Greenpeace Magazine 2011/02

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GREENPEACE MEMBER 2011, Nº 2 DOSSI ER: Le tournant énergétique p. 10 Du coton «bio» d’Inde et d’Afrique p. 40 La production de soja détruit les forêts humides p. 44 Année des forêts p. 28, 38, 54 Rainbow Warrior III: première expédition en vue p. 48

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g r e e n p e ac e M e M B e r 2 0 1 1 , nº 2

DOSSIER: Le tournant énergétique p. 10Du coton «bio» d’Inde et d’Afrique p. 40La production de soja détruit les forêts humides p. 44Année des forêts p. 28, 38, 54

— Rainbow Warrior III: première expédition en vue p. 48

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Editorial — Une nouvelle ère vient de s’ouvrir après Fukushima. Le monde est en train de se transformer depuis ce «Ground Zero» du nucléaire. Au moment de la clôture de la rédaction, à la mi-avril, nous assistons à une redécou-verte de l’écologie. Nous souhaitons que cet élan soit durable. Aussi avons-nous décidé de rajeunir notre magazine. Vous tenez dans vos mains le premier numéro de cette nouvelle ère.

Même sans la catastrophe au Japon, la protection de l’environnement est en pleine mutation et la Suisse, jadis pionnière, n’échappe pas à ce mouvement. Les idées écologi-ques se propagent rapidement. Elles forment désormais un thème majeur de la publicité, si sensible aux tendances. Mais les magazines qui accordent une place toujours plus impor-tante à un mode de vie durable sont-ils véritablement écolos? Notre magazine le reste – et sans publicité.

La communication connaît elle aussi de profonds boule-versements. Notamment sur Internet. Greenpeace utilise d’ailleurs tous les canaux numérique pour informer, inspirer, mobiliser. Mais nous constatons aussi un besoin de distance et de réflexion. Les gens ont envie d’un magazine qu’ils pourront conserver et consulter, un magazine ouvert à des idées et des perspectives différentes. C’est pourquoi nous devons accorder plus de place à la controverse. Dans le présent numéro, l’économie tient une place importante. Nous don-nons la parole à des gens qui veulent gagner de l’argent avec la protection de l’environnement, comme Urs Studer, qui a développé une technologie de récupération de la chaleur à partir des eaux usées. Mais nous nous interrogeons aussi avec Susan Boos sur la notion de responsabilité.

La précédente grande catastrophe – la marée noire pro-voquée par l’explosion de la plateforme pétrolière «Deepwater Horizon» – avait mis en évidence la tension entre l’économie et l’écologie. L’ensemble du débat sur le climat souffre de cet antagonisme. Les répercussions de Fukushima sont diffé-rentes: les fronts se fissurent et, contrairement à Tchernobyl il y a 25 ans, les chercheurs et les milieux économiques acceptent enfin de proposer des voies possibles pour un avenir renouvelable.

Nous nous réjouissons de pouvoir vous présenter, à ce moment décisif, un nouveau magazine et de contribuer à une réflexion constructive, ouverte et indépendante. De nou-veaux auteurs nous ont rejoints et les graphistes de l’agence Hubertus ont su donner une forme intéressante à nos contenus. Nous espérons que des idées – et non des catastro-phes – détermineront le sommaire des prochains numéros.

La rédaction

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Magazine GreenpeaceNº 2 — 2011

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EEn action GREENPEACE POURSUIT SA LUTTE 2 À TRAVERS LE MONDE

Dossier: Le tournant énergétique SURVEILLANCE NUCLéAIRE – 10 UNE INDULGENCE PROGRAMMéE Un essai de Susan Boos décrit comment l’autorité de surveillance nucléaire gère sa responsabilité

PIONNIERS DE L’ENVIRONNEMENT 13 De l’idée au produit: trois entrepreneurs tournés vers l’avenir au service de l’efficacité énergétique

LE COURANT VERT EST GAGNANT 18Mais à condition que les règles soient les mêmes pour tous les producteurs

UNE TROISIÈME CHANCE 21 POUR LA SUISSEKaspar Schuler, responsable de campagne, évoque deux occasions manquées de sortir du nucléaire

Interview HOHMANN, PRODUCTEUR DE COTON BIO: 40 L’éTHIQUE ET LE BUSINESS NE SE CONTREDISENT PAS

RW III UN BATEAU COMME ON N’EN A jAMAIS VU 48

2011 – Année des forêtsLES ARBRES ET NOUS 28 LORENZO PELLEGRINI – UNE VIE AVEC LA FORÊT 38 GREENPEACE MET FIN AU DEBOISEMENT EN FINLANDE 54

Essai photographique POISON LIQUIDE EN CHINE 33

Agriculture«DU HAGU-HANS DU BRéSIL, CE SER AIT QUAND MÊME ABSURDE» 44

Carte 24Brèves 56Interview avec la «femme solaire» 62Mots fléchés écolos 64

IMPRESSUMGREENPEACE MEMBER 2/2011

Éditeur/adresse de la rédactionGreenpeace SuisseHeinrichstrasse 147, case postale, 8031 ZurichTéléphone 044 447 41 41 / téléfax 044 447 41 99www.greenpeace.ch — CP 80-6222-8

Équipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Matthias Wyssmann, Jonas Scheu, Roland Falk, Marc Ruegger Traduction en français: Nicole Viaud et Karin VogtMaquette: Hubertus DesignImpression: Swissprinters, Saint-GallPapier couverture: Rebello recycling mat 150 gm2

Papier intérieur: Ultralux semigloss UWS 70 gm2

Tirage: 128 500 en allemand, 22 000 en françaisParution: quatre fois par année

Le magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation annuelle à partir de CHF 72.–). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace.

Photo de couverture: © Oliver Tjaden / Greenpeace

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Site contaminé Arrêter le désastre environnementalDes militants Greenpeace déploient une banderole géante pour demander la fermeture de la centrale au charbon du port de Bridgeport (USA), qui rejette un million de tonnes de dioxyde de carbone par année.

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Commémoration de Tchernobyl Un spectacle poignantAvant le 25e anniversaire de Tchernobyl, des militants Greenpeace brésiliens simulent une catastrophe nucléaire et demandent à la Banque nationale de développement économique et social d’arrêter de financer des centrales nucléaires.

P H O T O : I VO G O N Z A L E Z / G R E E N P E AC E

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Prouesse risquée Éclaboussures garantiesSur une mer agitée, un militant Greenpeace s’accroche à la chaîne de mouillage d’un navire de pêche taïwanais. Il demande ainsi aux autorités de sanctionner les entre­prises qui enfreignent les dispositions relatives à la pêche.

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Pouvoir étatique Résistance pacifiqueMalgré une forte présence policière, des militants Greenpeace s’enchaînent aux rails pour empêcher le passage d’un convoi «Castor» de 1100 tonnes de matériel radioactif entre La Hague (F) et Gorleben (D).

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Hans Wanner était inconnu du grand public. Mais le 11 mars, la terre tremble au Japon, un tsu-nami déferle sur Fukushima et la centrale nucléaire échappe à tout contrôle. Wanner est le directeur de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN). L’ancienne «Division principale de la sécurité des installations nucléaires» (DSN) est un peu la police du nucléaire suisse. Hans Wanner porte à ce titre une responsabilité dont il préfère éluder les conséquences derniè-res. La Suisse n’est pas Fukushima, une catastro-phe nucléaire est impossible dans notre pays, déclare-t-il à qui veut l’entendre. Il doit en être convaincu, car il devrait autrement imaginer les conséquences d’une catastrophe à Mühleberg qui exigerait d’évacuer la ville de Berne.

Ces dernières années, personne ne s’inté-ressait vraiment à l’IFSN. Le débat public portait surtout sur les projets de nouveaux réacteurs. Les vieilles centrales encore en activité étaient presque oubliées. L’IFSN est chargée de les surveiller, mais elle ne remplit pas sa fonction de police. Placide, elle intervient ici ou là pour rappeler l’une ou l’autre obligation, affichant une patience à toute épreuve.

C’est visiblement ce qui se passait au Japon. On sait désormais que, peu avant la catastrophe de Fukushima, l’opérateur Tepco soumettait encore des dossiers falsifiés à l’autorité de sur-veillance du nucléaire. Il avait omis de procéder à des tests importants concernant les généra-trices et les pompes de secours. En guise de réac-tion, l’autorité de surveillance avait demandé à Tepco de déposer un nouveau rapport d’ici au mois de juin. Une patience qui s’est avérée fatale.

La centrale de Fukushima est de même type que celle de Mühleberg et presque aussi vieille. Au tsunami japonais pourrait correspon-dre en Suisse le lac de Wohlen. Une rupture du barrage suite à un tremblement de terre pourrait transformer ce lac en gigantesque vague venant submerger la centrale. Mühleberg présente en outre des fissures sur le manteau du cœur.

Fukushima aussi avait connu ce problème, mais les parties défectueuses avaient été remplacées.

Hans Wanner est mal à l’aise lorsqu’il tente d’expliquer pourquoi Mühleberg est toujours en service. Il déclare: «Il faut un danger aigu pour justifier un arrêt immédiat.» C’est sans doute ce que pensait aussi l’autorité de surveillance japonaise à propos de Fukushima. Mais lorsque le danger aigu est là, il est déjà trop tard.

L’IFSN recense une longue liste de défauts, et pas seulement à Mühleberg. Régulièrement, elle accorde de généreux délais aux opérateurs. L’exemple de Mühleberg est parlant, même si la situation n’est probablement pas meilleure à Beznau. Mais pour Mühleberg, une poignée de personnes s’opposent depuis des années à l’exploitation de cette centrale vétuste, accumu-lant un savoir impressionnant sur le sujet.

Peu avant Noël 2009, les opposants à Mühleberg apprennent avec stupeur la décision du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communica-tion (DETEC) d’accorder une «autorisation d’exploitation illimitée» à Mühleberg. L’associa-tion «Fokus Anti-Atom» déclare alors: «En cas de fort séisme, le circuit de refroidissement pourrait se rompre et le manteau du cœur se fendre, dégageant les barres de combustibles et provoquant une fusion du cœur.» Le texte pour-suit: «Nous aurions une catastrophe nucléaire que personne ne veut imaginer. Jusqu’à trois millions de personnes devraient être déplacées.» Il y a un an, nombreux étaient ceux qui esti-maient un tel scénario largement exagéré. Aujourd’hui, le grand public prend conscience de la menace nucléaire.

L’Inspection fédérale de la sécurité nuclé-aire le savait depuis longtemps. En 2007, elle écri-vait: «Le modèle du dispositif des tirants d’ancrage prévu pour la centrale nucléaire de Mühleberg dans le cadre des preuves à apporter pour une exploitation de longue durée ne peut pas être reconnu par la DSN comme une répa-

SURVEILLANCE NUCLéAIRE – UNE INDULGENCE PROGRAMMéE

Par Susan Boos

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ration définitive du manteau du cœur.» L’autorité précise: «La centrale nucléaire de Mühleberg est tenue de présenter à la DSN un nouveau modèle de réparation du manteau fissuré du cœur d’ici au 31 décembre 2010.»

L’IFSN n’a toujours rien entrepris à ce jour, alors qu’elle sait depuis quatre ans que la sécurité de la centrale n’est pas garantie. Elle a en revan-che déclaré secrète une expertise qu’elle avait elle-même commandée en Allemagne à ce sujet. Les opposants à Mühleberg ont dû faire appel à la justice pour y avoir accès. Mais les juges leur ont interdit de citer le texte.

Les grandes lignes de l’expertise ont pour-tant filtré. Les experts jugent problématiques les fissures et les tirants d’ancrage censés réparer le manteau du cœur. L’institut «Ökoinstitut Darmstadt» a eu accès à l’expertise et constate: «En conclusion, nous ne comprenons pas pourquoi la DSN/IFSN continue d’autoriser l’exploitation de la centrale de Mühleberg malgré le jugement clairement négatif du TÜV sur le dispositif des tirants d’ancrage.» L’IFSN ignore donc l’expertise en sa possession pour éviter d’avoir à arrêter la centrale.

Le DETEC pourrait intervenir, mais il se défausse régulièrement de sa responsabilité sur l’IFSN. Or celle-ci n’a jamais engagé de démar-ches sérieuses. Comment pourrait-elle justifier un soudain changement de cap? Comment aurait-elle le courage d’ordonner aux exploitants d’arrêter la centrale et de la sécuriser avant d’en poursuivre l’exploitation? Tout agent de police le ferait dans le cas d’un vélo aux freins défectueux. Mais dans le monde du nucléaire, l’indulgence règne. Le «danger aigu» n’étant pas à l’ordre du jour, les différentes instances ne cessent de se renvoyer la responsabilité.

Les exploitants des centrales et les respon-sables de la DSN/IFSN se côtoient depuis long-temps. On se connaît et on se fait confiance. Des représentants de la DSN siégeaient autrefois au Forum nucléaire suisse, le lobby du nucléaire. Depuis que la liste des membres est publique, l’IFSN n’y est plus officiellement représentée. Mais le problème n’est pas résolu. La direction de l’IFSN est recrutée par le conseil de l’IFSN, lequel est placé sous la présidence de Peter Huf-schmied, un homme d’affaires qui a des relations commerciales avec les Forces motrices bernoi-ses FMB. Sa «Maison tropicale» de Frutigen, un «espace découverte» situé dans l’Oberland

bernois, a été sponsorisée par la Nagra, la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs. Or, FMB est l’exploitant de la centrale de Mühleberg et la Nagra est également soumise à la surveillance de l’IFSN. En outre, le conseil de l’IFSN compte parmi ses membres un certain Horst-Michael Prasser, dont la chaire à l’université de Zurich est financée par les exploitants des centrales nucléaires.

Tout cela est illégal, car la loi sur l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire dit clairement: «Les membres du conseil de l’IFSN ne sont pas autorisés à exercer une activité commerciale ni à occuper une fonction fédérale ou cantonale pouvant porter préjudice à leur indépendance.»

Le Conseil fédéral devrait intervenir. En fait, il n’aurait jamais dû engager ces personnes, car c’est lui qui élit les membres du conseil de l’IFSN. On entrevoit le fond du problème: Doris Leuthard, actuelle responsable du DETEC, était auparavant membre du Forum nucléaire et passe pour une fidèle adepte du nucléaire. Le lobby nucléaire est aussi très présent au Par-lement: 98 parlementaires sur 246 sont membres de l’AVES, qui milite en faveur de l’industrie nucléaire. Economiesuisse joue également un rôle de premier plan: Urs Rellstab, jusqu’à récem-ment responsable de la campagne énergie auprès de la fédération des entreprises, a rejoint l’agence de relations publiques Burson-Marsteller. Celle-ci abrite le secrétariat du Forum nucléaire et mène à coup de millions une campagne de promotion du nucléaire. Au comité d’Economie-suisse, on trouve Kurt Rohrbach, directeur des FMB (centrale de Mühleberg) et Heinz Karrer, directeur d’Axpo (centrales de Beznau I/II). Voilà les coteries et mécanismes de pouvoir auxquels devrait se confronter l’IFSN, si toutefois elle en avait le courage.

Que faire? En Allemagne, la surveillance nucléaire est moins centralisée. Les autorités confient les expertises à des organismes indépen-dants et concurrents. Résultat: des expertises mieux faites, plus claires et plus incisives. Et sur-tout: moins de manigances, un débat plus ouvert, davantage de sécurité. Il en résulte aussi un mouvement anti-nucléaire informé, fort et efficace.Susan Boos est rédactrice WOZ, Die Wochenzeitung

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L’innovation se joue à la périphérie

L’approvisionnement énergétique de l’avenir ne sera pas seulement renouvelable; il sera aussi décentralisé. L’électricité et la chaleur doivent être produites là où elles sont consommées. Des dizaines de milliers de toits solaires au lieu d’une grande centrale! qu’il s’agisse de nouvelles technologies utilisant la chaleur résiduelle dans les canalisations ou la force d’écoulement de nos ruisseaux, un rapide coup d’œil au pays des pionniers de l’énergie le montre: la véritable inno­vation mise sur le consommateur final et sur des groupes de taille modeste, par exemple des entreprises ou des coopératives immobilières, à la rigueur des communes ou des réseaux régio­naux. Le potentiel économique et écologique déploiera ses effets lorsque ces découvertes géniales et ces initiatives locales seront appliquées sur une plus large échelle. D’innombrables PME et autres bricoleurs l’espèrent.

Mais les investisseurs sont frileux. L’argent afflue sans problème vers les gigantesques projets énergétiques riches en innovations juteuses — lisez notre article à ce sujet à la page 18. Les géants de l’énergie restent fidèles à leur modèle com­mercial et contrôlent les grandes lignes de l’appro­visionnement, les fameuses «autoroutes de l’énergie». Ils engrangent des gains considérables sur les formidables quantités d’énergie qui tran­sitent d’un pays à l’autre, au prix le plus élevé. Les approches décentralisées ne font pas leur affaire.

Autrement dit, la Suisse a perdu sa position de pionnière dans les écotechnologies. Dans le grand jeu de l’énergie, notre pays préfère jouer la carte des grandes centrales et des usines de pompage, au risque de se provincialiser en matiè­re d’énergies renouvelables. La véritable inno­vation se joue pourtant à la périphérie. Or, le char­me discret de la province a aussi ses avantages. Mais il est désormais temps de donner de l’argent aux bricoleurs — nous vous en présentons quel­ques­uns dans ce numéro — afin qu’ils puissent vraiment donner forme à leurs projets.

Il n’y a probablement rien à attendre des grands bailleurs de fonds classiques. Mais on est en droit d’espérer que de nombreux petits investisseurs d’un nouveau genre montreront la voie. Comme chacun sait, les dinosaures ont été remplacés par des espèces plus petites et plus agiles. ­red

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ENTREPRENEURS À LA POINTE DE L’INNOVATION

Par Therese MartyPhotos de Nicolas Fojtu

Maintenir une réflexion permanente. Avancer pas à pas. Ne pas perdre espoir. Voilà la devise de trois hom­mes qui consacrent beau­coup de temps, d’efforts et d’argent à l’efficacité éner­gétique. Greenpeace a vou­lu connaître le chemine­ment ardu qui mène d’une idée à un produit.

Visite d’une conduite d’eau usée dans le quartier de Wülflingen à Winterthour. Les canalisations sont sales et étroites; pourtant les visiteurs ne manquent pas. Ils s’intéressent au système de récupération de la chaleur de l’eau usée, dont la température s’élève à 25 degrés en moyenne. Des échangeurs thermiques transforment en source d’énergie les eaux usées des bâtiments voisins. Un procédé écologique et efficace per-met d’extraire la chaleur et de la rediriger vers les habitations. C’est en 1996, à Zurich, que les pre-miers échangeurs thermiques ont été installés dans des canalisations. Aujourd’hui, 42 installa-tions de ce type sont en service, et 300 autres sont à l’étude dans 18 pays d’Europe, aux USA et en Asie. C’est la percée du système baptisé Rabtherm, adapté aux constructions industriel-les ou résidentielles de plus de seize apparte-ments. Une technologie probante à la fois sur le plan économique et écologique.

Le développement de ce système ne s’est pas fait en un jour. Il y a vingt ans, l’ingénieur-mé-canicien Urs Studer s’arrête devant une bouche

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d’égout de Zurich Höngg en rentrant de son tra-vail. Les vapeurs chaudes qui s’en dégagent le font réfléchir. «Il y a de vraies centrales énergéti-ques là-dessous», note ce propriétaire d’un flo-rissant bureau d’ingénieurs dans le calepin qu’il porte toujours sur lui. Une pratique qui lui per-met de consigner les idées qui lui viennent en route. Le projet de tirer profit de la chaleur rési-duelle des eaux usées ne le lâchera plus. «Quand j’ai une idée, cela veut dire que je peux aussi la mettre en œuvre», tel est son credo.

Mais la situation de départ n’est pas simple. A l’époque, le pétrole ne coûte pas cher et l’effi-cacité énergétique n’est pas à l’ordre du jour. «Les dix premières années, j’avançais peu, tout en investissant beaucoup de temps, d’énergie et d’argent», relate Studer. Il ne se plaint pas, au contraire. Son enthousiasme est contagieux. Comment tirer profit de la chaleur? Est-ce une opération rentable? Quels matériaux utiliser? A qui appartiennent les eaux usées? La clientèle sera-t-elle au rendez-vous? Autant d’aspects à méditer, discuter, calculer, éclaircir. Pour avoir plus de temps à consacrer à son projet, Studer vend son bureau d’ingénieurs. Il fait face à l’in-compréhension de ses collègues et aux difficul-tés financières. Mais son épouse le soutient: «Elle a toujours cru en moi. Sans elle, je n’y serais pas arrivé.»

Séjour instructif aux USALe succès devient réalité. Mais Studer ne se

repose pas sur ses lauriers. Il continue ses re-cherches, se remet en question. Son système Rabtherm entre-temps breveté gagne continuel-lement en qualité et en efficacité. C’est là l’effet d’une autre qualité de l’inventeur: la capacité de rechercher une aide auprès d’autrui: «Il y a tou-jours quelqu’un dont le savoir peut m’être utile.» Il ajoute qu’aujourd’hui, avec l’Internet, il est facile de rassembler le savoir-faire. Les solutions novatrices ont permis d’accroître la performance du système Rabtherm de plus de 40%. Studer découvre par exemple qu’il peut augmenter le rendement thermique de plus de 30% en empê-chant la formation du film bactérien à la surface de l’eau. Il sait aussi convaincre le plus gros producteur mondial d’acier, ArcelorMittal, de dé-velopper un acier inoxydable au coefficient de conductivité thermique amélioré de 80%. Grâce à cet effort de perfectionnement permanent, une installation est aujourd’hui rentable en deux

à cinq ans, alors que le cycle de vie de l’échan-geur thermique est de 50 ans, celui du système global de 25 ans.

Mais Studer n’est pas du genre à s’arrêter en si bon chemin. Infatigable, il parcourt le globe pour présenter son système Rabtherm et ses so-lutions innovantes, rechercher des projets, rencontrer des clients, discuter avec des produc-teurs et consulter des experts. On trouve une trace de ses activités dans l’empilement des dos-siers soigneusement triés sur son bureau. Un fanion aux couleurs des USA rappelle le séjour qu’il effectua outre-Atlantique en tant que jeune ingénieur-mécanicien avant de devenir res-ponsable du développement de l’entreprise Luwa puis d’intégrer la direction du groupe Sulzer. Il garde un excellent souvenir des Etats-Unis où il s’est senti bien et a beaucoup appris. Chef de projet de systèmes techniques pour les capsules spatiales Apollo, il était entouré de scientifiques et de pionniers. Il appréciait particulièrement qu’«on y découvrait et y réalisait en permanence quelque chose de nouveau».

De la mentalité américaine, Studer retient la théorie des trois chances offertes à tout être humain au cours de sa vie. Lui-même laisse pour-tant passer sa première opportunité: «Il y a de nombreuses années, j’ai développé un système de capsules pour machines à café. Que serait-il advenu si je n’avais pas laissé tomber?» La deuxième chance est celle qu’il saisit: le système Rabtherm est un succès. Reste la troisième chance. «Mettre en œuvre une idée nouvelle demande beaucoup d’endurance», dit-il. Les obstacles à surmonter sont nombreux, en parti-culier lorsque les projets sortent de l’ordinaire. «Mais couvrir ne serait-ce qu’une partie de nos besoins en énergie par des sources renouvela-bles représente encore un potentiel important.» A-t-il lui-même un nouveau projet? «Qui sait…», dit-il en souriant. Sans rien révéler pour l’ins-tant, il laisse cependant entendre qu’il s’agirait à nouveau d’efficacité énergétique.

Trois hommes passionnés de savoirSur un entrepôt d’usine entre les montagnes

de Flums et les Churfirsten, des voiles solaires se dressent dans le ciel comme des ailes transpa-rentes. 320 panneaux solaires mobiles sont fixés à deux câbles eux-mêmes soutenus par des pylônes de téléphérique. Ce dispositif de câble porteur est unique au monde. Mise en service le

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Hanspeter Ackermann, Roland Bartholet, Arthur Buechel (de g. à d.): Le trio qui fait avancer l’entreprise Solar Wings SA

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1er mars 2010, l’installation photovoltaïque pro-duit 90 000 kWh de courant par année et couvre les besoins de trente ménages. L’extension pré-vue pour cette année permettra même de passer à une production de 135 000 kWh.

C’est sur le site de Flumroc, fabriquant de lai-ne de roche dans la localité de Flums, que se réalise ce projet pionnier. Trois spécialistes ont inventé ce système de montage sur câble et créé l’entreprise Solar Wings SA pour développer et commercialiser leur invention: Franz Baum-gartner, professeur en énergies alternatives à la Haute école zurichoise des sciences appli-quées (ZHAW) à Winterthour; Arthur Buechel, ingénieur électricien du Liechtenstein et diplô-mé MBA; enfin Roland Bartholet, président du conseil d’administration de l’entreprise de construction mécanique Bartholet à Flums, au bénéfice d’une expérience de près de cinquante ans en construction de téléphérique.

Trois hommes qui partagent des connais-sances et une passion: la photovoltaïque. «C’est une technologie fascinante qui n’a qu’un seul inconvénient, c’est qu’elle est encore assez chère», explique Buechel. Tandis que les coûts et l’efficacité des modules solaires s’améliorent en permanence, les solutions de montage n’ont pas évolué. «Les parcs solaires utilisent donc des systèmes d’assemblage qui demandent beau-coup d’aluminium, de béton ou d’acier, ce qui fait monter les coûts». Et pour orienter les modules en fonction de la position du soleil, les systèmes utilisent de nombreuses unités motrices. «Un facteur qui augmente le coût, mais aussi le travail de maintenance.»

Buechel, Baumgartner et Bartholet parta-gent une conviction: «Dans ce domaine, la technologie et l’innovation peuvent induire un changement rapide et radical.» Après les pre-mières réunions en 2007, les travaux avancent ra pidement. Un prototype est réalisé au prin-temps 2008, suivi d’un projet pilote en Allema-gne en décembre de la même année, et enfin par l’installation de Flums qui est montée en février

2010. Mais tout ne se déroule pas comme prévu. Buechel explique: «Après la réalisation du premier projet, l’étape suivante aurait dû être la recherche d’un investisseur. Or la crise finan-cière a éclaté.» Solar Wings est donc encore en recherche de fonds pour monter l’entreprise.

Mais les trois partenaires bénéficient tout de même de certains appuis. Dans la vallée du Rhin à Saint-Gall, les gens se connaissent et s’en-traident. C’est par ce biais que se réalise l’instal-lation sur le site de logistique de Flumroc, entre-prise qui s’engage également en faveur des énergies renouvelables. Un quatrième homme entre alors en scène: Hanspeter Ackermann, directeur de Pamag Engineering, filiale de Flum-roc. Ackermann participe aux travaux de re-cherche, de calcul et de construction. Grâce à la participation d’Ackermann, c’est une installa-tion parfaitement montée, stabilisée et orientée qui produit aujourd’hui un précieux courant solaire. «Nous n’avons aucun problème et les tra-vaux d’entretien se réduisent à peu de chose», explique Ackermann.

«L’électricité devrait si possible être pro-duite là où elle sera consommée», telle est la phi losophie des trois propriétaires de Solar Wings. Leur installation photovoltaïque s’inscrit dans cette perspective. Les pionniers sont per-suadés que leur construction de câble éprouvée, robuste et facilement démontable sera couron-née de succès. «Un avantage décisif de notre dispositif, c’est qu’il permet d’affecter à d’autres usages l’espace sous les panneaux solaires», dit Buechel. Un autre atout réside dans la faible quantité de matériel nécessaire. «Nous pensons que notre système pourra être installé dans des zones résidentielles et industrielles – que ce soit sur des aires de stationnement ou d’entrepôt.» L’énergie pourra donc effectivement être pro-duite là où elle est consommée.

Contribuer à la sauvegarde de l’environne-ment, c’est pour Buechel «un sentiment magni-fique». L’énergie solaire recèle selon lui un fort potentiel. Le point décisif est de maîtriser les coûts. «Il y a beaucoup à faire, surtout sur le plan du stockage de l’énergie, qui pose encore pro-blème.» Mais ce n’est qu’une question de temps: «Les solutions intéressantes existent à l’état d’ébauche, il faut maintenant les développer. Et écouter davantage ceux qui présentent des solutions plutôt que ceux qui ne font que ressas-ser les problèmes.» Entrepreneur aguerri, il sait

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E«Les solutions intéressan­tes existent à l’état d’ébauche, il faut mainte­nant les développer»

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combien il faut lutter pour faire aboutir des idées et des produits novateurs: «Avancer pas à pas pour avancer lentement, mais sûrement.»

Hasan Isik et ses turbinesL’histoire de Hasan Isik est celle d’un inven-

teur qui attend encore la percée de son projet. D’origine turque, cet inventeur professionnel vit en Suisse orientale et a déjà déposé une série de brevets. Notamment pour une brosse à dents avec éclairage intégré ou un système d’aération des toilettes économisant 90% de l’énergie nor-malement consommée. Mais la spécialité de cet autodidacte, ce sont les turbines. Isik connaît le sujet à fond. Il explique sa dernière invention par le dessin et le geste. «C’est une turbine de production d’énergie par les cours d’eau. Elle s’adapte à diverses conditions extérieures et pré-sente un rendement comparativement élevé.» Comment fonctionne cet engin? «Au lieu d’une fixation rigide, les pales sont insérées dans la turbine de manière articulée, ce qui réduit la friction et donc la perte énergétique.» Cet hom-me de 44 ans est en mesure de décrire comment et pourquoi des éléments gonflables permet-

tront d’accroître l’efficacité de la turbine et de moduler des solutions individuelles.

«Une bonne idée», c’est ce qu’il entend cha-que fois qu’il présente son projet. Isik s’est adressé à l’EPFZ, à la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW) de Winterthour, au département de l’énergie de son canton et à d’autres services spécialisés. Il est très satisfait du soutien scientifique reçu: «Les chercheurs et les spécialistes se disent convaincus de mon invention.» Il en a déjà déposé le brevet. Mais il lui manque encore le prototype qui permettrait d’effectuer les mesures nécessaires, étape coû-teuse qu’il ne peut pas financer par lui-même.

Isik n’abandonne pas pour autant, il lutte pour la réalisation de son projet. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est venu d’Istanbul en Suisse, pays riche en cours d’eau, il y a cinq ans. Il est vrai qu’il s’attendait à moins de difficultés. Pas d’ar-gent, pas (encore) d’investisseur prêt à donner une chance à sa turbine – tout cela est un peu dé-courageant. Mais Isik ne perd pas espoir de voir son projet prendre forme. Il pose un doigt sur son front: «Vous savez, ma tête ne cesse jamais de penser – jamais!»

Urs Studer: «Mettre en œuvre une idée nouvelle demande beaucoup d’endurance»

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Les quatre tours de Hardau se dressent dans le ciel de Zurich. Bien connues des passagers des trains qui arrivent en gare de Zurich, elles forment le plus grand ensemble résidentiel de la ville. Elles en sont aussi, après l’hôpital muni-cipal de Triemli, le plus gros consommateur d’énergie. Depuis 1990, deux microcentrales pro-duisent le courant et la chaleur nécessaires. Devenues trop anciennes, le gouvernement de la ville prévoit de les remplacer par une pompe à chaleur, certes favorable au climat mais tout de même grosse consommatrice de courant.

Un cas malheureusement typique. Etendu à l’échelle de la Suisse, le système pratiqué à Hardau, qui consiste à exploiter du gaz naturel pour la production de courant et de chaleur, permettrait de produire plus d’électricité que la centrale de Leibstadt. La part de ce système de couplage chaleur-force (CCF) dans la production totale de courant est pourtant en stagnation.

Le bilan en termes d’énergie décentralisée est mitigé. Publiées en mars dernier, les statisti-ques CCF 2009 de l’Office fédéral de l’énergie indiquent que l’efficacité énergétique n’a pas progressé depuis la fin des années 1990. Seuls les incinérateurs de déchets ménagers ont produit plus de courant. Les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse) produisent environ 850 millions de kWh de plus qu’en 1990, soit la moitié de la consommation annuelle de la ville de Bâle. Cela semble beaucoup, mais la consommation nationale a progressé douze fois plus durant la même période, avec environ 10 milliards de kWh.

Après la catastrophe de Fukushima, les pro-jets de centrales nucléaires à Beznau, Mühleberg et Gösgen ont du plomb dans l’aile. Les discus-

sions politiques se déplacent vers la question des grandes centrales à gaz. Les solutions décentrali-sées sont ignorées, comme elles l’étaient déjà dans la «stratégie des quatre piliers» du Conseil fédéral. Elaborée en 2007, cette stratégie mise sur l’efficacité énergétique, les énergies renou-velables, les grandes centrales et la politique éner-gétique extérieure, ce dernier pilier recouvrant notamment l’acquisition de gaz naturel.

Les tarifs de l’électricité sont biaisés«Malgré quelques efforts de la Confédéra-

tion, les conditions-cadre ne sont pas équitables pour la rentabilité de la production de courant vert et l’efficacité énergétique», commente Andreas Appenzeller, directeur d’ADEV Energie-genossenschaft, une société pionnière du cou-rant vert, basée à Liestal. Pourtant les fonds nécessaires sont là: «l’argent n’est pas le problè-me, il y en a suffisamment.»

ADEV compte parmi les rares producteurs de courant écologique actifs à l’échelle natio nale. La coopérative a été fondée en 1985 par des plani-ficateurs en énergie et des responsables de la politique énergétique. Elle exploite des microcen-trales décentralisées en Suisse, en Allemagne et en France. Près de 15 millions de fonds propres ont été placés. La production annuelle s’élève à environ 14 millions de kWh de courant écologique, pour une valeur d’environ 4 millions de francs.

Le prix de marché est un problème pour les investisseurs, car il détermine en partie le niveau de la rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC) introduite en 2009. Lorsque le prix de l’électricité baisse, la rétribution pour le courant vert diminue elle aussi. Dans le pire des cas, l’exploitant se retrouve en déficit. «Personne n’a

À ARMES éGALES, LE COURANT VERT EST GAGNANT

Par Marc Gusewski

La législation suisse sur l’approvisionnement en électricité privilégie les monopoles électriques. Les producteurs indépendants de courant vert et les pionniers de l’énergie sont laissés à eux­mêmes. Le tournant énergétique vers la décentralisation ne semble pas encore être à l’ordre du jour.

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encore vraiment étudié cette corrélation», dé-clare Appenzeller.

Quel serait le véritable prix de marché pour l’électricité? Selon les observateurs, les tarifs actuels sont biaisés. Au cours des dix ou quinze dernières années, les consommateurs auraient amorti malgré eux de manière anticipée les investissements de la branche électrique à hau-teur de 8 ou 10 milliards de francs, notamment la centrale nucléaire de Leibstadt. Conséquence: les frais de production des géants de l’électricité sont historiquement bas. Le secteur de l’électri-cité a constitué des réserves de 15 à 20 milliards de francs, comme l’indiquent les rapports annuels des sociétés. Ces fonds permettent aux monopoles de l’énergie de financer leurs projets actuels et futurs.

Cette situation est inédite. Une même géné-ration de consommateurs finance les anciennes centrales, leur exploitation actuelle et les investissements futurs. D’ailleurs, les industriels suisses s’en plaignent; aux côtés de l’Union suisse des arts et métiers, ils luttent de longue date contre les prix excessifs de l’électricité. On ne peut pourtant pas soupçonner ces acteurs d’un excès de zèle écologique...

Les règles devraient être les mêmes pour tous. La coopérative «Greenpeace Energy», à Hambourg, a par exemple tiré profit de l’ouver-ture du marché de l’électricité allemand pour promouvoir l’énergie renouvelable et décentrali-sée. Martin Schaefer, porte-parole de la coopé-rative, précise: «Les affaires marchent bien depuis que la politique a mis tous les acteurs sur un pied d’égalité.» La société a d’ailleurs présenté une étude à la mi-avril qui montre que «l’énergie éolienne et hydraulique est déjà moins chère que le charbon et le nucléaire.»

La loi suisse sur l’approvisionnement en électricité (LApEl) de 2009 privilégie les mono-poles partiels et les grands producteurs d’élec-tricité. Les cantons accordent en effet aux opéra-teurs un accès au réseau et des concessions d’utilisation sans faire jouer la concurrence. Les propriétaires de centrales peuvent en outre répercuter sur leur clientèle les frais de base pour l’exploitation du réseau. Et la loi autorise un gonflement considérable des frais de distribution du courant, l’autorité de régulation ne pouvant intervenir que dans des cas extrêmes. Andreas Appenzeller, directeur de la coopérative ADEV de Liestal, revient sur ce point: «Notre seule chance

serait d’être soumis aux mêmes règles qu’eux.» Selon les calculs d’ADEV, l’instauration de règles équitables provoquerait un véritable envol de la production indépendante de courant vert.

Timidité face au tournant énergétiqueRolf Wüstenhagen, de l’institut d’économie

et d’écologie de la Haute école de Saint-Gall, confirme les analyses d’ADEV sur les raisons qui pénalisent les petits producteurs écologiques. Lorsque des producteurs comparent des projets de centrales, leurs estimations de rentabilité se fondent souvent sur les coûts de revient: «On oppose ainsi un courant soi-disant bon marché, issu du nucléaire et du charbon, aux énergies renouvelables réputées chères.»

Les priorités de la politique énergétique devront donc être repensées. Une étude récente indique les pistes à suivre. Intitulée «L’efficacité électrique et les énergies renouvelables: une alternative rentable aux grandes centrales», elle a été mandatée par Greenpeace, la Fondation suisse de l’énergie, le WWF, Pro Natura, les can-tons de Bâle-Ville et de Genève et les services industriels bernois EWB.

L’étude conclut que l’échec du tournant énergétique est imputable aux défaillances de la politique: «Le cœur de la stratégie de promo-tion de l’efficacité électrique et des énergies renou velables, ce serait une taxe d’incitation sur le courant qui augmenterait la compétitivité de l’efficacité et des énergies renouvelables de manière à permettre leur percée sur les marchés.»

Or, c’est justement l’écueil auquel se heur-tent, depuis des décennies, toutes les tentatives politiques d’engager un tournant énergétique. En décembre dernier, le Conseil fédéral a encore prolongé d’une année le monopole de l’élec -tricité au profit des opérateurs actuels et annoncé des prolongations ultérieures. Dans ces condi-tions, les pionniers de l’énergie et les producteurs de courant vert n’ont qu’une chance minime de s’imposer face aux prestataires traditionnels.

La banque Sarasin, spécialisée notamment dans les énergies renouvelables, constate pourtant: «En 2008, les installations de produc-tion d’électricité à base de sources renouvelables ont dépassé en nombre en Europe et aux Etats-Unis les installations traditionnelles.» A armes égales, les énergies renouvelables s’imposeraient très certainement pour la production électrique de demain.

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Actions de résistance: en janvier 1969, les protestations s’élèvent après l’accident du réacteur expérimental de Lucens, et le 2 juillet 1977 à Däniken contre la centrale nucléaire de Gösgen.

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Première chance: le 21 janvier 1969

Le premier réacteur nucléaire suisse a été mis en service dans une caverne rocheuse à Lucens, à proximité d’Yverdon. Il avait été développé et construit par un consortium local composé de représentants de l’industrie, des cantons et des communes. Après quelques heures d’exploita-tion seulement, il était hors de contrôle suite à la surchauffe d’une barre de combustible qui avait fondu. Le personnel avait été évacué et la caverne scellée durant des décennies. Le rêve du «réacteur suisse» s’était envolé. Le rapport d’enquête ne sera présenté que dix ans plus tard. Les tentatives d’explication proposées se heur-taient toutes à des contradictions insolubles.

Le réacteur à eau bouillante de Mühleberg et les réacteurs à eau pressurisée de Beznau I et II sont par la suite entrés en service, suivis par les centrales nucléaires de Gösgen en 1979 et de Leibstadt en 1984.

En septembre 1978 – il y a donc 33 ans –, quelques-uns des cerveaux les plus lucides de Suisse en matière de politique énergétique publiaient un ouvrage intitulé «Au-delà de la contrainte des faits: une contribution des organisations écologiques à la conception globale de l’énergie suisse». Les auteurs y dévelop-paient la vision très documentée d’un appro-visionnement énergétique écologique en Suisse

offrant une alternative à une consommation effrénée d’énergie: «Au lieu d’encourager la production énergétique en construisant de gran-des installations centralisées, il serait possible de promouvoir des technologies à faible consom-mation d’énergie, par exemple une isolation thermique renforcée des bâtiments. Des écono-mies d’énergie et une véritable substitution peuvent devenir les deux composantes complé-mentaires d’une stratégie globale d’utilisation rationnelle de l’énergie, les économies corres-pondant à l’aspect quantitatif et la substitution à l’aspect qualitatif de l’énergie.» Les mesures prévues pour la mise en œuvre de ce programme sont une taxe et un fonds pour l’énergie, des moyens qui devraient être «utilisés de manière ciblée pour des projets de recherche et déve-loppement dans le domaine de l’énergie, des mesures d’économies efficaces, ainsi que la pro-motion des nouvelles technologies et des éner-gies renouvelables locales.»

J’avais vingt ans quand j’ai acheté ce livre et me suis creusé les méninges devant la com-plexité de la politique énergétique. Par la suite, de telles voix prophétiques sont restées lettre morte. L’Agence internationale de l’énergie re-prochera même officiellement à la Suisse son gaspillage énergétique et son manque de contrô-le politique. Je commence alors à mieux com-prendre les tendances lourdes de la politique énergétique suisse.

UNE TROISIÈME CHANCE POUR LA SUISSE

Par Kaspar Schuler,responsable Greenpeace de la campagne

climat & énergie

Le premier accident s’est produit dans un réacteur nucléaire suisse construit de manière dilettante. Le deuxième à cause de l’économie planifiée soviétique. Le troisième au Japon, un pays hautement industrialisé. quand la Suisse optera­t­elle enfin pour un approvisionnement énergétique propre et sûr? Kaspar Schuler explique comment il a vécu cette impasse depuis 33 ans et quelles sont les exigences de Greenpeace.

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À LA RECHERCHE DU DéPÔT FINALLes sites de stockage définitif des déchets hautement radioactifs restent une illusion.

Etat de la recherche du dépôt définitif

site choisi

examen d’un site en cours ou terminé

recherche scientifique en laboratoire souterrain

pas de recherche de dépôt final

pays sans centrales nucléaires

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E USA1960 \ 58 490 \ tuf; à définirLa question du stockage dé-finitif est de facto toujours sans réponse aux USA. Après des décennies de recherche, le président Obama a sus-pendu le projet Yucca Moun-tain en 2009, préoccupé par des questions de sécurité. La commission d’experts cher-che de nouvelles solutions au problème des déchets nu-cléaires.

Finlande1977 \ 1710 \ graniteLa Finlande compte être le premier pays au monde à ouvrir un site de stockage définitif pour les déchets hautement radioactifs. La demande d’autorisation de construire à Olkiluoto de-vrait être déposée en 2012. Le début de l’enfouissement est prévu pour 2020. Mais comme en Suède, une série de questions reste en sus-pens.

Allemagne1971 \ 10 630 \ roche salineLes recherches se concen-trent sur le dôme salin de Gorleben, considéré comme le seul site possible. Mais dès le début, des doutes s’expri-ment au sujet de ce choix. Les milieux politiques espè-rent néanmoins l’ouverture d’un dépôt à partir de 2035.

a \ b \ c a mise en service du premier réacteur

commercial b barres de combustible usé en tonnes

de métal lourdc type de roche d’accueil favorisé

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1000 tonnes d’éléments de combustible usé 1 mm = 1000 tonnes

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Deuxième chance: le 26 avril 1986

Le réacteur du bloc 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Plusieurs dizaines de mil-liers de liquidateurs meurent; le nuage radioactif qui se forme en haute altitude suite à la combus-tion du graphite se déplace vers l’Europe de l’Ouest, survolant la Biélorussie qui souffre aujourd’hui encore terriblement des conséquen-ces de la catastrophe. L’Allemagne est préoccu-pée et, au bord du lac de Constance, on enfouit les récoltes de légumes. Sur l’autre rive, en Suisse, on tranquillise les gens.

En cette journée ensoleillée du 26 avril 1986, je jouais au bac à sable avec mon fils de quatre ans et son petit frère de deux ans. Aujourd’hui, je pourrais me gifler tant je m’en veux de l’avoir fait!

En matière de politique énergétique, c’est toujours l’inertie la plus totale. L’économie de l’énergie fait de la publicité pour une douzaine de nouvelles centrales de pompage-turbinage dans les Alpes suisses, sous prétexte que l’Europe a absolument besoin de la «batterie de secours» que constitue l’énergie hydraulique suisse. En réalité, il s’agit déjà à l’époque de la reconversion de l’énergie nucléaire pléthorique.

La population se laisse embobiner par le Conseil fédéral et le Parlement: en 1990, elle approuve le moratoire sur l’énergie nucléaire, mais refuse la sortie du nucléaire.

En 2003, la prolongation du moratoire sur les centrales nucléaires est également rejetée. Les grands groupes Axpo, FMB et Atel – la future Alpiq – saisissent l’occasion: dès l’été 2008, ils projettent la construction de trois nouvelles cen-trales «de remplacement», d’une puissance pourtant trois fois supérieure aux précédentes.

Troisième chance: le 11 mars 2011

Après un séisme sous-marin, la centrale nu-cléaire de Fukushima I / Daiichi est submergée par un tsunami. Le lendemain matin, alors que je téléphone aux collaborateurs de Greenpeace et parle avec ma compagne d’aller travailler le dimanche, ma petite fille de sept ans commence à écrire quelque chose sur une feuille de papier qu’elle me met sous les yeux: «PAS DE TÉLÉ-CONFÉRENCE. NE VA PAS AU BUREAU!»

Comme beaucoup d’autres enfants dans le mon-de, son appel ne sera pas entendu pendant des semaines. La situation n’était probablement pas différente en 1986, alors que Greenpeace Suisse venait de fêter son deuxième anniversaire.

L’histoire se répète. Il est donc temps de se poser les questions essentielles:

Allons-nous une fois de plus échouer dans le débat sur la politique énergétique?C’est bien possible. Ces prochains jours, lors

de la session spéciale du Parlement consacrée à ce sujet, la conseillère fédérale Doris Leuthard doit afficher clairement sa position, au nom du gouvernement. Il y a trois ans, elle m’avait rétor-qué, quelque peu excédée, que les centrales nu-cléaires suisses ne sont pas comparables à Tcher-nobyl et que la Suisse n’est pas l’Union soviétique: «Vous le savez parfaitement!» Or, Fukushima I et Mühleberg sont des centrales du même type. Le Japon et la Suisse sont deux pays hautement développés. Madame Leuthard a-t-elle tiré une leçon des récents événements? Elle fera proba-blement de la publicité pour des usines à gaz plutôt que pour des centrales nucléaires. L’essen-tiel est qu’elle continuera à militer pour de grandes centrales qui entravent les efforts en matière d’efficacité énergétique et torpillent une production énergétique décentralisée.

Après le Conseil fédéral, c’est le Parlement qui devra prendre position en juin sur quarante interventions en matière de politique nucléaire et deux motions déposées par Grunder et Schmidt qui demandent explicitement la sortie de l’énergie nucléaire. Regardez bien qui va voter quoi. Il y a des élections cet automne…

Le secteur de l’économie électrique a-t-il tiré des enseignements? Pas vraiment. Heinz Karrer, le dirigeant le

plus rusé des producteurs d’énergie nucléaire en Suisse, a semblé quelque peu déstabilisé au début de la catastrophe et s’est publiquement demandé si renoncer à une nouvelle centrale n’était pas la meilleure solution pour Axpo. Mais début avril, il nous écrivait dans un style que l’on aurait pu croire dépassé: «Compte tenu de la situation actuelle, il est trop tôt pour prendre des décisions d’une portée plus large sur le plan de la politique énergétique.»

Giovanni Leonardi, le grand patron d’Alpiq, entonne le même refrain et déclare que, person-

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nellement, il ne compte pas agir: «En décidant de suspendre la procédure relative aux demandes d’autorisation générale, la conseillère fédérale Doris Leuthard a pris la décision qui s’imposait dans les circonstances actuelles. (...) Le dernier mot reviendra au peuple suisse.»

Quant au directeur des FMB, Kurt Rohrbach, dès le 29 mars, il affirmait catégoriquement à Greenpeace que, malgré des fissures dans le manteau du réacteur, la centrale nucléaire de Mühleberg n’avait pas de problèmes sérieux: «Sur la base d’une première évaluation des évé-nements au Japon (…) aucune mesure d’urgence n’est nécessaire du point de vue actuel pour la centrale. (…) Elle est conçue pour résister aux risques qui lui sont propres et dispose d’impor-tants systèmes de sécurité.»

Le contexte économique du secteur de l’énergie a-t-il changé?De toute évidence. S’agissant du débat sur la

politique énergétique, Greenpeace Suisse a été la première, avec d’autres organisations environ-nementales, à présenter des estimations solide-ment étayées pour une sortie du nucléaire dans les 15 à 25 prochaines années. Le résultat est éloquent: grâce aux progrès technologiques, un approvisionnement électrique respectueux du climat et fondé sur les principaux piliers que sont l’énergie hydraulique, le solaire, la géothermie, la biomasse et l’éolien est possible. Notamment si, en même temps, on tire parti du potentiel d’efficacité énergétique qui est loin d’être épuisé. Nous n’avons pas besoin de grandes usines à gaz. Une sortie du nucléaire en 2035 est possible en recourant uniquement à la production intérieure. Pour une sortie plus rapide – d’ici 2025 –, nous serions obligés d’importer de l’énergie, par exemple de l’énergie éolienne. De telles impor-tations ne signifieraient pas une dépendance unilatérale, car la Suisse est et reste, grâce à ses lacs de retenue, un partenaire incontournable pour le réseau d’interconnexion européen. L’Europe dans son ensemble pourrait d’ici 2050 assurer son approvisionnement énergétique sans recourir au charbon ou à l’énergie nucléaire, ainsi que l’a calculé une étude de Greenpeace International parue au début de l’année. Ce qu’il faut au préalable, c’est une extension des réseaux électriques: au niveau régional, grâce à des réseaux de distribution d’électricité intel-ligents (smart grids), et au niveau du continent

grâce à des lignes de transmission à haute ten-sion et à courant continu.

Un tel approvisionnement énergétique véri-tablement durable avait été proposé dès 1978 par les précurseurs de la politique énergétique. Il est aujourd’hui possible de le mettre en œuvre. Comme à l’époque, les deux mesures politiques les plus importantes à cet effet sont une rede-vance incitative sur l’énergie et la promotion ciblée d’une production d’énergie renouvelable décentralisée. La Suisse connaît déjà le méca-nisme de la rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC). La redevance incitative n’a, en revanche, toujours pas été concrétisée.

En jetant un regard rétrospectif sur les quarante dernières années, il n’y a pas de raison de pavoiser. Pourtant, je mise tout sur cette troisième chance qui s’offre aujourd’hui à la Suis-se. Cela pourrait être la dernière dans un pays qui possède les plus vieilles centrales nucléaires du monde. Si une catastrophe nucléaire devait survenir à Mühleberg, ma fille n’aurait pas besoin de me tendre un papier pour exiger ma présence. Je resterai auprès d’elle.

Les priorités de Greenpeace après Fukushima

La catastrophe nucléaire de Fukushima nous conduit à intensifier et à redéfinir notre engagement en faveur de la sortie du nucléaire. Un référendum national sur la construction de nouvelles centrales nucléaires – tel qu’il était prévu pour 2013 – n’est, espérons­le, plus nécessaire.

Nous exigeons des grands groupes électriques Axpo, Alpiq et FMB qu’ils retirent définitivement leurs demandes d’autorisation générale pour deux nouvelles centrales nucléaires. Une simple sus­pension n’est pas suffisante.

Nous demandons à l’IFSN (Inspection fédérale de la sécurité nucléaire) et au Conseil fédéral de mettre immédiatement hors service la centrale de Mühleberg et de la fermer le plus rapidement possible.

Nous attendons du Conseil fédéral et du Parlement une réorientation de la politique énergé­tique suisse dès la session d’été. Contrairement à la construction de nouvelles centrales nucléaires, un approvisionnement en électricité sûr, décen­tralisé et renouvelable renforcera notre économie dans toutes les régions de Suisse.

Dès l’automne, nous ferons une tournée dans toute la Suisse pour présenter une exposition intéressante sur l’énergie.

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À LA RECHERCHE DU DéPÔT FINALLes sites de stockage définitif des déchets hautement radioactifs restent une illusion.

Russie1954 \ 13 940 \ graniteLes éléments de combusti-ble usé sont surtout stockés sur le site nucléaire de Mayak, en Sibérie. De pre-mières études pour un dépôt définitif sont conduites no-tamment sur la péninsule de Kola. La décision de créa-tion d’un laboratoire souter-rain est prévue pour 2015.

Suisse1969 \ 1440 \ argileTrois régions en bordure de la frontière allemande de-vraient être examinées d’ici à 2023, sans préjuger du ré-sultat. Indépendamment de cette procédure, le labora-toire souterrain du Mont Ter-ri procède déjà à des études sur les argiles à opalinus.IL

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Canada1962 \ 35 410 \ graniteLe Canada prépare la ferme-ture du laboratoire souter-rain de Whiteshell, à Pinawa, après des décennies de re-cherches sur le granite. Pour la création d’un dépôt final, Ottawa mise sur les commu-nes volontaires des régions consommant de l’énergie nucléaire.

Argentine1974 \ 3370 \ à définirLes éléments de combustible usé sont stockés sur les sites des centrales nucléaires.

Brésil1982 \ 420 \ à définirLes éléments de combustible usé sont stockés sur les sites des centrales nucléaires.

Mexique1989 \ 420 \ à définirLes éléments de combustible usé sont stockés sur les sites des centrales nucléaires.

a \ b \ c a mise en service du premier réacteur commercial b barres de combustible usé en tonnes de métal lourdc type de roche d’accueil favorisé

EUROPE

France1959 \ 30 990 \ argileLe laboratoire souterrain de Bure étudie l’argile comme roche d’accueil. Les projets de création d’un laboratoire souterrain de granite ont échoué du fait de la résistan-ce de la population. Bure pourrait devenir un site de stockage définitif à partir de 2025.

Grande­Bretagne1956 \ 26 320 \ à définirLe gouvernement décide en 1982 d’entreposer les déchets nucléaires pour une durée de 50 ans. Pour la recherche d’un dépôt final, Londres veut faire appel aux commu-nes volontaires. Trois d’entre elles sont disposées à né-gocier. L’Ecosse prévoit un mode de stockage particulier proche de la surface.

Ukraine1977 \ 5950 \ à définirL’Ukraine veut entreposer ses déchets pour une durée d’au moins 50 ans.

Suède1972 \ 4800 \ graniteLa Suède souhaite ouvrir un dépôt final à Forsmark «au début des années 2020». La construction devrait débuter en 2015 pour se terminer en 2070. Mais tous les aspects de la technique de stockage ne sont pas clarifiés pour l’ins-tant.

Espagne1986 \ 4550 \ roche saline, argile et graniteL’Espagne a reporté sa déci-sion sur un éventuel dépôt en couche géologique profonde, arguant de la lenteur de la recherche de sites appropriés à l’échelle internationale. Pour les décennies à venir, les déchets hautement ra-dioactifs seront entreposés dans un dépôt centralisé transitoire. Huit communes volontaires se proposent pour accueillir ce site, moyen-nant des paiements se chif-frant en millions d’euros.

Belgique1974 \ 2920 \ argileLe laboratoire souterrain de Mol s’appelle HADES (High Activity Disposal Experi-mental Site). Un site de sto-ckage définitif ne sera pas disponible avant 2080.

République tchèque1985 \ 910 \ à définirLa République tchèque veut choisir trois sites candidats pour un dépôt définitif en 2015. La mise en service est prévue pour 2065 au plus tôt. Mais Prague espère pou-voir profiter d’une solution internationale.

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République slovaque1972 \ 840 \ à définirLa Slovaquie stocke ses dé-chets nucléaires sur les sites de ses centrales. Elle a en-tamé une recherche de site de stockage définitif, mais espère une solution interna-tionale.

Hongrie1983 \ 1010 \ à définirLa Hongrie étudie actuelle-ment les formations argileu-ses aux environs de Pécs pour y installer un labora-toire souterrain. La construc-tion débutera en 2020 au plus tôt.

Bulgarie1974 \ 1740 \ à définirLa Bulgarie fait retraiter une partie de ses barres de com-bustible usé en Russie, le res-te est entreposé à titre pro-visoire. Le pays n’a pas décidé ce qu’il fera à long terme de ses déchets nucléaires.

Roumanie1996 \ 1090 \ à définirLa Roumanie dépose ses éléments de combustible usé sur les sites des centrales nucléaires. Après dix ans, ils sont transférés dans un dépôt temporaire centralisé. Des études préliminaires sont menées en vue d’un dé-pôt final.

Arménie1976 \ 300 \ à définirJusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie reprenait les déchets nucléai-res produits en Arménie. Actuellement, le combustible usé est stocké sur le site de la centrale.

Pays­Bas1969 \ 410 \ roche saline ou argileLes Pays-Bas ont reporté de cent ans la solution au pro-blème des déchets nucléaires. L’entrepôt provisoire HA-BOG, à Vlissingen, devrait servir jusqu’en 2103.

Slovénie1981 \ 240 \ à définirAucun dépôt ultime ne sera opératoire avant 2050. Paral-lèlement à ses propres re-cherches, la Slovénie espère qu’une solution internatio-nale sera mise en place.

Italie1963 \ 1070 \ à définirL’Italie a mis fin à sa produc-tion nucléaire en 1990, après la catastrophe nu-cléaire de Tchernobyl. Une reprise du nucléaire est néanmoins prévue. Les déchets sont stockés dans les centrales nucléaires arrêtées, une partie du com-bustible usé est encore en cours de retraitement à l’étranger. Les premiers pro-jets de dépôt final ont été mis en échec par les protes-tations de la population.

Lituanie1983 \ 1380 \ à définirLa Lituanie a mis hors ser-vice sa deuxième et dernière centrale nucléaire en 2009 sur demande de l’Union européenne. Le pays prévoit d’entreposer ses déchets nu-cléaires pour une durée de 50 ans.

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Japon1966 \ 21 760 \ graniteLe Japon veut ouvrir un dépôt ultime en 2035 et fait appel aux communes volontaires pour le choix du site. Le pays construit actuellement deux laboratoires souterrains à Mizunami (granite) et Horo-nobe (roche sédimentaire).

Corée du Sud1977 \ 10 730 \ à définirLa Corée du Sud entend inaugurer un entrepôt provi-soire central en 2016.

Inde1969 \ 4450 \ à définirLe pays entretient un labora-toire de recherche sur la question du stockage ultime.

Chine1991 \ 3060 \ graniteLa Chine étudie trois sites possibles de stockage défi-nitif des déchets dans le dé-sert de Gobi. La décision devrait tomber dans dix ans. Un dépôt final ne sera pas mis en service avant 2050.

Taïwan1978 \ 3210 \ à définirCet Etat insulaire revendiqué par la Chine dépose ses élé-ments de combustible usé sur les sites des centrales nucléai-res. Selon l’opérateur natio-nal, des études préliminaires sont en cours pour définir un dépôt final. Mais étant don-né la «politique d’une seule Chine» prônée par Péking, la solution d’un stockage sur le territoire de la République populaire de Chine a aussi ses partisans.

Pakistan1972 \ 190 \ à définirLes éléments de combusti-ble usé sont entreposés dans les centrales nucléaires.

Iranà partir de la fin 2011 \ 0 \ à définirLes barres de combustible usé devraient être réachemi-nées en Russie.

Kazakhstan1973 / 10 / à définirLe Kazakhstan a mis hors service sa dernière centrale nucléaire en 1999, mais prévoit la reprise du nu cléaire. Le pays étudie actuellement l’élaboration d’une loi sur le stockage définitif des déchets.

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Afrique du Sud1984 \ 530 \ à définirLes éléments de combusti-ble usé sont stockés sur les sites des centrales.

Sources: AIEA, Agence pour l’énergie nucléaire (OCDE), World Nuclear Association, autorités nationales.Calcul des quantités de déchets: Österreichisches Ökologie­Institut, sur mandat du magazine Greenpeace.

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LES ARBRES ET NOUSL’anthropologue Jeremy Narby décrit comment les forêts ont façonné

l’être humain, et réciproquement. Il explique en quoi les forêts européennes diffèrent des forêts tropicales.

Par Jeremy Narby

Jeremy Narby s’est fait connaître par une étude conduite dans les forêts d’Amazonie. Intitulée «Le Serpent cosmique» et publiée à Genève en 1995, cette étude a mis en évidence une cohérence surprenante entre la science moderne occidentale et les savoirs chamaniques ancestraux. Les deux sys-tèmes de savoir présentent une vision similaire des fondements de la vie – ce que nous appelons l’ADN ou la génétique. Jeremy Narby a vécu deux ans auprès de la population autochtone des Ashaninka pour étudier sa rela-tion aux ressources naturelles. Le travail de recherche a pris une tournure toute particulière au contact de la drogue chamanique Ayahuasca. L’en-tretien mené en mars dernier avec Jeremy Narby n’a toutefois pas porté sur les hallucinations, mais sur la forêt, puisque 2011 a été décrétée année in-ternationale des forêts par l’ONU.Jeremy Narby vit dans une vieille maison située au milieu d’un parc dont l’état révèle que son locataire n’est pas passionné par l’art du jardinage… Comparé aux paysages forestiers d’Amazonie péruvienne, l’aménagement de la verdure locale doit forcément paraître dérisoire. C’est d’ailleurs l’un des thèmes de son livre: la «maigre» biodiversité de la forêt européenne avec ses 10 000 années d’ancienneté par rapport aux forêts tropicales hu-mides vieilles d’une centaine de millions d’années.

La première fois que je me suis aventuré dans la forêt tropicale du Pérou, dans la vallée de Pichis, j’étais accompagnée de deux indiens Ashaninka. Nous suivions la trouée percée par les exploitants fores-tiers et leurs bulldozers. Jusqu’à fin de la piste.

A l’entrée de la forêt, le spectacle de ces arbres immenses me coupe le souffle. Je pense à la cathédrale de Reims, car on se croirait dans une cathédrale végétale: hauteur du plafond de cimes, fraî-cheur de l’air, acoustique particulière qui réfléchit et étouffe à la fois les bruits de la forêt… A l’époque je parlais encore de la «jungle» et m’attendais à quelque chose d’effrayant. Mais non, l’ambiance qui me happe est faite de beauté et d’hypnose. Je suis soulagé d’échapper à la chaleur et à la clarté éblouissante de l’extérieur. J’ouvre les yeux et je suis ébloui cette fois par la diversité infinie de la nature, qui me rap-pelle le foisonnement d’un tableau impressionniste. Chaque plante est unique. Comme j’allais le découvrir, je me trouve dans l’épicentre de la biodiversité. Un seul hectare abrite 330 espèces d’arbres – plus que l’ensemble du continent européen.

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Les paléontologues nous disent qu’il y a 150 millions d’années, le Jura ressemblait aux Bahamas, avec des plages de sable fin et des températures de 30 degrés. Le bon vieux temps! Le Jura se situait alors à la latitude de l’actuel Maroc, au bord de la mer, et la végétation était faite de conifères primitifs. La biosphère est en évolution perma-nente: les continents dérivent, le climat se réchauffe ou se refroidit, les espèces apparaissent et disparaissent. L’être humain était encore totalement absent du paysage.

Nous, humains, appartenons à l’ordre des primates, mammifè-res qui se sont adaptés à la vie dans les arbres. Les premiers primates connus, il y a environ 55 millions d’années, avaient la taille d’un petit écureuil. Les dinosaures avaient déjà disparu et la Terre était chaude et humide, couverte d’immenses forêts.

D’autres mammifères vivaient sur le sol, certains dangereux et de grande taille. Mais les cimes étaient le royaume des primates. Les arbres les protégeaient des dangers à terre et pourvoyaient à leur nourriture. Au fil du temps, le corps des primates s’adapte à la forêt: une colonne vertébrale verticale, longue et souple; des omoplates per-mettant une grande ouverture des bras; des membres allongés, des articulations souples et des pouces capables de rotation sur les mains; des doigts longs et sensibles, aptes à saisir les branches avec rapidité et précision; enfin des ongles à la place des griffes, ce qui améliore éga-lement la sensibilité.

Les primates ont les yeux situés sur le devant de la tête et non sur les côtés, ce qui leur permet de mieux percevoir les reliefs. Pour des animaux qui sautent de branche en branche, savoir apprécier les dis-tances est une faculté essentielle. C’est ainsi qu’est née notre vision tridimensionnelle. Un quadrupède qui se meut à terre évolue dans deux dimensions, tandis que le primate en possède trois. Vivre dans les arbres est une tâche complexe et dangereuse qui aiguise les sens et la vigilance. C’est pourquoi les primates ont des cerveaux relativement volumineux par rapport à leur taille.

Les premiers singes anthropoïdes apparaissent en Afrique il y a environ 25 millions d’années. Certains commencent à se déplacer au-dessous des branches, suspendus par les bras, le torse en position verticale. C’est le début de la marche bipède. Quelques millions d’années plus tard, l’Afrique se dessèche et les forêts humides font pla-ce à la savane. L’occasion pour certaines espèces de primates de s’aventurer sur le sol. Les débuts de la marche sur deux jambes restent mystérieux. Mais ce sont bien ces premiers pas qui nous ont séparés des arbres. Tous les primates actuels, gorilles, bonobos et autres, sont capables de se déplacer sur deux pieds.

Les grands animaux vivaient sur le sol: hyène, lion, tigre à dents de sabre. Il était donc utile pour les primates de savoir grimper aux arbres. Les premières espèces de l’Homo escaladaient encore les arbres

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que ce soit pour cueillir des fruits et du miel ou se protéger des dan-gers. Et les arbres restent importants au quotidien, notamment pour la f abrication d’armes et d’outils. Une particularité de l’humain est sa capacité de faire du feu. Le bois de la forêt nous réchauffe depuis la nuit des temps.

Il y a 200 000 ans, l’humain moderne nommé Homo sapiens sapiens coupe le cordon ombilical qui le reliait aux arbres. Il découvre de nouvelles possibilités de se nourrir et de se protéger. Mais cela ne fait que 500 ou 600 générations que nous avons commencé à rempla-cer les arbres par des cultures d’origine humaine. En passant à l’état d’agriculteurs, nous avons commencé à considérer les arbres comme des obstacles.

Il y a encore 20 000 ans, la Suisse était dépourvue de forêts. C’était l’époque de la dernière grande glaciation et certaines zones du haut plateau étaient couvertes d’une couche de glace de 300 m d’épais-seur. Les arbres étaient rares. Les zones non recouvertes de glace étaient des steppes à mammouths: froides et sèches, herbeuses et parsemées de bocages de bouleaux nains. La fonte des glaces ne com-mence en Europe qu’il y a 16 000 ans. Les arbres feuillus, qui s’étaient repliés au Proche-Orient, migrent à nouveau vers le Nord. Le ré-chauffement du climat est responsable du développement des forêts que nous connaissons actuellement. Les premières espèces à réap-paraître sont l’olivier méditerranéen et le chêne, suivis du genévrier, du saule et du bouleau. Les arbres feuillus essaiment vers le Nord, de la Méditerranée à la Scandinavie, à la vitesse d’environ 1 km par an-née. La forêt de nos contrées est donc très jeune puisqu’elle n’a pas plus de 10 000 ans.

La forêt amazonienne, en revanche, n’a pas subi de glaciation ou de traumatisme depuis au moins 65 millions d’années. L’in-croyable biodiversité de l’Amazonie s’est constituée sur une durée au moins 6000 fois plus importante que les forêts européennes. Pour véritablement comprendre la forêt, il faut donc se familiariser avec la forêt tropicale.

Il y a 10 000 ans, la jeune forêt engendre en Europe des sols pro-pices à l’agriculture et à l’élevage bovin. Les feuilles tombées se transforment en humus. Il y a 8000 ans, la forêt ressemble déjà à celle que nous connaissons aujourd’hui. Les peuples qui pratiquent l’agri-culture arrivent d’Orient il y a environ 7000 ans et commencent à dé-boiser les terrains à la hache de pierre. Le défrichement s’accélère avec l’invention de la hache de métal, il y a 4000 ans. L’impitoyable défores-tation de l’Europe se prolonge jusqu’au début du XXe siècle.

Le mot forêt provient du latin foris qui signifie «hors de», «exté-rieur» à la culture humaine. Les langues européennes séparent la sphère humaine de la nature, et notamment de la forêt. La culture est censée nous distinguer de la nature. Mais le sens premier du mot

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culture est bien la «culture du sol», comme en témoigne le terme «agriculture». Or il est impossible de cultiver le sol tant qu’il n’est pas défriché. La culture suppose donc le déboisement. Nos sociétés et nos cultures sont construites sur l’opposition aux arbres. Le mot latin désignant la forêt est d’ailleurs silva, qui dans de nombreuses langues s’apparente à la notion «sauvage».

Mais la vie est pleine de paradoxes et les êtres humains ont adoré les arbres tout en les abattant. Les arbres sont au cœur de nombreu-ses cosmologies. Il suffit de lire la Genèse, aux chapitres 2 et 3; ou de penser à l’arbre de la vie, de la connaissance du bien et du mal dans le jardin d’Eden. Ses fruits ouvrent les yeux des premiers êtres humains et leur permettent de considérer la vie du point de vue des Dieux.

Avec ses racines qui plongent dans la terre et ses branches qui s’élancent vers le ciel, l’arbre est le symbole universel de l’échange entre le ciel et la terre. L’arbre de la Terre est aussi synonyme de l’axe terrestre. Cette vision se retrouve aussi bien dans la chaîne cosmique des Celtes que dans le frêne Yggdrasil scandinave, l’olivier de l’Orient islamique et l’arbre Bodhi à l’ombre duquel Bouddha atteignit la connaissance suprême.

Les arbres perdent leurs feuilles et les réutilisent. Ils symbolisent le cycle de la vie et de la mort. Les arbres jouissent d’une longue vie. La plupart d’entre eux vivent pendant des siècles, voire plus d’un millé-naire pour certains. Par leurs pousses, ils gagnent même une forme d’immortalité. Les arbres dominent le temps qui passe.

La plupart des arbres ne sont pas solitaires mais vivent en colo-nies. Leurs bourgeons sont en revanche des plantes autonomes. Il est possible de diviser un arbre sans le faire mourir – une idée qui va à l’encontre de notre conception de l’individu. L’arbre est un orga-nisme ambivalent, à la fois individuel et collectif. Les arbres dépas-sent tous les autres êtres vivants en taille, poids et longévité, et ce sont eux qui s’approchent le plus du ciel, bien qu’ils soient enracinés dans la terre.

Nous entretenons un rapport ambivalent, fait d’amour et de hai ne, aux arbres. Nous avons récemment commencé à abattre les arbres à l’échelle continentale tout en continuant à les révérer. Ce compor tement a quelque chose du parricide ou du matricide. L’Homo sapiens a commencé par couper le cordon ombilical qui le liait aux arbres avant de couper les arbres eux-mêmes. Heureusement, il n’est pas trop tard, nous n’avons pas encore abattu tous les arbres de la planète. Les arbres ont façonné notre existence. Ils assainissent l’air que nous respirons. Sans eux, nous ne pourrions probablement pas exister. Un monde sans arbres serait un monde sans êtres humains.

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POISON LIQUIDE La Chine accélère son industrialisation sans se soucier des

conséquences. Résultat: de nombreux cours d’eau se transforment en dépotoirs insalubres.

Photos de Lu Guang

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L’eau potable devient un bien rare, en particulier en Chine et en Asie du Sud-Est. Souvent peu contrôlée, l’industrie de ces régions compromet gravement la santé des êtres humains et l’inté-grité de l’environnement. Une étude internatio-nale menée par Greenpeace met en évidence les effets désastreux de cette évolution sur les cours d’eau et leurs riverains.

En Chine, le Yangtsé est dans un état déplo-rable. 400 millions de personnes et la moitié des usines du pays sont situées à proximité du fleuve. Les polluants déversés dans le Yangtsé se retrou-vent jusqu’en Mer de Chine orientale. Les cancers se multiplient dans de nombreux villages. Un décompte non officiel identifie près de 500 «villages à cancer». Si les causes exactes de ce phénomène ne sont pas encore connues, il est fort probable qu’elles soient liées aux substances toxiques émises par les usines dont le mode de production n’est pas du tout respectueux de l’en-vironnement.

L’étude de Greenpeace met aussi en éviden-ce des cas de productions néfastes dans l’hémis-phère Nord, qui devraient faire réfléchir les sociétés du Sud. En effet, l’assainissement écolo-gique coûte souvent le centuple des profits issus d’une telle production. Et les fonds manquent

fréquemment pour mener à bien les réhabilita-tions environnementales. Le rapport conclut que pour éviter les dégradations de l’environne-ment, il faut exclure les poisons à la source c’est-à-dire les bannir de la production.L’étude «Hidden Consequences of Water Pollu­tion» (Les effets invisibles de la pollution de l’eau) est le coup d’envoi de la campagne mondiale de Greenpeace pour une eau salubre. Vous trouverez cette étude basée sur d’amples recherches sur www.greenpeace.org, photos et interviews à l’ap­pui.

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e1 Membre de la campagne Greenpeace, cette femme prélève un échantillon d’eau d’un fleuve pollué à Dadun, près de la ville de Xintang (province de Guangdong). Ce fief de l’industrie textile est fortement contaminé. Greenpeace a mis en évi dence les effets de la pollution sur les habitants.2 Dans la région de Yanglingang, les produits de la pêche sont contaminés. Les pêcheurs vivent à proximité d’une industrie lourde à assainir de toute urgence.3 Un canal près de Gurao, dans le district de Shantou, est à ce point souillé d’ordures que la vie animale en est pratiquement bannie. Une menace également pour la population des environs.4 Des écolières de Gurao rejoignent leur domicile à bicyclette. La main plaquée sur la bouche, elles n’ont pourtant aucune chance d’échapper à la pollution atmosphérique.5 L’usine de papier de Yanglingang sur le Yangtsé est un pro­blème pour les pêcheurs de la région. Leurs filets sont constam­ment obstrués de déchets.

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«A 5 ans, j’ai appris comment fabriquer du char-bon de bois pour le fer à repasser de ma mère. Plus tard, je passais jusqu’à sept mois par année dans les Abruzzes comme bûcheron. Je fabri-quais des sabots et vendais le bois de moindre qualité pour le chauf fage. Je m’étais construit une cabane, à cinq heures de marche du village le plus proche.

Je ne travaille qu’à la hache pour abattre un arbre, sans les techniques modernes. Le bois se coupe en hiver, quand la sève est basse. Et il faut attendre la bonne lune, la lune décrois-sante. Quand j’abats un arbre, je le laisse s’assé-cher dans la forêt. Si le bois devient bleu, c’est un signe de moisissure. Le bois le mieux adapté aux besoins des luthiers, on le fait sécher pen-dant une vingtaine d’années.

Depuis cinquante ans que je vis au Jura, je prends soin des forêts, j’élague les arbres quand les troncs sont trop serrés. La plupart du temps, je me promène seul, j’écoute ce que me dit la nature. Quand j’examine les écorces, les bran-chages et les racines, je sais toute de suite quand un arbre est parfait. Dans notre région du Jura, on trouve un bois au cœur très sec. L’eau est ra-re, les racines s’étendent souvent sur 100 mètres de distance pour tirer assez d’humidité dans le sol calcaire. Ce bois, qui ne doit pousser que d’une tête par an, se prête bien à la fabrication des guitares et des violons. Mais il faut veiller à choisir des troncs sans grandes ramifications.

J’ai beaucoup de respect pour les arbres. En novembre dernier, nous en avons abattu un qui avait bien 800 ans. Qu’est-ce qu’une vie hu-maine à côté de celle d’un arbre? Le temps prend une autre signification. Plus un arbre est vieux, plus sa structure devient fine. Il arrive qu’on ait besoin d’une loupe pour lire les cernes de croissance sur une souche. Il existe entre la forêt et moi une unité qui m’est indispen sable. La forêt est mon refuge, mon univers.»Retrouvez le portrait de Lorenzo Pellegrini, l’homme des forêts, dans un livre d’Anne­Lise Vullioud intitulé «Le cueilleur d’arbres» et un DVD, à commander tous deux au prix total de 79 CHF auprès de l’auteure: [email protected].

UN HOMME QUI A PRIS

RACINERécit recueilli par Sarah Chevalier

Lorenzo Pellegrini arpente les forêts de la Vallée de Joux depuis plus de 50 ans. Il connaît le bois qui se prête le mieux à la fabrication des guitares et des violons, et les arbres lui racontent bien davantage que les humains.

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«C’EST TOUTE MA VIE!»

Cet entretien avec Patrick Hohmann, fondateur de l’entreprise pionnière

du textile biologique Remei, a été conduit par Hannes Grassegger.

Un visionnaire, mais pas un rêveur: Patrick Hohmann, patron de l’entreprise Remei, passe pour un entre­preneur attaché à l’éthique, qui parvient à faire le lien entre le «bio» et le business.

C’est un «patron» à l’ancienne qui fait travailler son fils dans sa propre entreprise. Lui-même fils d’un négociant en textile, élevé en Egypte et au Soudan, il a pendant des décennies pratiqué une production textile conventionnelle. Mais en 1990, sa vie prend un tournant qui fera jaser ses collègues: il adhère aux valeurs écologiques. Et ne fait pas les choses à moitié. Depuis 2005, son entreprise ne fabrique plus que des produits biologiques. Les temps sont durs, les obstacles ne manquent pas, les escrocs non plus, les prix fluctuent. Mais Hohmann aime se battre. Dans ce secteur, il faut des valeurs, dit ce patron aujourd’hui convaincu de la participation. Il a développé une éthique d’entreprise toute particulière.

Hannes Grassegger: Dernièrement, lors de la visite de vos champs de coton «bio» en Inde, vous avez révélé que la culture du coton n’est plus une affaire rentable. Mais ayant engagé votre parole, vous vous sentez responsable. Etes-vous passé de l’homme d’affaires au visionnaire?Patrick Hohmann: Même simple homme d’affai-res, j’étais déjà visionnaire. Je voulais gagner beaucoup d’argent, faire une belle carrière. Mais la vie nous fait évoluer. On fait des rencontres, on fonde une famille. Avec l’âge, on comprend davantage. A 40 ans, je me suis dit: la manière

de produire que je connais, c’est une absurdité. J’ai vu l’industrie textile se transformer. J’ai vou-lu créer un prestataire de services utiles à tous.Combien de travailleurs compte le réseau de production lié à votre entreprise Remei?

Nous coordonnons 54 entreprises, qui occu-pent entre 80 000 et 100 000 personnes.Remei était à l’origine une entreprise conventionnelle. Comment avez-vous dé-couvert la production biologique?

Par une publicité du WWF qui présentait le coton cueilli à la main. C’était en 1990, je crois. Le dépliant parlait de la récolte à la main comme d’une bonne chose. C’est vrai d’ailleurs, car ce mode de récolte évite l’usage d’agents défoliants. Mais je me suis dit que je n’allais pas m’arrêter là.

En fait, ce n’est qu’aux USA que la cueillette à la main était inhabituelle. Au niveau mondial, 70% du coton était de toute manière récolté à la main. Visitant mes filatures en Inde peu après, j’ai interrogé mes fournisseurs sur la provenance de leur coton. Ils m’ont répondu qu’il venait de loin. Mais pourquoi ne pas produire sur place, et faire du coton biologique? Leur première réac-tion à ma question a été le rire. A l’époque il n’y avait pas encore de mouvement en faveur de la production «bio». Neuf mois plus tard, je repose ma question au responsable de la filature de Maikaal, qui me répond: «Allons-y!»Vous êtes la cheville ouvrière de l’entreprise Remei. Vous vous qualifiez vous-même de patron. Votre entreprise n’a rien de révolu-tionnaire, à première vue.

Presque tous les collaborateurs possèdent une participation (Hohmann brandit un registre d’actionnaires). Une entreprise qui émet des actions nominatives! Ai-je vraiment dit «patron»? J’ai un style de conduite assez large et j’essaie d’être un bon patron qui écoute son personnel. Je coordonne une équipe dirigeante composée de six personnes. Moi et mon fils sommes les seuls hommes dans cette équipe de direction.Un bon patron? Mais quelles sont vos va-leurs d’entrepreneur?

Je voudrais garantir la qualité, mais aussi la justice des prix. La qualité, c’est tirer le meilleur du produit. La justice des prix, c’est travailler de manière à ce que toutes les personnes impli-quées puissent se développer et recevoir la part qui leur est due – et non qu’une personne mette la main sur les bénéfices tandis que les autres ne gardent que les miettes.

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Lorsqu’on coopère avec des milliers de par-tenaires, comme je le fais, il n’est pas possible de trancher dans chaque cas particulier. Ce qu’il faut, ce sont des règles. Et c’est justement ce qui est difficile: trouver des règles et sensibiliser le personnel à leur application. C’est la clé du suc-cès. Créer une entreprise structurée autour de règles qui doivent rester vivantes, évolutives. Le bilan de l’entreprise est chaque fois l’occasion de nous demander: quel est l’effet de notre acti-vité sur les paysans?Vous vous mettez donc à la place des autres?

Oui! J’adopte la perspective du paysan, mais aussi du client final.Vous dites que votre éthique d’entrepreneur consiste aujourd’hui à être utile tant aux fournisseurs qu’aux clients, pour que Remei constitue une valeur et non seulement un coût.

Je ne crois pas qu’il y ait contradiction en-tre l’économie et l’éthique. Sans la dimension éthique, l’économie échappe à tout contrôle, tandis que l’économie éthique parvient à l’équi-libre. Trop d’éthique nuit à la rentabilité, mais trop peu d’éthique nuit à tout le reste. Trouver

un équilibre entre l’offre et la demande, voilà une activité qui construit des ponts, qui crée de la valeur. C’est ainsi que nous voulons générer les bénéfices de notre entreprise. L’utilité de notre firme pour la clientèle réside dans le fait que les partenaires sont gagnants à l’échange.Vous testez aussi des méthodes biodyna-miques. Quelle importance accordez-vous à l’anthroposophie?

L’anthroposophie m’apporte des réflexions qui favorisent la coopération transculturelle. Notamment l’idée que chacun est libre de suivre son propre univers de pensée. Et que chacun étant tourné vers l’autre, il est absurde de prati-quer une activité économique seulement pour soi-même; c’est toujours aussi pour autrui que nous travaillons. Enfin que nous sommes tous égaux devant la loi et que les règles s’appliquent à chacun. En respectant ce principe, il est possi-ble d’avoir des échanges économiques mon-diaux sans répression, sans imposition de règles. Nous proposons les méthodes biody namiques, mais nous ne les imposons pas à nos paysans.Suite à la crise que traverse le coton biologi-que depuis 2009 et à un grave problème per-

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» Patrick Hohmann avec des ouvriers agricoles indiens: La culture «bio» est une lutte sans relâche. Le génie génétique est l’illusion de la simplicité.

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Travail à la main: «Je ne peux imaginer de vivre sans lutter pour la production biologique ou pour une économie consciente de ses responsabilités socia­les. Les valeurs sont au cœur de notre action.»

Récolte de coton à Kasrawad, en Inde: «Il n’y a pas contradiction entre l’économie et l’éthique. Sans l’éthique, l’économie échappe à tout contrôle; avec, elle parvient à l’équilibre.»

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sonnel de santé, comment avez-vous eu la force de reprendre les rênes de l’entreprise?

Mais c’est toute ma vie! Je ne peux pas ima-giner de vivre sans lutter pour la production biologique ou plus généralement pour une éco-nomie consciente de ses responsabilités socia-les. Je veux réussir une production à la fois ren-table et durable. Même si cela ne semble pas toujours possible, je souhaite que les personnes qui coopèrent avec moi tirent un avantage de cette collaboration. Je constate que ce n’est pas encore gagné. Il faut poser des bases bien plus larges, associer davantage de personnes à cette démarche. Un patron à lui seul ne suffit pas. L’idée de la coopération participative doit être développée et étendue à toute la chaîne de pro-duction, du paysan jusqu’au commerce de dé-tail. Le vieux modèle de la concurrence horizon-tale est mort.Quelle est l’importance des valeurs pour un acteur de la production biologique?

Je pense que les valeurs sont au cœur de notre action.En termes de valeurs et de croyances, com-ment la critique, notamment de la part des médias, peut-elle faire avancer la production biologique?

Je ne suis pas un donneur de leçons. Et les critiques me dérangent parfois. Mais j’en tiens compte et je me dis qu’il pourrait y avoir du vrai dans ce qui se dit. La critique est une dimension importante de notre travail. Nous essayons d’en tirer profit pour améliorer notre performance. En 2010, les médias ont diffué des informations sur des produits biologiques contaminés par des organismes génétiquement modifiés. Cela nous a incités à renforcer notre système de contrôle. Et nous avons constaté que nous de-vons redoubler d’efforts pour tenir tête au génie génétique.Votre rapport annuel 2009 mentionnait déjà de sérieux problèmes dans ce domaine. La production «bio» n’avait encore jamais fait preuve d’une telle franchise. Quel avantage pour vous?

Je ne me soucie pas de ce que pensent les autres. Dire la vérité est le meilleur moyen de ne pas devoir se remémorer ses propres déclara-tions. La culture biologique n’est pas simple. Il faut lutter. Seuls les partisans du génie généti-que veulent nous faire croire que les choses sont

simples. Cela ne correspond pas à la réalité. Travailler en contact avec la réalité, c’est aussi se heurter à des résistances. Si l’on veut associer autrui à sa propre démarche, il faut dire la vérité.Mais Remei a perdu des milliers de paysans, peut-être en raison des contrôles plus poussés que vous pratiquez. Ne surestimez-vous pas le problème du génie génétique?

Non, il faut prendre la menace du génie génétique très au sérieux. C’est une culture qui repose sur la plus pure empirie. Vous avez d’abord la révolution verte; puis vous constatez qu’il y a trop de mauvaises herbes; alors vous les bombardez d’herbicides et éliminez par la même occasion les insectes utiles. Cela vous amène à asperger les plantes de pesticides pour les protéger des parasites. Or ceux-ci se sont répandus à la surface inférieure des feuilles et la prochaine étape est donc d’empoisonner la plante elle-même… Le génie génétique crée une perturbation permanente, y compris du point de vue social. Avec nous, les paysans se sont débarrassés de leurs dettes. Revenant au génie génétique, ils se retrouvent à nouveau couverts de dettes. Il faut trouver un équilibre. Cela ne passera pas par l’empoisonnement des champs. Il faut modifier nos schémas de pensée! La culture biologique instaure un rapport de force équilibré. Je suis trop vieux pour croire au génie génétique. Il y a trop de contradictions.Les efforts déployés pour les pratiques éthi-ques réduisent vos bénéfices.

L’entreprise est financièrement saine, sur-tout en regard de la situation des autres entre-prises textiles. Nos comptes sont excédentaires. Mais les profits ne sont pas la seule dimension. Il faut gagner de l’argent pour développer une action sociale. Nous voulons créer des bénéfices et nous nous donnons des objectifs dans ce domaine, mais nous voulons davantage.L’entreprise textile Remei, à Rotkreuz près de Lucerne, est un grand nom de la production textile biologique. Environ 7000 paysans d’Inde et de Tanzanie produisent du coton pour Remei, qui se conçoit comme un coordinateur. Les vêtements Remei passent par un système de production à plusieurs niveaux avant d’aboutir dans les rayons de Monoprix, Coop et Mammut. Greenpeace mise également sur l’entreprise Remei.

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«DU HAGU-HANS DU BRéSIL,

CE SERAIT QUAND MÊME ABSURDE»

Entretien réalisé par Claudio De Boni

Pour les pays producteurs, la culture de soja signifie monocultures, pesticides, érosion, pollution et concurrence à l’alimentation de la population.

Martin Aebi (35 ans) et sa femme Gudrun (30 ans) sont tous les deux issus de familles pay-sannes et ont trois enfants. Ensemble, ils élè-vent des vaches et des cochons dans les collines de l’Emmental. Dès cette année, leurs vaches vont passer au fourrage vert, car les importa-tions de soja en provenance des pays d’outre-mer sont écologiquement et socialement problé-matiques. Un changement qui s’avère toutefois assez compliqué en pratique.

Greenpeace: Martin Aebi, vous élevez seize vaches. Que mangent-elles et combien de lait donnent-elles?Martin Aebi: En été, les vaches broutent l’herbe des pâturages. En hiver, elles mangent du foin et des aliments concentrés. Une vache donne en-viron 6000 litres de lait par an, quoique la quan-tité dépende de la race. Nous aurions de la place pour dix-neuf vaches, mais nous atteignons déjà nos quotas avec seize.A l’avenir, vous souhaitez si possible nourrir vos vaches uniquement avec de l’herbe. Pourquoi?

C’est un reportage à la télévision sur les importations d’aliments concentrés en prove-nance de pays d’outre-mer qui a servi de déclic. Le soja, importé en quantités toujours plus importantes, est une composante essentielle de cette alimentation concentrée. Je savais depuis mes études au lycée agricole que cela pose

problème, mais je ne pensais pas qu’il soit possi-ble, économiquement, de renoncer aux ali-ments concentrés.Une alimentation uniquement à base d’herbe est-elle tombée en désuétude chez les paysans?

Effectivement. L’utilisation d’aliments concentrés est devenue la norme depuis quel-ques années. La plupart des paysans souhaitent avant tout obtenir des performances laitières élevées par tête. C’est ancré dans les esprits et cela complique le passage au fourrage vert. On vous regarde de travers lorsque la production moyenne par vache laitière baisse. Mon objectif est de produire le plus possible de lait par hec-tare de terrain. C’est une unité de mesure plus sensée, mais qui n’est malheureusement pas récompensée jusqu’à présent. Quels sont les plus gros obstacles à cette reconversion?

Un tel changement ne s’opère pas du jour au lendemain. Le plus difficile est le manque d’échange d’expériences. Comment peut-on ramener des vaches élevées avec une alimen-tation concentrée à un fourrage local? Il n’existe pratiquement aucune donnée fiable sur ce sujet. Par ailleurs, il est difficile d’évaluer quelles races réagissent à quel changement de fourrage et combien de lait elles vont encore donner. C’est pourtant un élément décisif, car pour nourrir une famille de paysans de cinq personnes, il faut pouvoir le calculer avec précision. Le «lait vert» devrait donc certainement coûter plus que le lait produit à partir d’aliments concentrés conventionnels. La qualité a un prix.A combien s’élèveront les pertes quanti-tatives dans la production de lait après le changement?

Nous estimons que nos vaches produiront en moyenne 20 à 25% de lait en moins. Il n’est pas sûr que nous puissions compenser cette baisse de revenus avec les économies réalisées en achat de fourrage. Car produire plus de foin signifie aussi plus de frais. L’élevage doit égale-ment être adapté, aussi bien en ce qui concerne le croisement des races que le rythme des nais-sances. Beaucoup de choses sont imprévisibles, mais après tout, nous travaillons avec la nature.Vous prenez volontairement un risque en procédant à ce changement. Le souci des conséquences écologiques et sociales de la production de soja est-il votre seul motif ?

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saines. De plus, il est prouvé que le lait du fourra-ge vert présente de meilleures valeurs nutritives que le lait produit de manière conventionnelle. Le fourrage vert est du reste judicieux: les vaches sont des ruminants et nous pouvons produire du lait avec du fourrage de notre environnement. Dans notre coopérative de fromagerie, nous fabriquons de l’Emmental et d’autres spécialités locales, par exemple de la raclette ou un fro-mage affiné et épicé qui s’appelle le hagu-hans, du nom d’un personnage du livre de Jeremias Gotthelf, Uli le fermier. Du hagu-hans du Brésil, ce serait quand même absurde!Pendant l’interview avec Martin Aebi, la vache Helga a donné naissance à son troisième veau. Les Aebi ont cherché un nom qui commence par un «H» et se sont décidés pour Hina — une suggestion de Greenpeace, car c’est ainsi que s’appelle notre rédactrice photo qui est justement en congé maternité actuellement.

La population suisse consomme trop de viande, de produits laitiers et d’œufs. Pour produire ces aliments, il faut un élevage intensif d’animaux de rente, avec à la clé une surfertilisation des sols et des eaux, une perte de biodiversité végétale et animale, ainsi que des émissions de gaz à effet de serre. La production des fourrages néces saires aux vaches, porcs et poules mobilise à l’étranger une surface quasiment équivalente à l’ensemble des terres arables suisses (275 000 hectares). Les importations de soja s’élèvent à 300 000 tonnes par année, soit 800 tonnes par jour! C’est dix fois plus qu’en 1990.

Un rapport Greenpeace identifie les raisons de la demande croissante de soja, mais aussi les pistes permettant de réduire les importations. L’expansion de la production de lait et de volaille, l’optimisation de l’affouragement, la baisse des prix à l’importation et l’interdiction des farines animales depuis 2001 sont en cause. Les incita­tions financières peuvent aussi être mention­nées, par exemple le supplément versé pour le lait trans formé en fromage ou le niveau élevé des contri butions pour garde d’animaux. Une part estimée à 41% du soja importé sert à l’affourage­ment des vaches laitières, veaux et génisses (porcs: 29%, volaille: 26%). Or, l’herbe des pâtura­ges locaux, le foin et l’ensilage d’herbe pourraient couvrir presque intégralement les besoins en alimentation bovine.

Le soja sert surtout à l’affouragement des vaches de haut rendement laitier. C’est donc l’élevage bovin qui recèle le meilleur potentiel de réduction des importations. Les animaux pour­raient retourner à une alimentation traditionnelle: l’herbe des prés et des pâturages. Une telle pratique serait bénéfique à l’environnement et respectueuse des animaux. Elle éviterait la surpro duction de lait et de viande. Autre avan­tage, le lait et la viande des bêtes nourries à l’her­be de pâturage présentent de meilleurs taux d’acides gras polyinsaturés. Greenpeace deman­de donc une production de lait et de viande adaptée aux conditions locales. Les responsables politiques doivent mettre en place les incitations néces saires pour un affouragement plus éco­logique des bovins.

Et le marché doit s’ouvrir à la promotion de ces produits. Les producteurs bio ont déjà réduit la part de fourrage concentré dans l’alimentation de leurs vaches. Le label IP­Suisse entend lui aussi introduire un lait labellisé «à l’herbe». Greenpeace salue ces initiatives et s’engage pour que l’alimentation bovine exempte de fourrages concentrés redevienne la norme.

Raport Greenpeace (all.) à télécharger sur: greenpeace.ch/soja

Les enjeux de la politique du soja

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Selon les scientifiques, la vie dans les océans a com mencé il y a environ trois milliards d’années.

La profondeur moyenne des océans est d’environ 3,7 kilomètres.

La Fosse des Mariannes est la dépres­sion sous­marine la plus profonde du monde. Son point le plus profond se trouve à plus de 11 kilomètres au­des­sous du niveau de la mer.

Le Mont Everest (8847 m) n’est pas la plus haute mon tagne du monde. Cet honneur revient au Mauna Kea à Hawaï dont la hauteur totale s’élève à 10 200 mètres si on la mesure depuis le fond de l’océan.

Les pieuvres ont trois cœurs.

La baleine bleue est le plus grand ani­mal de tous les temps et dépasse tous les dinosaures de la préhistoire. Son cœur est aussi gros qu’une Citroën 2CV.

90% des stocks de grands poissons prédateurs ont disparu.

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Il y a peut­être du vrai dans les histoires de serpents de mer: ces créatures n’étaient pas des monstres, mais des poissons très rares. La vision du régalec (Regalecus glesne), le plus grand vertébré marin pouvant mesurer jusqu’à quinze mètres de long, donna vrai­semblablement lieu à ces histoires de monstres marins.

La pression au point le plus profond de l’océan correspond à celle de cinquante jumbo­jets qui seraient superposés sur un homme allongé.

Bien que les récifs coralliens ne couvrent que 0,5% du fond des océans, plus de 90% de toutes les espèces marines dépendent directement ou indirectement d’eux.

Il y a autant de glace dans l’Antarctique que d’eau dans l’océan Atlantique.

Le terme «Arctique» vient du grec et signifie «ours».

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La maquette du Rainbow Warrior III exposée dans le hall d’accueil du chantier naval Fassmer ne passe pas inaperçue. Avec sa coque verte laquée sur laquelle se dessine le célèbre arc- en-ciel, ses cinq voiles d’un blanc immaculé et sa silhouette incomparable, elle attire le regard comme par magie: le nouveau navire de Greenpeace est d’ores et déjà une star. Le chan-tier naval a pourtant construit des bateaux nettement plus grands et plus chers, mais les vitrines qui accueillent les modèles réduits de ces bateaux sont aujourd’hui reléguées dans les couloirs de l’entreprise.

Fassmer est un chantier naval polyvalent. Il construit des ferries, des bateaux hydrographes et océanographiques, des vedettes de sauvetage, des yachts de luxe, des patrouilleurs militaires de haute mer, des frégates pour les douanes et les garde-côtes; autant de constructions complexes devant remplir des tâches spécifiques. Dans les hangars situés le long de la Weser entre Bremer-haven et Brême, on fabrique aussi des canots de sauvetage pour des cargos ou des navires de croi-sière, ainsi que des pales et des revêtements pour des installations éoliennes en pleine mer.

«Nous sommes dans les délais», déclare Uwe Lampe, l’un des chefs de projet de Fassmer, responsable de la construction du Rainbow Warrior III. «Le bateau va être mis à flot dans la deuxième moitié de juin.» Ensuite, il va devoir rester à quai en face du chantier naval pendant six semaines – une période stressante durant laquelle les ingénieurs testent les systèmes tan-dis que les ouvriers parachèvent les travaux d’aménagement. En même temps, les gigantes-ques mâts seront dressés sur le pont du bateau et on installera les voiles et leurs enrouleurs. A la mi-septembre suivra une phase d’essai de deux semaines en mer.

Pour être plus précis, ce sera la deuxième sortie en mer du Rainbow Warrior III. Le bateau a en effet déjà navigué durant deux jours en novembre dernier. La coque en acier avait alors été remorquée de Pologne jusqu’à Bremerha-ven, puis le long de la Weser jusqu’au chantier naval de Fassmer. Un voyage de quelques 600 milles marins (environ 1100 km) que le convoi a parcouru en 50 heures. Une fois terminé, le ba-teau ne sera pas tellement plus rapide. Mais le Rainbow Warrior ne pesait alors que 320 tonnes

UN BATEAU COMME ON N’ENA jAMAIS VU

LA NAISSANCE DU RAINBOw wARRIOR III

Par Thomas Jucker

La tradition veut qu’au cours d’une cérémonie, la marraine désignée brise une bouteille de champagne sur la coque du nouveau bateau. Celui­ci est ensuite mis à l’eau, avant sa première sortie en mer. Le voyage inaugural du Rainbow Warrior III a au contraire déjà eu lieu alors que le bateau était encore loin d’être achevé. Ce n’est là qu’une des nom breuses particularités de ce fascinant vaisseau amiral de Greenpeace.

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Le Rainbow Warrior III dispose de trente cabines, d’une hélisurface, d’un petit hôpital et d’une salle de tri sélectif.

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et se réduisait à un simple squelette en acier, à savoir les parties de la coque, du pont et des superstructures qui sont fabriquées en acier. Un bateau encore loin d’être terminé, seulement recouvert d’une peinture rouge de protection.

La construction de la coque au chantier na-val Maritim de Gdansk – une entreprise qui produit aussi des cargos porte-conteneurs – a duré six mois. Une machine de découpe plasma assistée par ordinateur a tout d’abord taillé des centaines de plaques d’acier de 6 à 50 mil-limètres d’épaisseur. Ces éléments ont ensuite été soudés en huit sections. Les ouvriers de construction navale ont enfin assemblé ces piè-ces préfabriquées pour former une coque comportant une quille, un pont et les éléments des superstructures.

Une année de travaux préparatoiresAu chantier naval Fassmer, les travaux

avaient déjà commencé longtemps auparavant. Le 2 juillet 2009, Gerd Leipold, alors directeur exécutif de Greenpeace International, signait le contrat de construction. Les ingénieurs s’étaient mis aussitôt au travail. Les dessins du Rainbow Warrior III, conçus par l’architecte néerlandais Gerard Dijkstra, devaient être convertis en plans informatiques nécessaires pour piloter la ma-chine de découpe plasma. Les ingénieurs ont soigneusement calculé l’épaisseur de chaque élément ainsi que la charge attendue. Ce minu-tieux travail préparatoire a duré près d’une année: chaque câble électrique, chaque con-duite d’eau, chacun des éléments de la salle des machines et du gréement ont pris forme l’un après l’autre sur des écrans. Même l’aménage-ment des trente cabines, des tables, des toilet-tes et de la cuisine a été conçu au millimètre près sur le bateau virtuel.

Le Rainbow Warrior III est un bateau com-pliqué. Peu de bateaux possèdent un héliport et doivent donc disposer d’un réservoir de 3000 litres d’essence pour l’hélicoptère. Peu de ponts accueillent une telle diversité de canots pneu-matiques pouvant être mis à l’eau en quelques instants par des grues sophistiquées. La liste des équipements spéciaux du navire est longue: un système de communication hypersophistiqué permettant d’envoyer des images aux médias du milieu de l’océan, un bureau de campagne et une salle de conférence pouvant accueillir une cinquantaine de personnes, un petit hôpital,

un gréement exceptionnel et un système de pro-pulsion électrique actionnant l’arbre de l’hélice. A cela viennent s’ajouter un espace pour stocker les bouteilles de plongée ainsi que des ateliers de réparation pour le bateau lui-même, les canots et les moteurs. Dans une salle réservée au tri sélectif, on trouve deux presses à ordures ainsi qu’un appareil à broyer les bouteilles en verre.

Le RW III, comme on l’appelle également, est par ailleurs un authentique voilier et pas seu-lement (comme ses prédécesseurs) un ancien chalutier auquel Greenpeace aurait appris à faire de la voile. Le nouveau bateau – c’est du moins ce qu’espèrent les marins de Greenpeace – accomplira les neuf dixièmes de ses voyages à la voile, le moteur servant uniquement en cas d’ac-calmie ou d’urgence. Ce sera un excellent voilier et le nom de son architecte hollandais en est la garantie, puisque le bureau Gerard Dijkstra & Partners a déjà dessiné maints voiliers célèbres.

Pour avoir toutes les propriétés d’un bon voilier, le Rainbow Warrior III a été équipé d’une quille aérodynamique qui confère à sa coque un tirant d’eau de 5,1 mètres. Celle-ci sera lestée au moyen de 44 tonnes de plomb qui maintiendront le bateau à la verticale et contrebalanceront la pression des 1290 mètres carrés de voilure.

Le plomb est depuis longtemps dans la lon-gue liste des priorités à traiter d’ici la mise à flots. Il va être hissé à la main dans la quille sous forme de barres: 1630 barres de 27 kilos chacune. C’est la raison pour laquelle la quille présente une grande ouverture béante sur l’un de ses flancs. Une fois remplie de plomb, elle sera sou-dée et son étanchéité sera contrôlée avec de l’air comprimé. Si l’on utilise du plomb dans les voi-liers, c’est à cause de sa densité, mais aussi parce que les voiliers ont besoin d’un centre de gravité aussi bas que possible, comme un culbuto. Le béton ne pourrait pas être utilisé comme lest, car il faudrait trop de place: un mètre cube de béton pèse 2,4 tonnes, tandis qu’un mètre cube d’acier fait déjà 7,9 tonnes.

En revanche, un mètre cube de plomb pèse 11,3 tonnes! Ce métal est donc privilégié comme lest, bien qu’il soit très cher. Pour une quille d’un poids de 44 tonnes, cela représente un coût de 150 000 francs. Le plomb est un métal lourd et par conséquent toxique – Greenpeace en assume le risque. Mais, au contraire du béton et d’autres matériaux de lest, il peut être retraité presque à l’infini.

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Un passeport vert pour le RW IIINous en arrivons à une autre spécialité du

Rainbow Warrior III: Greenpeace veut que son navire amiral soit le plus écologique du genre. Cela a son prix, et l’esprit d’innovation de ses constructeurs a été, une fois de plus, mis à contri-bution. Le RW III dispose de cuves pouvant recueillir jusqu’à 60 000 litres d’eaux usées qui pourront être pompées dans les ports. L’eau grise (eau de vaisselle et de douche) et l’eau noire (toi-lettes) subiront une première épuration à bord afin de pouvoir être éliminées en pleine mer en cas d’urgence. D’autres cuves peuvent conte-nir jusqu’à 2700 litres d’huiles usagées ainsi que 3500 litres d’eau provenant du fond de cale. Outre de l’eau de condensation, il s’y écoule en effet d’autres liquides.

Le bateau va recevoir un «passeport vert», en l’occurrence un passeport environnemental. C’est ainsi en tout cas que l’on dénommait jusqu’à récemment l’actuelle certification IHM (Inventory of Hazardous Materials) de la société de classification de navires Germanischer Lloyd. En pratique, cela signifie que tous les éléments du bateau sont inventoriés, la présence de neuf substances nocives pour la couche d’ozone et neuf métaux lourds étant indiquée. Ainsi, lorsque le navire sera mis à la ferraille un jour, on saura où ces matériaux se trouvent. Cet in-ventaire est un travail de Sisyphe, car, tandis que certains gaz comme le halon, nocifs pour l’ozone, peuvent aujourd’hui être aisément remplacés, des métaux lourds sont également présents dans les composants électroniques tels les transistors et les diodes. Or, de l’électronique, sur un bateau spécial de 58 mètres, il y en a presque partout.

Uwe Lampe, le discret chef de projet, soupire: «Nous avons 160 fournisseurs et nous devons exiger de chacun des listes précises des substan-ces contenues dans ses produits.»

En pénétrant dans le hangar qui accueille le Rainbow Warrior III en construction, on se sent presque écrasé par les dimensions du bateau. D’allure gigantesque, il semble occuper tout l’espace de la grande halle. Le tirant d’eau de plus de cinq mètres renforce encore cette impres-sion de monumentalité. La ligne de flottaison, qui marque le niveau au-dessus duquel le bateau émerge, se trouve actuellement à plus de six mètres de haut, la coque et la quille étant posées sur le slip de halage au moyen duquel le bateau a été transporté dans le hangar.

Le visiteur se sent petit comme une fourmi lorsqu’il grimpe d’étage en étage l’échafaudage qui entoure le bateau. Quand on arrive sur le vaste pont, les proportions sont à nouveau réta-blies. On peut y voir une solide porte en acier, capable de résister aux assauts des vagues, et des surfaces bordées d’un bastingage massif sur lequel seront plus tard arrimés les canots. Dans la cabine de pilotage, les ouvertures des fenêtres n’ont pas encore été découpées, afin que l’alu-minium ne se déforme pas lors des travaux de soudure. En jetant un coup d’œil sur le plat-bord conduisant à la proue, le caractère du navire est déjà nettement perceptible. En fermant légè-rement les yeux, on peut imaginer les immenses voiles hissées sur les mâts et pressentir la façon dont le bateau s’inclinera légèrement sous la pression du gréement de 50 mètres de haut.

Nous aurions pu rester longtemps sur ce pont, à regarder les nombreux détails et nous imprégner de l’atmosphère du chantier. Mais il est midi et Uwe Lampe suit ses ouvriers qui quittent le hangar pour aller déjeuner. Nous jetons un dernier regard sur la maquette rutilante dans le hall d’accueil du chantier naval. Un air glacial s’engouffre par la grande baie ouverte. Dehors, le ciel est gris et le vent mordant.

La mer n’est pas encore en vue.

Le RW III, comme on l’appelle également, est par ailleurs un authentique voilier et pas seulement (comme ses prédécesseurs) un ancien chalutier auquel Greenpeace aurait appris à faire de la voile.

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Un grand merci! Grâce aux donatrices et donateurs suisses, Greenpeace Suisse a pu réunir 1,4 millions de francs pour le Rainbow Warrior III, le nouveau héros des mers. A l’automne dernier, les coûts de construction de notre navire amiral nous laissaient perplexes. Sur les 30 millions de francs nécessaires, il en manquait encore 17,5 millions: une somme à vous donner le vertige, même pour une organisation internationale dotée de sa propre flotte. L’appel lancé à nos donatrices et donateurs – en Suisse et dans le monde – a fait des miracles.

Le compte y est presque: il ne manque que cinq millions de francs. De nombreuses personnes sont déjà attachées au voilier encore en construction. Elles veulent faire partie de l’aventure du Rainbow Warrior III et écrire une page d’histoire avec nous. A l’occasion de la collecte de cet automne, nous avions exceptionnellement décidé de déroger pendant trois mois à notre règlement concernant les dons. Ce dernier prescrivait en effet de n’accepter des dons liés à des projets qu’à partir de 10 000 francs.

Certaines personnes ont versé cinq francs, d’autres 250 000. Chaque contribution est importante et leurs motivations sont aussi diverses que le sont les êtres humains. Une donatrice a, par exemple, renoncé à une bague en diamant qu’elle avait reçue de son mari pour son 25e anniversaire de mariage. Elle a fait don de la valeur de la bague à Greenpeace. Pour d’autres, il s’agis­sait de rendre possible une technologie respectueuse de l’environnement marin et fixant de nouveaux critères pour la navigation. Certains étaient tout simplement

fascinés par ce navire, symbole d’espoir et de justice environnementale, qu’il s’agisse du Rainbow Warrior I, II ou III. Et nombreux sont ceux qui ont décidé de faire un don parce qu’un navire de Greenpeace plus rapide signifie une meilleure protection des océans et de leur biodiversité. Des médias nous ont aussi proposé des pos­sibilités de publicité gratuites ou avantageuses.

Nous apprécions le soutien de nos donatrices et donateurs suisses et nous leur raconterons volontiers les premiers succès de notre nouveau combattant des mers après sa mise à l’eau, en automne 2011.

A l’origine, nous voulions citer nommément les person­nes ayant octroyé des dons de plus de 5000 francs pour le Rainbow Warrior III. Or, la majorité d’entre elles ont souhaité explicitement ne pas être mentionnées. Aussi avons­nous renoncé à le faire et nous voudrions remer­cier ici toutes celles et tous ceux qui ont généreusement soutenu la construction du Rainbow Warrior III.

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LES TRONçONNEUSES

SE SONT TUES Par Lisa Begere

Greenpeace a gagné sa bataille pour la préservation d’une zone de forêt ancienne en Laponie. Une victoire vitale pour les éleveurs de rennes sami.

Kalevi Paadar, un habitant de Nellim en Fin-lande, vit comme ses ancêtres de l’élevage des rennes. Ce berger appartient au peuple autochtone des Sami. Il parcourt les forêts de Laponie sur sa motoneige, suivant la trace des rennes. Durant les longs hivers sombres, ces animaux se nourrissent d’usnée, un genre de lichen qui pousse uniquement sur des branches d’arbres dont certains ont plus de cent ans. Un hectare de forêt vierge fournit 500 kilos d’usnée, une forêt exploitée uniquement cinq kilos.

La Finlande ne compte plus que 3% des forêts anciennes encore existantes en Europe. Le nombre croissant de plantations forestières menace des centaines d’espèces animales et végétales. Ces plantations se caractérisent par une absence de bois mort. Or, celui-ci est le biotope de nombreux organismes utiles et contribue ainsi à la vitalité de la forêt. La succes-sion de petites coupes rases détruit la forêt ancienne de manière irréversible. En raison des rudes conditions climatiques dans cette région polaire, la végétation ne pousse qu’avec une extrême lenteur; ce qui a été déboisé ne peut plus être replanté. Bien que l’industrie finlan-daise du papier et du bois se qualifie de durable, elle détruit les derniers vestiges de sa forêt ancienne pour des magazines et du matériel d’emballage.

Pendant des années, Paadar a lutté contre le vacarme des tronçonneuses. Dans les années 1970, la société d’exploitation forestière Metsähallitus, propriété de l’Etat, a commencé à procéder à des coupes massives et à rogner le

territoire des Sami. Lorsqu’il s’est rendu compte que la survie des rennes était menacée, Paadar a voulu négocier avec l’exploitant forestier qui continuait néanmoins d’exiger la mise en valeur de nouvelles zones.

En désespoir de cause, l’éleveur de rennes s’est tourné vers Greenpeace. Malgré des températures descendant jusqu’à –30° C la nuit, un «Forest Rescue Camp» a été monté dans le Grand Nord. Des militants ont parcouru la forêt enneigée avec l’éleveur sami et accroché des panneaux portant l’inscription: «Attention! Forêt importante pour l’élevage des rennes». Se dé-plaçant à bord de traîneaux tirés par des chiens, ils ont cartographié la forêt. Certains villageois ne voyaient pas l’opération d’un bon œil, car des bûcherons vivent aussi dans cette région.

Mais Greenpeace a tenu bon et a pris contact avec des entreprises impliquées dans l’abattage des arbres. Après avoir rendu visite au directeur de Stora Enso, un fabricant de papier, l’exploi-tation de la forêt a cessé et le camp a été levé.

Les tronçonneuses ont toutefois rapide-ment fait leur retour. Paadar a alors décidé de porter plainte contre l’Etat finlandais auprès du Tribunal administratif d’Ivalo et, après avoir consulté Greenpeace, auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. «La déforestation porte atteinte à l’élevage des rennes et menace la culture des Sami», ont-ils reconnu. Sur re-commandation de l’ONU, les autorités ont dans un premier temps mis un terme à leurs activités forestières autour de Nellim. Greenpeace n’a pas relâché la pression, organisant des actions de grande envergure dans le port de Lübeck, d’où les cargos transportaient du papier finlan-dais vers l’Allemagne.

Aujourd’hui, 1500 kilomètres carrés de forêt ancienne sont protégés durablement des tronçonneuses de l’industrie papetière. L’enga-gement de Greenpeace aux côtés des Sami pendant plusieurs années a été récompensé. Une convention a été signée en décembre 2010 à Helsinki. Le recensement cartographique a permis de localiser cette précieuse forêt dans laquelle l’Etat renonce à toute coupe durant les vingt prochaines années. Aucune partie ne pense reprendre ses activités au terme de cette période.

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Élevage de poissons

DE NOMBREUx POISSONS BIO SONT

DES DéTENUS MAL NOURRIS

Par Bruno Heinzer — Crevettes bio du Bangla-desh, pangasius bio du Vietnam, truites bio éle-vées en Suisse… Bio, bio, bio. Les consomma-teurs de poisson n’ont que l’embarras du choix. En revanche, il n’est pas certain que ce label sur lequel on ne tarit pas d’éloges garantisse vérita-blement la durabilité et le bien-être des poissons.

Le poisson bio est bien sûr un meilleur choix que celui provenant de la pêche industrielle ou de l’aquaculture non contrôlée. Mais tous les pois-sons bio vivent en fin de compte dans des «cages» et sont nourris artificiellement. Certes, cette production offre une alternative au consomma-teur qui ne souhaite pas manger de poisson pêché en quantité abusive. L’élevage bio préserve des milieux naturels détruits et des cycles de renouvellement déjà compromis. Il est toutefois rarement respectueux du bien-être des ani-maux. Autrement dit: les vaches et les poulets bio ont le droit de sortir, mais pas les poissons bio.

Les poissons d’élevage les plus achetés – le saumon et la truite – sont des prédateurs soli-taires et de grands voyageurs. Même si ce qu’on appelle la «densité d’occupation» (nombre d’animaux par rapport au volume d’eau) est un peu plus basse dans l’élevage bio, elle est toute-fois encore loin de celle d’un élevage conforme à l’espèce. Dans le cas des poissons prédateurs en captivité, leur alimentation restera toujours un problème. Les espèces qui mangent des plantes ou les omnivores comme la carpe et le pangasius conviennent un peu mieux à la pisciculture.

Les crevettes ne devraient pas non plus être élevées en cage. Elles ne se reproduisent plus une fois dans les parcs. Dans l’élevage bio, les cre-vettes vivent dans des forêts de mangroves qu’el-les contribuent à protéger et aucune alimentation complémentaire ne leur est donnée. L’objectif premier devrait être en effet de préserver l’habitat naturel et le cycle de vie des animaux.

Malheureusement, un élevage durable digne de ce nom comme la pisciculture en étangs, pratiquée depuis des siècles dans les pays asiati-ques, avec des poissons et des canards se nour-rissant de plantes dans des rizières inondées, ne se voit pas attribuer de label bio. Pas plus que les poissons sauvages vivant dans leur environ-nement naturel et provenant des stocks sains exploités de manière durable. C’est ainsi qu’il est préférable, par exemple, d’opter pour du sau-mon sauvage du Pacifique provenant de la pêche contrôlée par l’Etat en Alaska plutôt que pour du saumon d’élevage bio norvégien. Du point de vue de l’écologie et de la protection des animaux, les féras et les perches du lac de Zurich ou de Zoug battent toutes les truites «bio» des élevages en bassins de pierre.

Conclusion: certains poissons de la pêche sauvage peuvent être le meilleur choix pour l’acheteur. Il vaut donc la peine de bien regar der les étiquettes. Le guide des poissons de Greenpeace pourra vous être utile à cet égard. Il existe également sous forme d’application iPhone. Il met les points sur les «i»: évitez les poissons prédateurs – saumon, truite, féra, sandre ou loup de mer – issus de l’élevage et n’achetez que du saumon de l’Alaska; pour res-pecter vraiment le développement durable, offrez-vous le luxe d’acheter des poissons pré-dateurs d’eau douce provenant des lacs suisses.Vous pouvez télécharger le guide des poissons ou installer l’application sous: www.greenpeace.ch/app.

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Muttenz

Nouvelle alliance contre les déchets

chimiquesSeize organisations, partis et associa-tions des deux Bâle s’engagent désor-mais sous le nom d’Allianz Deponien Muttenz (ADM) pour que les décharges de produits chimiques de Muttenz/BL soient assainies en toute sécurité et que l’eau potable y soit traitée en plusieurs étapes. Tous les travaux doivent être effectués en tenant compte des déve-loppements les plus récents de la tech-nologie et les coûts doivent être pris en charge par Novartis, Syngenta, Clariant et BASF. Le Collectif Bonfol (CB), qui suit depuis onze ans l’assainissement de la décharge industrielle de Bonfol dans le Jura, a servi de modèle. Le PS, les Verts et le syndicat Unia sont repré-sentés au sein de l’ADM. Lors de sa création, Greenpeace, le WWF, le co-mité d’action Chemiemüll weg! ainsi que l’ATE étaient de la partie.

rrrevolve.ch

Un site web pour les écolos en quête de

bonnes affaires Nombre de produits que nous utilisons dans notre vie quotidienne sont désor-mais verts, mais leur design est sou-vent affreux. Les responsables de la boutique en ligne www.rrrevolve.ch essaient de corriger cette image en proposant de nombreux produits amu-sants et utiles pour la maison, la vie professionnelle ou les loisirs. On y trouve notamment des bracelets de montre en bois, une corbeille à papier réalisée à partir de journaux ou un chargeur solaire pour iPhone. Naturel-lement, l’assortiment comprend aussi des produits plus classiques, comme des sels de bain. Tout est écologique, sans risque pour l’environnement et commercialisé dans le respect du com-merce équitable. Un eldorado pour les écolos en quête de bonnes affaires.

Achat écologique

VOTRE MOBILE VOUS INDIQUE LE BON CHOIx

Le colin et d’autres espèces sont menacés par la surpêche. Une application gratuite pour iPhone ou Android signale les poissons à éviter à l’achat. Codecheck.info propose également des informa­tions sur d’autres produits alimentaires.

A peine avez-vous scanné le code-barres avec la caméra de votre mobile que déjà les informations sur les poissons s’affi-chent à l’écran. Ceux qui souhaitent vérifier leur achat via Internet à l’adresse www.codecheck.info peuvent eux aussi consulter aisément ces données (disponible uniquement en allemand).

La plateforme dispose de la plus vaste base de données indépendante de produits (plus de 90 000 y sont répertoriés) existant dans l’espace germanophone. Elle est exploitée par une association reconnue d’utilité publique dont le siège se trouve à Zurich. Cette jeune équipe se base sur l’expertise d’or-ganisations de la santé, de protection des consommateurs et de l’environnement ainsi que d’une communauté d’intérêt qui recense, évalue et contrôle les données. Cette initiative a été bien accueillie et a déjà reçu plusieurs distinctions internatio-nales. L’application est disponible pour iPhone et Android.

Les informations sur les poissons sont fournies par des experts de Greenpeace Suisse. Codecheck offre également des renseignements sur l’huile de palme dont la production pro-voque le déboisement d’immenses surfaces de la forêt vierge indonésienne, menaçant ainsi des milliers d’espèces animales. Le CO2 rejeté par ces activités contribue à la dégradation du climat de la planète. Codecheck prévoit d’ores et déjà des informations sur d’autres produits permettant une consomma-tion responsable.

Codecheck confère plus de transparence au marché et encourage ainsi des produits de qualité, car ce qui n’est pas acheté disparaît des rayonnages.www.codecheck.info (en all. seulement)

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Livres

Guide de la désobéissance civileThe Monkey Wrench Gang, un ouvrage aussi imperti-nent qu’amusant publié en 1975 aux Etats-Unis, est paru en français en 2006 sous le titre Le Gang de la clef à molette. L’histoire tourne autour d’un groupe de militants écologistes un peu déjantés qui pratiquent la désobéissance civile et s’exercent à manier des explosifs pour la bonne cause. Malgré sa philosophie non violente, Greenpeace recommande cet ouvrage illustré par le dessinateur culte Robert Crumb. (Traduit en français par Pierre Guillaumin, Editions Gallmeister, Paris, 2006: www.gallmeister.fr).

Livres

Critique de la folie de la croissance Dans leur dernier livre intitulé Schluss mit dem Wachstumswahn, les deux auteurs Urs Gasche et Hanspeter Guggenbühl plaident pour un abandon radical de l’idéologie de la croissance. Elevée au rang de religion, la croissance économique détruit la nature et ne se maintient qu’au prix d’une «orgie de l’endettement». Les auteurs ne se contentent toutefois pas d’analyser avec compétence l’absurdité de la consommation énergétique et du capitalisme financier moderne. Ils proposent également toute une série de solutions qui pourraient nous sortir de cette impasse. L’ouvrage peut être commandé sous: www.rueggerverlag.ch (en all. seulement)

Chasse à la baleine

Un job qui a du plomb dans l’aile

Cette année, le ministre japonais de l’agriculture, de la forêt et de la pêche a mis prématurément fin à la saison de la chasse à la baleine dans l’Antarctique. Les flottes ont été rappelées au port. Les informateurs de Greenpeace affir-ment que cette interruption, avec uniquement la moitié des prises habi-tuelles, était planifiée dès le début. Les entrepôts frigorifiques seraient pleins. La demande ayant baissé, 5000 tonnes de viande de baleine se sont accumu-lées, menaçant de précipiter toute la branche dans la ruine. Au cours des dix dernières années, Greenpeace a régulièrement dénoncé la corruption régnant dans ce commerce. Il y a trois ans, deux informateurs avaient découvert qu’une certaine quantité de viande était vendue aux fonctionnaires et aux équipages des bateaux. Ils ont été emprisonnés et accusés eux-mêmes de vol. Malgré leur recours, ils risquent une année de prison. Greenpeace continue de lutter infatigablement pour une interdiction générale de la chasse à la baleine, enregistrant régulièrement des succès partiels: l’agence responsa-ble de la pêche à la baleine a déjà intenté des actions contre des collabo-rateurs qui avaient remis gratuitement de la viande de baleine à des membres des équipages, violant ainsi leur propre code d’éthique.

Forêts de montagne

Engagement pour les bûcherons

amateursLa fondation Bergwaldprojekt appelle à une semaine de travail bénévole dans une forêt de montagne. Des femmes et des hommes âgés de 18 à 88 ans peu-vent y participer. Ils travailleront dans le respect des normes les plus récentes, selon leurs propres capacités et au rythme qu’ils auront eux-mêmes choisi. Des places sont encore libres pour toutes les personnes qui souhaitent mettre la main à la pâte. Vous trouverez de plus amples détails sous: www.bergwaldprojekt.org/fr ou en téléphonant au 081 650 40 40.

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Camp climatique

Créer un microcosme

Pour la troisième fois, l’organisation Camp climatique Suisse offre la possibi-lité aux personnes intéressées par la nature de recréer un «monde» durable dans un champ. Au cours de différents ateliers thématiques et méthodologi-ques, qui se dérouleront du 29 juillet au 7 août, nous leur proposerons des savoirs, du mouvement et de l’action et leur apprendrons à s’engager. Le camp aura lieu dans les Grisons et accueillera aussi bien des francophones que des germanophones. La participation est gratuite, à l’exception d’une contribu-tion aux frais de repas.Les personnes intéressées trouveront des informations détaillées sous: www.campclimat.ch

UBS

Une huile de palmepropre

Quelles lignes directrices l’UBS appli-que-t-elle pour ses transactions dans le secteur de l’huile de palme et de l’in-dustrie forestière? Telle était la ques-tion clé d’une campagne de Greenpea-ce lancée en décembre dernier. La raison en était que l’UBS fait des affai-res avec des entreprises contestées dans le secteur de l’huile de palme et de la cellulose, par exemple le groupe indonésien Sinar Mas. Or, ces deux types de production contribuent massi-vement à la destruction de la forêt

vierge indonésienne. La banque vient d’annoncer qu’elle entend réexaminer ses relations avec des clients aux activi-tés discutables. C’est une décision importante qui va dans la bonne direc-tion. Mais en l’absence de lignes de conduite détaillées, les investisseurs n’ont toujours pas la possibilité d’éva-luer l’attitude de la banque à l’égard des problèmes liés au respect de l’envi-ronnement et des droits de l’homme. Il serait important que les acteurs de la branche financière assument mieux leur responsabilité dans la lutte contre le changement climatique et la destruc-tion de l’environnement. Les aspects sociaux et écologiques ne sont jusqu’à présent pratiquement pas pris en compte dans leur système. Greenpeace invite l’UBS et d’autres établissements financiers à publier leurs lignes de conduite internes concernant les opé-rations délicates dans le secteur de l’huile de palme et de l’industrie fores-tière.

Indonésie

Repentir des destructeurs de la

forêt?Comme il a été déjà prouvé, Sinar Mas et sa filiale Golden Agri Resources (GAR), les fournisseurs indonésiens d’huile de palme, détruisent des tourbières et déboisent la forêt vierge pour y développer leurs plantations. Au cours des trois dernières années, Greenpeace a réussi à convaincre des grandes entreprises comme Unilever, Nestlé, Kraft et Burger King de résilier leurs contrats directs avec GAR, deuxième plus grand producteur mon-dial d’huile de palme. Greenpeace avait rendu publics les agissements de ce producteur dans le cadre d’une vaste campagne de sensibilisation in-ternationale et dévoilé les relations que ce dernier entretenait avec de grandes sociétés de l’agroalimentaire. GAR a annoncé son intention de ne plus déboiser de forêts à «haute teneur en carbone», c’est-à-dire celles qui emmagasinent beaucoup de dioxyde de carbone. Les tourbières, qui consti-tuent l’habitat d’espèces animales rares comme l’orang-outang et jouent

un rôle déterminant dans la protection du climat, seront également épar-gnées. De plus, les droits des popula-tions locales et indigènes seront à l’avenir respectés. GAR, en collabora-tion avec l’organisation The Forest Trust (TFT), entend garantir la concré-tisation de ces objectifs. Greenpeace suivra attentivement l’évolution de la situation en espérant que le gouver-nement indonésien réussira à imposer de nouveaux critères dans l’industrie forestière et la production d’huile de palme. Un moratoire empêchant toute nouvelle expansion serait nécessaire.

GreenLeaks

Opération détection précoce

Dévoiler des abus dans les domaines de l’environnement, du climat et de la protection des consommateurs, tel est l’objectif de la plateforme GreenLeaks qui a été mise en ligne en janvier à Berlin. Des journalistes, des juristes et des militants se sont rassemblés à cet effet autour du réalisateur de documen-taires australien Scott Millwood. Ils ne se concentreront toutefois pas seule-ment sur les actions illégales dans le domaine du commerce des émissions de CO2 ou les atteintes à l’environne-ment par de grands groupes. Ils s’intéresseront aussi aux pratiques dis-cutables sur le plan local. Les exploi-tants de GreenLeaks, à la différence de ceux de WikiLeaks, ne se considèrent pas comme des accusateurs mettant au pilori des entreprises ou des gouver-nements, mais plutôt comme des parte-naires qui signalent les problèmes dès leur apparition. Ils peuvent ainsi susci-ter des actions correctives précoces et empêcher des catastrophes comme celle du Golfe du Mexique. GreenLeaks compte suivre de près tous les cas signalés, jusqu’à ce que les personnes concernées agissent. Les exploitants sont en train de mettre en place une boîte aux lettres électronique sécurisée au moyen de laquelle des informations pourront être envoyées anonymement à la plateforme. www.greenleaks.org

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Double impact sur l’environnement

Pour chaque adhésion parrainée (au moins Fr. 72.–),vous recevrez trois numéros de la Revue Durable d‘une valeur de Fr. 40.–. Ce périodique publie des dossiers sur l’écologie et le développement durable. Les nouveaux adhérents recevront régulièrement le magazine de Greenpeace. Nous remercions la Revue Durable pour son soutien. Davantage d‘infor- mations: www.greenpeace.ch/member4member, www.larevuedurable.com

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SI L’ON VEUT…Le nouveau guide de Greenpeace sur les legs et testaments peut aider à régler de manière plus claire les questions liées à la succession et à l’expression de ses dernières volontés.

Depuis plus de dix-huit ans, Greenpeace offre des conseils lorsqu’une personne envisage ou a déjà décidé de faire un legs au profit de l’organisation. Qui a droit à une part obligatoire? Comment coucher sur son testament une organisation comme Greenpeace? Qu’est-ce que la quotité disponible? Vous trouverez les réponses à ces questions dans le nouveau guide des legs et testaments. Il vous montre comment rédiger un testament ou le modifier, dans quel lieu le conserver et comment désigner votre exécuteur testamentaire. De plus, les lectrices et les lecteurs apprendront ce qu’un legs accordé à Greenpeace peut apporter.

Cette publication est disponible gratuitement auprès de Greenpeace à partir de juin 2011. Les personnes intéressées sont priées de s’annoncer auprès de Muriel Bonnardin, tél. 044 447 41 64 (du lundi au jeudi) ou par e-mail à l’adresse: [email protected].

Par Muriel Bonnardin Wethmar, responsable des legs

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L’énergie qu’elle économise depuis des décennies grâce à son mode de vie spartiate, Elsy Zulliger la concentre doublement dans sa personne: cette femme de bientôt 90 ans sait peser ses mots et ses connaissances sont aussi actuelles qu’à l’époque où elle luttait pour les économies d’électricité et les énergies renouvelables. Elle espère continuer à se battre dans les prochai­nes années pour un avenir sans nucléaire.

Madame Zulliger, vous auriez pu profiter de votre retraite et vous consacrer à des choses plus contemplatives que les ques-tions d’énergie. Au lieu de cela, vous remplissez encore des boîtes aux lettres de matériel d’information. Qu’est-ce qui vous anime?

C’est difficile pour moi de ne pas pouvoir faire plus! Car je suis profondément convaincue qu’il est possible d’assurer notre approvision-nement énergétique sans piller les ressources

naturelles et sans ces dangereuses centrales nucléaires qui vont léguer des déchets radio-actifs à des générations d’êtres humains. Avec la fondation SOLEILsuisse, vous prôniez déjà, il y a une trentaine d’années, les économies d’énergie et le passage aux énergies renouvelables. Pourquoi ce tour-nant ne s’est-il toujours pas produit?

Le principal problème, c’est que l’être humain cherche la facilité: c’est son refus obstiné de prendre les devants. Il serait pourtant si facile pour chacun de nous d’économiser du courant dans notre vie quotidienne! A cela vient s’ajouter le fait que l’on oublie de plus en plus les dangers du nucléaire.Que faut-il pour que les gens sortent de leur léthargie?

Malheureusement, seule une nouvelle catas-trophe nucléaire pourrait sans doute vraiment faire bouger les gens... Il serait aussi certaine-ment utile de rationner une fois le courant. Chacun commencerait alors à mettre le couver-cle sur la casserole pour faire chauffer de l’eau ou cesserait de faire tourner des lave-linges à moitié vide.

«NOUS DEVONS CONSTAMMENT REVENIR À LA CHARGE»

Entretien réalisé par Franziska Rosemund

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Les politiciens pourraient prendre des me-sures pour obliger les gens à économiser l’énergie.

Mais les politiciens ne le veulent même pas! La plupart sont sous l’emprise des milieux éco-nomiques qui n’ont pas intérêt à l’abandon du nucléaire. Voilà pourquoi nous n’avons toujours pas de prescriptions contraignantes concernant les appareils électriques et pourquoi la promo-tion des énergies renouvelables est si timide. La nature humaine ne vous laisse guère d’es-poir et votre confiance en la politique n’est pas très grande. D’où tirez-vous donc votre assurance?

Je me réjouis des nombreuses initiatives privées que nous observons aujourd’hui dans le domaine des énergies renouvelables. Il suffit de penser à l’immense installation photovoltaï-que de Melchnau, qui produit de l’électricité pour 65 ménages, ou à la Marche de Pentecôte contre le nucléaire l’année dernière. Mais ce qui me donne le plus d’espoir, ce sont les jeunes, car il en va de leur avenir. Si on leur transmet plus de connaissances sur les possibilités des éner-gies renouvelables à l’école et s’ils remarquent que la construction de nouvelles centrales nucléaires n’est pas la bonne option, alors des changements se produiront. Nous devons abso-lument encourager le dialogue avec les jeunes! Vous ne dépensez pas beaucoup d’énergie, car vous menez un style de vie des plus spartiates. La plupart des gens vivent toute-fois dans une autre réalité. Que conseille-riez-vous aux Suisses moyens qui veulent contribuer au tournant énergétique?

Tout d’abord, de nombreuses personnes doivent comprendre que vivre modestement rend plus heureux que l’opulence: moins on a et plus on est satisfait. Or, quand on est satisfait, on a moins de besoins et on mène une vie plus saine et plus heureuse.Cet objectif très noble est bien difficile à atteindre dans une époque qui mise tout sur la consommation et qui vous propose toujours plus d’appareils électroniques.

On gagnerait déjà beaucoup si chacun se demandait s’il a vraiment besoin de tel ou tel appareil. Et si oui, si ce modèle est le plus économe en énergie. Il faudrait quand même faire preuve de bon sens.Dans environ deux ans aura lieu une votation décisive pour le tournant énergéti-

que en Suisse: la votation sur la construction de nouvelles centrales nucléaires. Que conseillez-vous aux personnes qui s’oppo-sent résolument à ces nouvelles centrales?

De la ténacité et de l’endurance! A l’époque, j’ai distribué du matériel d’information deux fois ou trois fois dans certaines boîtes aux lettres jusqu’à ce que je remarque que les gens avaient compris de quoi il s’agissait vraiment. Mais le plus important est d’avancer des arguments percutants. Si tous les toits suisses étaient équi-pés de panneaux solaires, chaque commune pourrait produire elle-même sa propre électri-cité et même en vendre. Cet argument est tellement évident qu’il finira bien par s’ancrer dans les esprits. Oseriez-vous faire un pronostic concernant le résultat de ces votations?

Nous pouvons y arriver. Pour cela, nous de-vons revenir constamment à la charge et montrer que tout peut fonctionner sans nouvelle centrale nucléaire. Si le Bon Dieu le veut bien, j’apporterai moi aussi ma contribution à cette tâche.Note de la rédaction: cet entretien a été réalisé avant la catastrophe nucléaire de Fukushima et ne tient pas compte des dernières évolutions de la situation politique.

La «femme solaire» de Thunstetten

Elsy Zulliger — femme de ménage de son état — s’est fait un nom dans les années 1970 en tant qu’adversaire résolue de la centrale nucléaire que les Forces motrices bernoises voulaient construire à Graben BE. Membre du mouvement SOLEILsuisse, elle a tenu des stands d’infor­mation pendant des années et a plaidé pour l’éner­gie solaire lors de cours et d’expositions. Depuis de nombreuses années, elle a renoncé au télé­phone, n’utilise pratiquement plus de fer à repas­ser et son frigidaire n’est plus en service. Il y a trente ans, elle a fait installer sur son toit des pan­neaux solaires qui lui fournissent de l’eau chaude. Aujourd’hui, alors qu’elle va bientôt fêter ses 90 ans, elle se chauffe toujours au bois. Elsy Zulliger continue d’intervenir dans le débat: avant la vota­tion bernoise sur la centrale de Mühleberg, elle a distribué du matériel d’information concernant les problèmes de l’énergie nucléaire; dans sa com­mune, elle pose toujours les questions qui déran­gent au sujet de la politique énergétique locale.

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Maisonindividuelle

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Plateforme en lignepour dénoncerles scandalesécologiques

Garçond'écuriesoignant

les chevaux

Marquele doute

Ville dela Drôme

Bongénie

Sur quelle île trouve-t-onla plus haute montagne

(mesurée depuis lesfonds marins)?

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niennes

Troubledû à lacrainte

Désavoué

En latin,la même

chose

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Painscuits enune fois

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passé

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Fourrageconcentré importé

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Il s'useen roulant

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Gagnez «Vivre vert», le guide de Greenpeace pour un mode de vie plus écologique! Conditions de participation: envoyez la solution jusqu’à la mi­juin par courriel à [email protected] ou par poste à Greenpeace Suisse, rédaction magazine, mots fléchés écolos, case postale, 8031 Zurich. La date du timbre postal ou de réception du courriel fait foi. La voie juridique est exclue. Il ne sera échangé aucune correspondance.

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Les affiches et autocollants portant ce logo peuvent être commandés sur:www.akwnein.ch/aktiv.html

— RappoRt annueL 2010Ce que nous avons achevé. Ce que votre contribution a rendu possible. tous les faits et chiffres: le rapport annuel 2010 de Greenpeace est maintenant en ligne. www.greenpeace.ch/rapportannuel