Greenpeace Magazine 2012/02

76
GREENPEACE MEMBER 2012, Nº  2 DOSSIER: SOMMET MONDIAL p. 11–37 Entretien avec T. C. Boyle p. 28 Essai photographique sur Fukushima p. 45 Reportage sur le climat en Afrique p. 59 Conférence Rio+20: des paroles, peu d’actes p. 11

description

 

Transcript of Greenpeace Magazine 2012/02

Page 1: Greenpeace Magazine 2012/02

g r e e n p e ac e M e M B e r 2 0 1 2 , nº   2

DOSSIER: SOMMET MONDIAL p. 11–37Entretien avec T. C. Boyle p. 28Essai photographique sur Fukushima p. 45Reportage sur le climat en Afrique p. 59

— Conférence Rio+20:des paroles, peu d’actes p. 11

Page 2: Greenpeace Magazine 2012/02

éditorial — 20 ans de plus: on sait que le temps passe vite quand les choses vont dans le bon sens. Mais on a peine à croire que le sommet de la Terre de Rio, la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, remonte déjà à deux décennies. Quoi qu’il en soit, nous sommes devenus une génération plus verte depuis 1992.

Si nous écrivons que «les choses vont dans le bon sens», ce n’est en effet pas par cynisme. Il suffit de voir tout ce qui a été accompli sur le plan de la protection de l’environnement depuis la première conférence consacrée à la question. Des évolutions positives prennent forme, les acquis écologiques se multiplient. Mais pourquoi alors un tel sentiment d’impuissance face à une destruction planétaire qui ne cesse d’avancer?

Peut-être parce que la succession des sommets mon-diaux sur l’écologie semble illustrer l’échec de la politique de haut niveau. C’est la raison pour laquelle nous sommes plutôt sceptiques avant le prochain sommet mondial Rio+20 qui se tiendra en juin. Ce qui ne nous empêche pas de nous intéresser à l’«époque Rio». Chaque époque est une étape his-torique qui traduit une nouvelle conscience dans des sec-teurs importants de la société.

Rio est une époque pleine de contradictions. Des chan-gements et des transitions se dessinent à l’horizon, mais les gens ne sont pas prêts à renoncer à leur confort. Nous deman-dons certes davantage de durabilité, mais nous continuons aussi à vouloir «davantage» de tout.

Reconnaître ces contradictions, ce n’est pas baisser les bras quant à notre empreinte écologique. Admettre la réalité des contradictions, c’est plutôt décider de manière consciente. Une démarche réfléchie, qui réduira inévitablement notre consommation de ressources naturelles, au bénéfice de la planète.

La rédaction

co

uv

er

tu

er

e:

© g

re

en

pe

ac

e /

Da

nie

l B

el

tr

á

Page 3: Greenpeace Magazine 2012/02

Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

So

MM

air

e en action MILITANTS GREENPEACE CONTRE 02 MULTINATIONALES ET GOUVERNEMENTS

Dossier: entretiens QUATRE VISAGES 11 DE LA GÉNÉRATION RIO+20 ROSMARIE BÄR: DÉSENCHANTÉE, 12 MAIS PAS DÉSABUSÉE

SIMON ZADEK: POUR UNE ÉCONOMIE 18 PLUS VERTE

ELAINE HUANG: DES ORDINATEURS 23 MIEUX CONÇUS FAVORISENT LA DURABILITÉ

T. C. BOYLE: LA NOSTALGIE 28 DU MONDE SAUVAGE

reportage L’AFRIQUE DUREMENT TOUCHÉE 59 PAR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

VotationsDEUX INITIATIVES POUR UNE RÉFORME FISCALE ÉCOLOGIQUE 41

engagementUN SPÉCIALISTE DU SOLAIRE ENSEIGNE LA TECHNOLOGIE AUX JEUNES 43 essai photographiqueFUKUSHIMA – PHOTOS PRISES TROIS MOIS APRÈS LA CATASTROPHE 45DEUX VICTIMES VIENNENT TÉMOIGNER EN SUISSE 51

Campagne pour les forêtsLA DUR ABILITÉ, UNE REVENDICATION DANGEREUSE AU CONGO 52

Campagne sur l’agricultureCONSOMMATION DE VIANDE ET DE LAIT EN 2050, LE CHOC 56

avant-propos de la direction 10La carte 38Campagnes 64Brèves 67Testaments: conseils d’expert 70Mots fléchés écolos 72

MENTIONS LÉGALES GREENPEACE MEMBER 2/2012Éditeur / adresse de la rédactionGreenpeace Suisse, Heinrichstrasse 147, Case postale, 8031 ZurichTéléphone 044 447 41 41, téléfax 044 447 41 [email protected], www.greenpeace.chChangement d'adresse: [email protected]

Équipe de rédaction:Tanja Keller (responsable), Matthias Wyssmann, Hina Struever, Roland Falk, Marc RüeggerAuteurs: Urs Fitze, Matthias Wyssmann, Hannes Grassegger, Bruno Heinzer, Thomas Niederberger, Verena Ahne, Samuel Schlaefli, Muriel BonnardinPhotographes: Thomas Schuppisser, David Guttenfelder, Samuel SchlaefliTraduction en français: Nicole Viaud et Karin VogtMaquette: Hubertus DesignImpression: Swissprinters, Saint-GallPapier couverture et intérieur: 100% recycléPolices de caractères: Lyon Text, Suisse BP Int’lTirage: 116 000 en allemand, 21 500 en françaisParution: quatre fois par annéeLe magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation annuelle à partir de CHF 72.—). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace.

Pour des questions de lisibilité, le magazine ne mentionne pas systématiquement la forme masculine et féminine. Quelle que soit la variante utilisée, elle s'applique donc aux deux sexes.

Dons: compte postal: 80-6222-8Dons en ligne: www.greenpeace.ch/donsDons par SMS: envoyer GP et le montant en francs au 488 (par exemple, pour donner CHF 10.—: GP 10)

Page 4: Greenpeace Magazine 2012/02

2Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Page 5: Greenpeace Magazine 2012/02

3Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

© C L É M E N T TA R D I F / G R E E N P E AC E

Dakar, Sénégal, 19 janvier 2012 Un poisson humainCampagne «My Voice, My Future»: avec 400 enfants, des militants Greenpeace dénoncent la surpêche pratiquée par les flottes étrangères au large du Sénégal.

Page 6: Greenpeace Magazine 2012/02

4Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Page 7: Greenpeace Magazine 2012/02

5Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

© I B RA I B RA H I M OV I C

république tchèque, 28 novembre 2011 arrêter le charbonappel de Greenpeace au Premier ministre tchèque, Petr Nečas, à cesser l’extraction de charbon qui pollue le Nord de la Bohème.

Page 8: Greenpeace Magazine 2012/02

6Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Bremerhaven, 2 janvier 2012 exploit sur la corde raideUne militante Greenpeace sur les cordages du chalutier Jan Maria: action pour protester contre le subventionnement par l’Ue de navires de pêche pillant les océans.

Page 9: Greenpeace Magazine 2012/02

7Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

© M A RC U S M E Y E R / G R E E N P E AC E

Page 10: Greenpeace Magazine 2012/02

Durban, afrique du Sud, 9 décembre 2011

appel urgentau sommet mondial CoP 17, Kumi Naidoo, directeur de Greenpeace, se joint aux nombreux militants réclamant des objectifs contraignants pour le climat.

Page 11: Greenpeace Magazine 2012/02

© S H AY N E RO B I N S O N / G R E E N P E AC E

Page 12: Greenpeace Magazine 2012/02

10Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

rio+20, 20-22 juin 2012

Créer, c’est résister

En juin de cette année, les grands dirigeants de la planète se réuniront au Brésil pour la conférence Rio+20 sur le développement durable. Le pessimisme règne avant ce sommet mondial, qui semble voué à l’échec.

Les débuts étaient pourtant promet-teurs: en 1992, les puissants de ce monde se réunissaient à Rio de Janeiro, sous l’égide des Nations Unies, pour adopter l’Agenda 21. L’intention était de chercher à concilier bien-être matériel de la population et protec-tion de la planète. Vingt ans et quelques con fé-rences ratées plus tard, plus personne n’ose y croire. À l’époque, les politiques voulaient prendre les choses en main et le développe-ment durable apparaissait comme le remède miracle pour l’avenir. Aujourd’hui, les diri-geants assistent, impuissants, à la succession de crises qui secouent le globe. Les défis environnementaux identifiés il y a 20 ans se doublent de nouveaux problèmes encore plus graves. Le «développement durable» est devenu une formule servant aux multi-nationales à se donner une image un peu plus verte. Ce sont les leaders économiques qui s’imposent. Et ils ne seront pas en reste à la prochaine conférence de Rio. Par quel miracle pourraient-ils subitement miser sur les nou-velles solutions, eux dont la richesse repose sur la croissance illimitée? Plus encore qu’il y a 20 ans, l’espoir réside dans la société civile, c’est-à-dire dans les organisations non gouvernementales et toutes les personnes qui, modestement et courageusement, luttent contre l’injustice et la destruction de l’envi-ronnement.

Les anciens modèles de pensée sont inadaptés aux défis de demain. Preuve en est l’attitude des politiques et de l’économie malgré les innovations enregistrées dans cer-tains domaines. La société civile doit ouvrir la voie! Fondée par une poignée d’idéalistes convaincus, l’organisation Greenpeace a mis du temps à devenir une structure profes-sionnelle tout en préservant ses racines. Et c’est là notre force: entre organisation et

mouvement, entre fonctionnement institu-tionnel et militantisme, nous continuons le combat.

Si l’époque actuelle est marquée par l’inquiétude et même le désespoir, elle recèle aussi le germe d’un autre avenir. Le prin-temps arabe et le mouvement Occupy Wall-street en sont l’illustration. Pour faire aboutir Rio+20 et les autres initiatives globa-les en faveur d’un monde plus juste et plus responsable, il faut accroître le nombre de personnes qui se mettent en mouvement, qui pensent l’avenir et osent la nouveauté. Greenpeace a besoin de personnes qui veulent changer le monde. Comme le dit l’ancien résistant Stéphane Hessel, 93 ans: «À ceux et celles qui feront le XXIe siècle, nous disons avec notre affection: créer, c’est résister. Résister, c’est créer.»

Markus Allemann et Verena Mühlberger, co-direction de Greenpeace Suisse

© G

RE

EN

PE

AC

E /

CH

RIS

TIA

N

GR

UN

D

aVa

NT-

Pr

oP

oS

De

La

Dir

eC

Tio

N

Page 13: Greenpeace Magazine 2012/02

11Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

CONFÉRENCE MONDIALE

RIO+20Sommes-nous désormais tous écolos?

Et pourquoi pas?

À l’approche du sommet Rio+20, nous restons dubitatifs. C’est pourquoi nous avons voulu interroger quatre représentants de la «génération Rio».

Le développement durable, qu’est-ce que c’est? Pour Elaine Huang, chercheuse en informatique, c’est une valeur indispensable. Pour Simon Zadek, consultant économique, c’est un business. Pour la politicienne Rosmarie Bär, une lutte.

Et pour l’écrivain T. C. Boyle, la protection de l’environnement est un univers presque exotique.

Politique: Rosmarie Bär«Les 20 ans du sommet de Rio, c’est pour moi l’échec collectif de la politique. Personne n’a voulu engager le changement de paradigme.»

Économie: Simon Zadek«La première conférence de Rio n’intégrait pas la dimension des affaires. La croissance verte n’existait pas encore.»

Savoir et technique: Elaine Huang«Il s’agit de tirer profit du progrès, pour aboutir à un progrès moins nuisible.»

Culture: T. C. Boyle«L’un de mes personnages dit: ‹pour être l’ami de la Terre, il faut être l’ennemi de l’homme.›»

Page 14: Greenpeace Magazine 2012/02

12Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

«NOUS DEVONS PARLER

D’UNE SEULE VOIX»

Depuis le sommet de la Terre de 1992 à Rio, Rosmarie Bär a participé à toutes les conférences internationales sur le sujet. Au sein de la délégation officielle de la Suisse,

elle représentait les organisations de développement et de protection de l’environnement. Son bilan, 20 ans plus tard, est désenchanté, mais pas sans espoir.

Par Urs Fitze, bureau de presse Seegrund

Page 15: Greenpeace Magazine 2012/02

13Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

© K

EY

ST

ON

E /

RG

LL

ER

Page 16: Greenpeace Magazine 2012/02

14Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Greenpeace: «Le futur que nous voulons», tel est le titre d’un avant-projet d’accord pour la conférence Rio+20 des Nations Unies qui se tiendra au mois de juin, 20 ans après le sommet de la Terre. Que pensez-vous de ce document?Rosmarie Bär: C’est un pas en arrière, par rapport aux décisions du

sommet de la Terre et par rapport à l’urgence de la situation. On reste dans les formulations à bien plaire. Il n’y a pas de propositions concrètes, seulement de vagues déclarations d’intention et des appels. Les droits humains et les questions sociales sont relégués au second plan. Les «modes de production et de consommation non viables, en particulier dans les pays industrialisés», comme le formulait l’Agenda 21, ne sont pas remis en question. Pourtant, le document devrait fournir des lignes di-rectrices pour une économie verte et durable.

Qu’en était-il il y a 20 ans?On était dans une phase d’essor. L’Agenda 21, sorte de «cahier des

charges» pour les pays du XXIe siècle, a été adopté à l’unanimité. Tous s’accordaient à dire que l’environnement et le développement sont les deux faces d’une même médaille: «Si nous intégrons les questions d’en-vironnement et de développement et si nous accordons une plus grande attention à ces questions, nous pourrons satisfaire les besoins fondamen-taux, améliorer le niveau de vie pour tous, mieux protéger et mieux gérer les écosystèmes et assurer un avenir plus sûr et plus prospère.» Des principes qui n’ont rien perdu de leur actualité. Mais nous devons main-tenant adopter des mesures contraignantes et ne pas nous contenter de belles paroles.

Les jeunes d’aujourd’hui ne savent en général pas ce qu’est l’Agenda 21. Comment ce document a-t-il pu être à tel point oublié?C’est vrai, l’Agenda 21 est resté lettre morte. Il proposait pourtant des

mesures concrètes et détaillées. Chaque commune devait réaliser les objectifs de Rio en élaborant son propre Agenda 21 local. Et chaque pays devait créer un conseil du développement durable pour soutenir la poli-tique et l’administration par des acquis scientifiques et des recomman-dations d’action. De nombreux pays se sont engagés dans cette voie. Les objectifs mondiaux sont des tâches assignées aux États. Mais la Suisse a laissé passer l’élan de 1992, sans rien faire.

Mais pourquoi cela?Les 20 ans de Rio, ce sont 20 ans d’échec collectif de la politique.

Personne n’a voulu engager le changement de paradigme. Le Conseil fé-déral n’a jamais considéré le développement durable comme une priorité. Il n’a pas voulu montrer la voie et poser des jalons, même lorsque le principe du développement durable a été inscrit dans la Constitution. Certes, diverses activités ont vu le jour au niveau local, mais il manque une stratégie nationale cohérente dans ce domaine. Exemple, quand j’étais membre du Conseil pour le développement durable créé en 1998, nous n’avions pas de mandat concret, pas d’infrastructures ni de moyens financiers. Deux ans plus tard, un téléfax me remercie de mon engage-ment et m’avertit que les tâches du Conseil seront dorénavant assumées par une commission pour l’aménagement du territoire…

rio

+20

Page 17: Greenpeace Magazine 2012/02

15Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Rio 1992 est aussi la première grande apparition sur la scène internationale des organisations écologistes et de développement. Vous avez participé à toutes les conférences suivantes sur le sujet. Quel a été l’impact de l’engagement des organisations non gouvernementales?Mon bilan est largement positif. Les organisations de la société ci-

vile sont devenues des acteurs incontournables lors des négociations. Par leur expertise, elles apportent des éléments cruciaux et défendent leur position avec ténacité. Si l’Agenda 21 reconnaît pour la première fois le rôle capital des femmes, c’est bien grâce à l’insistance des organisations de femmes. Pour revenir à la Suisse, le manque d’intérêt pour l’Agenda 21 n’est certainement pas imputable à une trop faible implication des orga-nisations. Ce sont elles qui ont insisté sur l’importance du développement durable ces 20 dernières années.

Les organisations ont-elles tiré profit de leur engagement?Elles se sont professionnalisées et ont tissé des réseaux internatio-

naux, notamment entre pays du Nord et pays du Sud. C’est une démarche importante pour gagner en influence. Si cette évolution est positive, le danger existe aussi de perdre le contact avec sa propre base. C’est pour-quoi les organisations de protection de l’environnement et de soutien aux pays du Sud doivent soigner leur ancrage à tous les niveaux. Les deux volets sont aujourd’hui nécessaires: le travail des professionnels, avec leur intime connaissance des dossiers et de la matière, mais aussi l’engagement des militants, des bénévoles, qui assurent aux organisations leur légitimité démocratique pour représenter la société civile.

En Suisse, cette légitimité est remise en cause, notamment à travers les attaques contre le droit de recours des organisations.Je crois que ce danger n’est pas très grand. Il suffit de voir le bilan très

positif des interventions des organisations pour se rendre compte com-bien elles sont soucieuses d’agir de manière responsable.

D’un autre côté, certaines organisations non gouverne-mentales recherchent le contact avec les milieux économiques et la politique. On crée des tables rondes pour obtenir quelques améliorations dans des dossiers spécifiques. Faut-il y voir un prolongement pertinent de l’engagement dans les conférences internationales? Qu’en pensez-vous?

«Une économie durable doit limiter sa croissance, et même se rétracter dans certains domaines.»

Page 18: Greenpeace Magazine 2012/02

16Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Je suis sceptique, surtout quand il s’agit de coopérer directement avec des entreprises. Le danger est grand de servir de «label écologique» et de favoriser une opération marketing d’écoblanchiment. La crédibi-lité et l’indépendance sont notre plus grand capital, or c’est précisément ce qui est menacé dans ce genre de démarche. Comment critiquer une multinationale de manière crédible après avoir étroitement co opéré avec elle?

Mais le même problème se pose pour la participation aux grandes conférences.Non, car les organisations non gouvernementales y disposent d’un

simple statut d’observateur. Elles font du travail de lobbying et de persua-sion en présentant leurs propres positions. Elles participent aux débats, mais ne décident pas. C’est ce qui préserve leur liberté de critique, une qualité indispensable au vu de l’évolution actuelle.

Vingt ans après Rio, le bilan que vous tirez est relativement pessimiste. Non seulement les objectifs de l’époque n’ont pas été atteints, mais certains ont même été perdus de vue. Quelle devrait être la conduite des organisations non gouver-nementales lors des prochaines conférences?Le plus important est de parler d’une seule voix. Le lobby économi-

que s’est d’ores et déjà positionné en vue de Rio+20 pour donner une auréole «verte» au secteur privé. Il faut élever la voix contre ces procédés et formuler des objectifs clairs. Ce n’est possible que si les organisations environnementales et d’aide au développement s’unissent pour se faire entendre.

Et du point de vue des contenus?Le projet de document pour Rio+20 est indiscutable sous sa forme

actuelle. Il n’y a pas besoin d’organiser une conférence pour formuler les banalités qu’il contient… Les organisations non gouvernementales de-vraient présenter un contre-projet à l’attention des États présents à la conférence et de leurs propres gouvernements, un contre-projet qui préserve les conditions d’existence et l’avenir de l’humanité.

Mais cela suffira-t-il?Non, bien sûr. Le discours actuel sur l’économie verte prétend que

les nouvelles technologies et l’efficacité énergétique permettront de ré-soudre les problèmes tout en maintenant de forts taux de croissance. Ce n’est pas possible. Il y a une vérité simple qui, même en accolant l’adjec-tif «vert» à tout et n’importe quoi, ne peut être éludée: un monde limité ne permet pas une croissance illimitée. La planète n’est pas un espace infini. Le sol et les ressources non renouvelables s’épuisent inévitable-ment. La biosphère ne peut absorber indéfiniment les polluants que nous y rejetons. Il faut clairement désigner les problèmes, même si les gens ne veulent pas les voir. Une économie durable et respectueuse de l’environ-nement ne peut pas continuer à croître. Elle doit même se rétracter dans certains domaines.

rio

+20

Page 19: Greenpeace Magazine 2012/02

17Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Pensez-vous que les limites de la croissance sont déjà atteintes?Sur le fronton du temple d’Apollon, à Delphes, on lit la maxime:

«Rien de trop». C’est probablement la définition la plus célèbre d’une économie de la suffisance. Ce terme fait peur aux politiques, mais aussi à nombre d’organisations actives dans les domaines de l’environnement et du développement. La peur de passer pour des ennemis du plaisir, des apôtres de la sobriété… Mais la suffisance n’est pas le renoncement. Une proposition intéressante nous vient du Sri Lankais Mohan Munasinghe, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat: il propose de se concentrer sur le 1,4 milliard d’êtres humains qui représentent le cinquième le plus riche de la population mondiale. Ce sont eux qui dévorent les quatre cinquièmes de la production. C’est 60 fois ce que consomme le cinquième le plus pauvre de la planète. C’est dire que chez nous, même de petites économies font déjà la différence. Au-delà de la croissance, il s’agit de justice. Il faut redéfinir les conditions et les possibilités d’une économie «post-croissance». C’est le grand défi en ce début de XXIe siècle.

Au vu de la pensée dominante, l’espoir ne semble pas peser lourd…Selon Vaclav Havel, l’espoir est la capacité de travailler à la réussite

d’une chose, avec la certitude d’œuvrer pour le bien, quelle que soit l’issue de nos efforts. C’est cet espoir qui nous donne la force de vivre et d’aller de l’avant, même dans une situation qui paraît désespérée. Ce constat reste valable pour tous, et je m’y reconnais, moi qui suis aujourd’hui à la retraite.

Née en 1947, rosmarie Bär a été coordinatrice de la politique de déve-loppement chez alliance Sud de 1996 à 2010, où elle était responsable du dossier «Développement durable». Membre des Verts, elle a siégé au Conseil national de 1987 à 1995.

Sommet mondial sur le climat à Copenhague (7 décembre 2009).

CH

RIS

TO

PH

BA

NG

ER

T /

LA

IF

Page 20: Greenpeace Magazine 2012/02

18Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012©

AL

AN

KE

OH

AN

E

Page 21: Greenpeace Magazine 2012/02

19Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

LA MONDIALISATION, UN DÉFI ÉTHIQUE

La conférence de Rio en 1992 a fait du développement durable une valeur incontournable. De plus en plus d’entreprises découvrent

le champ d’investissement qu’est l’écologie. Si elles s’efforcent pour la plupart de s’inscrire dans la durabilité, certaines d’entre elles

pratiquent surtout le «greenwashing», ou écoblanchiment. Quelles réalités derrière les façades vertes? Entretien avec Simon Zadek.

Par Hannes Grassegger

Simon Zadek, 54 ans, est un habitué des coulisses des multinationales. Il en sait long sur les pratiques réelles des entreprises en matière de durabi-lité. Sa mission est de faire évoluer les choses en direction de l’écologie. À l’époque de la première conférence de Rio, il était économiste fraîchement titulaire d’un doctorat. Dans un modeste bureau collectif de Londres, il élaborait des projets de normes sociales de durabilité pour les entreprises. Les représentants des multinationales ne tardèrent pas à se presser au portillon: Simon Zadek coopère alors avec Shell, Nestlé, Nike, BP, c’est- à-dire avec toutes les bêtes noires des écologistes. Aujourd’hui, il explique la croissance verte au gouvernement chinois et développe des règles pour une économie plus sociale et plus verte avec les autorités et les entreprises chinoises. Chaque année, il participe au Forum économique mondial de Davos (WEF) en tant que consultant. Le troisième jour de l’événement, il est régulièrement pris de pulsions suicidaires tant les problèmes semblent insurmontables. «Alors, l’un ou l’autre de mes amis me tire de mon trou de neige, m’invite à boire un verre et je reprends le dessus. Je suis père d’une fille. L’avenir compte», explique Zadek à la fin d’un long entretien avec Greenpeace.

Greenpeace: Rio 1992, c’était quoi pour les milieux économiques?Simon Zadek: La première conférence de Rio n’intégrait pas encore

la dimension des affaires. La notion de croissance verte était encore incon-nue. Mais la conférence a donné le coup d’envoi pour l’économie et celle-ci a commencé à s’intéresser à la durabilité.

Pendant ce temps, dans votre petit bureau d’une arrière-cour londonienne, vous vouliez devenir conseiller d’entreprise?Je travaillais à la New Economic Foundation (NEF) qui voulait deve-

nir l’organe d’audit des entreprises pour les questions de durabilité. La révision sous l’angle écologique et social était alors une approche nou-velle. Les premiers clients furent le fabricant de glaces alimentaires Ben&Jerry’s et la chaîne de magasins de cosmétique Bodyshop – deux entreprises phares de l’éthique dans les années 1990. Nous avons tenté d’améliorer la transparence des entreprises et de mesurer les effets so-ciaux en établissant des normes.

Page 22: Greenpeace Magazine 2012/02

20Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

En 1995, vous avez créé l’Ethical Trading Initiative, la première table ronde réunissant gouvernements, entreprises et société civile, dans l’idée de renforcer la «morale» de l’économie. Comment vos idées ont-elles si rapidement réussi à s’imposer?La mondialisation gagnait en importance. Au milieu des années 1990,

les organisations avaient découvert le moyen de critiquer les grandes marques comme Nike en faisant appel aux médias. Et l’Angleterre était justement le siège de nombreuses multinationales exposées aux critiques. Ce pays est donc devenu une sorte de laboratoire. Ayant déjà coopéré avec de petites marques, la NEF et moi avons été contactés par de grandes en-treprises contraintes de travailler sur leur image de marque.

Quels furent les premiers gros clients?BP, qui avait des problèmes en Colombie, et Shell, à cause de la plate-

forme pétrolière Brent Spar. British Telecom aussi, qui incarnait à l’époque l’entreprise malfaisante en Angleterre. En 1998, ces trois firmes furent les premières à intégrer les droits humains dans leurs directives internes.

Comment le contact s’est-il noué?Les entreprises sont venues vers nous. C’était le début d’une nou-

velle ère, où l’image de marque devenait pour les firmes plus impor-tante que d’autres atouts. Les menaces contre cette image de marque étaient un phénomène nouveau et les entreprises ne savaient pas com-ment réagir.

Quel genre de personnes avez-vous côtoyé?John Browne, PDG de BP à l’époque, avait du mal à croire que sa

société connaissait des problèmes en Colombie. BP complice de viola-tions des droits humains, c’était inconcevable pour lui! Mais il s’est rendu à l’évidence: la firme était impliquée dans des meurtres, et il a ouverte-ment affronté la question. Pas seulement pour protéger BP. Il était sin-cèrement bouleversé. Tout comme Mark Moody-Stuart, patron de Shell, ou Phil Knight, de Nike. Ce sont des hommes profondément moraux, qui acceptent de voir au-delà des intérêts de leur propre entreprise.

Phil Knight, un personnage profondément moral?Nike était alors une jeune entreprise d’à peine 25 ans. Aucun de ses

dirigeants n’avait jamais rencontré de représentant syndical en dehors des États-Unis. Ils étaient ignorants.

Vous affirmez que Nike aurait simplement fait preuve de naïveté?Évidemment, un tel constat peut paraître ridicule aux yeux d’un

jeune militant. Il n’empêche que c’est le cas. L’objectif de Nike était de réussir, pas de nuire aux gens. L’affrontement entre les entreprises et leurs détracteurs fait penser à la façon dont la Chine est actuellement perçue en Occident. Comme tous les autres, les Chinois veulent faire des affaires dans des pays qu’ils connaissent mal. Chaque fois que le monde découvre que la Chine a fait une erreur, c’est le tollé: les Chinois sont des méchants qui se fichent du bien-être des gens. Mais une entreprise chinoise qui produit et exploite des matières premières en Afrique est confrontée à des situations nouvelles, tout comme Nike à l’époque.

rio

+20

Page 23: Greenpeace Magazine 2012/02

21Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Et c’est là qu’intervient Simon Zadek pour expliquer les droits humains aux entrepreneurs chinois?En général, je discute avec le gouvernement. J’ai travaillé pendant

une année avec le «Conseil pour la coopération internationale en déve-loppement environnemental», du ministère chinois de l’Économie, pour aider le gouvernement à édicter des directives d’amélioration des prati-ques sociales et écologiques chinoises à l’étranger.

Pourquoi la Chine s’intéresse-t-elle à la durabilité?Il y a plusieurs raisons. Ces cinq à huit prochaines années, l’État

chinois veut investir 1000 milliards de dollars dans des entreprises à l’étranger. Le premier ministre Wen Jiabao l’a annoncé au WEF 2011 à Davos. Pour ce faire, la Chine doit disposer d’une bonne image de marque.

Mais encore?Une autre raison relève de la géopolitique. Les superpuissances se

doivent de déployer leur pouvoir au niveau militaire, économique et moral. Les Chinois seront la première superpuissance à miser sur le dé-veloppement durable. Pas parce qu’ils seraient des saints. Mais parce qu’ils ont besoin d’une image morale correcte pour accéder au statut de puissance internationale.

Ce n’est donc pas une véritable morale?Il ne sert à rien de s’interroger sur les raisons, morales ou pragma-

tiques, d’agir de telle ou telle manière. Ce qui compte, c’est d’identifier les impacts d’une manière d’agir, de voir si elle modifie la culture des entreprises.

Par exemple?Depuis le départ de John Browne, on voit qu’il n’a pas réussi à ancrer

ses valeurs sociales et écologiques au sein de BP. Contrairement à Mark Moody-Stuart, qui a induit une véritable mutation chez Shell.

LU

GU

AN

G /

GR

EE

NP

EA

CE

Des enfants travaillant dans une entreprise textile à Gurao, en Chine.

Page 24: Greenpeace Magazine 2012/02

22Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Pendant votre mandat de consultant chez Nestlé, la firme a fait espionner des militants écologistes. C’est douloureux, pour vous?Non. Est-ce une bonne action? Non. En suis-je surpris? Non. Les

firmes les plus intéressantes sont celles qui vivent à la fois dans le passé et dans l’avenir. Elles sont proprement schizophrènes. Les firmes aux projets les plus captivants ont les pieds dans la boue et la tête dans les nuages. Les capacités de la direction font alors toute la différence. Toute multinationale veut des choses qu’il serait préférable d’éviter.

Savez-vous si votre travail a eu un impact?À l’époque actuelle, il est difficile de déterminer les conséquences

exactes d’une action.

Mais un spécialiste des normes devrait tout de même savoir comment mesurer un impact!Ces quinze dernières années, la protection de l’environnement et la

durabilité sont devenues la norme. Certains des objectifs que nous avions formulés sont aujourd’hui des acquis dans la pratique des entreprises, les lois ou le débat public: les normes sociales pour les firmes, l’éthique lors des essais cliniques de produits thérapeutiques, la protection de la sphère privée sur l’Internet, parmi beaucoup d’autres thèmes.

Tout cela est limité au monde occidental.Pas seulement. Il y a encore trois ans, une conférence sur la destruc-

tion environnementale en Afrique aurait été impossible à Pékin. Or c’est ce que nous avons réalisé l’an dernier. Il est facile d’avancer des preuves de progrès. Le problème, c’est que ce progrès est souvent minime en re-gard des dimensions du problème. Le progrès devient alors lui-même une partie du problème…

C’est-à-dire?Lorsque les entreprises et les gouvernements se targuent de petites

avancées pour affirmer qu’elles «font quelque chose», alors les menues améliorations deviennent une partie du problème.

Pensez-vous à l’écoblanchiment?L’instrumentalisation est un risque pour toute personne qui s’engage

pour le changement tout en coopérant avec les «puissants». Comment empêcher que mon action devienne une partie du problème? Les petites étapes induisent-elles un réel changement ou une catastrophe? Voilà la grande question.

Vous attendez-vous à une catastrophe?L’avenir est sombre. Nous sommes à la croisée des chemins. Les

tensions liées aux inégalités sociales s’exacerbent, en Europe comme ailleurs. Il y a 60 ans, cela aurait provoqué une guerre. D’un autre côté, tout est ouvert. D’où l’importance du printemps arabe et du mouvement Occupy Wallstreet. La classe moyenne prend conscience que l’avenir est menacé, et c’est une bonne chose. Des espaces politiques s’ouvrent, le changement devient possible. Aucune période de ma vie professionnelle n’a été aussi passionnante que celle-ci.

rio

+20

Page 25: Greenpeace Magazine 2012/02

23Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

CONCEVOIR DE FAÇON

RESPONSABLELes ordinateurs occupent une place toujours plus importante

dans notre quotidien. L’interaction de l’humain avec des machines intelligentes est permanente. Un mode de vie

qui occasionne des nuisances environnementales. Elaine Huang, jeune professeure à Zurich, veut résoudre les

problèmes en améliorant la conception des produits.

Par Hannes Grassegger

Elaine Huang, 35 ans, est probablement la seule chercheuse de Suisse à explorer scientifiquement l’interaction entre les personnes et les ordi-nateurs sous l’angle de l’écologie et du social. Depuis septembre 2010, cette Américaine est professeure assistante à l’Institut d’informatique de l’Université de Zurich, après avoir travaillé dans le service de déve-loppement d’un grand producteur américain de téléphones mobiles. Elle s’inspire du concept Cradle-to-cradle (du berceau au berceau), qui désigne la capacité de recyclage infini des produits. Un concept d’ailleurs lancé par Michael Braungart, chimiste et co-fondateur de Greenpeace en Allemagne.

Greenpeace: Vous menez des recherche sur la «conception de l’interaction». De quoi s’agit-il?Elaine Huang: Au sens le plus large, c’est la tentative de comprendre

comment les environnements influent sur la perception de l’usager. Au sens étroit, c’est la gestion de la perception de la personne qui utilise une technologie. Mon domaine de recherche s’appelle Human-Computer-Interaction (HCI). Je travaille sur les rapports entre l’être humain et l’ordi-nateur. C’est un domaine interdisciplinaire qui fait intervenir l’anthropo-logie, la psychologie, l’ingénierie et l’informatique.

Quel rapport avec la durabilité?Autour de nous, l’informatique gagne du terrain et occupe une place

toujours plus importante dans notre vie. Avec une aggravation des pro-blèmes environnementaux à la clé. On peut tenter de contrer cette évo-lution. L’approche HCI préfère au contraire ne pas voir la technologie comme un problème, mais comme une piste pour trouver des solutions. Il s’agit de tirer profit du progrès technique pour aboutir à un progrès moins nuisible.

Pouvez-vous citer un exemple de «conception d’interaction» qui contribue à des comportements plus écologiques?La visualisation de l’information est importante. Les voitures hybri-

des permettent par exemple de suivre en permanence la consommation d’essence, et c’est très positif.

Page 26: Greenpeace Magazine 2012/02

24Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Et un exemple négatif ?La courte durée de vie des appareils. En Europe, les gens jettent leur

téléphone portable tous les 18 à 20 mois. Or ces appareils sont plus per-formants que les ordinateurs d’il y a encore quelques années. On élimine donc d’énormes quantités de technologie.

Votre démarche scientifique vise à pallier ce genre de lacune. Vous voulez une «conception durable de l’interaction» («sustainable interaction design» ou SID). Comment définir cette idée?La durabilité doit être intégrée dès la conception des modes d’inter-

action du produit avec l’humain: que deviendra l’appareil après usage? Les concepteurs devraient dès le départ intégrer la dimension de la durée de vie du produit. Ce serait là une conception durable de l’interaction. Autre exemple, l’approche SID pourrait servir à optimiser les logiciels afin de réduire la consommation de mémoire des appareils, et donc la consommation de courant et de matériel.

Mais le recyclage, ce n’est pas un concept nouveau.Nous ne réfléchissons pas seulement à la biodégradabilité des pro-

duits. La question est aussi de savoir s’il y a une réutilisation possible des composants ou de l’appareil dans son ensemble. Certains utilisent leur vieux portable comme réveil ou aide-mémoire. Un ancien iPhone peut-il devenir un jouet pour enfants dans une salle d’attente? Une tablette peut-elle servir d’album de photos? Le concept SID cherche à identifier la façon de concevoir le produit qui lui conférera facilement un nouvel usage lorsqu’il sera en fin de cycle.

Et c’est là qu’intervient la psychologie?Dans la perception des êtres humains, beaucoup de produits tech-

nologiques perdent rapidement en valeur. Comment faire pour qu’un vieux téléphone mobile devienne plus attractif avec le temps, comme une vieille paire de jeans? Le travail de recherche d’une étudiante a ainsi abouti à revêtir de cuir un ordinateur portable. Les marques d’usure du cuir confèrent à l’objet une histoire, un lien avec la personne. Et la valeur personnelle augmente avec le temps. Dans le cadre du même projet, un autre concepteur a créé un lecteur MP3 capable d’as-similer les goûts de l’usager, devenant donc de plus en plus performant au fil du temps.

«La durabilité doit devenir un critère clé de la conception de l’interaction. Que deviendra l’appareil après usage?»

rio

+20

Page 27: Greenpeace Magazine 2012/02

25Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

TH

OM

AS

SC

HU

PP

ISS

ER

Page 28: Greenpeace Magazine 2012/02

26Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

La conception durable des produits ne se limite pas à conce-voir des produits durables. Quelle est donc l’autre dimension?La conception du produit peut aussi encourager chez le consomma-

teur des comportements plus écologiques ou durables. Par exemple, un nouveau fond d’écran pour smartphone, qui varie selon que l’on se dé-place de manière plus ou moins écologique.

Quelles sont les évolutions les plus fascinantes de ces derniers temps?Les chercheurs de l’Université Carnegie-Mellon, à Pittsburgh (États-

Unis), ont développé un kit de mesure de la qualité de l’air. Ce sont de petits ballons portables munis de luminaires à LED à monter soi-même. Quand l’atmosphère est polluée, les luminaires changent de couleur. Ce qui permet aux gens de se rendre compte de la qualité de l’air sur un terrain de jeu ou des changements de l’air ambiant lorsqu’on fait la cui-sine. Autre aspect, les passants remarquent également ces ballons, ce qui crée un effet de communication.

L’approche SID pourrait-elle permettre de rechercher des algorithmes à basse consommation d’énergie pour le moteur de recherche Google?Une telle recherche concernerait le niveau en deçà de l’interface avec

l’usager. SID se concentrerait plutôt sur la possibilité pour Google d’in-diquer à l’usager sa consommation d’énergie.

À l’avenir, le contact avec l’environnement naturel pourrait passer davantage par l’ordinateur. Les systèmes infor-matiques de «réalité augmentée» entrent-ils dans votre domaine de recherche?Oh oui. Il existe une application nommée GreenHat qui permet de

visiter des forêts tandis que le clip smartphone fournit des informations d’experts sur la nature.

© C

HL

OE

FA

N

Mesure de la qualité de l’air par l’Université Carnegie- Mellon (états-Unis): la couleur des ballons change quand l’atmosphère se dégrade.

rio

+20

Page 29: Greenpeace Magazine 2012/02

27Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Mais la durabilité est-elle vraiment intéressante pour les fabricants?Il existe actuellement des tensions avec les intérêts commerciaux.

Mais on voit bien qu’il est possible de faire évoluer les appareils simplement en actualisant les logiciels qu’ils contiennent. Et toutes les études indiquent que les êtres humains se soucient des problèmes environnementaux et ne veulent plus jeter des produits à tout bout de champ. Se familiariser avec un nouvel appareil est aussi une source d’effort. L’une de nos étudiantes a récemment mené une enquête sur l’inventaire personnel des gens. Elle voulait connaître les liens que les gens tissent avec leurs propres objets. Une personne a évoqué le porte-monnaie qu’elle possède depuis des an-nées et qu’elle n’a pas voulu remplacer, même quand elle en a reçu un nouveau. Le temps passé à utiliser un objet est donc primordial. Il existe une demande en direction des solutions renouvelables.

La chaîne de mode américaine Urban Outfitters propose des chaussures à semelle remplaçable. Un produit très écolo-gique, mais qui se vend mal…Certains produits mettent du temps à s’imposer. La tablette d’ordi-

nateur existait déjà il y une dizaine d’années, sans être véritablement connue. Aujourd’hui, on voit des iPad partout. Ce sont ces histoires-là qui me rendent optimiste. Apple a voulu créer le smartphone – un succès qui marque toute une génération d’appareils mobiles. Même chose pour les tablettes. Je pense que si une firme comme Apple décidait de produire des portables plus durables, cela pourrait tout à fait s’imposer sur le marché. Les autres fabricants suivraient.

Vous avez un MacBook Air sur votre bureau. Un appareil dont on ne peut même pas changer la batterie…Avant, j’avais un MacBook Pro: je voulais en fait déjà un MacBook

Air, mais je pensais que le modèle Pro permettait justement de changer la batterie. À la maison, j’ai constaté que cela n’était pas possible non plus sur le nouveau MacBook Pro… Une expérience frustrante. Mais la conception d’un produit est toujours affaire de compromis entre diffé-rents critères. Pour moi, le poids de l’ordinateur est décisif, car je suis souvent en déplacement. Un aspect plus important que l’avantage écolo-gique de pouvoir remplacer la batterie.

Les attentes à l’égard des appareils et des modes de vie diffèrent d’une personne à l’autre. La conception de l’interaction ne cherche-t-elle pas à reconnaître la personne au-delà de l’usager?Quand on pense à l’usager, c’est pour améliorer l’efficacité et la ra-

pidité. En revanche, quand on cible l’être humain, on tient compte des aspects émotionnels, du rapport au produit, et c’est important. J’en veux pour preuve l’essor des marques d’ordinateur au design «émotionnel». L’importance accordée à la conception et au design permet de tenir compte de la dimension de la durabilité. Mais il faut admettre que la recherche permanente du design le plus récent a aussi pour effet de ré-duire la durée de vie des produits… À l’inverse, personne ne remplace son ordinateur Dell simplement parce que le nouveau modèle de la marque est plus joli.

Page 30: Greenpeace Magazine 2012/02

28Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

BR

AD

Sw

ON

ET

Z /

RE

DU

X /

RE

DU

X /

LA

IF

Page 31: Greenpeace Magazine 2012/02

29Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

L’ENFANT SAUVAGE

Parmi les écrivains de la révolution verte, un nom nous restera certainement en mémoire, celui de l’Américain Thomas Coraghessan Boyle. Depuis les années 1970, bien avant la

conférence de Rio, son univers artistique est marqué par l’écologie. Greenpeace l’a rencontré dans son cadre de vie tout à fait particulier, entre civilisation et nature sauvage.

Par Matthias Wyssmann

Rares sont les auteurs de la littérature mondiale capables de décrire la nature avec autant d’intensité et de réalisme que T. C. Boyle. Son dieu est la nature sauvage, ses héros rêvent d’y retourner. Mais malgré le changement climatique, une planète ravagée par la pluie ou au contraire transformée en désert de sable (comme dans Un ami de la Terre, un de ses romans les plus importants), T. C. Boyle maintient la civilisa-tion – la maison, la voiture, le bar – comme un anneau de sauvetage dans un monde en furie.

Son ouvrage le plus récent commence par le naufrage d’un jeune couple sur l’étroite bande d’océan qui sépare les Channel Islands de la côte californienne. Seule la jeune femme survit, malgré la menace des requins et du froid. Accrochée à une glacière, elle parvient à rejoindre une île… L’histoire de When the Killing’s Done se passe pratiquement aux portes de la maison de l’auteur, avec pour arrière-fond le cadre para-disiaque de Montecito.

Page 32: Greenpeace Magazine 2012/02

30Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Greenpeace: M. Boyle, cette nature idyllique est-elle vraiment si menaçante?T. C. Boyle: Voyez vous même… Quand j’ai emménagé dans cette

maison, j’ai voulu aller à la plage. J’ai pris mon tuba, mes lunettes de plongée et mes palmes. Les baigneurs s’amusaient dans l’eau. Tout à coup, je me suis rendu compte que le fond de l’eau était recouvert d’un véritable tapis de raies! Par bonheur, personne n’a été piqué.

Voilà un danger bien réel. Mais la nature est aussi l’image que l’on s’en fait…Nous sommes mortels, et tant de choses peuvent nous atteindre.

Dans Un ami de la Terre, une personne se fait tuer dans sa cuisine par une minuscule météorite. Un événement improbable, mais néanmoins pos-sible… Dans la ville où je suis né, un homme avait garé sa voiture devant une pizzeria. Soudain l’auto a fait un saut et l’homme a constaté qu’un objet avait troué son coffre et creusé un cratère dans le goudron: c’était une météorite, rendez-vous compte!

Tiens, je n’étais pas conscient de ce danger. Merci de m’avoir prévenu…C’est un miracle que nous soyons tous encore en vie!

Dans la forêt, vous êtes à la fois fasciné et inquiet?Non, je ne me suis jamais senti menacé dans la forêt. Sauf les deux

fois où j’ai rencontré un puma… Ce sont des animaux capables de tuer un humain. Mais en même temps, c’est merveilleux qu’ils existent. En Suisse, vous ne connaissez pas cela? Quoique… Je crois me souvenir d’un ours brun…

Il a été abattu.Oui, j’avais lu cela. C’est bien dommage. Je suis toujours du côté des

ours. Ce serait gentil de leur laisser une petite place, quand même. J’ai grandi près de New York. Les forêts des alentours n’abritent pas beaucoup d’animaux. Pas même des coyotes. Tout cela est très domestiqué. Ici, sur la côte Ouest, c’est différent. Je passe beaucoup de temps dans ma maison de vacances, dans la forêt nationale de Sequoia. L’univers sauvage com-mence devant ma porte! Ours, pumas, lynx… Je ne les vois pas souvent, mais ils sont là.

rio

+20

«Dans la forêt, je ne me suis jamais senti menacé. Sauf les deux fois où j’ai rencontré un puma…»

Page 33: Greenpeace Magazine 2012/02

31Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Et vous n’avez pas peur?Oh non. Mais si je me cassais la jambe… La première nouvelle que

j’ai écrite après When the Killing’s Done [Après le massacre] s’appelle My Pain Is Worse Than Your Pain [Ma souffrance est pire que la vôtre]. Une histoire amusante: un type se promène et se casse la jambe. Les corbeaux viennent lui crever les yeux et il finit par mourir [rires]. Ma femme a alors décidé d’acheter un équipement GPS de repérage. Si jamais j’en ai besoin un jour, il n’est même pas impossible qu’il fonctionne…

Il n’est pas facile d’imaginer T. C. Boyle seul dans un univers sauvage. Habits noirs, casquette à l’envers, habillé chaud malgré les températu-res estivales (il couve un rhume), cet original de 63 ans aime se présen-ter en veston aux couleurs vives et tee-shirt. Très grand, il paraît plutôt gauche. Heureusement qu’il a son équipement GPS quand il est dans la Sierra Nevada.

Mais T. C. Boyle est un passionné de la nature. Tous les après-midi, il est dehors. Parfois il creuse des trous dans son jardin, pour les combler le jour suivant. La nature est pour lui une occasion de s’émerveiller. Même en passant tous les jours au même endroit, l’impression est chaque fois différente. L’environnement lui est vital, comme l’écriture. Quand on lui demande s’il a remplacé l’héroïne de sa jeunesse par une autre addiction, il répond par l’affirmative.

Sa maison près de Santa Barbara est une des célèbres Prairie Houses conçues par la star de l’architecture Frank Lloyd Wright. Une habitation impressionnante, mais assez particulière et un peu sombre. Dans cet antre, l’écrivain se plonge chaque matin dans une ivresse d’écrire qui lui permet de produire roman après roman, nouvelle après nouvelle. La maison est entourée d’une intense végétation. Il plante beaucoup, mais n’arrache rien… T. C. Boyle a creusé un étang: «C’est pour créer un refuge pour les animaux.» Quasi végétarien, il possède quand même un barbe-cue sur sa terrasse: mais celui-ci sert de nid à un rat. Dont les congénères ont d’ailleurs pris possession des murs de la vieille maison.

Et qu’avez-vous fait pour les chasser?Je préfèrerais les laisser tranquilles. Mais si je ne fais rien, ils pren-

nent le dessus. Quand les enfants étaient petits, ils avaient un rat appri-voisé, tout blanc et mignon, qui vivait dans une cage. Pendant ce temps, ses cousins sauvages s’appropriaient les murs. Leur destin à eux n’était pas d’être choyés et nourris, mais combattus.

Votre nouveau livre commence également par une histoire de rats. Arrivés sur l’une des îles Channel avec les êtres humains, ils détruisent l’équilibre naturel. Une biologiste

«Dans notre société séculière, la nature est devenue une sorte de dieu.»

Page 34: Greenpeace Magazine 2012/02

32Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

amoureuse de la nature prépare leur empoisonnement, mais un protecteur des animaux s’y oppose. Pour une fois, les écologistes se battent les uns contre les autres.C’est toute l’ironie de l’histoire. Dave, le personnage masculin,

est un écologiste radical. Il a ses principes: tu ne tueras point. Et c’est sans compromis. Quand il se promène et voit l’agonie des rats empoi-sonnés, il trouve ce spectacle inhumain, atroce. Alma elle aussi a le cœur brisé quand elle écrase un écureuil avec sa voiture. Mais elle estime que les espèces originelles doivent être protégées contre l’in-vasion des rats. L’ironie, c’est que Dave et Alma partagent les mêmes valeurs, sont tous deux végétariens et pourraient travailler ensemble. Mais ils divergent sur un point important, évoqué au début par une citation de la Genèse: l’homme est-il le maître des animaux? Sommes-nous en droit de choisir les espèces à préserver et celles à abattre?

Après les rats, Alma s’attaque aux cochons errants. Une métaphore pour désigner les êtres humains?Bien sûr. Dans Un ami de la Terre, un des personnages dit: «Pour

être l’ami de la Terre, il faut être l’ennemi de l’humain.» Moi, par exemple, j’ai eu des enfants et je vis dans une grande maison – c’est proprement criminel.

Après tout, au-delà de la politique environnementale, vo-tre livre traite de la haine de soi?Je parle d’êtres humains, pas de politique. Dave est un jeune

homme constamment en colère. Trop de testostérone. Au début, il est irrité par la présence des clochards dans sa ville. Il n’a aucune com-passion. En même temps, il risque la prison, et sa vie, pour sauver des rats et des cochons sur une île.

Mais quelle est la place de l’être humain dans la nature? En est-il le centre, ou pas?(Après une pause de réflexion) J’aime l’écologie profonde. J’aime

l’idée que même les pierres possèdent une valeur, comme les êtres vivants. L’idée que tout ne se réduit pas à une «ressource» que nous pourrions piller à volonté pour maintenir le capitalisme en selle et manger de la viande tous les jours. Nous sommes une espèce ani-male et pourtant nous nous approprions ce que nous voulons. Dès que l’économie s’enraie, les lois environnementales sont remises en question. Tout cela pour conserver les millions de dollars de bonus de quelques-uns. Mais le problème se résoudra malheureusement de lui-même, et d’une triste manière, par la surpopulation croissante.

rio

+20

«Pour créer un refuge pour les animaux, j’ai creusé un étang.»

Page 35: Greenpeace Magazine 2012/02

33Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012 T

BD

T. C. Boyle jouit de la nature, en compagnie de son chien Dardar dans la Sierra Nevada

californienne.

TH

OM

AS

RA

BS

CH

/ L

AIF

Page 36: Greenpeace Magazine 2012/02

34Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

La population mondiale a doublé depuis que vous avez commencé à écrire.Et les pays en développement ont des besoins croissants en ressour-

ces. La Chine impose à sa population la politique de l’enfant unique. Les Américains n’aiment pas ce genre de contrôle, mais c’est peut-être la seule solution.

Un personnage historique qui revient souvent dans vos livres, c’est Henry David Thoreau, le pionnier de l’écologie et de la désobéissance civile. Que représente-t-il pour vous?C’est l’une de mes idoles. J’ai lu et relu son livre Walden ou la vie dans

les bois. J’adore la précision de ses descriptions de la nature, sa prose splendide et sa capacité d’aller au fond des choses. Sa manière de décrire la nostalgie que nous avons tous en nous, excepté peut-être quelques urbains endurcis: tout laisser derrière soi, vivre en autosuffisance au bord d’un lac naturel. Mais j’aime bien aussi le fait que Thoreau vivait à proxi-mité d’une petite ville et qu’il venait tous les jours débattre au café. For-midable!

Comme l’un de vos héros, il a incendié une forêt, même si ce n’était pas intentionnel.Joli parallèle. Mais en écrivant l’œuvre en question, je pensais plutôt

aux écologistes radicaux des années 1980, qui luttaient par tous les moyens contre l’exploitation forestière. Par le passé, on abattait des pins particulièrement précieux jusque dans cette merveilleuse forêt natio-nale de Sequoia qui me tient tant à cœur. Les gens avaient besoin de bois pour construire leurs maisons.

Des maisons comme celle-ci.Oui, elle est faite entièrement de bois de pin rouge. Elle date de 1909.

Cet arbre était courant à l’époque. Maintenant il est gravement menacé.

C’était l’époque de l’innocence envers les ressources naturel-les. Vous qui êtes né en 1948, vous avez suivi le mouvement écologiste dès ses débuts. Quand vous pensez à Rio+20, quels changements observez-vous depuis 1992, ou encore depuis 1968?La prise de conscience. J’ai lu que la pollution environnementale est

le plus grand souci des Américains, avant le chômage ou la pénurie de logements. Malheureusement, l’action politique ne suit pas. Les politi-ques sont achetés par le lobby des multinationales. Si je pouvais, je ferais interdire tout travail de lobby, car il corrompt la démocratie.

Oui, il y a une prise de conscience au sein la population. Si une loi interdisait les voitures grosses consommatrices d’essence dans un avenir proche, l’industrie trouverait facilement une solution. Mais c’est l’argent qui régit la politique. Les deux dernières crises économiques ont été provoquées par l’avidité des banquiers capitalistes. Qui ne se soucient de rien d’autre. Le pillage est leur méthode de travail.

rio

+20

«Pour être l’ami de la Terre, il faut être l’ennemi de l’humain.»

Page 37: Greenpeace Magazine 2012/02

35Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Pour revenir à Thoreau, sa pratique de la désobéissance civile compte beaucoup pour Greenpeace. Ce principe a-t-il encore sa place aujourd’hui?Bien sûr. J’aime ce que fait Greenpeace. Les actions directes, bien

sûr, mais aussi et surtout la manière de dénoncer les abus. Lors de mes recherches pour mon livre, je n’ai pas été en mesure de visiter un abattoir. PETA, l’association de protection des animaux, a toutefois produit un film visible en ligne. Je n’en ai supporté qu’une minute ou deux. Mais c’était ce qu’il fallait pour me rendre compte de la réalité.

La nature n’est-elle pas en train de devenir le principe direc-teur de notre société, en lieu et place de la raison et de la ratio-nalité?Je ne suis pas sûr de comprendre la question. Je pense que la nature

est devenue une sorte de dieu dans notre société séculière. Mais l’adora-tion de la nature est une chose tout à fait innocente, n’est-ce pas? Quand je me promène, je n’ai aucune envie de voir des véhicules tout terrain et des moteurs fumants. Je veux être en contact avec la nature, m’asseoir au soleil sur un rocher, lire un livre ou écouter le bruit de l’eau. Je veux me sentir partie prenante de quelque chose de plus grand, être en commu-nion avec la Création, la faune et tout le reste. À ce moment-là, la raison n’a pas sa place. C’est grâce à la raison que je connais le nom des animaux et des plantes, que je comprends les problèmes, que je vois les trouées faites dans la forêt, la présence du bostryche. Mais quand je vais dans la nature, c’est pour prendre mes distances avec la raison. Pour vivre les choses comme un enfant, comme un petit garçon, comme Thoreau en son temps. Malheureusement, la valeur de la nature vierge n’est souvent pas reconnue.

L’être humain est un sauvage doté d’expérience, disait Thoreau. Vous dites que l’adoration de la nature est quelque chose d’innocent.Dans notre société occidentale, il faudrait peut-être remplacer la

religion par la nature. Voilà une démarche innocente. On n’édicterait pas de lois religieuses pour imposer des règles de conduite aux gens. On leur dirait simplement: sortez de vos maisons et vénérez les choses de la nature.

«Chez Henry David Thoreau, j’adore la précision des des criptions de la nature et sa capacité d’aller au fond des choses.»

Page 38: Greenpeace Magazine 2012/02

36Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Mais sur le plan politique, cela reviendrait peut-être à la politique chinoise de l’enfant unique. C’est tout sauf innocent.Oui, mais ce genre de politique n’est possible que sous un régime

dictatorial.

Massacrer des milliers de cochons, comme dans votre livre, ce n’est pas innocent non plus. Oui, mais embrasser la nature, c’est une démarche qui ne nuit à

personne. Créer des parcs nationaux, observer les derniers animaux ou même entrer en contact avec eux, c’est tout à fait innocent. Bien sûr, la question demeure: quelles espèces laissons-nous vivre et quelles espèces allons-nous combattre?

Il n’y a pas de réponse à cette question.C’est une décision individuelle, à prendre pour soi-même.

Mais il faut agir de manière collective. Il faut une autorité, qui impose les décisions collectives.Je ne fais que lancer le débat; je ne me pose pas en autorité…

Vous avez déclaré: «Je suis un iconoclaste et un punk, qui n’a jamais vraiment atteint l’âge adulte. Je ne supporte pas l’idée de l’autorité.»Nous vivons en démocratie. Nous avons des lois environnemen-

tales qui n’existaient pas il y a 30 ans. C’est l’expression d’une prise de conscience. Mes livres, cet entretien, l’article que vous allez écrire, mes interventions à la télévision, toutes les questions et les réponses…, cela fait avancer la prise de conscience et la réflexion. Mais je ne suis pas l’autorité qui impose aux gens ce qu’ils doivent faire. Je ne crois pas au principe de l’autorité. Et je n’ai pas le temps de jouer ce rôle!

Mais vous avez donné une voix à la nature sauvage.L’intrigue de mon livre L’Enfant sauvage se passe dans la France du

XVIIIe siècle et s’inspire de l’histoire vraie d’un enfant-loup. Il ne connaît pas la culture humaine et n’apprendra jamais à parler. Il vit comme un animal dans la nature, comme l’ont fait nos ancêtres. J’ai écrit cette his-toire pour comprendre ce que cela veut dire.

Êtes-vous cet enfant? Souhaitez-vous retourner à la nature?Nous portons tous en nous cette idée mythique d’un passé et d’une

nature qui n’ont jamais vraiment existé. C’est l’attirance d’une vie que nous contrôlerions nous-mêmes, au lieu d’être pris en tenaille par la so-ciété de masse.

rio

+20

«Sortez de vos maisons et vénérez les choses de la nature.»

Page 39: Greenpeace Magazine 2012/02

37Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

À lire

© B

LO

OM

SB

UR

Y

© É

DIT

ION

S G

RA

SS

ET

& F

AS

QU

EL

LE

Depuis son premier livre, Descent of Man (1979), la nature est omni-présente dans l’œuvre de T. C. Boyle. en témoignent notamment Water-music, América, La belle affaire et D’amour et d’eau fraîche. Même ses ouvrages de fiction biographique sur le Dr Kellog, l’inventeur des Corn Flakes, l’architecte Frank Lloyd Wright ou encore le «Dr sexe» alfred Kinsey traitent de la composante animale de l’être humain, com-posante qu’aucune civilisation ne parviendra jamais à éliminer.

auteur d’une quinzaine de romans — le dernier en date étant San Miguel – et d’innombrables nouvelles, il est un écrivain culte dans plusieurs pays d’europe. Ses interviews et ses interventions publiques farfelues ne l’empêchent pas de poursuivre son travail de composition avec ferveur et discipline. Forgés sur ses modèles littéraires John irving et raymond Carver, les personnages de T. C. Boyle, avec leurs histoires incroyables, ne manquent jamais de surprendre.

Corrosifs et sombres, les écrits de T. C. Boyle jettent pourtant un regard bienveillant sur les êtres humains, avec leurs contradictions et leur désarroi.

Page 40: Greenpeace Magazine 2012/02

CHAQUE ARBRE COMPTELes forêts jouent un rôle déterminant dans l’équilibre du climat mondial. elles stockent le carbone,

régulent le régime des eaux et produisent de l’oxygène.or près de 80% des forêts primaires de la planète ont déjà disparu.

La C

ar

Te

Toutes les deux secondes, le pillage et le déboisement des forêts détruisent une surface équivalant à un terrain de football. L’ampleur de la déforest ation fait de l’indoné-sie et du Brésil les plus gros émet-teurs de Co2 au monde après la Chine et les états-Unis.

alors que les forêts tropicales sont au centre du débat sur le climat et la forêt, le rôle primordial des forêts boréales du Nord est souvent oublié. Le Canada et la

russie const ituent à eux deux le plus grand puits de carbone sur Terre, st ockant plus de 50% du Co2 mondial. Une quantité qui corresp ond aux émissions mondia-les de carbone des six dernières années.

Deuxième plus grande forêt tropicale après l’amazonie, la forêt pluviale d’afrique const ituait jadis une ceinture ininterrompue reliant le Sénégal, à l’ouest , et l’ouganda, à l’est . aujourd’hui les forêts

d’afrique occidentale (Liberia, Ghana et Côte d’ivoire) sont détrui-tes ou fortement fragmentées. Seul le bassin du Congo, en afrique centrale, compte encore de gran-des forêts primaires intact es qui abritent diff érentes populations et de nombreuses esp èces animales et végétales. Mais cett e région est menacée par l’indust rie forest ière internationale.

La dest ruct ion des dernières forêts primaires doit cesser. Les

SUrFaCeS BoiSéeS iL Y a 8000 aNS

Page 41: Greenpeace Magazine 2012/02

CHAQUE ARBRE COMPTELes forêts jouent un rôle déterminant dans l’équilibre du climat mondial. elles stockent le carbone,

régulent le régime des eaux et produisent de l’oxygène.or près de 80% des forêts primaires de la planète ont déjà disparu.

réserves forest ières et les plans d’aff ect ation peuvent sauver les zones encore viables. Greenpeace dénonce la coupe illégale, appelle les gouvernements à interdire l ’exploitation indust rielle des pré-cieuses forêts primaires et s’en-gage pour la création de réserves forest ières mondiales.

Lieux d’intervention de Greenpeace en faveur de forêts menacées

Bureaux de Greenpeace menant des campagnes fores-tières nationales.

Tous les bureaux du monde sont associés aux eff orts internationaux de protect ion.

Forêts encore intact es, forêts primaires

Forêts intact es de moins de 500 km2

Forêts détruites et zones fores-tières de moins de 500 km2

© G

RE

EN

PE

AC

E,

ÉT

AT

OC

TO

BR

E 2

010

Page 42: Greenpeace Magazine 2012/02

40Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

amazonie

La forêt d’amazonie est aussi grande que les états-Unis. Mais 78 millions d’hectares de forêt (soit deux fois la superficie de l’al-lemagne) ont déjà disparu, prin-cipalement au profit de pâturages pour 63 millions de bovins et de la culture du soja. 20 millions de personnes, dont beaucoup d’autochtones, sont menacées par la destruction de la forêt vierge. Greenpeace lutte depuis longtemps pour sauver la forêt amazonienne. Victoire d’étape: les quatre plus grands éleveurs brésiliens de bo-vins se sont engagés à renoncer au déboisement pour de nouveaux pâturages. et la destruction de la forêt pour la culture du soja a égale-ment diminué.

Congo

La forêt primaire africaine s’étend sur 172 millions d’hectares, situés pour la plupart en république dé-mocratique du Congo. Mais la deuxième plus grande forêt vierge du monde est menacée par les multinationales du bois qui tirent profit de la fragilité d’un état miné par de longues guerres civiles. Pour la population dépouillée de ses droits sur la terre, la compensa-tion se réduit à du sel ou de la bière. Sans compter les violences en cas de résistance. Le bois du Congo est souvent exporté dans l’Union européenne. Greenpeace

lutte sur le terrain contre ce pillage contraire aux droits des populations.

Canada

Le Canada compte encore de grandes surfaces de forêt primaire: la forêt boréale et la forêt pluviale de la côte ouest. Des forêts mena-cées par la coupe industrielle, surtout pour la fabrication de papier. Dans le cadre d’une convention forestière conclue en 2010 avec les organisations environnementales, l’industrie accepte de préserver une surface de 28 millions d’hecta-res (soit sept fois la taille de la Suisse). Mais ce moratoire ne dure que trois ans. avec d’autres orga-nisations, Greenpeace travaille donc sur une solution à soumettre aux gouvernements provinciaux, aux peuples autochtones et aux exploitants.

russie

environ un cinquième des forêts primaires encore intactes dans le monde se trouve en russie. Malgré des conditions climatiques extrê-mes, la forêt boréale foisonne de champignons, fougères, lichens et mousses. Mais la situation est grave depuis la réforme de la loi forestière russe de 2007: gigantes-ques incendies de forêt, absence de contrôles, pillage industriel pour la production de bois de sciage et de papier… Greenpeace lutte pour

la protection des zones de forêts encore intactes, dénonce l’abattage illégal, recense les incendies, instruit des groupes de pompiers bénévoles et plante des arbres dans les zones déboisées, avec un réseau de centaines d’écoles et de bénévoles.

indonésie

51 km2 par jour: un chiffre qui illustre la rapidité de la destruction de la forêt primaire indonésienne. Ce triste record mondial s’explique surtout par la production d’huile de palme et de cellulose. L’huile de palme est une huile végétale utili-sée pour les produits alimentaires, cosmétiques et hygiéniques ou encore les agrocarburants. La cel-lulose sert à fabriquer des produits jetables comme les emballages, le papier de ménage ou de toilette. Ces productions menacent l’es-pace de vie des populations autoch-tones, mais aussi de nombreuses espèces animales menacées comme l’orang-outan. De plus, le sol tourbeux de la forêt indonésienne stocke dix fois plus de carbone que les autres forêts primaires. Des multinationales comme Nestlé, Uni-lever ou Burger King se sont pliées à la pression de Greenpeace et ont résilié leurs contrats avec l’entre-prise Sinar Mas, le plus grand destructeur de forêt pluviale d’indo-nésie. Greenpeace travaille ac-tuellement à convaincre le gouver-nement indonésien de décréter un moratoire sur le déboisement.

La C

ar

Te

© D

AN

IEL

BE

LT

/

GR

EE

NP

EA

CE

GR

EE

NP

EA

CE

/ K

AT

E D

AV

ISO

N

JIR

I R

EZ

AC

/ G

RE

EN

PE

AC

EG

RE

EN

PE

AC

E /

IG

OR

PO

DG

OR

NY

© G

RE

EN

PE

AC

E /

N

AT

AL

IE B

EH

RIN

G

Page 43: Greenpeace Magazine 2012/02

41Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

RÉFORME FISCALE ÉCOLOGIQUE:

OUI, MAIS LAQUELLE?

Par Thomas Niederberger

Fukushima a remis la ré-forme fiscale écologique à l’ordre du jour. Les Vert’libé-raux et les Verts ont lancé deux initiatives. Le Conseil fédéral étudie les options en présence. Présentation des enjeux.

Notre consommation d’énergie et de ressour-ces est trop élevée, car elle ne coûte pas cher. Les dégâts environnementaux ne sont pas pris en compte dans le prix, malgré des coûts con si-dérables pour la société. Coûts qui devraient désormais se répercuter sur le prix à la consom-mation, selon des projets de réformes en débat. Une taxe d’incitation permettrait de redistribuer les coûts environnementaux, récompensant les économies d’énergie et pénalisant le gaspillage. En termes économiques, cela reviendrait à inclure dans le calcul du prix de l’énergie et des ressources des coûts qui sont actuellement externalisés (c’est-à-dire reportés sur la société dans son ensemble). Les profits privés reste-raient possibles, mais le gaspillage constituerait un désavantage concurrentiel. Les propositions discutées sont des opérations blanches sur le plan des finances publiques et de la fiscalité: il y aurait redistribution des recettes fiscales et de la charge fiscale, mais pas d’augmentation de la taxation dans son ensemble.

Les initiativesDeux initiatives de réforme fiscale écolo-

gique sont actuellement en phase de récolte de signatures. La première s’intitule «Remplacer la taxe sur la valeur ajoutée par une taxe sur l’énergie». Lancée par le parti des Vert’libéraux, elle prévoit une taxation des énergies non re-nouvelables en échange de l’abrogation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Déjà taxée à l’heure actuelle, l’importation d’énergies comme le pétrole, le gaz naturel, l’uranium et le charbon deviendrait plus chère: les recettes devraient se monter à 3,9% du produit intérieur brut, c’est-à-dire correspondre aux recettes provenant de la TVA. Il n’y aurait pas de modification du mon-tant total des rentrées fiscales et de la charge fiscale des entreprises et des particuliers. Le nou-veau régime supprimerait en revanche la charge administrative liée au calcul de la TVA pour plus de 300 000 petites et moyennes entreprises.

«Avec notre initiative, les investissements dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique deviendraient économiquement intéressants, ce qui favoriserait la protection du climat et la sortie progressive du nucléaire», explique Martin Bäumle, conseiller national des Vert’libéraux. Cela réduirait la dépendance de la Suisse à l’égard du pétrole et du gaz natu-rel. Un frein serait aussi mis aux flux financiers qui alimentent des régimes politiques autori-taires s’appuyant sur le commerce des matières premières. La Confédération pourrait éviter les distorsions de la concurrence en édictant des taux de taxation échelonnés en fonction du type d’énergie. Une option serait de taxer l’impor-tation de courant issu des centrales nucléaires et au charbon, en introduisant des certificats d’origine.

La deuxième initiative populaire s’appelle «Pour une économie verte». Ce projet du parti des Verts comprend notamment un volet de fiscalité écologique. «Il faut passer au plus vite d’une économie du jetable à une économie verte, se renouvelant comme le cycle de la nature. C’est la seule manière de sauver la planète», pré-cise Bastien Girod, conseiller national et mem-bre du comité d’initiative. Il s’agit de diviser par trois l’empreinte écologique de la Suisse d’ici à 2050. En effet, si tout le monde consommait autant que les Suisses, il faudrait disposer de trois planètes pour soutenir ce mode de vie. Cet indicateur comprend aussi la consommation

VoTa

Tio

NS

Page 44: Greenpeace Magazine 2012/02

42Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

d’énergie grise importée. Conçue en termes généraux, l’initiative permet à la Confédération de prendre diverses mesures: promotion de la recherche et de l’innovation, promulgation de normes pour les produits et les marchés publics, mais aussi introduction de taxes d’incitation sur les ressources non renouvelables (c’est l’élé-ment fiscal de l’initiative).

Les deux initiatives sont tout à fait com-plémentaires. Tandis que les Verts veulent ins-crire un objectif clair dans la Constitution, sans préjuger de sa mise en œuvre, les Vert’libé-raux visent la fiscalité sans introduire de contraintes quant aux objectifs. Deux initiatives à signer au plus vite (cf. encadré)! Le passage en votation de ces deux initiatives populaires dépendra notamment de l’élaboration d’un contre-projet par le Parlement.

Mesures étudiées par la ConfédérationAprès la catastrophe de Fukushima, le Par-

lement a décidé de renoncer à la construction de nouvelles centrales atomiques et de sortir progressivement du nucléaire. La nécessité des économies d’énergie devient donc très concrète. La Confédération a élaboré sa «Stratégie éner-gétique 2050» pour gérer la sortie du nucléaire

tout en assurant la fourniture d’énergie, notam-ment par une réforme de la fiscalité écologique. Le Département fédéral des finances est chargé, avec le Département fédéral de l’environne-ment et de l’énergie, d’étudier cet aspect d’ici au milieu de l’année en cours. Reste que lors d’une conférence de presse début décembre 2011, les deux conseillères fédérales compétentes, Eveline Widmer-Schlumpf et Doris Leuthard, ont laissé une impression mitigée. Doris Leuthard souhaite attendre 2020 et le bilan des mesures d’encouragement comme la rétribution à prix coûtant pour les énergies renouvelables avant de décider d’introduire des taxes d’incitation.

Martin Bäumle se réjouit que le Conseil fédéral se penche sérieusement sur la question d’une réforme fiscale écologique. Il précise qu’une telle réforme est indispensable pour lan-cer un signal fort au marché et favoriser un tournant énergétique rapide sans entraves bu-reaucratiques. L’«économie verte» semble gagner du terrain sur le plan politique: même l’association patronale Economiesuisse mani-feste des sympathies pour l’initiative des Verts – le signe que des alliances majoritaires pour une réforme écologique sont désormais possibles.Greenpeace soutient les deux initiatives!

Réforme fiscale écologique: aperçu des projetsIntitulé Objectifs Moyens CalendrierParti Vert’libéral: initiative populaire «Remplacer la taxe sur la valeur ajoutée par une taxe sur l’énergie»

Incitation aux écono-mies d’énergie (société à 2000 watts). Promotion du secteur Cleantech. Moindre dépendance aux importations d’énergie.

Remplacement de la TVA par une taxe sur l’énergie: la consommation d’énergie et d’essence renchérit; les biens et services à basse consom-mation deviennent meilleur marché.

Récolte de signatures en cours. Date de la votation à définir.

Parti des Verts: initiative populaire «Pour une économie verte»

Passer de la société du jetable à une économie circulaire. Réduction de l’empreinte écologique de la Suisse à une seule planète d’ici à 2050.

La concrétisation est délé-guée à la Confédération, appelée à définir des objectifs intermédiaires et à prendre des mesures. Propositions: promotion de la recherche, normes pour produits, stimu-lation des synergies entre activités économiques, cri-tères pour les marchés publics, taxe d’incitation sur les ressources non renouvelables.

Récolte de signatures en cours. Date de la votation à définir.

Conseil fédéral: Stratégie énergétique 2050

Garantie de la fourniture d’énergie après l’arrêt des centrales nucléaires à partir de 2020.

Mesures d’efficacité éner-gétique, énergies renouvela-bles, centrales à énergies fos-siles, réseaux et recherche. Étude de diverses options de réforme fiscale écologique.

Rapport de fiscalité écologique prévu d’ici au milieu de l’année en cours.

VoTa

Tio

NS

Page 45: Greenpeace Magazine 2012/02

43Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

FIèVRE SOLAIRE CHEZ LES JEUNES DU BRÉSIL

Michael Götz a été engagé par Green peace comme instructeur en énergie solaire auprès du Youth Support Center (YSC). Ce projet lancé par Greenpeace permettra aux jeunes de pays pauvres d’accéder à des connaissances durables.

Greenpeace: Michael, tu es actuellement engagé au Brésil. Qu’y fais-tu?

Michael Götz: En janvier, j’ai animé un stage d’initiation à l’énergie solaire pour Greenpeace à Porto Alegre, ville qui accueillera la coupe du monde de football en 2014. Puis j’ai apporté mon aide lors d’une journée «portes ouvertes» du camp solaire, organisée à l’occasion du Forum social mondial, la contre-manifestation au WEF qui a enchanté ses 30 000 visiteurs.Qu’est-ce que tu as pu transmettre aux personnes qui ont suivi le stage?

Le stage a duré une semaine. Quinze béné-voles de groupes locaux de huit villes du Brésil y participaient. Je leur ai enseigné les bases de l’énergie solaire pour qu’ils puissent produire du

courant et cuisiner de petits plats à l’aide du soleil. Je leur ai aussi appris à fabriquer des appareils solaires tout simples. Par exemple, ils savent maintenant construire une lampe de poche, une «marmite norvégienne» ou un réchaud solaire. Ce n’est pas sorcier. Une fois rentrés chez eux, ils retransmettront ce savoir à leurs groupes locaux.Le groupe a également fabriqué lui-même le camp solaire?

C’est exact. Nous étions complètement autonomes sur le plan énergétique. Nous dispo-sions, entre autres, d’installations photovol-taïques, d’une douche solaire et de toilettes à compost. Ils ont appris beaucoup de choses à ce sujet, ce qui aura plus tard un effet multipli-cateur dans leur travail.Est-il difficile de construire un appareil solaire?

Pas vraiment. On trouve sur Internet des centaines de plans de construction très faciles à comprendre. Ce qui compte, c’est de choisir le bon, un appareil qui fonctionne vraiment et

L’instructeur Michael Götz montre à de jeunes Brésiliens comment utiliser l’énergie solaire avec peu de moyens.

eNG

aG

eMeN

T

© R

AF

AE

L M

ED

INA

Page 46: Greenpeace Magazine 2012/02

44Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

permette d’utiliser le plus de matériaux recyclés possible. J’ai mis au point l’un des modèles de réchaud et une lampe solaire. Dans mes cours, j’utilise beaucoup de matériel didactique que j’ai moi-même élaboré. Jusqu’à présent, tous les participants du cours ont compris (rires).Il n’est donc pas indispensable d’être un électricien.

Pas du tout. J’évalue les connaissances des participants au début du cours et j’échafaude sur cette base, mais avec prudence. Je suis aussi capable de tout remettre en question au milieu du programme. Il faut savoir faire preuve de souplesse. On n’enseigne pas de la même façon en Afrique du Sud et au Nicaragua, bien que la matière soit toujours la même. Les différences de mentalité rendent mon travail passionnant. Comment arrives-tu à rassembler les pièces détachées pour les appareils?

Nous avons réuni tout ce que nous avons pu trouver comme vieilles marchandises récupé-rables. La difficulté est qu’au Brésil, de nombreux produits sont fabriqués en PVC et nous n’avons pas pu complètement les éviter. Nous avons dû acheter les panneaux solaires et l’électronique nécessaire – ce n’est pas le genre de choses que l’on trouve abandonnées sur les trottoirs! Mais on peut désormais acheter ces produits presque dans le monde entier. Le problème est que si l’énergie solaire est quasiment gratuite une fois que tout a été installé, l’investissement de dé-part doit être payé en une seule fois, ce qui consti-tue un handicap dans des pays surtout peuplés par des perdants du capitalisme.À qui donnes-tu un coup de pouce en matière de technique solaire?

À des jeunes, des bénévoles de groupes locaux, des gens qui, pour la plupart, étudient encore et ont d’assez bonnes connaissances

en biologie ou sur l’environnement. Je suis toujours étonné de voir combien de choses ils savent déjà sur les énergies alternatives. L’énergie solaire ouvrira-t-elle des pers-pectives pour les participants aux cours?

Les bénévoles de Greenpeace apprennent surtout ce qui leur est utile lors de grandes manifestations comme la conférence sur le climat, par exemple comment argumenter de façon assurée et compétente en faveur d’un avenir écologique. L’objectif ne peut pas être de former un technicien solaire en une semaine. Mais j’ai toujours avec moi une valise pleine de matériel technique pour que mes élèves puissent saisir quelque chose, au sens propre du terme.Qu’est-ce qui te motive à intervenir à l’étranger?

Je suis un citoyen du monde, quelqu’un de curieux et spontané, qui aime voyager. Et je suis ravi d’apprendre de nouvelles choses dans chaque pays. Je ne souffre pas du «syndrome du sauveteur». Je me considère plutôt comme un pragmatique qui contribue à diffuser des savoirs sur l’énergie solaire tout en échangeant avec des personnes intéressées de tous les continents. J’ai déjà été au Cameroun pour Green peace, au Mexique, en Afrique du Sud et en Suisse. Ce n’est pas seulement l’aspect technique qui importe, mais aussi l’aspect social. On chante, danse, cuisine ensemble et apprend ainsi quels sont les problèmes quotidiens de ces gens.La conférence Rio+20 aura lieu en juin. Comment marqueras-tu ta présence avec tes collègues?

Pour Rio, Greenpeace a décidé de copier le camp solaire de Porto Alegre: c’est une idée formidable. Il sera également installé à Recife et à Salvador de Bahia, les villes dans lesquelles le Rainbow Warrior III accostera avant la con fé-rence. Notre technique solaire sera utilisée lors du sommet, dans les camps et dans les ports. Je me réjouis aussi des ateliers que nous pro-poserons à nos visiteurs dans les camps solaires.

«outre l’aspect technique, c’est aussi l’aspect social qui importe dans mes cours.»

eNG

aG

eMeN

T

Page 47: Greenpeace Magazine 2012/02

45Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

APRèS L’ENFER, LA MISèRE

Il y a une année, un tsunami détruisait la centrale de Fukushima au Japon, provoquant une catastrophe nucléaire.

Prises trois mois après, ces photos montrent les épreuves que la population a dû traverser jusqu’à présent.

Photos de David Guttenfelder

1

Page 48: Greenpeace Magazine 2012/02

46Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

2

Page 49: Greenpeace Magazine 2012/02

47Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

3

Page 50: Greenpeace Magazine 2012/02

48Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

4

5

Page 51: Greenpeace Magazine 2012/02

49Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

6

Page 52: Greenpeace Magazine 2012/02

50Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

4 7

Le photographe américain David Guttenfelder travaille pour Associated Press depuis 1994. Après avoir vécu au Kenya, en Côte d’Ivoire et en Inde, il réside actuellement au Japon. À la de-mande du National Geographic, il a pu parcourir la zone d’exclusion autour de Fukushima. Ses images impressionnantes lui ont valu d’être sélec-tionné pour la finale du concours «Picture of the Year International» dans la catégorie «Global Vision Award» et de remporter le deuxième prix. Guttenfelder a déjà obtenu de nombreux prix internationaux pour ses photos. Il est marié et père de deux enfants.

1 Trois mois après le désastre: pour la première fois, des évacués de Fukushima ont pu retourner brièvement dans leur maison. après la visite encadrée par des fonctionnaires, les passagers du bus ont dû subir des tests de radiation.2 Témoignages de l’horreur: à Namie, le tsunami a charrié des bateaux de pêche sur des centaines de mètres à l’intérieur des terres.

3 Une chance pour ce cochon? Certes, l’animal trouve de la nourriture à profusion dans les ruines de ce magasin de Namie, mais, comme toute la région, la marchandise est irradiée et provoquera sa mort.4 Des rayons désespérément vides: dans les magasins d’itate, la plupart des produits étaient contaminés et ont dû être éliminés. Un taux de radiation record a été mesuré dans cette localité située au nord-ouest de Fukushima. 5 au secours des animaux errants: à okuma, des amis des bêtes font griller de la viande pour attirer des chiens abandonnés qui redeviennent peu à peu sauvages.6 Vie quotidienne dans une maison en carton: ce petit cagibi dans un centre d’accueil de Koriyama est le seul espace privé où cette femme de 74 ans peut se retirer.7 Communauté de destin: dans une salle de sport, des habitants de la ville contaminée de Hirono attendent les instructions qu’ils devront suivre à la lettre lors de la visite de leur loge-ment.

Page 53: Greenpeace Magazine 2012/02

51Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

FUK

US

HiM

a: L

eS V

iCTi

MeS

© N

ICO

LA

S F

OJT

U

Fukushima, un an aprèsils sont venus pour témoigner. Douze mois à peine après la triple catastrophe — tremblement de terre, tsunami et accident nucléaire — qui a ébranlé leur pays. écoutons ces deux habitants de Fukushima en visite en Suisse.

Satoshi Nemoto: «Je ne sais pas quelles con sé-quences auront pour moi les radiations, mais j’ai appris qu’il ne peut y avoir d’avenir avec le nucléaire.» Satoshi est agriculteur et vit dans le district de Fukushima. Président de l’association locale des paysans «Nomiren Fukushima», il réalise des mesures de la radioactivité du sol et des récoltes. il s’engage pour que les agriculteurs soient indemnisés et défend leurs intérêts auprès des autorités.

Yuko Nishiyama: «en tant que mère, je me sens obligée de plaider pour une sortie du nucléaire — dans le monde entier!» Professeur d’anglais à Fukushima, Yuko fait partie des «évacuées volontaires». Comme de nombreuses autres mères, elle s’est installée à Tokyo l’été dernier avec sa fille de trois ans — sans son mari. elle a pris cette décision, car elle se faisait du souci pour la santé de l’enfant, mais aussi par peur des aliments contaminés et parce qu’elle n’avait pas confiance dans les mesures de la radioactivité publiées par les autorités. elle ne veut jamais revenir à Fukushima.

Page 54: Greenpeace Magazine 2012/02

52Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

CONGO: TERRAIN MINÉ

POUR LA CERTIFICATION

DU BOISPar Bruno Heinzer

Loi du plus fort, corruption et népotisme font de la protection des plus vastes forêts anciennes encore intactes d’afrique une aven-ture périlleuse.

Malgré la critique qui suit, sachez qu’il n’existe pas de réelle alternative au label du Forest Stewardship Council (FSC). C’est le seul label indépendant certifiant les produits issus d’une exploitation forestière durable. Voilà pour la bonne nouvelle.

La mauvaise nouvelle, c’est que le FSC – comme tous les écolabels opérant à l’interface entre la protection de l’environnement et les intérêts économiques – a tendance à faire des concessions dans l’application de ses propres normes, notamment à cause de la demande crois-sante en bois issu de l’exploitation durable.

On trouve donc du bois FSC qui ne mérite pas cette certification. La situation est parti-culièrement critique dans le bassin du Congo, région d’Afrique qui possède les plus vastes forêts tropicales humides encore intactes, refuge d’une formidable biodiversité et d’espèces menacées comme les bonobos ou les gorilles, mais aussi moyen de subsistance pour de nom-breuses personnes. Malheureusement, c’est aussi une contrée politiquement instable où le népotisme, la corruption et la loi du plus fort règnent en maîtres.

C’est précisément dans cette partie de l’Afrique que le FSC se vante d’avoir déjà certifié 5,2 millions d’hectares de forêts, et de promet-tre 10 millions d’hectares d’ici deux ans. Le FSC a pourtant classé cette région comme «zone à haut risque». Mais il aimerait étendre ses activi-tés dans le bassin du Congo: il pense pouvoir améliorer la situation dans cette partie du monde où il est encore très peu présent. Le problème, c’est que pour attribuer un écolabel dans une région de forêt tropicale aussi sensible, seule la qualité du bois certifié devrait compter, et non la quantité.

Or les conditions requises pour une certi-fication transparente et crédible ne sont pas réunies dans le bassin du Congo et en particu-lier en République démocratique du Congo (RDC), le pays le plus vaste et le plus boisé d’Afri-que. Selon Irene Wabiwa, chargée de la cam-pagne forêts de Greenpeace en RDC, il n’y a «pas de gouvernement digne de ce nom. Tout peut s’acheter. C’est la loi du plus fort qui domine. Le pays n’offre même pas les conditions minimales pour la prise en compte des autoch-tones et pour la protection de l’environnement et des droits humains. Dans plusieurs villages forestiers, des femmes ont été violées, des mai-

Ca

MPa

GN

e Fo

rÊT

S

© N

ICO

LA

S C

HA

UV

EA

U /

GR

EE

NP

EA

CE

Page 55: Greenpeace Magazine 2012/02

53Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

sons incendiées et des hommes tués, uni-quement parce qu’ils avaient demandé que les exploi tants respectent leurs droits.»

À cela s’ajoute le fait que le Congo possède d’immenses surfaces de forêts anciennes encore intactes. Dans ces forêts tropicales humides, un nombre considérable de concessions ont déjà été octroyées aux industriels du bois. Or l’ex-ploitation forestière industrielle et les routes nécessaires au transport des arbres causent des dégâts irréversibles et provoquent des conflits sociaux avec les populations locales.

Porte ouverte au braconnageMembre de la chambre environnementale

du FSC, Greenpeace a déposé un recours en mai 2011 contre les certificats FSC de Sodefor en RDC. Cette entreprise appartient au groupe Nordsüdtimber, basé au Liechtenstein, dans lequel la société suisse Precious Woods détient une participation minoritaire. Non seulement Sodefor morcelle de vastes zones forestières à la biodiversité exceptionnelle, mais elle est aussi tristement célèbre pour ses violations des droits humains et ses conflits avec les populations locales.

Sodefor n’est pas un cas isolé. L’attribution d’écolabels FSC à la Congolaise industrielle des bois, en République du Congo, et à la Siforco, filiale du groupe suisse Danzer, qui a obtenu la deuxième plus grande concession en RDC, est indéfendable. Les deux entreprises opèrent en effet dans des forêts à haute valeur de conserva-tion, jusqu’à présent préservées de l’exploita-tion. Ce faisant, elles démembrent d’importants massifs forestiers et ouvrent la voie aux bracon-niers et autres trafiquants.

En novembre 2011, Greenpeace a déposé un second recours auprès du FSC, cette fois contre le groupe Danzer à cause de violations systéma-tiques des droits humains à Bumba, dans la concession de la Siforco. Ces deux recours sont encore en suspens.

Siforco et Sodefor passent pour être des entreprises progressistes par rapport aux autres sur le terrain – ce qui en dit long sur la si tuation de l’exploitation forestière dans le bassin du Congo.

Utilisation du label FSCLors de la dernière Assemblée générale du

FSC en juillet 2011, Greenpeace a soulevé le problème de la protection des forêts anciennes intactes et de la certification dans des zones à risque, où sévit une corruption élevée et où la société civile et les autochtones n’ont pas leur mot à dire. Aucune décision concrète susceptible de garantir que le label FSC reste crédible du point de vue écologique et social n’a toutefois encore été prise.

D’ici là, Greenpeace et toute une série d’organisations locales exigent un moratoire sur la certification FSC de l’exploitation forestière industrielle dans le bassin du Congo.

En l’absence d’autres écolabels dignes de ce nom (le label PEFC, que l’on rencontre de plus en plus souvent, est une simple stratégie d’éco-blanchiment de l’industrie du bois), le label FSC reste le seul auquel les consommateurs puis-sent, grosso modo, se référer.

Le guide du bois publié par Greenpeace offre de plus amples informations à ce sujet et pré-sente les différentes essences de bois. À partir du 1er janvier 2012, l’ordonnance sur la décla-ration concernant le bois et les produits en bois devrait commencer à porter ses fruits. La men-tion de l’origine du bois sur le produit permet d’éviter d’acheter du bois provenant du Congo (même avec la certification FSC). Mais la meilleure solution reste de renoncer entièrement aux bois tropicaux et de n’acheter que des essences locales ou certifiées FSC provenant de zones tempérées.

Le risque d’acheter des bois tropicaux est surtout présent pour les revêtements de sol, les parquets, les terrasses en bois et les meubles de jardin.Le FSC certifie le bois selon des normes pré-cises élaborées par trois collèges (économique, social et environnemental) et contrôlées par tous les membres. Ceux-ci proviennent d’orga-nisations de protection de l’environnement, d’entreprises, d’organisations de défense des droits humains, de syndicats et de représen-tants des populations indigènes. Greenpeace, qui fait partie des membres fondateurs de la chambre environnementale, s’efforce de pro-mouvoir la qualité des certificats octroyés ainsi que des normes et des procédures utilisées.

Page 56: Greenpeace Magazine 2012/02

54Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

La conscience écologique des géants de l’électronique

Quelle entreprise sera la première à devenir vraiment verte?

GU

iDe

De

L’éL

eC

Tro

NiQ

Ue

reS

Po

NS

aB

Le

-- +

0 1

2

3

4 5 6 7 8 9 1010

•SoNY •PaNaSoNiC

•LeNoVo

•ToSHiBa •aPPLe

•LGe

•SaMSUNG •NoKia

aCer

•SoNY eriCSSoN

• riM

•SHarP

•PHiLiPS •DeLL •HP

1. ↗

HP 5,9/10

HP progresse de 3 places et obtient le meilleur score. elle s’illust re dans les processus de travail durables et les critères énergétiques, mais pour-rait off rir des produits encore plus verts.

2. ↗

Dell 5,1/10

Dell grimpe de 8 places d’un coup et présente le meilleur score dans les critères énergétiques grâce à son object if affi ché de réduire ses émis-sions de Co2 de 40% d’ici 2015. Mais Dell fait piètre fi gure dans les produits verts.

3. ↘ Nokia 4,9/10

Nokia rétrograde de 2 places et cède sa place de leader à HP et Dell dans le domaine des critères énergétiques. Mais Nokia continue de s’illust rer pour ses produits verts et ses proces-sus de travail durables.

4. ↗ apple 4,6/10

apple gagne 5 places. C’est l’une des entreprises à la pointe en matière de produits verts, assez forte dans les processus de travail durables, mais plutôt faible dans le resp ect des critères énergétiques.

5. ↘ Philips 4,5/10

Philips obtient, comme Sony, plus de points parce que le groupe soutient des direct ives progressist es en matière d’énergie et de critères éner-gétiques. Mais l’entreprise baisse de 2 places en comparaison.

6. ↘ Sony ericsson 4,2/10

Sony ericsson obtient des notes record pour les produits verts et de bons processus durables, mais est très faible dans les critères énergéti-ques. rétrograde de 4 places.

Page 57: Greenpeace Magazine 2012/02

55Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

7. ↘ Samsung 4,1/10

Bien que le groupe recule de 2 pla-ces, Samsung est au top en matière de processus de travail durables. il doit toutefois progresser dans le res-pect des critères énergétiques, notamment en utilisant des énergies renouvelables.

8. ↗ Lenovo 3,8/10

Lenovo gagne 6 places et obtient ses meilleures notes pour les processus de travail durables, mais doit se fixer des objectifs plus ambitieux de réduc-tion des émissions de Co2 et d’utili-sation des énergies renouvelables.

9. ↘ Panasonic 3,6/10

recul de 3 places. Panasonic obtient l’un des meilleurs scores en matière de produits verts, mais présente des lacunes dans les critères énergéti-ques. L’entreprise doit elle aussi éta-blir un plan précis pour réduire ses émissions de Co2 et utiliser des énergies renouvelables.

10.↘ Sony 3,6/10

Chute de 4 places. Sony reçoit une pénalité pour avoir fait pression contre le renforcement des directives d’efficacité énergétique en Califor-nie, mais obtient des points pour avoir soutenu des objectifs climatiques ambitieux en europe.

11. =

Sharp 3,0/10

Sharp soutient une nouvelle loi en faveur des énergies renouvelables au Japon, mais obtient un score négatif dans tous les processus de travail durables. Le groupe reste ainsi à la 11e place.

12.=

acer 2,9/10

acer obtient en général de mauvais résultats par rapport à ses princi-paux concurrents. Seule bonne note pour la réduction progressive des substances toxiques. Mauvais résul-tats dans les critères énergétiques. Le groupe reste à la 12e place.

13. ↗ LG electronics 2,8/10

LG progresse d’une place malgré de faibles objectifs en matière de ré-duction des émissions de Co2. LG doit renforcer l’utilisation d’énergies renouvelables.

14. ↗ Toshiba 2,8/10

Gagnant 3 places, Toshiba a fait des progrès dans la réduction des substances toxiques, mais doit encore accroître ses efforts dans les critères énergétiques.

15. NeW riM 1,6/10

Nouveau venu dans le guide, riM doit encore améliorer la transparence dans les prestations écologiques, sur-tout par rapport aux autres fabri-cants de mobiles.

Ce guide de Greenpeace évalue les principaux fabricants de téléphones mobiles, de télévisions et d’ordinateurs sur la base des directives et pratiques suivantes:engagement à réduire les effets sur le climat; production de produits plus verts; amélioration pour des processus de travail plus durables.

Critères• Mesure et réduction des émissions de CO2 grâce à l’efficacité énergétique, aux énergies renouvelables et à un engagement en faveur de directives en matière d’énergie • Fabrication de produits plus verts, plus efficaces, plus durables et sans substances toxiques• Réduction des effets nocifs sur l’environnement liés aux activités de l’entreprise, réduction des matériaux et énergies utilisés pour fabriquer les produits; programmes globaux de reprise des produits périmés

-- +

0 1

2

3

4 5 6 7 8 9 10

•SoNY •PaNaSoNiC

•LeNoVo

•ToSHiBa •aPPLe

•LGe

•SaMSUNG •NoKia

aCer

•SoNY eriCSSoN

• riM

•SHarP

•PHiLiPS •DeLL •HP

Page 58: Greenpeace Magazine 2012/02

56Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Renoncer à la viande? Encore! Hélas, nous som-mes obligés d’insister, car la situation mondiale est alarmante: le pire est à craindre si nous – et les huit milliards d’habitants qui peupleront bientôt la planète – continuons à consommer autant de viande.

Les conclusions d’un nouveau rapport de Greenpeace l’attestent: une telle consommation ne serait pas possible. En 2050, mon fils aura mon âge et devra partager les ressources dispo-nibles avec neuf milliards de terriens. Si nous voulons que la Terre reste un endroit où il fait bon vivre dans cet avenir pas si lointain, nous devons dès maintenant réduire notre consom-mation de viande.

L’an dernier, chaque Suisse a consommé un kilo de viande par semaine en moyenne. Cela fait 90 kg par an si l’on tient compte de la peau et des os – exactement la moyenne de l’Europe de l’Ouest. La consommation est plus élevée en-core dans certains pays: États-Unis, Espagne et Nouvelle-Zélande, par exemple. Dans de vastes contrées du monde, on se contente de moins (en Inde, dans une grande part de l’Afrique), mais d’autres vont bientôt nous rattraper. Le Brésil et

la Chine, avec respectivement plus de 80 et 50 kg par personne et par an, dépassent déjà la moyenne mondiale qui se situe à 40 kg – et la tendance est fortement à la hausse.

À cela viennent s’ajouter – malgré de grosses différences régionales – 80 litres de lait par per-sonne et par an en moyenne mondiale. En Europe et en Amérique du Nord, ce sont 5 litres, mais par semaine!

Tout le monde mangera-t-il comme nous en 2050? Il faudrait presque trois fois et demie plus de vaches, cochons, poulets, moutons et autres animaux comestibles. Mais aussi beaucoup plus de surfaces de pâturages et de terres cultivables pour les fourrages, et des quantités énormes de produits chimiques et d’engrais pour les champs. En théorie. Car, en pratique, les ressources terrestres ne suffiraient pas.

L’azote pollue la nappe phréatiqueLa limite est déjà atteinte dans certains

domaines. Un problème particulièrement inquié-tant est la perte considérable de biodiversité due en grande partie à l’élevage. Des centaines d’espèces disparaissent chaque année, surtout à cause de la transformation à grande échelle de zones écologiquement intactes, forêts ancien-nes ou zones humides en pâturages ou en terres agricoles. Et dans les zones cultivées, l’agricul-ture industrielle contribue aussi à la disparition des espèces.

Or 75% des surfaces agricoles de la planète sont utilisées pour l’élevage, comme pâturages ou pour la production fourragère. Presque 60% de toutes ces cultures – de précieuses denrées alimentaires comme le maïs, le soja et le blé – servent à nourrir des bœufs, des porcs et de la volaille. Dans notre pays si respectueux de l’envi-ronnement, près de la moitié des terres agrico-les servent à la production de fourrage. Cela ne suffit pourtant pas à rassasier nos besoins en viande et en lait. Chaque année, nous devons importer une quantité de céréales équivalant à l’ensemble des surfaces cultivées en Suisse, dont 300 000 tonnes de soja.

Le deuxième gros problème est le cycle natu-rel du phosphore et de l’azote. Depuis des dé-cennies, il s’est encore aggravé avec les engrais industriels. Résultat: l’azote fabriqué à partir de pétrole pollue les sols et la nappe phréatique, mais aussi l’atmosphère, et menace la biodiver-sité dans les zones de culture intensive. Le phos-

Ca

MPa

GN

e a

Gr

iCU

LTU

re

DE LA VIANDE? NON MERCI.

Par Verena ahne

Modérer sa consommation de viande et de produits laitiers fait plus de bien à la planète que maintes acti-vités régulièrement prô-nées pour la protection du climat. et c’est aussi bon pour la santé.

Page 59: Greenpeace Magazine 2012/02

57Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

phore entraîne une prolifération des algues dans les lacs ou les océans. Les produits de dégra-dation de l’engrais, le gaz hilarant par exemple, agissent en outre comme des gaz à effet de serre extrêmement puissants – ils sont des centai-nes de fois plus nocifs que le CO2. L’agriculture est responsable de près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Or l’éle-vage représente quatre cinquièmes des émissions imputables à l’agriculture.

Un article paru en 2009 dans la revue Nature conclut qu’il faudrait dès maintenant réduire l’utilisation d’azote à un quart de sa valeur ac-tuelle pour ne plus mettre en péril la viabilité éco-logique de la planète. Quant au phosphore, il faudrait l’utiliser avec parcimonie, les gisements naturels étant bientôt épuisés.

Renoncer à la viande – consommer moins et répartir plus équitablement – est par consé-quent la protection la plus efficace de l’environ-nement et du climat. Moins consommer, mais combien exactement?

En divisant par deux notre consommation de viande et par trois celle de produits laitiers, on obtiendrait une moyenne mondiale de 44 kilos

de viande et 78 litres de lait par an, selon les prévisions faites pour 2050. Cela ne suffirait pas encore à assurer une répartition équitable. La production devrait encore augmenter, impli-quant plus de changement d’affectation des terres, d’engrais, d’émissions de CO2 et une moins grande biodiversité.

Mais nous pourrions aussi faire quelque chose pour notre santé et suivre les conseils nu-tritionnels pour la prévention du cancer – nous aurions alors une alimentation durable.

En Occident, nous consommons trop de protéines animales. Combiné à un manque d’ac-tivité physique, cela conduit à de nombreux problèmes de santé: l’obésité sévit, même dans les pays pauvres, où l’on compte aujourd’hui plus de personnes en surpoids que de personnes affamées – avec à la clé diabète, maladies cardio-vasculaires et taux de cancer plus élevés. La viande rouge (bœuf, porc ou agneau) pose notam-ment problème, surtout lorsqu’elle est trans-formée, par exemple sous forme de saucisses.

Les produits laitiers, généralement considérés comme sains, sont également nocifs lorsqu’ils sont consommés avec excès. Le fro-

Terrain déboisé au Brésil et alpage idyllique: l’agriculture intensive, axée sur la production de viande, est l’une des raisons de la déforestation massive en amérique du Sud. Mais elle pose aussi des problèmes en Suisse.

© D

AN

IEL

BE

LT

RA

© H

INA

ST

VE

R

Page 60: Greenpeace Magazine 2012/02

58Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

mage et le beurre sont très gras et il vaudrait mieux ne pas trop en manger.

Une alimentation mixte et saine, composée pour moitié de légumes et de fruits frais, com-binée avec des légumes secs, des céréales (blé complet) sous toutes leurs formes, du riz, des pâtes cuites al dente et des pommes de terre vapeur, aide à prévenir le cancer. On peut aussi y ajouter des noix et noisettes, des produits laitiers et des huiles saines. Les graisses végéta-les polyinsaturées (légèrement réchauffées) sont préférables aux graisses animales, la viande maigre comme la volaille est meilleure que la viande grasse.

Il n’est pas nécessaire de renoncer totale-ment à la viande: en coupant en fines tranches la quantité habituellement prévue pour une per-sonne et en la faisant griller avec beaucoup de légumes, toute la famille aura un repas succu-lent – et mangera durablement et sainement en se contentant d’un tiers, voire d’un quart de sa consommation actuelle.

De l’herbe et du foin plutôt que du sojaLa mesure la plus efficace serait toutefois

un retour à l’élevage naturel, surtout pour les bovins. Si, au lieu d’utiliser du soja, on nourris-sait à nouveau ces herbivores avec de l’herbe et du foin que nous ne pouvons pas consommer nous-mêmes, ces éléments redeviendraient une composante indispensable de l’agriculture durable. Si les animaux pouvaient paître en alternance sur des surfaces de pâturages suffi-samment grandes, il n’y aurait pas de surpâtu-rage ni d’érosion – un problème sérieux dans les contrées arides –, mais un engrais naturel pour la fertilisation des sols. Les animaux seraient plus heureux et moins souvent malades. La viande et le lait seraient à nouveau à base d’ingrédients plus riches. Et l’élevage correspondrait enfin au mandat constitutionnel de l’agriculture suisse, à savoir une production durable garan tissant le ravitaillement de la population. On sait qu’il faut réagir, mais au lieu de cela, on préfère faire l’autruche.

Ca

MPa

GN

e a

Gr

iCU

LTU

re

Habitudes alimentaires Consomma-tion par tête/an (en kg)viande lait

Impact sur l’environnement et conséquences globales

Consommation actuelle en Occident 90 270     Plus que triplement des animaux de rente. Dégâts considérables sur l’environnement. Destruction de nombreux espaces vitaux.

Maintien des tendances actuelles, équitablement réparties 51 99   Doublement des animaux de rente. Pollution

azotée deux fois plus élevée qu’avec une agricul-ture durable, 90% de la biomasse épuisés, très fortes émissions de gaz à effet de serre.

Consommation annuelle de tous les pays de l’hémisphère Sud prévue en 2050, extrapolée à tous

44 78 Forte progression du nombre d’animaux de rente par rapport à 2000; réduction de 15% par rapport à aujourd’hui.

Efficience accrue de 35% dans la pro-duction de viande et réduction de la consommation de 35%

35 Baisse nette des animaux de rente. Baisse de 19% des gaz à effet de serre et de 20% des excédents d’azote, moindre réduction de la biodiversité.

Respect des conseils nutritionnels pour la prévention du cancer (selon le World Cancer Research Fund sans volaille et sans œufs)

30 Baisse nette de la production d’animaux de rente. Influence sur les écosystèmes dans le domaine du supportable.

Production d’animaux de rente de 2000, répartie équitablement en 2050 25 63   Environ moitié moins de gaz à effet de serre

par rapport aux tendances actuelles.Au niveau mondial, élevage d’animaux de rente ne concurrençant pas l’alimentation humaine. Réduction de la consommation de viande et de lait en Occident de 60 à 70%!

12 26     Moins d’animaux de rente qu’en 2000. Aucune concurrence pour les terres destinées à l’alimentation humaine. Utilisation durable des prairies et des déchets.

Divers scénarios concernant la consommation de viande et de lait en 2050 et ses effets sur l’environnement (incluant la croissance de la population à 9 milliards)

Page 61: Greenpeace Magazine 2012/02

59Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

LES DIEUX DU CLIMAT SONT EN COLèRE AU

KwAZULU-NATALPar Samuel Schlaefli

Une fois de plus, la 17e Conférence sur le climat à Durban n’a pas débouché sur un accord contraignant. or, à quelques centaines de kilomètres des tables de négociation, des paysans sud-africains souffrent déjà des événements climatiques extrêmes annoncés par les scientifiques. reportage au KwaZulu-Natal, où le changement climatique fait ses premières victimes.

© S

AM

UE

L S

CH

LA

EF

LI

reP

or

TaG

e

Page 62: Greenpeace Magazine 2012/02

60Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Dukuza est un village de paysans de la province du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud. C’est là qu’est né Mbogeni Maklobo. Toute sa vie, il l’a passée ici, et on pourrait l’envier: le village offre une vue fabuleuse sur les hauts plateaux du Drakensberg, ces «montagnes du Dragon» clas-sées sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO et très appréciées des touristes. Mais la vie n’y est pas facile pour les paysans. La famille de Maklobo, qui compte sept personnes, habite dans trois huttes en torchis couvertes de chaume et de tôle ondulée. Ils n’ont l’électricité que depuis quelques mois. Chaque jour, sa femme doit aller au puits voisin chercher l’eau pour cuisiner, se laver et se désaltérer. Chaque nuit, Maklobo se lève à deux heures du matin pour conduire le bétail au pâturage, à quelques kilomètres de là. Les animaux ont ainsi tout le temps de paître jusqu’à l’aube et sont de retour avant que la chaleur ne devienne insupportable.

Samedi matin. Il est presque neuf heures. Maklobo est assis dans la hutte de son fils aîné. Il se roule une cigarette à l’aide d’un bout de papier journal et d’un peu de tabac. Il tire volup-tueusement une première bouffée, tousse et reste pensif. Cet homme de 61 ans regrette le bon vieux temps. Lorsqu’il était jeune, il possédait 40 vaches et bœufs. Il y avait des tas de prairies et les animaux broutaient autour de sa hutte. Aujourd’hui, il n’a plus que 26 bêtes. Là où, autre-fois, quelques ménages se partageaient les terres cultivables et les pâturages disponibles vivent désormais près de 200 familles. Chacune exige une parcelle pour planter du maïs et du soja pour pouvoir subvenir à ses propres besoins. Outre les 50 m2 situés devant sa maison, Maklobo possède deux vastes champs dans les environs. Ces terres suffisaient jadis à nourrir toute la famille. Souvent, il allait même vendre le surplus de maïs au marché. Cela lui permet-tait de gagner de l’argent pour acheter de l’huile, du savon et de nouvelles semences. Mais le monde est devenu fou, ajoute-t-il. «L’an dernier, la récolte n’a même pas suffi à nourrir la famille.» Il a dû vendre un bœuf et acheter du maïs et d’autres denrées de base. Il va sans doute devoir encore sacrifier un animal cette année, car les plants de maïs arrivent à peine à la hauteur de ses genoux, alors qu’ils devraient lui arriver à la poitrine. En Afrique du Sud, le printemps dure de septembre à novembre, et, autrefois, il pleu-vait un peu tous les deux jours en cette saison.

Les périodes de sécheresse duraient tout au plus une semaine. Les récoltes étaient bonnes.

«L’an dernier, les premières pluies ne sont tombées qu’en décembre. Nous avons ense-mencé les champs et attendu la pluie pendant deux mois», se lamente Maklobo. Le mois qui reste jusqu’à la récolte fin février ne devrait pas suffire pour que les épis mûrissent. Des collè-gues ont jeté l’éponge. Ils font paître leurs trou-peaux sur leurs champs de maïs. Au moins, cela servira à nourrir le bétail.

De mauvaises récoltes et des chèvresmaladesZondile Hlatshwayo connaît bien les soucis

de Maklobo. Il représente le KwaZulu-Natal au sein de la National African Farmers Union (NAFU). Celle-ci aide les petits paysans à obtenir des aides du gouvernement et à fonder des coopératives – condition souvent nécessaire pour que ceux qui sont en difficultés soient soutenus. En novembre, Hlatshwayo a participé à la 17e Conférence sur le climat à Durban. Avec des représentants d’autres régions d’Afrique du Sud, il a parlé avec les responsables siégeant

reP

or

TaG

eSelon les scientifiques, l’afrique sera la plus touchée par les changements cli matiques résultant des activités humaines.

Page 63: Greenpeace Magazine 2012/02

61Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

dans les commissions des changements clima-tiques que lui-même et les membres de la NAFU subissent. «Le climat est devenu imprévi-sible, se plaint Hlatshwayo. Nous ne savons plus quand la pluie va venir et quand planter nos céréales.» L’an dernier, il avait cultivé pour la première fois 35 ha au lieu de 10. Il a investi 113 000 rands (environ 13 500 francs suisses) pour les graines de soja et les engrais. Pour cela, il a dû prendre un crédit. Or, à cause des pluies violentes l’hiver dernier, il a perdu 13 ha de récoltes. Ce qui restait n’a même pas suffi à cou-vrir les besoins de la famille, sans parler de vendre quoi que ce soit sur le marché pour rem-bourser le crédit. Ce n’est que grâce à l’argent que son frère lui a prêté qu’il a pu à nouveau faire les semailles en été. Outre la pluie et la neige, les paysans doivent affronter les basses températures. Chez les 796 membres de la NAFU de la région de Bergville, environ un millier de bêtes sont mortes l’hiver dernier. Hlatshwayo a perdu neuf chèvres. Certes, les massifs du Drakensberg, dont certains dépassent 3000 mètres d’altitude, ont toujours été couverts de neige en hiver, mais, selon Hlatshwayo, c’est

la première fois en quinze ans qu’il a neigé dans la vallée.

Les plus pauvres sont les perdantsPour les experts du climat, les observations

des deux hommes ne sont pas une surprise. Leurs simulations ont déjà montré depuis des années que l’Afrique serait très vraisembla-blement la région du monde la plus fortement touchée par les changements climatiques résultant des activités humaines et que la hausse des températures dépasserait la moyenne mondiale. En Afrique du Sud, les températures ont augmenté en moyenne de 0,6 °C entre 1960 et 2006, tandis que les événements climatiques extrêmes se multipliaient. La tendance est claire et va se poursuivre: dans le quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouverne-mental sur l’évolution du climat (GIEC), paru en 2007, les chercheurs prévoyaient pour l’Afrique du Sud une hausse des températures de 1,1 à 2,4 °C jusqu’en 2060 et de 1,6 à 4,3 °C d’ici à 2100. Selon les simulations, les journées de canicule seront plus fréquentes, surtout entre décembre et février. Il devrait y avoir des précipitations

il ne pleut pas, les pâturages deviennent rares: Mbogeni Maklobo devra probablement vendre encore un animal pour nourrir sa famille.

© S

AM

UE

L S

CH

LA

EF

LI

Page 64: Greenpeace Magazine 2012/02

62Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

localement plus fortes en même temps qu’un recul de la pluviosité annuelle ainsi que des vagues de chaleur et des tempêtes de neige. Bon nombre de ces changements climatiques sem-blent être déjà une réalité au KwaZulu-Natal. Il ne faut certes pas confondre météo et climat, mais de nombreux scientifiques considèrent les événements climatiques extrêmes comme les premiers effets locaux de la hausse – avérée – des températures. Comme la plupart des Africains vivent de l’agriculture et qu’il est peu probable qu’ils s’adaptent à des conditions climatiques différentes, une nouvelle hausse des températu-res aurait des conséquences catastrophiques.

Les revers de fortune liés au climat ont forte-ment augmenté dans sa commune, déclare Louis Ngwenya, l’un des 24 conseillers d’État du district d’Okhahlamba au KwaZulu-Natal. «Qu’il s’agisse de chaleur, de froid, de pluie ou de sécheresse, nous sommes constamment confrontés à des extrêmes.» Ce politicien local enthousiaste est le responsable administratif de la commune d’Emoyeni. Ce samedi après-midi, il rend visite à un vieux couple qui est sans logis depuis quelques semaines. Un orage s’est

déchaîné, détruisant le toit de tôle et une partie des murs de leur maison. Ngwenya se demande comment il va pouvoir aider Esther Mhlonga et Steven Hlalukane à la reconstruire. Les événe-ments climatiques extrêmes font peur aux ha-bitants, explique-t-il, car ils voient leurs moyens de subsistance de plus en plus menacés. «Pour beaucoup, l’agriculture n’est plus rentable à cause des faibles récoltes», souligne Ngwenya. Les petits paysans ne peuvent pas se permettre de prendre une assurance, comme le font certaines grandes fermes. Et il n’y a pas d’alternative à l’agriculture à Emoyeni. Moins de 20% des habi-tants ont un emploi, un tiers sont analphabètes et l’infrastructure touristique est aux mains de sociétés étrangères. Les paysans du KwaZulu-Natal sont donc tributaires de l’agriculture et de l’élevage. Celui qui ne récolte rien vend ses bêtes ou les abat pour avoir quelque chose à manger. De nombreux jeunes ne croient plus en l’agriculture, constate Ngwenya. Ils fuient vers les villes: Ladysmith, à 60 kilomètres, ou Johan-nesburg. Là, ils atterrissent dans des townships où ils vivotent avec de petits boulots précaires. Beaucoup reviennent au pays – mais leur menta-

reP

or

TaG

e

Un orage a détruit la hutte d’esther Mhlonga et Steven Hlalukane – personne ne va payer la réparation.

© S

AM

UE

L S

CH

LA

EF

LI

Page 65: Greenpeace Magazine 2012/02

63Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

lité a changé, raconte Ngwenya. «La criminalité a fortement augmenté dans notre commune ces dernières années. Nous traversons une crise à plusieurs niveaux.»

Prier contre le changement climatiqueLors de la 17e Conférence sur le climat à

Durban il y a quelques mois, des responsables politiques du monde entier ont discuté de ces crises, des causes et des conséquences du chan-gement climatique. Pourtant, après treize jours de négociations, aucun accord contraignant sur la réduction des émissions de CO2 n’a vu le jour dans la capitale de la province du KwaZulu-Natal. Maklobo, le petit paysan de Dukuza, à 255 kilomètres de Durban, avait entendu parler du Sommet à la radio. Lui et ses amis, les doyens du village, ne croient pas aux explications des scientifiques concernant les caprices de la météo. Pour eux, si le climat se dégrade, c’est parce que les jeunes ne respectent plus les traditions. «Ils cultivent leurs champs même les jours où on enterre un habitant de la commune», s’indigne Maklobo. Un tel comportement provoque la colère de Dieu et des ancêtres. Il ne voit qu’une solution pour que les choses s’améliorent: les hommes doivent prier Dieu et honorer à nouveau leurs ancêtres.

Zondile Hlatshwayo, le représentant de la NAFU, a longtemps fait le même raisonnement. Mais il a observé que les événements climati-ques extrêmes ne coïncidaient souvent pas avec les entorses à la tradition. Et sa visite au som-met de Durban lui a appris que le climat pourrait s’améliorer si les hommes consommaient moins de charbon, d’essence ou de diesel. Ce qui l’inquiète, toutefois, c’est que les pays riches en particulier – il cite les États-Unis – ne semblent pas prêts à agir contre le changement climati-que. Or l’Afrique du Sud ne pourra pas à elle seule améliorer la situation au KwaZulu-Natal. «Le changement climatique ne peut pas être résolu par quelques-uns. Il requiert des décisions d’une portée suffisante et une action globale.» Les croyances superstitieuses de Maklobo qui demande une journée de prière internationale devraient plaire à de nombreux chefs de gouver-nement...

Greenpeace Afrique du Sud: des campagnes pour un meilleur climat

L’Afrique du Sud est le principal responsable des émissions de CO2 en Afrique. En cause la com-bustion du charbon qui produit 90% de l’électri-cité. Deux nouvelles centrales à charbon sont actuellement en construction. Medupi et Kusile, avec une puissance de 4800 mégawatts chacune, compteront parmi les plus grandes du monde. Kusile rejettera 37 millions de CO2 par an dans l’atmosphère. Greenpeace Afrique du Sud a com-mandé un rapport à l’Université de Pretoria. Il en ressort que les coûts de l’électricité issue de la centrale de Kusile seront plus élevés que ne l’a prévu la compagnie sud-africaine Eskom. Les coûts externes de Kusile pourraient avoisiner les 60,6 milliards de rands (env. 7,2 milliards de francs) par an. La plus grande part proviendra des quantités d’eau nécessaires à la production. «Le rapport montre que les investissements dans le charbon aggraveront la situation de notre climat et conduiront à d’autres impasses pour le ravitaillement en eau», explique Melita Steele, responsable des campagnes climat en Afrique.

En mars 2011, le ministre de l’Énergie a annoncé la construction de six nouvelles centra-les nucléaires. Un rapport publié par Green-peace Afrique du Sud en été 2011 montre ce que le courant nucléaire a coûté jusqu’à présent au pays, contredisant le mythe d’une énergie bon marché. Actuellement, Greenpeace Afrique du Sud se prépare à commenter l’étude d’impact environnemental de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sur les centrales prévues. L’orga-nisation veut convaincre le gouvernement de renoncer à de nouvelles centrales. «L’Afrique du Sud a raté le coche des énergies renouvelables en refusant de reconnaître l’économie verte», explique Steele. Moins de 1% de l’électricité pro-vient de sources d’énergie renouvelables, alors que des installations photovoltaïques ou des parcs d’éoliennes décentralisés permettraient de raccorder 2,5 millions de foyers sud-africains au réseau et d’accroître la sécurité du ravitaille-ment. Pour promouvoir les énergies renouvelables auprès de la population, Greenpeace Afrique du Sud a lancé la campagne «Use Me More» (www.greenpeace.org/africa/en/Use-Me-More). Chacun peut exiger du gouvernement qu’il produise de l’électricité à l’aide d’énergies renou-velables, au lieu du charbon et du nucléaire.

Page 66: Greenpeace Magazine 2012/02

64Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Ca

MPa

GN

eSSurtout, ne pas céder!

La forêt amazonienne doit survivre

au Brésil, cela fait dix ans que la Chambre des députés discute de la réforme du code fores-tier. Celle-ci aurait des conséquences catastro-phiques pour la forêt amazonienne: les coupes illégales resteraient impunies durant cinq ans et les surfaces protégées diminueraient. en dé-cembre 2011, la présidente Dilma rousseff devait signer le nouveau code forestier déjà largement édulcoré au profit du lobby de l’agroalimentaire. Mais 50 000 personnes indignées et des mem-bres de Greenpeace du monde entier ont deman-dé par e-mail à la présidente du Brésil de mettre son veto à ce projet et de protéger la forêt. au Bré-sil même, 1,5 million de personnes ont appelé à manifester contre la nouvelle loi. Le Congrès bré-silien a réagi en repoussant la votation au mois de mars 2012. D’ici là, nous mettrons tout en œuvre pour convaincre la présidente de prendre la bonne décision: protéger la forêt amazonienne.

océans vides — caisses pleines

Plus de 80% des stocks de poissons commercia-lisables ont été décimés par la surpêche. Malgré cela — ou justement à cause de cela —, les chalu-tiers de la flotte européenne ont une capacité de pêche deux à trois fois supérieure à ce que permet une pêche durable. L’équation ne tient pas: trop de pêcheurs pêchent trop peu de poissons, et l’Ue se rabat de plus en plus sur d’autres zones de pêche, par exemple au large de l’afrique de l’ouest, où elle pille sans vergogne les ressources de pays pau-vres. Bien que la situation s’aggrave, l’Ue a ignoré les recommandations des scientifiques concer-nant les quotas de pêche pour 2012. Un moratoire avait été demandé pour la pêche au cabillaud dans le Cattégat et en mer d’irlande, mais l’Ue a choisi de simplement réduire ses quotas de 30%. Pour le hareng de la mer du Nord, elle s’est battue pour obtenir une augmentation de 68% des quotas — alors que les biologistes recommandaient tout juste 19%. Greenpeace exige donc une réforme visant à réduire les surcapacités de la flotte de pê-che européenne. C’est le seul moyen de permettre une pêche durable en europe.

Partie gagnée contre les textiles toxiques

Ce que nous avons réussi avec Puma, Nike et adi-das est en passe de se réaliser avec C&a et la mar-que de vêtements de sport chinoise Li-Ning: d’ici 2020, les industriels du textile prévoient d’appli-quer une nouvelle politique excluant l’utilisation de substances toxiques d’un bout à l’autre de la chaîne de production et de livraison. au printemps 2011, deux enquêtes ont prouvé que des multinationales comme H&M ou Nike polluaient des cours d’eau à proximité des lieux de production en rejetant des eaux usées contenant des produits toxiques tel le nonylphénol, un perturbateur endocrinien. Ces substances entrent dans la chaîne alimentaire des espèces aquatiques. étant donné la pollution des eaux, Greenpeace exige une plus grande rigueur et un calendrier plus précis et à plus court terme pour la suppression des produits chimiques les plus dangereux. Ce changement de cap de la part des géants du textile témoigne néanmoins d’une chose: le linge sale n’est plus tendance!

© G

RE

EN

PE

AC

E

Page 67: Greenpeace Magazine 2012/02

Politique énergétique: l’heure de la vérité a sonné

Doris Leuthard va devoir annoncer la couleur. il y a un an, la conseillère fédérale sonnait coura-geusement le glas du nucléaire devant le Parle-ment. aujourd’hui, elle va devoir montrer à quoi ressemblera concrètement l’avenir énergétique. réunissant des groupes de travail, l’office fédéral de l’énergie a planché sur la question durant tout l’hiver. Greenpeace assistait à ces séances et a pu s’entretenir avec des représentants de l’économie.Serions-nous en train de nous renier? Nullement. Nous luttons pour un véritable changement de cap dans le domaine de l’énergie, une solution «made in Switzerland» fondée sur trois piliers.1. Un approvisionnement énergétique décentra-lisé. La Suisse y arrivera en introduisant une ré-tribution à prix coûtant du courant injecté (rPC) illimitée pour les grandes et petites installations. il faudra prévoir des zones d’exclusion pour les centrales hydrauliques ou éoliennes afin d’em-pêcher les conflits environnementaux, ainsi que des procédures d’autorisation efficaces pour que vous n’ayez à déclarer votre centrale photovoltaï-que qu’au moment de l’installer.

2. Une politique d’efficacité énergétique rigou-reuse, qui verra le jour grâce à une taxe d’inci-tation incluant aussi l’énergie grise des produits importés et introduite dans le cadre d’une réforme fiscale. Cette politique doit récompenser ceux qui font vraiment des économies d’énergie.3. Une offensive de formation qui concernera d’abord des entreprises du bâtiment et des ins-tallations. Cela créera de nombreux emplois dans des régions périphériques autarciques sur le plan énergétique, qui revendent leurs excédents d’électricité aux agglomérations. Ce tournant énergétique est désormais à votre porte: notre Mobil-e, exposition itinérante sur l’avenir énergétique, sera-t-elle présentée sur la place de votre village ou lors de votre salon profes-sionnel régional? Nous espérons avoir éveillé vo-tre intérêt pour un avenir énergétique durable «fait maison». Contactez-nous sur: mobile.greenpea-ce.ch. Nous sommes aussi curieux de savoir si Mme Leuthard sera de notre côté. Car ses décla-rations des derniers mois laissent penser qu’elle tient à ses premières amours pour les grosses centrales et qu’elle va promouvoir les centrales à gaz. or, pour nous comme pour la protection du climat, ce n’est pas une option.

Y a-t-il un lien entre la consommation d’électricité et

la qualité de vie?C’est en soulevant cette question et d’autres tout

aussi passionnantes que notre nouveau dispositif d’information «mobil-e» se penche de manière novatrice et

ludique sur le thème de l’avenir énergétique de la Suisse.Ce dispositif sera présent sur les places et dans des

foires ou des expositions de toute la Suisse au cours des trois prochaines années. il peut également être loué.

informations et plan de la tournée: http://mobile.greenpeace.ch/frPowered by

Page 68: Greenpeace Magazine 2012/02

66Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Ca

MPa

GN

eS

oGM: BaSF jette l’éponge

«Cette technologie n’est toujours pas acceptée dans une grande partie de l’europe — par la majo-rité des consommateurs, des agriculteurs et des responsables politiques. inutile donc de conti-nuer à investir», peut-on lire sur le site web du groupe chimique BaSF, spécialisé dans le génie génétique.La preuve que les manifestations contre la pomme de terre amflora et le maïs MoN810 ont eu du succès nous est fournie par l’adversaire lui-mê-me. Même si le Conseil d’état français a annulé fin novembre 2011 la suspension de la culture du MoN810 décidée par le gouvernement français, ce dernier a annoncé qu’il continuerait de s’op-poser à la culture du maïs transgénique. Sur ce, le groupe Monsanto a fait marche arrière, jugeant les conditions politiques «désavantageuses». es-pérons que le gouvernement français prononce un moratoire sur la culture du maïs transgénique avant les prochaines semailles.

«Une voix qui ne se taira pas»

Chaque année, les riches et les puissants de ce monde se retrouvent au Forum économique de Davos (WeF) — une occasion pour dénoncer et bro-carder les responsables de violations des droits humains et d’atteintes à l’environnement parti-culièrement flagrantes. en janvier dernier, le jury d’experts a décerné le Public eye Global award à la grande banque britannique Barclays. recourant à des méthodes sans scrupules, elle fait grimper les prix des denrées alimentaires de base — aux dépens des plus pauvres. rien qu’au second se-mestre 2010, une telle spéculation a plongé dans l’extrême pauvreté 44 millions de personnes dans le monde. Le public a voté en ligne pour attribuer le Public eye People’s award à Vale, premier produc-teur de minerai de fer et deuxième groupe minier

mondial. L’histoire de l’entreprise est jalonnée de violations des droits humains et de surexploitation de la nature. L’un de ses projets actuels, le bar-rage de Belo Monte dans le bassin de l’amazonie, provoquera le déplacement forcé de 40 000 per-sonnes, qui n’ont ni été consultées ni eu droit à la moindre compensation. Une surface équivalente à celle du lac de Constance doit être immergée. 88 766 personnes ont pris part au vote, un record. «Nous sommes une voix qui n’est pas prête de se taire», a commenté Kumi Naidoo, le directeur de Greenpeace.

axpo doit se séparer de rosatom

au début de l’année, des organisations écologistes russes ont fait parvenir à Greenpeace Suisse une pièce judiciaire d’une actualité brûlante. Ce docu-ment datant de 2006 atteste que l’ancien directeur de l’installation nucléaire de Mayak en Sibérie — un établissement en piteux état — avait intentionnel-lement contrevenu au droit environnemental entre 2001 et 2004, et avait ainsi exposé la population à des taux de radioactivité dangereux. À l’époque, les deux leaders de l’énergie en Suisse, axpo et alpiq, utilisaient du combustible nucléaire produit à Mayak. L’argument avancé jusqu’ici par axpo, selon lequel la contamination daterait de l’époque soviétique, se trouve ainsi contredit. Greenpeace a sollicité par courrier un entretien auprès des deux grands groupes suisses et de leurs actionnaires, les sommant de mettre un point final à toutes leurs relations commerciales avec rosatom, d’assumer leur coresponsabilité dans la contamination ra-dioactive autour de Mayak et de soutenir la po-pulation concernée au moyen d’indemnisations. Nous attendons encore une réponse détaillée.

© G

RE

EN

PE

AC

E /

CH

RIS

TIA

N Å

SL

UN

D

Page 69: Greenpeace Magazine 2012/02

67Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Le projet est ambitieux: au bord du lac de Walensee, à l’initiative de la commune de Quinten, on envisage de construire la plus grande centrale photovoltaïque de Suisse. Elle serait installée sur les 80 000 m2 de la carrière de Schnür, fermée l’an dernier. Les 9 mégawatts d’électricité propre qu’elle pourrait produire chaque année per-mettraient d’alimenter 1400 ménages. Actuellement, l’entreprise d’électricité du Canton de Zurich (EKZ) examine si sa réalisation est judicieuse. Il y a en effet un hic: la carrière compte parmi les paysages d’importance nationale et le site est protégé. Il faudrait donc d’abord

faire valoir un intérêt supérieur. De plus, des associations de protection de l’environnement s’opposent aux installations photovoltaïques en plein air. EKZ proteste, arguant que la construction de cette centrale permettra de renaturer une bonne part de l’an-cienne zone forestière. Le gouvernement de Saint-Gall n’a, jusqu’à présent, pas soutenu le projet.

énergie solaire

PROJET SOLAIRE CONTESTÉ

© E

KZ

RIC

H

Br

èVeS

Page 70: Greenpeace Magazine 2012/02

68Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Br

èVeS

En achetant une vignette solaire, vous nous char-gez de produire du courant solaire et de l’injec-ter pour vous dans le réseau. Pendant un an, vous pouvez utiliser ce courant à partir de n’importe quelle prise électrique. Une vignette couvre la consommation annuelle de votre Natel (5 kWh), de votre PC portable ou de votre vélo électrique (45 kWh).

Avantages de la vignette solaireVotre électricité solaire n’est pas produite par

un géant de l’énergie, mais par des jeunes. Les recettes de la vente des vignettes permettront de développer notre parc de stations solaires. Vous savez ainsi d’où provient votre énergie. Pour chaque vignette vendue, nous achetons 45 kWh (ordinateur portable / vélo électrique) ou 5 kWh (Natel) de courant solaire auprès de notre parte-naire Legair. Ce dernier achète du courant provenant des centrales de Solaire Jeunesse et s’assure que la quantité vendue ne dépasse pas celle qui est produite.

En apposant la vignette solaire sur votre ordinateur, votre vélo électrique ou votre Natel, vous indiquez que l’appareil fonctionne avec de l’énergie propre. Vous faites ainsi de la publicité pour le projet et lui apportez doublement votre soutien.

La vignette PLUSEn plus d’acheter la vignette solaire normale,

vous faites un don en fonction de vos possi-bilités. Le produit de la vente des vignettes Plus va à des projets pour la jeunesse visant à pro-mouvoir l’énergie solaire en Afrique, par exemple la subvention d’ateliers solaires pour les jeunes. Ces projets sont réalisés par l’association Solafrica.ch. Vous trouverez de plus amples infor-mations sur les activités de Solafrica.ch sur le site www.solafrica.ch.

Souhaiteriez-vous participer à la construc-tion d’une installation de Solaire Jeunesse? Vous trouverez des informations sur un engage-ment possible sur www.jugendsolar.ch (en allemand).

Vignette solaire

Du courant produit par Solaire Jeunesse pendant une année

Centrale solaire de Cudrefin

Portable, Natel et vélo électrique avec la vignette solaire

Courant solaire dans le réseau

12solarvignette.ch 1 Jahr Solarstrom für 8.–

Page 71: Greenpeace Magazine 2012/02

69Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

Le groupe régional du canton de Vaud lance une pétition exigeant un moratoire sur l’utilisation de pesticides toxiques pour les abeilles. Ce projet est le résultat de plus d’une année d’observation des abeilles d’une ruche installée au Jardin botanique de Lausanne et de plusieurs mois de recherches sur les causes de leur disparition.Depuis plusieurs années, la mor-talité des abeilles et l’effondre-ment des colonies menacent direc-tement la chaîne alimentaire

humaine et la biodiversité, notam-ment en Suisse. Celle-ci tarde en effet à interdire certains pestici-des, notamment les néonicoti-noïdes, pourtant identifiés comme l’une des causes de la mort des abeilles. Utilisés dans l’agriculture conventionnelle, ce sont des in-secticides systémiques d’une effica-cité redoutable qui agissent sur le système nerveux des insectes et sont également toxiques pour les mammifères. Leur toxicité est de 5000 à 7000 fois plus importante

que le DDT. Dans l’intérêt d’une agriculture durable, respectueuse des abeilles et proche de la nature, Greenpeace, avec le soutien de l’association Kokopelli, demande• que, selon le principe de pré-caution, la Confédération décrète un moratoire de dix ans sur les insecticides dont la toxicité et les risques pour les abeilles sont prou-vés, en particulier le fipronil et les néonicotinoïdes (clothianidine, thiaméthoxame, imidaclopride et thiaclopride); les néonicotinoïdes sont déjà bannis en Italie, la clothia-nidine n’est pas autorisée en Allemagne, et le thiaméthoxame est interdit en Allemagne et en Slovénie;• que les procédures d’homologa-tion soient réalisées de manière plus transparente et que la Confé-dération charge des instances indé pendantes de vérifier les effets à long terme des pesticides sur la biodiversité dans l’agri-culture.La collecte de signatures durera jusqu’à fin décembre 2012. Greenpeace appelle la population à se mobiliser en faveur de la survie des abeilles qui jouent un rôle essentiel pour l’agriculture et la biodiversité.Signez la pétition sur www.greenpeace.ch/abeilles.

Visites d’école

Appel à des volontaires intéressés!

Où en sont les visites d’écoles de Greenpeace en Suisse romande? Eh bien, pour l’instant, il n’y en a pas eu beaucoup... Or Greenpeace a décidé d’étendre son programme de formation à l’environnement aux régions francophones de la Suisse.

Pour cela, nous avons besoin de volontaires qualifiés qui soient familiarisés avec le concept créé spécialement pour ces visites.

L’organisation les formera gratuitement à ce concept. Un tel engagement auprès des jeunes et des enfants vous intéresse-t-il?Pour plus d’informations, contactez Sarah Banderet au 078 602 72 68, ou par mail à [email protected].

Bénévoles

Pétition:

protégeons les abeilles

CH

RIS

TO

PH

E C

HA

MM

AR

TIN

/ R

EZ

O.C

H

Page 72: Greenpeace Magazine 2012/02

70Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

TeS

TaM

eNTS

Greenpeace: Monsieur Neuenschwander, vous donnez quotidiennement des conseils pour les successions. Qu’est-ce qui vous passionne dans votre métier?

Christian Neuenschwander: D’abord de ren-contrer des gens. Mais ce qui est réconfortant, c’est aussi qu’on peut voir la réaction des clients quand, après avoir longuement hésité, ils ont enfin rédigé leur testament. Beaucoup me remer-cient en me disant: «Je suis soulagé.»Un Suisse sur quatre seulement rédige un testament. Pourquoi si peu?

D’une part, nous avons un système juridi-que – le régime matrimonial et le droit de succes-sion – qui offre déjà une bonne solution. Une famille normale, un couple avec deux enfants, n’est donc pas vraiment obligée de régler quoi que ce soit. D’autre part, beaucoup de gens ont de la peine à aborder la question de la mort ou éprouvent une certaine aversion à l’égard de tout ce qui est juridique, perçu comme austère, cher et compliqué. Ils ont aussi peur de fixer par écrit quelque chose de définitif. Mais surtout, ils n’y connaissent pas grand-chose. Beaucoup igno-rent, par exemple, qu’un testament holographe est juridiquement valable et que l’on n’a pas besoin d’un notaire pour cela.Vous dites que des personnes ayant des héri-tiers légaux – le ou la conjointe, les enfants ou les parents – ne voient pas la nécessité de faire un testament, car l’ordre de succession est de toute façon réglé. Est-ce vrai?

Oui. Mais si l’on ne fait pas de testament, on ne peut pas faire de legs, par exemple à des institutions ou à des personnes qui ne sont pas des héritiers légaux – une amie ou un neveu. Faire un testament, cela veut dire aussi éviter des litiges au moment de la succession. Les querel-les de famille éclatent généralement à propos d’objets matériellement insignifiants, mais qui ont une valeur émotionnelle. C’est la raison pour laquelle il peut être important, pour préser-ver la paix familiale, de préciser que le tableau de la cuisine ira à la fille et celui du salon au fils.Que faites-vous quand un client souhaite faire un testament, mais qu’il hésite encore?

J’ai une jolie histoire à ce sujet. Un client de longue date me disait depuis des années qu’il voulait rédiger son testament. Cet homme étant aujourd’hui veuf et sans héritier légal, les seuls héritiers entrant en ligne de compte dans la famille sont de lointains cousins qu’il ne

«MêME UN TESTAMENT

SUR UN ROND à BIèRE

EST VALABLE»

Christian Neuenschwander travaille comme notaire auprès de Schwarz & Neuen-schwander à Berne. Spé-cialisé dans les conseils en matière de succession, il tient beaucoup à ce que les œuvres de bienfaisance ne soient pas oubliées dans les testaments.

© G

INA

DO

NZ

É

Page 73: Greenpeace Magazine 2012/02

71Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

connaît pas. En même temps, je savais qu’une œuvre d’entraide lui tenait à cœur. Récemment, lorsque je lui ai rendu visite, j’ai pris l’initiative. Je lui ai donné un stylo et une feuille de papier, sans autre forme de procès. Sur la feuille est désormais inscrite une simple phrase par laquelle il lègue tous ses biens à l’association en ques-tion. Le texte est sans doute formulé de manière un peu gauche, mais il est écrit à la main, avec le lieu, la date et la signature, et il est donc vala-ble. Et cela n’a pris que 30 secondes.Que pensez-vous de l’idée de prendre en compte une organisation ou une œuvre d’entraide dans son testament?

Je la recommande surtout pour des person-nes sans héritier légal. En fin de compte, il y a des organisations, des œuvres de bienfaisance ou des personnes sans lien de parenté qui peu-vent être plus proches d’elles et qui utiliseront peut-être l’héritage de manière plus judicieuse. Celles qui ont des héritiers légaux ont aussi la possibilité de faire un legs à des œuvres de bien-faisance dans le cadre de la quotité disponible. Ces legs ont de plus en plus d’importance pour les associations.

Que conseillez-vous aux clients qui souhaitent doter une œuvre de bienfaisance, mais ne savent pas de quelle manière?

J’essaie de découvrir ce qui les touche per-sonnellement. Qu’est-ce qui fait pleurer quelqu’un devant sa télé? Des orangs-outans menacés d’extinction, une famine due à la sécheresse ou des enfants démunis? La personne est-elle intéressée par une action locale ou internationale? Lorsque je le sais, nous réfléchissons ensemble pour savoir quelle organisation conviendrait. Je donne alors mon avis.De quelles informations avez-vous besoin pour pouvoir recommander une organi-sation ou une œuvre de bienfaisance avec un bon sentiment?

Je me renseigne soigneusement sur l’orga-nisation, pour me faire une idée personnelle et savoir quels thèmes elle privilégie. Je recom-mande volontiers Greenpeace, parce que c’est une organisation qui polarise, comparée à d’autres. Mais, en dernier ressort, c’est le client qui décide.Quelle est l’anecdote la plus originale que vous ayez vécue dans votre travail de conseiller en matière de succession?

La plupart des anecdotes concernent des dispositions testamentaires, lorsque la personne est déjà décédée. Cela réserve parfois quelques surprises. Le travail de conseiller se concentre sur l’aspect pratique. Le cas le plus intéressant, c’était sans doute ce testament qu’un client avait écrit sur un rond à bière. Même sous cette forme, il était juridiquement valable!Cet entretien a été réalisé par Muriel Bonnardin, responsable des testaments et des legs auprès de Greenpeace Suisse, tél. 044 447 41 64 ou [email protected].

Dans le canton de Berne, on s’adresse à un notaire pour discuter des questions relatives aux successions. Dans les autres cantons, on peut consulter un avocat ou un conseiller bancaire. Si vous êtes intéressé par notre guide des testa-ments, veuillez nous envoyer la carte-réponse qui se trouve au milieu de ce magazine, dûment remplie.

Qu’est-ce qui fait pleurer quelqu’un devant sa télé? Des orangs-outans mena-cés d’extinction, une famine due à la sécheresse ou des enfants démunis? Lorsque je le sais, nous réfléchis-sons ensemble pour savoir quelle organisation convien-drait.»

Page 74: Greenpeace Magazine 2012/02

72Magazine GreenpeaceNº 2 — 2012

À gagner: cinq livres de Greenpeace en anglais Warriors of the RainbowChronique du mouvement de 1971 à 1979, éditée à l’occasion du 40e anniversaire de Greenpeace. Envoyez la solution jusqu’au 31 mai 2012 par courriel à [email protected] ou par voie postale à Greenpeace Suisse, rédaction magazine, mots fléchés écolos, case postale, 8031 Zurich. La date du timbre postal ou de réception du courriel fait foi. La voie juridique est exclue. Il ne sera échangé aucune correspondance.

Mo

TS F

LéC

HéS

© G

RE

EN

PE

AC

E /

R

OM

AN

KE

ZIE

RE

Page 75: Greenpeace Magazine 2012/02

© g

re

en

pe

ac

e /

Ko

nr

aD

Ko

ns

ta

nt

yn

ow

icz

Page 76: Greenpeace Magazine 2012/02

AZB8031 Zurich

Le plus vieux réacteur du monde se trouve en Suisse.