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    cET ouvMGE poIT ETRE RET0URi{E I LA B.U. DEREII{S SECTION DROIT/LETTRES' IC :

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    O 1989 by l,Es Enmorusos MINur7, tue Bernard-Palissy, 75006 ParisLe loi du 11 m.s l9t7 intcrdit lc copics ou rcprcducim dstin66 i mc utilisrtionollaivc. Toutc rcprtsotalion ou rcprcdmion int6grrlc ou Panielle faite par qudquepcd qu cc sit, ss3 lc oscntoot de I'autcu ou dc s ryots c.sc, 6t illicitc dionstitue uc conrcfagon sctiom6c par les cicla 42, et suivsts du Codc pmd.

    ISBN 2-7071-1110-6

    AveNr.pnoposFAITS D'AUJOURD'HI.II ET TFIEORIES D'AUTREFOIS

    Pour devenir, au moins un peu, consciente d'elle-mOme, unerecherche sur le langage doit toujours, me semble-t-il, s'accom-pagner d'une rflexion sur la radition linguistique. Autrement,on ne sait plus du tout de quoi 9n parle. C'est ce qui nous arrivesouvent, par exemple, quand nous padons de delangage, que nous pr6tendons, apfes avoir < observ6 > unensemble de < faits >, chercher, ensuite, une explication ou, plusmodestement, 6tablir parmi eu)r un certain nombre de r6gulari-t6s.

    I1 nous arrive ainsi fr6quemment de prendre pour que tel 6nonc6 est contradictoire de tel autre, ou enimplique un troisidme. Mais il faut tre conscient que, dans cecas, nous utilisons, pour percevoir la r6alit6 linguistique elle-meme, des concepts d'implication ou de conffadiction dontl'application au langage ne va nullement de soi, meme si elle estle produit d'une longue radition linguistique logicienne. Ouencore, si nous prenons pour fait que tel 6nonc6 est grammati-cal, et non tel autre, nous nous appuyons sur une conceptionnormative du langage - probablement in6vitable et ancrEe dansla pratique du langage, mais qu'il serait bon d'expliciter si l'onveut maitriser tant soit peu son propre discours. (Et que l'onne pense pas qu'on est moins nonnatif sous pretexte qu'onutilise Lrne norme plus lib6rale.) Duhem disait que les faitsd'aujourd'hui sont construits avec les th6ories d'hier. Je ne voispas pourquoi cela serait moins vrai des faits linguistiques quedes faits physiques. Nous ne pouvons observer la langueactuelle qu'i travers des th6ories anciennes, et il peut fte sainde se demander si le vin nouveau ne tire pas de la vieille outreune partie de sa saveur.

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    LoGIQUE, STRUCTURE, ENONCTENONC'est, pour ma part - et je ne suis certainement pas leseul -, une difficult6 que ie rencontre d chaque pas de marecherche. Par exemple, j'essaie de construire, avec J.'C. Ans-combre, une th6orie dite de I'u argumentation dans la lan-gue )>, qui vise i d6crire les mots et les phrases en indiquant,et en indiquant seulement, quelles potentialit6s argumentati-ves y sont contenues, quelles orientations leur emploi imposeau discours, sans faire intervenir dans leur description desconcepts de type logique tels que ceux de vrai et de faux'Mais, pour justifier mes descriptions, je dois montrer qu'ellespermettent d'expliquer, ou simplement de comprendre, uniertain nombre de faits, d'observations. Or il se trouve queces faits dont je dois rendre compte ne sont pas, si ie puisdire, faits; ce sont des faits observ6s i l'aide d'unegrille qui n'est pas la mienne, et qui vient d'une longue radi-tion, dont justement je voudrais me d6banasser. Notamment,ces observations sont souvent faites en termes de conditionsde v6rit6; elles consistent a se demander dans quels contextes

    et dans quelles situations l'6nonciation de telle ou telle phraseest vraie ou fausse : toute une tradition logicienne nous forceen effet i percevoir la parole i travers ces concepts - et toutune traditibn morale se greffe ld-dessus, qui nous fait appa-raitre raisonnable de nous demander, devant chaque 6noncia'tion, si le locuteur est sincire ou menteur, c'est-d-dire s'il ditce qu'il croit vrai ou ce qu'il croit faux.Celui qui consruit une th6orie espdre bien qu'elle pennet-tra un jour de construire de nouveaux faits - c'est-i-dire,j'insiste sur ce point, d'introduire un nouveau biais dans l'ob-servation, de changer la perception m6me que I'on a de laparole, de rendre attentif i des aspects iusque-li impercepti-bles, et de faire n6gliger des nuances sur lesquelles l'attentionest habituellement attir6e; mais, en attendant, il faut bienqu'il justifie ce qu'il dit, et, pour cela, il doit expliquer desfaits auxquels il i'int6resse m6diocrement, des faits auxquelssa th6oriJ enldvera, si elle r*6ussit, une bonne partie de leurimportance, voire de leur 6vidence. Inutile d'ajouter que lesobiervations qu'il cherche d ptomouvoir subiront le mmesort que celles d'ot il est parti : elles sont destin6es, ellesaussi, i apparaiffe un jour comme la coquille d'une th6oriemorte. Seuls les optimistes trouveront cette perspectiv,e pes-

    FAITS ET TTTEOruTS

    simiste, car l'important, en linguistique, ce ne sont - i9l'aidit souvent sani arriver i le faire admettre, sans d'ailleursparvenir i I'admetffe moi-mme totalement - ni les faits niies th6ories, c'est leur rapport. Ce qui est passionnant, c'estde voir comment les th6ories, y compris celle que le cher-cheur est en train d'6laborer, modifient la fagon de vivre etde percevoir le langage. D'or) une deuxidme raison de s'int6-..rr., ",, pass6 de la linguistique : il nous permet non seule-ment de mieux expliciter les < faits u sur lesquels nous tra'vaillons, mais de mesurer combien le langage est ffansformepar l'activit6 qui vise d l'expliquer - activite m6talinguistiquequi n'est pas ixt6rieure i la langue, mais qui en fait partie.Les textes rassernbl6s dans ce volume, 6crits enre 1966 et1986, sont destin6s i donner quelques exemples de cetter6flexion qu'un linguiste est amen6 i faire, au cour-s mme deses recherches, s.rr le pass6 de sa science' Il ne s'agit pas, dproprement parler, d'6l6ments pour une histoire de la linguis-

    iiq,r.. F"it -un travail d'historien, ce serait se demander, iptopos d'un texte pass6, c-e qui est le reflet des connaissances"d-it.t par la science de l'poque et ce qui corresp-ond i unev,re originale de I'auteur. Recherche qui peut -d'ailleurs elle-mme Etre engag6e dans deux directions diff6rentes selonque l'on s'int6resJe d la pr6sentation que I'auteur veut donnerd. ,ott euvre ou d la pl^ce qne celle-ci occupe dans l'6volu-tion de la discipline : ce que I'auteur pr6sente comme per-sonnel peut ne pas l'tre -t, inversement, ce qu'il pr6sentecomme -la reformulation d'un savoir acquis peut constituer,sans qu'il en ait lui-m6me conscience, une ffansformationprofonie de ce savoir. Mais, dans les deux cas, la- s6parationi. .. q,r. Bernard Pottier appelle le support et l'apport -estessentiei i l'interprtation. Sans cette perspective, c'est-i-diresi l'on situe au mme niveau tout ce qui est dit dans le texte,on ne peut plus savoir ce que le texte < veut > dire, versqu'elle ionclusion il est cenc6 enffainer le lecteur. Je ne saisp^r .e qu'on a voulu me dire en m'annonEant : < Piereui.ndra a Paris avec Marie > si ie ne sais pas' par exemple,qu'il 6tait bien connu des interlocuteurs que-Pierre. viendraita Paris : les conclusions i tirer sont alors celles qui tiennentau fait qu'il sera accompagn6 de Matie; mais, si l'on savait

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    8 rccreuE, srRUcruRE, ruoNcnnoNau d6pan que Piere voyage toujours avec Marie, l'imponantest au contraire qu'il vienne i Paris, et c'est de cela que I'onest invit6 i tirer des conclusions. Sauf i de rares endroits- notamment dans le chapitre sur la logique du Moyen49. l, je n'ai pas m6me 6bauch6 ce tranail, qui exigeiaitd'6tudier, pour chaque texte, l'6tat de la r6flexion-linguis-tiquei son 6poque.- Bien plus, faire euvre d'historien, cela impliquerait de situerles textes 6tudi6s dans le d6veloppement g6naral, non seule-ment de la discipline, mais de la ionnaissance. Il faudrait sedemander, i propos d'une cuvre portant sur le langage, dansquelle mesure elle utilise les sch6mas intellectuelJ que I'onretrouve dans les aures disciplines de l'6poque. On- devraitcomparer son_ mode d'argumenter i ceux d'euvres contempo-raines, et se demander ce qu'il y a de commun aux argumentsqui_sont mnsid6r6s comme faisant preuve. On devrait aussiexpliciter la notion d'explication employ6e dans le texte 6tudi6et la comparer aux formes d'explication en vigueur dans lesauffes disciplines : qu'est-ce que-l'on entend quand on estimeavoir rendu un ph6nomdne plus intelligible ? Ld encore ie suissOr de nepas pr6senter un travail d'historien, et je ne suis m6mepas sOr d'avoir fourni aux historiens des indications utilisables.On ne saurait tout faire, I'important 6tant de savoir ce qu'on nefait pas. En r6alit6, dans les tixtes que j'6tudie, je cherche avanttout ce qui peut m'aider dans mon ffavail personnel, avecl'espoir d'aider aussi un lecteur r6fl6chissant sur le langage. Ils'agit, comme je l'ai dit, de voir un peu mieux les fonderientsth6oriques de nos observations, de mieux comprendre avecquoi les faits ont 6t6 faits - ce qui amdne i se demander sinous-m6mes, dans nos propres recherches < empiriques >, nousne < faisons > pas une bonne paftie de ce que nous croyonsdcouvrir. Et, en poussant plus ioin cette inqui6tude, il faudraitchercher ppurquo! nous oublions constamment cette originethEoriqrre de,nos faits, pourquoi nous en venons d les prendrepour des < donn6es >, sans nous interroger sur le g6n6reuxdonateur. Car il doit bien y avoir quelque raison, aure que laparesse, i cette ingratitude.

    J'ai regroup6 en mois sections les chapitres de ce livre. Lapremidre est une promenade du c6t6 de quelques logiciens,

    FAITS ET TTTNONIES 9appartenant soit au Moyen Age, soit i l'6poque moderne : leslogiciens ont toujours 6t6 parmi nos meilleurs pourvoyeurs enfaits. Ce qui m'a d'ailleurs attir6 vers l'6tude du-langage, ce sontles problbmes que soulevaient les logiques concer-n"ni lu langue, it mes premiEres recherches ont tendu i trouverdes moyeni pour concilier certaines de ces donnes, apparem'ment incompatibles. La deuxidme section concerne diversestentatives faites au x'rf siEcle pour pr6ciser la notion de struc-ture : chez Humboldt, chez Many, chez Hjemslev, on retrouvele mme souci de d6finir un ordre proprement linguistique,original et irr6ductible, en refusant d'introduire dans la languedeJconsid6rations venues d'ailleurs - refus qui ne peut cepen-dant pas toujours tre maintenu de bout en bout. Enfin, ladernidre section 6tudie des textes consacr6s d l'6nonciation,notamment le travail, qui a 6t6 pour moi d6cisif, de CharlesBally. Ma theorie de la polyphonie postule que.le-sens de nos6noncs consiste en une sone de dialogue oi diff6rentes voix- celles des - sont ml6es et confront6es. Orc'est la th6oiie de l'6nonciation de Bally qui m'a permis deconstruire de tels < faits ,>, de percevoir, d' de telsdialogues i I'int6rieur de la moindre de nos paroles - observa-tions-bien diff6rentes des < faits > que les logiciens m'avaientappris i reconnaitre, et apparenment beaucoup plus artificiel-les, beaucoup moins .

    Je me suis donn l'autorisation de faire dgs coup919s dans lesart-icles que je reproduis ici, et 6galement d'en modifierparfoisla forme, quand iela me semblait n6cessaire pour les rendre plusclairs. Sur'le fond, ie n'ai rien chang6. J'ai seulement introduitquelques notes, appel6es par des ast6risques, lorsque le texteoriginal .o-pon"it-des affirmations qui me semblent actuelle'-."nt .orrt.siables et dont je ne souhaiterais plus 6e cr6dit6'Mais je ne voudrais pas pour autant renoncer i I'inestimableav^ntage du genre, q"i fait porter la responsabilit6 des erreursmoins a l'",tt..r. du iecueil qu'i celui des articles.

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    146 LocIQUE, srRUcruRE, ENoNcnnoNcontraire, s'interdit toute hypothise sur l'utilisation ventuelledu langage : la langue n'est pour lui que l'association de deuxsystdmes combinatoires diff6rents. La ftalitl de cette associa-tion est marqu6e par l'existence, d l'int6rieur de chaque plan,d'une relation originale, la relation de commutation, qui unitcertains 6l6ments, les invariants, et non pas ceftains autres, lesvariantes. Q,r't.rt usage linguistique comme la communicationdonne une importance privil6gi6e aux invariants, alors qued'aures usages feront peut-effe des vadantes une utilisationsyst6matique, cette circonstance n'empdche pas - c'est li legrand paradoxe de Fljelrnslev - que la commutation, enelle-mme, soit un fait de structure, qui subsiste ind6pendam-ment des fonctions dont il est affubl6.

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    mL,ENONCIATION

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    Cueprrnr VISTRUCTURALISME, NNONCTATTON,COMMIINICATION(i ProPos de Benaeniste et Prieto)

    Ce chapitre reprend partiellement une < chronique linguisti-que publi6e en 1966 dans le volume 7 de L'Hontme$. tdl-tzz). Il s'agit de monuer deux directions divergentesdans lesquelles on peut dvelopper le structuralisme saussurien.Ce structuralisme amdne Prieto i concevoir la langue cofllme uncode organis6 pour la transmission d'informations. Benveniste,au contiaire, i partir du mme point de d6pan, decrit la languecornme le fondement des relations intersubjectives mises eneuvre dans le discours (c'est cette demiEre position que j'aiessay6 de syst6matiser dans mes recherches en s6mantique: cfle chap. 4 de Le dire et le dit).

    Les deux ouvrages dont nous paderons ne sont pas dproprement parler originaux. I-es Problinel de linguistiqalfhn?ralet de-E. Benveniste consistent en effet en un tecueild'articles d6ii publi6s dans des revues diverses entre 1939 et1961. Quant au petit volume de Luis J. Prieto, Messages etsignaax2, il se r6fEre, dans une large mesure, i des id6es d6iipisent6es par l'auteur dans ses Principes de noologief et -ilionstitue m-eme i cenains 6gards une sorte de vulgarisation dece premier ttait6.. Du fait m6me, cependant, que les-anicles-deBenveniste peuvent maintenant ffe lus i la suite, l'originalitEde la doctrine linguistique qui les sous-tend est devenue encore

    L Pr"bh-tt de lingaistiqae g6n&ab, Gallimard, 1956.2. Messages d signaax, P.U.F., coll. < k linguiste >, 1966.

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    150 rocreuE, srRUcrLJRE, ENoNcrnrroN

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    BETIVEMSTE 151plus Evidente. Le gofit de Benveniste potu la recherche de d6taillni ayant interdit les dEclarations de principe sur la nature dulangage, il faut, pour trouver sa d6finition de la langue, confron-ter toute une s6rie d'articles particuliers : I'attitude identiqueprise devant des problEmes tres vari6s - qui ne saurait doncre attribu6e i des opportunit6s de m6thode ou de pr6senta-tion - r6vdle alors une conception d'ensemble qui pouraitpasser inaperEue i la lecture d'artides isol6s. C'est 6gdementune d6finiiion g6n6rale de la langue qui ressort, mais pour desraisons diff6rentes, du dernier ouvrage de Prieto. Ici, c'est lesouci d'une pr6sentation simple, imm6diatement accessible, quiamEne I'auteur i d6gager les pr6suppos6s de sa th6ode. Messa-ges et signazx explicite ainsi le cadre dans lequel doivent se lir-eles analyses trds complexes pr6sent6es dans les Principes denoologie.On s'6tonnera peut-Ctne que nous mettions en pamlldle deuxouvrages d'une ampleur ffds. in6gale : Ies trois cent cinquantepages-des Problimies sument vingt-cinq ann6es d'investiga'iions linguistiques, alors que I'on ffouvera seulement dansPrieto I'origine d'une recherche, prometter$e' mais i peine6bauch6e. Une ressemblance peut cependant justifier ce rappro-chement : il s'agit de part et d'autre de linguistes pour qui leprobldme s6mantique doit 6re abord6 de front. Certes, pouriout linguiste, I'esientiel d'une langue est son pouvoir dev6hiculei le sens. Mais beaucoup d'entre eux - Martinet et lesstructuralistes am6ricains, par exemple - ne tiennent poruscientifique qu'une approche n6gative de la signification : ils'agit pour eux de d6limiter I'aspect s6mantique du langage enetudiant tous les ph6nomEnes linguistiques qui se laissentdEcrire ind6pendamment du sens qu'ils transmettent, ou avecune r6frenci minima i ce sens. Il serait injuste d'ailleurs deprendre cette fetenue porr une ignorance ou un m6p-ris- : laiignification n'apparalt pas moins lorsqu'elle repr6sente l'obsta'cle or) vient buter la recherche linguistique. Benveniste et Prieto,cependant, ont ,choisi une attitude oppos6e, et d6cid6 deprindre directement pour objet le contenu du langage : l'un etI'aure visent d'embl6e i d6crire la fagon dont chaque langueorganise le monde de la signification. Dans cette perspective, lalinguistique est de plein droit s6mantique, et non pas seulementune introduction i la s6mantique.

    Une auffe raison incite i pr6senter ensemble les deux ouvra-ges : se plaEant I'un et l'autre i un point de vue strictementiaussurien, les auteurs illustrent deux orientations divergentesi panir des pr6suppos6s qui leur sont communs' Si Saussure arenouvel6 la rechenche linguistique, c'est sans doute parce qu'ila monr6 aux linguistes la n6cessit6 de cJrercher un principe depertinence. Il est devenu 6vident aprds lui qu'il fallait choisir,p"r^i la multitude des manifestations du langage donn6es dansl'exp6rience, un ensemble de faits qui eussent des chancesd'tre homogbnes et de se ramener A quelques principes d'ex-plication bien d6termin6s. Selon les termes duCours de linguis-iiqae glntrale, I s'agit d'isoler, dans la < matidre > infinimentvariee qui s'offre au linguiste, un relativement un.Pour 6tablir ce clivage, il faut s'appuyer su une d6finitionpr6alable de la langui, d6finition assez exigeante porr qu'eleiermette d'6liminei certains ph6nomdnes, en les attribuant i laparole *. Dans cette perspective, la vieille definition de la langueiomme expression de la pense est 6videmment insuffisante. Ya-t-il une ieule fagon de parler qui ne manifeste une id6e, unsentiment, une intention ? On sait que les lapsus eux-m6mes- et, peut-tre, eux surtout - sont des expressions de lapens6e. C'est pour 6viter ce laxisme que Saussure a propos6 unedefinition beaucoup plus limitative de la langue. Il demandequ'on la considdre avant tout comme un instrument de commu-nication, comme un code permettant d des individus de setransmettre des informations.Du m6me coup 6tait obtenu un principe de pertinenceparticulierement puissant, dont les phonologues ont tir6 desi6s.rltats impressionnants. Ceux-ci sont convenus de retenirseulement de chaque donn6e phonique les 6l6ments qui contri-buent i I'information de I'auditeur, c'est-d-dire ceux dont lasuppression ou la modification enmalnerait un changement deseni. En op6rant m6thodiquement cette abstraction, on a r6ussid r6duire d un trds petit nombre les composants phoniques misen euvre par une langue (phondmes ou traits distinctifs). Bienplus, on s'est aperEu, ce qui n'6tait pas pr6visible au d6part, queles composants pertinents sont li6s enffe etD( par un r6seau trEs

    " t-p t"pA.s, ces lignes laisseraient entendre que la langue est une ( lgti.e 1 {ela patole. Elfait c'est un obiet thmrique construit pour comprendre la parole (d. ledire et le dit, chrp. 4\.

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    I52 LocIeuE, srRUcruRE, ENoNcranoNser6 de relations mutuelles, et qu'ils constituent dans chaquelangue un v6ritable systdme.Le projet fondamental de Prieto est de transposer dans ledomaine du sens une analyse qui a r6ussi dans celui du son.L'id6e que la langue est un instrument de communication, unsysteme de signaux tfansmettant des messages, fournit en effetun principe de pertinence valable aussi bien au niveau s6manti-que. I1 permet de d6partager, i l'int6rieur du sens effectivementcompris i la r6ception d'un signal, les 6l6ments de significationdus au signal lui-mme, et ceux qui tiennent aux circonstancesor) le signal est 6mis. Supposons que je dise i un interlocuteurassis devant moi : < Donne-moi. le crayon. > Le message ffans-mis implique que l'on doit me donner tel crayon particulier, quia telles et telles caract6ristiques particulieres, par exemple d'trerouge. Or la couleur rouge du crayon, bien qu'elle appaftienneau message, n'est en rien impliqu6e par le signal lui-m6me, quiaurait 6t6 identique si le crayon avait tE noir. On devra doncdistinguer, dans le sens de tout 6nonc6, d'une paft des 6l6mentspertinents, qui ne poumaient pas disparaitre sans qu'on modifiel'6nonc6 (dans l'exemple choisi, I'ordre de donner un crayon),et d'auffe part des indications ext6rieures au code utilis6, li6esaux conditions of le code est employ6. Prieto pense que, si l'onr6duit chaque signifid linguistique aux caradAres qu'il tientdirectement de son signifiant, l'ensemble des signifi6s d'unelangue pourra 6ffe dot6 d'une structure comparable d celle d'unensemble de phondmes - mais, bien s0r, infiniment pluscompliqu6e.Ce sont surtout les Principes de noohgie qui sont consacrsi cette tdche et &ablissent les diffrentes relations possiblesentre les signifis ainsi definis. Le problbme trait6 par Messageset signaux se situe en amont du pr6c6dent. Prieto considdre lescaraderes les plus g6nraux reconnus aux langues naturellesdepuis Saussure et essaie de les rattacher i la d6finition de lalangue comme code.Il montrera donc, ou bien qu'ils appartien-nent a tous les systdmes de signaux, ou bien qu'ils constituentun proc6d6 particulier pour r6soudre des problEmes cornmunsi tous ceux-ci. Nous nous contenterons de quelques exemples.Il est devenu banal de noter que chaque langue institueune certaine classification de la r6alit6 : le ph6nomdne le plussouvent cit6, et le plus impressionnant, concerne la d6nomi-

    BENI\TEMSTE 1.53nation des couleurs. On fait remarquer que les noms de cou-leurs se correspondent mal de langue i langue; il sembledonc que chaque langage institue ses divisions propres dansla continuit6 du spectre lumineux. Prieto, dis le d6but deson ouvrage, rattache ce fait d un caractdre g6n6ral de tousles instruments. Tout instrument, par son existence mme,instaure une division in6dite de la r6alit6, permettant dedefinir deux classes de ph6nomEnes, ceux que son utilisationpeut produire, et ceu( sur lesquels il ne donne pas prise(Messages et signaux, p.3-4. La classification linguistique dumonde doit se comprendre dans la m6me perspective, ladiffdrence n'6tant que de complexit6. Une langue est en effetune collection infinie d'nonc6s possibles, et chaque 6nonc6peut se d6crire comme un instrument : son utilit n'est auffechose que I'ensemble des significations qu'il peut uansmettre.Tout 6nonc6 divise ainsi la totalite du sens en deux domai-nes, les contenus qui peuvent 6ventuellement, et ceux qui nepeuvent en aucun cas lui servir d'interpr6tation.

    On notera, dans la mOme perspective, la fagon dont lephEnomdne de I'opposition est incorporG i une th6orie d'en-semble des codes. On sait que, dans la tradition saussu-rienne, le fait linguistique premier est l'opposition. Il n'y apas a se demander ce qu'une expression, prise isol6ment,peut signifier; l'important est seulement de savoir quelle dif-f6rence s6mantique est obtenue quand on la remplace parune auffe. D6crire une langue, c'est indiquer les diffrencesde sens susceptibles d'6tre enrain6es par des diff6rences so-nores. Cette valeur particulidre de l'opposition ne tient pas,pour Prieto, i un caractdre particulier du langage humain, aufait que celui-ci s'6change, et s'6cJrange entre personnes, desujet parlant d sujet parlant; au fait que mon auditeur estcapable de se metfie i ma place, et qu'il estime ce que je luiai dit par comparaison avec ce que j'aurais pu lui dire. Prietoconsiddre au conffaire le fait de l'opposition comme unepropri6t6, math6matiquement n6cessaire, de tous les systimesde signes (cf. ibid., p. 18-19). Etant donn6 qu'un signals'emploie dans un grand nombre de circonstances diff6rentes,il n'admet jamais une seule interpr6tation, mais toujours uneclasse d'interprdtations. Comme, d'un auffe c6t6, un axiomede la th6orie des ensembles veut que toute classe bien dGfinie

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    L54 r,ocreuE, srRUcrrJRE, ENoNcrenoNd6termine du mme coup la classe qui lui est compl6men-taire, il est n6cessaire que tout signifi6 soit en corr6lation avecun signifi6 exactement contradictoire. L'id6e de code sert icid'interm6diaire pour rattacher les langues naturelles aux loismath6matiques les plus g6n6rales. Parce que la langue estcode, le signifi6 est classe, et, comme toute dasse, il ne sau-rait se d6finir ind6pendamment de son compl6mentaire.C'est dans le mme esprit que Prieto traite du ph6nomdned'articulation linguistique. Ce ph6nomEne consiste, on le sait, ence que chaque 6nonc (par exemple une phrase) peut re divis6en segments plus petits - qu'il s'agisse de mots, de phondmesou de morphdmes - qui se reffouvent, autrement combin6s,dans d'autres 6nonc6s. Nous nous bomerons, pour simplifierI'expos6, i ce que Matinet appelle la premidre articulation,donc i la division de l'6nonc6 en monmes, 6l6ments signifiantsqui ne contiennent pas en eux de signifiants plus petits. SelonPrieto, cette articulation rpond avant tout a un besoin d'6co-nomie qui surgit dans tout codage dds que le nombre demessages i transmettre devient trcp grand pour qu'on puisse encharger directement la m6moire. Supposons qu'qn h6tel com-porte cent chambres r6parties en cinq Etages; supposons encoreque les num6ros des chambres leur soient attribu6s au hasard :le personnel de l'h6tel aura dors i apprendre cent signesdiff6rents, cent associations d'un num6ro et d'une chambre.Que I'on attribue au contraire i chaque chambre un numEro detrois chiffres dont le premier correspond au num6ro de l'6tage,dont le second indique la faEade sur laquelle donne la chambre,et le roisibme le rang de la chambre parmi celles de la mmefaEade : il suffira alors de connaltre quelques conventions, desavoir le sens de quelques signes, pour localiser immddiatementune chambre au simple 6nonc6 de son num6ro. Selon Prieto, ladivision de la phrase en mondmes r6pond au mdme souci desoulager la m6moire. Il est plus simple d'avoir d apprendre lesffois ou quare mille enm6es d'un dictionnaire que d'apprendreune par une les millions de phrases frangaises dont on peutavoir besoin.Il n'est ceftes pas question de nier que l'articulation de laphtase en monEmes soulage la m6moire. On peut cependant sedemander si elle n'a pas une autre fonction, qui n'a son6quivdent dans aucun code. Il n'est peut-re pas indiff6tent

    BENVEMSTE I55que les codes soient artificiels dors que les langues sont naturel-lis. Si l'on fabrique un code, c'est parce que l'on a, au dfipaft,une id6e pr6alable des messages qu'il aura i transmettre. Lad6termination de son contenu, mme si ce contenu consiste enun ensemble infini de messages, est ainsi antErieure au codelui-mme. k propre d'une langue, au contraire, est d'orrvrir lapossibilit6 de meisages surprenants, radicalement in6dits, im-prEvisibles. La combinaison de monEmes en syntagmes n'a pasieulement pour effet d'associer des indications s6mantiquesd6ii connues, mais de cr6et des indications nouvelles. Cela n'estpossible que si la vdeur propre d'un monime dispara?t dans lesiyntagmei auxquels il paticipe, et si quelque chose de nouveaurL ..e. : I'image saussurienne de la multiplication*, d laquellese r6fEre implicitement Prieto, n'exprime sans doute pas micuxcette c6ation que l'image traditionnelle de l'addition. k d6sirde rapprocher 1a langue d'un code a donc peut-etre- conduitPrieto i une certaine simplification de la combinatoire linguisti-que : celle-ci nous semble moins proche d'un mCcanismed'6conomie que d'une m6thode d'invention'Les demiEres pages de Messages et signaux, consacr6es iquelques raits del langues naturelles qui n'ont leur 6quivalentd-r-",r.rrt auffe code, sont, de ce point de vue, paniculidre-ment fevelatrices. Prieto traite notamment du ph6nomdne dustyle. Ce qui rend possible le sryle, c'est la libert6 laisse aulocuteur de choisir, pour ffansmettre un message' entre des6noncs de structurestrds diff6rentes. Cette libertE se rattacle-rait, selon Prieto, i un m6canisme d'6conomie utilis6 en fait parle seul langage humain, mais dont la possibilit6 appartient endroit i tout code. Nous avons dit qu'un signifiant a toujoursplusieurs interprtations possibles (son signifi6 est une classe).C'est le destinataire qui choisit parmi elles le message le plus enrapport avec les circonstances de la communication.- Le langag-enaturel a mis d profit ce trait pour permettre au locuteur der6duire au maximum la quantit6 d'information i donner. I1 asuffi pour cela de pvoir que certains signifi6s soient inclusdans ienains aures. Ainsi, le signifi6 de < Passe-moi le crayon >est inclus dans celui de < Passele-moi > : toutes les interpr6ta-

    . Ot l" *t* par exemple datsle Coan de linguistique gtn&ale, p.182 (chap' 6de la 2' partie).

    i,,F,,fr'HI'Jtl,ii

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    156 LocreuE, srRUcruRE, ENoxcrenoNtions possibles pour le premier sont i plus forte raison vdablespour le second. Supposons que ie veuille demander i quelqu'unson crayon, je pourrai donc droisir entre les deux 6nonc6s. Siles circonstances rendent invraisemblable que je demande autrechose qu'un crayon, ie me contenterai de dire : < Passe-le-moi >.Pour que je pr6cise de quel objet il s'agit, il faudra que, dansma situation, je sois aussi bien susceptible d'avoir demand6 imon interlocuteur son stylo ou son portefeuille. Ayant donc iransmettre un message d6termin6, je peux touiours calculer auplus juste la qu4ntit6 d'information que je fournis. S'il se rouveque les circonstances sont contraignantes, il me sera possible,pour dire quelque chose de ffEs pr6cis, de me contenter d'unsignifi6 trds vague.Personne ne contestera que le langage humain ne comportela possibilit6 d'6conomie signal6e et analysde par Prieto. Onpeut se demander en revanche (il ne s'agit ici que d'ouvrir und6bat) si cette possibilit6 a une valeur explicative, si l'on doitordonner les faits de langage i partir de la recherche del'6conomie. Selon Prieto, le style d6toume i ses fins propresune structrre linguistique, l'indusion des signifiEs, dont laraison d'0me est l'6conomie, Ne pourrait-on pas renverser lerappoft, et voir dans le souci < stylistique > un fait premier ?Certes, I y ^ parfois quelque int6r6t d transmetffe un mes-sage donn6 avec le moins d'indications s6mantiques possible.Mais il peut ere tout aussi int6ressant de glisser par surcrolt,i l'occasion du message, des indications en elles-mmes par-faitement inutiles i sa ffansmission. L'6conomie commande,dans certaines circonstances, de dire : < Passe-le.moi >>, etnon : ( Passe-moi le crayon >. Certains n'hEsiteront pas ce-pendant, dans les mmes circonstances, A pr6ciser lourde-ment : < Passe-moi ce crayon que je t'ai pr6t6 hier >, end6guisant une revendication sous la forme innocente d'uned6termination de l'obiet. C'est peut-tre une conception tropidyllique de la communication que de la croire domin6e parun honnte principe d'conomie. Une autre de ses fonctionsimportantes est de faire passer, i I'occasion du message, desinformations 6trangEres au message lui-m6me : adjectifs etpropositions relatives sont, de ce point de vue, un luxe pani-culibrement utile. A c6t6 de ce que pose un 6nonc6, il fautnoter tout ce qu'il pr6suppose, les repr6sentations auxquelles

    BENVENISTE L57il se rEfdre sans les affirmer, tout le contexte intellectuel danslequel il place de force l'interlocuteurt. Si le style consiste iagir sur l'interlocuterr non par ce qu'on lui dit mais par lafagon dont on le lui dit, c'est peut-etre une fonction premiErede la langue que de permetre le style.On voit combien la conception signal6e ici (et que seulesdes analyses de d6tail pourraient justifier) s'oppose i celle dePrieto. Le probldme de Prieto est de r6cup6rer le style, unefois la langue d6finie comme systAme de communication. Sasolution est que le style exploite des possibilit6s introduitesdans la langue pour des raisons non stylistiques d'6conomie.Une d6marche inverse pourrait tre envisag6e, qui chercheraitla pr6sence du style dans les structures linguistiques les plus6l6mentaires : c'est lui, peut-6tre, qui permettrait de com-prendre des ph6nomEnes comme la subordination et la quali-fication. Mais, dans cette hypothdse, il faudrait metme i labase de l'activitE linguistique une situation interhumainebeaucoup plus complexe que le simple besoin de ransmettredes informations.

    Il est instructif, i cet 6gard, de mettre en paralldle lesconceptions de Benveniste et celles de Prieto. Tout en acceptantdans leur plus grande rigueur les exigences m6thodologiques deSaussure, Benveniste ne pense pas que le linguiste doiven6gliger ce qui, dans le langage, n'est pas de l'ordre du code.Sur le premier point, on trouvera plusieurs d6clarations mEsexplicites. L'article < Tendances r6centes en linguistique g6n6-tale > reprend par exemple l'id6e saussurienne que la langue estun secteur bien d6termin6 de la matidre linguistique, et nes'identifie pas avec l'ensemble des faits de langage. Bien plus,Benveniste reconnalt le critdre saussurien de la distinctivit6.Seules ont droit de cit dans la description linguistique lesdiffrences, les oppositions : < Alors qu'autrefois I'objectivit6consistait dans I'acceptation int6grale du donn6, ce qui enral-nait d la fois l'admission de la norme graphique pour les langues6crites, et I'enregistrement minutieux de tous les d6tails articu-latoires pour les textes orau)r, on s'attache auiourd'hui i identi-

    L Nous avons essay d'adapter i la linguistique cette notion de psupposition,introduite d'abord par les logiciens, cf. , fuades delhguistique appliqaAe, 1966, no 4, p. 19-47.

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    15958 LocreuE, srRucrtrRE, ENoNcranoN BENVEMSTEfier les 6l6ments en tant qu'ils sont distinctifs d tous les niveauxde I'andyse > a.Benveniste et Prieto admettent donc l'un comme l'autre lan6cessit6 d'un principe de peninence, et I'on peut mOme direqu'en pratique ils recourent au mCme principe de pertinence. Ilest d'autant plus remarquable qu'ils le fondent de fagon toutediff6rente. Etudiant le < langage > des abeilles tel que I'a d6critvon Frisch, Benveniste r6sume de la fagon suivante les diff6ren-ces entre ce langage et le n6ffe : < Cette diff6rence se r6sumedans le terme qui nous semble le mieux appropri6 i d6finir lemode de communication employ6 par les abeilles : ce n'est pasun langage, c'est un code de signaux t. > S'il arrive i Benvenistede reprendre la d6finition commode qui fait du langage un< instrument de communication >, ce n'est iamais sans quelqueticence. Il prend soin par exemple de pr6ciser qu'il s'agit de< communication intersubiective > t, et cet adiectif, qu'on cher-cherait en vain dans I'ouvrage de Prieto, s'il permet de classerle langage parmi les instruments de communication, amdneaussi d le distinguer de tout autre. Que le langage senre i 6tablirle d6bat humain, qu'il soit le lieu oi se reconnaissent ets'affrontent les individus, Benveniste le fait apparaltre enposant une sorte de priorit6, de plus en plus nette i mesurequ'6volue sa rcc}erche, du discours sur la langue.C'est surtout I'article sur < Les niveaux de l'analyse linguisti-que > qui pr6cise la distinaion de ces deux notions, amen6e parune r6flexion sur la < phrase >. Alors que Prieto considdre laphrase comme le prototype du signe, Benveniste insiste auionraire sur l'id6e que la phrase < n'est pas un signe > 7. Bienqu'elle ,lesproc6d6s linguistiques employ6s habituellement pour d6termi-ner la valeur d'un signe 6chouent devant elle. C'est qu'on nepeut pas 6tablir une combinatoire des ph,rases, Enoncer i leurpropos des lois de compatibilit6 ou d'exclusion. Quelle unit6d'oidre sup6rieur pourait en effet servir de cadre i ces combi-naisons de phrases ? La phrase n'a donc < ni distribution, niemploi >, ce qui interdit m6me de d6limiter par cornmutation

    sa valeur distinctive : la commutation n'a de sens que si elleprend place dans un contexte ou dans un emploi rigoureuse-ment d6termin6s. Si I'on d6finit la langue comme un < systdmede signes >, il faudra alors situer la phrase en dehors de lalangui, et la consid6rer comme l'unit6 de base d'une r6alit6linguistique nEs diffrente, le discours. Par < discours > onentendra < la manifestation de la langue dans la communicationvivante > 8. Un examen de cette formule est nGcessaire, car ellepourrait facilement pr6ter i confusion. Il serait commode eniffet d'assimiler le discours i la < parole > de Saussurc, qui, elleaussi, est une manifestation : selon une m6taphore qui a eu dusuccEs, elle n'est rien d'autre que la langue < ex6cut6e > par lesindividus, au sens mme ori une symphonie est ex6cut6e par desmusiciens. Dans cette conception, le discours n'aurait aucuneautonomie, aucune fonction sp6cifique. La signification d'unacte de discours, par exemple de l'6nonciation d'une phrase,serait la simple r6sultante de deux forces h6t6rogdnes : d'unepart, le sens, d6fini par la langue, des signes et des combinaiions de signes utilis6s dans la phnase; et, d'autre paft, lasituation mat6rielle et psychologique dans laquelle cette phraseest employ6e, les intentions auxquelles elle r6pond, les effetsqu'elle peut avoir sur I'auditeur, toutes circonstances suscepti-bles de pr'eciser, ou mme de modifier, son sns proprementlinguistique. L'originalit6 de Benveniste est d'avoir vu que lediscours ne se rEduit pas d I'interaction de ces deux composan-tes. Il ne suffit pas de dire que le discouts met la langue auservice de fins intersubjectives; en lui-m6me, il constitue unerelation intersubjective. Je me situe vis-i-vis d'auffui non seu-lement par ce que ie lui dis mais par le fait de lui parler, et parle niveau oi je situe nore dialogue.On voit, d'aprds ces indications e, que la linguistique dudiscours ne saurait tre cette science seconde, et dans une largemesure subordonnEe, que devait constituer, pour Saussure, lalinguistique de la parole. Benveniste va d'ailleurs plus loin, etaffirme m6me une certaine priorit6 du discours : < Nihil est in-T.7ta.. :r,o.9. Benveniste, nous I'avons dit, est avare de considrations thoriques. Pourreconstituer ce qui nous semble tre sa conception du * discours >, nous nous sorrmesdonc surtout relere a la fagon dont il I'a mise en pratique, notamment aux chapitresgroups sous la rubrique < L'homme dans la langue >.

    4. Probl?mes de linguistique gen1rale, p.8.,. Ibid., p. 62.6. Ibid., p.25.7. Ibid., p.129.

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    160 I.,OGIQI.JE, STRUCTURE, ENONCIATIONlingua qaod non prius faerit in oratione. >> Cette variantelinguistique d'une formule philosophique n'implique certes pasque, r6ciproquement, tout ce qui est dans le discours soit aussidans la langue, et que celle-ci doive refl6ter la multitude desrclations humaines qui s'6tablissent i travers le discours. Il nes'agit pas d'abolir le fait que la langue, i chaque instant, sepr6sente comme un systeme ferm6. Benveniste maintient n6an-moins que les signes de la langue doivent se comprendre i panirde I'activit6 du discours : ils constituent du discours cristallis6.Notamment - c'est le point qui nous int6resse le plus, vu leparalldle 6tabli avec Prieto -, certaines attitudes intersubiectives impliqu6es dans le discours se trouvent, selon Benveniste,incorpor6es au systBme de la langue.Notre premier exemple sera l'6tude sur les 6nonc6s perfor-matifs, pr6sent6e dans le drapine 22 de I'ouvrage de Benve-niste. Les philosophes anglais de l'6cole d'Oxford, et suftoutAustin, ont d6gag6, depuis une dizaine d'ann6es, la notiond'expression < performative >. Benveniste est, e noffe connais-sance, le seul linguiste qui en ait reconnu l'imponance pourl'6tude du langage*. On appelle < performative > une expres-sion dont l'6nonciation ne fait qu'un avec ce qu'elle nonce.Dire : < Je promets que... >, c'est i la fois 6noncer qu'onaccomplit un acte, celui de promettre, et, du mme coup,accomplir cet acte, prometre. Alors qu'on peut dire < Je mepromdne > sans se promener, on ne peut dire < Je promets >sans promettrc. Que certaines expressions aient ainsi une valeurrituelle, on le savait certes depuis longtemps, mais on n'avaitpas pris conscience des implications linguistiques de ce fait. Cetexemple montre i quel point la langue est ributaire de I'activitde discours; la valeur qu'a dans la langue le signe < promettre Dne peut se comprendre sans r6f6rence d l'acte d'employer cesigne dans l'6nonc6 < Je promets >. Il est donc impossible ded6crire d'abord, dans une linguistique de la langue, le sens dumot < pfometre >, et ensuite, dans une linguistique du dis-cours, I'emploi de ce mot. Le sens du mot devient ins6parablede l'acte qui consiste i s'en servir. On comprend pourquoiBenveniste refuse de suivre Austin quand celui-ci veut diluer lanotion de < performatif > dans la catgorie plus g6n6rale de

    BE}.IVEMSTEl'illocutoire, en consid6rant comme illocutoire tout 6nonc6 quiconstitue une action (m6me la simple interjection par laquelleon avertit quelqu'un d'un danger), c'est-i-dire, en fait, tout6nonc6. Ce qui int6resse au contraire le linguiste, c'est que l'acteaccompli soit en mme temps 6nonc6, et accompli par son6nonciation. Dans ce cas, en effet, le sens de I'expression et lafonction qu'elle remplit ne peuvent plus tre dissociEs commeune cause et sa cons6quence; le sens du mot, ici, n'est plus riend'autre que la relation humaine instaurEe par son emploi.L'article de Benveniste sur les verbes< d6locutifs > (chap. 23)va encore plus loin dans cette direction 10. Il 6tudie un type ded6rivation existant dans beaucoup de langues, et qui n'avait,auparavant, jamais 6t6 mis en valeut*. La plupart des verbesd6riv6s viennent ou d'un auffe verbe, dont ils modifient le senskrinsi d1faire i partir de faire), ou bien d'un nom (ils d6signentalors un procs en rapport avec la chose, I'action ou la qualit6d6sign6e par le nom). Benveniste montre que d'auffes verbesviennent d'expressions, et d6signent I'acte deles prononcer. Ainsile frangais renetcier n'est pas form6 sur le substanttf nerci, maissur la formule , et il 6quivaut d dire < merci >>; le latinnegale ne se comprend de mme que comme dire < ttec )>, etc.Nous n'avons pas d monrer ici l'efficacit6 philologique de cettenotion, qui a permis i Benveniste d'expliquer des mots jusqueJimyst6rieux (par exemple, le verbe latin parentare). Ce qui nousint6resse, c'estlerapport institu6entrelangueet discours auniveaudu compos6 d6locutif. Il appatait que certaines unit6s de langue,comme le ve rbe rernercief, ne peuvent pas ffe articul6es en unitsde langue, mais qu'elles ont pour composant principal un faitde discours. Nous voyons mal comment des ph6nombnes de cegenre s'intgreraient i uneconception delalangue-code : uncode,par d6finition, est ind6pendant de son usage**.

    101?t t.l. en question a paru cinq ans avant celui que Benveniste consacre auxperformatifs. Mais peut-re I'auteur avait-il d6ia; i l'6poque, rflEchi sur les m6thodeset les r6sultats de la philosophie linguistique de l'6cole d'Oxford.* En fait, les grammairiens arabes du Moyen Age avaient dji construit cettenotion. Mais elle a & ensuite tout i fait oubliEe - comme d'ailleurs l'ensemble deleurs t6flexions sru l'6nonciation.** On sait le succEs qu'a eu, depuis 1970, la notion de d6locutivit. J.-C. Anscom-bre, B. de Comulier et moi-meme en avons, notamment, fait grand usage Gf., parexemple, O. Ducrot, < Analyses pragmatiques >, Commanications, )2, 1980,p. 11-60).

    L6L

    * Plus prfuis6ment, il s'agit ici des < performatifs explicites r.

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    t6t62Pour demier t6moignage, nous mentionnerons les 6tudes surle pronom et la personne verbale. On enseigne habituellementqu'il y a une et une seule cat6gorie de la personne verbale, quicbmprend ffois 6l6ments, repr6sent6s par exemple - sil'on s'entient au singulier - par les pronoms ftangais ie, tu, il, ou patles d6sinences latines o, s, t. Cette classification par:i?t d'habi-

    tude si 6vidente qu'on ne songe guEre i la justifier. Un lienincontestable semble en effet exister entre les trois personnes,puisqu'elles constituent trois possibilit6s entre lesquelles leloc,rti,rr doit n6cessairement choisit lorsqu'il veut parler d'unobjet. Elles semblent ainsi se repartir la totalit6 de l'exprimable.Il n'y aurait pas de diff6rence essentielle entre I'articulation despersonnes et la corrdlation anim6-inanim6 telle qu'elle apparultdans certaines langues qui obligent d coller sur tout objet unede ces deux 6tiquettes. Benveniste met iustement en gardeconre une assimilation de ce type : le mpport de la langue etdu discours est en effet, dans la prtendue cat6gorie de lapersonne, d'une nature toute particuliere.Supposons qu'on veuille d6finir le sens du morphEme pre-niiri personne : on doit indiquer qu'il dsigne le locuteut, ou,plus pr6cis6ment, chaque fois qu'il est prononc6, la personnequi le prononce. Une pr6cision est n6cessaire. C'est une bana-lit6, depuis longtemps exploit6e par les amateurs de paradoxefacile, que le mot e se r6fdre, d chacun de ses emplois, i un ffediff6rent : tous les signes - sauf les noms propres, s'il en existede v6ritables - sont dans ce cas (Prieto exprime ce fait endisant qu'un signe renvoie touiours ) une classe et non i unindividu). Mais c'est tout autre chose qui int6resse Benveniste.II ne s'agit pas du r6f6rent du mot je, mais de sa signification.Or il se trouve queje a pour seule signification de r6f6rer ) lapersonne qui est en train de l'employer. fe, tu, / ne constituentdonc pas une classification du monde comparable i celles descatgories linguistiques habituelles. Ce n'est pas le monde quevisent les pronoms, mais l'acte de parlet. Et non pas I'acte deparler en general, considdr comme un type d'v6nements dumonde : le signifi6 deTe n'est pas le concept de locuteur, ni celuide tu le concept de destinatafte. le et tu ne renvoient qu'auxpefsonnages de cet acte particulier de communication qui esteffeaue au moment or) on les emploie. Certes, Prieto tented'6liminer l'originalit6 des pronoms et de leur attribuer un

    contenu conceptuel. Ainsi, soucieux de trouver pour l'6nonc6particulier ..t Do.rne--oi ton crayon ) un signifi6 g6n6ral quiserait, ensuite, sp6cifi6 selon les circonstanc"er, il 19 traduit :< Ordre au destinataire de donner son cfavon au locuteur >'Mais il y a li un simple jeu de mots. En ftalit1,la r6f6rence iI'acte de parole n'est que d6guis6e. Elle reste implicitementcontenue dans les articles definis (i valeur d6monstrative) de, . D6velopplgg, cS expres-sions devraient se lire :

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    r64 locleuE, srRUcruRE, ENoticrRtoNcat6gorie ainsi d6limit6e apparalt une structure toute panicu-lidre: il s'agit de la r6ciprocit en vertu de laquelle l'ue qui sed6signe comme je se reconnait susceptible d'tre d6sign6comme tr, et reconnait son interlocuteur capable de se d6signeri son tour commeTe. En pn6trant dans la langue par I'interm'diaire des personnes verbales, le discours y a fait p6n6trer enmme temps, et a en quelque sorte institutionnalis6, la r6cipro-cit6. Il n'y a pas de discours qui ne soit acceptation de I'inter-subjectivit6, qui n'admette implicitement qu'auffui est un aherego d qtrje r6ponds, et qui me r6pond. Les personnes verbalesuaduisent seulement dans la langue le jeu d'affirmations etd'obiections, ou de questions et de r6ponses, en quoi consistele discours, et oir se manifeste la reconnaissance mutuelle des6tres humains.On voit comment les recherches de Benveniste Etayentcertaines des critiques que nous avons adress6es d Prieto. Pourcelui-ci, la langue est un simple code. Ce sont certes des 6treshumains qui I'utilisent, et leur initiative est n6cessaire pourcoder au plus 6conomique, en tirant parti des circonstances dela communication. Mais, cela admis, la langue ne refldterait pas,dans son organisation mme, les rapports interhumains. Nousavons sugg6r6 au conraire que des faits linguistiques impor-tants - I'opposition et la pr6supposition, par exemple - secomprennent mal dans le cadre d'un code, et devraient s'inter'pr6t-r comme les rigles d'un jeu orf s'affrontent les individus'Il no,rs a sembl6 int6ressant que Benveniste - dont le point dedpan, identique i celui de Prieto, est la recherche d'unprincipe de pertinence qui transformerait la linguistique enicienci - renonce dans une mesrue de plus en plus large i lasolution commode, et sugg6r6e par Saussure lui-mme, detraiter la langue comme un code. Au conffaire, il est amen6 ifaire apparaltre, dans la structure linguistique mdme, uner6f6renie constante au discours, et d la situation fondamentaledu discours, la rencontre et la reconnaissance des subjectivit6s'

    Cseprrnr VIIENONCIATION ET POLYPHONIECIfrZ CFIARLES BALLY *

    Je voudrais, grice i cet expos6, m'acquitter - bien partielle-ment - d'une dette de reconnaissance d l'6gard de CharlesBally. C'est en lisant Bally, et sp6cialement le d6but de Linguis-tique g1ntrale et linguistique franEaret (1* partie, 1' section),que j'ai 6t6 amen6 i esquisser une thmrie linguistique de I,apolyphonie - sur laquelle je travaille depuis plusieurs ann6es2.Certes, il me semble que, sur cenains points, Bally n'est pas all6assez loin dans la direction ot) il s'est engag6, mais il reste qu'ila ouvert cette directionr.

    L Le premier point de mon expos6 concernera les notions denodus et de dicturn qui sont au cenffe de la theorie de l'6noncia-tion de LG. Bally paft de l'id6e que la langue est un instrumentpennettant la communication, ou encore l' depens6es par la parole. Id6e qui a une longue radition chez lesgrammairiens. Elle est a la base pat exemple dela Grannairede Port-Royal (le langage, selon Port-Royal, sert a < signifier nospens6es >, d fafue connaitre aux auftes < les divers mouvements

    ' R.p.i* dun article paru dans le Cabierc Fetdinand de Saussute (1986, n'40,p. lJ-)l) sous le tiue c Chatles Bally et la pragmatique >, article qui developpait uneconfdrence faite i Genve, en mars 1984, sur l'invitation de la Soci6t acad6mique.1. Je me refretai i la 4' Edition de cet ouvrage (Beme, Francke , 1965) et i'utiliseraiI'abreviation LG.2. Cf., pat exemple, le chap. 11 deLe dire et le dt (Minut' 1985)'1. On trouve, au d6but de LG, d'autres thtmes qui ont t6 developps dans lasmantique et la pragmatique iecentes. Par exemple, une th6orie de I'actualisation(opposee i la caract6risation) et un rapprochement enre l'actualisation du substantifpai I'article et celle du verbe par les temps. J'ai moi-m6me plusieurs fois utilis ladefinition que donne Bally des notions de coordination et de subordination i panirdes concepts de thEme et de propos Gf. Dire et ne ptt dirc, p. 117-118).

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    166 r,ocreuE, srRUcruRE, ENoNcrmonde notre 2me > : 2' pattie, chap. 1). D'oi, chez Bally, cetted6finition dela phrase (on ne sait pas rop s'il faut entendre parpbrase une entit6 de langue ou l'occumence d'une telle entit6dans une parole d6termin6e) : < La phrase est la forme la plussimple possible de la communication d'une pens6e > (LG,p. )5).

    Deux remarques i ce propos. La premidre est pour signalerune diff6rence - essentielle, on le verra, i mes yeux - entre laformulation de Bally et celle de Port-Royal. Bally dit

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    168 LOGIQUE, STRUCTURE, ENONCIATION6l6mentaire qu'on y voit apparaitre une < manidre > et un< objet >. Selon Searle, en revancle, c'est en rfl6chissant sur cequ'est un acte 6l6mentaire de communication qu'on y voitapparaltre une force illocutoire et une proposition. Mais le pointd'arriv6e reste tGs semblable, mme si le point de d6part estdiff6rent t. On n'analyse peut-etre pas exactement les mmeschoses, mais on les analyse selon la m6me structure, ce quisemble montrer que cette structure est une sorte de constantede notre civilisation en ce qui concerne la reprEsentation del'homme par lui-mOme.La deuxidme diff6rence est plus importante de mon point devue. Pour la th6orie des actes de langage, la force illocutoire li6ei une phrase caract6rise l'6nonciation de cette phrase. Dire queViens I a une force illocutoire d'ordre, c'est dire que son6nonciation a tel ou tel caractdre. En revanche, lorsqu'on dit quela pens6e signifi6e par une phrase est une r6action i unerepr6sentation, on n'implique en rien que cette r6action signi-fi6e soit celleli mOme qui commande l'nonciation, ni donn6epour telle. Si je vous annonce < J'aime les olives >>, le sens de maphrase consiste, dirait Bally, en une ceftaine attitude gastrono-mique favorable devant une assiette d'olives, mais le locuteur nepr6tend pas pour autant que son 6nonciation revienne i avoircette r6action, il ne prCtend pas 6noncer , et le type der6action est dit < verbe modal > 6. Quant au dictan, c'est lareprsentation objet de la r6action.

    lI. La deuxidme section de mon expos6 sera pour montrerl'application linguistique de la th6orie du sens qui vient d'tresch6matis6e. Si la structure smantique d'une phrase est tou-jours du type >,la configuration signifiante peut r6aliser plus ou moinsexplicitement cette structure. Bally donne de nombreux exem-ples des divers degr6s d'explicitation que la structure signifi6eperrt receuoir danJle signifiant. J'en signalerai seulement gue]-ques-uns, qui font apparaltre certaines cons6quences de lath6orie, imponantes de mon point de vue.Une phrase est dite lorsqu'on peut la segmenterselon sa structure s6mantique, c'est-i-dire y distinguer deuxsegments reprEsentantle rnidus etle dicturn, et, d I'int6rieur dusegm.nt modal, distinguer un constituant qui repr6sente le sujet-odd, et un constituant qui repr6sente le verbe modal. Ainsi :crois que cet accus6 est innocent

    veux que vous sortiezpensent que la terre tournea d6cid6 que je le trompeJeJeLes astronomesMon mari6. Dans la formulation que ie donne iL la theorie de Bally, les expressions < sujetmodal u et < verbe modal u d6signent donc des lGments s6mantiques, des constituantsdu sens, et non pas des mots, c'kt-)'-dire des constituants de la phrase. Bally n'est pastouiours clair sui ce point. Il dirait que, dans < Je crois que Pierre viendra >, les mots

    Je et crois sont suid et verbe modaux. Mais il y a li un abus de langage evident'Auuement, il seraii impossible de parler de suiet et de verbe modaux dans des phrasesi sructure implicite comme < Pierre viendra >, oi il ne peut plus s'agir de signifiants.

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    170 LocreuE, STRUCTURE, ENoNcreroN BALLY t7LLes deux demiers exemples montrent clairement que le sujetmodal, c'est-i-dire le sujet i qui est attribu6e la pens6e commu-niquCe (donc celui qui r6agit i la reprsentation) n'est pasn6cessairement identique au sujet parlant. Ils montrent dumme coup que le rnodus n'est pas la modalit6 au sens desgrammairiens ou des logiciens, c'est-i-dire la prise de positiondu locuteur vis-i-vis du contenu exprimE : Port-Royal ne diraitjamais, i propos du derniet exemple, que le segment > manifeste la . Ilsmonuent enfin combien il est impossible d'assimiler la r6actionexprim6e i celle qui se manifeste par l'6nonciation accomplie(l'6nonciation accomplie par la femme ne manifeste 6videm-ment pas la r6action communiqu6e par la phrase, c'est-i-direcelle du mari devant l'id6e qu'il est tromp6. Ce qui manifesteraitcette dernidre, ce serait l'6nonciation ven-tuellement accomplie par le mari d tel autre moment.) D'oi ladiffErence d6jn signal6e avec la force illcrutoire des philosophesdu langage.Bally est d'ailleurs lui-mme parfaitement conscient de cettesEparation possible entre sujet parlant et suiet modal, et de soncaractCre pamdoxal. Cf . LG, p. 37 :

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    172 LOGTQUE, STRUCTTJRE, Er.loNCnuoNItnrrItaj

    pr6ter les connect.Tr.-qui l,in*oduisen t : mais et mne. Larructure g6n6rale oi ils ,,i"re..iilrre semble du rype : < p,ais meme lorsqlg rgr-p, q >. un exemple simple en serait :< Quelquefois ' fait b.d, ffi,";e'-. Io.r.q,r,ir-fait mauvais,iene va se Dromer.r. o O^nrl. r.lr,.'a. Bally, p.est dorrrr..p".'.alina qui pr6cdde .1, M";;:";;)'lorroor. ., i,est_i-dire par'6num6ration des giff6reTs ca; o"r#r.r de dissociation entreujet modal et sujet,na|!J"d*ir' u n, c,est l,id6e d,uneistinction enrre pens6! re.l.'.tffire. .o.n,,,urriqu6e, distinc-ion i faire m6mi lorsque rgd:;H_i-dire m6me lorsque Ieujet pensant fle,"d_.a4,.a !Ji'.r, attribu6e la pens6eommuniqu6e) et le sujet-parlrnr.,llon, pas dissoci6s.','*3i'fi t*i'-*j*.,gr.";*.i**',i*ffi i*'{st v6rifi6, q l,est rPie*e va se prome"*1..q""*'ill.unip.opre de ra communi-ation (selon h locuteur)i;;ri{qrig.i'ier que q se v6rifie aussi-1i:: l. cas oi p n,est pas satisfair -E,io,r,.., ces deux indica_rons sont pr6sent6es.omme d.r-rrg;.nts possibles pour uneertaine conclusion, la seconde e,r"i, l'. ce point de vue, plus:'Slj[:1:?:H;.#,r"n;;il;]'#,.*,.deBarry"ppl,t.- 1) les cas de dissociation en*e sujet modar et sujet parrantont appara?rre une dili;;;;#i;parlani ;, ;d ql,;il .o.r.rnique: pens6e r6elle du sujetz) cette distinction,,loin d,'6tre limit6e i de tels cas, vautussi lorsque suiet .oa"i.i **;;i#l"ont identiques;l) Ies indicaiions ri .izj-"po"j.ii'',.,r.,. et l,aurre, et la'*0"11'J'.T,f H:queraPilfi ;;;.."".r;;;;;;ffi ;:,:,f ",,:t:;:i;ffi:.ff LXi$F jl{1"t.:h:X:,,h:f*le.pnnqpe s6miologique general , ., io-,L. communication im-lrque une distinction eir*e r" p.n# communiqu6e et Ia

    l' a"r rrr drux 6r6menrs ani culspar m,mesoient donns comme arguments Doufne mme concrusion r, cera n,irnpiiqr.;;;#:;i;_ent, seron Ia theorii de;.fffi,;:?: ff "ni jff , q". r. r.i"LL io ;iii:S",. un a ct e d, ar gumentation(et anribuee-s; il:;;:l;l:g.Tr Ies visees argumentatives "9ld.rJg., par un 6nonctionaccomprio;l-ffi ff HH,:ilT..T,:i::1.j.i:::::T.i:n;,*il#:

    BALLY t7tpens6e personnelle de celui qui parle o t. Ce principe, selonBally, eit evidemment satisfait lorsque sujet parlant et sujet-odd sont dissoci6s, mais il l'est tout autant lorsqu'ils coinci'dent. Dans ce dernier cas, en effet, il reste touiours possible (jer6sume la suite du passage que j'ai cit6) que le sujet parlants'attribue i lui-mme, dans son acte de communication, unepens6e qui n'est.pas.la sienne (c'est ce qui se passe lorsqu'il.ya mensonge ou fonle : on constate alors, selon les termes deBally, un u dedoublement de la personnaltl6 >, le suiet parlant6tant i la fois le lieu de deux pensdes diff6rentes, la sienne etcelle qu'il communique comme 6tant la sienne).Bally va plus loin encore dans la g6n6ralisation. L1. perp6-tuelle possibilit6 d'une s6paration entre la pensde que I'on a-etcelle que I'on communique (en se l'attribuant ou non) luisemble une cons6quettce necess^ire de la nature du signee. Dansla mesure or) celui-ci, selon la formule saussurienne' comportei la fois un signifiant et un signifi6, dans la mestue d'autre partof le signifi6, selon Bally, est une pens6e, la libert6 que nousavons di choisir des signes implique la libert6 de choisir unepens6e : le u6sor de fhrases mis i notre disposition par lalrng,re est en m6me temps une galerie de masque-s ou- uqegarde-robe de costumes perrnettant de jouer une multitude def,.rrorn"g.t diff6rents - et, m0me si le personnage choisi estionforme i la pens6e , c'est encore un personnage.Conttairement i la formule de Port'Royal, on ne communiquepas < sa > pens6e, on communique pens6e (que-l'onpeut choisii parce qu'elle correspond i ce qu'on pense effecti-ir.-..rt, maii aussi parce qu'elle n'y comespond pas) : ladiff6rence sur ce point entre Bally et les analystes lacaniens estque Bally, s'appuyant sur une psychologie s0re de son objet, ne

    8. La conclusion r de la suite * quelquefois p et, mme lotsque non-p' q ) ressembledonc, ici, i la proposition q elle-mme, mais cela n'a pas de rapport avec la necessit6logiqae de tenir q pour vrai s'il est vrai i la fois dans les deux cas compl6mentairespit'trott-p (d'une fagon gen6rale, ce que i'entends par argumentation a peu i voir avecla n6cessit6 logique).9. La distiriction entre pense personnelle et pense communiquee, et son illustra-tion par la possibilit6 du mensonge (qui n'est plus alors consid6r6 comme unph6nomine marginal et pathologiqui), sJretrouvent fr6quemment dans I'histoire deia linguistique. p"ar exemple ctrez y.n. Vico, qui voit dans la distinction en question le."r.ii...rr.ntiel du langage inteilectuel Par rapport au langage passionnel de l'huma'nit6 primitive , pour Vico,Ia possibilit J.l -.rrro.ge est une cons6quence invitablede I'abandon du langage passionnel.

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    174 LOGIQT]E, STRUCTURE. ENONCIATIONmet p_as en doute qu'il y ait une < pens6e r6elle > susceptiblesoit de ressembler, soit de ne pas ressembler d la plnsecommuniqu6e; mais Bally ne confond jamais cette pens6ecommuniqrl6e - qui seule le conceme, en tant que linguiste -3vec ce qu'il croit re la pens6e r6lle, mme si eiles sontconformes l'une i l'autre.- Je peux revenir maintenant au probldme qui m'occupedirectement ici, i savoir la dissociation du sujet-modal et iusujet parlant, telle qu'elle appatalt dans le rexre que je viensde commenter. D'une part, Bally prend po,rr ac.ord6 qu'il y aune relation enre certe dissociation et la n6cessir6 de disiin-guer pens6e communiqu6e et pens6e r6elle (c'est la premidreindicatio-n que j'ai extraite du mais rnilme lorsque).- D'auttepart, il fait de cette relation un argument (faibli - puisqu'ildevra Otre compl6t6 par un argument plus fon, constitu6 parla deuxidme indication - mais n6anmoins r6el) en faveur-duprincipe s6miologique g6n6ral de la distinaion entre pens6e6elle et pens6e communiqu6e (troisidme indication v6hiculeepar mais m4me lorsque). Ce qui me semble important dans

    cette d6marche, c'est que la dissociation des deux sujets (ce-lui qui parle et celui i qui la pens6e est artribu6e dans l'actede communication) n'est pas consid6r6e comme un ph6no-mdne marginal et accidentel, mme si, pour Bally, elle esttelativement rare, et n'a lieu que < quelquefois >. Elle est aucontraire attach6e i la nature mme du signe. Celle-ci impli-que que l'on ne communique pas directement sa propre pen-s6e, mais seulement une pens6e - qui peut, par ailleurs, soitse trouver, soit ne pas se ffouver conforme d la sienne. Ladistinction du sujet parlant et du sujet modal ne serait ainsique I'aspect le plus 6vident du caractdre schizophr6nique in-h6rent d toute communicatiun.Le tableau suivant rassemble les mois cas signal6s par Ballyen ce qui concerne les rapports entre pens6e personnelle etpens6e r6elle._ - (Ia) La pens6e communiqu6e est attribu6e au sujet par-lant (donc sujet parlant = sujet modal). Et de plus cette pens6ecorrespond effectivement i celle du sujet parlant. Il s'agii donc,en (Ia), d'une pens6e i la fois s6rieuse ei honnte.- (Ib) La pens6e communiqu6e est attribu6e au suietparlant (donc sujet parlant = sujet modal). Mais cette pens6e ne

    BALLY I75comespond pas i celle du sujet parlant. En (Ib), la parole estdonc ou malhonndte ou non-s6rieuse.- (II) La pensEe communiqu6e n'est pas attribu6e au sujetparlant (donc sujet parlant I sujet modal).

    Je proposerai d'ailleurs de distinguer un quatridme cas, ensubdivisant (II) comme on l'a fait pour (I). Dans (IIa) commedans (IIb),le sujet parlant serait diff6rent du suiet modd. Mais,dans (IIa), la pensde communiqu6e serait conforme i la pensdede la personne i qui elle est attribu6e; dans (IIb), au conraire,la pens6e communiqu6e n'est pas conforme i celle de laperionne i qui elle est attribu6e. Dans cette dernidre categoriese situerait, notamment, le recours i des :on fait dire par quelqu'un, qui ne l'a jamais dit en fait, quelquechose que I'on pense mais que l'on n'ose pas dire i son proprecompte.Avant d'6tudier un prolongement important, dans LG, de ladistinction du sujet modal et du sujet parlant (ce qui sera I'objetde la prochaine section), je voudrais pr6senter et discutet deuxe*e-pler, donn6s par Bally, de phrases i structure implicite. I-epre-ier, parce qui l'analyse de Bally peut ctre rapproch6e deiertaines propositions soutenues r6cemment en philosophie dulangage. Le iecond, parce qu'il a des implications pour lesproblEmes que je raiterai dans la section suivante.Page 46, Bally parle des cas oi la . Il prend pour exemple l'6nonc Ce fruit estd1licieux, qu'il analyse en lui attribuant la structure s6mantique< J'ai du plaisir i le manger >>, ot) I'on retrouve un sujet modalge), un verbe modal Quoir du plaisir) et un dictunz (ie mangece fruit).

    Je voudrais d'abord 6liminer un certain flottement terminolo-gique qui, sur le fond, n'enldve rien i I'int6rt de I'analyse. Sil-'adlectif d1licieux, qui est un signifiant, fait partie du dictum(ce que dit Bally), il faut admettre que la notion de dictarnd6signe une entit6 de I'ordre du signifiant, entite qui serait, enl'occurrence, l'6nonc6lui-mme pris dans sa totalit6' Mais on nevoit plus alors comment d6finir cette notion' Il ne peut pass'agii de la < repr6sentation > i laquelle le sujet modal r6agit,puisque celle-ci appartient par d6finitign qg signifi6. Et on nepe,rt p"r dire non plus que le dictun, c'est I'expression de cette

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    176 LocretrE, srRUcruRE, ENoNcrenoN BALLY t77repr6sentation, puisque justement, dans l'exemple du fruitdtlicieux, l'adjectif, donn6 comme un 6l6ment di dictun, ex-prime non pas une reprrSsentation mais une < r6action >. Lameilleure solution i ce casse-tte terminologique consiste, iepense, d maintenir la convention que j'ai pos6e dds le d6but decf chapire et qui comespond i la plupar des usages de LG. Ledicturn sera consid6r6 comme un 6l6ment de la struaure s6man-tique, donc comme une partie du signifi6 : il consiste en unerep_rdsentation de la ftalitl. Et, pour formuler I'analyse faite parBally de l'6nonc6 Ce fruit est dtlicieux, on dira que,-dans c. ias,et contrairement a ce qui anive lorsque sujet et verbe modauxsont explicit6s, le pr6dicat grammatical, 6l6ment du signifiant,amalgame deux signifi6s, donr I'un reldve dt nodus (u I'ai duplaisir >), et l'autre du dictum ().Qu9i qu'il en soit de ces difficult6s terminologiques, l'analysede Bally me semble, je l'ai dit, exrrOmement modirn.; elle esten tout cas facile i situer dans le d6bat qui oppose, en philoso-phie du langage, ascriptivisme et descriptivisme. Les discripti-vistes voient dans tout 6nonc6 d6claratif une description ourepr6sentation de la t6alit6, constatant que tels ou tels oblets onttelles propri6t6s ou sonr dans telles relations. Les ascriptivistesadmettent au contraire, i la suite d'Austin, que l'aspect d6clara-tif est, dans beaucoup d'6nonc6s, un masque ddguisant unefonction fondamentale bien diff6rente de la constatation. Ainsila phrase Cet h6tel est bon seft d'abord, selon les descriptivistes,d attribuer i l'objet-h6tel la propri6t de bont6-pour-un-h6tel.L'analyse ascriptiviste de la mOme phrase y fait- apparaite aucontraire, dertibre l'apparence descriptive, qui l'apparente iCette table est rouge, un acte de langage de recommandation,sans rapport avec l'assertion : la paraphrase performative de laphrase serait /e te rccomrnande ca b6tel.

    On s'aperEoit tout de suite que I'analyse par Bally de I'adjectifd4licieax annonce celle d'Austin. Une seule diff6rence en effet :la panie non repr6sentationnelle, dans le sens de l'6nonc6,consiste, selon Bally, en une attitude mentale, alors qu'il s'agit,pour les austiniens, d'une force illocutoire. Les probldmessoulev6s par les deux th6ories sont d'ailleurs analogues. Com-ment d6crire les adjectifs 6valuatifs lorsqu'ils foni partie dephrases grammaticalement complexes comme, par e*emple,Quand on est rualade, aucan fruit ne sernble d1licieux, ou encore

    ,{lrt1,'tit'i'l

    "lI

    *ll,l

    Quand on est nalade, les fruits les plus dtlicieux semblentinsipides ? Dans ces deux cas, I'adjectff dtlicieux parait fonc-tionner comme une 6tiquette d6signant une propri6t6 inh6rentei certains fruits. En tout cas, il ne renvoie pas directement il'acte illocutoire qui serait accompli, ni i la r6action qui seraitexprim6e par l'nonciation mdme de l'6nonc6.Pour traiter ce type d'exemples tout en maintenant quedtlicieax - comme lli aures 6valuatifs - marque ,rne position, en posantque l'adjectif. dtlicieux, primitivement destin6 d signifier uner6action ou un acte, en est venu i sugg6rer et i d6signer unepseudo-propri6t6 des choses, celle qui est censde conduire iaccomplir cette action ou h exprimer cette r6action - proprit6qui n'a d'autre r6alit6 que d'6tre leur explication ou leur iustifi-cation 11. La deuxiEme serait de d6crire les 6noncds complexesque j'ai pris en exemples comme des espdces de dialoguescristallis6s (traitement qui s'inscrit dans le cadre de la th6oriede la polyphonie).Ainsi, pour mon dernier exemple, on dirait que le locuteur- j'entends par locuteur la personne d qui est atmibu6e laresponsabilit6 de l'6nonciation - met en scne deux 6noncia-teurs qui, i propos du m6me objet (un fruit), r6agissent (ausens de Bally) de fagon oppos6e. L'un, malade, aurait la r6actionexprim6e par l'adiectif insipide, et I'autre, non malade, celle quiest exprimee par l'adjecnf dtlicieux. Et, pour expliquer le sensg6n6ral de l'6nonc6, on le d6duirait du fait mdme d'avoir misen scEne ce dialogue, et de l'avoir mis en scdne selon unprotocole paniculier, inscrit dans l'organisation de la phrase(comme le sens d'une piBce de th6atre se d6rive du fait d'avoir

    fait agfu et parler les divers personnages de telle ou telle fagon).On voit tout de suite que, pour envisager une solution polypho-nique de ce type, il faut admettre la coexisrence possible del0Jt.p.*sion < marquer une position subjective > implique, pour moi, que lasignification de I'adjectif comporte une allusion i cette position. Il ne s'agit passeulement (l'espdre que cela va sans dire) du lieu commun selon lequel ce qui estddlicieux pour X peut tre r6pugnant pour Y.11. Cette utilisation de la d6locutivit pour d6river des significations apparemmentdesctiptives est 6labor'ee de fagon plus d&aillee dans Anscombre,Ducrot, L'argtmen-tatiot dans la langue, Mardaga, 1983, chap. VI, section l.

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    I78 LocIQLJE, srRUcruRE, ENotscrenollplusieurs modus et de plusieurc dictan dans le sens d'un 6nonc6unique. Possibilit6 qui n'a 6t6 exploit6e explicitement dansa.rcune des analyses de Bally, et qui, de plus, exigerait unedissociation de la structure syntaxique et de la structure s6man-tique encore plus radicale que celle impliqu6e pq LF;.Le second exemple que je commenterai est la phrase < Cesermon est monotone > (LG, p.40. Bally propose de l'analysercomme et >,appliqu6s respectivement aux dictun

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    r80 LoGIQUE, STRUCTI.IRE, ENONCTRNONcommunication >. Ainsi, ce texte de lapage5O qui donne ce quej'appellerai la forme canonique de la signification selon LG :u La phras. La tene tourne signfie logiquement ':J9 vgus fais,ruoir (communication) que je suis convaincu (modalit6) que laterre tourne" ,, (et non pas seulement, comme Bally le laissaitentendre jusque-li : tJsuis convaincu que la tere tourne").Aux r6les deiuiet parlant et de sujet modal nous devons doncajouter un troisidmi r6le, celui de sujet communiquant, d6sign6,dans I'exemple pr6c6dent, par leie deie uous fais sauoir..Qu.ecette fonctioh di sujet communiquant soit diff6rente de celle desujet modal (m6me si, comme ie le monmerai ensuite, lestitulaires de ces deux fonctions sont, pour Bally, toujoursidentiques), cela se voit par le simple examen de la forme."not iiqrr., qui distingue le sujet de faire sauoir et celui de Atreconaaiicu. Que la fonction de suiet communiquant doive sedistinguer de celle du sujet parlant, cela se voit de fagon moinsimmdiate, puisque le sujet parlant, ext6rieur par dfinition ausens, n'apparait pas dans la fotme canonique du sens. M-aiscette diff3rence di fonction ressort n6anmoins du texte de Bally,qui cite plusieurs exemples ou deux personnes diff6rentes sontzuiet pailant et sujet cbmmuniquant, la dualit6 des individusimpliquant a fortiori que les fonctions sont distinctes'Pattic,.rliCr.ment net, ) ce point de vue, le commentaire parBally de l'6nonc6 attribu6 i une servante qui-annonce i samaiiresse : < Un monsieur d6sirerait parler i Madame >>, 6nonc6oi l'indication relative i la communication est, selon Bally,implicite. Cette indication tiendrait A ce que-la servante .Commentaiie o.t peu 6tonnant dans la mesure oi, de toute6vidence, la setvante ne reproduit pas tels quels les mots duvisiteur qui n'a pas dit >, et qui peut trBs tienavoir prdcis6 le nom de la dame (< Je d6sire parler i ryadameDupont >) sans que cela oblige la servante i r6p6ter ce nom. Ceqn. B"lly, me semble-t-il, 6 voulu dire, c'est que le-monsieur estle sujet tommuniquant : il est la personne qui, d l'int6rieur dusens' de l'6nonc6, essaye de < faire savoir quelque chose >>- alors que le sujet parlant ne peut tte que la servante,porte-parole. Aumement dit, l'analyse de l'6nonc6, si Bally lapr6sentait de faEon explicite, serait : < Un monsieur fait savoiricommunication) qu'il d6sire (modalit6) parler i Madame' >>

    181Cette distinction des trois sujets (dont l'un, le sujet par-lant, n'appartient pas i la signification elle'mme) me sembletrs proche de I'analyse de l'acte narratif propos6e par 9e-nettt dans Figures lII. L'4criuain de Genette, c'est'd-direl'individu historique (Proust, Balzac, etc.) qui invente I'his'toire, ou au moins lui donne une forme litt6raire, n'appartient

    pas plus au r6cit lui-m6me, dont il est la source, que le suietparlant de Bally n'entre dans le sens de l'6nonc6. Le narra-ieur de Genetie, celui qui est, dans le texte mme, la voixrapportant les 6v6nements, pourait i son tour effe mis enpaottel. avec le sujet communiquant, c'est-i-dire !6t-r.e qri,i'apres la signification de l'6nonc6, < fait savoit >. Et l'analo-gie est enfin presque Evidente entre le sujet modal ou pen-iant, d'une part, et, d'autre part, le centre de perspective oude focalisation de Genette, celui qui , celui dont onchoisit le point de vue pour pr6senter les 6v6nements. Laformule canonique de Bally trouve ainsi sa contrepartie dansun schCma narratif qui serait : < Le narrateur raconte (voix)que X voit (modalit6) telle ou telle chose se passer )>.C'est cette mme ripartition que j'ai reprise dans ma th6oriepolyphonique de l'6nonciation pr6sent6e dans Le dire et le dit.j'y soutieni que le sujet parlant, producteur effectif de l'6nonc6,ttta pas de place prdvue dans la structure s6mantique de cet6nonc6 tr, c'ist-i-dire dans la description que celui-ci donne deson 6nonciation.Dans cette structure j'introduis en revanche les r6les delocuteur et d'6nonciateurs. La fonction de locuteur (fonction quipeut, pour certains 6noncs, ne pas Ore remplie) consiste i trepr6sent6 comme le responsable de l'6nonciation, et la fonctiond'6nonciateur, comme l'origine des points de vue exprim6s patl'6nonciation. Ces fonctions, on le voit, correspondent assezbien, respectivement, au sujet communiquant et au sujet modalde Bally.-La diff6rence essentielle, sur laquelle je reviendrai, faitapparaitr. l'aspect paradoxal, mais ie ne pense pas contradic-

    13. Je n'admets donc pas la formulation selon laquelle de Bally). Ce quin'interdit pas bien s0r que les r6les de locuteur et d'6nonciateur, r6les qui sont' eux'inscrits dans la structure s6mantique, soient ventuellement attribu6s i une personnequi se trouve tre le suiet parlant (cette attribution d'un titulaire i un.r6le-est-ce queitappelle l'< assimilation > du locuteur ou d'un 6nonciateut i tel ou tel individu).

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    182 LocIeuE, srRUcruRE, ENoNcretoxtoire, de ma th6orie polyphonique. Pour moi, locuteur et6norrciateurs, tout en 6tant (comme dans LG) distinas du sujetparlant effectif, servent d caract6riser l'6nonciation mme ipropos de laquelle ils apparaissent. Non seulement j'admets,comme Bally, que leur r6alit6 est inralinguistique, qu'ils sontdes 6l6ments du sens, mais ils ne sauraient relever, pour moi,de I'image du monde vehicul6e par l'6nonc6 : j'y vois, je I'ai dit,une caractdrisation, par l'nonc6, de sa propre 6nonciation.MEme, en effet, lorsqu'un 6nonciateur est assimilC d quelqu'und'autre que le sujet parlant, je ne dirais pas, conmairement a ceque semble faire Bally, que le sens est d'indiquer que telle outelle personne du monde voit les choses de telle ou telle faEon :le sens de l'6nonc6 est que son hnonciation expime cette fagonde voir le monde (pour reprendre une distinction dassique enphilosophie du langage, je dirais que le point de vue de l'6non-ciateur n'est pas assert6, mais monff6).Avant d'indiquer quelques probldmes soulev6s par la th6oriede Bally lorsqu'on y introduit l'6l6ment < communication >, ievoudrais r6sumer son analyse de cet 6l6ment - en me bomantarD( aspects qui me serviront dans la discussion. Si la structurernodus-dicturn n'est deja pas toujours explicit6e dans l'organisa-tion syntaxique de la phrase, il en est ainsi i plus forte raisonde la structure complEte. D'oi la d6termination de diff6rentsdegr6s dans cette explicitation, qui s'6tagent entre la latenceabsolue (La terre tourne) et la mise en 6vidence complEte (quetraduit par exemple Je uous dis, rnoi, qae je sais que Ia terretoarne; cf. LG, p. 51). Je signalerai deux de ces degr6s,importants i la fois en eux-m6mes et pour la discussion qui vasulvre.Ce qu'on appellerait auiourd'hui . Et de mme pour le morphdmeinterrogatif Est-ce que. I signifie la mme chose que < Je vousdemande si >>, et, comme sa paraphrase performative, il cumuledeux id6es, < d6sir de savoir quelque close par quelqu'un etcommunication de ce d6sir > (LG, p. 51).(N.8. A cette analyse des 6nonc6s performatifs et i I'analyse

    BALLY 18]qu'en donnera plus tard la , un pointau moins est commun. Dans les deux cas on insiste sur l'id6eque ces 6nonc6s exhibent I'acte de communication dont ils sontle produit. Mais cette exhibition n'a, pour Bally, aucune fonc-tion particulidre, elle ne sert d rien. Pour la philosophie dulangage, au conffaire, la mise en 6vidence de la communicationconditionne le pouvoir illocutoire (r6el ou pr6tendu) del'6nonc6 : en questionnant quelqu'un, on donne son acte decommunication comme efficace, en ce sens qu'il est cens6obliger I'autre i r6pondre.)Autre degr6 d'explicitation int6ressant, celui oi la structutede surface marque uniquement soit la communication, soit lamodalit6. Ainsi, lorsqu'on a < Galil6e dit que la terre toume >>ou < Galil6e croit que la tene tourne >>. Dans le premier cas,c'est la modalit6 qui est inpliqu1e, et, dans le second, lacommunication - de softe que la signification compldte, poutI'un comme pour I'autre, est < Galil6e dit qu'il croit que laterre tourne >. Je reviendrai, d'un point de vue th6orique, surces exemples, mais je voudrais d6ji noter une chose. Que lessujets interpr6tants d6cElent la premidre inplication postul6epar Bally, cela se comprend d la rigueur si I'on suppose qu'ilsmettent en euvre un principe comme < On ne saurait direque p sans dire que I'on croit que p >. (On remarquera tou-tefois que ce principe, s'il peut tre formul6 de faEon appa-remment raisonnable, doit, pour donner le r6sultat voulu parBally, tre compris de la manidre suivante - qui le rend dum6me coup fon contestable : < En disant p, tout ce que l'ondit, c'est seulement que l'on croit que p >). Quant i la se-conde implication, celle qui va de i

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    184 LoGIQUE, STRUCTURE, ET$oNCIAnONil ne choisit pas, mais qui, de mon point de vue, sont incompa-tibles.L'une est de type fonctionnel : l'6l6ment < communication >>est la uace, dans une phrase, de la fonction fondamentale detoute phrase Gf. LG, p. 50 : < Puisque le langage sert acommuniquer la pens6e, il faut s'attendre i ce qu'il marque cecaractCre primordial par des proc6d6s appropri6s >). Explica-tion quelque peu surprenante, car on pourrait tout aussi bienattendre, si la fonction de tout 6nonc6, quel qu'il soit, est defaire savoir quelque chose, que cette fonction, au conffaire, nesoit pas marqu6e : seul a i 6tre matquE ce qui ne va pas de soi.On me r6pondra peut-effe que, si I'accomplissement d'un actede communication va de soi, il n'en est pas de mme pourl'identit6 du sujet communiquant - qui m6rite donc, elle, d'Oremarqu6e. Ce que je ne peux pas nier, ayant rapproch6 le sujetcommuniquant de Bally de mon locuteur, qui, comme le nana-teur de Genette, a souvent ses marques dans la mat6rialit6 dutexte. Mais cette 6ventudit6 ne saurait re exprim6e en termesde fonction - comme elle l'est dans LG. Si I'on regarde de pluspris le texte de LG que je viens de citer, on peut en effet sedemander quel est, dans ce texte, le compl6ment du verbeserair. A qui le langage sert-il dfaite un acte de communication ?Ce ne peut Ctre, me semble-t-il, qu'i celui qui I'utilise, aute-ment dit, au sujet parlant. Or il est clair, je I'ai dit, que sujetparlant et sujet communiquant peuvent, selon Bdly, re dis-joints. Quand la servante annonce : , la phrase sert dla servante, sujet padant, et nonpas au monsieur, sujet communiquant. J'en conclurai que lapr6sence, dans la structrue de la phrase, d'un sujet et d'un verbede communication (je reprends les termes de Bally) n'est en rienla marque de la fonction communicative de la phrase, fonctionqui a rapport au producteur effectif de celle-ci. Pout d6crire cequi se passe lors d'une 6nonciation, il faut donc dire : dont pade Bally, c'est-

    BALLY 185i-dire Y, peut tre marqu6 dans la phrase, mais cette possibilitda pour contrepartie qu'il ne saurait tre caract6ris6 en termesfonctionnalistes.En fait, LG suggdre 6galement, et i la mme page, une autrecaracterisation de l'6l6ment < communication > : < La tenetoilrne signifie logiquement "je vous fais savoir...". > Il sembleici que la sp6cification du procds de communication reldve dela signification mme de l'6nonc6. Mais il faut voir qu'une telleformulation, plus conforme i la th6orie g6n6rale de Bally (entout cas, ) ce que j'aitir de cette theorie) interdit d'assimilerla signification de la phrase i la parla phrase, comme le laissait entendre la section consacr6e aurnodas et au dictunz : maintenant, au contraire, le fait de lacommunication semble int6gr6 d la signification. Du m6me coupdisparait une des principales diff6rences que j'ai signal6es enreBally et les philosophes du langage : dans les deux cas, lasignification de l'6nonc6 apparait comme une description del'6nonciation mme qui la v6hicule. Ce qui met en lumiirel'aspect paradoxal de la th6orie de Bally - un paradoxe que jecrois justifi6, et que j'ai mis au cenue de ma thdorie polyphoni-que : tout en d6crivant l'6nonciation, l'6nonc6 peut non seule-ment y faire apparaitre les points de vue de sujets modaux (dansma terminologie,2nonciateurs) diff&ents du sujet parlant, maisil peut aussi lui attribuer un responsable Oe sujet communiquantde Bally ou, pour moi, le locuteur) qui n'est pas non plus leproducteur effectif des paroles.Le second problEme th6orique que je voudrais souleverconcerne les rapports entre sujet modal et sujet communiquant.Bien qu'il ne le dise pas explicitement, Bally semble en effettenir pour 6vident qu'ils doivent coincider. Ce qui me permetd'atuibuer d Bally une telle opinion, c'est d'abord le fait que,dans les exemples qu'il propose, la mme personne se trouverjouer les derrx r6les. En tout cas, l'analyse que Bally donne deces exemples aboutit toujours i cette assimilation, mme lors-qu'il pourrait y avoir des doutes sru ce point : ainsi, pourl'exemple de la semante, of le sujet communiquant, selon Bally,est le monsieur, alors qu'on pounait envisager que ce soit laservante (qui, dans ce cas, communiquerait les d6sirs dumonsieur, sujet modal).Une aure raison pour supposer que Bally postule une iden-

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    186 LocreuE, srRUcruRE, ENoNctAfioNtit6 n6cessaire entre l'origine communicative et l'origine mo-dale : ce postulat expliquerait pourquoi Bally, comme je l'aisignal6 tout a l'heure, attribue i toute phrase un sujet modalunique. Une fois admise cette identit6, on doit en effet admet-tre, si I'on accepte des sujets modaux diff6rents, qu'il y ait aussidiff6rents sujets communicatifs. Or une pluralit6 communica-tive peut sembler absurde, vu que la phrase est justementd6finie par sa coh6sion interne, c'est-i-dire par le fait que sesdiverc constituants ne sont pas juxtapos6s, mais combin6s dansune organisation unitaire - que ce caractCre unitaire tienne,comme le dit Bally, i la structure thme-propos (on dit quelquechose de quelque chose), qu'il soit, comme dans les grammairesatborescentes d la Tesnidres ou i la Chomsky, repr6sent6 par unneud sup6rieur unique auquel tous les constituants sont ratta-ch6s, ou encore qu'il soit li6, comme dans le fonctionnalisme deMartinet, i l'existence d'un pr6dicat cental enrichi par unepluralit6 de compl6ments. Cette coh6sion, constitutive de laphrase, interdit d'en distribuer la responsabilit6 i des sourcescommunicatives diff6rentes : si donc on impute i Bally lepostulat que je lui ai prt6, et selon lequel suiet modal et sujetcommuniquant doivent n6cessairement se recouvrir, on com-prend qu'il refuse d6cid6ment, et sans justifier son refus paraucun argument empirique,. de reconnaitre plusieurs sujetsmodaux.

    J'ajouterai encore, pour appuyer, sur ce point, mon ex6gdsede LG, qu'elle est impliqu6e par le passage ori Bally s'interrogesur la fonction que possddent, dans l'Economie de la langue, lesproc6d6s marquant la communication. Bally note d'abord quel'explicitation de ce procs est inutile lorsque le sujet parlant estcens6 exprimer sa propre pensr6e, c'est-i-dire lorsque suietparlant et suiet modal coihcident : dans ce cas, en effet, le faitm6me de la parole, < d6ictique g6n6ral >, .Dans ces phrases, telles que Bally les analyse, le dictum est< Piere est malade >>, et le modus est < Pierre pense que >. Lesujet modal est donc Pierre, c'est-i-dire quelqu'un de diff6rentdu sujet parlant. Ce serait, selon Bally, pour marquer cettediff6rence que le sujet parlant introduit explicitement dans son6nonc6 un sujet communiquant, Pieme, distinct de lui. Cetteintroduction avertit le destinataire que le dictum n'est pas prisen charge par le sujet parlant lui-m6me. Le m6canisme imaginepar Bally suppose, on le voit, que Pierre appxalttacomme sujetmodal du simple fait qu'il est pr6sent6 comme suiet communi-qrrant. Ce qui fournit une raison supplEmentaire de postulerl'identit6 n6cessaire de ces deux sujets.Il s'agit li d'un postulat difficile d 6viter, er que l'on retrouvedans la plupart des recherches sur l'6nonciation, mme danscelles qui refusent, comme le fait Bally, d'aplatir la subjectivit6dans la seule personne du producteur effecif de l'6nonc6. Onl'observe par exemple, mais selon une strategie diff6rente decelle de LG, dans un article d'Ann Banfield (Langue franEaise,1979 , n" 41, p. 9-2O. Celle-ci a un concept de locuteur analoguei celui de < sujet communiquant > selon Bally : ce n'est pai leparleur effeaif, mais la personne d6nonc6e dans l'6nonc6cofirme l'origine de la communication (contrairement a ce quedit Bally, il se peut pourtant, selon Banfield, qu'il n'y ait pas delocuteur). Banfield rejoint aussi Bally pour affirmer que, s'il ya un locuteur, il doit tre 6galement sujet modal *. Pour I'uncomme pour l'auffe, il semble absurde qu'un 6nonc6 puisse sepr6senter i la fois comme l'cuvre de X et comme exprimant lepnint de vue de Y. Le tableau suivant r6sume les positionsd6fendues par la linguistique raditionnelle (1), Bally (2),Bar;ricld (3), et par ma th6orie polyphonique (4) (< + > signifie, < - > signifie < est facultatif ,, ., L ,, =< locuteur >>, = suiet padant effectif >, > = ) :

    - L" rh6.ri. de A; Banfield est prsent6e de fagon dtaill6e - aussi bien dans sesaspects linguistiques au sens strict que dans ses applications i I'analyse du roman -dans Unspeakrtle Sentences, Londres, 1982.

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    188 LoGIQTJE, STRUCTI.]RE, ENONCIAfiON

    Pr6sence d'un LIdentit6 de P et de LIdentit6 de L et de MSi, comme le montre le tableau, la tendance est constanted'attribuer i un mme comddien les deux r6les de locuteur etde suiet modal, on peut citer beaucoup d'exemples difficiles itraiter dans cette perspective. C'est le cas d'abord chaque foisque l'on a plusieurs suiets modaux. Certes, il serait malhonnOtede ma part de m'appuyer sur le vers, d6ji cit6, < Sa peccadillefut jug6e un cas pendable >, vers qui ne peut pas, selon moi,6tre analys6 comme l'expression de deux points de vue, car le< fut jug6... > me semble relever non pas del'expressioz mais durapport d'un point de vue (or le rappon, pou moi, et contrai-rement d Bally, n'exprime pas le point de vue rapportE, maisl'intdgte au seul point de vue exprim6, qui est c