Greenpeace Magazine 2010/04

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AZB 8015 Zurich Greenpeace Member 4/2010 L’eau: polluée et gaspillage pages 4 – 15 Energie: les lacs de barrage, une mine d’or 4 Consommation: 4000 litres par jour 7 Greenpeace: nouvelle campagne autour de l’eau 10 International: courant solaire en Afrique 20 Personnel: Jean Ziegler 24

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Greenpeace Member4/2010

L’eau: polluée et gaspillage pages 4 – 15

Energie: les lacs de barrage, une mine d’or 4 Consommation: 4000 litres

par jour 7 Greenpeace: nouvelle campagne autour de l’eau 10

International: courant solaire en Afrique 20 Personnel: Jean Ziegler 24

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Conférence mondiale sur le climat à Cancún: question d’argent

La 16e conférence mondiale sur le climat a eu lieu du 29 novembre au 10 décem­bre à Cancún (Mexique). Les débats ont principalement porté sur le soutien financier des pays en développement et émergents par les nations indus­trialisées en vue de l’adaptation au changement climatique et de l’usage de nouvelles technologies. Au cœur des échanges, le mode de financement qui permettra de réunir la somme nécessaire – environ 200 milliards de dollars par année selon les organisations environnementales et de développement. La réponse à cette question constitue un préalable indispensable à la mise sur pied, lors de la prochaine conférence mondiale sur le climat prévue en Afri­que du Sud, d’un accord de protection du climat qui soit enfin contraignant et efficace pour toutes les nations.

Petits paysans brésiliens en lutte pour leur label bio

Un pesticide menace l’existence de 300 agriculteurs biologiques du Sud du Brésil. Leurs récoltes présentent des traces d’endosulfan, une substance très toxique qui transite des champs d’agriculture conventionnelle vers les planta­tions de soja biologique. Ce soja ne peut donc plus être commercialisé comme produit biologique. Les petits paysans exigent que le gouvernement brésilien interdise l’endosulfan avec effet immédiat. Gebana, une association suisse de commerce équitable, soutient ces paysans par une pétition d’ores et déjà signée par plusieurs milliers de personnes. Signez vous aussi: www.chega.org

«Les deux de Tokyo»: condamnation scandaleuse des protecteurs Greenpeace des baleines

En septembre, douze militants Green­peace manifestent devant l’ambassade japonaise, à Berne. A partir de 6 heu­res du matin, un coup de gong sonne tous les quarts d’heure. «Militer n’est pas un crime!» dit la banderole en anglais et en japonais. Des activités similaires ont eu lieu dans une ving­taine d’autres pays. Les protecteurs de l’environnement protestent ainsi contre la condamnation de deux collègues japonais qui avaient révélé un scandale de corruption autour du programme de chasse baleinière fi­nancé par le gouvernement. Ceux­ci ont été condamnés à un an de prison avec sursis.

Deux navires Greenpeace – une mission

Après la catastrophe pétrolière, deux navires Greenpeace ont rejoint le Golfe du Mexique cet été. Au large de la côte occidentale du Groenland, l’équipage de l’Esperanza a protesté contre les nouveaux forages pétroliers de la société britannique Cairn Energy. A bord de l’Arctic Sunrise, dans le Golfe du Mexi­que, plusieurs équipes successives de scientifiques indépendants ont étudié les conséquences de l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon. Outre les résidus pétroliers décelés en eaux profondes, un autre constat inquiétant concerne les gouttelettes de Correxit dans les larves de plancton et de crabe bleu, organismes minuscules qui jouent un rôle crucial tout au début de la chaîne alimentaire. Le Correxit est une substance chimique controversée utili­sée pour combattre le pétrole. Au moment de boucler ce numéro du magazine, les résultats définitifs ne sont pas encore disponibles.

Du courant «propre» issu de combustible sale

Pour la première fois, les responsables des centrales nucléaires de Gösgen et de Beznau ont admis publiquement, en septembre dernier, que leurs centrales «sûres et propres» utilisent des barres d’uranium provenant de l’usine de Mayak, qui est dans un état catastrophique. La région autour de cette usine russe de retraitement est considéré comme l’un des lieux les plus irradiés de la planète. En 1957, une cuve de plutonium explosait dans la fabrique d’ar­mes nucléaires en service à l’époque. 248 villages étaient alors évacués. Il y a quatre ans seulement, l’Agence russe de l’énergie atomique Rosatom déci­dait un nouveau déplacement de population concernant cette fois­ci 7500 personnes. Selon l’organisation russe Greenworld, l’accident nucléaire aurait irradié un demi­million de personnes au total. La société Axpo affirme vo­lontiers que les conditions de production de Mayak seraient aujourd’hui «conformes aux normes internationales». Elle fait probablement référence à la certification ISO qui ne dit cependant rien sur les substances radioactives déversées dans la rivière Tetcha.

Infos sur la vie de Greenpeace

En Bref

Greenpeace

Greenpeace/Baracchi

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Vous avez la possibilité de réagir ou de commenter les sujets traités dans le magazine: www.greenpeace.ch/magazine.

Pour les lettres de lecteur, le délai est le 20 janvier 2011, à [email protected] ou à l’adresse postale de la rédaction (cf. à droite).

Photo de couverture:Des militants Greenpeace pendant une action de protestation contre le groupe chimique britannique Albright & Wilson, dont le site de production du Nord-Ouest de l’Angleterre pollue la mer d’Irlande par les métaux lourds de ses eaux usées.© Greenpeace / Richard Smith

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Sommaire Magazine greenpeace 2010, n° 4

L’avenir est global

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Dossier spécial: eauProduction de courantLa Suisse, pile de l’Europe?Les centrales hydrauliques produisent du courant et le stockent. Ceci profite aux éoliennes, mais aussi au nucléaire.

Consommation4000 litres par personne et par jourAu total, chaque habitant de la planète consomme 4000 litres d’eau par jour. Le détail des chiffres.

PollutionLa production alimentaire est menacéeL’agriculture moderne est la principale responsable des problèmes.

GreenpeacePour une «production propre»Greenpeace lance une campagne internationale autour de l’eau.

Grands projetsDurcissement de la lutte autour de l’eauLa déviation des ressources en eau à travers le monde influe sur les êtres humains et l’environnement. Les conflits politiques sont à l’ordre du jour.

PrivatisationLe contrôle doit revenir aux citoyensFranklin Frederick, militant écologiste brésilien, s’engage pour que l’eau soit reconnue comme bien public.

ForêtsLes voix de la forêt équatorialeLes participantes d’un forum Greenpeace au Congo relatent leurs expériences avec les sociétés forestières.

Recherche de fonds en rueNoemi de Blas Telmo, dialogueuse en Suisse romandePortrait d’une jeune femme engagée.

AfriqueEnergie solairePremiers succès de la caravane climatique Greenpeace en Afrique.

PersonnelDe l’eau propre, un droit humainInterview de Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU.

Greenpeace

de Verena Mühlberger

Editorial

La Suisse officielle peine à endosser sa responsabilité au sein de la commu­nauté internationale. C’est déplorable, car ce pays compte tant de person­nes ouvertes au monde, comme vous qui soutenez Greenpeace. Depuis des années, vous contribuez à nos campagnes internationales, sur le plan idéel, financier et militant. Sans votre généreux soutien à des enjeux situés hors de nos frontières nationales, l’organisation Greenpeace n’existerait pas dans sa dimension internationale.

Pour nous, le grand écart entre l’axe local et global de la politique environnementale n’est pas toujours simple. Parfois, le poids relatif de la Suisse implique qu’elle ne peut contribuer que de manière indirecte aux gran­des campagnes internationales, par exemple concernant la protection des océans. Mais il y a des problèmes environnementaux qui appellent notre participation active. L’un d’eux est au cœur de ce numéro: l’eau.

La Suisse fonde sa prospérité sur la force hydraulique et intervient à l’échelle internationale dans ce domaine, dit l’un des articles. Un autre texte présente le caractère modèle de la Suisse en termes d’approvisionnement en eau. L’accès à l’eau est cependant menacé pour un nombre croissant de personnes à travers le monde. Dans ce domaine, la Suisse aussi rencontre de nouvelles difficultés. L’eau pourrait ainsi venir à manquer un jour dans certaines régions.

L’eau n’est pas une thématique nouvelle pour Greenpeace, mais le pro­blème prend aujourd’hui des dimensions dramatiques et requiert de nouvel­les approches. Un groupe international de projet élabore actuellement une campagne globale autour de l’eau. La Suisse y prend une part active.

Ces prochaines années, Greenpeace est appelée à devenir une organisa­tion réellement globale, dit Kumi Naidoo, le nouveau directeur de Greenpeace International. L’organisation doit donc s’impliquer là où les enjeux sont les plus urgents et où son action est la plus efficace. Et les pays du Sud doivent obtenir davantage d’attention, de ressources et de pouvoir au sein du réseau Greenpeace. Pour nous en Suisse, cette visée n’est pas nouvelle, car nous avons régulièrement soutenu les campagnes des bureaux Greenpeace du Sud, par exemple en Afrique ces deux dernières années.

Nous partageons la vision de Kumi Naidoo pour un monde Greenpeace plus juste, et nous approuvons la redistribution des ressources en faveur du Sud. Mais cette vision reste un défi: il s’agit de générer davantage de ressour­ces en faveur des campagnes internationales et de s’impliquer de manière encore plus active dans les projets globaux. Pour vous, les personnes qui nous soutiennent, il y aura donc encore plus de possibilités de s’engager pour les enjeux environnementaux de la planète.

Verena Mühlberger est co-directrice de Greenpeace Suisse depuis le 1er septembre 2010.

Impressum Greenpeace Member 4/2010

Editeur/adresse de la rédaction Greenpeace SuisseHeinrichstrasse 147, case postale, 8031 Zurichtéléphone 044 447 41 41, téléfax 044 447 41 99

www.greenpeace.ch, CCP 80-6222-8

Responsable équipe de rédaction_Tanja KellerRédaction photo_Hina StrüverRédaction/production du texte_Heini Lüthy, ZurichTraduction en français_Nicole Viaud et Karin VogtMaquette_Sofie’s Kommunikationsdesign, Zurich

Impression_Zollikofer AG, Saint-GallPapier_Cyclus Offset 100% recycléTirage _122 000 ex. en allemand _22 500 ex. en françaisParution_Paraît quatre fois par an

Le magazine greenpeace est adressé à tous les adhérents Greenpeace (cotisation annuelle à partir de CHF 72.–). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace.

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MER DU NORD

DÉSERT NORD-AFRICAIN

ESPAGNE

S U I S S E

Texte Marcel Hänggi

Les centrales des barrages suisses produi­sent du courant en période chère. En période bon marché, elles pompent l’eau de la vallée dans les lacs de barrage pour la stocker en vue de la prochaine période chère. Une af­faire juteuse pour les électriciens qui utilisent, pour le pompage, des centrales nucléaires et au charbon. Mais des centrales éoliennes et solaires feraient aussi l’affaire.

La Suisse fonde sa prospérité sur l’énergie hydrau­lique. Un des premiers pays à s’industrialiser après l’Angleterre, la Suisse voit les usines se multiplier le long des cours d’eau. Il s’agit alors d’une pro­

duction d’énergie renouvelable et décentralisée: la première phase de l’industrie suisse pourrait pres­que être qualifiée d’écologique.

Mais le caractère de la force hydraulique a fondamentalement changé. Depuis que la société sait utiliser l’électricité, l’énergie produite à l’aide de l’eau peut être transportée sur de longues dis­tances. Au début du 20e siècle, les premiers grands barrages hydro­électriques apparaissent dans les Alpes. Les lacs de retenue permettent de capter l’eau d’un large bassin versant. Les turbines de ces centrales ont l’avantage de pouvoir fonctionner dans les phases de forte demande de courant. Il est ainsi possible de compenser les variations de la demande entre le jour et la nuit, ou encore entre les saisons.

Les lacs de barrage, une mine d’or La force de l’eau est devenue une technique

de grande envergure: aujourd’hui, les plus gran­des installations énergétiques du monde sont des centrales hydrauliques. Cependant, le caractère renouvelable de cette énergie s’est en partie perdu: les centrales de pompage­turbinage renforcent la capacité des lacs de retenue à produire l’énergie en fonction de la demande. La nuit, quand la consommation de courant est inférieure à l’offre, le courant superflu sert à faire remonter l’eau dans les lacs de retenue, pour la faire repasser dans les turbines plus tard. L’eau produit du courant, mais permet aussi de le stocker. Le courant permet­tant le pompage peut provenir de sources variées: production nucléaire, au charbon, éolienne ou solaire.

Graphique: Sonntagszeitung, adaptation: Sofie. Sources: Fondation de la Greina, Eawag

Eau: production de courant

www.iosphera.com

1 Centrales solaires et éoliennes, par ex. en Espagne, Afrique du Nord et en mer du Nord

2 Centrales nucléaires en Suisse et à l’étranger

3 Centrales au charbon à l’étranger

4 Lacs de barrage

5 L’eau des lacs de barrage actionne les turbines et produit du courant en période chère

6 L’eau de la vallée est pompée dans les lacs de barrage pour stockage

7 Centrales à turbines qui peuvent aussi faire office de pompes

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greenpeace 4/10 5Keystone/Desair/Leuenberger

La construction de centrales de pompage­turbinage a connu une première phase de haute conjoncture dans les années 1970, parallèlement à la construction des centrales nucléaires. Les oppo­sants au nucléaire luttaient alors contre ces «filia­les des centrales nucléaires», avec succès dans plu­sieurs cas, comme pour Curciusa ou la Greina.

Depuis 1999, le pompage­turbinage vit une nouvelle période d’expansion. La libéralisation du marché de l’électricité a donné lieu à de fortes variations des prix du courant. La nuit ou en fin de semaine, le courant s’achète bon marché pour se revendre plusieurs fois le prix d’achat en journée. C’est ainsi que le pompage­turbinage devient une mine d’or. La Suisse prévoit de tripler ses capaci­tés. Aux fins fonds du pays de Glaris, l’expansion de la centrale de Linth­Limmern est en cours, avec la création d’un nouveau barrage sur le lac

de Muttsee. La société Forces motrices d’Obe­rhasli (KWO) a déposé en septembre dernier une demande d’autorisation pour l’agrandissement de la centrale de pompage­turbinage sur le Grimsel (la surélévation prévue du barrage dépend, selon la société, de l’octroi de l’autorisation). D’autres projets sont en planification près de Poschiavo, au Tessin, et en Valais.

Comment fonctionne ce système d’ensemble? Les centrales nucléaires et au charbon produisent jour et nuit la même quantité de courant. Cette énergie non modulable s’appelle énergie en ruban. Les centrales au fil de l’eau produisent elles aussi de l’énergie en ruban, car elles ne peuvent pas do­ser la quantité d’eau qui coule le long de la rivière. L’énergie en ruban couvre la charge de base, donc

la partie de la demande qui reste constante jour et nuit. La partie variable de la consommation est couverte par les centrales modulables: les centra­les hydrauliques à accumulation et les centrales à gaz.

L’énergie éolienne et solaire s’accumule également

Le courant issu des éoliennes, dont la produc­tion varie très fortement, ne s’accorde pas fa­cilement à ce modèle d’approvisionnement de courant. C’est du moins le point de vue des en­treprises du secteur de l’électricité. Pourtant, les énergies éolienne et solaire ne sont pas si diffé­rentes de l’énergie en ruban. Comme cette der­nière, l’énergie du vent et du soleil ne se module pas à la demande, et est en recherche de modes d’accumulation.

C’est là que le pompage­turbinage déploie ses avantages. Son degré d’efficacité d’environ 80% (perte d’un cinquième de l’énergie) est la forme la plus efficace d’accumulation de grands volumes d’énergie, dit le professeur Göran Andersson, de l’ETH Zurich. Et l’eau peut rester stockée long­temps, permettant ainsi de compenser les varia­tions saisonnières. Pour intégrer la production énergétique renouvelable au réseau européen, il faut avant tout introduire une gestion des charges, explique Andersson. Les appareils qui permettent une telle gestion sans perte de confort, par exem­ple les réfrigérateurs, devraient fonctionner selon le mode suivant: consommer leur énergie lorsque l’offre est la plus forte, et se débrancher du réseau lorsqu’il y a pénurie.

Les grandes organisations écologistes suisses ne se fient pas à l’argument selon lequel le pom­page­turbinage serait favorable aux renouvelables. Elles estiment au contraire que ce procédé consti­tue une tentative de gagner de l’argent à travers le courant «sale», nucléaire et au charbon, produit en Europe, tout en profitant de la bonne renommée de la force hydraulique. Elles pensent qu’il n’est pas nécessaire de créer de nouvelles capacités de pompage­turbinage pour assurer l’approvisionne­ment de la Suisse, et que la contribution possible de la Suisse est trop faible pour une intégration éventuelle de l’énergie éolienne au système euro­péen. Un texte d’orientation commun à sept or­ganisations environnementales, dont Greenpeace, af firme: les nouvelles centrales de pompage­tur­binage «instaurent un approvisionnement de cou­rant et une régulation du réseau axés sur les gran­des techniques, contredisant diamétralement les exigences d’un approvisionnement décentralisé.» Au lieu de favoriser le pompage­turbinage, il fau­drait au contraire veiller à ce que «la régulation du réseau se fasse prioritairement dans les instal­lations décentralisées et par la régulation de la demande.»

Mais tous les spécialistes qui s’inscrivent dans une perspective écologiste ne sont pas de cet avis. Ruedi Rechsteiner, ancien Conseiller national (PS), siège au conseil d’administration de IWB (Services industriels de Bâle), une société action­naire des Forces motrices d’Oberhasli. Rechstei­ner approuve l’expansion du pompage­turbinage pour autant que le nombre de lacs de retenue ne soit pas augmenté. Il admet que le pompage­tur­binage opère aujourd’hui avec du courant issu de centrales nucléaires et au charbon. Mais selon lui, deux tiers des nouvelles capacités auraient été de nature renouvelable en 2009, et cette proportion pourrait passer à 90% dans quelques années. Il concède cependant: «Si les grands groupes d’élec­tricité misaient véritablement sur les énergies re­nouvelables en arrêtant leurs investissements dans le domaine du charbon et du nucléaire, il est vrai qu’ils seraient nettement plus crédibles.»

Marcel Hänggi est journaliste et auteur de livres, spécialisé notamment dans les thématiques envi-ronnementales.

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Davantage d’infos sur: www.greenpeace.ch/magazine

Augmenter les capacités: la société Forces motri-ces d’Oberhasli veut développer la capacité d’ac-cumulation de sa centrale sur le Grimsel. Photo: la réserve naturelle de la région de lac du Grimsel, avec le Totensee et le col du Grimsel.

Régler le réseau par les installations décentralisées et par la

régulation de la demande, et non par le pompage­turbinage.

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«Nous parlons de l’avenir»Gianni Biasiutti, directeur des Forces motrices d’Oberhasli (KWO), explique la nécessité, selon lui, de développer les capacités de sto ckage.

Vous dites qu’il faut davantage de pompage-turbinage dans la perspective d’un approvisionnement basé sur le courant renouvelable. Mais l’électricité stockée au Grimsel est issue du nucléaire et du charbon.

Oui, mais si nous parlons d’expansion, c’est dans une perspective d’avenir. On ne parle pas des prochaines années, mais des prochaines dé­cennies. Et la réponse est que le développement des renouvelables exigera des capacités de stockage nettement plus élevées. Il faut se préparer à cette situation. Pour construire un hôpital, on n’attend pas non plus que les gens tombent malades.

Les Forces motrices bernoises (BKW), qui possèdent la moitié du capital de votre société KWO, continuent d’investir dans les centrales au charbon et veulent construire une nouvelle centrale nucléaire.

Tous nos actionnaires investissent dans les renouvelables. Les Services industriels de Bâle (IWB), la Centrale électrique de la ville de Zurich et EWB (Energie Wasser Bern) sont à la pointe dans ce domaine, et ces entités pos­sèdent l’autre moitié de nos actions.

Sur votre site Internet, on lit le slogan «H2O au lieu de CO2». Vous suggérez que votre courant serait exempt de CO2. N’est-ce pas tromper les gens?

C’est votre point de vue. Mais la force hydraulique est vraiment exempte de CO2. Toutefois le courant que nous stockons sans le produire nous­même ne relève pas de l’énergie hydraulique.

«Le pompage-turbinage est le moteur des nouvelles cen-trales nucléaires»Jürg Buri est secrétaire général de la Fondation suisse de l’énergie (SES). Il explique pourquoi il pense que l’expansion du pompage­ turbinage est inutile.

Le site Internet de la SES dit que la Fondation s’oppose «aujourd’hui» au pompage-turbinage. Que faudrait-il pour vous convaincre d’adhérer à cette technique?

Nous n’avons rien contre le fait de compenser les fluctuations de la production renouvelable par des centrales de pompage­turbinage. Mais ces énergies renouvelables n’existent pas en Suisse. Grâce à la flexibilité des cen­trales de pompage­turbinage, le développement des renouvelables n’exigera pas de nouvelles centrales de ce type.

Mais la Suisse pourrait ainsi contribuer à l’approvisionnement de l’Europe.Les milieux qui le disent sont les mêmes qui évoquent volontiers une

pénurie à venir. Si nous nous inscrivons dans une perspective européenne, il n’y aura pas de pénurie. Le pompage­turbinage est le moteur des nouvel­les centrales nucléaires ou des nouvelles centrales au charbon à l’étranger. C’est ce que veulent les groupes du secteur de l’électricité. L’argument des renouvelables ne serait pertinent que si l’industrie de l’électricité poursuivait véritablement une stratégie de promotion des renouvelables.

Quelles seraient les alternatives?Un réseau efficace d’installations décentralisées, axées sur les renou­

velables, et une gestion intelligente des charges. Ceci pourrait contribuer à compenser les variations à l’échelle européenne et à réduire le problème du stockage. Je répète que la régulation d’un parc de centrales renouvelables par le biais du pompage­turbinage est tout à fait envisageable de notre point de vue.

Länger/Greenpeace

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Il arrive que le lac de retenue soit trop plein; on remédie à ce pro-blème par un lâcher d’eau. Photo: le lac de barrage de la vallée de Verzasca.

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Eau: consommation

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Substances chimiques: un travailleur répand des pesticides dans un champ de fraises en Californie.

Sécheresse: bétail brésilien. L’élevage bovin est une des causes principales de déboisement en Amazonie.

Texte Verena Ahne

Pour obtenir son pain quotidien aux condi­tions les plus avantageuses, l’humanité re­court souvent à des méthodes de pillage. L’une des pires pratiques est la pollution des eaux par l’agriculture moderne. Sur le long terme, la production alimentaire est menacée dans le monde entier.

Dans un pays alpin comme le nôtre, nous avons de l’eau à profusion. La bonne eau douce coule des montagnes, jaillit du sol et se renouvelle en permanence par la pluie et la neige. L’eau potable est disponible chaque fois que nous en avons be­soin, que ce soit pour boire, cuisiner ou prendre un bain. Nous nous baignons même dans des lacs d’eau potable.

Quel luxe! Beaucoup de pays ont certes suffi­samment d’eau, mais cette eau est souvent salée, polluée, chargée de substances chimiques, d’eaux usées ou de germes. Et nombreuses sont les ré­gions qui n’ont pas assez d’eau. Selon l’Organi­sation mondiale de la Santé (OMS), 1 milliard de personnes n’ont pas accès à une eau potable de bonne qualité et 2,5 milliards n’ont pas un accès suffisant à l’eau potable. Cette situation concerne donc plus de la moitié de l’humanité. Chaque jour, plusieurs milliers d’enfants meurent en raison du manque d’eau potable.

Une cause importante de la pollution de l’eau est l’agriculture, qui dévore des surfaces toujours plus grandes. Sans scrupule, on assèche les zones humides et les marais, on transforme en pâturages

et en terrains agricoles la forêt épaisse, la brousse qui abrite tant d’espèces et le fragile milieu de la savane. Plus d’un tiers de la surface terrestre cou­verte de végétation est d’ores et déjà exploitée par l’agriculture: 33 millions de km2 sont piétinés par les sabots des bêtes; 15 millions sont occupés pour la production de fourrage, d’aliments et d’agro­carburants.

Or, seuls les écosystèmes intacts sont en me­sure de remplir leur fonction de filtre d’air et d’eau. Ils accumulent l’humidité et l’eau de pluie pour alimenter les eaux souterraines. Par contre,

les sols sans couverture végétale s’assèchent plus rapidement, devenant moins perméables aux pré­cipitations. L’érosion par l’eau et le vent dégrade alors le sol emportant les engrais, les substances toxiques et le lisier.

Depuis que l’industrie chimique facilite la vie agricole, les substances chimiques se multiplient à outrance. Les monocultures de coton, de blé et de soja sur des surfaces gigantesques appauvrissent les terres en leur arrachant les substances nutritives. Le Rapport sur l’agriculture mondiale de 2008 évoque le manque d’azote, de phosphore et de potassium sur une surface allant jusqu’à 80% des champs. Par le passé, on remédiait à ce problème par la rotation des cultures et les jachères. Aujourd’hui on préfère répandre des engrais chimiques.

Sans eau, pas de painDe lourdes machines tassent en outre la terre.

Par un labourage profond, elles détruisent le pré­cieux humus, cette couche supérieure vivante des sols, constituée au fil des millénaires. Presque tous les sols exploités sur une base industrielle sont aujourd’hui largement privés d’humus. C’est un problème notamment pour le climat. De fait, l’humus absorbe de grandes quantités de CO2 et stocke également l’azote, contrairement aux sols pauvres en humus. Ces sols ne retiennent donc pas cet engrais, et l’azote se retrouve finalement dans l’eau sous la forme de nitrate. Par ailleurs, dans les

pays du Sud, on fertilise souvent les champs par l’épandage de matières fécales, facilitant ainsi la transmission de germes de maladies dangereuses.

Pesticides, surengraissage, irrigation…

Les monocultures étant plus vulnérables aux para­sites, des milliers de pesticides ont été développés: herbicides contre les mauvaises herbes, fongici­des et autres poisons. Ces «apports diffus» pol­luent les eaux tant superficielles que souterraines, même dans les pays qui traitent scrupuleusement leurs eaux usées dans des stations d’épuration.

Le surengraissage, d’origine naturelle ou chimique, fait exploser les populations d’algues dans les eaux. La floraison des algues consomme

GrebliunasCruppe/EVE/Greenpeace

Plus d’un tiers de la surface terrestre couverte de végétation est

déjà exploitée par l’agriculture.

Eau: pollution

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Pillage: en Indonésie, des militants Greenpeace et des bénévoles locaux construisent une digue pour empêcher l’assèchement des tourbières adjacentes et leur défrichage par le feu au profit d’une so-ciété d’huile de palme.

l’oxygène qui manquera fatalement aux autres organismes. Les restes de ceux­ci aboutissent au fond des eaux, où ils sont éliminés par des bac­téries, moyennant une nouvelle consommation d’oxygène. Il se forme des zones mortes qui étouf­fent toute vie, ver, mollusque, homard ou crin marin.

Couvrant une surface totale de la taille de la Grande­Bretagne, les zones mortes sont déjà au nombre de 400 dans les océans, par exemple en mer Baltique, au large de la côte orientale d’Amé­rique du Nord et tout autour du Japon. Certaines de ces zones se rétablissent en cas d’apport d’eau riche en oxygène. Là où ce n’est pas possible, en mer intérieure ou dans les lacs, les zones mortes persistent. La seule issue à ce problème est la ré­duction des engrais et le rétablissement de la ca­pacité de filtrage des berges, rivages et rives, des zones alluviales et des mangroves.

Un autre problème concerne l’irrigation en tant que telle. C’est cette technique qui a permis la production agricole dans les zones sèches. Mais la pratique correcte de l’irrigation est un art: si l’eau reste trop longtemps sur les champs, les substances minérales des sols, et surtout les sels, transitent vers la surface pour y former une croûte dure qui ne permet plus la culture. Or 10% des surfaces arables sont d’ores et déjà considérées comme salinisées.

La destruction du grenier à blé

L’exemple le plus dramatique de salinisation – dont les causes sont cependant différentes – est la mer d’Aral. Des masses croissantes d’eau ne par­viennent plus dans cette mer, mais sont utilisées en amont pour la production agricole. En consé­quence, la mer d’Aral s’assèche. L’ancien «grenier à blé», l’ancien «eldorado du coton» de l’Union

soviétique perd ainsi une grande partie de ses champs. Des «tempêtes blanches» portent le sel et les substances chimiques agraires sur de longues distances, nuisant à la santé des êtres humains.

La pratique du prélèvement excessif d’eau ne frappe pas seulement les affluents de la mer d’Aral. 70% de la consommation mondiale d’eau sert à l’arrosage des champs. Cette proportion est même encore plus élevée dans les zones sèches comme en région méditerranéenne. Environ 40% de la production alimentaire mondiale concerne des surfaces irriguées de manière artificielle. L’éle­vage bovin est à lui seul responsable de 8% de la consommation d’eau. Et la production d’un kilo de viande de bœuf nécessite environ 15 000 litres d’eau. C’est pourquoi de grands fleuves comme le Jourdain dépérissent avant d’arriver à la mer. De

plus, lorsque les cours d’eau naturels ne couvrent pas les besoins de l’agriculture et de l’élevage, la nappe phréatique est attaquée à son tour. Beau­coup de régions, notamment l’Espagne, fournis­seur européen de fruits et de légumes, ou la Cali­fornie, ont déjà tellement abaissé le niveau de leur nappe aquifère que l’eau de mer commence à s’y infiltrer. En outre, l’appel d’eau qui se crée véhi­cule les toxines vers les eaux souterraines.

Quelle solution? L’agriculture doit revenir à des structures de production plus petites, plus na­turelles et plus écologiques. C’est aussi le constat du Rapport sur l’agriculture mondiale, qui cite l’exemple positif de la Suisse et de son concept d’agriculture multifonctionnelle. Il s’agit de revi­taliser les sols, par un traitement plus respectueux, une rotation intelligente des cultures, des planta­tions plus riches en espèces, la création d’humus et une réduction drastique des engrais. Il faut avant tout préserver ou recréer des écosystèmes naturels les plus larges possibles, qui font office de réser­voirs d’eau et d’espèces.

Car sans eau de bonne qualité, pas de pain.

Verena Ahne est journaliste scientifique indé-pendante en Autriche.

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Davantage d’infos sur: www.greenpeace.org/switzerland/fr/campagnes/agriculture

Les lacs suisses: petit succès de grande portée

Il y a trente ans, les rivières et les lacs suisses étaient dans un état préoccupant. L’azote et les phosphates issus des engrais, mais aussi des produits de lessive polluaient les eaux, avec d’autres substances chimiques. Certains lacs étaient dans un état de mort imminente.

Diverses mesures ont nettement amélioré la qualité de l’eau: la construction accélérée de stations d’épuration, l’interdiction des produits de lessive contenant des phosphates, mais aussi l’aération artificielle des lacs. En 1991, une loi plus stricte de protection des eaux entre en vi­gueur, réglant notamment l’apport d’engrais sur les champs à proximité des eaux.

«Ces dernières décennies, la qualité des eaux des lacs et des rivières s’est fortement améliorée, grâce à un grand effort de traitement des eaux

usées», constate l’Office fédéral de l’environne­ment. Un grand succès pour notre pays, un petit succès à l’échelle mondiale, qui n’a été possible que dans un petit pays riche.

Mais une nouvelle menace se dessine à l’ho­rizon. Ces dernières années, les eaux suisses pré­sentent une pollution croissante par des traces de substances organiques. Ces résidus provien­nent par exemple de médicaments ou de produits cosmétiques consommés par la population. Les substances restent actives dans l’eau, provoquant par exemple la féminisation de poissons mâles à travers les traces d’hormones. Le Conseil fédéral prévoit de doter de filtres les plus grandes sta­tions d’épuration, afin de retenir les substances en question. Le coût est estimé à au moins un milliard de francs.

Greenpeace/Rante

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Texte Matthias Wüthrich

La pollution des eaux est l’un des plus graves problèmes de la planète. Greenpeace lance aujourd’hui une campagne globale pour la propreté de l’eau.

Après la pluie, c’est la crue; et la crue fait surgir les substances toxiques. Le Pasig est un fleuve pollué qui traverse Manille, la capitale des Philippines. Ses hautes eaux meurtrières charrient aussi des tonnes de déchets issus de décharges, et des rési­dus toxiques emportés dans les usines inondées. L’approvisionnement en eau s’en trouve pratique­ment bloqué. L’eau potable est donc le besoin le plus pressent pour la population sinistrée. Les mi­litants de Greenpeace se transforment en secouris­tes et distribuent de l’eau propre, des désinfectants et des médicaments. Plus tard, nous patrouillons avec notre véhicule nommé «Toxic Patrol» et iden­tifions les pollutions indiquées par la population aux abords des usines. Nous prélevons des échan­tillons d’eau et de terre et établissons une carte géographique des pollutions.

L’an dernier, je travaillais en Asie sur mandat de la campagne Chimie de Greenpeace Internatio­nal. Surpris par les inondations catastrophiques, je comprends que l’eau est tout simplement essen­tielle. Pendant ce temps, la pollution des eaux pro­gresse à travers le monde. L’état des rivières s’est globalement dégradé, et plus de la moitié des aqui­fères sont gravement contaminés. La situation est particulièrement préoccupante pour les eaux des régions fortement peuplées, en Asie centrale et du Sud­Est, en Inde, dans l’Est de la Chine, dans cer­taines régions d’Amérique du Nord et – s’agissant

de la biodiversité – dans toute l’Europe, disent les études scientifiques récentes.

L’impact négatif de la crise chimique m’est également apparu lors de mes recherches en Chine. Dans ce pays, 70% des rivières, lacs et réservoirs sont pollués, et 20% des sources d’eau potable ne suffisent pas aux exigences nationales de qualité de l’eau. Le taux de cancer a progressé de 20% ces dernières années, et même de 465% pour certains types de cancer. Dans les régions polluées par les industries, des villages et des villes entières enre­gistrent des taux de cancer nettement plus élevés. Des sources indépendantes dénombrent déjà plus de 450 «villages cancéreux». D’autres sources s’appuient sur le Ministère chinois de l’environ­nement et font état de plus de 51 000 actions de protestation contre la pollution environnementa­le pour 2006, portant souvent sur l’état des eaux. Les données sur la situation actuelle ne sont pas publiées, car la Chine veut éviter le débat sur ce problème délicat.

Polluants persistants: pas de solution en vue

La pollution croissante des eaux est surtout due à une agriculture inefficace et à une industrie incon­trôlée. De façon délibérée ou non, les polluants in­dustriels aboutissent dans les eaux. La probléma­tique des pesticides et des métaux lourds est bien connue, mais de nouvelles substances comme les résidus de médicaments s’y ajoutent aujourd’hui. Nombre de polluants industriels sont pratique­ment impossibles à éliminer par les mécanismes naturels. Par le biais de la chaîne alimentaire, ces «polluants persistants» s’accumulent dans l’envi­ronnement et dans le corps humain. Ils peuvent

Campagne Greenpeace pour une «production propre»

endommager le système nerveux, modifier le pa­trimoine génétique ou entraver la procréation, car même en faible concentration, ils développent des effets endocriniens. Dès que ces toxines indus­trielles sont déversées dans l’environnement par les tuyaux d’eaux usées ou les stations d’épura­tion, il est techniquement difficile, voire impossi­ble de les isoler et de les éliminer, en dehors du fait qu’une telle opération serait presque impossible à financer.

Greenpeace a donc décidé de lancer une campagne internationale en faveur de l’eau pro­pre. C’est dans ce cadre que j’ai passé dix mois aux Philippines, en Thaïlande et en Chine, où j’ai vu de mes propres yeux des pollutions sim­plement inimaginables. L’objectif de la campagne Greenpeace est d’arrêter la pollution industrielle des eaux et d’inciter les pires industries à une «pro­duction propre». Les substances chimiques nuisi­bles doivent être intégralement remplacées par des produits inoffensifs. Le problème ne peut pas se résoudre par des mesures dites «de fin de cycle» («end of pipe»), comme les dispositifs d’épuration intervenant à la sortie des tuyaux d’eaux usées. Il n’existe pas d’élimination propre des polluants in­dustriels persistants. L’exemple des décharges de déchets chimiques suisses est parlant: menaçant les eaux, ces décharges doivent aujourd’hui être assainies, avec des coûts de plusieurs centaines de millions de francs à la clé.

Mais la Suisse est­elle concernée par la pollu­tion des eaux des pays en développement? Beau­coup de grands groupes et de grossistes ont déloca­lisé leur production nocive dans les pays pauvres, parfois en sous­traitance. Tandis que les produits finis sont exportés en Suisse, la pollution issue de la production reste dans le pays fournisseur. Si l’on tient compte de ce type de pollution, «l’em­preinte toxique» de la Suisse est démultipliée.

Les consommateurs doivent donc exiger des multinationales la garantie d’une production réellement propre, tout au long de la chaîne de production. Soutenez notre campagne pour une eau propre!

Matthias Wüthrich est responsable de la cam-pagne Toxiques chez Greenpeace Suisse. Il par-ticipe à l’élaboration de la campagne internatio-nale Greenpeace pour une eau propre. En 2009, il a travaillé dix mois en Asie pour le compte de Greenpeace International.

WWW

Plus d’infos en anglais sur: www.greenpeace.org/water

A gauche: l’eau polluée tue: des militantes et militants Greenpeace de Manille (Philippines) protestent contre l’insuffisance de la protection des eaux par une action symbolisant la mort col-lective. A droite: Matthias Wüthrich lors d’une distribution d’eau potable.

GreenpeaceDomingo/Greenpeace

Eau: International

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De faibles ressources âprement disputées

Eau: politique

Texte Stefan Hartmann

L’eau potable devient un bien toujours plus rare et précieux. Elle est également utilisée comme moyen de pression politique. Une si­tuation qui conduit de plus en plus souvent à des tensions entre les Etats.

Des conséquences par-delà les frontières: Dans l’Anatolie du Sud­Est, en Turquie, le bar­rage d’Ilisu est actuellement en construction. Il créera un énorme lac de 135 kilomètres de long, couvrant une surface de 313 kilomètres carrés. Ce réservoir, qui n’est situé qu’à 65 kilomètres de la frontière avec l’Irak et la Syrie, est d’ores et déjà source de conflits.

D’une part, ce lac artificiel va petit à petit submerger des villages – 60 000 personnes doivent être déplacées – et environ 200 sites culturels d’im­portance. L’Allemagne, l’Autriche et la Suisse ont renoncé à apporter leur garantie contre les risques à l’exportation, les exigences en matière de protec­tion de l’environnement et du patrimoine culturel n’étant pas remplies. La Turquie persiste néan­moins dans sa volonté de construire ce barrage.

Par ailleurs, l’agriculture traditionnelle en Irak et en Syrie est menacée par ce projet, car elle est tributaire des alluvions. Lors d’années à fai­ble pluviosité, le barrage d’Ilisu compromettrait également le ravitaillement en eau potable de ces deux pays. On peut même envisager un scénario extrême, à savoir que la Turquie ferme le robinet à la Syrie et à l’Irak, si ces deux pays se montrent réticents à coopérer sur le plan politique ou mi­litaire.

Une lutte pour la répartition inégale: Depuis soixante ans, Israël, la Syrie et la Jordanie se bat­tent pour l’eau du Jourdain. Ce fleuve joue en effet un rôle crucial pour l’approvisionnement de plus de treize millions d’habitants dans cette zone. Ses sources se trouvent sur le territoire de plusieurs Etats: au Liban, en Israël, sur les hauteurs du Go­lan syrien et à l’ouest de la Jordanie. Les Israéliens

ont pris le contrôle de ces deux derniers territoi­res en 1967, et les gisements d’eau qu’ils recèlent constituent l’une des raisons majeures qui pousse Israël à poursuivre son occupation.

Le conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens à propos de l’eau est particulièrement complexe: l’ouest de la Jordanie, région montagneuse, a, cer­tes, d’abondantes réserves dans la nappe phréa­tique, mais les communes palestiniennes n’y ont quasiment pas accès. Actuellement, Israël prélève de grandes quantités d’eau pour les implantations dans les Territoires occupés et pour les activités agricoles dans la vallée du Jourdain ainsi que dans le désert du Néguev. Bref, la question de l’eau constitue l’un des enjeux déterminants dans le conflit entre les deux communautés.

L’effondrement d’un système efficace: Une grave crise de l’eau se fait jour également en Asie. A l’époque soviétique, le Turkménistan, le Kazakhs­tan, l’Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Tadjikis­tan faisaient partie d’un système suprarégional d’approvisionnement en eau et en énergie: dans les républiques du Tadjikistan et du Kirghizistan, l’eau de la fonte des neiges provenant des hautes chaînes de montagnes était captée et acheminée en été vers les steppes des Etats de l’Ouzbékistan, du Kazakhstan et du Turkménistan, afin d’assurer l’irrigation des immenses plantations de coton et de céréales. En échange, l’Ouzbékistan et le Ka­zakhstan fournissaient du gaz, du pétrole et du charbon au Kirghizistan et au Tadjikistan. La fin de l’Union soviétique a marqué l’effondrement de ce système de répartition dirigiste. Aujourd’hui, il règne une lutte sans merci pour la répartition des ressources hydriques, car les Etats concernés n’arrivent pas à se mettre d’accord. Des projets visant à acheminer sur plus de 2000 kilomètres de l’eau provenant de Sibérie existent depuis des dé­cennies. Actuellement, ils font de nouveau l’objet d’examens plus approfondis.

Partout, des projets ont été réalisés ou sont prévus pour utiliser ou rediriger différemment

l’eau à grande échelle. L’un de ces premiers pro­jets pharaoniques fut le barrage d’Assouan, en Egypte. Construit sur le Nil dans les années 1970, cet ouvrage de presque quatre kilomètres de long a permis de créer l’un des plus grands lacs artificiels du monde. Comme dans le cas d’Ilisu, de nombreuses personnes ont dû être déplacées et plusieurs monuments ont disparu sous les eaux.

Récemment, la querelle concernant l’eau du Nil s’est envenimée. Les Etats situés en amont du fleuve, notamment l’Ethiopie, le Rwanda, l’Ougan­da ou la Tanzanie, se plaignent de discrimination. Des contrats datant de 1929 et 1959 – dont le pre­mier fut encore signé par les Anglais – accordent en effet à l’Egypte et au Soudan des droits exces­sivement généreux.

En Ethiopie, la troisième tranche du projet hydroélectrique Gilgel Gibe, sur le fleuve Omo, est en construction. Ce barrage de 243 mètres de haut sera, une fois achevé, le plus élevé du conti­nent africain, et sa centrale hydroélectrique, dont la puissance équivaudra à celle de deux centrales nucléaires, sera la plus grande du monde après Assouan. Ses adversaires redoutent que les consé­quences de sa construction ne menacent les res­sources vitales d’un demi­million de personnes en Ethiopie et au Kenya.

En Chine, il est prévu d’aménager des condui­tes sur plus de 1300 kilomètres afin d’acheminer jusqu’à Pékin de l’eau provenant du centre du pays. Toujours en Chine, le barrage des Trois­Gorges, qui retient les eaux du Yangtsé, le fleuve Bleu, sur une longueur de plus de 600 kilomètres, est déjà en service. Cet ouvrage a nécessité le déplacement de deux millions de personnes.

Stefan Hartmann est journaliste au Presseladen, à Zurich.

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Davantage d’infos sur: www.greenpeace.ch/magazine

Bettmann/Corbin

A gauche: un soldat israélien en poste au-dessus du Jourdain et du pont Allenby, qui a été détruit; un pont provisoire constitue le seul pas-sage à la frontière entre la Jordanie et les Territoires occupés. A droite: le Jourdain et son embouchure dans la mer Morte vus d’avion.

Marden/National Geographic/Getty Images

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Greenpeace/Newman

Prospection pétrolière

Auckland, Nouvelle-Zélande

25/07/2010. Ces militants Greenpeace montrent à quoi ressemblent des gens se baignant dans une mer polluée. Ils sortent de l’eau maculés de «pétrole» sur la plage de Muriwai à Auckland. Le message est clair: il faut absolument empê­cher tout nouveau forage pétrolier au large des côtes de Nouvelle­Zélande!

Nobili/Greenpeace

Alesi/Greenpeace

Perawongmetha/Greenpeace

Maïs transgénique

Frioul Vénétie Julienne, Italie

30/07/2010. Des militants Greenpeace protestent contre la culture illé gale d’organismes génétiquement modifiés en brandissant des affiches «NO GMOs». Des investigations de Greenpeace ont révélé qu’une variété de maïs transgénique de Monsanto, le MON810, était cultivée dans les champs de la province italienne de Pordenone. Revêtus de tenues spéciales afin de se protéger d’une éventuelle contamination, les militants ont coupé les épis, afin d’empêcher toute dissémination du pollen.

Centrales nucléaires

Venise, Italie

28/07/2010. Sur la plage du Lido, des militants Greenpeace ont formé à l’aide de parasols une gigantesque banderole d’une surface de 1500 m2. Ils protes­tent ainsi contre le projet du Premier ministre italien, Silvio Berlusconi, qui veut construire une nouvelle centrale nucléaire.

Avenir énergétique

Bangkok, Thaïlande

17/09/2010. Dans le cadre de sa campagne «Turn the Tide», le Rainbow Warrior a fait escale à Bangkok où il a été accueilli par un spectacle de ma­rionnettes traditionnel. Greenpeace profite des deux mois et demi que dure ce tour en Asie du Sud­Est pour promouvoir un avenir vert et pacifique, et demande notamment aux Etats émergents d’investir dans le développement durable.

Océans + Génie génétique

Actif Atome + Energie

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Perawongmetha/Greenpeace Sarwono/Greenpeace

Rezac/GreenpeaceLucero/Greenpeace

Transports

Bangkok, Thaïlande

19/09/2010. Lors de la Journée sans voitures organisée dans la capitale thaïlandaise, le Rainbow Warrior, qui poursuit son périple en Asie du Sud­Est, a jeté l’ancre dans le port de Khlong Toei. Des membres de l’équipage ont invité les habitants à visiter le bateau. Au moyen de cette action, Greenpeace veut encourager le gouvernement thaïlandais à prendre enfin des mesures en faveur de la protection de la nature.

Déforestation

Jambi, Indonésie

05/08/2010. Dans cette zone de la forêt tropicale de Bukit­Tigapuluh où les arbres ont été abattus, des militants Greenpeace protestent contre la défo­restation massive pratiquée par la société Asia Pulp & Paper (APP). Cette dernière, qui appartient au grand groupe Sinar Mas, est responsable de la destruction de l’espace vital du tigre de Sumatra et de l’orang­outang, deux espèces sérieusement menacées d’extinction.

Pollution atmosphérique

Hadera, Israël

15/07/2010. «Le charbon tue», peut­on lire sur cette banderole hissée par des militants Greenpeace au sommet d’une grue dans le port d’Hadera, lors de l’arrivée d’une cargaison de charbon en provenance d’Ukraine. Ils voulaient ainsi attirer l’attention sur des projets de centrale au charbon à Ashkelon.

Déchets toxiques

Mexico City, Mexique

17/08/2010. Des militants Greenpeace simulent leur propre mort afin d’at­tirer l’attention sur la décharge de l’usine de traitement des déchets Ecoltec. Cette société – une filiale du cimentier suisse Holcim – déverse en effet des résidus hautement polluants dans la nature.

Chimie + Transports Climat + Forêts

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Interview Stefan Hartmann

Franklin Frederick, militant écologiste bré­silien, s’engage pour que l’eau reste ou de­vienne un bien public. Il s’oppose clairement à toute privatisation.

Dans beaucoup de pays émergents, l’eau est aujourd’hui vendue en bouteille. N’est-ce pas utile, dans la mesure où il n’y a pas d’eau potable dans le pays en question?

L’eau en bouteille est devenue un symbole du statut social dans beaucoup de pays du Tiers­Monde. Mais tous ne peuvent pas en payer le prix, loin de là. Et la bouteille signale aussi le fait que l’eau du robinet du système public serait de moins bonne qualité. Conséquence, les sociétés publiques qui gèrent la distribution d’eau négligent l’entretien du réseau et n’investissent plus dans ce domaine.

Mais l’eau doit avoir un prix, sinon c’est le gas-pillage!

Les couches les plus pauvres doivent avoir accès à l’eau. Fin juillet 2010, ce droit humain a enfin été reconnu par l’assemblée générale des Nations Unies, après des décennies d’efforts de la

part des pays du Sud. C’est un grand pas en avant pour la société civile. Nous aurions évidemment apprécié que la déclaration dise en outre: «L’eau est un bien commun».

Lors de ce vote de l’assemblée générale de l’ONU, 41 Etats se sont abstenus dont beaucoup de pays industrialisés. Pourquoi rechignent-ils à reconnaî-tre le droit humain à l’eau?

Ces pays ne veulent pas que l’eau soit un bien public appartenant à tous, car ils ont leurs propres objectifs géopolitiques. Et ils comptent de grandes entreprises comme les multinationales françaises Veolia ou Suez, dont les objectifs ne se recoupent pas forcément avec les intérêts des populations du Sud.

Quelles sont les expériences en termes de privati-sation de la distribution d’eau?

Il n’existe pas de contrôle transparent. Si les prix de l’eau du robinet augmentent, personne ne sait pourquoi, que ce soit à Manille, Cochabamba ou Londres. Et il n’y a presque plus d’investisse­ment dans l’infrastructure. Pas même à Londres,

qui compte parmi les premières cités à avoir priva­tisé sa distribution d’eau. D’ailleurs, pourquoi les sociétés privées devraient­elles investir? Quand le système sera en déroute, les pouvoirs publics paie­ront l’addition, comme dans le cas des banques!

Mais quel changement, si l’eau devient un bien public?

Cela voudrait dire que le contrôle revient aux citoyens, tant sur l’accès à l’eau que sur les prix ou les investissements. Les processus doivent respec­ter la transparence, comme dans le cas du système suisse, le meilleur du monde, à mon avis.

Même si l’eau est un bien public, il faut financer les investissements. Qui paiera, dans ce cas?

Nous ne disons pas que tout doit être gra­tuit. Nous demandons une quantité de 40 litres d’eau par personne et par jour qui soit gratuite pour les pauvres. C’est la quantité nécessaire à un être humain pour boire, cuisiner et se laver. Dès aujourd’hui, les pauvres d’Afrique du Sud ont droit à 25 litres d’eau gratuite par jour. Une fois dépas­sée cette limite, la consommation est payante.

Pour l’instant, on ne parle pas beaucoup de pri-vatisation. Y a-t-il réellement des velléités dans ce sens?

Vous vous trompez: pour les banques, l’eau est un domaine important. Divers fonds permettent de gagner de l’argent par des placements finan­ciers dans le secteur de l’eau. L’eau douce est une matière première idéale, car elle est essentielle à la vie humaine. La consommation est en hausse, elle croît plus rapidement que la population mondiale. L’eau comme marchandise suscite des convoitises, c’est pourquoi nous voulons la soustraire au mar­ché et la placer sous contrôle public.

Y a-t-il des cas où la privatisation est suivie d’une renationalisation?

Oui, notamment en France, le pays qui connaît les plus anciennes privatisations, remon­tant au 19e siècle. La ville de Paris veut ainsi re­tourner à un système public, après les mauvaises

«Le contrôle de l’eau revient aux citoyens»

L’eau dans son cadre naturel, gratuite et publique-ment accessible: Franklin Frederick devant les chu-tes du Tabuleiro, dans le parc national de la Serra do Espinhaço.

Eau: politique

zvg

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Comment le Brésil gère-t-il ses réserves quasiment inépuisables en eau?

Nous avons tellement d’eau que nous n’en prenons pas grand soin. Avoir de l’eau, ce n’est pas forcément avoir de l’eau propre. Le traitement des eaux usées est souvent déficient dans les villes, polluant ainsi l’eau fraîche. Par conséquent, les villes importent de l’eau propre des environs, ce qui donne lieu à des conflits avec les paysans, qui ont aussi besoin de cette eau. Peter Brabeck, de Nestlé, dit que la solution est l’eau en bouteille, mais la population pauvre ne peut pas l’acheter. Et les innombrables bouteilles en PET jetées à la rue produisent régulièrement des inondations, car les déchets bouchent les canalisations et les conduits d’écoulement.

Nestlé veut devenir le sponsor de la Coupe du monde de football 2014 et créer une marque d’eau spécifique à cet événement. Qu’en pensez-vous?

Cette eau conditionnée en bouteille devrait provenir des sources minérales de São Lourenço, petite ville de l’Etat fédéral de Minas Gerais, en­tre São Paulo et Rio. Ce choix est choquant. En 2000, Nestlé construisait une usine de condition­nement à São Lourenço, au milieu du parc ther­mal, pour sa marque «Pure Life». Elle a entouré sa fabrique d’un mur et prélevé de l’eau de source à 150 m de profondeur. Mais grâce à la résistance de la population, Nestlé a dû arrêter la production. Aujourd’hui, elle tente à nouveau de s’approprier cette source en se présentant comme sponsor prin­cipal de la Coupe du monde. Cela veut dire que dans quatre ou cinq ans, la source sera épuisée.

Du point de vue de la société civile, quelle est l’alternative à la privatisation? Il est vrai que la construction des infrastructures est très chère…

Il faut construire des partenariats avec des sociétés publiques modèles, comme elles existent en Suisse. Beaucoup d’entreprises ont été fondées sous la forme de coopératives il y a plus de 100 ans. C’est ce genre de structures qu’il faut mettre sur pied dans le Sud. Pourquoi ne pas créer des partenariats avec des sociétés du Sud, des parte­nariats entre entités publiques? Ce qui manque le plus au Sud, ce n’est souvent pas l’argent, mais le soutien et le savoir­faire! La Suisse devrait expor­ter son succès.

Depuis le milieu des années 1990, nous connais-sons le «Public-Private Partnership». Pourquoi ce modèle n’a-t-il pas tenu ses promesses?

Le mot évoque un partenariat qui n’existe pas en réalité. Ce terme sert à éviter le terme de privatisation qui n’a pas bonne presse. Pour faire court, on pourrait dire que les pouvoirs publics investissent dans les infrastructures, pour ensuite laisser la place aux sociétés privées qui achètent une licence et engrangent les profits.

Stefan Hartmann est journaliste au Presseladen à Zurich.

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Plus d’infos en anglais sur: www.greenpeace.org

L’eau en bouteille, payante: la «Pure Life» de Nestlé.

Rank/Bloomberg via Getty Images

«Il nous faut des partenariats avec les sociétés publiques modèles

de l’eau, comme elles existent en Suisse.»

Franklin Frederick: militant pour l’eau comme bien public

Franklin Frederick (45 ans) a des racines in­diennes et hollandaises. Après des études de lit­térature et de psychologie à l’université de Rio de Janeiro, il travaille pour la société publique Copasa, active dans le domaine de l’eau. Il or­ganise plusieurs conférences sur l’eau, la santé et l’environnement. Depuis 1997, il s’engage dans le mouvement citoyen pour la protection de l’eau comme bien public. Consultant auprès de la Conférence épiscopale du Brésil (CNBB), il a participé à l’élaboration de la déclaration œcuménique «L’eau comme bien public». Cette

déclaration a été ratifiée par les Eglises suisses et brésiliennes en 2005. En 2009, il a reçu le prix «Nord­Sud contre l’oubli» à Lucerne, doté de 20 000 francs. Depuis 2009, il vit en Suisse. Il s’engage pour divers projets et travaille depuis peu comme consultant auprès de la Société pour les peuples menacés.

Franklin Frederick doit aussi sa notoriété au «Nestlé­gate», l’espionnage des activités de l’association altermondialiste Attac au can­ton de Vaud. Cette infiltration a été révélée en 2008.

expériences de 2010. Et de nombreuses autres vil­les à travers le monde ont repris l’ancien régime public. Parfois à la suite de révoltes sanglantes, comme à Cochabamba, en Bolivie.

Quelle est la situation en matière de privatisation dans votre pays, le Brésil?

Le Brésil connaît une merveilleuse tradition de contrôle public de l’eau. Dans l’Etat fédéral du Parana, la société publique de distribution d’eau, Sanepar, a été privatisée. En 2002, le groupe fran­çais Veolia a acquis une partie de son capital et donc le contrôle de cette société. Deux ans plus tard, l’Etat constatait déjà qu’aucun investisse­ment n’était plus effectué dans la desserte des quartiers pauvres. Ce n’est pas une clientèle inté­ressante! En 2004, le gouverneur a donc annulé la privatisation.

Le Brésil dispose de 13% des réserves mondiales en eau douce. La distribution d’eau des grandes villes n’est donc certainement pas le seul objet de convoitise pour les grands groupes de l’eau.

Dans la zone frontalière entre l’Uruguay, l’Argentine et le Brésil, il y a l’énorme aquifère d’eau douce fossile de Guarani. Shell, Coca­Cola, Nestlé, Danone et d’autres veulent s’assurer une part de cette eau propre. Ce genre d’appropria­tion de territoire par des sociétés privées prend de l’ampleur, car les ressources en eau diminuent et gagnent donc en valeur.

Mais l’eau n’est-elle pas un bien public garanti par la loi brésilienne?

En théorie, oui. Toutes les ressources souter­raines appartiennent à l’Etat. Mais le Brésil est un énorme pays, le contrôle par les autorités est faible. Ce qui se passe dans l’arrière­pays est lar­gement ignoré sur la côte. Et les régions reculées n’ont pas de syndicats, les gens ne sont pratique­ment pas organisés.

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Si nous l’abandonnons et que nous acceptons d’abattre les arbres avec les compagnies forestiè­res qui sont sur place, comment allons­nous vivre à l’avenir?

Est-il possible de préserver la forêt? Il va nous falloir gérer autrement la question

et trouver de nouvelles solutions, si nous voulons survivre. Le problème est que l’Etat a classé de nombreuses forêts comme zones protégées, et que les compagnies forestières se partagent le reste. Nous avons besoin d’autres possibilités de reve­nus.»

Focus: le code forestier

Publié en 2002, ce code définit les droits et les devoirs mutuels des exploitants forestiers et des communautés locales. Cependant, le code forestier n’est toujours pas arrivé et ap­pliqué dans les zones d’exploitation forestière de l’intérieur du pays. Greenpeace contribue à sa diffusion en organisant des ateliers de ré­flexion et d’échange d’information à l’inten­tion des populations locales. Une traduction en lingala, réalisée par plusieurs ONG dont Greenpeace, a ainsi été proposée aux respon­sables locaux.

Texte et photos Greenpeace

Au printemps 2010, Greenpeace a organisé un forum de plusieurs jours à Oshwé, dans la province du Bandundu, en République démo­cratique du Congo. L’objectif était de créer, pour les populations locales et d’autres ac­teurs tels que les autorités forestières, un fo­rum de discussion sur l’avenir de leurs forêts. Les besoins des populations locales étaient au centre du débat.

Dans le cadre de ce forum, divers parti­cipants ont été interviewés. Nous leur avons demandé quelle valeur avait pour eux, person­nellement, la forêt. La société d’exploitation forestière Sodefor, qui appartient au holding Nordsüdtimber – dont le siège se trouve au Liechtenstein –, opère dans cette région.

Christine Etea«Nous sommes entre le marteau et l’enclume»Christine Etea est «agente de développement» à Oshwé. Lors du forum organisé par Greenpeace, elle a suivi attentivement toutes les discussions. Quand on lui demande si son activité profession-nelle est un bon boulot, elle répond du tac au tac: «Comment peut-on faire du bon boulot quand on n’a pas d’argent?», faisant allusion au problème des salaires qui ne sont versés qu’irrégulièrement aux fonctionnaires. De plus, le Service du dévelop-pement n’existe pas depuis longtemps à Oshwé, deux ans à peine.

«Avant, il y avait du gibier à environ un kilo­mètre, mais aujourd’hui, il faut faire de 30 à 50 kilomètres pour en trouver. Alors, si on veut de la viande, il faut aller au marché. Une portion y coûte 50 francs congolais, mais la qualité est tellement mauvaise qu’on ne peut pas en donner aux enfants. Personne ne peut plus manger de viande.

Autrefois, les habitants du village allaient à la chasse. Ils partageaient leur prise avec les vieillards qui n’avaient pas d’enfants pour s’occuper d’eux. Mais tout cela a bien changé. Aujourd’hui, on ne vit plus qu’à la grâce de Dieu. De nombreux enfants sont malades. Ils ont des hémorragies, souffrent de fièvre jaune, et surtout, de tuberculose.»

Les compagnies forestières présentes dans la région ne contribuent-elles pas à son développement?

Dans les zones forestières nationalisées, qui sont protégées, on ne peut pas chasser, car l’Etat nous l’interdit. Il n’y a que dans les forêts privées qu’on peut encore le faire.

Y a-t-il d’autres activités économiques sur place? Oui, il y en a, mais pas beaucoup. Il y a bien

l’agriculture, mais personne pour acheter les pro­duits cultivés par les paysans.

Existe-t-il un espoir pour la région? Nous sommes entre le marteau et l’enclume:

nous vivons de la forêt, elle nous a toujours pro­tégés.

Déforestation: les populations locales témoignent

Forêts anciennes

Christine Etea

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Pélagie Balonge«Les sociétés forestières ne nous font que des promes-ses vides»Pélagie Balonge vient de Nonge Turi, à 96 kilomè-tres d’Oshwé. Elle partage son temps entre son métier d’enseignante et ses activités d’agricultrice. Lors du forum, elle représentait sa communauté locale.

«J’ai fait des études. Mais ici, il n’y a pas d’uni­versité et, de toute façon, nous n’aurions pas les moyens d’y aller. L’aîné de mes frères est devenu in­firmier, et moi, institutrice. Mes journées à l’école commencent à 7 h 20 le matin et se terminent à 12 h 35. Nous disposons quand même d’une école avec des bancs. Quand ils sont cassés, nous les réparons nous­mêmes. Il y a des villages auxquels les compagnies forestières avaient promis des éco­les, mais elles n’ont finalement rien fait. Elles ne font que des promesses vides. Notre avenir? Nous n’avons pas les moyens de nous défendre, parce que nous sommes enclavés. Nous avons besoin de quelqu’un de l’extérieur pour nous aider.

La forêt, c’est toute notre vie. Elle nous offre des tas de possibilités: nous pouvons ramasser et cueillir beaucoup de choses comestibles, des fruits, des petits animaux et des insectes que nous pou­vons manger. Les enfants fabriquent eux­mêmes leurs jouets en bois, y compris des petits camions. Avec le caoutchouc des hévéas, ils confection­nent des ballons. La forêt recèle aussi des dan­gers, bien entendu. Les braconniers, par exemple, constituent un problème pour nous, les femmes.

Nous devons toujours être accompagnées de jeu­nes hommes, sinon, comment ferions­nous pour nous défendre? Et quand nous avons peur, nous chantons pour nous donner du courage.»

«Le forum de Greenpeace m’a beaucoup inté­ressée. Les forêts que nous devons céder à l’Etat et le plan d’utilisation des sols sont, à mon avis, des thèmes importants, et j’en parlerai aussi à mes élè­ves. Je leur expliquerai comment nos forêts sont détruites par l’industrie forestière et les artisans (NDLR: une branche forestière moins industria­lisée, mais aussi peu respectueuse des besoins des populations locales). Ils abattent des arbres alors qu’ils n’ont pas les moyens de les transporter, ils les laissent tout simplement sur place. C’est révol­tant de voir cela.»

Focus: la valeur d’un arbre

Cette question posée à de nombreux parti­cipants au forum d’Oshwé a toujours trouvé la même réponse. Dans cette région, avec l’industrie du bois comme seul acteur écono­mique, la valeur du bois est pourtant igno­rée de tous. Les informations récoltées par Greenpeace lors de diverses missions sur le terrain permettent d’estimer à quelques dol­lars tout au plus les sommes engagées par les compagnies forestières pour des arbres qui se vendent plusieurs milliers de dollars sur le marché de Kinshasa.

Espérance Mémé«Pour gagner un peu d’argent, nous allons à la chasse» Espérance Mémé est originaire de Kwao, chef-lieu d’un des quatre districts du territoire d’Oshwé. Cultivatrice, elle vit dans un village situé au cœur d’une concession de la Sodefor. Elle y cultive du riz, du maïs, des courges et des arachides ainsi que des haricots et du manioc. Espérance a cinq enfants, âgés de 18 à 25 ans.

«Actuellement, il n’y a pas de chantier forestier dans le village, mais les concessions existent tou­jours. Nous ne sommes plus d’accord avec cette si­tuation. La Sodefor ne veut ni payer la redevance, ni signer un cahier des charges.

Elle ne nous donne que du sel, du savon et, de temps à autre, des petites sommes qui n’appor­tent rien à la communauté locale. Et elle n’offre pas non plus de places de travail. Notre écono­mie ne fonctionne pas – nous aurions pourtant des surplus dans l’agriculture, par exemple, du riz et des courges, mais ils pourrissent parce que nous n’avons pas d’embarcations pour les trans­porter. Les moyens de transport sont inexistants ici. C’est pour cela que nous chassons. Nous ven­dons la viande à des acheteurs qui la revendent à Kikwit ou à Kinshasa. Nous le faisons pour gagner un peu d’argent et nous procurer ce qu’il nous faut pour subsister ainsi que des médica­ments, et payer la scolarité des enfants. La viande se vend bien, mais depuis dix ans, il y a moins de gibier. Avant, on pouvait chasser à deux kilomè­

Pélagie Balonge Ecoliers de MadjokoGreenpeace/Davison

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tres du village, tandis que maintenant, les chas­seurs doivent faire 12, 15, même 20 kilomètres, pour trouver du gibier.»

Focus: les titres forestiers

Plusieurs compagnies forestières se partagent les titres forestiers approuvés par le gouverne­ment congolais sur le territoire d’Oshwé, cou­vert aux trois quarts par la forêt équatoriale et dont la superficie totale est supérieure à celle de la Belgique. Ainsi, 1 279 523 hectares seront tôt ou tard voués à l’exploitation fo­restière. Le territoire d’Oshwé se caractérise également par la présence du parc naturel de la Salonga.

Thérèse Ngokanga «Il nous faut d’autres activités économiques»

Thérèse Ngokanga est professeure de français et de latin dans une école secondaire d’Oshwé. Elle dirige une association de femmes qui a créé un jardin potager pour ravitailler cette ville. Elles veulent ainsi offrir un choix plus varié de légumes. En même temps, elle est en train de réaliser, avec le soutien d’une section locale du WWF, un étang modèle où l’on pratique la rizipisciculture – qui combine la culture du riz et l’élevage du poisson. Thérèse Ngokanga a, elle aussi, activement parti-cipé au forum de Greenpeace.

«J’apprends aux mamans à créer un jardin pota­ger. L’étang qui se trouve derrière ma maison est le premier de cette sorte. Nous y cultivons du riz et y élevons des alevins. Nous sommes 21 fem­mes à nous en occuper. C’est important que ce soient des femmes, parce que la femme est aussi la maîtresse de maison, celle qui fait la cuisine. En plus, nous leur enseignons les principes de la

nutrition. Nous espérons qu’elles retransmettront leur savoir et qu’ainsi, nous toucherons plus de monde. Les jeunes, ici, sont désœuvrés, ils n’ont pas de travail. Nous devons faire un effort pour les encadrer.

Chez nous, tout le monde aura du poisson à manger. Cela nous évitera de tuer des animaux sau­vages. Bien sûr, il faudra encore être patient, car ce n’est pas facile, pour des gens qui ont toujours été habitués à manger de la viande, de changer leurs habitudes. Mais nous avons déjà fait de bonnes expériences avec nos jardins potagers. Les gens raffolent de nos légumes. Nous avons réalisé qu’il y avait là un marché potentiel. Nos amis commen­cent déjà à nous imiter. Ce serait vraiment bien si cette initiative se développait, car nos forêts sont en train de se vider à cause du braconnage. Actuel­lement, nous constatons un tassement et les gens reprennent leurs activités de chasse. Ils n’ont pas d’autre possibilité s’ils veulent payer les études de leurs enfants ou les envoyer à l’hôpital quand ils sont malades. Il nous faut d’autres activités écono­miques. Après, nous n’aurons plus besoin d’aller à la chasse.

La population locale sait que la forêt est très importante pour elle, car c’est notre unique res­source. Les gens s’inquiètent de l’attitude des com­pagnies forestières. Tout ce qu’elles font, c’est au détriment des communautés locales.»

WWW

Vous pourrez entendre d’autres témoignages en direct de la forêt tropicale, enregistrés lors du forum organisé par Greenpeace à Oshwé, et lire des informations complémentaires à ce sujet sur: www.greenpeace.ch/voixforet

Espérance Mémé (à gauche) et Thérèse Ngokanga

Chasseur de la région de Bandundu

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Texte Nadia Boehlen

Depuis mars 2010, Greenpeace a engagé des dialogueurs en Suisse romande. Parmi eux, Noemi, 35 ans, qui chaque jour fait de la prospection dans la rue afin de recruter de nouveaux adhérents pour Greenpeace. Eduquée dans le respect de la nature, elle a développé son intérêt pour les questions environnementales dans le cadre de sa for­mation et à travers son engagement pour Greenpeace.

Grâce au jardin potager de ses parents, Noemi a, depuis son enfance, noué un contact direct avec la nature et avec la terre, au sens propre. Ce rapport à la terre lui a permis de développer une sensibi­lité pour l’alimentation et de s’intéresser à l’usage de pesticides en agriculture, son premier centre d’intérêt écologique. Diplômée de la Haute école de santé de Genève, filière nutrition et diététi­que, Noemi a eu l’occasion de pousser plus loin ses connaissances environnementales à travers sa formation, et notamment à travers ses travaux consacrés aux aliments irradiés et aux OGM dans l’alimentation. Depuis qu’elle travaille chez Greenpeace, elle s’est aussi intéressée à la destruc­tion des grandes forêts primaires. Elle se sent donc très concernée face à la consommation actuelle d’huile de palme, dont on connaît l’impact sur l’environnement, et plus particulièrement sur la déforestation tropicale.

Comment en es-tu venue à travailler comme dialo-gueuse pour Greenpeace?

J’ai simplement répondu à une annonce, mais je me suis rendue compte que l’annonce corres­pondait à l’orientation environnementale des travaux effectués pendant mes études. L’annonce pour le travail de dialogueur a été comme une ré­ponse à une recherche personnelle qui cherchait à joindre ma formation et ma sensibilité pour les questions environnementales dans une action utile. En fin de compte, la possibilité d’être dans l’action est la raison qui m’a décidée à travailler pour Greenpeace.

Qu’est ce qui te paraît le plus difficile dans ce mé-tier?

Les gens se sentent désabusés. Ils se sentent impuissants et manquent de confiance dans les gouvernements. Même s’ils pensent que les ONG font de leur mieux, ils estiment que ça ne suffit pas. Du coup, ils jugent parfois inutile de s’enga­ger, ce qui rend notre travail plus difficile.

Qu’est-ce qui, au contraire, te paraît le plus valo-risant et le plus intéressant?

Le travail de dialogueur donne l’opportunité de parler avec toutes sortes de personnes et, du coup, de toucher toutes les couches de la popu­lation, de la ménagère à l’homme d’affaires, en

passant par le syndicaliste. De plus, tous les jours nous travaillons concrètement pour une cause qui en vaut la peine.

Quels sont les arguments qui fonctionnent le mieux auprès des personnes abordées?

Un argument que j’avance souvent est qu’on ne peut plus se permettre le luxe de se demander si notre action va fonctionner: les problèmes en­vironnementaux sont devenus tellement urgents que nous avons le devoir d’agir, de nous engager. Un autre argument auquel j’ai recours est que cha­

Noemi de Blas Telmo, dialogueuse en Suisse romande, retrace les motivations de son engagement pour Greenpeace

cun a le choix de prendre sa propre responsabilité ou pas, mais chaque personne est de toute façon concernée par l’état de notre planète. Finalement, c’est ma conviction qui parle, elle est le fondement de mes arguments.

Utilises-tu des techniques de démarchage particu-lières?

Je n’ai pas vraiment recours à des techniques de démarchage, mais j’essaie de faire de mon mieux en m’appuyant sur la spontanéité, la fraî­cheur et l’authenticité.

Quels sont les éléments les plus utiles de la formation donnée aux dialogueurs chez Greenpeace, à ton avis?

Les jeux de rôles, où nous devons jouer tour à tour le rôle de passant ou de dialogueur sont très utiles pour se mettre en situation, surtout pour qui n’a jamais fait ce travail auparavant. La présentation des départements de campagnes, des campagnes en cours et des succès obtenus par Greenpeace, autant en Suisse qu’au niveau inter­national, sont d’autres éléments importants de notre formation.

Nadia Boehlen est porte-parole de Greenpeace Suisse

Noemi de Blas TelmoGreenpeace/Ruet

Engagement

«La possibilité d’être dans l’action est la raison qui m’a décidée

à travailler pour Greenpeace.»

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International

Texte Kuno Roth Photo Greenpeace

Il y a un an, nous avions évoqué le soutien apporté par la Suisse au travail de pionnier accompli en Afrique en matière de climat et d’énergie solaire. Aujourd’hui, bien que mo­destes, les premiers fruits de ces efforts se font sentir.

Au Cameroun, à l’issue de la première caravane climatique qui a sillonné le pays, 1485 fours so­laires permettant d’économiser le bois ont été construits et sont utilisés. Par ailleurs, un millier de familles environ stérilisent leur eau au moyen de l’énergie solaire et 29 jeunes ont obtenu un diplôme pour le développement durable dans les villages. De plus, 47 instructeurs qui retransmet­tront leurs connaissances aux communautés ont été formés; une société spécialisée dans l’énergie solaire a été créée et des centaines d’appareils so­laires sont en service.

Derrière ces chiffres se cache beaucoup de sueur, d’énergie dépensée lors de nos visites dans les villages, dans l’apprentissage, la planification et la réalisation de nos projets, mais surtout, lors d’interminables palabres. Ce n’était pas, en l’oc­currence, une caravane climatique qui se conten­tait de passer et d’apporter du bonheur made in Switzerland.

Bien au contraire. Lors de nos précédentes visites dans les communautés villageoises, nous avions étudié leurs besoins, discuté de solutions possibles et formé deux personnes dans chaque village, chargées d’aider – elles s’acquittent tou­jours de cette tâche – à réaliser ce qui avait été décidé, à savoir «l’habilitation durable des com­munautés villageoises», ainsi qu’on l’appelle dans le jargon officiel. Le taux de participants qui ont mis en œuvre ce qu’ils avaient appris a été, en moyenne, de 70%.

Cette caravane climatique est soutenue par l’Organisation indigène des femmes d’Afrique (AIWO), qui est déjà ou souhaite être active dans les villages visités, afin de garantir un suivi ul­térieur. Le rôle de Greenpeace Suisse se limite au coaching, à un coup de pouce financier d’un montant de 200 000 francs, ainsi qu’à la forma­tion de personnes chargées de retransmettre leurs connaissances. Parmi les élèves, il y avait aussi trois Congolais. Ils veulent maintenant transposer

le principe en République démocratique du Congo et, grâce à leur formation, et à un soutien externe, mettre en place une caravane pilote dans des villa­ges de la forêt tropicale congolaise.

Changement de décor: au Kenya, dans le vil­lage de Kogelo, la grand­mère du président améri­cain Barack Obama, Mama Sarah, raconte d’un air malicieux qu’elle est devenue «le commutateur de son village». Sa centrale solaire est très deman­dée pour recharger les téléphones mobiles, grâce auxquels elle a d’ailleurs parlé à son petit­fils.

A Kogelo, il y a eu aussi des problèmes: un maître d’école avait tellement bricolé l’installation qu’elle a fini par tomber en panne. Le malheur a pu être réparé à l’occasion de la deuxième formation au centre des jeunes (www.solafrica.ch): dans ce cadre, une petite entreprise de cinq personnes qui produit des lampes solaires portables fabriquées selon les principes du commerce équitable a été créée. Il s’agit, d’une part, de remplacer les lampes à pétrole au Kenya, d’autre part, de permettre aux élèves des écoles d’étudier en s’éclairant avec des lampes solaires dans d’autres parties du monde également. Une vingtaine d’entre elles sont en vente à la boutique de Greenpeace (voir encadré ci­contre).

En Afrique du Sud, enfin, un nouveau projet réalisé dans le cadre de celui de la retransmission télévisée publique sur des écrans géants alimen­tés par le courant solaire se dessine. Greenpeace Afrique a, avec l’aide de la Suisse, formé des jeunes du village de Jericho et installé avec eux une cen­trale solaire qui fournit du courant pour les trans­missions sur écran géant. Dans la perspective de la Conférence climatique qui aura lieu en 2011 à Johannesburg, une caravane climatique basée, entre autres, sur l’utilisation des lampes solaires

provenant du Kenya pourrait aussi être lancée en Afrique du Sud. Son slogan serait le suivant: «La crise climatique a besoin de solutions concrètes – l’énergie solaire en est une – en particulier pour l’Afrique».

Certes, comparé aux besoins existentiels de l’Afrique et aux mesures urgentes qui devraient être prises pour protéger le climat à vaste échelle, ce n’est pas grand­chose. Mais c’est concret et exemplaire. Et, pour tous ceux qui en bénéficient, c’est beaucoup plus qu’une goutte d’eau dans l’océan.

Kuno Roth est responsable du Greenpeace Youth Support Center et des projets Greenpeace pour l’Afrique.

WWW

Les lampes solaires portables produites se­lon les principes du commerce équitable sont en vente sur le site en allemand www.green-peace-schenken.ch. Le prix spécial Solidarité solaire de ces lampes est de CHF 99.–, dont CHF 30.– de subvention qui permettront à une famille au Kenya d’acheter une lampe à un prix plus avantageux.

Informations: www.greenpeace.org/africaSur la caravane climatique:[email protected]éos accessibles au public sur le site: youtube.com Entrée: Greenpeace, Solaire, Afrique

Pour l’Afrique,l’ère solairecommence

La caravane climatique parcourt le Cameroun: le courant solaire pour éclairer, une solution lumineuse pour tous.

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Destruction de la forêt tropicale humide avec le soutien de grandes banques

La destruction des forêts tropicales est étroitement liée à nos habitudes de consommation. Beaucoup de gens en sont conscients. En revanche, bon nombre d’investisseurs ignorent le fait que des banques suis­ses y participent, par le biais de placements de fonds auprès de certains destructeurs notoires de la forêt.Informations complémentaires sur: www.greenpeace.org/switzerland/destruction-tropicale

Eau minérale: combien d’énergie grise contient­elle

La mise en bouteille et le transport de l’eau mi­nérale requièrent de l’énergie. Combien en faut­il jusqu’à ce qu’une bouteille soit sur votre table et que signifie le terme «énergie grise».Vous l’apprendrez sur: www.greenpeace.org/switzerland/eau-minerale

Le chasseur de baleines devenu leur pro­tecteur: histoire de quelqu’un qui a réfléchi

Quand il était jeune, Cornelius Cransbergen chas­sait la baleine. Aujourd’hui, il est membre de Greenpeace et en colère contre le Japon et la Nor­vège qui continuent de pratiquer la pêche à la ba­leine. Découvrez comment le pêcheur hollandais s’est converti…Vous en saurez plus sur: www.greenpeace.org/switzerland/chasseur-protecteur

Purnomo/GreenpeaceImage SourceGreenpeace/Davison

Local

Visite d’écoles en Romandie

Le programme des visites d’écoles de Greenpeace arrive enfin en Suisse romande.

Pour que ce programme fonctionne vraiment, nous avons besoin de vo­tre soutien. Nous cherchons des personnes capables de transposer la vision et le travail de Greenpeace dans les écoles de Suisse romande. Nous vous offrons un accompagnement et une introduction dans notre concept pédagogique.

Nous recherchons également des salles de classe où nous pourrons faire nos premières expériences. Nous vous remercions donc de nous faire connaître des enseignants ou des écoles intéressées par notre programme et prêtes à accueillir Greenpeace.

WWW

Contact: [email protected]

Vignette solaire

Achetez du courant solaire pour votre natel, votre notebook ou votre e-bike

La vignette solaire est une invention due à des bénévoles du ProjetSolai­reJeunesse de Greenpeace, du projet Legair monté par des élèves du lycée de Köniz et de la firme Megasol, fondée avec le soutien du ProjetSolaire­Jeunesse il y a une douzaine d’années.

En achetant une vignette solaire, vous nous confiez un mandat: celui de produire pour vous du courant solaire et de l’injecter dans le réseau. Pendant une année, vous pourrez vous procurer ce courant à partir de n’importe quelle prise électrique. Une vignette solaire couvre les besoins annuels moyens nécessaires pour recharger un natel (5 kWh, prix: 8 francs), un ordinateur portable ou un vélo électrique (50 kWh, prix: 50 francs).

Le courant solaire que vous achetez est produit par des centrales pho­tovoltaïques spécialement construites à cet effet, par exemple, la centrale solaire de 54 kWp à Schwitz, qui est entrée en service en automne 2009. Elle a été montée par des écoliers de Frauenfeld. Autrement dit, le courant

solaire ne vous est pas livré par un quelconque géant de l’énergie, mais par des jeunes.

WWW

Vous pouvez passer commande sur le site:www.solarvignette.ch

WWW Sur www.greenpeace.ch, vous pouvez lire la suite de ces articles en exclusivité.

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Nom d’un pesticidequi devrait être interdità l’échelle mondiale

Non-métalNotedemusique

Unité mo-nétaire del’Algérie

Garnituredubifteck

Un ancienpays dela CE

EpousedeZeus

Assaison-nementindien

Quelle énergiefournit le plusd’électricitéen Suisse ?

Forêt

Villed’Ecosse

Acteurde FranceTubed’éclairage

Chantépar McSolaar

Cinéasteaméricain

Grande fêteofficielle

Le piquantd’uneconver-sation

Chiffreromainvalantcinq cents

Cinéastede France

Déjà dit

Marquesd’estime

En ma-tière de

Passe àWroclaw23e lettregrecque

Préfixe

Symboledu nickel

Vieillecolère

Préposition

Quelle grandemultinationale porteun intérêt particulierà l’eau commeressource naturelle ?

Symbole del’aluminium

ArroseBerne

Situé

Deuxfoistrois

Ville dela Hesse,sur leMain

D’uneseulecouleur

Tonneau

Articleespagnol

Unitéarithmé-tique etlogique

Econo-misteallemanddu XIXe s.

Mémoirevive

Câblede bouée

Iled’Inde

Mesurede l’in-telligence

Sot

Etat de lacôte ouestde l’Inde

Forme leshommespolitiquesen France

Magnésium

Attacheles gerbes

Où a eulieu cetteannée laConfé-renceinter-nationalesur leclimat

Canta-tricecélèbre

Cavalierévoluantdans lemanège

Poème

Café

Foot-balleurfrançais,années 50

Céréalecultivéeen zonetropicale

Régiondéserti-que du sudd’Israël

Entouragesociald’un êtrehumain

Lamede charrue

Gradeau judo

Degré decouleur

Symbole del’oxygène

Préfixe

Villesur leDanube

Nom del’actueldirecteurdeGreen-peaceInter-national

Ordinateur

Peintreflamand

Troncdespalmiers

Etang

Cinéasteaméricain

Politiqueallemand †Reinelégendaire

Produitdutravail

Connu àl'avance

Nourrisson

Qui pré-sente degrandesdifficultés

Philosophefrançaise,d’originejuive †

On y faitdes étu-des supé-rieures

Pantoufle

7e lettregrecque

Gâteauimbibéde rhum

Tonned’équivalentcharbon

Héroïnedescontesp. enfants

Choisipar Dieu

À la mode

Premierprésidentallemand(1919-1925)

On appelle l’énergiequi sert à couvrir lesbesoins continus enélectricité, l’énergie de...

Incor-recte,erronée

Ondulation

Nymphedeslégendesgermaniques

Jus nour-rissantde laviande

7

8

9 12 11

10

3

5

2

6 1 4

1103

013

´Vous trouverez de plus amples informations sur les conditions du concours sur: www.greenpeace.ch/magazine

Mots fléchés écolos Vous trouverez la solution à la fin du mois de janvier sur: www.greenpeace.ch/magazine

Votre opinion

Dialogueurs directs

Nos collaborateurssont dans la rue pour vous

Depuis quelque temps, Greenpeace envoie ses pro­pres collaborateurs dans la rue pour prospecter de nouveaux adhérents – un mandat qui, auparavant, était confié à une agence externe. Nous nous som­mes décidés à nous en charger nous­mêmes, afin de pouvoir informer le public de manière encore plus compétente et plus détaillée de notre travail. Nos propres «dialogueurs», comme nous les appelons, doivent aussi servir d’antennes de contact, dispo­nibles en permanence pour nos adhérents.Vous avez changé d’adresse? Vous aimeriez com­mander notre bulletin électronique? Vous avez une question ou une suggestion? Nos collaborateurs se réjouiront que vous les abordiez et vous aideront à tout moment avec professionnalisme et amabilité.

Conseil de lecture

Glaciers, passé-présent du Rhône au Mont-Blancde H. Dumoulin, A. Zryd, N. Crispini

Cet ouvrage est constitué de 120 comparaisons de glaciers passé­présent, commentées par un glacio­logue. Agrémenté de 230 photographies, gravures et peintures accompagnées de textes historiques et littéraires, il vous fera voyager dans le temps et mieux comprendre notre fascination pour les glaciers. Une référence en la matière.

Greenpeace vous offre le livre présenté à la rubrique «Conseil de lecture» ci-contre.

Envoyez la bonne réponse d’ici au 20 janvier 2011 à [email protected] ou à l’adresse postale de la rédaction.

Greenpeace/Ex-Press/Grasser

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Texte Muriel Bonnardin

Le nouveau Rainbow Warrior III innove en proposant de nouvelles normes en matière d’écologie et apporte à Greenpeace des avantages décisifs pour ses campagnes. Il est actuellement en construction. Toutefois, sur les 30 millions requis pour sa construc­tion, il manque aujourd’hui encore 18 mil­lions. Apportez votre contribution au Rain­bow Warrior III et écrivez l’histoire avec nous. Vous pouvez nous soutenir de différentes manières.

A partir de 5 francs: faites un don en ligne

Sur notre site web, nous vous donnons le prix de certaines pièces du bateau. Une ancre, par exem­ple, coûte 12 000 francs; un zodiac, 100 000; une voile, 220 000 francs. Vous pouvez faire un don ciblé pour une pièce particulière – à partir de 5 francs. Comme le dit le proverbe, «Les petits ruis­seaux font les grandes rivières» et de nombreux petits dons peuvent constituer au total une belle somme. Encouragez vos amis et connaissances à participer, afin qu’un plus grand nombre de dons – petits ou grands – soient faits. Vous pouvez vérifier l’état actuel des dons et regarder un film impres­sionnant sur l’histoire du Rainbow Warrior sur le site www.greenpeace.ch/rw3.

A partir de 2500 francs: dons liés à des projets

Chaque don compte. Des sommes plus importan­tes nous aident toutefois à assurer plus rapidement le financement de nos projets. Dans le cas du Rain­bow Warrior III, vous pouvez verser des dons liés à des projets à partir de 2500 francs.* En guise de reconnaissance pour des dons plus élevés – su­périeurs à 10 000 francs –, vous aurez la possibi­lité de faire personnellement la connaissance des responsables de projet. A partir de 50 000 francs, vous pourrez participer au voyage inaugural, et à partir de 100 000 francs, il vous sera possible de baptiser une partie du bateau à votre nom.Nous sommes parfaitement conscients que des montants de cet ordre sont quelque chose de tout

à fait exceptionnel – et donc, nous nous tenons à votre entière disposition pour un entretien per­sonnel avec vous. Les personnes intéressées peu­vent s’adresser directement à Muriel Bonnardin Wethmar: tél. 044 447 41 64 [email protected].

*Conformément au règlement concernant les dons, Greenpeace n’accepte des dons liés à des projets qu’à partir de 10 000 francs. Mais comme nous avons urgemment besoin de moyens finan­ciers pour la construction du Rainbow Warrior III, cette limite a été levée jusqu’au 31 décembre 2010.

Muriel Bonnardin est responsable de la recher-che de fonds auprès des grands donateurs chez Greenpeace Suisse.

Adhérents / Informations internes

Ecrivez une page d’histoire avec nous!

iPhone­App: animation en 3D du Rain­bow Warrior III avec guide des poissons

Avec le nouvel iPhone­App de Greenpeace, vous saurez à tout moment quel poisson vous pouvez acheter et lesquels vous devez défini­tivement rayer dans vos menus. De plus, vous pourrez afficher un modèle en trois dimen­sions du nouveau Rainbow Warrior III. At­tention: pour cela, vous avez besoin du logo du Rainbow Warrior, reproduit ici.

Décharger l’installation App sur:www.greenpeace.ch/app

Dykstra & Partners

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Jean Ziegler: «Soumettre l’eau potable à la loi du profit est une catastrophe»

Personnel

Texte Nicolas de Roten Photo Keystone/Trezzini

Actuel membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Jean Ziegler connaît bien la problé­matique de l’eau dans le monde. Il s’engage avec vigueur en faveur du droit humain à l’eau potable.

Jean Ziegler, vous avez publié, début 2010, un nou-veau livre intitulé La Haine de l’Occident. Croyez-vous toujours que l’Occident ne pense qu’à sou-mettre le reste du monde à sa domination?

Nous vivons sous un ordre cannibale du monde. Les oligarchies du capital financier mon­dialisé dominent la planète. Cet ordre procure de fabuleuses richesses, un pouvoir politique, idéo­logique, militaire, économique indécent à une mince classe dirigeante mondialisée et une misère effroyable à une multitude.

En 2009, 36 millions de personnes sont mor­tes de faim ou de maladies dues aux carences en micronutriments. Toutes les cinq secondes, un en­fant de moins de dix ans meurt de faim. La faim est la principale cause de mort sur notre planète. Le World Food Report de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agricul­ture), qui donne le chiffre des victimes, dit égale­ment que l’agriculture mondiale, dans l’état ac­tuel de son développement, pourrait nourrir sans problèmes 12 milliards d’êtres humains. Nous ne sommes pourtant que 6,8 milliards sur terre. Il n’existe aucune fatalité. Un enfant qui meurt de faim est assassiné.

En juillet dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu l’accès à une eau potable propre et de qualité comme un droit de l’homme. N’est-ce pas là le signe d’une évolution positive?

Cette résolution va dans la bonne direction. Mais elle ne comporte malheureusement aucun mécanisme de sanction.

Or aujourd’hui sur la planète, un homme sur

trois est réduit à boire de l’eau polluée et 9000 en­fants de moins de dix ans meurent chaque jour de l’ingestion d’une eau impropre à la consommation. La diarrhée tue 2,2 millions de personnes chaque année, surtout des enfants et des nourrissons – elle n’est d’ailleurs qu’une des nombreuses maladies transmises par l’eau de mauvaise qualité. Selon l’OMS (Organisation mondiale de la Santé), dans les pays en développement, jusqu’à 80% des ma­ladies et plus d’un tiers des décès sont imputables à la consommation d’une eau contaminée.

Certains Etats ont tout de même tenté d’empêcher la votation. Comment l’expliquez-vous?

Le vrai combat a lieu dans deux arènes diffé­rentes: d’une part au sein du Conseil des droits de

l’homme, d’autre part au sein de l’OMC (Organi­sation mondiale du commerce).

Une majorité des 47 Etats membres du Conseil reconnaissent l’existence du droit humain à l’eau potable. Pour faire face à l’opposition de certains Etats industriels puissants du Nord, un nouveau mandat a été créé: celui d’un Rapporteur spécial sur le droit à l’eau. A l’OMC, par contre, qui est totalement dominée par les intérêts des sociétés transcontinentales privées, la situation est som­bre. L’OMC ne reconnaît en effet pas l’eau comme un bien public. Elle la considère comme un bien privé.

L’acceptation d’une telle résolution irrite donc bon nombre de sociétés privées…

Peter Brabeck, président de Nestlé, résume ainsi l’argument des multinationales: «L’eau est de plus en plus rare. Pour la préserver, il faut donc

lui imposer un prix». En clair: il faut privatiser l’eau. Or soumettre l’eau potable à la loi du profit est une catastrophe pour des centaines de millions d’êtres humains.

Dans mon livre, je décris les révoltes de l’eau à Cochabamba, El Alto, Manille, Lima où des so­ciétés multinationales ont contrôlé l’approvision­nement en eau potable à des prix que les pauvres ne pouvaient tout simplement plus payer. Résultat: les pauvres étaient renvoyés aux rigoles boueuses, aux fleuves pollués. Le choléra, la mort par diar­rhée sanglante en étaient les conséquences.

Comment imposer aux maîtres du monde le respect du droit humain à l’eau? Il faut rendre jus­ticiable par une convention internationale le droit humain à l’eau potable.

L’accès universel à une eau potable propre et de qualité: pour Jean Ziegler, réalité ou utopie?

La mobilisation de l’opinion publique démo­cratique dans les pays industrialisés et notre soli­darité active avec les mouvements sociaux luttant pour le droit humain à une eau potable propre et de qualité dans les pays du Sud constituent l’es­poir de ceux qui sont livrés sans défense aux trusts multinationaux de l’eau potable.

Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation (2000 – 2008) et membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, est l’auteur de nombreux ouvrages, dont La Haine de l’Occi-dent (Ed. Le Livre de Poche, 2010)

Nicolas de Roten est porte-parole de Greenpeace Suisse.

«Il faut rendre justiciable par une convention internationale le

droit humain à l’eau potable.»