HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE - mediterranee … · a vu les premiers ferments de la grande...

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HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE TOME SEPTIÈME L'ÉGLISE CONTEMPORAINE - PREMIÈRE PARTIE (1823-1878) PAR FERNAND MOURRET. PROFESSEUR D'HISTOIRE AU SÉMINAIRE DE SAINT-SULPICE PARIS - BLOUD ET GAY - 1929

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  • HISTOIRE GNRALE DE L'GLISE

    TOME SEPTIME

    L'GLISE CONTEMPORAINE - PREMIRE PARTIE (1823-1878)

    PAR FERNAND MOURRET.

    PROFESSEUR D'HISTOIRE AU SMINAIRE DE SAINT-SULPICE

    PARIS - BLOUD ET GAY - 1929

  • INTRODUCTION.

    NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE SUR LES PRINCIPAUX DOCUMENTS ET OUVRAGES CONSULTS.

    CHAPITRE PREMIER. TAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRTIEN A LA MORT DE PIE VI (1823).

    CHAPITRE II. LON XII (1823-1829).

    CHAPITRE III. PIE VIII (31 MARS 1829-30 NOVEMBRE 1830).

    CHAPITRE IV. GRGOIRE XVI ET LES TATS PONTIFICAUX (1831-1832).

    CHAPITRE V. L'GLISE EN PORTUGAL, EN ESPAGNE, EN RUSSIE, EN SUISSE ET EN ITALIE (1831-1846).

    CHAPITRE VI. GRGOIRE XVI, L'GLISE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE (1831-1846).

    CHAPITRE VII. GRGOIRE XVI, LES MISSIONS (1831-1846).

    CHAPITRE VIII. PIE IX ET LES TATS PONTIFICAUX (1846-1849).

    CHAPITRE IX. PIE IX ET L'GLISE DE FRANCE PENDANT LA PREMIRE PARTIE DE SON PONTIFICAT (1846-1854).

    CHAPITRE X. PIE IX ET LES DIVERS TATS DE L'EUROPE PENDANT LA PREMIRE PARTIE DE SON PONTIFICAT (1846-1855).

    CHAPITRE XI. DE LA BULLE INEFFABILIS L'ENCYCLIQUE QUANTA CURA (1854-1861).

    CHAPITRE XII. DE L'ENCYCLIQUE QUANTA CURA AU CONCILE DU VATICAN (1864-1869).

    CHAPITRE XIII. LE CONCILE DU VATICAN (1869-1870).

    CHAPITRE XIV. DU CONCILE DU VATICAN LA MORT DE PIE IX (1870-1878).

    CHAPITRE XV. LES UVRES ET LES MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX.

  • INTRODUCTION.

    L'action de l'Eglise au XIXe sicle ne peut tre bien comprise sans un aperu du mouvement gnral du monde pendant cette mme priode. Le recul des ges permettra sans doute la postrit de fixer le rle de cette poque de l'histoire par rapport aux temps qui l'ont prcde et ceux qui l'ont suivie. Nous pouvons au moins discerner, ds maintenant, en dehors du mouvement religieux, qui fera l'objet propre de notre rcit, quatre mouvements particuliers, dont l'ensemble semble former la caractristique de ce sicle : un mouvement de politique intrieure, un mouvement de politique extrieure, un mouvement social et un mouvement intellectuel.

    Au point de vue de la politique intrieure, on a essay de dfinir le XIXe sicle, en l'appelant le sicle de la dmocratie. Ces mots ont besoin d'tre expliqus.

    C'est un fait, que ce sicle, aprs avoir commenc par le gouvernement personnel de Napolon Ier et des rois Bourbons, a vu se constituer, en son milieu, des rgimes constitutionnels ou de suffrage restreint, lesquels ont abouti des rgimes de suffrage universel. En maints pays, le pouvoir, aprs avoir appartenu l'extrme-droite ou la droite, a pass successivement aux centres, puis la gauche la plus avance. Il faut reconnatre toutefois que le mouvement vers la dmocratie n'a t ni universel ni rgulier ; et peut-tre a-t-il t plus apparent que rel, plus superficiel que profond.

    D'une part, la Russie, l'Allemagne, l'Autriche et l'Empire ottoman ont gard, pendant le XIXe sicle, malgr certains mouvements d'ides vers le gouvernement populaire, leurs gouvernements personnels ; et l'Angleterre, au milieu de vicissitudes semblables, est reste une monarchie constitutionnelle. D'autre part, dans la France elle-mme, o les tapes vers le rgime dmocratique ont t plus rgulires et plus marques, le mouvement trs dmocratique de 1848 a t suivi d'un brusque retour vers le gouvernement personnel sous le second empire. Ajoutons que l o il a paru triompher, le rgime politique de la dmocratie a souvent pu tre tax d'tre un trompe-l'il. Telle prtendue dmocratie a pu tre qualifie par les dfenseurs mmes du rgime populaire, de monarchie dcapite ; et ce n'est pas sans quelque fondement qu'on a pu opposer l'aristocratie militaire du premier empire, l'aristocratie terrienne de la Restauration, l'aristocratie bourgeoise du gouvernement de juillet ; l'oligarchie financire du second empire, l'oligarchie juive et franc-maonnique de la troisime rpublique.

    Quoi qu'il en soit, vraie ou fausse, saine ou perverse, l'agitation dmocratique qui s'est manifeste dans les ides et dans les faits du me sicle ne pouvait rester trangre aux proccupations de l'Eglise. Les actes de Grgoire XVI et de Pie IX contre le libralisme, ceux de Lon XIII et de Pie X sur la dmocratie chrtienne, ont t provoqus par ce mouvement.

    Si l'on considre, non plus l'organisation intrieure des Etats, mais leurs relations diplomatiques, on remarque qu'au XIXe sicle la politique extrieure prend une ampleur nouvelle. Au XVIe sicle, la politique de la Chrtient avait fait place la politique europenne ; celle-ci, au XIXe sicle, tend s'absorber dans une politique mondiale. La part prpondrante que prennent les questions coloniales dans les rapports de peuple peuple, la brusque entre en scne du Japon dans le mouvement de la civilisation europenne, l'importance considrable prise par

  • les Etats-Unis comme nation commerante et comme organisation politique, largissent les points de vue de la diplomatie. Les grands politiques de ce sicle ne projettent rien de moins que de gouverner le monde. C'est, de 1801 1815, l'ambition de Napolon Ier, et l'Allemagne, unifie par Bismarck, nourrira le mme rve la fin du XIXe sicle.

    Il est facile de conjecturer quelles rpercussions de pareils mouvements ont exerces sur la situation religieuse, et combien l'Eglise catholique a d s'en proccuper.

    A un autre point de vue, on a pu, sans paratre trop exclusif, dfinir le XIXe sicle le sicle de la rvolution sociale. Quelques vives, en effet, qu'aient t les discussions politiques pendant cette priode, les questions sociales ont paru, de plus en plus, les dominer et les conditionner. L'avnement du capitalisme, dtermin par les progrs industriels et commerciaux, et la diffusion des ides d'galit Politique, ont donn naissance ce qui a t appel la question sociale. Cette question sociale a provoqu, au cours du sicle, des thories de plus en plus radicales. Qu'il suffise de rappeler, pour laisser de ct les systmes secondaires, et pour marquer seulement les trois, principales tapes du mouvement, la thorie socialiste de Saint-Simon, la thorie communiste de Karl Marx et la thorie anarchiste de Bakounine. Le socialisme du Franais Saint-Simon, propag sous la Restauration, se prsente sous la forme d'une philanthropie sentimentale et pacifique, et tel est le caractre de plusieurs autres cales qui se forment sous le gouvernement de juillet ; mais le Manifeste du parti communiste, uvre de l'Allemand Karl Marx, inaugure, en 1847, une phase plus militante de la rforme sociale. Il pose en principe la lutte des classes, et vise au renversement de la classe bourgeoise par la classe ouvrire. En 1868, l'Alliance de la dmocratie socialiste, fonde par le Russe Michel Bakounine, va plus loin encore, et prche ouvertement l'anarchie. La doctrine anarchiste combat toute organisation sociale, politique, religieuse ou financire, et en propose la destruction par l'action directe, c'est--dire par la violence et l'meute.

    Au cours du XIXe sicle, nous verrons plus d'une fois l'Eglise intervenir soit pour condamner les excs du socialisme, soit pour prvenir sa funeste influence sur le peuple, en propageant des uvres sociales animes d'un esprit chrtien.

    En considrant un quatrime aspect du sicle qui a succd la Rvolution et qui a vu les premiers ferments de la grande guerre de 1914, on l'a baptis le sicle de la critique. De fait, l'poque qui a vu se propager les doctrines de Kant, paratre les uvres des Jaff, des Potthast, des Duchesne et des Smedt, s'organiser l'cole des Chartes, et la popularit s'attacher aux noms de Sainte-Beuve, de Pasteur, de Renan et de Strauss, peut se vanter d'avoir pouss jusqu' leurs. dernires limites, dans le bien comme dans le mal, la critique philosophique, la critique historique, la critique littraire, la critique scientifique et la critique scripturaire. Or, clans cet ordre d'ides, plus encore que clans tout autre, il a rencontr l'autorit de l'Eglise catholique, toujours prte promouvoir les vrais progrs des sciences et des lettres, toujours debout pour rprimer leurs abus.

    Toutefois, si importante qu'ait t l'action de l'Eglise par rapport aux mouvements politiques, sociaux et intellectuels de la socit laque, son uvre principale n'est point l. La Rvolution avait profondment branl son organisation disciplinaire et perverti les croyances de beaucoup de ses fidles :

  • son uvre primordiale, au XIXe sicle, devait tre une uvre de restauration religieuse.

    La tourmente rvolutionnaire, en effet, n'avait pas seulement dispers le clerg, boulevers ses cadres, confisqu ses biens, elle avait laiss pntrer dans les esprits, sous des formes plus ou moins quivoques, un venin d'ides fausses et d'utopies, dont Rousseau avait t le plus loquent propagateur et dont les formules avaient reu une sorte de conscration officielle dans la Dclaration des droits de l'homme et dans la Constitution civile du clerg. La Rvolution, il est vrai, avait, par ses excs mmes, opr dans beaucoup d'esprits une raction salutaire. L'chec ridicule de ses tentatives de religion civile d'abord, puis d'athisme pratique, avait fait prendre conscience au peuple du besoin d'une autorit religieuse solidement tablie et d'un dogme dfinitivement formul. L'Eglise, au cours du XIXe sicle, s'appuiera prcisment sur ce sentiment de lgitime raction pour rparer les ruines de l'uvre rvolutionnaire, pour restaurer sa hirarchie et pour affermir son dogme.

    Ce travail de restauration disciplinaire et dogmatique compte, au cours du sicle, trois moments principaux.

    Au dbut du sicle, l'Eglise a surtout recours, pour la ralisation de son uvre, l'appui des gouvernements. Le plus important vnement de cette priode est le concordat franais de 1801, suivi de plus de trente concordats diffrents. Mais le mauvais vouloir que l'Eglise rencontre bientt de la part de divers Etats, imbus des ides gallicanes ou josphistes, la porte, vers le milieu du sicle, compter davantage sur l'opinion publique. La loi franaise de 1850 sur la libert de l'enseignement, plusieurs lois favorables au catholicisme en Prusse et en Angleterre, sont le rsultat de campagnes de presse, de tournes oratoires, d'assembles et de meetings. Mais l'Eglise ne tarde pas dcouvrir, dans ces mouvements populaires, des illusions et des erreurs, qu'elle n'hsite pas condamner avec force sous le nom gnral de libralisme. Aussi voit-on bientt, chez les souverains pontifes, une tendance se dgager le plus possible des influences extrieures, pour compter avant tout sur l'Eglise mme. Le concile du Vatican, o, pour la premire fois, aucun chef d'Etat chrtien n'est convoqu, manifeste particulirement cette tendance1.

    Quoi qu'il en soit de ces gnralisations, dont les faits que nous allons raconter dans le prsent volume permettront d'apprcier le bien ou le mal fond, l'tude impartiale de l'histoire du catholicisme au XIXe sicle nous apparat, par la varit mme et par l'importance des questions qui s'y sont agites, comme particulirement utile aux chrtiens du XXe sicle. On a fait dj remarquer qu'on y trouve presque tous les genres de luttes que l'Eglise a eu soutenir depuis son origine, et qu'elle prsente ainsi, comme en raccourci, un tableau de l'histoire ecclsiastique tout entire. Rien en effet n'y manque : ni les luttes avec les puissances temporelles, ni l'oppression de l'Eglise par la force, ni les dchirements intrieurs par l'closion de doctrines nouvelles qu'il a fallu condamner, ni la lutte contre la pense htrodoxe, contre le paganisme civilis qui se dcore du nom de libre pense, ni enfin les triomphes2. Ajoutons que,

    1 Pie X, en abolissant le droit d'exclusive, a confirm de nouveau cette attitude de la papaut. 2 Un sicle, Mouvement du monde de 1800 1900, un vol. in-4, Paris, 1900, p. 65.

  • nonobstant les grands vnements qui se sont passs depuis lors, les problmes intellectuels, sociaux, politiques et religieux qui se sont poss devant les esprits du XIXe sicle n'ont pas perdu leur actualit. Or, rien ne peut mieux prparer les gnrations nouvelles les aborder et les rsoudre que l'tude des tentatives faites par les gnrations prcdentes pour leur donner une solution. L'histoire des checs et des succs de nos prdcesseurs dans les modes d'action qu'ils ont employs pourra nous pargner bien des mcomptes, nous fournir bien des indications utiles ; et, si nous savons, travers les conflits qui.ont divis plusieurs grands catholiques, garder notre admiration pour tout ce qu'ils ont eu de grand et de gnreux, quels spectacles plus passionnants et plus rconfortants la fois que ceux d'un Montalembert consacrant, vingt ans, sa vie entire la cause glorieuse et sainte de son pays et de son Dieu ; d'un Louis Veuillot toujours sur la brche pour dfendre l'Eglise avec sa plume comme les preux du Moyen Age la dfendaient avec leurs pes ; d'un Newman et d'un Manning provoquant, par des mthodes diverses et parfois divergentes, mais avec une gale sincrit et une pareille ardeur, le mouvement de nos frres spars d'Angleterre vers le christianisme intgral ; d'un Windthorst conduisant au combat contre le Kulturkampf les catholiques d'Allemagne ; d'un Lavigerie se faisant l'aptre de l'Afrique ; d'un Pie IX sacrifiant la tranquillit de son pontificat et la popularit de sa personne la dfense acharne de la puret du dogme contre tous ses ennemis, ses dtracteurs et ses dfenseurs inopportuns ; d'un Lon XIII montrant aux peuples et aux rois, aux ouvriers du travail manuel et ceux de la pense, l'Eglise catholique comme la mre de la vraie civilisation !

    Nous ne nous le dissimulons pas : dans le rcit de tant de luttes, dont le retentissement dure encore, dans le portrait de tant d'hommes qui ont laiss des disciples passionns, 4'impartialit, premier devoir de l'historien, peut paratre son premier cueil. Nous croyons l'avoir toujours respecte, en essayant de nous lever au point de vue o se place l'Eglise quand elle dlibre dans ses conciles, quand elle lgifre par ses reprsentants hirarchiques, quand elle parle par la voie de son pontife suprme. S'il nous est arriv, malgr nous, d'y avoir manqu, c'est au jugement du Pre commun des fidles que nous nous en rfrons pour tout ce qui pourrait se rencontrer de dfectueux dans notre uvre, c'est son autorit que nous dclarons soumettre sans rserve le prsent travail.

  • NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE SUR LES PRINCIPAUX DOCUMENTS ET OUVRAGES CONSULTS.

    I. DOCUMENTS.

    I. Sur l'histoire de la papaut, la premire des sources est la collection des actes officiels des quatre souverains pontifes dont il est question dans le prsent volume : Lon XII, Pie VIII, Grgoire XVI et Pie IX. Ces actes se trouvent dans : 1 la Bullarii romani continuatio, 19 tomes in-f, Rome, 1835-1857, qui commence Clment XIII (1758) et se termine la cinquime anne du pontificat de Grgoire XVI (26 septembre 1835) ; 2 la Collectio lacensis, Acta et decreta sacrorum conciliorum recentiorum, 7 vol. in-4, Fribourg-en-Brisgau, I870, rdige par un groupe de Jsuites de Maria-Laach., qui contient, avec les textes conciliaires postrieurs 1682 jusques et y compris le concile du Vatican, tous les documents, pontificaux ou autres, de nature clairer ces actes conciliaires ; 3 le Jus pontificium S. C. de Propaganda fide, 8 tomes en 7 in-4, Rome, 1888-1898, qui donne tous les textes relatifs aux missions jusqu'au pontificat de Lon XIII ; 4 les Monumenta catholica pro independentia potestatis ecclesiastic, de ROSKOVANY, 2 vol. in-8, Quinque-Ecclesiis, 1847, dont le second volume donne des actes importants de Lon XII, de Pie VIII et de Grgoire XVI. BERNASCONI a donn, de 1901 1904, sous les auspices du cardinal Vincenzo Vannutelli, en 4 volumes in-4, les Acta Gregorii pap XVI. De nombreuses pices indites ont t mises au jour dans cet important ouvrage. Les critiques que son apparition a suscites portent sur des dtails ; mais des dtails ont leur importance en un travail de ce genre dates inexactes, orthographe incorrecte des noms propres, etc. Les Acta Pii IX pap ont paru Rome, de 1858 1875, en 6 volumes in-8. On a donn aussi au public le Recueil des actes de N. S. Pre le pape Pie IX, texte latin et traduction franaise, in-12, Paris, 1848, t. I, et le Recueil des allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques cites dans l'encyclique Quanta cura et le Syllabus, un vol. in-8, Paris, 1865. A partir de 1865, une Revue spciale, dite Rome, les Acta sanct Sedis, a publi les principaux actes du Saint-Sige. On trouve, d'ailleurs, la plupart des actes importants du Saint-Sige dans les journaux religieux de l'poque, principalement dans l'Ami de la Religion, qui a paru de 1814 1862 ; dans l'Univers, fond en 1833, supprim de 1860 1867, et remplac alors par le Monde.

    II. En dehors des actes pontificaux, la presse religieuse est, pour l'histoire de l'Eglise au XIXe sicle, une source trs abondante de documents.

    Pour nous en tenir la presse franaise, nous citerons, avant tout, l'Ami de la Religion, qui, de 1814 1840, sous la direction de l'rudit Michel Picot, donne les renseignements les plus prcieux sur l'tat de la religion, non seulement en France, mais encore dans les nations trangres et dans les missions. Les principaux documents manant du Saint-Sige ou de l'Episcopat y sont ou analyss ou cits intgralement. Sous les directions successives du baron Henrion, de 1840 1848, de l'abb Cognat, de 1848 1855, de l'abb Sisson, de 1855 1862, et de Jules Gondon, en 1862, le journal devient moins documentaire, se mle davantage aux polmiques religieuses, s'occupe moins de

  • l'tranger, mais est toujours consulter pour l'histoire religieuse1. L'Univers, fond en 1833 par l'abb Migne, ne commence acqurir de l'autorit qu' partir du moment o Louis Veuillot est attach sa rdaction en 1840. Mais il est toujours, par sa fidlit reproduire les nouvelles de Rome et par ses correspondances de l'tranger, une mine prcieuse de renseignements. Le Correspondant, fond eu 1829 par Louis de Carn, Edmond de Cazals et Thophile Foisset, les Etudes religieuses, fondes en 1856 par les Pres Daniel et Gagarin, de la Cie de Jsus, et la Semaine religieuse de Paris elle-mme, cre en 1853 pour renseigner les fidles, non seulement sur les faits religieux du diocse, mais aussi sur les progrs de la religion, tant en France que dans toutes les parties du monde catholique, sont, parmi les priodiques franais et trangers, les plus utiles consulter pour les documents qu'ils renferment.

    Sous le titre d'Annales ecclsiastiques, la librairie Gaume a publi, comme suite l'Histoire universelle de l'Eglise de ROHRBACHER et dans le mme format, une srie de documents et faits pouvant intresser l'histoire de l'glise. Ce travail, confi M. J. CHANTREL, a t continu, partir de 1869, par Dom CHAMARD. Nous citons souvent ces Annales, de prfrence des recueils spciaux, parce qu'elles sont plus facilement la porte des lecteurs. Quelle que soit la srie, elles sont indiques par la formule suivante : CHANTREL, Annales.

    Les Annales de la propagation de la loi, paraissant depuis 1834, et les Missions catholiques, fondes Lyon en 1869, sont les principales sources pour l'histoire des missions trangres.

    III. Certains ouvrages, par l'abondance des documents originaux qu'ils contiennent ou qu'ils utilisent, peuvent tre considrs comme de vraies sources historiques. Citons, titre d'exemple : Abb FRET, Histoire diplomatique, la France et le Saint-Sige sous le premier Empire, la Restauration et le Gouvernement de juillet, d'aprs des documents indits. 3 vol. in-8, Paris. 1910-1911 ; CH. MLLER, Histoire politique gnrale, Dernire partie, la politique des Etats europens durant la seconde moiti du sicle dernier, de 1850 1900, 1 vol. in-8, Paris, 1912 ; A. DEBIDOUR, Histoire des rapports de l'Eglise et de l'Etat en France de 1789 1870, 1 vol. in-8, Paris, 1898. La rgle de mes jugements, dclare l'auteur, provient de deux principes qui me sont galement chers : la libert des cultes et la souverainet de l'Etat ; l'ouvrage est nettement hostile l'Eglise. Citons aussi les 20 volumes, trs secs, mais trs prcieux par les citations de pices diplomatiques, de l'Histoire de la Restauration de VIEL-CASTEL (Paris, 1860-1869). Paul THUREAU-DANGIN unit, au contraire, l'agrment de l'exposition l'abondance des documents indits dans son Histoire de la Monarchie de juillet (Paris, 1885-1889). Parmi les Mmoires, les plus intressants sont ceux de METTERNICH (8 vol. in-8, Paris, 1880-1884), de GUIZOT (8 vol. in-8, Paris, 1858-1867), de VILLLE, (5 vol. in-8, Paris, 1888-1890), de FALLOUX (2 vol. in-8, Paris, 1888), de BISMARCK (2 vol. in-8, Paris. 1898), de CHATEAUBRIAND (6 vol, in 8, Paris, 1896, ou 6 vol. in-12, Paris 1901), de LAURENTIE (1 vol. in-12, Paris, Blond et Barral, s. d.) ; parmi les Correspondances, celles de TALLEYRAND (Corresp. diplom., 3 vol. in-8, Paris, 1889-1890-1891 ; Corresp. indite, 1 vol. in-8, Paris ; 1881 ; Lettres indites, 1 vol. in-8, Paris, 1889), PALMERSTON (Corresp. intime, 9 vol. in-8, trad. Craven, Paris, 1878-1879), Louis VEUILLOT (Correspondance, 8 vol. in-8. Paris, 1883-1914), LAMENNAIS (Confidences, lettres

    1 Sur l'Ami de la religion, voir l'article de M. E. LEDOS dans le Dict. d'hist. et de gogr. eccls., de Mgr BAUDRILLART, t. II, col. 1225-1230.

  • indites de 1821 1848, 1 vol. in-12, paris, 1886), MAZZINI (Lettres intimes, 1 vol. in-12, Paris, 1895 ; Lettere inedite, dans l'Archivio storico italiano, Ve srie, t. XXXVIII, p. 50-92 ; la jeune Italie et la jeune Europe, lettres indites de G. Mazzini L.-A. Melegori, 1 vol. in-12, Paris, 1903) ; Giuseppe GARIBALDI (Memorie, vol. in-8. Turin, 1907). Les Souvenirs sur les quatre derniers papes (Pie VII, Lon XII, Pie VIII et Grgoire XVI) du cardinal WISEMAN (trad. franaise Gmre, 1 vol. in-8, Bruxelles, 1858) sont purement descriptifs et anecdotiques et ne rpondent pas ce qu'on pourrait attendre de la grandeur du sujet et de la valeur de l'crivain ; ils fournissent cependant plusieurs dtails trs caractristiques.

    IV. Un certain nombre de manuscrits out t mis notre disposition pour la composition de ce volume. Le plus important de ces manuscrits est le Journal dans lequel M. Icard, directeur du Sminaire de Saint-Sulpice est thologien au concile de Mgr Bernadou, archevque de Sens, a not ses souvenirs et ses impressions partir du 21 novembre 1869 jusqu'au 19 juillet 1870. Li avec un grand nombre de prlats, dont plusieurs avaient t ses lves et lui donnaient toute leur confiance, en relations suivies avec des reprsentants des divers groupes, consult par Mgr Pie et Mgr Regnault comme par Mgr Dupanloup et Mgr Darboy, en relations avec le cardinal Mathieu comme avec le cardinal de Bonnechose, avec Mgr Vecchiotti comme avec Mgr de Angelis, le futur suprieur gnral de la Compagnie de Saint-Sulpice note et apprcie, chaque soir, avec gravit, sobrit, prcision, et surtout avec cet amour profond de la Sainte Eglise que lui ont connu tous ceux qui l'ont eu pour matre, ce qu'il a vu et entendu pendant la journe ; il mentionne mme les bruits qui courent, les contrle, les rectifie au besoin au moyen d'enqutes consciencieuses. Par la sret de ses informations, par la haute et sereine impartialit de ses jugements, par l'esprit foncirement catholique et romain qui l'inspire, le Journal de M. Icard nous a paru constituer un document d'une inapprciable valeur.

    Les Archives du Sminaire de Saint-Sulpice nous ont aussi fourni des lettres et des papiers indits du cardinal Bilio, de Mgr Sibour, archevque de Paris, de Mgr Dupanloup, vque d'Orlans, du cardinal d'Astros, archevque de Toulouse, du R. P. de Ravignan, du R. P. de Buck, bollandiste, de lord Acton, de J.-B de Rossi, du comte de Falloux, du comte de Montalembert, d'Augustin Cochin, du Dr Dllinger, de l'abb de La Mennais, de plusieurs autres de leurs contemporains. Parfois les crits des personnages les moins connus nous ont donn les renseignements les plus prcieux.

    V. A toutes ces sources d'informations il convient d'ajouter les communications orales de plusieurs tmoins des vnements historiques qui font l'objet de cet ouvrage. De ces tmoins nous citerons seulement ici l'illustre archologue Jean-Baptiste de Rossi, qui. par les relations de son vnrable pre comme par ses relations personnelles, fut si inform des choses romaines sous les pontificats de Grgoire XVI et de Pie IX. Les entretiens qu'il nous a t donn d'avoir avec cet homme minent, pendant un long sjour Rome, au cours des annes 1883 et 1884, ne nous ont pas seulement permis d'apporter notre rcit certaines prcisions qu'on trouvera signales au cours de ces pages ; ils ont beaucoup contribu orienter nos recherches, guider nos lectures, faciliter notre tche tous les points de vue.

  • II. OUVRAGES.

    I. Sur la situation politique du monde aprs la mort de Pie VII et de Napolon Ier, on consultera avec utilit le chapitrer du tome VIII de l'Europe et la Rvolution par Albert SOREL (8 vol. in-8, Paris, 1885-1904) ; la Correspondance de Talleyrand et du roi Louis XVIII pendant le Congrs de Vienne, publie par G. PALLAIN, 1 vol. in-8, Paris, 1881 ; la prface du duc de Broglie aux Mmoires de TALLEYRAND, in-8, Paris, 1891 ; le tome Ier de l'Histoire de la Restauration par Alfred NETTEMENT (8 vol. in-8, Paris, 1860-1872). Cette dernire histoire est l'uvre d'un crivain catholique et royaliste. Sur la situation religieuse la mme poque, on lira avec intrt mais avec prcaution les deux-volumes de CRTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Rvolution, in-8, Paris, 1859. Il est certain que cet auteur a reu communication d'importants papiers relatifs aux socits secrtes, runis en ses mains par le pape Grgoire XVI, mais les interpolations qu'il s'est permises dans la publication des Mmoires de Consalvi1, et les liberts qu'il avoue lui-mme avoir prises dans ses traductions2 ne permettent pas d'accepter avec pleine confiance les assertions et les documents manant de cet crivain. Autrement srieux est l'important ouvrage du R. P. Nicolas DESCHAMPS, S. J., les Socits secrtes et la socit, ou philosophie de l'histoire contemporaine, 3 vol. in-8, Avignon et Paris, 1881. Le tome III, qui est l'uvre de Claudio JANNET, a t publi part sous ce titre : la Franc-Maonnerie au XIXe sicle. D'ESTAMPES et JANNET ont donn un rsum de cet ouvrage en 1 volume in-12, la Franc-Maonnerie et la Rvolution, Paris, 1884. Sur la situation sociale, on se renseignera utilement dans le tome IV de l'Histoire des classes ouvrires en France, par E. LEVASSEUR, Paris 1867-1903 ; sur la situation religieuse en Angleterre, voir le tome Ier de la Renaissance catholique en Angleterre par THUREAU-DANGIN, 3 vol in-8, Paris, 1899-1906 ; sur la situation religieuse en Allemagne, voir le premier volume de l'Allemagne religieuse, le catholicisme, par G. GOYAU, 4 vol. in-12, Paris, 1909, et l'Allemagne religieuse, le protestantisme, un vol. in-12, Paris 1898 ; sur la situation religieuse en France, la Congrgation, par Geoffroy de GRANDMAISON, 1 vol. in-8, Paris, 1890 ; l'Extrme-droite sous la Restauration, dans Royalistes et rpublicains de P. THUREAU-DANGIN, 3 vol. in-8, Paris, 1874 ; et le Parti libral sous la Restauration, par le mme, 1 vol. in-12, Paris, 1876 ; sur la situation religieuse en Italie, le 5e volume des Hrtiques d'Italie de Csar CANTU, trad. Digard et Martin, 5 vol. in-8, Paris, 1866-1871, et le 4e volume de l'Histoire de cent ans, par le mme, trad. Am. Rene, 4 vol. Paris, 1852-1860.

    II. L'Histoire de Lon XII, 2 vol in-8, Paris, 1843, et l'Histoire de Pie VIII, un vol. in-8, Paris, 1844, par ARTAUD DE MONTOR, ne valent pas son Histoire de Pie VII ; ce sont plutt des Mmoires, dans lesquels l'auteur donne des documents et des souvenirs personnels, parfois pleins d'intrt, Grgoire XVI n'a pas encore le grand historien que demanderait son important pontificat. L'abb Charles SYLVAIN (chanoine Rolland) rsume sa vie et les vnements de son rgne dans un vol. in-8, Grgoire XVI et son pontificat, Lille, 1890. MORONI, familier de Grgoire XVI, donne des dtails intressants sur ce pape, sur son entourage, sur quelques particularits de la cour romaine dans son Dizionario di erudizione. Ce dernier ouvrage a t parfois trop lou. C'est une compilation sans grande valeur

    1 Voir Cardinal MATHIEU, le Concordat de 1801, un vol. in-8, Paris, 1904, p. 257. 2 Voir sa biographie par le chanoine MAYNARD, Jacques Crtineau-Joly, d'aprs ses Mmoires, un vol. in-8, Paris, 1875.

  • pour tout ce que Moroni n'a pas connu directement. Le R. P. DUDON, dans son volume Lamennais et le Saint-Sige, 1 vol. in-12, Paris, 1911, a donn la vraie physionomie de Grgoire XVI. STHENDAL (Henri Beyle), dans ses Promenades dans Rome, 2 vol in-12, Paris, 1858, dans son livre sur Rome, Naples et Florence, 1 vol. in-12, Paris, 1855, et dans ses romans mmes, a prtendu donner une description exacte de l'tat religieux de Rome et de l'Italie sous Lon XII, Pie VIII et Grgoire XVI ; mais on doit se mettre en garde contre les apprciations de cet crivain compltement antichrtien suivant une expression de Jules Lemaitre, et systmatiquement hostile la papaut On trouvera des apprciations plus justes de ces trois papes dans HERGENCHER-KIRSCH, Handbuch der allgemein Kirchengeschichte, t. III, in-8, Fribourg-en-Brisgau, 1909.

    Trois grands mouvements religieux se sont raliss au temps des trois papes dont nous venons de parler : en Allemagne, sous la direction de Grres ; en France, sous l'impulsion de La Mennais ; en Angleterre, sous la conduite de Newman. Ces mouvements sont raconts dans trois ouvrages, dj cits, de Georges GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, et de Paul THUREAU-DANGIN, Histoire de la monarchie de juillet et la Renaissance du catholicisme en Angleterre ; mais on en trouvera l'histoire plus complte dans les biographies des personnes qui y ont t mles. Plusieurs de ces biographies sont du plus vif intrt. On en trouvera les rfrences au cours du prsent volume. Nous devons citer, comme indispensables lire : le Louis Veuillot d'Eugne VEUILLOT, 11 vol. in-8, Paris. 1899-1913, et le Montalembert du P. LECANUET, 3 vol. in-8, Paris, 1895-1901. On rencontrera aussi de trs utiles renseignements dans les biographies suivantes : Mgr LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup, 3 vol. in-8 ; Mgr BAUNARD, Histoire du cardinal Pie, 2 vol. in-8 ; PURCELL, Life of cardinal Manning, 2 vol. in-8 ; HEMMER, le Cardinal Manning, 1 vol. in-12, Paris, 1897 ; P. FLF, Ketteler, 1 vol. in-8 ; WARD, The life of John Henry cardinal Newman, 2 vol. in-8, Londres, 1892 ; THUREAU-DANGIN, Newmann catholique, 1 vol. in-12, Paris, 1912 ; E. GRIMAULT, Mgr Freppel et Louis Veuillot, dans la Revue des fac. cath. de l'Ouest, 1912, t. XXI, p. 289-302, 433-446 ; L. PAUTHE, Lacordaire d'aprs des documents nouveaux, 1 vol. in-8, Paris, 1911 ; LESPINASSE-FONSEGRIVE, Windthorst, 1 vol. in-12, Paris, 1908 ; CH. HUIT, la Vie et les uvres de Frdric Ozanam, 1 vol. in-8, 6 dition, Paris, 1907 ; BAUNARD, F. Ozanam d'aprs sa Correspondance, 1 vol. in-8, 3e dition, Paris, 1913 ; A. GASQUET, Lord Acton and his circle, 1 vol. in-8, Londres, 1907 ; H. BOISSARD, Thophile Foisset, 1 vol. in-12, Paris, 1891 ; Chanoine GOUSSET, Vie du cardinal Gousset, 1 vol. in-8, Paris, 1903 ; A. BAUDRILLART, Vie de Mgr d'Hulst, 2 vol. in-8 ; Paris, 1912-1914 ; Dom PITRA, Vie de P. Libermann, 1 vol. in-8, Paris, 1855 ; LAVEILLE, Jean-Marie de Lamennais, 2 vol. in-8, Paris, 1903 ; CHAUVIN, le P. Gratry, 1 vol. in-12, Paris, 1901 ; F. KLEIN, Mgr Dupont des Loges, 1 vol. in-8, Paris, 1899 ; Mgr RICARD, Mgr Freppel, 1 vol. in-12, Paris, 1892 ; Mgr RICARD, l'Abb Combalot, 1 vol. in-12, Paris, 1892 ; P. CLAIR, le P. Olivaint, 1 vol. in-12, Paris, 1879 ; MARTIN, l'abb Gorini, 1 vol. in-12, Paris, 1863 ; BAUNARD, Ernest Lelivre et les fondations des Petites-Surs des Pauvres, 1 vol. in-12, Paris ; LATREILLE, Charles Sainte-Foi, 1 vol. in-8, Paris ; UN BNDICTIN, Vie de l'abb Carron, 1 vol. 1n-12, Paris, 1866 ; W. WARD, William-Georges Ward and the catholic revival, 1 vol. in-8, Londres, 1912 ; L. COLLIN, Henri Lasserre, 1 vol. in-12, Paris, 1901 ; LACOINTA, Vie de S. E. le cardinal Desprez, 1 vol. in-8, Paris, 1897 ; BRETON, Un vque d'autrefois, Mgr Berteaud, 1 vol. in-8, Paris, 1898 ; BOISSONNOT, le card. Meignan, 1 vol. in-8, Paris, 1899 ; G. BAZIN, Windthorst, 1 vol. in-8, Paris, 1896 ; Mgr JEANTET, le Cardinal Mermillod,

  • 1 vol. in-8, Paris, 1906 ; G. GOYAU, Mhler, 1 vol. in-12, Paris, 1905 ; P. LONGHATE, Quinze annes de la vie de Montalembert dans les Etudes, t. LXXVIII, p. 145 et s., p. 510 et J. DURIEUX, l'Evque Maurice de Broglie, dans les Feuilles d'histoire de 1913, t. XIX, p. 440-445 ; MLLER, Fr. Ozanam et son uvre historique, dans la Revue d'hist. eccls., de 1913, t. XIV, p. 304-330 ; G. DE PASCAL, Mgr Gay, i vol. in-12, Paris, 1910 ; P. SAINTRAIN, Vie du cardinal Dechamps, 1 vol. in-8, Tournai, 1884 ; BAUNARD, le Cardinal Lavigerie, 1 vol. in 8, Paris, 1896 ; WARD, le Cardinal Wisemann, trad. Cardon, 2 vol. in-8, Paris, 1901 ; PAGUELLE DE FOLLENAY, Vie du cardinal Guibert, 2 vol. in-8, Paris, 1891 ; G. BAZIN, Vie de Mgr Maret, 2 vol. in-8, Paris, 1891, etc.

    III. Les biographies de Pie IX sont nombreuses. La plus longue de toutes, l'Histoire de Pie IX, de son pontifical et de son sicle, par l'abb A. POUGEOIS, 6 vol. in-8, Paris, 1877-1886, abonde plus en dveloppements oratoires qu'en renseignements prcis. Parmi les meilleures, on peut signaler : VILLEFRANCHE, Pie IX, sa vie, son histoire, son uvre, 1 vol. in-8, 19e dition, Paris, 1889 ; A. DE SAINT-ALDIN, Pie IX, 1 vol. in-12, Paris, 1870 ; Charles SYLVAIN, Histoire de Pie IX et de son pontificat, 3 vol. in-8, Paris ; MAROCCO, Pio IX, 5 vol., Turin, 1861-1864 ; TROLLOPE, The Life of Pius IX, 2 vol., in-8, Londres, 1878 ; STEPISCHNEGG, Papst Pius IX und seine zeit, 2 vol., 1879. Voir aussi P. BALLERINI, S. J., les Premires pages du pontificat du pape Pie IX, trad. franaise, 1 vol. Rome, 1909. L'ouvrage, compos en 1867, n'a t livr au public qu'aprs la mort de l'auteur. Le P. Ballerini aimait s'appeler l'apologiste sincre et le paladin du Saint-Sige. Dans son livre, qui est manifestement une uvre d'apologie, il se fait le dfenseur de tous les actes de Pie IX, mais il donne des documents trs utiles connatre.

    Pour ce qui concerne plus spcialement la question du pouvoir temporel sous le pontificat de Pie IX, on consultera Ch. VAN DUERM, S. J., Vicissitudes politiques du pouvoir temporel des papes de 1790 nos jours, 1 vol. in-8, Lille, 1890 ; ZELLER, Pie IX et Victor-Emmanuel, 1 vol. in-12, Paris, 1879 ; A. BOUILLIER, Un roi et un conspirateur, Victor-Emmanuel et Mazzini, 1 vol., Paris, 1885 ; le comte DE BEAUFFORT, Histoire de l'invasion des Etats pontificaux et du sige de Rome en septembre 1870, Paris, 1 vol.

    Sur la question romaine en gnral, voir, dans le Correspondant du 25 mai 1860, un article d'Augustin COCHIN intitul : Les derniers crits sur la question romaine. Sur les rapports du Saint-Sige avec la France sous Pie IX, voir P. de la GORCE, Histoire du second empire, 7 vol. in-8, Paris, 1894-1905, et le premier volume de LE CANUET, l'Eglise de France sous la troisime rpublique, in-8, Paris, 1907. Sur le catholicisme libral, voir, dans un sens favorable aux catholiques libraux : Anatole LEROY-BEAULIEU, les Catholiques libraux, 1 vol. Paris, 1885 ; COGNAT, Polmique religieuse, quelques pices pour servir l'histoire des controverses de ce temps, 1 vol. in-8, Paris, 1861 ; BAUTAIN, la Religion et la libert, 1 vol. in-8, Paris, 1848 ; abb GODARD, les Principes de 89 et la doctrine catholique ; la seconde dition de cet ouvrage, parue en 1863, a reu l'approbation du Saint-Sige. Dans un sens oppos aux catholiques libraux : dom GURANGER, Essais sur le naturalisme contemporain, 1 vol. in-8, Paris, 1858 ; Jules MOREL, Somme contre le catholicisme libral, 2 vol. in-8, Paris, 1877 ; c'est un recueil d'articles de polmique qu'Eugne Veuillot, dans la vie de son frre, n'hsite pas dclarer excessive. Dans un sens plus modr, on lira avec fruit l'ouvrage d'mile KELLER, l'Encyclique du 8 dcembre 1864 et les principes de 1789, 1 vol. in-12, Paris, 1864. Cet ouvrage et celui de l'abb

  • Godard, donnent, avec des tendances diffrentes, la vraie note catholique sur la question du libralisme.

    Sur le mouvement social catholique en France au temps de Pie IX, voir l'abb Charles CALIPPE, les Tendances sociales des catholiques libraux, 1 vol. in-12, Paris, 1911, et Albert de MUN, Ma vocation sociale, souvenir de la fondation des cercles catholiques, 1871-1875, 1 vol. in-8, Paris, 1909. Les Fragments des uvres de Ketteler, par Georges GOYAU, 1 vol. in-12 Paris, 1908, et les Extraits des uvres de Vogelsang, par le marquis de la TOUR DU PIN, donneront un aperu du mouvement catholique social en Allemagne sous Pie IX. Si l'on veut opposer le mouvement catholique social au mouvement socialiste la mme poque, on lira WINTERER, le Socialisme contemporain, 1 vol. in-8, Paris, 1890. Sur la campagne pour la libert d'enseignement, le principal livre est celui de GRIMAUD, Histoire de la libert d'enseignement, 1 vol. in-8 Paris, 1898.

    IV. Les principaux ouvrages publis sur le Concile du Vatican sont l'Histoire du Concile du Vatican par E. CEGCONI, trad. Bonhomme et Duvillard, 4 vol. in-8, Paris, 1887, trs prcieuse par les documents qu'elle contient, mais qui ne fait connatre que les prliminaires du Concile ; l'Histoire vraie du Concile du Vatican par le cardinal MANNING, trad. Chantrel, 1 vol. in-8, Paris, 1872, et le Concile du Vatican par Mgr FESSLER, trad. franaise, 1 vol. in-8, Paris, 1877. Ces deux derniers ouvrages ont une valeur toute spciale par le fait que leurs auteurs ont vu et entendu ce qu'ils racontent, et que l'un et l'autre ont rempli dans l'assemble un rle important, Manning comme un des chefs des infaillibilistes, Fessler comme secrtaire gnral du concile. L'ouvrage de FESSLER sur la Vraie et la Fausse Infaillibilit des papes, trad. franaise, 1 vol. in-12, Paris, 1873, doit tre lu si l'on veut avoir le sens trs net de la principale des dfinitions du concile. Enfin le P. GRANDERATH, de la Compagnie de Jsus, ayant eu sa disposition tous les documents des archives du Saint-Sige concernant le concile, a crit, de 1893 1902, trois forts volumes Geschichte des Vatikanischen Konzils, dont le dernier a t publi en 1903. Une traduction franaise des trois volumes a paru Bruxelles, en format in-8, de 1908 1913. Les traducteurs dclarent avoir condens quelques passages un peu diffus du texte allemand et prcis la documentation des questions intressant plus spcialement le public franais (t. III, p. 7). Emile OLLIVIER, dans son ouvrage, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, 2 vol. in-12, Paris, 1879, donne, sur l'attitude des divers gouvernements l'gard du concile, de nombreuses informations et de prcieux documents que sa situation de prsident du conseil des ministres lui a fait connatre. Parmi les histoires conues dans un esprit d'hostilit envers le Saint-Sige, il convient de citer les trois volumes allemands de F. FRIEDRICH, Geschichte des Vatikanischen Konzils, et le volume franais d'Edmond de PRESSENS, le Concile du Vatican, 1 vol. in-12, Paris, 1872.

    Les biographies de Mgr Darboy, de Mgr Dupanloup et surtout celle du cardinal Manning par PURCELL, non traduite en franais, mais dont M. Hemmer s'est inspir dans sa biographie franaise de Manning, contiennent aussi d'utiles renseignements sur le concile.

    V. L'histoire des uvres pieuses et charitables se trouve dans les biographies de ceux qui les ont fondes. On trouvera les rfrences de ces biographies au dernier chapitre de ce volume. Quant l'histoire des missions trangres, elle a t faite, d'une manire gnrale, par MARSHALL, en deux volumes in-8, traduits par L. de Waziers, Paris, 1865, sous ce titre : les Missions chrtiennes. Les missions protestantes y sont racontes et, mises en parallle avec les

  • missions catholiques. Malheureusement l'histoire ne va pas au del de 1864. On compltera cet ouvrage, on le remplacera au besoin par celui de LOUVET, les Missions catholiques au XIXe sicle, 1 vol. in-4, Lille et Paris, 1897, ou par celui de WERNER, S. J., les Missions catholiques au XIXe sicle, trad. Groffier, Fribourg, 1886. Le P. PIOLET, S. J. a dirig une publication collective, les Missions catholiques franaises au XIXe sicle, 6 vol. in-8 illustrs, Paris, 1901. M. L'abb KANNENGIESER a publi les Missions catholiques. France et Allemagne, 1 vol. in-12 ; le P. RAGEY, les Missions anglicanes, 1 vol. in-12, Paris, 1900. Les travaux des Prtres des missions trangres sont raconts par LAUNAY, Histoire de la socit des Missions Etrangres, 3 vol. in-8, Paris, 1894 ; ceux des Franciscains, par le P. de CIVEZZA, Histoire universelle des missions franciscaines, trad. franaise, 3 vol. in-8, Paris, 1898-1899 ; ceux des Dominicains, par le P. ANDR-MARIE, Missions dominicaines dans l'Extrme-Orient, 2 vol. in-12, Lyon et Paris, 1865, et par le P. MORTIER, Histoire des Matres Gnraux de l'ordre des Frres Prcheurs, tome VII, in-8, Paris, 1914. Les missions des jsuites et leurs uvres en gnral auront leur histoire par l'achvement de leurs monographies nationales en cours de publication, lesquelles remplaceront enfin l'insuffisante Histoire de la Compagnie de Jsus de Jacques CRTINEAU-JOLY.

    VI. Ceux qui dsireraient une bibliographie plus complte sur le catholicisme au XIXe sicle, en trouveront les lments : 1 dans un article de Georges WEILL, le Catholicisme au dix-neuvime sicle, publi dans la Revue de synthse historique de dcembre 1907 et faisant connatre les principaux crits parus depuis 187c. ; 2 dans la collection du Polybiblion, qui commence en 1862 ; 3 dans le Catalogue d'histoire de France de la Bibliothque nationale. Ce catalogue s'arrte 1857 ; mais, pour les journaux religieux, il va jusqu'en 1877.

  • CHAPITRE PREMIER. ETAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRTIEN A LA MORT DE PIE VII (1823).

    Le 24 aot 1823, le pape Pie VII tait mort en prononant ces mots : Savone... Fontainebleau... L'empereur Napolon l'avait prcd de deux ans dans la tombe ; et l'on avait aussi recueilli ses dernires paroles : Tte... arme... Ces deux hommes, arrivs peu prs en mme temps au souverain pouvoir, et disparaissant peu d'intervalle l'un de l'autre, avaient personnifi les deux grandes puissances du monde. Celui-ci se rappelait, en mourant, la grande gloire militaire dont il avait bloui les hommes de son temps ; celui-l se souvenait des souffrances rdemptrices par lesquelles il avait continu dans l'Eglise l'uvre de Jsus-Christ. Eux morts, la lutte engage entre le Christ et le sicle allait prendre des formes nouvelles. Par suite de la dchance de Napolon Ier et par l'affaiblissement de plusieurs monarchies bourboniennes, le gallicanisme et le josphisme devaient perdre quelque peu de leur force ; mais du mouvement d'indpendance qui portait les nations de l'Europe vers la politique des nationalits et vers les rgimes constitutionnels, allait natre le libralisme. Il s'en faut d'ailleurs que tout ft preuve pour l'Eglise dans cette volution. Si les monarchies autoritaires lui avaient donn l'indispensable scurit dont elle avait besoin pour rorganiser son culte et sa discipline, le mouvement libral allait lui permettre de dvelopper son action par la conqute de plusieurs liberts prcieuses.

    I

    Au moment de la mort de Pie VII, l'tat politique de l'Europe tait rgl par l'Acte final du fameux Congrs de Vienne, tenu en 1815. C'tait le plus vaste trait qui ait jamais t sign, le premier essai qui ait t tent de donner l'Europe une charte, au moins territoriale, de dterminer l'tat de possession de chacun... de fonder, sur un contrat collectif, la paix gnrale1. Jamais les conditions de la stabilit des Etats ne furent plus mrement tudies, par ds hommes plus rompus la science des questions internationales, sur un terrain d'exprimentation plus libre. On avait un double but : empcher la reconstitution d'une hgmonie semblable celle de Napolon Ier, et combattre partout l'esprit rvolutionnaire. Pour atteindre ce double but, Metternich proposa le principe de l'quilibre, jadis appliqu au trait de Westphalie ; Talleyrand prna le principe de la lgitimit. Ces deux principes combins furent la base du travail de reconstruction de l'Europe que commencrent les diplomates de Vienne : Nous n'avons pas donner ici le dtail de leur uvre, qu'ils crurent dfinitive. S'appuyant sur les principes de lgitimit et d'quilibre, introduits par la France dans le droit public de l'Europe, les auteurs des traits de 1815 avaient dclar que dsormais tout agrandissement d'un Etat aux dpens d'un autre tait interdit. Quiconque attenterait l'quilibre tabli serait rput rvolutionnaire, perturbateur de l'ordre europen, et s'exposerait voir l'Europe se coaliser contre lui. Malheureusement, en mme temps, les diplomates europens omirent

    1 Albert SOREL, dans Hist. gnrale de LAVISSE et RAMBAUD. Cf. A. SOREL, Essais d'histoire et de critique : Talleyrand au congrs de Vienne, Paris, 1883.

  • de tenir compte de deux facteurs importants dans la paix des nations : la question de nationalit et la question de religion. En plaant la Hongrie magyare sous la domination de l'Autriche allemande, en assujettissant la Grce la Turquie, en confiant l'Italie du nord aux mains des Habsbourg, ils prparaient de futures revendications nationales. En ngligeant systmatiquement de s'occuper de l'empire ottoman, ils laissaient ouverte la question d'Orient. En tablissant la domination de la Russie schismatique sur la Pologne et de la Hollande protestante sur la Belgique, ils blessaient l conscience des catholiques. En laissant l'Autriche mettre la main sur la Vntie, ils veillaient les lgitimes susceptibilits du Saint-Sige.

    Les traits de Vienne, branls en 1830, renverss en partie en 1848, anantis, en 1860, 1866 et 1870, par la cration d'une Belgique indpendante, d'une monarchie italienne et d'un empire allemand, ne paraissaient pas solides en 1823. Les peuples en supportaient pniblement le joug, les hommes d'Etat commenaient les discuter, et leur rupture, regarde ds lors comme imminente, menaait de troubler profondment l'Eglise avec la socit.

    On a peut-tre t trop exclusif en plaant au congrs de Vienne le point de dpart de la grande lutte entre conservateurs et libraux qui forme l'histoire politique de l'Europe au XIXe sicle1. Ce qu'on peut dire, c'est que, en froissant trop aisment les aspirations nationales et librales des peuples, sans trop distinguer ce qu'elles pouvaient avoir de lgitime de ce qu'elles contenaient de rvolutionnaire, Metternich et Talleyrand avaient imprudemment sem le germe d'une invitable raction. Un diplomate que la dlicatesse de son sens moral et de ses sentiments religieux plaait un point de vue plus lev et rendait par l mme plus perspicace, n'eut pas la Mme foi dans la solidit des traits de 1815. Joseph de Maistre, si attach la cause conservatrice et lgitimiste, crivait, ds le 11 avril 18152 : Jamais peut-tre il n'exista de meilleurs princes... que les princes rassembls au congrs. Cependant, quel est le rsultat ? Le mcontentement est universel. Ce qu'il y a d'trange, c'est que les plus grands de ces princes se sont laiss visiblement pntrer par les ides philosophiques et politiques du sicle ; et cependant jamais les nations n'ont t plus mprises, foules aux pieds d'une manire plus irritante pour elles... C'est une semence ternelle de guerres et de haines. Consalvi, de son ct, crivait Metternich : Un jour, les plus vieilles monarchies, abandonnes de leurs dfenseurs, se trouveront la merci de quelques intrigants de bas tage, auxquels aujourd'hui personne ne daigne accorder un regard d'attention prventive3.

    Quelle pouvait tre, dans ces circonstances, l'attitude de la papaut ? Elle ne pouvait s'infoder aucun des deux mouvements qui allaient se partager le monde. Celui dont Metternich et Talleyrand venaient de prendre la direction, s'il rpondait par un ct aux tendances conservatrices de l'Eglise, n'tait pas inspir par un esprit purement catholique. Si, en dehors des considrations purement utilitaires, une ide avait plan sur les dlibrations du congrs de Vienne, c'tait

    1 SEIGNOBOS, Hist. de l'Europe contemporaine, un vol. in-8, Paris, 1897, p. 8. 2 J. DE MAISTRE, Lettres et opuscules indits, 2 vol. in-12, Paris, 1853, t. I, p. 324. Toute la lettre est lire. 3 CONSALVI, Lettre du 4 janvier 1818, cite par D'ESTAMPES et JANNET, la Franc-Maonnerie et la Rvolution, un vol. in-12, Paris, 1884, p. 249. Par une inconsquence dont les suites furent affreuses, dit Crtineau-Joly, les souverains coaliss voulaient museler la Rvolution, et ils dchanrent les rvolutionnaires. (CRTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Rvolution, 2 vol. in-8, Paris, 1859, t. II, p. 5).

  • bien celle de la Sainte-Alliance, ide pour le moins suspecte d'htrodoxie, car, par l mme qu'elle confondait sciemment et expressment les faons les plus diverses d'tre chrtien : celle du tsar comme celle du roi de Prusse ; par l mme qu'elle marquait l'Eglise romaine ses cantonnements, et qu'elle tendait sa protection au pape en tant que souverain temporel, en ignorant de parti pris son titre de vicaire de Jsus-Christ, elle ratifiait, toute sainte qu'elle se dit, cette lacisation des maximes diplomatiques, contre laquelle Rome avait protest au moment des traits de Westphalie1.

    D'autre part, le mouvement libral, tel qu'il se manifesta ds les premires annes qui suivirent le congrs de Vienne, ne pouvait inspirer confiance l'Eglise. De bonne heure, les sectes antichrtiennes essayrent de l'exploiter leur profit, y voyant un moyen de saper les vieilles monarchies et le principe d'autorit2. Nous verrons donc le pape condamner nettement, en ce qu'il aura de rvolutionnaire, le mouvement insurrectionnel qui cherchera par des principes et par des moyen injustes, renverser les trnes ; il frappera surtout les socits secrtes, trop mnages par les souverains3 ; mais dans toutes les circonstances o la justice ou la religion lui paratront intresses, il se sparera nettement de la politique des rois allis ; il fera des restrictions propos de l'expdition franaise en Espagne, et reconnatra, malgr les protestations des souverains de l'Europe, les Rpubliques de l'Amrique du Sud.

    II

    Apres causes de trouble qui menaaient l'ordre politique, s'ajoutaient d'autres causes de trouble, qui menaaient l'ordre social.

    La chute de l'empire, par cela seul qu'elle mettait fin aux grandes guerres europennes, avait t le point de dpart d'un grand progrs industriel, agricole et commercial. L'invention de la machine vapeur par Watt, de la lampe du mineur par Davy, des machines filer et tisser par Arkwright, Richard-Lenoir, Girard et Jacquart, donnrent l'industrie une impulsion considrable. En peu de temps, la production des fils et tissus de coton devint mille fois plus importante, celle du fer et de l'acier dcupla, et les mines de houille de l'Angleterre furent activement exploites. La grande industrie venait de natre. La petite entreprise, qui ne produisait que pour le march voisin, disparut devant l'immense usine, commandite par d'normes capitaux, qui largit son march par del les frontires nationales, parfois jusqu'aux extrmits du monde. On put prvoir ds

    1 G. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. I, p. 313. L'expulsion des jsuites, arrache en 1817 l'empereur Alexandre Ier, les intrigues noues par Talleyrand pour renverser les Bourbons, et la politique suivie par Metternich l'gard de la papaut, montrrent bientt que l'Eglise ne pouvait pas se fier aux chefs du fameux Congrs. Elle ne s'y fia jamais, et la prtendue solidarit entre l'Eglise et la Sainte-Alliance, si souvent exploite par les ennemis du catholicisme, est une pure calomnie. 2 Cf. L. D'ESTAMPES et JANNET, la Franc-Maonnerie et la Rvolution, passim, et CRTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Rvolution, passim. La suite de cette histoire justifiera par des faits la prsente assertion. 3 J'entretiens chaque jour les ambassadeurs de l'Europe des dangers futurs que les socits secrtes prparent l'ordre peine reconstitu, et je m'aperois qu'on ne me rpond que par la plus belle de toutes les indiffrences. (CONSALVI, Lettre Metternich du 4 janvier 1818.)

  • lors l'importance que prendrait la vie urbaine et la force que pourraient acqurir les groupements de population ouvrire.

    D'autre part, la cration et le fonctionnement des grandes entreprises nouvelles dterminrent les associations de capitaux. De 1818 18249 paraissent les premires grandes socits d'assurances contre l'incendie. En 1821 et 1822, des socits se forment l'effet d'avancer l'Etat les fonds ncessaires pour l'achvement de grands canaux qu'exige le dveloppement du commerce. D'importantes compagnies de transport se constituent. Les intrts des participants se ngocient la Bourse, o ils ont, peu peu, leurs cotes officielles. C'est l'avnement des valeurs mobilires, de la spculation, de l'agiotage. En face du monde ouvrier, en voie de se grouper et de s'organiser, apparat le monde du capitalisme, galement en train de se constituer.

    Les lgislations commerciales des diverses nations rendent parfois trs aigus les relations entre ces deux puissances sociales. L'intrt du grand manufacturier est que les produits trangers soient taxs si fortement leur entre qu'ils cotent plus cher que les produits nationaux. A la demande des matres de forges franais, des lois de 1814 et de 1822 frappent de lourdes taxes les fers trangers. Les industries textiles sont bientt protges par des mesures semblables. Mais les nations trangres suivent le mme systme. Les Anglais imposent lourdement les vins et alcools de France et les articles de Paris. Ils prohibent les soieries de Lyon. Mais si l'intrt du producteur parat satisfait par ce rgime de protection, l'intrt du consommateur semble tout autre : celui-ci aspire acheter les meilleurs produits possibles, d'o qu'ils lui viennent, au meilleur march possible. De l un antagonisme qui met aux prises le capitaliste et l'ouvrier. Pour ce qui concerne les crales, une loi franaise de 1814 avait satisfait les consommateurs ; une loi de 1819, s inspirant d'un systme pratiqu en Angleterre depuis la fin du XVIIe sicle, vient au secours des producteurs. Elle tablit une chelle mobile ; c'est--dire qu'elle taxe les bls trangers plus ou moins lourdement, suivant que le prix des bls indignes sont en baisse ou en hausse. Ce systme subsistera, avec quelques interruptions dans son application, jusqu'en 1861. En fait, l'chelle mobile ne russit pas relever le cours du bl, ainsi que l'avaient espr ses dfenseurs ; elle ne russit gure qu' en entraver la baisse, mais ce bien relatif est chrement pay par les perturbations constantes des cours, causes par son application1.

    Cet expos de la situation conomique la fin du premier quart du XIXe sicle, tait ncessaire pour claircir les origines de la crise sociale qui allait surgir cette poque et troubler si profondment tous les tats europens ; mais il ne saurait en donner l'explication complte. Il faut chercher au mal des causes plus profondes. La Rvolution n'avait pas seulement supprim les anciennes corporations d'artisans, qui procuraient leurs membres, avec la protection de leurs intrts communs, la stabilit et la scurit ; elle s'tait attaque l'esprit mme qui animait ces institutions, ce sentiment chrtien qui reliait le patron et l'ouvrier dans la pratique d'une mme foi, dans la communion aux mmes sacrements. De l, un individualisme goste et froid, qui faisait envisager le travail, indpendamment de l'homme qui le produit, au seul point de vue de sa

    1 A. VIALLATE, dans l'Hist. gnrale, t. X, p. 465. Cf. A. de FOVILLE, la France conomique (statistique raisonne et comparative), Paris, 1890 ; E. LEVASSEUR, Hist. des classes ouvrires en France depuis 1789, Paris, 1867 ; P. CLMENT, Hist. du systme protecteur en France depuis Colbert, Paris, 1854.

  • valeur marchande ; et qui enlevait la proprit son caractre de charge sociale, dvolue la fois par le droit naturel et par le commandement divin de l'Evangile. De l, l'abus de travail de l'homme, la destruction de la vie familiale, l'incertitude de la subsistance de l'ouvrier, soumise aux fluctuations de la production. D'autre part, la mainmise de l'Etat, au nom de la scularisation de l socit, sur les domaines ecclsiastiques, puis, au nom d'une prtendue galit, sur les biens de la noblesse, avait cr des prcdents bien dangereux. La spoliation collective, au nom de principes prtendus sociaux, pouvait donc crer des titres lgitimes de proprit ! La classe ouvrire ne pourrait-elle pas invoquer des raisons semblables pour dpouiller, son tour et son profit, la classe bourgeoise ? La tentation de raisonner ainsi tait d'autant plus forte que beaucoup de lois votes sous l'Empire semblaient avoir t dictes par la proccupation exclusive des intrts de la bourgeoisie. Une loi de 1803 avait interdit les coalitions d'ouvriers, mais ne s'expliquait pus sur les coalitions des patrons. L'article 1781 du code civil disait : Le matre est cru sur son affirmation pour la quotit des gages, pour le payement du salaire de l'anne chue et pour les acomptes donns sur l'anne courante. Une loi de 1806 avait cr des conseils de prudhommes dans 26 villes de France ; mais l'organisation de ces conseils avait paru suspecte aux ouvriers : sans doute les patrons proprement dits n'entraient au conseil que pour une moiti ; mais l'autre moiti, au lieu de se composer d'ouvriers salaris, ne comprenait que des contrematres et des ouvriers patents, c'est--dite de petits patrons. La masse ouvrire considrait toutes ces lois comme une sorte de reprsailles de la classe bourgeoise contre les initiatives de la classe ouvrire.

    III

    Les perturbations qui se produisirent cette poque, dans le monde de la grande industrie et de la haute finance comme dans le monde du travail, donnrent lieu ce qu'on appela depuis la question sociale. Divers systmes furent ds lors proposs pour la rsoudre. On peut les classer en trois coles : l'cole conomiste ou librale, l'cole socialiste et l'cole catholique.

    Dans son Catchisme d'conomie politique et dans son Cours d'conomie politique, publis en 1815, Jean-Baptiste Say, auteur d'un Trait d'conomie politique dj paru en 1804, se fit l'interprte des conomistes.

    Pour l'conomie politique librale, la solution de la question sociale est dans la libre concurrence. Laissez faire, laisser passer telle est la devise. Pour elle, d'ailleurs, le droit de proprit est un droit absolu, auquel ne correspond aucune obligation sociale ; son seul titre est le travail, et les questions d'intrt qui s'lvent entre les patrons et les travailleurs doivent uniquement tre rgles par la loi d'airain de l'offre et de la demande. Enfin, l'conomie politique 'librale dclare ne s'intresser qu'aux lois de la production, de la rpartition et de la consommation de la richesse ; les lois morales ne sont pas de son domaine. Plusieurs de ces principes avaient dj t professs par l'anglais Adam Smith et par le franais Turgot.

    Une pareille thorie parut rvoltante plusieurs de ceux qui se proccupaient des souffrances de la classe populaire. Par son impitoyable loi de l'offre et de la demande, par sa doctrine sur la proprit et par sa prtrition de la loi morale, elle leur parut sacrifier le faible au fort, le pauvre au riche, l'ouvrier au patron.

  • Au nom de l'humanit, trois hommes, Owen en Angleterre, Saint-Simon et Fourier en France, se proposrent de remdier aux maux de la classe ouvrire par une rorganisation de la socit.

    Owen, propritaire d'une grande fabrique de coton, vit le remde dans la substitution du rgime coopratif au rgime capitaliste : les ouvriers s'associeraient pour produire en commun, au lieu de travailler pour le compte d'un capitaliste. Les essais d'application de ce systme devaient, dans la suite, provoquer des coalitions de la part des patrons, et, malgr les efforts nergiques d'Owen, chouer compltement.

    Le systme labor par le comte de Saint-Simon avait t graduellement expos, en 1803, dans ses Lettres d'un habitant de Genve ses concitoyens ; en 1818, dans ses Vues sur la proprit et la lgislation ; en 1819, dans sa fameuse Parabole, qui lui valut des poursuites judiciaires ; en 1821, dans son Systme industriel, et surtout dans un ouvrage qui ne devait paratre qu'aprs sa mort, survenue en 1825, le Nouveau christianisme. Ce systme, uvre d'un grand seigneur tour tour soldat, industriel, agronome, journaliste et pamphltaire, la fois rudit et philosophe, avait des prtentions plus hautes et plus amples que celui d'Owen. Saint-Simon voyait le remde aux maux physiques et moraux des travailleurs dans un double culte : le culte du travail et le culte de la fraternit. Antiquit et moyen ge, disait-il, ont cru jusqu'ici que vivre noblement, c'tait ne rien faire, c'est le contraire qui est vrai : vivre noblement c'est travailler. Les anciens ges, ajoutait-il, ont aussi voulu faire reposer l'ordre social sur la justice. Fondement infcond et trompeur ; car la justice n'est souvent que l'argument de l'gosme. La vraie base de progrs social, c'est la fraternit. C'est par le sentiment de la fraternit, que le riche et le fort, frres ans du pauvre et du faible, se penchent vers leurs puns pour les lever et procurer ainsi l'amlioration physique et morale de la classe la plus pauvre, vrai but de toute organisation sociale. Arriv l, Saint-Simon reconnat qu'il a rejoint le principe vanglique : Aimez-vous les uns les autres. Mais aussitt il s'loigne jusqu'aux antipodes du christianisme. Voulant assurer l'harmonie et l'unit dans le culte du travail et de la fraternit, il croit remarquer que la science a supplant la religion et la grande industrie la fodalit. Il dcide, par consquent, de confier la direction spirituelle du monde un corps de savants et sa direction temporelle un corps d'industriels. Il ne dfinit pas d'ailleurs ce qu'il entend par ces directions spirituelle et temporelle, et, par l, on a pu dire que Saint-Simon a t, non pas le premier socialiste, mais un simple prcurseur du socialisme. Ses disciples seuls, Bazard et Enfantin, en faisant entrer sa doctrine dans le domaine des applications pratiques, seront de vrais socialistes.

    On ne peut pas refuser ce dernier titre Charles Fourier, qui, dans son Trait de l'association domestique agricole, publi en 1822, pose les principes d'une doctrine prcise sur la proprit et sur le travail. La proprit doit tre abolie ; car la seule raison qui a pu la faire adopter, malgr les maux qu'elle entrane, c'est qu'elle est un stimulant au travail. Mais le travail peut se passer de ce stimulant. Le travail deviendra naturel et attrayant, ds qu'on laissera l'homme dvelopper librement ses attraits et ses passions, obir la mcanique passionnelle, comme l'animal et la plante obissent leur mcanique sensitive et vgtative, accomplissant par l, sans secousse et sans dsordre, leurs destines au sein de l'harmonie. Cette thorie devait tre exprimente par la cration des

  • phalanstres1 et aboutir aux mmes checs que les thories d'Owen et de Saint-Simon.

    Cependant, l'Eglise catholique, de son ct, n'tait pas reste indiffrente aux maux de la socit. Tandis que ses fidles multipliaient les uvres de charit pour subvenir aux misres prsentes, l'un d'eux, le vicomte Louis de Bonald, avait signal avec force le vice dont souffrait l'organisation sociale actuelle et les thories librales qui prtendaient la justifier. Ce vice, il le montrait dans la recherche exclusive de la richesse, donne pour but l'conomie politique et l'activit de l'homme moderne. Au-dessus de la richesse, Bonald plaait la formation morale de l'homme. C'est pourquoi il prnait la fois, entre autres rformes, le retour l'agriculture, qui nourrit ceux qu'elle a fait natre, tandis que l'industrie a fait natre ceux qu'elle ne peut pas toujours nourrir2, et le retour aux corporations chrtiennes dont la philosophie, disait-il, ce dissolvant universel, n'avait cess de poursuivre la destruction sous le vain prtexte d'une concurrence qui n'a tourn au profit ni du commerant honnte, ni des arts, ni des acheteurs3.

    Les ides politiques de Bonald sur la monarchie absolue sont contestables, et sa thorie philosophique sur l'origine du langage est une erreur ; mais on ne peut nier qu'en prcisant comme il le faisait, ds le dbut du XIXe sicle, les vraies fins et les vraies conditions de la vie sociale, il n'ait t le prcurseur de l'cole sociale catholique4.

    Pour achever l'esquisse du mouvement social pendant le premier quart du me sicle, il nous reste signaler un crivain original, qui, sur les confins du socialisme et de l'orthodoxie catholique, exera une relle influence, Pierre-Simon Ballanche. Ds le dbut du sicle, en 180i, le Lyonnais Ballanche, peine g de 25 ans, avait publi, sous ce titre : Du sentiment considr dans ses rapports avec la littrature et les arts, un livre dont a pu dire : C'est un Gnie du christianisme enfantin, mais qui a paru avant le Gnie du christianisme5. Pour Ballanche, le christianisme est l'unique fondement de toute civilisation ; mais il pense, en mme temps, que la Rvolution, malgr ses erreurs et ses crimes, est une des ralisations progressives du christianisme dans l'ordre social. Sainte-Beuve, qui avait subi l'ascendant de Ballanche, l'a dfini : une belle me qui avait des clairs d'illuminations dans le nuage... un gnie plus qu' demi voil, qu'on ne comprenait qu'en y mettant du sien. Mais il atteste que la lecture de ses ouvrages contribua fortement inspirer un souffle religieux l'cole, encore matrialiste alors, de Saint-Simon. Tmoin de l'effet produit par cette lecture sur quelques-uns des plus vigoureux esprits de l'cole, je puis, dit-il6, affirmer combien cela fut direct et prompt. Ses uvres ne furent pas trangres non plus la part d'illusions qui se mla aux ides de plusieurs catholiques du XIXe sicle. ces divers titres, le nom de Ballanche devait figurer dans cette histoire7.

    1 On appela phalanstre l'tablissement agricole ou industriel o des travailleurs se grouprent en phalanges de 1.600 2.000 personnes, pour s'y livrer l'attrait du travail. 2 BONALD, Economie sociale ; de la famille et du droit d'anesse. 3 BONALD, Lgislation primitive, part. III, ch. IV. 4 Michel SALOMON, Bonald, 1 vol. in-12, Paris, 1905. 5 E. FAGUET, Politiques et moralistes du XIXe sicle, 2e srie, un vol. Paris, 1898, p. 139. 6 SAINTE-BEUVE, Portraits contemporains, t. I, p. 323. 7 Les principaux ouvrages de Ballanche sont : l'Essai sur les institutions sociales, les Essais de palingnsie sociale et plusieurs pomes en prose (Antigone, Orphe, etc.)

  • IV

    Par ses qualits comme par ses dfauts, par son idalisme vague et son christianisme rveur, Ballanche appartenait pleinement ce mouvement romantique qui, vers 1823, s'panouissait pleinement dans la littrature de l'Europe. Lamartine et Vigny venaient de crer la posie mditative. Victor Hugo avait publi ses premiers vers d'adolescent, o les gloires de la religion et du moyen ge taient magnifiquement clbres. Chateaubriand tait en pleine possession de sa gloire. La mythologie prtendue classique semblait bien morte ; et, pour chanter les thmes nouveaux, les vieux moules avaient t briss. Plus de rgles factices. On rvait de remplacer les cordes de la lyre par les fibres du cur. Telle fut du moins la premire phase du romantisme. Le christianisme en illuminait encore les sommets. Le rationalisme, le sensualisme malsain et les singularits de mauvais got qui caractriseront sa deuxime phase, aprs 1830, ne l'avaient pas encore pntr. On y remarquait cependant dj un excs de sensibilit au dtriment de la volont, et, dans cette sensibilit, la prdominance d'une tristesse dprimante. Le XIXe sicle, dit Sainte-Beuve1, en dbutant par la volont gigantesque de l'homme dans lequel il s'tait identifi, semblait avoir dpens tout d'un coup sa facult de vouloir. Par ailleurs, la brusque transition d'une vie d'pope une existence calme et bourgeoise, avait laiss dans les mes une mlancolie vague. Trois lments, crit Alfred de Musset2, partageaient la vie qui s'offrait alors aux jeunes gens : derrire eux, un pass jamais dtruit ; devant eux, l'aurore d'un immense horizon ; et entre ces deux mondes... je ne sais quoi de vague et de flottant... Un sentiment de malaise inexprimable commena fermenter dans les curs jeunes... Pareille la peste asiatique exhale des vapeurs du Gange, l'affreuse dsesprance marchait grands pas sur la terre.

    Dans le mouvement philosophique, on remarquait le mme lan vers 1 idal et le mme malaise. L'idologie sensualiste d'un Destutt de Tracy, la physiologie matrialiste d'un Cabanis et d'un Bichat. le fatalisme impie d'un Naigeon, ne satisfaisaient plus les mes. Une protestation, timide ses dbuts, mais persistante et de jour en jour plus forte, plus autorise, s'tait leve en faveur du spiritualisme et de la morale honnte de l'cole de Laromiguire, de Maine de Biran et de Royer-Collard. Avec eux, l'intelligence avait repris conscience de sa spontanit, de son effort, de sa rsistance au monde matriel et aux passions3. Malheureusement elle avait rencontr, dans un courant d'ides venu de l'extrme nord de l'Allemagne, de cette contre o Friedland, Eylau, Tilsitt tmoignaient si haut des victoires de la France, le venin qui devait paralyser son gnreux lan. Le criticisme de Kant se prsenta ceux qui cherchaient reconstruire leurs croyances, et leur offrit le moyen d'oprer, au moins en apparence, cette restauration intellectuelle et morale avec des lments purement subjectifs. Le pnible travail d'une reconstruction objective leur tait pargn. Fichte,

    dont l'auteur se sert pour envelopper ses doctrines. Cf. vte de GUICHEN, la France morale et religieuse la fin de la Restauration, 1 vol. in-8, Paris, 1912. 1 SAINTE-BEUVE, Portraits contemporains, d. de 1855, t. I, p. 134. 2 A. DE MUSSET, Confessions d'un enfant du sicle, ch. II, d. Lemerre, Paris, 1876, p. 9, 13, 20. 3 J. DIDIOT, dans Un sicle, p. 373.

  • Schelling, Hegel avaient d'ailleurs poursuivi l'uvre de Kant. On ne sait quoi de mystique et d'imprcis, comme les brumes du nord, ajoutait un attrait de plus ces doctrines, aux y eux des hommes de ce temps. Victor Cousin, aprs son voyage de 1817 en Allemagne, colora son clectisme d'une teinte kantienne fortement marque. Les esprits conservateurs essayrent d'opposer d'abord ce courant un cartsianisme additionn de philosophie cossaise. D'autres, comme Bonald, tentrent de le combattre par tin traditionalisme outr. En 1823, l'abb de La Mennais, dans son Essai sur l'indiffrence, donna cette doctrine l'clat de son grand talent. Selon lui, l'accord du genre humain sur une doctrine morale tait la suprme, et, tout prendre, l'unique garantie que nous pussions avoir contre l'erreur. La Mennais croyait alors, il est vrai, que l'Eglise catholique tait l'incarnation concrte et vivante de la croyance gnrale des hommes, et par l il pensait sauver la fois la cause de la religion et celle de la raison. Mais les esprits rflchis dnonaient dj les vices de cette doctrine trop troite et trop absolue, qui devait conduire son malheureux auteur vers ce mme gouffre du panthisme o les hritiers de Kant taient dj parvenus.

    Le pril tait d'autant plus grave, que le criticisme kantien, franchissant le domaine des sciences purement philosophiques, exerait visiblement son influence dans le domaine des croyances religieuses. Le protestantisme d'abord, puis le catholicisme lui-mme, en subirent les atteintes.

    Le double effort fait, par Schleiermacher d'une part et par Hegel de l'autre, pour raccommoder la thologie protestante avec la philosophie allemande, n'avait abouti qu' l'imprgner de subjectivisme et de panthisme. La religion, disait Schleiermacher, n'est que le sens intime du contact avec Dieu, et il prtendait que la foi, ainsi entendue, cre la thologie, au lieu de se laisser formuler par elle. Pour Hegel, la religion n'tait que la conscience que Dieu a de lui-mme dans l'tre fini, et il aboutissait prtendre que christianisme et hglianisme avaient le mme contenu ; la forme seule diffrait1.

    On voit les consquences funestes de pareilles doctrines. Car, ainsi qu'on l'a fort justement remarqu, si la religion n'est rien de plus qu'un fait de conscience, l'histoire d'une religion sera, tout simplement, l'histoire des dveloppements de la conscience religieuse... La religion hbraque, par exemple, sera considre comme un produit du peuple hbraque. On la traitera, a priori, comme si elle n'tait pas un fait rvl, extrieur et suprieur Isral ; elle sera considre comme la cration d'Isral. Mais Isral ne peut pas s'tre fait sa religion la faon que racontent les crits de l'Ancien Testament, car il n'est aucun peuple chez qui la conscience religieuse se soit veille d'une telle faon. De l les hypothses sur les crits de la Bible, leur date, leur succession, sur les stratagmes de leur composition2. La critique historique de Strauss, de Baur, de Renan, de Harnack, est au bout de ces thories religieuses.

    Le catholicisme allemand ne devait pas chapper cette influence. Un professeur de thologie de la facult de Bonn, Georges Herms, mettait, en 1805 d'abord, dans ses Recherches sur la vie intrieure du christianisme, puis, en 1819, dans

    1 Sur les blasphmes de Hegel contre les dogmes et les pratiques catholiques en gnral, et contre l'Eucharistie en particulier, voir BARTHLEMI-SAINT-HILAIRE, Victor Cousin, t. I, p. 334, t. III, p. 373, et Victor COUSIN, dans la Revue des Deux Mondes du 1er aot 1866, p. 617-618. Sur les doctrines religieuses de Schleiermacher et de Hegel, cf. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le Protestantisme, p. 78-93 ; le Catholicisme, t. II, p. 81. 2 GOYAU, l'Allemagne religieuse, le Protestantisme, p, 81-89.

  • son Introduction philosophique, l'ide d'une apologtique nouvelle, qui, ngligeant le rle de la grce dans la production de l'acte de foi, en faisait un produit de la raison pratique, entendue au sens de Kant. Pour Herms, les faits historiques, prouvs vrais par l'histoire d'une vrit extrieure, ne deviennent intrieurement vrais que par l'adhsion de la raison pratique ; et les commandements de Dieu n'acquirent de force obligatoire qu'aprs avoir t, par suite d'un examen, reconnus conformes la raison pratique1. Les pires doctrines du modernisme taient en germe dans un pareil systme.

    V

    Ces thories taient, du moins, professes, enseignes et propages au grand jour. L'Eglise pouvait facilement se prmunir contre elles. Il n'en tait pas ainsi des ides subversives de tout ordre religieux et social qui se propageaient dans les socits secrtes.

    Soit que les crimes de l'impit rvolutionnaire eussent discrdit le programme de la maonnerie2, soit que la puissante main de Napolon, en la faisant l'instrument de ses desseins, lui et enlev la vigueur de son autonomie3, elle perdit momentanment, en grande partie, son caractre antichrtien. Tandis qu'en France Napolon remplissait les loges de ses agents et en faisait des foyers de propagande imprialiste, les loges allemandes et les loges italiennes se donnrent pour but d'entraner et d'enflammer le peuple, les premires contre l'empire franais, les secondes contre l'Autriche. Mais, vers 1811, la clbre socit parut se rorganiser sur de nouvelles bases, en reprenant son vieil esprit4.

    Dans quelles mesures le Tugendbund d'Allemagne, le carbonarisme d'Italie et la charbonnerie franaise appartinrent-elles la franc-maonnerie ? En furent-elles des ramifications proprement dites ? Ne s'y rattachrent-elles que par des liens d'affiliation plus ou moins troits ? Il est difficile de le prciser. Ce qui est certain, c'est que le mouvement rvolutionnaire qui se produisit en Europe de 1815 1823, se fit surtout par ces trois associations.

    L'histoire du Tugendbund (association de la vertu) nous est sue-tout connue par les ouvrages d'un crivain protestant, Ed.-Em. Eckert5, et par les polmiques que ces ouvrages ont souleves en Allemagne. Cette association avait t fonde, en

    1 GOYAU, l'Allemagne religieuse, le Catholicisme, t. II, p. 2-12. 2 P. DESCHAMPS, les Socits secrtes et la socit, 5e dit., 3 vol. in-8, Avignon, 1881, t. II, p. 221. 3 Protge, disait Napolon, la maonnerie n'est pas redouter. Telle qu'elle est aujourd'hui, elle dpend de moi, je ne veux pas dpendre d'elle. Voir *** (Max DOUMIC), le Secret de la franc-maonnerie, un vol. in-12, Paris, 1905, p. 199-200. 4 DESCHAMPS, les Socits secrtes et la socit, t. II, p. 222. 5 ECKERT, La franc-maonnerie dans sa vritable organisation, trad. franaise, Lige, 1854. Cet ouvrage est riche de documents sur la maonnerie allemande. Voir, du mme auteur, le Temple de Salomon, thorie scientifique et explication de tous les emblmes maonniques, et Recueil des preuves destines faire condamner la franc-maonnerie... (Magazin der Beweisferurg fr des Freimaurer-Ordens) 2 vol. grand in-8. Les uvres d'Eckert ont t utilises par l'abb GYR dans son livre : la Franc-Maonnerie en elle-mme et dans ses rapports avec les autres socits secrtes de l'Europe, un vol. in-8, Lige, 1859.

  • 1807, par le baron de Stein, ministre de l'intrieur Berlin, sous le prtexte de hter la chute de l'empire de Napolon et d'y substituer une Allemagne grande et une, en ralit pour propager, par l'Allemagne unifie sous la direction de la Prusse, les principes maonniques de la Rvolution. En une phrasologie bien germanique, on prsentait la philosophie, la philologie et la science de la nature comme formant la Trinit sur laquelle serait fonde l'Eglise allemande de l'avenir. Dans leurs chaires universitaires et dans leurs livres, les adeptes du Tugendbund insistaient sur la morale du christianisme, mais en prsentant les dogmes comme un symbole, de faon runir dans le patriotisme allemand l'incrdulit et la foi1. Fichte, qui avait succd au baron de Stein comme chef de l'Association, s'criait : La socit ne veut plus supporter qu'on abuse de ses forces pour faire atteindre des buts qui lui sont trangers ; elle veut les employer dans des buts qu'elle choisira elle-mme. Le combat est engag, en dernire analyse, en faveur de ceux qui se dvouent la dlivrance de l'esprit humain. Dans l'ordre politique, le Tugendbund, d'abord favorable au roi de Prusse, se retourna contre lui, quand celui-ci refusa d'accorder les liberts promises aux conjurs ; il fit entendre des menaces et prpara des rvoltes. Dans l'ordre moral et religieux, combattit sourdement les dogmes chrtiens. Organis en deux sections, le Mnnerbund, ou association des hommes, et le Jnglingsbund, ou association des jeunes gens, il comprit une hirarchie mystrieuse, avec des grades secrets et des rvlations d'une audace toujours croissante2. Beaucoup de membres du corps universitaire et de l'arme adhrrent au Tugendbund ; Eckert a prouv qu'un grand nombre des socits qui grouprent la jeunesse allemande aprs 1815, telles que le Deutsche Turnsckaft et l'Allgemeine deutsche Burschenschaft, furent pntrs de l'esprit du Tugendbund, lequel n'tait autre, ses dfenseurs le reconnaissent, que l'esprit des loges maonniques3. Un document, dcouvert aux Archives nationales et publi en 1913 par M. Lonce Grasilier, est venu dmontrer que l'influence des socits secrtes de l'Allemagne pntra en France par un foyer intermdiaire tabli Coppet et dont Mme de Stal et Benjamin Constant furent les principaux directeurs4. Il semble mme que cette pntration a prcd celle du carbonarisme italien, lequel exera, son tour, une influence importante sur les socits secrtes franaises.

    Comme le Tugendbund allemand, le carbonarisme italien avait pris naissance au temps de la domination franaise. S'il faut en croire Crtineau-Joly, qui eut sous les yeux des documents sur les socits secrtes runis par le pape Lon XII, le carbonarisme sortit, en Calabre et en Sicile, d'une pense profondment monarchique, et, durant les premires annes du XIXe sicle, il offrit la reine Caroline de Naples, sa fondatrice, des gages d'une incontestable fidlit5. Mais le le mystre mme dont la socit crut devoir s'envelopper, et l'ascendant qu'y

    1 DESCHAMPS, les Socits secrtes et la socit, t. II, p. 222-223. 2 GYR, la Franc-Maonnerie en elle-mme..., p. 355. 3 On sait, dit une brochure crite contre Eckert, que c'est aux loges maonniques qu'est due la naissance de la plupart des associations qui ont relev les nations abattues. (Dfense de l'ordre maonnique contre les attaques de l'avocat E. Eckert, Leipzig, 1852). 4 Mmoire sur les socits secrtes et les conspirations sous la Restauration, par Simon DUPLAY. Ce Mmoire, dcouvert aux Archives nationales F7 6666, a t publi par M. Lonce GRASILIER dans la Revue internationale des socits secrtes du 5 mars 1913, p. 510-554. Voir, pour ce qui concerne la pntration en France des socits allemandes, les pages 523-525. 5 CRTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Rvolution, 2 vol. in-8, Paris, 1859, t. II, II, p. 75.

  • exercrent certains personnages anglais, imbus des principes maonniques et tout-puissants la cour de Sicile1, la firent peu peu dvier vers les ides rvolutionnaires. Un de ses principes fut que les formes actuelles de l'Eglise et des Etats taient des formes vieillies, destines faire place des organisations fondes sur la seule base de la nature. Comme les affilis se runissaient ordinairement dans les forts des Abruzzes, frquentes par les charbonniers (carbonari), ils empruntrent aux charbonniers leur nom et leurs principaux emblmes, de mme que les francs-maons avaient emprunt leur nom et leurs emblmes l'art de btir. Ils se rpartissaient en divers groupes, appels ventes, analogues aux loges maonniques ; mais, tandis que les francs-maons affectaient de repousser toute rvlation surnaturelle, les carbonari, pour mieux gagner-les populations religieuses de l'Italie, s'appuyaient, au moins en apparence, sur le christianisme2. Le secret y tait exig, de la part des adeptes, sous des peines terribles. Un tribunal spcial jugeait les infractions cette loi ; et il tait rare qu'un dlinquant pt chapper la vindicte de la secte. Les liens qui rattachaient le carbonarisme la maonnerie ont t avous par les francs-maons, mais plusieurs de ceux-ci, humilis par les scnes sanguinaires de leurs frres d'Italie, n'ont voulu voir en eux que des fils dgnrs de la grande secte. Les carbonari, crit le franc-maon Blumenhagen, portaient ostensiblement le poignard dgain, pour s'en servir contre les ennemis de la lumire. Les plaies sanglantes de la Sicile ne sont pas encore cicatrises. Les cadavres des citoyens gorgs dposent contre eux. Leur nom seul doit rappeler au maon instruit jusqu' quel degr de dgnration ont pu descendre certaines sectes de notre association3. En 1818, le carbonarisme tablit une de ses ventes Macerata, dans les Etats mmes de l'Eglise, et plusieurs autres en Lombardie. L'esprit perspicace de Consalvi avait aperu le pril, et, ds le 4 janvier 1818, l'minent homme d'Etat l'avait signal aux cours de l'Europe. Mais ce fut en vain. Il essaya alors de favoriser, pour combattre les menes de la secte, une Association de l'amiti catholique, fonde par le comte de Maistre ; mais le roi Charles-Flix y vit un danger pour l'Etat ; et le gouvernement autrichien montra moins de dfiance l'gard des ventes de carbonari qu'il n'en manifestait l'gard d'une Ligue de dfense religieuse que le cardinal Pacca et les jsuites avaient tent de fonder en Lombardie4.

    C'est en 1821 que le carbonarisme vint s'tablir en France, o les sectes allemandes avaient dj pntr5. Le foyer de son expansion fut un club

    1 CRTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Rvolution, t. II, p. 75. 2 Voir le Rituel pour la rception du Grand Maitre des carbonari dans GYR, la Franc-Maonnerie en elle-mme..., p. 381-418. 3 BLUMENHAGEN, Confession politique, dans la Revue maonnique de 1828, p. 320. 4 Cf. CIVALOTTI, Memorie sulle societ sgrete dell'Italia meridionale e specialmente sui carbonari (Estr. della Bibliotheca storica del Risorgimento italiano, Rome, 1904, et un Rapport de police de 1822, publi par L. GRASILIER dans la Revue internationale des socits secrtes du 5 juin 1913, p. 1770-1775. Voir aussi CANTU, les Hrtiques d'Italie, t. V, p. 425-437 (traduction franaise). 5 Les statuts de diverses affiliations allemandes, saisis dars le temps par les autorits franaises, dit un Rapport de police de 1823, semblent avoir servi de types aux rglements adopts par les associations de France, avant que celles-ci connussent le nom de carbonari. Il importe peu de rechercher les modifications que les socits italiennes ont pu apporter aux premiers plans emprunts aux socits allemandes ; mais il peut n'tre pas sans intrt d'tablir qu'on les doit l'Allemagne. (Revue internationale des socits secrtes du 5 mars 1913, p. 525).

  • parisien, connu sous le nom de club des Amis de la vrit, fond par quatre commis de l'administration de l'octroi : Bazard, Flottard, Buchez et Joubert1. Merveilleusement appropris au caractre italien, dit Louis Blanc, mais peu propres devenir en France un code de conspirateurs ( cause de quelques apparences chrtiennes, ncessaires en Italie), on dut songer modifier les statuts... La pense dominante de l'association n'eut rien de prcis ; les considrants se rduisirent dcrter la souverainet nationale sans la dfinir, suivant l'esprit du carbonarisme italien. Plus la formule tait vague, mieux elle rpondait la diversit des sentiments et des haines2. Il fut convenu, en outre, qu' ct de la Haute-Vente, des ventes centrales et des ventes particulires, il y aurait pour l'arme la lgion, les cohortes, les centuries, les manipules. Il existait alors, dit un historien franc-maon de la Restauration, un comit parlementaire (de la Charbonnerie). Lafayette en faisait partie... Munis de lettres de recommandation, plusieurs jeunes gens allrent dans les dpartements organiser la Charbonnerie... L'entranement fut gnral, irrsistible. Sur presque toute la surface de la France, il y eut des complots et des conspirateurs. Les choses en vinrent au point que, dans les derniers jours de 1821, tout tait prt pour un soulvement la Rochelle, Poitiers, Niort, Colmar, Neuf-Brisach, Nantes, Belfort, Bordeaux, Toulouse. Des ventes avaient t cres dans un grand nombre de rgiments, et les changements mmes de garnison taient pour la Charbonnerie un rapide moyen de propagande3.

    La Charbonnerie franaise fusionna ds lors avec la franc-maonnerie4. Louis XVIII jugea de bonne politique de mnager les loges, de subir mme leur influence5. Aussi vit-on les ides voltairiennes envahir rapidement la France. Paul-Louis Courier dans ses pamphlets, Branger dans ses chansons, les popularisrent. Qu'il suffise d'ailleurs de rappeler qu'il y eut, de 1817 1824, douze ditions de Voltaire et treize de Rousseau. On publia 316.000 exemplaires des uvres du premier et 240.000 des uvres du second, soit un total de plus de deux millions de volumes raillant ou mprisant l'Eglise catholique. La lutte contre le parti-prtre, comme on disait alors, fut le fruit de cette propagande elle devait durer autant que la Restauration et arracher mme au roi Charles X, en 1828, l'expulsion des jsuites6.

    1 Louis BLANC, Hist. de dix ans, t. I, p. 82. 2 Louis BLANC, Hist. de dix ans, t. I, p. 92. Cf. DESCHAMPS, les Socits secrtes, t. II, p. 237. 3 Ach. de VAULABELLE, Hist. des deux Restaurations, t. V, p. 148, 151. Sur l'action de la Charbonnerie dans les divers complots de cette poque, voir GUILLON, les Complots militaires sous l'empire et la Restauration, d'aprs les documents indits, 2 vol in-18, Paris, 1894, et Rev. intern. des soc. secrtes, 1913, p. 526-554. Une prtendue Histoire des socits secrtes de l'arme, publie par Charles NODIER, est une uvre d'imagination. 4 Voir le tmoignage de l'historien franc-maon Jean de WITT, Mmoires secrets, p. 6. 5 DESCHAMPS, les Socits secrtes et la socit, t. II, p. 225 et s. Louis XVIII, dit M. GAUTHEROT, tout comme le comte d'Artois et le duc de Berry tait ou avait t franc maon. (Dict. apologt. de la foi catholique, au mot Franc-maonnerie, t. II, col. 111). 6 THUREAU-DANGIN, le Parti libral sous la Restauration, un vol in-18, Paris, 1876, passim. passim.

  • VI

    Pour parer aux divers prils que nous venons d'indiquer, quelles taient les forces de l'Eglise ? Ces forces, depuis l'avnement de Louis XVIII, s'taient accrues, malgr tout. Le roi de France avait beau passer pour favorable aux ides voltairiennes, se montrer faible envers les socits secrtes, confier, pour leur complaire, le soin de son gouvernement quatre hommes rengats de leur vocation ecclsiastique, les abbs de Talleyrand, de Pradt, de Montesquiou et Louis1 ; son avnement n'en tait pas moins, aux yeux de tous, le signal d'une renaissance religieuse ; la Restauration politique des Bourbons se prsentait comme insparable d'une restauration catholique ; aprs la Rvolution, qui l'avait perscut avec violence, et l'empire, qui l'avait opprim en voulant l'asservir, le clerg de France, dans son ensemble, avait acclam le retour du roi trs chrtien avec les sentiments d'une grande confiance2. Dans les missions, qui se multiplirent, la foule avait chant, de toute son me, le refrain populaire :

    Vive la France ! Vive le Roi !

    Toujours en France Les Bourbons et la foi !

    Les Missions de France, la multiplication des congrgations religieuses, l'action exerce, par la Congrgation, le dveloppement des maisons d'ducation catholiques, des uvres de pit, de