RENAN, Joseph Ernest. L’Avenir de la science (livre)
Embed Size (px)
Transcript of RENAN, Joseph Ernest. L’Avenir de la science (livre)
1
w
I
ri%
^
\.i
I
'
L'AVENIR DE LA SCIENCE
CALMANN LVY, DITEUR
UVRES COMPLTES D'ERNEST RENANHISTOIRE DES ORIGINES DU CHRISTIANISMEVIE DE JSUS.
les vangiles et la seconde
LES APTRES. SAINT PADL,
gnration chrtienne.des
l'antgh rist.
avec cartes voyages de saint Paul.
l'glise chrtfenne. marc-aurle et la fin du monde antique.
INDEX GNRAL pour Iss scpt volumes de I'histoire des ORIGINES DU christianisme.
FORMATLE LIVRE DE JOB,
IN-81 vol.
traduit de l'hbreu, avec une tude sur le plan, l'ge et le caractre du pome LE CANTIQUE DES CANTIQUES, traduit de l'hbreu, avec une tude sur le plan, l'ge et le caractre du pome l'ecclsiaste, traduit de l'hbreu, avec une tude sur l'ge et le caractre du livre
1
histoire gnrale des langues smitiques HISTOIRE DU PEUPLE d'iSRAEL TUDES d'histoire RELIGIEUSE.
1
...
51 11 1
NOUVELLES TUDES D H S T O R E R E L GI E US E. AVERROs ET l'a V E R R O S M E, cssai historlquc ESSAIS DE MORALE ET DE CRITIQUE MLANGES d'hISTOIRE ET DE VOYAGES QUESTIONS CONTEMPORAINES LARFORME INTELLECTUELLE ET MORALE DE l'origine du LANGAGE DIALOGUES PHILOSOPHIQUES. DRAMES PHILOSOPHIQUES, dition complte'
I
I
I
.
11i.
1 1 1
CALiBAN, drame philosophique l'eau DE JOUVENCE, drame philosophique LE PRTRE DE NEMi, drame philosophique l'abbesse de jouarre, drame VIE de JSUS, dition illustre SOUVENIRS d'enfance ET DE JEUNESSE discours et CONFRENCES l'avenir de la SCIENCE
111
111
11
MISSION DE PHNiciE.
Cet ouvrapje comprend un volume in-i de 888 pages de texte, et un volume in-folio, compos de 70 planches, un titre et une table des planches.
FORMAT GRANDCONFRENCES d'aNGLETERRE TUDES d'histoire RELIGIEUSEVIE DE JSUS,
IN-18
~...
souvenirs d'enfanceetdejeonesse PAGES CHOISIES
dition populaire
1 VOl. 1 1 11
En
collahoralion avec M.in-8.
VICTOR LE CLERC
HISTOIRE LITTRAIRE DE LA FRANCE AUvolumes grand
XlV
SICLE.
DeUX
Coulommiers.
Imp. Paul
BRODARD. -
1354-12-1900.
/
L'AVENIRDE
LA SCIENCE.PENSEES DE 1848PAB
ERNEST RENANHoc nuncmeiset
os ex ousibns caro de catme mea.
II8RARY
ST.
MRY'S COLLEGE
117850PARIS
CALMANN LVY, DITEUR3,
HUE AUBER,
3
Ilrotis
de traduction et de reproductoin rservs.
5'Z- ^6o2>?
PRFACE
L'anne 1848
fit
sur moi une impression extr-
mement
vive.
Je n'avais jamais rflchi jusque-lsocialistes.
aux problmes
Ces problmes, sortant en
quelque sorte de terres'emparrent deintgrante de
et
venant effrayer
le
monde,
mon
esprit et devinrent
une partie
ma
philosophie.le loisir
Jusqu'au mois de
mai, j'eus peinedehors.ge,
d'couter les bruits
du
Un mmoirej'avais
que
moyen commenc pour rpondre uneet belles-
sur l'tude du grec au
question de l'Acadmie des inscriptionslettres,
absorbait toutes
mes penses. Puis
je passai
mon
concours d'agrgation de philosophie, en seple
tembre. Versface de
mois d'octobre,
jele
me
trouvai en
moi-mme. J'prouvai
besoin de rsu-
11
PRFACE.la foi
mer
nouvelle qui avait remplac chez moi le
catholicisme ruin. Gela
me
prit les
deux derniers
mois de 1848de 1849.
et les
quatre ou cinq premiers mois
Ma
nave chimre
de dbutant
tait
de
publier ce gros volume sur-le-champ. Le 15 juillet1849, j'en donnai
un
extrait la Libert de penser,le
avec l'annonce que
volume
paratrait
dan&
quelques semainesC'tait l
.
de
ma
part une grande prsomption.
Vers
le
temps, o j'crivais ces lignes, M. Victorl'ide
Le Clerc eut
de
me
faire
charger, avec
mon
ami Charles Daremberg, dedanstoireles
diverses
commissions
bibliothques
d'Italie,
en vue de l'Hisd'une thse que
littraire
de
la
France
et
j'avais
commence sur
l'averrosme. Ce voyage, qui
dura huit mois, eut surinfluence.
mon
Le
ct de l'art,
grande jusque-l presque ferm
esprit la plus
pour moi, m'apparut radieux et consolateur. Une fe charmeresse sembla me dire ce que l'glise^ en son hymne, dit au bois de la Croix:
Flecte raujos, arbor alta,
Tensa laxa viscera, Et rigor lentescat illeQueni ddit nativitas.
Une
sorte
de
vent tide
dtendit
ma
rigueur
;
presque toutes mes illusions de 1848 tombrent^
,
PRFACE.
III
commecration
impossibles. Je vis les fatales ncessits de
la socit
humaine;
je
me
rsignai sert
un
tat
de
la
o beaucoup de mal
de condition un
peu de bien, ou une imperceptible quantit d'arme s'extrait d'une norme caput mortuum de matiregche. Jeralit,et,
me
rconciliai quelques gards avec la
en reprenant,
mon
retour,
le
livre
crit
un an auparavant,
je le trouvai pre,
dogma-
tique, sectaire et dur.tat, tait
Ma
pense, dans son premier
comme unles
fardeau branchu, qui s'accro-
chait
de tousla
cts.
Mes
ides,
trop entires
pourfaites
conversation,
taient
encore bien
moins
pour une rdactiont
suivie.
L'Allemagne, qui
avait
depuis
quelques annes
ma
matresse,
m'avait trop form son image, dans un genre oelle n'excelle pas,
im Bcher machen. Je
sentis
que
le
public franais
trouverait tout cela
d'une insup-
portable gaucherie.Je consultai quelques amis, en particulier M.gustin Thierry, qui avait pourpre. Cet
Au-
moi
les
bonts d'un
homme excellent me dissuada nettement de faire mon entre dans le monde littraire avec cet norme paquet sur la tte. Il me prdit un chec complet auprs du public, et me conseilla dedonner desla Revue desarticles
Deux Mondessur des
et
au Journal o
Dbats des
sujets varis,
I?
PREFACE.en dtaille
j'coulerais
stock d'ides qui, prsent
en masse compacte, ne manquerait pas d'effrayerles lecteurs.
La hardiesse des
thories serait ainsi
moins choquante.
Les gens du
monde
acceptent
souvent en dtail ce qu'ils refusent d'avaler en bloc.
M. de Sacy, peu de temps aprs, m'encouragea dans la mme voie. Le vieux jansniste s'apercevait bien de mes hrsies quand je lui lisais mes arti;
cles, je le
voyais sourire chaque phrase cline ouCertesle
respectueuse.
gros
livre
d'o
tout
cela
venait, avec sa pesanteur et ses allures
mdiocre-
mentreur.
littraires,Il
ne
lui
et inspir que de l'horsi
tait clair
que,
je voulais avoiril
quelquebeau-
audience des gens cultivs,
fallait
laisser
coup desenteclaire
mon
bagage la porte. La pense se pr-
moi d'une manire complexe; la forme ne me vient qu'aprs un travail analogue
celui
du
jardinier qui taille son arbre, l'monde, le
dresse en espalier.
Ainsi je dbitai en dtail le gros volume que de
bonnes inspirationsfait
et
de sages conseils m'avaient
relguer au fond de
mes
tiroirs.
Le coup
d'tat,
qui vint peu aprs, acheva de
me
rattacher la
Mevue des Deux Mondes et au Journal des Dbats, en
me
dgotant du peuple, que j'avais vu,
le
2
Dcem-
bre, accueillir d'un air narquois les signes de deuil
PRFACE.
V
des bons citoyens. Les travaux spciaux, les voyages,
m'absorbrenttout,
;
mes
Origines du christianisme, sur-
pendant vingt-cinq ans, ne
me
permirent pas
de penser autre chose. Je
me
disais
que
le
vieux
manuscrit serait publi aprs
ma
mort, qu'alors
une
lite d'esprits clairs s'y plairait, et
que de
l
peut-tre viendrait
pour
moi un deles
ces
rappels
l'attention du
monde dont
pauvres morts ont
besoin dans la concurrence ingale que leur font, cet gard, les vivants.
Ma
vie se prolongeant
au del de ce quesuis dcid,
j'avais
toujours suppos, je
me
en ces derniersditeur.
temps, J'ai
me
faire
moi-mme mon propre
pens que quelques personnes liraient, non sanspages ressuscites, et surtout que la jeu-
profit, ces
nesse,plaisirtrs
un peu incertaine de sa voie, verrait avec comment un jeune homme, trs franc etpensaitseul
sincre,
avec lui-mmeles
il
y a
quarante ans. Les jeunes aimentjeunes. Dansj'ai
ouvrages des
mes
crits destins
aux gens du monde, ce qu'ontrouvera,
d
faire
beaucoup dele
sacrificesIci,
appelle
en
France
got.
l'on
sans aucun dgrossissement, le petit Breton consciencieuxqui,
un
jour,
s'enfuit
pouvant de Saint-
Sulpice, parce qu'il crut s'apercevoir qu'une partie
de ce que ses matres lui avaient dit n'tait peut-
xi
PRFACE.Si
tre pas tout fait vrai.
des critiques soutienle
nent
un jour quec'est--dire
la
Revue des Deux Mondes et
Journal des Dbatscrire,
me
gtrent, en m'apprenant
me
borner, mousser sans
cesse
ma
pense, surveillerces
mes
dfauts,
ils
aime-
ront
peut-tre
pages,
pour lesquelles
on ne
rclame qu'un mrite, celui de montrer, dans sonnaturel, atteint d'une forte encphalite,
un jeune
homme
viVant uniquement dans sa tte et croyantvrit.
frntiquement la
Les dfauts de cette premire construction, enefTet,
sont normes,littraire, je
et, si j'avais le
moindre amour-
propre
devrais la supprimer de
mon
uvre, conue en gnral avec une certaine eurythmie.L'insinuation
de
la
penseles
manque de
toute habilet. C'est
un dner o
matires pre-
mires sont bonnes, mais qui n'est nullement par,et oii
l'on
n'a
pas eu soin d'liminer
les
plu-
chures. Je tenais trop ne rien perdre. Par peur
de n'tre pas compris, j'appuyais tropenfoncer le clou, je
fort
;
pour
me
croyais oblig de frapper
dessus coups redoubls. L'art de la composition,
impliquant de nombreuses coupes sombres dansfort
la
dela
la pense, m'tait
inconnu.
On ne dbute
pas
paret
brivet. Les exigences franaisesil
de clart
de discrtion, qui parfois,
faut l'avouer, forcent
PRFACE.
VII
ne dire qu'une
partie de ce qu'on pense et nuisent
la
profondeur,
me
semblaient une tyrannie. Le
franais ne veut exprimerleslois
que des chosescelles
claires
;
or
les plus
importantes,la vie,
qui
tiennentclaires;
aux transformations de
ne sont pas
on
les voit
dans une sorte de demi-jour. C'est ainsiles vrits
qu'aprs avoir aperu la premire
de ce
qu'on appelle maintenant
le
darwinisme,
la
France
a
t la dernire;
s'y rallier.
On
voyait bien tout
celala
mais celaet
sortait des
habitudes ordinaires defaites.
langue
du moule des phrases bienmais en
La
France a ainsi pass ct de prcieuses
vrits,
non sans
les
voir,
les jetant
au panier,
ommeje
inutiles
ou impossibles exprimer. Danset
ma premirele disais
manire, je voulais tout dire,
souventle
mal. La nuance fugitive, que
vieux
franais regardaitj'essayais
comme une
quantit ngligeable,
de la
fixer,
au risque de tomber dans
l'insaisissable.
Autant, sousdifi,
le
rapport de l'exposition,
j'ai
mo-
tort ou raison, mes habitudes de style,j'ai
autant, pour les ides fondamentales,
peu vari
depuis que je commenai de penser librement.religion, c'est
Ma
toujours
le
progrs de la raison,
c'est-
-dire de la science.
Mais souvent, en relisant ces
pages juvniles,
j'ai
trouv une confusion qui fausse
U8RARY
ST.
Nim'S
COLlifii
VIII
PRFACE.certaines
%La cultureintensive,,
un peude
dductions.
augmentant sans cesse le capital des connaissancesl'esprit
humain,
n'est pas la
mme
chose que laplus ces
culture extensive, rpandant de plus en
connaissances, pour le bien des innombrables indi-
vidus humains qui existent. La couche d'eau, ens'tendant,
a
coutume de s'amincir.
Vers 1700,
Newton
avait atteint
des vues sur le systme
du
monde
infiniment suprieures tout ce qu'onlui,
avait;
pens avant
sans que ces incomparables dcou-
vertes eussent le
moins du monde
influ sur l'du-
cation
du
peuple.
Rciproquement,
on
pourrait
concevoirfectionn,
un
tat
d'instruction primaire trs perla
sans que
haute science
ft
de
biei>
grandes acquisitions. Notre vraie raison de dfendrel'instruction primaire, c'est
qu'un peuple sans inqu'un peuple fanatique
struction est fanatique,
et
cre toujours
un danger
la science, les
gouverne-
ments ayant l'habitude, au nom des croyances dola fouleet
de prtendus pres de famille, d'imgnes
poser la libert de l'esprit destables.
insuppor-
L'idersulte
d'une civilisation galitaire,
telle
qu'elle
de quelques pages de cet
crit,
est
donc
un
rve.
Une
cole
o
les
coliers feraient la loila moralit
serait
une
triste
cole.
La lumire,
e%
PRFACE.Tari seront toujours reprsents
ir
dans l'humanitla trail
par un magistre, par une minorit, gardantdition
du
vrai,
du bien
et
du beau. Seulement,ne dispose de
faut viteret
que
ce magistre
la force
ne fasse appel, pour maintenir son pouvoir, des
impostures, des superstitions.Il
y
avait aussi
beaucoup
d'illusions
dans
l'accueil
que
je faisais,
en ces temps trs anciens, aux ides
socialistes
de 1848.
Tout en continuant de croirepeut amliorer la malheureuseici-bas, je
que
la science seule
situation
de l'homme
ne
crois plus la sole;
lution
du problme
aussi
prs de nous que je
croyais alors. L'ingalit est crite dans la natureelle est
la
consquence de la libertest
;
or la libert
de l'individu
du progrs humain. Ce progrs implique de grands sacrifices du bonheur individuel. L'tat actuel de l'humanit, parpostulat ncessaire
un
exemple, exigetablissements
le
maintien des nations, qui sont des
extrmement lourds porter.
Un
tat qui donnerait le plus
grand bonheur possible
aux individus
serait
probablement, au point de vue
des nobles poursuites de l'humanit, un tat de profond abaissement.L'erreur dont ces vieilles pages sont imprgnes,c'estle
un optimisme exagr, qui ne sait pas voir que mal vit encore et qu'il faut payer cher, c'est--
X
PRFACE.
dire en privilges, le pouvoir qui nous protge contrele
mal.
On y
trouve galement enracin un vieuxl'ide
reste
de catholicisme,
qu'on re verra des ges
de
foi,
o rgnera une
religion obligatoire et uni-
verselle,ti
comme
cela eut lieu dans la premire
moi-
du moyen
ge. Dieu nous garde d'une telleI
ma-
nire d'tre sauvsle fanatisme,
L'unit de croyance, c'est--dire
ne
renatrait
dans
le
monde
qu'avec
l'ignorance et la crdulit des
anciens jours. Mieux
vaut un peuple immoral qu'un peuple fanatique;car les masses immorales ne sont pas gnantes, tandis que les masses fanatiques abtissent leet
monde,de rai-
un monde condamn
la btise n'a plus
son pour que je m'y intresse; j'aime autant le voir
mourir. Supposonsladie dont
les
orangers atteints d'uneles gurir
ma-
on ne puisse
qu'en
les
emp-
chant de produire des oranges. Cela ne vaudrait pasla
peine,
puisque
l'oranger qui ne
produit
pas
d'oranges n'est plus
bon
rien.
Une
condition m'tait impose, pour qu'une telle
publication ne ft pas dnue de tout intrt, c'tait
de reproduire
mon
essai
de jeunesse dans sa forme
nave, touffue souvent abrupte. Si je m'tais arrt
faire disparatre d'innombrables incorrections, modifier
une foule de penses qui
me
semblent
maintenant exprimes d'une faon exagre, ou qui
PRFACE.ont perdu leur justesse*, j'aurais tposer
XI
amen com-
un nouveau
livre;
or le cadre de
mon
vieil
ouvrage n'est nullement celui que je choisirais aujourd'hui. Je
me
suis
donc born corriger
les
inadvertances, ces grosses fautes qu'on ne voit que
sur l'preuve et que srement j'aurais effacesj'avais
si
imprim
le livre
en son temps.
J'ai laiss les
notes en tas
la fin
du volume. On sourira ensi
maint endroit; peu m'importe,
l'on
veut bien
reconnatre en ces pages l'expression d'une grande
honntet intellectuelle et d'une parfaite sincrit.
Unpris
gros embarras rsultait
du
partitel
que
j'avais
d'imprimer
mon
vieux pourana
qu'il
est;
c'taient les ressemblances
qui ne pouvaient
man-
quer de se remarquer entre certaines pages du prsent
volume
et plusieurs endroits
de mes
crits
pu-
blis antrieurement. Outre le fragment insr dans
la Libert de penser,
qui a t reproduit dans mes
Etudes contemporaines, beaucoup d'autres passages ontcoul, soit
pour
la
pense seulement,
soit
pour
la
pense et l'expression, dans mes ouvrages imprims,surtout dans ceux de
ma
premire poque. J'essayaiil
d'abord de retrancher ces doubles emplois; mais1. J'ai laiss tous les passages
comme synonyme
o je prsentais la culture allemande d'aspiration l'idal. Ils taient vrais quand je les
crivais. Ce n'est pas
moi qui ai chang. M. Treitschke ne nous avait pas encore appris que ce sont l des rveries dmodes.
xnfut
PRFACE.bientt vident
pour moi que
j'allais
rendre
ainsi le livre
tout fait boiteux. Les;
parties r-
ptes taient les plus importantesposition,
toute laretirait
comdes
comme un mur
d'o l'on
pierres essentielles, allait crouler.
Je rsolus alorsleclire
de m'en rapporter simplement l'indulgence du teur. Les personnes qui me font l'honneur de
mes
crits
avec suite
me
pardonneront, je l'espre^
ces rptitions, si la publication nouvelle leur
montre
ma
pense dans des agencements
et des
combinai-
sons qui ont pour elles quelque chose d'intressant
Quandet
j'essaye de faire le bilan de ce qui,
dans
ces rves d'il
y a un demi-sicle,
est rest
chimre
de ce qui
s'est ralis, j'prouve, je l'avoue,
un
sentiment de joie morale assez sensible.j'avais raison.s'est
En somme^dceptions,,
Le progrs, sauf quelques
accompli selon les lignes que j'imaginais. Je ne
voyais pas assez nettement cette poque les arra-
chements que l'homme a
laisss
dans
le
rgne ani-
mal
;
je
ne
me
faisais
pas une ide suffisamment;
claire
de
l'ingalit des races
mais
j'avais
un
sen-
timent juste de ce que j'appelaisvie.
les origines
de la
Je voyais bien que tout sela nature,
fait
dans l'humanitpas de place
et
dans
que
la cration n'a
dans
la srie des effets et des causes.
Trop peu na-
PRFACE.turaliste
xiil
pour suivre les voies de la vie dans le labyrinthe que nous voyons sans le voir, j'tais volutionniste dcid en tout ce qui concerne les produits
de l'humanit, langues, critures, littratures,lations,
lgis-
formes
sociales.
J'entrevoyais que
le
da-
mier morphologique des espces vgtalesmalesest bien l'indice
et ani-
d'une gense, que tout est
n selonvas.
un
dessin dont nous voyons l'obscur canela
L'objet de
connaissanceles sciences
est
un immense
dveloppement dont
cosmologiques nous
donnentl'histoire
les
premiers anneaux perceptibles,dite
dont
proprement
nous montre
les
derniers
aboutissants.
Comme
Hegel, j'avais le tort d'attri-
buer
trop
affirmativement Il
l'humanit un
rle
central dans l'univers.
loppement humain que la mousse ou
n'ait
que tout le dvepas plus de consquencese peut
le lichen
dont s'entoure toute
surface humecte. Pour nous, cependant, l'histoire
de l'homme garde sa primaut, puisque l'humanitseule, autantl'univers.
que nous savons, cre la conscience de La plante ne vaut que comme produisantdes fruits, des tubercules nutritifs,
des fleurs,
unles
arme, qui ne sont rien
comme
masses,
si
on
compare
la
masse de
la plante,
mais qui
offrent,
bien plus quecaractre de
les feuilles, les
branches,
le tronc, le
la finalit.
XIV
PREFACE.Les sciences historiqueset leurs auxiliaires, les
sciences philologiques, ont fait
d'immenses conqutesavec tant
depuis que jeil
les
embrassai
d'amour,
y quarante ans. Mais on en voit le bout. Dans un sicle, l'humanit saura peu prs ceaqu'elle peut savoir sur son pass;
et alors
il
sera
temps de s'arrter; car le propre de ces tudes est,'
aussitt qu'elles ont atteint leur perfection relative,
de commencer se dmolir. L'histoire des religionsest claircieIl
dans
ses
branches
les
plus importantes.priori,
est
devenu
clair,
non par des raisons a
mais par
la discussion
mme
des prtendus tmoi-
gnages, qu'il n'y a jamais eu, dans les sicles attingibles turel.
l'homme, de rvlation ni de
fait
surna-
Le
processus de la civilisation est reconnu dans
ses lois gnrales. L'ingalit des races est constate.
Les
titres
de chaque famille humaine des men-
tions plus
ou moins honorables dans
l'histoire
du
progrs sont peu prs dtermins.
Quant aux sciences politiquesdire
et sociales,
on peut
que
le
progrs y est faible. La vieille conomiesi
politique, dont les prtentions taient
hautes en
1848, a
fait
naufrage. Le socialisme, repris par leset
Allemands avec plus de srieuxcontinue detroubler le
de profondeur,
monde, sans arborer de
solution claire. M. de Bismarck, qui s'tait annonc
PRFACE.
XV
commemoins
devant l'arrter en cinq ans au moyen des'est
ses lois rpressives,cette fois.
videmment tromp, au
bable, c'est
Ce qui parat maintenant bien proque le socialisme ne finira pas. Maissocialisme
srement
le
qui triomphera1848.
sera
bien
diffrent des
utopies de
Unvoir
il sagace, en
l'an 300 de notre
re, aurait
puil
nisme nele
finirait
pas
;
mais
aurait
que le christiad voir que
monde ne
finiraitle
pas non plus, que la socitchristianisme ses besoins
humaine adapteraitet,
d'une croyance destructive
ferait
un calmant,
au premier chef, une machine essentiellement
conservatrice.
Enment
politique, la situation n'est pas plus claire.
Le
principe national a pris depuis 1848extraordinaire. Le
un dveloppe-
gouvernement reprsentatif
est tabli
presque partout. Mais des signes videntsles
de la fatigue cause par
charges nationales selocal;
montrent
l'horizon.
Le patriotisme devient
l'entranement national diminue. Les nations
moleur
dernes
ressemblent
aux hros
crass
par
armure, du tombeau de Maximilien Inspruck, corps rachitiques sous des mailles de fer. La France,qui a march la premire dans la voie de l'espritnationaliste, sera, selon la loi
ragir contre
le
commune, la premire mouvement qu'elle a provoqu.
XVI
PRFACE.le
Dans cinquante ans,
principe national sera en
baisse. L'effroyable duret des procds par lesquelsles
anciens tats monarchiques obtenaient les sacri-
fices
de
l'individu,;
deviendra impossible dans lesse discipline pas
tats libres
on ne
soi-mme. Per-
sonne n'a plus de got servir de matriaux cestours bties,
commeest
celles
de Tamerlan, avec desclair,
cadavres.
Il
devenu tropn'est
en
effet,
que
le
bonheur de l'individulaet
pas en proportion deil
grandeur depuisil
la nation
laquelle
appartient,
arrive d'ordinaire qu'une gnration faitla gnration prcdente
peu de cas de ce pourquoia donn savie.
Ces variations ont pour cause l'incertitude de nosides sur le but atteindre et sur la
fm
ultrieure
de l'humanit. Entretique,
les
deux
objectifs
de la poli-
grandeur des nations, bien-tre ds individus, on choisit par intrt ou par passion. Rien ne nousindique quelle est la volont de la nature, nile
but
de l'univers. Pour nous autres,doctrine est vraie, lalaquelle le
idalistes,
une seule
doctrine transcendante selonla
bat
de l'humanit est
constitutiondisait;
d'une conscience suprieure, ou,autrefois,
comme on
la plus
grande gloire de Dieu
mais
cette doctrine
ne saurait servir de base une poli-
tique applicable.
Un
tel objectif doit,
au contraire,
tre soigneusement dissimul.
Les h jmmes se rvol-
teraient, s'ils savaient qu'ils sont ainsi exploits.
Combien de tempst-il
l'esprit national l'emportera-
encore sur Tgosme individuel ? Qui aura, danssicles,le
des
plus servi l'humanit,ractionnaire,
du
patriote,
du
libral,
du
du
socialiste,il
du
sa-
vant? Nul nele
le sait, et
pourtant
serait capital
de
savoir,
car ce qui est
bon dans une des hypol'autre.
thses est mauvais dans
On
aiguille sans
savoir o l'on veut aller. Selon le point qu'il s'agitd'atteindre, ce
que
fait la
France, par exemple, est
excellent ou dtestable. Les autres nations ne sont
pas plus claires. La politique
estle
comme unnord, vers
dsertle
ocar
l'onil
marche au hasard, versNul ne
sud,
faut marcher.
sait,
dans l'ordrec'est le
social,
o
est le
bien. Ce qu'il y a de consolant,
qu'on
arrive ncessairement quelque part.tir
Dans
jeu de
la cible auquel s'amuse l'humanit,
le
point
atteint parat le point vis.
Les
hommes de bonneen repos,
volont ont toujours ainsi la conscience
La
libert, d'ailleurs,
dans
le
doute gnral o nouscas; puisqu'elle estsecret
sommes, a sa valeur en toutune manire delaisseret
agir le ressort
qui
meut l'humanit,toujours.
qui bon gr mal gr l'emporte
En rsum, si, par l'incessant
travail
du
xix^ sicle,b
xvii
PRFACE.s'est
la connaissance des faits
singulirement augest
mente,scure
la destine
humaineCequ'il
devenue plus obc'est
que
jamais.
y a de grave,l'avenir,
que nous n'entrevoyons pas pourd'un retour la crdulit,le
moins
moyen de donner Il
l'humanit un catchisme dsormais acceptable.est
donc possible quesoit destine
la ruine des
croyances ida-
listes
suivre la ruine des croyances
surnaturelles, et qu'un abaissement rel
du moral
de l'humanit date du jour odes choses.obtenirtes
elle
a vu la ralit
A
force de chimres,gorille
on avait russi
du bon
les
moral surprenant; chimres, une partie de l'nergie facticeeffort
un
qu'elles
veillaient
disparatra.
Mme
la
gloire,
comme
force de traction, suppose quelques gards
l'immortalit, le fruit n'en
devant d'ordinaire tre
touch qu'aprs la mort. Supprimez l'alcool au travailleur dontil
fait la force,
mais ne
lui
demandez
plus la
mme sommeles
de
travail.
Je le dis franchement, je ne
me figure
pas comment
on rebtira, sans
anciens rves, les assises d'une
vie noble et heureuse.
L'hypothse o
le vrai
sage
serait celui qui, s'interdisant les horizons lointains,
renferme ses perspectives dansgaires, cette hypothse, dis-je,
les jouissances vul-
nous rpugne absole
lument. Mais ce n'est pas d'aujourd'hui que
bon-
PRFACE.heuret la
XIX
riiomme reposent sur un porte--faux. Continuons de jouir du don suprmenoblesse de
qui nous a t dparti, celui d'tre et de contemplerlaralit.
La
science restera toujours
la
satisfac-
tion
du plus haut
dsir de notre nature, la curio-
sit; elle
fournira toujours
l'homme
le seul
moyenmais
qu'il ait
pour amliorer son sort. Elle prserve depluttqu'elle
l'erreur
ne donne
la
vrit;
c'est dj
quelque chose d'tre sr de n'tre passelonces disciplines
dupe.
L'homme formdfinitive
vaut
mieux enges deest
que
l'homme
instinctif desl'tre inculteil
foi. Il est
exempt d'erreurs oIl est
fatalement entran.il
plus clair,
commoins
met moins de crimes,
est
moins sublimele
et
absurde. Gela, dira-t-on, ne vaut pasla science
paradis quesi elle
nous enlve. Qui
sait
d'abord
nous
l'enlve? Et puis,
aprs tout, on n'appauvrit perles
sonne en tirant de son portefeuille
mauvaises
valeurs et les faux billets. Mieux vaut
un peu de
bonne science que beaucoup de mauvaise science. On se trompe moins en avouant qu'on ignore qu'ens'imaginantsait pas.
savoir
beaucoup
de choses qu'on ne
J'eus donc raison,lectuelle,
au dbut de
ma
carrire intel-
de croire fermement
la science et
de la
prendre
comme
but de
ma
vie. Si j'tais
recom-
XX
PRFACE.
mencer, je referais ce que j'ai fait, et, pendant le peu de temps qui me reste vivre, je continuerai.L'immortalit, c'est de travailler une uvre ternelle.
Seloa la premire ide chrtienne, qui tait la
vraie, ceux-l seuls ressusciteront qui ont servitravail divin, c'est--dire faire rgnerterre.le
aula
Dieu sur
La punition des mchantes
et des frivoles sera
nant.
Une formidableLa
objection se
dresse
ici
contre nous.
science peut-elle tre plus ternellela fin est criteil
que l'humanit, dontqu'elle a
par
le fait seul
commenc? N'importe;quela
n'y a gure plus
d'un
sicle
raison
travaille
avec suite au
problme des choses. Elle a trouv des merveilles,qui ont prodigieusement multipli le pouvoir de
l'homme. Que sera-ce donc dans cent mille ans?Et songez qu'aucune vrit ne se perd,
qu'aucune
erreur ne se fonde. Gela donne une scurit bien
grande. Nous ne craignons vraiment que la chute duciel,et,
mme quand
le ciel croulerait,
nous nouspense:
endormirions tranquilles encore surl'tre,
cette
dont nous avons t l'efflorescence passagre,exist, existera toujours.
a toujours
A M.
EUGENE BURNOUFProfesseur
Membre de
l'Institut,
au
Collge
de France
Monsieur,
Bienanne,
des foisce
je
meSonous
suis
rappel, depuis
uneaprs
jourles
du
fvrier
^848,
o,
avoir franchiCollge de
barricades
pour nous rendre aude garde,.
France,
trouvmes notre modestecorpsoi
salle transforme
en un
nous
faillmes tre reusje
comme
des suspects
Ce jour -l,s'il
me demandaiet
plus srieusement que jamais
n'y avait rien de
mieux
faire que de consacrer
lude
la
pense tous
les
moments de sa
vie, et,
aprs avoir consult
ma
conscience et m'tre raffermi
dans
ma
foi:
l'esprit
humain^ je me rpondis
trs
rsolument
Non. Si
la science n'taitles
qu'un agrable
passe-temps, un jeu pour
oisifs,
un ornement
de luxe, une fantaisie d'amateur, la
moins vaine1
2
L'AVENIR DE LA [SCIENCE.il
des vanits en un mot,savant devrait dire avec
y aurait des jours opote:
le
le
Honte qui peut chanter, pendant que Rome
brle.
Mais
si
la science est la chose srieuse, si les des-
tines de
Vhumanit
et
la perfection de l'individu
y
sont attaches, si elle est une religion, elle a,les
commeet
choses religieuses, une valeur de tous les jours etles
de tous
instants.
Ne donner
l'tude
et
la
culture intellectuelle que les
moments de calme
de
loisir, c'est faire injure l'esprit humain, c'est supposer qu'il y a quelque chose ae plus important que la
recherche del vrit.
Or,
s'il
en tait ainsi,
si la
science ne constituait qu'un
intrt de
second ordre,
l'homme qui a vou sa vie au parfait, qui veut pouvoir dire ses derniers instants : J'ai accompli
ma
fin,
devrait-il
y consacrer une heure, quandetles
il
saurait que des devoirs plus levs le rclament?
Quesoient
les
rvolutions
craintes
de
l'avenir
une tentation pour la science qui ne comprend pas son objet, et ne s'est jamais interroge sur savaleuret
sa signification vritable, celala
se
conoit.
qui un besoin de la nature humaine, les boulerpond versements sociaux ne sauraient l'atteindre, et peut-
Quant
science srieuse et philosophique,
en la portant rflchir sur ellemme, se rendre compte de ses titres, ne plustre la servent-ils
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
3
se contenter du jugement d'habitude sur lequel elle sereposait auparavant.
Ce
sont ces
i^
flexions,
Monsieur
pour moi-mme,talion
solitaire etet
, que fai faites calme au milieu de Vagi-
universelle,
que
fai
dposes
dans
ces
pages. Grce aux
sentiments qu'elles m'ont inspirs ^
faiprit
travers de tristes jours sans
maudire personne,
plein de confiance dans la rectitude naturelle de l'es-
humain
et
dans sa tendance ncessaire un tatet
plus clair, phis moraln'est
par
l plus
heureux.
Ce
quelque pudeur dvoiler ainsi mes penses de que je me jeunesse, pour lesquelles peut-tre un autre ge jesuis dcid
pas sans avoir eu vaincre
me
ferai critique, et qui auront sans doute bien
peu
de valeur
aux yeux
des personnes avances dans la
carrire scientifique. J'ai pens toutefois que quelques
jeunes mes, amoureuses du beau et du vrai, trouveraient dans cette confidence consolation et appui, au milieu des luttes que doit livrer un certain ge toutesprit distingu
pour dcouvrir
et
se
formuler V idal
de sa vie.
J'ai voulu aussi professer,
mon dbut
dans la science,l'esprit
ma
moderne,
foi profonde la raison et dans un moment o tant d'mes
affaisses se laissent dfaillir entre les bras de
ceux
qui regrettent V ignorance et maudissent la Que ceux qui exploitent nos faiblesses,
critique.et
qui,
escomptant par avance nos malheurs, fondent leurs
H
L'AVENIR DE LA SCIENCE.sur la
esprancesluelle
faligneles
et la
dpression intellcc-
qu amnent
grandes souffrances^ ne s'ima-
ginent pas que la gnration qui entre dans la vie
de la pense
est
eux
!
Nous saurons maintenir laet contre
tradition de V espritlent
moderne^
ceux qui veu-
ceux qui prtendent pass substituer noire civilisation vivante et multiple je nele
ramener
et contre
sais quelle socit architecturale et ptrifie^celle des siclesoi
comme
Ce
n''est
mevous
porte
l'on btit les pyramides. une pense banale^ Monsieur, qui point vous adresser cet essai, Cest devantl'ai
que je
mdit.
Dans mes
dfaillances
intrieures,
toutes les fois
que mon
idal scientifique
a sembldissiper
s'obscurcir^
en pensant vous j'ai vu se
tous
les
nuages, vous avez t la rponseC'est votreles
tous mes doutes.sans cesse
image quevieest
j'ai
eue
devant
yeux, quand j'ai cherch
exprimer l'idal comme un rle
levet
o
la
conue non
une intrigue, mais
comme uneleons sur
chose srieuse et vraie.
En
coutant vos
la j)lus belle des langues et des littratures
du mondece
primitif, j'ai rencontr la ralisation
de
qu'au-
paravant je n'avais fait que rver : la science devenant la philosophie, et les plus hauts rsultatssortant de la plusC'est
scrupuleuse analyse des
dtails,.
cette
preuve vivante que je voudrais con-
vier tous ceux que je n'aurai
pu
convaincre de
nvj-
L'AVENIR DE LA SCIENCE.illse
5
favoritetre
:
la science
de
V esprit
humainet
doitcelte
surtouthistoire
Vhistoire de l'espritpossible que
humain,
n^est
philologique des uvres qu'ilrents ges.J'ai
par patiente et a produites ses diff-
l'tude
Vhonneur
d'tre,
Monsieur, avec la plus haute
admiration,Votre lve respectueux,
Ernest
RENAN.
Paris,
mars ISiO.
L'AVENIR DE
LA.
SCIENCE
Une seule chose est ncessaireporte philosophique ce prcepte
I
J'admets dans toute sa
du Grand Matre de
la
morale. Jevie,
le
regardela
comme
le
principe de toute noble
comme
en sa brivet, dela moralit et
formule expressive, quoique dangereuse la nature humaine, au point de vue dedevoir.
du
Le premier pas de
celui qui veut
se
donner de
la sagesse,faire
comme
disait la respectable anti:
quit, estet
n'ayant rien de sacr, se
deux parts dans la vie l'une vulgaire rsumant en des besoins et
des jouissances d'un ordre infrieur (vie matrielle, plaisir^fortune, etc.);
l'autre
que
l'on peut appeler idale, cleste,
divine, dsintresse, ayant
pour objetla
de la
vrit,
de
la beaut,
de
les formes pures bont morale, c'est--dire,
pour prendre l'expression la plus comprhensive et la plus consacre par les respects du pass. Dieu lui-mme, touch, peru, senti sous ses mille formes par l'intelligencede tout ce qui est vrai,C'est laet
grande opposition du corps
l'amour de tout ce qui est beau. et de Yme, reconnue
8j3ar
LVVVENIR DE LA SCIENCE.toutes les religions et toutes les philosophies leves,
opposition trs superficielledualit
de substance dans
la
on prtend y voir une personne humaine, mais quisisi,
demeure d'une
parfaite vrit,
largissant convenableles
ment
appliquant deux ordres de phnomnes, on les entend des deux vies ouvertes devant l'homme. Reconnatre la distinction de cesle
sens de ces deux mots et
deux
vies, c'est reconnatre
que
la vie suprieure, la vie
idale, est tout, et
que
la vie infrieure, la vie des intrts
et des plaisirs n'est rien, qu'elle s'efface
devant la premiresagesse pratiqueet
comme
le fini
devant
l'infini, et
ordonne d'y penser, ce de la premire.
n'est qu'en
que vue
si la
comme
condition
En dbutant par desais,
mon;
si pesantes vrits, j'ai pris, je le brevet de botien. Mais sur ce point je suis sans
pudeur depuis longtempsJ'ai la faiblesse
je
me suis placcomme
parmi
les esprits
simples et lourds qui prennent religieusement
les choses.
de regarder
de mauvais ton
et trs
facile imiter cette
se prtendue rsoudre prendre la vie comme chose srieuse et sainte; et, s'il n'y avait pas d'autre choix faire, je prfrerais,dlicatesse, qui
ne peut
au moins en morale,
les formules du plus troit dogmatisme cette lgret, laquelle on fait beaucoup d'honneur en lui donnant le nom de scepticisme, et qu'il faudraitS'il tait
appeler niaiserie et nullit.
vrai
que
la
vie hu-
maine ne
qu'une vaine succession de faits vulgaires, sans valeur suprasensible, ds la premire rflexion sft
il faudrait se donner la mort; il n'y aurait pas de milieu entre l'ivresse, une occupation tyrannique de tous les instants, et le suicide. Vivre de la vie de l'esprit,
rieuse,
aspirer l'infini par tous les pores, raliser le beau, atteindre le parfait, chacun suivant sa mesure, c'est la seule
L'AVENIR DE LA SCIENCE.chosencessaire.
9affliction
Tout
le
reste est vanit et
d'esprit.
fication
L'asctisme chrtien, en proclamant cette grande simplide la vie, entendit d'une faon si troite la seule
chose ncessaire, que son principe devint avec le temps pour l'esprit humain une chane intolrable. Non seu-
lement
il
ngligea totalement
le
vrai et le beau (la philo-
sophie, la science, la posie taient des vanits);
mais, en
'attachant exclusivement au bien,
conut sous sa bien fut pour lui la ralimesquine sation de la volont d'un tre suprieur, une sorte deil
le
forme
la plus
:
le
sujtion humilianteralisation
pour
la
dignit
humaine
:
car
la
pas plus une obissance des lois imposes que la ralisation du beau dans une uvre d'art n'est l'excution de certaines rgles. Ainsi lan'est
du bien moral
leve.
nature humaine se trouva mutile dans sa portion la plus Parmi les choses intellectuelles qui sont toutes
galement saintes, on distingua du sacr et du profane. Le profane, grce aux instincts de la nature plus fortsles principes d'un asctisme artificiel, ne fut pas entirement banni; on le tolrait, quoique vanit; quelquefois on s'adoucissait jusqu' l'appeler la moins vaine des
que
vanits
;
mais,
si
l'on et t consquent,
on
l'et proscrit
faiblesse laquelle les parfaits renonaient. Fatale distinction, qui a empoisonn l'existence de tant d'mes belles et libres, nes pour savourerc'tait
sans piti;
une
l'idal
dans toute son
infinit, et
dont
la vie s'est coule!
triste et
oppr.-sse sous l'treinte de l'tau fatal
Que de
luttes
elle
m'a cotes! La premire
phique deconscience
ma:
philosojeunesse fut de proclamer du fond de ma
victoire
Ce
n'est
Tout ce qui est de lame est sacr. donc pas une limite troite que nous posons
10
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
la nature humaine, en proposant son activit une seule chose comme digne d'elle car cette seule chose renferme:
l'infini .
Elle n'exclut
que
le vulgaire,
qui n'a de valeuril
qu'en tant qu'il est senti, et auet cette
moment o
est senti;
sphre infrieure elle-mme est bien
moins tendue
qu'on pourrait le croire. Il y a dans la vie humaine trs peu de choses tout fait profanes. Le progrs del moralitet
de l'intelligence amnera des points de vue nouveaux, qui donneront une valeur idale aux actes en apparence lesplus grossiers. Le christianisme, aid par les instincts des races celtiques et germaniques, n'a-t-il pas lev la dignit d'un sentiment esthtique et moral
un
fait
o
l'anti-
quit tout entire, Platon peine except, n'avait
vu qu'unede la
jouissance? L'actenourriture, ne
le plus matriel
de
la vie, celui
reut-il pas des premiers chrtiens une admi-
rable signification mystique? Le travail matriel, qui n'est
aujourd'hui qu'une corve abrutissante pour ceux qui y sont condamns, n'tait pas tel au moyen ge, pour ces ouvriers qui btissaient des cathdrales en chantant.
Qui
sait si
un jour
la
l'humanit,
pour laquelleles
on
vue du bien gnral de construit, ne viendra pas
adoucir et sanctifier les sueurs de
l'homme?les
Car, au point
de vue de l'humanit,
travaux
plus humbles ont
une valeurla
idale, puisqu'ils sont le
moyen ou du moins
condition des conqutes de l'esprit. La sanctification de la vie infrieure par des pratiques et des crmonies extrieures est un trait commun toutes les religions. Les
progrs
du rationalisme ont pu d'abord,
et
cela sans
grand mrite, dclarer ces crmonies purement superstitieuses. Qu'en est-il rsult? Prive de son idalisation, la vie est devenue quelque chose de profane, de vulgaire,de prosaque, tel
point que, pour certains actes, o le
L'AVENIR DE LA SCIENCE.besoin d'une signification religieuse tait plus
Il
sensible,
commeles
la naissance, le mariage, la mort,
on a conserv
anciennes crmonies, lorsefficacit.
mme
qu'on ne croit plus
progrs ultrieur conciliera, ce me semble, ces deux tendances, en substituant des actes
leur
Un
sacramentels, qui ne peuvent valoir que par leur signification, et qui, envisags
dans leur excution matriellele
sont compltement inefficaces,toute sa puret.Ainsi,
sentiment moral dans
tout ce qui se rattache lacette vie
vie suprieure
de
l'homme,
par laquelle
il
se distingue de l'ani-
des belles mes.
mal, tout cela est sacr, tout cela est digne de la passion Un beau sentiment vaut une belle pense; une belle pense vaut une belle action. Un systme de
philosophie vautvertevertu.
un pome, un pome vaut une dcouscientifique, une vie de science vaut une vie de
L'homme
parfait serait
celui qui serait
la
fois
pote, philosophe, savant,
homme
vertueux, et celadistincts(il
nonserait
par intervallesalors
et des
moments
ne
le
que mdiocrement), mais par une intime compntration tous les moments de sa vie, qui serait potealors qu'il est philosophe, philosophe alors qu'ilest sa-
vant, chez qui, ense runiraient
un mot,
tous les lments de l'humanit
en une harmonie suprieure,
comme dans
l'humanit elle-mme. La faiblesse de notre ge d'analyse ne permet pas cette haute unit la vie devient un mtier,;
une profession; il faut afficher le titre de ou de savant, se crer un petit monde osans comprendre toutce soit lle reste et
pote, d'artistel'on vit part,le niant.
souvent en
Que
une ncessit de
l'tat actuel;
de
l'esprit
humain,
nul ne peut songer qu'un tel systme de
le nier
il
faut toutefois reconnatre
vie,
bien qu'excus par sa ncessit.
li
L'AVENIR DE LA SCIENCE.la dignit
est contrairel'individu.
humaine
et
la perfection de
Envisag
comme homme, un Newton, un
un Heyne, rend un moins beau son qu'un sage antique, un Solon ou un Pythagore par exemple. La fin de l'homme n'est pas de savoir, de sentir, d'imaginer, maisCuvier,d'tre parfait, c'est--dire d'tre
homme
dans toute l'accep-
tion
dans un type individuel le tableau abrg de l'humanit complte, et de montrer runies dans une puissante unit toutes les faces de
du mot;
c'est
d'offrir
ia vie
que l'humanit a esquisses dans des tempsdivers.
et des
lieuxlit
On
s'imagine trop
souvent que la morala poursuite
seule fait la perfection,
que
du
vrai et
du beau neparfait,c'est
constitue qu'une jouissance,
l'honnte
homme,la
le
frre
que rhomnic morave parest
exemple. Le modle deparcelle qui reprsente le
perfection
nous
donn
l'humanit elle-mme; la vie la plus parfaite est mieux toute l'humanit. Or l'huma-
nit cultive n'est pas seulement morale; elle est encore
savante, curieuse, potique, passionne. Ce serait sans doute porter ses esprances sur
i -avenir
de l'humanit au del des
limites respectes par
les
plus
hardis utopistes, que de penser que
l'homme individuel
pourra un jour embrasser tout le champ de la culture intellectuelle. Mais il y a dans les branches diverses dela science etet
de
l'art
deux lments parfaitement
distincts
qui , galement ncessaires pour la production de l'uvre scientifique ou artistique, contribuent trs inga-
lement
la perfection
de l'individu
:
d'une part,
les
pro-
cds, l'habilet pratique, indispensables
pour
la
dcou-
verte
du
vraiet
ou
la ralisation
du beau de;
l'autre, l'esprit
qui cre
anime, l'me qui
vivifie
l'uvre
d'art^
la
grande
loi
qui donne
un
sens et une vaiCur telle d-
L'AVENIR DE LA SCIENCE.couverte scientifique.le
]3
mme homme
Il sera h tout jamais impossible que sache manier avec la mmo habilet le
chimiste.
pinceau du peintre, l'instrument du musicien, l'appareil du H y a l une ducation spciale et une habilet
pratique qui, pour passer au rang d'habitude irrflchie et spontane, exige une vie entire d'exercice. Mais ce qui
pourra devenir possible dans une forme plus avance de la culture intellectuelle, c'est que le sentiment qui donne lavie la composition de l'artiste
ou du pote,
la
pntration
du savanttre, se
et
du philosophe,
le
sens moral
du grand carac-
runissent pour former une seule me, sympathique toutes les choses belles, bonnes et vraies, et pour consti-
un type moral de l'humanit complte, un idal qui, sans se raliser dans tel ou tel, soit pour l'avenir ce quetuerle
Christ a t depuis dix-huit cents ans,
un
Christ
qui ne reprsenterait plus seulement le ct moral sa plus haute puissance, mais encore le ct esthtique etscientifique
de l'humanit.
Au fond, toutes ces catgories des formes pures perues par l'intelligence ne constituent que des faces d'une mmeunit.rieure.
La divergence ne commence qu' une rgion infIl y a un grand foyer central o la posie, laosavoir,
science et la morale sont identiques,
admirer,,
aimer, sont unesitions,
o
la
chose, o tombent toutes les opponature humaine retrouve dans l'identit deet ce grand tendance de tout son tre
mme
l'objet la
haute harmonie de toutes ses facults
acte d'adoration, qui
rsume
la
vers l'ternel infini. Le saint est celui qui consacre sa vie
ce grand idal, et dclare tout le reste inutile. Pascal a suprieurement montr le cerclencessaire de la vie positive.
vicieuxle repos,^
On
travaille
pour
puis le repos est insupportable.
On ne
vit pas,
maison
14
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
espre vivre. Le fait est que les gens du monde n'ont jamais, ce me semble, un systme de vie bien arrt, et ne peuvent dire prcisment ce qui est principal, ce qui estaccessoire, ce qui est fin, ce qui est
moyen. La richesse ne
que par Et pourtant tout le srieux de la vie s'use autour de l'acquisition de la richesse, et onles jouissances qu'elle procure.le plaisir que comme un dlassement pour les moments perdus et les annes inutiles. Le philosophe et l'homme religieux peuvent seuls tous les instants se reposer pleinement, saisir et embrasser le moment qui
saurait tre le but final, puisqu'elle n'a de valeur
ne regarde
passe, sans rien remettre l'avenir.
Un hommequit qu'il
disait
un jour un philosophe dela
l'anti-
ne
se
croyait pas n pour
philosophie:
Malheureux,si
lui dit le sage,
pourquoi donc es-tu n?
Certes,
la philosophie tait
une
spcialit,
une pro-
fession
comme une
autre;
si
philosopher, c'tait tudier
ou chercher
la solution
plus ou moins importantes,
d'un certain nombre de questions la rponse de ce sage serait un
trange contre-sens. Et pourtant si l'on sait entendre la philosophie, dans son sens vritable, celui-l est en effet unmisrable, qui n'est pas philosophe, c'est--dire qui n'est point arriv comprendre le sens lev de la vie. Bien des gens renoncent aussi volontiers au titre de pote. Si trepote, c'tait avoir l'habitude d'un certain
mcanisme deentend par
langage,
ils
seraient excusables.
Mais
si
l'on
posie cette facult qu'a l'me d'tre touche d'une certaine faon, de rendre un son d'une nature particulire etindfinissable en face des beauts des choses, celui qui n'est
pas pote n'est pas homme, et renoncer ce titre, c'est abdiquer volontairement la dignit de sa nature.D'illustres
exemples prouveraient au besoin que cette
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
15
haute harmonie des puissances de la nature humaine n'est pas une chimre. La vie des hommes de gnie prsente
presque toujours
d'une vaste capacit intellectuelle jointe un sens potique trs lev et une charmante bont d'me, si bien que leur vie, dans sa calmele ravissant spectacle
suave placidit, est presque toujours leur plus bel ouvrage et forme une partie essentielle de leurs uvres cometpltes.d'art,
Ade
vrai dire,
ces
mots de
posie,
de philosophie,objets
science,
dsignent
moins
des
divers
proposs l'activit intellectuelle de l'homme, que des manires diffrentes d'envisager le mme objet, qui estl'tre
dans toutes
ses manifestations. C'est
pour cela que;
le
grand
philosophe n'est pas
sans tre pote
le
grand
artiste est
souvent plus philosophe que ceux qui portent ce nom. Ce ne sont l que des formes diffrentes,
qui,
exprimer toute chose. Branger a pu tout dire sous ferme de chansons, tel autre sous forme de romans, tel autre souscelleslittrature, sont aptes
comme
de la
formel'objet
d'histoire.
Tous
les gnies sont universelset,
quant sont
de leurs travaux,
autant
les petits esprits
insoutenables
quand
ils
exclusive de leur art,
veulent tablir la prminence autant les grands hommes ont rai-
son quand
soutiennent que leur art est le tout de l'homme, puisqu'il leur sert en effet exprimer la choseils
indivise par excellence, l'me. Dieu.Il
faut pourtant reconnatre
que
le
secret
ces lments divers n'est pas encore trouv. actuel de l'esprit
pour Dans
allierl'tat
humain, une trop riche nature est un L'homme n avec une facult minente qui absupplice. sorbe toutes les autres est bien plus heureux que celuiqui trouve en lui des besoins toujours nouveaux, qu'il ne peutsatisfaire.11
lui faudrait
une
vie
pour savoir, une
IG
L'AVEMR DE LA SCIENCE.unevie
vie pour sentir et aimer,
pour
agir,
ou plutt
ii
voudrait pouvoir mener de front une srie d'existences parallles, tout en ayant dans une unit suprieure laconscience simultane de chacuned'elles.
Borne par
le
temps
et
par des ncessits extrieures, son activit conIl
centre se dvore intrieurement.
a tant vivre pour
lui-mme11
qu'il n'a pas le temps de vivre pour le dehors.
laisser perdre de cette vie brlante et mulqui lu chappe et qu'il dvore avec prcipitation et avidit. Il roule d'un monde sur l'autre, ou plutt destiple,
ne veut rien
mondes mal harmonissenvietour tour,caril
se
heurtent dans son sein.
Il
sait
l'me simple qui vit de
foi et
comprendre tour k tour, d'amour, l'me virile quiathlte, l'esprit
prend
la vie
comme un musculeux
pn-
trant et critique, qui savoure loisir le
charme de mail
nier son instrument exact et sr. Puis
quand
se voit
dans l'impossibilit de rahservoit cette vieplte,siil
cet idal multiple,si
quand
il
courte,
si
partage,
fatalement incom-
songe que des cts entiers de sa riche et fconde nature resteront jamais ensevelis dans l'ombre, c'est un retour d'une amertume sans pareille. Il maudit
quand
vie, qui n'aboutit qu' se consumer dverse son activit sur quelque uvre fruit, ou, extrieure, il souffre encore de n'y pouvoir mettre qu'une
cette
surabondance des'il
sans
portion de lui-mme.vie,leil
A
peine
a-t-il ralis
une face de
la
que mille autres non moins
belles se rvlent lui,
doivent et l'entranent leur tour, jusqu'au jour ofaut finir, et o, jetant
un regard en
arrire,
il
peut
enfin dire avec consolation: J'ai beaucoup vcu. C'est le
premier jour o
il
trouve sa rcompense.
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
il
II
Savoir est
le
premier mot du symbole de la religion
naturelle: car savoir est la premire condition
du com-
merce de l'homme avec
les choses,
de
l'univers qui
est
la
vie intellectuelle
de cette pntration de l'individu:
savoir, c'est s'initier Dieu.
>comme squestr de la rduit se faire un non-moide sa personnalit. De l fance, o vivait l'hommenique avecles
Par l'ignorance l'homme est nature, renferm en lui-mme etfantastique,
sur
le
modle
monde trange o vit l'enprimitif. L'homme ne commuce
sans la science
choses que par le savoir et par l'amour : il n'aime que des chimres. La science
seule fournit le fond de ralit ncessaire la vie.ace vant
l'me individuelle, la faon de Leibnitz,se reflte
En coricommescience
un miroir ode ce quiparfaite
l'univers,
c'est
par
la
qu'elle peut rflchirest, et
une portion plus ou moins grandefin,
approcher de sales actes
qui serait d'elre en
harmonie avecestle
l'universalit des choses.
Savoircar c'est
de tous
de la vie
le
moins profane,
plus dsintress, le plus indpendant de la
jouissance, le plus objectif ipour parler le langage de l'cole. car C'est perdre sa peine que de prouver sa saintet;
ceux-l seuls peuvent songer arien de saint.
la nier
pour lesquels
il
n'y
Ceux qui s'en tiennent aux faits de la nature humaine, sans se permettre de qualification sur la valeur des choses,mier besoin de l'humanit.
ne peuvent nier au moins que la science ne soit lo preI/horame en face des choses
tSest fatalement
L'AVENIR DE LA SCIENCE,port
en chercher
le
secret.
Le pro-
blme
de lui-mme, et en vertu de qu'a l'homme d'aller au del du phnomnese pose
cette facultqu'il peroit.;
C'est d'abord la nature qui aiguise cet apptit de savoir
il
s'attaque
elle
avec
l'impatience
de
la
nave, qui croit,
ds ses premiers essais et
prsomption en quelques-
pages, dresser le systme de l'univers. Puis c'est lui-mme*,,
bien plus tard, c'est son espce, c'est l'humanit, c'est l'histoire. Puis c'est le problme final, la grande cause, laloi
suprme qui
tente sa curiosit.
Le problme
se varie,
de chaque ge; s'largit mais toujours il se pose toujours, en face de l'inconnu, l'homme ressent un double sentiment: respect pour lel'infini,
suivant les horizons;
mystre, noble tmrit qui le porte dchirer le voile pour connatre ce qui est au del. Rester indiffrent devant l'univers est chose impossible
pour l'homme. Dsproblmesetles
qu'il pense,il
il
cherche,
il
se pose des
rsout;
lui
faut
un systme sur
\&
monde, sur lui-mme, surgine, sur sa fin.Il
la
cause premire, sur son ori-
n'a pas les donnes ncessaires pour aux questions qu'il s'adresse qu'importe ? Il y rpondre supple de lui-mme. De l les religions primitives, solu;
tions improvises d'un
problme qui exigeait de longs sicles de recherches, mais pour lequel il fallait sans dlai une rponse. La science mthodique sait se rsoudre ignorer outive
du moins supporter
le dlai
;
la science
primi-
du premier bond
voulait avait avoir la raison des
choses. C'est qu' vrai dire,
ner certains problmes et de savoir ce qu'il est, quelle place il occupe dans le monde, quelle est la cause du monde et de lui-mme, c'est lui
demander l'homme d'ajourde remettre aux sicles futurs
demander
l'impossible. Alors
mme
qu'il saurait l'nigme-
L'AVENIR DE LA SCIENCE.insoluble,
19et
on ne pourrait l'empcher de
s'agacer
de
s'user autour d'elle.11 y a, je le sais, dans cet acte hardi par lequel l'homme soulve le mystre des choses, quelque chose d'irrv-
rencieux et d'attentatoire, une sorte de lse-majest divine. Ainsi, du moins, le comprirent tous les peuplesanciens.
La
science leurs yeux futle
un
vol fait Dieu,
une faon de
braver et de lui
dsobir.
Dans
le
beau
mythe par lequel s'ouvre le livre des Hbreux, c'est le gnie du mal qui pousse l'homme sortir de son innocente ignorance, pour devenir semblable Dieuscience distincte etfable de
par la
antithtique du bien:
etles
du mal. Laconqutes de
Promthe n'a pas d'autre sens
la civilisation prsentesillicite fait
comme un
attentat,
comme un
une divinit jalouse, qui voulait se les rapt rserver. De l ce fier caractre d'audace contre les dieux
que portent les premiers inventeurs de l ce thme dvelopp dans tant de lgendes mythologiques que le dsir d'un meilleur tat est la source de tout le mal dans le;
:
monde. On comprend que
l'antiquit, n'ayant pas le
grand
mot de ment delui
l'nigme, le progrs, n'ait prouv qu'un senti-
crainte respectueuse en brisant les barrires qui semblaient poses par une force suprieure, que, n'osant placer le bonheur dans l'avenir, elle l'ait rv dans un
ge d'or primitif
(1),
qu'elle ait dit:
Audaxde
lapeti genus,
qu'elle ait appel la conqute
du
parfait
un vetilum
nefas.et
L'humanit
avait alorsla victoire;
le
sentiment
l'obstacle
non
celui
de
cieuse etarrivs
tmraire, elle
mais tout en s'appelant audamarchait toujours. Pour nous,la conscience,il
au grand moment de:
ne
s'agit
Clum ipsiim petimus stullitia ! et d'avanplus de dire en sacrilges. Il faut marcher la tte haute et sans cer
20
L'AVENIR DE LA SCIENCE,quand nousfaisons
crainte vers ce qui est notre bien, et
violence aux choses pour leur arracher
leur secret, tre
bien convaincuselles et
que
nous agissons pour
nous,
pour
pour Dieu.
Ce n'est pas du premier coup que l'homme arrive la conscience de sa force et de son pouvoir crateur. Chezpeuples primitifs, toutes les uvres merveilleuses de les sages se l'intelligence sont rapportes la Divinitles;
une pleine conviction de relations mystrieuses avec des tres suprieurs. Souvent ce sont les agents surnaturels qui sont eux-mmescroient inspirs, et se vantent avecles
auteurs des uvres qui semblent dpasser les forces de
l'homme. Dans Homre Hphaeslos cre tous les mcanismes ingnieux. Les sicles crdules du moyen ge attribuent des facults secrtes,
un commerce avec
le
dmon, toute science mincnte ou toute habilet qui s'lve au-dessus du niveau commun. En gnral, les sicles peurflchis sont ports
substituer des explications tholo-
giques aux explications psychologiques. Il semble naturel de croire que la grce vient d'en haut; ce n'est quebien tard qu'on arrive dcouvrir qu'elle sort du fond dela
conscience. Leciel
vulgaire aussicroit
se figurele
que
la rose
tombe duqu'elle
et
peine
savant qui
l'assure
sort des plantes.
Quand je veux me reprsenter le fait gnrateur de la science dans toute sa navet primitive et son lan dsin-
me reporte avec un charme inexprimable aux premiers philosophes rationalistes de la Grce. Il y a dans cette ardeur spontane de quelques hommes qui, sanstress, je
antcdent traditionnel ni motif
officiel, par la simple impulsion intrieure de leur nature, abordent l'ternel problme sous sa forme vritable, une ingnuit, une
L'AVENIR DE LA SCIENCE.vrit inapprciable
21
dj
un savantfait
rflchi,
aux yeux du psychologue. Aristote est qui a conscience de son procd,
qui
faisait
de la science et de la philosophie comme Virgile des vers. Ces premiers penseurs, au contraire, sont
bien autrement possds
par
leur
curiosit spontane.
L'objet est l devant eux, aiguisant leur
apptit;
ils
se
prennent lui comme l'enfant qui s'impatiente autour d'une machine complique, la tente par tous les cts pour en avoir le secret, et ne s'arrte que quand il atrouv
un mot
qu'il croit
sufTisamment
explicatif.
Celte
science primitive n'est que le pourquoi rpt de l'enfance,
la seule diffrence que l'enfant trouve chez nous une
personne rflchie pour rpondre sa question, tandis que l c'est l'enfant lui-mme qui fait sa rponse avec la
mmele vrai
navet.
11
me
semble aussi
difficile
de comprendre
point de vue de
la science sans avoir tudi ce?
savants primitifs, que d'avoir le haut sens de la posie sansavoir tudi les posies primitives.
Une
civilisation affaire
comme
la
ntre est loin d'tre
favorable
l'exaltation
de ces besoins spculatifs. Laet
curiosit n'est nulle part plus vive, plus pure, plus objective
que
chezils
l'enfant
chez
les
peuplesla
sauvages.
Commeanimaux
s'intressent
navement ni
nature,
aux!
(2),
sans arrire-pense,
respect
humain
L'hommede
affair,
au contraire, s'ennuie dans
la nature et des
la compagnie animaux; ces jouissances dsintresses
n'ont rien faire avec son gosme.
abandonn sa propre pense,
se fait souvent
L'homme simple, un systme
des choses bien plus complet et plrs tendu que l'homme qui n'a reu qu'une instruction factice et conventionnelle.
Les habitudes de
la
vie
pratique affaiblissent l'instinct
de curiosit pure; mais
c'est
une consolation pour l'amant
22
L'AVENIR DE LA SCIENCE,le dtruire,
de la science de songer que rien ne pourra que le monument auquel il a ajout une pierrequ'il a sa garantie, comme la morale, dans mmes de la nature humaine.
est ternelles instincts
n'envisage d'ordinaire la science que par ses rsultats pratiques et ses effets civilisateurs. On dcouvre sans
On
peine que la socit moderne lui est redevable de ses principales amliorations. Cela est trs vrai; mais c'estposer la thse d'une faon dangereuse. C'est comme si, pour tablir la morale, on se bornait prsenter les avantages qu'elle procure la socit.
La
science, aussi bienet
que
la morale,
a sa valeur en elle-mme
indpendam-
ment dede
tout rsultat avantageux.
Ces rsultats, d'ailleurs, sont presque toujours conus
mesquine. On n'y voit d'ordinaire que des applications, qui sans doute ont leur prix et servent puissamment par contre-coup le progrs de l'esprit, maisla faon la plus
qui n'ont en elles-mmesla scienceles
idale. Les applications morales,
que peu ou point de valeur en effet, dtournent presfin vritable. N'tudier l'his-
que toujourstoire
de sa
leons de morale ou de sagesse praque pour tique qui en dcoulent, c'est renouveler la plaisante thorie de ces mauvais interprtes d'Aristote qui don-
naient pour but qu'il
l'art
dramatique de gurir
les
passions
met en
scne. L'esprit
que j'attaquesi
ici
est celui
de
la science anglaise si
Je ne sais
si
peu leve, peu philosophique. aucun Anglais, Byron peut-tre except, ala
compris d'une faon bien profondechoses.l'erreur,
philosophiela
des
Rgler
sa vie
conformment
raison,
viter
ne point s'engager dans des entreprises inexcutables, se procurer une existence douce et assure, reconnatre la simplicit des lois
de
l'univers
et arriver
L^AVENIR DE LA SCIENCE. quelques vues de thologieAnglaisqui pensentle
23
naturelle,
voil
pour
les
but souverain
de
la
science.
Jamais une ide de haute
et inquite spculation,est.
jamais
un regard profondun
jet sur ce qui
Cela tient sans doute
ce que, chez nos voisins,
la religion positive, et
mise sous
tenue pour inattaquable, est squestre conservateur, donnant encore le mot des grandes considre comme
ne valant qu'en tant qu'elle peut remplacer la religion, que devient-elle dans un pareil systme? Un petit procd pour se former le-choses (3).science,
La
en
effet,
bon
sens,
une faon de
se bien poser
dans
la vie et d'ac-
qurir d utiles et curieuses connaissances. Misres que tout celai Pour moi, je ne connais qu'un seul rsultat lascience, c'est de rsoudre l'nigme, c'est
de dire
dfiniti-
vement l'hommeh lui-mme,c'est
le
motlui
des choses, c'est de l'expliquer
de
donner, au
nom
de
la seule au-
torit lgitime qui est la nature
humaine
tout entire, le
symbole que les religions lui donnaient tout fait et qu'il ne peut plus accepter. Vivre sans un systme sur les -choses, c'est ne pas vivre une vie d'homme. Je comautre;foi,
prends certes le scepticisme, c'est un systme comme un il a sa grandeur et sa noblesse. Je comprends laje l'envie et la
regrette
peut-tre. Mais ce
qui
me
semble un monstre dans l'humanit,et la lgret. Spirituel tant
c'est l'indiffrence
qu'on voudra, celui qui en
face de l'infini ne se voit pas entour de mystres et de
problmes, celui-l n'est mes yeux qu'un hbt. C'est noncer une vrit dsormais banale que de dire
que ce sonta
les ides
qui mnent
le
monde.faire
C'est d'ailleurs
dire plutt ce qui devrait tre et ce qui sera,t. Il est incontestable qu'il faut
que ce qui dans l'iiistoire ce qu'on
^ne
large part la force, au caprice, et
mme
24
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
peut appeler le hasard, c'est--dire ce qui n'a pas decause morale proportionne l'effet (4). La philosophie pure n'a pas exerc d'action bien immdiate sur la marche
de l'humanit avantvrai de direphies, qu'il
le xvni^ sicle, et
il
est
beaucoup plus
que les poques historiques font les philosone l'est de dire que les philosophies font les
poques. Mais ce qui reste incontestable, c'est que l'humanit tend sans cesse, travers ses oscillations, untat plus parfait;
c'est qu'elle
a
le droit et le le
pouvoir
d-
faire
prdominer de plus en plus, dans
gouvernemcnfe
des choses, la raison sur le caprice et l'instinct. Il n'y a pas raisonner avec celui qui pense quetoire est
l'his-
sultante.
une agitation sans but, un mouvement sans rOn ne prouvera jamais la marche de l'humanitle
celui qui n'est point arriv la dcouvrir. C'est l
premier mot du symbole dutat
xix^ sicle,
l'immense rsul-
sicle.
que la science de l'humanit a conquis depuis un Au-dessus des individus, il y a l'humanit, qui vitdveloppe
et
se
commesicles
comme tout tre organique, et qui, tout tre organique, tend au parfait, c'est--dire de son trela nuit(o). Aprs avoir march de longs de l'enfance, sans conscience d'elleseule force de son ressort, est venu leelle
la plnitude
danset
mme
par la
grand moment osentie
aelle
pris,s'est
comme
l'individu, posses-
sion d'elle-mme, o
reconnue,
o
elle
s'esfe
jamais mmorable, nous ne voyons pas, parce qu'il est trop prs de nous, que
comme
unit vivante;
moment
mais qui constituera, cenouvelle re dans
me
une rvolution comparable l'histoire
semble, aux yeux de l'avenir, celle qui a marqu une
de tous
les
peuples.s'est
Il
y a
peine
un
demi-sicle que l'humanits'tonne aue la
rflchie (6), et l'on
comprise et; conscience de sorv
L'AVENIR DE LA SCIENCE.unit et de sa solidarit soit encoretion franaiseestlesi
25!
faible
La
rvolu-
premier essai de l'iiumanit pour prendre ses propres rnes et se diriger elle-mme. C'est l'avnement de la rflexion dans le gouvernement de l'humanit. C'est le moment correspondant celui o l'enfant, conduit jusque-l par les instincts spontans, le caprice et la volont des autres, se pose en personne libre, morale et responsable de ses actes. On peut, avec Robert Owen,appeler tout ce qui prcde priode irrationnelle de l'existence humaine, etl'histoire
un jour cette priode ne comptera dans de l'humanit, et dans celle de notre nation enque comme une curieuse prface, peu prs on la faitsur l'histoire des;
particulier,
ce qu'est l'Histoire de France ce chapitre dont
d'ordinaire prcderhistoire de
Gaules.
La vraie
France commence 89
tout ce
qui prcde
est la lente prparation de 89, et n'a d'intrt qu' ce prix. Parcourez en effet l'histoire, vous ne trouverez rien d'ana-
logue ce fait immense que prsente tout le xvni^ sicle : des philosophes, des hommes d'esprit, ne s'occupant nullement de politique actuelle, qui changent radicalement le
fond des ides reues, et oprent la plus grande des rvolutions, et cela avec conscience, rflexion, sur la foi de leurs systmes. La rvolution de 89 est une rvolutionfaite
offrent le premierla direction
par des philosophes. Condorcet, Mirabeau, Robespierre exemple de thoriciens s'ingrant dansdes choses et cherchant gouverner l'humad'une faon raisonnable et scientifique. Tous lesla Constituante,
nit
membres dedisciples de
Convention taient laVoltaire
lettre et
de la Lgislative et de la presque sans exception desbientt
et
de Rousseau. Je dirai
char dirig par de telles mains ne pouvait d'abord tre si bien conduit que quand il marchait tout
comment
le
26seul, et
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
comment
il
devait aller se briser dansc'est cette
un abme.
Ce
qu'il
importe de constater,
incomparable
audace, cette merveilleuse et hardie tentative de rformerJece
monde conformment
la raison,
qui est prjug, tablissement aveugle,
de s'attaquer tout usage en appa-
rence irrationnel,
commeficielle
pour y substituer un systme calcul une formule, combin comme une machine arti-
0). Cela, dis-je, est unique et sans exemple dans tous les sicles antrieurs ; cela constitue un ge dansl'histoire
pouvait tre de tout point irrprochable.tions
de l'humanit. Certes une pareille tentative ne Car ces institu-
absurdes, ne le sont pas au fond autant qu'elles le paraissent; ces prjugs ont leur raison, que vous ne voyez pas. Le principe est incontes-
qui
semblent
si
table
;
l'esprit seul doit rgner,
l'esprit seul, c'est--dire la
maison, doit gouverner le
monde. Mais qui vous
dit
que
votre analyse est complte, que vous n'tes point amen nie' ce que vous ne comprenez pas, et qu'une philoso-
phie
plus
avance
n'arrivera point justifier l'uvreIl
spontanele
de
l'humanit?
est
facile
de montrer que
la plupart des prjugs
sur lesquelsla
reposait l'anciennele droit
socit,
privilge de
noblesse,
d'anesse,
la lgitimit, etc., sont irrationnels et absurdes
au pointsocit
de \u de
la
raison
abstraite,
que dans
une
normalement
constitue, de telles superstitions n'auraient
-comme
point de place. Cela a une clart analytique et sduisante l'aimait le xviii sicle. Mais est-ce une raison
pour blmer absolument ces abus dans le vieil difice de l'humanit, o ils entrent comme partie intgrante? Il est certain que la critique de ces premiers rformateurs fut,sur plusieurs points, aigre, inintelligente du spontan, trop orgueilleuse des faciles dcouvertes de la raison rflchie.
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
27
Endelala
gnral la philosophie
du xvni^
sicle et la politique
premire Rvolution prsentent les dfauts insparables de la premire rflexion l'inintelligence du naf,:
tendance dclarer absurde Z dont on ne voit point la raison immdiate. Ce sicle ne comprit bien que lui-
mme,par
et
l'ide
jugea tous les autres d'aprs lui-mme. Domin de la puissance inventrice de l'homme, il tendittropla
beaucoupposie,il
sphre
de
l'invention rflchie.
En
substitua la composition artificielle l'inspira-
tion intime, qui sort
du fond de
la conscience, sans
aucune
arrire-pense de composition littraire. En politique, l'homme crait librement et avec dlibration la socit etl'autorit quilargit.
En
morale, l'homme trouvait etinvention utile.des rsultatsphilologie, les
tablissait le devoir,
comme unele crateur
Enles
psyplus
chologie,
il
semblait
ncessaires de sa constitution.
riensles
grammaidu temps s'amusaient montrer l'inconsquence, fautes du langage, tel que le peuple l'a fait, et corrigerde l'usage par la raison logique, sans s'apercetoursqu'ilsclairs,
En
]es carts
voir que les
voulaientplus
plus logiques,
plus
faciles
supprimer taient que ceux qu'ils
sicle ne comprit pas la Sans doute l'homme produit spontane. en un sens tout ce qui sort de sa nature il y dpense -de son activit, il fournit la force brute qui amne le
voulaient
y substituer.
Ce
nature, l'activit
;
rsultat
;
mais
la;
direction
ne
lui
appartient;
pas
;
il
fournit la matiretable auteur est
mais
la
forme vient d'en haut
le vri-
cette force vive et
vraiment divine que
reclent les facults humaines, qui n'est ni la convention,
ni le calcul, qui produit son effet d'elle-mme et par sa propre tension. De l cette confiance dans l'artificiel, le
mcanique, dont nous sommes encore
si
profondment
23atteints.
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
On croit qu'on pourra prvoir tous les cas posmais l'uvre est si complique qu'elle se joue de tous les efforts. On pousse si loin la sainte horreur desibles;
qu'on dtruit toute initiative. L'individu est circonvenu de rglements qui ne lui laissent la libertl'arbitraire
tout autant
d'aucun membre; de sorte qu'une statue de bois en ferait si on pouvait la styler la manivelle. La diffrencedes individus
mdiocres ou distingus est ainsi;
devenue presque insignifiante l'administration est devenue comme une machine sans me qui accomplirait les uvres
homme. La France est trop porte supposer qu'on suppler l'impulsion intime de l'me par des mcapeut nismes et des procds extrieurs. N'a-t-on pas voulu appliquer ce dtestable esprit des choses plus dlicatesd'unencore,
l'ducation,
la
morale
(8) ?
N'avons-nous
pas eu des ministres de l'instruction publique qui prtendaient faire des grands hommes au moyen de rglements
convenables ? N'a-t-on pas imagin des procds pour peu prs comme des fruits qu'on mrit entre les doigts! Gens de peu de foi la nature,moraliser l'homme,laissez-les
donc au
soleil.
Excusable
et ncessaire
a donc t l'erreur des sicles la spontanit conscience soit un(9).
o
la
rflexion
se
substitue
Bien
que ce premier degr defaces infrieur
immenseennemis
progrs, l'tat qui en est rsult a
pu sembler par quelques
celui qui avait prcd, et lestirer
de l'humanit ont pu enavec
avantage pour combattre
quelque
grs (10),
En
apparence plausible le effet, dans l'tat aveugle
dogme du proet irrationnel,les-
choses
marchaient
spontanment
et
d'elles-mmes,
endes
vertu de l'ordre tabli.tout d'une pice, dont
y on ne
Il
avait des institutions faitesdiscutait pas l'origine,
L'AVENIR DE LA SCIENCE.:
29
dogmes que Ton acceptait sans critique le monde tait une grande machine organise de si longue main et avec si peu de rflexion, qu'on croyait que la machine venaitd'treIl n'en fut plus ainsi, l'humanit voulut se conduire elle-mme, et aussitt que reprendre en sous-uvre le travail instinctif des sicles.
monte par Dieu mme.
Auet
lieu
de
vieilles institutionsle rsultat
semblaient
ncessaire
qui n'avaient pas d'origine du balancement des
choses, on eut des constitutions faites detoutes
main d'hommes,
fraches, avec des ratures, dpouilles par l du vieux prestige. Et puis, comme on connaissait les auteurs
ur bon sens est la manire de voir de leur
sicle
ou
de leur province. Celui qui a compar savamment les faces diverses de l'humanit aurait seul le droit de faire cetl^irs qui
appel des opinions universelles. Est-ce le bon sens d'ailme fournira ces connaissances de philosophie,
d'histoire,
de phUolc^e, ncessaires pour la critique des plus importantes vrits? Le bon sens a tous les droits
76
L'AVENIR DE LA SCIENCE,il
quand
s'agit d'tablir les bases;
de
la
morale
et
de
la
psychologie parce qu'il ne s'agit l que de constater ce est de la nature humaine, laquelle doit tre cherche qui
dans son expression la plus gnrale, et par consquent la plus vulgaire mais le bon sens n'est que lourd et maladroit, quand il veut rsoudre seul les problmes o il;
deviner plutt que voir, saisir mille nuances presque imperceptibles, poursuivre des analogies secrtes et caches.faut
Le bon sensparle
est partielet
dedans,
il n'envisage son opinion que n'en sort jamais pour la juger du dehors.;
Or presque toute opinion est vraie en elle-mme, mais relative quant au point de vue o elle est conue. Lesesprits dlicats
et fins
sont seuls
faits
pour
le vrai
dans
morales et historiques, comme les esprits exacts en mathmatiques. Les vrits de la critique ne sont pointles sciences
la surface elles ont presque l'air de paradoxes, elles ne viennent pas poser plein devant le bon esprit comme des thormes de gomtrie ce sont de fugitives lueurs; :
par le coin de l'il, d'une manire tout individuelle, et qu'il est qu'on presque impossible de communiquer aux autres. Il ne restesaisit
qu'on entrevoit de ct et
comme
d'autre ressource que d'amener les esprits au mme point de vue, afin de leur faire voir les choses par la mmeface.
Que
vient
faire
dans ce monde de finesse
et
de
tnuit infinie ce vulgaire
bon sens avec
ses
lourdes al-
lures, sa grosse voix et son rire satisfait ? Je n'y
comprends
rien est sa dernire et souveraine condamnation, et
com-
bien
la prononcer! Le ton suffisant qu'il se permet vis--vis des rsultats de la science et de la rflexion est une des plus sensibles agaceries que renil
est
facile
contre3'il
le
penseur. Elletrs
le
fait sortir
n'est
intimement philosophe,
de ses gonds, et, il ne peut s'cm-
L'AVENIR DE LA SCIENCE.
77
pcher de concevoir quelque sentiment d'humeur contre ceux qui abusent ainsi de leur privilge contre sa dlicateet faible voix.
On
n'est
donc jamais recevable en appeler de
la science
au bon sens,clair et
puisque la science n'est que le bon