-dances s’appuient, le plus souvent sans le savoir, sur des épistémologies différentes qui, toutes, se réfèrent à un système phi-losophique déterminé. Derrière chaque courant psychiatrique se cache un cou-rant philosophique. Différencier et préci-ser ces systèmes philosophiques permet ainsi de clarifier les différentes tendances rencontrées dans le champ de la psychia-trie ». (Feys J.-L., 2014) L’ambition de l’ouvrage s’ensuit. « Au-delà de l’effort de clarification des diffé-rents modèles rencontrés, il s’agit de ne pas se limiter à une position relativiste (à chaque modèle sa vérité) mais de claire-ment et cliniquement prendre position pour une conception intuitionniste des soins psychiatriques. » (Feys J.-L., 2014) La dernière partie de l’ouvrage entend dé-velopper cette philosophie - la conception intuitionniste - pour démontrer la domi-nance de sa valeur épistémologique sur les autres systèmes philosophiques. Acquis au raisonnement et à la cause du Dr Feys, l’enjeu est pour nous de nous as-surer que notre pratique psychiatrique re-pose bien sur cette philosophie intuition-niste du soin en psychiatrie. Afin de démontrer cette hypothèse nous détaillons donc ici les éléments de la con-ception intuitionniste du soin psychia-trique telle que développée par le Dr Feys afin de les comparer à la philosophie de soin stipulée dans l’article rédigé par notre médecin directeur en 2004 : « Phi-losophie et politique organisationnelle à la Clinique Notre-Dame des Anges ». Le Dr Feys, se référant au philosophe français Jules Vuillemin, établit une liste exhaustive de six systèmes philoso-phiques. De ces six systèmes philoso-phiques, quatre sont des systèmes dogma-tiques et deux sont des systèmes de l’exa-men. Les systèmes dogmatiques ont ceci de caractéristique qu’ils ne tiennent pas compte, au contraire des systèmes de l’examen, de la subjectivité de celui qui est à la source de l’acte de connaissance. Les symptômes psychiatriques sont de l’ordre du relationnel. Il n’est donc pas possible de les extraire d’une dimension d’échange et de réflexivité pour les ins-crire dans un système philosophique dog-matique. Des deux systèmes de l’examen, le scep-ticisme mène à un relativisme qui renonce à la notion de vérité, ce à quoi on ne peut concéder. Seule la méthode intuitionniste s’avère appropriée pour fonder la pratique psychiatrique. Toujours selon le Dr Feys, « au sein du système intuitionniste une pathologie n’existe pas en tant que telle. Il s’agit tou-jours d’un diagnostic, d’un processus de

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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construction, d’un acte de connaissance et de classification de la part du soignant. Cet acte n’a de sens qu’à l’intérieur du soin lors d’une rencontre avec le patient et à partir d’une réflexion sur la pensée, la définition et la classification. Accueillir les troubles psychiatriques est le fonde-ment de toute attitude thérapeutique. Etre avec le patient ici et maintenant et l’ac-compagner à partir de cette situation pré-sente vers l’avenir, en lui ouvrant le champ des possibilités. Ceci n’empêche pas un traitement psychothérapeutique ou médicamenteux mais ils sont secondaires. C’est sur cette dimension de rencontre (l’être avec l’autre) que reposent la thé-rapie et le savoir médico-psychologique, fait de connaissances médicales, pharma-cologiques et de techniques psychothéra-peutiques. Une telle situation n’est pos-sible qu’à partir d’une conception intui-tionniste du phénomène. Elle doit per-mettre une méthode de construction avec le patient qui laisse une possibilité à l’im-prévisibilité et à l’improvisation. Le soi-gnant peut se laisser porter par le mouve-ment existentiel qui se manifeste par la li-berté de sa relation avec son patient. » (Feys J.-L., 2014) Le Dr Feys conclut sur l’importance du transfert qui nécessite l’abandon des lo-giques de vérité propres aux systèmes dogmatiques qui évoluent par ailleurs sous le primat de la loi du tiers exclu1. Il insiste sur l’importance d’intégrer l’équi-voque comme part indissociable du dis-cours du patient et la nécessité de prendre appui sur ces équivoques afin de provo-quer le mouvement et le changement. Nous pouvons maintenant détailler les principes fondateurs de notre institution afin de nous assurer de la compatibilité avec les caractéristiques de la philosophie intuitionniste telle que développée ci-des-sus. L’article développant la philosophie des soins et la politique organisationnelle dans notre institution prend appui sur notre appartenance chrétienne pour déve-lopper ses principes fondateurs résumés ci-dessous. - Le malade est une personne dont l’inté-grité et le respect ne peuvent être amoin-dris par le statut momentané de patient - Au-delà du statut de thérapeute, cha-rité, commisération et solidarité doivent prendre le pas sur la technicité et la thé-rapeutique - Ce respect de la personne humaine doit imprégner la relation thérapeutique et implique une exigence de responsabilité

1 La loi ou principe du tiers exclu affirme la disjonction d’une proposition p et de sa né-gation non-p. Il faut choisir entre p et non-p : si l’une est vraie, l’autre est fausse. Un objet existe ou n’existe pas sans autre possibilité.

réciproque et partagée, malgré la limita-tion des ressources personnelles du pa-tient, conséquence de la maladie psy-chiatrique - Les choix thérapeutiques doivent repo-ser sur des valeurs humaines avant des convictions scientifiques. - Le souci du patient doit être au centre de nos préoccupations, avec un souci d’abnégation plus grand que celui d’une activité économique quelconque - Un souci concomitant doit exister con-cernant la qualité de vie, l’épanouisse-ment et le plaisir au travail de l’ensemble de la communauté thérapeutique

Ce travail de synthèse de l’ouvrage du Dr Feys et de l’article reprenant nos principes fondateurs nous permet de conclure à une cohérence manifeste sur l’importance ac-cordée à la notion de Rencontre2, base et préalable incontournable au soin psychia-trique. Il nous permet, dès lors, de pouvoir revendiquer la conception intuitionniste comme système philosophique sous-ja-cent à notre fonctionnement institution-nel. Conscient de notre système philoso-phique, il nous appartient maintenant d’envisager les applications décision-nelles de ce système d’idées et leur agen-cement en une politique appliquée.

Nous et les Autres, Nous et l’Etat Notre Politique Appliquée

Nous allons ici détailler comment nos décisions théoriques, méthodiques et pratiques nous positionnent dans le pay-sage psychiatrique liégeois au cœur des réformes politiques actuellement en cours dans notre pays. « L’objet social d’une clinique hospita-lière est d’offrir, dans un cadre thérapeu-tique efficace, au plus grand nombre, les soins les plus adéquats à sa patientèle. Les moyens mis en œuvre doivent corres-pondre aux normes édictées par le pou-voir subsidiant, et au-delà répondre à des critères de qualités humaines et scienti-fiques les plus performants possibles dans un cadre de contraintes économiques qui définit en grande partie la politique d’or-ganisation des soins et des investisse-ments. » (Kempeneers J.-L., 2014) Ces “normes édictées par notre pouvoir subsidiant” trouvent leur transcription la plus formelle dans le Guide vers de meil-leurs soins en santé mentale et plus légiti-mement dans la déclaration conjointe du 24 juin 2002 des Ministres de la Santé pu-

Pour les systèmes dogmatiques, un énoncé complet est vrai ou faux, sans alternative possible. 2 Au sens du concept « Umgang » tel que dé-veloppé par Viktor von Weizsäcker (1886 –

blique et des Affaires sociales sur la poli-tique future en matière de soins de santé mentale. Cette déclaration prescrit neuf principes de base qu’elle somme de respecter. Nous proposons d’en dégager ici les éléments essentiels afin d’expliciter plus loin com-ment nous avons pu en tenir compte lors de la conception de notre nouvel hôpital de jour. - Premier principe : la politique en ma-tière de soins de santé mentale doit être fondée sur les besoins du patient. - Deuxième principe : la population de patients sera subdivisée en groupes cibles selon l’âge. - Troisième principe : nécessité d’une nouvelle organisation des soins de santé mentale suivant les concepts de circuits de soins ou de réseaux d’équipements de soins ou de prestataires de soins. - Quatrième principe : un point crucial au sein d’un circuit de soins, de même par-delà les limites des circuits de soins, est la liberté de choix du patient et l’exer-cice de ses droits. La responsabilité de la continuité des soins au patient incombe aux prestataires de soins. - Cinquième principe : les soins doivent de préférence être offerts dans un cadre ambulatoire ou à domicile. - Sixième principe : le réseau doit accor-der de l’importance à la prévention, à l’éducation et à la promotion des soins de santé mentale. - Septième principe : il faut encourager la collaboration au sein des circuits. - Huitième principe : les autorités con-viennent de coordonner leurs politiques respectives. - Neuvième principe : la réforme préco-nisée est fondée sur l’offre existante.

En reprenant un passage de l’exposé tenu lors de l’inauguration de nos nouveaux hôpitaux de jour, nous pourrons mettre en exergue comment nous avons pu tenir compte de ces principes dans la concep-tion de ces deux nouveaux outils de jour : « Il faut [...] que l’hôpital abandonne sa fonction asilaire, à charge pour nos déci-deurs de trouver des solutions alterna-tives. Nous acceptons ce prérequis. Mais l’hôpital psychiatrique a une fonction beaucoup plus incontournable, c’est celle de restauration des compétences sociales minimales, nécessaires à la réinsertion. Si nous définissons comme intensives les fonctions diagnostiques et thérapeu-tiques, centrées sur le contrôle des symp-tômes florides, l’hospitalisation peut être courte dans la plupart des cas. Mais nos

1957), médecin allemand ayant théorisé une science de l’être vivant dans une démarche typiquement intuitionniste.

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Janus ou les mutations d’un hôpital de jour : Le paradoxe de la femme aux chats

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équipes savent bien que c’est alors que commence le vrai travail psycho-socio-thérapique qui implique toutes les res-sources pluridisciplinaires les plus poin-tues. En dehors de la gestion de la crise, souvent résolutive à long terme, pour toute autre décompensation psychia-trique, négliger cette phase est synonyme de rechute rapide et in fine de chronicisa-tion. Que l’on appelle ce travail : soin semi-intensif, raison d’être des lits T, ou fonction 3 du réseau en hôpital psychia-trique, voilà qui est au fond de peu d’im-portance. Mais nous savons que pour être efficace ce travail nécessite les outils plu-ridisciplinaires pointus [...]. Et le temps nécessaire. Maximum 6 mois. Avant de pouvoir passer la main à la fonction 1 ou au CRF pour la réhabilitation socio-pro-fessionnelle proprement dite. » (Kempe-neers J.-L., 2014) Nous voyons se dessiner ici les contours de nos deux nouveaux hôpitaux de jour dans une esquisse qui poursuit des objec-tifs essentiels : la gestion intensive des symptômes, une durée limitée en hospita-lisation résidentielle, voire un court-cir-cuit de cette dernière quand la situation le permet mais aussi une efficacité de la prise en charge ambulatoire, la poursuite de projets individualisés, un travail en pluridisciplinarité et l’ancrage au sein de circuits et de réseaux de soins. Un hôpital de jour est dit intensif, et il est baptisé Goéland. L’autre hôpital de jour est décrit comme semi-intensif, et il est baptisé l’Envol. Le Goéland est un lieu de mise au point diagnostique et de mobilisation de moyens thérapeutiques multidiscipli-naires. Il s’adresse à toute personne ayant besoin d’une prise en charge thérapeu-tique brève (six semaines) et dont ses res-sources lui permettent de rester dans son milieu de vie. L’Envol est un service accueillant des pa-tients ayant besoin d’un encadrement mé-dico-psycho-social en vue d’accroître leur autonomie et de favoriser leur réinsertion tout en les maintenant à domicile. La du-rée d’hospitalisation y est limitée à un maximum de six mois. Notre équipe travaillant majoritairement dans l’hôpital de jour semi-intensif l’En-vol, nous proposons maintenant de vous présenter un cas clinique qui permettra de mettre en évidence le fonctionnement de notre outil. 3 Ce cas clinique très félin nous a, par asso-ciations, amenés à réfléchir sur l’expérience du chat de Schrödinger que nous détaillons ici : Erwin Schrödinger, physicien, philo-sophe et théoricien scientifique autrichien, imagina en 1935 une expérience de pensée dans laquelle un chat est enfermé dans une boîte avec un dispositif qui tue l’animal dès

Que faisons-nous ? Notre Pratique : Le paradoxe de la

femme aux chats Reprenant Roussillon dans l’introduction de son ouvrage « Paradoxes et situations limites de la psychanalyse » nous pou-vons dire que « En chauffant à blanc la situation psychanalytique, les formes du transfert paradoxal qui s’y déploient alors amènent celle-ci à expliciter ses conditions de possibilité. » (Roussillon R., 2013) Poursuivant notre logique d’application de la pensée métapsychologique à l’échelle institutionnelle, nous choisis-sons donc de vous exposer un cas clinique difficile qui questionnera les limites théo-riques des outils décrits ci-avant pour in-sister sur l’indispensable réflexion qui doit subsister à la manœuvre de ses outils. Volontairement, notre description cli-nique éclipsera les aspects anamnestique, sémiologique et thérapeutique pour faire la part belle aux enjeux de l’hospitalisa-tion de jour et pour mettre en exergue l’application concrète des réflexions phi-losophiques et politiques développées ci-avant. La patiente est âgée de soixante-et-un ans. Elle est célibataire et sans enfant. Elle est la deuxième d’une fratrie de trois enfants. Sa sœur aînée est son administrateur de biens et a été notre unique allié familial durant la prise en charge. Elle souffre d’un trouble psychotique de-puis quarante ans, un diagnostic de schi-zophrénie ayant été posé lorsqu’elle était âgée de vingt-et-un ans. Originaire de Bruxelles, un délire enva-hissant de persécution l’a poussée à démé-nager à Liège début 2014. Alertées par le voisinage de la patiente suite à des troubles du comportement de cette dernière sur la voie publique, les forces de police sont intervenues pour que la patiente puisse, en urgence, être éva-luée par un psychiatre. Le délire agissant a pu être objectivé par les psychiatres des urgences, la patiente expliquant devoir courir après ses chats bien-aimés sous peine qu’ils ne soient agressés par des turcs malfaisants. Suite à cette prise en charge au service des urgences, la patiente accepte un suivi par une équipe mobile de soins psychia-triques. Elle n’acceptera de participer qu’à trois entretiens avant de marquer son

qu’il détecte la désintégration d’un atome d’un corps radioactif. Si les probabilités in-diquent qu’une désintégration a une chance sur deux d’avoir lieu au bout d’une minute, la mécanique quantique indique que, tant que l’observation n’est pas faite, l’atome est simultanément dans deux états (intact et dé-sintégré). Or le mécanisme imaginé par

refus de prise en charge dans une opposi-tion qui aboutira à une hospitalisation sous contrainte légale. Elle est admise dans un service résidentiel de notre clinique où elle est prise en charge par un des psychiatres de notre ins-titution. Deux mois plus tard, la patiente est trans-férée dans notre hôpital de jour semi-in-tensif l’Envol. Si les règles théoriques sous-jacentes au fonctionnement pratique de notre hôpital de jour semi-intensif, ex-plicitées plus haut, sous-entendent qu’un transfert survient lorsque la symptomato-logie est maîtrisée, tel ne fut pas le cas pour notre patiente. En effet, aucun des traitements chimiothérapeutiques instau-rés ne parvint à juguler le processus déli-rant en cours chez cette patiente. C’est en fait le paradoxe à l’œuvre dans cette situation clinique qui nous a poussé à activer notre créativité thérapeutique pour tenter de répondre à cette impasse clinique avec comme aboutissement un transfert dans notre hôpital de jour. Le paradoxe se cristallise dans l’inadé-quation fondamentale entre le soin requis par la situation et le caractère néfaste de ce dernier. En effet, l’état clinique de cette patiente est tel qu’un soin a été imposé juridique-ment en réponse à son refus de prise en charge. D’autre part, l’intensité de la symptomatologie nécessite assurément une prise en charge hospitalière. Cepen-dant, la patiente, fortement isolée sociale-ment, semble avoir établi un attachement sans commune mesure envers ses chats qui comblent son domicile comme son es-prit. Toute mise à l’écart de ces derniers est donc vécue comme une atteinte persé-cutrice à la raison de vivre de la patiente dont le vécu subjectif paranoïde ne fait que s’intensifier. Cette situation clinique nous a ainsi placés face à un dilemme que nous n’aurions ja-mais pu dépasser en usant d’une pensée dogmatique, mais qu’une pensée intui-tionniste nous a permis de solutionner. La question qui nous était posée était ef-fectivement « comment être et ne pas être hospitalisée ? ». Une approche dogmatique nous aurait probablement poussés à choisir de ma-nière univoque entre ces deux proposi-tions. Mais si Schrödinger a pu mettre en évi-dence dans sa célèbre expérimentation3

Schrödinger lie l’état des particules radioac-tives à l’état du chat (mort ou vivant), de sorte que le chat serait simultanément dans deux états (l’état mort et l’état vivant), jusqu’à ce que l’ouverture de la boite (l’ob-servation) déclenche le choix entre les deux états.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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qu’un chat pouvait être conceptuellement tout à la fois mort et vivant, être et ne pas être, il nous appartenait de trouver une prise en charge qui permettrait à notre « femme aux chats » d’être hospitalisée sans l’être. Cette solution équivoque, nous avons pu la concrétiser par une prise en charge dans notre hôpital de jour. Dans notre cas clinique, la prise en charge de jour est clairement le fruit de l’imagi-nation d’une pensée clinique et institu-tionnelle fondamentalement intuitionniste par son acceptation de l’équivoque et son refus de la loi du tiers exclu (p et non-p ne sont pas les seules propositions pos-sibles). Par une adaptation de notre politique de fonctionnement, nous avons ainsi choisi de prendre en charge dans notre hôpital de jour cette patiente à la symptomatologie active. Ce faisant, nous avons ainsi pu prendre en considération son vécu subjec-tif paranoïde en évitant corollairement la position de persécuteur dans laquelle cette situation clinique plaçait chacun des soi-gnants actifs dans cette prise en charge. C’est donc bien le transfert qui, au-delà de toute position dogmatique sur la maladie mentale, fut le moteur de cette prise en charge. Une fois dépassée cette impasse thérapeu-tique, notre travail a pu se focaliser sur les objectifs de réinsertion inhérents à la mis-sion thérapeutique de notre structure de jour. La volonté d’inscription de notre ac-tion dans un réseau et des circuits de soins, telle que préconisée par les recom-mandations officielles susmentionnées, a pu se matérialiser au cours de plusieurs ré-unions extra-institutionnelles pluridisci-plinaires visant à réunir la patiente, son entourage familial et son réseau de pre-mière ligne (maison médicale de quartier, aides sociales, infirmières à domicile) afin de renforcer les liens entre ces différents acteurs. La patiente a ensuite pu quitter notre ser-vice après une hospitalisation d’une durée de six mois pour réintégrer complètement son domicile, conformément à ses at-tentes, mais tout en bénéficiant d’un ré-seau de soin de première ligne qui a pu être considérablement renforcé par notre prise en charge.

Comment nous repensons-nous ? Notre créativité

S’il est vrai qu’on ne puisse bien vivre en ce monde sans songer sérieusement à l’autre, si le

présent même le meilleur ne vaut que par cet avenir, comme le réel ne vaut que par l’idéal, la

vertu par la sainteté, la perfection de la terre par la perfection du ciel ; Si le commencement n’a

de prix que par la fin qui le couronne, si, en un mot, notre grande affaire est de vivre pour mou-

rir, c’est à dire pour revivre, et pour suivre, en passant du temps à l’éternité, de l’ordre de

l’épreuve à celui de la justice, le cours de notre destinée ; la philosophie, qui, ainsi que je l’ai

dit, a charge d’âmes comme la religion, n’a pas de devoir plus sacré que de s’occuper de ces questions, non pas sans doute pour les agiter

précipitamment et sans règle, mais pour les aborder à leur rang, au terme, et non au début

de ses sérieuses recherches, avec les précau-tions, les soins et le respect qu’elles méritent.

Ph Damiron Cours de philosophie volume 2

page 475-476 Vivre pour mourir... Etre et ne pas être... Etre et ne pas être hospitalisé... Etre et ne plus être hospitalisé. D’un paradoxe à un autre, notre pensée est ainsi inlassablement mise au défi de mettre du sens dans l’absurde. Ainsi, par-tant qu’une hospitalisation à l’hôpital de jour n’a d’autre but que de quitter l’hôpi-tal, notre équipe n’a pourtant de cesse de s’interroger sur ce qui crée et nourrit le lien thérapeutique momentané dans ce qu’il a de plus concret. Comme annoncé dans notre introduction, il nous est essentiel que notre réflexion laisse transparaître de manière cristalline l’importance que nous accordons au tra-vail en pluridisciplinarité dans ses aspects les plus abstraits comme les plus concrets. C’est pourquoi nous souhaitons laisser la place aux images pour exemplifier ce qui, à l’instar de l’argument de ce colloque peut paraître trivial, mais représente la concrétisation d’un travail d’amélioration de notre local de vie par notre personnel et symbolise notre réflexion continue sur l’accueil et le partage dans le lien.

Conclusion Si le philosophe anglais David Hume a pu dire que «(…) Former l’idée d’un objet et former tout simplement une idée, c’est la même chose, puisque la référence de l’idée à un objet est une dénomination ex-trinsèque dont elle ne porte ni marque ni caractère en elle-même », nous avons, pour notre part, voulu relever le défi lancé par ce 43ème colloque de marquer et ca-ractériser notre dénomination. Au terme de notre développement, nous pouvons dès lors énoncer notre dénomi-nation complète, « L’hôpital de jour semi-intensif l’Envol de la Clinique Notre-

Dame des Anges », et inférer des caracté-ristiques à partir de chaque mot et que nous résumons ici. - Le mot “Hôpital” renvoie, par la dia-lectique Hôpital-Médecin-Maladie, à la notion de prise en charge médicalisée et de travail dans le champ de la maladie mentale telle qu’elle a été définie dans le chapitre sur la philosophie. - Le mot “Jour” implique un engagement en faveur de la “désinstitutionalisation”. - “Semi-intensif” signale un rythme propre caractérisé par une souplesse et une adaptabilité. - “Envol” souligne l’intérêt porté à la ré-insertion et à l’intégration dans un réseau social tourné vers l’extérieur. - Enfin, l’annexion du nom “Clinique Notre-Dame des Anges” garantit une prise en charge s’inscrivant dans une philosophie intuitionniste des soins.

Nous terminerons cet article en nous per-mettant de marquer notre stupéfaction suite à l’intervention du Docteur Rœlandt lors de la séance plénière de ce 43ème col-loque. En toute humilité et suite à l’étude de l’ouvrage de notre confrère le Dr Feys, nous nous étonnons en effet que les re-commandations préconisées par l’Organi-sation Mondiale de la Santé en matière de santé mentale ne semblent reposer que sur un prétendu bon sens s’inspirant unique-ment d’une comparaison statistique entre différents pays. Les éléments de réflexion sur la conception de la maladie mentale et sur la politique des soins en matière de santé mentale nous ont paru d’une grande pauvreté. Si dans la description de notre cas clinique nous nous sommes targués d’avoir pu court-circuiter une hospitalisation à temps complet grâce à notre prise en charge de jour, il n’en reste pas moins que le par-cours psychiatrique de cette patiente a quand même nécessité, et à bon escient, une prise en charge temporaire à temps complet. Il nous semble donc que la poli-tique aveugle de fermeture de lits en psy-chiatrie, préconisée par l’Organisation Mondiale de la Santé, ressort d’un déni de la maladie mentale dont les conséquences sont aussi délétères qu’une politique op-posée, d’enfermements arbitraires, pour-rait l’être également. Il nous semble que

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Janus ou les mutations d’un hôpital de jour : Le paradoxe de la femme aux chats

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seule une réflexion profonde et continue puisse permettre de trouver, entre ces deux positions dogmatiques, une position juste et équivoque dans la question de l’hospitalisation des malades mentaux. Nous nous réjouissons dès lors d’apparte-nir à un Groupement qui, malgré cette mouvance politique actuelle peu consis-tante, nous encourage continuellement à réfléchir à notre pratique.

Nous exprimons enfin notre satisfaction que ce 43ème colloque des hôpitaux de jour nous ait permis cette aventure introspec-tive institutionnelle. Nous avons souhaité que ce travail réflexif tende vers une cer-taine globalité. Toutefois, une telle dé-marche introspective institutionnelle ne pourrait prétendre à une forme d’exhaus-tivité, si tant est qu’il en soit possible, qu’en abordant les enjeux inconscients de notre fonctionnement.

Un tel développement nécessiterait un ar-ticle à part entière et nous nous réjouis-sons donc que le colloque de l’année pro-chaine nous permette d’aborder en partie cet aspect du fonctionnement institution-nel par son questionnement sur la division du pouvoir au sein des équipes, compor-tant nécessairement des enjeux incons-cients.

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Introduction Un long chemin a été parcouru dans le service ambulatoire du service de psy-chiatrie adulte à Genève, depuis la créa-tion d’un hôpital de jour dans les années 1970 jusqu’à l’actuel Programme de Jour. Inspirée par le thème de ce colloque, l’équipe du Programme de Jour du secteur Servette a tenté de revisiter sa courte et ré-cente histoire en s’interrogeant sur les dif-ficultés rencontrées dans la création d’une identité de soignant œuvrant dans un hô-pital de jour. En découle une réflexion sur les conditions nécessaires à l’émergence d’un sentiment d’appartenance à un groupe thérapeutique chez les soignants, et à ses répercussions sur le groupe de pa-tients. A Genève, les programmes de jour en psychiatrie adulte ont été en activité dès les années septante puis interrompus à l’aube des années 2000.

Depuis près de 2 ans, ils participent à nou-veau à l’offre de soins de nos structures ambulatoires. Différentes interrogations sont apparues au cours de leur processus de reconstruction : dans quelle filiation s’inscrivent-ils après quinze ans d’inter-ruption d’activité ? Comment construire une identité de soignants de Programme de Jour après plusieurs années pendant lesquelles les centres de crise étaient à l’avant-plan des soins ambulatoires à Ge-nève ? Nous verrons dans cet atelier quels ont été les modèles prédominants dans le passé, quelles évolutions nous nous sommes ef-forcés de développer et les écueils qui en ont découlés. Actuellement, le Pro-gramme de Jour offre une prise en soins qui se veut singulière et adaptée à la psy-chopathologie de chaque patient. Une at-tention particulière est donnée à cette no-tion de singularité, tout en veillant à ce

qu’une dynamique groupale puisse émer-ger et permettre à chacun de ressentir un sentiment d’appartenance ayant souvent fait défaut dans sa trajectoire de vie.

Retour sur l’Histoire A partir de 1970 jusqu’à 1983 se met en place une ébauche d’Hôpital de Jour sur Genève pour pallier au manque de struc-tures intermédiaires entre l’hospitalier et les consultations ambulatoires. Il fait donc office de lieu de transition entre l’hôpital et les soins communautaires usuels. Ce changement est inspiré par le mouvement de désinstitutionalisation qui se déploie à cette époque dans toute l’Europe ainsi qu’aux Etats-Unis (Basaglia, 1970 ; Ross-man-Parmentier, 1984). L’hôpital de jour se voulait un lieu d’accueil et d’expéri-mentation de nouvelles approches théra-peutiques d’inspiration psychodynamique et visait à favoriser le processus d’autono-misation de chaque patient, entravé ou mis à mal par l’émergence d’un trouble psychique. Dès 1983, l’hôpital de jour s’agrandit et se dénomme Centre de Thérapie Brève (CTB). Il réunit en un même lieu un centre de crise et un hôpital de jour. L’Hôpital de Jour se structurait comme un lieu de tra-vail thérapeutique avec un horaire précis dans lequel différentes activités devaient permettre au patient un réentraînement progressif à la vie en société. Le modèle systémique s’impose peu à peu comme une nouvelle référence théorique. Ainsi tout patient était reçu avec son entourage pour l’élaboration d’un projet thérapeu-tique commun. La famille du patient était considérée comme un partenaire de soin incontournable, et la dynamique familiale indissociable de la compréhension et de l’accueil du symptôme. L’institution s’ex-porte de plus en plus dans la ville et se transforme peu à peu en un lieu de travail et d’entraînement où le patient va em-ployer “ses collègues patients” et l’équipe soignante jour après jour afin de (re)trou-ver certaines capacités, de développer des liens sociaux et/ou d’initier des projets d’activité ou de formation (Barrelet, 1983, 1987). Initialement les soins étaient

Les soins en hôpital de jour en psychiatrie adulte à Genève ont commencé en 1974 pour s’interrompre en 1998. Presque 15 ans se sont écoulés avant la remise en place en janvier 2013 de ces programmes de soins dans les différents secteurs du service de psychiatrie adulte. La réinstauration de ce type de prise en charge a pour but d’offrir des soins ambulatoires intensifs et au long cours à des patients souffrant de psychopathologies graves et chroniques qui multipliaient les hospitalisations dans un phénomène de “porte tournante”. La création du Programme de Jour au Centre Ambulatoire de Psychiatrie et de Psychothérapie Intégrées (CAPPI) de la Servette est passée par différentes étapes. Le processus de construction d’un cadre thérapeutique a en effet buté contre différents écueils chez les soignants dont nous pûmes observer les résonances auprès de nos patients. Par le présent travail, nous aimerions mettre l’accent sur les conditions d’émergence au fil du temps d’un sentiment d’appartenance à une entité groupale, tant chez les soignants qu’auprès des patients. Ce document vise également à reporter comment la constitution d’une identité thérapeutique a finalement permis de partir à la recherche d’une filiation conceptuelle dans le contexte d’une histoire institutionnelle complexe et marquée par la discontinuité. Mots-clefs : hôpital de jour, programme de jour, centre de crise, sentiment d’appartenance, généalogie institutionnelle

Reflection on the history of day hospital programs at Geneva

The adult psychiatric day hospital program of Geneva began in 1974 and ended in 1998 undergoing a series of changes and modifications throughout this period. After a pause of almost 15 years, the programs were reinstated progressively in different sectors of the adult psychiatry program in Geneva in January of 2013. The reinstatement of these programs was designed to offer intensive outpatient and long-term care for patients with serious and chronic psychopathology who were being cared for at the time by crisis centers which were experiencing a multiplication of hospitalizations, also known as the “revolving door” phenomenon, with these patients. Since its inception, the adult psychiatric day hospital program at the Ambulatory Centre of Psychiatry and Psychotherapy (CAPPI) of the Servette district of Geneva passed through different stages during which the process of building a therapeutic setting stumbled against various pitfalls notably amongst the caregivers which resonated onto the patients. In this work we aim to describe the conditions that emerged over time that allowed for a sense of belonging to the group to develop for both the caregivers and the patients and how the creation of this therapeutic identity came into being despite the complex institutional history and often marked by discontinuity. Keywords: psychiatric day hospital program, day program, crisis centre, sense of belonging, institutional genealogy

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Réflexion sur l’historique des programmes de jour à Genève

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adressés aux jeunes patients souffrant de troubles psychotiques pour finalement s’élargir à d’autres pathologies. Les soins - essentiellement groupaux - étaient dis-pensés de 9 h à 17 h du lundi au vendredi (quatre groupes par jour et un repas théra-peutique) et ponctués d’entretiens médi-caux et infirmiers. Le programme de soins se voulait le même pour tous, sans diffé-renciation, et l’accent était mis sur leur ef-fet structurant. En 1997, les hôpitaux de jour sont fermés en psychiatrie adulte suite à une restructu-ration de l’institution. Les CTB en tant que centres de crise ambulatoires, tout comme les programmes spécialisés cen-trés sur un type de pathologie spécifique (trouble borderline, trouble bipolaire, etc), prennent leur essor. S’inspirant des centres de crise tels qu’ils ont été dévelop-pés aux Etats-Unis, les CTB développent une pratique clinique d’inspiration psy-chanalytique et centrée sur la notion de conflit intrapsychique réactualisé suite à différents facteurs de crise (De Coulon & Von Oberbeck Ottino, 1999 ; Andreoli et al., 1986). Ces centres étaient destinés es-sentiellement aux patients souffrant de troubles de l’humeur ou de l’adaptation et leur offraient une véritable alternative à un séjour en hôpital psychiatrique (Bac-chetta et al., 2009 ; Sentissi El Idrissi et al., 2014, Dorsaz, 2006). En revanche, les patients souffrant de pathologies psycho-tiques ou de troubles graves de la person-nalité nécessitant régulièrement des hos-pitalisations y avaient peu accès (Bartolo-mei, 2011). La création de programmes de jour secto-risés, début 2013, se veut une réponse à une surcharge hospitalière croissante en partie alimentée par un phénomène de “porte tournante” particulièrement mar-qué chez les patients souffrant de psycho-pathologies chroniques, de désinsertion sociale et échappant au concept de l’inter-vention de crise focalisée et résolutive (Sentissi El Idrissi et al., 2014). Ils font ré-férence au modèle de psychiatrie commu-nautaire et sont très centrés sur la réim-mersion et le maintien du patient dans sa communauté, au sein de la cité. Une inva-lidité psychique peut être au premier plan, souvent associée à de graves difficultés d’adaptation au milieu socio-profession-nel et conduisant à des isolements sociaux conséquents. Ce modèle de soins s’étaye sur la notion de réhabilitation, c’est-à-dire la réalisation pour le patient d’une vie pleine et significative, d’une identité po-sitive fondée sur l’espoir et l’autodétermi-nation. Le fonctionnement du Programme de Jour est ainsi organisé pour que le pa-tient soit un partenaire actif dans les soins,

ayant accès à un large dispositif thérapeu-tique (Henzen, 2015 ; Baeriswyl-Cottin et al., 2015).

Mise en place d’un Programme de Jour au CAPPI Servette de 2013 à

aujourd’hui : contre vents et marées La remise en place des programmes de jour dans le Service de Psychiatrie Adulte découle, comme nous l’avons vu précé-demment, d’une volonté institutionnelle. Différents groupes de travail impliquant les équipes soignantes de chaque secteur se sont dès lors déployées au cours de l’année précédant le début de leur activité afin de jeter les bases d’un concept théra-peutique dans lequel chacun puisse se re-connaître. De ce fait, il n’existait pas de modèle unique et défini pour tous les sec-teurs du service. Néanmoins, chaque Programme de Jour devait répondre à des exigences com-munes : être accessibles aux patients les plus sévèrement touchés par la maladie psychique en leur offrant une opportunité de sortir de l’isolement dans lequel ils étaient confinés, mais sans pour autant re-créer des “poches d’exclusion organisées” dans chaque secteur. Dans notre centre ambulatoire, au cours de ces séances de groupe de travail, différents fantasmes groupaux émergent au fil des discussions. Parmi ceux-ci principalement des peurs d’intrusion voire d’annihilation des soi-gnants du pôle crise : il est alors évoqué que les patients chroniques pourraient ve-nir en nombre “envahir” le centre et y de-meurer toute la journée, que les soins de crise disparaîtraient au profit du retour des soins asilaires. En filigrane apparaissait sans être nommée la menace d’une “ré-institutionnalisation”. D’un point de vue organisationnel, au mo-ment de la création du Programme de Jour dans le secteur Servette en janvier 2013, deux infirmières à 130% et un médecin chef de clinique sont attribués au pro-gramme. Toutefois, les infirmières ont de multiples autres activités et le médecin rattaché au Programme de Jour n’intervient que ponctuellement auprès du groupe de pa-tients, chacun d’entre eux ayant gardé son médecin référent initial. Une réunion cli-nique hebdomadaire entre soignants est également mise en place : elle vise à favo-riser la réflexion et l’échange sur ce nou-veau type d’activité, et par là même l’ap-propriation par les soignants de la nou-velle identité thérapeutique qu’implique cette activité. La répartition diagnostique correspondait à seulement 27 % de troubles psychotiques, contre 59 % de troubles de la personnalité associés à des troubles dépressifs récurrents, 9% de

LES AUTEURS Athina PETSATODI cheffe de clinique Aline POCHON infirmière Françoise LEBIGRE infirmière Béatrice DELESSERT infirmière Martine GOURNAY infirmière Javier BARTOLOMEI médecin adjoint responsable de secteur Hôpitaux Universitaires de Genève Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothé-rapie Intégrées (CAPPI) secteur Servette, Programme de Jour Rue de Lyon 89-91 1203 Genève Suisse

BIBLIOGRAPHIE

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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troubles anxieux sévères (agoraphobies ou TOCs) et 5% de troubles cognitifs. L’ensemble de la cohorte (n = 22 pour les derniers chiffres) présentait un retrait so-cial sévère associé à un fort apragmatisme et à une perte de motivation majeure. On retrouvait sans surprise également des dif-ficultés prononcées sur le plan relationnel, avec une tendance à éviter toute forme de contact social par manque de confiance et d’estime de soi. La grande majorité des patients bénéficiait d’une rente (pension) d’invalidité et la tranche d’âge se situait entre 30 et 65 ans. Initialement, un seul groupe thérapeu-tique est destiné uniquement aux patients du Programme de Jour, qui est combiné à un « Espace Accueil ». Il s’agissait d’un groupe de parole ayant pour objectif d’aider les patients à remo-biliser leurs compétences sociales, à structurer leur semaine et à pouvoir parta-ger certains de leurs ressentis. Les patients du Programme de Jour avaient par ailleurs accès à l’ensemble des groupes thérapeu-tiques proposés dans le centre ambula-toire (plus d’une dizaine de groupes diffé-rents, combinant groupes de paroles et groupes à médiation). Il faut par ailleurs mentionner qu’à l’époque, si la singularité des soins proposés et la volonté d’ouver-ture sur la cité vectorisaient le déploie-ment de cette nouvelle activité thérapeu-tique, les critères d’indication et les mo-dalités de prise en charge (durée, objec-tifs, outils psychométriques employés, in-terface avec les autres programmes de soins) n’étaient pas encore définis, ame-nant un sentiment de confusion parmi les soignants, et de manière similaire auprès des patients. Ceux-ci en réponse ramenaient diffé-rentes interrogations : en quoi leurs pro-jets de soins étaient-ils différents de ceux des autres patients ? Quelle était la réalité de leur statut de patient faisant partie du Programme de Jour ? La volonté de faire des soins “à la carte” contribuait proba-blement au maintien d’un flou identitaire et nos observations allaient dans le sens d’un manque d’engagement de la part des patients qui semblaient éprouver de grandes difficultés à adhérer aux soins. Parallèlement, les soignants du Pro-gramme de Jour décrivaient le sentiment que leur activité était peu reconnue par les autres soignants du centre ambulatoire, mais peut-être également peu reconnais-sable du fait d’un manque de différencia-tion par rapport aux autres activités théra-peutiques proposées par leurs collègues. Ils éprouvaient de ce fait certaines diffi-cultés à se sentir appartenir à ce nouveau programme. Après ces douze premiers mois de vie, l’effectif infirmier est doublé,

tandis que le nouveau médecin respon-sable commence à suivre en tant que réfé-rent direct tous les patients inscrits dans le programme. Une majoration du temps de travail exclusivement consacré à ce sous-groupe de patients est négociée par les soignants tandis qu’un bureau leur est at-tribué, aménagements qui pourraient être lus comme une reconnaissance des be-soins primaires d’espace et de temps d’un groupe de soignants émergeant. Un senti-ment d’appartenance semble peu à peu naître et il est observé en écho de la part des patients un plus grand investissement du seul groupe thérapeutique spécifique existant. Notre prise de conscience de l’importance d’éprouver un tel sentiment alimente alors une volonté de développer également notre cadre thérapeutique sur ces dimensions d’espace et de temps. Se-lon Neuburger (2012), la construction de notre sentiment d’exister dépend essen-tiellement des relations que nous établis-sons avec les autres et celles que les autres établissent avec nous, ainsi que nos appar-tenances à des groupes qui nous recon-naissent et nous acceptent. Nous mettons ainsi l’accent sur le développement de l’appareil groupal spécifiquement pro-posé aux patients du Programme de Jour afin de renforcer le sentiment d’exister mutuel entre patients et soignants, per-mettant également de clarifier les fron-tières avec les autres programmes de soins dans un mouvement de différenciation. Parmi ceux-ci on retrouve : 1. Le groupe « Eveil Corporel » conduit par une psychomotricienne et une infir-mière du programme qui a pour objectif d’aider les patients à prendre conscience de leur état du moment, dans leurs sen-sations, leurs tensions, leurs émotions, ainsi qu’apprendre à se relâcher, respi-rer, se mobiliser et trouver de l’énergie au travers d’exercices de centration et d’activation corporelle. 2. Le groupe « Espace et Découvertes » animé par deux infirmières du pro-gramme. Le nom du groupe a été défini par les patients et les principes de son fonctionnement ont été élaborés avec eux afin de mieux répondre à leurs be-soins. Il vise ainsi à les accompagner dans une redécouverte de la cité, dans un mouvement de réappropriation de la ville, faisant parfois suite à de longues années d’isolement. Il s’inscrit dans cette volonté déjà nommée de maintenir un contact permanent avec l’extérieur afin d’éviter un fonctionnement en “circuit fermé” qu’un tel programme pourrait gé-nérer. 3. Enfin, assez rapidement, en miroir au groupe de parole déjà mentionné du dé-but de semaine, apparaît le groupe « Bon Week-End » : par son contenu, il a pour

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Réflexion sur l’historique des programmes de jour à Genève

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 107

objectif un bilan de la semaine et un échange sur l’organisation du week-end, afin que ces 2 jours particuliers puissent devenir autre chose qu’un moment de so-litude programmé. Par son contenant, il vise à marquer les contours d’une enve-loppe groupale se déployant tout au long de la semaine.

Nous observons que ce dernier groupe est d’emblée fortement investi par les pa-tients, qui le présentent comme un point d’ancrage et une source d’étayage à un moment de la semaine où certains décri-vent l’impression de « n’avoir plus rien à quoi s’accrocher ». Nous décidons rapi-dement de rendre ce groupe obligatoire pour tous les patients du Programme de Jour tout comme celui du début de se-maine, les autres groupes restant faculta-tifs. Dans la dialectique singularité/collecti-vité, nous prenons ainsi le parti de définir certains éléments invariants dans l’orga-nisation des soins, tout en maintenant une spécificité pour chaque patient. Les groupes obligatoires visent à définir un socle commun et à développer un senti-ment d’appartenance qui peut enfin faire écho à celui que nous avons vu émerger dans le groupe de soignants. Les groupes optionnels visent plutôt à personnaliser notre offre de soins en restant au plus près de la singularité du tableau clinique de chaque patient. La souplesse du cadre que nous nous efforçons de proposer nous per-met de ne pas exclure les patients qui ne supporteraient pas un cadre trop rigide et trop exigeant (présence continue du matin au soir). L’espace accueil prend une autre forme, celui d’échanges informels autour d’un café avant le début des groupes, un « sas » de transition entre l’univers des pa-tients et leur lieu de soins. Au fil de notre pratique, nous avons éga-lement déterminé un cadre temporel glo-bal se divisant en trois étapes de soins pour une durée de traitement de trois ans au plus. Chaque étape (phase initiale et

évaluative, phase de stabilisation et de consolidation et phase d’accompagne-ment sur l’extérieur) implique des objec-tifs définis avec le patient. Dans la pre-mière phase, nous avons par ailleurs sys-tématisé l’usage de deux outils psycho-métriques : l’échelle ELADEB et le plan de crise conjoint. Ils visent à s’approcher au plus près des véritables besoins de cha-cun de nos patients, aussi bien en cas de crise qu’au long cours, en les désignant comme les coauteurs du projet de soins que nous sommes amenés à définir avec eux. 1. Pour l’identification et la clarification des objectifs et des attentes de chaque participant, nous nous basons sur ELA-DEB, un outil d’autoévaluation des dif-ficultés et des besoins (Pomini et al., 2008). ELADEB est une échelle de me-sure subjective des difficultés et du be-soin d’aide de la personne évaluée. Le tri d’une série de cartes thématiques effec-tué par le patient permet de dresser rapi-dement son profil de difficultés psycho-sociales et de mettre en évidence les do-maines dans lesquels il estime avoir be-soin d’une aide supplémentaire. Cet outil peut être employé dans différents con-textes cliniques et convient particulière-ment aux personnes peu à même de ver-baliser une demande de soins, maîtrisant mal le français et/ou plutôt réticentes de-vant des questionnaires classiques. 2. Le Plan de Crise Conjoint (PCC) est un outil qui permet une réflexion avec le patient et son entourage sur les facteurs de risque qui pourraient entraîner une dé-compensation de son état et sur les trai-tements souhaités afin qu’une interven-tion thérapeutique contre sa volonté ne s’avère pas abusive. Lors de la rédaction du PCC, le patient énonce les traitements qu’il souhaite et ceux qu’il refuse en cas de perte de discernement et confie à un tiers (membres de la famille, conjoint ou autre proche) certaines tâches à effectuer au cas où il serait hospitalisé. De même,

il expose les circonstances habituelles et les premières manifestations d’une crise contribuant ainsi à la détection rapide et au traitement précoce d’une rechute (Bartolomei et al., 2012).

Conclusion A travers notre expérience de mise en place d’un Programme de Jour, nous avons été conduits à nous interroger sur les conditions nécessaires à l’émergence d’un sentiment d’appartenance à un groupe thérapeutique. Elles impliquent notamment la prise en compte des besoins primaires du groupe de soignants et une différenciation des ac-tivités de ce groupe permettant la création d’une assise identitaire. Ce n’est qu’après le vécu de ce sentiment que le groupe de soignants a pu commencer à se penser et à construire un cadre de soins dans lequel il pouvait y retrouver les valeurs thérapeu-tiques auxquelles il se savait attaché. En écho, nous avons pu observer comment ce sentiment d’appartenance pouvait être peu à peu partagé avec le groupe de pa-tients et favoriser leur investissement. Cependant, tout programme est évolutif, ce qui suscite en permanence des ques-tions sur notre rôle et notre mission. Com-ment garder un équilibre entre souplesse et cohérence du cadre ? La participation des patients à un tel programme thérapeu-tique permet-elle de gagner en autonomie ou représenterait-elle un risque de déve-lopper une dépendance institutionnelle ? Quel équilibre garder entre soins indivi-duels “à la carte” et soins invariants per-mettant de définir un socle thérapeutique commun ? Autant de questions que nous désignons comme compagnons de route sur le chemin que nous avons commencé à parcourir.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 108

Trente rayons convergent en un moyeu. Ce qui n’est pas là, rend la roue utilisable. La terre glaise est pétrie et forme un vase. Ce qui n’est pas là, rend le vase utilisable.

Des portes et des fenêtres sont percées dans les murs.

Ce qui n’est pas là, rend l’espace utilisable. Prends soin de ce qui est là, utilise ce qui n’est

pas là. Utilise ce qui n’existe pas

versets du Tao Te King Des blancs dans le programme. D’un côté, remplir le vide, prévoir un pro-gramme, donner des réponses. Quand il s’agit de rassurer, qui et quoi (r)assurons-nous ? D’un autre côté, accompagner l’expé-rience du vide, permettre de prendre posi-tion, accueillir les questions… Cette tension constructive entre deux pôles, certainement inhérente à toute structure liant le “psycho” et le “social”, l’individuel et le collectif, est probable-ment un axe principal de notre travail : nous la rencontrons si fréquemment sous différentes apparences, elle surgit si sou-vent dans le travail clinique et social, que nous souhaitons y regarder de plus près encore une fois, et partager ce que nous pourrons en dire.

Avant-Propos Des blancs dans le programme... Voilà tout un programme. Nous nous proposons ici d’envisager la question de ces blancs aux différents niveaux de la vie institu-

tionnelle que nous partageons au quoti-dien avec les patients que nous accueil-lons. Pour ce faire nous vous ferons part de la conception que nous nous sommes faite du “programme thérapeutique”. Ensuite, nous examinerons comment nous nous si-tuons au sein de notre équipe par rapport aux blancs en soi. Puis, nous ferons un tour du côté des patients afin de soumettre à l’écoute ce qu’ils nous disent de ces blancs. Ceci nous amènera, vous le verrez, à re-définir ce que nous entendons par blancs. Nous parlerons successivement de trou, de vide et de bord. Ceci permettra de mieux cerner les enjeux de notre clinique à cet égard. Ensuite, nous réexaminerons, à la lumière de ces considérations, ce qu’il en est de notre pratique. Nous prendrons quelques exemples tirés de notre clinique institu-tionnelle afin de mieux cerner quelques enjeux de cette clinique du trou, du vide et du bord. Finalement, nous vous proposerons de vous étonner avec nous du fait que les avancées réalisées au fil du texte nous ra-mèneront à peu près six siècles avant Jé-sus-Christ.

Les blancs aux différents niveaux de vie institutionnelle

Le programme thérapeutique Avant de rentrer dans le vif de notre sujet, comment appelons-nous les outils de

notre “programme thérapeutique” ? Glo-balement nous évoluons autour de trois pôles thérapeutiques principaux : - La vie communautaire qui comprend les différents moments partagés dans les espaces communs ainsi que la réunion hebdomadaire où tous les patients et membres de l’équipe sont attendus. La vie communautaire est également ryth-mée par le “service repas” (l’équipe cui-sine journalière est composée de plu-sieurs patients ainsi que d’un soignant). - Les activités qui fonctionnent grâce à une grille horaire plus ou moins fixe du-rant l’année. La présence à ces activités n’est pas obligatoire mais nous deman-dons aux patients, dans la mesure du pos-sible, de participer à deux activités par semaine, au choix. - La fonction d’accueil et de référence. Chaque patient est suivi plus précisé-ment par deux membres de l’équipe, un accueillant et un référent.

Maintenant que nous avons un peu balisé notre cadre thérapeutique, nous pouvons nous interroger sur les “blancs” dans le programme. A priori, l’ensemble de l’équipe du Wops de jour s’accorde à ce que notre pro-gramme thérapeutique comporte des “blancs”. Ce fut d’ailleurs notre première idée de titre d’intervention : « Des blancs dans le programme thérapeutique ». Nous précisons que nous utilisons le mot “blanc” comme un espace où il est pos-sible d’inscrire quelque chose, comme une page blanche, le support d’une pos-sible construction. Ces “blancs” constituent en quelque sorte des zones laissées libres au sein de notre programme thérapeutique. Ils seraient l’occasion de permettre à chaque patient de se constituer sujet de son parcours psy-chothérapeutique. Nous pensons qu’un programme plein, sans blancs, amènerait nos patients à se constituer objets de nos soins. En effet, nous misons sur le fait qu’il est tout à fait opportun que chaque patient puisse se constituer acteur, à un moment donné, de son propre parcours psychothérapeutique.

Ces derniers temps, le mot et l’idée de « programme » semblent omniprésents dans notre secteur ainsi que dans une certaine forme de clinique. En tant qu’équipe pluridisciplinaire, nous avons choisi de nous réunir et de nous questionner ensemble autour de ce qu’il n’y a pas dans le programme... les blancs, les trous, les vides. Que faire de la clinique ainsi que de nous-mêmes là où la tentation de “combler” est si forte ? C’est ce travail de réflexion en équipe que nous vous livrons dans ce texte commun, témoin d’un processus de travail en cours. Mots-clefs : blanc, institution, programme thérapeutique, trou, vide, bord

Mind the gap!

Recently, the word and the idea of “program” seems ubiquitous in our sector and in some kind of clinic. As a multidisciplinary team we have chosen to meet and question us together around this that there is not in the program ... the white, holes, voids. What of the clinic and of ourselves where the temptation to “fill” is so strong? It is this reflection as a team that we deliver in this joint text, witness of a current working process. Keywords: “white”, institution, therapeutic program, hole, empty, board

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Des blancs dans le programme : exercer en équipe l’art de border le vide

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 109

LES AUTEURS Olivier RENARD Alexandra SMAL Dominique VALETTE Ulrich WEILAND WOPS Chaussée de Roodebeek 471 1200 Woluwe-Saint-Lambert Belgique

BIBLIOGRAPHIE

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Là où nous laissons ou connaissons des “blancs” dans notre savoir, dans notre or-ganisation, dans nos actions... nous espé-rons que surgira pour chaque patient la question du trajet psychothérapeutique qui lui revient. Il est à remarquer d’ail-leurs que la surprise de ce surgissement concerne tout autant l’équipe thérapeu-tique que le patient en question. Notre travail consiste donc à trouver une juste interaction entre deux pôles. Le pre-mier recouvre le programme thérapeu-tique que nous proposons ainsi que le cadre institutionnel dont nous sommes les garants. Le second est tissé de ces “blancs”, voulus (ou non) que nous espé-rons propices au travail singulier de chaque personne que nous accueillons.

Du côté de l’équipe Malgré ce projet commun institué en-semble, nous constations dans la pratique que nous vivions de manière très diffé-rente voire opposée notre propre rapport à l’existence de ces “blancs”. Pratiquement, lors de nos réunions, nous faisions sou-vent le constat que nous étions divisés en deux camps opposés : - d’un côté nous avions ceux qui sont partisans de “ne pas combler les trous”, de “supporter le manque”, du “non-faire”, de “ne pas répondre à la de-mande” afin de laisser aux patients eux-mêmes la responsabilité d’en faire quelque chose. - De l’autre côté, il y avait ceux qui met-tent en avant que les blancs ont bien sou-vent un effet mortifère, ils avancent que notre rôle est bien souvent de lutter contre celui-ci en injectant de la vie dans l’institution.

Ces deux positions (coexistantes) dans l’équipe nous amènent à évoquer le rap-port que nous avons individuellement à l’institution et à ce que nous tentons d’y faire. Travailler en centre thérapeutique de jour, c’est être un professionnel de la santé mentale mais c’est également tra-vailler avec nous même, ce que nous sommes, ce que notre histoire personnelle a imprégné dans notre manière d’être à l’autre, d’être au soin. Ce qui nous pré-cède teinte également notre propre rap-port à l’espace blanc, au trou, au vide et par conséquent au “rempli”. Finalement, et parce qu’au Wops nous aimons méta-phoriser, toutes ces données font de cha-cun de nous une sorte de funambule au style particulier. Concrètement, la vie quotidienne en centre de jour est une succession de “trous” et de “remplis” qui réveille le fu-nambule au style particulier qui som-meille en chacun de nous ainsi que ses propres questions.

Pour donner corps à cette métaphore du funambule et aux débats qu’elle peut ame-ner en équipe, nous pouvons évoquer une de nos histoires d’équipe. Il y a quelques temps, nous avons été tra-versés par une question institutionnelle autour du vide : lors de l’absence d’un collègue, faut-t-il assurer le remplace-ment de son activité ou donner corps à cette absence en mettant un “blanc” à la place de l’activité prévue. Débat et retour des deux positions : « oui, nous devons as-surer une autre activité »/« non, nous laissons une plage horaire blanche ». Au bout de cette discussion, une décision a été prise : lorsqu’un collègue est malade, on ne remplace pas automatiquement son activité. Or, souvent et malgré cette déci-sion d’équipe, nous continuons de com-bler le trou laissé par l’absence de notre collègue. Cette pirouette régulière sert-t-elle à protéger les patients de la rencontre avec un ”trou à remplir” ou à nous proté-ger du vide que nous devrions traverser avec eux si nous laissions cette case blanche ? Les funambules que nous sommes auraient-ils peur de tomber ? Récemment, grâce à ce projet commun de présentation d’atelier, nous nous sommes attablés pour échanger autour de ces no-tions de blancs, vides et trous. Au fil de ces discussions s’est dessinée non pas deux camps de funambules aux opposés de la corde mais une troupe. En effet, l’es-pace blanc que nous avons ouvert entre nous s’est constitué comme un espace de rencontre, un vide médian permettant à chacun de faire un pas dans la direction de l’autre et d’être entendu pour dépasser la dichotomie dans laquelle nous pouvons être pris parfois. Finalement, à l’image de notre projet thérapeutique destiné aux pa-tients que nous suivons, c’est peut-être dans cet espace à remplir que chacun peut négocier sa position et stabiliser notre fil commun sans être happé par un côté ou l’autre.

Du côté des patients De même, les rapports des patients à ces blancs semblent différer pour de nom-breuses raisons. Voici, en vrac, ce qu’il nous est souvent donné d’entendre ou d’observer : - certains paraissent vouloir éviter les “temps morts” en prétextant que leur présence n’a pas de sens s’il n’y a pas d’activité organisée pour eux tout en di-sant qu’il serait mieux chez eux à faire ce qu’ils doivent faire. - Beaucoup campent dans une attitude passive attendant que nous organisions des activités toutes faites pour eux et bien-sûr que nous sachions les soigner malgré eux.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 110

- Certains s’engouffrent de manière agi-tée dans une activité démesurée. - D’autres disent que les temps d’attente (suspendus) entre deux activités les con-frontent à un vide plus ou moins difficile à supporter... - D’autres encore circulent à la périphé-rie de la vie institutionnelle laissant sou-vent des blancs là où l’institution ou ses membres les attendent. - D’autres ne trouvent pas de porte d’en-trée dans le décours de certaines journées et flottent dans une sorte de no man’s land... - Etc...

Nous pensons bien-sûr que la confronta-tion au manque ou au vide est vécue de manières bien différentes en fonction du type de personnes que nous accueillons. L’épreuve du manque (ou du bouche trou) chez les personnes névrosées recouvre d’autres enjeux que celle du vide (ou du trop-plein) chez les personnes psycho-tiques... Sur le versant névrotique, il nous paraît opportun de ne pas satisfaire à la demande d’une personne qui viserait à lui épargner de faire l’épreuve de son manque. Et d’un autre côté, sur le versant psychotique, nous sommes parfois appelés à accompa-gner, en nous sentant sur un fil (si tout va bien !), des personnes qui se démènent face au Vide. Et comme nous accueillons des personnes sans réserve de diagnostic, il nous arrive bien souvent de jongler avec bon nombre de numéros d’équilibristes sollicités par les différences relevant tant des structures psychiques que des personnes elles-mêmes. Funambules, équilibristes, fil, jonglerie, ... ces mots nous mènent peu à peu avec leur propre force à la notion abordée au point suivant de notre “cirque-confé-rence”. Il s’agit de la notion de bord...

Trou, bord, vide Ayant retenu comme titre de notre ex-posé : « Des blancs dans le programme », nous nous sommes risqués à faire un tour de table en équipe afin d’écouter ce que cela inspirait à chacun de nous. Et sur-prise, nous avons commencé à dépasser notre vieille opposition stérile entre les partisans du “non-faire” et les partisans du “faire”. Tout d’abord, l’un d’entre nous a amené la différence entre « les vides qui tirent vers le bas et qui sont mortifères » et « les blancs qui peuvent être des occasions de prendre en main les choses et de créer ». Nous sommes donc passés de la notion de 1 Intervention :"la forclusion du Nom du Père", Jean Luc Graber, Formation pour In-firmier(e)s de Secteur Psychiatrique, mars

“blancs” dans le programme aux deux no-tions différenciées de “blancs” et de “vide”. Puis au fil des discussions, nous avons af-finé cette première différenciation en par-lant de “trou” et de “vide”. De là est sur-venue la notion de “bord”. Tout d’abord, il nous a semblé que le trou était muni d’un bord, à l’opposé du vide. Puis après examen, nous pensons qu’il se-rait plus juste de dire que le trou comporte un vide qu’il borde ou pas de son bord. Nous avons appris qu’il existait des trous bordés (où le vide est bordé) et des trous non bordés (où le vide n’est pas bordé). Nous vous proposons de vous faire part de l’image que Serge Leclaire a donné des effets du refoulement et de la forclusion sur la structure psychique en termes de trou et de bord : « D’après une image em-pruntée à Serge Leclaire, on peut compa-rer l’expérience constituée à un tissu. Ce tissu est composé d’une trame qui permet au tissu de tenir. Dans le cas du refoule-ment, il y aurait une déchirure, une sorte d’accroc dans cette trame, qui est tou-jours susceptible d’être reprisée. Par-contre dans le cas de la forclusion, il y au-rait un défaut dans la trame même, comme si les fils, au moment de la confec-tion, ne se seraient pas mis en place. Le trou qui en résulte ne peut pas, cette fois, être reprisé, puisqu’il n’y a pas de prise à la reprise. Alors pour combler ce trou il faudrait mettre une autre pièce d’étoffe, ce qui n’empêche pas le trou en lui-même d’exister. La forclusion est donc un trou, un vide. Il va aspirer toute une série de signifiants, à la place du signifiant qui manque.1 ». Ceci nous paraît fondamental afin de mieux saisir les enjeux cliniques qui sur-gissent lorsque nous faisons avec l’un ou l’autre patient (en fonction de sa structure psychique) l’expérience d’un trou ou du vide. Le bord nous est donc apparu comme étant fondamental car il permet de prendre appui sur lui par-delà le vide qu’un “trou bordé” comporte. Par contre dans le cas des “trous non bordés”, le vide appelle à s’y engouffrer, faute d’y trouver un point d’appui. D’un côté donc (névrose) : des trous bor-dés comme possibles espaces de création, à condition de ne pas trop vite céder à la tentation de les boucher. D’un autre côté (psychose) : des vides plus radicaux, sans bord face auxquels un appui exté-rieur tel que le cadre institutionnel, une co-présence, ou une activité artistique ou quelque trouvaille que ce soit est d’un

1983, http://psychiatriinfirmiere.free.fr/in-firmiere/formation/psychologie/psycholo-gie/forclusion.htm

grand secours si cela parvient à border malgré tout le sans-bord qu’est le vide dans ce cas-là. Il s’agit donc dans ce cas de se trouver un point d’appui extérieur (institutions, activité artistique, branche-ment sur un autre, etc. (cf clinique de la psychose)). Ainsi, il nous est apparu que notre travail consistait à de nombreux égards à border les trous avec les ajustements relatifs à la prise en compte des différents types de structure psychique (névrose/psychose en ce qui concerne notre pratique).

Quelques exemples cliniques Afin d’avoir une piste de départ, nous avons voulu différencier les termes, trou, vide et blanc en cherchant leurs défini-tions sur internet. Il ne s’agit pas, ici, de les détailler, ce n’est pas le propos, mais, après lecture de ces différentes défini-tions, ce qui ressort est que dans le terme trou, il y a la notion de contour, de matière qui entoure. Le blanc est plutôt perçu comme un arrêt, un silence et le vide comme quelque chose de plus angoissant, lié au rien, au manque, à l’absence. En pensant au vide comment ne pas pen-ser, en conservant la métaphore du cirque, aux trapézistes qui se lancent d’un trapèze à l’autre, au-dessus du vide. Du vide oui, mais il y a le filet qui garantit la survie. Nous sommes tous un peu trapézistes, et venir au WOPS pour certains patients c’est se lancer d’un trapèze à l’autre. C’est quitter quelque chose qu’on connait, pour découvrir d’autres choses, vivre de nou-velles expériences. L’expérience du vide aussi. Celui-ci s’installe à certain moment de la journée, sans qu’il soit provoqué. C’est quelque chose que chacun vit, res-sent différemment, et tente de “faire avec” comme il le peut. Comment peut-on amener chacun à com-poser avec ce vide ? Peut-être en garantissant une sorte de filet, gardien d’une certaine sécurité qui nous permet de s’essayer à d’autres trapèzes. Intuitivement, on met en place des choses qui servent de filet. Se lancer sur le tra-pèze du lundi après un week-end n’est pas toujours facile, tout comme se lancer sur le trapèze du week-end après une semaine passée au Wops. Entourer ces 2 moments par des rencontres conviviales autour d’un petit déjeuner, en début de semaine et un goûter, qui la clôture, c’est rajouter quelques mailles au filet. De même, lors de notre déménagement, il y a de ça à peu près un an, nous avons mis

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Des blancs dans le programme : exercer en équipe l’art de border le vide

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aussi en place quelques maillons, une pe-tite fête dans l’ancienne maison avec la création d’une petite chanson, il y a eu aussi une brocante avec les objets qu’on ne souhaitait pas déplacer dans la nou-velle maison, et également des visites ré-gulières lorsque la nouvelle maison était encore en travaux et, pour finir, une inau-guration où les patients et leurs familles étaient invités. Il y a quelques années dans les lieux de vie commune, quelques patients étaient là et ne faisaient apparemment rien... Manque de désir, vide intérieur, impossi-bilité de penser, fatigue... des après-mi-dis, où flotte l’impression d’être aux côtés des patients, sans filet, face à leur vide, à son vide. En commençant à tricoter, cro-cheter, des écharpes, tentative sans doute de se créer un filet, maille après maille, certains patients ont accompagné la dé-marche. Le fil ténu d’un nouveau projet commun devenait possible. Celui de rê-ver, de rêver de ce qu’on pourrait faire ou pas, si on décidait de sortir du centre. Où irions-nous ? Pour y faire quoi ? Or, après quelques modifications et remanie-ments, certains de ces rêves étaient réali-sables et ont été réalisés. Mailles après mailles, un filet, lui-même percé de trous, a été tissé. Incertitudes, improvisations, ajustements, complicités, partage, décep-tions, négociations font la trame de ces aventures diverses. Depuis, une activité issue de ces rêves éveillés est entrée dans le programme thé-rapeutique. C’est la sortie du mois. Organisée le dernier vendredi du mois. Nous mettons à disposition des patients deux membres du personnel, éventuelle-ment un véhicule (une camionnette) ou des tickets de train et une somme d’argent non fixe mais raisonnable. Face à l’infini des possibilités, apparenté au vide pour certains, nous avons balisé le chemin en proposant chaque mois une province dif-férente. Rien n’est organisé par l’équipe

soignante. On accompagne ce qui émerge et si c’est le rien, le vide, on l’accom-pagne aussi. S’il n’y a pas de sortie, ce n’est pas grave... ça laisse la possibilité de rêver à la suivante en évitant, et ce n’est pas toujours facile, de prendre les patients dans nos filets de l’activisme forcené am-biant.

En vrac pour conclure Faire et laisser être :

le Tao de l’Emmental L’“Activisme forcené” c’est, quand on vient des chantiers d’insertion, la philoso-phie du « Tu fais quelque chose, donc tu es quelqu’un » (à peine caricaturé). Or, ici, prise de conscience : avant de faire, il faut être, et il y a des personnes qui ont “un mal fou” à être, à exister. Or, faire peut aussi amener à découvrir qui l’on est. Mais des patients témoignent du vide qui les “empêche d’être” : intérieur ou exté-rieur, il traduit un grand manque de désir, de motivation, comme de contacts so-ciaux ou repères extérieurs... Ce vide qu’ils fuient. Ils cherchent une ré-ponse au Wops, ils cherchent au premier plan un “remplissage” de ce vide. Quand l’absence et le manque sont si mas-sifs, la réponse ne doit pas être en miroir, mais présence aérée, avec des vides comme dans l’emmental. D’où l’autre titre initial, « Le Saint Emmental de la Santé Mentale ». Car dans ce vide peut opérer la part du pa-tient, son être sujet, être acteur. On ne peut pas lui confisquer cette place, cette res-ponsabilité. Nous pouvons aider à border le vide, comme les collègues mais aussi dévelop-per la perception de quand les patients le font tout seuls. Ils matérialisent pour ainsi dire leurs limites face au néant, ils font exister, même momentanément, un bord où s’appuyer face au vide.

Image d’un ponton éphémère posé sur un rivage marécageux : « Je n’arrive pas à parler ». Il n’arrive pas à parler, mais il le dit ! C’est aussi l’art de jeter des pontons, même éphémères, sur les rivages maréca-geux du vide. Pour finir, comment travailler avec ces “bordures” en équipe ? Le non-manifeste est par définition une affaire délicate, si bien illustré par le poème de Rilke « Ich fürchte mich so vor der Menschen Wort » (« Je crains tant la parole des hommes »). Extraire un creux d’un Emmental et se le passer, revient à travailler avec des bulles de savon, à les déplacer en délicatesse, y toucher c’est les casser, donc apprendre à se les passer “sans y toucher”. En équipe, sans tapage, nous bordons les absences et donc le manque, c’est notre manière d’uti-liser de manière consciente le “Bonjour” et le “Au revoir”, ponctuant nos pré-sences/absences. « Le travail en équipe, c’est simple comme Bonjour ! » Enfin, nous avons vu avec un certain éton-nement que les mêmes observations ou idées que nous élaborions en équipe trou-vaient une formulation assez précise dans la pensée taoïste. Le manifesté et le non manifesté, l’exis-tant et le possible, se conditionnent mu-tuellement. Dans cette lecture, le clivage entre « faire ou laisser être » n’est plus une ligne qui traverse l’équipe, mais une polarité que chaque travailleur peut expérimenter et porter à tout moment. Notre activité crée un cadre, comme une porte ou une fenêtre ont un cadre, mais pour qu’elles fonctionnent, pour que ren-contre, dialogue, passage ont lieu, la porte et la fenêtre sont pleins de... vide !

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Le PRACS Le PRACS est destiné à aider les per-sonnes souffrant de troubles schizophré-niques à trouver des solutions concrètes aux problèmes de la vie quotidienne, à les amener à un niveau d’autonomie sociale satisfaisant [3]. Le but est d’améliorer la qualité de vie, les relations, la vie sociale. Son intérêt porte sur le lien qui existe entre ce qui est travaillé en séances théra-peutiques et la vie au quotidien, ce qui renforce l’estime de soi et le sentiment de responsabilité. Il s’adresse en priorité à des patients souffrant de schizophrénie présentant une symptomatologie stabili-sée, certaines équipes le proposent à d’autres patients ayant des troubles psy-chiatriques. A l’issue d’une présentation, à un groupe assez nombreux de patients

relativement stabilisés suivi en CATTP ou Hôpital de jour, axée sur le quotidien de la personne, il est demandé à un groupe de 5 à 10 patients de se déterminer pour s’engager dans ce module. Un des préa-lables est la capacité à interagir en petit groupe, à soutenir son attention et sa mo-tivation.

Les quatre domaines de compétence sociale travaillés

Le PRACS aide les personnes à repérer, dans certains domaines de leur vie quoti-dienne, ce qui ne les satisfait pas et qui fait obstacle à leur autonomie [4]. Ainsi, il s’agit de repérer les besoins et les difficul-tés auxquels ils peuvent être confrontés dans quatre domaines de compétence so-

ciale spécifiques, puis d’élaborer des so-lutions efficaces permettant de les sur-monter. Le PRACS s’articule autour de quatre domaines de compétences so-ciales : - Gérer son argent Ce domaine vise à apprendre aux partici-pants à gérer un budget, à avoir de meil-leures notions du coût de la vie, à aug-menter leurs connaissances sur leurs droits et devoirs financiers. Des rensei-gnements quant aux documents adminis-tratifs (technique d’archivage, durée de conservation des différents documents, ...) sont également dispensés.

- Gérer son temps Ce domaine vise à apprendre aux partici-pants à mieux gérer leur temps au quoti-dien. L’objectif est de leur faire prendre conscience de certains déséquilibres (pé-riodes de creux, d’ennui) pouvant appa-raître dans leurs journées et de certains impératifs à respecter (être à l’heure aux rendez-vous, payer ses factures dans les délais, ...)

- Développer ses capacités de communi-cation et ses loisirs. Ce troisième domaine vise à renforcer les habilités sociales et relationnelles des participants, à leur proposer un cadre pour mettre en place des sorties sans l’in-tervention du personnel soignant ou thé-rapeutique, à les amener à s’inscrire dans une activité enrichissante sur le plan per-sonnel et à orienter certains d’entre eux (ceux pour lesquels cela est possible et souhaitable) en dehors du milieu psy-chiatrique.

- Améliorer sa présentation Ce domaine vise à apprendre aux partici-pants à améliorer leur présentation. Le travail est axé sur l’hygiène, la tenue ves-timentaire et la posture. En effet, la stig-matisation de la maladie passe, entre autres, par l’image que l’on renvoie aux

Il s’agit d’un programme créé par l’équipe marseillaise du Pr Lançon qui aborde plusieurs domaines très pragmatiques du quotidien. PRACS permet d’évoquer des thèmes très variés au travers de 4 modules : gérer son argent, gérer son temps, développer des capacités de communication et de loisirs et enfin améliorer sa présentation qui permet d’accéder à la question de l’hygiène. Ce programme se déroule sur 4 mois, 1 mois par thème, chaque thème est abordé par une alternance entre des séances collectives avec un support pédagogique et ludique et les séances individuelles avec le référent. Les séances individuelles permettent de suivre la progression chaque semaine dans le thème et de faire un parallèle direct avec le quotidien du patient. Des objectifs particuliers et concrets sont ainsi mis en place. C’est un accompagnement individualisé pour mettre en place les propres objectifs du patient dans chacun des domaines afin d’améliorer sa qualité de vie. Mots-clefs : réhabilitation, psycho-éducation, patients en ambulatoire, hôpital de jour, psychose, difficultés au quotidien, hygiène des patients, objectifs et accompagnements individualisés, troubles schizophréniques

Strengthening Program Autonomy and Social Skills (PRACS) An original module psychotics patients at the Day Hospital of Caen North sector

The “PRACS” program is a rehabilitation training to enhance autonomy and social relationship. The French psychiatric unit in Marseille elaborated this program in order to take into account several very pragmatic aspects of outpatients ‘daily activities. “PRACS” is consisted of four parts: let’s talk about money; about time organization; how to develop abilities of communication and hobbies; how to improve his presentation, this part allowing to approach hygiene. The “PRACS” works through four months, one theme by month. For each part, collective time using a pedagogic and attractive support alternates with individual work with a referent care professional. This individual work allows to evaluate every week the patient’s progression on each theme and to build a really personal response, close to the patient’s real lifetime. Pragmatic and personal goals are defined on the base of discussion between each patient and his referent. This individual care is very helpful for outpatients to organize their own and useful purposes in order to reach a better global quality of life. Keywords: rehabilitation, psycho-educational program, outpatients, individual purposes and individual care, daily difficulties, hygiene, schizophrenia

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Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS) Un module original pour patients psychotiques à l’Hôpital de jour du secteur Caen Nord

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 113

autres. Cette stigmatisation « surajou-tée » est un obstacle de plus à franchir en termes de réhabilitation psychosociale. Ce domaine permet aux participants de réfléchir sur les codes sociaux liés à la “présentation” et sur la nécessité d’adap-ter cette dernière aux circonstances de la vie.

Le PRACS doit permettre aux partici-pants de gagner en autonomie à l’intérieur de chacun de ces quatre domaines de com-pétence. L’objectif est de leur faire pren-dre conscience que certaines améliora-tions sont possibles dans la gestion de leur argent, de leur temps, dans leurs activités de loisirs et capacités de communication et dans leur présentation. Un des intérêts du PRACS est que c’est un programme basé sur une psycho-édu-cation de groupe (où l’on recueille des in-formations et où on fait l’apprentissage de nouveaux savoir-faire) [5] et sur une prise en charge individuelle (où l’on travaille des objectifs personnels à chacun des par-ticipants, prenant en compte les possibili-tés et les envies des personnes) ce qui ren-force l’alliance thérapeutique [2].

Déroulement Les quatre domaines de compétences sont travaillés en individuel avec, pour chaque participant, des objectifs personnels à at-teindre et en groupe selon plusieurs tech-niques d’apprentissage (résolution de pro-blèmes, jeux de rôle, prescription de tâches hors séance...). Les groupes, de 5 à 10 participants, sont animés par deux animateurs qui se parta-gent à tour de rôle la fonction d’animateur et de co-animateur. L’animateur est celui qui anime la séance et qui doit favoriser les échanges, l’interactivité, l’entraide et la convivialité au sein du groupe. Le co-animateur a un rôle de soutien auprès de l’animateur et n’intervient pas (ou très peu) verbalement lors de la séance. Il doit écrire sur le tableau les points importants signalés par l’animateur et être proche des participants. Un support d’animation, le Manuel de l’animateur fourni lors de la formation par l’équipe du Pr Lançon, est destiné aux deux animateurs et sert de guide pour le déroulement de chaque séance. Le PRACS est composé d’une trentaine de séances. A raison de deux par semaine (une séance de groupe et une séance indi-viduelle), il s’étend sur 3 à 4 mois. La du-rée des rencontres est de 2 heures pour les séances de groupe et d’une ½ heure pour la séance individuelle. Sont également prévues, à la fin du module, des séances de rappel à raison d’une rencontre en groupe tous les 6 mois pendant 2 ans. Le contenu de chaque domaine de compé-tence se déroule selon le même principe

sur un mois. Lors d’une première séance, les participants sont reçus par un des deux animateurs en individuel pour identifier, par le biais de questions prédéfinies, les acquis et les déficits (selon le domaine de compétence travaillé), les objectifs, obs-tacles et solutions à envisager [1]. Puis al-ternent 5 à 6 séances : en groupe (un par semaine environ) et en individuel (entre les séances de groupe) effectuées sur un mois. Les séances de groupe permettent aux participants d’acquérir des savoir-faire par le biais des techniques d’apprentis-sage telles que les jeux de rôle, les tâches hors groupe qu’un certain nombre d’in-formations utiles. Il est possible de discu-ter à bâtons rompus des différents sujets abordés. Les séances individuelles permettent aux participants de travailler leurs objectifs personnels à partir de tout ce qu’ils ont pu retirer des séances de groupe et des acti-vités effectuées. On peut définir un ou plusieurs objectifs par participant pour chacun des domaines de compétences abordés [1]. Lors de ces séances, il est possible de revenir sur les difficultés ren-contrées au cours des séances précé-dentes. C’est le même animateur qui suit en indi-viduel les participants qu’il a reçus lors de la première séance d’entretien, tout au long du domaine de compétence. Les ob-jectifs fixés doivent être établis en fonc-tion du niveau de chacun des participants et doivent être réalisables. Il est clair que ce n’est pas en quatre séances que l’on trouve des solutions miracles. Un patient sous curatelle ne deviendra pas autonome financièrement après avoir suivi le PRACS, mais pourra par exemple avoir de meilleures notions du coût de la vie, avoir une meilleure connaissance de ses ressources et de ses dépenses, même si elles sont gérées par le mandataire de la mesure de protection.

Domaine 1 : gestion de l’argent Le but est d’améliorer ses connaissances et sa gestion du budget, d’améliorer ses notions de coût de la vie et d’améliorer ses connaissances sur les droits et devoirs ad-ministratifs. - 1ère séance groupe : jeu « gestion du budget » : savoir gérer entrées/dé-penses/épargne et faire des choix en fonction des objectifs d’une personne fictive : cela permet de mettre en évi-dence certaines difficultés (capacité à économiser ? S’accorder des plaisirs ? Équilibrer le budget ?).

2ème séance groupe : 4 tableaux pour gérer le budget : savoir utiliser les 4 tableaux (ressources ; charges fixes ; dépenses cou-rantes ; épargne) pour la tenue

LES AUTEURS Aurélie MONTAGNE LARMURIER praticien hospitalier, psychiatre référente de l’hôpi-tal de jour Leila VARGAS infirmière Fabienne VRINAT ergothérapeute Centre Accueil MedicoPsychologique d’Hérouville Saint Clair Centre Esquirol, service de Psychiatrie Adulte du CHU de Caen avenue de la Côte de nacre 14033 Caen cedex France

BIBLIOGRAPHIE

1. COTTRAUX J. (2011), Les thérapies cogni-tives et comportementales, Masson, 5ème ed. : Pa-ris, 384 pages. 2. CUNGI Ch., COTTAUX J. (2006), L’alliance thérapeutique, Retz : Paris, 286 pages. 3. HERVIEUX C., GENDRON A.-M., LANCON C., MARTANO B., UMIDO G. (2007), Un nou-veau programme psycho-éducatif de Renforce-ment de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS), L’Information Psychiatrique, 83 (4) : p 277-283. 4. LIBERMAN R. P. (1991), Réhabilitation psy-chiatrique des malades mentaux chroniques, Masson : Paris. 5. SIMONET M., BRAZO P. (2004), Modèle co-gnitivo-comportemental de la schizophrénie, EMC Psychiatry, art. 37-290-A-10 :1-19

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 114

- mensuelle du budget d’une personne fictive. - 3ème séance groupe : informations ad-ministratives ; organisation documents : rôle de l’assistant social qui intervient en séance et explique les domaines où il peut intervenir et répond aux différentes questions des personnes ; enfin entraîne-ment archivage documents administra-tifs. - 4ème séance groupe : technique de réso-lution de problème : présentation de la technique et application à une personne fictive.

Les séances individuelles s’intercalent entre les séances de groupe. La première séance individuelle se fait grâce à un questionnaire sur la gestion de son budget : géré par qui ? Ressources ? Charges fixes ? Dépenses courantes ? Dé-penses loisirs ? Tabac ? Équilibre bud-get ? Épargne ? Difficultés ? Gestion pa-piers administratifs ? L’objectif est d’acquérir les connais-sances sur son budget, identifier les com-pétences et les difficultés, les objectifs à envisager. Il peut déboucher sur une ren-contre, la séance suivante, avec la per-sonne qui aide à gérer le budget. Une tâche supplémentaire peut être proposée, comme noter les dépenses sur 1 semaine. La deuxième séance permet l’identifica-tion des objectifs personnels et de la marche à suivre pour les réaliser avec l’utilisation des 4 tableaux pour gérer son budget. Lors de la troisième séance indi-viduelle il est effectué un retour sur les objectifs personnels : sont-ils atteints ? Quelles difficultés persistent ? Qui peut éventuellement aider ? Le domaine sur l’argent est un module bien investi par les participants car il les rend acteurs, même pour les personnes sous mesure de protection. De plus ils soulignent qu’il leur donne une meilleure perception de leur budget ; une meilleure évaluation de leurs dépenses courantes ; une prise de conscience des choix dans l’établissement d’un budget ; la notion pour certains de “s’autoriser” à dépenser, se faire plaisir ; pour d’autres de se cons-tituer une épargne en modifiant leur con-sommation de tabac par exemple ; fait émerger l’idée d’un rendez-vous plus ap-profondi avec l’assistant social. Pour cer-tains patients ce module a été le déclen-cheur pour rendre possible des projets comme des vacances, un séjour de voile pour lequel il fallait économiser sur toute une année. Il est important de réaliser ce domaine en premier car les domaines 2 et 3 (gestion du temps, des loisirs) en dépen-dent pour s’adapter au contexte de réalité. Ce qui reste difficile pour certains est la

réappropriation de la technique de résolu-tion de problèmes et la gestion des docu-ments administratifs [4].

Domaine 2 : gestion du temps Il s’organise comme suit avec l’alternance des séances : - Séance 1 de groupe avec l’introduction du thème et des jeux de questions/ré-ponses autour de « c’est quoi gérer son temps ? Quelles sont les différentes acti-vités d’une journée ? » puis faire l’em-ploi du temps d’une personne fictive en groupe. Une tâche est à réaliser à l’issue de cette première étape : remplir le même tableau avec leur emploi du temps per-sonnel. - Séance 2 en individuel autour d’un questionnaire personnel sur la gestion du temps - Séance 3 en groupe centrée sur l’utili-sation de l’agenda et un jeu fictif avec une liste de courses à faire dans diffé-rents lieux, dans un temps limité, en uti-lisant le plan de la ville pour s’organiser. A domicile, les personnes doivent rem-plir leur agenda pour les 15 jours à venir. - Séance 4 en individuel qui sert à déter-miner un à deux objectifs puis les dé-marches à faire pour réaliser son objec-tif. - Les séances 5 et 6 en groupe sont des mises en situation : emploi du temps fic-tif à réaliser, avec l’itinéraire pour se rendre aux lieux de rendez-vous pour préparer le voyage d’un cousin. Chaque petit groupe de 2 à 4 patients présente ses solutions. - Séance 7 individuelle qui permet un re-tour sur les objectifs personnels et bilan de ce domaine.

Domaine 3 : développer des capacités de loisirs et de communication Pratiquer une activité de loisirs permet de lutter contre le repli sur soi, l’isolement et le manque de communication. Une acti-vité enrichissante sur le plan personnel permet de renforcer l’estime de soi et ré-activer une motivation souvent éteinte du fait de la maladie [5]. Les objectifs de ce domaine sont de renforcer les habiletés re-lationnelles et sociales pour s’inscrire dans une activité de loisirs. On travaille à l’aide de jeux de rôles filmés, autour de l’organisation d’une sortie et sa réalisa-tion dans le groupe PRACS. - La 1ère séance groupe redonne les bases de la communication et propose un jeu de rôle (faire une demande/ un refus/une critique...) en fonction de la probléma-tique principale du groupe. - La séance 2 individuelle propose un questionnaire sur les satisfactions/insa-tisfactions dans le domaine de la com-

munication, de la vie sociale et des acti-vités de loisirs (TV ? Radio ? Lecture ? Musique ? Lieux fréquentés ? Intérêt et difficultés à pratiquer une activité de loi-sirs ? Difficulté de communication ?). - La séance 3 groupe a pour but de : dé-velopper des aptitudes au choix et à la mise en place d’une activité de loisirs. Il est proposé de lister les activités de loi-sirs puis les catégoriser (artistiques, sportives, culturelles, bénévolat, ...), puis de noter les avantages/inconvénients des activités et enfin les démarches néces-saires pour s’y inscrire. Le groupe s’im-plique dans un jeu de rôle filmé autour d’une activité de loisirs de groupe et cha-cun s’entraîne à se présenter. - Séance 4 individuelle qui cible l’intérêt à pratiquer 1 à 3 activités de loisirs, la motivation et les avantages/inconvé-nients. - Séances 5 et 6 en groupe qui analysent des jeux de rôle et proposent un entraî-nement aux situations de groupe dans les loisirs avec, comme mise en situation, une discussion pour organiser une sortie en groupe et de faire la sortie prévue hors séance. Il est proposé également d’invi-ter des amis dans le groupe et de cons-truire un projet de sortie. - Séance individuelle 7 qui permet de re-venir sur le vécu de l’activité de groupe, l’activité choisie, les acquis du partici-pant et son inscription à une activité de loisirs.

Ce domaine reste difficile dans la mise en application dans la vie courante, car c’est un domaine qui met en jeu les capacités relationnelles, organisationnelles. L’im-plication dans les jeux de rôles et l’accep-tation de la caméra peut être compliquée pour certains. Un autre point difficile est de faire une demande pour inviter quelqu’un à une séance, de réussir à inte-ragir en groupe, savoir se présenter en te-nant compte du contexte et de s’organiser concrètement pour mettre en place une sortie. Ce domaine permet de commencer à faire les démarches pour mettre en place une activité de loisirs, mais les maintenir sur le court/moyen terme restent diffi-ciles. Ces aspects restent à travailler en dehors du module et nécessitent pour cer-tains la poursuite d’un accompagnement individuel.

Domaine 4 : améliorer sa présentation - Séance 1 de groupe autour d’un jeu questions/ réponses « Améliorer sa pré-sentation c’est quoi ? A quoi ça sert ? Ça signifie quoi une présentation correcte ? Qu’est ce qui détermine l’idée qu’on se fait de quelqu’un ? » et réflexions autour d’adapter l’apparence aux circonstances

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Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS) Un module original pour patients psychotiques à l’Hôpital de jour du secteur Caen Nord

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afin de préparer la dernière séance de groupe. - Séance 2 individuelle qui aborde l’hy-giène personnelle au travers d’un ques-tionnaire sur la présentation globale et sur les actions quotidiennes d’hygiène des différentes parties du corps. - Séance 3 de groupe qui reprend les règles d’hygiène corporelle (vu en indi-viduel) ; les règles d’hygiène alimen-taire, avec un jeu sur les aliments et l’équilibre alimentaire, composer un dé-jeuner fictif et un calcul de l’IMC1. - Séance 4 individuelle qui travaille sur l’hygiène corporelle, alimentaire, mé-nage-santé : points forts?/points faibles ? Pour en faire découler des objectifs per-sonnels identifiés par la personne. - Séance 5 de groupe qui retrace les règles d’entretien de sa maison (salle de bain, WC, cuisine, lit...) et aussi une édu-cation à la santé globale mais précise : suivi médical (médecin traitant, dermato, gyneco, dentiste, ophtalmo ...), activité physique, tabac et alcool avec un ques-tionnaire d’auto-évaluation consomma-tion alcool/tabac/cannabis. - Séance 6 de groupe dont le but est d’adapter sa présentation aux circons-tances et de la mettre en pratique grâce à des scénarii où chacun vient avec la te-nue adaptée. - Séance 7 individuelle qui fait le bilan et revient sur les objectifs personnels de ce domaine et de l’ensemble du PRACS.

Les bilans en groupe à la fin, à 6 mois et 1 an, ont pour but de valoriser les ouver-tures qu’ont apporté le PRACS, de conti-nuer de garder des objectifs au quotidien et de les consolider.

Retour d’expériences et impact sur le quotidien des patients

Les expériences cliniques de deux groupes sur 4 mois ont été très riches pour les patients et pour les soignants. Le vécu

est souvent dit “dense” pour les patients mais reconnu utile. Les domaines sont ré-ellement interdépendants et confèrent une cohérence à l’ensemble, très aidant pour les patients. Les objectifs personnels des personnes évoluent au cours des 4 mois pour chacun, avec des bénéfices parfois très à distance pour certains plus d’un 1 an après comme si le PRACS permettait le travail préparatoire, la gestation d’un em-bryon de projet comme celui de partir un jour en vacances quand cela fait des an-nées que la personne se dit que c’est im-possible ; ou encore une amorce pour aller vers un rendez-vous en tabacologie avec comme motivation initiale le budget. D’autres ont beaucoup plus facilement ac-cepté suite à ce module la mise en route d’une aide-ménagère. Le PRACS a l’art d’aborder de façon simple et rassurante via le groupe, des su-jets “complexes” du point de vue du soi-gnant qui hésite parfois, de peur de trop confronter la personne à ses difficultés ou d’être trop intrusif. Le PRACS est un outil “facilitateur” et qui demande aussi de travailler en parte-nariat avec les différents intervenants dans la prise en charge auprès du patient afin de poursuivre la réalisation pas à pas de petits objectifs de réhabilitation sur le moyen terme et le long terme. Les quatre domaines du PRACS travaillés ont pour but d’avoir une influence sur la qualité de vie des participants à différents niveaux : - Le domaine 1 permet d’être plus indé-pendant au niveau économique, ce qui peut amoindrir les tensions familiales et permet de mieux s’organiser pour effec-tuer certains achats ou projets (voyages, sorties, appartement...). - Le domaine 2 améliore le rythme des participants en diminuant les périodes d’ennui et en structurant la journée en différentes périodes.

- Le domaine 3 développe le réseau rela-tionnel et les activités des participants, et prend en considération ses difficultés d’initiative et de maintien d’un engage-ment dans un groupe lié aux soins et/ou dans une association en milieu ordinaire, palier souvent difficile à franchir. Un tra-vail motivationnel est réalisé. - Le domaine 4 favorise l’approche de l’hygiène de façon relativement simple et non stigmatisante pour les per-sonnes. Ce domaine permet de mobiliser le patient autour du soin global de sa per-sonne au niveau santé (domaines sou-vent laissés de côté et pourtant si impor-tants : dentaire, ophtalmologique, car-diologique, effets d’éventuelles addic-tions).

Tout cela contribue à améliorer diffé-rentes dimensions de la qualité de vie : l’autonomie, les relations sociales, le bien-être physique et potentiellement psy-chologique, ainsi que l’estime de soi.

Conclusions Un des aspects novateurs et stimulant est l’alternance des séances de groupe et in-dividuelles qui permet d’essayer de tou-cher du doigt cette généralisation des “compétences” acquises en module ou en atelier thérapeutique qui reste si difficile dans le soin au patient psychotique. Ce programme de psychoéducation a été apprécié par les groupes de patients qui y ont participé du fait qu’il s’intéresse à la partie “non malade” des personnes, pro-gramme qui fait le pont entre la psychia-trie et le quotidien ; un carrefour entre psychoéducation, éducation thérapeu-tique centrée sur les besoins et difficultés des personnes, et réhabilitation pragma-tique du quotidien en intégrant les outils et techniques de remédiation.

1 Indice de Masse Corporelle

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Introduction Après plusieurs années d’évolution du projet de soin de la ferme, nous avons voulu partager notre pratique à propos de cet outil atypique. Les usagers de l’hôpital de jour viennent avec cette idée d’évaluation de leurs com-pétences et pour certains d’entre eux l’en-vie de réintégrer un travail. Ainsi, afin de répondre à cette demande nous avons modifié les objectifs du projet de soin de la structure et fait évoluer nos médiations en collaboration avec les usa-gers.

Après avoir retracé l’histoire et l’évolu-tion de la ferme thérapeutique, nous illus-trerons par une vignette clinique le par-cours de l’usager afin de mieux com-prendre notre prise en charge actuelle.

La ferme thérapeutique de la naissance à aujourd’hui

Un peu d’histoire La « ferme de May » est une structure en milieu rural située à une quinzaine de ki-lomètres de Caen. Elle est desservie par

les Bus verts qui sont les bus départemen-taux. Le projet de départ a été initié par des équipes hospitalières qui se rendaient avec des patients hospitalisés sur la ferme de May. Ces prises en charge s’organi-saient avec des membres de l’équipe dis-ponibles selon le planning. Le but principal était de limiter la chroni-cisation, d’évaluer et mettre en place des projets de soin afin de sortir les patients d’hospitalisation. En septembre 1991, cette structure de-vient administrativement un Hôpital de Jour avec un élargissement des prises en charge à des patients hospitalisés ou à do-micile. Pendant ces 15 dernières années, la ferme s’est ouverte à d’autres secteurs psychia-triques pour devenir une structure inter-sectorielle. Les objectifs de prise en charge s’orien-tent vers une préparation aux structures appelées à l’époque CAT (Centres d’Aide par le Travail) ce qui implique : - d’une part, des prises en charge plus précoces dans la maladie avec un rajeu-nissement des patients présents en soin à la ferme ; - d’autre part, une temporalité adaptée avec la notion de synthèse tous les six mois donnant une notion de début et de fin aux prises en charge et la précision des objectifs de soin du patient.

Evolution du projet de soin Elle s’est faite autour de plusieurs axes et de manière concomitante, nous essayons tout de même de la chronologiser ainsi. Tout d’abord en lien avec la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé [1] qui indique que « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé » et où la place centrale du patient dans le soin est repositionnée. Mais aussi en lien avec la loi n° 2009-879 HPST du

La Ferme Thérapeutique de May sur Orne, une structure extra hospitalière de l’EPSM de Caen (14 Calvados), est depuis maintenant 26 ans un lieu de soin pour les personnes souffrant d’une maladie mentale. Pendant ce temps, le projet thérapeutique de la structure s’est naturellement enrichi, en fonction des besoins de la population prise en charge. D’un projet initialement teinté de psychothérapie institutionnelle, il nous semblait pertinent d’intégrer des outils afin de mieux travailler autour des compétences sociales des patients. Ainsi, tout en gardant nos médiations rurales, nous prenons également en compte les troubles cognitifs et la symptomatologie résiduelle. Comment à travers les objectifs du projet de soin individualisé, la malléabilité du cadre thérapeutique et les moyens proposés tentons nous de nous inscrire dans cette réha-bilitation, tant dans un but de réadaptation que de réinsertion ? De la même façon, la place de la structure qui initialement permettait aux patients de sortir de l’institution évolue comme un tremplin vers l’insertion. Pour une structure intersectorielle, comment réinterroger nos liens avec les structures et les établissements qui nous sollicitent ? Comment communiquer auprès d’eux ? Qui plus est, nous devons redéfinir nos attentes et les liens avec les structures d’aval. Quels sont les attentes et les besoins des patients que nous suivons ? Enfin, en fonction du contexte général, quelles sont les perspectives d’avenir d’un tel outil au regard de la pertinence de l’offre et de la situation des hôpitaux ? C’est sur ces questions que l’équipe souhaite échanger et communiquer lors des ateliers en table ronde. Mots-clefs : ferme thérapeutique, hôpital de jour, information du patient, éducation thérapeutique, projet de vie, évaluation, réhabilitation psychosociale, schizophrénie

The therapeutic farm in May sur Orne: cohabitation of institutional psychiatry and psychosocial rehabilitation principles

May sur Orne’s Farm Therapeutic, which is an extra-hospital structure of the EPSM Caen (Calvados 14) is fore 26 years a place of care for people with mental illness. During this time, the treatment plan of the structure was enriched. He said to the needs of the care population. From an initially tinged institutional psychotherapy project, it seemed appropriate to integrate tools to better work around social skills of patients. Thus, while keeping our rural mediations, we also take into account the cognitive and residual symptomatology. How goals through individualized care project, the malleability of the therapeutic framework and the proposed means we are trying to register us in this rehabilitation as a rehabilitation goal of reintegration? Also, instead of the structure which initially allows patients to leave the institution operates as a springboard to insertion. For an intersectoral structure, how to re-examine our relationship with the structures and institutions that solicit us? How to communicate with them? Moreover, we need to redefine our expectations and links with downstream structures. What are the expectations and needs of the patients that we follow? Finally, depending on the context, what are the prospects of such a tool in relation to the relevance of the offer, and the situation of hospitals? It is on these issues that the team wishes to exchange and communicate during workshops roundtable. Keywords: therapeutic farm, day hospital, patient information, patient education, life project, assessment, psychosocial rehabil-itation, schizophrenia

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La ferme thérapeutique de May sur Orne : cohabitation d’une psychiatrie institutionnelle et des principes de réhabilitation psychosociale

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21 juillet 2009 [2] qui introduit l’Educa-tion Thérapeutique du Patient (ETP) par l’article 84 qui « a pour objectif de rendre le patient plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en améliorant sa qualité de vie ». Il est apparu important de tenir compte du projet de vie et de soin du patient, de ses demandes et besoins pour adapter et amé-liorer la prise en charge en fonction des attentes du patient. Nous avons repensé les objectifs du jardin qui, au départ, était un jardin productif avec de grandes bandes de terre cultivées de façon intensive. Les usagers trouvaient ce travail pénible entraînant une perte de la motivation. Les soignants n’y trou-vaient pas d’objectifs thérapeutiques pour faire avancer les patients dans leur projet individuel. Ainsi après une formation d’hortithérapie, le jardin évolue. Nous redessinons des pe-tits carrés de terre moins pénibles à entre-tenir. Nous nous servons du jardin pour développer la sensorialité et le plaisir de faire en proposant différentes techniques de jardinage et en s’adaptant au rythme du patient [3+5]. Un autre domaine à prendre en compte : les troubles cognitifs des usagers souf-frant de psychose majoritaires dans le pu-blic pris en charge. Il est démontré que 70% des personnes souffrant de schizophrénie présentent un déficit cognitif [6]. Plus précisément des troubles de l’attention, de l’apprentissage, de la mémoire, de la résolution de pro-blème, du langage et des facultés sensori-motrices [7]. A partir de plusieurs rencontres organi-sées par le cadre avec l’équipe avec un psychiatre rompu à la prise en compte des troubles cognitifs, nous avons pu mieux comprendre l’impact des troubles cogni-tifs dans la vie quotidienne, l’insertion professionnelle et le fonctionnement so-cial du patient [8]. Le but à ce moment était d’essayer d’inté-grer cette notion de troubles cognitifs dans la présentation des ateliers et dans l’organisation du service. Nous avons ainsi développé notre intérêt pour la psycho-éducation et la remédia-tion cognitive, deux approches de la réha-bilitation psychosociale que nous avons développées, au travers de médiations par des aides cognitives, une mise en lien des difficultés avec les symptômes de la per-sonne et une prise en compte des diffé-rentes aides pour que le patient puisse les intégrer dans sa vie quotidienne [9, 10, 11, 12]. En intégrant la réhabilitation psychoso-ciale [13, 14, 15] en utilisant, d’une part, ses treize grands principes [4].La réhabi-litation psychosociale pouvant se définir

d’une manière générale comme l’en-semble des actions mises en œuvre auprès des personnes souffrant de troubles psy-chiques au sein d’un processus visant à fa-voriser leur autonomie et leur indépen-dance dans la communauté [16]. Nous avons tout d’abord créé une grille d’évaluation qui nous semblait pertinente par rapport à nos ateliers. Celle-ci quanti-fie les habiletés du patient observables en médiation. Nous les avons classées en trois catégories principales : les habiletés cognitives sur les cognitions froides, les habiletés de vie sociale et les habiletés de vie quotidienne (10+13+14+15+16 et An-nexe 1]. Cette évaluation est faite toutes les six à huit semaines. Nous utilisons également une évaluation cognitive, l’évaluation neurocognitive ra-pide pour la schizophrénie et troubles ap-parentés (ENRS) [17] et une auto-évalua-tion de l’autonomie sociale créée par deux ergothérapeutes |18 et Annexe 2]. Elles sont reconduites tous les ans. Ces évaluations nous permettent de met-tre en lumière les difficultés réelles du pa-tient nous donnant les axes thérapeutiques à travailler avec la personne et réajuster ces axes tout au long de la prise en charge. Nous avons donc en parallèle réajusté la portée thérapeutique de nos médiations en y ajoutant des objectifs de réadaptation et de réinsertion. En intégrant tout l’apport théorique dé-taillé au préalable et en s’appuyant sur les items de nos différentes évaluations. Nous nous sommes appuyés sur des tech-niques pour les médiations qui sont struc-turantes, de réhabilitation professionnelle et d’activité de vie quotidienne [19]. Une des dernières démarches a été de ren-contrer les différents ESAT de notre ag-glomération pour faire du lien et essayer d’ouvrir des perspectives lorsque les pa-tients semblent prêts à expérimenter le monde du travail. Ainsi nous pouvons avancer que, depuis le début, il y a un axe de réhabilitation dé-veloppé toutes ces années aboutissant à une véritable inscription dans ce concept. Néanmoins, la réflexion analytique de la médiation demeure et nous tâchons de faire cohabiter les deux approches

Composition de l’équipe En 1991, l’équipe était composée de 7 in-firmiers, puis de 5 infirmiers et 2 aides-soignants. A ce jour l’équipe est composée d’un mé-decin psychiatre, de 4 infirmiers, 1 aide-soignante, 1 cadre à mi-temps, un

LES AUTEURS Arnaud DUMOULIN cadre de santé Dr Julie CAUCHY médecin psychiatre Estelle LEROUX aide soignante Cécile PERRINE ergothérapeute Ferme thérapeutique de May sur Orne EPSM Caen 4 rue de la Mine 14320 May-sur-Orne France [email protected]

WEBOGRAPHIE 1. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2002/3/4/MESX0100092L/jo/texte 2. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2009/7/21/SASX0822640L/jo/texte 3. http://hortitherapie.avenir.overblog.com/hor-tith%C3%A9rapie-le-jardinage-%C3%A0-vis%C3%A9e-th%C3%A9rapeutique-l-hor-tith%C3%A9rapie-est-la-r%C3%A9habilitation-pratique-et-globale-de-la-personne-par-la-pr 4. http://www.club-association.ch/rehab/ar-ticle_16.htm

BIBLIOGRAPHIE

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 118

BIBLIOGRAPHIE (suite)

17. BRETEL F., OPOLCYNSKI G., COGNARD C., SOYER C., BIRIEN G., BOURGEOIS V., FRANCK N., HAOUZIR S., GUILLIN O., (2010), A new neurocognitive scale for schizo-phrenia which could be used daily practice, Eu-ropean Psychiatry, Volume 25, Supplement 1, Page 1157 18. POMINI V. NEIS L. BRENNER H. HODEL B., RODER V. (1998), Thérapie psychologique des schizophrénies : Programme intégratif IPT de Brenner, Ed Mardaga. 19. PIBAROT, I. (1977). Dynamique de l’ergo-thérapie essai conceptuel. 20. LIBERMAN R. P. (1989), Entraînement aux habiletés sociales pour les patients psychia-triques, Ed Retz.

1 Direction Départementale des Affaires sa-nitaires et Sociales

ergothérapeute à 40% et nous avons la présence d’un psychologue une fois par mois (2h) pour évoquer les prises en charge plus complexes.

Les objectifs de soin en 2015 La population prise en charge suppose un projet en deux temps : - l’évaluation des compétences et apti-tudes générales dans le quotidien : - un projet de retour à l’emploi et donc une évaluation des compétences en lien ainsi qu’une prise en charge autour d’un réentrainement ou d’une mise en place de compensation des incapacités et d’un maintien ou renforcement des capacités ;

Les objectifs de soins en lien avec le pro-jet sont globalement : - prévenir les rechutes en observant l’état clinique de l’usager ; - favoriser la mise en activité de l’usa-ger ; - évaluer les capacités et incapacités de l’usager par l’intermédiaire de diffé-rentes médiations ; - mettre en place un projet de soin ouvert sur des activités extérieures ; - accompagner l’usager dans son projet ; - favoriser la ré-autonomisation de vie quotidienne et de vie sociale.

Avec des objectifs individualisés selon le projet de soin de chacun des usagers.

Illustration par une vignette clinique

Anamnèse Nicolas est âgé de 30 ans. Il est hospitalisé pour la première fois en 2006 (21 ans) pour angoisses majeures et consommation de cannabis. Il est hospitalisé une deu-xième fois en 2008 pour angoisses ma-jeures, idées noires, idées délirantes à thème mystique, sensation de vide inté-rieur et repli. Il se sent comme différent, solitaire, pré-sente une difficulté à communiquer et dit avoir subi du harcèlement à l’école pri-maire par d’autres enfants puis au collège. Il a développé une phobie scolaire avec de multiples échecs, un parcours chaotique et de multiples orientations. Ses parents sont issus de la DDASS1 : son père n’accepte pas la maladie, il est très autoritaire, il n’a pas de gestes d’amour. Sa mère est traitée pour un cancer du sein. Il a une sœur dont il ne parle jamais. Son diagnostic est celui d’une schizophré-nie paranoïde. Il est également affecté d’une maladie de Verneuil (dermatologie). Nicolas a une bonne conscience de ses troubles et investit les différentes proposi-

2 Etablissement et Service d’Aide par le Travail

tions thérapeutiques. Une très bonne al-liance thérapeutique, de ce fait, et une confiance sont instaurées. Le travail psychothérapeutique lui a per-mis d’accepter sa maladie et le diagnostic. Actuellement, il vit avec son amie qui a une obésité morbide. Nicolas s’occupe de l’ensemble des activités de vie quoti-dienne à domicile. Il est autonome pour ses transports. Il bénéficie d’un suivi au Centre Médico Psychologique (CMP) et participe aux ateliers créatifs au Centre d’Activité Thé-rapeutique à Temps Partiel (CATTP) ainsi qu’à des cours de percussions dans une association dans son quartier. Il a une orientation ESAT2 depuis 2013. Suite à la porte ouverte de la ferme théra-peutique en 2014, il est demandeur d’une prise en charge pour se donner un rythme de travail au quotidien ainsi qu’évaluer et développer ses compétences en vue d’in-tégrer un ESAT.

Début de prise en charge Nicolas débute la prise en charge le 12 no-vembre 2014 en intégrant le groupe du mardi/mercredi. Après une période d’es-sai d’environ un mois, concluante pour Nicolas comme pour l’équipe, l’équipe convient, en synthèse, de poursuivre cette prise en charge. De nouvelles synthèses sont program-mées tous les six mois.

Les médiations Nicolas participe aux différents ateliers : les animaux, le jardin, le bricolage, l’ate-lier bois, la préparation des repas. Tous les ateliers ont des objectifs orien-tés vers la réhabilitation : - stimuler les fonctions cognitives (atten-tion, concentration, fonctions exécu-tives...) ; - développer des habiletés de vie sociale (vie en groupe, respect des consignes et des règles de vie...) ; - développer les habiletés de vie quoti-dienne (repas, déplacement...) ; - tenter de préparer les usagers aux at-tentes d’un ESAT (Etablissement et Ser-vice d’Aide par le Travail).

Mais aussi des objectifs plus analytiques : - observer la symptomatologie et détec-ter d’éventuelles difficultés (rechute, mauvaise observance du traitement) ; - favoriser l’expression du ressenti de l’usager ; - appréhender la réalité ; - prendre du plaisir à faire ; - valoriser l’usager.

Voici une présentation des différents ate-liers dans lesquels évolue Nicolas :

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La ferme thérapeutique de May sur Orne : cohabitation d’une psychiatrie institutionnelle et des principes de réhabilitation psychosociale

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- l’atelier bricolage a pour objet premier d’entretenir nos locaux. Il permet aux patients de stimuler la résolution de pro-blème, d’utiliser de nombreux outils et de collaborer en équipe. Nous utilisons des tableaux (aide cogni-tive) pour les outils, des bacs pour la vis-serie permettant aux usagers de se repé-rer dans l’atelier, de répondre plus faci-lement à une demande d’outillage et d’être autonome dans le rangement. Le jardin propose aux patients d’utiliser les outils nécessaires, de s’entraîner à la réalisation de tâches imposées et répéti-tives (désherbage, tonte, plants…) mais aussi de ressentir une forme de satisfac-tion lorsque les légumes ou les fleurs poussent. Ils peuvent acquérir les pro-duits récoltés, qui, par ailleurs, agrémen-tent les repas thérapeutiques (herbes aro-matiques, légumes, confitures…) Les ESAT ayant souvent un atelier es-pace vert, nous invitons nos usagers à utiliser la débroussailleuse, la tondeuse... en vue de leur éventuelle intégration. Les usagers peuvent également disposer d’un carré de terre où ils font pousser ce qu’ils veulent en autonomie complète. - L’atelier animaux permet de s’occuper des volailles, lapins, chèvres en respec-tant différentes étapes (nettoyage des poulaillers, changement de la paille, net-toyage des bacs à eau, remplissage de l’eau, nourrir les animaux, sortir les ani-maux, ramasser les œufs...). Ce sont des ateliers structurants sur le plan des fonc-tions exécutives, chaque étape y est im-portante et est répertoriée sur un tableau favorisant la mise en autonomie des usa-gers. Les usagers sont également confrontés à la mort, aux naissances, autant de sollici-tations à des échanges volontiers délicats et la possibilité de mettre en lien ces su-jets avec la réalité du quotidien. L’atelier bois offre la possibilité de tra-vailler étape par étape et la résolution de problèmes autour de la restauration de meubles divers ou la fabrication de petits meubles (étagères, nichoirs à oiseaux...). C’est un travail mené en binôme avec le patient qui permet un échange individua-lisé. Le temps dans cet atelier n’est pas “compté” car il n’y a pas de délai à res-pecter contrairement aux autres ateliers. - L’atelier cuisine est le creuset d’éva-luation et d’amélioration des habiletés nécessaires à confectionner un repas, à s’organiser, à planifier, à résoudre les difficultés rencontrées, à utiliser diffé-rents ustensiles de cuisine... Il donne

également lieu à un accompagnement en individuel, favorisant les échanges à par-tir d’un objet de médiation.

Ainsi, Nicolas change régulièrement d’atelier en fonction de ses demandes et des évaluations que nous souhaitons ap-profondir avec lui.

Les évaluations

L’évaluation des cognitions froides Elle permet de quantifier la cognition froide sur plusieurs items (mémorisation court terme, long terme, de travail, atten-tion, concentration...) Elle donne un score sur 25 points. Le score de Nicolas est de 19/25 ce qui nous indique qu’il n’a pas de déficit ma-jeur au niveau cognitif mais que nous pou-vons améliorer ce score grâce à la stimu-lation cognitive en atelier.

Une évaluation de réhabilitation psychosociale [Annexe 1] Elle est menée par les soignants après ob-servation de l’usager en atelier. Elle côte trois habiletés : cognitive, de vie sociale et de vie quotidienne. Nous avons choisi de coter ces trois habi-letés afin de tenir compte des troubles des cognitions froides des usagers en atelier, des difficultés dans l’intégration dans un environnement et les difficultés sociales qui en découlent [20] et les éléments de vie quotidienne que nous pouvons évaluer à la ferme (hygiène, déplacements, cui-sine). Chaque habileté est cotée sur 126 points et chaque évaluation nous permet d’avoir une évolution du patient sous forme de graphique. Pour une reprise professionnelle ce sont les compétences de base que nous pou-vons améliorer avec les usagers. La cotation se fait en 0/1/2/3. Cette évaluation se répète toutes les six à huit semaines.

Une auto-évaluation de l’autonomie sociale Cette auto évaluation a été conçue par deux ergothérapeutes dans le but premier d’harmoniser les groupes de patients par-ticipant à l’Integrated Psychological The-rapy (IPT) [18]. C’est le patient qui auto évalue ses capa-cités sur un panel d’items. Cela permet de faire des liens avec notre propre observa-tion et la cotation à l’évaluation de réha-bilitation. Cette auto évaluation rend compte également de la connaissance et de la prise de conscience des difficultés pour le patient.

Les différents items cotés sont [Annexe 2] : - les capacités attentionnelles ; - les capacités d’organisation et de mise en action ; - la confiance en soi ; - la gestion des émotions ; - l’ouverture subjective à autrui ; - et la flexibilité mentale.

Chaque item est coté sur 72 points. Ces différentes évaluations nous permet-tent de suivre l’évolution du patient selon nos observations en atelier et selon la per-ception que le patient a de lui-même. Ceci permet de revoir les objectifs de prise en charge et d’objectiver avec le pa-tient ses progrès et ses difficultés.

Témoignage de Nicolas Nicolas nous livre son ressenti après plu-sieurs mois de prise en charge à la ferme : « Ce que la ferme thérapeutique m’ap-porte, c’est de pouvoir sortir de mon ap-partement et de parler avec des gens, de m’occuper d’animaux et de travailler la terre et de faire d’autres activités comme travailler le bois ou faire du béton. » « J’aime bien car je ne me sens pas jugé ni sous pression et j’apprends de nou-velles choses. Ces conditions me donnent de nouvelles connaissances, du bien-être et c’est valorisant. »

Conclusion Par cette illustration et le contenu de notre présentation, nous vérifions le développe-ment concomitant des deux grands axes qui régissent nos prises en charge : - l’axe structurel de fond dans le registre analytique et institutionnel qui prend en compte le patient dans sa singularité, son histoire, ses ressentis, son vécu et sa ma-ladie. - L’axe plus symptomatique et opéra-tionnel de réhabilitation psychosociale afin de permettre aux usagers de ré-en-traîner leurs compétences de vie sociale, de vie quotidienne, de stimuler leurs fonctions cognitives et de mener à bien leur projet de réinsertion.

Cette cohabitation est récente et nous sou-haitons développer encore l’axe de réha-bilitation au travail en partenariat avec les différents ESAT de la région, en réfléchis-sant à la mise en place d’un atelier espace vert extérieur à la ferme... mais aussi en continuant à nous former afin de pérenni-ser notre action.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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Annexe 1

Annexe 2

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scor

es

dates de passation

Graphique des scores à l’évaluation de réhabilitation psychosociale

HABILETES COGNITIVES /126 HABILETES DE VIE SOCIALE /126

HABILETES DE VIE QUOTIDIENNE /126

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Introduction Dans l’argument du Colloque 2015, le Docteur Genvresse nous propose de ques-tionner notre efficience dans le soin ap-porté aux patients, en sollicitant adaptabi-lité et créativité pour ajuster les apports thérapeutiques - le cas échéant notre structure - à leurs besoins spécifiques. S’il est indispensable de s’interroger ré-gulièrement sur la juste adéquation de notre dispositif au public accueilli et aux troubles présentés, il nous a semblé tout aussi important de nous pencher sur ce qui perdure des progrès et améliorations en-grangés, une fois l’enfant sorti du KaPP. Ainsi, après une présentation de notre unité, nous centrerons notre exposé sur la réinsertion de nos patients dans leur mi-lieu de vie, dans leur “vie d’avant”, avec des aménagements selon les cas et sur les facteurs qui favorisent un désengagement réussi.

Le KaPP : le dernier maillon d’une chaîne de soins

En Belgique, il existe un dispositif de soin d’intensité croissante pour prendre en charge les enfants en difficulté et leur fa-mille : − à l’hôpital, en ambulatoire : consulta-tions et bilans multidisciplinaires,

− dans les services de santé mentale : consultations, bilans, suivi, groupes de parole, thérapie familiale, − à l’école : enseignement spécialisé (différents types selon la difficulté mise à l’avant plan) avec soutien de logopé-die, de psychomotricité et encadrement éducatif, selon le type, − autour de l’école, ordinaire et spéciali-sée : les cellules psycho-médico-sociales venant en soutien de l’école pour un ap-profondissement de certaines situations, voire la réorientation de l’enfant dans un enseignement plus adapté, − avec la famille : différents dispositifs d’intervention et de soutien à domicile, − en renfort de la famille : internats spé-cialisés, internats thérapeutiques, − pour coordonner les soins : le Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ, cadre non contraignant), le Service de Protection de la Jeunesse (SPJ, cadre contraignant) − à l’hôpital, en hospitalisation de jour ou de jour/nuit : quand les autres dispo-sitifs ne parviennent pas ou plus à appor-ter un soin suffisant pour apaiser l’enfant et lui permettre de rester inséré dans son environnement actuel (école et/ou fa-mille ou institution d’accueil).

Notre unité, le KaPP, fait partie du service de Psychiatrie infanto-juvénile des Cli-niques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. C’est un hôpital de jour pou-vant accueillir 25 enfants, avec une possi-bilité de jour/nuit pour 4 d’entre eux. Les enfants accueillis ont entre 0 et 13 ans. Ils présentent un large spectre de troubles psychopathologiques, incluant l’anorexie (du 1er âge et de la pré-adolescence), les troubles du développement et du langage avec troubles du comportement associés, l’autisme sévère pour 5 d’entre eux, la psychose infantile, les phobies. Nous sommes sollicités en dernier recours quand les autres interlocuteurs ont épuisé leurs possibilités d’intervention. Notre dispositif est d’emblée intensif : il s’agit d’un accueil à temps plein de jour, comme une école, pour une prise en compte thérapeutique intensive pensée en fonction de la demande. À chaque nou-velle admission, nous interrogeons la né-cessité de notre intervention et tentons, le plus possible, de faire appel à des struc-tures plus légères pour maintenir l’enfant à l’école. Si l’hospitalisation de l’enfant est la bonne indication, nous déployons l’en-semble de notre dispositif pour lui appor-ter le maximum de soins : ateliers de groupes (7 enfants maximum, entre 2 et 4 adultes professionnels) travaillant les compétences et la socialisation, séances individuelles, entretiens avec les parents. En interne, notre adaptabilité repose sur la personnalisation des soins en fonction des troubles à traiter. En premier lieu, la durée d’hospitalisation dépendra de ce que nous avons défini comme objectif de travail : de 5 semaines à 2 ans. Par ailleurs, si tous les enfants bénéficient de la prise en charge collective, les séances indivi-duelles sont adaptées dans leur fréquence et leur domaine (kiné, logo, psycho). De même, le dispositif de travail familial peut s’intensifier avec des “ateliers parents”, des entretiens avec la fratrie, des accom-pagnements au SAJ ou SPJ. Enfin, la ré-insertion dans le milieu scolaire peut être étayée par un accompagnement éducatif

Le KaPP, hôpital de jour pédopsychiatrique a pour mission une intervention ponctuelle alliant un psychodiagnostic précis à une intervention thérapeutique pluridisciplinaire modulable selon les besoins. De façon itérative, la même question revient sur nos lèvres : quand et comment terminer le suivi ? Comment réinsérer les petits patients et leurs parents dans leur milieu de vie, leur vie d’avant. Quels sont les facteurs, la modalité, le style qui favorisent un désengagement réussi faisant suite à un engage-ment qui l’était tout autant ? Comment devons-nous nous y prendre avec nos collègues du réseau, en amont, en aval ? Comment moduler le transfert pour le liquider sans trop de dégâts ? C’est sur ces questions que l’équipe souhaite échanger et communiquer lors des ateliers en table rond. Mots-clefs : réseau, passage, engagement, désengagement

The therapeutic farm in May sur Orne: cohabitation of institutional psychiatry and psychosocial rehabilitation principles

The KaPP, pediatric psychiatric day hospital, strives to provide a time-appropriate treatment using a combination of accurate psychometrics, along with a flexible, multi-disciplinary therapeutic approach adapted to the needs of the individual. A recurrent question arises: when and how to terminate the treatment? How to reintegrate the little patient and their parents into their former lives? What are the factors, the manner, the approach which will favor successful disengagement and reintegration following a just as much successful engagement? How can we ensure effective communication with other involved healthcare providers, either before or after us? How to manage psychological transference to ensure its clearance without damage? Keywords: network, transition, engagement, disengagement

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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selon la nécessité et la demande de l’école (ré)accueillant l’enfant. Tout ce dispositif crée de fait un attache-ment thérapeutique de la famille à notre structure, qui porte ses fruits et se montre efficient la plupart du temps, tant que l’enfant est hospitalisé chez nous. Une difficulté que nous rencontrons est alors de transposer ce lien et ce qu’il pro-duit dans le système de l’enfant en dehors de nous afin de garantir le passage pour la suite du travail dont l’enfant aura encore besoin pour progresser.

L’efficience de notre intervention n’existe que si le relais est réussi

Comme nous l’avons dit plus haut, l’arri-vée d’un enfant au KaPP est en général l’aboutissement d’un cheminement de la famille et elle est souvent vécue comme le recours ultime. L’avantage de ceci est que dans la ma-jeure partie des situations, la confiance se tisse facilement et l’alliance thérapeutique avec les parents peut opérer. Mais cet avantage comporte un risque, celui de voir la famille déposer son inquiétude, ses es-pérances et son « attachement » chez nous à un niveau tel qu’il nous apparaît très dif-ficile de passer la main. Le moment de la sortie du KaPP provoque un nouveau dé-séquilibre. Or l’efficience de notre intervention s’ins-crit, nous semble-t-il, dans une tempora-lité qui va au-delà de nous, celle de l’en-fant et de la pérennisation de “ses pro-grès” dans la suite de sa vie et de son dé-veloppement. Pour la famille, il s’agit de retrouver une certaine autonomie dans le pilotage des soins. Pour nous, il s’agit de sortir de la position d’expert et de référence, dans laquelle nous nous trouvons placés au cours du sé-jour, pour confier le pilotage du soin à d’autres et redonner à l’extérieur et à la famille toute autonomie pour affronter la suite. C’est ici que nous devons nous montrer créatifs et adaptables, tout en po-sant un programme et un cadre qui nous permettent d’assumer le reste de nos mis-sions (en priorité dédiés aux enfants qui sont “dedans”), et en tenant compte des différentes durées d’hospitalisation : de 5 semaines (notre durée minimale) à 2 ans. Dans bon nombre de cas, il faut même penser le plan de sortie au moment de l’admission de l’enfant. Dans tous les cas, il faut l’évoquer dès l’entrée.

Les types de familles Nous sommes frappés par le nombre croissant de familles qui présentent des difficultés financières. Les familles qui nous confient leurs enfants représentent

un éventail moins varié de niveaux so-ciaux qu’il y a quelques années. De plus en plus de familles sont en situation de précarité : chômage, isolement, mixité culturelle complexe, endettement, suivi par des services sociaux et de protection de l’enfance. Ces familles sont isolées et en perte de repères. Les changements dans les structures fami-liales sont essentiellement constitués par une augmentation des familles monopa-rentales (surtout des femmes seules avec un risque de paupérisation). Nous devons tenir compte de l’absence des pères, des familles recomposées avec beaux-pères et belles-mères qui vont revendiquer leur place (ou non), davantage de familles en situation d’isolement et de rupture par rapport à la famille élargie. Nous recevons de plus en plus d’enfants de familles mi-grantes. Au gré des migrations internatio-nales, les familles arrivent du Maghreb, d’Afrique noire, de Turquie, mais aussi d’Europe de l’Est, ... Aux difficultés de compréhension linguistique, s’ajoutent des difficultés à partager les représenta-tions culturelles de la famille et à accepter leurs manières de penser et de faire. Nous sommes confrontés à l’impact du voyage migratoire, potentiellement traumatique, pour la famille et les enfants. Un certain nombre de familles nous semble également de plus en plus submer-gées/entravées par les difficultés de leurs enfants. Ce sont des enfants “difficiles” qui « coûtent » beaucoup en temps, en rendez-vous, en organisation, en adapta-tions, en remise en question. Et certains parents sont en difficulté pour faire face au quotidien, y compris pour organiser un loisir pour leurs enfants. Le risque est double, voir la famille se replier sur elle-même et voir se mettre en place des formes de nouvelles “carences” éduca-tives, par défaut de stimulation et d’ou-verture. Nous observons des comportements nou-veaux de « consommation » de soins ou de services, les parents voulant toujours davantage. Parfois la demande peut aller jusqu’à la substitution. Par exemple, pour un enfant hospitalisé au KaPP, le parent demande aussi de s’occuper des soins so-matiques de celui-ci (dentiste, consulta-tion ORL, consultation ophtalmo, ...) pen-dant ce temps d’hospitalisation de jour en pédopsychiatrie.

LES AUTEURS Charles-Emmanuel BLONDIAU psychologue Bruno MALEVEZ éducateur Claire SAVEANT coordinatrice Marguerite VAN DEN BERGH assistante sociale Cliniques universitaires Saint-Luc Le KaPP Avenue Hippocrate, 10 1200 Bruxelles Belgique

BIBLIOGRAPHIE

1. DELION P. (2001), Thérapies institution-nelles, EMC-Psychiatrie, 37- 930 G10, Ed. Scienti-fiques et Médicales, Elsevier, Paris. 2. EIGUER A. (1963), Un divan pour la famille, Paidos/Le Centurion. Coll. PaÏdos, Paris. 3. KINOO P. (2012), Psychothérapie institu-tionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP, Coll. Empan. Editions Erès, Bruxelles.

Nous rencontrons aussi des parents qui sont à la recherche de l’immédiateté, de “solutions clés en main”. Il faut inventer des pratiques au plus près de nos patients et des acteurs du réseau de santé mentale, lui aussi en évolution.

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Soins de jour au KaPP : la pertinence et l’efficience mesurées dans l’après...

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Les champs d’action de l’assistante sociale

− Veiller à penser ensemble et avec la fa-mille aux meilleurs parcours de vie pos-sibles en tenant compte des ressources mises à disposition par la société : les ai-der dans des tâches administratives comme par exemple la reconnaissance d’un handicap pouvant donner droit à des allocations familiales majorées pour leur enfant, mettre en place des aides à domicile via le CPAS, un suivi par une maison médicale, une maison de quar-tier, ... − Maintenir le réseau vivant, rester et/ou renforcer le lien avec le réseau déjà exis-tant avant l’hospitalisation : Service de Santé Mentale (SSM, service ambula-toire) envoyeur, école d’enseignement ordinaire ou spécialisé, maison médi-cale, ... − Soutenir la famille dans les démarches qu’elle devra effectuer pour réaliser son propre réseau et (re)créer ainsi du lien social. La particularité de notre travail d’assistante sociale est de pouvoir sortir des murs de l’institution hospitalière pour accompagner la personne à l’exté-rieur et l’aider dans la reconstruction de liens sociaux. − Soigner et coordonner les plans de sor-tie vers les écoles fondamentales ordi-naires et/ou spécialisées, vers les ser-vices ambulatoires tels que les SSM ou les services résidentiels thérapeutiques. Cette mission reste capitale car considé-rée selon moi comme le franchissement d’un cap. Ceci demande un réel engage-ment de la part du travailleur social et de l’équipe toute entière, mais aussi une bonne connaissance des partenaires du réseau, afin de pouvoir proposer à la fa-mille la formule la plus adéquate.

Pour illustrer ceci, prenons l’exemple d’un enfant qui a été hospitalisé au KaPP pour phobie scolaire. Il est en situation de décrochage scolaire. Pendant le temps d’hospitalisation, un travail institutionnel va s’opérer pendant lequel l’équipe va être soucieuse de prendre en considéra-tion l’expertise de chacune des personnes concernées par les soins de l’enfant hos-pitalisé. A la fin de l’hospitalisation, au moment de la sortie, une école d’ensei-gnement spécialisée a été choisie pour le soutenir dans ses apprentissages. L’enfant sera accompagné à l’école pendant la du-rée nécessaire à une insertion suffisam-ment solide. L’équipe du KaPP portera une attention particulière à garantir la continuité des soins et à passer le relais vers un service ambulatoire qui veillera à être à l’écoute de la souffrance du jeune, de celle de sa famille tout en travaillant avec lui le lien avec l’école et le parasco-laire. Il s’agira de trouver les accroches

qui lui permettront de se réinsérer dura-blement dans un projet scolaire.

Les enjeux du travail en réseau Pour une situation familiale qui arrive au KaPP, il n’est pas rare qu’un grand nombre de professionnels gravitent autour de la famille (SAJ, Service de Santé Men-tale, Centre Psycho-Médico-Social, Centre Public d’Aide Sociale, assistante sociale du CPAS, infirmière de l’Office National de l’Enfance, aide familiale, aide et soins à domicile...). Même si tout le monde est ouvert à la collaboration, les professionnels sont différents les uns des autres, dans les différents services qui tra-vaillent avec la famille. Préoccupés par ces situations, ils peuvent avoir des ap-proches ou des points de vue pouvant pa-raitre contradictoires ou inconciliables, du fait de leurs places respectives par rapport à la situation, ou encore de par leurs ap-proches théorico-pratiques différentes. Nouer tout cela, c’est le travail en réseau. L’aptitude à travailler ensemble nécessite une bonne articulation entre les équipes psycho-médico-sociales et les services re-lais concernés pour aboutir à une zone de collaboration commune. De cette ren-contre naît un espace partagé où s’échan-gent les informations concernant le pa-tient et les soins/suivis qu’il pourra poten-tiellement recevoir. L’équipe soignante doit être attentive à ne pas imposer ses choix à la famille. Provoquer, par exemple, des contacts variés avec des ser-vices psychosociaux sans attendre que ces démarches acquièrent du sens pour la fa-mille risque d’aboutir à la construction d’un réseau tout à fait artificiel qui s’avè-rera plus investi par la famille, et dès lors, peu efficace, se démantelant rapidement. Le cadre de notre travail, au travers de la modalité de l’hospitalisation de jour, est un outil précieux dans le champ de la pé-dopsychiatrie, elle permet une remobilisa-tion intensive des ressources propres à la famille et à l’enfant et un soutien vers un développement plus harmonieux et le maintien de son inscription dans son tissu familial et social. Ces soins incluent une évaluation de la de-mande, la formalisation du projet théra-peutique qui se fait lors des deux pré-ac-cueils et une réévaluation régulière des partenariats, des échanges avec les pa-rents tenant compte des projets de vie pour leur enfant. Il est important de rap-peler que nous devons tenir compte de la réalité de ce qui est possible en termes de moyens, de disponibilité, d’adhésion à nos propositions.

« Ainsi font les éducateurs, trois p’tits tours et puis s’en vont... »

Le travail de l’après KaPP est parfois dif-ficile. Nous avons le sentiment, depuis quelques années, que les enfants doivent s’ajuster à des situations de plus en plus compliquées et que nous avons bien du mal, dans le champ social, à répondre cor-rectement à leurs besoins. Maxime est arrivé au KaPP à l’âge de 12 ans. Il vit seul avec sa mère depuis le dé-cès du père, survenu quand Maxime était encore très jeune. Madame est africaine et son arrivée en Belgique survint dans des circonstances dramatiques. Le père de Maxime fut la personne qui extirpa la mère d’une situation périlleuse. Dès lors, sa disparition laisse un vide immense, ja-mais comblé, plongeant la mère dans le désespoir. Ils vivent tous deux dans des conditions précaires et sont fort isolés. C’est une psychologue du SSM (Service de Santé Mentale) qui nous adresse le gar-çon. Elle suit la situation depuis des an-nées mais se trouve impuissante face à la dégradation de celle-ci. Maxime se trouve en première année se-condaire différenciée. Il est au bord de l’exclusion et arrive chez nous pour une hospitalisation de cinq semaines en vue d’un bilan global, de la recherche de pistes thérapeutiques et d’une éventuelle réorientation scolaire. Dès les premiers jours, nous nous rendons bien compte que le comportement de Maxime est difficile à gérer. Il est impré-visible, se comporte tantôt comme un ange, tantôt comme un démon. Il est tou-jours à la limite de déroger aux règles de la vie en communauté. Il peut à la fois être très gentil avec les plus jeunes et en riva-lité avec les enfants de son âge, les provo-quant, les poussant à faire des bêtises pour nier ensuite toute responsabilité. Déjà dans son école, l’équipe éducative a mis en place un espace contenant, une “bulle” où certains enfants peuvent s’apaiser. Maxime y a fréquemment re-cours. Chez nous, il lui a fallu très peu de temps pour se sentir en sécurité et très vite des liens se sont créés. Les signes de révolte annoncés se sont avérés moindres que prévu, en tout cas, n’allant jamais jusqu’à la rupture. À chaque fois il a pu revenir dans le lien, re-prendre contact avec nous, mettre des mots, présenter ses excuses, effectuer une réparation. Les entretiens entre la mère et nous se sont avérés positifs, nous avons pu abor-der des problèmes personnels, ouvrir à des questions sur son histoire que Maxime n’osait pas lui poser, par respect ou crainte de sa mère (elle le “corrigeait” par-fois physiquement).

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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Plusieurs rencontres ont eu lieu avec l’équipe éducative de son école. Celle-ci attendait de nous une solution “miracle”. Nous avons quant à nous “concrètement” proposé trois pistes : − qu’il puisse être responsabilisé afin de terminer son année scolaire dans de meilleures conditions ; − qu’il y ait une meilleure communica-tion entre la mère et son éducateur réfé-rent scolaire; celui-ci s’est engagé à télé-phoner à la mère pour lui donner réguliè-rement des nouvelles de son enfant, qu’elles soient positives ou négatives ; − que l’éducateur référent du KaPP se rende tous les lundis matin à l’école afin de faire un débriefing de la semaine écoulée et de soutenir Maxime dans ses comportements et ses apprentissages.

Lors du retour à l’école, les deux pre-mières semaines se sont bien déroulées. Hélas, il n’en a pas été de même par la suite. Afin de voir quelles stratégies adopter, le psychologue et l’éducateur référent du KaPP ont rencontré l’équipe éducative et le Centre Psycho-Médico-Social de l’école. Les contacts entre le psychologue du KaPP et la psychologue du SSM se sont maintenus pendant le séjour. À l’issue de ces contacts, il a été décidé qu’il fallait : − Continuer de soutenir l’école. − Rechercher une école d’enseignement spécialisé plus adapté pour l’année sui-vante. − Installer une aide supplémentaire par “l’éducateur scolaire” du KaPP (en plus de l’éducateur référent) pour soutenir Maxime lors des examens. − Poursuivre le travail thérapeutique in-dividuel et familial.

À la sortie, une réunion a été organisée rassemblant la famille, l’ambulatoire et le KaPP afin de transmettre toutes les infor-mations nécessaires. Nous avons également rencontré l’assis-tant social du SSM pour qu’il puisse faire le pont avec la nouvelle école de Maxime. En septembre, lors du passage vers l’école spécialisée pour trouble de la personnalité et des comportements, nous en avons ren-contré l’équipe éducative. Quelques heures après cette rencontre, Maxime est revenu nous voir au KaPP pour nous annoncer qu’il avait été exclu une journée de son école. Nous avons té-léphoné au SSM : un rendez-vous a été fixé le jour même. À suivre donc...

C’est “Caen” qu’on s’arrête où ? Comme nous l’avons vu, sous l’angle so-cial et éducatif, les enfants et leur(s) fa-mille(s) qui accèdent - certains pourraient dire échouent - au KaPP, ont toujours ef-fectué un long parcours où ils se sont sen-tis isolés ou incompris. Maxime, lors de l’entretien de pré-accueil alors que nous ne sommes ensemble que depuis cinq minutes, me demande brus-quement : « Monsieur, vous avez des en-fants... ici en Belgique ? ». Relativement décontenancé, je lui réponds : « Oui. Mais pourquoi me demandes-tu cela ? ». Il me répond alors : « Parce que quand vous me regardez comme ça, Monsieur, on croi-rait que je suis votre fils ! ». Pour Maxime, comme souvent pour d’autres, l’attente est énorme, le transfert massif. Nos hospitalisations sont presque toujours consécutives à un appel à l’aide émanant du réseau scolaire, médical ou psychoso-cial au sens large. Quelle que soit l’ori-gine de l’appel, on doit constater que la souffrance des enfants et de leur famille a débordé le réseau ambulatoire par sa com-plexité, sa violence ou sa chronicité. Plus rarement, elle est restée invisible. Y ré-pondre va donc demander un investisse-ment important dans la contenance et l’étayage et, ce, dans une constellation transférentielle que nous espérons la plus riche possible. Comment déployer notre dispositif dia-gnostique (recherche active et “fonction-nelle” dans le cadre d’une expérience de psychothérapie institutionnelle) dans un temps court (cinq à dix semaines pour une prise en charge “standard”) avec suffi-samment de pertinence, de rapidité et de finesse, sans mettre à mal l’aval potentiel, sans discréditer l’amont envoyeur par la “puissance” de notre action pluridiscipli-naire conviée instamment à faire auto-rité ? Comment donc doser cet apport massif d’attention et d’intention thérapeutiques afin qu’il soit suffisamment robuste dans sa construction et progressivement rem-plaçable dans sa déconstruction partielle ? Nous devrions en fait pouvoir nous pré-senter d’emblée comme substituables alors qu’on nous voit comme indispen-sables ; notre expertise devrait se dis-soudre dans le champ psychosocial. En d’autres mots, il nous faut tendre à être à la fois “méta” - et “inter”-communi-cants, nous constituer comme référence (n+1) ponctuelle et perdre rapidement notre verticalité par une inclinaison vers “les autres” pour retrouver l’horizontalité dans le réseau. Notre présence ne trouvera son effectivité thérapeutique qu’à se pro-filer comme absence annoncée. Nous de-vons faire en sorte, ayant accompli notre

mission catalytique, que "l’avant" se re-trouve compétent dans “l’après”. Quel que soit le type de famille rencon-trée, quelle que soit la pathologie de l’en-fant hospitalisé, nous ne pouvons éviter la lourdeur d’une prise en charge complète. Souvent auparavant une scolarité à temps partiel a été tentée, souvent l’irrégularité de la fréquentation scolaire pose pro-blème, souvent l’enfant a été écarté plu-sieurs fois pour mesure disciplinaire, par-fois il se trouve déjà dans une institution de l’aide à la jeunesse qui, elle-même, est aux abois. Nous sommes donc amenés à nous ériger (verticalement). Nous ne pouvons nous si-tuer dans le cercle du réseau qu’à y figurer comme repère, mât totémique ou de co-cagne, d’où pourrait enfin venir une solu-tion définitive. Cette position où on nous met, où nous nous mettons, nous l’occupons, que l’en-fant souffre de trouble névrotique, de dys-harmonie évolutive, d’état limite, de psy-chose ou d’autisme. Dès que l’accord se fait avec la famille, accompagnée ou non par une ou plusieurs personnes du réseau en amont, ce n’est pas l’enfant seul mais le plus souvent toute sa famille qui va profiter de la fonc-tion phorique de l’institution. Si le circuit (P. Delion, 2001) se met

Phorique Métaphorique Sémaphorique bien en place pour l’enfant, nous avons l’impression que la famille est maintenue dans l’étayage, se reposant, voire se ré-pandant dans le champ institutionnel sans participer à l’avènement de sens, à l’émer-gence d’éléments significatifs qui lui per-mette de nous accompagner dans une éla-boration, une interprétation. Nous nous offrons, je pense, comme élé-ment plus substitutif de la famille que comme instance prolongeant celle-ci ou palliant ses difficultés (ce qui serait un moyen terme). La famille ayant trouvé le KaPP risque de ne pas le garder comme direction à suivre (il y a longtemps qu’elle a perdu la bous-sole et nous peinons à lui faire retrouver le Nord), ni de le franchir après avoir sur-monté une part de ses difficultés, mais plutôt de s’y appuyer comme sur un pro-montoire, un genre de KaPP de Bonne Es-pérance, essuyant les tempêtes. Comment donc éviter cela, car dès lors qu’il en est ainsi, tout transfert vers une

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autre structure (de soin, scolaire, psycho-thérapique, rééducationnelle...) risque de s’avérer périlleux. En effet, même si cette nouvelle structure (ancienne déjà investie, mais ayant fait long feu) nous a suivi dans la façon dont nous avons élaboré de manière construc-tive, c’est-à-dire en posant un diagnostic, en proposant un dispositif de soin qui tienne la route, à partir de nos sensations contre-transférentielles, elle ne peut occu-per la même place de par sa fonction am-bulatoire. Nous pouvons faire une exception pour les situations où, en accord avec la fa-mille, et avec parfois, chose étonnante, la demande expresse de l’enfant, nous nous dirigeons vers un internat thérapeutique ou une structure d’accueil de l’Aide à la Jeunesse. Les parents auront alors accepté une aide qui tient compte à la fois de leurs difficultés et de leurs souhaits de demeu-rer complètement parents, mais à temps partiel. Dans ces situations, nous avons pu travailler, d’une part, la différenciation et la place dans le rang générationnel, d’autre part, la capacité de la famille à se remettre en question en libérant l’enfant d’une fonction lourde à porter qui a fait de lui le patient identifié. L’induction au changement est alors souvent mise en branle. Nous aurions pu y penser avec Maxime, sa mère et le SSM. La plupart du temps, nous restons dans la difficulté de passer la main car ne peut se passer d’un lieu à l’autre que ce qui a été symbolisé, nommé et donc ouvert. On ne peut faire passer le lien, mais ce qui dans le lien a été travaillé. S’ils ne sont que soutenus par l’équipe, les problèmes familiaux demeurent des élé-ments bruts et improductifs de l’expé-rience. Ils constitueront moins des souve-nirs mentalisés que des faits non digérés, non symbolisés, non disponibles à la pen-sée. La famille pourra parler de l’expé-rience commune mais non des traces qu’elle a laissées au sein de son propre es-pace psychique familial. Si Alberto Ei-guer parle d’un « Divan pour la famille » [2], ce n’est certes pas pour qu’on s’y as-seye avec les patients pour les prendre dans nos bras et les protéger d’un monde extérieur menaçant. Quoique convaincus des approches de Neuburger et Caillé, nous touchons peu aux mythes familiaux souvent en contra-diction avec la phénoménologie quoti-dienne des familles. Nous percevons les doubles liens mis en évidence par Ferreri et Ausloos, nous vibrons empathiquement avec les enfants soumis à divers conflits de fidélité et d’appartenance mise à jour par Boszormenyi-Nagy. Nous y touchons peu.

Le fait est que la massivité de notre prise en charge, le peu d’espace dévolu au tra-vail de la demande, contraints que nous sommes par l’insistance de l’adresse et la médicalisation (on doit guérir l’enfant), par la notion d’urgence, même si nous avons souvent une longue liste d’attente, tout cela fait que nous sommes peu en-clins à nous interroger sur les possibilités de changement de la famille dans l’élabo-ration de notre prise en charge. Dès le premier appel et, a fortiori, dès que nous avons rencontré l’enfant et ses pa-rents, nous nous posons là, là où personne n’est plus, comme ultime essai et dernier recours. Humblement, sans jouer les hé-ros, mais quasi sans condition, en tout cas sans période d’essai, ni jour de rencontre préalable. Comment garder le même engagement, la même multidisciplinarité (pédopsy-chiatres, psychologues cliniciens, ensei-gnant(e)s, logopèdes, psychomotri-ciennes, éducateurs(trices), infirmière, aide-soignante, assistantes sociales en coordination serrée (fonction de la coordinatrice) tout en garantissant à l’issue de la prise en charge une conti-nuité des soins dont nous ne serons plus les garants. Si la famille ne peut être ga-rante de son propre dispositif de prise en charge, qui doit en assurer par la suite la responsabilité ? Que devons-nous faire pour redevenir ho-rizontaux, pour reprendre une place dans le réseau non encombré d’une autorité que nous n’avons plus, d’un pouvoir usurpé à la famille qui paradoxalement nous prête une toute puissance dont nous n’avons ap-paremment que faire ? Ou alors, de quoi devons-nous nous dé-barrasser pour ne pas occuper cette place qui nous encombre tant par la suite ? N’installons-nous pas “à l’insu de notre plein gré”, un dispositif qui nous rend in-dispensables... ? Bref, comment faire trace (ne pas dispa-raître) sans faire tiers (garder une position d’autorité) ? L’intensité de l’engagement, la gratifica-tion des résultats obtenus ainsi que le fait que les parents se sentent redevables à notre égard, nous empêchent trop souvent de lâcher à bon escient, de renoncer à nous repointer là où nous n’avons plus à être. Le KaPP perd-il le Nord magnétisé par sa culpabilité judéo-chrétienne ? Ou alors, perd-il complètement la boussole et se prend-il pour le Nord, égaré par son ego ? Nous travaillons régulièrement à ques-tionner le dispositif interne du KaPP, veil-lant à lutter contre l’augmentation inéluc-table de l’entropie qui frappe toute insti-tution, par la créativité et le réaménage-ment des structures.

Ne serait-il pas temps de reconsidérer la place qu’on occupe dans le réseau de soins afin de réinterroger la raison sociale de notre pratique, les attentes autant en amont qu’en aval ? Ou encore... la valeur ajoutée du KaPP doit-elle toujours se communiquer ? Peut-elle demeurer dans le champ de la liqui-dation du transfert sans être absolument l’objet de transmissions diverses ? Ou du moins peut-on énoncer ce qui est trans-missible et ce qui ne l’est pas ? Le rapport d’hospitalisation doit faire œuvre utile et il n’est l’objectivation que d’une partie de ce qui s’est joué entre nous, l’enfant et les parents. Celui-ci peut être le passage témoin d’un lieu à l’autre. Pour le reste, cela va dépendre du contact et certaines choses demeureront intrans-missibles.

« La vie est une trajectoire... » Il y a dix ans déjà, Anne Mathy, assistante sociale, et Philippe Kinoo, pédopsy-chiatre, se posaient la question de l’aval du KaPP, « Sorties, à quelle adres-se ? » lors du Colloque des Hôpitaux de Jour psychiatriques de Grenoble, repris par la suite dans le livre du KaPP [3]. Ils parlaient à l’époque de la réhabilitation du lien thérapeutique chronique et propo-saient d’imaginer que chaque structure puisse être pour un patient à la fois le de-hors et le dedans, et que celui-ci pourrait changer de lieu en gardant le lien.

Dix ans plus tard, aujourd’hui, comment ne pas encore adhérer à ces propos huma-nistes et généreux ? Et en même temps, le quotidien des hos-pitalisations qui se succèdent et se bous-culent nous permet-il toujours de gérer la noblesse de la chronicité des soins, nous qui sommes happés par l’évènementiel ? Ou encore, garder le lien n’est-il pas une entrave à l’avancée thérapeutique de la fa-mille avec d’autres dans d’autres lieux mais aussi lors d’autres liens ? Le lien qui rassure peut aussi retenir, figer la créati-vité, freiner l’induction thérapeutique... Comment faire ? Comment défaire ? Cela tient à si peu de choses et pourtant cela nous tient à cœur... mais pas trop quand même... Bon on s’arrête quand ?

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Le sujet vieillissant est condamné à la créativité

Jean-Marc Talpin

La créativité et nous Dans la définition de la créativité par Freud (1908), il y a la notion d’« une ca-pacité de faire des fantasmes, une réalité inscrite dans une œuvre et donc parta-geable avec d’autres ». Le fait d’être par-tageable relève d’une sorte de communi-cation. Cette communication relie des êtres humains, elle se situe entre leurs mondes intérieurs, leurs inconscients et, également, entre leur inconscient et leur réalité subjective objective. Par consé-quent, on peut comprendre la créativité

comme un langage symbolique et univer-sel. Cette universalité comprend une in-différence à l’âge, aux symptômes psy-chiques observables et au pronostic. Le monde fantasmatique nous appartient tou-jours. Dans notre travail quotidien, à l’hôpital de jour pour patients atteints de troubles co-gnitifs du Centre Ambulatoire de Psychia-trie et Psychothérapie de l’Âgé (CAPPA) à Genève (PTC en abrégé), nous essayons de garder ouverte la porte à ce monde. Une autre théorie sur la créativité par Mé-lanie Klein (1929) met en avant la fonc-tion réparatrice de la créativité, une force créatrice qui a pour but d’unifier les objets primitivement clivés durant notre petite enfance. Dans notre travail quotidien,

nous ne nous sommes pas basés sur les en-jeux psychodynamiques dans le dévelop-pement des troubles cognitifs. Les objets primaires restaient souvent inaccessibles à une exploration auto- ou hétéro-anam-nestiques. Néanmoins, les contenus et les formes de l’expression de nos patients dans les groupes de médiation nous montrent une force individuelle et déterminée qui tra-verse la problématique cognitive. La force de la créativité, semble-t-il, gardait son aspect réparateur même si les enjeux qui avaient promu le besoin de la réparation étaient inaccessibles. Finalement, Winnicott (1971) a souligné l’importance de la créativité en tant qu’at-titude face à la réalité extérieure, « Je crée donc je suis », disait-il. Pour lui, la créati-vité est synonyme de « vie », « d’être vi-vant », de « se sentir réel » et « sain » ; et ce n’est qu’en étant créatif que l’on peut vivre pleinement. Il s’oppose aux aspects fantasmatiques de la créativité qu’on a vus dans les essais de Freud. Selon Winnicott, « la pulsion créa-tive apparaît aussi bien [...] chez l’enfant retardé [...] que chez l’inspiration de l’ar-chitecte... » et le modèle principal de l’ac-tivité créative est le jeu. Nous avons été attentifs aux notions de fantasmes de nos patients et nous avons essayé avec une réussite modérée voire faible de distinguer les pulsions observées chez nos patients, leurs origines, leurs formes et leurs relations avec la vie quoti-dienne. Quant au jeu, nous avons été at-tentifs. Nous l’avons utilisé quotidienne-ment sans le nommer étant donné la fragi-lité de nos patients quant à la perte de leur autonomie et une certaine “infantilisa-tion” dont ils souffraient dans plusieurs aspects de leur vie. La spécificité du travail avec les patients âgés, atteints des troubles cognitifs modé-rés à sévères est leur accès à l’inconscient qui est plus intuitif et irrationnel. Les ou-blis qui les détachent de leurs souvenirs, de leurs sens de vie et de leurs buts anté-rieurement imaginés. Les oublis les coin-cent dans l’« ici et maintenant » qui est, de son côté, influencé par le passé inac-

Notre monde fantasmatique envahit de temps en temps le monde réel : dans les rêves, dans l’art, dans les gestes, dans les regards et dans le silence. Notre créativité est présente dans tout ce que nous observons, ce que nous changeons, ce que nous construisons et ce que nous sommes. Le processus créatif et le plaisir de la création associé sont probablement les meilleurs moyens dont dispose l’appareil psychique pour lutter contre les effets négatifs des nombreuses pertes rencontrées lors du vieillissement. En ce sens, la créativité, en tant que sublimation (source de plaisir substitutif), est souvent un moyen de pouvoir continuer la création de Soi jusqu’au bout. Mais peut-on encore créer quand les troubles neurocognitifs entraînent la perte des liens avec les représentations, coupant par là même l’accès à la dimension symbolique ? On assiste chez les patients souffrant de troubles neurocognitifs à un retour massif de la psyché au corps et au perceptif. La créativité quitte alors le monde symbolique pour devenir un processus qui permet d’exprimer des sensations et émotions non représentables et non verbalisables. Nous accompagnons nos patients aînés dans l’exploration de leur créativité en mettant en lumière leurs capacités et en les aidant à les mobiliser. Cette invitation entraîne des mouvements propices à l’expression de ce monde intérieur, plus “brut”, pour trouver le chemin menant vers un possible apaisement et pour soutenir l’identité personnelle jusqu’au bout. Nous vous proposons un atelier pour explorer une forme de liberté, à l’instar de nos patients, au-delà des frontières imposées par les symptômes des troubles neurocognitifs. L’hôpital de jour, pour les patients atteints de troubles cognitifs du Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie de l’Âgé (CAPPA) à Genève, se base sur notre observation et notre certitude que la créativité peut toujours être trouvée si nous la cherchons. Nos patients nous le démontrent quotidiennement dans nos groupes de théâtre, de photo-langage, d’habiletés sociales, et dans nos partages formels et informels. Mots-clefs : sénior, démences, créativité, parole, habiletés sociales, photo-langage, théâtre, cinq sens

Oblivions but create and live, now...

Our fantasy world could be spread through the real world: via dreams, via art, in the gestures, in facial expression, in silence. Our creativity is present in everything we see, what we influence, what we shape or what shapes us, in whom we are. The creative process and the associated pleasure of creation probably are the best means the psychic apparatus has to fight against the negative effects of numerous losses experienced during aging. In this sense, creativity as sublimation (unwitting substitution of a satisfaction) pursues the creation of the Self throughout life. Still, are we able to continue to create when neurocognitive disorders separate us from the mental representations, thereby cutting off access to the symbolic dimension? We are witnessing in patients with neurocognitive disorders to a massive return of the psyche toward the body and toward the perception. Creativity leaves the symbolic world to become an instrument of expression of feelings and sensations, often non-verbalizable and non-representable. We encourage our patients in exploring their creativity by highlighting their capabilities and helping them to mobilize them. This leads to the expression of that inner world, more “direct” and “raw”, in order to find the path towards healing and toward a further development of one’s identity, regardless their age and difficulties. Here, we offer one workshop in which we try to explore the creativity beyond the boundaries imposed by the symptoms of neurocognitive disorders. The daily outpatient hospital for patients with cognitive disorders at the Psychiatry and Psychotherapy Centre of the Elders (CAPPA) in Geneva, is based on our observation and our belief that creativity can always be found if we search for it. Our patients demonstrate it on a daily basis in theater groups, photo-language groups, social skills groups, and in “sense in sensations”-groups. Keywords: senior, dementia, creativity, speech, social skills, photo-language, theater, five senses

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cessible. Que faire face à cette incon-gruence, à cette relation entre vivre, ou-blier et créer ? Nous allons démontrer au fil de cet atelier notre méthode, nos questionnements et nos observations.

Les groupes Nous allons présenter quatre groupes, leurs déroulements, leurs objectifs, leur cadre et les exemples sous forme de vi-gnettes cliniques. Tous ces groupes sont hebdomadaires, chaque groupe a des conducteurs fixes, le temps et l’espace sont fixes et les patients sont membres du même groupe passant ensemble deux ou trois jours par semaine.

Groupe Habiletés Sociales Ce groupe se base sur notre hypothèse que l’on peut essayer de contourner des troubles cognitifs en mettant en avant les capacités préservées. Ce cadre contenant va diminuer l’anxiété et permettre à la personne d’exprimer ses ressources. Nos objectifs principaux sont de rester en contact avec le quotidien (« qu’est-ce qui donne envie de se lever le matin ? », « quel plaisir je trouve à vivre ? », « qu’est-ce qui motive et non pas ce que je dois stimuler »), d’échanger les préoc-cupations, de trouver des solutions propres à chacun, et de rester connecté à sa propre créativité. Ce mot créativité les surprend, ils sont déjà “habitués” aux pertes. Nous ne négocions pas avec leurs convictions et leurs peurs, nous les lais-sons découvrir leur créativité au fil du groupe et leur montrons les résultats au bout de la séance. La disponibilité et l’ouverture des con-ductrices sont privilégiées. Elles pour-raient naturellement préparer des thèmes et les aborder les uns après les autres. Néanmoins, nous préférons laisser émer-ger ce qui vient et favoriser la rencontre. Si nous arrivons à amener un climat de confiance par le jeu et la créativité, cela laisse spontanément place aux ressources de la personne. Ce partage permet parfois de rassembler les morceaux épars de sa vie. Quant aux mots, nos patients ont de la peine à exprimer une émotion, ou simple-ment ce qui se passe. Parfois, nous expri-mons les mots de ce que nous avons com-pris pour l’autre en lui demandant si c’est bien cela qu’il souhaite dire (reformula-tion). La règle de l’expression verbale est simple : la liberté de dire ou de ne pas dire. L’ouverture du groupe se déroule toujours par un rituel. Ceci est une façon de retrou-ver le connu, pour se voir et s’entendre - pour se rencontrer. Le rituel est d’abord une cymbale, ou un objet de la nature qui

circule puis une trace de couleur, qui de-viendra une composition du groupe. Cette trace a été utilisée à l’ouverture de cet ate-lier. Nous avons construit une chose en-semble, nous avons vécu l’expérience, nous avons utilisé le geste qui se trans-forme. Ce lien est là, visualisé et nous al-lons le défier à la fin de cet atelier, nous allons vivre ensemble sa transformation au fil de notre rencontre, ici, maintenant. Ensuite, dans notre groupe habiletés so-ciales, nous abordons un thème, ou l’évè-nement du moment, par exemple le mé-tier. Pratiquement nous montrons un geste pour se présenter, un geste pour un métier qui nous a occupé une partie de notre vie, qui deviendra une danse... une chorégra-phie. Par exemple, le geste permet à Mme B. qui ne s’exprime plus par les mots, de nous montrer avec un mouvement ryth-mique du pied, le geste de la pédale de la machine à coudre. Elle a été couturière et elle nous parle de cette partie d’elle. Les participants se lancent chacun à leur tour, l’un a été enseignant, l’autre garde-fron-tière... Et tous ces gestes que l’animateur rassemble à la fin comme une danse de groupe. Un autre exemple : on attrape une idée comme une collègue qui part en vacances, et les proches quand ils s’en vont. Qu’est-ce que ça nous fait ? A un autre moment, peut-être avons-nous “juste” trop chaud : nous essayons de mi-mer cette sensation, de décrire comment on s’habille quand il fait trop chaud. Nous abordons les sujets simples, mais in-dispensables : comment prendre le petit déjeuner, le décrire, le mimer et, égale-ment, nous, boire le café pendant le groupe. Ou encore une appréhension en cas d’en-trée en maison de retraite. Par exemple M. R., actuellement seul et handicapé à la maison, raconte combien c’est difficile de ne plus retrouver ses amis au parc pour jouer aux boules. Son voisin dans le groupe, qui lui est déjà rentré en EMS et continue à venir au groupe, lui raconte que dans son établissement, il existe un groupe de boulistes. M. R. l’écoute inté-ressé. En résumé, on essaie de créer un climat de jeu, d’ouverture, qui nous semble être fa-vorable à l’accueil des propositions des participants. On observe que ce dispositif met les personnes en confiance et leur per-met d’exprimer leurs ressources.

Groupe Photo-langage Ce groupe est en forme de cercle, au mi-lieu il y a une table. Sur la table, il y a une dizaine de photos. L’objectif est simple : choisir une photo et se prononcer sur ce choix, ensuite la faire circuler dans la salle et écouter les commentaires des autres.

LES AUTEURS Dresse Dragana FAVRE Eric LAUBER Catherine GARDIOL Dr Aimilios KRYSTALLIS Hôpital de jour pour les patients atteints de troubles cognitifs (HdJ-PTC) Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie de l’Âgé (CAPPA) Hôpitaux Universitaires de Genève 10, rue des Épinettes 1227 Acacias Suisse

BIBLIOGRAPHIE

1. DE MIJOLLA A. (2013), Dictionnaire interna-tional de psychanalyse, Grand Pluriels Hachette, 2122 pages. 2. FREUD S. (1907), Der Dichter und das Phan-tasieren, Erstveröffentlichung: Neue Revue,Bd. 1 (10), 1908, S. 716-24. Gesammelte Werke, Bd. 7, S. 213-223, 1908. 3. KLEIN M. (1929), Infantile anxiety-situations reflected in art, creative impulse, Int. J. Psycho-anal., 10:436-443. 4. WINNICOTT D. W. (2005), Playing and real-ity, London: Routledge; 2 edition (November 11, 204 pages.

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Oublis et vivre, créer au présent l’après

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Il est facile d’expliquer, facile de com-prendre le but initial : faire des associa-tions, partager, échanger. Néanmoins, c’est le choix qui signifie. Le choix leur appartient – c’est cette photo-là qui a réussi à détourner leur attention, de lui consacrer une, deux secondes de plus. Durant une seconde, nous avons été là, de-vant ce choix et durant cette seconde, nous avons été tous là, synchronisés. Nous nous sommes réveillés de nos rêve-ries sur le passé, de notre flottement dans le fil du temps, nous sommes juste là. En-suite, nous nous perdons à nouveau, cha-cun avec son histoire, ce que l’autre écoute ou pas. On la passe, la photo. Ce que nous observons, nous sommes là du-rant les commentaires d’autrui sur notre choix. Tout à coup, le choix, même si nous nous sommes prononcés sur son ca-ractère randomisé, il devient notre choix. Ce que l’autre dit est important. Tout à coup, nous élargissons notre attention de quelques secondes. L’autre est là, dans notre vie personnelle, il ose faire des com-mentaires sur notre choix. Ceci est le moment que nous, les conduc-teurs, aimons le plus, la concentration éle-vée, l’appropriation de notre choix, les pe-tits gestes pour le protéger. Tout à coup, nous sommes auteurs de quelque chose qui se passe - nous avons produit quelque chose et cette chose a une influence sur les autres. Nous sommes importants. Nous donnons un puzzle de nous. Il circule, nos patients le récupèrent. Le cercle se com-plète presque chaque fois. On regarde notre photo encore une fois avec un nou-veau regard. Les autres l’ont modelée, modifiée, épicée. Nous regardons souvent les réactions avec les photos qui se répètent, qui prend la même photo d’autrefois, quelle est la nouvelle association et qui se l’approprie cette fois. Comment réagit la personne dont le choix a été “pris” ? Par exemple, une image de cercles con-centriques, une vue sur les escaliers de l’étage supérieur. Le patient avec une aphasie et des troubles cognitifs débu-tants, probablement atteignant l’aire fronto-temporale, M. S., nous fit part de son admiration d’une image, selon lui, parfaite, un équilibre harmonieux et natu-rel. La semaine suivante, la patiente avec une démence à corps de Lewy, Mme P., la choisit. Elle la décrivit comme un cercle perforé, une activité artistique artificielle ressemblant aux oreilles perforées des femmes en Éthiopie. M. S. reconnaît son image d’autre fois, décidant de ne pas la décrire à nouveau. Le patient atteint de démence vasculaire, M. F., la décrit en-suite, il s’oppose à la patiente Mme P., en décrivant « un équilibre harmonieux ». La discussion s’intensifie.

Nous regardons aussi les motifs qui se ré-pètent dans les choix de certains patients. Est-ce que les choix similaires suscitent forcément les mêmes associations ? Mme I. choisit les animaux. Elle trouve une gentillesse chez les lions et chez les tigres, une tranquillité chez les serpents, le regard calme chez les chats. Une fois, alors qu’il n’y a pas d’animaux, elle choi-sit une fille asiatique et décrit sa colère derrière ses larmes. Les autres patients voient une tristesse chez cette fille. Mme I. insiste sur la colère. Mme I. est atteinte d’une démence très avancée. Elle oublie régulièrement que son fils cadet est mort dans un accident en juin cette année et qu’il avait une fille mineure avec une femme thaïlandaise que la patiente n’a ja-mais vue. Une fois, Mme I. choisit un vieil homme. Les autres patients le trouvent dur, inquiet, en pleurs, dramatique. Mme I. trouve que le vieil homme est content, qu’il a trouvé la tranquillité dans la vieil-lesse. Elle construit un récit sur sa vie. Sa voisine dans le cercle change l’opi-nion : « oui, cet homme est tranquille ». Parfois, on se pose la question. Ces asso-ciations sont-elles influencées par le quo-tidien (comme chez Mme B. qui choisit la femme qui pleure 5 jours après le décès de son époux, le décès qu’elle nie, s’oppo-sant à aller aux funérailles et riant avec les patients de son groupe) ou par une pul-sion, un désir (Mme L. qui cherche sa fa-mille dans toutes les images, dans les fleurs, les chiffres, les jouets), ou par une force inconsciente (Mme P., envahie par la réalité qui change autour d’elle et qui décrit l’image de pissenlit comme le sym-bole de filiation et du recueillement des connaissances que le groupe transmet, ou les feuilles comme le cycle de vie, le fait qu’une feuille tombe sur le terrain fertile pour renaître pour coloniser le territoire). Est-ce que ces descriptions et ces récits parlent de leur intérieur et de leur créati-vité ou de leur besoin de savoir, de con-naître, de nous impressionner ? Les pa-tients qui avaient eu une carrière dans le domaine intellectuel, technique, artis-tique, se trouvent souvent perdus dans les définitions sans structure, dans le brouil-lard d’informations et d’un message très clair de vouloir transmettre, garder, pré-server les connaissances d’avant. On est également attentifs à ceux qui s’adaptent, qui utilisent ce qui a été dit au-paravant (les photos répétées, les choix ré-pétés), à ceux qui oublient, aux associa-tions liées au passé et celles liées à notre Hôpital de Jour-PTC.

Vignette clinique Madame ME. présente une démence à corps de Lewy (DCL) qui se manifeste

notamment par des troubles du comporte-ment (une agressivité verbale et une irri-tabilité surtout l’après-midi), des halluci-nations visuelles, une désorientation tem-porelle et surtout une fluctuation impor-tante de ces symptômes. Le maintien à do-micile devient difficile en raison des troubles du comportement. Néanmoins, la famille de la patiente, notamment son époux, n’accepte pas une hospitalisation, ni un placement dans une maison de re-traite. Il faut noter que la patiente est par-tiellement anosognosique et que l’époux et la patiente démontrent un haut niveau socio-éducatif. Ils connaissent les symp-tômes de la démence à corps de Lewy et les décrivent bien. Néanmoins, l’époux banalise les difficultés dans l’optique du fonctionnement quotidien et notamment le style de vie du couple qui est radicale-ment changé. L’irritabilité et une appré-hension diffuse et chronique s’avèrent être en phase avec ce que l’investigation de la psychopathologie prémorbide révèle comme étant des traits anankastiques. D’un autre côté, un haut niveau socioédu-catif masque les symptômes durant les moments de nadir de sa maladie fluc-tuante. Ceci permet à l’époux de la pa-tiente de la resocialiser et de l’amener à l’opéra, au théâtre et en vacances. Cepen-dant, une surexposition de la patiente aux matériaux culturels et scientifiques creuse l’écart entre elle et ses anciens amis. Le contraste est difficilement abordable, la patiente n’arrive pas à l’exprimer et son époux le nie, cherchant de l’aide dans les traitements médicamenteux (notamment la rivastigmine). Les entretiens du couple et de famille n’ont qu’un effet transitoire, la patiente ne pouvant pas exprimer ses sentiments et se renseignant uniquement sur les aspects techniques de la prise en charge. Comme les traits de la personna-lité font partie intégrante de la personne et ne sont pas facilement endigués par un traitement pharmacologique destiné à ré-duire les symptômes de la démence, nous avons décidé d’utiliser le cadre stable et rigide qui était sécurisant et contenant pour la patiente. Nous n’avons pas pu ré-duire la fluctuation des symptômes sans une stabilisation de son entourage, au moins celui qu’on a pu contrôler. Ensuite, nous avons introduit la patiente aux groupes d’expression théâtrale et de photo-langage. Les rituels et le cadre ai-daient pour une intégration. Une fois ayant trouvé sa place, nous avons donné la chance à la spontanéité. Cette patiente donnait initialement des réponses très soutenues, dénuées de charge émotion-nelle. Au fil de la prise en charge, le con-cept de “contraste” a commencé à appa-raître, le contraste entre le naturel et l’ar-tificiel, entre les fleurs fanées et les fleurs

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qui colonisent le territoire, entre les ponts sur les glaciers et les glaciers. Ne pouvant pas nous communiquer sa souffrance à cause de sa symptomatologie et, proba-blement, ses traits de personnalité, elle a trouvé un moyen de nous raconter des his-toires mises en scènes par son incons-cient. Ses métaphores et ses récits nous ont aidés à trouver son alliance durant les entretiens de couple et de communiquer l’importance d’un rythme tranquille.

Groupe théâtre L’activité théâtrale consiste à placer des personnages dans une situation fictive et de les faire réagir. Elle demande un inves-tissement au niveau cognitif, émotionnel et physique. Elle requiert des participants de réagir véritablement à des situations fictives, stimule la concentration, la mé-moire, demande de la confiance au groupe, une présence sur scène, de pren-dre des risques et ainsi renforce la con-fiance en soi et en l’autre et favorise les interactions sociales. S’amuser en faisant du théâtre, permet de dédramatiser la maladie, les troubles asso-ciés, en reprenant confiance en soi, les choses redeviennent possibles. Quant à l’apport de l’activité théâtrale, notamment dans le travail avec les pa-tients atteints des troubles cognitifs, nous soulignons son rôle pour améliorer la communication. L’improvisation permet un travail sur la diction. Elle stimule l’adaptabilité pour répondre au jeu à l’autre. Pour être prêt à réagir, il faut écouter l’autre, être attentif. Le plaisir de jouer sera trouvé dans cet échange, ce par-tage d’un moment ludique. Etre sur scène, c’est communiquer entre acteurs, mais également entre acteurs-spectateurs (im-portance de changer de rôle). L’activité théâtrale stimule également le travail corporel. Jouer dans l’espace, c’est créer le mouvement, apprivoiser les rythmes et développer les réflexes. Possi-bilité d’imiter l’autre, mais en tenant compte de son corps, de ses possibilités physiques rend l’interprétation unique, et l’exposition du corps au regard de l’autre, nécessite d’avoir confiance en soi, au groupe. La socialisation demeure un des rôles principaux. Le plaisir d’être en groupe, de travailler ensemble. Le plaisir d’être vu, le plaisir de voir l’autre. Nous revenons toujours à l’importance du travail émotionnel. L’imaginaire permet l’accès aux émotions, à la mémoire des émotions. Grâce au jeu, les émotions sont vécues réellement, mais avec un écart par rapport à la réalité. S’identifier aux per-sonnages permet un travail des émotions. Le jeu théâtral demande la mobilisation

des souvenirs, des sentiments et de l’ima-gination. Se dominer, se maîtriser pour jouer, mais également accepter les frustra-tions liées au jeu, ses limites, ses difficul-tés. Ce qui est spécifique pour l’activité théâ-trale est l’invitation de changer les re-gards. Les troubles cognitifs n’empêchent pas de jouer au théâtre, il y a une place pour chacun en fonction de ses possibili-tés. Créer en fonction du groupe auquel on appartient, besoin de se comprendre, s’ai-der dans l’action. Face au regard de l’autre, il faut trouver sa place, se situer par rapport à l’autre. Enfin, il ne faut pas sous-estimer les bé-néfices de la créativité. Le jeu stimule les fonctions cognitives. Les participants doi-vent élaborer un scénario, le construire dans leur tête, puis le réaliser. Ils doivent tenir compte de l’autre et se repositionner, s’adapter à nouveau en fonction de l’autre. Le jeu permet de proposer des ré-ponses nouvelles aux difficultés : adapta-bilité. Les objectifs de notre groupe théâtre sont divers. Nous ciblons à améliorer la moti-vation à participer aux groupes. Par le jeu, l’aspect ludique, il s’agit de faire naître le plaisir d’être ensemble, de susciter l’at-trait, la curiosité prompts à favoriser la mobilisation et la motivation à participer. Nous favorisons les interactions. Il s’agit de se placer dans l’ici et maintenant et de favoriser l’échange des ressentis, des émotions, des pensées. Etre sur scène, se mesurer aux regards des autres permet d’explorer ses émotions et apprendre à les maîtriser. La première tâche est de “mettre en mou-vement”, par l’improvisation, par l’ab-sence de décors, de costume, elle de-mande de développer le gestuel par la pos-ture physique. Par moments, nous “oublions” la maladie. La maladie entraîne une perte d’autono-mie. Ne pas stigmatiser le malade, lui re-donner un rôle en fonction de ses possibi-lités, permet de redonner de l’espoir, rendre possible les choses en s’adaptant, en reprenant confiance en soi, en l’autre... On peut se soigner en s’amusant, dédra-matiser les soins. Selon nos observations, ceci aide à amé-liorer la mémoire, par l’apprentissage des stratégies, en utilisant le support de l’ex-pression artistique et le travail sur les émotions. Le rôle du thérapeute est d’être garant du cadre (lieu, horaire, organisation, respect, sécurité...) ; de “toujours faire semblant” (les situations sont fictives, les person-nages sont imaginaires) ; de donner des indications, de ne pas diriger, ne pas im-poser les rôles (il ne s’agit pas de faire un spectacle). Le thérapeute renforce le

groupe, permet l’expression du vécu, fa-vorise les échanges lors du jeu et après le jeu. S’il prend un rôle d’acteur, il joue un rôle différent, sur joue les émotions, prend de la distance pour donner l’exemple. Ce qui demeure l’essentiel est que le théra-peute accepte de ne pas avoir le contrôle sur tout. Il ne sait pas ce qui sera joué, ni comment, ni par qui. Il ne s’attend pas à un résultat artistique. (En annexe, une description détaillée du déroulement d’une séance du groupe théâtre)

Quelques actrices qui ont marquées la parenthèse théâtrale

Paulette et son comique Mme O. est une patiente souffrant d’une démence dans le déni de ses difficultés quotidiennes à domicile, palliées par son fils vivant à proximité et lui-même rédui-sant l’importance des troubles. Durant les groupes de l’Hôpital de Jour, madame ne participe pas aux échanges, évoquant des problèmes d’audition tout en précisant son refus d’être appareillée. En cas de de-mandes insistantes, elle demandera à aller aux toilettes et quittera le groupe. Durant les moments informels, les problèmes d’audition disparaissaient en l’absence des soignants. Au groupe théâtre, madame participe comme spectatrice, refuse de monter sur scène pour jouer. Après quelques séances, madame accepte mais sous l’identité de Paulette et prend du plaisir à faire rire les autres, plaisir qui restera intact jusqu’à la fin de sa prise en soins. (C’est à ce mo-ment qu’on réalise l’importance du nom de scène et qu’on le généralise à l’en-semble du groupe). Elle se montrera à l’aise dans l’improvisation quelles que soient les sujets abordés, allant même à improviser sans connaitre le sujet. Dans les autres groupes, madame ne change pas d’attitude, sauf si on l’appré-hende par le biais de l’humour. Lors des moments informels, madame se montre plus participative en présence des soi-gnants.

Madame la marquise et son souci de la diction Une patiente, Mme D. est diagnostiquée « Démence débutante », malvoyante et dépressive, en retrait à domicile depuis le décès de son mari et en conflit avec ses enfants qui la sollicitaient pour sortir de son lit. Durant les groupes, madame ne s’exprime que sur demande et de manière limitée. Au théâtre, Madame la Marquise ne peut prendre toute sa place comme spectatrice, ne voyant pas les autres sur scène. Mais lorsqu’elle intervient comme actrice, ma-dame peut exprimer son ressenti, ce

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Oublis et vivre, créer au présent l’après

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qu’elle pense de sa situation, ce qu’elle ai-merait, ce, par le biais de son personnage. Elle prend confiance envers les soignants puis le groupe et participe plus aux échanges sans être sollicitée.

Cerise et son franc-parler Mme B. présente des troubles cognitifs débutants et une dépression sévère avec beaucoup de dévalorisation et une perte d’élan vital. Elle se montre réticente à ve-nir à l’Hôpital de Jour et ne prend plaisir qu’à se mettre à distance de son conjoint avec qui elle a des conflits. Cerise accepte de venir pour voir les autres, exprime son peu d’envie, mais se montre intriguée par les possibilités des autres malgré leurs troubles. Elle accepte de participer après quelques séances et se montre très convaincante, parvenant à ex-primer sa colère refoulée. Elle reprend confiance en elle et prend du plaisir à voir les autres et à jouer des rôles de composi-tion où elle s’exprime avec force ou pro-vocation. « C’est dingue ce que l’on est capable de faire », c’est la phrase que Ce-rise répète à la fin de chaque groupe théâtre. Après trois mois, madame part en va-cances et arrête son suivi, les tensions avec son conjoint sont moindres, sa dé-pression est en régression et l’envie d’en-treprendre retrouvée.

Mary Lou et sa sensibilité Mme L est une patiente présentant une maladie d’Alzheimer avancée, s’expri-mant avec difficulté et présentant des fausses reconnaissances importantes gé-nérant des conflits avec les autres patients qui gardent leur distance et ne discutent pas ou peu avec elle. Au théâtre, Mary Lou refuse de prendre plaisir à regarder les autres. La compré-hension des consignes est difficile voire impossible et elle n’agit que par mimé-tisme. Après quelques demandes, ma-dame accepte de venir sur scène en expri-mant son incapacité de jouer mais elle se sent en confiance d’être avec un soignant malgré les remarques des autres patients sur son incapacité. Elle ne comprend pas le thème mais se laisse guider par le soi-gnant qui s’adapte. Ses mimiques, les qui-proquos font fuser les éclats de rires au-près des spectateurs et la scène se termine sous un tonnerre d’applaudissement et d’émotions.

Dès lors les fausses reconnaissances de-viennent non plus une source de conflits avec les autres patients, mais des mo-ments d’acceptation et de complicité.

Groupe essence du sens Ce groupe est issu d’une perplexité abor-dée par les patients concernant l’évoca-tion des 5 sens. Nous avons décidé d’ex-périmenter de manière plus consciente nos sensations aux moyens techniques adaptés à chaque sens. Notre hypothèse est qu’un lien entre les patients, une place dans le groupe au travers de leurs ressen-tis, une ouverture aux autres façons de voir, sentir, entendre, toucher et goûter peuvent aider à appréhender une meil-leure compréhension de soi et une plus fa-cile compréhension d’autrui. Nous utilisons des objets, des couleurs, des sons, des photos, des odeurs et des matières. Nous jouons avec les contrastes (par exemple : chocolat-citron, poivre-yaourt), avec les surprises (la peau de mandarine dans le sac noir), les objets pu-tativement dangereux (foulard attaché), les pulsions libidinales (les parfums homme vs femme), la confiance (goûter les yeux fermés), l’orientation (écouter l’autre les yeux bandés). L’échange ver-bal est continuel, il y a une liberté d’ex-pression. Parfois les groupes sont chargés d’émo-tions intenses. Par exemple, la demande d’écrire un sms magique aux membres de la famille. Ces messages-sms ont été in-fluencés suite aux différentes images pro-posées aux patients. Les patients ont été encouragés à écrire ce qu’ils veulent à ceux qui leur manquent (pas forcément les vivants). Une fluidité de parole et une au-thenticité partagée marquent ce groupe qui ouvre la semaine de l’hôpital de jour et l’influence. Les sms ont été une ouver-ture à une exposition aux sens liés à la fa-mille (la pomme cuite avec cannelle, la chanson de C. François : « Si j’avais un marteau », les photos jaunies...). Parfois, les patients peuvent juste partager un morceau de pain afin d’inciter la dis-cussion autour de l’intimité et les relations de couple. Au fur et à mesure de l’avancée de ce groupe, nous nous sommes rendu compte que les sujets dont on a peur : les conflits, le contrôle, le respect, les hommes et les femmes sont en fait les su-jets dont nos patients ont le plus besoin de

parler. Le fait de s’éloigner d’une vie ha-bituelle et dynamique ne signifie pas le besoin de simplification des thèmes abor-dés.

Discussion Nous avons présenté certains aspects de notre travail quotidien. Nous avons ap-proximativement 12 patients par pro-gramme et il va de soi que nous nous adaptons continuellement. Néanmoins, un fil conducteur persiste, quels que soient la salle, le cadre, quels que soient les visages des conducteurs, il s’agit d’un espace con-tenant où l’angoisse n’est pas persona non grata mais où elle se perd spontanément. Nous sommes convaincus que le fait d’être ensemble, non-jugés, libres, mais aussi encouragés à s’exprimer, aide à dé-bloquer la porte de l’inconscient. Et une fois cette porte ouverte, nous avons accès à une richesse et à des ressources inesti-mables. Néanmoins, certaines questions demeu-rent. Est-ce que la créativité est un danger pour nos patients ? Peuvent-ils oser flotter dans l’imagination ? Craignent-ils cette imagination, cette ouverture vers le jeu ? ... Et s’ils se perdaient ? ... Et si cela les éloignait ? ... Et s’ils ont passé leur vie en-tière afin de refouler ce besoin de rêver ? Où est la frontière entre le choix conscient et l’inconscient ? Finalement, est-ce que la démence avancée est forcément une porte vers l’inconscient ou est-ce un leurre qu’on aime conserver ? Nous réfléchissons continuellement sur ces questions. Nous sommes sûrs qu’être ici et maintenant est un pas supplémen-taire vers les réponses.

Conclusion La créativité, comme décrite ci-dessus, est un pont entre l’inconscient et le cons-cient, entre les inconscients, entre les rêves et les jeux. Il ne faut pas oublier que nous, les conducteurs des groupes, les soi-gnants, nous participons avec notre passé, nos associations, nos personnalités. Nous les amenons, nous les dispersons, nous les échangeons. Nous créons une vie du groupe pour le faire évoluer, nous avons besoin de l’ex-plorer et de la partager avec nos collègues.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 132

Annexe 1

Déroulement de la séance

Le groupe est animé par deux soignants au minimum. Il est ouvert afin de pouvoir bénéficier de l’appui des pairs aidants. La pièce comprend un espace libre pour les exercices corporels, les discussions et un espace théâtre avec scène, coulisses et places spectateurs. La séance dure 90 min. La séance comprend cinq moments : 1- Comment ça va ?

- Tour d’horizon des personnes - Prise en compte de l’atmosphère, de l’état émotionnel du groupe. - Être dans « l’Ici et Maintenant »

- Durée 5 à 10 min

2- Tour de chauffe • Exercices corporels

- Mouvements dans la salle - Mobilisations des membres - Associer gestes et paroles - Mimiques/masques

• Exercices vocaux - Exprimer les émotions - Chants - Imitations - Respirations

• Exercices en cercle - Passer la parole - Jeu de mots - Écoute active - Thèmes

- Durée 20 à 30 min

3- Seul sur scène - Travail le lien. L’acteur part des coulisses et monte seul sur scène, sans rien dire. Il crée et garde le lien avec le public jusqu’au retour dans les coulisses. Évaluation du ressenti.

- Durée 10 à 15 min

4- Jeu d’improvisation - Se fait toujours à deux - On joue un rôle, un personnage fictif dans une situation fictive. (change les prénoms) - Sur scène, pas de décors, pas de costumes, pas d’accessoires

- Durée 20 à 30 min

5- Comment ça va ? - Tour d’horizon des personnes après avoir passé la séance ensemble. - Modifications ou non des points de vue, de la situation.

- Durée 5 à 10 min

Annexe 2 Avec l’accord des participants de notre atelier, nous présentons deux illustrations du travail du groupe habiletés sociales. Nous avons demandé aux participants du colloque à Caen de faire une trace (Traces 1 et 2) spontanée durant notre présentation. Nous avons présenté notre travail à deux reprises. La première présentation a eu plus de participants et un échange plus vif. Durant la deuxième présentation qui a enchainé la première et qui s’est déroulé à la fin de journée, les animateurs ont été plus fatigués et moins de gens ont y participé.

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Oublis et vivre, créer au présent l’après

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Trace 1

Première présentation

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

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Trace 2

Deuxième présentation

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 135

Permettez-moi, tout d’abord de remercier le Docteur Genvresse et son équipe pour leur accueil dans cette belle ville de Caen, pour leur organisation sans faille et leur disponibilité tout au long de ces deux jours de Colloque. Permettez-moi également de le féliciter pour son initiative de doubler les ateliers afin de permettre un partage plus long des expériences et des vécus. Cela a amené du dynamisme et une mise en mouvement pour le coup aussi pratique que symbo-lique. Je m’en voudrais aussi de ne pas avoir une pensée pour celui qui m’a lancé dans l’aventure des hôpitaux de jour, le Doc-teur Jonard. Venons-en à la synthèse. A la première lecture des arguments de cette année, je me demandais bien par quel bout nous allions aborder la vaste question posée par le Docteur Genvresse sur les tensions entre programmes, créati-vité et adaptabilité en hôpital de jour. Comme l’argument proposait un plon-geon dans le temps, à l’époque des pre-miers hôpitaux de jour, revenons donc à la situation qui prévalait à cette époque. Les patients psychiatriques étaient soi-gnés dans des structures asilaires très lourdes dans un modèle de soin asymé-trique où il est vrai que la liberté du ma-lade et la vie quotidienne et dans la com-munauté étaient systématiquement mises de côté. Viennent alors les psychothérapies insti-tutionnelles et les hôpitaux de jour. Ils s’adressent comme alternative à l’hôpital psychiatrique sur le fond et sur la forme. Ils proposent des soins différents. Ces soins sont d’abord plus ouverts ; ouverts sur le monde bien sûr, et sur la vie dans son milieu, ce qu’aucun autre mode de prise en charge ne permettait à l’époque. C’était, et c’est toujours, une révolution. Face à la maladie mentale, l’hôpital de jour se présente donc comme une struc-ture d’ouverture, de dés-hospitalisation et, déjà, de dé-psychiatrisation au sens le plus noble du terme. Le deuxième sens de l’ouverture, et on l’a beaucoup entendu dans les ateliers, c’est celui de l’ouverture des possibles pour le patient. Dans cette époque où il n’existe aucune alternative à l’hospitalisation, la possibilité de vivre “une vie normale”

était une énorme avancée pour les pa-tients comme Muriel Reboh-Serero nous l’a rappelé. Après cette phase d’alterna-tive à l’hospitalisation, l’hôpital de jour est devenu le lieu de postcure puis, au-jourd’hui, devenu un espace de suivi in-termédiaire qui peut encadrer le patient pour un temps, de plus en plus court. Cet espace de vie, comme le caractérise Mu-riel avec justesse, nous amène à un deu-xième principe de base : la convivialité. Quand le Président Monney interroge le Docteur Rœlandt sur le travail groupal, je pense que c’est cette dimension qu’il aborde aussi. L’hôpital de jour est un lieu de convivialité, de vie sociale pour les pa-tients de plus en plus isolés, éloignés du travail, et d’une société féroce pour la-quelle ils ne sont pas toujours armés. Avec le développement des équipes mo-biles en Belgique, qui se rendent sur le lieu de vie du patient qui n’a souvent pour seul contact que ce passage mensuel, j’ajouterai même un point : l’hôpital de jour est la structure la plus adéquate dans de nombreuses pathologies psychia-triques car il offre cette convivialité et cette socialisation par le groupe que le contact individuel de la visite au domicile ne permet pas. A ces deux prérequis, j’en ajouterai un autre : la temporalité de l’hôpital de jour. Elle est pour moi spécifique et double : il y a la temporalité du quotidien, on rentre chez soi, l’hôpital de jour a une fonction structurante pour des patients qui, parfois, ne quittaient plus leur lit ou ne sortaient plus de leur chambre comme nous l’a ex-pliqué Muriel Reboh-Serero. L’autre temporalité, et je la relis à l’ouverture, c’est celle du temps du soin dans un sys-tème de santé de plus en plus statistique et technique. Quand on entre en hôpital de jour, un autre temps s’ouvre : celui du pa-tient. On l’a entendu plusieurs fois dans les ateliers : se mettre au rythme du pa-tient. Contrairement à ce que nous a dit le Doc-teur Rœlandt, les hospitalisations très brèves, les soins à domicile, l’aide dans la famille, ne sont pas toujours des disposi-tifs les plus adaptés au patient. Si on veut une clinique centrée sur les besoins du pa-tient et pas sur la structure de soin exis-tante, comme il la propose, il faut, c’est

vrai, disposer de plus de moyens théra-peutiques mais aussi se centrer sur la tem-poralité du patient, sur le temps qui lui est nécessaire à lui. C’est la grande lacune de la pensée de l’Organisation Mondiale de la Santé avec celle de l’inexistence de la maladie mentale : c’est celle de s’imagi-ner que tout patient bénéficiera de la même manière et dans le même temps des mêmes soins. C’est l’uniformisation des soins en santé mentale face à la variété des situations pathologiques. L’hôpital de jour, par son dispositif souple et adap-table, a toute sa place dans un dispositif de soins en santé mentale. Le représentant des autorités de l’agence de soins de Basse-Normandie nous a d’ailleurs rappelé combien la structure de soins de jour s’inscrivait également dans un système large de soins de santé dont la contingence imprime leur marque sur le fonctionnement respectif. Ajoutons qu’il nous faut sans cesse rappeler combien l’hôpital de jour est quelque chose d’autre que l’hospitalisation ou l’ambulatoire pur avec ses propres besoins, sa propre tem-poralité, ses patients qui ne sont pas spé-cialement ceux des autres types de struc-tures. Ces deux structures partagent des points communs, Muriel Reboh-Serero nous a aussi rappelé leur grande diversité selon les modèles théoriques, la situation administrative, la géographie des lieux et les alentours, le personnel de soins, les pathologies des tranches d’âges suivies, l’articulation favorisée avec la revalida-tion et la réhabilitation. Voilà une preuve du mouvement de réflexion permanent des hôpitaux de jour : il y a quelques an-nées, ce type de concept n’était pas abordé au Colloque. C’est la preuve de l’adaptabilité, on y revient, de nos struc-tures aux exigences administratives et so-ciétales modernes. La construction de l’avenir est aujourd’hui centrale dans les soins de jour, comme l’a rappelé Muriel, et l’hôpital de jour va employer une large palette de moyens tournés vers la créati-vité, d’activités différentes de travail, comme le rappelait un atelier ce matin, par l’absence d’une demande de produc-tivité et de résultats en termes de rende-ment, mais dans le souhait de permettre au patient de construire son projet et d’y adhérer à son rythme. Dans ce cadre,

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 136

l’hôpital de jour peut être vécu par le pa-tient comme une rupture dans sa demande de normalisation, comme réappropriation progressive de son projet de vie. Muriel Reboh-Serero nous a aussi donné une liste de tensions qu’elle avait identi-fiées dans les fonctionnements des hôpi-taux de jour. Je vous la livre en vrac : ten-sions entre processus d’appartenance et processus d’autonomisation, entre théra-peutique et éducatif, entre ancrages et changements, entre soins et réinsertion, entre processus et résultats, entre imper-méabilité et perméabilité, entre clinique et administratif. L’équilibre doit être constamment recherché entre la tension, nécessaire au changement, tant pour le patient que pour l’institution et le flotte-ment, afin de soigner le patient et de gar-der la qualité de l’institution. Comme le disait un atelier ce matin, si l’hôpital de jour avait un Dieu, ce serait Janus, le Dieu à la tête unique et aux deux visages, Dieu du changement et de la transition. Le Docteur Lemaire nous a parlé d’un élément central dans le travail en hôpital de jour moderne : la concertation. S’il veut s’inscrire dans le parcours de soin du patient, l’hôpital de jour ne peut se passer de ce tissage qu’est la concerta-tion autour et avec le patient et ses proches. Son idée de mettre ensemble les problèmes pour leur trouver une solution illustre bien la nécessité d’un travail par-tagé autour du patient. Il nous est aussi rappelé quelque chose qui peut représen-ter un obstacle majeur dans l’accompa-gnement de nos patients : c’est plus ou moins difficile pour les professionnels que pour les patients de se concerter, ver-sion moderne de la “résistance et du côté de l’analyste” de Lacan. La présentation du courant antipsychia-trique anglo-saxon par le Docteur Rœlandt nous a proposé un point de vue original : il n’y a pas de maladie mentale, il n’y a que des troubles du social. A l’op-posé de l’antipsychiatrie francophone qui a donné naissance aux psychothérapies institutionnelles soucieuses de faire chan-ger les institutions de l’intérieur, le mo-dèle anglo-saxon propose de les suppri-

mer pour concentrer ses efforts sur le so-cial. Si nous ne pouvons qu’être d’accord avec l’idée qu’une société en souffrance produit du trouble psychique, on ne peut évidemment pas oublier le double-sens de cette affirmation : le trouble psychique produit aussi du trouble social, ce que semble oublier le Docteur Rœlandt. Et c’est là encore la place des hôpitaux de jour, au carrefour du social et du médical, de la société et de l’hôpital, de l’activité et du soin. Plus ironiquement, le Docteur Rœlandt a raison sur un autre point : si un schizophrène ne rencontre jamais un soi-gnant, il ne saura jamais qu’il est malade. En effet, comme le rappelait un atelier de ce matin, c’est dans la rencontre que se produit l’élaboration. Les symptômes ne peuvent pas être extraits de la dimension d’échange et de réflexivité, du transfert. C’est là qu’est l’ouverture au possible. Le modèle de soins sans rencontre du Doc-teur Rœlandt nous prive de ce qui fait le soin. Mais si le Docteur Rœlandt avait participé aux ateliers aujourd’hui, il pour-rait être rassuré. Il existe des structures où le patient est respecté comme être humain et citoyen, où les responsabilités de son bien-être lui sont confiées, où son entou-rage est entendu, où l’activité est considé-rée comme un droit, où l’accompagne-ment permet au patient, qui n’y serait pas arrivé sans cela, de retrouver le chemin de la réintégration. Ce sont les hôpitaux de jour, vos hôpitaux de jour. Dans les ateliers de ce matin, la créativité était omniprésente : dans les films, dans les productions artistiques, dans le travail à la ferme, dans la photo, et j’en passe, nos patients peuvent se confronter à leurs possibilités et les repousser. Nos struc-tures se sont toujours adaptées aux con-tingences administratives et légales mais aussi aux besoins différents des patients, arrivant avec des demandes, des con-textes, des attentes différentes. Merci à tous durant ces deux jours d’avoir partagé votre créativité, d’avoir montré votre adaptabilité. Finalement, l’argu-ment de cette année nous a permis un beau voyage au Pays des Possibles.

L’AUTEUR Dr Xavier De LONGUEVILLE Psychiatre Hôpital de jour du Beau Vallon Rue de Bricgniot, 205 5002 Saint-Servais Belgique [email protected]

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Synthèse des questionnaires d’évaluation

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 137

Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation

I - Composition du public présent au Colloque

1 Personnel soignant : aide-soignant, cadre supérieur de santé, cadre de santé, infirmier ; Personnel paramédical : aides mé-dico-psychologique, art-thérapeute, agent des services hospitaliers qualifié, assistant en psychologie, ergothérapeute, kinésithé-rapeute, psychomotricien, logopédiste, psychologue ; Personnel médical : chef de clinique, cadre de pôle, médecin, interne ; Personnel Educatif et social : animateur, assistant de service social, éducateur, moniteur éducateur ; Autre : personnel admi-nistratif, personnel de direction, coordonnateur ou n’ayant pas renseigné sa profession.

France49%

Belgique34%

Suisse15%

Luxembourg2%

PAR PAYS

personnel soignant

40%

personnel paramédical

23%

personnel médical

19%

personnel éducatif et

social9%

autre9%

PAR FILIÈRE PROFESSIONNELLE 1

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2019 - n° 19 138

II - Taux de retour des questionnaires de satisfaction

59% des congressistes ont répondu au questionnaire de satisfaction - soit 150 personnes sur les 255 présentes

83% des répondants attribuent une note égale ou supérieure à 4 sur 5 au Colloque

- (NR : le répondant n’a pas renseigné leur profession)

Sur l’ensemble du personnel soignant présent au Colloque GHJPF, 65% ont répondu au questionnaire de satisfaction

Le personnel soignant représente 44% des répondants au questionnaire de satisfaction

III - Appréciations générales

Lecture : « En moyenne, les répondants évaluent à 5 la qualité de l’accueil qui leur a été fait ».

65 %51 % 53 %

46 %59 %

0

25

50

75

100

Personnelsoignant

Personnelparamédical

Personnelmédical

Personneléducatif et

social

Répondants

PART DES RÉPONDANTS PAR FILIÈRE PROFESSIONNELLE

44%

20%

17%

7%

12%

RÉPARTITION DES RÉPONDANTS PAR FILIÈRE PROFESSIONNELLE

Personnel soignant

Personnelparamédical

012345

L'organisationdu colloque

L'accueil

Le choix dulieuL'accessibilité

La pertinencedu thème

L’ACCUEIL ET L’ORGANISATION

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Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 139

En moyenne, les répondants évaluent à 4 les apports théoriques et pratiques qu’ils ont reçu au cours des séances plénières

En moyenne, les répondants évaluent à 4 la diversité des présentations d’expériences auxquelles ils ont pu assister au cours

des sessions d’ateliers

55% des répondants évaluent en moyenne à 4 sur 5 le Colloque

012345

Apportsthéoriques et

pratiques

Enrichissementprofessionnel

Modifier lareprésentationdu soin de jouren psychiatrie

LES SÉANCES PLÉNIÈRES

012345

La diversité desprésentations

L'intérêt decomposer sonprogramme

Le temps deparole etd'échange

La découverte depratique(s)

intéressante(s)

LES ATELIERS

1% 5%11%

55%

28%

0

25

50

75

100

note 1 note 2 note 3 note 4 note 5

NOTE GÉNÉRALE ATTRIBUÉE AU COLLOQUE

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2019 - n° 19 140

Lecture : « 61% des répondants, qui ont attribué la note 5 au colloque, font partie du personnel soignant »

41% des répondants, qui ont attribué la note 4 au colloque, font partie du personnel soignant

IV - Les suggestions des répondants

90 participants sur les 255 personnes présentes ont fait part aux organisateurs du Colloque de leurs observations, critiques, propositions pour les colloques à venir.

1 - Les thématiques suggérées par les répondants

Pédopsychiatrie, jeunes enfants, petite enfance (4 occurences) L’intégration des personnes déficientes intellectuelles : perspectives et limites (3 occurences) Les relations amoureuses, la sexualité chez les patients (2 occurences)

Moins de 2 occurrences :

L’hétérogénéîté des patients dans un même hôpital de jour (pathologies, âges, cultures…) Le parcours de soin du patient Le travail avec les familles L’image de soi, bien-être, estime de soi, affirmation de soi Logement communautaire La place des aides-soignants en HJ Les activités sportives

2 - Axes d’amélioration quant au contenu

Les intervenants devraient veiller à articuler les apports théoriques avec les spécificités des contextes locaux et les pratiques développées dans les Hôpitaux de Jour (présenter des cas cliniques, des pratiques concrètes).

Comparer les modalités de prise en charge et de financement selon les pays. Engager le débat entre participants.

3 - Axes d’amélioration quant à la forme

Augmenter le temps dédié aux ateliers. Aménager davantage de temps pour penser, pour débattre, pour échanger, même de manière informelle, entre professionnels (organiser des « tables

rondes », par exemple). Prévoir 10 minutes de battement entre chaque atelier pour laisser aux congressistes le temps de changer de salle.

61%9%

14%

2%

14%

NOTE ATTRIBUÉE : 5

Personnel soignant

PersonnelParamédical

Personnel Médical

Personnel Educatif etSocial

NR

41%

25%

12%

10%

12%

NOTE ATTRIBUÉE : 4

Personnel soignant

Personnel Paramédical

Personnel Médical

Personnel Educatif etSocial

NR

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Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 141

Mettre en lien les animateurs d’ateliers et les congressistes (les intervenants pourraient reporter leurs adresses mail sur leurs présentations Power point, par exemple).

Mettre à disposition des congressistes, sous format numérique, les apports théoriques issus des séances plénières et des ateliers. Elargir la participation aux autres pays francophones. Prévoir un seul bulletin d’inscription pour le colloque et le diner de Gala.

Le Comité Organisateur du XLIIIème Colloque du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques remercie

les personnes qui ont accepté de participer à l’évaluation de cet évènement

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2017 - n° 19 142

Esquiper, étymologiquement lié au mot équipe, veut dire pourvoir un navire de ce qui est nécessaire à la navigation et lui faire prendre la mer. Chaque hôpital de jour comporte une équipe soignante. Elle se compose de différentes personnes, de différentes professions, et de différentes fonctions, réunies autour d’une tâche commune : prendre soin des patients. Se-lon la métaphore du navire, l’esprit d’équipe, la possibilité de coopérer, la ca-pacité de construire une cohésion et de poursuivre une cohérence dans les soins, sont tous des éléments qui permettront au bateau de faire face aux difficultés, de supporter les tempêtes et parfois aussi de résister aux pirates. Garder le cap est un défi que nous rele-vons quotidiennement. Mais qu’est-ce qui est nécessaire à la navigation ? La diversité de fonctions, de savoir-faire, et d’appréciations nous permet de faire face aux situations les plus disparates, à des problématiques diverses, à des ques-tionnements auxquels nous n’étions pas préparés. Dans ce sens, les ressources de l’équipe ne s’additionnent pas de manière arithmétique, mais constituent plutôt un ensemble d’expériences thérapeutiques qui se complètent et se différencient, dans un mouvement constant, dans la même matrice : celle du projet de soin. Mais parfois le projet n’est pas partagé, la direction à prendre est soumise à discus-

sion, les individus se fatiguent et ont l’im-pression de ne pas avancer, les ambiva-lences du patient semblent se répartir en plusieurs fractions de l’équipe, qui s’af-frontent dans le quotidien. Pour faire face à ceci, l’équipe met en place des stratégies pour faire en sorte que le travail commun devienne un lieu de partage, de communi-cation et une occasion d’accueillir de la différence et de la déviance. Enfin, les caractéristiques du bateau, la mission confiée par l’armateur, le temps à disposition et les coûts à assumer sont au-tant d’éléments qui s’inscrivent dans la vie de l’équipe. Ce colloque vous invite à débattre de cet équilibre complexe et ambitieux : • Une fois embarqués, qui donne le cap et comment se divise le pouvoir de décision ? • Comment gérer les espaces communs et comment structurer le temps, la durée et la fréquence des différents soins ? • En plein orage ou dans le brouillard, quelle place, quelle légitimité donner aux réunions d’équipe et aux supervisions ? Quelle gestion des conflits adopter ? L’infinité des expériences en relation avec le travail en équipe nous donnera l’occasion d’échanger autour des solu-tions trouvées, des inquiétudes partagées et des questions qui, pour le moment, n’ont pas encore trouvé de réponse.

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XLIVème COLLOQUE DES HÔPITAUX DE JOUR PSYCHIATRIQUES

7 et 8 octobre 2016 Genève, SUISSE

L’ORGANISATEUR Pr Yasser KHAZAAL Psychiatre Société Suisse de Psychiatrie Sociale, section Romande Hôpitaux Universitaires de Genève Grand pré 70 C 1202 Genève Suisse [email protected]

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2017 - n° 19 143

Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

- ASBL - www.ghjpsy.be

BREF RAPPEL HISTORIQUE À la fin des années 60, quelques années après la France, la Belgique ouvre une nouvelle structure thérapeutique au sein du Département de Psychologie Médicale et de Médecine Psychosomatique de l’Université de Liège. Elle sera appelée “Hôpital de jour Universitaire La Clé” en référence à ce qui avait été antérieurement créé au Canada. L’hôpital de jour est pour nous une unité thérapeutique à temps partiel où sont dispensés des soins intensifs variés. Dans cette unité, le patient est pris en charge par une équipe multidisciplinaire. Le but recherché est bien sûr adapté aux problèmes mis en évidence au début de la prise en charge. Très rapidement, le besoin s’est fait sentir d’organiser des rencontres entres équipes soignantes de Belgique et de France pour réfléchir à nos actions, notre place et notre spécificité comme unité de soins dans la trajectoire psychiatrique du patient. Ces rencontres ont évolué ensuite vers des échanges autour d’un thème général stimulant et l’on a rapidement constaté une participa-tion nombreuse et de plus en plus interactive des équipes à l’occasion de ces colloques. Il fallait une structure juridique pour informer les pouvoirs publics et la société de l’existence voire de la pertinence de ce modèle de prise en charge. En 1979, le Groupement ainsi que son Comité Scientifique se réunissent pour la première fois de manière officielle à Liège, à l’occasion du VIIème colloque. Le Luxembourg et la Suisse s’associant à ce Groupement, le Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques Belgique - France - Suisse, sous la forme qu’on lui connaît actuellement, est créé en 1986. Le premier président, fondateur du Groupement et de l’association, est le Professeur Jean Bertrand. De 2000 à 2012, le flambeau a été transmis au Docteur Patrick Alary. L’un et l’autre sont aujourd’hui présidents d’honneur et, depuis le 6 octobre 2012, le président est le Dr Christian Monney.

MEMBRES DU GROUPEMENT - membres institutionnels : ce sont les hôpitaux de jour psychiatriques de Belgique, de France, de la Suisse et du Luxembourg. - membres individuels : ils se répartissent en membres effectifs, ce sont les divers professionnels des structures sus-nommées, et membres adhérents, tout professionnel de la santé mentale qui montre un intérêt particulier pour les activités de l’association.

OBJECTIFS DU GROUPEMENT - favoriser les relations entre les différentes structures “Hôpital de jour psychiatrique”. - faciliter la diffusion des travaux réalisés au sein du Groupement. - organiser des conférences, des réunions, des colloques. - coordonner et promouvoir les échanges et la formation continue de ses membres. - être un centre de diffusion de l’école de psychothérapie institutionnelle en hôpital de jour. - coordonner les contacts avec les personnalités et les pouvoirs, publics ou privés, du monde médical et scientifique aux niveaux nationaux et international.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2019 - n° 19 144

RECOMMANDATIONS AUX AUTEURS

DES ACTES À LA REVUE… De 1973 à 1997, les actes des colloques ont été régulièrement édités sous forme de monogra-phies. Les textes des présentations en séance plénière et en ateliers et ceux des discussions sur ces présen-tations ont été rassemblés par l’organisateur de chaque colloque. Depuis 1998, les actes sont publiés dans la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thé-rapies Institutionnelles. La Revue des Hôpitaux de jour psychiatriques et des thérapies institutionnelles est éditée à l’occasion de chaque Colloque des Hôpitaux de jour. Elle publie les actes du Colloque de l’année pré-cédente et des textes concernant l’activité des Hô-pitaux de jour psychiatriques et les thérapies ins-titutionnelles.

COMITÉ DE LECTURE Les propositions de texte sont soumises à un co-mité de lecture composé de membres du comité scientifique du groupement des hôpitaux de jour psychiatriques. Il est le garant de la qualité des publications et peut refuser certains textes, en particulier lorsque les règles éditoriales n’ont pas été respectées. Il prend contact, s’il y a lieu, avec les auteurs, pour les modifications qui lui paraissent oppor-tunes. Les décisions du comité de lecture sont sans ap-pel.

CONDITIONS DE PUBLICATION Les manuscrits sont rédigés en langue française et doivent être dactylographiés en TNR corps 10. Ils seront adressés à l’organisateur du colloque par courriel. Dès réception, deux exemplaires seront adressés par l’organisateur du colloque concerné l’un au rédacteur en chef de la revue l’autre à l’un des membres du comité de lecture. L’organisateur du colloque communique la ré-ponse du comité de lecture à l’auteur principal de l’article. Si des changements sont demandés, l’article, une fois modifié, est relu par l’organisateur du col-loque avant toute acceptation définitive.

DÉLAIS DE PUBLICATION Après chaque Colloque : • les textes doivent être adressés au plus tard le

30 novembre suivant le Colloque, • l’avis du Comité de lecture sera donné au plus

tard le 31 décembre suivant le Colloque, • en cas de demande de modifications par le Co-

mité de lecture, le texte définitif doit parvenir à l’organisateur du Colloque le 31 mars de l’année suivant le Colloque.

PRÉSENTATION La première page comporte en haut :

• le titre de l’article (court, explicatif, facile à ré-pertorier dans les index, éventuellement suivi d’un sous-titre succinct),

• le nom du (des) auteur(s), en majuscules, pré-cédé du (des) prénom(s), en minuscules en

dehors des initiales et de la fonction, • l’adresse de l’auteur. Puis : • le résumé, en français, 15 lignes au maximum, • le titre de l’article en anglais, • le résumé, en anglais, 15 lignes au maximum, • les mots-clés, en français et en anglais, 10 au

maximum. En l’absence de ces éléments, les articles ne se-ront pas publiés. Les manuscrits doivent comporter 25 lignes par page, recto seulement, en double interligne, avec une marge de 5 cm à gauche et une numérotation des pages.

TEXTE Les textes ne doivent pas dépasser 20 pages dac-tylographiées, bibliographie comprise. Ils doivent commencer par une introduction et se terminer par une conclusion.

ILLUSTRATIONS ET TABLEAUX Leur nombre doit être limité. Ils doivent être nu-mérotés (en chiffres arabes pour les graphiques, en chiffres romains pour les tableaux) et corres-pondre à un appel précis dans le texte.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Elles doivent être classées par ordre alphabétique d’auteur, numérotées et dactylographiées, en double interligne, sur une page séparée. Il ne sera fait mention que des références appelées dans le texte ou dans les tableaux ou figures. Leur nombre maximum est de 30. Elles doivent être conformes aux normes interna-tionales. • formats des citations :

Les appels bibliographiques (citations des réfé-rences) se font par le nom de famille et de l’ini-tiale du prénom, année (Bertrand J., 2006). Ils doivent renvoyer à une référence bibliographique en fin d’article. Les mentions du type loc. cit ou op. cit., id., ibid., etc. sont absolument proscrites. Si le nombre d’auteurs est supérieur à six, seuls les trois premiers auteurs sont indiqués. L’intitulé est alors suivi de « et al. ». • La liste bibliographique

Chaque appel fait dans le texte doit être déve-loppé dans la bibliographie. Réciproquement, chaque référence bibliographique doit avoir été appelée dans le texte. • Ouvrage

Auteur., Année, Titre de l’ouvrage, numéro d’édition, Ville de l’éditeur : Nom de l’éditeur. • Ouvrage édité

Auteur., Année, Titre de l’ouvrage, numéro d’édition, Ville de l’éditeur : Nom de l’éditeur.

• Chapitre d’ouvrage Auteur de la partie., Année, Titre de la partie, In Auteurs de l’ouvrage, Titre de l’ouvrage, numéro d’édition, Ville de l’éditeur : Nom de l’éditeur, pp-pp. • Article

Auteur., Année, Titre de l’article, Titre de la re-vue, Volume, Numéro, pp-pp. Pour les revues électroniques, faire suivre la ré-férence de l’adresse électronique du document. Par exemple : Article : Auteur. (Année). Titre de l’article. Titre de la revue. Volume (Numéro), pp-pp. http://www.xxx.yyy /zzz.htm (date : jour, mois, année de la consultation par l’usager). • Thèse, mémoire, etc.

Auteur., Année, Titre, Intitulé du diplôme, éta-blissement universitaire. • Rapport

Auteur., Année, Titre, Références du rapport, Ville : Institution. Pour les sites web Auteur (Organisme ou auteur personnel dans le cas d’une page personnelle), Titre de la page d’accueil, Type de support, Adresse URL : four-nir l’adresse URL de la ressource (date : jour, mois, année de la consultation par l’usager).

ABRÉVIATIONS, SIGLES, UNITÉS DE MESURES Pour les unités de mesure et les sigles, elles doi-vent être conformes aux normes internationales. Pour les noms, l’abréviation doit être indiquée dès son premier emploi, entre parenthèses. Si le nombre d’abréviations est important, leur si-gnification doit être fournie sur une page séparée.

NOTES DE BAS DE PAGE Elles doivent être limitées. Elles seront désignées uniquement par des chiffres, sans se répéter d’une page à l’autre, et doivent correspondre à un appel précis dans le texte.

OBLIGATIONS LÉGALES Les manuscrits originaux ne doivent pas avoir fait l’objet d’une publication antérieure, ni être en cours de publication dans une autre revue. Les opinions exprimées dans l’article ou repro-duite dans les analyses n’engagent, sur le plan scientifique, que leurs auteurs. Tout article est une œuvre de l’esprit, il est donc à ce titre protégé par le droit d’auteur. En soumet-tant son article au Comité de lecture de la Revue, l’auteur autorise de facto sa publication dans la Revue. Il peut, avant la publication, retirer à tout moment son texte s’il n’en souhaite plus la publi-cation. Dès lors que l’article est publié, l’auteur est réputé avoir transféré ses droits à l’éditeur à qui devront être adressées les demandes de repro-duction.

TIRÉS À PART Actuellement, il n’est pas édité de tirés à part.

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Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

- ASBL -

BULLETIN DE DEMANDE D’ADHESION

Vous souhaitez devenir membre du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques : à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF

Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous complété. La cotisation annuelle vous donne droit :

à être tenu régulièrement au courant de nos activités à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de

l’équipe) à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institution-

nelles (cotisation institutionnelle = 2 exemplaires) à une voix à l’Assemblée Générale statutaire

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………... Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat natio-nal dont vous dépendez accompagné de votre règlement :

À TITRE INDIVIDUEL

NOM : PRÉNOM : FONCTION : ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) : ADRESSE PROFESSIONNELLE : TÉLÉPHONE PERSONNEL : TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL : TÉLÉCOPIE : E-MAIL :

Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :

DATE : SIGNATURE :

À TITRE INDIVIDUEL

NOM DE L’INSTITUTION : NOM DU MEDECIN RESPONSABLE : ADRESSE : TÉLÉPHONE : TÉLÉCOPIE : e-mail : Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :

DATE : SIGNATURE :

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Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

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BULLETIN DE RENOUVELLEMENT D’ADHESION

Vous souhaitez renouveler votre adhésion au Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques : à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF

Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous complété. La cotisation annuelle vous donne droit :

à être tenu régulièrement au courant de nos activités à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de l’équipe) à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles

(cotisation institutionnelle = 2 exemplaires) à une voix à l’Assemblée Générale statutaire

Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat national

dont vous dépendez accompagné de votre règlement : ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………………….………..

À TITRE INDIVIDUEL

NOM : PRÉNOM : FONCTION : ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) : ADRESSE PROFESSIONNELLE : TÉLÉPHONE PERSONNEL : TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL : TÉLÉCOPIE : COURRIEL :

Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :

DATE : SIGNATURE :

À TITRE INSTITUTIONNEL

NOM DE L’INSTITUTION : NOM DU MÉDECIN RESPONSABLE : ADRESSE : TÉLÉPHONE : TÉLÉCOPIE : COURRIEL : Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :

DATE : SIGNATURE :

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147 Le Colloque des Hôpitaux de jour psychiatriques

est organisé en partenariat avec

Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

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