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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect 1 CHAPITRE 6 Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect 1 Valeurs et effets de sens : le point de vue polysémique L'objet de cette section est de caractériser de façon calculatoire la signification des principaux marqueurs (morphèmes lexicaux, morphèmes grammaticaux et constructions syntaxiques) de temps et d'aspect. Le propos ne prétend nullement à l'exhaustivité, mais simplement à montrer comment le modèle mis en place permet de rendre compte de façon explicative, et – dans la mesure du possible – prédictive, de la diversité des effets de sens que ces marqueurs peuvent prendre en contexte. Le point de vue théorique adopté est celui de la polysémie associé à une démarche hypothético-déductive. Au lieu de considérer qu'à chaque effet de sens correspond un marqueur différent (hypothèse homonymique forte) ou que les divers effets de sens d'un même marqueur sont sans rapport les uns avec les autres (hypothèse homonymique faible), on admet que chacun des effets de sens d'un marqueur se laisse déduire de l'interaction d'une valeur en langue unique de ce marqueur (décrite sous la forme d'instructions) avec les valeurs des autres marqueurs du contexte et avec les principes généraux sur la forme des représentations (cf. ch. 5, §4). Ce point de vue n'implique pas qu'il y ait quelque chose de commun (un noyau de sens) aux différents effets de sens d'un même marqueur, ce qui constitue le postulat éminemment contestable de la perspective polysémique inductive – car on en arrive , par induction du général à partir du particulier, à une signification extrêmement abstraite et indéterminée, qui ne permet plus de faire la différence entre les marqueurs 1 –, mais simplement que tous ces effets de sens, quelque différents, voire opposés, qu'ils puissent apparaître, se laissent déduire d'une même valeur en langue, dont la formule a un statut d'hypothèse dans le modèle prédictif 2 . En outre, l'adoption de cette perspective polysémique 1 Cf. G. Lakoff (1987), p. 416. 2 Cette perspective nous paraît rejoindre celle que proposait O. Ducrot, dès 1973 (dans un article repris dans Ducrot (1984)) : «La description sémantique d'un mot doit donc être considérée comme une

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

1

CHAPITRE 6

Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

1 Valeurs et effets de sens : le point de vue polysémique

L'objet de cette section est de caractériser de façon calculatoire la signification des

principaux marqueurs (morphèmes lexicaux, morphèmes grammaticaux et constructions

syntaxiques) de temps et d'aspect. Le propos ne prétend nullement à l'exhaustivité, mais

simplement à montrer comment le modèle mis en place permet de rendre compte de

façon explicative, et – dans la mesure du possible – prédictive, de la diversité des effets

de sens que ces marqueurs peuvent prendre en contexte.

Le point de vue théorique adopté est celui de la polysémie associé à une

démarche hypothético-déductive. Au lieu de considérer qu'à chaque effet de sens

correspond un marqueur différent (hypothèse homonymique forte) ou que les divers

effets de sens d'un même marqueur sont sans rapport les uns avec les autres (hypothèse

homonymique faible), on admet que chacun des effets de sens d'un marqueur se laisse

déduire de l'interaction d'une valeur en langue unique de ce marqueur (décrite sous la

forme d'instructions) avec les valeurs des autres marqueurs du contexte et avec les

principes généraux sur la forme des représentations (cf. ch. 5, §4). Ce point de vue

n'implique pas qu'il y ait quelque chose de commun (un noyau de sens) aux différents

effets de sens d'un même marqueur, ce qui constitue le postulat éminemment

contestable de la perspective polysémique inductive – car on en arrive , par induction du

général à partir du particulier, à une signification extrêmement abstraite et indéterminée,

qui ne permet plus de faire la différence entre les marqueurs1 –, mais simplement que

tous ces effets de sens, quelque différents, voire opposés, qu'ils puissent apparaître, se

laissent déduire d'une même valeur en langue, dont la formule a un statut d'hypothèse

dans le modèle prédictif2. En outre, l'adoption de cette perspective polysémique

1 Cf. G. Lakoff (1987), p. 416.

2 Cette perspective nous paraît rejoindre celle que proposait O. Ducrot, dès 1973 (dans un article repris dans Ducrot (1984)) : «La description sémantique d'un mot doit donc être considérée comme une

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

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hypothético-déductive constitue une réponse à l'un des problèmes épistémologiques

fondamentaux de la sémantique, qui prend la forme d'un paradoxe : seule la valeur en

langue appartient en propre au marqueur (elle constitue l'identité différentielle du signe,

selon Saussure3), mais elle n'est pas directement observable (hors contexte et hors

situation de discours); alors que les effets de sens, qui seuls paraissent observables, en

particulier par le jeu des relations de synonymie, dépendent autant du contexte que du

marqueur lui-même, au point qu'il arrive souvent qu'on ne sache déterminer précisément

quelle part revient à l'une ou l'autre de ces entités dans la production d'un effet de sens4.

Et il y a une bonne part d'arbitraire et d'illusion dans les grammaires qui dressent la liste

des effets de sens d'un marqueur donné, comme s'il en constituait le support unique.

Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, l'imparfait se trouve-t-il généralement décrit

comme virtuellement itératif, alors que cette valeur (effet de sens) est refusée au passé

simple, quoique ces deux temps puissent donner lieu, même en l'absence de marqueurs

spécifiquement itératifs, mais à la suite de conflits, à des représentations itératives :

1) Luc faisait ses courses le lundi

2) Luc courut le marathon pendant dix ans.

Dans les pages qui suivent, on présentera donc, pour chaque marqueur étudié, sa valeur

en langue, considérée uniquement du point de vue aspectuo-temporel et décrite sous

forme d'instructions. On montre ensuite en vertu de quels principes généraux et dans

quels types de contextes cette valeur peut donner lieu aux différents effets de sens,

généralement repérés par les grammaires. On verra ainsi que si deux marqueurs peuvent

avoirs des effets de sens très proches, et apparaître, dans certains contextes, comme des

quasi-synonymes (par exemple le passé simple et l'imparfait de narration), ils ont

cependant toujours des valeurs en langue différentes, ce qui apporte une confirmation

empirique au postulat saussurien du caractère différentiel de la valeur des signes, et

inscrit donc, d'une certaine façon, notre recherche dans le prolongement des grammaires

fonction mathématique qui produit des valeurs différentes (ici, les effets de sens) selon les arguments (ici, les contextes) qu'on lui associe. (...) Le sens d'un mot, pour nous, n'est rien d'autre que le moyen de prévision de l'effet de sens.» (p. 50).

3 Cf. F. de Saussure (1978), p. 154.

4 Cf. O. Ducrot (1984), p. 50 : «il est bien arbitraire de déterminer, à l'intérieur d'un énoncé donné, quel est le sens qu'y possèdent, pris un par un, les mots dont il est constitué. Autrement dit, il ne nous semble pas du tout évident que le sens global de l'énoncé puisse être considéré comme la sommation des significations, mêmes contextuelles, des différents mots. Ce que nous appelons l'effet de sens contextuel d'un mot, c'est donc seulement le changement produit dans ce contexte par l'introduction de ce mot, c'est-à-dire la modification dont ce mot est responsable dans le sens global de l'énoncé.»

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

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structuralistes. Pour faciliter la lecture, et la comparaison avec les grammaires (en

particulier dans le cas des temps verbaux), on isole un ou plusieurs effets de sens

«typiques», définis comme les effets produits dans des contextes typiques, ces contextes

étant ceux que donnent les grammaires minimales (comme les grammaires scolaires)

des temps verbaux5. Par exemple, l'imparfait présente typiquement un procès non

ponctuel sous l'aspect inaccompli, entretenant une relation de simultanéité avec les

procès qui le précèdent ou le suivent immédiatement dans la séquence. On décrit ensuite

les conditions d'apparition des autres effets de sens (non typiques), en isolant ceux qui

proviennent d'une résolution de conflit, et qui apparaissent souvent très éloignés de

l'effet de sens typique (comme l'imparfait de rupture qui présente un procès

généralement ponctuel sous un aspect aoristique).

Résumons schématiquement le format de la description sémantique

proposée :

a) Une valeur unique est associée à chaque marqueur aspectuo-temporel. Cette valeur

est décrite comme une ou plusieurs instruction(s). Les instructions codées par les

marqueurs grammaticaux (morphèmes et constructions syntaxiques) portent directement

sur la construction d'éléments de représentation, tandis que les morphèmes lexicaux

déclenchent l'activation de prototypes porteurs de caractéristiques formelles (cf. ch. 2,

§2.1), qui ont, elles aussi, le statut d'éléments de représentation.

b) La représentation aspectuo-temporelle associée à un énoncé, ou, plus généralement, à

un texte, résulte de la mise en commun des éléments de représentation codés

(directement ou indirectement) par les marqueurs qui le composent. Cette mise en

commun est régie (et contrainte) par quelques principes généraux sur la bonne

formation des représentations. On en rappelle l'essentiel :

1) La contrainte aspectuelle sur la simultanéité stipule qu'un procès présenté

comme simultané au moment où il est perçu/montré ne peut l'être sous un aspect

aoristique (ch. 3, §3).

2) Le principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de référence exige

que cet intervalle coïncide exactement avec un autre intervalle du contexte; la

5 Deux facteurs paraissent contribuer au choix de ces contextes typiques : 1) la fréquence, 2) la possibilité d'opposer, au niveau de l'effet de sens produit, le marqueur considéré avec d'autres marqueurs du même type (on montre généralement que le passé simple exprime la ponctualité et la succession, tandis que l'imparfait marque la durée et la simultanéité).

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

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recherche de cet intervalle antécédent est guidée par les relations de proximité

relative, définies au ch. 4, §3.1.

3) Le principe de cohésion du texte impose, le plus souvent, l'existence de

relations référentielles entre procès. Ces relations sont décrites au ch. 4, §4.

Rappelons simplement que pour les procès présentés sous un aspect aoristique,

la plus courante de ces relations est la co-appartenance à une même série de

changements, et qu'elle implique la succession des procès.

4) La dynamique de la temporalité conduit généralement les procès présentés de

façon aoristique à prendre une valeur inchoative (le changement initial se trouve

pourvu d'une saillance nettement supérieure à celle du changement final (cf.

ch. 3, §4).

C) Soit la représentation ainsi obtenue est cohérente et plausible, soit elle ne l'est pas.

Dans ce cas, on cherche à appliquer les mécanismes de résolution de conflit par

déformation des représentations, exposés au ch. 5, §3.

2 Les prédicats verbaux

Les prédicats verbaux déterminent la présence de bornes du procès, leur caractère

intrinsèque ou extrinsèque, leurs relations, ainsi que le fait de savoir si la situation

comprise entre ces bornes est constituée d'une série de changements (i.e. si le procès

global est décomposable en sous-procès). Comme les verbes sont des lexèmes, ils ne

codent pas directement des instructions portant sur ces éléments de représentation, mais

ils déclenchent dans l'esprit du sujet l'activation de prototypes de procès, ces prototypes

étant eux-mêmes porteurs des caractéristiques aspectuelles que nous venons d'évoquer.

Il en résulte que les verbes, en relation avec leurs compléments, constituent seulement

des indices, susceptibles d'être remis en question par des éléments du contexte (au sens

large), pour la construction d'éléments de représentation. Par exemple, le verbe parler

désigne, de façon prototypique, une activité, mais au terme d'un interrogatoire ayant

pour but de faire avouer un nom, le tortionnaire peut énoncer «ça y est, il a parlé»

conférant au procès une valeur ponctuelle et des bornes intrinsèques. Par ailleurs, on

sait que les compléments du verbe, et tout particulièrement les types de complément

d'objet peuvent contribuer à déterminer la valeur d'activité ou d'accomplissement du

procès (ce mécanisme est étudié au ch. 2, §3); de sorte que l'on doit classer à la fois les

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types de verbes et les types de compléments d'objet comme des indices en faveur de la

constitution d'éléments de représentation correspondant au procès.

Plutôt que de présenter un fragment de dictionnaire ainsi conçu, on expose

les tests à mettre en oeuvre et la structure des classements auxquels ils conduisent.

Rappelons, tout d'abord, brièvement les tests qui permettent d'identifier ces éléments de

représentation6 :

a) la compatibilité du prédicat avec un circonstanciel de localisation temporelle

implique la présence de bornes du procès (trait [± B1,B2]); seuls les états

nécessaires en sont dépourvus;

b) la compatibilité du prédicat à l'imparfait ou au présent avec la locution [être en

train de Vinf] indique que la situation est constituée d'une série de changements

(trait [± C]);

c) le caractère extrinsèque des bornes ([+ Be]) est révélé par la compatibilité du

prédicat au passé composé avec [pendant + durée];

d) le caractère intrinsèque des bornes ([+ Bi]) est indiqué par la compatibilité du

prédicat au passé composé avec [en + durée];

e) enfin, le fait que l'expression [mettre n temps à Vinf], conjuguée au passé

composé, soit équivalente à [mettre n temps avant de Vinf] révèle la ponctualité

du procès (B1 ∝ B2; par opposition à B1 ⊂ B2].

L'application de ces tests n'est fiable que pour autant qu'elle n'entraîne pas de

déformation des procès. Ces déformations sont repérables au moyen des tests de

paraphrasticité résumés dans le tableau 2 du ch. 2, §2.

Les résultats obtenus à partir de ces tests nous ont conduit à classer les

valeurs d'indices des SN objet7 sur un axe allant du [- borné] (ce qui correspond au trait

[+Be]) au [+ borné] (correspondant au trait [+ Bi]); la position des types de SN objet sur

cet axe indique leur orientation et leur force en tant qu'indices de bornage du procès :

classement des SN objet :

6 Ces tests sont présentés en détail au ch. 2, §2.4.

7 On ne traite pas ici du rôle du SN sujet, ni des circonstanciels locatifs.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

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partitif + N

art. indéfini plur. + N ∅

démonstratif + N

possessif + N

art. défini + N art. indéfini + N

[+ Be] [+ Bi]

fig.1

La relation d'ordre entre les types de SN objet se laisse ainsi définir :

un complément d'objet de type A est considéré comme étant un indice moins fort en

faveur du bornage du procès qu'un complément d'objet de type B si et seulement si,

pour quelque verbe V que ce soit, l'association «V+ A» ne peut exprimer un procès

borné ([+Bi]) sans que cela soit vrai aussi de l'association «V + B», et si A est différent

de B :

A < B � ∀ V, («V + A» � [+ Bi]) � («V + B» � [+Bi)]), & A ≠ B.

Ajoutons que les complétives objet et les interrogatives indirectes ont une valeur

d'indice de même niveau que celle des SN introduits par l'article défini.

Les verbes sont, eux aussi, considérés comme des indices de bornage, et leur

classement prend appui sur le fait de savoir s'ils parviennent ou non à contrebalancer le

rôle (comme indices de bornage) des différents types de SN objet qui leur sont associés.

classement des verbes :

a) V ∅ [- C, - Be, - Bi], ∀ SN; ex. : être le fils de X

b) V ∅ [- C, + Be, - Bi, B1 ⊂ B2], ∀ SN; ex. : être malade, aimer une femme,

habiter une maison

c) V ∅ [+ C, + Be, - Bi, B1 ⊂ B2], ∀ SN; ex. : chercher une solution, conduire

une voiture, regarder un tableau

d) V ∅ [+ C, + Be, - Bi, B1 ⊂ B2] si SN < art. défini sg. + N; V ∅ [+ C, + Be ou

+ Bi, B1 ⊂ B2] si SN ≥ art. défini + N; ex. : Lire un livre, apprendre une chanson

e) V ∅ [+ C, + Be, - Bi, B1 ⊂ B2] si SN < art. défini sg. + N; V ∅ [+ C, + Be ou

+ Bi, B1 ⊂ B2] si SN = art. défini sg. + N; et V ∅ [+ C, - Be, + Bi, B1 ⊂ B2] si

SN = art. indéfini sg. + N; ex. : peindre la cuisine

f) V ∅ [+ C, + Be, - Bi, B1 ⊂ B2] si SN < art. défini sg. + N; et V ∅ [+ C, - Be, +

Bi, B1 ⊂ B2] si SN ε art. défini + N; ex. : écrire une lettre

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

7

g) V ∅ [+ C, + Be, - Bi, B1 ⊂ B2] si SN = partitif + N; V ∅ [+ C, + Be ou + Bi,

B1 ⊂ B2] si SN = Ø, et V ∅ [+ C, - Be, + Bi, B1 ⊂ B2] si SN ε art. indéfini sg. +

N; ex. : manger

h) V ∅ [+ C, - Be, + Bi, B1 ⊂ B2] si SN ≤ Ø; ex. : revenir, terminer un travail,

apporter un dossier

i) V ∅ [- C, - Be, + Bi, Bi1 ∝ Bi2], ∀ SN; ex. : sursauter, apercevoir un avion

Soit, sous forme de tableau :

Tableau 1

partitif + N

Ø art.déf. + N art. indéf. sg + N

V = a

état nécessaire état nécessaire état nécessaire état nécessaire

V = b

état contingent état contingent état contingent état contingent

V = c

activité activité activité activité

V = d

activité activité activité ou accomplissement

activité ou accomplissement

V = e

activité activité activité ou accomplissement

accomplissement

V = f

activité activité accomplissement accomplissement

V = g

activité activité ou accomplissement

accomplissement accomplissement

V = h

activité accomplissement accomplissement accomplissement

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

8

V = i

achèvement achèvement achèvement achèvement

Les accomplissements construits à partir de verbes appartenant à la classe h se

caractérisent par le fait que leur borne finale est plus saillante que leur borne initiale, de

sorte qu'une contraction induite par la présence d'un circonstanciel ponctuel va

prioritairement opérer sur la borne finale :

3) Luc rentra à 8h30

4) Marie termina son travail à 5h 45.

3 Les temps verbaux

Parce qu'il s'agit de morphèmes grammaticaux, les temps verbaux codent directement

des instructions temporelles et aspectuelles (outre d'autres instructions liées au mode et

qui concernent la dimension modale de l'espace de représentation sémantique, qui n'est

pas prise en compte ici). De façon générale, ces instructions associées aux temps

verbaux, paraissent directement régies par le principe saussurien d'opposition des

valeurs au sein du système de signes. Lorsqu'un même mode, comme, par exemple, le

subjonctif, ne connaît que deux formes (subjonctif présent et subjonctif passé8), ces

deux formes se partagent l'ensemble des relations temporelles et aspectuelles

exprimables9; autrement dit, les ensembles d'instructions qui leur sont respectivement

associés, quoique clairement distincts l'un de l'autre, restent relativement indéterminés

(ce sont les éléments contextuels qui permettent de spécifier les divers effets de sens

auxquels ils peuvent donner lieu dans le texte). En revanche, comme le mode indicatif

propose pour la seule valeur temporelle du passé pas moins de cinq temps verbaux

(sans compter les formes surcomposées), ces différentes formes codent des instructions

aspectuelles très précises, et toutes distinctes les unes des autres, même si ces

différences ne sont pas toujours clairement perceptibles au plan des effets de sens.

8 On considère, comme la plupart des auteurs, que le subjonctif imparfait et plus-que-parfait ne font plus réellement partie du système actuel de la langue; les deux autres formes s'y sont substituées.

9 Cf. F. Brunot (1936), p. 783.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

9

3.1 Le présent de l'indicatif

1) Instructions

Le présent ne code qu'une seule instruction, de nature temporelle :

[I,II] SIMUL [01,02].

2) Effet de sens typique

principes applicables :

a) La contrainte aspectuelle sur la simultanéité impose l'aspect inaccompli :

[B1,B2] RE [I,II].

b) Le principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de référence exige que

[I,II] coïncide, le plus souvent, avec l'intervalle de l'énonciation : [I,II] CO

[01,02].

L'effet de sens typique est celui du présent inaccompli et autonome (non anaphorique) :

5) Marie mange un fruit

B1 < I = 01 ∝ 02 = II < B2.

3) Effets de sens non typiques (non dérivés)

1) En présence d'un circonstanciel de localisation temporelle détaché (i.e; qui porte sur

[I,II], l'intervalle de référence est lié par l'intervalle circonstanciel et non par celui de

l'énonciation (en vertu de la relation de proximité relative n°2; cf. ch. 4, §3.1) :

6) Cette semaine, Marie est en vacances

B1 < I = ct1 < 01 ∝ 02 < ct2 = II < B2.

2) L'utilisation d'un verbe performatif (ex. : «Je te promets que P») suspend l'effet de la

contrainte aspectuelle sur la simultanéité (car le changement exprimé n'est plus mis à

distance de la position de sujet énonciateur, cf. ch. 3, §3). L'aspect devient alors

aoristique, puisque les bornes du procès coïncident exactement avec celles de

l'intervalle de l'énonciation : B1 = I = 01 ∝ 02 = II = B2.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

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4) Effets de sens dérivés

Une multiplicité d'effets de sens du présent10 proviennent de la résolution de conflits :

types de conflits :

i) Le procès est intrinsèquement ponctuel, et ne peut donc être présenté sous un

aspect inaccompli. Quatre solutions sont envisageables :

a) la dilatation (avec interruption possible du procès) que l'on rencontre

essentiellement dans les compte-rendus sportifs en direct :

7) Platini tire au but ... hé non ! il perd sa chaussure 11

b) l'itération :

8) Paul tousse

c) le déplacement vers l'état préparatoire (non ponctuel) du procès, si celui-

ci est intentionnel :

9) Je pars

d) le déplacement vers l'état résultant (non ponctuel) du procès, si le verbe

exprime le terme d'un mouvement tandis que son complément marque son

point d'origine :

10) J'arrive de Marseille.

Dans ces deux derniers cas, le procès lui-même (qui est ponctuel) cesse

d'être présent (simultané au moment de l'énonciation) pour devenir

respectivement futur ou passé. On parle parfois, à propos de ces effets de

sens, de «futur proche» ou de «passé immédiat», comme si la durée entre le

moment de l'énonciation et celle du procès devait être très brève. Cette

caractérisation n'est pas exacte, l'emploi de ces formes indique uniquement

que le sujet de la phrase, est considéré comme étant toujours dans la

10 On ne donne que les effets de sens les plus fréquents, qui sont le plus souvent déjà répertoriés par les grammaires.

11 Exemple de R. Martin (1987), p. 112. En général, ce n'est pas tant le procès qui est dilaté, que l'intervalle de l'énonciation qui se trouve contracté (le journaliste parle le plus rapidement qu'il peut).

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

11

situation résultante ou déjà dans la situation préparatoire du procès exprimé,

quelle que soit la durée réelle qui l'en sépare.

j) Lorsque l'intervalle de référence est lié par un intervalle circonstanciel et que le

procès exprimé ne peut, soit parce qu'il est ponctuel, soit pour des raisons de

plausibilité pragmatico-référentielle, recouvrir la totalité de la période dénotée par

le circonstanciel, on a recours soit à l'itération (ex. 11), soit, lorsque celle-ci paraît

difficilement envisageable, à une procédure de dilatation qualitative12 (avec, le

plus souvent, effet d'opposition, ex. 12)) :

11) Cette semaine, je bois du whisky

12) Cette semaine, j'achète un disque (parce que je ne me suis rien acheté la semaine dernière)13.

k) La présence d'un circonstanciel de durée implique l'accès aux bornes du procès

à partir de l'intervalle de référence et exclut donc l'aspect inaccompli. Ce conflit se

trouve généralement résolu par l'itération (13a et b), ou éventuellement, lorsque le

procès est intentionnel, par un déplacement sur la phase préparatoire du procès

(14) :

13a) Luc marche pendant deux heures (chaque jour)

13b) Luc mange en dix minutes (habituellement)

14) Je mange en cinq minutes (et j'arrive).

l) Quand la valeur temporelle absolue de présent entre en contradiction avec un

circonstanciel (à valeur de passé ou de futur) ou avec le contexte (dans le cas de la

narration, par exemple), le conflit se résout par la duplication de l'intervalle

d'énonciation, et le procès se trouve alors situé dans le passé ou dans l'avenir (cf.

ch. 5, §2.) :

15a) Demain, je rentre à la maison

15b) Hier, j'arrive chez Paul et je le trouve en train de jouer aux cartes

16) Luc rentra chez lui. En entrant, il aperçoit Marie qui embrasse son amant (présent

«historique»).

12 Cf. ch. 4, §3.2.

13 Il apparaît que ce phénomène n'est pas propre à l'imparfait, mais à l'aspect inaccompli.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

12

m) Il arrive encore que le présent (comme valeur temporelle absolue) entre en

conflit avec la situation d'énonciation : si lors d'un repas, un individu, en train de

manger, prononce l'un des énoncés suivants :

17) J'écris un roman

18) Je joue au Bridge

on comprend soit que le moment présent correspond à une situation intermédiaire

entre deux changements (il faut pour cela que le procès exprime un

accomplissement censé occuper une durée relativement longue, comme écrire un

roman14), soit qu'il y a itération du procès et même souvent expression d'un état

stable (une habitude ou une propriété) par effacement des bornes des occurrences

de procès réitérés (ex. 18)).

Lorsque – comme dans les exemples 17) et 18) – la résolution du conflit ne change pas

la valeur temporelle absolue (de présent), l'aspect reste nécessairement inaccompli,

même si c'est une série itérative qui est vue dans son déroulement. Mais quand cette

relation temporelle se trouve modifiée (comme dans les énoncés 9), 10), 14), 15a), 15b)

et 16)), la contrainte aspectuelle sur la simultanéité ne joue plus, et l'aspect grammatical

est déterminé par l'application du principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de

référence, conduisant, le plus souvent, à un aspect aoristique (i.e. au liage de [I,II] par

[B1,B2]), même si, dans certaines conditions (cf. ch. 4, §3.3), l'aspect inaccompli est

aussi envisageable :

19) Samedi dernier, j'entre dans la cuisine (aoristique); qu'est-ce que je vois ? (aoristique)

Paul fait la vaisselle (inaccompli); Marie essuie les verres (inaccompli)15.

14 Dans ce cas, la paraphrase par [être en train de Vinf] reste acceptable; cf. ch. 2, §2.4.

15 Conjugués à un temps du passé, les deux premiers verbes seraient au passé simple ou au passé composé aoristique, tandis que les deux derniers seraient à l'imparfait.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

13

3.2 Le passé simple

1) instructions

Le passé simple est un temps du passé : [I,II] ANT [01,02].

Plus précisément, le passé simple indique que le moment considéré est nettement

disjoint du moment de l'énonciation : II ⊂ 01.

Il présente le procès sous l'aspect aoristique : [I,II] CO [B1,B2].

2) Effet de sens typique

principes applicables :

a) En vertu du principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de référence,

[I,II] est lié par [B1,B2] (avec lequel il coïncide). Il se trouve donc saturé dans le

prédicat lui-même.

b) Le principe de cohésion du texte conduit le plus souvent (moyennant certaines

conditions définies au ch. 4, §4) une succession linéaire de prédicats au passé

simple à exprimer une une succession chronologique de procès (qui entretiennent

une relation de co-appartenance à une même série de changements).

c) La dynamique temporelle tend à déformer les procès aoristiques en les

contractant sur leur borne initiale (d'où l'effet de sens inchoatif, ponctuel).

L'effet de sens typique est donc celui du passé simple aoristique, autonome, ponctuel,

inchoatif, situant le procès (au moins son début) dans le passé non immédiat, et

marquant la succession des procès (ou au moins de leurs bornes initiales) :

20) Pierre ouvrit la fenêtre et regarda dehors

B1 = I ∝ II = B2 < B'1 = I' ∝ II' = B'2 ⊂ 01 ∝ 02, où [B'1,B'2] correspond au

changement initial du procès exprimé par regarder dehors.

3) Effets de sens non typiques (non dérivés)

1) Le procès n'est pas nécessairement contracté sur sa phase initiale lorsque

a) il est intrinsèquement ponctuel (la déformation s'avère alors inutile);

b) le verbe qui l'exprime appartient à la classe h du tableau 1 du §2 (verbes

exprimant des procès dont la borne finale est plus saillante que la borne initiale);

les deux types de contractions sont envisageables dans ce cas, leur choix dépend

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

14

de la construction référentielle, elle-même guidée par l'activation de scénarios

stéréotypiques) :

21a) Il en avait assez. Il rentra. En chemin, il rencontra Lucien (contraction sur la borne

initiale)

21b) Il rentra, jeta ses vêtements sur une chaise, et prit une douche (contraction sur la borne

finale);

c) un circonstanciel de durée ou une quantification (plurielle et déterminée) sur le

SN objet imposent la prise en compte de la totalité de son déroulement :

22a) Il dormit deux heures

22b) Il but trois bières.

Dans ce cas, et par opposition aux mêmes énoncés sans complément (Il dormit, Il

but), la paraphrase inchoative au moyen de la périphrase verbale [se mettre à

Vinf] ne paraît pas naturelle. Il en va de même lorsque la durée est exprimée non

par un circonstanciel, mais par le sujet de la phrase :

23) «Cette année 1919, quand j'y songe, et bien que ces souvenirs ne soient pas très anciens, fut

une année souple et aérienne telle une danseuse»16.

2) Une succession linéaire de prédicats au passé simple peut ne pas exprimer une

succession chronologique de procès si

a) les procès affectent des objets différents (ce qui se traduit généralement par un

changement de thème dans les énoncés; cf. ch. 3, §4) :

24) Ils avaient froid. Pierre enfila sa veste. Marie mit son gros pull;

b) les procès entretiennent un autre type de relation référentielle, comme la

relation d'identité (ex. 25) ou la dépendance causale (ex. 26; cf. ch. 4, §4) :

25) Il marcha. Il marcha d'un pas si rapide que les autres le suivaient à peine.

26) Il tua son chien. Il s'approcha sans bruit, et il lui donna un coup de marteau sur la tête.

16 P. Mac Orlan, Sous la lumière froide (ed. 1961), p. 58.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

15

4) Effets de sens dérivés

Une valeur itérative (éventuellement dérivée en un effet de sens statique : habitude,

propriété) peut être associée au passé simple lorsqu'un circonstanciel exprime une durée

qui paraît incompatible (du point de vue référentiel) avec le type de durée normalement

associé au procès exprimé :

27) Marie but du café pendant dix ans.

3.3 L'imparfait

1) Instructions

L'imparfait indique la valeur temporelle absolue de passé : [I,II] ANT [01,02].

Il exprime l'aspect inaccompli : [B1,B2] RE [I,II].

2) Effet de sens typique

principes applicables :

a) Le principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de référence conduit le

plus souvent à faire coïncider l'intervalle de de référence d'un procès à l'imparfait

avec celui d'un autre procès présenté dans le contexte (si bien que les deux procès

entretiennent une relation de simultanéité).

b) La cohésion du texte se trouve satisfaite, dans ce cas, par la relation de co-

appartenance à une même vue, qui implique – au moins dans les textes narratifs –

l'identité des circonstances spatio-temporelles.

L'imparfait renvoie donc typiquement à un moment du passé pendant lequel le procès se

déroule, sans préciser la situation temporelle du début et de la fin du procès. Ce temps

apparaît non autonome (anaphorique) et situe le procès comme simultané par rapport à

d'autres procès du contexte, et comme se déroulant en un même lieu. Exemple :

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

16

28) Il faisait très chaud. Marie prit un bain.

B1 < I ∝ II < B2

II < 01 ∝ 02

I = I' = B'1 ∝ B'2 = II' = I

où [B'1,B'2] correspond à la phase initiale du procès exprimé par le prédicat

prendre un bain (effet inchoatif du passé simple).

3) Effets de sens non typiques (non dérivés)

L'intervalle de référence se trouve fréquemment saturé par un intervalle circonstanciel

marqué par un circonstanciel de localisation temporelle, détaché, dans la même

proposition; dans ce cas, la relation de simultanéité avec un autre procès ne s'impose

plus :

29) Mercredi, il pleuvait. Jeudi, il faisait soleil.

Il peut encore, lorsqu'aucun autre intervalle du contexte ne constitue un antécédent

possible, porter sur la période associée à l'existence de l'entité dénotée par le sujet de la

phrase17 :

30a) Le grand-père de Marie était noir.

Dans ce cas, où le procès et la période considérée coïncident du point de vue référentiel,

l'aspect inaccompli marqué par l'imparfait (B1 < I, II < B2) se réalise sous la forme : B1

∝ I, II ∝ B2, qui indique un décalage entre les deux intervalles, imperceptible mais

linguistiquement pertinent. D'où l'impossibilité d'introduire aussi bien [depuis + durée]

(qui suppose que B1 ⊂ I) que [pendant + durée] (qui implique que B1 = I et B2 = II) :

30b) ?* Le grand-père de Marie était noir depuis deux ans

30c) * Le grand-père de Marie était noir pendant toute sa vie.

4) Effets de sens dérivés

Les multiples effets de sens dérivés de l'imparfait proviennent essentiellement de cinq

types de conflits :

i) Le procès est intrinsèquement ponctuel. Les modes de résolution sont les

mêmes qu'au présent :

17 Pour des précisions supplémentaires, cf. ch. 4, §3.2.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

17

a) la dilatation (avec interruption possible du procès) :

31) Luc ouvrait la porte, quand il reçut une balle en plein front

b) l'itération :

32) Paul toussait (depuis cinq minutes)

c) le déplacement vers l'état préparatoire (non ponctuel) du procès :

33) Je partais pour l' Islande. Luc me prêta ses moufles

d) le déplacement vers l'état résultant (non ponctuel) du procès :

34) J'arrivais de Marseille.

A cela s'ajoute la valeur dite d'«imparfait de rupture» qui consiste à faire porter

l'aspect inaccompli non plus sur le procès lui-même (qui est généralement

ponctuel), mais sur la série de changements tout entière (qui est au moins

partiellement exprimée par des énoncés au passé simple); de sorte qu'en terminant

une séquence par

35) (...). Le lendemain, il partait pour les Etats-Unis

l'auteur – car on ne rencontre ce phénomène que dans la littérature18 – laisse

entendre que les aventures du héros ne s'arrêtent pas là, qu'elles vont se

poursuivre, mais hors de la fenêtre ouverte par la narration19. Le procès à

l'imparfait prend généralement un aspect aoristique (l'intervalle de référence est lié

par celui du procès, intrinsèquement borné, en vertu de la relation de proximité

n°1, cf. ch. 4, §3.3), car la déformation par duplication et dilatation, induite par le

conflit, consiste à étendre l'intervalle du procès vu comme inaccompli à

l'ensemble de la série de changements qui constitue la trame narrative.

j) Comme au présent, si l'intervalle de référence est lié par un intervalle

circonstanciel et que le procès ne peut recouvrir la totalité de cet intervalle, le

18 Cf. F. Brunot et Ch. Bruneau (1949), p. 377, ainsi que H. Weinrich (1973), p. 131 sq. et L. Tasmowski-de Ryck (1985).

19 C'est parce que cette suite de la série de changements est située hors de la fenêtre qu'elle peut ne pas se trouver réalisée, comme dans le fameux exemple de G. Guillaume (1984), p. 69 : «un instant plus

tard, le train déraillait», qui indique qu'au moment correspondant à l'intervalle de référence, la série de changements en cours se présente comme devant aboutir au déraillement du train (que ce déraillement ait effectivement lieu ou non).

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

18

conflit est résolu par l'itération (ex. 36), ou par une dilatation qualitative20 à valeur

oppositive (ex. 37) :

36) Cette saison-là, Pierre jouait une pièce de Labiche

37) Cette année-là, Luc emménageait à Saïgon.

k) Un circonstanciel de durée implique l'accès aux bornes du procès à partir de

l'intervalle de référence. Ce conflit est résolu, de la même manière qu'au présent,

par l'itération :

38) Marie nageait pendant deux heures (chaque jour).

l) Lorsqu'une succession de prédicats à l'imparfait ne peut, pour des raisons

pragmatico-référentielles évidentes, exprimer un ensemble de procès simultanés,

mais doit marquer une succession chronologique de procès, deux solutions se

proposent : 1) la série elle-même est réitérée. L'aspect de chacune des occurrences

de procès est régi par les principes généraux du liage de l'intervalle de référence,

de sorte qu'il est généralement aoristique (les occurrences de procès sont donc

successives), mais qu'il peut aussi, quand les procès sont bornés de façon

extrinsèque, être inaccompli. L'aspect inaccompli, marqué par l'imparfait, affecte

la série de réitérations de séries de procès :

39) (Chaque matin) Luc se levait, ouvrait la fenêtre et respirait profondément. Les oiseaux

chantaient depuis des heures.

2) Si l'itération s'avère impossible ou difficilement envisageable dans le contexte,

la valeur d'inaccompli se trouve reportée sur l'ensemble de la série de procès, qui

est donc vue dans son déroulement. C'est là la valeur dite d'«imparfait de

narration», proche, dans son fonctionnement, de l'imparfait de rupture comme de

l'imparfait itératif, et que l'on rencontre de façon privilégiée dans les récits qui

tentent explicitement de tenir le lecteur en haleine (l'aspect inaccompli servant à

indiquer que la série de changements n'est pas terminée). On la trouve ainsi dans

les compte-rendus sportifs21 et dans les feuilletons policiers du début du siècle.

Aussi Souvestre et Allain l'utilisent-ils dans les aventures de Fantômas plus

souvent encore que le passé simple pour décrire des séries de changements (dont

20 Cf. O. Ducrot (1979) et ici-même, ch. 4, §3.2.

21 Cf. D. Mainguenau (1991), pp. 72-74.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

19

on sait qu'elles ne prennent jamais fin, et qu'elles ne connaissent même aucune

pause) :

40) «Juve quittait son jeune collègue sans se préoccuper des salutations d'usage, il le lâchait au

milieu du corridor et, avec une agilité extraordinaire de la part d'un homme de son âge, Juve

bondissait en bas de l'escalier, sautait dans un taxi, arrivait rue blanche quelques minutes

après.»22

41) «L'homme avait fini par s'extraire complètement du sol et désormais il se leva, s'avança

lentement, longeait les murs et, de ses vêtements déchirés, souillés de boue, absolument

informes, il extrayait un revolver, l'arme était chargée.»23

Comme dans les séries itératives, l'aspect de chacun des procès est déterminé ici

par les principes de liage de l'intervalle de référence, il est donc prioritairement

aoristique, mais parfois aussi inaccompli (en particulier lorsque le procès n'est

borné que de façon extrinsèque; ex. : «l'arme était chargée»).

m) Quand un procès P à l'imparfait ne peut être tenu pour simultané (pour des

raisons liées à la structure actancielle ou d'ordre pragmatico-référentiel) avec un

autre procès P' dont l'intervalle de référence doit cependant servir d'antécédent à

celui de P (en vertu du principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de

référence), le conflit peut être résolu par

a) l'itération (avec passage éventuel à la valeur d'habitude ou de propriété) :

42) Pierre demanda à Marie comment elle gagnait sa vie. Elle répondit qu'elle jouait du

saxophone dans un orchestre

b) l'expression d'une situation intermédiaire entre deux changements

constitutifs du procès lui-même :

43) Pierre demanda à Marie quelle était sa principale occupation en ce moment. Elle répondit

qu'elle composait un opéra

c) le déplacement vers la situation préalable à celle qu'exprime P' :

44) Marie se leva à 5 heures du matin. Elle dormait seulement depuis une heure

22 P. Souvestre et M. Allain, Le voleur d'or (ed. 1988), p. 982.

23 P. Souvestre et M. Allain, Le voleur d'or (ed. 1988), p. 1104.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

20

d) le déplacement vers la situation résultante de celle qu'exprime P'24 :

45) Marie ouvrit la fenêtre. La lumière de l'aube inondait la pièce.

3.4 Le futur

1) instructions

Le futur ne code qu'une instruction, de nature temporelle : [I,II] POST [01,02].

2) Effet de sens typique

principes applicables :

a) En vertu du principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de référence,

[I,II] se trouve généralement lié par [B1,B2] avec lequel il doit coïncider, ce qui

confère au procès un aspect aoristique.

b) Le principe de cohésion du texte appliqué aux procès aoristiques conduit le

plus souvent, comme au passé simple, à interpréter une série linéaire de prédicats

au futur comme exprimant une série chronologique de procès successifs.

c) Sous l'effet de la dynamique temporelle, ces procès se contractent généralement

sur leur borne initiale ponctuelle (effet inchoatif).

D'où l'effet de sens typique du futur, selon lequel le procès est vu de façon aoristique,

comme postérieur au moment de l'énonciation, inchoatif, ponctuel, et porteur d'une

relation de succession par rapport aux autres procès au futur qui apparaissent dans son

contexte immédiat :

46) Comme chaque matin, Luc se lèvera, ouvrira la fenêtre, et regardera la mer

01 ∝ 02 < B1 = I ∝ II = B2 < B'1 = I' ∝ II' = B'2 < B''1 = I'' ∝ II'' = B''2,

où [B''1,B''2] correspond au changement initial du procès exprimé par regarder

la mer.

24 Sur tout ceci, cf. ch. 4, §3.2.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

21

3) Effets de sens non typiques (non dérivés)

Un circonstanciel de localisation temporelle détaché (de préférence ponctuel), ou , dans

une moindre mesure, un intervalle de référence ponctuel, compatible, dans le contexte

immédiat, peuvent, si le procès, n'est pas intrinsèquement borné, servir d'antécédent à

[I,II] (selon les relations de proximité n°2, 3 et 4). L'aspect devient alors inaccompli (cf.

ch. 4, §3.3) et le futur paraît marquer la simultanéité (la co-appartenance à une même

vue) :

47) Quand tu arriveras, Marie lira un roman (aoristique ou inaccompli)

effet de sens inaccompli : B1 < ct1 = I ∝ II = ct2 < B2;

et 02 < I.

Les effets de sens non typiques du futur aoristique sont rigoureusement les mêmes que

ceux du passé simple. On en rappelle l'essentiel :

Il peut n'être pas inchoatif

a) si le verbe appartient à la classe h :

48) Il rentrera, jettera ses vêtements sur une chaise, et prendra une douche (contraction sur la

borne finale);

b) en présence d'un circonstanciel de durée ou d'une quantification plurielle et

déterminée sur le SN objet :

49a) Il dormira deux heures

49b) Il boira trois bières

(la paraphrase par [se mettre à Vinf] n'est guère plausible).

Il peut ne pas exprimer une succession de procès

a) si les énoncés changent de thème :

50) Ils auront froid. Pierre enfilera sa veste. Marie mettra son gros pull

b) si les procès entretiennent une relation d'identité ou de dépendance causale :

51) Je le tuerai, je le détruirai, je l'écraserai comme un ver !

52) Je le tuerai. Je m'approcherai de lui sans bruit et je lui donnerai un coup de marteau sur la

tête.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

22

4) Effets de sens dérivés

Comme le passé simple, le futur aoristique peut paraître itératif en cas de conflit

pragmatico-référentiel :

53) Luc jouera du piano pendant deux ans et ensuite il passera au clavecin.

Il arrive encore qu'il exprime la postériorité dans le passé, en présence d'un

circonstanciel marquant, directement ou indirectement (par le biais d'un renvoi

anaphorique), une période passée (cf. §3.6.) :

54) Le lendemain, Louis XV mourra.

3.5 Le passé composé

1) instructions

Les temps composés sont formés de deux marqueurs, le participe passé et l'auxiliaire,

porteurs chacun d'un ensemble d'instructions. Le participe passé désigne le procès lui-

même ([B1,B2]), auquel correspond un intervalle de référence ([I,II]); l'auxiliaire

exprime la situation résultante de ce procès, qui est elle-même un procès (généralement

un état), noté [B'1,B'2], qui se voit associer un second intervalle de référence, [I',II'].

Le participe passé indique toujours une relation temporelle relative d'antériorité par

rapport à l'intervalle de référence marqué par l'auxiliaire : [I,II] ANT [I',II']. Il présente

le procès sous l'aspect aoristique : [I,II] CO [B1,B2].

Comme il est conjugué au présent, l'auxiliaire exprime uniquement la valeur temporelle

de présent : [I,II] SIMUL [01,02].

2) Effets de sens typiques

Le participe passé prend les effets de sens typiques du passé simple (liés à l'aspect

aoristique) en vertu des mêmes principes : le procès est présenté de façon autonome,

comme ponctuel, inchoatif, et il entretient une relation de succession par rapport aux

autres procès aoristiques qui le précèdent sur la chaîne linéaire.

L'auxiliaire a la valeur typique du présent : il est autonome (l'intervalle de référence est

lié par celui de l'énonciation) et marque l'aspect inaccompli (à cause de la contrainte

aspectuelle sur la simultanéité).

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

23

Il faut cependant ajouter que le passé composé peut prendre deux effets de sens typiques

selon que l'un ou l'autre des deux procès ([B1,B2]) et [B'1,B'2]) se voit pourvu, par

l'intermédiaire de l'intervalle de référence qui lui correspond et sous l'effet d'indices

contextuels, d'un degré de saillance prépondérant. Dans le cas où [B1,B2] (le procès

marqué par le participe passé) l'emporte, le passé composé a une valeur comparable à

celle du passé simple : le procès est passé, aoristique, inchoatif, ponctuel; une série de

prédicats au passé composé exprime une succession de procès :

55) Pierre a ouvert la fenêtre; il a regardé dans le jardin; il a aperçu Marie

B1 = I ∝ II = B2 < I' = 01 ∝ 02 =II'; où [B1,B2] désigne le changement initial

du procès correspondant à regarder dans le jardin.

Si [B'1,B'2] est prépondérant, le procès lui-même ([B1,B2]) est vu comme accompli,

car on en considère essentiellement l'état résultant; et cet état résultant est situé comme

présent, sous un aspect inaccompli :

56) Marie a terminé son travail depuis deux heures

ct1 = B2 = B'1 ⊂ ct2 = I' = 01 ∝ 02 = II' < B'2.

Sous l'aspect accompli, le procès ([B1,B2]) ne peut plus être perçu comme inchoatif,

puisque c'est, au contraire, sa borne finale qui acquiert le plus haut degré de saillance

(dans la mesure où elle correspond à la borne initiale de l'état résultant : B2 = B'1). Il

suit que l'aspect accompli est difficilement compatible avec les procès dont la borne

initiale est intrinsèquement plus saillante que la borne finale; ce qui revient à dire que

cet aspect exige que le procès appartiennent à la classe des accomplissements (et, de

préférence, que le verbe soit de type h; cf. tableau 1, §2) ou à celle des achèvements

(puisque, dans ce cas, les deux bornes sont équivalentes) :

57a) Il a terminé son travail depuis deux heures

57b) Il a fini son livre depuis deux heures

58) ? Il a lu un livre depuis deux heures

59) * Il a lu depuis deux heures.

C'est généralement la présence d'un circonstanciel temporel ou aspectuel qui permet

d'identifier l'effet de sens du passé composé : [depuis + durée] indique que l'on a affaire

au présent accompli. Les circonstanciels de localisation temporelle à valeur de passé

(hier, etc.) et les circonstanciels de durée impliquant l'aspect aoristique (comme [en +

durée] et [pendant + durée]) signalent, en revanche, la valeur de passé aoristique. Mais

plutôt que de considérer que ces circonstanciels servent uniquement d'indices pour

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

24

reconnaître tel ou tel effet de sens (à la manière des tests de compatibilité), on admettra,

conformément à l'approche compositionnelle holiste adoptée, qu'ils ne révèlent pas un

effet de sens, mais qu'ils contribuent à le créer. C'est, en effet, le circonstanciel lui-

même qui fait apparaître le procès ou la situation résultante comme ayant une saillance

prépondérante. Cette analyse s'appuie sur le fait qu'en l'absence de circonstanciel et

lorsque le procès est un accomplissement ou un achèvement, il est le plus souvent

impossible de décider en faveur de l'une ou l'autre des valeurs du passé composé (il en

va de même pour le plus-que-parfait et le futur antérieur) :

60) Pierre est fatigué. Il a terminé son roman (présent accompli ou passé aoristique ?)

et non seulement le choix s'avère très difficile, mais surtout il ne paraît pas pertinent (il

n'y a pas de réelle ambiguïté). Autrement dit, il ne semble pas que l'un des deux

intervalles doive nécessairement s'avérer plus saillant que l'autre. En revanche, dès que

l'un d'eux acquiert, à cause d'un circonstanciel, une saillance prépondérante, l'effet de

sens correspondant s'affirme clairement, et tout circonstanciel portant sur l'autre

intervalle de procès est absolument exclu (le conflit ne se laisse par résoudre) :

61a) Hier, il a terminé son roman (circonstanciel passé : passé aoristique)

61b) Il a terminé son roman en quatre heures ([en + durée] : passé aoristique)

61c) Hier, il a terminé son roman en quatre heures

62) Il a terminé son roman depuis deux heures ([depuis + durée] : présent accompli)

63a) * Il a terminé son roman en quatre heures depuis deux heures

63b) * Hier, il a terminé son roman depuis deux heures .

Nous devons indiquer enfin comment l'opposition, classique depuis l'étude d'E.

Benveniste25, entre le passé composé aoristique, comme temps du discours, et le passé

simple, temps du récit historique, se laisse expliquer à partir des représentations qui leur

sont respectivement attribuées dans notre modèle. Avec le passé simple, le sujet regarde

un procès passé, indépendamment de ses conséquences ultérieures, tandis qu'avec le

passé composé, le sujet porte son regard à la fois sur le procès passé et sur la situation

qui en résulte dans le présent (même si, avec l'effet de sens aoristique, cette dernière a

une moins grande importance que le procès lui-même) :

25 Cf. E. Benveniste (1966), pp. 248-249 : «il fit objectivise l'événement en le détachant du présent; il a

fait, au contraire, met l'événement passé en liaison avec notre présent.» Cf. aussi M. Wilmet (1992), p. 24 : «Loin d'apparaître synonymes, le passé composé et le passé simple opposent invariablement un passé conjoint à un passé disjoint.»

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

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64a) Luc mangea une pomme

fig.2I IIB1 B2

S

01 02

64b) Luc a mangé une pomme

fig.3

I IIB1 B2

B'1

B'2

S

01 02

I' II'

Cela implique que le locuteur de 64b) considère que Luc est toujours, au moment

présent, dans l'état résultant du procès lui-même26, et donc, du point de vue

pragmatique, que la présentation du procès passé reste pertinente. D'où certains effets

du passé composé analysable au moyen de la théorie de la pertinence27, qui concernent

la durée de l'intervalle qui sépare la fin du procès (B2) du moment de l'énonciation

([01,02]). Par exemple, si un locuteur énonce

65) Je n'ai pas éteint le four28

26 Outre l'opposition récit/discours d'E. Benveniste, notre analyse rejoint celles de C. Vet (1985), pp. 40-41, C. Vet et A. Molendijk (1986), pp. 154-155, et de J. Cl. Anscombre (1992), p. 48-49. Ces auteurs font état de contrastes du type : «On dirait qu'il a plu/*plut/?*pleuvait», «On ne peut pas entrer par

cette porte : hier, la clé s'est cassée/*se cassa/?*se cassait».

27 Cf. D. Wilson et D. Sperber (1993), N. Smith (1993).

28 Exemple traduit de B. Partee (1973), p. 602.

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on comprend généralement que cet oubli a eu lieu dans la journée même de

l'énonciation, sans quoi le locuteur pourrait difficilement se considérer comme étant

dans la situation résultante, alors que des énoncés du type :

66a) Luc a été nazi

66b) Luc a écrit trois romans

n'impliquent nullement ce type de limitation de la durée entre B2 et 01, car le procès est

considéré comme suffisamment important pour caractériser un individu, quel que soit le

moment (ultérieur) de l'énonciation. Ce phénomène apparaît plus clairement encore

lorsque la proposition au passé composé est enchâssée dans une principale au passé

simple, qui marque un autre intervalle de référence nettement antérieur au moment de

l'énonciation, mais tout de même postérieur à celui du procès au passé composé :

67a) ?* Luc apprit que je n'ai pas éteint le four

67b) ?* Luc avoua que Pierre a oublié de fermer le gaz29

68a) Luc avoua que son frère a été nazi

68b) Luc leur apprit que Balzac a écrit du théâtre.

Reste que cette exigence se heurte au fait que les temps aoristiques peuvent servir à

exprimer des séries de changements. En énonçant la séquence

69) Luc est rentré chez lui, il a pris ses affaires et il est reparti

le locuteur ne peut laisser entendre que Luc est toujours, au moment de l'énonciation,

dans la situation résultante du procès désigné par le prédicat rentrer chez soi, comme se

serait le cas s'il avait produit cet énoncé isolément (Luc est rentré chez lui). Car, dans

une telle série, certains des changements mettent fin aux situations qui résultent des

changements précédents. Ce conflit se trouve résolu par le fait que la situation résultante

considérée est celle de la série tout entière, si bien que chacun des procès, pris

individuellement, n'a plus à être pertinent au moment de l'énonciation; c'est la série de

changements qui, de façon globale, doit satisfaire à cette exigence, comme en témoigne

la possibilité d'énoncer :

70) Luc avoua qu'un jour, Pierre a oublié de fermer le gaz, qu'une étincelle s'est produite et que

l'explosion a totalement détruit leur château de famille.

29 Le plus-que-parfait s'impose dans ce cas.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

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3) Effets de sens non typiques (non dérivés)

Le participe passé a les mêmes effets de sens non typiques que le passé simple et le

futur aoristique. Ils se manifestent essentiellement lorsque le passé composé marque le

passé aoristique :

On reprend les mêmes exemples, dans lesquels

1) il n'est pas inchoatif :

71) Il est rentré, a jeté ses vêtements sur une chaise, et a pris une douche (contraction sur la

borne finale);

72a) Il a dormi deux heures (circonstanciel de durée)

72b) Il a bu trois bières (quantification sur l'objet)

2) il n'exprime pas une succession de procès :

73) Ils ont eu froid. Pierre a enfilé sa veste. Marie a mis son gros pull (changement de thème)

74) Je l'ai tué, je l'ai détruit, je l'ai écrasé comme un ver ! (identité référentielle)

75) Je l'ai tué. Je me suis approché de lui sans bruit et je lui ai donné un coup de marteau sur la

tête (dépendance causale).

4) Effets de sens dérivés

Comme le passé simple, le participe passé peut prendre un effet itératif à la suite d'un

conflit pragmatico-référentiel (cet effet affecte naturellement le passé composé

aoristique) :

76) Marie a bu du café pendant dix ans.

Parmi l'ensemble des effets de sens dérivés du présent, seul celui qui résulte d'un conflit

entre la valeur temporelle absolue de présent marquée par l'auxiliaire et la valeur de

passé ou de futur indiquée par un circonstanciel ou par le contexte narratif paraît en

mesure d'affecter le passé composé à valeur d'accompli du présent :

77a) Demain, j'ai terminé

77b) Ce jour-là, Luc arrive chez Paul . Comme il a fini de manger, Il lui demande s'il veut bien

l''accompagner. Paul répond qu'il est trop fatigué ...

Les autres types de conflits que rencontre l'emploi du présent sont évités soit parce que

le procès [B'1,B'2] n'est, de toute façon, jamais ponctuel, soit parce que la présence d'un

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circonstanciel de durée impose automatiquement l'interprétation aoristique du passé

composé. On peut voir, dans ce dernier phénomène, qui concerne l'ensemble des temps

composés, l'effet d'un principe cognitif très général qui consiste à éviter le conflit,

lorsque c'est possible. Puisque le circonstanciel de durée entrerait en conflit avec la

valeur de présent inaccompli associée à l'auxiliaire dans un exemple du type :

78) Il a mangé en cinq minutes

le sujet opte pour la valeur aoristique du passé composé, et considère que le

circonstanciel porte sur [B1,B2] et non sur [B'1,B'2] (la même analyse vaut, mutatis

mutandis, pour l'emploi de [depuis + durée]).

3.6 Le plus-que-parfait

1) instructions

participe passé : [I,II] ANT [I',II'] (valeur temporelle relative d'antériorité)

[I,II] CO [B1,B2] (aspect aoristique)

auxiliaire à l'imparfait : [I',II'] ANT [01,02] (valeur temporelle absolue de passé)

[B'1,B'2] RE [I',II'] (aspect inaccompli sur l'état résultant)

2) Effets de sens typiques

Le plus-que-parfait est tout à fait comparable dans son fonctionnement au passé

composé, à ces différences près que, comme l'auxiliaire est à l'imparfait, [I',II'] est situé

dans le passé et qu'il n'est pas saturé par [01,02]. Il demande donc à être lié par un autre

intervalle du contexte, si bien que le plus-que-parfait apparaît généralement comme non

autonome (anaphorique; cf. ch. 4, §5).

Quoiqu'ils donnent lieu à la même valeur temporelle absolue – ce qui a pu rendre leur

repérage plus difficile que dans le cas du passé composé –, les deux effets de sens

typiques des temps composés (aoristique et accompli) se réalisent également, et dans les

mêmes conditions, au plus-que-parfait, comme l'indique le contraste :

79a) Mardi, Pierre avait déjà prévenu ses parents depuis huit jours (accompli)

B1 = I ∝ II = B2 = B'1 = ct1 ⊂ I' = ct2 = ct'1 ⊂ ct'2 = II' < B'2,

et II' < 01 ∝ 02;

où [ct1,ct2] correspond à depuis huit jours, et [ct'1,ct'2] à Mardi

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79b) Pierre avait couru le marathon en trois heures (aoristique)

B1 = I = ct1 ⊂ ct2 = II = B2 < I' < II' < 01 ∝ 02

et l'impossibilité de combiner les deux interprétations :

79c) * Mardi, Pierre avait couru le marathon en trois heures depuis huit jours.

Le plus-que-parfait accompli a un effet de sens typique analogue à celui de l'imparfait

(puisque c'est l'auxiliaire qui joue le rôle essentiel) : il présente l'état résultant du procès

sous un aspect inaccompli, à un moment du passé, et comme entretenant généralement

une relation de simultanéité avec d'autres procès du contexte :

80) Luc était encore fatigué. Il avait terminé sa course depuis moins d'une heure.

Le plus-que-parfait aoristique fonctionne typiquement comme le passé simple (car le

participe passé est aoristique) : il présente les procès de façon aoristique, inchoative,

ponctuelle, et comme entretenant, le plus souvent, une relation de succession avec

d'autres procès exprimés aussi au plus-que-parfait :

81) Marie avait ouvert la porte; elle avait regardé à l'intérieur; et elle avait aperçu le coffre-fort.

Comme au passé composé, l'intervalle de référence associé à l'auxiliaire présente la

situation résultante du procès exprimé par le participe passé, ce qui implique que celui-

ci reste pertinent à ce moment. D'où les contrastes :

82a) Luc se servit une tasse de café. Il avait travaillé toute la nuit

82b) ?? Luc se servit une tasse de café. Il était entré dans la maison30.

L'énoncé au plus-que-parfait dans la séquence 82b) ne paraît guère pertinent dans la

mesure où il n'est pas informatif (on considère de façon stéréotypique que si quelqu'un

se sert une tasse de café, c'est qu'il est préalablement entré dans la pièce où se trouvait le

café, et a fortiori dans la maison).

Là encore, il arrive que ce soit la série de changements tout entière qui doive s'avérer

pertinente et non plus chacun des procès qui la composent :

83) Luc se servit une tasse de café. Il était entré dans la maison qui se trouvait en face de chez lui,

avait dérobé la cafetière, et s'était éloigné sans faire de bruit.

30 Cf. les exemples et analyses du pluperfect de M. Caenepeel et G. Sandström (1992), ainsi que d'A. Lascarides et N. Asher (1992).

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3) Effets de sens non typiques (dérivés et non dérivés)

Il ne paraît plus utile de présenter le détail des effets de sens non typiques : le plus-que-

parfait aoristique prend ceux des temps aoristiques (voir le passé simple); comme au

passé composé, les conflits liés à l'aspect inaccompli de l'auxiliaire, qui devraient

apparaître au plus-que-parfait accompli, sont généralement évités par le recours à

l'interprétation aoristique.

L'essentiel des difficultés d'interprétation provient de ce que – comme il a été montré au

ch. 4, §5 –, lorsque le plus-que-parfait prend l'aspect aoristique, le procès [B1,B2]

entretient des relations référentielles (et donc chronologiques) avec les autres procès du

contexte et que, simultanément, l'intervalle de référence [I',II'] noue des relations

anaphoriques avec d'autres intervalles du contexte (voir le traitement des exemples

118), 119) et 120) au ch. 4).

3.7 Le passé antérieur

1) Instructions

participe passé : [I,II] ANT [I',II'] (antériorité)

[I,II] CO [B1,B2] (aspect aoristique)

auxiliaire au passé simple : [I',II'] ANT [01,02] (passé)

[I',II'] CO [B'1,B'2] (aspect aoristique).

2) Effets de sens

La particularité du passé antérieur par rapport au passé composé et au plus-que-parfait

tient à ce que l'auxiliaire, conjugué au passé simple, marque l'aspect aoristique et a donc

un effet de sens inchoatif et ponctuel (en vertu de la dynamique temporelle) : seule la

borne initiale de l'état résultant, qui équivaut à la borne finale du procès (B'1 = B2) est

prise en compte, si bien que [depuis + durée], qui marque la disjonction entre B'1 et I'

est exclu :

84) * Il eut écrit sa lettre depuis cinq minutes

On peut donc dire que le passé antérieur, par opposition au passé simple, sert à exprimer

la fin d'un procès (et le début de l'état résultant), comme l'illustre le contraste :

85a) Dès qu'il mangea, il se sentit mieux

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85b) Dès qu'il eut mangé, il se sentit mieux.

Reste que le passé antérieur est, dans son principe même, une forme conflictuelle, car

l'effet de sens typique du participe passé (inchoatif et ponctuel, i.e. occultant B2 au

profit de B1) se heurte à l'effet typique de l'auxiliaire, lui-même inchoatif et ponctuel,

qui met B'1, c'est-à-dire B2, en relief. Autrement dit, il paraît contradictoire avec la

dynamique temporelle de présenter la fin des procès comme ayant une saillance

prépondérante par rapport à leur borne initiale (cf. ch. 3, §4). D'où l'anomalie de :

86a) ?* Il eut mangé

86b) ?* Il eut lu son roman.

En fait, ce conflit lié à la structure même du passé antérieur paraît ne pouvoir se

résoudre que dans deux types de structures :

a) lorsqu'un procès, intrinsèquement non ponctuel, est présenté comme ayant eu une

durée si brève qu'elle en devient négligeable (la borne initiale du procès est présentée

comme ne pouvant être perçue sans que la borne finale n'entre immédiatement dans la

fenêtre) :

87a) «Et le drôle eut lappé le tout en un moment»31

87b) En un instant, il eut écrit la lettre

87c) Il eut vite/bientôt fait de lire sa leçon32

87d) «Les chasseurs qui poursuivaient l'Aigle s'arrêtèrent, interdits, à son aspect, mais leur

hésitation ne dura que le temps de l'apparition.

Cependant, le pauvre oiseau humain détourna son bec et nous n'eûmes plus devant

nous qu'un malheureux faisant des efforts désespérés pour échapper à des ennemis

implacables. Ils l'eurent bientôt rejoint. A la lueur des torches, je vis leurs mains sacrilèges

s'abattre sur l'Aigle traqué.»33

(le passé antérieur associé au circonstanciel de durée ponctuel indique que le début et la

fin du procès sont presque coïncidents : B1 ∝ B2 = B'1);

31 La Fontaine, Fables, I, 18, cité par G. Gougenheim (1939), p. 212.

32 Exemple de G. Gougenheim (1939), p. 212.

33 G. Apollinaire, La chasse à l'aigle, dans Le poète assassiné, p. 217.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

32

b) dans une subordonnée temporelle introduite par dès que, sitôt que, après que, etc.,

qui demande d'ignorer le procès lui-même, quelle que soit sa durée, pour ne retenir que

la phase initiale de son état résultant :

88) Après qu'il eut marché pendant deux heures, il se trouva très fatigué.

3.8 Le futur antérieur

1) Instructions

participe passé : [I,II] ANT [I',II'] (antériorité)

[I,II] CO [B1,B2] (aspect aoristique)

auxiliaire au futur : [I',II'] POST [01,02] (valeur temporelle de futur).

2) Effets de sens

L'effet de sens typique du futur, déterminé par l'application du principe de dépendance

contextuelle de l'intervalle de référence, consiste (on l'a vu au §3.4) à présenter le procès

(ici l'état résultant) sous un aspect aoristique. On se trouve alors devant le même conflit

qu'au passé antérieur, qui tient au fait que le participe passé et l'auxiliaire présentent

tous deux les procès qui leur correspondent (respectivement [B1,B2] et [B'1,B'2]) de

façon aoristique (et donc inchoative et ponctuelle). Ce conflit se trouve résolu dans les

mêmes conditions que pour le passé antérieur :

89a) J'aurai vite/bientôt lu ce livre34

89b) Dès que j'aurai lu ce livre, j'en rédigerai un compte-rendu.

En dehors de ces constructions, le conflit ne paraît pouvoir être résolu qu'au prix de

l'abandon de la valeur strictement temporelle du futur antérieur au profit d'une valeur

modale (qui n'appartient plus à notre objet d'étude) :

90) Marie aura perdu son portefeuille (supposition).

Mais l'auxiliaire au futur peut aussi, moyennant la présence d'un circonstanciel de

localisation temporelle détaché, ou – dans une moindre mesure – d'un autre intervalle de

référence saillant dans le contexte, exprimer l'aspect inaccompli. Dans ce cas – et dans

34 Exemple de G. Gougenheim (1939), p. 214.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

33

ce cas seulement –, la structure associée au futur antérieur cesse d'être conflictuelle (elle

est comparable à celles du passé composé et du plus-que-parfait) :

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

34

91) A huit heures, Pierre aura terminé son travail

B1 = I ∝ II = B2 = B'1 < ct1 = I' ∝ II' = ct2 < B'2, et 02 < I'

92) Après manger, Luc ira chez Marie, qui aura fini son travail. Et il lui demandera de

l'accompagner.

A cause de cet aspect inaccompli de l'auxiliaire au futur, l'intervalle correspondant à

l'état résultant recouvre l'intervalle de référence qui lui est associé ([B'1, B'2] RE [I',II']),

si bien que la localisation dans l'avenir de cet intervalle de référence ([I',II'] POST

[01,02]) n'implique nullement qu'il en aille de même pour le procès [B1,B2] (dont la

borne finale correspond au début de l'état résultant). D'où la possibilité d'énoncer :

93) Demain, Luc aura remis son travail depuis un mois, et il n'aura toujours pas les résultats.

Comme le passé composé et le plus-que-parfait, le futur antérieur peut prendre, dans les

mêmes conditions, un effet de sens aoristique ou accompli, ainsi que l'indiquent les

relations de compatibilité avec les circonstanciels de durée :

94) Lorsque Luc rentrera, comme il aura marché pendant au moins trois heures, il sera très

fatigué (aoristique)

95) A ce moment-là, Luc, qui aura achevé son roman depuis deux jours, en recommencera un

autre (accompli).

Cette analyse des temps composés permet donc d'expliquer, outre les effets

de sens auxquels ils donnent lieu, pourquoi le futur antérieur a des conditions d'emploi

temporel beaucoup plus restreintes que le passé composé ou le plus-que-parfait, mais

tout de même nettement moins contraignantes que le passé antérieur.

3.9 Le conditionnel présent

1) Instructions

Considéré uniquement du point de vue de sa valeur temporelle (rappelons que les

valeurs modales sont délibérément laissées de côté), le conditionnel présent marque la

postériorité de l'intervalle de référence ([I,II]) par rapport à un autre intervalle de

référence (noté [Ix,IIx]) qui appartient à une autre proposition et qui est lui-même situé

dans le passé : [I,II] POST [Ix,IIx], et [Ix,IIx] ANT [01,02].

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

35

2) Effets de sens

La valeur aspectuelle du conditionnel est, comme celle du futur, déterminée par

l'application du principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de référence (cf. ch.

4, §3.3). Aussi prend-t-il dans un contexte typique, un effet de sens aoristique : [I,II] est

lié par [B1,B2], avec lequel il coïncide. Exemple :

96) Luc croyait que Pierre accepterait sa proposition

Ix < IIx < B1 = I ∝ II = B2,

IIx < 01 ∝ 02,

où [Ix,IIx] désigne l'intervalle de référence associé au prédicat de la principale.

Une succession de prédicats au conditionnel exprime donc généralement une succession

de procès (liés par une relation de co-appartenance à une même série de changements) :

97) Luc croyait que Pierre commencerait par refuser, qu'il formulerait des objections, qu'il

prendrait quelques jours pour réfléchir et qu'il finirait par accepter la proposition.

Mais, comme le futur, il peut aussi, en présence d'un circonstanciel de localisation

temporelle détaché, exprimer l'inaccompli :

98) Luc affirma qu'à cinq heures, il serait en route depuis déjà longtemps

Ix ∝ IIx < ct1 = I ∝ II = ct2,

B1 < I ∝ II < B2

IIx ⊂ 01 ∝ 02,

où [Ix,IIx] désigne l'intervalle de référence du procès exprimé par la principale.

Dans ce cas, la relation entre IIx et B1 n'est pas linguistiquement contrainte.

De même, dans les deux emplois aspectuels du conditionnel, la relation entre [I,II] et

[01,02] reste indéterminée (sauf, bien sûr, en présence d'indications temporelles de

nature circonstancielle). On sait seulement que l'intervalle de référence qui sert de point

de repère est antérieur à l'intervalle de l'énonciation et à l'intervalle de référence associé

au prédicat au conditionnel.

Ajoutons enfin que l'intervalle de référence ayant fonction de repère ([Ix,IIx])

appartient, dans la quasi-totalité des cas, à une proposition principale enchâssant la

complétive dans laquelle est situé le prédicat au conditionnel (voir les exemples ci-

dessus), mais qu'il est possible aussi qu'il se trouve dans une proposition indépendante

qui précède immédiatement la proposition, elle-même indépendante, dans laquelle

apparaît le conditionnel :

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

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98) «Trente ans auparavant, deux hommes avaient aimé Nicole Fischer.

L'inconnu qu'elle leur préféra, pilote de chasse de son état, n'eut pas plus le temps de

l'épouser que de s'éjecter de son prototype en vrille, pulvérisé sur la Haute-Saône en plein

midi de mai. Blonde et baptisée Justine trois mois plus tard, l'enfant de ses oeuvres porterait

donc le nom de sa mère.»35

3.10 Le conditionnel passé

1) Instructions

participe passé : [I,II] ANT [I',II'] (antériorité)

[I,II] CO [B1,B2] (aspect aoristique)

auxiliaire au conditionnel présent : [I',II'] POST [Ix,IIx], et [Ix,IIx] ANT [01,02] (valeur

temporelle relative de postériorité par rapport à un

point de repère passé).

2) Effets de sens

Les effets de sens du conditionnel passé sont rigoureusement comparables à ceux du

futur antérieur (cf. §3.8) :

1) soit l'auxiliaire au conditionnel présent exprime l'aspect aoristique (effet de sens

typique), et la structure aspectuo-temporelle est intrinsèquement conflictuelle (au même

titre que celle du passé antérieur), le conflit ne pouvant se trouver résolu qu'avec un

marqueur de durée minimale ou dans le cadre de certaines subordonnées temporelles :

99a) ?? Il crut qu'il aurait terminé

99b) Il crut qu'il aurait vite terminé

99c) Il crut que dès qu'il aurait terminé, il pourrait reprendre sa lecture

2) soit la présence d'un circonstanciel détaché (ou d'un intervalle de référence saillant

dans le contexte) vient lier l'intervalle de référence associé à l'auxiliaire, et rend ainsi

possible la présentation de l'état résultant sous un aspect inaccompli, solution qui évite

tout conflit :

35 J. Echenoz, L'équipée malaise (1986), p. 9.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

37

100) Luc croyait qu'à huit heures, Pierre aurait terminé son travail

B1 = I ∝ II = B2 = B'1 < ct1 = I' ∝ II' = ct2 < B'2,

Ix < IIx < ct1 = I' ∝ II' = ct2

IIx < 01 ∝ 02,

où [B1,B2] correspond au procès «terminer son travail», [B'1,B'2] à l'état

résultant, [I,II] et [I',II'] à leurs intervalles de référence respectifs, et [Ix,IIx] à

l'intervalle de référence associé au prédicat de la principale.

Il suit que, dans ce cas, le procès lui-même ([B1,B2]) n'est explicitement situé ni par

rapport à [Ix,IIx], ni relativement à [01,02], de même que la position de [I',II'] reste

indéterminée par rapport à [01,02].

Comme les autres temps composés, à l'exception du passé antérieur, le conditionnel

passé peut alors exprimer soit l'aoristique, soit l'accompli :

101a) Luc affirma qu'au moment où il rentrerait, Pierre aurait marché pendant au moins deux

heures (aoristique)

101b) Luc affirma qu'au moment où il rentrerait, Pierre aurait terminé son travail depuis longtemps

(accompli).

3.11 Le subjonctif présent

1) Instructions

Etant donné que deux formes seulement du subjonctif sont effectivement utilisées en

français contemporain, et que ces deux formes permettent à elles seules d'exprimer

l'ensemble des relations aspectuelles et temporelles correspondant aux multiples formes

de l'indicatif, on ne s'étonnera pas que les instructions qui leur sont liées restent

relativement indéterminées.

Le subjonctif présent indique uniquement que l'intervalle de référence ([I,II]) ne peut

être antérieur à un autre intervalle qui lui sert de point de repère; cet intervalle

correspond au moment de l'énonciation lorsque le subjonctif est employé dans une

principale, et à l'intervalle de référence de la principale (noté [Ix,IIx]) quand le

subjonctif apparaît dans une subordonnée (complétive, relative ou circonstancielle) :

I ≥ 01 v I ≥ Ix.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

38

2) Effets de sens

a) En proposition principale ou indépendante

Dans une principale, le subjonctif fonctionne généralement36 comme substitut, à la

troisième personne du singulier ou du pluriel, de l'impératif, dont il partage les

caractéristiques aspectuelles et temporelles. Il situe le procès dans l'avenir

(éventuellement immédiat) de façon aoristique :

102a) Qu'il dorme deux heures !

102b) * Qu'il dorme depuis deux heures !

Et l'on retrouve les effets de sens des temps aoristiques, comme le passé simple (cf.

§3.2). Le subjonctif, en principale ou indépendante, a typiquement une valeur

inchoative et ponctuelle, une succession de prédicats exprimant une succession de

procès :

103) Qu'il ouvre la porte, qu'il regarde la disposition de la pièce, qu'il entre et qu'il s'empare du

parchemin qui est dans la commode !

mais il se peut aussi que les procès affectent des objets (individus) différents, ou qu'ils

entretiennent une relation d'identité ou de dépendance causale, ce qui – on l'a vu –

suspend (ou inverse) la relation de succession :

104) Que Luc prenne son revolver, et Marie le fusil de chasse ! (changement d'objet)

105) Qu'il le brûle, qu'il le détruise une fois pour toutes ! (identité référentielle)

106) Qu'il le tue! Qu'il l'attache et qu'il lui donne un coup sur la tête ! (dépendance causale).

Reste que cet aspect aoristique n'est pas directement codé par le subjonctif, et qu'il doit

donc être déduit de l'application du principe de dépendance contextuelle de l'intervalle

de référence (comme dans le cas du futur et du conditionnel). De sorte qu'en présence

d'un circonstanciel de localisation temporelle détaché (de préférence ponctuel), l'aspect

inaccompli n'est pas exclu :

107) Qu'à huit heures moins le quart, il soit là (si possible depuis quelques minutes) !

36 Rappelons que nous ne cherchons pas ici à être exhaustif.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

39

b) En proposition complétive

Dans une complétive, la valeur temporelle relative attribuée au subjonctif présent est

déterminée, outre par l'instruction qui lui est propre et qui se limite à exclure

l'antériorité, essentiellement par trois facteurs :

a) Le type de verbe introducteur (qui figure dans la principale) donne une indication

(mais pas de contrainte absolue) sur la chronologie relative. Les volitifs (ex. : vouloir,

souhaiter, désirer, etc., et les volitifs négatifs comme craindre, redouter, refuser ...)

orientent très nettement vers l'avenir (l'ultérieur) le procès exprimé par la subordonnée,

alors que les subjectifs et les dubitatifs (subjectifs : regretter, être heureux (que), se

féliciter (de ce que); dubitatifs : douter, contester, nier)37 orientent plutôt le procès de la

complétive vers l'antérieur ou le simultané. Il suit de ces deux tendances – très générales

– qu'en présence d'un verbe volitif, le subjonctif présent tend à indiquer l'ultérieur plutôt

que le simultané :

108) Je veux qu'il vienne

109) Je veux qu'il soit le vainqueur de l'étape.

A l'inverse, un verbe subjectif ou dubitatif invite à choisir parmi les valeurs du

subjonctif présent la relation de simultanéité plutôt que celle de postériorité (la valeur

d'antériorité étant exclue par l'instruction liée au subjonctif présent) :

110) Je regrette qu'il soit malade.

doute

nie

b) Un circonstanciel de localisation temporelle peut modifier cette analyse, en imposant

la relation temporelle qui lui est associée – dans la mesure, évidemment, où sa présence

s'avère compatible avec le reste de la phrase :

111) Je doute qu'il soit malade demain.

?*regrette

c) La contrainte aspectuelle sur la simultanéité, selon laquelle l'expression de la

simultanéité et l'aspect aoristique sont exclusifs l'un de l'autre, a deux types de

conséquences : 1) un circonstanciel de durée servant à mesurer l'intervalle entre les deux

bornes du procès impose l'aspect aoristique, et exclut donc la simultanéité au profit de la

37 On reprend la classification de H. Nordhal (1969).

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

40

postériorité ou de l'itération (exactement comme au présent ou à l'imparfait de

l'indicatif) :

112a) Je doute qu'il soit malade pendant plus de deux heures

112b) Marie regrette que son fils mange en cinq minutes;

2) un procès intrinsèquement ponctuel est difficilement compatible avec l'aspect

inaccompli, et donc avec la simultanéité, comme en témoigne le contraste entre les

exemples 110) et 113), ce dernier étant vraisemblablement interprété comme marquant

la postériorité du procès exprimé par la subordonnée par rapport à l'intervalle de

référence de la principale :

113) Je regrette que la bombe explose.

doute

nie

Du pont de vue aspectuel, le subjonctif présent se comporte, là encore, comme le

présent de l'indicatif : s'il exprime la simultanéité, il marque nécessairement l'aspect

inaccompli (à cause de la contrainte aspectuelle sur la simultanéité) et [I,II] est lié par

l'intervalle de référence de la principale ([Ix,IIx]); en revanche, s'il indique la

postériorité, il prend prioritairement valeur d'aoristique (en vertu du principe de

dépendance contextuelle de l'intervalle de référence et de la relation de proximité

relative n°1 : [I,II] est lié par [B1,B2]). C'est seulement en présence d'un circonstanciel

temporel détaché, qu'il peut éventuellement être interprété comme marquant à la fois la

postériorité et l'aspect inaccompli ([I,II] est alors lié par [ct1,ct2]), comme l'indique la

compatibilité avec [depuis + durée] qui exige la non coïncidence de B1 et de I) :

114a) Je regrette qu'il soit malade depuis si longtemps (simultané, inaccompli)

114b) ?*Je veux qu'il soit là depuis au moins deux heures

114c) Je veux qu'à l'arrivée des invités, il soit là depuis au moins deux heures (ultérieur,

inaccompli).

Il convient de remarquer que dans les complétives, le subjonctif présent commute très

souvent avec l'infinitif présent – les impossibilités paraissent liées au contrôle du sujet

de l'infinitif –, et que les mêmes contraintes aspectuo-temporelles s'appliquent

également pour les deux formes (le lecteur peut reprendre les exemples en opérant la

substitution).

c) En proposition relative

Les relatives au subjonctif prennent pour antécédent des descriptions indéfinies non-

spécifiques, qui, elles-mêmes, ne peuvent apparaître que dans un contexte d'un type

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

41

particulier : en position d'objet d'un verbe volitif ou d'une locution verbale

sémantiquement proche (avoir envie de ..., avoir besoin de ...). Ces types de contextes

(«opaques») rendent possible, mais non nécessaire, l'interprétation non-spécifique de la

description indéfinie; en revanche, la présence d'une relative au subjonctif impose ce

type d'interprétation. La valeur aspectuo-temporelle du subjonctif dans les relatives est

déterminée par les mêmes principes que dans les complétives, à ceci près que le verbe

volitif qui régit l'antécédent de la relative paraît constituer un indice nettement moins

fort en faveur de la relation de postériorité qu'un verbe volitif qui régit directement une

complétive (peut-être est-ce-dû au rôle contradictoire de l'antécédent lui-même, qui

implique une certaine stabilité des propriétés qui lui sont associées). Il en résulte qu'un

procès instrinsèquement borné sera prioritairement présenté comme aoristique (parce

que ses bornes sont suffisamment saillantes pour qu'il s'impose comme l'antécédent

naturel de l'intervalle de référence) et donc comme postérieur à l'intervalle de référence

de la principale (à cause de la contrainte aspectuelle sur la simultanéité), tandis qu'en

présence d'un procès borné seulement de façon extrinsèque (dont les bornes sont moins

saillantes), l'intervalle de référence de la subordonnée pourra aussi bien être lié par celui

de la principale (en fonction de la relation de proximité n°3), donnant ainsi lieu à un

aspect inaccompli et à une valeur temporelle de simultanéité :

115a) Luc cherche un plombier qui soit compétent (simultané, inacccompli)

115b) Luc cherche un plombier qui lui répare son lavabo (ultérieur, aoristique).

d) En proposition circonstancielle

Deux grands types de subordonnées circonstancielles non temporelles apparaissent au

subjonctif : les finales (qui prennent aussi l'infinitif) et les concessives. Alors que les

finales orientent le procès vers le futur (à la manière des verbes volitifs lorsqu'ils

introduisent des complétives au subjonctif), les concessives tendent plutôt à présenter le

procès comme passé ou simultané (de même que les verbes subjectifs/dubitatifs). Les

principes d'interprétation aspectuo-temporelle des concessives et des finales sont donc

respectivement identiques à ceux qui régissent l'interprétation des complétives

introduites par un verbe subjectif/dubitatif ou par un volitif. Exemples :

116a) Bien qu'il soit malade, Pierre boit du vin (simultané, inaccompli)

116b) Bien qu'il parte en Ecosse, Pierre repasse sa chemisette (ultérieur, aoristique; effet

dérivé à cause du procès ponctuel)

116c) Bien qu'il coure le marathon en trois heures, Luc ne se considère pas comme suffisamment

entraîné (effet itératif dérivé à cause du circonstanciel de durée).

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

42

117a) Cette année, ils prennent leur vacances en Juin pour que Marie se repose (ultérieur,

aoristique)

117b) Il partira seulement mardi pour que Marie se repose depuis déjà huit jours quand il arrivera

(ultérieur, inaccompli; effet rendu possible par la présence d'une subordonnée

circonstancielle temporelle enchâssée dans la subordonnée de but).

3.12 Le subjonctif passé

1) Instructions

participe passé : [I,II] ANT [I',II'] (antériorité)

[I,II] CO [B1,B2] (aspect aoristique)

auxiliaire au subjonctif présent : (I' ≥ 01) v (I' ≥ Ix) (l'intervalle de référence [I',II']

associé à l'état résultant ne peut être antérieur à un

autre intervalle ([Ix,IIx]) qui lui sert de point de

repère).

2) Effets de sens

Les effets de sens attribués à l'auxiliaire sont ceux du subjonctif présent, étant admis

que le procès (en l'occurrence l'état résultant [B'1,B'2]) est toujours non ponctuel et

borné de façon extrinsèque. [I',II'] est donc situé soit comme postérieur au moment de

l'énonciation (dans une indépendante à valeur directive) ou à l'intervalle de référence de

la principale (dans une complétive introduite par un verbe volitif ou dans une

circonstancielle de but), soit comme simultané (dans une complétive introduite par un

verbe subjectif ou dubitatif, dans une relative, ou dans une concessive, en l'absence de

circonstanciel de localisation temporelle impliquant la postériorité).

En l'absence de circonstanciel de localisation temporelle détaché, l'auxiliaire au

subjonctif présent tend naturellement à prendre une valeur aoristique, inchoative et

ponctuelle (l'intervalle de référence [I',II'] se trouve lié par le procès correspondant au

changement qui constitue le début de l'état résultant et la fin du procès lui-même). Cette

structure est rigoureusement comparable à celle du passé antérieur, du futur antérieur ou

du conditionnel passé : elle est intrinsèquement conflictuelle, et le conflit ne peut être

résolu qu'à la condition d'indiquer que la distance entre les bornes initiale et finale du

procès est minimale :

118a) ?? Qu'il ait terminé !

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

43

118b) Qu'il ait vite terminé !

Mais, en présence d'un circonstanciel détaché, d'un intervalle de référence saillant dans

le contexte, et/ou lorsque l'état résultant est présenté comme simultané par rapport au

moment de l'énonciation ou au moment de référence de la principale (ce qui exclut

l'aspect aoristique en vertu de la contrainte aspectuelle sur la simultanéité), cet état

résultant est vu comme inaccompli, et tout conflit disparaît. D'où les contrastes :

119) Qu'à huit heures, il ait terminé ! ([I',II'] est lié par [ct1,ct2])

120a) Je regrette qu'ils soient tous arrivés ([I',II'] est lié par l'intervalle de référence de la

principale)

120b) Je veux qu'ils arrivent tous

120c) ?* Je veux qu'ils soient tous arrivés ([I',II'] n'est pas lié dans l'énoncé)

120d) Je veux qu'à huit heures, ils soient tous arrivés ([I',II'] est lié par [ct1,ct2])

121a) Bien qu'ils aient terminé leur travail, ils ne peuvent pas encore se reposer

121b) Pierre doit aider Marie pour qu'elle termine son travail

121c) ?* Pierre doit aider Marie pour qu'elle ait terminé son travail

121d) Pierre doit aider Marie pour qu'elle ait terminé son travail avant la tombée de la nuit.

Si [I',II'] est postérieur à [Ix,IIx] (l'intervalle de référence de la principale) et que,

conformément à la structure des temps composés, [I',II'] est aussi postérieur à [I,II]

(l'intervalle de référence attaché au procès lui-même, [B1,B2]), la relation entre [I,II] et

[Ix,IIx] n'est pas linguistiquement contrainte :

122) Marie veut qu'à huit heures, Pierre ait terminé son travail

Ix = 01 ∝ 02 = IIx < ct1 = I' ∝ II' = ct2,

B1 = I ∝ II = B2 = B'1 < ct1 = I' ∝ II' = ct2 < B'2.

Cette indétermination disparaît lorsque [I',II'] est simultané à [Ix,IIx] :

123) Luc regrette que Pierre soit venu

B1 = I ∝ II = B2 = B'1 < Ix = I' = 01 ∝ 02 = II' =IIx < B'2.

Signalons enfin que le subjonctif passé peut exprimer soit l'aoristique soit l'accompli

(sous les mêmes conditions que les autres temps composés) :

124) Luc doute que Marie soit rentrée en cinq minutes (aoristique)

125) Luc doute que Marie soit rentrée depuis deux heures (accompli)

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

44

et que, partout où la substitution est possible, dans les complétives et les finales,

l'infinitif passé prend les mêmes effets de sens aspectuo-temporels que le subjonctif

passé.

4 La concordance des temps

On désigne classiquement sous cette appellation la relation qui existe entre le temps

d'une subordonnée et celui de la principale dont elle dépend. On ne peut nier qu'il y ait

là des phénomènes spécifiques à décrire, au sens où, dans ce type de construction

syntaxique, les relations entre deux temps verbaux diffèrent parfois de celles qui les

unissent lorsqu'ils figurent dans des phrases indépendantes, et où certaines successions

de formes verbales paraissent agrammaticales. Pour autant, assimiler la concordance des

temps à de pures contraintes morphologiques ne rend nullement compte d'une situation

complexe, où les diverses combinaisons et variations dans les combinaisons de temps

morphologiques sont toujours porteuses de relations aspectuo-temporelles particulières

(c'est pourquoi F. Brunot proposait de remplacer le concept, purement morphologique,

de concordance des temps (consecutio temporum) par celui, proprement sémantique –

mais qui, à nos yeux, excède le champ considéré –, de chronologie relative).

On voudrait montrer comment le modèle proposé rend compte, au moyen de

quelques principes généraux déjà évoqués, de l'apparente diversité des relations entre le

temps de la principale et celui de la subordonnée. On distingue tout d'abord trois

grandes catégories de relations :

a) l'indépendance, qui caractérise le fonctionnement de la quasi-totalité des relatives et

celui des circonstancielles non temporelles,

b) la concordance (au sens strict) qui concerne les complétives, les interrogatives

indirectes et certaines relatives (les relatives déictiques, et les relatives enchâssées dans

des complétives),

c) la subordination circonstancielle temporelle (qui fera l'objet du §5.4).

On utilise le terme d'indépendance pour désigner le fait que les relations

aspectuo-temporelles entre principale et relative sont rigoureusement les mêmes que si

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

45

les deux propositions étaient indépendantes (du point de vue syntaxique)38. Elles sont

donc directement régies par les principes généraux sur les intervalles dans le texte

(examinés au ch. 4).

Si l'on s'en tient – comme ce sera le cas ici – aux temps de l'indicatif, on

peut dire que la concordance se manifeste de trois façons différentes :

1) il est des temps verbaux, comme les conditionnels présent et passé, qui peuvent

apparaître dans la subordonnée avec une valeur strictement temporelle qu'ils ne peuvent

que très exceptionnellement présenter dans une principale;

2) certaines combinaisons de temps verbaux sont impossibles (une subordonnée au

passé simple et une principale à un temps du passé);

3) une succession de deux temps verbaux n'exprime pas toujours, dans ce type de

structure, la même relation chronologique que s'ils appartenaient à des propositions

indépendantes.

On expose, sous forme de tableaux commentés, les différences entre les

relations chronologiques relatives exprimées par les combinaisons de deux temps

verbaux (dont l'un appartient à la principale et l'autre à la subordonnée), selon que les

deux propositions sont en situation d'indépendance ou de concordance. Pour alléger la

présentation, on retient uniquement les contextes typiques (on évite, en particulier, tout

circonstanciel de localisation temporelle dans la subordonnée), et on adopte les

abréviations suivantes :

Sub. = subordonnée, Princ. = principale;

PQP = plus-que-parfait, PS = passé simple, PC = passé composé, IMP = imparfait, PR =

présent, FUT = futur, FA = futur antérieur, COND = conditionnel;

aorist. = aspect aoristique, inacc. = inaccompli, acc. = accompli;

T1 = valeur temporelle absolue de passé, attribuée à la principale

T2 = valeur temporelle absolue de présent, attribuée à la principale

T3 = valeur temporelle absolue de futur, attribuée à la principale;

38 Pour une approche comparable, dans un cadre théorique tout différent (la théorie du gouvernement et du liage), cf. M. Enç (1987).

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

46

T'1 = valeur temporelle relative d'antériorité, attribuée à la subordonnée

T'2 = valeur temporelle relative de simultanéité, attribuée à la subordonnée

T'3 = valeur temporelle relative de postériorité, attribuée à la subordonnée;39

la formule «T'1 (T2)» se lit : l'intervalle de référence de la subordonnée est antérieur à

celui de la principale, lequel est simultané au moment de l'énonciation.

NC = relation non contrainte

* = agrammaticalité

! = relation différente, dans le tableau de concordance, de celle qui est attribuée à la

combinaison correspondante dans le tableau des relations d'indépendance.

39 Voir les définitions de ces valeurs temporelles au ch. 1, §1.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

47

Tableau 2 : propositions en relation d'indépendance

Sub.� PQP PS PC IMP PR FUT FA

Princ. � aorist. acc. aorist. aorist. acc. inacc. inacc. aorist. acc.

PQP aorist. T'1(T1),

T'3(T1)

ou NC

T'3(T1)

ou

T'2(T1)

T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'2(T1)

ou

T'3(T1)

T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

acc. T'1(T1)

ou

T'2(T1)

T'2(T1) T'2(T1) T'2(T1) T'3(T1) T'2(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

PS aorist. T'1(T1)

T'2(T1) NC NC T'3(T1) T'2(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

PC aorist. T'1(T1)

T'2(T1) NC NC T'3(T1) T'2(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

acc. T'1(T2)

T'1(T2) T'1(T2) T'1(T2) T'2(T2) T'1(T2) T'2(T2) T'3(T2) T'3(T2)

IMP inacc. T'1(T1)

ou

T'2(T1)

T'2(T1) T'2(T1) T'2(T1) T'3(T1) T'2(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

PR inacc. T'1(T2)

T'1(T2) T'1(T2) T'1(T2) T'2(T2) T'1(T2) T'2(T2) T'3(T2) T'3(T2)

FUT aorist. T'1(T3)

T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) NC T'2(T3)

FA acc. T'1(T3)

T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) T'2(T3) T'2(T3)

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

48

Commentaires sur le tableau 2 :

L'ensemble de ces relations est déduit

1) de la prise en compte des valeurs temporelles absolues marquées par les temps

verbaux (si la subordonnée est au futur, tandis que la principale est au passé, l'intervalle

de référence de la subordonnée est évidemment postérieur à celui de la principale),

2) de l'application, en contexte typique, des principes généraux sur les intervalles dans

le texte, et, en particulier, du principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de

référence.

Lorsque les deux procès sont présentés sous une même relation temporelle absolue,

quatre types de situations sont à distinguer :

– a) L'un seulement des deux prédicats présente un intervalle de référence non saturé

dans sa propre proposition (l'aspect est inaccompli ou accompli) : si c'est l'intervalle de

référence de la subordonnée qui est non saturé, il est automatiquement rattaché à celui

de la principale, ce qui crée une relation de simultanéité (et même de coïncidence) entre

les deux intervalles (et donc une relation de co-appartenance à une même vue entre les

deux procès) :

126a) Luc, qui était malade, ne mangea rien

126b) L'élève, qui avait trouvé la solution du problème depuis plus d'un quart d'heure, eut le droit de

sortir une demi-heure

126c) Luc n'a rien mangé, parce qu'il était malade

126d) Pierre a parlé à l'homme qui marchait sur la lune

(quoique invraisemblable, la simultanéité est obligatoire, hors-contexte).

En revanche, lorsque c'est l'intervalle de référence de la principale qui demande un

antécédent, il le trouve, le plus souvent dans la subordonnée, mais pas nécessairement.

Si la situation référentielle ne paraît pas plausible, la recherche de l'antécédent se

poursuit au-delà des frontières de la phrase (comparer 126d) à 127b)) :

127a) L'élève, qui eut le droit de sortir une demi-heure, avait trouvé la solution du problème depuis

plus d'un quart d'heure

127b) Pierre parlait à l'homme qui a marché sur la lune

(La simultanéité n'étant pas vraisemblable, l'intervalle de référence de la principale va se

trouver coïndexé avec celui d'une autre phrase du contexte).

Il est clair cependant que l'introduction d'un circonstanciel de localisation temporelle

dans la proposition qui contient l'intervalle de référence non saturé viendrait modifier

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

49

toutes ces relations chronologiques (puisque cet intervalle de référence se trouverait

automatiquement lié par le circonstanciel, en vertu de la relation de proximité n°2) :

128a) Luc, qui , la veille encore, était malade, ne mangea rien

128b) L'élève, qui eut le droit de sortir une demi-heure, avait trouvé la solution du problème depuis

plus d'un quart d'heure lors de son retour.

– b) Les deux intervalles de référence sont saturés par l'intervalle de l'énonciation (les

prédicats sont au présent ou au passé composé accompli) : les procès sont simultanés

(au sens où ils valent au moins pour l'instant présent) :

129a) Pierre, qui est très gentil, parle à Marie

129b) Pierre se promène parce qu'il a terminé son travail.

– c) Chacun des deux intervalles de référence est lié dans sa propre proposition par le

procès sur lequel il porte (l'aspect est aoristique) : les relations entre procès sont non

contraintes (NC). Exemples :

130a) Pierre a rencontré Marie, qui lui a raconté ses vacances

130b) Dans ce musée, Pierre a admiré un tableau qui lui a paru extrêmement novateur

130c) Luc, qui a cassé le vase, l'a laissé tomber du haut de l'escalier

130d) J'ai parlé au premier homme qui a marché sur la lune.

Le fait que les deux intervalles de référence soient saturés dans leur propre proposition

n'empêche cependant pas que les procès entretiennent des relations référentielles (et

donc chronologiques) de co-appartenance à une même série de changements 130a),

d'identité référentielle 130b) ou de dépendance causale 130c). C'est seulement lorsque la

cohésion se fonde sur l'identité des objets 130d) que les procès n'ont plus à entretenir de

telles relations référentielles, et que la chronologie relative ne peut être établie que sur la

base des connaissance du monde (cf. ch. 4, §4).

– d) Les deux prédicats (appelons-les A et B) présentent des intervalles de référence non

saturés dans leur proposition : s'ils ne marquent chacun qu'un seul intervalle de

référence (s'ils sont à l'imparfait ou au plus-que-parfait accompli), ces deux intervalles

sont automatiquement coïndexés, et la séquence, tout entière, n'est pas autonome :

131a) Il parlait parce qu'il avait des choses à dire

131b) Marie, qui avait terminé son travail depuis longtemps, se reposait.

En revanche, si l'un des deux (soit A) présente en plus un intervalle de référence saturé

par le procès auquel il correspond (s'il est au plus-que-parfait aoristique), deux solutions

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

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sont possibles (cf. ch. 4, §5.), ou les deux intervalles non saturés se lient entre eux, de

sorte que l'intervalle saturé de A apparaît comme antérieur à l'intervalle de référence de

B, ou l'intervalle de B se lie à l'intervalle saturé de A (les deux procès sont alors

simultanés). Seules des connaissances pragmatico-référentielles structurées sous la

forme de scénarios permettent de lever cette ambiguïté virtuelle (en établissant des

relations référentielles entre procès) :

132a) Le pilote, qui était en panne, avait préparé la voiture en cinq minutes

[I,II] [I,II] [I',II']

CO

[B1,B2] [B1,B2]

CO ANTRE

132b) Le pilote, qui était en panne, avait réparé la voiture en cinq minutes.

[I,II] [I,II] [I',II']

CO

[B1,B2] [B1,B2]

COANTRE

Maintenant, si les deux procès sont présentés au plus-que-parfait aoristique, c'est trois

structures différentes qui sont envisageables, qui correspondent respectivement aux

relations chronologiques (T'3 (T1)), (T'1 (T1)) et NC :

133a) Le pilote, qui avait gagné la course en 2h36, avait préparé la voiture en cinq minutes

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

CO

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

51

133b) Le pilote, qui avait gagné la course en 2h36, avait remis la voiture en état en cinq minutes

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

CO

133c) Le pilote, qui avait doublé le hollandais, avait aussi dépassé l'américain en 20 secondes.

[I,II] [I',II'][B1,B2]

CO ANT

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

CO

Signalons enfin, qu'une contrainte supplémentaire régit les circonstancielles

de cause. On peut admettre, en dépit d'apparents contre-exemples, que la relation

causale implique que le procès désigné par la subordonnée ne puisse être postérieur à

celui de la principale40 :

40 Quelques contre-exemples : (1) Je suis heureux parce que Pierre arrivera mardi

(2) L'écureuil ramasse des noisettes parce qu'il hivernera bientôt

(3) Paul ne va pas chez Marie aujourd'hui parce qu'il ira mardi

(4) L'assassin avait des gants parce qu'il ne subsiste aucune trace de doigts.

L'exemple (1) illustre un type de circonstancielle qui équivaut sémantiquement à une complétive. D'où les paraphrases :

(5a) Je suis heureux que Pierre arrive mardi.

(5b) Je suis heureux parce que je sais que Pierre arrive mardi

On remarque à ce propos que la phrase (1) ne peut être transposée dans le passé, car dans ce cas, la complétive s'impose :

(6a) * Mardi, j'étais heureux parce que Pierre arrive aujourd'hui

(6b) Mardi, j'étais heureux que Pierre arrive aujourd'hui.

(6c) Mardi, j'étais heureux parce que je savais que Pierre arriverait aujourd'hui.

L'énoncé (2) présente la cause finale d'un procès dont l'agent n'est pas conscient. C'est parce que l'agent n'est pas conscient que la subordonnée de but (L'écureuil ramasse des noisettes pour hiverner

bientôt) peut être remplacée par une causale à l'indicatif, mais c'est parce qu'il s'agit d'une cause finale que le procès de la subordonnée est postérieur à celui de la principale. Le fait que l'agent ne soit pas conscient du but pour lequel il agit selon une loi nécessaire implique que l'ordre d'enchaînement des événements est fixé avant même l'intervention de l'agent. Un cas de figure assez proche se rencontre en (3) : l'agent est certes conscient, mais sa décision d'aller chez Marie mardi est simultanée ou antérieure par rapport à celle de ne pas y aller aujourd'hui. On peut dire que dans ces trois types d'énoncés, la relation causale porte non pas directement sur les deux événements décrits par la subordonnée et la principale, mais sur la fixation de la vérité des propositions, la vérité de la proposition exprimée par la causale étant fixée antérieurement à l'événement qu'elle décrit (qui se trouve donc présenté comme «pré-déterminé»), et simultanément ou antérieurement à celle de la proposition exprimée par la principale. Cette fixation préalable de la vérité de la proposition fait l'objet d'un savoir (ou d'une croyance) en (1), d'une régularité nomologique (une loi de la nature) en (2), et d'une décision de l'agent en (3).

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

52

Bx1 ≤ B1, où Bx1 et B1 correspondent respectivement aux changements initiaux des

procès exprimés par la subordonnée causale et par la principale.

Cette contrainte, associée au principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de

référence, permet de rendre compte de l'inacceptabilité de certaines combinaisons

temporelles, qui seraient tout à fait possibles avec une relative :

134a) Les pommes de terre gelèrent parce qu'il fit très froid

134b) Les pommes de terre ont gelé parce qu'il a fait très froid

134c) Les pommes de terre gelaient parce qu'il faisait très froid

134d) Les pommes de terre gelèrent parce qu'il faisait très froid

134e) Les pommes de terre ont gelé parce qu'il faisait très froid

134f) ?* Les pommes de terre gelaient parce qu'il fit très froid

134g) ?* Les pommes de terre gelaient parce qu'il a fait très froid

134h) Les pommes de terre avaient gelé parce qu'il faisait très froid

134i) ?* Les pommes de terre avaient gelé parce qu'il fit très froid

134j) ?* Les pommes de terre avaient gelé parce qu'il a fait très froid.

Les exemples 134f) et 134g) ne sont pas acceptables parce que le principe de

dépendance contextuelle de l'intervalle de référence commande de faire coïncider

l'intervalle de référence de la principale avec celui de la subordonnée, qui est lui-même

lié par le procès auquel il correspond :

[I,II] CO [Ix,IIx], et [Ix,IIx] CO [Bx1,Bx2], où [Ix,IIx] et [Bx1,Bx2] désignent

respectivement l'intervalle de référence et l'intervalle du procès de la subordonnée.

Par ailleurs, l'aspect inaccompli marqué par l'imparfait conduit à dissocier l'intervalle de

référence ([I,II]) de l'intervalle du procès ([B1,B2]) dans la principale :

[B1,B2] RE [I,II].

Donc B1 < I = Ix = Bx1, ce qui contrevient à la contrainte sur la subordination causale :

Bx1 ≤ B1.

Enfin, dans l'exemple (4), la subordonnée exprime non la cause du procès lui-même, mais celle de l'énonciation (cf. L. Gosselin (1990)), la cause du dire fonctionnant comme justification de l'assertion. D'où la paraphrase :

(7) C'est parce qu'il ne subsiste aucune trace de doigts, que je puis affirmer que l'assassin avait

des gants.

De sorte que, même si elle est postérieure au procès exprimé par la principale, la cause du dire est au mieux simultanée à l'acte d'énonciation, mais ne saurait être future :

(8) * L'assassin avait des gants parce qu'il ne subsistera aucune trace de doigts.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

53

L'énoncé 134h) n'est acceptable que dans une seule des interprétations de la structure,

celle qui fait correspondre [Ix,IIx] à [I,II] et non à [I',II'] :

134h) Les pommes de terre avaient gelé parce qu'il faisait très froid.

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

[I,II][B1,B2]

CO

RE

En revanche, dans les énoncés 134i) et 134j), [I',II'] doit nécessairement être lié par

[Ix,IIx], qui coïncide avec [Bx1,Bx2] (à cause de l'aspect aoristique), de sorte que l'on

obtient la structure :

B1 = I < II = B2 < I' = Ix = Bx1 < II' = IIx = Bx2

134i) ?* Les pommes de terre avaient gelé parce qu'il fit très froid

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

[I,II][B1,B2]

CO

CO

qui contredit la contrainte sur la subordination causale.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

54

Tableau 3 : propositions en relation de concordance

Sub.� PQP PS PC IMP PR FUT FA COND

Princ. � aorist. acc. aorist. aorist. acc. inacc. inacc. aorist. acc. aorist.

PQP aorist. !

T'1(T1)

! T'2(T1) ! *

! T'1(T1)

! T'2(T1)

! T'2(T1)

! T'2(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

acc. !

T'1(T1)

T'2(T1) ! * !

T'1(T1) !

T'2(T1) T'2(T1) !

T'2(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

PS aorist. T'1(T1)

T'2(T1) ! * !

T'1(T1) !

T'2(T1) T'2(T1) !

T'2(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

PC aorist. T'1(T1)

T'2(T1) ! * !

T'1(T1) !

T'2(T1) T'2(T1) !

T'2(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

acc. T'1(T2)

T'1(T2) T'1(T2) T'1(T2) T'2(T2) T'1(T2) T'2(T2) T'3(T2) T'3(T2)

IMP inacc. !

T'1(T1)

T'2(T1) ! * ! * !

T'2(T1) T'2(T1) !

T'2(T1) T'3(T1) T'3(T1) T'3(T1)

PR inacc. T'1(T2)

T'1(T2) T'1(T2) T'1(T2) T'2(T2) T'1(T2) T'2(T2) T'3(T2) T'3(T2)

FUT aorist. T'1(T3)

T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) !

T'2(T3) T'1(T3) !

T'2(T3) !

T'3(T3) T'2(T3)

FA acc. T'1(T3)

T'1(T3) T'1(T3) T'1(T3) !

T'2(T3) T'1(T3) !

T'2(T3) !

T'3(T3) T'2(T3)

Commentaires sur le tableau 3

Les valeurs du tableau 3 sont déduites des mêmes principes que celles du

tableau 2, auxquels viennent cependant s'ajouter deux principes supplémentaires, qui

découlent du fait que les structures concernées correspondent à un enchâssement de

situations perceptives (cf. ch. 3, §3), et qui modifient souvent les résultats du calcul :

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

55

1) La contrainte aspectuelle sur la simultanéité (qui exclut qu'un procès simultané au

moment où il est observé puisse être perçu de façon aoristique) conduit

a) à des inacceptabilités : un prédicat au passé simple, dans la subordonnée, n'est pas

compatible avec un prédicat conjugué à un temps du passé dans la principale (sauf, on

l'a vu au ch. 3, §3, en présence de circonstanciels de localisation temporelle) :

135) * Il crut qu'il fut malade

croyait

avait cru

b) à des effets dérivés : un prédicat au passé composé aoristique dans la subordonnée

exprime non la simultanéité mais l'antériorité lorsque le prédicat de la principale est à

un temps du passé :

136) Luc apprit que Jean a vécu en Angleterre pendant dix ans;

de même, un prédicat au futur aoristique dans la subordonnée marque la postériorité

plutôt que la simultanéité si le verbe de la principale est lui même au futur :

137) Il dira qu'il sera malade pendant deux jours.

De cette interprétation temporelle du futur résulte, qu'en compensation – mais aussi en

raison du second principe qui va être exposé dans les lignes qui suivent –, le présent

inaccompli et le passé composé accompli servent à exprimer la simultanéité au futur (cf.

ch. 3, §3) :

138) Il dira qu'il est malade

139) Il dira qu'il a terminé depuis deux heures.

2) L'intervalle de référence de la principale, qui correspond à la position à partir de

laquelle le procès décrit par la subordonnée est perçu/montré, se voit pourvu d'une

saillance très importante, largement prépondérante par rapport à celui de la

subordonnée. Deux types de phénomènes en résultent :

a) toutes les ambiguïtés virtuelles qui figurent dans le tableau 2, et qui sont liées à la

pluralité des choix possibles d'un antécédent pour un intervalle de référence non saturé

par le procès qu'il concerne, sont levées par la concordance : un intervalle de référence

non saturé dans la subordonnée est nécessairement lié par l'intervalle de référence (le

plus saillant) de la principale, même si ce dernier n'est pas lui-même saturé :

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

56

140) Pierre avait dit que Luc était gravement malade

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

[I,II][B1,B2]

RE

CO

141) Pierre avait dit que Luc avait été gravement malade

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

[I,II] [I',II'][B1,B2]

COANT

CO

b) lorsque la subordonnée est au présent et que la principale est à un temps du passé,

l'intervalle de référence de la subordonnée ([Ix,IIx]) n'est que partiellement lié par

l'intervalle de l'énonciation ([01,02], il se rattache aussi (partiellement) à l'intervalle de

référence de la principale ([I,II]) :

Ix = I, IIx = 02

si bien que le procès qui lui correspond ([Bx1,Bx2]) est simultané à la fois au procès de

la principale et au moment de l'énonciation :

142) Luc avait appris que Pierre est malade

fig.4

Sub

.

Princ

.

01/02B1/B2I/II

I' II'

IxIIxBx2Bx1

Ces contraintes valent aussi pour les interrogatives indirectes :

143a) Luc se demandait ce que Marie avait fait (T'1(T1))

143b) Luc se demandait ce que Marie faisait (T'2(T1))

143c) Luc se demandait ce que Marie ferait (T'3(T1))

143d) * Luc se demandait ce que fit Marie

144a) Luc se demande ce que Marie a fait (T'1(T2))

144b) Luc se demande ce que Marie fait (T'2(T2))

144c) Luc se demande ce que Marie fera (T'3(T2))

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

57

145a) Luc se demandera ce que Marie a fait (T'1(T3))

145b) Luc se demandera ce que Marie fait (T'2(T3))

145c) Luc se demandera ce que Marie fera (T'3(T3)),

pour les relatives enchâssées dans une complétive :

146a) Luc savait que l'assassin tuerait le premier homme qu'il rencontrerait (T'3(T1))

146b) Luc croira que l'homme qui mange devant lui est un assassin (T'2(T3)),

et pour les relatives déictiques, moyennant une contrainte supplémentaire, qui impose la

simultanéité entre les deux procès (puisqu'il s'agit d'un compte-rendu de perception) :

147a) Pierre le vit qui mangeait

147b) * Pierre le vit qui mangerait (la simultanéité n'est pas respectée)

147b) * Pierre le vit qui mangea (la contrainte aspectuelle sur la simultanéité n'est pas

satisfaite)

148a) Tu l'entendras qui joue de la flûte (T'2 (T3))

148b) ?* Tu l'entendras qui jouera de la flûte.

5 Les circonstants aspectuo-temporels

5.1 Circonstanciels de temps et adverbes d'aspect

La notion de circonstant, définie de façon essentiellement négative (comme subsumant

tout complément qui ne désigne pas un actant41) recouvre une réalité hétérogène. Dans

le domaine aspectuo-temporel, on opposera les circonstanciels de temps qui

construisent un intervalle circonstanciel ([ct1,ct2]) sur l'axe temporel, aux adverbes

d'aspect, qui modifient les relations entre les intervalles construits à partir des autres

marqueurs de l'énoncé (en particulier entre l'intervalle de référence et celui du procès).

Parmi les circonstanciels temporels, on distingue à nouveau :

a) les circonstanciels de durée, qui définissent la taille de l'intervalle circonstanciel sans

le localiser autrement que par rapport au procès et/ou à l'intervalle de référence;

b) les circonstanciels de localisation, qui situent l'intervalle circonstanciel de façon plus

ou moins précise et plus ou moins déterminée (cf. ch. 4, §6) par rapport au calendrier

41 Cf. L Gosselin (1986) et (1990).

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

58

(localisation absolue), à l'intervalle de l'énonciation (localisation déictique), ou à un

autre procès (localisation relative); ce dernier type de localisation est caractéristique des

subordonnées circonstancielles, dans lesquelles l'intervalle circonstanciel est situé par

rapport au procès exprimé par la subordonnée.

L'intervalle circonstanciel entretient une relation précise avec l'un au moins des

intervalles associés à la proposition à laquelle il appartient. Cette relation

circonstancielle, notée RC, peut porter soit sur l'intervalle du procès ([B1,B2]), soit sur

l'intervalle de référence ([I,II])42, et elle peut prendre différentes valeurs, exprimables au

moyen des relations formelles définies au ch. 1 (coïncidence, recouvrement, antériorité,

etc., cf. ch. 1, §2.1.3). Nous verrons que dans les subordonnées temporelles, l'intervalle

circonstanciel, associé à la subordonnée tout entière, entretient aussi une relation avec

l'intervalle de référence ou avec celui du procès de la subordonnée elle-même.

Les adverbes d'aspect se laissent diviser en adverbes itératifs, qui se

répartissent à leur tour en adverbes de fréquence et de répétition, et en adverbes

présuppositionnels (déjà, encore). On examine très rapidement le fonctionnement de

ces adverbes, avant de consacrer les sections qui suivent aux circonstanciels temporels.

Les adverbes itératifs déclenchent, comme leur nom l'indique, l'itération du procès,

celle-ci s'accompagne de l'itération de l'intervalle de référence associé et de la

constitution d'une série itérative bornée de façon intrinsèque (si le nombre d'occurrences

du procès est déterminé; cf. ch. 2, §4) ou extrinsèque (si le nombre d'occurrences du

procès reste indéterminé). Les adverbes et locutions adverbiales de répétition (trois fois,

à cinq reprises) indiquent le nombre d'occurrences du procès, et déclenchent la

constitution d'une série intrinsèquement bornée ([Bsi1,Bsi2]43) :

149a) En dix ans, il a gagné la coupe quatre fois

149b) ?* Pendant dix ans, il a gagné la coupe quatre fois.

Les adverbes de fréquence marquent une évaluation le plus souvent subjective et

relative à une norme du nombre d'occurrences de procès . Ils se distribuent sur un

continuum :

42 On admet généralement, sans discussion, que la période désignée par le circonstanciel porte exclusivement sur le moment de référence (avec lequel elle est même souvent confondue). N. Hornstein (1990), p. 24 sq. est l'un des rares auteurs (avec W. Klein (1994)) à envisager les deux possibilités.

43 Cf. ch. 2, §4.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

59

toujours

presque toujours

généralement/habituellement

très souvent

souvent

parfois

rarement

très rarement

exceptionnellement

presque jamais

jamais

fig.5

et servent à construire une série de procès bornée de façon extrinsèque :

150a) ?* En dix ans, il a souvent gagné la coupe

150b) Pendant dix ans, il a souvent gagné la coupe.

Il est remarquable que une fois et jamais fonctionnent comme des adverbes itératifs,

bien qu'ils n'expriment pas, à proprement parler, l'itération du procès. Une fois a un

fonctionnement linguistique de marqueur d'itération intrinsèquement bornée, comme en

témoigne le contraste :

151a) ?* Marie a chanté en trois heures44

151b) Marie (n') a chanté (qu') une fois en trois heures

151c) Marie a chanté trois fois en trois heures.

Si le circonstanciel [en + durée] est compatible, en 151b), avec l'activité exprimée par le

prédicat chanter, il faut supposer que c'est parce que celle-ci est, comme dans l'exemple

151c), prise dans une série itérative intrinsèquement bornée (marquée [+ Bsi]) et, dans

ce cas, limitée à une seule occurrence de procès. De même, pour expliquer que le

44 La seule interprétation possible occasionnerait un glissement du procès vers le changement initial (ponctuel), et serait paraphrasable par «Marie a mis trois heures avant de chanter».

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

60

prédicat manger un chocolat, qui désigne un accomplissement, devienne compatible,

dans l'exemple 152b), avec le circonstanciel [pendant + durée] :

152a) * Pendant dix ans, Jean a mangé un chocolat

152b) Pendant dix ans, Jean n'a jamais mangé un chocolat

il faut admettre que le procès se trouve pris dans une série itérative bornée de façon

extrinsèque. Mais comme cette itération est d'une certaine façon déterminée, puisqu'elle

correspond à zéro occurrence du procès, elle est aussi parfaitement compatible avec [en

+ durée], ce qui n'est naturellement pas le cas avec les autres adverbes de la figure 5 :

153a) En dix ans, Jean n'a jamais mangé un chocolat

153b) * En dix ans, Jean a rarement/parfois/souvent/toujours mangé un/des chocolat(s).

Le fait que l'opposition entre itération déterminée (intrinsèquement bornée)

et itération indéterminée (bornée de façon extrinsèque) n'est pas directement déductible

des situations temporelles dénotées, mais résulte aussi du type de marqueur itératif

employé se trouve encore confirmé par l'opposition entre quelquefois et plusieurs fois.

Quoique ces deux expressions renvoient à des situations temporelles similaires,

quelquefois marque un bornage extrinsèque, tandis que plusieurs fois indique que le

bornage de la série est intrinsèque (le nombre d'occurrences du procès n'est pas précisé,

mais est donné comme pouvant l'être) :

154a) ? Pendant dix ans, Pierre a quelquefois rencontré Marie

154b) * En dix ans, Pierre a quelquefois rencontré Marie

155a) * Pendant dix ans, Pierre a plusieurs fois rencontré Marie

155b) ? En dix ans, Pierre a plusieurs fois rencontré Marie.

Dire qu'une itération est déterminée, c'est dire qu'on est (ou qu'on pourrait

être) en mesure de compter le nombre d'occurrences du procès réitéré. Pour que cela soit

possible, il est nécessaire que l'intervalle de référence soit au moins égal à celui du

procès, sans quoi l'on n'aurait pas accès à l'ensemble des réitérations; ce qui revient à

dire que l'itération déterminée (la répétition) implique que l'aspect soit aoristique. Aussi

un énoncé comme

156a) Pierre se promenait trois fois

sera-t-il nécessairement interprété en contexte comme exprimant une itération

(indéterminée) d'itérations (déterminées), puisque seule la construction d'une série

itérative permet de résoudre le conflit entre l'exigence, due au caractère déterminé de

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

61

l'itération, selon laquelle l'aspect doit être aoristique, et le fait que l'imparfait présente le

procès sous un aspect inaccompli. En revanche, l'itération indéterminée est parfaitement

compatible avec l'aspect inaccompli. Ainsi, l'énoncé

156b) En 1991, Luc se promenait souvent

est interprété comme désignant une simple série itérative, et non une itération de séries

itératives (à la différence de 156a)).

Les adverbes présuppositionnels déjà et encore donnent des informations

sur ce qui n'est pas directement montré du déroulement du procès (cf. ch. 3, §5). Encore

indique que le procès avait déjà lieu avant la vue qui en est donnée (présupposition) et

qu'il va vraisemblablement cesser ensuite (implication45); déjà marque qu'il y a eu au

moins un moment où le procès n'avait pas lieu, avant le début de la vue

(présupposition), et qu'il va vraisemblablement avoir encore lieu après la vue

(implication). On peut représenter ce fonctionnement, de façon très schématique, par les

structures :

fig.6a

I IIencore PP non P

fig.6b

I IIdéjà P Pnon P

On en trouve confirmation dans les inacceptabilités suivantes :46

157a) * Luc est encore malade, mais il a toujours été en bonne santé

157b) * Luc est encore vieux47 (il est impossible que le procès prenne fin)

45 Rappelons que cette asymétrie entre ce qui est déjà passé dans la fenêtre et ce qui est normalement attendu est directement liée à la structure de la dynamique temporelle et au dispositif de simulation de perception du défilement du temps, cf. ch. 3, §5.

46 Pour une analyse comparable et des exemples du même type, cf. R. Martin (1983), pp. 40-42, et aussi Cl. Muller (1975).

47 Exemple de Cl. Muller (1975), p. 26.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

62

158a) * Luc est déjà jeune (le procès n'a pas d'autre commencement que celui de la

naissance de l'individu concerné)

158b) * Beethoven a déjà écrit neuf symphonies (il ne peut en écrire d'autres).

Or on sait que ces adverbes peuvent prendre, dans le domaine aspectuel, deux valeurs

bien distinctes, que l'on a pu qualifier d'itérative et de durative, et qui sont identifiables

au moyen de paraphrases; ainsi, encore duratif équivaut à [continuer de Vinf] ou à [être

toujours Adj], itératif, il est substituable par à nouveau, une fois de plus. Pour

complexes qu'aient pu apparaître les règles qui président au choix de l'une de ces deux

valeurs en contexte, ou d'une ambiguïté entre les deux, elles se laissent aisément déduire

des principes déjà formulés sur la saillance des bornes des procès. En énonçant «encore

P», je vois directement P et j'entrevois, en-deçà de la frontière initiale de la fenêtre (I),

que P a déjà été le cas. De même, avec «déjà P», je vois P et j'entrevois au moins la

possibilité que P soit encore le cas au-delà de la borne finale de la fenêtre (II). Si les

bornes du procès ([B1,B2]) ont un faible degré de saillance, je ne les vois pas, et je peux

supposer soit qu'elles viennent prendre place entre la fenêtre et l'en-deçà ou l'au-delà de

ses bornes (impliquant ainsi un aspect itératif sur les procès, quoique duratif sur la série

itérative), soit qu'il n'en est rien et que le procès se prolonge de façon continue (aspect

strictement duratif). Si, en revanche, les bornes du procès sont marquées comme

coïncidant avec celles de la fenêtre (aspect aoristique) ou si elles ont une saillance

suffisante (si le procès est intrinsèquement borné), elles deviennent perceptibles et je

suis contraint d'admettre qu'il y a itération du procès. Il en résulte que l'effet de sens

itératif s'impose quand l'aspect est aoristique et/ou quand le procès est intrinsèquement

borné; tandis qu'un procès borné de façon extrinsèque et présenté sous un aspect

inaccompli autorise les deux interprétations :

159a) Il dormait encore (itératif ou duratif)

159b) Il a encore dormi (itératif à cause de l'aspect aoristique)

159c) Il mange encore du pain (itératif ou duratif)

159d) Il mange encore une pomme (itératif à cause de la valeur d'accomplissement du

procès)

160a) Il dort déjà (itératif : on s'attend à ce qu'il dorme à nouveau; ou duratif : on

s'attend à ce qu'il continue de dormir)

160b) Il a déjà dormi (itératif)

160c) Il mange déjà du pain (itératif ou duratif)

160d) Il mange déjà une pomme (itératif).

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

63

Les seules difficultés d'interprétation proviennent de la fragilité de l'opposition entre

activité et accomplissement (ch.2, §3) et du fait que d'autres marqueurs de l'énoncé ou

que des considérations d'ordre référentiel viennent bloquer l'itération :

161a) ?? Il a encore mangé cette pomme (comme la progression est irréversible, le procès

est non réitérable sur le même objet; le conflit ne peut se trouver résolu qu'à la

condition de considérer que le SN objet renvoie à un type d'objet plutôt qu'à un

objet singulier)

161b) ? Il a encore vendu cette voiture (on comprend que la même voiture a été vendue

plusieurs fois par la même personne ou qu'il s'agit de voitures différentes, mais

du même type).

5.2 La portée de la relation circonstancielle

La relation circonstancielle (RC) lie l'intervalle circonstanciel [ct1,ct2] à un autre

intervalle de la structure aspectuo-temporelle de l'énoncé. Sa portée (i.e. le choix de

l'intervalle affecté par le circonstanciel) est déterminée par la construction syntaxique du

complément circonstanciel selon une loi générale que l'on peut ainsi formuler :

Principe sur la portée du circonstanciel : l'intervalle circonstanciel marqué par les

circonstanciels de localisation temporelle porte sur l'intervalle du procès ([ct1,ct2] RC

[B1,B2]) lorsque le circonstanciel est intégré au syntagme verbal, et sur l'intervalle de

référence ([ct1,ct2] RC [I,II]) quand il est détaché.

A ce principe vient s'ajouter la contrainte selon laquelle, lorsque l'intervalle du procès

est affecté par un circonstanciel, il doit être accessible à partir de l'intervalle de

référence :

[ct1,ct2] RC [B1,B2] � [I,II] ACCESS [B1,B2].

Cette contrainte est cognitivement vraisemblable : on ne peut localiser (ou évaluer la

durée) d'un procès que si l'on en perçoit les bornes.

Rappelons brièvement les principales caractéristiques de ces deux types de

constructions du circonstanciel. Le détachement, avant d'être considéré comme un mode

de construction syntaxique ou syntactico-sémantique, désigne d'abord un type de

schéma prosodique, qui relève donc de l'étude des phénomènes supra-segmentaux dans

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

64

la phrase et qui s'oppose aux courbes intonatives liées48. A l'écrit, le détachement peut –

mais ce n'est pas nécessaire – être indiqué par une marque de ponctuation (virgule,

tirets, parenthèses ...). Au plan de la syntaxe de surface, les éléments détachés se

caractérisent par leur apparente «mobilité» dans la phrase et par le fait que leur nombre

n'est pas contraint. Du point de vue sémantique, l'opposition construction

intégrée/détachée se laisse décrire en termes de portée de la négation ou de certains

adverbes d'aspect. Les marques de détachement (courbe intonative, antéposition, et/ou

ponctuation) induisent nécessairement que le circonstanciel est hors de portée de la

négation (ou de l'adverbe); c'est parce que la ponctuation comme marque de

détachement n'est pas nécessaire que certaines phrases peuvent donner lieu, à l'écrit, à

des ambiguïtés. De sorte que l'énoncé

162a) Marie n'a pas parlé pendant que son frère lisait le journal

peut recevoir les paraphrases suivantes (qui correspondent respectivement aux lectures

intégrée et détachée) :

162b) Ce n'est pas pendant que son frère lisait le journal que Marie a parlé (mais avant ou après)

162c) Pendant que son frère lisait le journal, Marie n'a pas parlé.

De même, l'énoncé

163a) Marie parlait souvent pendant que son frère lisait le journal

se laisse-t-il paraphraser par

163b) C'est souvent pendant que son frère lisait le journal que Marie parlait

163c) Pendant que son frère lisait le journal, Marie parlait souvent.

La présence d'une virgule dans 162d) et 163d) conduit à exclure les interprétations

intégrées 162b) et 163b) :

162d) Marie n'a pas parlé, pendant que son frère lisait le journal

163d) Marie parlait souvent, pendant que son frère lisait le journal.

Au plan pragmatique, enfin, on reconnaît deux actes illocutoires distincts dans les

énoncés qui comportent une subordonnée détachée49, pour rendre compte du fait que

48 Cf. N. Dupont (1985).

49 Cf. J. Cl. Milner (1973) et C. Rubattel (1985).

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

65

seules ces subordonnées supportent l'insertion d'une parenthétique, d'un marqueur de

concession ou d'un adverbe d'évaluation subjective. C'est ainsi que dans les exemples

suivants, la subordonnée temporelle est nécessairement interprétée comme hors du

champ de la négation, quoique aucune marque de ponctuation n'en signale explicitement

le caractère détaché :

164a) Il ne mangeait pas quand il avait – prétendait-il – envie de fumer

164b) Il n'a pas été déçu après avoir pourtant perdu la course

164c) Il n'a pas été déçu après avoir, malheureusement, perdu la course.

Le principe sur la portée du circonstanciel rend compte des phénomènes

suivants :

a) Lorsque le procès est présenté sous un aspect aoristique ([B1,B2] CO [I,II]), aucune

différence de nature temporelle n'apparaît entre les constructions intégrée et détachée du

circonstanciel :

165a) Samedi, Pierre a été à la pêche

165b) Pierre a été à la pêche samedi (on admet, pour la commodité de l'exposé, que les

circonstanciels placés en fin de proposition, sans ponctuation, doivent être

interprétés comme intégrés au SV)

ct1 < B1 = I < II = B2 < ct2.

b) A l'aspect inaccompli, qui dissocie [B1,B2] de [I,II], l'effet produit par les deux

constructions est nettement différent :

166a) A huit heures, Pierre dormait

166b) Pierre dormait à huit heures.

Dans 166a), le circonstanciel (ponctuel) localise l'intervalle de référence (avec lequel il

coïncide) sans que la situation des bornes du procès (non ponctuel) soit précisée :

B1 < ct1 = I ∝ II = ct2 < B2.

L'énoncé 166b) implique l'itération ainsi qu'une contraction du procès sur sa phase

initiale, parce que le circonstanciel ponctuel porte sur le procès intrinsèquement non

ponctuel (ce qui entraîne la contraction, comme résolution de conflit) et que l'aspect

inaccompli, marqué par l'imparfait, empêche que l'on puisse accéder, à partir de

l'intervalle de référence, aux bornes du procès (conflit régulièrement résolu par

l'itération : chacune des occurrences de procès est vue de façon aoristique, mais la série

itérative est perçue comme inaccomplie). L'intervalle de référence doit alors chercher

son antécédent dans une autre phrase du contexte.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

66

On comprend donc pourquoi un circonstanciel de date complète ou un déictique, qui

fixe un moment précis du temps et interdit donc toute itération (sauf, bien entendu, si

elle est interne à la période considérée) ne paraît compatible avec l'aspect inaccompli

que s'il est détaché :

167a) Le 18 février dernier, il était malade

167b) ?* Il n'était pas malade le 18 février dernier, mais le lendemain50.

c) Avec l'aspect accompli, le circonstanciel est nécessairement interprété comme

détaché, et comme portant sur l'intervalle de référence ([I',II']) attaché à l'état résultant :

168a) Ce soir, Luc aura terminé son travail depuis longtemps

168b) * Luc n'aura pas terminé depuis longtemps son travail ce soir, mais seulement demain soir.

S'il était intégré (comme dans 168b), il devrait porter soit sur [B1,B2] (le procès lui-

même), soit sur [B'1,B'2] (l'état résultant), or ni l'une ni l'autre de ces deux relations

n'est acceptable :

– il ne peut porter sur [B1,B2], car c'est l'état résultant qui a une saillance prépondérante

(marquée par [depuis + durée]); cf. §3.5.;

– il ne peut non plus porter sur [B'1,B'2], car l'état résultant est présenté sous l'aspect

inaccompli ([B'1,B'2] RE [I',II']; cf. §3.8.).

Il suit qu'un énoncé du type :

169a) Le lundi 7 janvier, Pierre avait prévenu ses parents

est virtuellement ambigu, dans la mesure où le circonstanciel peut localiser [I,II] et

donner lieu à une interprétation aoristique, ou [I',II'] et imposer l'aspect accompli, selon

les structures respectives :

fig.7a

ct1 B1/B2

I/II

B'1

ct2 I' II'B'2 01/02

50 Ce type d'énoncé ne devient acceptable que si l'on interprète la négation comme étant de nature «métalinguistique» (i.e. comme réfutant les paroles effectives d'un interlocuteur qui aurait affirmé qu'«Il était malade le 18 février dernier»; cf. O. Ducrot (1984), p. 217).

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

67

fig.7b

ct1B1/B2

I/II

B'1

ct2I' II'B'2 01/02

En revanche, lorsque le circonstanciel est intégré (construction qui exclut l'aspect

accompli), seule l'interprétation aoristique est envisageable :

169b) Pierre avait prévenu ses parents le lundi 7 janvier.

Le principe sur la portée des circonstanciels vaut également pour les

subordonnées circonstancielles temporelles : aucune différence entre les deux types de

construction (intégrée ou détachée) n'apparaît quand le procès exprimé par la principale

est présenté sous l'aspect aoristique, tandis que l'aspect inaccompli impose l'itération

lorsque la subordonnée est intégrée (encore faut-il qu'elle tolère elle-même l'itération),

et que l'accompli exclut la construction intégrée. Exemples :

170a) Quand tu es rentré, Pierre a souri

170b) Pierre a souri quand tu es rentré

171a) Quand tu es rentré, il pleuvait

171b) ?* Il ne pleuvait pas seulement quand tu es rentré (l'itération imposée par la

construction intégrée est exclue par la passé composé dans la subordonnée)

171c) Pierre riait quand Marie lui parlait de son enfance (itération)

172a) * Depuis huit jours, Pierre n'avait pas prévenu ses parents quand je l'avais contacté, mais

seulement quelques heures plus tard (l'aspect accompli, marqué par [depuis + durée]

est incompatible avec la construction intégrée)

172b) Quand je l'avais contacté, Pierre avait prévenu ses parents.

Dans ce dernier exemple, l'aspect de la principale peut être interprété comme accompli

ou aoristique; d'où les paraphrases respectives :

172c) Quand je l'avais contacté, Pierre avait (déjà) prévenu ses parents (cf. fig.7b)

172d) Pierre avait prévenu ses parents dès que je l'avais contacté (cf. fig.7a).

En revanche, quand la subordonnée est intégrée au SV, le procès de la principale,

présenté au plus-que-parfait, est nécessairement perçu de façon aoristique :

172e) Pierre avait prévenu ses parents quand je l'avais contacté.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

68

Quoiqu'obéissant au même principe, les circonstanciels de durée

[en/pendant + durée] sont soumis à une contrainte supplémentaire : ils portent

nécessairement sur le procès, dont ils évaluent la durée ([ct1,ct2] RC [B1,B2]). Il en

résulte qu'à l'aspect inaccompli, ils imposent l'itération, comme mode de résolution de

conflit, quelle que soit leur construction :

173a) Il nageait pendant deux heures

173b) Pendant deux heures, il nageait

173c) Il avalait son repas en cinq minutes

173d) En cinq minutes, il avalait son repas

et qu'ils sont toujours incompatibles avec l'aspect accompli :

174a) * En/pendant deux heures, il avait terminé son travail depuis longtemps

174b) * Il avait terminé son travail depuis longtemps en/pendant deux heures.

5.3 La nature de la relation circonstancielle

La nature de la relation circonstancielle est définie par la relation entre les bornes de

l'intervalle circonstanciel et celles de l'intervalle sur lequel il porte (cf. ch. 1, §2.1.3).

Elle est indiquée non par la construction syntaxique du circonstanciel, mais par les

marqueurs qui le constituent. Rappelons, en les commentant, les huit types de relations

circonstancielles qu'il convient de distinguer :

1) Accessibilité : [ct1,ct2] ACCESS ([I,II] et/ou [B1,B2])

exemples : Lundi, cette année là, pendant les vacances, pendant que P, etc.

Cette relation d'accessibilité peut prendre la valeur de recouvrement si le procès est

ponctuel alors que l'intervalle circonstanciel ne l'est pas, ou si l'intervalle du procès ne

peut, pour des raisons pragmatico-référentielles évidentes, occuper la totalité de

l'intervalle circonstanciel:

175) Samedi dernier, Pierre a capturé un papillon

[ct1,ct2] RE [I,II]

Elle peut aussi prendre la valeur de coïncidence lorsque l'intervalle de référence doit

être lié par le circonstanciel (en vertu du principe de dépendance contextuelle de

l'intervalle de référence) :

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

69

176) Samedi dernier, Pierre était malade

[ct1,ct2] CO [I,II]

mais ces spécifications de la relation d'accessibilité ne sont pas codées par le

circonstanciel lui-même, elles résultent de l'interaction globale des marqueurs de

l'énoncé.

2) Recouvrement : [ct1,ct2] RE ([I,II] et/ou [B1,B2])

exemples : au cours de la matinée, dans le courant de la semaine, courant décembre,

dans la soirée, tandis que P, alors que P, etc.

A la différence de ce qui se passe avec les marqueurs d'accessibilité circonstancielle, un

procès aoristique ne peut occuper la totalité de l'intervalle circonstanciel, comme

l'indiquent les contrastes :

177a) Pendant les vacances, Luc a toujours été très gentil avec sa soeur

177b) ?* Au cours des vacances, Luc a toujours été gentil avec sa soeur

178a) Pendant que Pierre était dans la marine, Marie s'est toujours intéressée aux bateaux

178b) ?* Tandis que Pierre était dans la marine, Marie s'est toujours intéressée aux bateaux51.

Ces marqueurs paraissent parfois difficilement compatibles avec l'aspect inaccompli :

179a) ?* Au cours des vacances, Luc était malade

car l'intervalle de référence non saturé par celui du procès devrait l'être par l'intervalle

circonstanciel, avec lequel il ne peut cependant coïncider. Il lui faut alors trouver un

autre antécédent. Ce qui n'est pas envisageable avec l'énoncé 179a), pris hors contexte,

le devient dans les exemples 179b) et 179c) où l'intervalle de référence se trouve lié

respectivement par un autre circonstanciel et par l'intervalle de référence de la

subordonnée :

179b) Au cours des vacances, le jour où Marie est rentrée, Luc était malade

179c) Tandis que Marie lisait, Pierre écoutait de la musique.

3) Coïncidence :[ct1,ct2] CO ([I,II] et/ou [B1,B2])

exemples : pendant deux heures, en dix minutes, de 8 heures à midi, tant que P, etc.

51 Pour être acceptable, ce type d'énoncé implique que tandis que prenne une valeur adversative et non temporelle, ce qui est ici difficilement envisageable.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

70

La différence de fonctionnement entre pendant que et tant que est illustrée par le

contraste suivant :

180a) Pendant qu'ils étaient aux sports d'hiver, Marie a fait la rencontre de Paul

180b) *Tant qu'ils étaient aux sports d'hiver, Marie a fait la rencontre de Paul.

L'agrammaticalité de 180b) résulte du fait que les deux procès ne peuvent avoir des

tailles comparables (le procès exprimé par la subordonnée est non ponctuel, celui de la

principale est ponctuel) alors que tant que implique que le procès exprimé par la

principale dure au moins aussi longtemps que celui de la subordonnée (cf. §5.4). La

seule solution dans ce cas est de construire une itération indéterminée du procès

exprimé par la principale (ce qui n'était pas possible avec l'exemple 180b) l'est avec

180c)) :

180c) Tant qu'ils étaient aux sports d'hiver, Marie a fait sa gymnastique.

4) Coïncidence partielle :

à gauche : ct1 = (I et/ou B1)

exemples : dès le début de la matinée, dès que P, sitôt que P, aussitôt que P, à

partir du moment où P, etc.

à droite : ct2 =(II et/ou B2)

exemples : Jusqu'à midi, jusqu'à ce que P, jusqu'au moment où P, etc.

Ces marqueurs indiquent que seule l'une des bornes de l'intervalle circonstanciel est

prise en compte. Cette borne peut être elle-même repérée par rapport au début ou à la

fin d'un procès exprimé dans la subordonnée, ou au procès tout entier s'il est ponctuel :

181a) Luc pleura dès qu'il apprit la nouvelle (point de repère de ct1 : procès ponctuel)

181b) Luc se sentit mieux dès qu'il mangea (point de repère de ct1 : début du procès)

181c) Luc se sentit mieux dès qu'il eut mangé (point de repère de ct1 : fin du procès)

182a) Il marchera jusqu'à ce qu'il rencontre quelqu'un (point de repère de ct1 : procès

ponctuel)

182b) Il s'acharnera jusqu'à ce qu'il soit malade (point de repère de ct2 : début du procès)

182c) Il s'acharnera jusqu'à ce qu'il ait tout lu (point de repère de ct1 : fin du procès).

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

71

5) Accessibilité inverse : ([I,II] et/ou [B1,B2]) ACCESS [ct1,ct2]

exemples : toute la matinée, tout le temps que P, etc.

En énonçant

183a) Toute la matinée, Marie a lu

183b) Tout le temps que Pierre a dormi, Marie a lu

le locuteur indique que le procès exprimé par la proposition Marie a lu a duré au moins

toute la période correspondant à l'intervalle circonstanciel, mais qu'il a pu aussi excéder

cette période. D'où la possibilité d'énoncer

184a) Toute la soirée il a joué du piano; il avait d'ailleurs commencé en début d'après midi

sans que cela implique, comme en 184b) et 184c) l'itération du procès (à titre de mode

de résolution de conflit) :

184b) ? Pendant la soirée il a joué du piano; il avait d'ailleurs commencé en début d'après midi

184c) ? Au cours de la soirée il a joué du piano; il avait d'ailleurs commencé en début d'après midi.

6) Antériorité : [ct1,ct2] ANT ([I,II] et/ou [B1,B2])

exemples : après le repas, après que P.

La distance entre ct2 et la borne initiale de l'intervalle sur lequel porte le circonstanciel

peut être marquée comme infiniment petite (aussitôt après, juste après : ct2 ∝ I ou B1),

ou comme importante (bien après , longtemps après : ct2 ⊂ I ou B1); elle peut même

être mesurée (deux heures après ).

7) Postériorité : [ ct1,ct2] POST ([I,II] et/ou [B1,B2])

exemples : avant le repas, avant que P.

La distance entre ct1 et II ou B2 peut, là encore, être évaluée ou mesurée : juste avant,

bien avant, trois ans avant, etc.

5.4 La subordination temporelle

Comme on vient de le voir, les subordonnées temporelles sont régies par les mêmes

principes que les autres compléments circonstanciels temporels. Reste cependant à

préciser la nature et la portée de la relation entre l'intervale circonstanciel [ct1,ct2] et les

autres intervalles constitutifs de la structure aspectuo-temporelle de la proposition

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

72

subordonnée elle-même. On notera cette relation circonstancielle subordonnée :

RCs.

On distingue deux modes de subordination temporelle : la subordination

directe, marquée par une conjonction ou une locution conjonctive (quand, comme,

tandis que, pendant que, etc.), et la subordination indirecte, construite au moyen d'un

syntagme prépositionnel contenant un substantif désignant une période de temps, suivi

d'une relative servant à identifier ou à caractériser cette période (le jour où, un jour où,

l'année où, au moment où, après le jour où, etc.).

Avec la subordination indirecte, la relation circonstancielle subordonnée

prend la forme :

[ct1,ct2] ACCESS [I,II], où [I,II] désigne l'intervalle de référence de la subordonnée.

Le circonstanciel porte sur [I,II] et non sur [B1,B2], comme l'indique la possibilité

d'énoncer «un jour où il pleuvait», qui laisse indéterminée la situation des bornes du

procès lui-même (quand il a commencé et cessé de pleuvoir). Il arrive cependant que ce

phénomène soit masqué, même à l'aspect inaccompli, lorsque la relative sert à identifier

l'entité temporelle présentée au moyen d'une description définie qui en stipule l'unicité.

Ainsi, en énonçant «le jour où il pleuvait», le locuteur sous-entend, en effet, qu'il n'a pas

plu les autres jours, et donc que les bornes du procès correspondent approximativement

à celles de l'intervalle circonstanciel : B1 ∝ ct1 = I ⊂ II = ct2 ∝ B2.

Par ailleurs, la relation d'accessibilité prend la valeur de coïncidence (qui en

constitue une spécification) quand le circonstanciel est ponctuel (au moment où) ou

quand l'intervalle de référence doit être lié par l'intervalle circonstanciel (par exemple :

«un/le jour où il pleuvait»). En revanche, elle prend la valeur de recouvrement quand le

procès, présenté sous un aspect aoristique, ne peut occuper la totalité de la période

dénotée par le circonstanciel («le jour où Luc a capturé un papillon»).

Les relations entre le procès de la principale et celui de la subordonnée sont

directement déductibles à partir de ces principes. Exemple :

185) Le jour où Marie rencontra Luc, il pleuvait

Analyse de la principale :

pleuvoir : Be1 ⊂ Be2 (activité)

imparfait : [I,II] ANT [01,02] (temps passé)

[B1,B2] RE [I,II] (aspect inaccompli)

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

73

le jour où ... : ct1 ⊂ ct2 (circonstanciel non ponctuel)

[ct1,ct2] RC [I,II] (portée de RC induite par la construction détachée)

[ct1,ct2] ACCESS [I,II] et/ou [B1,B2] (nature de RC).

Application du principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de référence :

[ct1,ct2] CO [I,II] (l'intervalle de référence est lié par l'intervalle circonstanciel en vertu

de la relation de proximité n°2).

D'où la structure de la principale : B1 < ct1 = I < II = ct2 < B2, et II < 01.

Analyse de la subordonnée :

rencontrer : Bi1 ∝ Bi2 (achèvement)

passé simple : II ⊂ 01 (temps passé)

[B1,B2] CO [I,II] (aspect aoristique)

le jour où ... : ct1 ⊂ ct2 (circonstanciel non ponctuel)

[ct1,ct2] ACCESS [I,II] (nature et portée de RCs induites par la

subordination indirecte).

Comme ct1 ⊂ ct2 et que I = B1 ∝ B2 = II, alors RCs prend la valeur de recouvrement

(comme spécification de ACCESS) : [ct1,ct2] RE [I,II].

Structure de la subordonnée : ct1 < I = B1 ∝ B2 = II < ct2, et II ⊂ 01.

Soit la représentation associée à l'ensemble de l'énoncé :

fig.8

Sub.

Princ.

01/02

B1 I

ct1 B1/B2I/II

II

ct2

B2

Il résulte de l'application de ces principes que lorsque l'intervalle circonstanciel est non

ponctuel, que la relation circonstancielle indique l'accessibilité, et que les deux procès

sont présentés de façon aoristique, leur relation chronologique relative n'est pas

linguistiquement contrainte; on sait seulement qu'ils adviennent pendant une même

période :

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

74

186) Le jour où Pierre a rencontré Marie, Luc a quitté Jeanne52.

Avec la subordination directe, la situation dénotée par la subordonnée sert

non pas à identifier ou à caractériser la période correspondant à l'intervalle

circonstanciel, mais à la définir. Il suit que l'intervalle circonstanciel doit coïncider avec

celui du procès exprimé par la subordonnée :

[ct1,ct2] CO [B1,B2], où [B1,B2] correspond au procès de la subordonnée.

C'est la nature et la portée de la relation circonstancielle dans la principale qui, avec les

aspects associés aux temps verbaux, détermine les relations chronologiques entre

procès. Exemple :

187) Tandis que Marie regardait la télévision, Pierre lisait un livre.

Analyse de la principale :

lire un livre : B1 ⊂ B2

imparfait : [I,II] ANT [01,02] (passé)

[B1,B2] RE [I,II] (inaccompli)

tandis que ... : [ct1,ct2] RC [I,II] (portée de la RC marquée par la construction

détachée)

[ct1,ct2] RE [I,II] et/ou [B1,B2] (nature de RC, marquée par la locution

conjonctive).

Comme [ct1, ct2] RE [I,II], il est nécessaire que ct1 ⊂ ct2.

Analyse de la subordonnée :

regarder la télévision : B1 ⊂ B2

imparfait : [I,II] ANT [01,02] (passé)

[B1,B2] RE [I,II] (inaccompli)

tandis que ... : [ct1,ct2] CO [B1,B2] (subordination temporelle directe).

52 Cette indétermination de la relation chronologique est cependant généralement levée par l'établissement de relations entre procès (ex.: Le jour où il a appris la nouvelle, il s'est mis au travail). Elle se maintient dans l'énoncé (186) grâce au changement de thème, qui suspend la loi de succession.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

75

Application du principe de dépendance contextuelle de l'intervalle de référence :

l'intervalle de référence de la subordonnée et celui de la principale coïncident (se lient

entre eux), car l'intervalle circonstanciel ne peut servir d'antécédent.

D'où la structure globale :

fig.9

Sub.

Princ.

01/02

B1

ct1ct2

B2

B1 I II

I II

B2

Reste que les différentes conjonctions et locutions conjonctives peuvent

imposer des contraintes supplémentaires. On en évoque deux qui ont des effets, à

première vue, surprenants :

Pendant (que)53 exige 1) que le procès de la subordonnée corresponde à un situation (et

non à un changement) sur le schéma cognitif du changement, et 2) que cette situation

soit perçue dans son ensemble.

La première exigence est confirmée par les relations de compatibilité suivantes (cf. ch.

4, §6) :

188a) pendant la matinée la soirée la journée l'année

188b) pendant * le matin

* le soir

* le jour

* l'an.

Elle conduit la locution conjonctive à exclure les procès ponctuels (qui ne sont pas

analysables comme des situations) dans la subordonnée :

189) * Pendant qu'il a aperçu l'avion ...

ou a imposer des déformations du procès :

53 Certaines de ces contraintes valent aussi pour tant que et tout le temps que, mais elles n'ont pas toujours les mêmes effets.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

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190a) Pendant qu'il a toussé ... (itération)

190b) Pendant que la boucherie a fermé ... (déplacement sur la situation résultante).

La seconde exigence impose que l'intervalle du procès et l'intervalle de référence de la

subordonnée soient en relation de coïncidence approximative. On définit cette relation,

qui n'a pas encore été présentée, comme la disjonction entre les deux relations

primitives entre bornes «=» et «∝» :

i ≈ j =df (i = j) ∆ (i ∝ j) ∆ (j ∝ i) [coïncidence approximative entre bornes]

[i,j] COa [k,l] =df (i ≈ k) & (j ≈ l) [coïncidence approximative entre intervalles].

Admettre que pendant que impose la coïncidence approximative de l'intervalle de

référence et de celui du procès de la subordonnée ([I,II] COa [B1,B2]) permet de rendre

compte des phénomènes suivants :

a) Il n'y a pas de différence temporelle sensible entre l'aoristique et l'inaccompli

dans la subordonnée :

191a) Pendant qu'il mangeait ...

B1 ∝ I ⊂ II ∝ B2

191b) Pendant qu'il a mangé ...

B1 = I ⊂ II = B2.

b) Il est impossible d'insérer [depuis + durée] dans la subordonnée même lorsque

l'aspect est inaccompli, car la distance entre B1 et I est non mesurable :

192a) Il mangeait depuis un quart d'heure

192b) Tandis qu'il mangeait depuis un quart d'heure, le téléphone sonna

192c) * Pendant qu'il mangeait depuis un quart d'heure, le téléphone sonna.

c) Le procès présenté à l'imparfait inaccompli est nécessairement passé parce que

II précède 01 et que II et B2 coïncident presque. Ce phénomène est, en outre,

confirmé par l'impossibilité d'insérer, dans la subordonnée, l'adverbe déjà, qui

impliquerait que le procès se soit prolongé au-delà de la vue qui en est donnée (cf.

§5.1) :

193a) Il pleuvait déjà abondamment. Luc sortit se promener

193b) Tandis qu'il pleuvait déjà abondamment, Luc sortit se promener

193c) * Pendant qu'il pleuvait déjà abondamment, Luc sortit se promener.

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Grammaire des marqueurs de temps et d'aspect

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d) Enfin, l'aspect aoristique devient compatible avec la locution [être en train de

Vinf] :

194a) *Il a été en train de manger

194b) Pendant qu'il a été en train de manger, le téléphone a sonné

B1 ∝ I ⊂ II ∝ B2.

L'aoristique est possible (quoique peu naturel) parce que les bornes de l'intervalle

de référence et celles du procès ne sont pas franchement disjointes; [être en train

de Vinf] s'accomode du fait qu'elles ne sont pas exactement superposées.

2) Dès (que)54 demande, à l'inverse, que le procès de la subordonnée et celui de la

principale correspondent à des changements (inanalysables) sur le schéma cognitif du

changement.

D'où les relations de compatibilité :

195a) dès * la matinée * la soirée * la journée

? l'année de son arrivée 55

195b) dès le matin

le soir

le jour de son arrivée

l'an 800.

Il suit que dès que exclut que le procès exprimé par la subordonnée puisse être présenté

sous l'aspect inaccompli (il ne peut être vu de l'intérieur). A l'imparfait, au plus-que-

parfait accompli ou au présent, le conflit est résolu par l'itération :

196a) Dès qu'il mangeait, il se sentait mieux

196b) Dès qu'il avait mangé, il se sentait mieux

196c) Dès qu'il mange, il se sent mieux

et, contrairement à ce qui se produit avec les circonstanciels intrinsèquement ponctuels

(au moment où, à l'instant où ...), aucune dilatation du procès n'est possible avec dès

que :

54 Ces contraintes valent aussi pour aussitôt que et sitôt que.

55 Cette combinaison n'est pas exclue, parce que dans ce type de syntagme nominal, le substantif année ne commute pas avec an (* l'an de son arrivée), de sorte que l'on peut supposer qu'il ne désigne pas nécessairement une situation, mais qu'il peut aussi servir à exprimer un changement.

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SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE

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197a) Au moment où il sortait, il aperçut Marie

197b) * Dès qu'il sortait, il aperçut Marie (l'itération est bloquée par le passé simple dans la

principale).

La même contrainte vaut pour le procès de la principale, qui conduit aux mêmes effets :

198) * Dès qu'il entra, il pleuvait (l'itération, comme mode de résolution de conflit, est

bloquée par le passé simple dans la subordonnée).

La seule façon de montrer l'intérieur du procès de la subordonnée consiste, comme avec

pendant que, à combiner un temps aoristique avec [être en train de Vinf] :

199) Dès qu'ils furent en train de manger, le téléphone sonna

car cette combinaison de marqueurs indique la coïncidence approximative de l'intervalle

de référence et de celui du procès.

Une description précise des instructions codées par les différentes

conjonctions et locutions conjonctives, et de leurs effets de sens en contexte reste à

écrire. Nous avons simplement voulu montrer – en rupture avec la tradition qui envisage

uniquement les relations entre procès56 – qu'elle n'était formulable de façon prédictive

qu'à la condition de considérer la subordination temporelle comme un système de

relations complexes entre différents types d'intervalles (les intervalles de référence et les

intervalles de procès de la principale et de la subordonnée, ainsi que l'intervalle

circonstanciel).

56 Cf. la critique de L. Olsson (1971) par A. Klum (1975).

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