HENRI FAYOL ET LA RECHERCHE-ACTION

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AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX Le 23 juin 1900, pour la première fois, un patron invite ses pairs à une réflexion inductive sur les questions administratives. Un siècle après le discours d’Henri Fayol, il est intéressant de se pen- cher sur sa méthode, une méthode expérimentale proche de la recherche action. L’échec de son école de pensée peut largement être attribué aux diffi- cultés qu’il rencontra dans la mise en œuvre de cette approche et par l’abandon par ses disciples qui en résulta. La pensée d’Henri Fayol est connue grâce à son ouvrage, Administration Industrielle et Générale, paru en 1916. Cet ouvrage est fait de théories et donne l’impression d’une « doctrine » assénée sans lien avec le réel. Mais Henri Fayol insistait sur le caractère scientifique de ses obser- vations. Nous allons donc, tout d’abord, repérer ces appels à la démarche expérimentale dans les écrits d’Henri Fayol et de son école. Dans une deuxième partie, nous sélectionnerons quelques cas de la démarche empirique d’Henri Fayol, les faits qu’il reproduit et les raisonnements qu’il en tire. Sa méthode expérimentale apparaîtra alors plus clai- rement. De la réflexion critique que l’on ménera sur cette méthode pourront alors être tirées des leçons utiles pour toutes les démarches actuelles de recherche-action. Cet article se terminera donc par un retour sur la méthode même que Fayol utilise, c’est-à-dire sur la méthode historique, appliquée aux sciences de gestion. L’AFFIRMATION PAR HENRI FAYOL DE SA SCIENTIFICITÉ EXPÉRIMENTALE À la fin du XIX e siècle, le progrès et la science triomphante imposent partout la méthode scientifique. Claude Bernard la théorise pour la 73 GÉRER ET COMPRENDRE HENRI FAYOL ET LA RECHERCHE-ACTION PAR JEAN-LOUIS PEAUCELLE Professeur à l’IAE de Paris En 1900, Henri Fayol, pour la première fois, invitait à une réflexion inductive sur les questions administratives. À ses débuts, le fayolisme, tout comme le taylorisme, la démarche concurrente, se veut scientifique et expérimental. Il se fixe pour objectif de construire sa doctrine à partir des faits. De cette approche, il reste des traces dans les écrits de l’époque. Leur analyse permet de comprendre les raisons de l’échec du fayolisme. Cette tentative éclaire, aujourd’hui encore, les risques de la recherche action.

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Le 23 juin 1900, pour la première fois,un patron invite ses pairs à une réflexion inductivesur les questions administratives. Un siècle après lediscours d’Henri Fayol, il est intéressant de se pen-cher sur sa méthode, une méthode expérimentaleproche de la recherche action. L’échec de son écolede pensée peut largement être attribué aux diffi-cultés qu’il rencontra dans la mise en œuvre decette approche et par l’abandon par ses disciplesqui en résulta.

La pensée d’Henri Fayol est connue grâceà son ouvrage, Administration Industrielle etGénérale, paru en 1916. Cet ouvrage est fait dethéories et donne l’impression d’une « doctrine »assénée sans lien avec le réel. Mais Henri Fayolinsistait sur le caractère scientifique de ses obser-vations.

Nous allons donc, tout d’abord, repérerces appels à la démarche expérimentale dans lesécrits d’Henri Fayol et de son école. Dans unedeuxième partie, nous sélectionnerons quelques cas

de la démarche empirique d’Henri Fayol, les faitsqu’il reproduit et les raisonnements qu’il en tire. Saméthode expérimentale apparaîtra alors plus clai-rement. De la réflexion critique que l’on ménerasur cette méthode pourront alors être tirées desleçons utiles pour toutes les démarches actuelles derecherche-action. Cet article se terminera donc parun retour sur la méthode même que Fayol utilise,c’est-à-dire sur la méthode historique, appliquéeaux sciences de gestion.

L’AFFIRMATION PAR HENRI FAYOL DE SA SCIENTIFICITÉ EXPÉRIMENTALE

À la fin du XIXe siècle, le progrès et lascience triomphante imposent partout la méthodescientifique. Claude Bernard la théorise pour la

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GÉRER ET COMPRENDRE

HENRI FAYOL ET LA RECHERCHE-ACTION

PAR JEAN-LOUIS PEAUCELLE

Professeur à l’IAE de Paris

En 1900, Henri Fayol, pour la première fois,

invitait à une réflexion inductive sur les questions administratives.

À ses débuts, le fayolisme,

tout comme le taylorisme, la démarche concurrente,

se veut scientifique et expérimental. Il se fixe pour objectif

de construire sa doctrine à partir des faits.

De cette approche, il reste des traces dans les écrits de l’époque.

Leur analyse permet de comprendre les raisons de l’échec du fayolisme.

Cette tentative éclaire, aujourd’hui encore, les risques de la recherche action.

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médecine, Auguste Comte et Durkheim pour lasociologie. Frédéric Le Play étaye ses réflexions surla question sociale par une enquête extraordinairesur les conditions de vie des ouvriers, conduite àtravers un grand nombre de pays [Le Play, 1855 et1866].

Dans leur approche de l’entreprise,Taylor et Fayol, formés à la physique des ingé-nieurs, ne peuvent manquer, l’un et l’autre, de s’ap-puyer sur une méthodologie scientifique. Si l’onconnaît bien l’Organisation Scientifique du Travail(OST) de Taylor, on sait beaucoup moins commentHenri Fayol tira parti des faits qu’il avait recueillis.C’est donc cet aspect scientifique de sa démarcheque cet article abordera.

Dès son discours de 1900, Henri Fayollance un appel à la recherche collective sur les ques-tions administratives. « Nous devons nous ingénier(…) à découvrir et à appliquer les lois qui rendrontaussi parfaits que possible l’organisation et le fonc-tionnement des machines administratives.Pourquoi ne mettrions-nous pas en commun, pourle bien de tous, nos observations, nos expériences,nos études ? ». Cet appel ne sera pas entendu parles ingénieurs des mines de l’époque.

En 1908, lors du congrès de la Sociétéde l’Industrie Minérale, Henri Fayol renouvelle sonappel. Il dirige alors la Société Commentry-Fourchambault et Decazeville, entreprise de pre-mière importance dans la région de Saint Étienne,là où se situe le congrès. Laissons-le parler : il abor-de les questions administratives dans un long dis-cours où se mélangent sa doctrine et l’historique desa société. Dans ce texte – qui ne paraît qu’en résu-mé dans les publications de la Société de l’IndustrieMinérale, alors que les autres orateurs voientpubliés la totalité de leurs propos – il lance de nou-veau son invitation à la recherche collective, en secitant lui-même.

En 1916, le Bulletin de la Société del’Industrie Minérale publie les deux premières par-ties de Administration Industrielle et Générale.Henri Fayol y réaffirme son programme derecherche et explique, à nouveau, sa méthode :« La méthode consiste à observer, à recueillir et àclasser les faits, à les interpréter, à instituer desexpériences s’il y a lieu, et à tirer de tout cetensemble d’études, des règles qui, sous l’impulsiondu chef, entreront dans la pratique des affaires »[Fayol, 1916, p. 74 de l’édition 1999].

En 1917, usant encore du support duBulletin de la Société de l’Industrie Minérale, HenriFayol réaffirme sa scientificité inductive : « Je mefélicite d’avoir suivi instinctivement la méthode quia été recommandée par Auguste Comte sous lenom de méthode positive ; par Claude Bernard,sous celui de méthode expérimentale, et que jeconsidérais comme scientifique en m’appuyant surles principes de Descartes » [Fayol, 1917, p. 146].

Dans ce même numéro, Paul Vanuxem,polytechnicien, réaffirme la scientificité de la

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démarche fayolienne [Vanuxem, 1917, p. 174] :« L’enquête, l’observation et l’expérience métho-dique appliquées (…) aux entreprises industrielles,sont les carrières qui fourniront les matériaux pourles piliers de l’édifice » (c’est-à-dire de la doctrineadministrative). Il se réfère aux grands innovateursdans le domaine : « Comme Le Play et AugusteComte, comme Taylor et M. Henry Le Chatelier, M.Fayol répond qu’on ne commande aux hommes etaux choses qu’en prenant un solide appui sur laconnaissance des choses et des hommes » [ibidemp. 180]. Il continue plus loin [p. 182] : « Partie desfaits qui constituent son point d’appui inébranlable,la fonction administrative rejoint finalement lesfaits auxquels elle a mission de commander ». Ilajoute en guise de conclusion partielle : « Il seraitdonc intéressant et profitable de fortifier parl’épreuve expérimentale ces quelques idées quenous venons d’expliciter sous forme d’hypothèses.Devenues des lois positives, elles s’imposeront àl’esprit public » [p. 184].

Ces citations montrent le souci qu’avaitHenri Fayol de mener une recherche sur les ques-tions administratives et de transmettre cet impéra-tif à ses disciples : avant d’être une doctrine, lefayolisme est une démarche scientifique. En ce sensil nous intéresse, aujourd’hui encore, en tant quepremier essai afin de fonder une science de ges-tion, il y a cent ans. Or, cette référence aux faits adisparu de la transmission des idées d’Henri Fayol.

LES OBSERVATIONS ET EXPÉRIENCESPERSONNELLES D’HENRI FAYOL

Pour qui ne connaît que le texte deAdministration Industrielle et Générale, les déclara-tions d’Henri Fayol sur la méthode scientifique res-semblent à des pétitions de principe. On pense à unvernis, destiné à renforcer l’argument d’autoritéavec lequel on assène la doctrine administrative. Or,il y a, autour de ce texte central, de nombreusestraces de la méthode scientifique de Fayol.

Donald Reid, de l’Université de Carolinedu Nord, est venu étudier la vie industrielle fran-çaise de la fin du XIXe siècle, précisément dans larégion du Centre. Il ne pouvait dès lors pas man-quer Henri Fayol, directeur général deCommentry-Fourchambault et Decazeville.

À l’occasion de cette recherche, Reid[1986] a exhumé des textes dans lesquels HenriFayol relate son expérience d’ingénieur, puis depatron, et tisse les liens entre ces faits et les élé-ments de sa théorie à venir. Les aphorismes, dontla doctrine administrative est émaillée, sont issusde la vie quotidienne d’Henri Fayol dans l’entrepri-se, des problèmes qu’il y a rencontrés, des solu-tions qu’il y a appliquées. La doctrine administrati-

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tances d’une ancienne exploitation à ciel ouvert. Dufond de la tranchée, à cette époque, part la galeried’accès aux chantiers de mine, qui descend enpente douce. Cette galerie sert à l’accès desmineurs et à l’évacuation du charbon sur deswagonnets tirés par un cheval. Le cheval est doncun élément important de la production.

En mai 1861, Henri Fayol cite un extraitde son journal [1917, pages 264 à 265], texte quidevait, probablement, être évoqué très souventpuisque Vanuxem [1917, p. 193] en reparle.

« Ce matin, le cheval du 6e étage du puitsSaint Edmond a eu la jambe cassée. J’ai fait un bonpour son remplacement. Prévenu, j’ai aussitôtenvoyé un bon aux Écuries centrales pour avoir uncheval de rechange. Le chef des écuries a refusé le

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ve est fondée sur des faits, qu’Henri Fayol évoquaitlargement lors des réunions avec ses disciples etqu’on retrouve disséminés dans nombre de leurspropres textes. Prenons donc quelques-uns uns deces faits et examinons comment Fayol les traitedans la perspective de sa doctrine.

Le cheval à la jambe cassée

La mine de Commentry est exploitée àpartir de tranchées qui s’enfoncent à plus de vingtmètres dans le sol. Ces tranchées sont les subsis-

Henri Fayol(Constantinople,1841 - Paris, 1925)

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L’observation participante n’est pasneutre : le système social se donne à voir à sonobservateur. Il sélectionne et construit les faits, aumoins autant que le chercheur choisit son terrain.Ainsi Henri Fayol donne-t-il une interprétation uni-voque du fait, alors que chaque fait peut être consi-déré sous une pluralité de points de vue. Le risqueest de réduire le fait à une seule interprétation : laconclusion, sous sa forme théorique, se substituealors aux faits. On risque de construire une sciencedans laquelle chaque fait génèrerait une généralité,amenant ainsi les éléments théoriques à se contre-dire.

Sur cette question de la suppléance,Robert Desaubliaux [1917, p. 332], discipled’Henri Fayol qui a épousé sa petite-fille, donne unautre exemple, destiné aux jeunes officiers mon-tant pour la première fois au front : « En Artois, le25 septembre 1915, après une première attaquesanglante et infructueuse, le bataillon avait refluédans la tranchée de départ. Presque tous les offi-ciers étaient tués, presque tous les hommes que lesballes n’avaient pas atteints étaient moralementhors de combat. Or, vers le soir, arriva un guet-teur, un simple poilu sans galon, qui, apercevantles Boches en train de se sauver vers l’arrière, jetteun appel vibrant : « Les Boches f… le camp ! Enavant à la baïonnette, n.. de D.. ! » Ce poilu, encriant, avait déjà sauté le parapet. Il n’y eut pasd’autre signal. L’assaut était relancé. Ce qui restaitdu bataillon s’emparait de deux lignes de tran-chées. Comprenez-vous, maintenant, quelle est lanuance entre l’autorité statutaire et l’autoritémorale ? ».

Un peu plus loin, [p. 334], Desaubliauxrelate un autre fait :

« En Artois, Blumenfeld, un sergent du129e, prend le commandement de deux compa-gnies du 1er bataillon et organise la positionconquise. Il n’y avait plus d’officiers. Parmi les ser-gents, Blumenfeld n’était ni le plus âgé, ni le plusancien ; il avait la fermeté de caractère, un juge-ment sûr, le courage des responsabilités. Il a trans-gressé le règlement, puisque ce n’était pas à lui deprendre le commandement. A-t-il bien fait ? Évi-demment ! (…) Blumenfeld a été félicité et a reçuson galon de sous-lieutenant ».

Ces deux histoires ne sont-elles pas encontradiction avec la vue fayolienne de la suppléan-ce, prévue formellement ? Dans les conditions decombat, la disparition de la hiérarchie est prévue etla suppléance est formellement organisée.Cependant, cela ne suffit pas. Des chefs, spontané-ment, peuvent émerger. L’informel a alors raison,contre le formel, et il convient de l’institutionnali-ser.

Pour un même problème, des faits diffé-rents peuvent donc conduire à des préceptescontradictoires. La méthode fayolienne présente untel risque d’émiettement au gré des faits accumu-lés.

cheval, parce que le bon n’était pas visé par ledirecteur, qui était absent. Je suis alors allé moi-même aux Écuries centrales ; mais toutes mes ins-tances n’ont pas décidé le chef des écuries à déli-vrer le cheval demandé. L’ordre du directeur étaitformel. La production du 6e étage Saint Edmondn’a pu être extraite. Il me semble que l’autorité doittoujours être représentée ».

Henri Fayol situe à ce moment le débutde sa réflexion administrative : il a vécu un problè-me, une solution d’organisation évitera que cela nese reproduise. La doctrine administrative résulted’erreurs antérieures à éviter ensuite. Cependant,regardons ce petit texte avec un peu de recul.

Henri Fayol avait vingt ans. Il était arrivéà Commentry avec une belle énergie et le souci debien faire. Il dérangeait donc. Son installation dansle corps social de la mine, qui lui était inconnu, aobligatoirement été marquée par l’étonnement. Leschoses sociales ne sont pas comme les choses tech-niques, que les théories apprises dans les courssemblent bien décrire. Les personnes en place intè-grent le nouveau venu en lui faisant passer desépreuves.

Ces épreuves sont une institution ancien-ne, voire archaïque, des groupes sociaux. Elles relè-vent des rites d’initiation, des rites de passage del’adolescent à l’âge adulte, rites dont les bizutagesgardent encore la trace.

Il est plus que probable que le garde desécuries ait agi volontairement, soutenu par l’en-semble des mineurs. Il s’agissait de « former » lenouveau, de lui apprendre les choses non écrites,certes, mais constituant la structure sociale. À cetinformel qui s’impose et qu’il ne comprend pas,Henri Fayol réagit par un renforcement du formel,par la prescription de règles plus cohérentes.

J’ai personnellement vécu une expérienceanalogue lors d’un stage ouvrier, en 1963, auxHouillères de Bruay en Artois. À chaque début deposte, l’équipe à laquelle j’appartenais progressaitde galerie en galerie vers un chantier de perce-ment. Toutes ces galeries, dites principales, fai-saient 3,50 m de hauteur environ. Un matin,l’équipe a dû passer par un boyau de 70 cm dehaut, parallèle à la grande galerie habituelle. Cettegrande galerie était interdite de passage, pour rai-sons de sécurité, m’a-t-on dit. Je portais autour ducou une besace emplie de 30 kg de dynamite. On amis une demi-heure pour faire un trajet qui duraitcinq minutes en temps normal. Intérieurement, jerâlais. Les mineurs de l’équipe, eux, insistaient surle fait qu’ils avaient souvent à subir l’arbitraire etl’absurdité de tels ordres venus d’en haut. À la finde mon stage, les mineurs m’ont avoué que c’étaitun ordre exprès du porion (contremaître dans lesmines) pour que j’apprenne que les ordres deschefs avaient des conséquences sur les ouvriers etqu’il fallait y réfléchir avant de les donner. Le « col-lectif ouvrier » participait ainsi du désir de « for-mer » son futur ingénieur.

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Le redressement de la SociétéCommentry-Fourchambault

Un autre raisonnement, plus fondamen-tal encore pour Henri Fayol, concerne le redresse-ment de la Société Commentry-Fourchambault : sadoctrine administrative est juste, parce qu’il a étéun bon patron. Ce raisonnement, classique, seretrouve dans de nombreux écrits de gestion : lesuccès de l’entreprise justifie l’efficacité desmoyens qui y sont utilisés, c’est-à-dire la méthodede son patron. Les bénéfices sont une preuve de lavéracité de la théorie de gestion qui caractérise lasituation.

C’est dans son discours de 1908 [Fayol,1908, p. 241] qu’Henri Fayol expose ce raisonne-ment pour la première fois : « En 1888, la SociétéCommentry-Fourchambault était sur le point de serésigner à disparaître en abandonnant les usines eten achevant l’épuisement de la mine, lorsque sur-vint un changement de direction. Dès lors laSociété redevint prospère. L’histoire de la Sociétéétablira que cette chute et ce relèvement sont uni-quement dus aux procédés administratifsemployés.

C’est avec les mêmes mines et les mêmesusines, avec les mêmes ressources financières, lamême situation commerciale, le même Conseild’Administration, et le même personnel, qu’elle serelève à partir de cette date.

Ainsi donc, certains procédés administra-tifs conduisaient la Société à sa ruine ; d’autresprocédés lui rendent la prospérité. Le travail, l’ex-périence, les connaissances, la bonne volonté deplusieurs milliers d’hommes avaient pu être stérili-sés par quelques procédés administratifs défec-tueux, et d’autres procédés administratifs remirenttoutes ces forces en valeur ».

Ce raisonnement semble tout-à-faitjuste. Cependant, le succès pourrait avoir d’autrescauses. Comment savoir si certains facteurs, d’en-vironnement par exemple, n’ont pas favorisé l’en-treprise ? La situation commerciale, bien qu’il disele contraire, s’est peut être modifiée, ou bien acroissance a repris après une longue dépressionéconomique.

En 1945, Jean Chevalier, ancien deCreusot-Loire, entreprise concurrente de celle deFayol, est favorable à Taylor. Il démonte cet argu-ment [Chevalier, 1946, p. 64] :« L’expérience de Fayol semblait démontrer la supériorité de ses principes sur ceux de Taylor. Ses dis-ciples ne manquèrent pas de l’affirmer. À vrai dire,ce n’était pas la présence de Fayol à la direction dela société Commentry-Fourchambault qui avaitramené les bénéfices. C’était le relèvement ducours de la fonte de 57 francs en 1888 à 70 francs

en 1890, relèvement du cours qui s’inscrivait enregard de taux de salaires qui devaient rester lesplus bas des vingt dernières années du siècle.(…)La fonte ne reverra qu’un instant, en 1895, lecours de 55 francs auquel elle était tombée en1886, et ce sera pour remonter aussitôt vers lecours de 82 francs qu’elle atteindra en 1900 ».

Les statistiques officielles, représentéesdans la figure 1, montrent qu’effectivement, de1885 à 1888, il y eut une crise dans le marché desproduits sidérurgiques. Mais, en 1896, surgit unecrise des prix analogue et les bénéfices de la SociétéCommentry-Fourchambault restent positifs (voirfigure 2), sans changement par rapport à ceux dela période précédente. La démonstration de Fayolaurait eu plus de sens s’il avait isolé des momentsde situation économique comparables.

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Figure 2 Évolution du bénéfice deCommentry-Fourchambaultd’après HenriFayol [1916] etSasaki [1987].

Figure 1Évolution duprix du fer et dela fonte (d’après les

Statistiques de l’Indus-

trie Minérale établies

par le Corps des Mines)

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De même, la période sur laquelle porte lacritique de Jean Chevalier, l’année 1945, mériteune remarque. Les années qui suivent la deuxièmeguerre mondiale sont celles d’une taylorisation for-cée de l’industrie afin de reconstruire rapidementles capacités économiques de l’Europe. Les adver-saires d’Henri Fayol triomphent mais ils ont enco-re besoin d’écraser l’adversaire d’avant guerre.Jean Chevalier est alors président du ComitéNational de l’Organisation Française, affilié aumouvement taylorien international, le CIOS(Comité International de l’OrganisationScientifique). Il rompt le compromis qui avaitdonné naissance au CNOF, en 1925, au sein duquelfayoliens et tayloriens cohabitaient, en distinguantles domaines d’application de chaque doctrine.

Au-delà de la polémique, ce débat nousrappelle que, pour un même fait, plusieurs inter-prétations sont possibles. Il serait intéressant,aujourd’hui, d’examiner la stratégie suivie parHenri Fayol, ainsi que ses actions d’organisationinterne, pour déceler les raisons de son succès. Lesarchives de la Société Commentry-Fourchambaultsont conservées à Roubaix, aux Archives du Mondedu travail. Elles seraient une base essentielle pourune telle étude.

Le Centre d’Études Administratives(CEA) et la collecte des cas

Henri Fayol a voulu structurer le succèsde ses idées, en rassemblant ses disciples au sein duCentre d’Études Administratives (CEA), structured’échanges installée, de 1919 à 1925, au 100 dela rue de Vaugirard, à Paris.

Paul Vanuxem va être la cheville ouvrièredu CEA, qu’il a été chargé d’organiser. En 1917,dans L’éveil de l’esprit public, ouvrage publié sousla direction d’Henri Fayol, il reprend à son comptele souci scientifique de celui-ci, comme on l’a déjàvu, et précise l’organisation de ce travail derecherche : « Le Centre d’Études Administratives,CEA, organisera un effort collectif d’élaborationdoctrinale. (…) Il faut des faits pour nourrir le tra-vail scientifique et pourvoir au fonctionnement del’induction. (…) Les faits accumulés dans les docu-ments du Centre d’Études, et notés sur fiches pourdevenir maniables, seront la matière première pourle travail doctrinal intérieur » [pp. 186 et 187].Paul Vanuxem affirme [p. 188] que le but du CEAest de « recueillir et classer les faits, jeter un pontentre l’observation expérimentale et l’induction ».

Le CEA sert à coordonner un travail derecherche collectif. Aux uns, le travail d’observationdes faits, à d’autres, le soin de les classer et de lesinterpréter : « Les travaux d’exécution quotidien-ne : observation, lecture-annotation, rédaction des

fiches, classement, seront confiés à des équipesbien distinctes, donnant à chacune le labeur noblede leur spécialité.

1) Aux collaborateurs, parfois lointains,qui feront œuvre d’observation et qui explorerontla réalité de façon continue ou seulement occasion-nelle, on ne pouvait demander autre chose que lerespect de la méthode et des règles de ClaudeBernard. (…) Le secret est garanti aux correspon-dants dont le nom ne sera jamais divulgué, saufexpresse autorisation de leur part.

2) Une équipe de collaborateurs plusproches assurera le repérage de l’apport doctrinalinclus dans chaque observation communiquée. (…)Les lecteurs annotateurs (sont chargés) de lire ledocument, souligner quelques mots, noter enmarge quelques symboles.

3) Enfin, un atelier de collaborateurs per-manents (…) rédigera et mettra sur fiche les notes

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suggérées ou amorcées, procèdera à la mise enordre des fiches » [Vanuxem, 1917, pages 189 à191].

La coordination est assurée par la classi-fication des fiches qui constitue l’essentiel du texteultérieur de Vanuxem. Il s’agit d’une organisationdu travail collectif de recherche. Il conviendrait defaire des investigations plus approfondies pourdécouvrir jusqu’à quel point un tel programme derecherche a été réalisé. Des exemples sont donnéspar Vanuxem, celui du cheval blessé – déjà évoquéplus haut – et cinq autres cas. Parmi ceux-ci, rele-vons le dernier au terme duquel le texte s’ornedésormais d’une moralité, comme si la référenceaux faits était devenue purement littéraire. Les casdeviennent des fables et forment une rhétoriquequi orne une théorie morale. Voici ce cas [ibidem,p. 222] : « Au laboratoire de la Société X…, onvoyait entrer en coup de vent, chaque jour à peu

près à la même heure, le Secrétaire (du Directeurgénéral). (…) C’était un parvenu arrogant, tutoyépar le patron (mais ne faisons pas de politique) ; ilajoutait à son titre celui de Contrôleur des labora-toires. Il ouvrait brutalement un tiroir, déchiraitune large feuille de papier à filtrer, la froissait, lamettait dans sa poche et se dirigeait vers un certainendroit avec autant de fracas qu’à son entrée. Cinqminutes après, l’un des essayeurs avait beaucoupde plaisir à le parodier, au détriment du stock depapier filtre. Moralité : il ne faut pas faire devantses inférieurs ce qu’on leur interdirait de faire ».

Dans leur ouvrage de 1920, Wilbois etVanuxem mettent encore l’accent sur le caractèreexpérimental de l’œuvre d’Henri Fayol. Tout enreprenant largement la doctrine exposée dansAdministration Industrielle et Générale, ils appor-tent huit cas nouveaux [pp. 112 à 122]. Troisconcernent l’armée (française ou étrangère),

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Henri Fayol avec son petit-fils, MaximeGrangé (été 1920,à Presles)

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quatre sont pris dans l’Administration, un seulconcerne une entreprise. Trois de ces cas illustrentdes règles mal conçues ; deux cas expriment l’ab-sence de répartition des responsabilités ; un autreporte sur la multiplicité des chefs hiérarchiques ;deux cas, enfin, concernent des difficultés de com-munication dans la ligne hiérarchique qui devraientêtre résolues par la passerelle (communicationdirecte en dehors de la ligne hiérarchique).

Tous ces cas sont des échecs, des « faitsd’administration manquée ». La démarche expéri-mentale semble alors s’orienter vers l’analyse deserreurs, comme le fera Karl Weick plus tard à proposde l’accident de la KLM [Weick et Roberts, 1993].

Les représentants de commerce

Les Archives Henri Fayol au Centred’Histoire de l’Europe du XXe siècle contiennent ladescription de la structure commerciale de sonentreprise [cote HF5bis DR3] :

« Organisation commerciale actuelle de laSociété Commentry-Fourchambault

L’organisation adoptée cherche à conci-lier l’initiative, le contrôle et la responsabilité de laDirection Générale, avec la plus grande décentrali-sation possible. Elle confère des pouvoirs étendus àchaque direction locale.

Sous l’autorité du directeur local, le ser-vice commercial de chaque établissement est effec-tué par un ou deux chefs de service selon que lesachats et les ventes sont réunis ou séparés, et pardes représentants.

La représentation est assurée :1°- par un ou plusieurs voyageurs rési-

dant dans l’établissement et visitant la clientèledans un rayon déterminé ;

2°- par des représentants domiciliés endes points éloignés et chargés de visiter une zonedéterminée autour de leur point d’attache ;

3°- par des agents attachés aux autresétablissements de la Société ;

4°- par le bureau de Paris ;Le territoire national est divisé en régions.

Une carte fixe la composition de chaque région.À chaque région est affecté un représen-

tant qui la visite exclusivement pour le compte detous les établissements de la Société.

Avec cette organisation, il fallait concilierle principe de l’unité de commandement et l’obliga-tion d’aller vite, de donner satisfaction aux clientsle plus rapidement possible.

Voici la méthode suivie :Le représentant R relève de l’usine A, il fait aussides affaires pour l’usine B.L’usine B doit adresser ses instructions à R en lesfaisant passer par A ; c’est la règle.

Figure 3 La structure de commandement des représentants selon Henri Fayol

Il ne faut pas cependant que l’applicationtrop rigoureuse du principe nuise à la bonnemarche des affaires en les ralentissant ou en lescompliquant sans nécessité.

Pour aller vite, tout en garantissant l’ob-servation du principe de l’unité de commandement,on a admis les simplifications suivantes :1°- Pour une affaire importante, de longue halei-ne, devant nécessiter une correspondance suivie(les usines A et B se sont préalablement mises d’ac-cord pour cette dérogation ; dans chaque cas par-ticulier B et R enverront à A un duplicata de la cor-respondance échangée, à moins d’en avoir été dis-pensés formellement par A).2°- Pour une affaire urgente à laquelle il doit êtrerépondu immédiatement. (Dans ce cas comme dansle précédent, la correspondance est envoyée enduplicata à l’usine d’attache A en même temps qu’àl’agent R)3°- D’une façon générale, après entente entre A etB approuvée par la Direction Générale.

Indépendamment des duplicata spécifiésci-dessus, il en est envoyé d’autres par les usines etles représentants au bureau de Paris qui, dans lacirconstance, exerce sur le fonctionnement de tousles services le contrôle nécessaire. La DirectionGénérale est ainsi au courant des incidents qui sur-viennent et peut intervenir.

Ainsi se trouvent réalisées l’unité deméthode, l’unité de direction et l’unité de comman-dement. La passerelle retrouve ici son applica-tion ».

Ce texte a été rédigé, sans doute, pour lediscours d’Henri Fayol de 1908. Il appartient à latroisième partie inédite de AdministrationIndustrielle et Générale (1). Ce long extrait explici-te, de façon très intéressante, les problèmes del’unité de commandement. Aujourd’hui, on consi-dèrerait ce cas comme typique d’une organisationmatricielle où le représentant R obéit simultané-

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(1) Cahier GREGOR 2000-09, sur le webhttp://panoramix.univ-paris1.fr/GREGOR/2000-09.htm

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ment au directeur de l’usine A et à celui de l’usineB.

Le bon fonctionnement du schémad’Henri Fayol semble le convaincre que l’unité decommandement perdure alors qu’il a mis en placeun système hybride dans lequel la négociation surce qui ressortit à la passerelle ou ce qui lui échap-pe devient le principal enjeu de l’organisation. Uneétude concrète sur la part des tâches relevant de lapasserelle et celle respectant totalement la hiérar-chie reste à mener.

LA RECHERCHE ACTION

La méthode d’Henri Fayol, telle qu’elleapparaît sur ces quelques exemples, appartient aucourant méthodologique de la recherche action.Reprenons la définition qu’en donne René Barbier[1996] : « Il s’agit de recherches dans lesquelles ily a une action délibérée de transformation de laréalité ; recherches ayant un double objectif :transformer la réalité et produire des connais-sances concernant ces transformations ». Une per-sonne, partie prenante du fonctionnement de l’or-ganisation ou participant à sa transformation,observe et rend compte de son observation dansun récit. Pour Henri Fayol, ce récit est souventbref : plus long, il pourrait prendre la taille d’unemonographie. Ce récit est ensuite interprété par lathéorie existante ; si ce n’est pas possible, un nou-vel adage théorique est élaboré pour en rendrecompte.

L’intérêt de la démarche d’Henri Fayol estde nous montrer toutes les difficultés de cetteméthode pour faire œuvre scientifique. Les ques-tions posées par la méthode de recherche actiond’Henri Fayol sont les suivantes :

• sur quels critères les moments d’obser-vation sont-ils sélectionnés ? Dans le déroulementcontinu du fonctionnement de l’organisation, l’ob-servateur sélectionne une période qui a une signifi-cation pour lui. Il détecte un début, il repère unefin, il sélectionne un récit qui élimine les élémentsaccessoires. Ces sélections opèrent-elles commecelles du romancier qui construit la fiction qu’il faitvivre à nos yeux ? Certainement. La constructiondu récit obéit aux lois de la rhétorique, en vertudesquelles il devient plus convaincant.

• quel est le rôle de l’observateur en tantqu’acteur dans la situation ? Il existe deux sortes derécits dans les écrits de l’école d’Henri Fayol. Lesuns sont vécus par le subordonné, l’acteur sanspouvoir. Ce sont des récits de critique et ils mon-trent une organisation qui ne fonctionne pas bien.Alors, la doctrine administrative intervient commeun redresseur de torts : si les puissants l’appli-quaient, ces gaspillages n’existeraient pas. Il existe

aussi des récits positifs. Ce sont principalementceux d’Henri Fayol lui-même. Ils affirment queloutillage administratif a été utilisé et a entraîné unsuccès. Ces deux types de récits correspondent àdes raisonnements très différents du point de vuescientifique.

• quelle est la relation entre le fait perçupar l’observateur et la théorie ou l’élément dethéorie ? Comment plusieurs théories peuvent-elles être mobilisées concurremment pour inter-préter les faits ou leur perception par l’un desacteurs ? Comment la théorie ainsi construite per-met-elle de nourrir l’action ? Les recommandationsne risquent-elles pas d’être des vœux pieux adres-sés aux autres, à ceux qui ne sont pas les acteurs ?

• comment s’articule le double statut del’observateur et celui de l’acteur inséré dans lasituation ? Le rôle d’acteur est-il dominant, l’ob-servation n’étant alors qu’une activité secondaire,exercée par intérêt intellectuel personnel ?L’observateur, au contraire, domine-t-il, l’insertiondans l’entreprise n’étant que temporaire par rap-port à une carrière académique ? Les deux rôless’épaulent-ils, l’observation permettant d’accélérerla carrière professionnelle ou la carrière profes-sionnelle permettant une bonne insertion acadé-mique ultérieure ?

La sélection des faits dans leur temporalité

Les faits sont extraits, par l’observateur,du déroulement continu de la vie en entreprise.Tous les faits décrits par Henri Fayol et ses dis-ciples ne sont pas la description d’un état mais, aucontraire, une portion de l’histoire de l’entreprise.Cette vision dynamique s’oppose au travail mono-graphique de Le Play [1855] qui décrit des situa-tions ouvrières, à un moment donné. Certainsconsidèrent cependant Le Play comme un précur-seur de la recherche action parce que l’observationpeut amener une action ultérieure, en dehors duchamp de la méthode elle-même [Hess, 1983].Quant à lui, Henri Fayol place l’observation du réeldans une perspective de succession de faits, decauses et de conséquences. En ce sens, il se rap-proche plus du récit, voire du roman, mais il cerneaussi des aspects de la réalité plus riches que lesseuls états, à un moment donné.

Henri Fayol privilégie une perspectivediachronique. Ainsi est-il friand de fresques histo-riques sur les entreprises qu’il dirige. En 1908,c’est une histoire de Commentry-Fourchambaultqu’il expose devant ses collègues. Il échoue à lesintéresser à ce retour en arrière car ils s’intéressentsurtout au futur, aux derniers développements dela technique, aux progrès à accomplir. De même, en

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1916, Henri Fayol fait publier dans le Bulletin de laSociété de l’Industrie Minérale, avant même sonpropre article, l’histoire de Decazeville parLévêque, son directeur de l’époque.

Henri Fayol privilégie la dimension tem-porelle. Sans doute est-il influencé par ses étudesscientifiques antérieures : il a fait une contributionmajeure aux théories sur la formation des gise-ments houillers ; il a construit la théorie des deltas[Fayol, 1887] à partir de ses observations du gise-ment de Commentry, montrant que, sur une gran-de échelle de temps, ce qui s’est passé lors de laformation du charbon influence la manière de l’ex-ploiter, dans le court terme.

La dimension temporelle apparaît aussidans la planification du chef d’entreprise (la pré-voyance). L’anticipation appartient à la fonctionadministrative. En tant que chef d’entreprise, il voità long terme. Il anticipe l’épuisement des gise-ments du Centre et, très tôt, prend des droits surla mine de Decazeville, puis dans l’Est et le Nord.

Mais revenons sur la manière dont HenriFayol mobilise la dimension temporelle des faits.Parmi toutes les histoires possibles, l’observateurisole une séquence, avec un début et une fin. Parexemple : « le directeur s’absente », « le cheval secasse la jambe », « l’ingénieur commande un nou-veau cheval », « le garde des écuries refuse ». Danscette sélection, on voit déjà un travail théorique àl’œuvre. Henri Fayol aurait pu aussi raconter leretour du directeur et sa réaction quand on lui arelaté l’incident. Il aurait pu aussi essayer de savoircomment se sont déroulés des incidents analoguesen l’absence de l’ingénieur (Henri Fayol, nouvelle-ment arrivé ne remplaçait pas un ingénieur exis-tant). Il manque de profondeur historique : avantson arrivée, rien n’existe. La fin de son récit décideaussi d’une fin dans le réel.

Ce choix temporel illustre ce que noussavons bien : les faits n’existent pas de manièrebrute mais sont le résultat de l’interaction de l’ob-servateur avec le monde observé. La position del’observateur et son cadre conceptuel interviennentdans la sélection des faits et le point de vue queleur description adopte.

L’observateur acteur

Henri Fayol aurait partagé l’idée de J. C.Moisdon [1997] selon laquelle « la compréhensiondu fonctionnement global des entreprises passe parun travail spécifique où intervention et observationse mêlent intimement ». Les faits cités sont rap-portés par un observateur qui connaît la situation"de l’intérieur", qui en a été partie prenante. Dansles cas rapportés par Henri Fayol et son école, ilexiste deux positions principales. La première est

celle du naïf, jeune ingénieur débutant, officieraspirant ou sous-lieutenant, personnel d’encadre-ment sans véritable responsabilité. C’est la positiond’Henri Fayol dans l’histoire du cheval à la jambecassée. C’est aussi celle de Robert Désaubliaux pen-dant la guerre. C’est la position privilégiée des dis-ciples d’Henri Fayol qui n’ont pas encore de res-ponsabilité dans la vie industrielle.

La deuxième position est celle d’HenriFayol lui-même, devenu patron de Commentry-Fourchambault, après 1888. Il décrit ses succès. Ilest donc le responsable et le fait rapporté montrela pertinence des moyens administratifs qu’il meten œuvre.

Ainsi, selon la position de l’observateur,on voit apparaître deux types de faits : les échecsracontés par un informateur proche du respon-sable mais qui n’est pas le responsable (mais quiaspire à le devenir, naturellement) et les succès,racontés par le responsable. Cette typologie, pro-bablement trop grossière, éclaire le mécanisme desélection des faits. Le fait valorise l’observateur lui-même. Loin d’être neutre, il intervient en retenantdu réel ce qui rentre dans sa stratégie d’acteur. Onaimerait avoir des échecs racontés par le respon-sable qui les a engagés et des succès dus à des res-ponsables non observateurs. Le courant fayolien enmanque.

Les anecdotes d’échec montrent que, sion ne respecte pas la doctrine administrative, on vavers des situations absurdes, inefficaces, vers desgaspillages, des incohérences. Ce sont des démons-trations par l’absurde, dans le sens mathématiquede cette expression. Mais il existe une ambiguïtésur le sujet de l’action. L’observateur est réputésans pouvoir. Le pouvoir de changer appartient auxautres. C’est la faute des autres qui enfreignent ladoctrine, comme si les lois de celle-ci avaient valeurmorale, normative.

Le moyen d’action privilégié du fayolismeest alors l’enseignement. En introduisant des coursde doctrine administrative dans le cursus desgrandes écoles, l’élite de la nation, y compris mili-taire, connaîtra les principes à respecter quand onest responsable d’une grande organisation. Cethème apparaît, dès 1900, dans le discours d’HenriFayol. Il n’est absolument pas entendu et ne seraitpas totalement efficace. C’est un peu comme sil’éducation civique pouvait diminuer la délinquanceou comme si le catéchisme pouvait rendre vertueu-se une population entière.

Les succès rapportés par Henri Fayoljouent un rôle symétrique dans la doctrine admi-nistrative. Ils sont censés démontrer l’efficacité desprincipes et des outillages administratifs. Maisfaut-il prendre la pensée globalement ou lesoutillages suffisent-ils ?

Tout ce que nous savons sur la diffusiondes techniques montre que le cheminement desthéories est indépendant des emprunts de solu-tions. Les autres patrons pouvaient avoir envie

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d’adopter pragmatiquement l’outillage administra-tif sans se référer à la théorie. Qui pense à HenriFayol quand on parle d’organigrammes (appeléstableaux administratifs par Fayol) ou quand onparle de description de fonction, de rapports pério-diques, de comptes mensuels, de plan d’action,de réunion hebdomadaire des chefs de service ?Ces techniques de management sont préconi-sées par Henri Fayol, mais elles se diffusentsans aucune référence à sa doctrine. Ladémonstration du lien entre outillageadministratif et doctrine n’est donc pasvalidée par les faits évoqués, alors quec’est leur but.

Michel Liu [1997] définitl’originalité de la recherche-action parla « rencontre entre une intention derecherche (chercheurs) et une volontéde changement (usagers) ». L’objectifest donc dual : « résoudre le problè-me des usagers et faire avancer lesconnaissances fondamentales ».Henri Fayol ne perçoit pas cette dua-lité. Il suppose que l’homme d’actionest aussi le chercheur. Il se donneracette charge supplémentaire sanscontrepartie. Et, ainsi, il ne trouve nichercheurs, ni observateurs pourl’épauler. Il n’a aucune valorisation dece travail à leur offrir.

L’induction

Resweber [1995] distingue plusieurstypes de recherche-action. Dans cette typologie,la recherche d’Henri Fayol a un but empiriqued’analyse. Pour lui, les faits précèdent les théories.À partir des faits, il remonte, par le raisonnement,aux théories qui peuvent les interpréter. MaisPopper nous a appris que cela n’est pas si simple.Un ensemble de faits peut être interprété par plu-sieurs théories. Lorsque plusieurs théories sontcandidates pour interpréter les mêmes faits, lesscientifiques recherchent les expérimentations, lesfaits, qui sont bien interprétés par une des théorieset pas par les autres. Ces faits deviennent cruciauxpour trancher entre des théories.

Henri Fayol savait tout cela. Dans sontravail scientifique sur la formation du charbon, ila accumulé les observations sur le bassin deCommentry, il a mené des expérimentations poursimuler la séparation, dans le lac, des terres et desvégétaux charriés par les rivières qui s’y jettent. Ila réexploité les observations faites dans lesHouillères du Nord par les tenants de la théorieconcurrente. Mais, en 1898, alors qu’il commencesa réflexion sur les questions administratives [voir

Blancpain, 1974], il est seul. Sa réflexion est soli-taire. Il n’a pas de théorie à appliquer ou à atta-quer. En conséquence, il ne perçoit l’interprétationdes faits que par une seule théorie, la sienne. Il serasurpris, en 1907, par la publication en France destextes de Taylor. Il tentera toujours de comprendreen quoi sa théorie lui est supérieure. Hélas, il nesaura pas se rapprocher d’une démarche expéri-mentale dans ce but.

La discussion entre les tayloriens et lesfayoliens s’est déroulée, de manière très vive, entre1916 et 1925. Il n’est pas sûr qu’elle ait été menéescientifiquement à partir des faits. Plus probable-ment, ce fut une confrontation d’autorité et derapports de force entre organisateurs, forts de leur

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Henri Fayol

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pratique et de leur position sociale. La fondation duCNOF (Centre National de l’OrganisationFrançaise), en 1925, marque la victoire des taylo-riens avec de Fréminville et Henri Fayol, le fils, avecun compromis dans lequel ils ont la part belle.

L’action

Comme le dit Armand Hatchuel[1994],« produire une interprétation, c’est déjàpréparer une prescription ». Le taylorisme articuleclairement la démarche scientifique et l’action deprescription du one best way. Le fayolisme souffrede ne pas assurer aussi bien cette intégration. Lesfaits alimentent une doctrine, Comment la doctrineaide-t-elle à l’action ? La réponse d’Henri Fayol estdouble : la réforme promulguée d’en haut (quandil parle des PTT, notamment en 1921) et la forma-tion des chefs. Ses conseils aux futurs ingénieurssont remarquables à ce sujet [Fayol, 1916]. Orl’outillage administratif occupe une grande placedans sa conception de l’administration. Il aurait pupréconiser d’introduire cet outillage, par l’action deconseils extérieurs. Ces agents de changementauraient été ses partisans.

Henri Fayol ne sait pas théoriser ce rôled’agent de changement. Il est ici prisonnier de sonexpérience personnelle. Parce qu’il était le patronquand il a mis en place les outils de gestion, pourlui, le changement ne peut venir que d’en haut.Quand le chef ne veut pas changer, il n’y a rien àfaire. Si l’Administration fonctionne mal, c’est aupolitique de la réformer. S’il ne le fait pas, il nereste que l’action des libelles, la critique extérieureaprès l’échec du conseil extérieur. La volonté réfor-matrice marque ainsi son échec. Aux observateursdes faits, Henri Fayol n’offre aucun levier d’actionpour changer les choses, sinon la pertinence ducarriérisme. Rien ne peut être changé avant que lesfayoliens n’arrivent aux leviers de commande. Laréputation d’appartenir au groupe des disciplespeut y aider d’ailleurs. Nombre d’entre eux, avant1925, entreront à Commentry-Fourchambault etDecazeville. Le fils Henri Fayol occupe, entre 1920et 1939, divers postes de direction dans des entre-prises métallurgiques françaises, certainement enrelation avec la réputation de son père.

L’ÉCHEC DU FAYOLISME

Après la disparition d’Henri Fayol, sesdisciples ont eu du mal à mener une carrière pro-fessionnelle. Ce courant de pensée a été un échec

en France après 1925. Il n’est connu aujourd’huique parce que Urwick [Gulick et Urwick, 1937] adistingué, en Henri Fayol, un théoricien qui antici-pait ses propres idées. Quelles sont les raisons decet échec ? La réponse semble, d’abord, concernerle succès du taylorisme. Dans la concurrence théo-rique, les tayloriens ont gagné socialement. Ils ontsu construire une pratique et un métier, le métierd’organisateur des ateliers. Ce sont les cabinetsd’organisation qui font la démonstration de l’effi-cacité de la théorie taylorienne.

Mais le taylorisme a, lui aussi, subi desrevers. De même que la pensée d’Henri Fayol estdevenue dogmatique, la référence expérimentaledes tayloriens s’est estompée. La question qui nousintéresse alors, en sciences de gestion, concerne lasclérose de ces deux courants de pensée, alorsqu’ils s’affirmaient tous les deux scientifiques etqu’ils auraient dû se renouveler par l’interprétationde nouveaux faits.

Dans la démarche inductive, les faitsoccupent un double statut. Tout d’abord, on affir-me qu’ils sont à l’origine de la théorie, qu’ils la pré-cèdent. Ils sont mis en avant avec emphase dansl’exposé de la théorie. Mais ils perdent alors leurvaleur, parce qu’ils servent d’argument rhétoriqueà l’exposé de cette théorie.

Une fois que la théorie est trouvée, c’estelle qui est enseignée, c’est elle qui résume les faits,c’est elle qui devient « loi », voire « doctrine ».L’induction est à la genèse de la théorie, mais elleest oubliée. Dans la transmission, la théorie, enfintrouvée, prend une position éminente. L’école depensée se réunit autour des résultats théoriques etnon autour de la méthode. Le statut fondateur desfaits a tendance à disparaître au profit d’un statutd’auxiliaire, subordonné à la théorie.

Karl Popper est, au contraire, un radicalde la démarche inductive. Il refuse toute supériori-té aux théories. Il montre que les théories ne sontjamais vraies. Pour lui, elles n’ont qu’un statut pro-visoire de cadre conceptuel cohérent avec des faitsactuels. D’autres faits viendront sans doute lesinfirmer. L’acceptation d’une théorie par la scienced’une époque n’est qu’un moment avant qu’elle nesoit remplacée par d’autres théories.

Fayoliens et tayloriens, comme nombrede chercheurs, se sentiraient mal à l’aise dans cetteépistémologie radicale. Comment soutenir unethéorie dont on sait le caractère relatif et provisoi-re ? Cette position extrême des faits, capables àtout moment de démolir l’édifice conceptuel, esttrès difficile à tenir, même si c’est la seule scienti-fique. Fayoliens et tayloriens ont voulu se prému-nir des faits qui risquaient de les contredire. Ilssont devenus dogmatiques. Ils n’acceptaient qu’unseul type de faits nouveaux et, parfois, aucun faitnouveau. La démarche scientifique qui animait leschefs de file disparaît chez les disciples, parce queles fondateurs veulent éviter toute remise en causede leur pensée.

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À ces constatations communes, s’ajouteun trait propre à Henri Fayol. Il a organisé une divi-sion du travail scientifique. La collecte des faits estréservée aux collaborateurs extérieurs, les respon-sables du CEA se réservant de les interpréter et deles incorporer à la théorie. Le CEA n’a probable-ment jamais réussi à collecter un grand nombre defaits. L’appel à jouer le rôle subalterne d’observa-teur n’a pas été entendu, le travail des observa-teurs n’étant pas valorisé, sauf, sans doute, par lagloire anonyme d’avoir aidé les maîtres à construi-re la théorie avec laquelle ils les dominent. Les faitsnouveaux manquant, les maîtres n’ont plus debase, la doctrine ne peut plus progresser. Ellerabâche les premiers acquis.

L’échec du fayolisme expérimental semblemontrer l’impossibilité d’une répartition des rôlesdans la recherche en gestion. Les observateurs doi-vent être les mêmes personnes que celles qui éla-borent la théorie. Les théoriciens doivent eux aussiparticiper à la collecte des faits. Comment inter-préter cette contrainte qui n’existe pas dansd’autres sciences où émergent des métiers d’assis-tance des chercheurs, liés à la mesure et à l’obser-vation des phénomènes ?

Probablement, la séparation supprime-rait la motivation de chaque étape. Plus profondé-ment, il existe un aller et retour fécond de l’étapeinitiale de conception de la méthode d’observationà la réalisation concrète de cette observation jus-qu’à celle d’interprétation des résultats eux-mêmes. Nos méthodes d’observation et de mesuredes réalités de l’entreprise ne sont pas suffisam-ment éprouvées pour qu’elles puissent être menéesindépendamment des éléments théoriques qui leursont sous-jacents. Il arrive fréquemment qu’une

campagne de confrontation au terrain doive êtrebouleversée à partir des premiers résultats.Ajoutons enfin que l’interprétation de secondemain est toujours moins riche, à cause du filtragedéjà opéré par les premiers observateurs. La divi-sion du travail est impossible dans la recherche engestion, tout au moins pour un grand nombre denos recherches actuelles.

Henri Fayol a probablement organisécette division du travail d’après les méthodes indus-trielles avec lesquelles il travaillait. Il s’inspiraitaussi de la démarche de Frédéric Le Play [1855]qui faisait faire ses observations par d’autres. Lui-même a mené des observations selon ce cadreauprès d’une famille d’ouvriers de Commentry. Il aété assez marri de ce que ses résultats soientpubliés par son supérieur hiérarchique de l’époque[Mony, 1877]. Il s’est ainsi condamné, comme LePlay, à ne pas avoir de descendance intellectuelle.

Terminons en indiquant que, dès ledébut, Henri Fayol avait tendance à théoriser avantde recueillir les faits. Par exemple, il aborde [Fayol,1916, p. 9] la question passionnante des capacités(on dirait aujourd’hui compétences) des diversespersonnes dans l’entreprise. Il affirme une réparti-tion de ces capacités selon la position hiérarchique(voir figure 4) : « Quoique cette matière se prêtemal aux notations numériques, j’ai essayé de chif-frer l’importance relative de chaque capacité dansla valeur des agents et des chefs d’entreprise ».Mais aucun fait ne vient étayer ces résultats ! Fayolaurait pu, au minimum, décrire les recherchesnécessaires pour valider ses affirmations. Il préfè-re exposer ses intuitions avec un argument d’auto-rité. Il ruine ainsi tous ses efforts de bâtir une vraierecherche de gestion.

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Figure 4Graphique dessiné d’après« L’administrationpositive dansl’industrie »[Fayol 1918].Les chiffres sontles mêmes queceux donnés en 1916.

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La lecture des textes montre une autreoccasion manquée. Celle d’une étude expérimenta-le croisée de Taylor et de Fayol. Vanuxem [1917,p. 176] rend hommage à la démarche expérimen-tale de Taylor : « Les publications de Taylor ontdonné le branle et provoqué, sous l’étiquette"Organisation Scientifique”, une luxuriante florai-son d’études industrielles qu’il serait opportund’examiner sous l’angle qui nous préoccupe ».Vanuxem semble annoncer une analyse fayoliennedes cas recueillis par les tayloriens, ce qui seraitpassionnant du point de vue de la confrontationentre les deux courants de pensée. Cependant,

Vanuxem n’est pas allé plus loin. Il n’y a pas detextes correspondant à cette démarche. Dommage.

CONCLUSION

Au terme de ce retour aux ori-gines des sciences de gestion, deuxleçons méthodologiques peuvent êtreapportées. La première concerne larecherche historique ; la deuxièmeporte sur la recherche-action.

La recherche historique engestion consiste à revenir sur lesréalités des entreprises de jadis etsur la manière dont ces réalités ontété interprétées par les respon-sables et scientifiques antérieurs.Il en existe des traces, plus nom-breuses qu’on ne croit, dans lesbibliothèques et les archives natio-nales, à Roubaix notamment.

Il faut les exploiter. Biensûr, les documents doivent êtreinterrogés en fonction de nosconnaissances actuelles, avec lesthéories d’aujourd’hui et en fonc-tion de nos préoccupations contem-poraines. Cette recherche donne des

perspectives très fécondes, alors queles modes de gestion ont tendance à

effacer le passé à un rythme de plus enplus soutenu. Il existe un grand nombre

de sujets pour de telles recherches.Enfin, sur le thème de la

méthode de recherche, la confrontationentre Fayol et les tenants actuels de la

recherche-action peut être considérée commeun peu décevante. Les raisons tiennent d’abord

à la multiplicité de variantes de ce courant derecherche. Le vocable lui-même n’est pas figé.Beaucoup parlent d’observation participante.Nombre de chercheurs ont été amenés à larecherche-action par les contraintes de l’observa-tion des phénomènes qui se produisent dans lesgroupes sociaux. Ils ont dû vivre et théoriser leurdouble appartenance au monde académique et aucorps social étudié. Ce n’est pas facile.

Cette difficulté a été vécue par Fayol, quisouhaitait une reconnaissance scientifique. Sa can-didature à l’Académie des Sciences en 1918 a étérejetée. Il n’a pas pu lui-même réfléchir sur saméthode et fonder les sciences administratives surun mécanisme scientifique de renouvellement desconnaissances. Cet échec nous montre l’importanced’une réflexion constante sur nos méthodes derecherche et les moyens de juger la production desidées. •

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Frederick WinslowTaylor

(Germanstown,Pennsylvanie,1856 -Philadelphie, 1915)

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Boyer-Viollet

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