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George Grigore L’arabe parlé à Mardin monographie d’un parler arabe « périphérique »

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George Grigore

L’arabe parlé à Mardin

monographie d’un parler arabe

« périphérique »

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George Grigore ____________________________________________________________

L’arabe parlé à Mardin – monographie d’un parler arabe « périphérique » –

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George Grigore

L’arabe parlé à Mardin – monographie d’un parler arabe « périphérique » –

EDITURA UNIVERSITĂŢII DIN BUCUREŞTI

2007

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© Editura Universităţii din Bucureşti

Şos. Panduri, 90-92, Bucureşti – 050663; Telefon/Fax : 4102384

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© George Grigore

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Descrierea CIP a Bibliotecii Naţionale a României

George Grigore

L’arabe parlé à Mardin – monographie d’un parler arabe « périphérique ».

George Grigore. Ed. I. Bucureşti: Editura Universităţii din Bucureşti,

2007

Bibliografie

ISBN (13) 978-973-737-249-9

811.411.21

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Motto :

qable, nhār ltammu h~at}t}čīyət əš-šarqīye ma‘ hat}t}čīyət əl-

ġarbīye w qālu l-hən: ta‘ānu nsay msābaqa, mən la akwas ys }awwər

na‘t}ī-yu h~əl‘a. ltammu ‘aš h ~at}t}čīye mən əl-ġarb w ‘aš h ~at}t}čīye mən

əš-šarq w dah ~alu fə-makān mqappat}. ‘at}aw h }āyət} gbīr la-h~at}t}čīyət əl-

ġarbīye w h }āyət} gbīr la-h~at}t}čīyət əš-šarqīye. w ğar }r}u pərdāye

baynət-ən la-hāt}ər la yar }awn ba‘d}-ən. nēs əš-šarqīye bāšaru

ys}awwərūn h }āyət}-ən }: səğar, ward, h ~ad}ar, t}āwūs, m }ayye, zlām qā‘dīn

tah}t əl-fayy. kwayyəs ktīr! w nēs əl-ġarbīye bass ah ~adu fərče w

ġat}t}aw h }āyət}-ən bə-l-vərnīk. əl-msābaqa t}awwalət sabbe. ba‘d sabbe,

laman ğar}r}u əl-pərdāye la mə-n-nəs}s}, mand}arət la kəs }-s}awwaru nēs

əš-šarqīye baqa təbrəq fə-h}āyət} nēs əl-ġarbīye w akwas kān

tətbayyən!...

(h}akkōye mērdīnīye)

Auparavant, un beau jour, les peintres orientaux se

rencontrèrent avec les peintres occidentaux et leur dirent : venez faire

un concours, et à celui qui peindra mieux on donnera un cadeau. Dix

peintres de l’Occident rencontrèrent alors dix peintres de l’Orient et

ils se retirèrent dans un endroit clos. On donna un grand mur aux

peintres occidentaux et un grand mur aux peintres orientaux. On tira

un rideau entre eux pour qu’ils ne se voient les uns les autres. Les

orientaux commencèrent à peindre leur mur : des arbres, des roses,

de la verdure, des paons, de l’eau, des hommes assis à l’ombre…

Très beau! Pendant ce temps-là, les occidentaux prirent le pinceau en

recouvrant leur mur seulement de laque. Le concours dura une

semaine. Après une semaine, quand on tira le rideau du milieu, le

mur des orientaux commença à briller dans le mur [laqué] des

occidentaux. Et il se voyait mieux ! ...

(conte mardinien)

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Table des matières

Avant-propos…………………………………………………………...................... 13

1. Mardin : présentation générale………………………………………………… 17

1.1. Possibles significations du nom Mardin……..…………………………….. … 17

1.2. Bref aperçu géographique……………………...……………………………… 17

1.3. Quelques repères historiques de Mardin……….……………………………… 20

1.4. Mardin : mélange de populations……………………………………………… 24

2. La situation linguistique de Mardin……………………………………………... 27

2.1. Une vue d’ensemble sur la situation linguistique de Mardin …………………. 27

2.2. Le statut du mardini ; l’asymétrie linguistique ……………………………….. 32

3. Phonétique et phonologie ……………………………………………………….. 37

3.1. Le système consonantique……………………………………………………... 37

3.1.2. Consonnes – opposition de sonorité…………………………………………. 44

3.1.3. Traitement des consonnes en finale : assourdissement et aspiration………... 44

3.1.4. Phonèmes nouveaux : facteurs de stabilité…………………………………... 45

3.1.5. Assimilations et dissimilations………………………………………………. 48

3.1.5.1. Assimilation du /l/ de l’article défini……………………………………… 48

3.1.5.2. Une assimilation étrange…………………………………………………... 50

3.1.5.3. Assimilation du /l/ de la particule préverbale kəl…………………………….. 50

3.1.5.4. Assimilation du /l/ du nom kəll « chaque »………………………………... 50

3.1.5.5. Le /t/ des affixes verbaux : assimilé et assimilant ………………………… 51

3.1.5.6. L’assimilation du /n/ de la VIIème

forme…………………………………... 52

3.1.5.7. Transfert de sonorité/surdité………………………………………………. 53

3.1.5.8. L’assimilation régressive totale de certaines fricatives en finale………….. 53

3.1.5.9. Distribution du /ġ/ et du /h ~/……………………………………………….. 53

3.1.5.10. Phonèmes palataux et vélaires…………………………………………… 54

3.1.5.11. Correspondant du /q/ classique…………………………………………... 54

3.1.5.12. Correspondant du /k/ classique…………………………………………... 55

3.1.5.13. Correspondants du /ğ/ classique………………………………………….. 55

3.1.5.14. Conclusion sur /q/, /k/ et /ğ/……………………………………………… 56

3.1.6. Interdentales…………………………………………………………………. 57

3.1.7. Dentales……………………………………………………………………… 58

3.1.8. Sifflantes et chuintantes……………………………………………………... 58

3.1.9. L’occlusive glottale, sonore /’/………………………………………………. 58

3.1.10. Réalisation de /h/…………………………………………………………… 60

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3.1.11. La transformation du /n/ étymologique en /m/ avant les labiales /b/, /p/, /f/ et /v/……. 61

3.1.12. Métathèses………………………………………………………………….. 62

3.1.13. La nasale /n/ et les liquides /l/ et /r/………………………………………… 63

3.1.14. La réduction de la gémination finale……………………………………….. 63

3.1.15. L’emphase………………………………………………………………….. 64

3.1.15.1. Le /r/ et le /r }/……………………………………………………………… 67

3.1.15.2. Le /d}/ …………………………………………………………………….. 68

3.1.15.3. Opposition emphatique – non-emphatique………………………………. 69

3.1.15.4. L’extension de l’emphase………………………………………………... 69

3.1.15.5. La perte du trait emphatique due au voisinage consonantique…………... 70

3.1.15.6. La perte du trait emphatique due à l’hypodifférentiation………………… 71

3.2. Système vocalique……………………………………………………………... 71

3.2.1. Sous-système des voyelles brèves…………………………………………… 72

3.2.1.1. La coloration des voyelles brèves…………………………………………. 75

3.2.1.2. La chute des voyelles courtes……………………………………………… 76

3.2.2. Sous-système des voyelles longues………………………………………….. 77

3.2.2.1. Réduction des voyelles longues en finale……………………………......... 78

3.2.3. Régies de l’imâla…………………………………………………………………… 80

3.2.3.1. L’imâla finale……………………………………………………………… 83

3.3. Les diphtongues……………………………………………………………….. 86

3.4. L’harmonie vocalique…………………………………………………………. 87

3.5. L’élision……………………………………………………………………….. 88

3.6. L’épenthèse……………………………………………………………………. 89

3.7. Structure syllabique……………………………………………………………. 89

3.7.1. Le gabarit général de la syllabe et les types syllabiques…………………….. 89

3.7.2. Conditions sur la structure syllabique……………………………………….. 92

3.7.3. Le schwa de disjonction……………………………………………………... 93

3.7.4. La chute du schwa de disjonction…………………………………………… 93

3.7.5. Groupes consonantiques……………………………………………………... 94

3.7.6. Schwa prosthétique………………………………………………………….. 98

3.8. Système accentuel……………………………………………………………... 98

3.8.1. Intonation interrogative……………………………………………………… 101

3.8.2. Intégration des mots biconsonantiques au système triconsonantique……….. 102

3.8.2.1. Redoublement de la consone finale………………………………………... 102

3.8.2.2. L’allongement de la voyelle médiale……………………………………… 103

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4. Les catégories grammaticales du mardini……………………………………….. 105

5. Morphosyntaxe verbale …………………………………………………………. 107

5.1. Le verbe triconsonantique……………………………………………………... 107

5.1.1. La première forme…………………………………………………………… 107

5.1.1.1. Impératif…………………………………………………………………… 111

5.1.1.2. Verbes à trois consonnes fortes dont la deuxième et la troisième sont identiques…… 112

5.1.1.3. Verbes à initiale vocalique………………………………………………… 113

5.1.1.4. Verbes à deuxième consonne le stop glottal………………………………. 114

5.1.1.5. Verbes à première consonne radicale /w/ ou /y/…………………………… 114

5.1.1.6. Verbes à deuxième consonne radicale /w/ ou /y/………………………….. 115

5.1.1.7. Verbes à finale vocalique………………………………………………….. 118

5.1.1.8. Verbes irréguliers………………………………………………………….. 112

5.1.2. La IIème

forme………………………………………………………………... 123

5.1.3. La IIIème

forme……………………………………………………………….. 131

5.1.4. Une forme résiduelle : la IVème

forme ………………………………………. 132

5.1.5. La Vème

forme………………………………………………………………... 134

5.1.6. La VIème

forme……………………………………………………………… 137

5.1.7. La VIIème

forme……………………………………………………………… 138

5.1.7.1. Combinaison de la VIIème

forme et la VIIIème

forme………………………. 141

5.1.8. La VIIIème

forme……………………………………………………………... 143

5.1.9. La IXème

forme………………………………………………………………. 145

5.1.10. La Xème

forme………………………………………………………………. 146

5.2. Verbes à racines quadriconsonantiques……………………………………….. 148

5.2.1. La première forme des verbes quadriconsonantiques……………………….. 149

5.2.2. La IIème

forme quadriconsonantique…………………………………………. 153

5.2.3. D’autres formes dérivées à racines quadriconsonantiques…………………... 155

5.3. Le participe actif………………………………………………………………. 155

5.4. Le passif ………………………………………………………………………. 156

5.5. L’infinitif………………………………………………………………………. 157

5.6. Les constructions verbo-nominales …………………………………………… 157

5.7. Marqueurs temporels et aspectuels …………………………………………… 159

5.7.1. Expression du présent continu (qāyəm)…………………………………….. 159

5.7.2. Expression du subjonctif et du futur : ta…………………………………………. 161

5.7.3. Expression de l’imparfait (kān +)…………………………………………… 163

5.7.4. Expression du plus-que-parfait……………………………………………… 164

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5.7.5. Le conditionnel : kan+ta+Fp………………………………………………... 164

5.7.6. L’expression de l’inchoatif : baq+Fp………………………………………... 165

5.7.7. La particule də pour le renforcement de l’impératif………………………… 167

5.8. La négation…………………………………………………………………….. 168

6. La morphosyntaxe nominale…………………………………………………….. 171

6.1. Morphologie dérivationnelle (« lexicale »)……………………………………. 171

6.1.1. La préfixation dérivationnelle……………………………………………….. 172

6.1.2. La suffixation dérivationnelle ………………………………………………. 173

6.2. Morphologie flexionnelle (« grammaticale ») ou morphosyntaxe ……………. 179

6.2.1. Le genre……………………………………………………………………… 179

6.2.2. Le nombre…………………………………………………………………… 183

6.2.2.1. Le singulier………………………………………………………………… 184

6.2.2.2. Le duel……………………………………………………………………... 184

6.2.2.3. Le pluriel externe………………………………………………………….. 186

6.2.2.4. Le pluriel interne…………………………………………………………... 192

6.2.2.5. Collectif et singulatif………………………………………………………. 200

6.3. Le diminutif……………………………………………………………………. 201

6.4. Le vocatif……………………………………………………………………… 203

6.5. Noms propres et noms communs……………………………………………… 203

6.6. Pluriels des adjectifs en C1(a)C2īC3…………………………………………… 204

6.7. L’élatif ; Degrés de l’adjectif………………………………………………….. 205

6.7.1. Noms de couleur et de particularités ………………………………………... 207

6.8. L’indétermination et la détermination d’un nom……………………………… 208

6.8.1. L’état d’annexion……………………………………………………………. 208

6.8.2. Un cas de double détermination……………………………………………... 214

6.8.3. L’annexion de qualification…………………………………………………. 214

6.8.4. Le syntagme de qualification………………………………………………... 215

6.8.5. Le syntagme à double rôle : de détermination et de qualification…………... 215

6.9. Substantifs composés………………………………………………………….. 217

7. Le numéral………………………………………………………………………. 219

7.1. Le numéral cardinal……………………………………………………………. 219

7.2. Le numéral ordinal…………………………………………………………….. 223

7.3. Le numéral distributif………………………………………………………….. 224

7.4. Le numéral fractionnaire ……………………………………………………… 225

7.5. Le numéral collectif…………………………………………………………… 225

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8. Pronoms et déterminants ………………………………………………………... 227

8.1. Le pronom personnel ………………………………………………………….. 227

8.1.1. Le pronom personnel autonome……………………………………………... 227

8.1.2. Les pronoms personnels affixés et les déterminants correspondants………... 228

8.1.3. Pronoms suffixés de IIIème

personne, compléments directs ou indirects ……. 232

8.1.4. L’ordre des pronoms suffixés aux verbes…………………………………… 233

8.2. Les pronoms possessifs……………………………………………………….. 233

8.3. Les pronoms démonstratifs et les déterminants correspondants………………. 235

8.3.1. Le pronom démonstratif à valeur neutre…………………………………….. 236

8.3.2. L’adjectif démonstratif à valeur universelle………………………………… 236

8.4. Le pronom relatif et le déterminant correspondant……………………………. 237

8.5. Le pronom relatif-interrogatif…………………………………………………. 237

8.6. Le pronom/adjectif interrogatif ayna………………………………………………. 239

8.7. Le pronom indéfini et le déterminant indéfini………………………………… 240

8.7.1. Les quantificateurs…………………………………………………………... 240

8.7.1.1. Les quantificateurs de l’ensemble vide……………………………………. 240

8.7.1.2. Les quantificateurs de la pluralité…………………………………………. 241

8.7.1.3. Les quantificateurs de la totalité…………………………………………... 241

8.7.1.4. Le distributif kəll………………………………………………………………….. 242

8.7.2. Les non-quantificateurs……………………………………………………… 243

8.7.2.1. L’identificatif d’identité…………………………………………………… 243

8.7.2.2. Les identificatifs d’altérité………………………………………………… 244

8.7.2.3. Le comparatif ……………………………………………………………... 245

8.8. Le pronom indéfini et le déterminant correspondant………………………….. 245

8.9. Le pronom réfléchi et renforcé………………………………………………… 246

9. L’adverbe………………………………………………………………………... 247

9.1. L’adverbe de manière………………………………………………………….. 247

9.2. L’adverbe interrogatif relatif…………………………………………………... 249

9.3. L’adverbe de lieu………………………………………………………………. 250

9.4. L’adverbe de temps……………………………………………………………. 251

9.5. L’adverbe d’affirmation……………………………………………………….. 253

9.6. L’adverbe de négation…………………………………………………………. 253

9.7. Quelques adverbes……………………………………………………………. 254

10. La conjonction………………………………………………………………….. 257

11. La préposition…………………………………………………………………... 263

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12. Syntaxe de la proposition et de la phrase………………………………………. 285

12.1. La proposition………………………………………………………………... 285

12.2. L’énoncé nominal…………………………………………………………….. 285

12.2.1. L’énoncé existentiel formulé à l’aide de fīyu…………………………………... 286

12.2.2 Les énoncés attributif, locatif et équatif formulés à l’aide d’une copule enclitique…… 288

12.2.3. L’énoncé de monstration formulé à l’aide de la particule kwa………………. 291

12.3. La proposition complétive……………………………………………………. 292

12.4. La phrase conditionnelle……………………………………………………... 293

12.5. La proposition relative……………………………………………………….. 309

12.6. La proposition circonstancielle de cause……………………………………... 312

12.7. La proposition circonstancielle de but……………………………………….. 313

12.8. La proposition circonstancielle de concession……………………………….. 314

12.9. La proposition circonstancielle de comparaison……………………………... 314

12.10. La proposition circonstancielle de temps…………………………………… 315

13. La réduplication à m …………………………………………………………………... 319

14. L’alternance codique : mardini-kurde-turc…………………………………….. 331

Références………………………………………………………………………….. 343

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Avant-propos

L’ouvrage que nous publions aujourd’hui a pour objectif de présenter

l’arabe parlé à Mardin. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut préciser que, par

« l’arabe parlé à Mardin », on entend ici le parler arabe dominant dans la ville de

Mardin seulement, qui est identifié aisément parmi toutes les autres variétés

d’arabe véhiculées dans la zone par les arabophones qui le désignent par le nom

de ‘arabi mērdīni « arabe mardinien » ou ‘arabi bažari « arabe citadin ». En ce

qui suit, cette variété d’arabe, objet de cette monographie, sera simplement

nommée mardini.

L’analyse dont les résultats sont présentés ici se fonde, en principal, sur

un corpus de textes recueillis in situ en cinq ans (à partir de 2002) de visites

temporelles faites à Mardin et, aussi, à Istanbul où vit une grande communauté

d’Arabes mardiniens. Aussi, une petite partie du matériel linguistique utilisé a été

recueillie de la petite communauté de commerçants arabes mardiniens établie à

Bucarest.

Des dizaines de personnes, femmes et hommes, de diverses professions –

commerçants, chauffeurs, cuisiniers, avocats, instituteurs, tailleurs, bergers,

employés, hommes de religion etc. – m’ont offert, volontairement, leur aide qui a

consisté à raconter, devant le microphone, des scènes de leur vie (en mettant

l’accent sur les coutumes sociales, alimentaires, vestimentaires, les occupations,

l’organisation de la famille, l’architecture locale etc.), à répondre à un

questionnaire linguistique et à participer à des entretiens pendant lesquels j’ai noté

les aspects d’ordre linguistique qui m’avaient semblé les plus intéressants.

Le questionnaire linguistique, élaboré en turc, pour éviter, pendant les

enquêtes, les interférences avec mon arabe, a été établi par moi-même à partir de

deux questionnaires : celui de David Cohen et Arlette Roth, « Questionnaire de

dialectologie dans son état provisoire et perfectible », et celui de Dominique

Caubet « Un complément aux questionnaires dialectologiques », tous les deux

publiés, comme composantes d’un article de Dominique Caubet, dans Oriente

Moderno, 2000.

Ma participation aux entretiens avec les Arabes mardiniens a été, de prime

abord, en arabe bagdadien, qui a beaucoup de similitudes avec le mardini, et puis,

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au fur et à mesure, en mardini. Aussi, des discussions spontanées, auxquelles j’ai

assisté, sans y prendre effectivement partie, m’ont fourni un riche matériel.

Seuls les résultats de mon analyse qui m’ont semblé les plus signifiants ont

été inclus dans ce travail, après avoir été comparés avec ceux compris, d’une part,

dans des travaux sur l’arabe parlé dans la ville de Mardin même ou sur d’autres

variétés d’arabe parlé dans la région de Mardin publiés par Otto Jastrow, Hans-

Jürgen Sasse, Bo Isaksson, Michaela Wittich etc., d’autre part, dans des travaux

sur l’arabe mésopotamien auquel le mardini appartient : Haim Blanc, Clarity-

Stowasser, McCarthy / Raffouli etc.

Les ouvrages du savant allemand Otto Jastrow qui ont essarté l’aire

dialectale mésopotamienne qəltu, en ouvrant ainsi la voie pour son étude, m’ont

constamment servi de guides, en m’aidant à me débrouiller dans l’enchevêtrement

de ces parlers. Qu’il reçoive ici l’assurance de ma profonde et respectueuse

gratitude pour tout ce que j’ai appris de ses excellents livres et articles portant sur

ce sujet.

Pour la transcription des données, j’ai repris le système employé dans les

ouvrages d’Otto Jastrow, auquel j’ai opéré de petites adaptations qui consistent

dans le remplacement de /x/ par /h~/, pour la fricative, vélaire, sourde, et de /ع/ par

/‘/, pour la fricative, pharyngale, sonore.

J’ai pleinement conscience des imperfections inévitables attachées à ce

genre de monographies, imperfections dues à une matière parfois contradictoire,

parfois foisonnante, parfois échappant à tout essai d’analyse, dans laquelle je me

suis assumé l’ingrate tâche de mettre le plus de clarté possible. Sans doute, me

sera-t-il reproché des omissions, ou par contre, des reprises de la même idée

plusieurs fois sous différentes formes, des erreurs dans la registration d’un mot

dialectal ou dans l’analyse proposée, des simplifications, ou par contre, des

complications dans les explications fournies ; tels chapitres paraîtront richement

soutenus par des argumentes solides et des exemples illustratifs et d’autres pas

assez, mais on m’accordera que l’entreprise, pour minutieuse et sollicitante

qu’elle fût, n’était pas assez mauvaise. J’ai bon espoir que toute la somme de

travail enfermée en cette monographie apportera une signifiante contribution à la

connaissance de ce parler arabe, dans l’étude duquel j’ai passé une bonne partie de

la vie.

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Je serais profondément reconnaissant à tous mes collègues qui

s’intéressent à l’étude des dialectes arabes pour les observations qu’ils voudraient

bien faire sur cette monographie ; ils me donneraient ainsi l’occasion de pouvoir y

apporter des corrections dans l’avenir.

Il m’est agréable d’exprimer ici ma profonde gratitude à Nadia

Anghelescu, mon Professeur, dont l’appui de sa science, de son expérience, de ses

conseils ne m’a fait jamais défaut.

Je remercie mes collègues et amis, les universitaires arabisants Rodica

Daniela Firănescu, Irina Vainovski-Mihai et Ovidiu Pietrăreanu, d’avoir bien

voulu faire une lecture extrêmement vigilante de tout ou partie du manuscrit, en

m’aidant à mettre au point le présent livre.

Je me fais aussi un plaisir d’adresser ma sincère reconnaissance à mes

amis mardiniens arabophones qui m’ont toujours apporté le soutien le plus

efficace et à qui cet ouvrage doit beaucoup : Meryem Orundaş, Mehmet Canşi,

Beşir Eryarsoy, Ahmet Ağırakça.

Je ne saurais terminer cet avertissement sans remercier vivement Ana

Oprişan, romologue roumaine établie à Istanbul, dont l’assistance enthousiaste et

les encouragements ne se sont jamais relâchés pendant mes longs voyages en

Turquie.

George Grigore

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1. Mardin : présentation générale1

1.1. Possibles significations du nom Mardin

Le nom de la ville de Mardin (c’est le nom officiel en turc moderne) a

suscité depuis toujours de vives discutions entre ses habitants, parce que chaque

communauté l’attribue linguistiquement et historiquement à elle-même.

Conformément à la plus répandue hypothèse, soutenue linguistiquement, le nom

Mardin aurait son origine dans le mot syriaque merdā qui signifie « forteresse »,

« citadelle ». Une autre hypothèse, à l’appui de laquelle certains historiens

mentionnent le refuge des combattants arméniens, en l’an 351 de notre ère, dans

cette forteresse qui reçut alors le nom de Mardin, part du mot arménien qui les

désignait mardik, mardi ou mardiros « rebelle » ou « martyr ». Une réflexion de

cette idée se retrouve parfois dans l’ancienne vocalisation du graphème ماردين

comme un participe actif māridīn (mārid, « rebelle audacieux et insolent dans sa

rébellion », cf. Kazimirski ; dans cette situation la terminaison -īn est interprétée

comme étant le suffixe de pluriel externe en cas oblique, ce qui mène les uns à le

remplacer avec sa variante en nominatif -ūn: ماردون māridūn, cf. Kazimirski).

Bien de légendes attribuent le nom de Mardin à un fondateur éponyme : soit un

prince perse du nom de Mardin qui aurait miraculeusement guéri à l’emplacement

même de la future citadelle ; soit la fille d’un prêtre zoroastrien, Mara etc.

1.2. Bref aperçu géographique

Mardin est maintenant la capitale du district (il) turc homonyme qui

voisine avec l’Irak et la Syrie.

Située dans la région connue sous le nom de al-Ğazīra « L’île », un

territoire découpé par le Tigre et l’Euphrate, la ville de Mardin occupe le lieu le

plus stratégique, au carrefour de routes commerciales d’une grande importance,

parmi lesquelles la célèbre Route de la Soie, qui, jadis, reliait Tarsus (Tarse) – 1 N’étant pas un spécialiste de l’histoire et de la géographie de Mardin, je me suis limité à extraire

de The Encyclopaedia of Islam (1991) les données principales qui se constituaient dans la colonne

vertébrale de ce chapitre. À celle-ci j’ai ajouté mes propres constatations concernant la description

de Mardin et des éléments extraits d’autres sources indiquées dans le texte.

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Adana – Urfa (l’ancienne Edesse) à Nusaybin (l’ancienne Nisibis) et qui

continuait jusqu’à Mossoul, Bagdad et Bassora, ce qui en fit par le passé le centre

d’un trafic caravanier intense. L’existence, dans l’arabe classique, d’un verbe

dérivé du nom Mardin, ’amrada « se rendre dans la ville de Mardin » (cf.

Kazimirski) est un bon témoignage de l’importance qu’on lui a accordée autrefois.

Mardin se dresse sur le versant méridional (à 1000-1100 mètres d’altitude) d’une

montagne qui borne l’extrémité de la plaine de la haute Mésopotamie. À l’altitude

maximale de 1 200 mètres, une forteresse (qal‘a) que nul n’a été capable de

conquérir par la force (Abū l-Fidā’ 1840 : 279) domine la ville de Mardin,

constituant son symbole et son repère fondamental. Si l’inaccessibilité de la

citadelle de Mardin a valu à la ville le surnom de « briseuse d’armées », la pente

raide de ses rues et de ses ruelles (certaines ont une inclinaison de 45 degrés !),

qui en interdisait l’accès aux animaux de bât lourdement chargés, l’a fait aussi

surnommer « disperseuse de caravanes » par certains voyageurs.

L’enchevêtrement des rues donne à la ville un aspect de labyrinthe ou de « mer

d’escaliers ».

La carte de la Turquie

Page 20: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 19 -

La ville de Mardin – considérée par le grand voyageur Ibn Bat }t }ūt }a (le

XIVème

siècle) « une des plus belles villes de l’Islam, des plus magnifiques, des

plus parfaites, aux marchés les plus beaux » (Ibn Bat }t }ūt }a 1995 : 588) – monte en

escarpements vers le sommet de la montagne, couronné de la citadelle.

L’inclination abrupte du versant fait que l’issue arrière d’une maison se situe au

niveau du toit d’une maison de la rue sous-jacente. De chaque maison la vue porte

ainsi, en toute liberté, très loin dans la plaine de la haute Mésopotamie. Les

maisons mardinienes, en pierre jaune ou blanche, se cachent aux regards étrangers

derrière des hauts murs de pierre. Collés les uns aux autres, les bâtiments soignés

des maisons, des églises et des mosquées s’intègrent dans un complexe dominé

par l’harmonie et le bon goût.

Mardin ne manque pas de trésors d’architecture islamique. Passée sous la

domination des Omeyyades (661-750), des Abbassides (750-1258), des

Hamdanides (905-1004) et des Marwanides (jusqu’à 1085), elle a connu sa

période de gloire durant les trois siècles du règne des princes seldjoukides,

jusqu’au début du XVe siècle. À cette époque, elle était l’une des villes les plus

prospères du nord de la Mésopotamie. Les madrasas (écoles coraniques)

Zinğīrīye et Qāsimīye, véritables joyaux, la madrasa Sitti Radviyé, qui vient d’être

restaurée, ainsi que les mosquées Lat }īfīye et Šehīdīye sont les témoins de la

prospérité de l’époque seldjoukide de Mardin. La mosquée Ulu Cami, qui aurait

été construite sur l’emplacement d’une église chrétienne, est devenue, notamment

grâce à sa coupole et à son minaret bien particuliers, l’un des emblèmes de la

ville.

À Mardin, on célèbre la messe chaque dimanche dans une église

différente : si elle a eu lieu ce dimanche dans l’église catholique chaldéenne, elle

se déroulera le dimanche suivant dans l’église araméenne des Quarante-Martyrs.

Il ne faut pas manquer non plus le fameux monastère de Dayr əz-za‘farān, à

quelques kilomètres de la ville, qui fut, croit-on, fondé à l’emplacement d’un

temple d’adorateurs du Soleil. Les premiers bâtiments de ce monastère seraient

l’œuvre des architectes byzantins Théodose et Théodore.

Ville de commerçants et d’artisans, Mardin se constitue dans un véritable

réseau de marchés, en tête desquels est, sans doute, celui des orfèvres (sōq əs}-

Page 21: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

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s}ēyəġīn) qui se trouve dans t }arēq əl-awwal « la Première Avenue », la seule

circulable par les véhicules à moteur). Les autres, dont les noms rappellent les

marchés de Bagdad, se tiennent dans les rues parallèles, en contrebas, reliées entre

elles par des escaliers, ruelles et impasses (les célèbres ‘abbār}āt dans lesquelles le

seul mode de transport de marchandises est celui à l’aide des ânes et des mules),

et respectent une immuable répartition corporative, comme dans toutes les villes

qui renferment encore des traits médiévaux : sōq əd-daqēq « le marché de la

farine » ; sōq əl-bəqqālīn « le marché des épiciers » ; sōq əl-ġazīl « le marché de

la filature » ; sōq əl-h}əddēdīn « le marché des forgerons » ; sōq əl-qəndarāğīye

« le marché des chausseurs » ; sōq əs}-s}əffērīn « le marché des étameurs » ; sōq əl-

baqar} « le marché des vaches » ; sōq əl-bəzzēzīn « le marché des marchands

d’éttofes » ; sōq əl-qəbqābčīye « le marché des sabotiers » ; sōq əl-laban « le

marché du lait caillé » ; sōq ən-nəğğērīn « le marché des menuisiers » ; sōq ət-

tanakčīye « le marché des ferblantiers » etc.

Cependant l’isolement géographique de Mardin explique son déclin

progressif. Jadis rivale d’Urfa (Edesse), de Mossoul et d’Alep, célèbre pour ses

manufactures d’étoffe et de cuir, Mardin ne fabrique plus guère au XXIe siècle

que des articles destinés à la consommation locale. Mais elle reste un riche centre

agricole, producteur de céréales, de raisins, de fruits et de produits de l’élevage.

1.3. Quelques repères historiques de Mardin

Conformément aux découvertes archéologiques, les plus vieilles traces de

la présence humaine dans la région de Mardin datent de 6000 à 6500 avant notre

ère. Hourrites, Hittites, Assyriens, Perses, Arméniens, Séleucides, Romains,

Arabes, Seldjoukides, Ottomans ont dominé successivement la région, en la

marquant de leur empreinte.

La première attestation documentaire de cette forteresse est due à

l’historien byzantin Ammianus Marcellinus (Ammien Marcellin) – 330-395 ap. J.-

C. – dans son oeuvre Res Gestae a Fine Corneli Taciti ( Les événements depuis la

fin [des Histoires] de Corneille Tacite) – XIX, 9, 4. Une autre ample référence

concernant Mardin a été faite par Theophanis (Théophane), en 506, dans son

oeuvre Chronographia, A.M. 5998.

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En 131 av. J.-C., Mardin et ses alentours a été ajoutée au royaume d’Urfa

(conduit par la dynastie des Abgar, convertie au christianisme en 206). En 249 ap.

J.-C., le commandant romain Philippus (Philip) a conduit une rébellion à la suite

de laquelle le roi Abgar IX a été éloigné de Mardin. Uralyonos devenait le

gouverneur de la ville. Mardin, administrativement attachée à Urfa, est entrée sous

le gouvernement romain. Après une période d’épanouissement due au prince

perse Chad Buhari établi ici, la ville de Mardin fut dévastée par une épidémie vers

l’année 442.

Après environ 100 ans, un commandant romain, Ursianos, a rebâti la ville

pendant une période de 47 ans et l’a rendue habitable de nouveau. Byzance a

gouverné la ville jusqu’à 640 quand ‘Iyād bin Gānim, un des commandants

militaires du calife Omar (m. 644), a occupé la ville. Donc, la ville de Mardin, et

toute la zone adjacente, a été gouvernée premièrement par la dynastie omeyyade

(661-750, ayant la capitale à Damas) à partir de 692, avec le règne du calife ‘Abd

al-Malik (m.705), et puis, après une période confuse, par la dynastie abbaside

(750-1258, ayant la capitale à Bagdad) à partir de 824, avec le règne du calife

Ma’mūn (m. 833).

Les Hamdanis qui ont gouverné la zone à partir de 885 jusqu’à 978 ont

capturé la ville en 895. Ils ont rebâti et fortifié la citadelle (qal‘at Mārdīn) sous

une forme comparable à celle que nous lui connaissons aujourd’hui. Cependant, le

règne des Hamdanis a laissé la place aux Mervanis en 990. Leur contribution a été

importante dans le sens qu’ils ont construit beaucoup de bazars et de mosquées et

ont fait de Mardin un centre commercial d’une grande importance sur la Route de

la Soie.

Les Marwanis ont graduellement perdu leur pouvoir, sous la pression des

raids turques qui ont commencé après la bataille de Malazgirt (ou Manzikert,

localité située au nord du lac Van) en 1071, quand le sultan seldjoukide Alp

Arslan a mis en fuite l’armée de l’empereur byzantin Romanus IV Diogenes

(Romain IV Diogène), en ouvrant ainsi la voie vers l’Anatolie aux Turcs

seldjoukides. Les Marwanis sont finalement vaincus à Nusaybin par les Turcs

seldjoukides en 1089.

Il Ghazi Bey de la dynastie artuqide a capturé la ville et a fait d’elle la

capitale de son petit état en 1105. Il Ghazi Bey est devenu célèbre après sa

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conquête d’Alep et sa résistance devant les croisés. Il a capturé Silvan à la suite de

sa victoire sur le Prince Roger d’Antioche. Après sa mort, son fils a élargi le

domaine englobant Diyarbakır, Harput et d’autres villes. Le royaume d’Artuklu a

duré 304 ans pendant lesquels la ville de Mardin a connu un développement sans

précédent et l’érection de beaucoup de mosquées, de madrasas, de bains publiques

et de caravansérails.

Timur Lenk (Tamerlan) a essayé deux fois, en 1393 et en 1395, de

conquérir Mardin, mais sans succès. Encouragée par la résistance devant l’armée

de Timur Lenk, la dynastie artuqide est revenue à son but de développer la ville,

mais leur intention s’est confrontée à un nouveau danger représenté cette fois-ci

par le groupe turcoman des Karakoyunlu (Ceux aux Moutons Noirs), composé des

tribus oghuz. Après deux ans de siège, les défendeurs de Mardin ont reconnu leur

défaite et ont remis la ville au souverain des Karakoyunlu, Kara Yusuf, qui l’a

ajoutée au territoire de son état (1380-1469), situé entre Arbil et Nakhitchevan. La

ville est restée 61 ans sous le règne de Karakoyunlu. La mort du souverain

déclencha d’importants troubles dans le pays. Beaucoup de tribus locales se sont

révoltées. Dhahan Chah parvint à rétablir l’unité et l’ordre, mais il fut vaincu, en

1462, à Mardin même par le Khan des Akkoyunlu (Ceux aux Moutons Blancs),

Uzun Hasan, auquel il se soumit. Pendant le règne des Akkoyunlu, Kasım Bey, un

commandant militaire nommé pour administrer la ville, a commencé sa

reconstruction pour effacer les traces du désastre provoqué par les attaques de

Timur Lenk. La madrasa de Kasım Pacha est l’un des bâtiments de cette époque-

là qui est restée debout jusqu’à nos jours.

Sous le règne d’Uzun Hasan, l’état turcoman des Akkoyunlu fondé à la fin

des invasions mongoles dans la région de Diyarbakır-Malatya connut sa période la

plus fastueuse, mais sa défaite à la bataille d’Otlukbeti face au Sultan ottoman

Mehmet II, le Conquérant, provoqua la fin de l’état des Akkoyunlu en 1473.

Les Akkoyunlu ont fini par être soumis par le souverain persan Ismail

Chah. Ismail Chah était si impitoyable envers tous ceux qui lui opposaient de la

résistance que les défendeurs de Mardin lui ont remis les clés de la ville pour

protéger ses habitants d’un carnage. Toutefois, ses ambitions politiques, qui l’ont

poussé à convoiter l’Anatolie, l’ont mis face à face avec le souverain ottoman

Yavuz Selim I. Le Chah subit une défaite écrasante à Çaldıran, en 1514. En dépit

Page 24: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

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de cette victoire, la ville de Mardin ne fut pas prise par les ottomans parce que

Bıyıklı Mehmet Pacha, gouverneur de Diyarbakır (en arabe : Diyār Bakr « La

demeure de Bakr », l’ancienne Amida) et Idris-I Bitlisi, un chef local kurde, ont

capturé la ville, en 1516, après une bataille acharnée, à l’aide des tribus kurdes de

la région. Enfin, en 7 Avril 1517 la ville a été capturée par les ottomans et comme

partie du territoire de leur empire, a été rattachée administrativement à Diyarbakır.

Les documents de 1518 montrent que le « Sandjak » de Mardin consiste dans la

ville centrale (Mardin), Savur et Nusaybin.

Géographie du sandjak de Mardin (Ternon 2002 : 54)

À la fin du XIXe siècle, la population de la ville de Mardin ( ماردين قصبه

conformément au dictionnaire ottoman d’Ali Cevet, « Memalik-i (سنده

Osmaniyenin Tarih ve Coğrafiya luğatı », publié à Istanbul, en 1313h, est estimée

à 25 000 habitants, dont 15 700 musulmans : 10 000 turcs, 4000 kurdes et 1 700

arabes ; 9 270 chrétiens : 4330 arméniens, 1 200 catholiques, 1 700 protestants,

580 chaldéens catholiques, 70 syriaques, 810 jacobites (syriaques orthodoxes) ;

israélites : 580 juifs. Ces chiffres sont, à l’évidence, bien différents des

estimations des missionnaires et des recensements ultérieurs. À la même époque,

deux voyageurs apprécient la population de la ville de Mardin, l’un à 12 500,

l’autre à 18 000. Ce chiffre augmente progressivement pour atteindre 25 000 dans

un rapport du père Rhétoré de 1874 (8 500 chrétiens, dont 4 200 arméniens

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catholiques, 1 500 jacobites, 1 200 syriens catholiques, 600 chaldéens). En 1900,

Marc Sykes chiffre cette population à 35 000, dont la moitié sont chrétiens –

10 000 syriens occidentaux et 6 200 arméniens (Ternon 2002 : 54).

À partir de 1647, Mardin dépend de la ville de Bagdad (elle aussi étant

sous administration ottomane). En 1735, Mahmud Ier

nomme un pacha kurde

gouverneur de Mardin et la fonction devient héréditaire. Mais les Mardiniens se

soulèvent en 1777 et le pouvoir ottoman le remplace. Les chefs de la tribu des

Milli sont gouverneurs de Mardin. En 1806, des bandes d’irréguliers kurdes

s’emparent de la ville, détruisent les remparts qui y restaient, pillent le marché et

les maisons et se livrent aux massacres pendant trois jours. Entre 1815-1836, le

pouvoir réel est exercé dans la ville par des beys kurdes de la tribu des Milli qui

refusent de se soumettre à l’autorité de la Porte Sublime. En 1839, Mardin cesse

de dépendre de Bagdad et est rattachée à Mossoul, puis, en 1845, de nouveau, à

Diyarbakır.

Pour finir ce périple, il est utile de mentionner qu’après la chute de

l’Empire Ottoman, Mardin est restée comme partie intégrante de la République

Turque (1923).

1.4. Mardin : mélange de populations

Des populations diverses vivent aujourd’hui à Mardin, qui a toujours été

un refuge pour des gens de toutes origines : Arabes, Kurdes, Araméens, Turcs,

Arméniens (les autres, comme la communauté juive, qui au XIXe siècle comptait

encore une cinquantaine de personnes, ont aujourd’hui complètement disparu) et

de toutes croyances: musulmans (les Arabes sont sunnites hanéfites, les Kurdes

sont sunnites chafi‘ites), chrétiens (Arméniens grégoriens et catholiques,

Araméens jacobites ou monophysites, chaldéens, nestoriens ou protestants ; c’est

ici qu’a été le siège de l’Église Syrienne jusqu’au début du XXe siècle, quand il a

été transféré à Damas), yazidites (kurdophones adeptes d’un culte2 syncrétique

continuant les anciens cultes iraniens) etc. Le pourcentage représenté par chacune

de ces populations de la ville de Mardin – dont le nombre d’habitants monte à

64.189 âmes, selon le tableau indicateur qui se trouve à l’entrée de la ville – est

2 Pour une description détaillée de ce culte, voir Grigore, George. 1994. O mărturie tulburătoare

despre slujitorii diavolului. Cartea Neagră. Cartea Dezvăluirii. Bucarest : Editura Călin.

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difficile à savoir, parce que les sources consultées, loin d’être objectives,

montraient des chiffres extrêmement différents, tantôt exagérés, tantôt réduits.

Mardin est considérée comme une cité tolérante, tolérance due à ce

mélange de plusieurs héritages et confessions : Turcs, Kurdes, Arabes,

Arméniens, Araméens (appartenant aux diverses confessions chrétiennes) qui

entretiennent de bonnes relations. De cette cohabitation forcée, longtemps

pacifique, naîtra une certaine tolérance et un plurilinguisme qui l’illustre.

Quand j’ai demandé à un habitant de quelle origine il était, il m’a répondu

en riant: « Je suis d’origine mardinienne ! C’est-à-dire comme les oiseaux du

ciel ! »… Et il a pris à me raconter cette petite histoire qui comprend une réponse

très suggestive à ma question et montre la conscience pluriethnique des

Mardiniens. La voici :

s}ār fə-bī‘a fə-mērdīn. fə-mērdīn nāqūs əl-bī‘a fōq ys}īr w ‘ēli ys}īr.

ət }-t }yōr} kān yğawn yəq‘adūn ‘a -n-nāqūs w yədrəqūn ‘alay-u. w rāhəb əl-

bī‘a kan lāzəm kəll sabbe yət }la‘ la-fōq w ynad}d}əf ən-nāqūs. ‘āf mən hā-š-

šəġəl w ftakar ašwan ta-yhalləs} mən hā-t }-t }yōr}. qābəl hāy, hūwe rād yə‘rəf

mən ayš as}əl hawde t }-t }yōr} ... ah~ad t }abse ğəbne w kabb ‘alay-a šər}āb w h }at }t }

ət }-t }abse fōq ən-nāqūs. yfūt nhārayn – tāte w t }ala‘ kar}t əl-ləh.~ kān yğawn

ət }-t }yōr} yāklūn əğ-ğəbne w yəšr}abūn əš-šar}āb w yədrəqūn ‘a-n-nāqūs w

yfərrūn yr}ōh}ūn. ər-rāhəb qəddām r}ōh }-u yqūl : ana ma-ftahamtu ‘ala ayš

dīn, ayš məlle əntən. ykūn kəntən yahūd, mā-kān tāklūn ğəbne, ykūn kəntən

məsləmīn mā-kān təšr}abūn šar}āb, ykūn kəntən nas}ār}a mā-kān tədrəqūn ‘a

n-nāqūs.

(h}akkōye mērdīnīye)

« Cela s’est passé dans une église à Mardin. À Mardin, la cloche de

l’église est au-dessus, en haut. Les oiseaux venaient s’asseoir sur la cloche

et fientaient dessus. Le moine de l’église devait, chaque semaine, monter

là-haut pour nettoyer la cloche. En ayant marre de ce travail, il pensa

comment se débarrasser des oiseaux. Mais avant cela, il voulut savoir de

quelle origine ils étaient. Il prit alors une assiette avec du fromage et versa

au dessus du vin, puis il mit l’assiette sur la cloche. Après deux ou trois

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jours, il y monta de nouveau. Les oiseaux venaient, mangeaient le

fromage, buvaient le vin, fientaient sur la cloche et s’envolaient. Le moine

dit alors pour soi-même: Je n’ai pas compris de quelle religion vous êtes,

de quel peuple… Si vous aviez été des juifs, vous n’auriez pas mangé le

fromage ; si vous aviez été des musulmans, vous n’auriez pas bu le vin ; si

vous aviez été des chrétiens, vous n’auriez pas fienté sur la cloche ».

(conte mardinien)

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2. La situation linguistique de Mardin

2.1. Une vue d’ensemble sur la situation linguistique de Mardin

La ville de Mardin est devenue, à partir du XIème

siècle, l’un des rares

endroits de la région où se côtoyaient des codes linguistiques, bien différents, tant

du point de vue génétique le mardini : la famille afro-asiatique, branche

sémitique ; le kurde kourmangi : la famille indo-européenne, branche iranienne ;

le turc : famille altaïque, branche turque ; l’araméen t }uroyo3 : la famille afro-

asiatique, branche sémitique ; que du point de vue typologique, le mardini :

flexionnel synthétique ; le kurde : flexionnel analytique ; le turc : agglutinant ; le

t }uroyo : flexionnel synthétique). Cette situation linguistique est toujours

d’actualité : en se promenant dans les ruelles de Mardin, on peut entendre à

chaque instant de l’arabe, du kurde, du turc, de l’araméen.

L’arabe parlé à Mardin appartient au groupe dialectal mésopotamien

(Jastrow 1980 : 140-155) avec lequel il partage toute une série de caractéristiques.

Du point de vue géographique, le mardini fait partie des soi-disant dialectes

insulaires (Versteegh 2001 : 213) ou périphériques, vu qu’il se situe dans un

microcontexte kurde, situé à son tour dans un macrocontexte turc, étant isolé de la

sorte de la grande masse des dialectes arabes contemporains.

3 Le t }uroyo (ou t }ōrāni, en mardini), étudié aussi par Otto Jastrow, représente une branche

de l’araméen oriental, autrefois langue de la Mésopotamie. Ce dialecte (son nom est un dérivé du

nom t }ūr « montagne » – t }ūrōyo, « montagnard »), parlé aussi dans la zone de Mardin, s’est

perpétué dans la région, presque exclusivement chrétienne, de T }ūr ‘Abdīn – « Montagne des serviteurs » (son nom est dû à la multitude de couvents et monastères chrétiens dont elle fut jadis

parsemée), qui est située au nord de Mardin, ayant la ville Midyat comme « capitale ». Ce dialecte

est le résultat de la continuation et la transformation de la langue parlée dont 1’usage subsista à

côté de la langue littéraire qu’on appelle le syriaque ; tandis que celle-ci nous apparaît presque

immuable du IVème au VIème siècle, l’autre s’est insensiblement modifiée selon les lois de

l’évolution communes à toutes les langues parlées, pour en arriver à l’état d’aujourd’hui.

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En ce qui concerne l’encadrement de l’arabe parlé à Mardin dans l’un des

deux types dialectaux qəltu ou gələt, il appartient au premier type. Ce groupe

dialectal dit qəltu se caractérise, entre autres, par la réalisation de l’ancienne

consonne /q/ telle quelle /q/, et par la présence de la voyelle finale /-u/, à la

première personne du singulier de la conjugaison suffixale, la seconde n’ayant pas

de voyelle finale (Blanc 1964 : 5-11 ; 160-171 ; Jastrow 1978). L’autre type est

caractérisé par la réalisation de l’ancienne consonne /q/ comme /g/, et par

l’absence d’une voyelle finale à la première personne du singulier de la

conjugaison suffixale.

Les parlers mésopotamiens de type qəltu ont été groupés par Otto Jastrow

(1994 : 121) dans le schéma suivant :

1. la branche anatolienne (Turquie)

l.1. le groupe de Mardin

1.1.1. la ville de Mardin4 (musulmans, chrétiens) – HM (1964)

5 ;

1.1.2. les villages de Mardin (musulmans, chrétiens) – OJ (1967-70) ;

1.1.3. Kōsa (musulmans) [Arbəl etc.] – OJ (1967-70) ;

1.1.4. Mh}allami6 (musulmans) [Kəndērīb, Rīš etc.] – OJ (1967-70) ;

1.1.5. Qart }mīn (musulmans) – OJ (1967-70) ;

1.1.6. Asəh~ (chrétiens) – OJ (1967-70) ;

1.1.7. Nusaybin / Qāməšli (juifs, maintenant émigrés) – OJ et MP (1983-84) ;

1.1.8. Cizre (juifs, maintenant émigrés) – OJ et MP (1983-84) ;

4 C’est le parler qui fait l’objet de cette monographie. 5 Les sigles utilisés dans ce schéma indiquent les noms des chercheurs qui ont découvrit, identifié

et classifié ces parlers : HM = Haim Blanc ; OJ = Otto Jastrow ; MP = Moshe Piamenta ; PB =

Peter Behnstedt. 6 Cette variété d’arabe mardinien a été décrite par Hans-Jürgen Sasse dans la monographie

« Linguistische Analyse des Arabischen Dialekts der Mhallamiye in der Provinz Mardin

(Südosttürkei) ». Dans le sous-chapitre « Mh und seine Situation in Mardin » (1971 : 17), il

indique un certain nombre de différences lexicales existant entre le mardini et le mh }allami qu’on

les reproduit ici tel quel dans sa transcription (le premier terme est en mardini, le deuxième en

mh }allami), mais dans notre traduction en français: šǎ‘ər – pǎrčǎm « cheveux » ; əğər – sax/saq

« pied » ; sǎlğ – hǎbwe « neige » ; lǎbǎn – xatər « lait caillé », « yoghourt » ; sǎmne – dəhne

« graisse » ; ğehəl – xort « jeune » ; lǎyš – qay « pourquoi » ; kəde – hage « ainsi », « tel » ; ǎšwǎn

– ǎšyol « comment » ; qǎčǎm, yəqčəm – nadǎm, ynedəm « parler » ; wǎqǎ‘ – wəqə‘ « tomber » ; tǎ‘an – tǎ‘a « viens ! » ; qalət – qat « elle a dit » ; kanət – kat « être ». Les derniers deux exemples

mettent en évidence une différence morphologique aussi : en mhallami la troisième consonne

radicale des verbes concaves est systématiquement éliminée à la troisième personne, féminin,

singulier, à la conjugaison suffixale, tandis que le mardini la garde, en général.

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1.1.9. la plaine de Mardin (musulmans) – OJ (1967-70).

1.2. le groupe de Siirt

1.2.1. la ville de Siirt (musulmans ; chrétiens, maintenant éteints) – HB (1964) ;

1.2.1. les villages de Siirt (musulmans) [H }alanze, Fəsken, Snēb etc.] – OJ (1967-

70) ;

1.3. le groupe de Diyarbakır

1.3.1. la ville de Diyarbakır (chrétiens, maintenant éteints) – OJ (1967-70) ;

1.3.2. les villages de Diyarbakır (chrétiens, maintenant éteints) – OJ (1967-70) ;

1.3.3. les communautés juives (maintenant émigrées) : Diyarbakır, Siverek,

Cermik, Urfa – HB (1964) ;

1.4. le groupe de Kozluk (villages musulmanes ; chrétiens ?) [Daragözü etc.] –

OJ (1967-70) ;

1.5. le groupe de Sason (villages musulmans ; chrétiens, éteints ?) – OJ (1967-70).

2. la branche de Kurdistan (Irak)

2.1. le groupe de Kurdistan (juifs, maintenant émigrés) ;

2.1.1. Səndōr } – OJ et MP (1983-84) ;

2.1.2. ‘Aqra, Šōš, Arbīl – OJ (1985-86);

2.1.3. Kirkūk, Kufri, Tūz Khurmātu, Khānaqīnī – OJ (1985-86).

3. la branche de Tigre (Irak)

3.1. le groupe de Mossoul ;

3.1.1. la ville de Mossoul (musulmans, chrétiens ; juifs, maintenant émigrés) – HB

(1964) ;

3.1.2. les villages Bah}zāni et Bah}šīqa (yazidites, chrétiens) – OJ (1967-70) ;

3.2. le groupe de Tikrīt ;

3.2.1. Tikrīt (musulmans) – HB (1964) ;

3.2.2. Bēği (?) – HB (1964) ;

3.2.3. Dōr }a (?) – HB (1964) ;

3.3. les dialectes de l’Irak méridional et moyen

Page 31: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 30 -

3.3.1. chrétiens : Bagdad, ‘Amāra, Bas }ra – HB (1964) ;

3.3.2. juifs (maintenant émigrés) : Bagdad, ‘Amāra, Bas }ra – HB (1964).

4. la branche d’Euphrate

4.1. Khātūnīye (Syrie) – (musulmans) – PB (1989-90) ;

4.2. Dēr iz-Zōr (Syrie) – (musulmans) – OJ (1967-70) ;

4.3. Abū Kamāl (Syrie) – (musulmans) – PB (1989-90) ;

4.4. ‘Ana (Irak) – juifs (musulmans ?) – HB (1964) ;

4.5. Hīt (Irak) – juifs (musulmans) – HB (1964).

À partir de cette classification mise au jour par Otto Jastrow, on peut être

intrigué par la situation paradoxale du groupe dialectal anatolien : même s’il

couvre un territoire relativement réduit, il est morcelé en cinq dialectes, atomisés,

à leur tour, en parlers – neuf pour le dialecte de Mardin, par exemple – qui se

distinguent surtout par la phonétique et le lexique. Les divergences qui existent

entre ces variétés ont fait croire à l’existence d’une multitude de parlers, à chaque

hameau son parler. Face à cette diversité, on n’a pas manqué d’être frappé par la

profonde unité de ces variétés, unité qui se manifeste dans les niveaux de la

permanence structurelle, c’est-à-dire, la morphosyntaxe et la phonologie. À notre

question adressée aux habitants de la ville de Mardin sur la différence qui existe

entre leur parler et ceux de Qart }mīn, Asəh~ etc., leur réponse a été toujours la

même: « ils parlent comme nous, mais ils ont quelque chose… ». Il faut souligner

que les dialectologues ont surtout été intéressés par ce « quelque chose », c’est-à-

dire par les faits de divergences et moins par les faits de convergence.

Haim Blanc, dans « L’Introduction » à son livre « Communal Dialects in

Baghdad » (1964 : 6) a fait un petit inventaire des caractéristiques des dialectes

mésopotamiens qəltu-gələt qu’on reprend ici par rapport au mardini :

- la présence du phonème /p/ ;

- la préservation des interdentales /t/, /d/ et /d}/ ;

- la présence des affriquées /č/ et /ž/ ;

- l’absence de la glottale /’/ résultée de l’ancien /q/ ;

- la préservation des anciennes diphtongues /ay/ et /aw/ ;

Page 32: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 31 -

- la préservation de la consonne /n/ à la conjugaison préfixale, à la

deuxième personne, singulier féminin, la deuxième personne, pluriel,

la troisième personne, pluriel ;

- le pluriel de type C1C2āC3a pour les adjectifs de type C1aC2C3ān ;

- l’introduction du complément d’objecte direct défini par la particule

lə/la et un pronom d’anticipation suffixé au verbe ;

- un grand nombre d’emprunts au turc et au persan (pour le mardini, il

faut ajouter le kurde et l’araméen aussi).

De tous les points mis en avant par Blanc, les seuls qui ne se retrouvent

pas en mardini sont ceux concernant l’emploi de aku « il y a » (d’ailleurs

soupçonné aussi par lui-même) et son négatif maku « il n’y a pas », qui sont

remplacés par fīyu « il y a » est son négatif mā-fi « il n’y a pas » ; l’emploi de

l’article indéfini fadd ; les lexèmes caractéristiques qui se superposent

partiellement au mardini.

En dépit de toutes les différences qui les séparent, les codes linguistiques

de Mardin, le mardini, le kurde, le turc, le néo-araméen, ont « un air de famille »,

car ils ont subi des influences similaires. Au long du temps, l’arabe a exercé une

grande influence sur toutes les langues de la région, qui détiennent actuellement

un énorme fonds collectif de mots arabes ; puis elles ont subi l’influence de la

langue turque (qui renforce, dans une grande mesure, le fonds arabe de ces

langues à cause de l’affluence de mots arabes qu’elle véhicule), et ces langues ont

été façonnées aussi par de nombreuses interférences manifestées entre elles-

mêmes. Tous ces faits ont créé de très étroites liaisons entre ces codes

linguistiques de Mardin. Parfois, comme apogée de ces interférences, il peut

arriver que quelques énoncés soient formés des mêmes vocables dans tous les

trois codes linguistiques prédominants (arabe, turc, kurde). Dans de telles

situations, les codes peuvent être identifiés seulement grâce aux marques

grammaticales spécifiques. D’un tas d’exemples illustratifs, j’ai choisi un seul,

enregistré dans un petit restaurant – lōqānt }a – où un vieux homme parlait à un

jeune auditoire des désavantages du consume de l’alcool, en concluant en trois

langues, pour tous :

Page 33: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 32 -

turc : Şarap pis dir !

kurde : Şarap pis e !

mardini : Šar}āb pīs we !

(şarap / šar}āb « vin » ; pis « mauvais » ; dans chaque séquence

mentionnée apparaît une copule spécifique, le turc dir ; le kurde e ; le mardini

we).

2.2. Le statut du mardini ; l’asymétrie linguistique

Comme dans toute communauté linguistique insulaire, plurilingue,

l’asymétrie linguistique se manifeste également dans la communauté mardinienne.

L’asymétrie linguistique (Fishman 1967 : 29-38) est basée sur trois facteurs

extrêmement importants : l’un est qualitatif et tient à la connaissance des niveaux

différents des codes qui sont en usage, le deuxième est quantitatif et tient au

nombre des locuteurs d’une langue située dans la zone de contact, et le troisième,

politique.

Le facteur qualitatif. La collectivité arabe mardinienne connaît une variété

dialectale de la langue arabe et la langue turque – qui remplace ici les fonctions de

la forme haute de l’arabe – au niveau standard, acquise à l’école. Les dialectes

turcs anatoliens sont peu connus à Mardin à cause du nombre réduit des turcs

anatoliens qui habitent ici.

Comme la forme haute, codifiée, de la langue arabe ne peut être assimilée

qu’à l’école, l’absence de l’enseignement en arabe produit au niveau de toute la

communauté une asymétrie linguistique évidente. En outre, les Arabes mardiniens

sont loin de bénéficier d’une instruction en arabe, et même les institutions

islamiques – la mosquée, l’école coranique – ne leur en offrent guère plus, car la

lecture du Coran, bien qu’elle soit en arabe, est adaptée à la phonétique turque ;

aux écoles coraniques, ouvertes dans les grandes mosquées seulement au mois de

Ramadan, on enseigne la lecture du Coran dans la même prononciation

spécifiquement turque (caractérisée, en ensemble, par le manque des emphatiques,

des interdentales etc.). Par exemple :

El-hemdü li-llah rebbi-l-alamin…

au lieu de Al-h}}amdu li-llāhi rabbi-l-‘ālamīna… (Coran, I, 1).

Page 34: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 33 -

Le facteur quantitatif. Un autre facteur qui se manifeste dans l’asymétrie

linguistique mardinienne est celui de la quantité, représentée ici par une variété

dialectale (kourmangi) de la langue kurde (qui n’a pas jusqu’à présent une

variante standardisée). Cette variété dialectale kurde jouit d’une meilleure position

dans la zone, position due au très grand nombre de natifs. Il faut rappeler ici que

les Arabes mardiniens – en leur grande majorité – parlent le kurde-kourmangi

aussi (Dündar 1999 : 101).

Le facteur politique et juridique. Le plus important facteur qui mène à

l’asymétrie est de nature politique et juridique. La principale source de l’inégalité

est le statut juridique différent des langues parlées sur le territoire de la Turquie.

La Turquie, comme tous les états nationaux, accorde le statut de langue officielle

seulement à la langue majoritaire, c’est-à-dire la langue turque, et toutes les autres

langues parlées sur son territoire ont un statut juridique de tolérées ou même

d’interdites. C’est pourquoi la langue turque est considérée comme la seule langue

acceptée dans ce pays, ce qui mène à la dégénération des terminologies

professionnelles et administratives des autres langues (kurde, arabe etc.), qui ne

sont pas officielles et sont par là de plus en plus marginalisées. « Aucune langue –

proclame la Constitution turque – autre que le turc ne doit être enseignée aux

citoyens turcs ou utilisée en tant que langue maternelle dans les établissements

d’éducation et d’enseignement » (TCA, Art. 42). Et encore plus : « Nul ne peut

publier dans une langue interdite par la loi » (TCA, Art. 26). Selon ces deux

citations, toute autre langue que le turc est interdite sur le territoire de l’état turc.

Le plus souvent, l’identité des langues parlées en Turquie est mystifiée par leur

réduction au turc : le kurde est nommé depuis 1938 « le turc de montagne », et son

statut reste encore incertain même si son usage a été autorisé officiellement en

2002, tandis que le mardini, comme les autres variétés d’arabe parlées dans la

zone, est qualifié parfois d’« une sorte de vieux osmanli ».

Le statut du mardini. Le mardini, comme tous les autres dialectes arabes

« insulaires » parlés au-delà des frontières officielles du monde arabe, ne peut plus

jouir du haut prestige de l’arabe littéraire – al-fus}h}ā – sous « l’ombrelle » duquel

il pourrait se placer. Ainsi, dépourvu du grand prestige de l’arabe littéraire, des

valeurs littéraires et scientifiques créées en cette langue, le mardini, ayant

Page 35: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 34 -

seulement une manifestation orale, est stigmatisé par d’aucuns comme étant un

véritable charabia tout à fait douteux.

En général, la connaissance d’un tel code linguistique n’est pas considérée

comme une compétence linguistique spéciale, parfois même les locuteurs natifs

nient sa connaissance. Aucun Arabe mardinien n’a reconnu immédiatement être

un locuteur du mardini, et quand il l’a fait, il s’est excusé plusieurs fois de parler

un arabe altéré qui est loin de l’arabe de Mossoul (Irak) ou de celui d’Alep

(Syrie) : ces deux villes, avec lesquelles les habitants de Mardin font depuis

toujours commerce, sont, dans leurs yeux, les centres de la civilisation par

excellence. Plusieurs fois, quand ils essayaient de m’expliquer un mot, ils

demandaient à ceux qui se trouvaient à côté d’eux, comment on disait cela en

arabe de Mossoul ou bien en celui d’Alep. Cela montre le prestige dont ces deux

parlers arabes jouissent parmi les Arabes mardiniens. En guise d’excuse, pendant

les discussions, quand ils croyaient que je ne pouvais pas comprendre, ils disaient

en souriant avec un geste semblable à une résignation :

Hāda ‘arabī-na we !

Ça, c’est notre arabe !

À la suite de la prise de conscience de cette asymétrie linguistique

présente dans la communauté des Arabes mardiniens – qui parlent, dans leur

écrasante majorité, à coté de leur arabe, le kurde, langue de la population avec

laquelle ils sont en contact quotidien, le turc appris à l’école, en armée, par les

contacts professionnels et administratifs, parfois t }uroyo – la manière dont ils se

présentent plus ou moins sérieusement me semble illustrative :

ana tərki ana, abū-y kərdi we w əm }m}-i ‘arabīye ye.

Je suis Turc, mon père est Kurde et ma mère est Arabe.

Ce syntagme – que j’ai entendu plusieurs fois – montre exactement

l’importance, pour les Arabes mardiniens, de ces codes linguistiques qui

occupent, chacun d’eux, un terrain, une fonction, un créneau : le turc comme

langue officielle, générale ; le kurde comme langue d’usage dans la société locale,

étant donné que, dans les communautés islamiques traditionnelles, seuls les

hommes avaient une activité sociale hors de la maison, tandis que les femmes

Page 36: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 35 -

étaient confinées à l’intérieur de la maison ; par conséquent, le mardini, langue de

la mère, sera utilisé uniquement comme langue de famille.

Le mardini est utilisé – selon mes propres constatations aussi – dans le

cadre intime de la famille, dans les réunions amicales de čayhane « salon de thé »,

les réunions de famille, les conversations sur les sujets quotidiens, sur les parents,

sur les voisins etc. Plusieurs fois, ayant en vue le grand nombre des familles

mixtes, kurdo-arabes, le mardini est concouru par le kurde dans toutes ces

circonstances, mais, en plus, le kurde est utilisé plus fréquemment en public, dans

les discussions de large intérêt qui visent toute la communauté, dans les relations

avec les habitants de toute la région, dans les affaires locales etc. Le turc est la

langue de l’enseignement, de l’administration, de la justice, des moyens de

communications de masse, des institutions culturelles, des réunions officielles etc.

Habituellement, au marché ou dans les ruelles mardiniennes, le turc est très peu

entendu, pendant que dans les institutions d’état on n’entend que celui-ci.

Le mardini est loin d’être unitaire. La compétence de le parler diminue

avec la succession des générations et c’est pourquoi les jeunes informateurs m’ont

assez souvent demandé un délai pour recourir à l’aide de leurs grands-parents

pour formuler une réponse à mes questions. On trouve, surtout chez les gens qui

ont plus de quarante ans, des propositions avec une structure arabe claire (le

corpus analysé dans cet ouvrage), mais on peut entendre aussi – surtout chez les

jeunes dont la connaissance de la langue est en train de s’estomper – des

propositions dont les mots sont enfilés sans aucune marque grammaticale. Une

proposition comme celle-ci peut être considérée arabe uniquement selon

l’intention du locuteur :

Klise meftüh bugün saat arba qable.

Église (en turc) ouvert aujourd’hui (en turc) heure (en turc) quatre avant.

L’église est ouverte aujourd’hui jusqu’à quatre heure.

La situation linguistique de la communauté arabe mardinienne,

caractérisée par l’asymétrie, a comme résultat pour le mardini un grand nombre de

mots empruntés, de calques et semicalques lexicaux et grammaticaux, l’abandon

du mardini sur des séquences plus ou moins étendues et l’interférence des codes

linguistiques pendant la communication, le développement de la synonymie

Page 37: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 36 -

lexicale et grammaticale. Dans nombre de cas, il est presque impossible de déceler

la source de l’influence, car les langues parlées dans la ville de Mardin, du fait

d’une tendance d’uniformisation manifestée au niveau phonétique, lexical,

morphologique et syntaxique, ont acquis tout au long du temps un « air de

famille », bien qu’elles ne s’apparentent pas génétiquement.

Page 38: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 37 -

3. Phonétique et phonologie

3.1. Le système consonantique

Par rapport à l’arabe ancien, le mardini présente un nombre accru de

consonnes. Les deux biais principaux par lesquels le mardini acquiert des

phonèmes consonantiques nouveaux sont : l’emprunt (pour la plupart des

consonnes) et le développement interne. Leurs traits seront précisés plus bas lors

de la présentation du système consonantique du mardini que nous proposons.

Les occlusives, bilabiales : /p/ et /b/

/p/ : occlusive, bilabiale, sourde

pərdāye « rideau » pəhrīz « diète » čəppūn « veste courte »

pīs « sale » ampūl « ampoule » spōrči « sportif »

/b/ : occlusive, bilabiale, sonore

bah~š « true »

būme « hibou »

bəlbəl « rossignol »

‘abbār}a « ruelle »

mbērh}a « hier »

mabrad « lime »

‘ayb « honte »

‘ənəb « raisin »

ğarab « gale »

Obs. : pour les occlusives, bilabiales, emphatiques /p }/ et /b}/ voir & Les

emphatiques.

Les occlusives, vélaires : /k/ et /g/

/k/ : occlusive, vélaire, sourde

kənne « belle-fille »

kəmətre « poire »

kərsi « chaise »

h}akīm « docteur »

ma‘rake « selle de cheval »

rəkbe « genou »

šəbbāk « fenêtre »

fərk « amande »

h}arrak « mouvoir »

/g/ : occlusive, vélaire, sonore

gədbōye« mensonge »

gəzbar}a « coriandre »

gōre « opinion »

dəgdīn « chevrette »

tanage « bidon »

lagan « cuvette »

šəfšəg « cordon de caleçon » ləglēg « cigogne »

bəhnīg « rouleau »

Page 39: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 38 -

L’occlusive glottale, sonore /’/

Voir plus bas la discussion sur cette consonne, 3.1.9. L’occlusive glottale, sonore

/’/.

L’occlusive uvulaire sourde /q/

/q/ : occlusive, uvulaire, sourde

qəbqāb « sabot »

qəndar}a « soulier »

qamle « pou »

raqbe « cou »

fatqa « hernie »

nəqt }āye « goutte »

səmmāq « sumac »

čaqmaq « briquet »

fəstəq « pistache »

Les occlusives dentales /d/, /t/ et /d }/, /t }/

Obs. : les occlusives /d/, /t/ et /d }/, /t }/ ont, en mardini, une articulation dentale, et

non pas apico-alvéolaire, comme en mh}allami (Sasse 1971 : 23)

/d/ : occlusive, dentale, sonore

dəkke « comptoir »

dūd « vers »

dəbbe « ours »

mh~adde « coussin »

h}əddūb « bossu »

qadah } « verre »

bard « froid »

walad « enfant »

stād « maître »

/d}/ : occlusive, dentale, latérale, sonore, vélarisée (voir le statut de cette consonne,

3.1.15.2. Le /d}/).

/t/ : occlusive, dentale, sourde

tannūr « four »

təbən « pailles »

tah ~t « lit »

kəttēn « lin »

šəte « hiver »

natāne « odeur mauvaise »

bayt « maison »

kšūt « cuscute »

mawt « mort »

/t }/ : occlusive, dentale, sourde, vélarisée

t }abaq « assiette »

t }arēq « voie »

t }īn « boue »

maft }ūm « sevré »

šət }fe « morceau »

bat }āt }a « pommes de terre »

h}ābōt} « marteau en bois »

ballōt } « marron »

at }lēt} « maillot »

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- 39 -

Les affriquées /č/ et /ğ/

/č/ : affriquée, palatale, sourde

čat }al « fourchette »

čəppe « gauche »

čərəq « sandale de paysan »

čərčōqa « plat à viscères »

bēčāre « irrémédiable »

čərčūfe « meneau »

qačam « parler »

pīč « bâtard »

qər}bāč « fouet »

/ğ/ : affriquée, palatale, sonore

ğəzar}a « carotte »

ğarāde « sauterelle »

ğərūše « moulin à bras »

rğāl « homme »

na‘ğe « brebis »

fənğān « petite tasse »

a‘rağ « boiteux »

zawāğ « mariage »

ma‘ūğ « pli »

Les fricatives labiodentales /f/ et /v/

/f/ : fricative, labiodentale, sourde

fānūs « lanterne »

fərk « amandes »

fəškāye « cartouche »

tfēnge « fusil »

t }fēye « âtre »

zalh }afe « tortue »

qəfəl « cadenas »

ğawf « ventre »

t }araf« queue avec sa graisse »

/v/ : fricative, labiodentale, sonore

vərəke « diarrhée » mayve « fruit[s] » bēnav « anonym »

Les fricatives apico-alvéolaires /s/, /s}/ et /z/

/s/ : fricative, apico-alvéolaire, sourde

sənūnu « hirondelle »

sa‘le « toux »

səlle « corbeille »

‘asal « miel »

msīne « verseuse en cuivre »

dabbūs « épingle »

t }āwūs « paon »

dəbəs « moût de raisin concentré»

faras « jument »

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/s}/ : fricative, apico-alvéolaire, sourde, vélarisée

s}ānə‘ « apprenti »

s}ərs}ōr « grillon », « cigale »

s}ah}ən « assiette »

bas}al « oignon »

‘aras}a « enclos »

as}far « jaune »

‘af }s} « noix de galle »

mas}s} « téter »

‘as}‘ōs} « queue »

/z/ : fricative, apico-alvéolaire, sonore

zbīb « raisin sec »

zalzale « tremblement »

zəbde « beurre »

məzrīb « gouttière »

maġzal « fuseau »

bəzər « semences »

rəzz « riz »

h~warz « neveu »

sōz « parole »

Les fricatives interdentales /d/, /t/ et /d }/

/d/ : fricative, interdentale, sonore

dahab « or »

dəbbēn « mouches »

dīb « loup »

kəde « ainsi »

ğərdōn « rat »

ədən « oreille »

ah~ad « prendre »

fah ~d « cuisse »

hawd [e] « ceux-ci »

/t/ : fricative, interdentale, sourde

ta‘lab « renard »

tawm « ail »

tmān « prix »

ənte « femelle »

qətte « concombre »

ktīr « beaucoup »

tūt « mûre »

ba‘at « envoyer »

tāt [e] « trois »

/d }/ : fricative, interdentale, sonore, vélarisée

d}ahər « dos »

d}arab « frapper »

d}əfər « ongle »

fəd}d}a « argent »

‘ad}əm « os » nəffād}a « cendrier »

h}āməd} « aigre »

arəd} « terre »

h}āfəd} « qui sait le Coran par cœur »

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Les fricatives (chuintantes) palatales /š/ et /ž/

/š/ : fricative, palatale, sourde

šams « soleil »

šəġəl « travail »

šūšāye « bouteille »

məšməš « abricot »

zambarīše « coussin »

tšīše « semoule »

bəlāš « gratuitement »

qəlbəš « couffin »

ğah}š « ânon »

/ž/ : fricative, palatale, sonore

žəlēt « lame de rasoir » bažari « citadin » mīž « brouillard »

Les fricatives vélaires /h ~/ et /ġ/

/h ~/ : fricative, vélaire, sourde

h~awlīye « essuie-mains »

h~ass « laitue »

h~ōr}i « prêtre »

sah~le « chèvre »

maht }a « morve »

mənfāh~ « soufflet de forge »

mat}bah~ « cuisine »

h~awh~ « pêches »

wasah~ « saleté »

/ġ/ : fricative, vélaire, sonore

ġəššāfe « chauve-souris »

ġərbēl « tamis »

ġalaq « serrure »

bərġəl « boulgour »

bərġūd « puce »

maġrafe « louche »

ladaġ « piquer »

fārəġ « vide »

dəbbāġ « tanneur »

Les fricatives pharyngales /h }/ et /‘/

/h }/ : fricative, pharyngale, sourde

h}ağale « perdrix »

h}anak « menton »

h}awš « cour »

zəlh }afe « tortue »

šərh }a « flanchet »

šāh}əm « beurrier »

šfallah } « câpres »

farah } « joie »

məftāh } « clé »

/‘/ : fricative, pharyngale, sonore

‘aqrōq « grenouille » q‘āde « bourdalou » sā‘a « heure », « montre »

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‘alo « dindon »

‘aqrab « scorpion »

t }ā‘ūn « peste »

tar‘ūzīye « gomme à mâcher »

səb‘ « lion »

aqra‘ « chauve »

* gomme à mâcher de Mardin (en turc : Mardin sakızı), une sorte de résine

produite par l’arbre de térébinthe, Pistacia terebinthus.

La fricative glottale /h/

/h/ : fricative, glottale, sourde

hārūn « matou »

hūwe « il »

hawa « air »

bhēm « pouce »

lahān }a « chou »

t }ahār}a « toilette »

mašbūh « douteux»

Les liquides /l/ et /r/

/l/ : liquide, latérale, sonore

lah }me « viande » ləbəs « s’habiller »

laban « lait caillé »

zbāle « ordure »

layle « nuite »

ġlām « jeunot »

s}ət }əl « seau »

ğəll « selle d’âne »

hall « vinaigre »

/r/ : liquide, apico-alvéolaire, sonore

rīh }a « odeur »

rašme « muserolle »

rīše « plume »

qarīše « ceinture »

šaršōt }a « cordon »

h}mār « âne »

šāt }ər « sagace »

zanğīr « chaîne »

h}arīr « soie »

Obs. : Pour la liquide, apico-alvéolaire, emphatique /r }/ voir 3.1.1.7. Le /r/ et le /r }/.

Les nasales /m/ et /n/

/m/ : nasale, bilabiale, sonore

maške « outre »,

məšməš « abricot »

mənēd}īr « lunettes »

‘atme « ténèbres »

kəmme « capuchon »

rəmmān « grenade »

samm « poison »

səlām « paix »

karm « vigne »

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/n/ : nasale, apico-alvéolaire, sonore

nəğme « étoile »

nağāse « impureté »

nār « feu »

tfēnge « fusil »

čəngāl « crochet », « croc »

səndāne « jarre émaillée »

‘ayn « oeil »

darmān « médicament »

‘aras}ān « écureuil »

Les constrictives /w/ et /y/

/w/ : constrictive, bilabio-vélaire, sonore

wēdi « vallée »

wēh}əd « un »

wah~t « temps »

kwās « bons »

t }āwān } « plafond »

šwandar « betterave »

šəwwāye « grille »

sarw « cyprès »

h}əlw « doux »

/y/ : constrictive, médio-palatale, sonore

yawm « jour »

yān « divan », « sofa »

yələk « gilet »

h}ayye « serpent »

sayyəd « grand-père »

h}yāke « tressage »

m}ayy « eau »

fayy « ombre »

h}ayy « vivant

Page 45: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 44 -

3.1.2. Consonnes – opposition de sonorité

Les phonèmes suivants (sourdes et sonores) sont les membres d’une

opposition de sonorité :

Occlusives :

- bilabiales : sourde /p/ – sonore /b/ :

pərč « cheveux » – bərğ [bərč] « bastion », « signe zodiacal ».

- dentales : sourde /t/ – sonore /d/ :

tīn « figue » – dīn « religion ».

- vélaires : sourde /k/ – sonore /g/ :

kara « louer » – gara « médire ».

Fricatives :

- labiodentales : sourde /f/ – sonore /v/ :

farr « s’envoler » – varr « jeter » ;

- apico-alvéolaires : sourde /s/ – sonore /z/ :

sawwaq « faire des achats » – zawwaq « vomir » ;

- palatales (chuintantes) : sourde /š/ – sonore /ž/ :

bašari « humain » – bažari « citadin » ;

- interdentales : sourde /d/ – sonore /t/ :

dawwab « faire fondre » – tawwab « faire bâiller » ;

- vélaires : sourde /h~/ – sonore /ġ/ :

h~ayme « tente » – ġayme « nouage ».

Affriquées :

- palatales : sourde /č/ - sonore /ğ/ :

čāy – ğēy « thé » – « qui vient » ;

- pharyngales : sourde /h}/ – sonore /‘/ :

h}abbaytu « j’ai aimé » – ‘abbaytu « j’ai chargé ».

3.1.3. Traitement des consonnes en finale : assourdissement et

aspiration

En finale absolue, l’opposition de sonorité pour certaines consonnes se

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- 45 -

neutralise. Bien que l’assourdissement des consonnes finales soit une tendance

commune partagée par grand nombre de langues, je suis enclin à croire que ce

traitement des consonnes en mardini est tel non seulement pour des causes

internes, mais aussi parce qu’il est soutenu par l’influence de la langue turque où

ce phénomène est typique (Deny 1920 : 79).

Le traitement des consonnes en finale dépend de leur nature.

Les occlusives sonores subissent deux transformations à la fois,

l’assourdissement et l’aspiration :

b → p' : tr}āb → tr}āp' « sol », « terre », « cimetière » ;

d → t' : ‘aqad → ‘aqat' « nouer » ;

g → k' : sambūsag → sambūsak' « beignet à viande ».

Les fricatives et les affriquées sonores sont seulement assourdies :

ğ→ č : šat }ranğ → šat }ranč « échecs » ;

v → f : bēbav → bēbaf «bâtard» ; dēv → dēf « ogre » ;

z → s : razraz → razras « aplanir », « rendre égal et uni » ;

ž→ š : mīž →mīš « brouillard ».

Les occlusives sourdes en finale absolue sont aspirées :

p → p’ : čōrāp → čōrāp’ « bas », « chaussette » ;

t → t’ : b}ūt → b }ūt’ « cuisse », « jambon » ;

k → k’ : dīk → dīk’ « coq ».

Exception : La fricative pharyngale sonore /‘/ en finale absolue ne

s’assourdit pas et, par conséquent, ne se transforme pas dans sa paire sourde /h }/.

En outre, la rencontre de ces deux consones ne mène pas à l’assimilation de l’une

par l’autre, comme il arrive dans le cas des autres consonnes-paires : ma‘ h }asan

« avec Hasan » ne devient pas, comme il était à prévoir, mah }-h}asan.

3.1.4. Phonèmes nouveaux : facteurs de stabilité

En tant que phonèmes nouveaux en mardini, acquis par l’emprunt, il faut

noter les suivants : /p/, /v/, /ž/, /č/ et /g/ ; ils forment des binômes sourde-sonore

Page 47: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 46 -

avec les consonnes héritées dépareillées /b/, /f/, /š/, /ğ/ et /k/ renforçant la position

de celles-ci et conférant ainsi au système consonantique mardinien une grande

stabilité. Les premiers quatre phonèmes mentionnés ne sont pas le résultat d’une

transformation d’anciens phonèmes arabes à travers le temps, mais ils ont été

introduits par le lexique massivement emprunté aux langues voisines. Ces

phonèmes ont gagné, au fur et à mesure, le statut de phonèmes à part entière, étant

à présent parfaitement intégrés au système consonantique du mardini :

- /p/ :

pərč « cheveux » du kurde pərç « cheveux » ;

pačawr}a « chiffon » du turc paçavra « chiffon » ;

kēləpīr « d’occasion », du turc kelepir « d’occasion », « très bon

marché » ;

pərdāye « rideau », du turc/kurde perde « rideau » ;

pərpāre7 « pourpier » (Portulaca oleraceæ), du kurde pirpar « pourpier » ;

qappat } « fermer », du turc kapatmak « fermer » ;

pūl « pion » (au jeu de trictrac), du turc pul « pion », « timbre ».

- /v/ :

vīze « visa » du turc vize « visa » ;

vərān « délabré », du turc viran, du kurde vêran « délabré » ;

varr « jeter », du turc vurmak « lancer », « jeter », « battre » ;

pərvāz} « encadrement » (pərvāz} šəbbāk « encadrement d’une fenêtre), du

turc pervaz « encadrement ».

- /ž/ :

bažari « citadin », du kurde bajari « citadin » ;

žəlēt « lame de rasoir », du turc jilet « lame de rasoir » ;

qəžqəjōk « corneille, pie », du kurde qijqijok « espèce de corneille ».

-/č/ :

čəngāl « croc », du turc çengel « croc » ;

čəmāġ « gourdin », du turc čomak « gourdin », « maillet » ;

čənār} « platane », du turc çınar « platane » ;

7 Aussi, prəpāre.

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- 47 -

čəšme « fontaine », du turc çeşme « fontaine » ;

çarbōq/çarbōqa « chaussure tournée, éculée » (dans l’expression

injurieuse : əbən čarbōqa signifiant « homme de rien »), du turc çarpık

« difforme », « contourné » ;

bəqče « balluchon », du turc bokça « balluchon » ;

čākūč « marteau », du kurde çakuç, turc çekiç « marteau » ;

čādər « tente », du turc çadır « tente » ;

klīče « petit pâté farci de fromage, de marmelade, de dattes », du

bagdadien klīče.

Les /p/, /v/ et /č/ occupent des positions fortes, vu qu’ils se retrouvent aussi

dans des mots dérivés sur le terrain mardinien : qappat } – yqappət } « terminer » ;

varr « jeter, lancer » ; čančən – yčančən « sonner les cloches à l’église ». Même

en turc, auquel le mardini a emprunté beaucoup de mots renfermant le /ž/,

l’existence de cette consonne est due uniquement à des emprunts aux langues

étrangères (notamment au français : jimnastik « gymnastique », jöle « gelée » ;

jüpon « jupon » etc.). Au contraire, en kurde, une seconde source de mots

renfermant le /ž/ en mardini, cette consone est originale, faisant partie des racines

kurdes (jimar « nombre » ; jin « femme » ; jiyan « vie », jijo « hérisson » etc.).

Le /ž/ est beaucoup plus rare que les autres phonèmes empruntés et fait

preuve d’une certaine instabilité (žandar}me = ğandar}me « gendarme »).

Le /g/ provient, d’une part, de l’évolution interne de /k/ en certaines

positions (voir ci bas /k/), et, d’autre part, des emprunts :

gawde « corps », « carcasse » (dans l’expression gawdət lah }me « la viande

d’un animal sacrifié »), du turc gövde « corps », « tronc », « corps », « carcasse » ;

gōre « opinion » (dans l’expression ‘ala gōrət… « d’après l’opinion

de… »), du turc göre « à l’égard de », « aux yeux de qn. » ;

gōrāye « bas » du kurde gore « bas » ;

rang « couleur », du kurde reng « couleur », turc renk « couleur » ;

dargūše « berceau », du kurde dergûş (f.) « berceau » ;

gazz « mordre », « piquer » ; cf. le kurde gez « morsure », gezkirin

« mordre » ;

tgāraz « haïr les uns les autres », cf. le turc garez « haine », « animosité ».

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- 48 -

3.1.5. Assimilations et dissimilations

Un certain nombre de phonèmes présentent des modifications phoniques

dues à l’influence qu’ils subissent de la part d’un phonème proche dans le même

lexème. Ce phénomène se produit au contact de deux consonnes ou d’une

consonne et d’une voyelle : une des consonnes, ou bien la voyelle, peut

disparaître, étant assimilée par l’autre consonne. Malgré un certain degré

d’ambiguïté que présentent parfois les phénomènes en question, on peut signaler

les changements suivants qui semblent être plus fréquents et évidents.

3.1.5.1. Assimilation du /l/ de l’article défini

La consonne liquide /l/ de l’article défini, dont la réalisation suppose

l’entraînement de la langue, est assimilée par les consonnes dites šamsiyya

« solaires » dans la tradition grammaticale arabe, qui ont en commun avec elle

cette même particularité :

- les occlusives dentales /d/, /t/ et /d }/, /t }/ : əd-dəkke « l’estrade /

banquette » ; ət-təbən « les pailles hachées » əd}-d }ərs « le dent » ; ət }-t }ərši

« les légumes saumurées / confites » ;

- les chuintantes palatales /š/ et /ž/ : əš-šəbbāk « la fenêtre », əž-žəlēt « la

lame [de rasoir] » ;

- les affriquées /č/ et /ğ/ : əč-čəmbər « la douve [d’un baril] » ; əğ-ğarāb

« la besace » ;

- les fricatives apico-alvéolaires /s/, /s }/ et /z/ : əs-sah~le « la chèvre » ; əs}-

s}t }ōh} « le toit » ; əz-zəmbərək « l’arc / le ressort » ;

- les fricatives interdentales /d/, /t/ et /d}/ : əd-dəbbēn « les mouches » ; ət-

tawme « l’ail » ; əd}-d}yāfe « l’hospitalité » ;

- la nasale /n/ : ən-nīšān « les fiançailles » ; « la médaille » ;

- les liquides /r/ et /l/ : ər-rawšən « la lucarne » ; əl-ləbləbe « les pois

chiches grillés »

En arabe classique, l’affriquée /ğ/ est classifiée comme qamariyya

« lunaire » ; en mardini, au contraire, elle est placée dans la catégorie des

« solaires », comme dans tous les dialectes mésopotamiens (McCarthy / Raffouli

1964 : 33) : ğēmə‘ → əğ-ğēmə‘ (mosquée – la mosquée), ainsi que dans d’autres

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- 49 -

dialectes arabes. Vu que les membres d’un binôme sourde-sonore sont, les deux à

la fois, soit « solaires », soit « lunaires », l’opposant de /ğ/, l’emprunté /č/, est

aussi « solaire : čāy – əč-čāy « thé » – « le thé ». De même, l’opposant de la

« solaire » /š/, l’emprunté /ž/, est aussi « solaire » : žētōn – əž-žētōn (« jeton » –

« le jeton » ; cf. le turc jeton).

Vu qu’entre les groupes consonantiques à l’initiale et /l/ de l’article défini

s’interpose toujours une épenthèse /ə/, lorsqu’il y a groupe consonantique, le type

d’assimilation indiqué au paragraphe précédent ne se manifeste pas : rğēl – lərğēl

« hommes » – « les hommes » ; ğbēl – ləğbēl « montagnes » – « les montagnes ».

La consonne /l/ de l’article défini n’est pas assimilée par les consonnes

dont la réalisation n’entraîne pas la langue – les dites qamariyya « lunaires » dans

la tradition grammaticale arabe :

- les occlusives, bilabiales /p/ et /b/ : əl-pīre « la vieille dame » ; əl-badle

« le complet » ;

- les occlusives, vélaires /k/ et /g/ : əl-kəštəbān « le dé » ; əl-gāvān « le

bouvier »

- l’occlusive uvulaire sourde /q/ : əl-qamar « la lune » ; əl-qazm}a « la

bêche » ;

- les fricatives labiodentales /f/ et /v/ : əl-vīze « le visa » ; əl-faqīr « le

pauvre » ;

- les fricatives vélaires /h~/ et /ġ/ : əl-h~ārūf « l’agneau » ; əl-ġarz « le champ

cultivé » ;

- les fricatives pharyngales /h}/ et /‘/ : əl-h}ənt}a « le blé » ; əl-‘aqūde « la

rangée de noyaux des noix enveloppés d’une pellicule de moût de raisin

solidifié » ;

- la fricative glottale /h/ : əl-hārūn « le matou » ;

- la nasale /m/ ; əl-mah}kame « le tribunal » ; əl-m }ayy « l’eau » ;

- les constrictives /w/ et /y/ : əl-warde « la rose/la fleur » ; əl-yawm « le

jour ».

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3.1.5.2. Une assimilation étrange

Le /l/ de l’article défini est redoublé parfois quand il est préfixé à un nom à

initiale vocalique. Otto Jastrow considère que le redoublement du /l/ est dû à

l’assimilation du stop glottal qui, dans le cas de ce type de noms, se manifeste

sous la forme d’une petite pause, lorsqu’ils sont accompagnés par l’article défini :

Toutes les trois variantes indiquées ci-dessous sont possibles :

ūti : əl’ūti – əllūti – əlūti « fer à repasser » – « le fer à repasser » ;

ōtēl : əl’ōtēl – əllōtēl – əlōtēl « hôtel » – « l’hôtel » ;

əsəm : əl’əsəm – əlləsəm – ələsəm « nom » – « le nom » ;

əbən : əl’əbən – əlləbən – ələbən « fils » – « le fils ».

3.1.5.3. Assimilation du /l/ de la particule préverbale kəl

Une situation identique avec celle présentée ci-dessus est l’assimilation de

la liquide /l/ de la particule préverbale kəl par les consonnes « solaires »,

lorsqu’elles se trouvent placées à l’initiale d’un verbe préfixé par kəl :

kəl ğa →kəğ-ğa « il était venu » ;

kəl s}ār} → kəs- }s}ār} « il était devenu » ;

kəl t }ala‘ →kət- }t }ala‘ « il était parti » ;

kəl štaka → kəš-štaka « il s’était plaint » ;

kəl ğannayna → kəğ-ğannayna « nous étions devenus fous ».

3.1.5.4. Assimilation du /l/ du nom kəll « chaque »

Lorsque le nom kəll est utilisé en tant qu’adjectif – au sens de « tout »,

« chaque » – et précède un nom à initiale consonantique, il n’y a plus de

gémination (il en reste un seul /l/) :

kəll h~awlīye → kəl h ~awlīye « toute serviette », « chaque serviette ».

Si la consonne initiale du nom qui suit est une « solaire », alors le /l/ sera

assimilé :

kəll ši → kəl ši → kəš-ši « toute chose », « chaque chose » ;

kəll ğān } → kəl ğān } → kəğ-ğān} « toute âme », « chaque âme » ;

kəll zalame → kəl zalame → kəz-zalame « tout homme », « chaque homme » ;

kəll nət }t }ōye → kəl nət }t }ōye → kən-nət }t }ōye « tout saut », « chaque saut ».

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- 51 -

3.1.5.5. Le /t/ des affixes verbaux : assimilé et assimilant

La neutralisation ne se produit pas seulement en finale absolue, mais aussi

lors d’une jonction de consonnes.

Vu que la consonne qui détermine les changements phonétiques dans une

jonction consonantique est toujours la deuxième consonne d’un groupe, le /t/ des

préfixes sera assimilé et le /t/ des suffixes et des infixes sera assimilant.

a) /t/ assimilé ; dans ce cas, l’assimilation est totale, et la consonne

assimilante est une des consonnes « solaires » :

a1) des préfixes de conjugaison de Fp (les deuxièmes personnes des verbes

nus à C2 et C3 identiques, à C2 faible, des deuxième et troisième formes

dérivées qui n’ont pas une voyelle entre le préfixe /t/ et C1) :

tsakkən → ssakkən « tu t’arrêtes » ;

tšədd → ššədd « tu lies » ;

tdūb → ddūb « tu te fonds » ;

tdōr} → ddōr} « tu tournes » ;

tsōq →ssōq « tu conduis » [des animaux], [une voiture] ;

tlūm → llūm « tu blâmes » ;

trəšš → rrəšš « tu asperges » ;

tzīd → zzīd « tu ajoutes » ;

td}āyən → d}d}āyən « tu résistes » (cf. le turc dayanmak « résister », « supporter »).

a2) /t/ – préfixe de dérivation (voir 5.1.5 La Vème

forme, 5.1.6 La Vème

forme et 5.2.2 La IIème

forme quadriconsonantique) :

- de la Vème

forme triconsonantique :

tdašša → ddašša « éructer » ;

tzawwağ → zzawwağ « se marier » ;

td }ayyaf → d}d}ayyaf « être l’hôte de quelqu’un ».

- de la VIème

forme triconsonantique :

tdāwam → ddāwam « être permanent / continu » ;

ttāwab → ttāwab « bailer » ;

tšāwar} → ššāwar} « se conseiller ».

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- 52 -

- de la IIème

forme quadriconsonantique:

tzarkaš → zzarkaš « se parer » ; « s’attifer ».

Ce type d’assimilation est accompagné bien souvent par la réduction de la

consonne initiale géminée à une seule consonne, ce qui mène parfois à une

certaine ambiguïté sémantique, due à une superposition de formes (verbales ou

nominales) au niveau de l’expression sonore. Le binôme /t/ (sourde) – /d/ (sonore)

en offre des exemples éloquents :

tšəqq « tu fends » → ššəqq → šəqq se superpose sur la forme d’impératif ;

tdawwar} → ddawwar} → dawwar} « se promener » se superpose sur la deuxième

forme dawwar} « faire promener » ;

dəğāğ → dəğēğ → dğēğ → ğğēğ → ğēğ « gallinacés », « poules ». Cet

exemple est commun pour grand nombre de dialectes arabes.

b) /t/ assimilant ; le /t/ des suffixes de conjugaison de Fs tend à assourdir la

consonne sonore qui le précède :

katabtu → kataptu « j’ai écrit » ;

‘arağtu → ‘aračtu « j’ai boité ».

Son opposant sonore /d/ et l’interdental /d/ sont totalement assimilés :

rədtu → rəttu « j’ai voulu » (les autres formes : rətt, rətti, rəttən) ;

sağadtu → sağattu – « il s’est prosterné » ;

ah ~adtu → ah ~attu « j’ai pris ».

3.1.5.6. L’assimilation du /n/ de la VIIème

forme

La nasale /n/, préfixe de VIIème

, est assimilée toujours par l’autre nasale,

/m/, lorsque /m/ est la première consonne radicale :

nmah}a → mmah }a « s’effacer », « être effacé» (ex.: əl-maktūb mō-yəmməh }i

« ce qui est écrit – [le sort, le destin] – ne s’efface pas ») ;

nmalak[ət] → mmalak[ət] « être fiancée», « être demandée en mariage » ;

nmas}s} → mmas}s} « être absorbé» ; « être sucé ».

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3.1.5.7. Transfert de sonorité/surdité

Quand deux consonnes se trouvent en contact direct, alors la deuxième

consonne transfère à la première son trait de sonorité :

- sonorisation (s → z, devant la sonore /b/) : yəsbah } → yəzbah } « nager » ;

- assourdissement (d → t, devant la sourde /f/) : madfūne → matfūne

« macédoine de légumes ».

3.1.5.8. L’assimilation régressive totale de certaines fricatives en finale

Le mardini atteste une série d’assimilations régressives de certaines

fricatives en finale :

- la pharyngale sourde /h}/ :

s}əbh } → s}əbb « matin » (ex. : ‘as}əbb « au matin »)

- la glottale sourde /h/ :

fēkəhe →fēkhe →fēkke « fruit », « fruits » (col.) ;

wəğh →wəğğ →wəčč « visage ».

- la pharyngale sonore /‘/ :

sab‘a « sept » → sabbe « semaine ».

3.1.5.9. La distribution du /ġ/ et et du /h ~/

Le /ġ/ étymologique est réalisé par deux variantes du même phonème : /ġ/

et /h/ ~. Cette variation est aléatoire chez les mêmes sujets parlants et se fait

toujours dans le sens du remplacement du /ġ/ étymologique par le /h~/. Cela veut

dire que le /h~/ étymologique n’est pourtant jamais remplacé par le /ġ/ :

ġasal – h~asal « laver » ;

kāġəz – kāh~əz « papier », du turc kâğız.

Le même phénomène existe en kurde où le /ġ/ (qui n’existe pas en kurde)

dans des mots empruntés à l’arabe est toujours réalisé comme /h ~/ (noté en kurde

par le graphème /x/) : xafil « inattentif » ← ġāfil ; xedar « atroce » ← ġaddār ;

xezal « gazelle » ← ġazāl ; xirnaq « petit lièvre » ← ġirnaq. Alors que, pour ce

qui est du /h~/, dans le même type d’emprunts, il est toujours réalisé comme /h ~/ :

xendeq « fosse », « tranchée » – handaq ; xelk « peuple », « population » – halq.

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Pour un mot comme h~āfəl « inattentif » on ne saurait pas établir si : la

transformation de /ġ/ en /h~/ a eu lieu en mardini ; le mardini l’a transformé d’après

le modèle kurde ; ce mot n’avait pas été préservé en mardini et il a été emprunté

tel quel au kurde.

3.1.5.10. Phonèmes palataux et vélaires

Les phonèmes palataux et vélaires correspondant à /q/, /k/ et /ğ/ classiques

ont, dans la plupart des dialectes arabes contemporaines, des réalisations et

distributions très diverses. Par contre, dans le cas du mardini, la réalisation de ces

trois phonèmes est très surprenante, s’inscrivant presque totalement dans la

prononciation classique.

3.1.5.11. Correspondant du /q/ classique

Le /q/ en mardini, par rapport aux autres sons, est prononcé d’une manière

accentuée, qui le met en relief et le rend frappant même pour l’auditeur arabe non-

mardinien. Ceux des Arabes qui veulent imiter ce parler composent des mots

imaginaires abondant en /q/.

L’occlusive /q/ est réalisée, en général, comme une occlusive uvulaire /q/ :

qabər « tombeau », qərmīd « tuile », qār}i « élève » etc. Peut-être que cette

articulation de /q/ a été préservée en mardini sous l’influence des dialectes turcs

anatoliens où /k/ est réalisée, elle aussi, en contexte vocalique postérieur, comme

une occlusive uvulaire, phénomène prouvé par les emprunts au turc qui gardent

cette prononciation : qappat } – yqappət } (cf. le turc kapatmak « clore », « couvrir »,

« finir ») ; qayraš – yqayrəš (cf. le turc karışmak « mélanger », « se mélanger »,

« emmêler », « enchevêtrer ») ; zaqqōm8 « laurier-rose », « oléandre » (cf. le turc

zakkum, voir aussi le kurde zaqqum).

Parfois, l’occlusive /q/ a tendance à être réalisée comme une spirante,

vélaire, sonore /h/ : waht < waqt. La variation du /q/ et du /h/ est aléatoire chez les

8 L’évolution sémantique de ce mot est spectaculaire : dans le Coran (XXXVII, 62-66), zaqqūm est

un arbre qui sort du fond de l’enfer et dont les fruits, comme des têtes de diables, sont la nourriture

des prévaricateurs.

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mêmes locuteurs: wrāq et wrāh « feuilles » ; baqdūnəs et bahdūnəs « persil » ;

čardaq et čardah « treille », « vigneau » ; qačaq et qačah~ « contrebande » ;

qəndaq et qəndah~ « braie » ; qaymaq et qaymah~ « crème [qui monte au-dessus du

lait cru] » ; qōnaq et qōnah~ et « manoir » ; bastīq et bastīh ~ « moût de raisin ».

Il s’agit donc là non pas d’un correspondant régulier du /q/, mais d’une

variante qui doit s’expliquer par le contact du mardini avec les parlers turcs de la

région où le /q/ alterne avec le /h~/ en finale de syllabe : yok « il n’y a pas » est

réalisé tantôt yoq, tantôt yoh~ ; pamuk « coton » est réalisé tantôt pamuq, tantôt

pamuh~ ; le suffixe de l’infinitif -mak (mais non pas son allophone -mek) est réalisé

tantôt -maq, tantôt -mah ~ (voir aussi Deny 1920 : 65).

3.1.5.12. Correspondant du /k/ classique

Au /k/ classique correspond le/k/, le plus fréquemment : kākūl(e) « boucle

de cheveux pendant en anneau » ; səkkar « sucre » ; šawk « épines » etc.

Dans certaines formes sporadiques, /k/ étymologique, dans un voisinage

sonore (/b/, /d/, /z/, /d/) se sonorise, étant réalisé comme un /g/ :

gbīr « grand », cf. kabīr ;

gābūs « cauchemar » (ex. : gābūs əl-layl « le cauchemar de la nuit »), cf. kābūs ;

gəzbar}a « coriandre », cf. kuzbara ;

gədəb « mentir », cf. kadaba ;

daggas « entasser », « introduire une chose, l’enfoncer, dans une autre »

cf. dakasa (voir Kazimirski).

La consonne /g/, comme succédanée de /k/, dans les mots arabes hérités,

est très rare et n’apparaît que conditionnée (voir ci-dessus) ; elle figure, en

revanche, dans un assez grand nombre de mots empruntés au turc et au kurde.

3.1.5.13. Correspondants du /ğ/ classique

Au /ğ/ classique correspond toujours /ğ/ :

ğēğe « poule » ;

ğarāde « sauterelle ».

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- 56 -

3.1.5.14. Conclusion sur /q/, /k/ et /ğ/

En guise de conclusion concernant l’ensemble des correspondants de /q/,

/k/ et /ğ/ en mardini, il est à remarquer que leurs réalisations ne sauraient être

confondues avec les réalisations d’autres phonèmes étymologiques, comme il

arrive souvent dans beaucoup d’autres dialectes arabe.

En règle générale, en mardini, ces trois consonnes sont prononcées à la

manière classique, ce qui les préserve des phénomènes de remplacement (par

exemple, du /q/ par le /k/) qui se manifestent dans d’autres dialectes. Quelques

exceptions sporadiques, sans grande importance, seraient à signaler, notamment

celle de la réalisation de /k/ comme /g/ (et cela uniquement dans un voisinage

sonore). Pour en donner un des rares exemples : dans le mot ləglēg « cigogne »,

/q/ est réalisé comme /g/. Mais il se peut bien que ce mot soit réemprunté en

mardini ; dans ce cas-la, le /g/ ne serait pas le résultat de l’évolution du /q/ vers

/g/, mais il serait à supposer que cette transformation fût réalisée en contexte

extra-mardinien : legleg (en kurde et en turc) ← laqlāq (en AC).

Par ailleurs, le /q/ a parfois une réalisation pharyngale /h ~/ qui n’est qu’une

simple variante conditionnée par l’environnement phonétique, mais elle ne

pourrait jamais être confondue avec le /k/ ou le /ğ/.

Voici quelques exemples qui attestent la réalisation de ces trois phonèmes

/q/, /k/ et /ğ/ :

– qalb « coeur » ; baqar}a « vache » ; qarīb « proche » ; qlayyəl « rare » ;

« peu nombreux » ; h}aqīqa « vérité », « réalité » ; s}adīq « ami » ; qəs}s}āb

« boucher » ; qatal « il a tué » ; qat }a‘ « il a coupé » qāl « il a dit » ; qām « il s’est

levé » ; ašqad « combien » ;

– kalb « chien » ; səkkīn « couteau » ; akal « il a mangé » ; lakən « mais » ;

katab « il a écrit » ; dyūke « coqs » ;

– ğawf « estomac, ventre » ğa « il est venu » ; ğdīd « nouveau » ; ğamal

« chameau » h}ağar « pierre » ; ğəld « peau » ; ğarade « sauterelle » ; ğəw‘ān

« affamé » ; səğar}a « arbre » ; ğēğ « poules » zawğ « paire » ; ğawz « noix » ;

ğām} « verre ».

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- 57 -

3.1.6. Interdentales

Les fricatives interdentales /d/, /t/ et /d}/ sont considérées par Haim Blanc

(1964 : 6) comme emblématiques pour les dialectes mésopotamiens, en dépit du

fait que, parfois (dans de très rares situations, il est vrai), ces consonnes sont

réalisées comme :

- des occlusives (/t/, /d/, /d }/, en arabe chrétien parlé de Bagdad (Blanc

1964 : 19), en arabe parlé de Diyarbakır, ex. : tlāte « trois » ; dəbbēn

« mouche » ; d}arab « frapper » (Jastrow 1978 : 36–38) ;

- des sifflantes (/s/, /z/, /z }/, en l’arabe parlé d’Asəh~, ex. : sa‘lab « renard »,

zīb « loup », z}arab « frapper », z}əhər « midi » (Jastrow 1978 : 36–38) ;

- des fricatives labiodentales (/f/, /v/, /v}/, en arabe parlé de Siirt (Blanc

1964 : 19) ; ex. : fāfe « trois », vahab « or », v}arab « frapper » ; v}əhor

« midi » (Jastrow 1978 : 36–38).

Bien que le mardini atteste l’existence des consonnes interdentales, on

relève parfois des formes comme : salğ « neige » où le correspondant de

l’interdentale /t/ (cf. AC talğ) est la sifflante /s/, comme c’est le cas en arabe parlé

d’Asəh~ ; daqən où le correspondent de l’interdentale /d/ (cf. AC daqn) est

l’occlusive /d/, en arabe parlé de Diyarbakır ; stand }ar « attendre » où le

correspondant de l’interdentale emphatique /d}/ (cf. AC stand}ara) est l’occlusive

emphatique /d }/, en arabe parlé de Diyarbakır. Dans ce dernier parler, il est aussi à

noter la réalisation de /d}/ comme /d }/ et non pas comme /d}/ : d}ərs – d}rās « dent »

(Jastrow 1978 : 38).

Il se peut que le maintien des interdentales /d/, /t/ et /d}/ en mardini soit

soutenu aussi par le substrat araméen, où ces consonnes sont également présentes

(Segert 1997 : 118), comme elles sont présentes dans les dialectes néo-araméens

en contact avec le mardini, comme par exemple en t }uroyo : /d/ : ido « main », ‘edo

« fête religieuse » ; /t/ : ktowo « livre » ; ote « venir » ; d} : d}arbo « coup », nod}ef

« être propre » (Hoberman 1997 : 320, pour les transformations subies par ces

consonnes en divers dialectes néo-araméens).

La réalisation du /t/ :

tate « trois » ;

ba‘at « envoyer » ;

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ənte « féminin, femelle » ;

tawm « ail ».

La réalisation du /d/ :

dahab « or » ;

dāq « goûter » ;

dərā‘ « bras » ;

ah ~ad « prendre ».

La réalisation du /d}/ :

d}alam « opprimer » ;

d}ābət } « officier » (mais on entend aussi la prononciation influencée par le

turc, zabit, ou bien une combinaison des deux : z}ābət }) ;

d}ahər « dos » ; h}afad} « conserver, apprendre le Coran par coeur » ;

d}əfər « ongle » ; (ad}āfīr) ; d}əhər « midi ».

3.1.7. Dentales

Les consonnes /d/, /t/, /t/ } en mardini sont des occlusives à articulation

dentale et non pas des affriquées.

3.1.8. Sifflantes et chuintantes

La dissimilation qui entraîne le passage d’une chuintante à une sifflante

peut être illustrée par l’exemple suivant : šəğara (cf. AC šağara) → səğar}a

« arbre », exemple mentionné pour divers dialectes (Fleisch 1986 : 57, pour les

parlers libanais ; Baccouche 2000 : 6, pour les parlers tunisiens etc.)

3.1.9. L’occlusive glottale, sonore /’/

L’occlusive glottale sonore /’/ a disparu de toutes ses positions :

- initiale : akal – yākəl « manger » (cf. AC ’akala – ya’kulu), ab « père »

(cf. AC ’ab). Parmi les conséquences de ce phénomène compte la

disparition de la quatrième forme verbale dérivée, dont le préfixe est /’a/

(voir 5.1.4. Une forme résiduelle : la IVème

forme) ;

- médiale : r}ās « tête » (cf. AC ra’s), fār}a « souris » (cf. AC fa’ra).

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- finale : bada – yəbdi « commencer » (cf. AC bada’a – yabda’u) ; mar}a

« femme » (cf. AC imra’a).

La chute de la glottale /’/ entraîne quelques changements phonétiques :

- la voyelle courte qui la précédait devient longue (cela peut être observé

dans la position médiale, parce que dans les positions initiale et finale la

longueur vocalique est neutralisée) : r}ās « tête » ;

- l’emphatisation des consonnes voisines, avec cette observation :

l’emphatisation est subie uniquement par les consonnes susceptibles de

recevoir ce trait et qui sont placées dans un voisinage vocalique ouvert (les

deux voyelles qui les flanquent sont /a/). La plus fréquente emphatisation

est celle de /r/ : fār}a « souris », mar}a « femme », qar}a « lire », ar}a « voir

», m}ayy « eau » (cf. AC mā’) etc. Dans un voisinage vocalique fermé (une

des voyelles flanquantes ou les deux sont fermées), l’emphatisation ne se

produit pas : šəte « hiver » (cf. AC šitā’), məre « miroir » (cf. AC mir’ā) –

même si dans l’autre dérivé de la même racine ar}a, le /r} / est emphatisée) ;

bīr « puit » (cf. AC bi’r) ; fīrān « souris », pl. (cf. AC fi’rān), mais fār}a «

souris », sg. (cf. AC fa’ra).

Dans les travaux de spécialité, on ne signale la présence de la glottale /’/

en position médiale que dans quelques mots : yə’mər} « il ordonne », y’addi « il

fait du mal » (mais amar} – « il a ordonné », adda « il a fait du mal à quelqu’un »,

« il a fait souffrir quelqu’un » (sans la réalisation de la glottale en position

initiale), sa’al – yəs’al9 « demander » (Jastrow 1978 : 45 ; Sasse : 1971 : 176, pour

le mh}allami). J’y pourrais ajouter t }ma’ann « se confier » ainsi que d’autres

exemples. Dans de tels cas, la glottale n’est pas réalisée telle quelle, mais elle est

légèrement marquée (sans la réalisation du coup de glotte), dans un sorte de

prononciation résiduelle :

- par un hiatus entre les deux voyelles qui la flanquent : sa’al est prononcé

sa-al ; t }ma’ann est prononcé t }ma-ann ;

- par une petite pause entre la consonne précédente et la voyelle suivante :

9 Le verbe sa’al est très peu employé en mardini où la tendance dominante est de le remplacer par

stah ~bar « demander ». Une situation semblable concernant la réalisation de l’ancienne glottale /’/ est mentionnée aussi pour les parlers libanais (Fleisch 1986 : 56).

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yəs’al est prononcé yəs-al ; ou entre la voyelle précédente et la consonne

suivante : yə-mər}.

En dépit d’un soin spécial accordé à la prononciation des mots appartenant

au vocabulaire religieux, le résultat est parfois contraire à l’intention. Ainsi la

prononciation de la glottale /’/ est si accentuée, si postériorisée, qu’elle mène à ce

que cette consonne soit remplacée par la pharyngale /‘/ : əl-qur’ān → əl-qər‘ān

« Le Coran ».

Dans les dérivés des racines à la glottale /’/, celle-ci est remplacée par /t/ :

yən’akəl → yəntakəl « être mangé » ou par w : ttāwab « bâiller ».

3.1.10. Réalisation du /h/

La consonne fricative glottale sourde /h/ a une position faible en mardini.

Après une autre consonne, le /h/ initial des pronoms personnels – IIIème

personne,

singulier (masculin et féminin) et pluriel – est systématiquement annihilé :

tmān-u « son argent à lui » ;

tmān-a « son argent à elle » ;

tmān-ən « leur argent ».

Aussi, le /h/ initial des déictiques – démonstratifs spatiaux, pronoms et

adverbes – est systématiquement annihilé lorsque celui-ci suit un mot terminé en

consonne :

- les démonstratifs pronominaux/ adjectivaux :

hawde – awde « ces »;

hāy – āy « cela ».

- les démonstratifs adverbiaux de proximité et d’éloignement :

hawn(e) – awn(e) « ici » ;

hawnak (e) – awnak (e) « là ».

À mon avis, la disparition du /h/ en cette position est passée par une phase

intermédiaire, connue aussi dans beaucoup d’autres dialectes arabes, qui consiste

dans la réduction du /h/ à une attaque glottale. Ensuite, l’attaque glottale a été

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probablement omise, ce qui ne serait qu’une illustration supplémentaire de la

disparition quasi-généralisée de ce phonème en mardini.

Parfois, même en position médiale, l’articulation de cette consonne est

tellement estompée qu’elle se manifeste par un simple allongement de la voyelle

voisine :

bahārāt → bāhārāt « condiments ».

Dans le même sens, l’opposition du /h/ simple et de celui géminé semble

ne plus être fonctionnelle, ainsi mt }ahhərči alterne avec mt }āhərči « circonciseur ».

3.1.11. La transformation du /n/ étymologique en /m/ avant les labiales

/b/, /p/, /f/ et /v/

La nasale apico-alvéolaire sonore /n/ se transforme dans la nasale bilabiale

sonore /m/ devant les bilabiales /b/ et /p/ ; cela veut dire qu’elle change son point

articulatoire devenant, comme celles-ci, une bilabiale. Le même changement du

point articulatoire a lieu aussi sous l’influence du trait labial des fricatives

labiodentales /f/ et /v/ :

mb ← nb :

ğamb ← ğanb « auprès », « à coté » ;

zambōr ← zanbūr « taon », « guêpe » ;

zəmbīl ← zinbīl ou zanbīl « cabas » ;

‘ambar ← ‘anbar « dépôt », « entrepôt » (v. le turc aussi ambar) ;

mqambar ← *mqanbar « huppé » (se dit des pigeons, des poules), cf. AC

qunbara « toupet » « houppe » et son dérivé qunbarānī « huppé » (voir

l’expression : dağāğa qunbarāniyya « poule huppée ») ;

dəmbəgge ← cf. irakien dinbokka10

« tambour ».

10 Espèce d’instrument de musique qui consiste en un tambour semblable à la tête d’un alambic en

terre de potier ou en bois, haut et ouvert d’un côté, tandis que l’autre ouverture est recouverte

d’une peau tendue sur laquelle on frappe de la main. En Egypte, cet instrument est connu sous le

nom dar}abukka, et en Syrie sous le nom dirbakka (Wehr). En Irak, son nom est danbukka, ou le

/n/ correspond au /r }/r/ syro-égyptien. En mardini, le /n/ est transformé en /m/ : dambəgge (dans l’expression : dambəgge ğəbne « une meule de fromage »).

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fm ← fn :

qəmfəd ← qənfəd « hérisson » ;

amf ← anf « nez » (voir l’expression amf əl-ma‘rake « la tête de la selle »)

Le groupe /mp/ ne se retrouve que dans les mots empruntés, mais à noter

que le groupe /np/ n’apparaît jamais :

ampūl « ampoule » ; du turc et du kurde ampul ;

kamp « camp » ; « campement », du turc kamp ;

pōmp}a « pompe », du turc pompa.

Pour le /mv/ ← /nv/ j’ai trouvé un seul exemple :

kōmvōy ← du turc konvoy « convoi », « colonne », « procession ».

La transformation du /n/ sous l’influence de ces consonnes est

conditionnée par leur contact direct. Si elles sont séparées par une voyelle, alors

/n/ reste tel quel :

zambūr, mais au pluriel : zənēbīr « taons » ;

qəmfəd, mais au pluriel : qənēfəd « hérissons » ;

zəmbīl, mais au pluriel : zənēbīl.

3.1.12. Métathèses

Les métathèses se produisent, en général, assez rarement en mardini,

surtout quand il s’agit de mots qui renferment les liquides /r/ et /l/, liquides qui «

glissent », en changeant leur place dans le mot. En voici quelques exemples de

doublures lexicales dues à la métathèse :

zalh }afe → zah }lafe « tortue » ;

pəhrīz → pərhīz « diète ».

Le mot əğər « pied » est le résultat d’une telle métathèse :

- əğər ← ləğər ← rəğəl « pied » (ex. : h}ət}t} əğr-ək tah }t-ək! « Met ton pied

sous toi! »)

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3.1.13. La nasale /n/ et les liquides /l/ et /r/

Les liquides /l/ et /r/ en finale syllabique sont remplacées fréquemment par

le /n/ :

ta‘ān « viens! » pour ta‘āl ; aylūn « septembre » pour aylūl (dans ce cas, il

s’agit aussi d’une homophobie du /l/) ;

s}afan « siffler » pour s}afar « siffler » (voir l’expression maške s}fəni

« outre, siffle ! » par laquelle on désigne un homme connu pour ses

mauvaises plaisanteries).

Le /n/ et le /l/ d’un même mot sont toujours passibles de métathèse ; ainsi

on peut également entendre ya lə-mal‘ūn! et ya lə-man‘ūl ! « Quel maudit ! »,

« Ho hé ; Maudit ! ». En premier lieu, le /l/ de la première syllabe est remplacé par

/n/. Ensuite, le /n/, qui manifeste une sorte d’homophobie dans le sens qu’il tolère

difficilement un second /n/ dans les syllabes contiguës (fəlğān ← fənğān

(« tasse »), provoque la dissimilation du /n/ de la deuxième syllabe en /l/ : man‘ūl.

L’apogée du jeu d’alternance /l/ – /n/ est atteint, sans doute, dans le mot

qui signifie « fourmi ». Dans un mardini soigné, le mot est prononcé ləmmāl11

,

mais sous l’influence de l’homophobie du /l/, il sera réalisé parfois ləmman,

parfois nəmmāl (accidentellement superposé sur la racine classique nml). En ce

qui concerne les formes ləmman et nəmmal, on ne saura jamais lequel des deux est

le résultat d’une métathèse opérée dans l’autre.

3.1.14. La réduction de la gémination finale

La gémination d’une consonne finale est presque imperceptible dans les

deux situations suivantes : à la pause ; quand la consonne en question est suivie

d’un mot commençant par consonne :

haq[q] ha-nə‘me ! « par ce bienfait ! » ;

‘am[m] H{{asan « oncle H {asan » ;

dan[n]12

m}ayy « jarre d’eau ».

11 Dans le parler judéo-arabe de Bagdad, Haim Blanc signale le mot lemmāl « fourmis » avec le

singulatif lemmalāyi « une fourmi », cf. nemmal « fourmis » (où le réflexe de l’ancienne racine

arabe naml « fourmi » est évident) existant dans le parler de Mossoul (Blanc 1964 : 155) 12 Dann : une grande jarre dont le bas arrondi est enterré pour qu’elle reste debout.

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Mais elle est pleinement mise en évidence quand elle est suivie par une

voyelle :

haqq-i « mon droit » ;

‘amm-ək « ton oncle » ;

dann əl-m}ayy « la jarre de l’eau ».

Une réduction consonantique systématique se produit dans le cas des

substantifs féminins dont la consonne finale est géminée et suivie par une voyelle.

Dans un mot comme ‘amme « tante paternelle », similaire au mot ‘amma de

l’arabe classique (marqué par tā’ marbūt}a), la consonne /t/ (marque du féminin

gardée par le mardini dans ce type de mots) est restituée lorsque le mot en

question devient le premier terme dans une construction d’annexion. Dans cette

situation, la gémination est éliminée complètement, par haplologie :

‘amme « tante paternelle » → ‘ammət → ‘amt : ‘amt əl-gbīre « la grande

tante » ;

‘amt-i « ma tante » ;‘amt-ək « ta tante » ; ‘amt Bašīr « la tante de Bašīr » ;

salle « corbeille » → sallət →salt : salt-i « ma corbeille », salt ğīrānət-ək

« la corbeille de ta voisine » ;

kar}r}a « fois » →kar}r}at → kar}t : kar}t ləh~~ « autre fois » ;

Ce type de haplologie se manifeste aussi dans le cas des verbes ; on

reprend ici l’exemple fourni par Otto Jastrow : yfallət « il laisse libre », « il laisse

échapper » – yfaltūn « ils laissent échapper » ou la suffixation de /-ūn/ entraîne la

chute de lə (1978 : 94) et le maintien de /t/ qui est analogique, formellement, au

phénomène que l’on a décrit ci-dessus concernant les substantifs féminins.

3.1.15. L’emphase

Il y a deux catégories de consonnes emphatiques en mardini :

a) héritées

b) acquises

a) Les emphatiques héritées sont :

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- la fricative apico-alvéolaire /s}/ : s}ār « devenir » ;

- l’occlusive dentale /t }/ : t }ayr} « oiseau » ; t }arēq « chemin » ;

- la fricative interdentale /d}/ : d}ahər « dos » ; ‘ad }əm « os ».

L’ancienne occlusive dentale /d }/ a, d’habitude, la même réalisation que la

fricative interdentale /d}/ : d}arab « battre » ; d}ē‘a « village » ; d}aw[w] « lumière »

etc.

b) Les emphatiques acquises sont le résultat des phénomènes suivants :

– l’assimilation du trait d’emphase dans un contexte emphatique. Surtout

les consonnes /t/, /s/, /d/ – les correspondantes « normales » des emphatiques /t }/,

/s}/, /d}/ – sont réalisées comme ces emphatiques. Mais d’autres consonnes, comme

/p/, /b/, /l/, /m/, /n/, /z/ sont aussi susceptibles de recevoir le trait d’emphase.

L’opposition entre ces consonnes emphatisées et leurs correspondantes non-

emphatisées, par des paires minimales, est assez rare, ce qui fait qu’elles se

placent à la limite entre un statut phonologique et un statut phonétique, celui de

simples allophones. Quant au couple /r/ – /r }/, il s’agit, sans nul doute, de deux

phonèmes à part entière (voir 3.1.15.1. Le /r/ et le /r }/).

– l’emphatisation expressive comprend surtout les consonnes /l/, /b/ et /m/.

En ce qui concerne /l/, l’exemple cité partout, également valable pour le mardini,

est classique (de tous les points de vue) : al }l }a[h] « Dieu », wal }l }a[h] « par Dieu »

de même que d’autres exemples comme b}āba13

« papa » ; m}ām}a « maman » (voir

Boucherit 2002 : 39, qui signale les mêmes exemples pour l’arabe parlé d’Alger).

- l’emphatisation des consonnes contenues par les mots empruntés.

Les mots empruntés au turc qui renferment des voyelles postérieures ou

postpalatales (a, ı, o, u) – ce qui impose une prononciation ou une sélection des

consonnes postpalatales (Comrie 1997 : 888) – sont toujours emphatisés en

mardini :

am}m}a « mais » ; du turc amma, AC ’ammā, « quant à… ») ;

anqar}a « Ankara » ; 13 Cette prononciation est indiquée, pour le turc, par Ibn Bat }t }ūt }a (XIVe siècle) aussi : « Nous arrivâmes à la ville nommée Bâbâ Salthoûk ; Bâbâ, chez les Turcs, a la même signification que

chez les Berbères (c’est-à-dire celle de ‘père’) ; seulement, ils font sentir plus fortement le bâ (b) »

(Ibn Battûta, vol. II, 1982 : 238).

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arqad }āš « ami », du turc arkadaş ;

č}an }t }a « serviette », du turc çanta ;

č}aqm}aq « briquet », du turc çakmak ;

č}ar}a « solution », « bienfait », « remède », du turc çare ;

čat }}al « fourchette », du turc çatal ;

čawāl }a14 « sac », du turc çuval ;

d}āyan « supporter », du turc dayanmak ;

ğām} « vitre », du turc cam ;

ğān } « âme », du turc can ; kurde can ;

h~ān } « auberge », du turc han ;

m}an}t }ar} « champignons », du turc mantar ;

p}al }t }o « manteau », du turc palto ;

p}at }r}ōn} « chef », du turc patron ;

pəšmān} « repentant », du turc pişman ;

qap }p}at } « finir », du turc kapatmak ;

s}t }am}b}ūl « Istanbul » ;

t }ōz « poussière », du turc toz ;

wāz}o « vase à fleurs », du turc vazo ;

Les mots empruntés au turc qui renferment les voyelles antérieures ou

prepalatales (e, i, ö, ü) ne sont pas emphatisés en mardini :

čōl « désert », du turc çöl ;

sōz « parole », du turc söz ;

sərīn « frais » ; hawa sərīn « vent frais » ; du turc serin ;

pīs « sale », du turc / kurde pis.

Ce principe de l’emphatisation des mots empruntés peut englober aussi

quelques mots empruntés au kurde :

b}āš « bon », du kurde baş ;

h~ōr}t } « jeune », du kurde xort ;

14 Ce mot est mentionne par Otto Jastrow sous la forme čawāl }e (1978 : 52), avec un inattendu

imâla /e/ après l’emphatique /l }/, « inattendu » parce que la présence d’une emphatique empêche, d’habitude, la manifestation de l’imâla.

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r}ast « vrai »; r}ast we! C’est vrai ! ; du kurde rast.

Mais le principe en question est loin de s’avérer valable dans toutes les

situations, comme par exemple dans le cas des mots suivants où, même s’ils

comportent les conditions d’emphatisation, celle-ci ne se produit pas : darmān

« médicament », « remède », du kurde darman.

Il semble que cette règle ne serait pas spécifique uniquement au mardini,

mais qu’elle gouverne la phonétique des emprunts (presque les mêmes qui

existent en mardini !) faits par les dialectes néo-araméens de la zone : b }āš

« bon » ; č}an}t }a « serviette » ; r}ast « vrai » ; čōl « désert » (Hoberman 1997 : 316-

322) etc.

3.1.15.1. Le /r/ et le /r}/

La consonne /r/ est réalisée en mardini par la vibration de la pointe de la

langue. Dans diverses situations, cette consonne est emphatisée :

- dans un contexte emphatique : s}ār} « devenir » ;

- dans le voisinage de consonnes d’arrière : h}ār}r} « chaud » ;

- dans le voisinage historique de la disparue /’/ (voir 3.1.9. L’occlusive

glottale, sonore /’/) ;

- dans d’autres circonstances : dār} – ydōr} « tourner ».

L’emphatisation ou la vélarisation du /r/ n’est pas poussée à tel point qu’il

soit confondu avec la consonne fricative vélaire sonore /ġ/ (correspondante au

ġayn classique), comme il se passe dans d’autres parlers mésopotamiens (par

exemple, dans celui de Mossoul (Blanc 1964). La présence du /r }/ – comme celle

de toute emphatique et consonne d’arrière – est mise en relief par la voyelle /a/

(ou /ā/, en variante longue) qui ne recule que juste un peu son point d’articulation

(devenant plus grave), ce qui empêche sa transformation par imâla. Il est aussi à

remarquer que les voyelles /ā/ médiale et /a/ finale ne commuent jamais vers /ē/

ou /e/ :

ar}ānəb « lièvres » ;

‘ab}b}ār}a « ruelle » ;

h}əms}ār}a « grêle » ;

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s}an }n}ōr}a « chatte » ;

fār}a « souris » ;

mər}r}a « amère » ; « café amère » ;

ğar}r}a « cruche ».

Dans le même sens, les voyelles longues /ū/ et /ī/ sont réalisées /ō/,

respectivement /ī/ :

ydōr} « il tourne » (historiquement : yadūru) ;

‘as}fōr} « moineau » (historiquement : ‘asfūr « oiseau ») ;

ys}ēr} « il devient » (historiquement : yas}īr}u).

La transformation du /r/ en /r }/ ne répond pas toujours aux règles

mentionnées ci-dessus et, en plus, elle a un caractère aléatoire, car des variantes

comme yrūh } et yr}ōh} « il part » peuvent également être entendues.

La difficulté d'établir les règles d’emphatisation du /r/ est due au fait que,

dans des conditions identiques, l’emphatisation ne se produit pas : rġīf « pain

rond » ; h ~ārūf « agneau » ; darmān « médicament » ; ašqar « blond ».

3.1.15.2. Le /d }/

Au classique /d}/ correspond régulièrement en mardini l’interdentale /d}/.

Ainsi, le /d}/ recouvre les /d}/ et /d }/ classiques à la fois : d}alam « être injuste », «

opprimer » (cf. AC d }alama) et ba‘d} « quelque », « certain » (cf. AC ba‘d}). Malgré

cela, dans certains mots, on peut entendre un /d{/ qui provient des emprunts :

- aux autres parlers arabes de la zone qui ont maintenu la réalisation du /d}/

classique comme /d}/ et qui réalisent l’interdentale /d}/ aussi comme /d}/, comme par

exemple l’arabe parlé à Diyarbakır15

:

stand}ar « attendre » (CA : stand}ara) ;

d}ərs – d}rās « dent » (CA : d}irs – ’ad}rās) ;

- au turc : 15 Les exemples fournis par Otto Jastrow pour l’arabe de Diyarbakır attestent la régularité de cette

préservation de /d}/ : d}ān (CA : d}a’n) « brebis », « mouton » ; d}əh}ək (CA : d}ah}ika) « rire » ; d}arab

(CA : d}araba) « frapper », mah~ad} (CA : mah~ad}a) « baratter le lait pour en faire du beurre » (Jastrow 1978 : 37).

Page 70: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 69 -

d }ōndūr}m}a « glace » (turc : dondurma) ;

d }āyan « supporter » (turc : dayanmak) ;

d}amġa « timbre » (turc : damga) ;

ōd}a « chambre » (turc : oda) ;

mōd}a « mode » (turc : moda).

3.1.15.3. Opposition emphatique – non-emphatique

Pour la liste des phonèmes emphatiques, nous avons pris en considération

toute consonne pour laquelle une réalisation « emphatique » peut avoir une valeur

distinctive, qui est mise en évidence dans une paire minimale ou quasi-minimale

(deux sons sont différents, pas seulement un), même si en quelques cas, le

contexte aidant, le risque d’ambiguïté est quasi nul :

/s/ - /s}/ : masa « soir » -m}as}a « table » ;

/t/-/t }/ : tīn « figue »– t }īn « boue » ;

/d/ - /d} / : dāq « goûter » – d}āq « être/devenir étroit » (voir l’expression :

d}āq h ~əlq-u « sa disposition innée s’est resserrée », c’est-à-dire « il a éprouvé un

ennui, un chagrin, une angoisse ») ;

/d/ - /d}/ : dars « leçon » – d}ərs « dent » ;

/r/ - /r }/ : dār} (ydōr}) « tourner » – dār (ydīr) « faire tourner » ; bīr-a « son

puit à elle » – bīr}a « une bière » ;

/m/ - /m}/ : məme « téton »– m}ām}a « maman » ;

/n/ - /n}/ : h~ān « trahir » – h~ān} « auberge » ;

/b/ - /b}/ : bāb-a « sa porte à elle » – b }āba « papa » ;

/l/ - /l}/ : məllət « elle s’est ennuyée » – məl }l }at… « le peuple de… ».

3.1.15.4. L’extension de l’emphase

L’extension de l’emphase dans la chaîne parlée est arrêtée par les jonctures

à l’intérieur d’une forme linguistique qui est, d’habitude, la syllabe : ar}nabe «

lièvre » ; ar}ā-nəb « lièvres ».

Ainsi, l’emphase n’affecte pas les morphèmes ajoutés à une racine qui

renferme une emphatique :

- la marque /t/ du féminin qui apparaît dans l’état construit :

m}ar}t əbn-i « la femme de mon fils » ;

Page 71: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 70 -

- le suffixe pronominal attaché à une forme verbale et le suffixe adjectival

attaché à une forme nominale :

ard}-ki « ta terre, f. » ; ‘ad}d}-ki « il t’a mordu » ;

- la marque préfixée dans le cas d’un inaccompli :

tət }la‘ « tu pars » ; ts}ēr} « tu deviens », təd}rəb « tu frappes » ; təd}lam « tu

oppresse ».

Exception : la marque suffixée – à noyau /t/ - dans la conjugaison suffixale

est affectée chez certains locuteurs par l’emphase de C3 :

- s}ər}t }u « je suis devenu » ; marad}t }u « je suis tombé malade ».

Dans les formes présentant une consonne radicale de nature emphatique,

l’emphase s’étend également à la voyelle qui suit dans la même syllabe ainsi qu’à

celle qui précède, dans la syllabe antérieure :

- šāt }ər « intelligent » (l’emphatique /t }/ empêche la transformation de la

voyelle précédente /ā/ en /ē/ par l’imâla.

- qəs}s}ābīn « bouchers » (l’emphatique /s }/ empêche la transformation de la

voyelle suivante /ā/ en /ē/ par l’imâla)

- d}hōr}a « dos » (sous l’action de l’emphatique /r}/, la voyelle précédente /ū/

est transformée en /ō/ et la voyelle suivante n’est pas affectée par l’imâla).

3.1.15.5. La perte du trait emphatique due au voisinage consonantique

L’emphatique /s}/ perd fréquemment son trait emphatique dans le voisinage

immédiat des consonnes d’arrière : les fricatives pharyngales sourde /h }/ et sonore

/‘/, l’occlusive uvulaire sourde /q/, les fricatives vélaires sourde /h ~/ et sonore /ġ / :

/s}/ → /z/

Le /s}/ perd son trait emphatique et se sonorise, se transformant en /z/,

avant une consonne d’arrière /ġ/, /q/ :

zġayyər16

« petit » ← s}uġayyir (diminutif de s}aġīr) ;

bazaq – yəbzəq « cracher » ← bas}aqa ;

lazaq – yəlzəq « coller » ← las}iqa.

16 Cet exemple n’est pas spécifique au mardini, mais il se retrouve dans beaucoup d’autres parlers

arabes.

Page 72: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 71 -

/s}/ → /s/

Avant et après les consonnes d’arrière sourdes /h}/ et /h~/, /s}/ perd seulement

son trait emphatique :

sāh } – ysēh} « crier », « appeler quelqu’un à soi » ← s}āh}a – yas}īh}u ;

h}asbe « rougeole » ← h }as}ba ;

mah}sūl « survenu », « produit » ← mah}s}ūl ;

h~əsūsi « spécial », « particulier » ← h ~us}ūs}ī.

Dans les deux derniers exemples, la désemphatisation du /s }/ a comme effet

le maintien de la voyelle longue /ū/ qui n’est pas transformée en /ō/, comme il

arrive dans le voisinage immédiat des emphatiques.

3.1.15.6. La perte du trait emphatique due à l’hypodifférentiation

Ce type d’influence est, en fait, une modification du système par

l’interprétation des unités d’une langue selon le modèle de l’autre (Sala 1997 :

91). Ainsi, le kurde en premier lieu, mais aussi le turc, ont influencé directement

le système phonétique du mardini par l’hypodifférentiation qui se manifeste entre

les unités des codes linguistiques en contact.

C’est à l’hypodifférentiation qu’est dû le dépouillage des emphatiques de

leur emphase, phénomène qui peut être saisi surtout chez les enfants et les jeunes

influencés, en partie, par le kurde et le turc, langues qui ne possèdent pas

d’emphatiques. La fricative interdentale sonore emphatisée /d}/ est réalisée parfois

comme fricative interdentale sonore /d/ : ndīf ← nad}īf « propre ». L’occlusive

alvéolaire sourde emphatisée /t}/ est réalisée comme occlusive alvéolaire sourde

/t/ : mətērəb ← mət}ārəb « ménétriers » ; la sifflante dentale sourde vélaire /s }/ est

réalisée en tant que sifflante dentale sourde /s/ : sabġa ← s}abġa « teinture ». Ces

transformations ont encore un caractère sporadique, mais elles pourraient gagner

un statut systématique dans le futur proche, vu le plurilinguisme des Mardiniens

qui mène à une uniformisation phonétique des langues qu’ils utilisent.

3.2. Système vocalique

Le système vocalique du mardini a deux composants :

Page 73: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 72 -

a) sous-système des voyelles brèves ;

b) sous-système des voyelles longues.

3.2.1. Sous-système des voyelles brèves

Le sous-système des voyelles brèves du mardini comprend deux phonèmes

qui se distinguent entre eux d’après leur aperture et leur localisation. Il existe deux

degrés d’aperture : maximum (voyelle ouverte /a/), et minimum (voyelle fermée

/ə/) ainsi qu’une seule localisation, médiale :

ə

a

La voyelle /ə/ – nommée schwa – est le résultat de la fusion, par

centralisation, des deux voyelles classiques fermées, l’antérieure /i/ et la

postérieure /u/, qui étaient distribuées aux extrémités du même niveau d’aperture :

i u

a

Le système des correspondances avec le classique n’est pas si facile à

établir, même si, dans l’ensemble, le schwa /ə/ correspond à /i/ et /u/ classiques,

mais il y en a aussi des situations où il correspond à la voyelle /a/ classique.

Le schwa correspond à /a/ classique :

a) s’il se trouve dans une syllabe courte, suivie d’une syllabe longue qui

comporte la voyelle longue /ā/ ou son allophone (résulté sous l’action de l’imâla)

/ē/ :

a-1) le schème : C1aC2C2āC3 → C1əC2C2āC3 :

bəqqāl « marchand de légumes » ;

nəğğār « charpentier » ;

dəllāl « crieur dans les ventes publiques » ;

h}əmmāl « portefaix » ;

h}əmmām « bain » ;

rəğğāl « homme » ;

šəqqā’ « ravaudeur ».

Page 74: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 73 -

a-2) le schème : C1aC2C3ān → C1əC2C3ān :

kəslān « paresseux » ;

fərh }ān « joyeux » ;

bət }lān « fatigué ».

a-2) le schème : C1aC2C2āC3a → C1əC2C2āC3

rəššāše « mitraille » ;

šəmmāme « petit melon parfumé » ;

mət }t }ār}a « pluvieux » (la forme de féminin est due au déterminé dənye

« monde ») ;

səh }h}ār}a « sorcière ».

a-3) les schèmes de pluriel quadriconsonantique : C1aC2āC3īC4 et

C1aC2āC3iC4 → C1əC2ā/ēC3īC4 et C1əC2ā/ēC3əC4 :

bəsēmīr « clous » ;

məfētīh } « clefs » ;

qəbēqīb « sabots » ;

məh~ēməl 17

« pagnes ».

a-4) le schème C1aC2āC3 → C1əC2āC3 :

kəlām « mot » ;

s}əbāh} « matin » ;

səlām « paix ».

Exception : les consonnes d’arrière préservent la prononciation de la

voyelle /a/ :

h}arām « interdit », « illicite » ;

h}alāl « licite » ;

h~arāb « mauvais » ;

‘aša « repas du soir ».

17 Tissus à envelopper le corps dans le h}ammām.

Page 75: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 74 -

a-5) si l’une des deux syllabes d’un mot à structure CV-CVC renferme la

voyelle /ə/, alors l’autre voyelle qui, étymologiquement, est /a/, sera elle aussi

transformée en /ə/, en vertu d’une sorte d’harmonie vocalique :

h~əšən ← h ~ašən ← h ~ašin « dur », « rude », « grossier » ;

‘ənəb ←‘ənab ←‘inab « raisin » ;

qəšə‘ ← qašə‘← qaši‘ « apercevoir ».

a-6) Le /a/ étymologique des préfixes de l’inaccompli est devenu /ə/, tə-,

yə-, nə- :

yədh ~əl « il entre » ; yət }la‘ « il sort ».

Observation : avant une syllabe qui comporte une consone suivie d’une

voyelle, le schwa du préfixe est élidé :

ynām « il dort » ; y‘alləm « il enseigne » etc.

- avant les consonnes d'arrière, /ə/ alterne, parfois, librement avec /a/ :

yəġlab – yaġlab « il vainc ».

a-7) Le /a/ du morphème suffixal du féminin singulier, pour les verbes à

3eme personne de l’accompli (la règle n’est pas valable pour les verbes à C3

consonne faible) et pour les substantifs à finale /e/ en état d’annexion : et → ət :

šər}əbət « elle a bu » ; s}āmət « elle a jeûné » ; h}akkət « elle a gratté » ;

t}ōrbāyət tmān « bourse d’argent » (t}ōrbāye « bourse ») ; ləqmət wlād-i « la

bouchée de mes enfants » (ləqme « bouchée », « morceau ») ; ‘āylət-u « sa

famille » (‘āyle « famille »).

a-8) Le /a/ initial des pronoms personnels :

ənt « tu » (m.) ; ənti « tu » (f.) ; əntən « vous ».

Le schwa /ə/ peut apparaître aussi comme voyelle de disjonction (voir

3.7.3 Le schwa de disjonction).

Le schwa /ə/ n’apparaît jamais à la fin des mots.

Page 76: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 75 -

3.2.1.1. La coloration des voyelles brèves18

Le contexte consonantique influe bien évidemment sur la réalisation des

voyelles. La voyelle /a/ est réalisée de manières sensiblement différentes

énumérées ci-dessous. Au contact :

a) des emphatiques : [a], le plus fermé possible, glissant légèrement vers /o/ :

d}ahər « midi » est réalisé d}ahər ; m}ayy « eau » est réalisé m}ayy

b) des consonnes d’arrière (vélaires et uvulaires) : [a:], central-ouvert : ġarz

« jardin » ; h}arb « guerre » ;

c) des consonnes neutres : [æ], le plus ouvert possible, glissant légèrement

vers /e/, mais sans se confondre avec celui-ci (seulement en finale il est

affecté par l’imâla, se réalisant comme /e/, voir 3.2.3. Régies de l’imâla) :

rafš « pelle » est réalisé comme ræfš.

La voyelle centrale /ə/ – excepté le contexte consonantique neutre où elle

est réalisée habituellement [ə], mais avec une tendance, parfois, vers /ı/ comme

dans ğəld « peau », qui est réalisée ğıld – connaît aussi des variations au contact :

- des emphatiques :

- très près de /u/, c’est-à-dire [ш] : si elle se trouve entre les

bilabiales /m/, /b/ et /w/ et une emphatique : məs}s} (mшs}s}) « téter » ;

mət }r}ān (mшt }r}ān) « métropolite » ; bəs}s}ayf (bшs}s}ayf) « à l’été » ; wəs}əl

(wшs}əl) « arriver » ; ou seulement dans le voisinage d’une bilabiale

emphatique : əm}m} (шm}m}) « mère »

- /i/ : si elle se trouve entre /y/ et une emphatique : yəs}rəf (yis}rəf)

« gaspiller » ou dans

En contexte emphatique général : ‘ad }əm (‘ad}im) « os » :

- très près de /i/, c’est-à-dire /ı/ entre /y/ et une consonne neutre : yəšr}ab

(yıšr}ab) « boire » ;

- /u/ après /w/ dans un contexte neutre : ykawwəm (ykawwum) « il

amasse » ; « il élève un tertre » ;

- / / dans le voisinage de /‘/ et /h}/ : ‘ərs (‘ rs) « noces » ; fāh }əše (fāh } še)

« prostituée ».

18 Je me suis appuyé dans la réalisation de ce chapitre sur les observations faites par Hans-Jürgen

Sasse concernant le mh }allami (1971 : 29)

Page 77: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 76 -

3.2.1.2. La chute des voyelles courtes

Par rapport au classique, en mardini, les voyelles courtes sont laissées

choir en certaines séquences de syllabes :

- avant une syllabe longue (qui renferme une voyelle longue : CVV or

CVVC) :

- des préfixes de la Fp lorsqu’ils sont attachés aux verbes concaves

: tqūl, tqūlīn, yqūl, nqūl, tqūlūn, yqūlūn ; « tu dis » etc.

- à la Fp, après C2 (la deuxième personne singulier, féminin ; la

deuxième personne pluriel ; la troisième personne pluriel et à l’impératif,

féminin et pluriel) aux formes dérives suivantes :

la IIème

: tkassrīn, tkassrūn, ykassrūn ; kassri, kassru.

la IIIème

: tdāwmīn, tdāwmūn, ydāwmūn ; dāwmi, dāwmu.

la VIIème

: tənqəhrīn, tənqəhrūn, yənqəhrūn ; nqəhrī, nqəhru.

la VIIIème

: təštəġlīn, təštəġlūn, yəštəġlūn ; štəġli, štəġlu.

- lorsque le schwa est suivi d’une syllabe de type CVC, c’est-à-dire :

- le schwa des préfixes de Fp lorsqu’ils sont attachés à un verbe à la IIème

et respectivement à la IIIème

forme dérivée : tkassər, tdāwəm.

- après C2 lorsqu’il est précédée d’une syllabe longue (le participe actif,

féminin, singulier) : r}āyh}a (masc. : r}āyəh} « qui part ») ; fārġa (masc : fārəġ

« vide », « sec ») ; fāth }a (masc. : fātəh} « qui ouvre ») ; des emprunts assimilés à ce

schème: kāġəd « papier » – kāġdāya « une feuille de papier ».

- quand la syllabe qui comporte le schwa se trouve entre deux syllabes

longues (le participe actif à pluriel externe) : fāth }īn « ceux qui ouvrent » (sing. :

fātəh} « qui ouvre »).

- du préfixe spécifique à la Vème

et la VIème

formes triconsonantiques

dérivées : th~at }t }ar « se rappeler » ; tfāham « s’entendre » et la IIème

forme

quadriconsonantique dérivée: tmandar « être tassé/nivelé par le rouleau

mandarūne ».

(Voir aussi 3.7.5. Groupes consonantiques).

Page 78: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 77 -

3.2.2. Sous-système des voyelles longues

Les phonèmes vocaliques longs attestés en mardini sont en nombre de cinq

et ils se distinguent entre eux d’après leur aperture et leur localisation. Il existe

trois degrés d’aperture : maximum (voyelle ouverte /ā/), moyen (voyelles semi-

ouvertes /ō/ et /ē/) et minimum (voyelles fermées /ū/ et /ī/), ainsi que trois séries

de localisation : antérieure (/ē/ et /ī/), médiale (/ā/) et postérieure (/ō/ et /ū/). Ce

système vocalique long peut être représenté par un triangle :

ī ū

ē ō

ā

La voyelle longue /ā/ est la seule de toute la série qui a une correspondante

courte, la voyelle /a/.

L’établissement du système de correspondances avec le classique indique

les possibilités suivantes :

– les voyelles /ā/, /ī/ et /ū/ du mardini correspondent généralement à /ā/, /ī/

et /ū/ classiques.

– les voyelles /ē/ et /ō/ sont, le plus souvent, des variantes phonétiques de

/ā/, /ī/ et /ū/, ainsi :

- la voyelle /ē/ peut provenir de la voyelle /ā/ (voir 3.2.3. Régies de

l’imâla) ou de la voyelle /ī/ dans la proximité des consonnes emphatiques, /s }/, /t }/,

/d}/, /r }/ et d’arrière, /q/, /ġ/, /h~/, /h}/, /‘/ :

- ys}ēr} « il devient » ; yt }ēr} « il vole » ; yd }ē‘ « il se perd » ; t }ar}ēq «

voie », « chemin » ; s}ēġa « façon », « forme », « le métier d’orfèvre » ; bat }t }ēh ~ «

pastèque » ; malēh} « bon ».

- la voyelle /ō/ peut provenir de la voyelle /ū/, elle aussi, dans la

proximité des consonnes emphatiques, /s }/, /t }/, /z}/, /r }/ et d’arrière, /q/, /ġ/, /h~/, /h}/,

/‘/ :

- t }yōr} « oiseaux » ; s}an}n}ōr} « chat » ; ydōr} « il tourne » ; yr}ōh} « il

part » ; maqt}ō‘ « coupé » ; mah}lōq « rasé » ; ballōt } « châtaigne », « marron » etc.

Dans tous les cas signalés ci-dessus, les voyelles /ē/ et/ō/ sont seulement

des allophones des voyelles /ī/ et /ū/ avec lesquelles elles alternent, parfois,

librement : ys}ēr}-ys}īr ; yr}ōh}-yr}ūh}.

Page 79: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 78 -

Dans un nombre très réduit de situations – emprunts aux langues voisines,

comme par exemple : pēmbe « rose » (la couleur), du turc pembe ; zōr « difficile»,

du turc/kurde zor – /ē/ et /ō/ ont un caractère phonologique, mais son rendement

fonctionnel reste encore extrêmement réduit parce que l’opposition ī-ē ou ū-ō est

rarement rencontrée :

čōl « désert », du turc çölé – čūl « bure blanche », du turc çul ;

nēri «bouc», du kurde nêri – nīr-i « mon joug », « joug auquel on attèle les

bœufs » ;

krēm « crème », du turc krem – krīm « généreux ».

Les voyelles longues peuvent être en syllabes ouvertes ou fermées, mais

elles ne se maintiennent pas en finale, où elles sont toujours neutralisées. Elles

sont attestées aussi à l’initiale d’un mot (dans une syllabe de type V, VC) : ōd }a

« chambre », ūti « fer à repasser », ōtēl « hôtel », ōrmān « foret » etc.

3.2.2.1. Réduction des voyelles longues en finale

En mardini, la quantité vocalique est neutralisée en finale absolue, ou, en

d’autres termes, l’opposition entre voyelle longue et voyelle brève est annulée

dans cette position.

- /ā/ → /a/ : h ~allā → h~alla « laisser » ; mar}ā → mar}a « femme » ; h }amrā

→ h}amra « rouge » ; ‘alā → ‘ala « sur »

- l’allophone du /ā/ : /ē/ → /e/ : a‘mē → a‘me « borgne », « aveugle » ;

ğarbē → ğarbe « galeuse » ; šətē → šəte « hiver », kasālē → kasāle

« paresseux ».

- /ī/ → /i/ : skətī → skəti (tais-toi, f.) ; yəbnī → yəbni « il bâtit ».

- /ū/ → /u/ : dah~alū → dah ~alu « ils sont entrés » ; ftah }ū → ftah }u

« ouvrez ! ».

/ō/ → /o/ : p}al }t }ō → p }al }t }o « manteau ».

La voyelle /a/ en finale, quelle que soit la quantité de la voyelle de laquelle

elle provient, /ā/ or /a/, subit, en contexte consonantique neutre, la même action de

l’imâla : h~ərbe (ici, /e/ provient de /a/ bref) « ruine » ; dənye (ici, /e/ provient de

/ā/ long) « monde » (voir 3.2.3. Régies de l’imâla).

Page 80: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 79 -

Phonétiquement, il n’y a aucune différence de longueur et de timbre entre

la voyelle finale /a/ avec son allophone /e/ représentant la voyelle /a/ du

morphème suffixal du féminin (c’est-à-dire, une voyelle brève à l’origine) et la

voyelle /a/ avec son allophone /e/ provenant étymologiquement de la voyelle

longue /ā/ :

- baqar}a « vache » (cf. AC baqara) ; zarqa « blue » (cf. AC zarqā’) ; ‘at }a

« donner » (cf. AC ’a‘t }ā) ;

- šabbe « alun », « vitriole » (AC šabba) ; šəte « hiver » ; (cf. AC šitā‘) ;

a‘me « aveugle » (cf. AC ’a‘mā).

Si, à cause de la neutralisation de la voyelle /ā/, deux mots acquièrent la

même forme, alors ils seront différenciés à l’aide de l’accent (voir 3.8. Système

accentuel).

En ce qui concerne les voyelles /ī/ et /ū/ en finale – qui sont réduites

toujours à /i/ et /u/ - elles n’entrent pas en concurrence avec les voyelles courtes /i/

et /u/ (ou leur succédané, le schwa) parce que celles-ci, en finale, ont totalement

disparu (elles représentaient une série de morphèmes à rôle de suffixes verbaux et

nominaux). Certaines confusions – qui peuvent apparaître à cause de la réduction

du suffixe d’appartenance /-īy/ et du suffixe pronominal/adjectival /-ī/ à /-i/, ainsi

que de la réduction du morphème suffixal verbal /-ū/ et du suffixe pronominal /

adjectival /-hu/ à /-u/ – se clarifient, elles aussi, à l’aide de l’accent aussi (voir

3.8. Système accentuel)

Ces voyelles regagnent leur longueur si elles sont suivies d’un suffixe (par

conséquent, elle ne sont plus finales) :

tala « il a rempli » – talā-hu « il l’a rempli » ;

təqr}a « tu lis » – təqr}ā-ha « tu la lis » ;

štaru « ils ont acheté » – štarū-lu « ils lui ont acheté » ;

ləffi « enveloppe ! » f. – ləffī-yu « enveloppe-le!, f. » ;

mas}a « table » – mas}ā-k « ta table » ;

ğədēri « variole » – ğədērī-kən « votre variole ».

Page 81: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 80 -

3.2.3. Régies de l’imâla

En mardini, l’imâla représente la transformation de la voyelle /ā/ en /ē/, et

de la voyelle /a/ en /e/.

L’imâla n’est pas absolue, mais conditionnée. La position de la voyelle

affectée par l’imâla dans le mot peut être médiale et finale, mais jamais initiale.

Les conditions de la parution de la voyelle affectée par l’imâla en position

médiale sont les suivantes :

a) la voyelle /ē/, résultat de l’imâla, en médiale apparaît si la syllabe

adjacente comporte, étymologiquement, la voyelle courte /i/ : C1iC2āC3 →

C1əC2ēC3 → C1C2ēC3 :

klēb « chiens » ;

ktēb « livre » ;

lsēn « langue » ;

lh {ēf « couverture ouatée et piquée ».

Les mots h}mār} « âne », h}sād « moisson » (/s/←/s}/) ; hlāl « semilune » et

d’autres ne sont pas des exceptions à cette règle parce qu’ils doivent être rapportés

aux formes mésopotamiennes h }umār, h}us}ād, hulāl (la voyelle /u/ empêche la

manifestation de l’imâla) et non pas aux formes classiques : h}imār}, h }isād, hilāl.

Si la voyelle de la syllabe adjacente est, étymologiquement, /u/ ou /a/, la

voyelle /ā/ ne sera pas affectée par l’imâla :

flān ← fəlān ← fulān « un tel » ; ġlām ← ġəlām ← ġulām « jeunot » ;

h}alāl « licite », h}arām « illicite », h~arāb « mauvais ».

b) la voyelle /ā/ du schème de participe actif de la première forme

triconsonantique – historiquement C1āC2iC3 – est affectée par l’imâla C1ēC2əC3 :

qē‘əd « qui est assis » ;

ğēy « qui vient » ;

wēqəf « qui est arrêté » ;

nēyəm « qui dort » ;

ğēmə‘ « mosquée ».

La présence d’une emphatique (y compris /r }/) ou d’une consonne d’arrière

(pharyngale) avant ou après la voyelle /ā/ empêche la voyelle en question d’être

Page 82: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 81 -

affectée par l’imâla :

t }ālə‘ « qui sort » ;

s}āyəm « qui jeûne » ;

‘āləm « savant » ;

h}ākəm « juge » ;

r}āyəh }} « qui part » ;

nāt }ər « gardien » ;

nā‘əm « tendre », « délicat ».

c) la voyelle /ā/ du schème de pluriel quadriconsonantique –

historiquement C1aC2āC3īC4 – est toujours affectée par l’imâla C1əC2ēC3īC4 :

səkēkīn19

« couteaux » ;

bəsēmīr « clous » ;

bəsētīn « jardins » ;

dəkēkīn « boutiques » ;

məfētīh } « clés ».

d) le rattachement du suffixe -īn conduit à l’imâla de la voyelle /ā/ de la

syllabe précédente :

d-1) īn - morphème de pluriel externe des noms :

s}əffār – s}əffērīn « étameur » – « étameurs » ;

zəbbāl – zəbbēlīn « boueur » – « boueurs » ;

bəzzāz – bəzzēzīn « marchand d’étoffes » – « marchands

d’étoffes » ;

h}əddād – h}əddēdīn « forgeron » – « forgerons » ;

nəğğār – nəğğērīn « charpentier » – « charpentiers ».

La présence d’une emphatique ou d’une consonne d’arrière avant ou après

la voyelle /ā/ empêche la voyelle en question d’être affectée par l’imâla :

qəs}s}āb – qəs}s}ābīn « boucher » – « bouchers » ;

bəqqāl – bəqqālīn « épicier » – « épiciers » ;

19 Notre corpus prouve qu’il y a une tendance à éliminer le schwa de la première syllabe :

skēkīn ← səkēkīn.

Page 83: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 82 -

d-2) īn – la deuxième partie du circconfixe de la Fp, 2ème

personne,

singulier, féminin :

tnēmīn « tu (f.) dors » ; cf. tnām « tu (m.) dors ».

e) le rattachement des suffixes d’origine turque či et li conduit à

l’apparition de l’imâla :

h}ammām → h }ammēmči « bain » → « baigneur », « qui tient des bains » ;

frāh~ → frēh~či « poulets », « petits » → « pédophile ».

L’imâla n’affecte jamais la voyelle /ā/ :

a) du schème C1əC2C2āC3 qui correspond étymologiquement à

C1aC2C2āC3 et C1uC2C2āC3 :

nəğğār « charpentier » ;

qəs}s}āb « boucher » ;

qə‘‘ād « qui sont assis ».

b) du schème C1əC2C3ān :

− le participe des verbes d’état : bət }lān « fatigué » ; səkrān « ivre » ;

− le pluriel des substantifs : s}ədqān « amis ».

c) du schème C1C2āC3, pluriel des adjectifs C1C2īC3, historiquement, dans

les dialectes mésopotamiens, C1uC2āC3 :

qs}ār « courts » ;

t }wāl « hauts » ;

smān « gros » ;

zġār « petits ».

d) du morphème de pluriel āt, quel que soit le voisinage :

makīn }āt « voitures », « machines ».

e) le rattachement des affixes personnels qui comportent la voyelle i (i, ki,)

ne conduit pas à la apparition de l’imâla :

Page 84: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 83 -

ğām}-i « ma vitre » ;

bāb-ki « ta porte » ;

šāl-ki « ton châle ».

3.2.3.1. L’imâla finale

Les voyelles longues sont toujours neutralisées à finale, donc /ā/ et /a/ sont

réalisées sous la même forme (/a/ ou son allophone /e/).

Le morphème suffixal /-a/ du féminin se réalise toujours en contexte

neutre comme /-e/ :

b : qəbbe « coupole », « voûte » ; h~ərbe « ruine » ; rt }ūbe « humidité » ;

č : fərče « brosse », « pinceau » ; čamče « louche » ;

d : māh~ūde « prise » ;

d : mədde « durée », warde « une rose » ; mh~adde « coussin » ;

f : mağrafe « pelle » ; šət}fe « morceau » ; līfe « luffa » ;

ğ : at }mağe « autour » (zool.) ; na‘ğe « brebis » ;

g : tfēnge « fusil » ; tanage « bidon » ;

h : mašbūhe « douteuse », « suspecte » ;

k : mamlake « royaume », « pays » ; birke « étang » ; šərke « compagnie » ;

l : sah~le « chèvre » ; ġalġale « inquiétude » ;

m : matrūme « hachis de viande » ; kəlme « mot » ; h}amāme « pigeon » ;

n : rədne « manche » ; zangane « richesse » ;

p : pēppe « nourriture » (dans la langage d’enfants) ; čəppe « gauche » ;

r : h~amīre « levain », sərre « nombril » ; sətāre « courtine » ;

s : bawse « baiser » ; rafse « ruade », « coup de sabot » ;

š : qarīše « ceinture » ; kəšše « cheveux embrouillés », « toupet » ; mqašše

« écumoire », « passoire » ;

t : mab‘ūte « envoyée », tūte « un mûrier » ;

t : sətte « six » ; bāyte « qui a précédé d’une nuit » (se dit d’un mets :

lah}me bāyte « un morceau de viande vieille ») ;

w : kərwe « payment d’un service » ; qah}we « café » ; kəlwe « rein » ;

y : zə‘qōye « cri » ; qūt }īye « boîte » ; h}ayye « serpent » ;

z : ğanāze « homme mort », « convoi funèbre » ; h~araze « pierre

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précieuse » ; « rasade » ; sabze « verdure », « légume » ;

ž : čəžže « saveur » ;

v : mayve « fruit ».

En état d’annexion, quand la finale /t/ est restituée aux noms féminins au

singulier, la voyelle /e/ est réduite au schwa :

lah }mət nēri « viande de bouc » ;

kaffət s}ābūn « écume de savon » ;

sərrət-u « son nombril »,

ou même éliminée :

sant alfayn (l’année 2000) ; sant ←sanət ← sane.

L’imâla finale ne se manifeste pas au contact direct :

a) des consonnes emphatiques :

/t }/ : mah~lōt }a « soupe [de lentilles] » ; ‘arrōt }a « attisoir », « pique-feu » ;

/s}/ : fərs}a « occasion » ; mas}s}ās}a « sucette », « tétine » ; h~ōs}a « bague » ;

/d }/ : naffād}a « cendrier » fəd}d}a « argent » (métal) ; h}āmd}a « aigre » (f.) ;

/d}/ : mōd}a « mode », ōd}a « chambre » ;

/r }/ : s}an}n}ōr}a « chat » ; h~ās}r}a « hanche », « taille » ; t}ahār}a « toilette » ;

qəndar}a « soulier » ; h}ār}r}a « chaude » ; baqar}a « vache » ; nəqr}a «

chaudron », « chaudière » ;

/m}/ : ğəzm}a « botte » ; qaz}m}a « bêche » ;

/n}/ : lahān }a «chou».

b) des consonnes d’arrière /q/, /h~/, /ġ/, /h}/, /‘/ :

/q/ : ma‘laqa « cuillère » (ou mal‘aqa) ; salīqa « bouillie » ; h}alaqa

« anneau » ; mīzəqa « musique » ;

/h~/ : bat }t }ēh~a « melon » ; h ~awh~a « pêche » ;

/ġ/ : fadġa « blessure dans la tête » ; fārġa « vide », « sèche » ;

/h}/ : təffāh}a « une pomme » ; mamlah}a « salière » ; rīh }a « odeur » ;

« parfum » ;

/‘/ : ğəmā‘a « groupe d’hommes » ; ğəm‘a « vendredi » ; qal‘a

« fortresse » ; arba‘a « quatre ».

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- 85 -

Le /a/ final du féminin de l’adjectif de couleur et difformité n’est jamais

affecté par l’imâla :

h}amra « rouge » ;

šaqra « blonde » ;

‘arğa «boiteuse ».

Le /a/ final du pluriel des participes des verbes d’état, en contexte neutre,

est affecté par l’imâla :

səkrān – səkāre « ivre » – « ivres » ;

kəslān – kəsāle « paresseux » – « paresseux »,

mais en contexte emphatique et d’arrière, la prononciation de /a/ est

maintenue :

ğəw‘ān – ğawā‘a « qui a faim » – « qui ont faim » ;

fərh }ān – fərāh }a « joyeux » – « joyeux ».

La terminaison qui correspond à la classique /-ā’/ est affectée par l’imâla

seulement si la syllabe adjacente comporte un schwa qui correspond à la voyelle

classique /i/ :

šəte « hiver », cf. AC šitā’ ;

h}ənne « henna », cf. AC h }innā’ ;

qəte « concombre » (col. ; n.u. : qətāye « un concombre »), cf. AC qitā’.

La terminaison qui correspond au classique /-ā/ est aussi affectée par

l’imâla :

a‘me « aveugle » ; cf. AC ’a‘mā ;

ğarbe « galeuse », cf. AC ğarbā.

L’imâla ne se manifeste jamais à la finale des verbes (les verbes à finale

vocalique) :

bana « il a bâti » ;

tala « il a empli » ;

yənsa « il oublie ».

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- 86 -

3.3. Les diphtongues

En mardini, les deux anciennes diphtongues ay et aw sont préservées :

ay :

mayme « grand-mère » ;

bayt « maison » ;

bayn « entre » ;

s}ayf « été » ;

bayd}a « un œuf » ;

zaytūn « olive ».

On entend souvent la réalisation de /ay/ comme /ey/ :

deyn « dette » ;

d}eyf « hôte ».

b) aw :

ğawf « ventre » ;

s}awm « jeûne » ;

mawt « mort » ;

zawğ « époux » ;

tawr « taureau » ;

ğawz « noix » ;

hawh « pêche » ;

‘əllayq « mûre sauvage ».

Dans certains mots, on note la réduction de ces diphtongues à une voyelle

longue :

ay – ē :

d}ay‘a – d}ē‘a « village ».

aw – ō :

mawd}a‘ – mōd}a‘ « place », « lieu » ;

fawq – fōq « au-dessus » ;

ġawle» – ġōle « femme de démon ».

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Parfois /ō/ est interchangeable avec /ū/ : ġōle = ġūle.

La diphtongaison -ay s’est maintenue au duel : bəntayn « deux filles »

(voir 6.2.2.2. Le duel) et aussi au diminutif : qsayyər « tout court » (voir 6.3. Le

diminutif). Ces diphtongues ne sont jamais réduites à une voyelle longue.

Comme dans d’autres dialectes, une diphtongue prédésinentielle apparaît à

la Fs des verbes à deuxième et troisième radicales identiques : šaddaytu « j’ai

lié » ; šaddayt « tu as lié » etc. (voir 3.1.1.2. Verbes à trois consonnes dont la

deuxième et la troisième sont identiques).

Une nouvelle diphtongaison – à /ā/ long – attestée en mardini, est due à

quelques transformations phonétiques ; la chute des voyelles brèves en syllabe

ouverte médiane du schème CV-CV-CV/CVC explique l’apparition des

diphtongues formées de la voyelle longue /ā/ et /w/ ou /y/ :

− à la Fp et à l’impératif des formes dérivées des racines à C2 /w/ ou /y/

par l’insertion de la voyelle longue /ā/ ou son allophone /ē/ (C1āC2aC3 et

tC1āC2aC3) après la C1 : tdāwmīn, tdāwmūn, ydāwmūn, dāwmi, dāwmu (dāwam «

faire quelque chose permanent ») ; t‘ēwnīn « tu (f.) aides » ; t‘ēwnūn « vous

aidez » ; y‘ēwnūn « ils aident » ; ‘ēwni « aide » (f.), ‘ēwnu « aidez! » ;‘ēwan

« aider » ; təttāwbīn « tu (f.) bâilles » ; təttāwbūn « vous bâillez » ; yəttāwbūn « ils

bâillent », ttāwbi « bâille! » (f.), ttāwbū « bâillez! » ; ttāwab « bâiller », avec

l’assimilation du préfixe /t/ par /t/, la C1 de la racine. Les participes de ces verbes

au féminin et au pluriel ont le même traitement.

− le féminin et le pluriel des participe actifs de la forme nue à C2 faible :

r}āyh}a (f. sg.), r}āyh}īn (pl.), (le masculin, singulier : r}āyəh } « qui part »).

3.4. L’harmonie vocalique

Le mardini présente des phénomènes d’harmonie vocalique. Le plus

évident de ces phénomènes est manifeste à la forme nue du verbe triconsonantique

où la voyelle de la première syllabe passe toujours à /ə/ lorsque la syllabe

adjacente comporte /ə/ (ex. : məsək « attraper » ; nəzəl « descendre » ; qə‘əd «

s’asseoir ») et à /a/ lorsque la syllabe adjacente comporte /a/ (masah } « effacer » ;

ladaġ « piquer », « mordre » ; dah~al « entrer »). D’ailleurs, le mardini - comme

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- 88 -

résultat de la réduction des voyelles brèves ainsi que de cette harmonie vocalique -

ne connaît que ces deux possibilités de distribution des voyelles pour la forme

verbale triconsonantique nue.

3.5. L’élision

Pour éviter l’hiatus entre la voyelle finale d’un mot et la voyelle initiale du

mot suivant, le mardini fait recours à l’élision. Des deux voyelles qui se

rencontrent, la voyelle qui disparaît sera toujours celle qui est quantitativement

inférieure. Les situations les plus fréquentes sont :

– l’élision de la voyelle /a/, le morphème de la Fp, 1ère

personne, singulier,

à sa rencontre avec la voyelle o du morphème de la négation, mo :

mō-ği « je ne viens pas » ← mo aği ;

mō-t }ēq « je ne peux pas » ← mo at }ēq.

– l’élision de la voyelle /a/, le morphème de la Fp, 1ère

personne, singulier,

à sa rencontre avec la voyelle /a/ du morphème du futur ta :

tar}ōh} « je partirai » ← ta-’ar}oh} ;

taskar « je m’enivrai » ← ta-’askar.

Observation : ces structures ne peuvent pas se confondre avec le Fp à la

deuxième personne, masculin, singulier, parce que le morphème est t(ə) pour

toutes les formes verbales : tr}ōh} « tu pars » ; təskar « tu t’enivres ». Une exception

est à mentionner : l’élision ne se produit pas à la première personne – Fp – des

verbes akal « manger » et ah~ad « prendre » (qui ont en classique la glottale /’/

comme première radicale) : ta’ākəl « je mangerai », ta’āh ~əd « je prendrai » (la

glottale /’/ est réalisée ici comme un léger arrêt de prononciation) pour que celle-

ci ne se confonde pas avec la deuxième personne, Fp, masculin, singulier : tākəl

« tu manges » ; tāh ~əd « tu prends ».

– l’élision de la voyelle /ə/ de la préposition fə « dans », « par » à sa

rencontre avec une autre voyelle :

f-īdāy-u « par ses mains » ← fə īday-u.

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– l’élision d’un /a/ à la rencontre du /a/ du pronom relatif la et de la

voyelle /a/ située au commencement d’un verbe :

l-akal « qui a mangé » ← la akal ;

l-ar}aw « qui ont vu » ← la ar}aw.

3.6. L’épenthèse

Pour éviter un groupe triconsonantique initial qui pourrait résulter de la

préfixation de l’article défini l aux noms à groupe biconsonantique initial ou des

morphèmes t, y, n aux formes verbales à groupe biconsonantique initial, le

mardini a recours à l’insertion d’une voyelle de disjonction – qui est toujours le

schwa /ə/ – entre la consonne préfixée et la première consonne du groupe :

m‘alləm – ləm‘alləm « instituteur » – « l’instituteur » ;

h}mār – ləh}mār « âne » – « l’âne » ;

tġayyar : tətġayyar « tu changes » ; yətġayyar « il change ».

Son instabilité dans le mot montre qu’elle n’a pas de statut phonologique :

ləm‘alləm – ləlm‘alləm « l’instituteur » – « pour l’instituteur ».

3.7. Structure syllabique

La syllabe dans les parlers anatoliens, y compris le mardini, a été très peu

étudiée. Notre tentative de présenter la structure syllabique en mardini se bornera

d’ailleurs à analyser, d’une part, le gabarit général de la syllabe et les types

syllabiques et, d’autre part, la structure syllabique.

3.7.1. Le gabarit général de la syllabe et les types syllabiques

À partir de notre corpus, on peut postuler que la structure syllabique en

mardini est constituée au minimum d’un segment et au maximum de six segments.

La structure de la syllabe peut être ainsi formulée synthétiquement :

C2

0 V21 C

20

Conformément à cette formule, la structure de la syllabe maximale sera

C1C2VVC3C4 – dont VV represente une voyelle double (longue) et non pas deux

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voyelles différentes – et la structure de la syllabe minimale sera V. Entre ces

extrêmes, les instanciations sont les suivantes :

V :

Ce type de syllabe peut apparaître seulement à l’initiale :

– [ə]-bən « fils » ; [ə]-səm « nom » ; [a]-na « moi » ; [a]-r}a « il a vu » ;

[a]-r}ōh} « je pars ».

VC

Ce type de syllabe peut :

– se constituer dans un mot indépendant : [ab] « père » ; [ah~] « frère ».

– être à l’initiale d’un mot : [a‘]-rəf « je sais » ; [əš]-či « travailleur ».

VVC

Ce type de syllabe peut se trouver à l’initiale d’un mot: [ōr]-mān « forêt » ;

[ōr]-tīye « couverture », « nappe ».

VCC

Ce type de syllabe peut se constituer seulement dans un mot indépendant :

[əh~t] « sœur » ; [əm}m }] « mère ».

CV

Ce type de syllabe peut :

– se constituer dans un mot indépendant : [ha] « celui » ; mo « ne…pas ».

– occuper n’importe quelle position dans un mot :

– initiale : [ba]-qa-r}a « vache ».

– médiale : ba-[qa]-r}a.

– finale : ba-qa-[r}a].

CVV

Ce type de syllabe peut occuper n’importe quelle position20

dans un mot :

20 En position finale la longueur de la voyelle est toujours neutralisée : ta-[lā] → ta-[la] (remplir)

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- 91 -

– initiale : [t }ā]-lə‘ « qui sort ».

– médiale : ha-[rī]-re « moût »; ša‘-[rā]-yāt « nouilles » ; čə-[wē]-rīp

« bas ».

CCV

Ce type de syllabe peut :

– se constituer dans un mot indépendant: [kwa] « voila ».

– occuper dans un mot une position :

– initiale : [sta]-rāh} « se reposer » ; [nša]- ra « être acheté » ; ğrəfu

« pelletez ».

– médiale: yə-[bra]-dūn « ils prennent froid » ;

– finale: ə-[bre] « aiguille ».

CCVV

Ce type de syllabe peut occuper une position initiale dans un mot :

[knā]-fe « sorte de gâteau » ; [qr}ā]-ye « lecture ».

CVC

Ce type de syllabe peut :

– se constituer dans un mot indépendant : [mən] « de ».

– occuper n’importe quelle position dans un mot :

– initiale : [məq]-le « poêle à frire » ; [raq]-be « cou ».

– médiale : laf-[laf]-tu « j’ai enroulé » ; far-[far]-tu « j’ai jeté ».

– finale : h}ar-[mal] « amulette » ; mar-[kan] « cendrier ».

CVVC

Ce type de syllabe peut :

– se constituer dans un mot indépendant : [fāl}] « augure » ; [qūm] « sable » ;

dāh~ « s’étourdir ».

– occuper une position initiale dans un mot : [ğām]-ği « vitrier » ; ğēhle

« jeune femme ».

– occuper une position finale dans un mot ğā-[mūs] « buffle » ; mən-[šār]

« scie ».

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CCVC

Ce type de syllabe peut :

– se constituer dans un mot indépendant : [qfəz] « saute! ».

– occuper une position initiale dans un mot : [mzar]-kaš « paré ».

CCVVC

Ce type de syllabe peut :

– se constituer dans un mot indépendant : [tr}āb] « terre », « cimetière » ;

[t }h}ēl] « rate ».

– occuper une position initiale dans un mot : [bhēm]-ki « ton (f.) pouce ».

CVCC

Ce type de syllabe peut :

– se constituer dans un mot indépendant : [‘ərs] « noce » ; [məšt }]

« peigne » ; [h~ass] « laitue ».

– occuper un position finale dans un mot : da-[h~alt] « tu es entré ».

CVVCC

Ce type de syllabe se constitue uniquement dans un mot indépendant :

[‘ār}r}] « laid » ; [t }ās}t }] « écuelle ».

CCVCC

Ce type de syllabe se constitue uniquement dans un mot indépendant :

[nġatt] « se fâcher » ; [h~bayz] « pain » ; ğbayn « front ».

CCVVCC

Ce type de syllabe, extrêmement rare, peut apparaître seulement comme

résultat de la préfixation de l’article défini au schème CVVCC mentionnée ci-

dessus (Sasse 1971 : 52) : [lh}ār}r}] « le chaud ».

3.7.2. Conditions sur la structure syllabique

Le mardini comporte – comme tous les dialectes arabes orientaux – des

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- 93 -

syllabes ouvertes non finales à voyelles brèves. Les deux voyelles brèves du

mardini /a/ et /ə/ apparaissent dans des syllabes ouvertes non finales.

Les contraintes sur la combinaison des segments adjacents dans le cadre de

la syllabe, dégagées de notre analyse, sont les suivantes :

− aucune syllabe ne peut renfermer plus de six segments: quatre

consonnes et deux voyelles qui sont toujours identiques (formant une voyelle

longue) ;

− les séquences de deux consonnes sont attestées seulement à l’initiale ou

à la finale de la syllabe ;

− les séquences formées de voyelles sont exclues (voir 3.5. L’élision); les

seules séquences bivocaliques possibles sont celles où les deux voyelles sont

identiques (voyelles longues) ;

− le schwa ne peut pas être dans une syllabe finale ouverte ;

– les séquences biconsonantiques susceptibles de constituer la coda de la

syllabe excluent la combinaison C+/m/, /n/, /r/, /l/ (voir & Le schwa de

disjonction).

3.7.3. Le schwa de disjonction

Les noms qui ont en classique la structure C1VC2C3 sont hérités tels quels

par le mardini a une exception : si la troisième consonne est /m/, /n/, /r/, /l/, entre

les deux consonnes à finale s’interpose un schwa de disjonction :

– ‘az}əm « os » ; əbən « fils » ; nahər « rivière » ; šakəl « forme » ; ğərən21

« bassin ».

3.7.4. La chute du schwa de disjonction

Le schwa de disjonction est éliminé lorsque C2 et C3 sont séparées dans

deux syllabes différentes comme résultat de la suffixation :

– d’un affixe pronominal : əbən « fils » – əbnu « son fils » ; dəqən

« barbe » – dəqn-ək « ta barbe ».

– de l’affixe singulatif : ğəbən « fromage » – gəbne « un morceau de

fromage ».

21 Ğərən (cf. AC ğurn) est le nom d’un petit bassin d'eau en pierre ou en bois pour se laver.

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3.7.5. Groupes consonantiques

En mardini on trouve des groupes consonantiques à l’initiale et à la finale.

Ces groupes se limitent, indifféremment de leur place dans le mot, à deux

consonnes dans la même syllabe.

I. Le groupe consonantique à l’initiale apparaît dans les sept (identifiées

par nous) situations suivantes :

A) – Dans des mots où la deuxième consonne est accompagnée d’une

voyelle longue, par la chute de la voyelle brève (qui étymologiquement peut être

a, u, et i) d’après la première consonne :

a-1) C1C2āC3 et son allophone C1C2ēC3, qui correspond étymologiquement

à C1vC2āC3 (v = a, i, u), par la chute de la voyelle brève d’après C1) :

– substantifs au singulier : h}mār} « âne » ; ġlām « jeunot » ; ktēb « livre ».

– substantifs au pluriel : klēb « chiens » ; ğbēl « montagnes » ; rğēl

« hommes ».

– adjectifs au pluriel : gbār} « grands » ; ğdād « nouveaux » ; mlāh }

« bons ».

– le nom de nombre tmēnye « huit ».

a-2) C1C2īC3 :

– substantifs au pluriel : h}mīr « ânes »; bnīn « fils »;

– adjectifs au singulier : gbīr « grand », ğdīd « nouveau », smīn « gros »;

Exception : le voisinage de l’uvulaire /q/ et de la vélaire /h ~/ impose le maintien de

la voyelle /a/ d’après la première consonne : qalīl « peu»; qarīb « près », h~afīf

« vite » ; rah~īs} « bon marché ».

a-3) C1C2ūC3 :

krūm « vignes » ;

mlūk « rois » ;

t }yōr} « oiseaux ».

a-4) C1C2ūC3e ou l’allophone C1C2ōC3e (conditionnée par le voisinage des

Page 96: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 95 -

consonnes d’arrière) :

dyūke « coqs » ;

bh }ōre « mers » ;

š‘ōre « cheveux ».

a-5) C1C2ayyəC3 – le schème de diminutif :

zġayyər « tout petit » ;

qs}ayyər « tout court ».

B. Dans des mots où sont présents les morphèmes t, n, y lorsqu’ils sont

préfixés :

b-1) à un verbe concave ; dans cette situation, le préfixe forme avec la

première consonne radicale du verbe un groupe consonantique :

tqūl « tu dis » ; yqūl « il dit » ; nqūl « nous disons » etc.

b-2) à une des formes verbales triconsonantiques dérivées IIème

et IIIème

:

tr}awwa, yr}awwa, nr}awwa (r}awwa « faire voir », « indiquer ») ;

th }ērəb, yh}ērəb, nh}ērəb (« lutter »).

b-3) à la forme verbale quadriconsonantique :

tbahdəl, ybahdəl, nbahdəl (« injurier »).

C. Dans la présence du préfixe dérivationnel t- :

c-1) pour les Vème

et VIème

formes triconsonantiques, tC1aC2C2aC3 et

respectivement tC1āC2aC3 :

tġayyar « changer » ; tnawwar « s’illuminer », « s’éveiller », « devenir

intelligent » ;

tqātal « se lutter l’un contre l’autre ».

c-2) pour la IIème

forme quadriconsonantique, tC1aC2 C3aC4 :

tlaflaf « s’enrouler », « être enroulé ».

D. Dans la présence du préfixe m- du participe actif et passif :

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- 96 -

d-1) des formes verbales dérivées IIème

et IIIème

:

mzawwəğ « ce qui marie une fille à quelqu’un » ;

mkamməl « complétant » ;

mzawwağ « marié » ;

mkammal « complété » ;

mbarras « méticuleux » ;

mh }ērəb « lutteur ».

d-2) de la première forme quadriconsonantique :

– p.a. : mğa‘bər « lent à comprendre » ;

– p.p. : mbahdal « injurié ».

E. Lors de la disparition de la glottale /’/ :

e-1) pluriel : C1C2āC3 (étymologiquement : ’aC1C2āC3, la disparition,

généralisée en mardini, de la glottale /’/ entraîne aussi la chute de la voyelle) :

wlād « enfants » ;

ktāf « épaules » ;

tmān « argent » ; « monnaie » ;

bwāb « portes ».

F. Lors de la chute de la voyelle prothétique

f-1) des VIIème

, VIIIème

, IXème

, Xème

formes dérivées :

nšar}ab « être bu » ;

ftakar « penser » ;

h}marr « rougir » ;

stand }ar « attendre ».

f-2) de l’impératif triconsonantique :

msək « tiens » ;

q‘ad « assied-toi » ;

ftah } « ouvre ».

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- 97 -

f-3) les numéraux :

tnayn « deux » ;

h}da‘š « onze ».

G. Dans des mots atypiques, lors de la chute de la voyelle initiale (quand

elle forme une syllabe avec une consonne) :

Brāhīm « Ibrāhīm » ;

St }ām}būl « Istānbūl » ; « Istanbul ».

Exception : les adjectifs dérivés sur le schème aC1C2aC3 (l’élatif, l’adjectif

de couleurs et particularités) :

agbar « plus grand » ;

ah }mar « rouge » ;

a‘rağ « boiteux ».

II. Le groupe consonantique à la finale (la coda) peut être :

a) hérité :

– C1vC2C3 (v= a, i, u) : farq « différence »; sabt « samedi »; ğəld

« peau » ; h~alf « derrière » ; əh~t « soeur » (Exception : si la troisième consonne est

/m/, /n/, /r/ ou /l/, entre les deux consonnes à la finale s’interpose un schwa de

disjonction).

b) résulté de la suffixation des morphèmes /t/ à la deuxième personne du

verbe :

akalt « tu as mangé ».

En ce qui concerne les verbes à deuxième consonne radicale géminée,

quand les suffixes y sont rattachés, pour éviter une succession de trois consonnes,

entre la dernière consonne radicale et le suffixe s’interpose la diphtongue ay :

šaddaytu « j’ai lié », šaddayt « tu as lié » (šadd « lier »).

En ce qui concerne les substantifs, la rencontre de trois consonnes (groupe

biconsonantique final + les suffixes pronominaux) est admise, mais dans des

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- 98 -

syllabes différentes :

kalb-ki « ton (f.) chien », kalb-na « notre chien », kalb-kən « votre

chien » ;

ard}-ki « ta (f.) terre », ard}-na « notre terre ».

3.7.6. Schwa prosthétique

Le groupe consonantique à l’initiale absolue a un comportement assez

déroutant : chez certains locuteurs, il est altéré à l’aide d’un très légère schwa

prosthétique, ce qui change la structure syllabique ; chez d’autres, cette prosthèse

ne se manifeste pas. Les travaux sur le mardini indiquent la deuxième variante, en

passant sous silence la variante à prosthèse. Je ne fais ici qu’attirer l’attention sur

l’existence de la prosthèse à schwa, sans essayer de proposer une règle de sa

manifestation. Exemples :

zrūfe = əzrūfe « enveloppes » ;

h~təyār = əh~təyār « âgé », « vieux » ;

mh ~adde = əmh ~adde « coussin » ;

tfad}d}al = ətfad}d}al « ayez la bienveillance de…», « s’il vous plaît » ;

nh }at }t } = ənh}at }t } « être mis », « se mettre » ;

kvār}a = əkvār}a « entrepôt à produits agricoles ».

3.8. Système accentuel

En mardini, l’accent a une fonction démarcative et sa place, étant en

dépendance de la nature des syllabes, est prédictible. Cette prédictibilité est

gouvernée par les règles morphématiques suivantes :

a) Lorsqu’un mot ne comporte que des syllabes du même type, l’accent

frappe toujours la première syllabe :

a-1) syllabes courtes ouvertes :

– CV-CV : sáne « an »; már}a « femme »;

– CV-CV-CV : səğar}a « arbre »; báqar}a « vache »; bás}ale « oignon »;

Exception : même si elles se sont abrégées en mardini, les

voyelles étymologiquement longues en position finale reçoivent néanmoins

l’accent :

samá « ciel »; šəfá « santé »; hawá « vent »; ‘ašá « repas du soir » ; h}amé

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- 99 -

« belle-mère » ; baná « il a construit » ; ‘arabí « arabe ». Le suffixe -u

(étymologiquement -ū) de IIIème

personne, pluriel, Fs, ne déplace pas l’accent sur

une autre syllabe : šár}ab – šár}abu « il a bu » – « ils ont bu »; qačam – qačamu « il

a parlé » – « ils ont parlé ».

a-2) syllabes courtes fermées :

CVC-CVC : dáftar « registre »; čárčaf « drap »; sákkan « s’arrêter ».

b) quand un mot comporte une syllabe courte ouverte et une syllabe courte

fermée, l’accent tombe toujours sur la première syllabe :

b-1) la première syllabe ouverte, la deuxième fermée CV-CVC :

šəġəl « travail »; dəhən « graisse »; ġálat } « erreur »; ‘ádas « lentille »;

d}əh}ək « rire »; qəfəz « sauter ».

Exception : si la syllabe fermée se termine en un groupe consonantique,

alors l’accent frappe cette syllabe-ci :

d }əh}əkt « tu as ri » ; akált « tu as mangé ».

b-2) la première syllabe fermée, la deuxième ouverte CVC-CV :

d }árbe « un coup » ; fəh ~h ~e « piège ».

c) quand un mot comporte trois syllabes courtes :

c-1) la première fermée, les deux dernières ouvertes CVC-CV-CV,

l’accent frappe toujours la première syllabe :

márh }aba « salut » ; mah}kame « tribunal ».

c-2) la première et la troisième ouvertes, la moyenne fermée, CV-CVC-

CV :

d}əh }əktu « j’ai ri » ; d}əh}əkna « nous avons ri ».

c-3) les deux premières ouvertes et la dernière fermée CV-CV-CVC,

l’accent frappe toujours la première syllabe :

d}əh }əkət « elle a ri » ;

d) quand un mot comporte une voyelle longue, l’accent frappe toujours la

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- 100 -

syllabe qui la renferme :

‘ēqab ; ‘ēqabt ; ‘ēqabu ;

e) quand un mot comporte une syllabe longue ouverte et une syllabe

longue fermée (surlongue), ce sera toujours la deuxième syllabe qui portera

l’accent :

ğāmūs « buffle » ; nāmūs « lois » ; ğāsūs « espion ».

Observations :

L’article défini étant atone, il n’affecte jamais la place de l’accent dans le

mot :

qámar – əlqámar « lune » – « la lune » ;

zbūn – ləzbūn « brassière » – « la brassière ».

b) Le rattachement des pronoms affixes impose toujours l’accent sur la

pénultième syllabe :

qálam – qalám-i, qalám-ək, qalám-ki, qalám-u, qalám-a etc. « crayon » –

« mon crayon » etc.

‘áraf – ‘aráf-ni, ‘aráf-ək, ‘aráf-ki, ‘aráf-u, ‘aráf-a etc. « il a connu » – « il

m’a connu » etc.

máktab – maktáb-i « école » – « mon école »;

stáh~damət « elle a utilisé » – stah~damət-u « elle l’a utilisé ».

En mardini, l’accent d’intensité peut avoir, aussi, un rôle distinctif pour les

structures identiques, résultée des changements phonétiques qu’elles ont subis au

cours de l’évolution :

a) au niveau lexical :

– báyd}a « un œuf » – bayd}á « blanche ».

b) au niveau morphique :

b-1) l’adjectif suffixé, singulier, Ière

personne i (étymologiquement ī) a la

même forme avec le suffixe de relation i (étymologiquement īy) :

– dáhab – dahábi « mon or » – dahabí « doré ».

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- 101 -

b-2) le pronom suffixe, singulier, IIIème

personne, singulier -u

(étymologiquement hu) a la même forme avec le suffixe verbal -u

(étymologiquement ū) qui marque la IIIème

personne, pluriel, Fs :

– stánd}ar « il a attendu » – stand}áru « il l’a attendu » – stánd}aru « ils ont

attendu ».

Les effets de l’accent sur la structure du mot sont bien évidents lorsque

c’est la deuxième syllabe qui est accentuée (voir 3.7.5 Groupes consonantiques).

3.8.1. Intonation interrogative

L’interrogation générale (concernant une réponse positive ou négative), en

mardini, est seulement intonative – elle ne se réalise qu’au niveau suprasegmental

– et ne requiert pas de particule interrogative (comme, par exemple, hal, en arabe

classique, placée au début de la proposition; gelo, en kurde, placée aussi au début

de la proposition ; mi/mı, en turc, placée à la fin de la proposition etc.), mais il

suffit de monter le ton à la fin de la proposition affirmative pour qu’elle devienne

interrogative. Si le contour d’une proposition affirmative peut être représenté –

sans tenir compte des syllabes accentuées – par une courbe descendante, celui

d’une proposition interrogative générale sera représenté par une courbe

ascendante. Ainsi, tout énoncé pourrait être considéré comme interrogatif si le

sujet parlant lui imprime une intonation montante :

Fawzi ma‘-ək we.

Fawzi est avec toi.

Fawzi ma‘-ək we ?

Est-ce que Fawzi est avec toi ?

Ce contour est réalisé par la prononciation de la dernière syllabe accentuée

de la proposition sur un ton plus élevé que les syllabes accentuées qui la

précèdent. Dans l’exemple cité ci-dessus, la dernière syllabe accentuée est we.

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- 102 -

L’interrogation particulière, en mardini, est aussi intonative, mais

introduite par des morphèmes interrogatifs : les substituts du nom (les pronoms

interrogatifs : ayš « quoi » ; məne « qui » etc.) ou des monèmes interrogatifs (les

adverbes interrogatifs : aymāt « quand », ayn « où » etc.) Le contour d’une telle

proposition est toujours descendant :

aymāt t }ala‘t?

« Quand tu es sorti? »

3.8.2. Intégration des mots biconsonantiques au système

triconsonantique

3.8.2.1. Redoublement de la consonne finale

En mardini, deux courants opposés se manifestent : d’un côté les

consonnes géminées sont réduites en finale absolue, et de l’autre, les mots

biconsonantiques (les noms et les verbes) subissent la gémination de la consonne

finale pour être introduits dans le schème triconsonantique consacré.

La capacité que garde encore le mardini d’intégrer les mots

biconsonantiques au système des schèmes triconsonantiques arabes fait preuve

d’une certaine vitalité de ce dialecte; cela prouve aussi que le système structural

est encore assez solide pour être créatif. Les mots qui subissent cette

transformation peuvent être :

a) d’origine arabe :

– classique :

tamm ← fam (avec la transformation aussi de /f/ initial en /t/) « bouche ».

(pluriel : tmūme « bouches ») ;

šaffe ← šafə(t) « lèvre » ( pluriel : šəfēyəf) ;

m}ayy ← mā’ « eau » ;

damm ← dam « sang » ;

h }amm ← h}am « beau-père ».

– résultés d’une réduction phonétique et puis reconstruits :

ġāll ← ġāl ← ġāli « cher » ;

‘āll ← ‘āl ← ‘āli « haut ».

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- 103 -

c) des emprunts :

lazze ← du kurde lez « empressement », « précipitation » ;

bažže ← du kurde bej « terre aride » ;

čəppe « gauche », « gaucher » ← du kurde çep « gauche », « gaucher » ;

varr – yvərr « jeter » ← du turc vur[mak] « jeter » ;

čaqq – yčəqq « allumer; avoir raison de quelqu’un, dans le sens de vaincre

quelqu’un à un jeu, comme le trictrac, les cartes » ← du turc çak[mak]

« allumer » ;

pall – ypəll « timbrer »← du substantif turc pul « timbre » ;

m}ač}č}a ← du turc maça « pique » (au jeu de cartes).

3.8.2.2. L’allongement de la voyelle médiale

L’allongement de la voyelle médiale des mots biconsonantiques constitue,

entre autres, une modalité de les intégrer au système triconsonantique, ces mots

étant ainsi assimilés aux schèmes nommés « concaves » par les grammairiens

arabes (c’est-à-dire à C2 faible : /y/ ou /w/ :

mīž← du kurde mij « brouillard » ;

lōr « ourda » (sorte de fromage) ← du kurde et du turc lor « ourda » ;

pāče ← du turc paça « un plat à têtes de mouton (avec leur cerveaux et

langues), estomacs de mouton et pieds de mouton » (plus exactement, la

partie de la jambe située entre le sabot et le genou) (cf. le turc paça « pieds

de moutons ») ;

lāle « tulipe » ← du turc lale, du kurde lale « tulipe » ;

lāše « corps » ← du kurde laş « corps », du turc leş « charogne » ;

bēl « taille » ← du turc bel « taille », « lombes » ;

pīl « lanterne électrique » ← du turc et du kurde pil « pile », « lanterne » ;

pūl « pion » ← du turc pul « pion » (au jeu de trictrac).

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- 105 -

4. Les catégories grammaticales du mardini

Les catégories grammaticales connues pour les mots fléchis22

dans les

langues sémitiques, le cas, le nombre, le genre, la personne, le temps, le mode et

la voix, ne sont pas pertinentes dans leur totalité pour le mardini. Ainsi, il n'existe

pas de flexion casuelle, comme dans tous les dialectes arabes actuels.

L’opposition actif – passif est marquée seulement par des morphèmes

dérivationnels (šər}əb – nšar}ab « il a bu » – « il a été bu ») qui ont survécu ; les

autres, les morphèmes substitutifs, essentiellement des alternances vocaliques (cf.

AC šariba – šuriba « il a bu » – « il a été bu »), ont disparu.

Le nombre

La catégorie du nombre est pertinente pour la classe nominale, mais tous

les noms ne connaissent pas les trois formes de nombre existant en mardini, le

singulier, le duel et le pluriel. Tandis que le substantif a tous les trois nombres,

l’adjectif en connaît seulement deux, le singulier et le pluriel. Un substantif au

duel s’accorde toujours avec un adjectif au pluriel.

Le genre

Le mardini a deux genres: masculin et féminin. Cette opposition se

manifeste seulement au singulier (deux formes d’adjectifs, deux formes de

pronoms personnels pour la deuxième personne (ənt – ənti) et la troisième (hūwe –

hīye) ; au pluriel, il n’existe pas une opposition de genre ce qui a mené à la

survivance d’une seule forme aux adjectifs, aux pronoms personnels (əntən,

hənne), aux démonstratifs (hawde, hawke) etc.

Le substantif connaît une gamme de pluriels qui est encore d’une grande

diversité, obtenue par des morphèmes additifs ou/et des morphèmes substitutifs,

mais au pluriel le substantif n’a aucune manifestation du genre.

La personne

Vu les contraintes de genre et nombre, le mardini a maintenu seulement –

en comparaison avec le classique et la majorité écrasante des dialectes arabes

22 Un mot, comme unité lexicale, est considéré fléchi quand il a un ensemble de formes constituées

dans un paradigme flexionnel. L’extension du paradigme flexionnel dépend des catégories

grammaticales qui l’affectent et du nombre de valeurs de chaque catégorie.

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actuels – huit personnes, cinq au singulier : ana « je », ənt « tu » (m.), ənti « tu »

(f.), hūwe « il », hīye « elle »; et trois au pluriel sans distinction du genre: nəh }ne

« nous », əntən « vous », hənne « ils ».

La conjugaison

En mardini, on distingue trois conjugaisons: une conjugaison suffixale (Fs

« forme suffixale »), une conjugaison préfixale (Fp « forme préfixale ») et une

conjugaison spécifique à l’impératif (Imp.).

Il faut noter que les distinctions de genre sont asymétriques dans le

paradigme verbal du mardini. On distingue le masculin du féminin aux personnes

du singulier (la deuxième et la troisième), mais la distinction ne se fait pas pour le

pluriel.

Personne II, singulier III, singulier

Genre Masculin feminin masculin feminin

Fs /-t/ /-ti/ /ø/ /-ət/

Fp /tə/ /t/ /tə/ ; /t-/ ;… /-in/ /yə/ ; /y-/ /tə/ ; /t-/

Imp. Ø /-i/

Personne II, pluriel III, pluriel

Fs /-tən/ /-u/

Fp /tə-/…/-ūn/ /yə-/…/-ūn/

Imp. /-u/

Personne I, singulier I, pluriel

Fs /-tu/ /-na/

Fp /a-/ /nə-/

Il est à mentionner que le verbe à la conjugaison préfixale – comme dans

toutes les variétés d’arabe – a la même forme à la IIème

personne, masculin,

singulier et à la IIIème

personne, féminin, singulier, qui ne peuvent être distinguées

que par les pronoms qui sont différents (ənt təftah }, hīya təftah }).

Les formes « nominales » du verbe

À partir d’un verbe peuvent être obtenues trois formes dites nominales : un

infinitif (= un nom d’action) et deux participes (= deux adjectifs).

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5. Morphosyntaxe verbale

Le mardini a hérité le système verbal arabe qui distingue, à côté d’une

forme verbale simple, nommée par les grammairiens arabisants la première forme

(triconsonantique ou quadriconsonantique), dans laquelle le radical verbal ne subit

aucune adjonction ou modification, des formes verbales augmentées ou dérivées,

dans lesquelles le radical verbal est modifié par redoublement d’une consonne

radicale (soit la deuxième, soit la troisième) ou allongement de la voyelle /a/ qui

suit la première consonne radicale, ou préfixation de t-, n- et st-, ou infixation

d’un -t-. Ces éléments ajoutés au radical verbal servent à exprimer des valeurs

sémantiques telles que l’intensif, l’extensif, le factitif, le moyen, le réfléchi, le

passif. Les innovations que le mardini a apportées au système verbal sont bien

nombreuses, ce qui lui confère une certaine spécificité.

5.1. Le verbe triconsonantique

5.1.1.La première forme

Elle se caractérise formellement par le fait que le radical verbal ne reçoit

aucune adjonction, ses consonnes se superposant ainsi sur les consonnes de la

racine. Les voyelles de la Fs sont soit toutes les deux /a/, soit toutes les deux /ə/,

dans une sorte d’harmonie vocalique. La voyelle thématique de la Fp est soit /a/,

soit /ə/. On notera que la voyelle du préfixe de la Fp est invariablement le schwa

/ə/.

Classes de verbes selon le timbre des voyelles de la Fs et de la Fp

La première forme verbale se divise, à partir de la voyelle thématique de la

Fs et de la Fp, en deux types qui se subdivisent eux-mêmes en deux sous-types :

a) C1aC2aC3 ayant deux sous-types :

1) C1aC2aC3 – yəC1C2əC3

2) C1aC2aC3 – yəC1C2aC3

b) C1əC2əC3 ayant deux sous-types :

1) C1əC2əC3 – yəC1C2əC3

2) C1əC2əC3 – yəC1C2aC3

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Synthétisant, on obtient le schéma suivant :

C1aC2aC3 –----------- yəC1C2əC3

C1əC2əC3 –----------- yəC1C2aC3

Exemples de verbes appartenant au premier sous-type, C1aC2aC3 –

yəC1C2əC3 :

‘ağan – yə‘ğən « pétrir » ;

bar}am – yəb}rəm « tourner » ;

bazaq – yəbzəq « cracher » ;

d}arab – yəd}rəb « frapper », « battre » ;

dah ~al – yədh~əl « entrer » ;

farak – yəfrək « frotter » ;

ġalab – yəġləb « vaincre » ;

ğaraf – yəğrəf « pelleter », « enlever (de la neige) » ;

h}alab – yəh}ləb « traire » ;

h~abaz - yəh~bəz « faire le pain » ;

h~asal – yəh~səl « laver » ;

katab – yəktəb « écrire » ;

kašat } – yəkšət } « ôter tous les couvertures, les tapis, les nattes, les matelas

de la maison et les exposer au frais air et au soleil »,

« faire le nettoyage général du printemps/automne » ;

nasağ – yənsəğ « tisser » ;

qačam – yəqčəm « parler » ;

qafal – yəqfəl « cadenasser », « fermer à cadenas » ;

qalab –yəqləb « renverser » ;

qatal – yəqtəl « tuer » ;

rafas – yərfəs « donner un coup de sabot » ;

šah ~ar – yəšh~ər « ronfler » ;

salaq – yəsləq « bouillir » ; « faire bouillir » ;

taram – yətrəm « hacher » ;

t }abah ~ – yət }bəh ~ « cuisiner ».

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Le correspondant classique : fa‘ala – yaf‘ulu et fa‘ala – yaf‘ilu.

Exemples de verbes appartenant au sous-type C1aC2aC3 – yəC1C2aC3 :

ba‘at – yəb‘at « envoyer » ;

dabah } – yədbah } « égorger », « sacrifier » ;

fatah } – yəftah } « ouvrir » ;

gabar} – yəgbar} « grandir » ;

la‘an – yəl‘an « maudire » ;

ladaġ – yəldaġ « piquer » ;

lağam – yəlğam « mettre le mors à un cheval » ;

masah } – yəmsah} « effacer » ;

nafah ~ – y ənfah ~ « gonfler » ;

qala‘ – yəqla‘ « arracher » ;

qat }a‘ – yəqt }a‘ « couper » ;

sah }ar – yəsh}ar « charmer » ;

ša‘al – yəš‘al « allumer » ;

šalah } – yəšlah } « se déshabiller » ;

t }ah }an – yət }h}an « moudre » ;

t }ala‘ – yət }la‘ « sortir », « monter » ;

za‘aq – yəz‘aq « crier » ;

zaraq – yəzraq « se lever » (se dit du soleil).

Le correspondant classique : fa‘ala – yaf‘alu.

Exemples de verbes appartenant au sous-type C1əC2əC3 – yəC1C2əC3 :

dərəq - yədrəq « fienter » (se dit des oiseaux) ;

gədəb – yəgdəb « mentir » ;

ləbəs – yəlbəs « s’habiller » ;

məsək – yəmsək « tenir », « attraper » ;

rəğəf – yərğəf « trembler » ;

sələm – yəsləm « devenir musulman ».

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- 110 -

Le correspondant classique: fa‘ala – yaf‘ilu.

Exemples de verbes appartenant au sous-type C1əC2əC3 – yəC1C2aC3 :

‘ərəq – yə‘raq « transpirer » ;

bərəd – yəbrad « prendre froid », « refroidir » ;

bət }əl – yəbt }al « se fatiguer » ;

bəzə‘ – yəbza‘ « avoir peur », « s’effrayer » ;

d}əh }ək – yəd}h}ak « rire » ;

fərəh } – yəfrah } « se réjouir » ;

ġərəq – yəġraq « se noyer »

kələb – yəklab « devenir enragé » ;

lə‘əb – yəl‘ab « jouer » ;

nəzəl – yənzal « descendre » ;

qəbəl – yəqbal « recevoir », « accepter » ;

qə‘əd – yəq‘ad « s’asseoir » ;

qəšə‘ – yəqša‘ « regarder », « voir » ;

rəkəb – yərkab « monter (une monture) », « chevaucher » ;

rəğə‘ – yərğa‘ « rentrer » ;

səkər – yəskar « s’enivrer » ;

səmə‘ – yəsma‘ « entendre » ;

səmən – yəsman « engraisser » ;

šəbə‘ – yəšba‘ « se rassasier » ;

šər}əb – yəšr}ab « boire » ;

zələq – yəzlaq « glisser ».

Le correspondant classique : fa‘ila – yaf‘alu.

Des six types classiques, on a pu identifier en mardini cinq d’eux, le

sixième, fa‘ula – yaf‘ulu, qui exprime une qualité en devenir qui sera ensuite

permanente – n’a laissé aucune trace.

Les consonnes suivantes lorsqu’elles occupent la deuxième position dans

les racines, favoriseraient le schwa : /t/, /ğ/, /r/, /k/ /h~/, /d}/, /d/ } (le schwa ayant

Page 112: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 111 -

comme correspondant en classique la voyelle /u/) et /b/, /h }/, /s}/, /f/, /m/ (le schwa

ayant comme correspondant en classique la voyelle /i/).

Les consonnes suivantes, lorsqu’elles occupent la troisième position dans

les racines, favoriseraient le schwa : /t/, /ğ/, /h~/, /d/, /r/, /ġ/, /n/ (le schwa ayant

comme correspondant en classique la voyelle /u/) et /t/, /z/, /s/, /d }/, /f/, /k/, /m/, /d}/

(le schwa ayant comme correspondant en classique la voyelle /i/).

Les consonnes suivantes, lorsqu’elles occupent la deuxième ou la

troisième position dans les racines, favoriseraient le schwa : /ğ/, /r/, /h/ (le schwa

ayant comme correspondant en classique la voyelle /u/) et /f/, /m/ (le schwa ayant

comme correspondant en classique la voyelle /i/).

Exemple de conjugaison d’un verbe « sain » à la première forme : qačam –

yəqčəm « parler » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg qačamtu aqčəm

II sg.m. qačamt təqčəm qčəm

II sg.f. qačamti təqčəmīn qčəmi

III sg.m. qačam yəqčəm

III sg.f. qačamət təqčəm

I pl. qačamna nəqčəm

II pl. qačamtən təqčəmūn qčəmu

III pl. qačamu yəqčəmūn

5.1.1.1. Impératif

L’impératif en mardini est lié à la Fp. Il y a une grande différence entre

l’impératif positif et l’impératif négatif. L’impératif positif n’est pas muni de

préfixes de personnes, mais seulement de suffixes de genre et de nombre, sg. 2.m

/ø/; 2 f. /-i/ ; pl. 2. /-u/, tandis que l’impératif négatif a aussi les préfixes de

personnes (tə-, pour la deuxième personne).

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- 112 -

L’impératif du verbe sakat – yəskət « se taire » :

Pers. Positif Negatif

II sg.m. skət ! lā-təskət !

II sg.f. skəti ! lā-təskəti !

II pl skətu ! lā-təskətu !

5.1.1.2. Verbes à trois consonnes fortes dont la deuxième et la

troisième sont identiques

Les verbes à deuxième et troisième radicales identiques comportent une

seule voyelle thématique à la Fp, un schwa /ə/ (auquel correspondent les

classiques /i/ et /u/):

C1aC2C2 – yC1əC2C2 :

daqq – ydəqq « frapper » ;

fakk – yfəkk « démonter », « défaire », « ouvrir » ;

farr – yfərr « voler » ;

ğar}r} – yğər}r} « tirer », « durer » ;

h}abb – yh}əbb « aimer » ;

h}all- yh}əll « délier », « fondre » ;

h}at }t } – yh}ət }t } « mettre », « placer » ;

h~arr – yh~ərr « couler », « susurrer » ;

hadd – yhədd « détruire », « démolir » ;

mas}s} – yməs}s} « téter » ;

nat }t } – ynət }t } « sauter » ;

pall – ypəll « timbrer » ;

qas}s} – yqəs}s} « couper » ;

rann – yrənn « sonner » ;

šadd – yšədd « serrer », « consolider » ;

tamm – ytəmm « finir » ;

varr – yvərr « jeter ».

À la Fs, la géminée reste inchangeable et une diphtongue prédésinentielle

Page 114: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 113 -

apparaît aux premières et deuxièmes personnes caractérisées par des suffixes

ayant une consonne à l’initiale (ex.: h}abbaytu, h}abbayt etc.).

La conjugaison d’un verbe à deuxième et troisième radicales identiques,

fakk – yfəkk « démonter » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg fakkaytu afəkk

II sg.,m. fakkayt tfəkk fəkk

II sg.f. fakkayti tfəkkīn fəkki

III sg.m. fakk yfəkk

III sg.f fakkət tfəkk

I pl. fakkayna nfəkk

II pl. fakkaytən tfəkkūn fəkku

III pl. fakku yfəkkūn

Le participe passif maC1C2ūC2 :

- mah}būb, mah }būbe, mah}būbīn, du verbe h}abb – yh}əbb « aimer ».

La voyelle /ū/ est remplacée par la voyelle /ō/ dans un environnement

emphatique et d’arrière :

mah}t }ōt }, mah}t }ōt }a, mah}t }ōt }īn, du verbe h}at }t } – yh}ət }t } « mettre » ;

maqs}ōs}, maqs}ōs}a, maqs}ōs}īn, du verbe qas}s} – yqəs}s} « couper ».

En ce qui concerne le participe actif de ce type verbal, je n’en ai trouvé

aucun exemple (ni dans le corpus enregistré, ni dans les réponses au questionnaire

utilisé).

5.1.1.3. Verbes à initiale vocalique

Les verbes à initiale vocalique sont, en mardini, le résultat de la disparition

de la glottale /’/ des racines qui historiquement commencent par celle-ci. Le stop

glottal est maintenu dans un seul cas : amar} – yə’mər} (qui est presque disparu).

Les verbes représentatifs pour ce type sont akal – yākəl « manger » et ah~ad –

yāh~əd « prendre », correspondant aux classiques ’akala et ’ah ~ada:

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- 114 -

Conjugaison des verbes à initiale vocalique:

Pers. Fs Fp Impératif

I sg akaltu ; ah~adtu ākəl ; āh~əd

II sg.,m. akalt ; ah~adt tākəl ; tāh ~əd kəl ; h~əd

II sg.f. akalti ; ah~adti tāklīn ; tāh ~dīn kəli ; h~ədi

III sg.m. akal ; ah ~ad yākəl ; yāh ~əd

III sg.f akalət ; ah~adət tākəl ; tāh ~əd

I pl. akalna ; ah~adna nākəl ; nāh ~əd

II pl. akaltən ; ah~adtən tāklūn ; tāh ~dūn kəlu ; h~ədu

III pl. akalu; ah ~adu yāklūn; yāh ~dūn

5.1.1.4. Verbes à deuxième consonne le stop glottal

Un seul verbe entre dans cette catégorie: sa’al – yəs’al « demander », mais

il est très rarement utilisé en mardini, étant remplacé par le verbe stah ~bar –

yəstah ~bər « demander » (voir 5.1.10. La Xème

forme).

5.1.1.5. Verbes à première consonne radicale /w/ ou /y/

En ce qui concerne les verbes à première consonne radicale /y/, ils n’ont

pas été hérités par le mardini. Les verbes à première consonne radicale /w/, peu

nombreux, peuvent être divisés selon les voyelles thématiques de la Fs et de la Fp

en trois types :

1) waC2aC3 – yəC2aC3 (a – a)

wakaf – yəkaf « goutter », « s’égoutter », « dégoutter ».

Le correspondant classique : waC2aC3a – yaC2aC3u (a – i).

waqa‘ – yəqa‘ « tomber ».

Le correspondant classique : waC2aC3a – yaC2aC3u (a – a).

waqaf – yəqaf « s’arrêter ».

Le correspondant classique : waC2aC3a – yaC2iC3u (a – i).

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- 115 -

2) wəC2əC3 – yəC2əC3 (ə – ə)

wəs}əl – yəs}əl « arriver »

Le correspondant classique : waC2aC3a – yaC2iC3u (a – i).

3) wəC2əC3 – yəC2aC3 (ə – a)

wəğə‘ – yəğa‘ « avoir mal »

Le correspondant classique: waC2iC3a – yawC2aC3u (i – a)

La consonne radicale /w/ disparaît à la Fp et à l’impératif.

Conjugaison complète du verbe waqaf – yəqaf « s’arrêter » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg waqaftu aqaf`

II sg.m. waqaft təqaf (ə)qaf

II sg.f. waqafti təqafīn (ə)qafi

III sg.m. waqaf yəqaf

III sg.f. waqafət təqaf

I pl. waqafna nəqaf

II pl. waqaftən təqafūn (ə)qafu

III pl. waqafu yəqafūn

5.1.1.6. Verbes à deuxième consonne radicale /w/ ou /y/

Les verbes concaves, c’est-à-dire les verbes dont le thème à la conjugaison

personnelle est de structure C1VVC3, v = /a/ à la Fs ; v = /a/ ou /i/ (variante

allophone /e/) ou /u/ (variante allophone o) à la Fp sont bien nombreux en

mardini. Dans les syllabes fermées à la Fs apparaît une seule voyelle, le schwa /ə/,

pour tous les verbes (correspondant aux classiques /u/ et /i/).

Ces verbes peuvent être classés selon les timbres de la voyelle de la Fp en

trois groupes:

1) /ū/:

bāl – ybūl « uriner » ;

bās – ybūs « embrasser », « baisser » ;

Page 117: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 116 -

dās – ydūs « piétiner » ;

fāt – yfūt « passer » ;

kān – ykūn « être » ;

māt – ymūt « mourir » ;

qāl – yqūl « dire » ;

qām – yqūm « se lever » ;

- ou bien la variante allophone /ō/ conditionnée par l’environnement

consonantique :

r}āh } – yr}ōh} « partir » ;

dār} – ydōr} « tourner autour » ;

ğā‘ – yğō‘ « avoir faim » ;

sāq – ysōq « conduire [des animaux], [la voiture] » ;

šāt } – yšōt } « être brûlé », « s’enfumer » (se dit des mets : əl-h }alīb šāt } « le

lait a pris un goût de brûlé ») ;

dāq – ydōq « goûter ».

La conjugaison des verbes kān « être » et qāl « dire » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg. kəntu ; qəltu akūn ; aqūl

II sg.m. kənt ; qəlt tkūn ; tqūl kūn ; qūl

II sg.f. kənti ; qəlti tkūnīn ; tqūlīn kūni ; qūli

III sg.m. kān ; qāl ykūn ; yqūl

III sg.f. kānət ; qālət tkūn ; tqūl

I pl. kənna ; qəlna nkūn ; nqūl

II pl. kəntən ; qəltən tkūnūn ; tqūlūn kūnu ; qūlu

III pl. kānu ; qālu ykūnūn ; yqūlūn

2) /ī/:

ğāb – yğīb « apporter » ;

- ou bien la variante allophone /ē/ conditionnée par l’environnement

consonantique :

bā‘ – ybē‘ « vendre » ;

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- 117 -

sāh } – ysēh} « appeler », « crier » ;

s}ār – ys}ēr « devenir » ;

t}āq – yt}ēq « pouvoir » ;

d}ā‘ – yd}ē‘ « perdre ».

La conjugaison du verbe ğāb – yğīb « apporter » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg ğəbtu ağīb

II sg.m. ğəbt tğīb ğīb

II sg.f. ğəbti tğībīn ğībi

III sg.m. ğāb yğīb

III sg.f. ğābət tğīb

I pl. ğəbna nğīb

II pl. ğəbtən tğībūn ğību

III pl. ğābu yğībūn

3) /a/ à la Fp :

nām – ynām « dormir » ;

bāt – ybāt « passer la nuit dans un endroit » ;

La conjugaison du verbe nām – ynām « dormir » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg nəmtu anām

II sg.m. nəmt tnām nām

II sg.f. nəmti tnēmīn nāmi

III sg.m. nām ynām

III sg.f. nāmət tnām

I pl. nəmna nnām

II pl. nəmtən tnāmūn nāmu

III pl. nāmu ynāmūn

Page 119: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 118 -

5.1.1.7. Verbes à finale vocalique

Les verbes à finale vocalique se divisent, à partir de la voyelle finale de la

Fs et de la Fp, en deux types qui se subdivisent eux-mêmes en deux catégories :

a-1) Fs à finale /a/, Fp à finale /i/ :

- les correspondants des verbes classiques C1aC2ā – yaC1C2ī qui ont un

nom d’action à finale /’/ garderont en mardini les mêmes voyelles finales à la Fs et

à la Fp qu’en classique :

bəka – yəbki « pleurer » (en classique, bakā – yabkī, nom d’action,

bukā’) ;

bana – yəbni « construire » (en classique, banā – yabnī, nom d’action,

binā’) ;

h~as}a – yəh~s}i « castrer » (en classique, h~as}ā – yah ~s}ī, nom d’action, h~is}ā’).

- tous les correspondants des verbes classiques C1aC2ā – yaC1C2ū auront

en mardini la voyelle /a/ à la Fs et la voyelle /i/ à la Fp :

‘ada - yə‘di « courir », « fuir » (en classique, ‘adā – ya‘dū) ;

da‘a – yəd‘i « inviter », « invoquer » (en classique, da‘ā – yad‘ū) ;

h}aba – yəh}bi « marcher à quatre pattes » (en classique, h}abā – yah}bū) ;

qala – yəqli « frire », « rôtir » (en classique, qalā – yaqlū) ;

tala – yətli « emplir » (en classique, talā – yatlū) ;

h}aša – yəh}ši « farcir », « remplir » (en classique, h}ašā – yah}šū) ;

ma‘a – yəm‘i « bêler » (en classique, ma‘ā – yam‘ū, mais le sens est

« miauler »).

- les verbes résultés de la réduction de la IVème

forme (la disparition du

stop glottal initial qui caractérise cette forme). Phonétiquement (les voyelles

finales sont spécifiques à IVème

forme de ces racines et non pas à la première

forme) et sémantiquement (la signification factitive), ces verbes sont des résidus

provenant de la IVème

forme (voir 5.1.4. Une forme résiduelle : la IVème

forme) :

t }afa – yət }fi « éteindre » (expliqué par la IVème

forme, ’at }fa’a – yut }fi’u) ;

‘at }a – yə‘t }i « donner » (expliqué par la IVème

forme, ’a‘t }ā – yu‘t }ī) ;

Page 120: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 119 -

bada – yəbdi « commencer » (expliqué par la IVème

forme, ’abda’a –

yubdi’u) ;

kara – yəkri « louer » (expliqué par la IVème

forme, ’akrā - yukrī) ;

gara – yəgri « bavarder », « médire » (expliqué par la IVème

forme, ’akrā –

yukrī23

; « prolonger un entretien »; ex.: ’akraynā l-h}adīta l-laylata « nous avons

prolongé nos entretiens fort avant dans la nuit », cf. Kazimirski).

La conjugaison du verbe h}aša – yəh}ši « farcir » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg h}ašaytu ah }ši

II sg.m. h}ašayt təh}ši h }ši

II sg.f. h}ašayti təh}šayn h }šay

III sg.m. h}aša yəh }ši

III sg.f. h}ašat təh}ši

I pl. h}ašayna nəh }ši

II pl. h}ašaytən təh}šawn h }šaw

III pl. h}ašaw yəh }šawn

La conjugaison du verbe ‘at }a – yə‘t}i « donner » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg ‘at}aytu a‘t}i

II sg.m. ‘at}ayt tə‘t}i ‘t }ī

II sg.f. ‘at}ayti tə‘t}ayn ‘t }ay

III sg.m. ‘at}a yə‘t}i

III sg.f. ‘at}at tə‘t}i

I pl. ‘at}ayna nə‘t}i

23 Les deux verbes kara – yəkri et gara – yəgri proviennent apparemment de la même racine, mais je crois que kara « louer » provient de la racine kry « sommeiller » et gara « bavarder » de krw

« creuser », « approfondir un sujet » avec le changement de /k/ en /g/, phénomène fréquent en

mardini. La réalisation de /k/ en kara « louer » peut être le résultat de sa réinterprétation en

comparaison avec le turc kira « location », « louage ».

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- 120 -

II pl. ‘at}aytən tə‘t}awn ‘t }aw

III pl. ‘at}aw yə‘t}awn

a-2) Fs à finale /a/, Fp à finale /a/ :

- tous les correspondants des verbes qui ont en classique un nom d’action

qui a comme C3 la glottale /’/ précédée par la voyelle /ā/ :

baqa – yəbqa « rester » (en classique, baqiya – yabqa, nom d’action,

baqā’) ;

qar}a – yəqr}a « lire » (en classique, qara’a – yaqra’u, nom d’action,

qirā’at).

La conjugaison du verbe baqa – yəbqa « rester » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg baqaytu abqa

II sg.m. baqayt təbqa bqa

II sg.f. baqayti təbqayn bqay

III sg.m. baqa yəbqa

III sg.f. baqat təbqa

I pl. baqayna nəbqa

II pl. baqaytən təbqawn bqaw

III pl. baqaw yəbqawn

b-1) Fs à finale /i/, Fp à finale /a/ :

- les correspondants des verbes classiques C1aC2iyā – yaC1C2ā qui ont un

nom d’action à finale /y/ auront en mardini la voyelle /i/ à la Fs, comme celui-ci,

et à la Fp garderont la même voyelle qu’en classique, /a/ :

nəsi – yənsa « oublier » (en classique, nasiya – yansā, nom d’action nasy).

- les correspondants des verbes qui ont en classique comme finale la

glottale /’/, précédée à la Fs et la Fp par la voyelle /u/) :

bət }i – yəbt }a « être en retard » (cf. AC bat }u’a – yabt }u’u).

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La conjugaison du verbe bət }i – yəbt }a « être en retard » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg bət }ītu abt }a

II sg.m. bət }īt təbt }a bt }a

II sg.f. bət }īti təbt }ayn bt }ay

III sg.m. bət }i yəbt }a

III sg.f. bət }yət təbt }a

I pl. bət }īna nəbt }a

II pl. bət }ītən təbt }awn bt }aw

III pl. bət }yu yəbt }awn

b-2) Fs à finale /i/, Fp à finale /i/ :

- les correspondants des verbes classiques C1aC2ā – yaC1C2ī qui ont un

nom d’action à finale /y/ auront en mardini la voyelle /i/ à la Fs, comme celui-ci,

et à la Fp garderont la même voyelle qu’en classique, /i/ :

məši – yəmši « marcher », « aller » (en classique, mašā – yamšī, nom

d’action, mašy) ;

h}əmi – yəh}mi « s’echauffer » (en classique, h}amā – yah}mī, nom d’action, h}amy) ;

dəwi – yədwi « hurler » (en classique, dawā – yadwī, nom d’action, dawy)

(ex. : əl-hawa yədwi « le vent mugit »).

La conjugaison du verbe məši – yəmši « marcher » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg. məšītu amši

II sg.m. məšīt təmši mši

II sg.f. məšīti təmšayn mšay

III sg.m. məši yəmši

III sg.f. məšyət təmši

I pl. məšīna nəmši

II pl. məšītən təmšawn mšaw

III pl. məšyu yəmšawn

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- 122 -

5.1.1.8. Verbes irréguliers

Les verbes irréguliers sont ceux qui ont une racine comportant deux

« anomalies », la deuxième et la troisième radicales « faibles ». Les plus courants

verbes de ce type sont ceux qui suivent le modèle des verbes à troisième radicale

« faible » :

ğa – yəği « venir » ;

t }awa – yət }wi « plier », « rouler » ;

d}awa – yəd}wi « illuminer », « éclairer24

» ;

‘awa – yə‘wi « aboyer », « hurler » (se dit du chien, du loup).

La conjugaison du verbe ğa – yəği « venir » :

Pers. Fs Fp

I sg ğītu aği

II sg.m. ğīt təği

II sg.f. ğīti təğayn

III sg.m. ğa yəği

III sg.f. ğətt təği

I pl. ğīna nəği

II pl. ğītən təğawn

III pl. ğaw yəğawn

Obs.: Le schwa peut disparaître avant les syllabes longues fermées (-ğayn;

-ğawn): tğayn; tğawn; yğawn.

Participe actif: m. sg. ğēy ; f. sg. ğēye ; pl. ğəyyāy.

Pour l’impératif de « venir », une forme supplétive (provenant d’une autre

racine) est employée: ta‘ān, ta‘āni, ta‘ānu (cf. AC ta‘āla).

24 Pour les deux derniers verbes, voir aussi Wittich, Michaela (2001: 66).

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- 123 -

5.1.2. La IIème

forme

La IIème

forme dérivée se caractérise morphologiquement par le

redoublement de la seconde consonne radicale, C1aC2C2aC3, sauf le nom d’action

qui se forme sur le schème taC1C2īC3.

Accompli : C1aC2C2aC3

Inaccompli : yC1aC2C2əC3

Impératif : C1aC2C2əC3

Nom d’action : taC1C2īC3

Participe actif : mC1aC2C2əC3

Participe passif : mC1aC2C2aC3

La conjugaison d’un verbe de IIème

forme : kassar « briser », « casser » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg kassartu akassər

II sg.m. kassart tkassər kassər

II sg.f. kassarti tkasrīn kasri

III sg.m. kassar ykassər

III sg.f. kassarət tkassər

I pl. kassarna nkassər

II pl. kassartən tkasrūn kasru

III pl. kassaru ykasrūn

Observation : la sylabe C2ə tombe toujours, si C3 forme avec le suffixe une

autre syllabe :

tkassərīn →tkasrīn (variante : tkassrīn),

tkassərūn → tkasrūn

ykassərūn → ykasrūn

kassəri → kasri

kassəru → kasru

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- 124 -

La IIème

forme dérivée des racines à anomalies diverses :

a) pour les racines à troisième consonne « faible » (historiquement /w/, /y/

et /’/) il y a un seule possibilité : C1aC2C2a – yC1aC2C2i : wadda – ywaddi

« emporter » ; h}amma – yh}ammi « échauffer » ; ġat }t }a – yġat}t }i « couvrir » ; qaffa –

yqaffi « trouver » ; bakka – ybakki « faire pleurer » ; halla – yhalli « laisser » ;

war}r}a – ywar}r}i25 « faire voir », « montrer »; h~abba – yh~abbi « cacher » ; s}alla –

ys}alli « faire la prière rituelle » ; qar}r}a – yqar}r}i « faire lire », « entretenir

quelqu’un à l’école » ; ġanna – yġanni « chanter » ; samma – ysammi

« nommer » ; ‘awwa – y‘awwi « aboyer » ; ‘alla – y‘alli « soulever » ; « élever » ;

gadda – ygaddi « mendier » ; ‘abba - y‘abbi « remplir », « faire le plein ».

La conjugaison suffixale de ce type de verbes se superpose à la

conjugaison suffixale de verbes nus à C2 et C3 identiques (sauf toutes les IIIème

personnes).

La conjugaison d’un verbe de IIème

forme dérivée d’une racine à troisième

consonne « faible » : qaffa - yqaffi « trouver », « retrouver » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg qaffaytu aqaffi

II sg.m. qaffayt tqaffi qaffi

II sg.f. qaffayti tqaffayn qaffay

III sg.m. qaffa yqaffi

III sg.f. qaffat tqaffi

I pl. qaffayna nqaffi qaffaw

II pl. qaffaytən tqaffawn

III pl. qaffaw yqaffawn

b) pour les racines à deuxième consonne « faible » (historiquement /w/,

/y/), les verbes ne présentent rien de particulier: nayyam « faire dormir » ; d}ayya‘

« perdre » ; t }ayyar « faire voler (les oiseaux) » ; sayyab « laisser errer », « laisser

25 Une métathèse de r}awwa qui existe dans d’autres dialectes aussi.

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- 125 -

à l’aventure » ; qayyam « élever [une maison] » ; mawwat « faire mourir »,

« tuer »; dawwah ~ « éblouir », « étourdir », « abasourdir » ; dawwaq « gêner »,

« serrer », « presser », « ennuyer »;

c) pour racines à première consonne « faible », /w/ et /y/ se comportent

comme des consonnes « fortes » : was}s}al – ywas}s}əl « faire arriver »,

« accompagner » ; waqqaf – ywaqqəf « arrêter » ; wağğa‘ – ywağğə‘ « provoquer

une douleur » ; yaqqan – yyaqqən « croire », « se fier » ; yas}s}aq – yyas}s}əq

« interdire » (cf. le turc yasak « interdit »). Les dérivés d’une racine à première

consonne /’/ la gardent seulement à la Fp : adda – y’addi « faire du mal », « faire

souffrir ». Souvent, le stop glottal, occupant, historiquement, la première position

de la racine, est remplacé par /w/ : waddan – ywaddən « appeler à la prière »,

« annoncer l’heure de la prière ».

d) pour les racines à deuxième et troisième radicales identiques il n’y a pas

de verbes forgés sur ce schème parce qu’une dissimilation harmonique26

se

produira toujours : laff « envelopper » → *laffaf → laflaf « envelopper avec

soin », « enrouler », résultant ainsi un verbe quadriconsonantique (voir 5.2.1 La

première forme des verbes quadriconsonantiques).

Un verbe spéciale de IIème

forme : sawa « faire »

Le verbe le plus employé en mardini (voir 3.6. Les constructions verbo-

nominales), sawa « faire » est un verbe de deuxième forme qui a subi une

dégémination (Jastrow 1995 : 98) et qui continue de s’éroder phonétiquement à

cause de son grand usage.

26 Ce phénomène se manifeste aussi dans l’arabe classique, mais il est loin d’être

généralisé comme dans le mardini. Ainsi peuvent être expliqués des verbes coraniques

comme zah }zah}a « jeter / pousser loin », « écarter » qui vient de zah }h}a « déplacer »,

« écarter » en passant par zah}h}ah}a ; kabkaba « culbuter », « précipiter de haut en bas », « précipiter » qui vient de kabba « culbuter », « précipiter » en passant par kabbaba etc.

(Chouemi 1966 : 229 ; Lisān, III, 296 ; II, 189)

Page 127: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 126 -

Voici ci-joint sa conjugaison :

Pers. Fs Fp Imperatif

I sg sawaytu / saytu asawi / asay

II sg.m. sawayt / sayt tsawi / tsay sawi / say

II sg.f. sawayti / sayti tsawayn / tsayn saway / say

III sg.m. Sawa ysawi / ysay

III sg.f. Sawat tsawi / tsay

I pl. sawayna / sayna nsawi / nsay

II pl. sawaytən / saytən tsawawn / tsawn sawaw / saw

III pl. Sawaw ysawawn / ysawn

Les valeurs de la IIème

forme

Au point de vue du sens, la IIème

forme est, en général, factitive et

intensive. Dans notre corpus, sa valeur principale est celle de factitif-causatif.

1.valeur intensive :

a) effectuer une action avec intensité: kassar « briser », « casser »,

« rompre tout à fait, en petits morceaux » ← kasar « briser », « casser »,

« rompre »; šarrat } « mettre en lambeaux », « dechirer / dilacérer [une toile] » ←

šarīt } « bande de toile » ; mazzaq « déchirer tout à fait » ← mazaq « déchirer ».

Exemple :

qatal-u qatle, kassar ‘əz }mān-u kəll-ən

Il lui avait administré une si bonne raclée qu’il lui a brisé tous les os en

petits morceaux (ici qatal « administrer une bonne raclée », « battre à mort »).

b) prolonger l’action dans le temps: dawwar « chercher » (avec la

préposition ‘ala); « se promener », « voyager »27

← dār} « tourner », « aller tout

autour ».

27 dawwar ayant le sens de « se promener », « voyager » est, en fait, un verbe de Vème forme qui a

perdu le préfixe t- par haplologie. Cela arrive assez fréquemment dans d’autres dialectes aussi,

comme par exemple dans le libanais: ’addam « avance », rawwe }ğ « dépêche-toi » (Fleisch 1986 : 90).

Page 128: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 127 -

Exemples :

ydawwər ‘ala sōq mšawwaš.

Il cherche un marché désordonné (qui n’a pas de règles).

Samra trīd tdawwər, am}m}a mā-‘ənd-a waqt.

Samra veut se promener, mais elle n’a pas du temps.

c) faire quelque chose avec soin, avec effort: naqqa « éplucher », « trier »,

« désencombrer » ← naqa « être pur »; daggas « entasser », « remplir », « foncer

quelque chose dans une autre avec force » ← *dagas « entasser » (inexistant

maintenant en mardini, voir le classique dakasa).

2. la valeur intensive mène souvent à la valeur causative – factitive: t}a‘‘am

« faire manger », « nuire », « donner à manger » ; qaččam « faire parler »,

« inciter à la parole » ; sakkan « arrêter », « s’arrêter », « rendre tranquille » ←

*sakan « être tranquille »; qar}r}a « faire lire »; war}r}a « faire voir », « montrer » ;

bakka « faire pleurer » ; bazza‘ « faire naître la peur », « effrayer »; fallat « laisser

partir » ; fawwat « faire entrer », « introduire ».

ydalli qənēdīl-u.

Il abaisse ses bougies, il diminue la lumière de ses bougies.

əl-p}ast }a kama la fahhamət-ni əm}m}-i saytū-wa.

J’ai fait le gâteau comme ma mère me l’a appris.

rəğğāl əl-a‘me, əbn-u ymaššī-yu fə-zqāq.

Comme le vieillard est aveugle, son fils le guide (le fait marcher) dans la

rue.

lā-tqaččəm-ni ‘ala bayt-i !

Ne me fais pas parler de ma maison (ne me pousse pas à divulguer les

secrets de ma famille) !

Page 129: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 128 -

t }a‘‘amtū-hu fə-l-lōqānt }a.

Je lui ai donné à manger au restaurant.

kattabtū-hu maktūb.

Je l’ai mis à écrire une lettre.

‘alləqi l-i əč-čəġār}a !

Allume-moi la cigarette !

abū-y qar}r}ā-ni fə-l-maktab hams sənīn.

Mon père m’a soutenu à l’école cinq ans.

qar}r}aytā-hu l-i l-qazat }a.

Je l’ai fait me lire le journal.

nr}ōh} ta-ndawwər ‘ala qənēfəd fə-l-wēdi.

Nous allons pour chercher des hérissons dans la vallée.

3. de la valeur factitive découle la nuance déclarative: h}akkam « donner

une sentence », « marquer un but au football » ; s}addaq « considérer quelque

chose vrai, croire les paroles de quelqu’un » ; gaddab « considérer quelqu’un

menteur » ; mah~h~ar « considérer quelqu’un débauché / dépravé / dévergondé (cf.

AC māh~ūr, du perse mayh~ūr « qui boit du vin », signifiant « guêpier », « repaire

de débauches »), « injurier », « invectiver » ; yaqqan « considérer quelque chose

sûr et certain », « croire » ; sallam « dire ‘səlām’ », « saluer ».

4) la fonction dénominative, c’est-à-dire la dérivation directe d’un nom,

avec des valeurs diverses :

a) être doué avec l’objet respectif: zallaf « porter des cadenettes » ← zəlf

« cadenette », « tire-bouchon » (dans le syntagme: yahūdi mzalləf « juif qui port

cadenettes / tire-bouchons le long des joues »); ġayyam « être couvert de nuages

(se dit du ciel) » ← ġaym « nuage » (dans le syntagme: sama mġayyəme « ciel

Page 130: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 129 -

nuageux ») ; samma « nommer » ← əsəm « nom » ; sawwaq « faire des achats »

← sōq « marché » ; kawwam « amasser », « entasser » ← kawm « tas » ; « amas ».

b) confectionner, fabriquer, préparer l’objet respectif ou l’employer: salla‘

« faire une fente, un trou » ← sal‘ « fente » (voir surtout le participe actif: msallə‘

« carrelet » ; « passe-lacet »).

c) devenir comme l’objet respectif, se transformer en lui, prendre ses traits,

ses qualités: dahhab « couvrir/plaquer avec de l’or », « dorer » ← dahab « or »;

šamma‘ « cirer [une toile] » ← šama‘ « cire » (dans l’expression: šamma‘ əl-h~ayt},

« cirer le fil », c’est-à-dire « ficher le champ », « enfiler la venelle ») ; šarram

« feindre », « faire une forte entaille », « faire une brèche dans la défense (au

football) » ← šarm « entaille » ; h}amma « chauffer », « réchauffer » ← h}āmi

« chaud » ; sammam « empoisonner », « intoxiquer » ← samm « poison » ; dazzan

« arranger », « mettre en ordre » (aussi dawzan) ← du substantif turc düzen

« ordre » ; bawwam « présager un malheur » ← būme « hibou » (oiseau de

mauvais augure) ; sawwas « être attaqué / rongé par les vers, les gerces, les

calandres » (se dit de la laine, les céréales) ← sūs « ver », « gerce », « calandre ».

Exemple :

th }ammi l-akəl fə-l-mat}bah ~.

Elle réchauffe le met à la cuisine.

d) se diriger vers un lieu: ‘alla « se diriger en haut », « monter », mais

aussi « élever » ← *‘ala « être au-dessus / en haut ». Exemple :

‘ammo ‘ali, ‘alli la-fōq, w mōda‘-i baš-we !

Oncle Ali, monte en haut (sic!), c’est une bonne place (obs. : mōd}a‘-i baš,

« bonne place », ce syntagme est grammaticalement un état d’annexion kurde).

d) attribuer quelque chose : samma « donner un nom à quelqu’un »,

« nommer » ← əsəm « nom ».

D’autres observations :

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- 130 -

a) les verbes intransitifs et qualitatifs deviennent transitifs : fawwat

« introduire », « faire entrer / passer » ← fāt « entrer », « passer » ; gabbar}

« élever », « faire croître » ← gabar} « croître », « grandir » ;

b) les verbes transitifs deviennent doublement transitifs: kattab « faire

écrire quelque chose à quelqu’un » ← katab « écrire »; qar}r}a « faire lire quelque

chose à quelqu’un » ← qar}a « lire » ; bawwas « faire embrasser quelque chose à

quelqu’un » ← bās « embrasser ».

Parfois, la deuxième consonne géminée C2 – qui morphologiquement

caractérise la deuxième forme dérivée – subit une dissimilation harmonique ou

phonétique : C2C2 – yC2, ce qui mène à la structure suivante : C1ayC2aC3 –

yC1ayC2əC3 :

dayh ~al – ydayh ~əl « faire entrer » ; « introduire » ;

qay‘ad – yqay‘əd « héberger », « loger », « offrir l’hospitalité à

quelqu’un » (le sens primaire : « faire assoire quelqu’un », « placer quelqu’un à

telle ou telle place ») ;

t }ayla‘ – yt }ayla‘ « faire sortir », « tirer », « retirer ». Il est intéressant ici de

mentionner que la racine t }l‘ fournit les deux variantes de la IIème

forme qui

se sont spécialisées sémantiquement: t }alla‘ « regarder » et t }ayla‘ « faire

sortir ».

Ce type de dissimilation harmonique n’est pas nouveau dans l’histoire de

l’arabe: son rôle, pour la période classique, a été bien étudié en ce qui concerne la

formation des racines quadriconsonantiques en passant par la deuxième forme

triconsonantique: sayt }ara « surveiller », « dominer », v. Coran, XXXVIII, 22)

proviendrait, d’après les lexicographes (cf. Lisān, VI, 8), de sat }t }ara « enregistrer »

(voir à ce sujet Chouémi 1966 : 231-232).

En mardini, ces verbes sont dans une phase intermédiaire, ne pouvant pas

être considérés quadriconsonantiques, parce qu’ils restent liés à la deuxième

forme triconsonantique par leur nom d’action, forgé sur le schème taC1C2īC3 :

tadhīl.

Page 132: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 131 -

Aussi, ce phénomène serait probablement développé, en mardini, sous

l’influence de l’araméen où il se manifeste : pay‘el/pay‘al, par exemple : saybar

« tolérer », « permettre » (Brockelmann 1928).

La productivité de cette forme est prouvée par l’intégration des emprunts

verbaux au turc :

qayraš – yqayrəš « mélanger », du turc karışmak « mélanger », « se

mélanger », « emmêler », « enchevêtrer » ;

čaylaš – yčayləš28

« travailler », du turc çalışmak « travailler », « se

donner de la peine » « s’efforcer (pour un travail intellectuel seulement) ».

Exemples :

lā-tqayrəš fə-l-qōnīye !

Ne te mêle pas dans la conversation !

qabəl əl-mat}ar, dayh ~alna l-qanape mən bar}r}a la-ğawwa.

Avant la pluie, nous avons introduit le canapé de dehors dedans.

5.1.3. La IIIème

forme

La IIIème

forme dérivée se caractérise morphologiquement par la voyelle

longue /ā/ après la première consonne radicale, C1āC2aC3.

Fs : C1āC2aC3

Fp : yC1āC2əC3

Impératif: C1āC2əC3

Nom d’action: mC1āC2aC3a

Participe actif: mC1āC2əC3

Participe passif: mC1āC2aC3

28 Aussi, la IIIème forme: čēlaš- yčēləš, ayant la même signification (Jastrow 1978 : 178).

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- 132 -

La conjugaison d’un verbe de IIIème

forme, dāwam « être présent au

travail », « continuer à faire constantement la même chose » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg dāwamtu adāwəm

II sg.m. dāwamt tdāwəm dāwəm

II sg.f. dāwamti tdāwmīn dāwmi

III sg.m. dāwam ydāwəm

III sg.f. dāwamət tdāwəm

I pl. dāwamna ndāwəm

II pl. dāwamtən tdāwmūn dāwmu

III pl. dāwamu ydāwmūn

Observation: le schwa est élidé, en ce qui concerne les verbes dérivés des

racines à consonnes fortes, s’il est dans une pénultième syllabe ouverte : tdāwmīn,

tdāwmūn, ydāwmūn, dāwmi, dāwmu.

La IIIème

forme dérivée des racines à anomalies diverses :

dāra – ydēri « soigner », « prendre soin de qqn. » ;

dāwam – ydāwəm « être présent au travail » ;

h}ārab – yh}ērəb « guerroyer » ;

qātal – yqētəl « lutter » ;

‘ēwan – y‘ēwən « aider ».

5.1.4. Une forme résiduelle : la IVème

forme

La IVème

forme dérivée caractérisée morphologiquement par le préfixe /’a/

’aC1C2aC3, a disparu du mardini comme, d’ailleurs, d’autres parlers

mésopotamiens (Blanc 1964 ; McCarthy/ Raffouli 1964 ; Sasse 1971). La

disparition peut être expliquée par la disparition de la consonne /’/ (voir 3.1.9

L’occlusive glottale, sonore /’/), en général, et la chute du groupe initial /’a/ en

particulier. L’inaccompli a perdu, à son tour, sa spécificité – yuC1C2iC3 – par la

fusion des voyelles /u/ et /i/ dans le schwa /ə/, se superposant ainsi sur la forme

Page 134: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 133 -

nue du verbe. Exemples : ‘ağab - yə‘ğəb « plaire » (cf. AC ’a‘ğaba – yu‘ğibu);

‘at }a – yə‘t }i « donner » (cf. AC ’a‘t }ā -yu‘t }ī).

En dehors de certains mots hérités, et d’ailleurs répandus dans tout

l’espace islamique, tel les participes actifs : məmkən « possible » , məsləm

« musulman », mūmən « croyant » et les noms d’action : īslām « islam »,

īkrām « accueil hospitalier », īmān « croyance » , īšāra « signe », qui rappellent

cette forme verbale, il y en a en mardini deux vestiges de cette forme, dus :

1) aux racines concaves qui donnent naissances aux verbes où la

distinction entre la Ière

forme et la IVème

forme existe encore à la Fp. Par exemple,

dār} – ydōr} « tourner en rond » et dār – ydīr « tourner quelque chose ». Pour éviter

l’homophonie, la consonne /r/ de la première forme a été emphatisée. Exemples :

dār}u h }awl əl-bī‘a.

Ils ont tourné autour de l’église.

ydōr}ūn h }awl əl-bī‘a.

Ils tournent autour de l’église.

dāru wəčč-ən la-l-h}āyət. }

Ils ont tourné leurs visages vers le mur.

ydīrūn wəčč-ən la-l-h}āyət }

Ils tournent leurs visages vers le mur.

À la même catégorie appartient le verbe rād – yrīd « vouloir », mais qui

n’a pas une paire opposante.

2) au verbe ar}a – yər}a « voir », qui a survécu en mardini, à la Fs,

seulement sous l’aspect phonétique de la IVème

forme, mais non pas avec son

contenu sémantique (celui de factitif-causatif, qui est rendu par la IIème

forme

dérivée de la même racine: war}r}a, « faire voir », « montrer »). À la Fp, il ne garde

plus les traits phonétiques du IVème

forme. Il est possible que le bizarre ar }a

apparaisse sous cette forme pour compenser le corpus phonétique réduit à

l’extrême de sa racine.

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La conjugaison du verbe ar}a « voir » :

Pers. Fs Fp Imp.

I sg ar}aytu ar}a

II sg.m. ar}ayt tər}a r}a

II sg.f. ar}ayti tər}ayn r}ay

III sg.m. ar}a yər}a

III sg.f. ar}at tər}a

I pl. ar}ayna nər}a

II pl. ar}aytən tər}awn r}aw

III pl. ar}aw yər}awn

Le schwa, après la consonne préfixale des formes qui renferment une

diphtongue, peut être élidée si le mot précèdent à une finale vocalique: tr}ayn;

tr}awn; yr}awn

5.1.5. La Vème

forme

La Vème

forme dérivée se caractérise morphologiquement à la fois par le

redoublement de la seconde consonne radicale (comme la IIème

forme) et par le

préfixe /t/, tC1aC2C2aC3:

Fs : tC1aC2C2aC3

Fp : yətC1aC2C2aC3

Impératif : tC1aC2C2aC3

Nom d’action : tC1aC2C2əC3

Participe actif : mətC1aC2C2əC3

Participe passif : mətC1aC2C2aC3

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La conjugaison d’un verbe de Vème

forme, t‘allam « apprendre » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg t‘allamtu at‘allam

II sg.m. t‘allamt tət‘allam t‘allam

II sg.f. t‘allamti tət‘allamīn t‘allami

III sg.m. t‘allam yət‘allam

III sg.f. t‘allamət tət‘allam

I pl. t‘allamna nət‘allam

II pl. t‘allamtən tət‘allamūn t‘allamu

III pl. t‘allamu yət‘allamūn

La Vème

forme dérivée des racines à anomalies diverses ne pose pas de

problèmes spéciaux.

Pour les racines à deuxième et troisième radicales identiques il n’y a pas

de verbes forgés sur ce schème parce qu’une dissimilation harmonique (voir 5.1.2

La IIème

forme) se produira toujours, résultant ainsi un verbe à la IIème

forme

quadriconsonantique. : laff « envelopper » → laflaf « envelopper avec soin »,

« enrouler » → tlaflaf (*tlaffaf) « s’envelopper », « s’emmitoufler » (voir 5.2.2.

La IIème

forme quadriconsonantique).

Les valeurs de la Vème

:

a) le moyen (à l’intérêt de l’agent) :

tbaddal – yətbaddal « se changer » ;

t‘allam « apprendre », « s’instruire » ;

tbayyan « paraître », « être/se rendre facile à saisir ou à distinguer » ;

t‘ašša – yət‘ašša « dîner » ;

tġadda – yətġadda « déjeuner » ;

tmassa – yətmassa « tomber / descendre le soir » ;

tfarrağ – yətfarrağ « regarder », « regarder pour son plaisir » ;

tyaqqan – yətyaqqan « être convaincu », « croire » ;

twaqqah} – yətwaqqah} « se conduire avec insolence / impertinence / effronterie ».

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b) le réfléchi-moyen où l’agent du verbe es aussit son patient :

tfad}d}al « accorder une faveur à lui même», « être assez bon pour » (cf. la

IIème

forme de la même racine : fad}d}al « accorder une faveur », « préférer »,

« placer une chose au-dessus d’une autre »), d’où l’impératif assez usité tfad }d }al

« sois si bon pour… » ;

tkayyaf – yətkayyaf « se réjouir », « se sentir à l’aise » ;

twad}d}a – yətwad}d}a « faire ses ablutions avant la prière » ;

tnawwas – yətnawwas29

« se distraire », « s’amuser » ;

zzawwağ – yəzzawwağ « se marier ».

c) le réfléchi passif où le sujet subit l’action :

tqappat } – yətqappat } « se fermer », « être fermé » ;

tqallab - yətqallab « se renverser » ;

ddašša – yəddašša « éructer », « avoir des renvois » ;

tğallad – yətğallad « geler » ; « se congeler », « être engourdi de froid ».

Observation : pour le réfléchi, le mardini tend à remplacer les verbes de

Vème

forme par une structure analytique ayant comme noyau le mot r}ōh} (esprit; la

propre personne, quelqu’un, soi-même) :

farah } ‘ala r}ōh }-u « se réjouir » ;

varr r}ōh}-u « se jeter » (ex. : varrət r}ōh }-a mə-š-šəbbāk « elle s’est jetée par

la fenêtre ») ;

samm r}ōh}-u « s’empoisonner » ;

zawwağ r}ōh}-u « se marier » ;

h}ass ‘ala r}ōh }-u « se réveiller ».

Quelques exemples d’emploi des verbes de Vème

forme :

əl-maktab ba‘d sabbe yətqappat }.

L’école sera fermée après une semaine.

arīd atğawwəz wēh }de bažarīye, lakən əmm-i qālat l-i ki mō-ts}ēr} l-i 29 Dans l’arabe parlé à Qart}mīn, tnawwas – yətnawwas (Jastrow, O., 1978: 184).

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bažarīye, yəlzəm-ni wēh}de mən d}ē‘at-na.

Je veux me marier avec une femme citadine, mais ma mère m’a dit

qu’une femme citadine n’est pas bonne pour moi (lit. : ne devient pas pour

moi), que j’ai besoin d’une femme de notre village.

hāke l-fīlm tfarrağtū-hu.

Ce film je l’ai vu.

5.1.6. La VIème

forme

La VIème

forme dérivée se caractérise morphologiquement à la fois par la

voyelle longue /ā/ après la première consonne radicale (comme la IIIème

forme) et

par le préfixe /t/, tC1āC2aC3 :

Fs : tC1āC2aC3

Fp : yətC1āC2aC3

Impératif : tC1āC2aC3

Nom d’action : tC1āC2əC3

Participe actif : mətC1āC2əC3

Participe passif : mətC1aC2aC3

La conjugaison d’un verbe de VIème

forme, tfāham – « s’entendre » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg tfāhamtu atfāham

II sg.m. tfāhamt tətfāham tfāham

II sg.f. tfāhamti tətfāhamīn tfāhami

III sg.m. tfāham yətfāham

III sg.f. tfāhamət tətfāham

I pl. tfāhamna nətfāham

II pl. tfāhamtən tətfāhamūn tfāhamu

III pl. tfāhamu yətfāhamūn

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La VIème

forme dérivée des racines à anomalies diverses ne pose pas des

problèmes spéciaux.

Les valeurs de la VIème

Les principales valeurs des verbes de VIėme

forme que nous avons trouvé

en mardini sont les suivantes :

a) la réciprocité, c’est-à-dire à l’action que le sujet exerce sur le

complément, celui-ci lui répond par une action identique :

tbāwas – yətbāwas « s’embrasser » ;

tqātal – yətqātal « se lutter », « se battre » ;

ššāwar} – yəššāwar} « se conseiller » ;

tgāraz – yətgāraz « haïr les uns les autres » (cf. le turc garez « haine »,

« animosité »).

b) le moyen, c’est-à-dire l’action est faite pour soi ou par rapport à soi :

ttāwab – yəttāwab « bâiller » ;

tnāwal – yətnāwal « prendre ».

Observation : De plus en plus fréquemment, pour la réciprocité, le mardini

emploie une structure analytique, ayant comme noyau le mot ba‘d} (les uns) :

ar}a « voir » – ar}aw ba‘d}-ən « se voir mutuellement » ;

d}arab « frapper » – d}arabu ba‘d}-ən « s’entre-frapper », « batailler » ;

d}əh }ək « rire » – d}əh}əku ma‘ ba‘d}-ən « rire ensemble ».

5.1.7. La VIIème

forme

La VIIème

forme dérivée se caractérise morphologiquement par le préfixe

/n/ : nC1aC2aC3.

Fs : nC1aC2aC3

Fp : yənC1əC2əC3

Impératif : nC1əC2əC3

Nom d’action : nC1āC2əC3

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Participe actif : mənC1əC2əC3

Participe passif : mənC1əC2aC3

La conjugaison d’un verbe de VIIème

forme, nqah }ar – « être affligé »,

« être attristé » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg nqah }artu anqəh}ər

II sg.m. nqah }art tənqəh}ər nqəh}ər

II sg.f. nqah }arti tənqəh}rīn nqəh}ri

III sg.m. nqah }ar yənqəh}ər

III sg.f. nqah }arət tənqəh}ər

I pl. nqah }arna nənqəh}ər

II pl. nqah }artən tənqəh}rūn nqəh}ru

III pl. nqah }aru yənqəh}rūn

Observation : le schwa est élidé, en ce qui concerne les verbes dérivés des

racines à consonnes fortes, s’il est dans une pénultième syllabe ouverte :

tənqəh}rīn, tənqəh }rūn, yənqəh }rūn, nqəh }rī, nqəh}ru.

La VIIème

forme dérivée des racines à anomalies diverses:

a) pour les racines à deuxième consonne « faible » (historiquement /w/,

/y/), les verbes ont toujours à la Fp la voyelle longue /ā/ :

nbā‘ – yənbā‘ « être vendu », « se vendre » ;

nqāl - yənqāl « être dit », « se dire ».

b) pour les racines à deuxième et troisième radicales identiques, les verbes

reçoivent à la Fp la voyelle /a/ :

nh }abb (nh}abbaytu) – yənh }abb « être aimé » ;

nfakk – yənfakk « être défait », « se défaire », « se disjoindre (se dit d’un

objet) » ;

ngazz – yəngazz « être mordu » ;

Page 141: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 140 -

nġatt – yənġatt « être faché » ;

nšaqq – yənšaqq « être fendu », « se fendre » ;

nh }at }t } – yənh}at }t } « être mis ».

c) pour racines à troisième radicale faible, les verbes se terminent à la Fp

en /i/ :

nt }afa – yənt }əfi « être éteint », « s’eteindre » ;

ntala – yəntəli « être rempli » ;

nhara – yənhəri « être usé / râpé / dégradé ».

Les valeurs de la VIIème

- le passif

Il faut signaler le grand nombre d’exemples fournis par cette forme, si l’on

compare avec les autres formes dérivées. Cela provient, sans doute, du fait que

cette forme est couramment usitée en mardini pour exprimer le passif de la

première forme, vu que le classique passif vocalique (c’est-à-dire C1uC2iC3) a

disparu, comme dans la plupart des dialectes, sans laisser aucune trace.

Pratiquement, tout verbe transitif a un dérivé de VIIème

forme :

n‘ağan « être pétri » ← ‘ağan « pétrir » ;

nšar}ab « être bu » ← šər}əb « boire » ;

nğarah } « être blessé » ← ğarah} « blesser » ;

nġalab – « être vaincu », « être à plat » ← ġalab « vaincre » ;

mmalak[ət] « être promise », « être fiancée » ;

nqabar « être enterré » ← qabar « enterrer » ;

nh }abas « être emprisonné » ← h}abas « emprisonner » ;

nh ~alat } « être mélangé » ← h~alat } « mélanger » ;

nh }afar « être creusé » ← h}afar « creuser » ;

nfaqaš « être brisé par le poulet [se dit d’un œuf] » ← faqaš « briser un

œuf [par le poulet] » ;

n‘aqad « être noué », « se nouer » ← ‘aqad « nouer » ;

nh }asad « être moissonné » ← h}asad « moissonner ».

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- 141 -

- le moyen

Très rarement, on rencontre aux verbes de cette forme un sens [réfléchi]-

moyen. La distinction entre le sens passif et le sens moyen est souvent très

difficile à faire parce que la ligne qui les sépare est très fragile. Tout dépend du

fait de savoir si le sujet grammatical a pris quelque part à l’action ou s’il l’a subie

complètement sans y prendre aucune part. Ainsi, les verbes suivants, à mon avis,

renferment un sens moyen :

nġaban « être fâché », « se fâcher » ;

nh }amaq « se mettre en colère », « perdre la raison » ;

nġatt « être fâché » ;

nqah }ar « être affligé », « être attristé » ;

ns}araf « s’en aller » (voir l’expression s}rəf qərš litt. : « dépense ton sou »,

signifiant « va-t-en ») ;

ns}aram « se serrer / se mettre la ceinture », « être ceinturé » (voir

l’expression s}aram ‘alay-u əl-qarīše « serrer / boucler la ceinture ») ;

mmazar (nmazar) « être boudiné » (se dit d’un homme gros, habillé de

vêtements très étroits, prêts à craquer, voir l’expression mmazar fə-h}awīs-u « être

boudiné dans ses vêtements », cf. AC mazara « faire gonfler une outre en la

remplissant d’eau » cf. Kazimirski.)

5.1.7.1. Combinaison de la VIIème

et la VIIIème

formes

Cette combinaison se rencontre aux verbes qui correspondent aux

classiques ’akala et ’ah ~ada. On sait qu’en arabe classique, pour les racines à

première consonne /’/, la VIIIème

forme remplace la VIIème

, et la consonne /’/ et

assimilée par la consonne infixale /t/. En mardini, apparaît une forme bizarre qui

réunit des éléments pris des deux formes :

ntakal « être mangé » ;

ntah ~ad « être pris30

».

30 En bagdadien, pour ce type de racines, la VIIème forme est : innikel et innikhadh (McCarthy /

Raffouli 1964 : 337). En omani, on retrouve la même situation qu’en mardini (voir Reinhardt

1894 : 18). Dans l’arabe parlé à Tlemcen, il y en a aussi le verbe nt }kél « être comestible » (Marçais 1902 : 86).

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- 142 -

Exemples :

kəbāb-ək ntakal.

Ton kebab a été mangé.

əl-maktūb nkatab.

La lettre a été écrite.

əl-bənayāt kəll-ən nzabaġu fə-zabġa bayd}a.

Toutes les constructions ont été peintes en blanc.

nt }abah~na fə-hāda l-h}ārr, s}ərna kama z-zamq.

Nous nous sommes cuits dans cette chaleur, nous sommes devenus comme

la colle.

nqabar w h ~allas}na mən-nu !

Il a été enterré et [par cela] nous nous sommes débarrassés de lui !

Ay le le le ay le le h }ənne

ğību lagan əl-abyad} tən‘əğən əl-h}ənne

əl-h}ənne mō-tən‘əğən əla mō-təği əl-kənne…

Apportez la cuvette blanche pour que la henné soit pétrie

la henné n’est pas pétrie jusqu’à ce que la belle-fille ne vient pas…

(fragment d’une chanson populaire mardinienne).

Parfois, le verbe de Ière

forme sur lequel a été forgé le verbe de VIIème

a été

éliminé – même reconstitué par moi, il n’a pas été reconnu par les natifs. Par

exemple, à nqamač « être ébréché », « s’ébrécher » (dans l’expression : nqamač

əl-qadah } « le broc s’est ébréché ») ne correspond pas une forme qamač, à ma

connaissance.

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- 143 -

5.1.8. La VIIIème

forme

La VIIIème

forme dérivée se caractérise morphologiquement par l’infixe /t/

après la première consonne radicale : C1taC2aC3 .

Fs : C1taC2aC3

Fp : yəC1təC2əC3

Impératif: C1təC2əC3

Nom d’action: C1tāC2əC3

Participe actif: məC1təC2əC3

Participe passif: məC1təC2aC3

La conjugaison d’un verbe de VIIIème

forme, štaġal – « travailler » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg štaġaltu aštəġəl

II sg.m. štaġalt təštəġəl štəġəl

II sg.f. štaġalti təštəġlīn štəġli

III sg.m. štaġal yəštəġəl

III sg.f. štaġalət təštəġəl

I pl. štaġalna nəštəġəl

II pl. štaġaltən təštəġlūn štəġlu

III pl. štaġalu yəštəġlūn

Observation : le schwa est élidé, en ce qui concerne les verbes dérivés des

racines à consonnes fortes, s’il est dans une pénultième syllabe ouverte : təštəġlīn,

təštəġlūn, yəštəġlūn, štəġli, štəġlu.

La VIIIème

forme dérivée des racines à anomalies diverses :

a) pour les racines à deuxième consonne « faible » (historiquement /w/,

/y/), les verbes ont toujours à la Fp la voyelle longue /ā/ :

štāq (štəqtu) – yəštāq « manquer de », « avoir la nostalgie de » ;

h}tāğ (h}təğtu) – yəh}tāğ « avoir besoin ».

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- 144 -

b) pour les racines à deuxième et troisième radicales identiques, les verbes

reçoivent à la Fp la voyelle /a/ :

ltamm (ltammaytu) – yəltamm « s’assembler », « se réunir ».

c) pour les racines à troisième radicale faible, les verbes se terminent à la

Fp en /i/ :

h~tafa (h ~tafaytu) – yəh~təfi « disparaître » ;

štara – yəštəri « acheter » ;

štaka – yəštəki « se plaindre » ;

h~taba – yəh~təbi « se cacher ».

Les valeurs de la VIIIème

La VIIIème

forme exprime:

a) le moyen

Le sens prédominant des verbes de la VIIIème

forme est celui d’un moyen

avec toute une série de nuances. Le moyen proprement dit, c’est-à-dire un procès

s’accomplissant dans l’intérêt de l’agent ou considéré par rapport à l’intérêt de

l’agent, est exprimé par des verbes comme :

štara « acheter » ;

stalam « recevoir » ;

ftaham « comprendre » ;

ntaqam « se venger », « prendre la vengeance ».

b) le réfléchi -moyen :

štaka « se plaindre » ;

‘taraf « se confesser » ;

s}t }abar « persévérer » ;

s}t }aff – yəs}t }aff « se ranger en ordre », « s’aligner ».

c) le réfléchi proprement dit :

h~taba « se cacher » (voir aussi le dérivé məh~tabōye « le jeu à cache-

cache ») ;

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- 145 -

h~tafa « disparaître » (ex. : h~təfi mən wəčč-i ! « va-t-en – que tu t’en ailles –

loin de ma face ! »)

d) la réciprocité :

ltaqa « se rencontrer » ;

ltamm « s’assembler », « se réunir ».

e) le passif où le sujet n’a aucune part dans l’action :

h}taraq « se brûler », être brûlé (ex. : h}taraqtu fə-š-šams « je me suis brûlé

au soleil » ;

ntasa « être oublié », « tomber dans l’oubli » ;

h~tanaq « s’étouffer » ;

stawa « se mûrir » (se dit des fruits), « se cuire » (se dit des mets).

5.1.9. La IXème

forme

La IXème

forme dérivée se caractérise morphologiquement par le

redoublement de la troisième consonne radicale: C1C2aC3C3.

Fs : C1C2aC3C3

Fp : yəC1C2aC3C3

Impératif : C1C2aC3C3

Nom d’action : C1C2əC3āC3

Participe actif : məC1C2aC3C3

Participe passif: -

La conjugaison d’un verbe de IXème

forme, h}marr « rougir » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg h}marraytu ah }marr

II sg.m. h}marrayt təh }marr h}marr

II sg.f. h}marrayti təh }marrīn h}marri

III sg.m. h}marr yəh}marr

III sg.f. h}marrət təh }marr

I pl. h}marrayna nəh}marr

II pl. h}marraytən təh }marrūn h}marru

III pl. h}marru yəh}marrūn

Page 147: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 146 -

Les verbes dérivés sur ce schème sont dénominatifs par excellence, en se

rattachant directement à un adjectif ayant la forme aC1C2aC3 (noms de couleurs et

de particularités physiques et psychiques). Ils expriment la qualité, « en devenir

tels » :

s}farr « jaunir », « devenir jaune » (cf. as}far « jaune ») ;

zraqq « devenir bleu » (cf. azraq « bleu ») ;

kwass « devenir bon / beau » (cf. kwayyəs « bon »).

Exemple :

sğār əl-ōrmān h ~d}arru.

Les arbres de la forêt ont verdi.

Le plus fréquent de ces verbes est swadd « noircir », « devenir noir » qui

est employé dans des imprécations très répandues : swadd wəčč-ək « que ton

visage soit noirci ! » ; ya məswadd əl-wəčč « toi, qui as un visage noirci31

! ».

La tendance est de remplacer ces quelques vestiges de IXème

forme par un

syntagme explicite ayant pour noyau le verbe s}ār « devenir » : ah}mar s}ār

« devenir rouge32

». Ce syntagme apparaît souvent même après les verbes de

IXème

forme, comme paraphrase, ce qui prouve que cette forme est totalement

fossilisée : wəčč-a h }marr, ah }mar s}ār « son visage a rougi, est devenu rouge ».

5.1.10 La Xème

forme

La Xème

forme dérivée se caractérise morphologiquement par le préfixe

sta-: staC1C2aC3.

Fs : staC1C2aC3

Fp : yəstaC1C2əC3 31 Ce genre d’imprécations, spécifique aux femmes, a son origine dans le Coran, III, 106 où les

gens destinés aux supplices de l’enfer seront marqués par le noircissement de leurs visages : wa

taswaddu wuğūhun « tandis que d’autres visages seront noirs ». Aussi, on peut entendre souvent, à

Mardin, une imprécation fondée sur la même idée: Al }l }a ysawwəd wəčč-kən fi šabbe w h ~ar}a kalbe! « Que Dieu rende vos visages noirs par le vitriol (alun) et la merde de chienne ! ». 32 Ce type de syntagme se trouve aussi en kurde, l’adjectif + le verbe bûn « devenir » : reş bûn

« devenir noir » ; sor bûn « devenir rouge » etc.

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- 147 -

Impératif : staC1C2əC3

Nom d’action : staC1C2āC3

Participe actif : məstaC1C2əC3

Participe passif : məstaC1C2aC3

La conjugaison d’un verbe de Xème

forme, stah ~bar « demander » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg stah ~bar}tu astah ~bər}

II sg.m. stah ~bar}t təstah ~bər} stah ~bər}

II sg.f. stah ~bar}ti təstah ~bər}īn stah ~bər}i

III sg.m. stah ~bar} yəstah ~bər}

III sg.f. stah ~bar}ət təstah ~bər}

I pl. stah ~bar}na nəstah ~bər}

II pl. stah ~bar}tən təstah ~bər}ūn stah ~bər}u

III pl. stah ~bar}u yəstah ~bər}ūn

Entre les consonnes composantes du préfixe /sta-/ se produit

sporadiquement un assimilation: /t/ est assimilé par /s/, et après cela, le groupe /ss/

est réduit à un seul /s/33

. J’ai enregistré le cas de stand }ar34

« attendre » qui, après

ces transformations-ci, devient sand }ar (voir aussi 5.2.1. La première forme des

verbes quadriconsonantiques). Il faut noter que les deux formes coexistent.

La Xème

forme dérivée des racines à anomalies diverses:

Les verbes concaves se conjuguent à Fp avec /ā/, comme ils sont

conjugués aussi aux VIIème

et VIIIème

formes et non pas en /ī/ comme dans l’arabe

classique :

star}āh} (Ière

pers.: star}ah }tu) – yəstar}āh{ « se reposer » (voir aussi pour le

bagdadien McCarthy / Raffouli 1964 : 386).

33 Ce phénomène est saisi aussi en d’autres dialectes, comme celui parlé à Tlemcen : stekber →

ssekber → sekber « s’enorgueillir » (Marçais 1902 : 83). 34 La même forme verbale existe aussi en bagdadien : stand}ar/s}t }andar « attendre » (McCarthy / Raffouli 1964 : 389).

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- 148 -

Les valeurs de la Xème

forme

La Xème

forme n’est plus productive en mardini; les verbes enregistrés sont

hérités tels quels, ayant toutes les significations connues pour l’arabe classique :

- le moyen (désidératif), « obtenir quelque chose pour soi », « chercher à

avoir quelque chose pour soi » :

stah ~bar} – yəstah~bər} « demander », « exiger une information ‘h~abar’} pour

soi » ;

sta’mal – yəsta‘məl « employer », « utiliser », « faire un travail ‘‘amal’ à

l’aide de quelque chose » ;

starğa – yəstarği « mettre son espoir ‘rağā’ en quelqu’un », « tenter sa

chance » ;

stand }ar – yəstand }ər « attendre ».

- le réfléchi-passif, c’est-à-dire l’action dans laquelle le sujet n’a aucune

part active, comme au cas des verbes exprimant un état :

stah}a – yəstah}i « avoir honte » ;

star}āh} – yəstar}āh{ « se reposer » ; « être en repos ».

- le dénominatif :

stah}add « aiguiser », « affiler », cf. h}add « l’aigu / le tranchant du fer »

(ex. : mqas}s} məstah }add « ciseaux affilés ») ;

stafraġ – yəstafrəġ « terminer », « finir », cf. fārəġ « qui a fini un travail

et n’a plus rien à faire ».

5.2. Verbes à racines quadriconsonantiques

La constitution phonique des verbes à racines quadriconsonantiques peut

être : C1C2C1C2 ou C1C2C3C4.

Les verbes à racines quadriconsonantiques se présentent à deux formes:

- la forme nue ou Ière

(C1aC2C3aC4.) ;

- la forme réflexive-passive ou IIème

(təC1aC2C3aC4) ;

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- 149 -

5.2.1.La première forme des verbes quadriconsonantiques

Fs : C1aC2C3aC4

Fp : yC1aC2C3əC4

Impératif : C1aC2C3əC4

Nom d’action : C1aC2C3aC4a

Participe actif : mC1aC2C3əC4

Participe passif : mC1aC2C3aC4

La conjugaison d’un verbe quadriconsonantique, forme nue,

mandar « passer sous le rouleau », « niveler », « tasser » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg mandartu amandər

II sg.m. mandart tmandər mandər

II sg.f. mandarti tmandərīn mandəri

III sg.m. mandar ymandər

III sg.f. mandarət tmandər

I pl. mandarna nmandər

II pl. mandartən tmandərūn mandəru

III pl. mandaru ymandərūn

Les verbes quadriconsonantiques de type C1aC2C1aC2

Ce type de verbes se forme :

1) d’une racine biconsonantique d’origine onomatopéique redoublée :

qabqab « faire du bruit avec les sabots » (cf. AC qabqaba) ;

t}abt}ab « palpiter », « battre sous l’effet d’une émotion » (ex. : t}abt}ab qalb-i

« mon cœur palpite / bat ») ;

t }aqt }aq « cogner », « frapper » (ex. : t }aqt }aq h ~ōs}at-u ‘ala l-mas}a « il a cogné

à la table par son anneau ») ;

waqwaq « caqueter » (se dit de la poule qui va pondre) ; « coasser » (se dit

des grenouilles) ; « vagir » (se dit des petits enfants) ;

wazwaz « bourdonner » (se dit des insectes) ;

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- 150 -

zaqzaq « grincer », « crépiter », « craquer » ; ex. : la tzaqzəq ba‘d ‘a-ğ-

ğām ! « ne grince plus sur le vitre ! ».

2) d’une racine triconsonantique sourde (de type C1C2C2) en passant par la

IIème

forme avec dissimilation harmonique : C1aC2C2aC2 → C1aC2C1aC2. Pour le

mardini, cette dissimilation se constitue en règle générale, aucun verbe à racine

triconsonantique à deux consonnes identiques n’a développé un verbe de IIème

(et

implicitement de Vème

) forme triconsonantique, mais seulement des formes

quadriconsonantique. Le passage par la IIème

forme se reflète dans la valeur

d’intensité que comportent ces verbes quadriconsonantiques ainsi dérivés. Cette

intensité englobe plusieurs nuances ; il s’agit :

- de faire une action avec soin, habileté, insistance :

laff « envelopper », « entortiller », « rouler » → laflaf « envelopper tout à

fait », « entortiller bien » (ex. : laflafū-hu w šant }arū-hu fī n-nahər « ils l’ont

enveloppé bien et l’ont écroulé (abattu) dans la rivière ») ;

qas}s} « couper » → qas}qas} « couper en menus morceaux », « émietter »,

« broyer », « égruger » (ex : qas}s} əl-lah }me « il a coupé la viande » –

qas}qas} əl-lah }me « il a coupé la viande en tout petits morceaux », « il a haché la

viande [avec un couteau] » ;

lamm « rassembler », « ramasser » → lamlam « rassembler / ramasser de

tous cotés ce qui a été dispersé » ; (ex. : lamm baqar}āt-u « il a ramassé ses

vaches » ; lamlam tōz əd-dahab « il a ramassé la poudre d’or » ; lamlamna əl-

fərkāyāt w naqqayna-hən « nous avons ramassé les amandes et [après ça] nous les

avons triées » ;

farr « s’envoler » → farfar « faire voler », « lancer », « jeter ».

- de répéter l’action, la faire fréquemment :

šamm « flairer », « renifler » → šamšam « flairer attentivement »,

« renifler instamment » ;

mas}s} « téter », « sucer », « humer » → mas}mas} « téter beaucoup, avec un

grand appétit ».

Observation : Les deux voies constituantes des verbes de type C1aC2C1aC2

Page 152: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 151 -

peuvent etre combinées souvent pour former des verbes à des fins expressives :

mas}mas} « téter beaucoup, avec un grand appétit » → mačmač « téter

clappant », « téter avec clappement ». Pour l’effet expressif, le /s }/ a été remplacé

par /č/ qui se constitue aussi dans une onomatopée – čə – qui rend le bruit d’un

clappement (cf. aussi le nom onomatopéique čəčče35

« mamelle », « téton », nom

utilisé par les mères pendant l’allaitement, quand elles dorlotent leur nourrisson).

Les verbes quadriconsonantiques de type C1aC2C3aC4

La plupart de ces verbes sont hérités (ils existent en arabe classique ou

dans les autres parlers mésopotamiens), mais souvent leur signification est

légèrement différente :

bahdal « injurier », « dire des injures à quelqu’un » ;

zarkaš « parer », « attifer » ;

‘anfas} « se cabrer » (ex. : əl-h}mār ‘anfas} « l’âne s’est cabré / opposé /

entêté ») ;

dangas, avec la variante dangaz « baisser » (ex. : dangas r}ās-u « il baisse

sa tête » ; cf. au classique dankasa « s’humilier », « s’abaisser » ← « rester

à la maison pour s’occuper du ménage, chose indigne d’un homme dans

l’opinion des Arabes nomades », cf. Kazimirski) ;

‘aqraq « blesser » ;

šah ~wat « faire semblant d’avoir oublié quelque chose » (ex. : la tšah ~wət-ni

« ne fais pas semblant de m’avoir oublié ») ;

zan‘ar « braire » (se dit de l’âne).

Une série de verbes quadriconsonantiques sont :

a) des dénominatifs :

čangal « accrocher par un croc », « fermer la porte par le birloir /

tourniquet » ← čangāl « croc », « crochet », « birloir », « tourniquet » ;

darwaš « devenir ‘derviche’ » ← darwīš « derviche », « homme de basse

condition » ;

35 Il apparaît dans beaucoup de berceuses aussi. Voici un vers par lequel le nourrisson est

encouragé de téter : ‘əğl əl-‘ōr} yakəl čəčče, yr}ōh} ydōr} « le veau gâté tète la mamelle et part pour se promener ».

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- 152 -

dawlab « tromper », « tricher » ← « armoire [dans l’épaisseur du mur] » ;

« roue à irrigation» avec un calque sémantique du turc dolap « armoire »,

mais aussi « fraude », imposture », « tricherie » (voir mdawləb

« trompeur », « fraudeur », « tricheur », « imposteur », synonyme avec le

turc dolapçı) ;

dawzan « arranger », « mettre en ordre » ← du turc düzen « ordre » ;

dažman « haïr », « être hostile à qqn. » ← dəžman « ennemi », « hostile »

(du kurde dijmin « ennemi », voir aussi le turc düşman « ennemi ») ;

ġarbal « tamiser », « passer quelque chose par le tamis » ← ġərbāl

« tamis » ;

hawran « être en chaleur » (se dit des chats) ← hārūn « matou » ; ex. :

thawrən əs}-s}an }n}ōr}a « la chatte est en chaleur » ;

mandar « passer sous le rouleau » ; « niveler » ; « tasser » ; et dans un sens

figuré : « rabattre les oreiller », « embêter », « scier le dos » ← mandarūne

« rouleau en pierre » ;

zangan « enrichir » ← zangīn « riche » (du turc zengin « riche »,

« fortuné »).

b) forgés sur des racines triconsonantiques, par l’insertion de phonèmes :

- la première consonne radicale d’un triconsonantique est reitérée après sa

deuxième radicale :

d}əh }ək « rire » → d}ah}d}ak « rire aux éclats ».

c) résultés de la corruption des formes dérivées des racines

triconsonantiques, spécialement de la Xème

:

sand }ar « attendre » ← stand }ar « attendre » (la Xème

forme de la racine nd }r

= nd}r).

d) provenant de locutions verbales d’où l’on emprunte tous les éléments

dont on compose le verbe en mardini : čančan yčančən « sonner les cloches à

l’église » provenant de la locution verbale turque çan çalmak « sonner les

cloches » (çan « cloche »; çalmak « sonner ». Ainsi, les Arabes mardiniens ont

considéré les deux mots composant l’expression, un seul mot et les ont traité en

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- 153 -

conséquence. La liquide finale l est dissimilée dans l’occlusive-nasale n (voir

3.1.13 La nasale /n/ et les liquides /l/ et/r/) ; cela donne l’impression que ce verbe

est formé par la réduplication d’une seule syllabe, sur le modèle des verbes

onomatopéiques de l’arabe classique et dialectal. Parfois, on forme des verbes par

cette méthode pour rigoler : gazdar – ygazdər « se promener » du turc gezdirmek

« promener », « balader », la forme causative-factitive du verbe « se promener »

(ex. : l-ayn ta-tgazdər « où iras-tu te promener ? »).

Il faut mentionner en final l’existence d’un grand nombre de participes

quadriconsonantiques dont les verbes afférents ne sont plus attestés en mardini :

mğa‘bar « lent à comprendre », « qui comprend avec une grande

difficulté » ;

mfaškal « maladroit », « grossier », « impoli », « brutal » ;

mqambar} « huppé » (se dit des oiseaux) ← qəmbūr}a « huppe » ;

mšarwal « pattu « (se dit des pigeons, poules, qui ont les pattes couvertes

de plumes) ← šərwal « culottes orientales très larges » ;

msarbas « libéré », « disponible » « sans occupation » dérivé de l’adjectif

sarbast « libre », « indépendant ». Il se peut, virtuellement, qu’un verbe

quadriconsonantique ait été constitué sur la base des consonnes srbs, mais

nous avons rencontré seulement ce participe passé.

5.2.2. La IIème

forme quadriconsonantique

La IIème

forme dérivée se caractérise morphologiquement par la préfixation

du t- à la forme nue : tC1C2aC3aC4.

Fs : tC1aC2C3aC4

Fp : yətC1aC2C3aC4

Impératif : tC1aC2C3aC4

Nom d’action : tC1aC2C3əC4

Participe actif : mətC1aC2C3əC4

Participe passif : mətC1aC2C3aC4

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La conjugaison d’un verbe quadriconsonantique, IIème

forme, tnaġwağ

« parler d’une manière inintelligible », « se donner des aires » :

Pers. Fs Fp Impératif

I sg tnaġwağtu atnaġwağ

II sg.m. tnaġwağt tətnaġwağ tnaġwağ

II sg.f. tnaġwağti tətnaġwağīn tnaġwaği

III sg.m. tnaġwağ yətnaġwağ

III sg.f. tnaġwağət tətnaġwağ

I pl. tnaġwağna nətnaġwağ

II pl. tnaġwağtən tətnaġwağūn tnaġwağu

III pl. tnaġwağu yətnaġwağūn

Les valeurs de la IIème

forme quadriconsonantique sont identiques à celles

de la Vème

forme triconsonantique :

a) le moyen (à l’intérêt de l’agent) :

tnaġwağ « parler d’une manière inintelligible », « se donner des aires » (cf.

AC naġā – naġwa « parler d’une manière inintelligible » ; tnaġwağ peut être

dérivé d’un adjectif formé de naġwa + le sufixe ği = *naġwaği « celui qui parle

d’un manière inintelligible »).

b) le réfléchi-moyen où l’agent du verbe est aussi son patient :

zzarkaš « s’attifer » (ex. : ayš zzarkašti kəde kama t }āwūs? « Pourquoi t’es-

tu attifée comme ça comme un paon ? »)

c) le réfléchi passif où le sujet subit l’action :

tgandar « rouler » ; gandar « faire rouler » ; ce verbe a aussi une variante

résultée d’une métathèse ddangar « rouler » ← dangar « faire rouler » (voir aussi

le participe passif mətgandar = məddangar « rond », « roulé ») ;

tnaqrač « ébrécher » ;

tmandar « être tassé/ nivelé (se dit d’un toit) par le

rouleau ‘mandarūne’ » ;

tbahdal « être injurié », « être humilié » ;

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- 155 -

tšarbaq « avaler », « bâfrer ».

5.2.3.D’autres formes dérivées à racines quadriconsonantiques

En ce qui concerne les deux autres formes dérivées (IIIème

et IVème

) des

racines quadriconsonantiques, il n’en subsiste en mardini que de très rares

vestiges isolés. Dans notre corpus, il n’y a que le verbe t }ma’ann (la IVème

forme

dérivée de la racine t }m’n) – « avoir confiance », « se fier », « se baser ». Sa

présence peut être expliquée par une possible influence coranique (Coran, X, 7).

Exemple :

la-Bašīr mō-t }ma’ənn, čənki mō-dōktōr we.

Je n’ai pas confiance en Bašīr, parce qu’il n’est pas docteur.

5.3. Le participe actif

Le participe actif de la forme nue se forme sur le schème C1āC2əC3. Dans

le corpus analysé, on a identifié seulement des participes actifs C1āC2əC3 dérivés

des verbes de mouvement ou d’attitude (sg. m., sg, f., pl.) :

qē‘əd, qē‘de, qə‘‘ād ;

t }ālə‘, t }āl‘a, t }əllā‘ ;

r}āyəh }, r}āyh}a, r}əyyāh} ;

ğēy, ğēye, ğəyyāy.

Le participe des verbes dérivés se forme par le remplacement du préfixe de

la Fp, y[ə], avec le préfixe m[ə] et l’occurrence de la voyelle /ə/ après C2.

Le participe des verbes nus qui expriment un état (à sujet non agentif) est

C1əC2C3ān:

fərh }ān « joyeux » – du verbe fərəh } « se réjouir » ;

bət }lān « fatigué » – du verbe bət }əl « se fatiguer » ;

h~ərfān « radoteur », « ramolli » – du verbe h~araf « radoter », « ramollir » ;

‘ərqān « transpiré » – du verbe ‘ərəq « transpirer » ;

bəz‘ān « effrayé » – du verbe bəzə‘ « effrayer » ;

ğəw‘ān – du verbe ğā‘ « avoir faim » ;

səkrān « ivre » – du verbe səkər « s’enivrer » ;

šəb‘ān – du verbe šəbə‘ « se rassasier » ;

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‘ət }šān – du verbe ‘ət }əš « avoir soif » ;

səmnān « engraissé » – du verbe səmən « engraisser » ;

gəbr}ān « grandi » – du verbe gabar} « grandir en age / en taille » ;

wərmān « enflé » – du verbe waram « enfler ».

Le participe actif de type C1āC2əC3, dans son usage verbal qui l’intègre

dans le système aspectivo-temporel, a une valeur de présent duratif: hūwe r}āyəh }

« il est partant » – « il est en train de partir » (c’est-à-dire, on le voit comme il

s’éloigne); ğēy l-ək ana « je suis venant chez toi » – « je suis en train de venir

chez toi »; « je suis en route vers toi »; ğēy ana « je viens ! ». Cette valeur de

présent duratif est plus évidente dans la combinaison de kwa « voila » et un

participe actif : kwa nēzəl « le voila descendant ! » (il est en train de descendre

sous nos regards).

Exemple:

s}ār l-ək sā‘a wāqəf qəddām maslağət-na ant. la-mən təstand }ar?

Depuis une heure, tu restes (tu es toujours) devant notre glacière. Qui

attends-tu?

Le participe actif de type C1əC2C3ān, dans son usage verbal, a une valeur

de parfait résultatif, c’est-à-dire il met en évidence le résultat au présent d’une

action commencée dans le passé :

walad-ki səmnān we « ton (f.) enfant est engraissé (a pris du poids) ».

5.4. Le Passif

a) Le passif vocalique

Les seules traces du passif vocalique en mardini sont constituées par les

participes passifs. Le schème de la forme nue est maC1C2ūC3. Dans le participe

des verbes à troisième radicale faible, la finale est toujours /i/. Le participe des

verbes dérivés se forme par le remplacement du préfixe de la Fp, y[ə], avec le

préfixe m[ə] et l’occurrence de la voyelle /a/ après C2.

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b) Le passif à préfixe

La forme dérivée à préfixe utilisée pour exprimer le passif est la VIIème

forme (voir cette forme). Comme observation générale, on peut dire qu’un verbe

de forme passive est dépourvu d’agent – le mardini n’a aucun outil pour

l’introduire – et nanti d’un sujet grammatical qui n’est autre que l’objet de

l’action.

5.5. L’infinitif (mas}dar) des verbes primitifs – avec un assez grand

nombre de variantes en arabe classique et aussi dans l’écrasante majorité des

dialectes arabes – a en mardini une seule forme : fə‘lān / fə‘lēn (qui caractérise en

arabe classique les abstraits : ‘urfān « connaissance »). Cette forme, peu

productive dans les autres dialectes arabes mésopotamiens (Blanc 1964 : 97-110),

s’est développée en mardini sous l’influence du kurde où les infinitifs s’achèvent

invariablement en in/în :

kurde : birin « prendre » ; keftin « tomber » ; rakeftin « s’endormir » ;

xistin « battre » ; bihîstin « entendre » ;

mardini : ahdēn « prendre » ; wəq‘ān « tomber » ; nawmēn

« s’endormir » ; d}ərbēn « battre » ; səm‘ān « entendre ».

Une situation semblable est signalée aussi pour le sousdialecte Gogari

(Bukhara) qui développe des infinitifs en ân sous l’influence de l’infinitif tadjik

fini en ân (Isaksson 1998 : 201).

5.6. Les constructions verbo-nominales (voir aussi Grigore 2003).

Outre les verbes hérités ou empruntés, le mardini emploie aussi une

construction verbale à partir de noms empruntés + les verbes sawa – ysawi

« faire » – un verbe de deuxième forme qui a subi une dégémination (Jastrow

1995 : 98) – pour les verbes actifs et s}ār – ys}ēr « devenir » pour les verbes passifs.

Ce procédé n’est pas spécifique au seul mardini, on le retrouve aussi dans les

autres dialectes arabes, mais dans une moindre mesure. Ces groupes verbo-

nominaux sont formés de substantifs turcs et kurdes, mais aussi arabes, en fait, des

calques d’après le turc ou le kurde avec la seule traduction du verbe, le nom

restant tel quel, bien qu’en mardini il y ait la possibilité d’exprimer la même

signification par un verbe. Il est à remarquer qu’assez souvent le nom emprunté au

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turc est à l’origine un dérivé verbal arabe (participe passif, participe actif, nom

d’action).

Les langues kurde-kourmangi et turque n’ont pas emprunté des verbes

arabes, mais utilisent un système structural identique pour construire des verbes à

partir de noms arabes empruntés (dérivés verbaux), système utilisé aussi par le

mardini. Pour la plupart des cas, les stratégies de grammaticalisation des emprunts

sont les mêmes pour des langues totalement différentes (Anghelescu 2000 : 157),

comme dans les exemples ci-dessous.

Kees Versteegh considère que ces expressions verbo-nominales – comme

il les appelle – semblent être toutes des calques d’après les expressions turques

contenant les verbes etmek « faire » pour les verbes actifs et olmak « être »,

« devenir » pour les verbes passifs. Cette affirmation se fonde sur le fait déjà

mentionné que le turc n’a pas emprunté de verbes à l’arabe, mais uniquement des

noms d’action et des participes, verbalisés à l’aide des verbes cités (Versteegh

2001 : 215). Les exemples en sont particulièrement nombreux : tabir etmek

« exprimer », du nom d’action arabe ta‘bīr « expression » ; meşgul etmek

« occuper », « préoccuper » ; meşgul olmak « être occupé », du participe passif

arabe « mašġūl » ; hâsil olmak « provenir », « résulter », du participe actif arabe

« h}ās}il » etc. Le même procédé est rencontré en kurde, où les verbes abstraits kirin

« faire » et buyîn ou bûn « être », « devenir » sont employés pour construire des

verbes actifs et, respectivement, passifs : imza kirin « signer », du nom d’action

arabe ’imd }ā’ « signe », « signature » ; mehrûm buyən « être interdit », du participe

passif arabe mah}rūm etc.

À côté de ces deux verbes grammaticalisés prédominants dans la

construction des expressions verbo-nominales, il y en a d’autres aussi, plus ou

moins grammaticalisés, tel le verbe « donner » : en turc vermek ; en kurde

dan/dayən ; en mardini ‘at }a.

Ainsi peut-on observer une similitude entre ces expressions verbo-

nominales en mardini, en turc et en kurde, ce qui les rend, dans une certaine

mesure, réciproquement compréhensibles, bien qu’il s’agisse de langues

appartenant à des familles différentes :

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- 159 -

Le sens en français mardini turc kurde

être désolé / malheureux s}ār pərīšān perişan olmak perîşan bûn/buyən

téléphoner sawa tələfōn telefon etmek telefon kirin

promettre ‘at }a sōz söz vermek soz dan/dayən

En mardini, bon nombre de ces expressions verbo-nominales se sont

fixées, formant – tout comme en turc et en kurde – une partie du lexique

fondamental. Mais à côté de celles-ci, il existe de nombreuses expressions créées

ad hoc par les locuteurs bilingues pendant la conversation. Bien que, pour la

plupart des cas, le substantif noyau soit un mot arabe emprunté au turc, les

locuteurs de mardini n’en reconnaissent plus l’origine l’empruntant comme tel au

turc avec toutes les modifications phonétiques subies. Exemples : sawa ithal, cf. le

turc : ithal etmek « importer », ithal de l’arabe ’idh ~āl « introduction »,

« admission » ; sawa taqavət, cf. le turc tekaüt etmek « aller à la retraite », tekaüt

de l’arabe taqā‘ud « retraite » etc. Parfois, la source du calque est très difficile –

même impossible – à établir.

5.7. Marqueurs temporels et aspectuels

Le mardini emploie une série de marqueurs temporels et aspectuels, qui

ajoutés aux deux conjugaisons, préfixale et suffixale – fondamentalement

opposées sur la base d’une corrélation aspectuelle : accompli / inaccompli –

engendrent un nombre impressionnant – par rapport à l’arabe classique ou aux

autres dialectes arabes – de temps et de modes, tels : qāyəm – pour exprimer le

présent continu ; baq – pour exprimer l’inchoatif ; ta – pour exprimer le futur ;

kān – pour exprimer une action réalisée ou qui se réalise dans le passé ; kəl – pour

exprimer une action réalisée avant une autre action dans le passé, et encore

d’autres. Tous ces préverbes, bien qu’ils soient, en partie, d’origine arabe, se sont

probablement développés sous l’influence des langues de la région qui

connaissent un système compliqué de modes, d’aspects et de temps.

5.7.1. Expression du présent continu (qāyəm)

L’inaccompli a la valeur ordinaire d’un présent lorsqu’il exprime une

action habituelle, une vérité d’ordre général etc. Pour exprimer un état ou une

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action en cours de réalisation, la conjugaison préfixale comporte le préverbe

qāyəm (le participe actif du verbe qām – se lever) qui s’ajoute ainsi à plusieurs

auxiliaires employés dans les dialectes arabes contemporains qui ont en commun

d’etre des formes de participe actif de verbes de position ou d’attitudes.

Cette conjugaison préfixale préverbée a le sens général de « être en train

de… » :

ana qāyəm ad}rəb h}awīsi ūt}i.

Je suis en train de repasser mon linge par le fer à repasser.

Cette construction marque la concomitance en s’opposant ainsi aux valeurs

d’habitude et de vérités générales exprimées par la conjugaison préfixale nue :

mayməti qāyəm t }ətbəh ~ mah~lōt }a signifie « ma grand-mère est en train de cuisiner

soupe [de lentilles] » alors que maymət-i t }ətbəh~ mah~lōt }a signifie « ma grand-mère

cuisine [en général] soupe [de lentilles] ». Néanmoins, cette opposition semble ne

pas être si tranchante comme elle est dans d’autres parlers : – ayš ysay ‘Ali ? ; –

qāyəm yākəl ou – yākəl « Qu’est-ce que fait Ali ? » ; « – Il est en train de

manger » ou « – il mange ». À cette opposition « hésitante » correspond une

grammaticalisation encore inachevée de cet auxiliaire qui, chez certains locuteurs,

est infléchi, et qui s’accorde, chez d’autres, en nombre et en genre avec le verbe :

ana qāyəm ākəl – ana qāyəm / qāyme ākəl.

Je suis en train de manger.

ənt qāyəm tākəl – ənt qāyəm tākəl.

Tu (m.) es en train de manger.

ənti qāyəm tāklīn – ənti qāyme tāklīn.

tu (f.) es en train de manger.

hūwe qāyəm yākəl – hūwe qāyəm yākəl.

il est en train de manger.

hīye qāyəm tākəl – hīye qāyme tākəl.

elle est en train de manger.

nəh }ne qāyəm nākəl – nəh }ne qāymīn nākəl.

nous sommes en train de manger.

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əntən qāyəm tāklūn – əntən qāymīn tāklūn.

vous êtes en train de manger.

hənne qāyəm yāklūn – hənne qāymīn yāklūn.

ils /elles sont en train de manger.

La construction à qāyəm infléchi (devenu dans l’arabe de Mossoul une

particule invariable qa) est fréquente chez les jeunes, pendant que la construction

fondée sur un qāyəm fléchi peut être entendue beaucoup plus fréquemment chez

les gens de plus de soixante ans. Cela atteste la tendance de l’évolution de la

grammaticalisation de ce préverbe.

5.7.2. Expression du subjonctif et du futur : ta

Le futur implique l’utilisation de la particule ta – qui vient de la

conjonction h}attā36

(Jastrow 1981 : 154) – qui s’ajoute à la Fp :

ğəbtu mən əl-bayt h ~bayz qawi, ta-nənqa‘-u w nākəl !

J’ai apporté de la maison du pain dur, on le mouillera et on le mangera !

h~səl čarčaf-ək! ta-təğrab !

Lave ton drap ! [Sinon], tu attraperas la gale !

ənt amīr, ana amīr, mən ta-ysōq lə-h }mīr ?

Toi, tu es émir, moi, je suis émir, alors qui conduira les ânes ?

36 H}attā la particule de laquelle dérive ta / tə indique, en classique, la limite, « jusqu’à » : h}attā

mat }la‘i š-šamsi « jusqu’au lever du soleil ». Suivie d’un verbe, elle a le sens de « afin que »,

« pour », « dans le but » (spécialement avec le futur subjonctif : wa-s}fah {ū h}attā ya’tiya allāhu « Et

pardonnez jusqu’à ce que Dieu vienne ! »). Coïncidence ou non, le mardini a développé le même

procédé que le classique pour exprimer le futur. Ainsi, en classique, la particule qui se met avant la

conjugaison préfixale d’un verbe pour lui donner la valeur de futur, sawfa (et son clitique sa-),

indique aussi la limite, la fin. Le mot sawfa est, en classique, complètement grammaticalisé, mais

au niveau lexical il existe des mots dérivés de la même racine : masāfa « distance ». Ce mot existe en hébreu : sōf « limite », « fin », avec un sens adverbial « jusqu’à la limite », « jusqu’au but » (v.

Brockelmann vol. I, 1908 : 466), lva-sōf « enfin », « finalement », sōf-sōf « après tout », « en

fin » ; en siriaque : sawpā « limite », « fin », men sōp wa-ləsōp « d’un bout à l’autre » (v.

Brockelmann 1928 : 465).

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əm}m}-i w abū-y ta-yğawn lə-bayt-kən ba‘d əl-‘aša.

Ma mère et mon père viendront à votre maison (chez vous) après le dîner.

Le futur est le temps de l’indicatif qui comporte le moins de certitude,

parce qu’un empêchement pourra toujours intervenir dans la réalisation de l’action

en s’approchant, sémantiquement, du subjonctif, ce qui explique l’emploi du

même préverbe – ta – pour introduire les deux (c’est-à-dire le subjonctif et le

futur).

En ce qui concerne les valeurs modales supplémentaires du futur, plus ou

moins chargées d’affectivité, elles sont assez nombreuses. À savoir :

- l’injonction ou le futur volitif sert à exprimer un ordre qui concerne

directement les personnes verbales que contient le mode impératif (la deuxième

du singulier, masculin et féminin, et du pluriel et la première du pluriel) ;

d’ailleurs, l’intonation est celle d’une phrase impérative :

ta-tənzal ma‘-i qəddām bāb sa‘ūr.

Tu descendras avec moi devant la Porte de Savur.

mā-ta-tr}ōh} əl-yawme !

Tu ne partiras pas aujourd’hui !

- la promesse et le vœu ; d’habitude le verbe est corrélé avec le syntagme

inša’al }l }a (« si Dieu le veut », « s’il plaît à Dieu »), avec sa variante turcisée

ənšal}l}a (cf. le turc inşallah), syntagme dont les musulmans se servent en parlant

des événements futurs, en faisant des promesses ou des vœux :

ənšal}l}a ta’adārī-k laman təği la-mērdīn.

Si Dieu le veut, je prendrai soin de toi quand tu viendras à Mardin.

ənšal}l}a ta-th}assəl ah ~ū-y !

Si Dieu le veut, tu réussiras, mon frère !

- la menace :

mā-fi ši ! ta-tər}a !

Ça ne fait rien ! Tu verras !

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- la protestation :

ta-təfrah } ssa‘ne ! ta-tkūn mərtāh } t }am}ām}!

Tu te réjouiras maintenant ! Tu seras parfaitement satisfait !

- l’atténuation d’une demande, en la plaçant dans l’avenir :

ta-t‘alləm-ni ayšwan yənt }əbəh~ əl-ballō‘ ?

Est-ce que tu m’apprendras comment se cuisinent les boulettes à œuf ?

Le subjonctif est le mode de l’événement interprété comme incertain ou

simplement soumis au jugement de la pensée, du sentiment (fût-il irréel ou réel).

Cela revient à dire qu’envisagé par l’esprit, l’événement est, le plus souvent,

présenté comme éventuel, pouvant se réaliser ou non.

5.7.3. Expression de l’imparfait (kān + )

Kān est à la fois verbe d’existence et auxiliaire verbal support de

déterminations temporelle et modale. Kān, sous cette forme infléchie, indique une

action non achevée lorsqu’il est employé devant un verbe à la conjugaison

préfixale et une achevée lorsqu’il est employé devant un verbe à conjugaison

suffixale.

1. Une action non achevée : kān+Fp correspondant à l’imparfait. Très

souvent, la valeur de cette structure est :

- d’un temps duratif qui désigne des actions qui servent de base pour des

événements ponctuels :

ana kān aqčəm ma‘ ah ~ū-y laman səmə‘tu h }əss…

Je parlais avec mon frère quand j’entendais un bruit…

- de rupture avec un événement passé, lorsqu’il est employé avec un

circonstant temporel :

mən qable, ‘adnān ktīr kān yəšr}ab čəgar}a !

Auparavant, Adnan fumait (lit. : buvait des cigarettes) beaucoup !

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5.7.4. Expression du plus-que-parfait

La Fs, précédée de la particule, kəl37

, revêt des valeurs particulières dans le

passé.

Cette particule insiste simplement sur la valeur passée de l’accompli et

équivaut à un passé composé :

kəl-māt « il est mort ».

La particule kəl accompagnée de kān donne à la Fs le sens du passé dans

le passé, et se traduit par le plus-que-parfait en français : (kan+kəl+Fs): kān-kəš-

šər}əb « il avait bu ».

5.7.5. Le conditionnel : kān+ta+Fp

La plupart des linguistes contemporains rattachent le conditionnel à

l’indicatif, parce que ces deux modes ont des contextes d’emploi communs et

aussi parce que le futur de l’indicatif présente, tout comme le conditionnel, le

préverbe ta. Paul Imbs (1960 : 61) souligne même que « morphologiquement

parlant, le ‘conditionnel’ se définit comme un début de futur tournant à

l’imparfait ». De plus, puisqu’il fonctionne comme un futur du passé, le

conditionnel-temps est presque devenu un temps de l’indicatif, resserrant par là

les liens qui existent entre ces deux modes. Dans l’emploi du conditionnel-temps

il y a un remarquable parallélisme avec l’emploi du futur temporel. Le

conditionnel en mardini, comme dans d’autres langues telles le français (Imbs

1960 : 72), est comme le futur modal, une variante de la modalité indicative, qu’il

distend jusqu’aux possibilités extrêmes où se produit parfois la rupture

qu’entraîne la rencontre avec le subjonctif.

Le conditionnel est le mode de l’imaginaire, de l’action envisagée comme

soumise à une condition. Cette valeur de base justifie l’orientation du conditionnel

vers l’irréel comme le futur mais plus que celui-ci, le conditionnel est orienté vers 37 En t}uroyo, cette particule – dont l’emploi est expliqué par Otto Jastrow – existe aussi et elle est

mise en relation avec la particule présentative kale. Elle apparaît devant le préfix temporel ko du

présent et du parfait et marque une actualisation : koh}ozət « tu vois » (en allemand : du siehst) –

kal koh}ozət « tu vois maintenant » (en allemand : da, du siehst, du siehst gerade jetzt ) ; kati (ko+ati) « il est venu » (en allemand : er ist gekommen) – kal kati « il est à peine venu » (en

allemand : da, er ist gekommen) (Jastrow 1992 : 116).

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- 165 -

l’expression de l’hypothèse grâce à l’indice ta qui est attaché directement à la

conjonction préfixale, mais kān accuse cette pente vers l’expression du non-réel

(12.4. La conditionnelle).

5.7.6. L’expression de l’inchoatif : baq+Fp

L’inchoatif implique l’utilisation de la particule baq – qui vient du verbe

baqa « rester » – qui s’ajoute à la conjugaison préfixale : baq yəšr}ab « il

commence à boire ». Baq a aussi un emploi adverbial, dans ce cas-ci elle sera

postposée au verbe, ayant la signification de « encore », « plus », « davantage »

(voir 9.7. Quelques adverbes).

Cette particule préverbale connaît deux formes : baqə qui est préfixée à un

verbe à groupe consonantique initial et baq qui est préfixée à un verbe à voyelle

initiale (la première personne du singulier) et à une seule consonne initiale. Pour

illustrer l’emploi de ces deux variantes, j’ai choisi deux verbes, un pour chaque

type mentionné : ybē‘ « il vend » et yəqša‘ « il voit » :

baq-abē‘ baq aqša‘

baqə-tbē‘ baq təqša‘

baqə-tbē‘īn baq təqša‘īn

baqə-ybē‘ baq yəqša‘

baqə-tbē‘ baq təqša‘

baqə-nbē‘ baq nəqša‘

baqə-nbē‘ūn baq təqša‘ūn

baqə-nbē‘ūn baq yəqša‘ūn

En ce qui suit, je voudrais proposer un trajet de la grammaticalisation du

lexème baqa qui au fur et à mesure de la perte de son contenu sémantique, subit

simultanément une réduction phonétique :

baqa qəddām bāb bayt-na t}ūl əl-layle.

Il est resté devant la porte de notre maison toute la nuit.

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- 166 -

baqa ‘alay-i ar}ōh} la-l-mah}kame.

Il me reste à partir au tribunal.

Fāt }me baq-təbki ‘ala abū-wa.

Fatma a commencé à pleurer son père.

Dans le premier exemple, le verbe baqa est employé avec son entière

sémantique value : « rester ». Par conséquent, dans cette hypostase, il est conjugué

comme tout autre verbe. Dans le deuxième exemple, baqa, invariable, est un

clitique. Son sens est « rester à quelqu’un à faire quelque chose » ; « être contraint

de faire quelque chose ».

Cette construction existe en beaucoup d’autres langues, en français :

« rester à faire » ; en anglais : to remain to do something , en roumain : a rămâne

să facă ceva ; en arabe classique : baqiya ‘alā…’ an.... ; en kurde : li… ma…(ex. :

Li min ma biçim « Il reste à moi à partir » ; Li Ali ma bistre « Il reste à Ali à

chanter ») etc.

Baq, dans le troisième exemple, est employé comme préfixe de

l’inchoatif : « commencer à faire ». Il faut souligner que les formes ne passent pas

d’une catégorie à l’autre abruptement mais elles passent par une série de

transformations intermédiaires, la nommée cline. À savoir, la cline de

grammaticalisation de baq en mardini pourrait être le suivant :

baqa------------------------>baqa ----------------------->baq

(lexème autonome) (clitique) (affixe infléchi)

Baqa, comme lexème autonome apparaît dans le premier exemple avec son

contenu lexical complet et avec sa conjugaison complète, comme tout autre verbe.

Baqa, comme clitique – les clitiques sont considérées être les chaînons qui

font la liaison entre les lexèmes autonomes et les affixes – apparaît dans le second

exemple. D’après mon opinion, l’affixe baq résulte de la signification du clitique

baqa. Baqa ‘ala, en mardini, a le sens de « incuber à quelqu’un de faire quelque

chose » ; parce que la seule chose qui est restée à faire est celle-ci et, par

conséquent, le sujet passe à sa réalisation, d’où résulte le sens d’inchoatif.

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- 167 -

Cette signification semble étrange parce que le sens fondamental du verbe

baqa est celui de « rester », ce qui est plus proche de la possibilité d’exprimer le

duratif, et non pas l’inchoatif38

, comme il arrive dans l’arabe classique : Baqiya

yaktubu fī bayti-hi « Il a continué à écrire dans sa maison ».

ha-l-m}ayy baq yənšər}əb sarbast !

Cette eau a commencé à être bue librement / gratuitement !

w əğ-ğəwērīn kəll-ən h ~afīf ğaw w baqə-ysawn qar}abaləġ ktīr...

Les voisins sont venus vite et ont commencé à faire un grand scandale...

karīm mō-baqə-yr}ōh} la-l-maktab.

Karim n’a pas encore commencé à aller à l’école.

Dans une succession de verbes, tous à l’inchoatif, seul le premier verbe est

marqué par la particule préverbale baq, mais son action comprend tous les autres

verbes :

baqə-tsī }h} w təd}rəb ‘ala r}ās-a...

Elle se met à crier et à se frapper la tête…

5.7.7. La particule də pour le renforcement de l’impératif

Un verbe à l’impératif peut être préfixé par la particule /də/39

:

də-ftah } ! « ouvre ! » ; də la təftah } ! « n’ouvre pas ! » ;

38 Rodica Firănescu met en évidence le sens d’inchoatif qu’a le verbe ba’a (avec la transformation

de /q/ en /’/) aussi dans l’arabe dialectal du Caire : « Dans beaucoup de situations, ba’a se

comporte en tant que verbe modal temporel-aspectuel et véhicule des sens liés à : - la

transformation, au passage d’un état à un autre ou bien un sens inchoatif dans une acception qui

englobe non seulement l’inceptif, mais aussi cette catégorie des nawāsih ~ (proposée par les anciens

grammairiens arabes). De cette catégorie de modalités de l’inchoatif, on peut observer que ba’ā,

dans son emploi dialectal en arabe du Caire, a les fonctions sémantiques des « sœurs de kāna »,

mais les nuances temporelles aspectuelles qui lui sont attachées contextuellement son assez variées

(Firănescu 2002 : 265). 39 Cette particule existe aussi dans d’autres parlers mésopotamiens (Jastrow 1978 : 310). En ce qui

concerne l’emploi de cette particule dans les parlers arabes bagdadiens (musulman, chrétien, juif),

Haim Blanc considère que : « Such imperatives with /de/ are perhaps a shade more energetic than

the plain imperative and a shade less energetic than the imperfect plus /ma/ » (1964 : 117).

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də-ftah }i ! « ouvre ! » (f.) ; də la təftah }i ! « n’ouvre pas ! » (f.) ;

də-ftah }u ! « ouvrez ! » ; də la təftah }u ! « n’ouvrez pas ! ».

Cette particule sert à exprimer l’incitation à accomplir un action :

« immédiatement ! », « tout de suite ! », « eh donc ! », « tout à coup ! »,

« allons ! », « zou ! ». Les motivations, qui se sous-entendent de la modulation de

la voix, sont bien nombreuses :

- l’encouragement :

də-bla‘ əd-darmān !

Allons, avale le médicament !

- la remontrance :

də-ftah } l-i l-bāb !

Ouvre-moi la porte ! (On sous-entend ici : « pourquoi ne me l’ouvres-tu

pas ? »).

- la perte de la patience :

də-skət! dawwah ~t-ni əl-yawme !

Tais-toi donc! Tu m’as étourdi aujourd’hui !

- l’énervement jusqu’à la perte du control :

də-t }la‘u mən h }awš-na !

Sortez immédiatement de notre cour !

L’origine de cette particule est, sans doute, dans l’interjection de/di du turc

qui, seule ou en combinaison avec une autre interjection hay : hayde/haydi (ou

hadi), est antéposée à un verbe à l’impératif pour le renforcer40

.

40 Voici quelques exemples d’emploi de cette particule avant un impératif dans le turc osmanli :

haydi qoš čabuq ! « allons, cours vite ! » ; hayde qîz-îm biz-e bir-er qahve söyle! « allons ma fille, commande-nous un café à chacun ! » (Deny 1928 : 714). Plus que cela, le turcologue Şaban Kurt,

qu’il soit remercié ici, m’a attiré l’attention sur l’emploi de la particule de – une variante tronquée

de hayde – pour le renforcement des impératifs dans le turc anatolien : de-git « va-t-en » La

similitude de ces structures avec celles du mardini est plus qu’évidente.

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- 169 -

5.9. La négation

En mardini, la négation du syntagme verbal se réalise à l’aide de trois

morphèmes, mo, ma et la, (qui font corps commun avec le verbe et, par

conséquent, la voyelle n’étant plus finale devient longue : mō, mā, lā) qui ont la

distribution suivante :

a) mo s’emploie pour la négation :

- d’un verbe à l’inaccompli :

mō-təği « tu ne viens » ; mō-yəği « il ne vient pas » etc.

À la rencontre de la voyelle finale /o/ du morphème de négation avec la

voyelle /a/ de la première personne, singulier, cette dernière-ci sera toujours élide

pour éviter un hiatus qui n’est pas agréer en mardini (voir 3.5. L’élision) :

* mo arīd → mō-rīd « je ne veux pas » ;

* mo aği → mō-ği « je ne viens pas ».

- d’un verbe au futur (ta+Fp) :

mō-ta-yəqčəm « il ne parlerai pas » ; mō-ta-tər}a « tu ne verras pas ».

- d’un présent continu (qāyəm+Fp) :

mō-qāyəm at }bəh ~ « je ne suis pas en train de cuisiner » ;

mō-qāyəm tət }bəh~ « tu n’es pas en train de cuisiner ».

- d’un suffixe prédicatif de la série we :

ana mō-fərh }ān we = ana mō-fərh }ān.

Je ne suis pas gai.

b) ma s’emploie pour la négation :

- d’un verbe à l’accompli :

mā-r}āh} « il n’est pas parti » ;

mā-dah~al « il n’est pas entré ».

- d’un verbe à l’imparfait (kān+Fp) :

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- 170 -

mā-kān-ynām « il ne dormait pas » ;

mā-kān-aštəri « je n’achetais pas ».

- d’un verbe à l’inchoatif (baq+Fp) :

mā-baq-ākəl « je ne commence pas à manger » ;

mā-baq-yət }bəh ~ « il ne commence pas à cuisiner ».

- d’un verbe préfixé par kəl (kəl+accompli) :

mā-kəl-wəs}əl « il n’est pas arrivé » ;

mā-kəğ-ğaw « ils ne sont pas venus.

- d’un verbe au conditionnel, ou un futur dans le passé (kān+ta+Fp) :

mā-kān-ta-yəq‘ad « il n’aurait pas été assis » ;

mā-kān-ta-nəh ~səl « nous n’aurions pas été lavé ».

- les prépositions fi, ‘ənd, ma‘, ‘ala, « conjuguées » au moyen des pronoms

suffixés directement :

mā-fi « il n’existe pas » ;

mā-‘ənd-i « je n’ai pas » ;

mā-ma‘-i « je n’ai pas avec moi ».

c) la s’emploie pour la négation d’un verbe à l’injonctif :

lā-tədh~əl « n’entre pas ! » ;

lā-tqūl « ne dis pas ! » ;

lā-yəği « qu’il ne vienne pas ! ».

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6. La morphosyntaxe nominale

Le nom en mardini connaît deux types de morphologie :

1) morphologie dérivationnelle (« lexicale ») ;

2) morphologie flexionnelle (« grammaticale ») ou morphosyntaxe.

6.1.Morphologie dérivationnelle (« lexicale »)

En mardini, la morphologie dérivationnelle (ou constitutionnelle)

nominale – morphologie qui consiste dans la création de nouvelles unités lexicales

nominales – peut être divisée en :

- morphologie dérivationnelle interne ;

- morphologie dérivationnelle externe.

a) La morphologie dérivationnelle nominale interne consiste dans la

création de noms à l’aide des schèmes de dérivation. Certains de ces noms – le

nom d’action (l’infinitif), les participes actif et passif – ayant aussi une valeur

verbale ont été traités dans le chapitre dédié au verbe. Les participes actif et passif

peuvent avoir aussi une valeur adjectivale. Les autres noms dérivés sur un schème

– le nom de lieu et de temps, le nom d’instrument – n’ont rien de spécial en

mardini en comparaison avec d’autres variétés d’arabe. Exemples :

maktab « ecole » ;

mašlah } « vestiaire » ;

maslağe « glacière » ;

mašte « endroit pour passer l’hiver » ;

mabrad « lime » ;

məftāh} « clé ».

b) La morphologie dérivationnelle externe nominale consiste dans la

création de nouveaux noms par l’adjonction d’un affixe à un nom.

En mardini sont valables deux types d’opérations de dérivation à partir

d’un nom :

a) préfixation ;

b) suffixation.

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On n’a trouvé aucun exemple de parasynthèse (la préfixation et la

suffixation d’un même lexème).

6.1.1. La préfixation dérivationnelle

Le préfixe bē-

Le seul préfixe existant en mardini est bē emprunté au kurde (bê « sans »).

Par la préfixation de bē aux substantifs, on forme des adjectifs ayant la

signification générale de « dépourvu de » :

bēkēs « seul », cf. le kurde : bêkes ; kes « personne », « individu » ;

bēbav « bâtard », cf. le kurde bêbav ; bav « père » ;

bēbaht « malchanceux », cf. le kurde : bêbext ; bext « fortune »,

« chance » ;

bēhəs « silencieux », cf. le kurde : bêhis ; his « voix », « bruit ».

Les dérivés avec bē, même s’ils ont pour noyau un mot arabe emprunté, à

son tour, par le kurde, ne sont pas intégrés totalement dans le système

grammatical du mardini. Par exemple, parce que ces dérivés, ne recevant pas

l’article défini, ne peuvent pas entrer dans une structure de type S əl-A (voir 6.8.1.

L’état d’annexion), qui sera alors remplacée par la structure kurde S-e A : dīk-e

bēwaqt « le coq qui chante à contretemps », cf. le mardini : dīk « coq » ; cf. le

kurde : bêvakt « sans temps », « qui n’est pas à temps », « à contretemps ».

Je crois que cette particule n’a pas franchi les bornes des emprunts, parce qu’elle

est très proche phonétiquement de la préposition arabe antonyme bə « avec »,

« par » avec laquelle elle peut être confondue.

Le préfixe bē et le suffixe səz, qui fonctionnent parallèlement, mènent à la

création d’une série de synonymes :

bēbadīl – badīlsəz, cf. le kurde : bêbedil , cf. turc : bedilsiz

« irremplaçable » ;

bēčāre – čāresəz, cf. le kurde : bêçare, cf. turc : çaresiz ; « irrémédiable »,

« inguérissable » ;

bēs}abər – sabərsəz, cf. le kurde : bêsebir, cf. turc : sabırsız « impatient » ;

bēnāmūs – nāmūssəz, cf. le kurde : bênamus, cf. turc : namussuz

« malhonnête », « infâme ».

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6.1.2. La suffixation dérivationnelle

Le mardini emploie pour la dérivation des noms trois suffixes arabes -i, -

āni, -āwi et trois empruntés au turc : -li, -či (avec son allophone -ği), səz. Les cinq

premiers forment des noms de relation (le nisba de l’arabe classique) et le dernier,

synonyme du préfixe bē, a un sens privatif.

Le suffixe -i (feminin : -īye)

Le suffixe -i est ajouté à des substantifs pour former des adjectifs ayant les

significations suivantes :

1. la similitude, « qui a… », « qui comporte… », « qui est pareil à… » :

rayh }āni (var. : rīh }āni) « parfumé », « qui a une bonne odeur », « qui est

pareil à un plante odorante » – rayh }ān « toute plante odorante », particulièrement

« basilic ». Ex. : tīn rīh }āni « figue parfumée », « figue muscat ».

2. l’origine, « qui est originaire de… » :

mērdīni « mardinien », « de Mardin » – mērdīn (Mardin) ;

h}alabi « alepien », « d’Alep » – h}alab (Alep). Ex : fəstəq h }alabi « pistache

alepienne » ;

mans}ōr}ati « habitant de Mansora » – mans}ōr}a « Mansora – un village près

de Mardin »41

.

3. le lieu où quelqu’un mène sa vie :

sqāqi « chemineau » (se dit spécialement d’enfants) – sqāq « rue » (cf. le

turc sokak).

4. la composition ; dérivé de noms de substances et matériaux, il indique qu’un

objet est composé de ceux-ci ou comporte un trait de ceux-ci (couleur, odeur,

mouvement etc.) :

qūmi « sableux » ← qūm « sable » ;

41 Dans l’opinion des Mardiniens, les habitants de Mansora représentent des gens très habiles qui

se débrouillent dans n’importe quelle situation : kama l-mans}ōrati yākəl kētəl, w yə‘t }i h~arāč (Comme le mansorati, il mange des kētəl et donne aussi le tribut).

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za‘farāni « qui a la couleur du safran » ← za‘farān « safran » ;

h}adīdi « de fer » ← h}adīd « fer » ;

tr}ābi « de terre », « comme la terre » ← tr}āb « terre », « sol ».

5. un nom d’objet dérivé à partir d’une onomatopée :

h ~ašh~ūši « marteau-jouet pour les petits enfants » ; cf. h~aš-h ~ūš « toc boc »,

donc c’est un objet qui produit le bruit respectif. Un verbe h~ašh~aša « produire un

bruit / un cliquetis », forgé sur cette onomatopée, est enregistré aussi en classique

(Kazimirski).

Le morphème de féminin -ye ajouté à :

1. un nom d’aliment brut forme le nom du plat préparé de celui-ci :

ənğās}īye « plat de pruneaux (ənğās} « pruneau » ; le même mot en syrien

signifie « poire » ) et viande de mouton » ;

fərkīye « plat d’amandes (fərk) vertes et viande de mouton » ;

ğawzīye « gâteau de noix (ğawz) ».

2. un nom de période temporelle forme un nom d’événement, d’action qui se

passe pendant celle-ci, ou d’un objet utilisé :

s}abāh}īye « matinale », « la matinée (s}abāh}) qui suit à la nuit de la noce » ;

s}ayfīye « estivale », « maison d’été (s}ayf) » ;

h~amīsīye « payement pour une semaine de travail fait à sa fin, jeudi

(h ~amīs), avant le jour de repos, vendredi ».

Observation : Le kurde et le turc emploient aussi le suffixe -i, avec la

même valeur qu’il a en mardini. Par conséquent, quelques noms à nisba en -i ne

sont pas formés en mardini, mais empruntés tels quels :

- au kurde :

bažari « citadin » cf. le kurde bajari « citadin » ← bajar « ville »,

« cite » ;

tənəhi (variante tənnəhi) « qui n’a rien » cf. le kurde tinehî « qui n’a rien »

← tineh « nul », « rien », « néant » ; utilisé en mardini surtout au pluriel

tənnəhīye « gens épuisés / vidés » ;

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t }aššīye « quenouille » cf. le kurde taşye « equilibre ».

- au turc :

qərməzi (kırmızı « rouge », « cramoisi ») – kırmız (« kermès », « ver

duquel est extrait un teint rouge » – Coccus baphica). Même si le mot

kırmız est emprunté en turc à l’arabe (qirmiz), son nisba est considéré un

dérivé turc (Deny 1920 : 578), re-entré puis dans les dialectes arabes,

mardini y compris, parlés dans les zones qui ont subi l’influence ottomane.

Le suffixe -āni.

Ce suffixe apparaît dans un nombre très réduit de noms, qui se retrouvent

dans leur grande majorité dans l’arabe classique. Il s’agit de noms dérivés en

partant de pseudo-prépositions :

tah }tāni « partie inférieure », « partie située en dessous » – tah }t « sous »,

« dessous » ;

wast }āni « partie moyenne », « partie située au milieu » – wast } « au

milieu » ;

fōqāni « partie supérieure », « partie située au dessus » – fōq « sur », « en

haut » ;

h~alfāni « arrière », « partie postérieure » – h~alf « derrière ».

Aussi, je l’ai trouvé dans quelques mots dérivés de toponymes :

rāšdāni (prononcé souvent rājdāni) – Rāšdīye (une petite localité dans le

gouvernorat de Mardin42

), un nisba à Rāšəd ;

s}awrāni (de s}-S}awr ; turc Savur ).

Le suffixe -awi

Ce suffixe (une variante du suffixe -i) est ajouté seulement aux noms à

finale vocalique :

dār}awi, du village Dār}a ;

bas}r}awi, de Bas}r}a ;

42 Pour les Mardiniens, Rāšdīye est un lieu isolé, loin de la modernité : kərdi w kbābāt, rājdāni əb-

qarawat } « le kurde et les boulettes, le rašdani à cravate » ; c’est-à-dire la mise en parallèle de ces termes crée de véritables oxymorons.

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- 176 -

sə‘rtawi , de Sə‘rte ; turc Siirt ;

rəhawi, de ər-Rəha43

, turc Urfa ; préservé dans le syntagme rəmmān

rəhawi « grenade d’Urfa ».

Observation : Beaucoup de ces dérivés, en -i, -wi, -āni, de toponymes, sont

très répandus comme noms de famille, ce qui prouve le caractère hétérogène de la

population arabe mardinienne :

sə‘rtawi de Sə‘rte ; cf. le turc Siirt ;

dār}awi du village Dār}a ;

s}awrani de əs}-S}awr ; cf. le turc Savur ;

baġdādi de Baġdād ;

bas}r}awi de Bas}r}a ;

gərs}awi du village Gərs}a ; en kurde Gurs.

Le suffixe -či/ği

Le suffixe d’origine turque -či/ği ajouté à un substantif sert à former des

noms des gens de métiers. La distribution de ses deux variantes est la suivante :

a) či, après une consonne :

čāyči « vendeur de thé » ← čāy « thé » ;

h~at }t }či « calligraphe », « peintre » ← h ~at }t } « calligraphie », « peinture » ;

k∂bābči « préparateur/vendeur de kebab » ← kəbāb « viande

hachée grillée

à la broche » ;

kəttānči « producteur de toile de lin » ← kəttān « lin » ;

qačaqči « contrebandier » ← qačaq « contrebande » ; variante : qačah~či –

qačah ~ ;

qāt }ərči « muletier » ← qāt }ər « mulet » ;

qəbqābči « sabotier » ← qəbqāb « sabot » ;

tfēngçi « fusilier » ← tfēng « fusile » ;

tətənči « marchand de tabac » ← tətən « tabac ».

43 En arabe classique : ar-Ruhā’u c’est le nom de la ville d’Urfa (connue aussi sous le nom grec

Edessa ou sous le nom syriaque ’Urhāy).

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- 177 -

b) ği, après une voyelle. Il s’agit de la voyelle a/e du féminin. En ce cas-ci,

le t n’est pas restitué, et la voyelle courte a/e s’allonge par l’effet de l’accent – une

situation semblable a été saisie par W. Marçais (1902 : 95) pour le parlé

tlemcenien. Cette règle est strictement appliquée en mardini, même pour les

situations où le correspondant turc a préservé le /t/, saatči « horloger », en turc,

sā‘āği ayant le même sens , en mardini, ce qui prouve que le mardini a emprunté

et assimilé ce suffixe en l’utilisant d’après ses propres règles :

sable « seau » → sablēği « porteur d’eau », « marchand d’eau » ;

sā‘a « horloge », « montre » → sā‘āği « horloger », cf. le turc : saatçi ;

bōya « teinture » → bōyāğī « teinturier » ; « cireur » ;

qah }wa « café » → qah}wāği « cafetier » ;

lōqānt }a « restaurant » → lōqānt }āği « restaurateur », « aubergiste » ;

qazat }a « journal » → qazat }āği « journaliste ».

Il faut signaler ici une forme bizarre, complètement lexicalisée, résultat de

la suffixation de -či à certains participes actifs qui renferment en eux-mêmes la

signification de ce morphème, celle de « faire quelque chose », de « pratiquer un

métier ». On peut dire que le participe nu garde encore des traits verbaux, tandis

que le participe suffixé avec -či est totalement substantivisé. Ces formes,

étymologiquement de véritables pléonasmes, sont bien nombreuses :

mt }ahhərči « circoncisseur » ← mt }ahhər « qui fait des circoncisions » ;

ms}awwərči « photographe » ← ms}awwər « qui fait des photographies » ;

mt }ayyərči « oiseleur » ← mt }ayyər « qui élève des oiseaux » ;

mdalləkči « masseur » ← mdallək « qui fait des massages ».

Comme dans le turc, ce morphème ne sert pas à former exclusivement des

noms de gens de métiers, mais aussi de gens qui accomplissent habituellement une

action, qui fait partie de leur façon de vivre, « action qu’on a voulu assimiler,

souvent par ironie, à des gens de métier » (voir aussi Deny 1920 : 345) :

sakrēği « ivrogne » ← sakre « ivresse » ;

ğōbēği « coureur des jupons » ← ğōbe « maison close », « bordel » ; cf. le

classique, ğawba, « petite auberge », « petit caravansérail », voir

Kazimirski) ;

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- 178 -

qmārči « mordu de jeux de hasard » ← qmār « jeu de hasard ».

Le suffixe -li

Le suffixe -li, emprunté au turc où il est extrêmement prolifique, a les

mêmes valeurs que le morphème arabe -i, avec lequel il forme des séries

synonymiques :

mērdīnli = mērdīni « mardinien », « de Mardin » ;

bayrūtli = bayrūti « beyrouthin », « de Beyrouth ».

Même si ce morphème se retrouve dans un nombre impressionnant de

mots, peu d’entre eux sont dérivés sur le terrain mardinien, sans être communs

avec le turc :

h}əkmətli « sage » ← h}əkme « sagesse », cf. le turc : hikmetli ← hikmet ;

mant }əqli « logique » ← mantəq « logique », cf. le turc : mantıklı

←mantık ;

farqli « différent » ← farq « différence », cf. le turc : farklı ← fark.

Les noms dérivés en -li ont souvent pour antonymes des dérivés avec le

morphème privatif, lui aussi d’origine turque, səz « sans » :

nāmūsli « honnête » – nāmūssəz « malhonnête » ;

adabli « poli » – adabsəz « impoli » ;

qīmətli « valeureux » – qīmətsəz « dépourvu de valeur ».

Le féminin et le pluriel des mots à nisba

Tous les mots à nisba en -i, -āni, -āwi, či/ği, li ont le même morphème

suffixal pour le féminin et le pluriel : -īye (voir 6.2.2.3. Le pluriel externe).

Le suffixe privatif -səz

Le mardini emploie deux affixes privatifs, ayant la même valeur : le

suffixe, d’origine turque, səz (siz/sız, sans, dépourvu de) et le préfixe, d’origine

kurde, bē (bê, sans, dépourvu de).

La postposition -sız (en mardini, -səz) a en turc deux valeurs : celle de

l’antonyme de la postposition -ile (« avec », « par » ; instrumental, associatif etc.)

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- 179 -

et celle d’antonyme du suffixe de relation -li. Le mardini l’a emprunté seulement

avec cette dernière valeur. Pour la première valeur, on emploie une particule arabe

composée, bla « sans » : bla čat }al « sans fourchette » ; bayt blā bāb « maison sans

porte » ; čay blā səkkar « thé sans sucre ».

Avec sa deuxième valeur, səz est considéré comme jouant le rôle d’un

suffixe d’adjectif dérivé (Deny 1920 : 588) :

adabsəz « impoli » ← adab « politesse », « courtoisie » ;

‘aqəlsəz « sot », « imbécile » ← ‘aqəl « raison » ;

h}ayāsəz « impudique », « obscène » ← h}aya « décence », « pudeur » ;

rāh }atsəz « incommode » ← rāh}a « confort » ;

qīmətsəz « dépourvu de valeur » ← qīme « valeur ».

Le pluriel de ce type de dérivés est en -īn.

6.2. Morphologie flexionnelle (« grammaticale ») ou morphosyntaxe

La morphologie flexionnelle consiste dans la création de nouvelles formes d’un

lexème à l’aide des affixes. Les affixes ne modifient pas la catégorie de la base.

Les affixes flexionnels ont pour fonction d’indiquer la place syntaxique de la base

dans l’énoncé, les rapports qu’elle entretient avec le reste de l’énoncé.

Outre la flexion verbale que nous avons traitée dans le chapitre précédent, le

mardini a aussi la flexion nominale, qui consiste dans les variations de forme du

substantif, de l’adjectif et du numéral. Le nom (substantif, adjectif, pronom,

numéral) en mardini se caractérise par le genre et le nombre.

6.2.1. Le genre

Habituellement, le genre est défini comme une catégorie grammaticale

reposant sur la répartition des noms dans des classes nominales, en fonction d’un

certain nombre de propriétés formelles qui se manifestent par la référence

pronominale, par l’accord de l’adjectif ou du verbe. Ainsi, d’après ces critères, on

définit en mardini deux classes : le masculin et le féminin.

Il faut souligner qu’en mardini l’opposition de genre se manifeste

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- 180 -

seulement au singulier44

: par la référence pronominale (ənt/ənti « tu » m./« tu »

f. ; hūwe/hīye « il »/« elle »), par l’accord de l’adjectif (qadah } gbīr « verre

grand » ; šūšāye gbīre « bouteille grande »), par l’accord du verbe (əl-walad yr}ōh}

« le garçon part » ; əl-bənt tr}ōh } « la fille part »), étant inexistant au duel (qui

existe seulement pour les substantifs, la référence pronominale et l’accord se font

au pluriel) et au pluriel (les références pronominales, l’adjectif et les conjugaisons

verbales sont unigenres : əntən « vous » m. et f. ; hənne « ils / elles » ; qdāh} gbār}

« verres grands » ; šūšāyāt gbār} « bouteilles grandes » ; lə-wlād yr}ōh}ūn « les

garçons partent » ; əl-bənāt yr}ōh }ūn « les filles partent »).

Indication du genre

Pour indiquer le genre des mots, le mardini dispose de plusieurs

possibilités :

- lexicales → pour une même notion donnée, il existe un lexème différent

pour chaque genre :

À cette catégorie appartiennent les termes ayant un genre naturel

correspondant à un sexe : walad « garçon » ; dīk « coq » (lexèmes renvoyant à un

référent masculin, un mâle), bənt « fille » ; ğēğe « poule » (mots renvoyant à un

référent féminin, une femelle). Ce cas de figure se limite principalement aux

animaux (parmi lesquels l’homme, donc aussi ses fonctions, métiers, prénoms

etc.) c’est-à-dire à ce qui a un sexe. Les termes qui fonctionnent en couples

appariés ont le plus souvent une forme unique pour chaque genre. Exemples :

rəğğāl – mar}a « homme » – « femme » ;

sayyəd – mayme « grand-père » – « grand-mère » ;

ab – əm}m} « père » – « mère » ;

44 La même situation est en t }uroyo où le genre se manifeste seulement au singulier (la référence

pronominale : hiye/hiya « il/elle » ; l’accord de l’adjectif : šafiro/šafərto « beau/belle » ; l’accord

du verbe kotu/kətwo « il écrit/elle écrit » étant inexistant au pluriel (la référence pronominale,

l’adjectif et la conjugaison verbale sont dépourvus de genre : hənnək « ils/elles » ; šafire « beaux/belles » ; kətwi « ils/elles écrivent »). Dans le kurde-kurmangi aussi, le genre se manifeste

seulement au singulier, par la voyelle qui lie le déterminé au déterminant dans un état d’annexion,

/ê/ (pour le masculin) : yarê min « mon bien-aimé » ; /a/ (pour le féminin) : yara min « ma bien-

aimée ».

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s}əhər – kənne « gendre » – « bru » ;

nēri – sah~le « bouc » – « chèvre » ;

hārūn – s}an}n }ōr}a « matou » – « chatte » ;

tawr – baqar}a « taureau » – « vache ».

- morphologiques → un morphème du mot indique son genre (comme un

suffixe) :

Morphologiquement, le masculin apparaît comme le genre non marqué

(ex. : kalb « chien »). C’est le féminin qui l’est, par un -a – ou par son allophone -

e – à la finale du mot (ex. : kalbe « chienne »). Cette terminaison peut être mise en

relation avec les terminaisons classiques -at ; -ā ; -a’. Exemples :

fəkre « idée », cf. AC fikrat ;

baqar}a « vache », cf. AC baqarat ;

h}əmme « fièvre », cf. AC h}ummā ;

sama « ciel », cf. AC samā’.

Une catégorie spéciale de noms féminins est formée en mardini par les

noms terminés en -ōye, qui sont bien nombreux :

gədbōye « mensonge » ;

ġənnōye « chanson » ;

h}əkkōye « histoire », « conte » ;

la‘bōye « jouet » ;

mat }}t}ōye « fronde » ;

məh ~tabōye « cache-cache » ;

məs}s}ōye « tamis ».

Observations : les suffixes de singulatif (voir 6.2.2.5.2 Le singulatif), -a/e

et -aye indiquent aussi le genre féminin :

sah~le « une chèvre » ;

bat }t }a « une cane »45

;

h}abbāye « une baie », « une semence », « une pilule » ;

45 Habituellement, bat}t} est le canard sauvage, et ōrdēk (cf. le turc ördek), le canard domestique.

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baqqāye « un moustique ».

- syntaxiques → c’est par les règles d’accord que le genre est révélé :

En mardini, les noms ne permettent pas toujours de savoir formellement

s’ils sont masculins ou féminins. R }ās « tête » pourrait être l’un ou l’autre. Les

déterminants indiquent cependant que le mot est masculin ou féminin : dans r}ās

gbīre « grande/grosse tête » c’est l’adjectif gbīre mis au féminin (suffixe -e) qui

joue ce rôle, tandis que r}ās ne laisse rien présager de son genre. Avec un nom

masculin, on aurait eu gbīr « grand ». Mais dans un autre contexte r}ās est

masculin, comme indique le verbe – à la troisième personne, masculin – qui

l’actualise : yəğa‘-ni r}ās-i « j’ai mal à la tête » (lit. : « ma tête me produit

douleur ») ; ydangəz r}ās-u « il est déséquilibré à la tête » (lit. : « sa tête se

déséquilibre »). En dehors de ce type de substantifs à genre fluctuant, le mardini

possède un grand nombre de substantifs qui sont féminins sans être marqués

morphologiquement. Outre les classiques nār « feu », h}arb « guerre », šams

« soleil », arəd} « terre », les noms de parties doubles du corps telles īd « main »,

əğər « pied », ‘ayn « œil », ədən « oreille », days « mamelle », il y a d’autres

spécifiques : daqən « barbe » (ex. : daqən ‘asalīye « barbe à couleur de miel »),

‘ālam « monde », ğīhān « monde », ğān} « âme » etc.

D’autre part, même si la terminaison /a/, et son allophone /e/, est la

marque du féminin, il y a quelques substantifs terminés en /a/ qui sont de genre

masculin : ğəm‘a « vendredi » (comme tous les noms des jours de la semaine)46

,

žəndīrme « gendarm », zalame « homme ». Leur vrai genre est mis en évidence

seulement par les déterminants : zalamət əl-mah~būl « l’homme fou ».

46 Les noms des jours de la semaine sont masculins : tnayn « lundi » ; tāte « mardi » ; arba‘a

« mercredi » ; h~amīs « jeudi » ; ğəm‘a « vendredi » ; sabt « samedi » ; ah}h}ad « dimanche ». Et

aussi les noms des mois de l’année : kānūn sāni « janvier » ; zbāt } « février », adār} « mars », nīsān

« avril » ; ayyār} « mai » ; h}zēr}ān « juin » ; tammūz « juillet » ; təbbāh ~ « août » ; aylūn « septembre » ; təšrīn awwal « octobre » ; təšrīn sāni « novembre », kānūn awwal « décembre ».

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6.2.2. Le nombre

Dans le système nominal et pronominal, le nombre représente – de

manière plus ou moins précise – la quantité d’unités d’une entité.

Types de nombres

En mardini, le nombre est délimité par un découpage fondé sur les

oppositions suivantes :

- le singulier, qui représente exactement une unité d’une entité ;

- le duel, qui représente exactement deux unités d’une entité.

- le pluriel, qui représente plusieurs (plus de deux) unités d’une entité ;

auxquelles on peut ajouter aussi :

- le singulatif, qui représente une unité tirée d’un ensemble normalement

composé de plusieurs unités. Le singulatif se remarque parce ce qu’il est

marqué (par un morphème, par exemple), au contraire du collectif ;

- le collectif, qui représente plusieurs unités d’une entité considérée

comme un ensemble.

Expression du nombre

Le nombre, en mardini, est indiqué par la morphologie. Par exemple, en se

limitant au système nominal, le nombre peut être exprimé par :

- affixation :

- suffixes (les grammaires d’arabe classique parlent de « pluriel externe »

ou « pluriel sain ») (voir ci-dessous) ;

- simulfixes (les grammaires d’arabe classique parlent de « pluriel

interne » ou « pluriel brisé ») (voir ci-dessous) ;

- supplétisme (ou changement complet de mot). Exemple : mar}a – nəswān (mais

aussi mar}āwāt) « femme » – « femmes ». Ce procédé est extrêmement rare en

mardini.

Observation : On remarque que dans certaines situations le changement de

nombre n’est pas indiqué par un seul procédé mais par la combinaison de la

métaphonie (simulfixe) et de la suffixation désinentielle à la fois : ġəlām –

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ġəlēmīn « jeunot » – « jeunots » ; sane – snīn « an » « ans » ; əbən – bnīn « fils » -

« fils ».

6.2.2.1. Le singulier

En mardini, le nombre singulier n’est pas marqué morphologiquement,

c’est la forme nue du substantif. Parfois, le nombre singulier peut être renforcé par

la postposition du déterminant wēh}əd « un » à un substantif masculin et wēh }de

« une » à un substantif féminin.

šahər wēh }əd « un seul mois » ;

kar}r}a wēh }de « une seule fois ».

6.2.2.2. Le duel

Le morphème du duel s’est très bien conservé phonétiquement en

mardini : ayn. La suffixation de ce morphème entraîne parfois des changements

phonétiques dans les syllabes adjacentes (voir 3.5. L’élision).

L’emploi de duel est restreint aux substantifs ; les adjectifs, les pronoms,

les verbes ne connaissent plus la catégorie du duel.

L’emploi du duel s’applique spécialement, comme dans presque tous les

dialectes arabes, aux groupes suivants :

a) noms de parties doubles du corps :

īd – īdayn ou īdtayn « une main » – « deux mains » ;

əğər – əğrayn ou əğərtayn « un pied » – « deux pieds » ;

‘ayn - ‘aynayn ou ‘ayntayn « un œil » – « deux yeux » ;

ədən – ədnayn ou ədəntayn « une oreille » – « deux oreilles » ;

days – daysayn ou daystayn « une mamelle » – « deux mamelles ».

La variante de duel à /t/ est due au genre féminin de ces noms.

b) noms de poids, capacité, longueur, monnaie :

šəbər – šəbrayn « un empan » – « deux empans » ;

drā‘– drā‘ayn « une brasse » – « deux brasses » ;

kīlo – kīlōwayn « un kilogramme » – « deux kilogrammes » ;

mətər – mətrayn « un mètre » – « deux mètres » ;

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- 185 -

rat }al – rat }alayn « livre » – « livres » ;

waraqa – warah~tayn « une livre turque » – « deux livres turques ».

c) noms de temps :

nhār – nhārayn « un jour » – « deux jours » ;

kar}r}a – kar}tayn « une fois » – « deux fois » ;

sane – santayn « un an » – « deux ans » ;

sabbe – sabtayn « une semaine » – « deux semaines » ;

šahər – šahrayn « un mois » – « deux mois » ;

sā‘a – sā‘atayn « une heure » – « deux heures » ;

daqīqa – daqīqatayn « une minute » – « deux minutes ».

d) noms de nombres. Sauf les noms qui ont une forme de duel tnayn (deux,

m.) ; tnatayn (deux, f.), il y en a d’autres qui prennent le duel :

mīye – mīytayn « un cent » – « deux cents » ;

alf – alfayn « une mille » – « deux milles ».

En dehors de ces catégories mentionnées, le duel demeure encore productif

pour beaucoup d’autres substantifs : bəntayn « deux filles » ; makīn }atayn « deux

voitures » etc. Souvent, il est concouru par un syntagme formé du numéral tnayn /

tnatayn « deux » suivi du substantif au pluriel avec lequel le numéral s’accorde en

genre. Exemples :

tnayn wlād « deux enfants » ;

tnatayn banāt « deux filles ».

L’accord des substantifs au duel avec les adjectifs et les verbes, vu que

ceux-ci ne connaissent pas cette catégorie, est toujours au pluriel :

bəntayn zġār « deux petites filles » ;

waladayn zġār « deux petits enfants » ;

əl-bawwābayn t }ala‘u « les deux concierges sont partis ».

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6.2.2.3. Le pluriel externe

Le mardini connaît trois morphèmes à l’aide desquels il forme le pluriel

externe : -īn, -āt, -ye.

Pluriel en īn

Le morphème īn peut être suffixé :

1. aux noms de métiers, formés sur le schème C1əC2C2āC3. La suffixation du

morphème īn aux noms de cette classe provoque l’imâla de la voyelle longue ā (si

le voisinage est favorable, c’est-à-dire, s’il est dépourvu de consonnes

emphatiques et d’arrière). Exemples :

a) sans l’imâla :

bəqqāl – bəqqālīn « épicier » – « épiciers » ;

qəwwāq – qəwwāqīn « potier » – « potiers » ;

dəbbāġ – dəbbāġīn « tanneur » – « tanneurs ».

b) avec l’imâla :

h}əmmāl – h}əmmēlīn « portefaix » – « portefaix » ;

s}əyyād – s}əyyēdīn « chasseur » – « chasseurs » ;

h}əddād – h }əddēdīn « forgeron » – « forgerons » ;

s}əffār – s}əffērīn « étameur » – « étameurs ».

2. aux noms dérivés sur le schème C1vC2āC3, probablement par l’analogie, due à

la ressemblance formelle, avec le schème C1əC2C2āC3. La voyelle courte d’après

C1 peut être :

/ə/ : ġəlām – ġəlēmīn « jeunot » – « jeunots » ;

/a/ : kalām – kalāmīn « propos » – « propos ».

3. aux adjectifs intensifs dérivés sur le schème C1aC2ūC3 :

qačūm – qačūmīn « loquace » – « loquaces » ;

d}ah }ūk – d}ah}ūkīn « qui rie beaucoup ».

4. aux participes actifs et passifs :

a) ceux qui gardent encore leurs sens de participes ont seulement ce pluriel

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- 187 -

pour le masculin et le féminin :

t }ālə‘ (fem : tāl‘a) – t }āl‘īn « qui s’élève », « qui part » ;

qā‘əd (fem : qā‘de) – qā‘dīn « qui est assis » ;

ğēhəl (fem. :ğēhle) – ğēhlīn « jeune » – « jeunes » (lit. : « ignorant ») ;

mağrūh } (fem. : mağrūh}a) – mağrūh}īn « blessé » – « blessés » ;

mab‘ūğ (fem. : mab‘ūğe) – mab‘ūğīn « fendu » – « fendus » ;

mbarras (fem. : mbarrase) – mbarrasīn « méticuleux » – « méticuleux ».

b) ceux qui sont substantivisés ont ce pluriel seulement pour le masculin

(le pluriel féminin étant en āt) :

qār}i – qār}īyīn « élève » – « élèves » ;

m‘alləm – m‘alləmīn « instituteur » – « instituteurs » ;

mgaddi – mgaddīyīn « mendiant » – « mendiants » ;

m‘arrəs – m‘arrəsīn « entremetteur » – « entremetteurs » ;

5. aux adjectifs qui ne sont pas formés sur le schème C1C2īC3 :

a) sur le schème C1āC2C2 :

h}ār}r} – h}ār}r}īn « chaud » – « chauds » ;

‘ār}r} – ‘ār}r}īn « laide » – « laides ».

b) sur le schème C1əC2əC3 (avec la disparition du deuxième schwa /ə/) :

h~əšən – h~əšnīn « grossier » – « grossiers » ;

wəsəh ~ – wəshīn « sale » – « sales ».

6. aux diminutifs d’adjectifs :

kwayyəs – kwayyəsīn « assez bon » – « assez bons » ;

zġayyər – zġayyərīn « petiot » – « petiots ».

7. aux adjectifs dérivés sur le schème C1əC2C3ān :

fərh }ān – fərh }ānīn « joyeux » ;

bət }lān – bət }lānīn « fatigué » – « fatigués » ;

kəslān – kəslānīn « paresseux ».

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8. aux noms empruntés :

a) des substantifs :

arqad }āš – arqad }āšīn « ami » – « amis » ;

šōfər – šōfərīn « chauffeur » – « chauffeurs ».

b) des adjectifs :

pīs – pīsīn « sale » – « sales » ;

pərīšān – pərīšānīn « misérable » – « misérables ».

9. aux adjectifs empruntés au turc et au kurde formés à l’aide :

a) du préfixe privatif kurde bê « sans » :

bēbah ~t – bēbah ~tīn « malchanceux » (cf. le kurde bêbext « sans chance ») ;

bēbav – bēbavīn « bâtard » – « bâtards » (cf. le kurde bêbav « sans

père »).

b) du suffixe privatif turc sız « sans » :

məraqsəz – məraqsəzīn « négligent » – « négligents » (cf. le turc :

meraksız) ;

adabsəz – adabsəzīn « impoli » – « impolis » (cf. le turc : edepsiz).

10. à certains noms masculins :

ənsān – ənsānāt « homme », « être humain » – « hommes ».

Pluriel en āt

Le pluriel en āt (son ā n’est jamais affecté par l’imâla) s’applique aux

classes de mots suivantes :

1. les participes actifs féminins substantivisés :

m‘alləme – m‘alləmāt « institutrice » – « institutrices » ;

mğaddīye – mğaddīyāt « mendiante » – « mendiantes » ;

m‘arrəse – m‘arrəsāt « entremetteuse » – « entremetteuses » ;

nawwāh }a – nawwāh }āt « pleureuse à gages » – « pleureuses à gages ».

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2. les singulatifs :

ša‘rāye – ša‘rāyāt « nouilles » ;

h}alaqāye – h}alaqāyāt « boucle d’oreille » – « boucles d’oreille » ;

nəqt }āye – nəqt }āyāt « goutte » – « gouttes » ;

dābbe – dābbāt « bête de somme » – « bêtes de somme » ;

bšār}a – bšār}āt « papillon » – « papillons » ;

3. des noms divers de genre féminin, terminés en a/e :

sā‘a – sā‘āt « montre » – « montres » ;

māsūke – māsūkāt « poignée de porte » – « poignées de porte » ;

hayme – h~aymāt « tente » – « tentes » ;

mhadde – mhaddāt « coussin » – « coussins » ;

pərwān }a – pərwān }āt « ventilateur » – « ventilateurs » ;

qanape – qanapāt « canapé » – « canapés ».

4. les noms formés sur le schème C1C2VVC3 (ou VV = ā ou son allophone ē) et

C1aC2C2VVC3 (voir aussi Sasse 1971 : 90) :

nhār – nhārāt « jour » – « jours » ;

lğēm –lğēmāt « bride » – « brides », « mors » ;

lsēn – lsēnāt « langue » – « langues » ;

frēš – frēšāt « literie » – « literies » ;

ktēb – ktēbāt « livre » – « livre » ;

h}ammām – h}ammāmāt « bain » – « bains ».

5. les noms masculins empruntés :

qazaq – qazaqāt « casaque » – « casaques » (cf. le turc kazak) ;

čat }al – čat }alāt « fourchette » – « fourchettes » (cf. le turc çatal) ;

čəqūr} – čəqūr}āt « trou » - « troux » (cf. le turc çukur) ;

qawanōz – qawanōzāt « bocal » – « bocaux » (cf. le turc kavanoz) ;

at }lēt} – at }lēt}āt « maillot » – « maillots » (cf. le turc atlet) ;

dōlmūš – dōlmūšāt « minibus » – « minibus » (cf. le turc dolmuş) ;

ah ~ōr – ah~ōrāt « écurie » – « écuries » (cf. le turc ahır) ;

šōrt }ān – šōrt }ānāt « caillette » – « caillettes » (cf. le kurde şortan) ;

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p}ap }az} – p}ap}az}āt « roi » – « rois » (au jeu de cartes) (cf. le turc papaz

« pope »,« roi au jeu de cartes» ;

sənēk – sənēkāt « trèfle » – « trèfles » (au jeu de cartes) (cf. le turc sinek

« mouche », « trèfle »).

On peut appliquer ce type de pluriel à n’importe quel nom étranger, même

s’il est utilisé sporadiquement, sans être encore adapté phonétiquement au système

du mardini :

askı – askıyāt « cintre » – « cintres [support à vêtement] » (cf. le turc askı),

avec le maintien de la voyelle turque /ı/.

6. les noms qui ont étymologiquement les terminaisons classiques, /a’/, /ā’/

(C3=/’/) même si la gutturale /’/ a disparu, elle est restituée au pluriel sous forme

de w (cf. le procédé classique) :

sama – samāwāt « ciel » – « cieux » ;

mar}a – mar}āwāt « femme » – « femmes ».

Par analogie avec ce type de substantifs qui reçoivent l’accent sur la

syllabe finale, les mots biconsonantiques empruntés au turc, terminés en /a/ ou /o/,

qui reçoivent aussi l’accent sur la syllabe finale, conformément au système

phonétique turc, ont le même comportement au pluriel : de récupérer une

supposée troisième consonne radicale :

čār}a – čār}awāt « bienfait » – « bienfaits » (cf. turc : çare) ;

vaz}o – vaz}ōwāt « vase [à fleur] » – « vases » (cf. turc : vazo).

Beaucoup d’autre noms empruntés suivent – toujours à cause de la

similitude de l’accent – le modèle offert par des noms terminés étymologiquement

en /ā/, comme dəkre – dəkrāyāt « souvenir » – « souvenirs », ou /y/ s’interpose

entre la voyelle finale du lexème et la voyelle initiale du morphème de pluriel

pour éviter la rencontre de deux voyelles :

t }ōrb }a – t }orb}āyāt « sac » – « sacs » (cf. le turc torba) ;

bah ~ča – bah~cāyāt « jardin » – « jardins » (cf. le turc bahçe) ;

čant }a – čant }āyāt « serviettes » – « serviettes » (cf. le turc çanta) ;

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qar}afat }m}a – qar}afat }m}āyāt « carabe » – « carabes » (cf. turc karafatma,

lit. : « Fatima la Noire »).

On peut observer à tous ces noms empruntés la même structure que

possède le nom dəkre, CVCCa, y compris le dernier de la série mentionnée, fat }ma,

car qar}a est son adjectif, d’ou le comportement identique au pluriel.

Observation : la distribution des suffixes -īn et -āt, comme il résulte de

cette présentation analytique, ne coïncide pas nécessairement avec la distribution

des genres.

Pluriel en -ye

Le pluriel en -ye s’applique fort bien aux noms qui sont à l’origine des

adjectifs de relation, terminés en :

-i :

h}arāmi – h}arāmīye « voleur » – « voleurs » ;

tərzi – tərzīye « tailleur » – « tailleurs » ;

mērdīni – mērdīnīye « mardinien » – « mardiniens » ;

‘askəri – ‘askərīye « soldat » – « soldats ».

- āni :

t }ōrāni – t }ōrānīye « torani » – « toranis » ;

- či/ği :

qəbqābči – qəbqābčīye « sabotier » – « sabotiers » ;

tanakči – tanakčīye « ferblantier » – « ferblantiers » ;

qačaqči – qačaqčīye « contrebandier » – « contrebandiers » ;

qah }waği – qah }wağīye « cafétier » – « cafétiers » ;

h}alawči – h}alawčīye « pâtissier », « marchand de pâtes sucrées » –

« pâtissiers » ;

sablaği – sablağīye « porteur d’eau » – « porteurs d’eau » ;

čalġaği – čalġağīye « instrumentiste » – « instrumentistes » (cf. le turc

çalgıcı) ;

d}ōn }d}ər}maği – d}ōn}d}ər}mağīye « glacier » – « glaciers » (cf. le turc

dondurmacı) ;

Page 193: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 192 -

t }at }ləği – t }at }ləğīye « confiseur » – « confiseurs » (cf. le turc tatlıcı) ;

- li :

adabli – adablīye « poli » – « polis » (cf. turc edepli) ;

dəmmalli – dəmmallīye « boutonneux » (dəmmal « bouton », « furoncle »).

- d’autres :

šōfər – šōfərīye « chauffeur » – « chauffeur » (mais aussi šōfərīn).

Le morphème de pluriel -ye est historiquement le morphème -ya, mais la

voyelle finale /a/ apparaissant seulement après /y/ qui impose son imâla, il

n’existe en mardini que sous cette forme.

Même s’il est identique au morphème suffixal de féminin, singulier, pour

les mots à nisba, les formes créées ne se confondent pas, surtout en ce qui

concerne les noms de métiers, car ces métiers sont pratiqués exclusivement par les

hommes.

6.2.2.4. Le pluriel interne

Le pluriel interne est le résultat de la restructuration du thème de singulier,

sans aucune marque extérieure. L’utilisation du pluriel interne est, de jour en jour,

plus restreinte, celui-ci étant remplacé par le pluriel externe. Les schèmes du

pluriel interne, triconsonantiques et quadriconsonantiques, encore vivantes en

mardini sont :

I. triconsonantiques :

1) C1C2āC3

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces

noms sur le

schème C1C2āC3

Signification

C1aC2aC3 walad

lagan

qadah}

h}awš

qalam

wlād

lgān

qdāh }

h}wāš

qlām

« enfant »

« cuvette »

« coupe à boire »

« cour »

« crayon »

Page 194: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 193 -

C1aC2aC3a/e zalame zlām47

« homme »

C1aC2əC3 fah ~əd

baġəl

kafən

fh ~ād

bġāl

kfān

« cuisse »

« mule »

« suaire »

C1aC2C3 tawr

kabd

farh ~

twār

kbād

frāh ~

« taureau »

« foie »

« petit » (jeune

animal)

C1əC2əC3 kətəf

qəfəl

h}əməl

ktāf

qfāl

h}māl

« bras »48

« cadenas »

« fardeau »

C1əC2C3 d}ərs d}rās « dent »

C1əC2C3a/e rədne Rdān « manche »

2) C1C2ēC3

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces

noms sur le schème

C1C2ēC3

Signification

C1aC2C3 kalb

yawm

klēb

(ə)yyēm

« chien »

« jour »

C1aC2aC3 ğabal ğbēl « montagne »

C1əC2C2āC3 rəğğāl rğēl « homme »

C1əC2C3 dəyb dyēb « loup »

C1aC2C2 (a/e) salle slēl « corbeille »

47 En t}uroyo, zlām est la forme de singulier, « homme », avec le pluriel zlamat « hommes ». 48 « Épaule » se dit r}ās kətəf .

Page 195: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 194 -

3) C1C2ūC3 – C1C2ōC3

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces

noms sur le schème

C1C2ū/ōC3

Signification

C1aC2C3 t }ayr}

karm

qarš

zar}r}

‘ayn

bayt

ġarz

r}ās

t }yōr}

krūm

qrūš

zr}ōr}

‘yūn

byūt

ġrūz

r}ūs

« oiseau »

« vigne »

« piastre »

« cuisse »

« œil »

« maison »

« jardin »

« tête »

C1aC2C2 təmm tmūm « bouche »

C1əC2C2 səlk slūk « fil »

4) C1C2ūC2/e C1C2ōC2a

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces noms

sur le schème

C1C2ūC2/e – C1C2ōC2a

Signification

C1aC2C3 sayf Syūfe « épée »

C1aC2əC3 daqən

z}ahər

ša‘ər

s}adər

r}əff

dqūne

z}hōra

š‘ōra

s}dūre

r}fūfe

« barbe »

« dos »

« cheveu »

« poitrine »

« étagère »

C1əC2əC3 sət}əl st }ōle « seau »

C1īC2 dīk dyūke « coq »

Page 196: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 195 -

5) C1əC2aC3

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces noms

sur le schème C1əC2aC3

Signification

C1əC2C3a/e bəqče

kəlwe

qərme

bəwme

bərke

h~ər}be

qəbbe

fətle

qəmme

bəqač

kəlaw

qəram

bəwam

bərak

h~ər}ab

qəbab

fətal

qəmam

« balluchon »

« rein »

« tronc », « fût »

« hibou »

« étang »

« ruine »

« coupole »

« rouleau »

« bonnet »

əC1C2a/e ōd}a (əwd }a) əwad} « chambre »

6) C1əC2C3ān – C1əC2C3ēn

Le schème de

singulier

Noms Le pluriel de ces noms

sur le schème C1əC2C3ān

– C1əC2C3ēn

Signification

C1aC2īC3 s}adīq

t}arēq

qamīs

s}ədqān

t }ərqān

qəms}ān

« ami »

« voie »

« chemise »

C1aC2C3 qas}s} qəs}s}ān « prêtre »

C1aC2aC3 t}abaq t }əbqān « assiette »

C1aC2əC3 ‘ad}əm ‘əd}mān « os »

C1VVC3(a/e) fār}a

šāq

tāğ

bāb

zāġ

fīrān

šīqān

tīğān

bībān

zīġān

« souris »

« arbre »

« couronne »

« porte »

« poulet »,

« petit »

Page 197: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 196 -

Remarque : Le schème du pluriel interne C1əC2C3ān – très peu productive

dans les autres dialectes mésopotamiens (Blanc 1964 : 86) – est très fréquente en

mardini. Je crois que sa prolificité est due à une influence kurde, vu que la finale

an de ce schème se superpose sur l’unique morphème du pluriel en kurde, an :

dost – dostan « ami » – « amis ».

7) C1əC2C2āC3

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces noms sur

le schème C1əC2C2āC3

Signification

C1ā/ēC2əC3 s}ānə‘

tāğər

ğēhəl

s}ənnā‘

təğğār

ğəhhāl

« apprenti »

« commerçant »

« adolescent »,

« jeune »

8) C1əC2āC3

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces noms

sur le schème C1əC2āC3

Signification

(C1)əC2əC3 ədən ədān « oreille »

C1aC2C3a fōt}a (fawt }a) fəwāt } « serviette »

C1əC2C3 bənt bənāt49

« fille »

9) C1(a)C2īC3

Le schème

de

singulier

Noms Le pluriel de ces noms

sur le schème

C1(a)C2īC3

Signification

C1C2āC3 h}mār h}mīr « âne »

C1aC2C3 ‘abd ‘abīd « esclave »

C1əC2C3ə h}ərme h}arīm « femme

(appartenant à un

homme »

49 Le /t/ final se comporte comme C3.

Page 198: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 197 -

Observation : D’autres schèmes peuvent être employés sporadiquement, parfois

restreints à un seul substantif.

II. quadriconsonantiques

Les formes des pluriels quadriconsonantiques en mardini sont

C1əC2āC3əC4 ou C1əC2āC3īC4 (ā peut être affecté par l’imâla – ē – en fonction de

son voisinage consonantique – voir Chapitre l’imâla).

La distribution de ces deux formes est liée à la quantité de la voyelle qui

suit à la C3 : C1əC2āC3əC4, si cette voyelle est courte, C1əC2āC3īC4, si elle est

longue.

1) C1əC2āC3əC4 ou C1əC2ēC3əC4

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces noms sur le

schème C1əC2āC3əC4 –

C1əC2ēC3əC4

Signification

C1əC2C3aC4a qəndar}a

məl‘aqa

qənēdər}

məlā‘əq

« chaussure »

« cuillère »

C1aC2C3aC4a zah}lafe

tanğar}a

maknase

mah~male

zəh}āləf

tənēğər}

məkēnəs

məh~āməl

« tortue »

« casserole »

« balai »

« pagne »

C1aC2C3aC4 mabrad

ar}nab

h~andaq

h~anğar

ğawhar

məbērəd

ar}ānəb

h~ənēdəq

h~ənēğər

ğawāhər

« lime »

« lièvre »

« fossé »

« poignard »

« joyau »

C1əC2C3əC4 qəmfəd

mət}rəb

qənēfəd

mət }ārəb

« hérisson »

« ménétrier »

Page 199: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 198 -

2) C1aC2āC3īC4 ou C1əC2ēC3īC4

Le schème de

singulier

Noms Le pluriel de ces

noms sur le schème

C1əC2ā/ēC3Ic

Signification

C1əC2C3āC4 məftāh }

fənğān

dəkkān

šəbbāk

qəbqāb

təbbān

məfētīh }

fənēğīn

dəkēkīn

šəbēbīk

qəbēqīb

təbēbīn

« clé »

« tasse à café »

« boutique »

« fenêtre »

« sabot »

« culotte »,

« caleçon »

C1əC2C3āC4a t}ər}r}āh}a tər}ār}īh} « tapis »

C1aC2C3ū/ōC4 p}an}t }ūr

zambōr}

‘as}‘ōs} –

‘aqrūqa

‘as}fūr

p}an}āt }īr

zənēbīr

‘as}ā‘īs}

‘aqārīq

‘as}āfīr

« pantalon »

« taon »

« queue »

« grenouille »

« moineau »

C1aC2C3īC4 darwīš dərēwīš « derviche »

C1əC2C3īC4 səkkīn səkēkīn « couteau »

Observation : le pluriel du nom rā‘i « berger » est forgé sur le schème

C1aC2āC3īC4 , ra‘āwīn, ce qui signifie que ce nom a connu une forme de singulier,

maintenant disparue, qui renvoie au classique rā‘in.

D’autres noms qui font le pluriel sur le même schème :

kərsi – kərēsi « chaise » ;

təpsi – təbēsi « plateau » ;

əbre – əbēri « aiguille ».

3) C1əwēC2əC3

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces noms

sur le schème

C1a/əwā/ēC2əC3

Signification

C1āC2əC3 ğēmə‘ ğəwēmə‘ « mosquée »

Page 200: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 199 -

h}āğəb

čādər

šār}əb

b}āšəq

h}əwēğəb

čəwēdər

šəwēr}əb

b}awāšəq

« sourcil »

« tente »

« moustache »

« faucon »

C1āC2C3a h~ās}r}a h~awās}ər} « hanche »

4) C1əwēC2īC3

Le schème

du singulier

Noms Le pluriel de ces noms sur

le schème C1əwēC2īC3

Signification

C1āC2ūC3

ğārūd

čākūč

dūlāb

čōrāp

h~ārūf

hārūn

zābōq

ğəwērīd

čəwēkīč

dəwēlīb

čəwērīp

h~əwērīf

həwērīn

zəwēbīq

« pelle à ordures »

« marteau »

« armoire »

« bas », « chaussette »

« agneau », « bélier »

« matou »

« ruelle »

C1īC2āC3

ğīrān

nīšān

ğəwērīn50

nəwēšīn

« voisin »

« médaille »

5) C1əC2ā/ēyəC3

Le schème du

singulier

Noms Le pluriel de ces noms sur le

schème C1əC2āyəC3–

C1əwēC2īC3

Signification

C1əC2āC3a čəġāra čəġāyər « cigarette »

C1aC2aC3 h}ağar h}əğēyər « pierre »

C1əC2C3e šəffe šəfēyəf « lèvre »

C1əC2āC3 dəbāb dəbēyəb « mouche »

50 Le mot ğīrān – qui est en arabe classique le pluriel du mot ğār « voisin » – a été emprunté par

les langues de la zone avec le sens de singulier, t }uroyo : ğirān « voisin » – ğirane « voisins » ; Kurde : cîran « voisin » – cîranan « voisins ». Curieusement, le mardini a réinterprété le nombre

du mot ğīrān à partir des langues voisines, en le considérant au singulier, à partir duquel il a créé

une forme de pluriel.

Page 201: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 200 -

Substantifs défectifs de singulier

Un bon nombre de substantifs sont défectifs de singulier :

h}awīs « vêtements » ;

mənēd}īr « lunettes » ;

tmān « argent » ; « prix » ;

h}əwēyəğ « choses », « effets », « hardes », « frusques » (enregistré aussi

par Jastrow 1969a: 42).

6.2.2.5. Le collectif et le singulatif

Le collectif n’est pas forcément recensé parmi les nombres d’une langue.

Il peut en effet se manifester seulement dans des cas restreints et ne pas être

attesté pour tous les mots variables de cette langue. Le singulatif fonctionne d’une

manière similaire.

a) Le collectif

Un nom collectif désigne un ensemble, une collectivité d’entités qui

appartiennent à la même espèce, par ailleurs isolables, conçue comme une entité

spécifique :

ġanam « moutons » ;

waraq « feuilles » ;

L’accord avec le collectif se fait, d’habitude au masculin singulier. Par

exemple :

samak kəll-u bāyət we ?

Est-ce que tout le poisson est rance ? (bāyət : « qui a précède d’un jour ou

d’une nuit; d’hier ; de la veille » se dit des mets).

b) Le singulatif

On peut définir le singulatif (ou nom d’unité) comme une forme au

singulier marquée tandis que le collectif ne l’est pas. Par exemple, la forme non

marquée pour « poisson » est samak, au collectif, tandis que le singulatif est

samake « un seul poisson ».

Le singulatif se forme à l’aide des suffixes suivants :

Page 202: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 201 -

1) a (t) avec son allophone /e/ (t) :

‘aqrūq « grenouilles » (coll.) – ‘aqrūqa « une grenouille » – ‘aqrūqāt

« grenouilles » ;

ğēğ « poules » (coll.) – ğēğe « une poule » – ğēğāt « poules » ;

ləmmāl « fourmis » (coll.) – ləmmāle « une fourmi » – ləmmālāt

« fourmis » (allomorphe : ləmmān).

2) -āye(t)

tūt « mûres » (coll.) – tūtāye « une mûre » – tūtāyāt « mûres » ;

fərk « amandes » (coll.) – fərkāye « une amande » – fərkāyāt

« amandes » ;

zbīb « raisins secs » (coll.) – zbībāye « une baie de raisin sec » – zbībāyāt

« baies de raisin sec » ;

kāġəd « papiers » (coll.) – kāġdāye « une feuille de papier » – kāġdāyāt

« feuilles de papier » ;

gōre « bas » (coll.) – gōrāye « un bas » – gōrāyāt « bas ».

3) -i

kəldān « Chaldéens » (coll.) – kəldāni « un chaldéen » ;

rūmān « Romains », « Roumains » (coll.) – rūmānī « un romain », « un

roumain » ;

yhūd « Juifs » (coll.) – yhūdi « un juif » ;

qarač « Gitans » (coll.) – qarači « un gitan ».

6.3. Le diminutif

En mardini, le diminutif n’a plus de vitalité ni pour les substantifs, ni pour

les adjectifs. D’ailleurs, un certain nombre de diminutifs ont été conservés, reçus

tels quels de l’ancien fonds mésopotamien.

Il existe deux schèmes du diminutif qui ont laissé des traces :

- C1C2ayC3 (correspondant au classique C1uC2ayC3), pour les substantifs.

Par exemple : h~bayz « pain » ; ğbayn « front » ; šwayye « un peu » (employé

seulement comme adverbe) ;

Page 203: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 202 -

- C1C2ayyəC3 (correspondant au classique C1uC2ayyiC3), pour les

adjectifs. Par exemple : qs}ayyər « court » ; zġayyər « petit » ; qlayyəl « peu

nombreux » ; kwayyəs « bon ». Excepté le dernier exemple, on peut observer que

tous les autres adjectifs ont comme sème principal l’exiguïté, la petitesse, et le

schème de diminutif ne fait que le renforcer.

Même si les noms mentionnés ci-dessus peuvent être considérés

formellement des diminutifs, sémantiquement ils n’appartiennent pas tous à cette

catégorie. Dans la plupart des situations le diminutif a remplacé le nom duquel il a

été dérivé, et, par conséquent, il n’y a plus d’opposition. Par exemple, le nom

h~bayz a disloqué et éliminé le nom *h~əbəz (cf. AC h~ubz) duquel il a été dérivé ;

par conséquent, personne ne considère plus ce nom un diminutif.

Parfois les adjectifs comportent au singulier une forme diminutive et au

pluriel et à l’élatif une forme neutre :

kwayyəs « bon » – kwās « bons » – akwas « mieux » ;

zġayyər} « petit » – zġār} « petits » – azġar} « plus petit » ;

Rarement, l’opposition entre la forme diminutive et la forme neutre a été

préservée : qalīl – qlayyəl.

La productivité faible du diminutif et sa réduction à quelques noms sont,

selon mon opinion, de date récente, ayant en vue un dérivé étrange que j’ai trouvé

parmi les sobriquets des Mardiniens âgés : mza‘yəl (un diminutif d’un participe

passif mza‘‘al « fâché », avec le dédoublement de C2), ayant le sens de « un peu

fâché ».

Le diminutif kurde (avec d’autres changement phonétiques aussi) est

largement employé en mardini qui l’emprunte pour les noms propres qui sont

communs aux deux communautés et à l’onomastique islamique en général :

Mh }ammad – H}amōk ;

Məs}t }afa – Məs}t }ōk ;

Ah }mad – Ah}mōk ;

Səlaymān – Səlōk ;

Fāt }m}a – Fat }ōk ;

Warde – Wardōk ;

Page 204: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 203 -

Layla – Laylōk.

6.4. Vocatif

Le vocatif est marqué, d’habitude, par la particule ya :

ya mh }ammad ! « Ô, Mhammad ! » ;

ya walad ! « Ô, garçon ! ».

J’ai noté plusieurs exemples d’emploi en mardini des morphèmes kurdes

pour le vocatif : o (o) pour les substantifs de genre masculin et e (ê) pour les

substantifs de genre féminin :

mardini : h}abībo « ô, chéri » ; h}abībte « ô, chérie ».

cf. le kurde : dalalo « ô, chéri » ; dalalê « ô, chérie ».

Parfois, les marques des vocatifs arabe et kurde coexistent, surtout dans les

appellations de parenté :

ya bo ! « papa ! » ;

ya de ! « maman ! ».

ya bo, qfəl əl-bāb !

Papa, verrouille la porte !

ah ~ ya de, ys}īb-ni čarp }ən}t }i, mō-‘rəf mən ayš !

Ah, maman ! Je suis prise d’une palpitation, je ne sais pas pourquoi !

Observation : Le vocatif kurde apparaît fréquemment pour les noms

islamiques de personnes (communs aux Kurdes et aux Arabes), à partir de leur

diminutif kurde :

Ah }mad – Ah}mōk – Ah}mo.

6.5. Noms propres et noms communs

À la différence des noms communs, les noms propres [+humain]

remplissant la fonction de complément d’objet direct exigent l’emploi de la

préposition lə (la)pour les introduire. Exemple :

Page 205: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 204 -

d}arab lə-H}asan ğəmğəme w h ~arrab s}ōr}at-u.

Il a donné un coup de boule (de tête) à Hasan et l’a défiguré.

Lorsqu’un nom commun est employé – par antonomase – comme nom

propre, il subit le même traitement que celui-ci dans sa fonction de complément

d’objet direct.

6.6. Pluriels des adjectifs en C1(a)C2īC3

En mardini, les adjectifs en C1(a)C2īC3 ont un pluriel de type C1C2āC3, qui

est une réduction du schème C1uC2āC3. Même si ce schème complet n’existe plus

ni à l’état de trace, il peut être facilement reconstitué grâce à la voyelle longue /ā/

qui atteste l’existence antérieure de la voyelle courte /u/ après la première

consonne radicale. Si la respective voyelle avait été /i/, la voyelle longue aurait été

transformée en /ē/ par l’imâla (voir 3.2.3 Régies de l’imâla).

Les adjectifs en C1(a)C2īC3 (avec le pluriel C1C2āC3 ) peuvent être divisés

en deux catégories :

- ceux qui gardent la voyelle courte /a/ après C1, dans un contexte

emphatique ou d’arrière :

‘atīq – ‘tāq « vieil » – « vieux » ;

rahīs} – rh~ās} « bon marché » ;

t}awīl – t}wāl « long » – « longs » ;

nad}īf – nd}āf « propre » – « propres » ;

malēh } – mlāh } « beau » – « beaux » ;

h~afīf – h~fāf « rapide » – « rapides ».

- ceux dont la voyelle courte /a/ a disparu, dans un contexte non

emphatique ou d’arrière :

smīn – smān « gros » – « gros » ;

ğdīd – ğdād « nouveau » – « nouveaux » ;

gbīr – gbār} « grand » – « grands » ;

ktīr – ktār « nombreux ».

Un certain nombre d’adjectifs de type C1(a)C2īC3 ont survécu seulement

Page 206: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 205 -

par leur formes diminutivales en C1C2ayyəC3 dont le pluriel est aussi en C1C2āC3 :

qs}ayyər – qs}ār « court » – « courts » ; kwayyəs – kwās « bon » – « bons » ; t}ayyəb

– t}yāb « bon » – « bons » ; zġayyər – zġār « petit » – « petits » ; qlayyəl – qlāl

« peu nombreux ». Ces adjectifs peuvent avoir aussi un pluriel externe en īn.

Faux pluriels en C1C2aC3 : mayyət – mwāt (mort – morts). Le pluriel mwāt,

interprété erronément par H.-J. Sasse (1971 : 108) comme un pluriel formé sur le

schème adjectival C1C2āC3, est en réalité dérivé sur un autre schème – à la même

forme – qui est étymologiquement ’aC1C2āC3 (cf. AC ’amwāt). La chute de /’a/

initiale fait que les deux schèmes se confondent, mais il faut les interpréter

différemment.

6.7. L’élatif ; Degrés de l’adjectif

L’élatif est de schème aC1C2aC3, comme celui des noms de couleurs et de

particularités physiques et psychiques, mais, à la différence de ce dernier, il est

invariable en genre et en nombre. Exemples :

agbar « plus grand » ;

akwas « mieux ».

Le comparatif de supériorité, dont le complément est introduit par la

préposition mən (que), peut être exprimé :

a) synthétiquement, par un élatif ;

b) analytiquement, par la construction zēd « plus » + adjectif ;

a) La seule forme d’élatif utilisée pour le comparatif est celle de masculin,

singulier, aC1C2aC3 pour toutes les situations. Je n’ai trouvé aucune trace des

formes particulières de féminin ou de pluriel de l’élatif :

əl-‘ənəb ah }la mən əs-səkkar.

Le raisin est plus doux que le sucre.

h}awīs-i ağdad mən h }awīs-u.

Mes vêtements sont plus nouveaux que ses vêtements.

b) La construction analytique zēd (v. turc daha)+ adjectif est utilisée :

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- pour les adjectifs ayant déjà au positif la forme aC1C2aC3 (les adjectifs de

couleurs et de particularités physiques et psychiques) :

zēd ah ~d}ar mən « plus vert que » ;

zēd ah }mar mən « plus rouge que ».

- pour certains adjectifs qui ont une forme d’élatif, ce qui mène à une

synonymie. La proposition citée au-dessus əl-‘ənab ah }la mən əs-səkkar peut être

reformulée de la manière suivante :

əl-‘ənab zēd h }əlu mən əs-səkkar.

Le mot zēd utilisé comme adverbe de quantité signifiant « encore »,

« plus », « davantage », placé devant un adjectif, sert à former ou à renforcer le

comparatif. Il est synonyme avec le turc emprunté à l’arabe, ziyade

« augmentation », « plus », « davantage ». Exemple : ziyade büyük « plus grand ».

Le complément du comparatif d’infériorité est introduit par qlayl « peu »

et mən « que » : qlayl zəngīn mən ‘Ali « moins riche que ‘Ali ».

Le complément du comparatif d’égalité est introduit par kama « aussi

…que » :

gbīr} kamā-k

« aussi grand que toi ».

Le superlatif absolu est réalisé, d’habitude, à l’aide de ktīr « beaucoup »,

antéposé :

ktīr pīs « très sale ».

Il peut aussi être exprimé par d’autres adverbes, tels que šdīd

« fortement », ou d’adjectifs à valeur adverbiale :

səkrān a‘me « très ivre » (« ivre mort » ; lit. : « ivre aveugle ») ;

m}ayy-būz} eau très froide (lit. : « eau-glace ») ;

qawwi-‘ad}me « très dur » (lit. : « dur-os »).

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6.7.1.Noms de couleur et de particularités

Le mardini emploie pour exprimer les noms de couleur et de particularités

(mentale ou physique) le schème aC1C2aC3 (féminin : C1aC2C3ā ; pluriel :

C1əC2C3īn).

Noms de couleur aC1C2aC3 :

Masculin, singulier Feminin, singulier Pluriel Signification

abyad} bayd }a bayd}īn, bəyd} « blanc »

as}far s}afra s}əfər, s}əfrīn « jaune »

ah}mar h}amra h}əmər, h }əmrīn « rouge »

Azraq Zarqa zərəq, zərqīn « bleu »

ah~d}ar h~ad}ra h~əd}ər, h ~əd}rīn « vert »

əswəd Sawda səwd, sūdān « noire »

Noms d’infirmité aC1C2aC3 :

Masculin, singulier Feminin, singulier Pluriel Signification

at }raš t }arše t }ərəš t }əršīn « sourd »

ahras h~arse hərəs hərsīn « muet »

a‘rağ ‘arğe ‘ərəğ ‘ərğīn « boiteux »

Pour exprimer le degré maximal de l’intensité d’une couleur, le mardini

juxtapose au nom de cette couleur un substantif qui désigne un object

emblématique pour celle-ci :

ah }mar-dam(m) « tout à fait rouge », « rouge vif » (lit. : « rouge-sang ») ;

as}far-kahrab « tout à fait jaune » (lit. : « jaune-ambre » ; kahrab : « ambre

jaune », « carabe ») ;

əswəd-qīr « tout à fait noir » (lit. : « noir-goudron »)

azraq-haraze « tout à fait bleu » (lit. : « bleu-rassade », « bleu-perle » ;

haraze, en ce contexte-ci : « la pierre de couleur bleue utilisée contre le mauvais

œil »).

En effet, ces syntagmes ne sont que le résultat de la réduction, au

minimum, d’une comparaison, facilement sous-entendue :

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as}far kama l-hahrab we.

Il est jaune comme l’ambre.

6.8. L’indétermination et la détermination d’un nom

En mardini, l’indétermination n’a pas de marque particulière, le nom seul étant

suffisant pour l’exprimer. Pour exprimer l’indéfini avec le nom, le mardini

emploie – rarement – le lexème fard « unité », « un », « seul », « individu »,

« personne » dont l’utilisation est généralisée dans d’autres parlers

mésopotamiens, par exemple en bagdadien où il est réduit à fadd. Exemples :

fard kūz « un pot à l’eau » ;

fard qərbe « une outre ».

L’indétermination peut être mise en évidence à l’aide du numéral wēh }əd,

postposé, à valeur adjectivale :

kūz wēh }əd « un [seul] pot à l’eau » ;

qərbe wēh }de « une [seule] outre ».

En mh}allami, un article indéfini développé à partir de wēh}əd s’est imposé

(Sasse 1971 : 74) :

wēh }əd bayt « une maison »

wēh }əd bənt « une fille ».

La détermination d’un nom est marquée par :

- l’article əl qui connaît les assimilations habituelles avec les consonnes

solaires (voir 3.1.5.1 Assimilation du /l/ de l’article défini).

- par l’état d’annexion.

6.8.1. L’état d’annexion

Dans les dialectes arabes actuels, pour exprimer la relation de possession,

on a recours, en général, à deux types de construction : l’un synthétique – nommé

état d’annexion – qui appartient aussi à l’arabe classique, l’autre analytique, qui

est une innovation propre aux dialectes. Le mardini utilise seulement l’état

d’annexion, n’ayant pas développé de constructions analytiques – où le déterminé

est relié au déterminant par une particule indiquant l’appartenance, la possession –

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comme la majorité écrasante des dialectes arabes contemporains.

Le premier élément de la construction synthétique ne comporte pas

d’article ; il est déterminé par un second élément, qui est :

- soit indéterminé :

bayt rā‘i « la maison d’un berger » ;

būro məhandəsīn « le bureau d’ingénieurs » ;

karmət ‘ənəb « vigne de raisins » ;

čəwērīp s}ūf « chaussettes de laine » ;

makīnət ġasīl « machine à laver » ;

kāġəd dībbēn « papier de mouches », c’est-à-dire « tue-mouches » ;

čat }al fəd}d}a « fourchette d’argent » ;

sā‘at īd « montre de main », c’est-à-dire « bracelet-montre » ;

zəbəl dawāb(b) « fumier d’animaux » ;

walad days « enfant à la mamelle », c’est-à-dire « nourrisson ».

- soit déterminé

- par un article :

bayt ər-rā‘i « la maison du berger » ;

būro əl-məhandəsīn « le bureau des ingénieurs » ;

nəs}s} əl-layl « le milieu de la nuit », c’est-à-dire « minuit » ;

zrōq əš-šams « le lever du soleil » ;

t }ūl əl-pərdāye « la longueur du rideau » ;

wēdi s}-s}an}n}ōr} « la vallée du chat ».

- par un adjectif démonstratif :

h~əwāt hādi l-mar}a « les sœurs de cette femme » ;

h}amāmət hād əl-qār}i « le pigeon de cet élève » ;

šəwwāyət hād əš-šōfər « la grille de ce chauffeur ».

- par un adjectif possessif :

h}awš bayt-u « la cour de sa maison ».

- par le statut de nom propre :

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qarīšət Fawzi « la ceinture de Fawzi » ;

mərt }ābān51

Fāt }m}a « le pot /bocal de Fatima ».

Pour pouvoir suivre le comportement du premier élément dans l’état

d’annexion, il faut diviser les noms dans les catégories suivantes :

- noms terminés en consonne ;

- noms terminés en n (consonne composant les morphèmes du pluriel masculin

régulier, -īn, et respectivement du duel, -ayn) ;

- noms terminés en voyelle historiquement longue ;

- noms terminés en voyelle courte /a/e/ (correspondant à la terminaison at

classique).

a) Noms à singulier, terminés en consonne

Ces noms demeurent inchangés à l’état d’annexion à une seule exception.

Exemples :

hātəm nīšān « bague de fiançailles » ;

h~bayz tannōr} « pain de four (pain d’âtre) » ;

bəzər kəttēn « semences de lin » ;

dīk əl-kalīye « coq de rôti » ;

šams əl-maytīn « le soleil des morts (beau temps froid) ».

L’exception est dans la situation d’un nom – premier membre dans l’état

d’annexion – qui a la syllabe finale de type CVC, où la voyelle est un schwa /ə/.

Ce schwa sera éliminé toujours dans l’état d’annexion. Exemples :

əbən – əbn əl-‘amm « fils » – « fils de l’oncle paterne (cousin) » ;

‘aqəl – ‘aql əl-h}arami « jugement » – « le jugement du voleur » ;

s}ədər – sədr əl-bayt « poitrine » – lit. : « la poitrine de la maison » (dans

l’expression : fə-s}ədr əl-bayt « devant la maison ».

Un exemple illustratif pour le comportement de ces noms est le proverbe

suivant :

t}ūl t}ūl ən-nah~le, ‘aqəl ‘aql əs-sah~le.

51 Et aussi mət}rābān.

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« Il est haut (grand) comme le palmier, mais son jugement est comme

celui de la chèvre ».

b) Noms terminés en /n/ (consonne composant les morphèmes du pluriel

masculin régulier – īn – et respectivement du duel – ayn)

b-1) Le pluriel en īn

L’annexion d’un nom ou d’un adjectif possessif à un nom, pluriel

masculin régulier, en īn n’entraîne point la chute du /n/, contrairement à ce qui se

passe en arabe classique, mais en concondance avec ce qui se passe dans la

plupart des dialectes contemporains :

mhandəsīn əš-šərke « les ingénieurs de la compagnie » ;

m‘alləmīn əl-maktab « les instituteurs de l’école » ;

awūqat }īn h }asan « les avocats de Hasan » ;

m‘alləmīn-u « ses instituteurs » ;

awūqat }īn-u « ses avocats » ;

arqad }āšīn-i « mes amis » ; « mes copains » ;

məsləmīn-kən « vos musulmans ».

Observation : On peut rencontrer aussi de très rares exceptions, des

pluriels dont la consonne finale n est éliminée quand ils sont le premier terme

dans l’état d’annexion, mais seulement dans des expressions figées, héritées telles

quelles de l’ancien fonds arabe, comme par exemple le pluriel banī (de banīn, sg.

bin « fils ») : banī Adam « les fils d’Adam », « les hommes ». Ce syntagme

classique – dont l’origine est dans le texte coranique – est présent dans tous les

dialectes (v. Marçais 1902 : 148). Il pose parfois des difficultés pour les

Mardiniens qui l’interprètent comme un singulier (la voyelle finale /i/ est

interprétée comme la marque de l’état d’annexion en kurde). Exemple :

Bən-i adam əswəd rās we.

(rendu en turc par Insanoğlu kara kafalıdır).

« L’homme est noir de tête (L’homme a des pensées noires / broie du

noir) ».

b-2) Le duel

D’une façon générale, l’annexion au duel ne détermine pas la disparition

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de la consonne /n/ :

əh ~tayn H}asan « les deux soeurs de Hasan » ;

əhtayn-u « ses deux sœurs » ;

qadah }ayn-i « mes deux verres » etc.

Exemple :

ta‘ān w h ~əd ma‘-na ləqmətayn zabaše !

Viens et prend avec nous deux bouchées de pastèque !

Si l’annexion est à un duel des noms de partie doubles du corps, la

consonne /n/ tombe : ‘aynay-i, ‘aynay-k, ‘aynay-ki, ‘aynay-u, ‘aynay-a (mes yeux,

tes yeux etc.)

Exemples :

y‘alli əğray-u lə-l-falaqa.

Il enlève ses pieds pour le supplice de falaqa52

.

bažari fašūš, əgər kamačtū-k ta-’akassər sāqay-k !

Citadin hâbleur, si je t’attrape, je te briserai les jambes !

ənšal }l }āh, la-sant əğ-ğēye, ta-tmaddəd əğərtay-ək ma‘ ba‘d}īn.

Si Dieu veut, l’année prochaine, tes pieds s’allongeront tous les deux

ensemble (ces vœux sont adressés à un garçon qui a subi une intervention

médicale à ses pieds).

Noms terminés en voyelle courte a/e.

L’occurrence d’un nom terminé en a/e comme premier terme dans un état

d’annexion entraîne toujours l’apparition de la consonne /t/ qui modifie sa

dernière syllabe de cette manière : Ca/e → Ca/ət.

Cette consonne peut être historiquement motivée (les terminaisons at,

52 Falaqa consiste en ce que les pieds sont attachés à une chaîne ou à une corde fixée à un bâton,

auquel on donne autant de tours que l’on juge à propos, pour serrer et tordre les pieds du puni (voir

Kazimirski).

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’at) :

bāqat baqdūnəs « une botte de persil » ;

bə‘rāyət h }mār « une feinte d’âne » ;

s}an }n}ōr}at sqāq « une chatte de rue » ;

rīh }at akәl « odeur de nourriture » ;

ğar}r}at əl-m}ayy « la cruche de l’eau » ;

bərkət əl-ğamal « l’étang du chameau ».

Par analogie à la catégorie ci-dessus, d’autres noms terminés en a/e, même

si historiquement cette terminaison est soit /ā/, soit /ā’/, reçoivent /t/ lorsqu’ils

sont le premier terme dans un état d’annexion :

rah }at bərġəl « moulin [à bras] de gruau » (cf. AC rah}ā) ;

mar‘at əl-baladīye « le pâturage de la municipalité » (cf. AC mar‘ā) ;

ma‘nat əl-ğanğalūtīye « la signification de la magie » (cf. AC ma‘nā) ;

masat mbērəh } « hier soir » (lit. : « soir d’hier ») (cf. AC masā’).

Observation : la voyelle finale ne se prolonge pas.

Même à un substantif comme b}āb}a « papa », « père » (cf. AC bābā) on

signale l’apparition du /t/ comme dans cet exemple :

atarağğa l-‘afu, mā-’ar}aytū-k, bābat-i.

Je te prie de m’excuser, je ne t’ai pas vu, mon père.

Très rarement on trouve des structures qui semblent être empruntées au

classique, comme c’est le cas de ce toponyme mardinien extrêmement connu :

qafa l-qal‘a « derrière la citadelle », « l’autre versant » (lit. : « la nuque de

la citadelle ») (cf. AC qafā « nuque »).

Les noms empruntés, terminés en a/e, subissent le même traitement

lorsqu’ils sont le premier terme dans une construction d’annexion :

lītrət h }alīb « un litre de lait » (cf. le turc litre) ;

kavgat əl-‘ayn « la querelle de la fontaine » (la querelle qui éclate autour

d’une fontaine, d’une source d’eau) (cf. le turc kavga) ;

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qūt }īyət kəbrīt « boîte d’allumettes » (cf. le turc kutu) ;

šap }qat əl-walad « la casquette de l’enfant » (cf. le turc şapka).

Un courant contraire à celui décrit ci-dessus consiste dans la non-

apparition du /t/ chez les noms terminés en a/e lorsqu’ils sont le premier terme

dans une construction d’annexion. Les exemples trouvés concernent seulement

une construction où le deuxième terme est indéfini :

lēr}a dahab « une livre d’or » ;

wal }l }āhi, əl-yawm mā-h}assaltu h }aqq gəmše gəzbar}a !

Par Dieu, aujourd’hui je n’ai gagné ni même le prix d’une poignée de

coriandre !

6.8.2. Un cas de double détermination

J’ai trouvé un exemple où un substantif est doublement déterminé – ce qui

est étrange pour l’arabe. Le substantif s}āh}bīn « compagnons », « camarades » est

déterminé par une double annexion : l’annexion du possessif -i « mes » et le

substantif s-sōq « le marché » :

ya s}āh}bīn-i s-sōq, mən kəl-ar}a h }mār, ‘alay-u kəlbətayn ‘ənəb ?

O, mes camarades de marché, qui a vu un âne qui a sur lui deux cabas de

raisins ?

6.8.3. L’annexion de qualification

En mardini, l’adjectif qualificatif ou les participes pris comme adjectifs

sont fréquemment employés en état d’annexion, suivis d’un déterminatif. Cette

annexion ne marque pas la dépendance, mais la qualité. La primauté est donnée

ainsi au terme affectif, celui qui touche, impressionne, précisé ensuite par un

déterminatif :

mah}lūq ər}-r}ās « rasé de tête », « ayant la tête rasée » ;

mazlūt ər}-r}ās « rasé de tête », « ayant la tête rasée » ;

maqs}ōs} əl-‘as}‘ōs} « coupé de queue », « ayant la queue coupée,

écourtée » ;

məswədd əl-wəčč « noirci de visage », « ayant la face noircie ».

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6.8.4. Le syntagme de qualification

Ce syntagme se compose d’un nom et d’un adjectif (ou d’un participe) en

fonction d’épithète. L’adjectif qui suit le nom s’accorde avec celui-ci en genre et

en nombre. En fonction de la détermination du nom, il existe deux situations :

a) un nom indéfini: l’adjectif qui le suit est aussi indéfini (sans article défini):

rəgğāl smīn « un homme gros » ;

mar}a smīne « une femme grosse » ;

rğēl smān « des hommes gros » ;

mar}awāt smān « des femmes grosses » ;

s}an }n}ōr}a ‘ār}r}a « un chat laid » ;

s}ən }ān}īr} ‘ār}r}īn « des chats laids ».

b) un nom défini, considéré comme hautement référentiel, est suivi d’un

adjectif toujours préfixé par l’article défini, même si le nom n’est pas

accompagné par l’article défini :

b-1) un nom propre:

‘ali ət }-t }wīl « ‘Ali le Long ».

b-2) un nom déterminé par un nom déterminant (annexion nominale) :

bāb əl-h}awš əl-maftūh } « la porte ouverte de la cour » ;

h }mār-i l-mašdūd « mon âne lié ».

6.8.5. Le syntagme à double rôle: de détermination et de qualification

Il s’agit d’un état d’annexion « paradoxale » qui consiste en une suite

formée d’un substantif et d’un adjectif. Le substantif se comporte habituellement

pour un premier élément, partie composante d’un état d’annexion : l’absence de

l’article défini, l’apparition de /t/ pour les substantifs féminins singuliers, sa

définitude est déduite de la définitude de l’adjectif qui lui suit. La définitude de

l’adjectif est marquée par l’article défini əl. L’adjectif qui suit au substantif,

comme dans un syntagme de qualification, s’accorde en genre et en nombre avec

celui-ci. Ce syntagme peut être schématisé ainsi:

S əl-A

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Nous avons relevé quelques-unes de ces constructions pour illustrer cette structure

généralisée en mardini :

‘anbar əl-mətli « le dépôt plein » ;

h }at }ab ən-nēšəf « le bois [de chauffage] sec » ;

dēv əl-a‘me « l’ogre aveugle » ;

sqāq əl-masdūd « la rue fermee », « la rue sans issue », « le cul de sac » ;

‘ayn əl-fārġa « la fontaine vide » ;

daqn əl-‘asalīye « la barbe rousse » ;

kāffət əl-h}amra « l’écume rouge » ;

raqbət əl-‘awğe « le cou tordu » ;

bəqčət53 əl-wəsh~a « le balluchon sale » ;

h}ānəqr}at54

əl-h}ār}r}a « la pierre chaude » ;

mašlah }ayn əl-gbār} « les deux grands vestiaires » ;

klēb əl-maklūbīn « les chiens enragés » ;

bī‘āt əl-‘tāq « les anciennes églises ».

Exemples de constructions S əl-A dans quelques propositions consacrées:

faras əl-as}īle, zayyəd akl-a !

À la jument de bonne race, donne plus de nourriture !

ġanamət əl-ğərbe, mən r}ās əl-‘ayn təšr}ab.

La brebis galeuse boit du haut bout de la source.

ya rabb, dəllni ‘ala t }arīqət əl-malēh}a !

Mon Seigneur, dirige moi dans le bon chemin !

53 Bəqče, du turc bohça « balluchon ». 54 H}ānəqr}a est le nom du bloc de marbre, de forme ronde, chauffé par le dessus, qui se dresse au

milieu d’un bain publique.

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Le traitement égal, en mardini, des déterminants d’un substantif (S1), soit qu’il s’agit

d’un autre substantif (S2), soit qu’il s’agit d’un adjectif (A), peut être le résultat du

contact entre le mardini, d’une part, et le turc et le kurde, d’autre part :

S1 əl-S2 : hārūf əl-hort « l’agneau du jeune homme »

S1 əl-A : hārūf l-əswəd « l’agneau noir ».

En kurde pour ces deux situations on applique le schéma suivant : le premier

substantif suivi par la voyelle /a/ ou /ê/ (en fonction du genre de ce substantif) et le

déterminant, substantif ou adjectif. Le deuxième substantif finit dans un /i/ bref (souvent

négligé), et l’adjectif n’a aucune terminaison :

S1 a/ê S2 : berxê xort « l’agneau du jeune homme ».

S1 a/ê A : berxê reş « l’agneau noir ».

De la même façon, dans le turc ottoman il y avait l’izafet persan qui a la

même utilisation comme la construction du kurde :

S1 i/ı S2 : der-i sâ‘adet « La Porte du Bonheur », « Istanbul » ;

S1 i/ı A : bahr-ı sefid « La Mer Blanche », « la Méditerranée ».

À partir de ces deux modèles, le mardini généralisera aussi un seul schèma

S1 əl – S2/A pour les deux situations.

Ce type de construction existe aussi, dans une moindre mesure, loin d’être

généralisé comme en mardini, dans d’autres dialectes arabes, comme celui

libanais. Dans ce dialecte, la construction S al-A est considérée par des auteurs

comme Philippe Marçais l’une des survivances de l’arabe ancien où une annexion

semblable – avec une fonction bien déterminée (’id }āfat al-maws}ūf) – existe, mais

pour d’autres, cette explication ne semble guère crédible (Dagher 1994 : 131).

Voilà pourquoi je crois que pour ce type d’annexion en mardini les modèles turc

et kurde ont été déterminants.

6.9. Substantifs composés

Partant de la définition habituelle, en linguistique, d’un mot composé – qui

est une juxtaposition de deux morphèmes libres permettant d’en former un

troisième qui soit un mot à part entière et dont le sens ne se laisse pas forcément

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deviner par celui des deux constituants – on peut identifier en mardini deux types

de composés :

- déterminé – déterminant ;

- qualifié – qualifiant.

Le premier type est formé de deux substantifs liés par une relation

d’annexion. Les substantifs composés les plus répandus sont des noms de plantes :

šahfət əl-‘ağūze « cheveux de la vieille femme » ;

ša‘r əğ-ğəbbār « cheveux du géant » ;

hyār əl-h}mār « concombre de l’âne » (un sorte de concombre de la flore

spontanée) ;

təmm əs-samake « la gueule du poisson » (l’équivalent en français est

« gueule de lion » ou « moufle de veau ») ;

‘ərq əs-sūs « racine de réglisse glabre » (Glycyrrhiza glabra).

Beaucoup de composés de ce type sont formés à l’aide des substantifs abū

« père » et əm}m} « mère »55

:

abū-s}afar « jaunisse » « hépatite » ;

abū-kmāš « attisoir » ;

abū-wəččayn « hypocrite » ;

əm}m} arba‘ w arba‘īn « mille-pieds », « myriapode » (mot enregistré aussi

en arabe classique).

Le deuxième type est formé d’un substantif qualifié par un qualifiant

adjectival :

ward as}far « benoîte » (Geum urbanum) (voir aussi, avec le même sens,

en turc sarıgül et en kurde gula zer « fleur jaune »).

55 En mardini, comme dans tous les parlers mésopotamiens et d’autres aussi, les deux substantifs

abu et əm}m} sont employés dans des syntagmes construits ad hoc pour indiquer une personne qui

détient quelque chose qui peut se constituer dans un élément d’indentification de celle-ci : abū-

ədəntayn « celui à oreilles [pendantes] », əm}m} d}əfēyər « celle à nattes » etc.

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7. Le numéral

7.1. Le numéral cardinal

En mardini, les numéraux cardinaux peuvent être divisés en trois groupes,

en fonction du comportement du nom de l’objet compté.

a. Les numéraux cardinaux « un » et « deux »

Ces numéraux ont deux formes en fonction du genre :

Numeral masculin féminin

un wēh}əd wēh}de

deux tnayn təntayn

Pour exprimer l’idée de singularité, le nom indéfini au singulier est

suffisant. Le numéral wēh}əd/wēh }de est employé avec sa valeur adjectivale pour

accentuer la singularité. Vu cette qualité, il est postposé au nom de l’objet compté

avec lequel il s’accorde en genre :

zənğīr wēh }əd « une chaîne », « une seule chaîne » ;

h}anafīye wēh }de « un robinet », « un seul robinet ».

Aussi, pour exprimer l’idée de « deux », le mardini utilise le duel :

s}əyyādayn « deux chasseurs ». Le numéral tnayn/təntayn est employé comme

adjectif pour renforcer cette idée :

s}əyyādayn tnayn « deux chasseurs » ;

armal }atayn təntayn « deux veuves ».

Le mardini utilise aussi un syntagme formé du numéral « deux » suivi d’un

nom au pluriel pour exprimer la même idée (voir 6.2.2.2. Le duel) :

tnayn wlād « deux garçons » ;

təntayn bənāt « deux filles ».

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Le numéral wēh }əd/wēh}de peut être pronominalisé, remplaçant le nom de

l’objet compté après les numéraux qui exigent le singulier (au-delà de onze) :

‘aššīn wēh }əd « vingt entités de genre masculin » ;

‘aššīn wēh }de « vingt entités de genre féminin ».

Exemples :

‘ənd-kən təffāh } ? gību l-i ‘aššīn wēh }de !

Est-ce que vous avez des pommes ? Apportez moi vingt pommes !

(wēh }de « une » remplace le singulatif təffāh }a).

b. Les numéraux cardinaux allant de trois à dix:

A l’état isolé ou absolu, les numéraux de 3-10 ont une forme féminine, se

terminant par -a/e : tāte « trois », arba‘a « quatre » etc.

Dans le syntagme de numération, ces numéraux ont deux formes : l’une

nue – se terminant par la C3 de la racine – devant un nom à initiale consonantique,

l’autre se terminant par un -t devant un nom à initiale vocalique :

h~ams ‘əbbār}āt « cinq ruelles » ;

h~ams h }mīr « cinq ânes » ;

h~amst əyyēm « cinq jours ».

Les numéraux de trois à dix sont suivis par un nom au pluriel.

Lorsque le nom de l’objet compte est défini, le numéral se comporte

comme un adjectif, c’est-à-dire que les formes isolées sont placées après le nom.

La définitude est marquée par l’article défini əl attaché seulement au numéral :

sabbāt əs-sətte « les six semaines » ;

klēb əs-sətte « les six chiens ».

Page 222: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 221 -

Les formes des numéraux cardinaux allant de trois à dix :

Numéraux Forme isolée Forme en annexion

devant un

substantif à

initiale

consonantique

devant un

substantif à

initiale vocalique

trois

quatre

cinq

six

sept

huit

neuf

dix

tāte

arb‘a

h~amse

sətte

sab‘a

tmēnye

təs‘a

‘ašara

tāt

arba‘

h~ams

sətt

saba‘

tmən

təsa‘

‘aš

tātt

arba‘t

h~amst

-

saba‘t

tmənət

təsa‘t

‘ašt

b. Les numéraux cardinaux à partir de onze et ensuite:

Les numéraux à partir de la dizaine comportent un suffixe ‘š (qui est

résulté de la réduction de ‘ašara « dix »). De treize à dix-neuf, entre le morphème

de l’unité et le morphème ‘š, un /t }/ emphatique est inséré.

h}da‘š « onze » ;

tna‘š « douze » ;

tələt}t}a‘š « treize » ;

arba‘t }a‘š « quatorze » ;

h~aməst }a‘š « quinze » ;

sət}t}a‘š « seize » ;

saba‘t }a‘š « dix-sept » ;

tmənt }a‘š « dix-huit » ;

tsa‘t }a‘š « dix-neuf ».

Les dizaines se forment par la suffixation de -īn à l’unité :

‘aššīn « vingt » ;

tētīn « trente » ;

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- 222 -

arb‘īn « quarante » ;

h~amsīn « cinquante » ;

səttīn « soixante » ;

sab‘īn « soixante-dix » ;

tmēnīn « quatre-vingts » ;

təs‘īn « quatre-vingt-dix ».

Dans les dizaines composées, l’unité (la forme de l’état isolé) précède

toujours la dizaine :

h~amse w arba‘īn « quarante cinq ».

Dans les cents composés, l’ordre est : cent (mīye), unité, dizaine :

mīye sətte w tētīn « cent trente six ».

Dans les multiples de cent, le lexème mīye reste au singulier après l’unité

multiplicative :

arba‘ mīye « quatre cents ».

Pour exprimer « deux cents », on emploie le duel : mīyətayn.

Dans les multiples de mille, le lexème mille (alf) se comporte comme un

substantif, suivant le régime imposé par le numéral (au pluriel de trois à dix, au

singulier ensuite) :

saba‘t alāf « sept mille » ;

saba‘t }a‘š alf « dix-sept mille ».

Dans les milles composées, l’ordre est : mille, cent, unité, dizaine :

alf w h ~ams mīye təs‘a w ‘aššīn « mille cinq cents vingt neuf ».

A partir du numéral « onze » jusqu’au dernier numéral possible, le nom

des objets comptés se construit au singulier :

h}da‘š ğēğe « onze poules » ;

h}da‘š h}mār « onze ânes ».

Un exemple illustratif de cette règle est compris dans le proverbe suivant :

Page 224: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 223 -

arba‘īn ‘adīl, mā-tāqu qatalu fār}a

Quarante beaux-frères n’ont pas pu tuer une souris.

En mardini, il n’y a pas d’éléments de liaison comme /1/, /n/, entre le

numéral et le nom de l’objet compté, comme il existe dans beaucoup d’autres

dialectes, mais parfois la préposition qui précède le numéral est reprise devant le

nom de l’objet compté. Exemple (trouvé dans un proverbe mardinien) :

šahər ‘arūs

šahrayn ğāsūs

tāt šhūr, h }ayye b-sab‘ b-r}ūs.

« un mois, jeune mariée

deux mois, espion

trois mois, serpent à sept têtes ».

7.2. Le numéral ordinal

Les numéraux ordinaux sont formés sur les numéraux cardinaux

correspondants, par le réarrangement de leurs consonnes radicales sur le schème

C1āC2əC3 :

tāni « second » ;

tēlət « troisième » ;

rābə‘« quatrième » ;

h~āməs « cinquième » ;

sādəs « sixième » etc.

Au féminin, le schwa, qui suit à C2, disparaît : tēlte, rāb‘a etc.

Exception : le numéral « premier » a une forme spécifique awwali.

Les numéraux tēlət et ‘āšər sont dérivés des racines anciennes tlt, et

respectivement ‘šr, et non pas des formes tronquées des ordinaux existant en

mardini : tāt et ‘aš.

Le numéral ordinal peut être préposé ou postposé à un substantif. Dans la

première situation, le numéral, invariable au masculin, et le substantif n’ont pas

d’article, dans la deuxième situation l’article défini apparaît seulement au

Page 225: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 224 -

numéral :

rābə‘ sane « le quatrième an » ;

sant ər-rāb‘a « le quatrième an ».

Les deux syntagmes ont le même sens.

Outre quelques syntagmes figés, ces numéraux – qui ont des formes

spécifiques jusqu’à dix – sont très rarement employés. Le rôle du numéral ordinal

est assumé par le numéral cardinal – la forme de l’état isolé – qui fonctionne

comme un attribut du substantif. Dans cette situation-ci, le numéral sera toujours

articulé :

šahər ət-tāte « le troisième mois » ;

sant ət-tmēnye w tētīn « la trente huitième année ».

Ce syntagme est semblable au syntagme de numération à un nom défini,

mais la différence entre eux consiste dans le nombre du nom, singulier dans la

première situation, pluriel dans l’autre :

yawm əl-h~amse « le cinquième jour » ;

əyyēm əl-h~amse « les cinq jours ».

7.3. Le numéral distributif

Les numéraux distributifs sont formés par le doublement des numéraux

cardinaux.

wēh }əd-wēh}əd « un par un » ;

wēh }de-wēh}de « une par une » ;

tnayn-tnayn « deux par deux » (m.) ;

təntayn-təntayn « deuz par deux » (f.).

Les numéraux distributifs composés à partir de trois jusqu’à dix sont

formés sur les formes de l’état isolé des cardinaux :

tāte-tāte « trois par trois » ;

sətte-sətte « six par six ».

Page 226: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 225 -

Exemple :

h~amse-h~amse ğawu

elles/ils sont venus cinq par cinq.

7.4. Le numéral fractionnaire

Les numéraux fractionnaires, en mardini, sont restreints à : nəs}s} « demi » ;

təlt (pl. : tlāt)« un tiers » ; rəba‘ (pl. : rbā‘) « un quart ». Théoriquement, ce

numéral est formé par le réarrangement des consonnes des numéraux ordinaux sur

le schème : C1əC2(ə)C3 (pl. : C1C2āC3).

7.5. Le numéral collectif

Le numéral collectif, qui indique le nombre des entités composant un

groupe, se forme en rattachant à la forme nue du numéral cardinal la terminaison

at/ət et les pronoms affixes au pluriel (-na, -kən, -hən/ən). Cette forme de numéral

ne peut pas être considérée comme féminine ayant en vue que la terminaison -ət

est rattachée même au duel tnayn « deux » :

tnaynət-na « nous tous/toutes les deux » ;

tnaynət-kən « vous tous/toutes les deux » ;

tnaynət-ən « ils/elles tous/toutes les deux ».

Très rarement on peut entendre la forme tnayn-na « nous tous les deux »

etc.

La terminaison -at/ət apparaît aussi aux prépositions qui indiquent un

groupe : baynət-na « entre nous » (bayn « entre », « parmi »).

Ce type de numéral, qui est présent aussi en d’autres parlers arabes (voir

pour le mh}allami, Sasse 1971 : 113) peut être formé seulement à partir des

cardinaux composés d’une unité. D’autres exemples: tātət-na « nous tous les

trois », arba‘at-kən « vous tous les quatre », h~amsət-ən « ils tous les cinq ».

Il s’emploie habituellement, comme apposition, après un substantif ou un

Page 227: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 226 -

numéral au pluriel, pour le renforcer et pour préciser le nombre des

composants :

wlādi h ~amsət-ən yəštəġlūn fə-l-baladīye.

Mes enfants, tous les cinq, travaillent à la mairie.

nəh }ne tnaynət-na ğīna b-ayni ōtōbūs.

Nous, tous les deux, sommes venus par le même autobus.

Page 228: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 227 -

8. Pronoms et déterminants

Le pronom a le rôle principal de représenter un élément quelconque,

linguistique ou non. Si l’élément représenté est de nature linguistique ou

phrastique (un nom ou un mot quelconque, un syntagme, une proposition, une

phrase), le pronom est un représentant textuel. Si au contraire l’élément remplacé

est de nature extralinguistique, le pronom est un représentant référentiel (il

désigne un élément non encore désigné par un nom : ana « moi » etc.). Lorsque le

pronom est un représentant textuel, il est mis à la place d’un terme se trouvant

dans le texte, employé ou cité, soit avant le pronom (fonction d’anaphore), soit,

plus rarement, après (fonction de cataphore).

Certains pronoms ont des correspondants dans la catégorie des

déterminants (adjectifs). La différence entre un pronom et le déterminant

correspondant, est que le déterminant est toujours suivi du nom noyau avec lequel

il forme un syntagme, tandis que le pronom est employé tout seul, remplaçant à la

fois le déterminant et le nom.

Observation : Le pronom utilisé pour désigner des objets au pluriel est

aussi au pluriel (au contraire à ce qui ce passe dans d’autres variétés d’arabes) :

hən « ils », « elles » ; hən or ən (formes suffixées), hawde « ces » etc. Exemple :

əl-h}īt }ān lə-hən ədān.

Les murs ont des oreilles.

8.1. Le pronom personnel

Il existe deux types de pronoms personnels en mardini comme dans toutes

les variétés d’arabe :

- les pronoms personnels autonomes ou indépendants ;

- les pronoms personnels affixés.

8.1.1. Le pronom personnel autonome

Les pronoms personnels autonomes, qui jouent le rôle du sujet ou du nom

prédicatif, sont les suivants:

ana « je » ;

ənt « tu » (m.) ;

Page 229: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 228 -

ənti « tu » (f.) ;

hūwe « il » (réduit souvent à we) ;

hīye « elle » (réduit souvent à ye) ;

nəh }ne « nous » ;

əntən « vous » ;

hənne « ils », « elles ».

Le pronom personnel autonome n’a pas de correspondant dans la catégorie

des déterminants.

La distinction de genre est maintenue (en comparaison avec d’autres

variétés d’arabe) seulement aux deuxième et troisième personnes du singulier.

Les personnes unigenres əntən « vous » hənne « ils », « elles » continuent

les formes du féminin de l’ancien arabe : ’antunna « vous » (f.) et hunna « elles ».

Les anciennes formes du masculin antum « vous » (m.) et hum « ils » n’ont laissé

aucune trace en mardini. La préservation de əntən et hənne est due – semble-t-il –

à l’influence du substrat araméen.

8.1.2. Le pronom personnel affixé et le déterminant correspondant

Les pronoms personnels affixés accomplissent la fonction de complément

direct (affixés directement aux verbes) ou de complément indirect et de

compléments circonstanciels (affixés aux prépositions). Le correspondant de ce

type de pronom dans la catégorie des déterminants accomplit la fonction de

l’adjectif possessif (affixé aux substantifs). Lorsqu’on envisage seulement leurs

signifiants, on peut nommer les pronoms personnels et les adjectifs possessifs

afférents des suffixes pronominaux.

Les formes des suffixes pronominaux sont :

Pers. après une

consonne

après une

voyelle

I sg. -i ; -ni -y

II sg. m. -ək -k

II sg. f. -ki -ki

III sg. m. -u -hu

Page 230: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 229 -

-wu

-yu

III sg. f. -a -ha

-wa

-ya

I pl. -na -na

II pl. -kən -kən

III pl. -ən -hən

-wən

-yən

La première personne du singulier connaît deux formes qui ont un

utilisation spécialisée : -i, et son allophone -y sont suffixés seulement aux noms et

aux prépositions, tandis que -ni est suffixé à une forme verbale.

Sauf aux première et deuxième personnes du pluriel (-na; -kən), la

deuxième personne féminin du singulier (-ki) et à la première personne du

singulier (seulement dans sa variante -ni), à toutes les autres personnes, le

signifiant du suffixe pronominal varie avec la nature de la finale du mot auquel il

est suffixé. Si la finale est une consonne, alors, c’est la variante du suffixe à

initiale vocalique qui lui sera annexée. Par contre, si la finale est une voyelle,

alors, on lui suffixera la variante à initiale consonantique56

.

La consonne initiale de la variante consonantique du suffixe pronominal

des troisièmes personnes varie toujours selon la nature de la voyelle finale du mot

auquel celui-ci sera attaché :

- après la voyelle /a/, la consonne initiale sera /h/: -hu, -ha, -hən : mas}ā-hu

« sa table [à lui] » ; mas}ā-ha « sa table [à elle] » ; mas}ā-hən « leur table » ;

ar}ā-hu « je le vois » ; ar}ā-ha « je la vois » ; ar}ā-hən « je les vois » ;

- après la voyelle /i/ et /e/, la consonne initiale sera /y/: -yu; -ya; -yən ;

kərsī-yu « sa chaise [à lui] » ; kərsī-ya « sa chaise [à elle] » ; kərsī-yən

« leur chaise » ; yə‘t }ī-yu « il lui donne [à lui] » ; yə‘t }ī-ya « il lui donne [à

56 L’amuïssement du /h/ historique dans les affixes pronominaux de la troisième personne du

singulier et du pluriel quand le nom, le verbe ou la particule auxquels se trouvent suffixés

terminent en consonne est un trait que partagent beaucoup d’autres dialectes arabes contemporains.

Page 231: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 230 -

elle] » ; yə‘t }ī-yən « il leur donne » ; šətē-yu « son hiver [à lui] » ; šətē-ya

« son hiver [à elle] » ; šətē-yən « leur hiver ».

- après les voyelles /u/ et /o/, la consonne sera /h/ pour le masculin

singulier : -hu et /w/ pour les deux autres personnes -wa et -wən : ‘alō-hu

« son dindon [à lui] » ; ‘alō-wa « son dindon [à elle] » ; ‘alō-wən « leur

dindon ».

- après la semi-voyelle /w/, seul le suffixe de la troisième personne

masculin du singulier a une forme à initiale consonantique: -hu : d}aw[w]-

hu « sa lumière ».

J’ai choisi, pour exemplifier, l’affixation de ces suffixes pronominaux,

seulement aux substantifs, parce que les problèmes sont les mêmes pour toutes les

classes grammaticales.

L’annexion du suffixe pronominal à un mot à finale consonantique :

bayt « maison » ;

bayt-i « ma maison » ;

bayt-ək « ta maison » (m.) ;

bayt-ki « ta maison » (f.) ;

bayt-u « sa maison » (m.) ;

bayt-a « sa maison » (f.) ;

bayt-na « notre maison » ;

bayt-kən « votre maison » ;

bayt-ən « leur maison ».

L’annexion du suffixe pronominal à un substantif féminin, au singulier, à

finale /a/ (ou son allophone /e/) mène à la réapparition du /t/ final, comme dans

tout état d’annexion :

qūt }īye « boîte » ;

qūt }īyət-i « ma boîte » ;

qūt }īyət-ək « ta boîte » (m.) ;

qūt }īyət-ki « ta boîte » (f.) ;

qūt }īyət-u « sa boîte » (m.) ;

qūt }īyət-a « sa boîte » (f.) ;

Page 232: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 231 -

qūt }īyət-na « notre boîte » ;

qūt }īyət-kən « votre boîte » ;

qūt }īyət-ən « leur boîte ».

L’annexion du suffixe pronominal à un mot à finale /u/ (ah~, en état

d’annexion, ah~ū « frère ») :

ah ~ū-y « mon frère » ;

ah ~ū-k « ton frère » (m.) ;

ah ~ū-ki « ton frère » (f.) ;

ah ~ū-hu « son frère » (m.) ;

ah ~ū-wa « son frère » (f.) ;

ah ~ū-na « notre frère » ;

ah ~ū-kən « votre frère » ;

ah ~ū-wən « leur frère ».

L’annexion du suffixe pronominal à un mot à finale /a/ → /ā/ (‘aša

« dîner ») :

‘ašā-y « mon dîner » ;

‘ašā-k « ton dîner » (m.) ;

‘ašā-ki « ton dîner » (f.) ;

‘ašā-hu « son dîner » (m.) ;

‘ašā-ha « son dîner » (f.) ;

‘ašā-na « son dîner » ;

‘ašā-kən « votre dîner » ;

‘ašā-hən « leur dîner ».

L’annexion du suffixe pronominal à un mot à finale /i/ → /ī/ (kərsi

« chaise ») :

kərsī-y « ma chaise » ;

kərsī-k « ta chaise » (m.) ;

kərsī-ki « ta chaise » (f.) ;

kərsī-yu « sa chaise » (m) ;

kərsī-ya « sa chaise » (f.) ;

Page 233: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 232 -

kərsī-na « notre chaise » ;

kərsī-kən « votre chaise » ;

kərsī-yən « leur chaise ».

L’annexion du suffixe pronominal à un mot à finale /w/ (d}aww

« lumière ») :

d}aww-i « ma lumière » ;

d}aww-ək « ta lumière » (m.) ;

d}aww-ki « ta lumière » (f.) ;

d}aww-hu « sa lumière » (m.) ;

d}aww-a « sa lumière » (f.) ;

d}aww-na « notre lumière » ;

d}aww-kən « votre lumière » ;

d}aww-ən « leur lumière ».

8.1.3. Pronoms suffixés de IIIème

personne, compléments directs ou

indirects

On peut remarquer la disparition du -h des pronoms suffixés de IIIème

personne (u, a, ən) ; qu’en résulte-t-il pour les formes auxquelles ces pronoms

sont suffixés ?

La suffixation des pronoms à un verbe mène, parfois, à la création de

formes qui ont la même structure phonétique que les formes du verbe résultées de

sa simple conjugaison. En ce qui concerne les formes obtenues par la suffixation

de /-u/ (la troisième personne, singulier, masculin), elles sont différentiées des

formes verbales homophones par l’accentuation; bien que le /h/ ne soit pas réalisé,

il conserve ici une existence virtuelle, ce qui pousse l’accent sur la dernière

syllabe ; on a relevé l’opposition suivante :

akalu « ils ont mangé » – akal-u « il l’a mangé » ;

kəlu « mangez » – kəl-u « mange-le ».

Pour d’autres situations, seul le contexte peut élucider l’ambiguïté :

akalna « nous avons mangé » – akal-na « il nous a mangé » (c’est-à-dire

« il nous a rendu la vie dure », « il nous a donné de la tablature »).

Page 234: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 233 -

8.1.4. L’ordre des pronoms suffixés aux verbes

Dans le cas de deux pronoms suffixés simultanément à un verbe

doublement, le premier est un affixe pronominal habituel, pendant que le

deuxième, qui représente toujours une des troisièmes personnes du singulier,

masculin et féminin, et du pluriel, apparaît sous une autre forme, qui semble être

une troncation de la forme autonome et qui se superpose aussi sur la forme de la

copule : -we (← hūwe), -ye (← hīye), -ənne (← hənne).

Le pronom qui apparaît sur la deuxième place est exclusivement de

troisième personne, situation signalée aussi pour le mh}allami (Sasse 1971 : 119).

L’ordre dans lequel ceux-ci apparaissent est le suivant:

‘t }ī-ni s}-s}ət}əl ! « donne-moi le seau ! » → ‘t}ī-nī-we ! « donne-le-moi ! » ;

‘t }ī-ni l-fōt }a ! « donne-moi la serviette ! » → ‘t }ī-nī-ye ! « donne-la-moi ! » ;

‘t }ī-ni l-mənēd }ər ! « donne-moi les lunettes ! » → ‘t }ī-nī-nne ! « donne-les-

moi ! » ;

yə‘t }ī-yū-we « il le lui donne » ;

yə‘t }ī-yū-ye « il la lui donne » ;

yə‘tī-yū-yən « il les lui donne » ;

‘at }aytū-hū-we « je le lui ai donné ».

8.2. Le pronom possessif

Le mardini a développé un pronom possessif qui s’accorde en genre et en

nombre avec le nom qui désigne l’objet possédé, d’où résultent ses trois formes :

a) le nom qui désigne l’objet possédé est masculin, singulier (li + suffixes

pronominaux) :

l-i « le mien » ;

lə-k « le tien » ;

lə-ki « le tien » ;

lə-hu (lu) « le sien » ;

lə-ha (la) « le sien » ;

lə-na « le nôtre » ;

Page 235: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 234 -

lə-kən « le vôtre » ;

lə-hən « le leur ».

b) le nom qui désigne l’objet possédé est féminin, singulier (līt + suffixes

pronominaux) :

līt-i « la mienne » ;

līt-ək « la tienne » ;

līt-ki « la tienne » ;

līt-u « la sienne » ;

līt-a « la sienne » ;

līt-na « la nôtre » ;

līt-kən « la vôtre » ;

līt-ən « la leur ».

c) le nom qui désigne l’objet possédé est au pluriel (lītāt + suffixes

pronominaux) :

lītāt-i « les miens/miennes » ;

lītāt-ək « les tiens/les tiennes » ;

lītāt-ki « les tiens/les tiennes » ;

lītāt-u « les siens/les siennes » ;

lītāt-a « les siens/les siennes » ;

lītāt-na « les nôtres » ;

lītāt-kən « les vôtres » ;

lītāt-ən « les leurs ».

Exemples :

A : makīn }at-i zarqa ye. Līt-ək ?

B : līt-i səwde ye.

- Ma voiture est bleue. La tienne ?

- La mienne est noire.

bšār}āt-i ah }la mən lītāt-ək ənne.

Mes papillons sont plus jolis que les tiens.

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- 235 -

8.3. Le pronom démonstratif et le déterminant correspondant

Le mardini connaît deux séries des pronoms démonstratifs : de proximité

et d’éloignement. Ceux-ci se placent, d’habitude, avant les noms qu’ils

déterminent. Dans chaque série, il y en a seulement trois formes57

: deux formes

pour le singulier, masculin et respectivement féminin, et une seule forme, la

même, pour le pluriel et le duel.

a) Les pronoms/adjectifs démonstratifs de proximité sont :

Sg. Pl.

m. hāda (hād)

hawde (hawd) f. hādi / hāy

b) Les pronoms/adjectifs démonstratifs d’éloignement sont :

Sg. Pl.

m. hāk

hawke (hawk) f. hāke

Les adjectifs démonstratifs précèdent, d’habitude, les noms qu’ils

déterminent, noms qui sont toujours définis:

a) de proximité :

hāda r-rəğğal « cet homme-ci » ;

hādi l-mar}a « cette femme-ci » – hāy l-mar}a « cette femme-ci » ;

hawde l-ərğēl « ces hommes-ci » ;

hawde l-mar}awāt « ces femmes-ci » ;

hawde l-ktēbāt « ces livres-ci » ;

hawde l-klēb « ces chiens-ci ».

b) d’éloignement :

57 Le t }uroyo a la même organisation des démonstratifs, trois de proximité: sg. m.: hano; sg. f.: hate; pl.: hani et trois d’éloignement: sg. m.: hawo; sg. f.: hayo; pl.: hanək

Page 237: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 236 -

hāk ər-rəğğāl « cet homme-là » ;

hāke l-mar}a « cette femme-là » ;

hawke l-ərğēl « ces hommes-là » ;

hawke l-mar}awāt « ces femmes-là » ;

hawke l-ktēbāt « ces livres-là » ;

hawke l-klēb « ces chiens-là ».

8.3.1. Le pronom démonstratif à valeur neutre

Le pronom démonstratif féminin hāy58

peut avoir parfois une valeur

neutre, lorsqu’il représente des noms vaguement identifiables (cela, ceci) :

hāy məne qāl ?

Qui a dit cela/ceci?

hāy ənti h ~ədīya !

Prend-tu cela !

hāy mō-‘rəf.

Je ne connais pas ceci.

hāy fə-qazat }at əl-yawme qar}aytu.

J’ai lu cela dans le journal d’aujourd’hui.

Le syntagme hāy ənnu « ceci que » sert d’introduction à une phrase

causale par simple mise en évidence (pour cette cause que/pour) :

hāy ənnu kəl-akal əz-zabaše kəll-a…

Et la cause en fut d’avoir mangé toute la pastèque…

8.3.2. L’adjectif démonstratif à valeur universelle

L’adjectif démonstratif de proximité: ha (la particule d’attention qui entre

dans la composition des démonstratifs), invariable, peut remplacer toutes les trois

formes de l’adjectif démonstratif de proximité:

hā-ğ-ğah{š = hāda ğ-ğah}š « cet ânon » ;

58 Cf. le t }uroyo, sg. f.: hayo « celle-là ».

Page 238: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 237 -

hā-ğ-ğar}r}a = hādi ğ-ğar}r}a « cette cruche » ;

hā-l-baqar}āt = hāwde l-baqar}āt « ces vaches » ;

h}aqq hā-n-nə‘me ! « par la vérité de ce bienfait ! ».

8.4. Le pronom relatif et le déterminant correspondant

Le mardini possède une seule forme de pronom relatif la (avec la variante l

devant une voyelle). Son emploi en qualité de pronom, c’est-à-dire sans

antécédent, est très rare. En sa qualité de déterminant (adjectif relatif), il est

infiniment plus fréquent. L’emploi de l’adjectif relatif est imposé seulement par

un antécédent déterminé. Vu qu’un nom qualifié par un adjectif (ou une

proposition attributive) est toujours dépourvu de l’article défini, sa détermination

est indiquée seulement par la présence de l’article à son adjectif ou par le pronom

la qui introduit son attributive. L’absence de ceux-ci marque son indétermination

(voir 12.8. La proposition relative).

Exemples avec l’antécédent déterminé :

šapqat la fə-r}ās mh}ammad mō-ğdīde.

La casquette qui est sur la tête de Muhammad n’est pas nouvelle.

zalamət la ar}ayna fə-d-dōlmūš mən mērdīn we.

L’homme que nous avons vu dans le minibus est de Mardin.

8.5. Le Pronom relatif-interrogatif

Le pronom relatif-interrogatif mən « qui » – avec ses deux variantes : mən

avant une voyelle, məne avant une consonne – peut avoir un rôle :

a) interrogatif :

- sujet :

hāda mən we ?

Qui est ?

Hāy məne ‘at }ākye ?

Qui t’a donné ça ?

- complément d’objet direct :

hawne lə-məne tə‘rəf ?

Page 239: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 238 -

Qui tu connaît ici ?

Observation: À l’accusatif, le pronom mən est précédé toujours par la

particule lə comme il arrive aussi aux noms de personnes qu’il remplace.

- complément indirect (précédé de prépositions: ‘ənd « chez », mən « de »

etc. :

‘ənde məne fīyu tmān n‘ām ?

Qui a de la monnaie (lit. : « monnaie fine ») ?

hāy-l-h~abar mə-mən ah ~adt-u ?

De qui as-tu pris cette nouvelle?

- attribut:

bayt məne we ?

À qui est la maison ?

mənēz}ər mən ənne ?

À qui sont les lunettes ?

b) relatif :

a‘rəf mənə-qallab əč-čay ‘ala l- qazat }a.

Je sais qui a renversé le thé sur le journal.

Le pronom relatif-interrogatif ayš « quoi » a une forme unique.

a) interrogatif :

ayš tākəl ?

Qu’est-ce que tu manges ?

b) relatif (en combinaison avec le relatif la) :

ayš la ykūn, ta-ykūn !

Que sera, sera !

Page 240: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 239 -

ana mā-fahəmtu ayš la kəl-qāl.

Je n’ai pas compris ce qu’il avait dit.

ana stah ~bartū-k alf kar}r}a ayš la trīd.

Je t’ai demandé mille fois ce que tu veux (voulais).

Ayš sert à former des locutions interrogatives concernant le temps, la

quantité :

ayš+waqt = ayšwaqt (quel temps) = ašwaqt/ašwah ~t « quand » ;

ayš+qad[ər] = ayšqad (quel mesure) = ašqad « combien ».

8.6. Le pronom/adjectif interrogatif ayna

Le pronom/adjectif interrogatif ayna59

a une seule forme, quels que soient

le genre et le nombre du substantif remplacé / déterminé : ayna « [le]quel »,

« [les]quels », [la]quelle », « [les]quelles ».

a) pronom interrogatif:

ayna abū-k we ?

Quel est ton père ?

hawn fīyu makīn }atayn... ayna līt-ək ye ?

Ici il y a deux voitures. Laquelle est la tienne ?

tə‘rəfūn ayna arqad }āšīn-u hənn ?

Savez-vous quels sont ses amis ?

b) adjectif interrogatif :

ayna ktēb təştəri ?

Quel livre tu achètes ?

‘ala ayna čərpāye h }attaytū-wa ?

59 Cf. le t }uroyo, ayna.

Page 241: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 240 -

Sur quel lit l’ai-je mis ?

ma‘ ayna avūqat }īn qačamtən ?

Avec quels avocats avez-vous parlé ?

Ayna suivi par le relatif la forment un syntagme ayna la à sens de

« quelqu’un » ; « celui / celle / ceux qui ».

8.7. Les pronoms indéfinis et les déterminants indéfinis

Les déterminants indéfinis peuvent être divisés en quantificateurs et non-

quantificateurs.

Les quantificateurs peuvent être :

- de l’ensemble vide (aucun, aucune, nul, nulle, pas un, pas une) ;

- de la pluralité (plusieurs, maint, quelques, divers, différent, différentes) ;

- de la totalité (tout, toute) ;

- le distributif.

Les non quantificateurs peuvent être:

- les identificatifs d’identité (même, mêmes) ;

- les quantificateurs de l’altérité (autre, autres) ;

- les comparatifs (tell, telle, tels, telles) ;

8.7.1. Les quantificateurs

8.7.1.1. Les quantificateurs de l’ensemble vide

Les quantificateurs de l’ensemble vide (aucun, aucune, nul, nulle, pas un,

pas une) ont comme correspondant en mardini un syntagme formé par l’adverbe

la « pas » et le nom considéré (la dite négation d’espèce en classique)

la ah }h}ad « aucun », « personne » ;

la ši « aucune chose », « rien » ;

la bāb « aucune porte », « pas de porte » ;

la h }əss « aucun bruit », « aucune voix ».

Page 242: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 241 -

8.7.1.2. Les quantificateurs de la pluralité (plusieurs, maint, quelques,

divers, différents, différentes)

Ils indiquent une quantité imprécise extraite d’un ensemble. Exemples :

- ba‘d} désigne une quantité imprécise extraite d’un ensemble, un petit

nombre, quelques-uns parmi d’autres :

ba‘d} ən-nēs « quelques hommes », « certains hommes » ;

ba‘d}-kən « quelques-uns de vous », « certains de vous ».

- kam wēh }əd désigne un nombre imprécis, peu élevé :

ar}aytu kam wēh }əd mən-ən h ~alf əl-h~arbe.

J’ai vu quelques-uns d’eux derrière la ruine.

Il peut être utilisé aussi comme pronom :

fə-s-sqāq fīyu kam wēh }əd.

Dans la rue il y a quelques-uns.

8.7.1.3. Les quantificateurs de la totalité

Les quantificateurs de la totalité indiquent toutes les parties composantes

d’une entité et tous les individus d’une collectivité.

-a) toutes les parties d’une entité. kəll (kəllət) précède le nom défini au

singulier :

kəll əl-bayt « toute la maison »

kəll əl-gōle60

« tout le lac »

Comme procédé emphatique, kəll (kəllət) peut apparaît après le nom

défini, en apposition, ayant suffixé un pronom anaphorique :

əl-bayt kəll-u ou əl-bayt kəllət-u « la maison tout entier » ;

əl-gōle kəll-a ou əl-gōle kəllət-a « le lac tout entier ».

Comme apposition aux pronoms indépendants, ce syntagme a un caractère

fortement emphatique. Avec les affixes pronominaux de première personne et de

deuxième personne des deux genres au singulier, il n’apparaît en tant

qu’apposition aux pronoms indépendants. Sa signification est de « tout l’être »,

60 Cf. le turc: göl « lac » ; kurde: gol « lac ».

Page 243: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 242 -

« l’être entier » :

ana kəll-i (kəllət-i) « moi, avec tout mon être » ;

ənt kəll-ək (kəllət-ək) « toi, avec tout ton être » ;

ənti kəll-ki (kəllət-ki) « toi, avec tout ton être » ;

hūwa kəll-u (kəllət-u) « lui, avec tout son être » ;

hīya kəll-a (kəllət-a) « elle, avec tout son être ».

b) tous les individus d’une collectivité : kəll (kəllət) précède un substantif

défini au pluriel (état d’annexion) signifiant « les uns et les autres sans

exception », « la totalité sans exception » :

kəll ən-nēs « tous les hommes » ou kəllət ən-nēs « tous les hommes » ;

kəll ət}-t}yōr} « tous les oiseaux » ;

kəll əl-baqar}āt « toutes les vaches ».

b-1) kəll (kəllət) avec un affixe pronominal :

kəll-na (kəllət-na) « nous tous » ;

kəll-kən (kəllət-kən) « nous tous » ;

kəll-ən (kəllət-ən) « ils tous ».

Comme procédé emphatique, kəll (kəllət) peut apparaître après un nom

défini, en apposition, ayant suffixé un pronom anaphorique :

əl-qal‘a kəllət-a « toute la citadelle », « la citadelle tout entière » ;

wəčč-a kəllət-u « tout son visage », « son visage tout entier » ;

nēs əl-wəlāya kəllət-ən « tous les hommes de la ville » ;

dawāb(b)-ən kəllət-ən « tous leurs animaux ».

8.7.1.4. Le distributif kəll

Parallèlement avec l’utilisation de kəll, le mardini emploie aussi une forme

féminine dérivée de celui-ci kəllət. Ayant en vue que les deux formes sont

employées indistinctement, sans aucun conditionnement, on peut considérer kəllət

comme une variation libre de kəll. Les deux formes sont signalées aussi en

d’autres dialectes mésopotamiens, étant héritées, telles quelles, des anciens

dialectes. Cette affirmation se fonde sur « Le Livre » de Sībawayhi qui cite son

Page 244: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 243 -

maître al-H~alīl, qui soutient que la forme féminine kullatun

dérivée de kullun

est

employée par certains bédouins (ba‘d }u l-‘arab) comme synonyme de kullun

:

kullatuhunna munt }aliqatun

« elles toutes sont parties », comme ’ayyun

est remplacé

par ’ayyatun

(Sībawayhi 1979 : vol. II : 407). L’interchangeabilité de ces deux

formes est prouvée par leur occurrence indistinctement dans une même phrase,

après le même déterminé (əl-‘ālam), phrase existant dans le corpus enregistré et

publié par Otto Jastrow (1969 : 48) :

hawne fə-Mērdīn əl-‘ālam kəll-a təbza‘ mən-nu w əl-‘ālam kəllət-a th}əbb-u.

Ici, à Mardin tout le monde a peur de lui et tout le monde l’aime.

Kəll (kəllət), comme distributif, précède un substantif indéfini au singulier

(état d’annexion). Il indique que la personne ou la chose qu’il détermine fait partie

d’un ensemble, mais qu’elles sont prises séparément :

kəll ‘əğəl « chaque veau » ;

kəll dūlāb « chaque armoire » ;

kəll bənāye « chaque construction » ;

kəll məlle « chaque peuple ».

Sur la même structure, kəll +wēhəd (f.: wēhde) forment le pronom indéfini

distributif « chacun ».

kət }-t }ayr} ma‘ t}ayr}-u yfərr.

Chaque oiseau vole avec son oiseau (proverbe qui équivaut à « qui se

ressemble, s’assemble »).

8.7.2.Les non-quantificateurs

8.7.2.1. L’identificatif d’identité

Le pronom/adjectif d’identité a une seule forme, quels que soient le genre

et le nombre du substantif remplacé/déterminé : ayni « même » :

a) pronom.

‘Ali ayni we.

‘Ali est le même.

Page 245: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 244 -

a) adjective. Il précède toujours le nom qu’il accompagne :

Orhan ayni sərsəri we.

Orhan est le même vagabond.

mō-tēq ākəl ayni mah ~lōt }a kəll yawm.

Je ne peux pas manger le même potage chaque jour.

Le mot ayni est emprunté au turc (ayni – « identique », « le même ») qui, à

son tour, l’a emprunté, avec ce sens, à l’arabe classique (‘ayn : huwa bi-‘ayni-hi :

« c’est bien lui même en personne », « c’est lui-même »), en l’adaptant à son

système phonétique (d’où la disparition de la gutturale /‘/).

8.7.2.2. Les identificatifs de l’altérité

Pour désigner un second objet, une seconde personne semblable à celle qui

est indiquée par le nom, le mardini emploie les identificatifs suivants :

- ləh~ « autre » avec un antécédent indéfini, quel que soit son genre :

walad ləh~ « un autre garçon » ;

bənt ləh~ « une autre fille ».

D’autres exemples : yawm ləh ~ « un autre jour » ; ši ləh ~ « une autre

chose » ; kar}t ləh~ « une autre fois » ; fərs}at ləh~ « une autre occasion ». Très

employés sont les syntagmes wēh }əd ləh~ « un autre » et wēh }dət ləh~ « une autre ».

- əl-lah~ (sg., m.) ; əl-ləh~e (sg., f.); əl-ləh~ar (pl.) avec un antécédent défini

(la définitude de celui-ci est indiquée par l’article défini rattaché à ces

identificatifs) :

walad əl-lah ~ « l’autre garçon » ;

bənt əl-ləh~e « l’autre fille » ;

wlād əl-ləh~ar « les autres garçons »

bənāt əl-ləh~ar « les autres filles ».

Pour indiquer une différence entre la chose ou la personne considérée et

des choses ou des gens appartenant à la même catégorie, le mardini emploie une

construction formées de ġayr « autre que », « pas celui » et le substantif :

Page 246: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 245 -

ġayr ši « autre chose [différente] », « quelque chose d’autre » ;

ġayr wēh }əd « un autre [différent] », « quelqu’un d’autre » ;

ġayr h ~ərm}a « autre datte [différente] ».

8.7.2.3. Le comparatif

kəde « tel », « pareil »

adj.: kəde arqad}āš « un tel ami » ;

kəde arqad }āša « une telle amie » ;

kəde arqad}āšīn « tels amis ».

kəde ši yəlzəm-ni

Une telle chose m’est nécessaire.

8.8. Le pronom indéfini et le déterminant correspondant

Les pronoms indéfinis sont : ah}h}ad « quelqu’un », ši « quelque chose ».

Le premier remplace des noms de personnes, et l’autre des noms de choses. Tous

les deux s’emploient seulement comme pronoms, jamais comme adjectifs :

fə-l-bayt fīyu ah }h}ad ?

Est-ce qu’il y a quelqu’un à la maison ?

qāl l-i ši.

Il m’a dit quelque chose.

Dans les propositions négatives, ah}h}ad signifie « personne », et ši

« rien » :

mā-fi ah }h}ad « il n’est personne » ;

mā-fi ši « il n’est rien ».

Le pronom et l’adjectif indéfini wēh }əd « un » « l’un », féminin wēh }de

« une », « l’une » apparaît toujours sans article défini :

wēh }əd čōbān kān.

L’un était berger.

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- 246 -

‘t }ī-ni wēh }de ze !

Donnez m’en aussi une !

8.9. Pronom réfléchi et renforcé

L’expression du réfléchi comme complément d’objet direct du verbe –

dans les expressions du type « soi-même », « en personne » – se forme en mardini

en ajoutant les pronoms suffixes au mot rūh} ou r}ōh } « esprit », « la personne

même », « l’individu en lui-même » :

ana b-r}ōh}-i « moi-même » ;

ənt b-r}ōh}-ək « toi-même » ;

ənti b-r}ōh} -ki « toi-même » ;

hūwe b-r}ōh} -u « lui-même » ;

hīye b-r}ōh}-a « elle-même » ;

nəh }ne b-r}wāh }-na « nous-mêmes » ;

əntən b-r}wāh }-kən « vous-mêmes » ;

hənne b-r}wāh {-ən « ils-mêmes ».

Observation : ce type de structure existe aussi en kurde, ou le mot can

(ğan) « âme » est introduit aussi par la préposition bi : ez bi-canê-xwe (ez bi-ğane-

h~we) « moi-même ». Exemples :

hūwe qatal r}ōh }-u.

Il s’est tué.

hūwe sawā-wu b-r}ōh}-u.

Il l’a fait lui-même.

štaraytu lə-r}ōh }-i qar}awat }a.

J’ai pris une cravate pour moi-même.

ğa b-r}ōh}-u.

Il est venu en personne.

say-u b-r}ōh}-ək !

Fais-le toi-même !

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- 247 -

9. L’adverbe

Habituellement, on peut répartir les adverbes en quelques classes selon le

critère sémantique : adverbes de manière, de lieu, de temps, d’interrogation,

d’affirmation, de négation etc.

9.1. L’Adverbe de manière

On peut déceler plusieurs classes :

a) des adverbes primaires du type : kəde « ainsi » ; ze « aussi » ; halqad

(tronqué de hā-l-qadər « cette mesure ») « tellement » :

kəde qačam ma‘-i.

C’est ainsi qu’il m’a parlé.

halqad qəltu l-ək ; l-ayš mā-təftəhəm ?

Je t’ai dit tellement, pourquoi tu ne comprends pas ?

L’adverbe ze « aussi », « également » renforce le mot qu’il suit :

ana-ze ah }əbb mērdīn

Moi aussi, j’aime Mardin.

En ce qui concerne l’étymologie de cet adverbe, Bo Isaksson (en se

referant à l’arabe parlé à ‘Amūda) propose l’adverbe turc da « aussi » ou le

classique ziyādatan

« plus », « davantage », réduit à zād en certains parlers

(Isaksson 2000 : 209). Selon mon opinion, l’origine de cet adverbe peut être le

démonstratif masculin singulier dā, comme dans hā-’anā-dā « me voilà », « voilà,

moi-même » ; hā-huwa-dā « le voilà », « voilà, lui-même » etc.

b) des adverbes provenant d’un nom d’action qui suit le verbe dont il est

dérivé et qui a le rôle d’un adverbe de manière (complément absolu). Il sert le plus

souvent à exprimer l’intensité de l’action :

qatal-u qatle, kassar ‘əd}mān-u kəll-ən.

Il lui avait administré une si bonne raclée qu’il lui a cassé tous les os (ici

qatal « administrer une bonne raclée », « battre à mort »).

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- 248 -

c) des adverbes provenant d’adjectifs (les adjectifs modaux) ; leur forme

coïncide avec celle du masculin singulier de l’adjectif : kwayyəs, adj. « bon », adv.

« bien »), ktīr, adj « beaucoup », adv. « très » :

yəqčəm kwayyəs əl-kərdi.

Il parle bien le kurde.

hūwe ktīr mamnūn we.

Il est très reconnaissant.

d) des adverbes provenant de noms à l’accusatif empruntés par le turc à

l’arabe classique et par le mardini au turc. De façon générale on peut dire que les

noms empruntés au turc ou au kurde sont très nombreux. Pourtant, de tous ces

noms-là, une catégorie a attiré mon attention : les substantifs empruntés au turc,

empruntés à leur tour à l’arabe classique, qui gardent la marque de l’accusatif (an)

ce qui confère, parfois, au mardini un air classique inattendu :

h}aqīqatan « en vérité », cf. le turc hakikaten (AC h}aqīqatan

)

taqrīban « approximativement », « grosso modo », cf. le turc takriben (AC

taqrīban

) ; ə‘təbāran « à partir de », « à dater de », « depuis », « dès », cf. le turc

itibaren (AC i‘tibāran

) əstənādan « en se fondant sur », « en se référant à », cf. le turc

istinaden (AC istinādan

) ;

ts}adəfan « par hasard », « par accident », « par occasion »,

« éventuellement », cf, le turc tesadüfen (AC tas}ādufan

) ;

kəfalātan « sous caution », cf. le turc kefalaten (AC kafālatan

)

ğəmlətan « tout entier », cf. le turc cümleten (AC ğumlatan

).

e) des adverbes obtenus par redoublement. Le mardini engendre un bon

nombre de ses adverbes de manière par le redoublement :

1) d’un adjectif. Par ce procédé, son sens initial est accentué, fortifié :

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- 249 -

hēdi-hēdi (« peu à peu », « petit à petit », « lentement » (cf. le kurde : hedi

« lent », cf. AC hādi’ « calme », « tranquille » ; parfois on utilise son

équivalent turc, yawaš-yawaš (yavaş-yavaş)61

;

hafīf-hafīf « vite-vite », « rapidement », « vivement », un possible calque

d’après le turc çabuk-çabuk ;

rāh }a-rāh}a « à loisir », « commodément », « indolemment », « tout au

loisir »; de rāh }a « confortable », « aisé », « facile » ; on entend souvent la

forme r}āh}at réinterprétée d’après le turc rahat (emprunté à l’arabe

classique, comme le prouve sa terminaison en /t/, rahat-rahat).

2) d’un substantif ou d’un numéral. Dans ce cas, le sens est de distribution,

« l’un après l’autre » :

lōqma-lōqma « morceau à morceau », « par morceaux »; loqma

« morceau » ; cf. le turc: lokma-lokma ;

nəqtāye-nəqtāye « goutte à goutte », « au compte-gouttes » ; un possible

calque d’après le turc : damla-damla ;

arba‘-arba‘ « quatre à quatre ».

Observation : Les syntagmes obtenus par le redoublement d’un mot sont

soit empruntés au turc ou au kurde (où ils sont formés sous l’influence du turc

aussi), soit des calques d’après le turc. Je n’ai trouvé dans le corpus analysé aucun

syntagme mardinien sans équivalent turc du même type.

9.2. L’adverbe interrogatif relatif

Les adverbes interrogatifs relatifs :

- de lieu :

ayn « où » ;

mən ayn « d’où » ;

layn « vers où ».

- de temps :

aymat ; ašwaqt / ašwah ~t « quand » ;

61 Le syntagme est employé en t }uroyo aussi: hedi hedi.

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- 250 -

laman « lorsque ».

- de manière :

ayšwan – ašwan – aššan « comment » ;

kayf « comment » ;

ašyol – ašyon « comment ».

En mardini, les adverbes peuvent être déterminants pour les substantifs,

comme le deuxième élément dans un état d’annexion. Exemples :

hārūn hawn.

le matou d’ici.

kalb hawnak .

le chien de là .

fə-zaman qable.

dans le temps d’auparavant.

kahramān ssa‘ne.

le héros du moment ; lit : « le héros de maintenant ».

h}ār}r} hawnake mo kama h}ār}r} hawne we; hāke nēšəf we.

La chaleur de là (de Mardin, n. n.) n’est pas comme la chaleur d’ici

(d’Istanbul, n. n.) ; celle-là est sèche.

Adverbes démonstratifs :

9.3. L’adverbe de lieu

Les adverbes et les locutions adverbiales de lieu sont nombreux. Ils situent

l’événement dans l’espace par rapport à un repère qui se trouve ou bien dans le

texte du message (anaphoriques), ou bien dans le contexte situationnel de la

communication (exophoriques).

1. Si le repère spatial se trouve dans le cotexte, il est représenté par un

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- 251 -

élément du message. C’est par rapport à ce type de repère anaphorisé (voir

cataphorisé) qu’on exprime, par exemple :

- l’infériorité ou la supériorité : tah }t « dessous », « en bas » – fōq

« dessus », « en haut » ;

- l’antériorité ou la postérité : qəddām « devant » – h~alf « derrière » ;

- l’intériorité ou l’extériorité : bar}r}a « dehors » – ğawwa « dedans ».

Il convient de remarquer encore que les adverbes ou les locutions

adverbiales de lieu correspondent à des groupes nominaux prépositionnels (qui

englobent, en le reprenant, le repère spatial). Souvent le nom est éliminé de ces

groupes nominaux prépositionnels et la préposition devient alors adverbe :

h}ət }t } tmān-ək tah }t əl-h}awīs ! → h }ət }t } tmān-ək tah }t !

Met ton argent en dessous des vêtements ! → Met ton argent en dessous !

Les deux adverbes bar}r}a « à l’intérieur » et ğawwa « à l’extérieur » ont

comme prépositions correspondantes les formes bar}r}āt et ğawwāt :

astand }ər-ək ğawwāt əd-dəkkān → astand }ər-ək ğawwa.

Je t’attends dans la boutique → Je t’attends dedans.

2. Si le repère spatial se trouve dans le cotexte situationnel, il représente

soit l’endroit où se trouve le corps de l’émetteur, soit l’endroit ou se trouve un

autre élément repérable dans l’espace de la communication. Dans ce cas les

adverbes sont des exophoriques (appelés aussi embrayeurs ou déictiques) :

hawn / hawne « ici » – hawnak / hawnake « là » ;

qarīb « près » – ba‘īd « loin » ;

‘al-yamīn « à droite » – ‘ač-čəppe « à gauche ».

9.4. L’adverbe de temps

Pour situer un événement sur l’axe temporel, le mardini se sert – à côté de

la forme verbale – d’un circonstanciel de temps qui peut indiquer un moment

ponctuel ou bien une durée.

1. Adverbes et locutions qui expriment le temps ponctuel (question : aymat

« quand ») :

- pour la simultanéité : ssā‘/ ssā‘ne « maintenant » ; əl-yawme

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- 252 -

« aujourd’hui » ;

- pour l’antériorité : mbērh }a « hier » ; awwal əmbērh }a « avant-hier » ; s}əbb

əmbērh}a « hier matin » ; masa

mbērh }a « hier soir » ; qabəl šwayye « recement »,

« tout à l’heure » ;

- pour la postérité : ġadde « demain » ; ba‘d ġadde « après-demain » ; ba‘d

šwayye « immédiatement », « sur le champ » ;

2. Adverbes qui expriment la durée :

a) par rapport au message de l’émetteur :

a1- avec limite initiale :

- limite simultanée au message de l’émetteur : mən əl-yawme « à partir

d’aujourd’hui » ; mən ssā‘ « à partir de maintenant », « dès maintenant » ;

- limite antérieure au message de l’émetteur : mən mbērh }a « à partir d’hier »,

« dès hier » ; mən awwal mbērh }a « à partir d’avant-hier » ;

- limite postérieure au message de l’émetteur : mən ġadde « à partir de demain »,

« dès demain » ; mən ba‘d ġadde « à partir d’après-demain », « dès après-

demain » ;

a2 - avec limite finale :

- simultanée au message de l’émetteur : əla ssa‘ne « jusqu’à maintenant » ; əla l-

yawme « jusqu’à aujourd’hui » ;

- antérieure au message de l’émetteur : əla mbērh }a « jusqu’à hier » ; əla awwal əmbērh}a « jusqu’à avant-hier » ;

- postérieure au message de l’émetteur : əla ġadde « jusqu’à demain » ; əla awwal əmbērh}a « jusqu’à avant-hier » ;

a3 - avec limite initiale et finale : mən ssa‘ne əla ġadde « à partir de maintenant

jusqu’à demain » ; mən mbērh }a əla l-yawme « à partir d’hier jusqu’à

aujourd’hui » ;

Adverbes de temps à valeur aspectuelle : mən ğdīd « de nouveau » ; wah~t-wah ~t

« par moments », « parfois » ; ba‘d « encore » ; baqa « déjà » ;

- aspect répétitif :

qāl l-i mən ğdīd ayni gədbōye.

Il m’a dit le même mensonge de nouveau.

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- 253 -

- l’aspect duratif :

hūwe yəstand }ər-na ba‘d fə-l-mah}fal.

Il nous attend encore à la sauterie.

- aspect inchoatif :

hūwe ynām baqa.

Il dort déjà.

Les adverbes de temps les plus fréquents sont:

s}əbb « matin » ;

d}əhər « heure de midi », « midi » ;

‘as}ər « après-midi » ;

məġrəb « heure du coucher du soleil » ;

‘əša « soir », « entrée de la nuit » ;

nəs}s} əl-layl « minuit » ;

wəčč əs}-s}əbb « la pointe (le point) du jour » ;

s}ayf « été » ;

təšrīn « automne » ;

šəte « hiver » ;

rabī‘ « printemps »62

;

qable « tôt » (exemple : h }ass mən nawme qable « il s’est réveillé tôt ».

bat }i « tard » (exemple : ğa bat }i « il est venu tard »).

9.5. L’adverbe d’affirmation

Le mardini emploie deux adverbes d’affirmation : e « oui », bale « oui »

(bale existe aussi en kurde).

9.6. L’adverbe de négation

L’adverbe de négation en mardini est la « non ».

62 Et aussi des periodes importantes pour les mardiniens : h}assət marāne « Marie s’est

réveillée », une grande fête populaire, au premier dimanche du mai ; sabbət əl-h}ayyāt « la semaine des serpents » (pendant l’été) ; sabbət əl-‘ağūz « la semaine de la vieille [femme] » (pendant

l’hiver) ; sabbət əl-‘aqīre « la semaine des scorpions » (pendant l’été) ;

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- 254 -

9.7.Quelques adverbes

L’adverbe bīle

L’adverbe bīle, emprunté au turc (bile, même, effectivement) s’emploie

pour exprimer une extension donnée à un fait, indiquant des détails imprévus,

inattendus. Cet adverbe, comme en turc, se place toujours après le mot auquel il se

rapport (Deny 1920 : 279).

wah ~t-wah~t ywannəs ‘ala kalb-u əl-wəsəh ~ bīle.

De temps en temps, il s’amuse même avec son sale chien.

Nūri mō-yrīd ta-yət }la‘ la-l-lōqānt }a bīle.

Nuri ne veut sortir pas même au restaurant.

hāk əl-fīlm ar}aytu-hu bīle.

Ce film, je l’ai effectivement vu.

L’adverbe ba‘d

ğa təšrīn, am }m}a s-sğār ba‘d wrāq-ən h ~əd}ər ənne.

L’automne est venu, mais les feuilles des arbres sont encore vertes.

Ah }mad kān šāt }əf w ba‘d yrīd yəsbah }.

Bien qu’Ahmad soit enrhumé, il veut encore nager.

mō-yəmši ba‘d.

Il ne va plus.

əd-dəkēkīn ba‘d mā-fatah}u.

Les boutiques n’ont pas encore ouvert (c’est-à-dire, ne sont pas encore

ouvertes)

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- 255 -

L’adverbe bəlki

L’adverbe bəlki, emprunté au turc (belki, formé de la particule arabe bel

(bal), « bien mieux » et de la conjonction ki « que », voir Deny 1920 : 289). Il

s’emploie pour exprimer une probabilité, « peut-être », étant synonyme, parfois,

avec le verbe impersonnel yəmkən :

əl-bāb yəndaqq, bəlki H {asan we.

On frappe à la porte, c’est Hasan, peut-être.

L’adverbe baqa

L’adverbe baqa « à la fin », « finalement », « décidément » provient, je

crois, du verbe baqa « rester », « être encore », « être en plus », grammaticalisé

avec ce sens, peut-être, sous l’influence de l’adverbe turc artık « à la fin »,

« finalement », « décidément » qui a un sens plutôt subjectif qu’objectif,

exprimant parfois la surprise, parfois le mécontentement. Exemple :

təqčəm ‘arabi mērdīni kwayyəs baqa.

Tu parles bien l’arabe mardinien, finalement.

Dans une proposition négative, il a le sens de « non plus » (avec le sens de

« plus », « encore », il se retrouve, sous la forme bâqe}, même dans l’arabe parlé à

Tlemcen (Marçais 1902 : 184) :

mənna bayt fə-Mērdīn baqa.

(mənna ← ma l-na ← ma əl-na).

Nous n’avons plus de maison à Mardin.

Observation: Baqa fonctionne indépendamment comme verbe et aussi

comme préverbe.

fə-l-bayt məlh } w h }alīb mā-kəl-baqa.

Dans la maison, il n’est resté plus de sel et de lait.

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- 256 -

L’adverbe ‘ağab

L’adverbe ‘ağab (employé aussi en turc : acab, acaba, emprunté à l’arabe

‘ağab « étonnement ») s’emploie dans les propositions interrogatives renforçant

leur sens et introduisant une nuance subjective (« est-ce que », « vraiment »,

« hein », « par hasard »).

Exemple :

‘ağab mā-ğa ?

Est-ce qu’il n’est pas venu, hein ?

‘ağab, əd}-d}yūf aymat ta-yəğawn?

Par hasard, quand viendront les hôtes?

L’adverbe yalnəz

L’adverbe yalnəz, emprunté au turc (yalnız « seul », « solitaire », « tout

seul », « par soi-même », « seulement », « exclusivement », « purement »,

« simplement », « uniquement ») avec le même sens :

Il est synonyme avec l’arabe bə-wah}d-i « moi seul », bə-wah}d-ək « toi

seul » etc. (qui est réduit habituellement à b-ah}d-i, b-ah}d-ək etc.) :

b-ah}d-i r}əh}tu.

Je suis parti tout seul.

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- 257 -

10. La conjonction

Les conjonctions sont des mots invariables qui servent à relier ensemble

des éléments de l’énoncé. De nombreuses conjonctions appartiennent à la

catégorie des adverbes. On distingue deux sortes de conjonctions :

- de coordination, qui établissent une relation de coordination

entre deux éléments de la même nature, et surtout, de la même

fonction syntaxique.

- de subordination, qui instaurent une relation hiérarchique entre

les éléments réunis.

Les conjonctions de coordination sont les suivantes :

La conjonction w « et »

W est la conjonction de coordination typique. Elle permet d’additionner

deux éléments (ou davantage) de même nature et même fonction. Ces éléments

peuvent être des mots, des syntagmes, des propositions :

ġərbe w kərbe w d}īqat nafəs.

terre étrangère et sollicitude et chagrin.

yəktəb w yəqr}a.

Il écrit et lit.

yəšmət əl-qarīše w yəssallat } ‘ala-yu

Il serre la ceinture et devient dur envers lui.

yəbki w yh ~ərr dmū‘-u.

Il pleure et ses larmes coulent.

mart əl-ğēhle təbki w təh }ki h }akkōyət-a.

La jeune femme pleure tout en racontant son histoire.

rəğğāl yədfa‘ w yrīd yfūt la-qəddām.

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- 258 -

L’homme pousse et veut passer devant.

La conjonction w-la « ni »

La conjonction w-la permet d’indiquer une idée d’exclusion d’un élément

d’entre les éléments (deux ou davantage) de même nature et même fonction,

qu’elle coordonne. Elle correspond (même étymologiquement) à la conjonction w

« et » employée à la forme négative.

La conjonction w-la est habituellement répétée devant chaque élément

qu’elle coordonne :

w-la ana, w-la ənt.

ni moi, ni toi.

Après une négation, la conjonction w-la sera supprimée devant le premier

élément :

mā-fi baynat-na kalām w-la salām.

Il n’y a entre nous ni parole, ni salutation.

Les conjonctions am }m }a et lākən, bass « mais »

La conjonction am}m}a « mais » (ce sens a été calqué d’après le turc amma

« mais » ; la conjonction turque amma a été empruntée, à son tour, à l’arabe

classique amma « quant à… ») permet d’indiquer une idée d’opposition entre

seulement deux éléments (jamais davantage) de même nature et même fonction :

‘Ali zaki am }m }a kəslān we.

‘Ali est intelligent mais paresseux.

La conjonction am}m}a est synonyme avec l’ancienne conjonction arabe

lākən :

aštaġəl lākən tmān mō-həd

Je travaille, mais je ne prends pas d’argent.

əl-yawme ğītu la-hawne, lākən ġadde mō-ği čənki nġabantu mən-ki.

Aujourd’hui je suis venu ici, mais demain je ne viendrai pas parce que je

suis fâché contre toi.

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- 259 -

La conjonction bass (qui est aussi adverbe), commune à un grand nombre

de dialectes, a en mardini les significations suivantes :

- comme conjonction, « mais » :

samra trīd ta-tdawwər, bass mā-l-a wah ~t.

Semra veut se promener, mais elle n’a pas de temps.

- comme adverbe, « seulement » :

bass fənğān wēh }əd arīd.

Je veux seulement une tasse.

- comme préverbe, « à peine que », « dès que » :

bass dah ~altu, w qaffaytū-wa.

À peine suis-je entré que je l’ai trouvée.

bass təği la-mērdīn, say l-i təlīfōn

Dès que tu viens à Mardin, donne-moi un coup de fil.

Les conjonctions ya, yaze, vēya, garak « ou »

La conjonction ya, empruntée au turc (ya « ou »), s’emploie pour

introduire les deux composants d’une alternative : ya… ya… (« ou…, ou… »,

« ou bien…, ou bien… », « soit…, soit… ») :

ya təšr}ab m}ayy, ya təšr}ab šar}āb.

Ou bien tu bois de l’eau, ou bien tu bois du vin.

ya tr}ōh} ma‘-u, ya təq‘ad ma‘-na.

Ou bien tu pars avec lui, ou bien tu t’assois avec nous (tu restes avec

nous).

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- 260 -

La conjonction ya peut se combiner parfois avec l’adverbe ze « aussi »

lorsque l’alternative concerne deux éléments qui ne s’excluent pas, mais se

complètent, ayant la signification de « tout » :

fə-bayt gbīr ykūn ya-ze zġayyər ykūn, mō-yəfrəq, ayni məškəlāt ənne.

Dans une maison, qu’elle soit grande ou petite, il n’y a aucune différence,

les problèmes sont les mêmes.

La conjonction vēya (cf. le turc veya), qui s’apparente aussi à la

conjonction ya, indique généralement une idée d’opposition :

ta‘ān vēya hallī-k fə-l-bayt ! kama trīd !

Viens ou reste à la maison ! Comme tu veux !

fīyu fə-l-bayt h}alāwīyāt vēya fēkke ?

Y a-t-il dans la maison des gâteaux ou de fruits ?

On peut également remplacer la conjonction ya « ou » par la conjonction

garak empruntée, elle aussi, au turc. Celle-ci doit être répétée devant chaque

élément, garak…, garak « soit…, soit » (cf. le turc : gerek…, gerekse) » :

garak tr}ōh} ‘a-l-‘ərs, garak tsawi la-hāt }ər-u akəl.

Soit tu vas à la noce, soit tu prépares de la nourriture pour lui.

garak h }asan, garak ana ! mō-ği agar ğa.

C’est soit Hasan, soit moi ! Je ne viens pas, s’il vient.

La conjonction ham « tantôt »

L’adverbe ham, emprunté au turc (hem, « aussi ») signifie « aussi », « à la

fois », « d’ailleurs ».

Redoublé, il a le sens d’une conjonction qui introduit deux notions qui se

complètent (en ce cas-ci, la deuxième ham est suivie par ze « aussi ») ou

s’excluent réciproquement: « d’une part…, d’une autre parte », « non

seulement…, mais encore… », « soit…, soit… », « tantôt…, tantôt… ») :

ham ar}ōh} la-‘ənd ğīrānāt-i, ham ze aği la-‘ənd-kən.

Page 262: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 261 -

Non seulement je vais chez mes voisines, mais encore je viens chez vous

aussi.

ham tədrəs, ham tr}ōh} ‘a-š-šəġəl.

Tantôt tu étudies, tantôt tu vas au travail.

Les conjonctions de subordination : elles servent à joindre deux

propositions dont une est subordonnée à l’autre. Les principales conjonctions de

subordination sont : kama « comme » ; ki « que » ; annu « que » ; laman

« lorsque » ; agar « si » ; ykūn « si » ; əda « si » etc.

La conjonction ki « que »

La conjonction ki « que » (cf. le turc ki et le kurde ku) a la même fonction

qu’elle en a en kurde et en turc, celle d’introduire le parler indirect, étant utilisée

en parallèle avec une particule provenant du fonds arabe annu « que » (forme

unique résultée de la particule anna + le pronom affixe, pers. 3ème

sing. masc. u) :

yqūl ki nəh}ne s}ədqān = yqūl annu nəh}ne s}ədqān.

Il dit que nous sommes amis.

La conjonction ki, à la différence d’annu qui introduit, d’habitude, une

proposition arabe, marque aussi le code-switching vers le kurde :

əm}m}-i qālət l-i ki tu duh nehatî malê.

Ma mère m’a dit que tu n’étais pas venu hier à la maison.

La conjonction čənki « parce que »

Le mardini a aussi emprunté des conjonctions composées avec ki comme

čənki (l’ancien turc anatolien : çünki ; cf. le turc : çünkü ; le kurde : çunki) – «

parce que », qui existe parallèlement avec la conjonction lə’annu (voir supra,

annu) :

r}āh} la-bayt-u čənki l-yawm sarbast we.

Il est parti à la maison parce qu’il était libre aujourd’hui.

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- 262 -

La conjonction agar « si »

La conjonction agar introduit une proposition temporelle et conditionnelle

(cf. le kurde : agar ; le turc : eğer) synonyme avec ida, qui appartient au fonds

arabe :

agar r}əh}t la-būkrəš, ta-təštəri l-i sā‘a kwayyəse mən hawnake.

ida r}əh}t la-būkrəš, ta-təštəri l-i sā‘a kwayyəse mən hawnake.

Si/quand tu pars pour Bucarest, achète-moi une bonne montre de là-bas.

La conjonction faqat}

La conjonction faqat} « mais », « seulement » (ce sens a été calqué d’après

le turc fakat « mais », « seulement » ; la conjonction turque fakat a été empruntée,

à son tour, à l’arabe classique faqat } « seulement ») permet d’indiquer une idée

d’opposition entre deux éléments seulement :

ana ah }əbb abū-y ktīr faqat abū-y mō-yh}əbb-ni.

J’aime beaucoup mon père, mais mon père ne m’aime pas.

faqat} ktīr we, mō-t}ēq ah }mal-u.

Mais il est beaucoup, je ne peux par le porter.

aqūl ki faqat} ənti mō-təftəhəmīn.

Je dis que c’est seulement toi qui ne comprends pas.

La conjonction lə’annu

lə’annu « car », « parce que », « d’autant que », « puisque »

ana maqs}ad-i ta-’aği ‘a-l-wəlāye.

Mon but à moi est de venir à la ville.

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- 263 -

11. La préposition

Les prépositions servent à introduire les compléments circonstanciels. On

sait qu’une même préposition peut introduire plusieurs compléments différents. Il

n’y a pas une seule préposition par complément. Pour cela, j’ai essayé de dresser

une liste des principaux emplois des prépositions importantes en mardini.

La préposition ‘ala

La préposition ‘ala suffixée avec les pronoms personnels (avant les

prénoms, la forme de cette préposition est ‘alay) :

‘alay-i ; ‘alay-k ; ‘alay-ki ; ‘alay-u ; ‘alay-a ; ‘alay-na ; ‘alay-kən ;‘alay-

ən.

Cette préposition indique la position d’une chose par rapport à ce qui est

plus bas dans une même direction verticale (étymologiquement, elle provient

d’une racine qui renferme le sens de « hauteur »). Cet emploi spatial de ‘ala,

concrètement ou abstraitement, ne diffère guère de celui de fōq « au-dessus ».

Devant les noms à l’article défini, elle est réduite á ‘a.

hārūf mašwi ‘a-n-nār} .

agneau rôti sur le feu.

qabər ‘ala qabər, w la bayt ‘ala bayt.

De tombeau à tombeau, mais pas de maison à maison (proverbe

mardinien).

Al }l }a yəktəb ‘alay-k əs-səlāme

Que Dieu écrive sur toi la paix ! (Que Dieu te donne la paix !).

Parmi ces emplois abstraits ou métaphoriques, on note :

- l’introduction de l’opposition, avec le sens de « malgré » :

H}amdi ‘ala marad}-u la-ssa‘ yəštəġəl.

Hamdi, malgré sa maladie, travaille jusqu’à ce moment.

- le rapport de supériorité ou d’infériorité :

Page 265: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 264 -

əl-badle gbīre/zġayyəre ‘alay-k

Le complet est grand/petit pour toi.

- l’agression :

qačamtu ‘al-bayt-kən.

J’ai parlé contre votre maison (famille).

ya de, ‘ala qadər-i, ya de, ‘ala bah ~t-i !

Oh, ma mère, maudit soit mon destin, oh, ma mère, maudite soit ma

fortune !

- l’attachement :

qalb-i ‘ala walad-i, w qalb walad-i ‘ala l-h}ağar.

Mon cœur est [attaché] à mon enfant, mais le cœur de mon enfant est

[attaché] à la pierre.

- l’intérêt sur un sujet :

stah`bar ‘al-ah`ū-hu.

Il a demandé sur son frère [des renseignements].

- le serment :

‘al-h}ar}r} w l-bērəd !

Par le chaud et par le froid !

On notera également que ‘ala se conjoint à la préposition mən : mən ‘ala l-

mas}a « d’au-dessus de la table ».

Cette préposition entre dans des constructions très variées :

‘ala r}ās-i w ‘ayn-i « volontiers », « avec respect et soumission » (lit. :

« sur ma tête et sur mon œil ») ;

mā-‘alay-k ! « Ne te fais pas de problèmes ! » (lit. : « Il n’y a rien sur

toi ! »).

‘ala īd flān « par l’intermédiaire de quelqu’un » (lit. : « sur la main de

quelqu’un ».

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- 265 -

Elle forme avec le substantif gōre (emprunté au turc göre « selon »,

« d’après », « en considération de », « en fonction de », « par rapport à ») une

locution prépositionnelle avec le sens de « selon », « d’après » etc. Exemples :

‘ala gōrət-ək, mērdīn h }əlwe ye ?

D’après toi, Mardin est belle ?

‘ala gōrət-i, əl-akəl kwayyəs we.

D’après moi, la nourriture est bonne.

‘ala gōrət ‘ali, əl-yawme yəmkən yəği mat }ar.

Selon l’opinion d’Ali, il est possible qu’il pleuve aujourd’hui.

‘ala gōrət-i, htəyār we.

De mon point de vu, il est vieux.

Elle peut être renforcée par les substantifs fəkər « idée », r}āy « opinion » :

‘ala gōrət fəkr-ək ; ‘ala gōrət r}āy-ək etc.

La préposition ‘an

Cette préposition n’est plus usuelle en mardini, où ses fonctions sont

accomplies par la préposition ‘ala. Elle est préservée seulement dans quelques

formules religieuses figées, héritées de l’arabe classique :

Al }l }a yə‘fi ‘an-hu !

Que Dieu lui pardonne ! (Que Dieu lui efface [les péchés] !).

La préposition ‘and/‘ənd

La préposition ‘ənd suffixée avec les pronoms personnels :

‘ənd-i; ‘ənd-ək; ‘ənd-ki; ‘ənd-u; ‘ənd-a; ‘ənn-na; ‘ənd-kən; ‘ənd-ən.

Cette préposition indique le voisinage, la proximité spatiale (« près de »,

« auprès de ») :

‘ənd abū-hu mō-yəšr}ab čəġār}a.

Prés de son père, il ne fume pas (En présence de son père…).

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- 266 -

D’ici, elle peut se référer á une territorialité (« chez ») :

əl-layle, abīt ‘ənd-kən.

Cette nuit-ci, je reste (séjourne) chez vous.

À partir de cette valeur, cette préposition indique la propriété, l’attribution,

correspondant au verbe « avoir » (comme li et ma‘) :

sabbət əğ-ğēye ‘ənd-ək waqt fārəġ ?

La semaine prochaine, as-tu du temps libre ?

ys}ēr ‘ənd-ək əl-ktēb.

Tu auras le livre.

ssa‘ne kəll-na mašġūlīn fə-t }-t}abəh čənki l-yawme masa ‘ənd-na d}yūf.

Maintenant nous sommes tous occupés par la cuisine parce que ce soir

nous avons des hôtes.

La préposition ‘ənd se compose avec les prépositions de mouvement : mən

« de », la « à », « vers » :

aği la-‘ənd-ək.

« Je viens chez toi ».

ar}ōh} mən ‘ənd-ək.

« Je pars de chez toi ».

La préposition ba‘d

La préposition ba‘d suffixée avec les pronoms personnels :

ba‘d-i ; ba‘d-ək ; ba‘d-ki ; ba‘d-u ; ba‘d-a ; ba‘d-na ; ba‘d-kən ; ba‘d-ən.

Cette préposition marque la postériorité de situation dans l’espace et

surtout dans le temps :

ba‘d hāda t-təšrīn, ta-yəzzawwağ.

Après cet automne, il va se marier.

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- 267 -

Avec un substantif qui dénomme une unité temporelle, on emploie la

forme ba‘d bi :

ba‘d b-hamst əyyēm ‘ənd-i ‘ərs-i.

Après cinq jours j’ai ma noce (Dans cinq jours j’ai ma noce).

La préposition bar}r}āt

La préposition bar}r}āt suffixée avec les pronoms personnels :

bar}r}āt-i ; bar}r}āt-ək ; bar}r}āt-ki ; bar}r}āt-u ; bar}r}āt-a ; bar}r}āt-na ; bar}r}āt-

kən ; bar}r}āt-ən.

Cette préposition introduit une référence spatiale, marquant le caractère

d’extériorité d’une action :

əl-kalb mō-ys}ēr yfūt əl-bayt, yəlzəm yəbqa bar}r}āt əl-bayt.

Le chien ne doit pas entrer dans la maison, il faut qu’il reste hors la

maison.

bar}r}āt əl-bayt təstand }ər-ni!

Tu m’attends hors de la maison.

La préposition bayn

La préposition bayn suffixée avec les pronoms personnels :

a) au singulier (on emploie la forme bayn « entre »): bayn-i ; bayn-

ək ; baynki ; bayn-u ; bayn-a (ex.: bayn-i w bayn-ək « entre moi et toi ») ;

b) au pluriel (on emploie la forme baynat « parmi ») : baynat-na ;

baynat-kən ; baynat-ən63

.

Cette préposition indique un espace qui sépare deux ou plusieurs choses,

un intervalle défini par plusieurs points formant une limite (la forme bayn ;

l’équivalant français : « entre ») :

bayn t }-t }əyyār w l-gērgēf fīyu ğar}r}at m }ayy.

63 En t }uroyo, il existe aussi deux formes pour cette préposition: bayn, qui précède un nom : bayn

li=ar؟o w li=šmoyo « entre la terre et le ciel » et baynot, lorsqu’elle est suivie d’un pronom affixe:

baynoti w… « entre moi et… », baynotan w… « entre nous et… » (Jastrow 1992 : 99).

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- 268 -

Entre le dévidoir et le tambour de broderie il y a une cruche d’eau.

bayn-i w bayn-ək mā-fi ši.

Entre moi et toi il n’y a rien.

Aussi, cette préposition indique un ensemble dont font partie des entités

que l’on distingue (la forme baynat ; l’équivalant français : « parmi ») :

baynat-na kəllət-na mā-fi ah }h}ad h ~ərāb.

Parmi nous, personne n’est mauvais.

Cette préposition (notamment la forme baynat) se compose également

avec d’autres prépositions, spécialement mən : mən baynat « d’entre ».

La préposition bi

La préposition bi suffixée avec les pronoms personnels :

bi-(y) ; bī-k ; bī-ki ; bī-yu ; bī-ya ; bī-na ; bī-ken ; bī-yen.

Cette préposition sert à introduire :

- l’instrument, le moyen (elle équivaut ici à « avec », « par », « au moyen

de », « au prix de ») :

qas}s}aytu l-hbayz b-səkkīne.

J’ai coupé le pain avec le couteau.

- le temps et le lieu :

bə-llayl w bə-n-nhār aštəġəl.

Je travaille jour et nuit.

bə-l-layl ğa mat }ar w ssa‘ne l-ard} nēdye ye

La nuit dernière il a plu, et maintenant la terre est humide.

- la manière :

kama z-zalqa b-sambūsage.

comme le glissement sur le sambousag (sorte de bricks).

Page 270: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 269 -

Observation : la préposition bi est omise devant les substantifs abstraits qui

expriment une manière :

səlāme ğīt !

Sois le bien venu ! (lit. : « tu es venu avec la paix ! »).

- le serment :

bə-t }-t }alāq bə-t-talāte !

Par le divorce triplé (dans la tradition islamique, la répudiation prononcée

par le mari en répétant trois fois la formule classique anti t }āliq « tu es divorcée »,

« tu es libre ») !

b-šaraf-i !

Par mon honneur !

- l’accompagnement :

h~bayz b-lah }me « pain à viande ».

- un quantificateur :

bə-šqad təğrəf, ‘ammo ?

Pour combien pellettes-tu (déneiges-tu avec la pelle), mon vieux ?

Remarque: Le nom qui exprime un complément circonstanciel

d’instrument général introduit par la préposition bi « avec » ; « par » n’est pas

muni de l’article défini comme il est ordinairement en arabe : b-qalam « par le

crayon » ; b-mat}t }ōye « par la fronde /le lance-pierres ». Ceci peut être un transfert

du kurde, où la préposition bi introduit aussi le circonstanciel d’instrument,

exprimé parfois par les mêmes vocables qu’en mardini, ce qui favoriserait ce

calque structural : bi-qelemê « par le crayon ». Ce phénomène se manifeste

seulement dans la situation du circonstanciel d’instrument introduit par la

préposition bi ; dans tous les autres cas prépositifs, les noms, quand ils expriment

une généralité, sont articulés fə-l-bayt (fi : « dans » ; « dans la maison ») ; ma‘ əl-

arqad}āšīn (ma‘ : « avec » ; « avec les amis ») etc.

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- 270 -

L’antonyme de cette préposition se forme d’elle-même en lui ajoutant

l’adverbe de négation la : bla « sans » (lit. : « avec non ») : bla rdān « sans

manches », bla məlh } « sans sel », bla čat }al « sans fourchette » etc. La préposition

bla est concourue et même remplacée dans beaucoup de situations par les

morphèmes privatifs empruntes au turc, -səz, et au kurde, bē- (voir 6.1.1. La

préfixation dérivationnelle ; 6.1.2. La suffixation dérivationnelle).

La préposition bh }aqq

La préposition bh}aqq suffixée avec les pronoms personnels :

bh }aqq-i ; bh}aqq-ək ; bh}aqq-ki ; bh}aqq-u ; bh}aqq-a ; bh}aqq-na ; bh}aqq-

kən ; bh}aqq-ən.

Cette préposition composée (b+h }aqq ; synonyme fh}aqq ; h}aqq « droit ») a

le sens de « concernant », « regardant ».

ənt kəl-garayt bh }aqq-i ?

Est-ce que tu m’as calomnié ? (As-tu répandu de mauvais propos en ce qui

me concerne ?).

Elle signifie aussi « en considération de », « au nom de », « sur », en

introduisant un jurement :

bh }}aqq əsm al }l }a ! « au nom de Dieu ! » ;

bh }aqq ləqmət wlād-i ! « sur la bouchée de mes enfants ! ».

La préposition bšān

La préposition bšān suffixée avec les pronoms personnels :

bšān-i ; bšān-ək ; bšān-ki ; bšān-u ; bšān-a ; bšān-na ; bšān-kən ; bšān-ən.

Cette préposition (étymologiquement : bi-ša’n, composée de la préposition

bi + le substantif ša’n « affaire », « faveur », dignité » = « concernant », « en ce

qui concerne ») sert à introduire le destinataire, le bénéficiaire ; elle équivaut à

« pour », « en faveur de », « à l’avantage de » :

Page 272: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 271 -

bšān-ək rāh }a təqčəm ‘arabi bažari, čənki t‘īš ğawwāt əl-wəlāye.

Pour toi c’est facile de parler l’arabe mardinien (lit.: « l’arabe citadin »),

car tu vis dans la ville (la ville de Mardin, n.n.).

əl-ktēb b-šān-i wēya bšān-ək ?

Le livre est pour moi ou pour toi ?

hāda-l-kərsi t}am}m}ām} bšān-ək.

Cette chaise est parfaite pour toi.

Salīm bšān-i h`alla ši ?

Est-ce que Salim a laissé quelque chose pour moi ?

La préposition fōq

La préposition fōq suffixée avec les pronoms personnels :

fōq-i ; fōq-ək ; fōq-ki ; fōq-u ; fōq-a ; fōq-na ; fōq-kən ; fōq-ən.

Cette préposition a une valeur spatiale, signifiant « à la face supérieure de

quelque chose » :

ana aq‘ad fōq əl-bayt

Je suis assis au dessus de la maison.

mērdīn fōq əl-ğabal ye.

Mardin est au dessus de la montagne.

mā-fi ši fōq əl-mas}a.

Il n’y a rien au dessus de la table.

La préposition fōq se conjoint aux prépositions mən et la :

mən fōq « de dessus » ;

la-fōq « au dessus ».

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- 272 -

La préposition fi/fə

La préposition fi/fə suffixée avec les pronoms personnels :

fī-yi ; fī-k ; fī-ki ; fī-yu ; fī-ya ; fī-na ; fī-kən ; fī-yən.

Cette proposition exprime, en général, une relation spatiale et temporelle,

c’est-à-dire elle indique la situation à l’intérieur d’un lieu ou d’une période

temporelle :

ana fə-maktab əl-ġāzi ana.

Je suis à l’école de l-Ghazi.

baramtu fə-l-balad w h }ələqtu.

J’ai vadrouillé dans la ville et je suis épuisé.

əl-barġūt yəl‘ab fə-d-daqən.

La puce joue dans la barbe (expression idiomatique mardinienne, se dit

d’un homme orgueilleux, qui a beaucoup de carences).

ar}ā-k fə-sabbət əğ-ğēye.

Je te vois la semaine prochaine.

Aussi, elle peut indiquer la stabilité, la fixité :

əd-dīk ymūt, təbqa ‘ayn-u fə-z-zbāle.

Le coq meurt, mais son œil fixe [encore] le fumier.

La préposition fi/fə s’emploie en concurrence avec la préposition bi/bə

pour exprimer l’instrumental et le moyen :

Ah}mad qas}s} əl-h~bayz fə-səkkīne h}ādde.

Ahmad a coupé le pain avec un couteau aiguisé.

Salīm yr}ōh} la-š-šəġəl fə-l-‘arab }a.

Salim va au travail en voiture.

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- 273 -

La préposition ġayr

La préposition ġayr suffixée avec les pronoms personnels :

ġayr-i ; ġayr-ək ; ġayr-ki ; ġayr-u ; ġayr-a ; ġayr-na ; ġayr-kən ; ġayr-ən.

Cette préposition indique ce qu’on met à part, ce qu’on ne comprend pas

dans un ensemble ; elle équivaut à « sauf », « hors », « à l’exclusion de », « à

l’exception de », « excepté » :

ġayr-i ah }h}ad mō-yəği la-mērdīn.

Sauf moi, personne ne va à Mardin.

ġayr-na ze yr}ōh}ūn la-mērdīn.

D’autres sauf nous vont à Mardin aussi.

ġayr ši mō-rīd.

Je ne veux rien d’autre.

ġayr ši ğībi l-i.

Apporte-moi une autre chose.

La préposition ğamb

La préposition ğamb suffixée avec les pronoms personnels :

ğamb-i ; ğamb-ək ; ğamb-ki ; ğamb-u ; ğamb-a ; ğamb-na ; ğamb-kən ;

ğamb-ən.

Cette préposition indique la proximité, le voisinage, « près de », « à côté

de » :

ta‘ān w q‘ad hawne ğamb-i !

Viens et assieds-toi ici près de moi !

La préposition ğawwāt

La préposition ğawwāt suffixée avec les pronoms personnels :

ğawwāt-i ; ğawwāt-ək ; ğawwāt-ki ; ğawwāt-u ; ğawwāt-a ; ğawwāt-na ;

ğawwāt-kən ; ğawwāt-ən.

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- 274 -

Cette préposition introduit une référence spatiale, marquant le caractère

d’intériorité d’une action :

mən ğawwāt əl-bayt kān təği rīh }at akəl kwayyəs.

De l’intérieur de la maison venait l’odeur d’une bonne nourriture.

Elle est l’antonyme de bar}r}āt « dehors ».

La préposition h }awl

La préposition h}awl suffixée avec les pronoms :

h}awl-i ; h}awl-ək ; h}awl-ki ; h}awl-u ; h }awl-a ; h}awl-na ; h}awl-kən ; h}awl-

ən.

Cette préposition indique l’espace environnant ou le voisinage immediat :

lā-tr}ōh}īn-təğīn h}awl əl-bayt.

Ne fais pas de va-et-vient autour de la maison.

yəkfa təbrəmīn h }awl-i !

Arrête de tourner autour de moi !

dər}tu h }awl əd }-d}ē‘a.

J’ai tourné autour du village.

alf əsm-al }l }a h }awl-u !

Mille fois le nom de Dieu autour de lui !

La préposition h ~alf

La préposition h~alf suffixée avec les pronoms :

h~alf-i ; h~alf-ək ; h~alf-ki ; h~alf-u ; h~alf-a ; h~alf-na ; h~alf-kən ; h~alf-ən.

La préposition h~alf indique la postériorité ; quelque chose se trouve au-

delà d’une autre chose, « derrière », « à l’arrière », « au-delà », « par delà » :

h ~alf bayt-i « derrière ma maison » ;

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- 275 -

h~alf əl-wəlāya « au-delà de la ville », « par-delà la ville ».

Entre les substantifs ou les pronoms qui expriment un animé et la

préposition spatiale h~alf s’interpose toujours la préposition mən « de » :

h~alf mən-ni fīyu məre.

Derriere moi il y a un miroir.

əht-i half mən-ni ye

Ma sœur est derrière moi.

Si les substantifs ou les pronoms, qui concernent un animé, suivent

immédiatement la préposition h~alf, alors sa signification n’est plus spatiale, mais

elle indique soit une obligation, soit un appui :

šəġl-i h ~alf-i we.

Mon travail m’attend (lit.: « mon travail est derrière moi » c’est-à-dire « je

dois faire mon travail »).

abū-y half-i we.

Mon père est mon appui (lit. « mon père est derrière moi »).

La préposition əla

La préposition əla suffixée avec les pronoms (on emploie la forme lay) :

lay-(y) ; lay-k ; lay-ki ; lay-u ; lay-a ; lay-na ; lay-kən ; lay-ən.

Cette préposition indique le terme d’une action, le point d’arrivée, la

destination ; elle équivaut aux prépositions françaises « à », « vers », jusqu’à »,

« près de » :

əla ġadde astand}ər.

J’attends jusqu’à demain.

D’habitude, cette préposition est réduite à la (l) devant un nom et garde la

forme lay devant un pronom :

t }alli‘ l-əbn-ək kəğ-ğa lay-u əzro !

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- 276 -

Regarde ton fils, Azraïl (l’ange de la mort) est venu chez lui !

ba‘atū-hu la-bayt hāl-u.

Ils l’ont envoyé à la maison de son oncle (maternel).

La préposition əlla

Cette préposition exprime la privation ou le manque d’une partie d’un

ensemble :

sā‘a tāte əlla rəb‘ at }la‘ mə-l-bayt.

À trois heures moins quart je sors de la maison.

La préposition kama

La préposition kama suffixée avec les pronoms personnels :

kamā-y(y ; kamā-k ; kamā-ki ; kamā-yu ; kamā-ya ; kamā-na ; kamā-kən ;

kamā-hən.

La préposition kama introduit le deuxième terme d’une comparaison,

« comme » :

wəčč kama wəčč əğ-ğēğ.

Visage comme le visage de la poule.

l-u ğawf kama l-əkvār}a

Il a un ventre comme le dépôt [de céréales].

mō-‘rəf kamā-k zalame bə-‘aqəl.

Je ne connais pas un homme si sage comme toi.

La préposition li

La préposition li suffixée avec les pronoms personnels :

l-i ; l-ək ; əl-ki ; l-u ; l-a ; əl-na ; əl-kən ; l-ən.

Après une voyelle (la finale du mot précédent) le schwa prothétique

disparaît : -l-ki ; -l-na ; -l-kən.

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- 277 -

Cette préposition indique l’attribution, la propriété, le bénéficiaire :

əm}m}-i r}āh}ət la-s-sōq, ahadət l-a frənği ah }mar w frənği əswəd.

Ma mère est partie au marché et elle a pris pour elle-même des tomates et

des aubergines.

l-u (lə-hu) ğawf kama n-nəqr}a.

Il a un ventre comme un chaudron.

Elle sert aussi à joindre à un verbe son complément indirect :

qāl l-i « il m’a dit ».

La préposition lə-hāt }ər

La préposition lə-hāt }ər suffixée avec les pronoms :

lə-hāt }ər-i ; lə-hāt }ər-ək ; lə-hāt }ər-ki ; lə-hāt }ər-u ; lə-hāt }ər-a ; lə-hāt }ər-na ;

lə-hāt }ər-kən ; lə-hāt }ər-ən.

Cette préposition (formée de la préposition lə « pour » et du substantif

hāt }ər « faveur », « esprit ») indique le bénéficiaire d’une faveur ; elle doit être

mise en relation avec l’expression turque similaire hatırı için « par égard pour »,

« pour les beaux yeux de » :

lə-hāt }ər hāda z-zalame, asawi kəll ši.

Pour cet homme, je fais tout.

La préposition mən

La préposition mən suffixée avec les pronoms :

mən-ni ; mən-nək ; mən-ki ; mən-nu ; mən-na ; mən-na ; mən-kən ; mən-ən.

mən + l’article défini

La préposition mən suivie de l’article défini perd, habituellement, mais pas

dans tous les cas, la consonne finale /n/ et forme avec le /l/ de l’article (ou la

consonne résultée par l’assimilation de celui-ci) une syllabe fermée:

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- 278 -

mə-š-šawke warde, mə-l-warde šawke.

De l’épine, rose, de la rose, épine.

Cette préposition indique :

- le point de départ :

mən hawn əla hawnake.

d’ici jusque là.

mə-l-yawm w ba‘d.

á partir de ce jour ; dès aujourd’hui, désormais.

- l’origine :

əl-qatəl mə-ğ-ğanne kət }-t }ala‘.

la raclée est sortie du paradis.

kərdi mən ğabal-‘afs. }

un kurde de la montagne de noix de gale.

ē, ya bo, mən bayt gbār } we.

Oui, papa, il est d’une famille très honorable (lit. : une maison de grands

hommes).

- la matière, la composition, les parties qui entrent dans un tout:

t }ōrbayāt mən kāġəd qazat }a.

sacs de papier de journal.

Etant donné que cette préposition marque le point de départ, l’origine de

quelque chose, elle peut en même temps indiquer la cause d’un événement,

surtout en corrélation avec un verbe de sentiment, de jugement etc. :

mə-l-bard ar‘ad.

Je grelotte de froid.

mə-ğ-ğū‘ mayyət ana.

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- 279 -

Je suis mort de faim.

hūwe mən qahr-u yəbki.

Il pleure de rage.

mən ‘atmət l-layl qalbi yəh ~fəq, ys}īb-ni čarp }ən}t }i, mō-‘rəf l-ayš.

À cause de l’obscurité de la nuit, mon cœur bat, je suis pris de palpitation,

je ne sais pas pourquoi.

yənqəhər mə-š-šəfšəg yəh ~ra fə-t-təbbān.

Enervé par le cordon [de son sarouel], il chie dans le caleçon.

mən sane mā-’ar}aytū-k.

Depuis un an je ne t’ai pas vu.

fīyu ġayr ši mən hāda ?

Y a-t-il encore quelque chose de celui-ci ?

Al }l }a yərh }am abū-k, māt w h ~ələs} mən-nək.

Que Dieu pardonne ton père, il est mort et s’est débarrassé de toi.

kəll yawm sā‘a ‘ašar}a aqūm mə-n-nawm.

Chaque jour à dix heures je me réveille.

nh }amaq mən l-ġad}ab.

Il se comporte bêtement à cause de la rage.

mən h }əs(s) la ysawn əğ-ğīrānīn, mō-nt }ēq nnām.

À cause du bruit que les voisins font, nous ne pouvons pas dormir.

La préposition ma‘

La préposition ma‘ suffixée avec les pronoms :

ma‘-i ; ma‘-ək ; ma‘-ki ; ma‘-u ; ma‘-a ; ma‘-na ; ma‘-kən ; ma‘-ən.

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- 280 -

Cette préposition a une valeur d’accompagnement, introduisant un

circonstanciel associatif, ayant le sens de « avec », « en compagnie de » :

ssa‘ aštəġəl ma‘ ahū-y.

Maintenant je travaille avec mon frère.

ta-’ar}ōh} ma‘ bayt abū-y la-bar}r}a.

J’irai avec la « maison de mon père » dehors. (bayt abū-y, la maison de

mon père ; par cette expression une femme mariée désigne sa famille d’origine ;

bar}r}a « dehors », dans ce contexte-ci, ce mot signifie « hors de la ville », « à

l’extérieur de la ville », c’est-à-dire les lieux destinés au pique-nique qui se

trouvent autour de la ville).

hūwe mā-ma‘-u ah }h}ad.

Il n’y a personne avec lui.

Souvent elle indique l’idée de possession, mais l’objet possédé doit être au

porteur :

ma‘-ək čaqmaq we ?

As-tu un briquet (avec toi) ?

Pour les verbes de IIIème

forme, la préposition ma‘ indique la réciprocité,

introduisant leurs complément :

ğādaltu ma‘ ah ~ū-y.

Je me suis querellé avec mon frère.

La préposition mbādal

Cette préposition (à l’origine le participe passif du verbe bādal

« échanger ») sert à indiquer une alternative (« au lieu de ») :

mbadal hā-l-kərsi waddi əlləh ~ !

Au lieu de cette chaise, apporte l’autre !

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- 281 -

La conjonction qəddām

La préposition qəddām suffixée avec les pronoms :

qəddām-i ; qəddām-ək ; qəddām-ki ; qəddām-u ; qəddām-a ; qəddām-na ;

qəddām-kən ; qəddām-ən.

Cette préposition marque, habituellement, l’antériorité dans l’espace :

qəddām dəkkān-i fīyu tūte gbīre.

Devant notre maison il y a un grand mûrier.

bayt-na qəddām bayt nūri.

Notre maison est devant la maison de Nuri.

Souvent, elle apparaît comme synonyme de la préposition temporelle

qabəl « avant », mais à la différence de celle-ci, elle indique une période très

courte de temps écoulée entre deux événements :

qəddām s}alāt əl-məġrəb sakkanət əz-zawba‘a.

Avant la prière du coucher du soleil, l’orage s’est calmé.

qəddām əl-masa bada yği s-salğ.

Vers le soir, il a commencé à neiger.

Cette préposition qəddām se conjoint aux prépositions mən et la :

mən qəddām « de devant » : mən qəddām əl-bāb « de devant la porte » ;

la-qəddām « au-devant de » : la-qəddām əl-bāb « au-devant de la porte ».

La préposition qabəl (qable b-)

La préposition qabəl suffixée avec les pronoms :

qabl-i ; qabl-ək ; qabəl-ki ; qabl-u ; qabl-a ; qabəl-na ; qabəl-kən ; qabl-

ən.

Cette préposition marque l’antériorité dans le temps:

qabəl əl-waqt, mō-ys}ēr} ta-tr}ōh} la-hawnake.

Avant le temps (convenu), il ne faut pas que tu ailles là.

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- 282 -

Conjonction : qabəl+la

qabəl la yəği l-m‘alləm yəlzəm ahalləs} dars-i.

Avant que l’instituteur vienne, je dois finir ma leçon.

hənne kəğ-ğaw mən qabl-i.

Ils sont venus avant moi.

qabəl əl-akəl bi-šwayye, ah}mad ğa mən šəġl-u.

Un peu avant de manger, Ahmad est venu de son travail.

Avec un substantif qui dénomme une unité temporelle, on emploie la

forme qable bi :

qable b-sane « il y a un an » (lit. : « avant un an ») ;

qable b-šahrayn « il y a deux mois » ;

qable b-tāt sabbāt « il y a trois semaines ».

La préposition qarši

La préposition qarši suffixée avec les pronoms :

qaršī-y ; qaršī-k ; qaršī-ki ; qaršī-ya ; qaršī-yu ; qaršī-na ; qaršī-kən ;

qaršī-yən.

La préposition qarši64

, empruntée au turc (karşı, « opposé », « contraire »,

« envers », « contre », « contraire ») a le sens de « contre » :

lə-hat }ər maymət-i t }ala‘tu qarši la-bənt hāl-i.

Pour ma grand-mère, j’ai affronté (lit. : « je me suis élevé contre ») ma

cousine (maternelle).

Observation: dans le parler des Arabes mardiniens établis à Istanbul, qarši

– comme substantif – signifie la partie asiatique d’Istanbul, sens repris du turc

aussi (karşı taraf « opposite », « la partie opposée ») :

mbērh }a r}əh}tu la-qarši.

Hier je suis allé dans la partie asiatique d’Istanbul.

64 Cette préposition a été empruntée aussi par le t }uroyo: qārši d- « contre ».

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- 283 -

La préposition tah }t

La préposition tah }t suffixée avec les pronoms :

tah }t-i ; tah }t-ək ; tah }t-ki ; tah }t-u ; tah }t-a ; tah }t-na ; tah }t-kən ; tah }t-ən.

Cette préposition marque la position d’une chose par rapport à ce qui est

plus haut dans la même direction, signifiant « sous », « en bas » :

h}at }t }aytu məftāh }-ək tah }t əl-məre.

J’ai mis ta clé sous le miroir.

Spécialement en Mardin, cette préposition signifie « en avale de » :

tah }t bayti fīyu ğəwērīn mlāh }.

En avale de ma maison il y a des bons voisins.

La préposition tah }t, comme son antonyme fōq, se conjoint aux

prépositions mən et la :

mən tah }t « de dessous » ; mən tah }t ət-tah }tānīye dahal « il est entré par-

dessous » ;

la-tah }t « au dessous ».

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- 284 -

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- 285 -

12. Syntaxe de la proposition et de la phrase

12.1. La proposition

L’énoncé verbal complet comprend deux syntagmes : le syntagme verbal

(V) et le syntagme nominal sujet (S). En général, il y a accord en genre et en

nombre entre l’indice personnel et le sujet nominal ou son substitut pronominal,

que l’ordre soit SV ou VS. D’habitude l’ordre est SV, mais rarement pour raisons

stylistiques peut être aussi VS.

Si le syntagme verbal comprend un complément d’objet (O), l’ordre est

théoriquement SVO, mais la tendance est SOV, sous l’influence d’autres langues,

le kurde et le turc :

H}asan ōd }a wēh }de yrīd.

/hasan chambre une veut/

Hasan veut une chambre.

en kurde :

H}asan jûreke dixwaze.

/hasan chambre une veut/

Hasan veut une chambre.

en turc :

Hasan bir oda yistiyor.

/hasan une chambre veut/

Hasan veut une chambre.

L’ordre SOV est transgressé par le complément d’objet exprimé par un pronom

qui est toujours suffixé au verbe.

12.2. L’énoncé nominal

L’énoncé nominal (ou averbal) est une proposition privée de verbe. Il y en a

plusieurs types (v. Taine-Cheikh 1994 :186) :

- l’énoncé existentiel ;

- l’énoncé locatif ;

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- 286 -

- l’énoncé attributif ;

- l’énoncé équatif ;

- l’énoncé de monstration.

12.2.1. L’énoncé existentiel formulé à l’aide de fīyu

Le mardini emploie pour formuler un énoncé existentiel l’auxiliaire de

prédication fīyu « existe », « il y a », une forme figée, qui peut être expliquée par

la grammaticalisation d’un syntagme contracté fī-hu « en lui » ou fī-we. Pour la

forme négative, on emploie seulement fi (en): mā-fi « il n’y a pas ».

Comme son synonyme turc – var « il y a », avec sa forme négative, yok,

« il n’y a pas » (Deny 1920 : 813) – fīyu / mā-fi marque :

a) l’existence ou l’inexistence en général d’un concept :

ayš fīyu ?

Qu’y a-t-il ?

ayš fīyu ayş mā-fi ?

Qu’y a-t-il, que n’y a-t-il pas? (c’est-à-dire : « qu’est-ce qu’il y a de

nouveau ? »).

təmm fīyu, lsēn mā-fi.

Bouche il y a, langue il n’y a pas (se dit d’une personne qui ne répond pas

aux questions).

mā-fi ši

Il n’y a rien.

mā-fi ah}h}ad.

Il n’y a personne.

b) existence localisée :

hawne fīyu ‘aš byūt mērdīnīye.

Ici il y a dix maisons (familles, n.n.) mardiniennes.

Page 288: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 287 -

‘ənde məne65

fīyu čaqmaq ?

Qui a un briquet (lit.: « chez qui il y a un briquet ? ») ?

ğamb ōtēl-na fīyu h }ammām.

À coté de notre hôtel il y a un bain (public).

fə-l-bayt mā-fi m}ayy.

Il n’y a pas d’eau dans la maison.

Dans le cadre de l’énoncé existentiel, le syntagme nominal qui exprime

l’entité dont on signale l’existence est toujours indéterminé et il est précédé par le

syntagme nominal prépositionnel (qui indique le lieu d’existence). Ceux-ci sont

les traits fondamentaux qui le différencient de l’énonce locatif, introduit par la

copule enclitique, à qui il ressemble beaucoup par ses composantes. La différence

entre un énoncé locatif (exemple a) et un énoncé existentiel (exemple b) est la

suivante :

al-h}ammām fə-wast } əl-wəlāye we.

Le bain (public) est au centre de la ville.

fə-wast } əl-wəlāye fīyu h }ammām.

Dans le centre de la ville il y a un bain (public).

Dans tous les exemples ci-dessus, fīyu a le sens de présent ; pour le placer

dans le passé, on emploie l’invariable kān « il a été » : kān fīyu « il y a eu » ; mā-

kān fi « il n’y a pas eu » ; et pour la placer dans le futur, on emploie ta-ykūn « il

sera : ta-ykūn fīyu « il y aura » ; mō-ta-ykūn fi « il n’y aura pas ».

65 Le /e/ final qui apparaît à ‘ənde et məne est euphonique.

Page 289: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 288 -

12.2.2. Les énoncés attributif, locatif et équatif formulés à l’aide d’une

copule enclitique66

Le mardini emploie un suffixe prédicatif67

ou une copule enclitique,

comme elle a été nommée par H. J. Sasse en parlant du mh}allami, « Die

enklitische Kopula » (Sasse 1971 : 247), qui a les mêmes formes que le pronom

personnel autonome duquel il a évolué et avec lequel il peut être confondu : ana ;

ənt ; ənti ; we (forme reduite de hūwe) ; ye (forme réduite de hīye) ; nəh}ne ; əntən ;

ənne (forme réduite de hənne).

Ce suffixe prédicatif est employé pour exprimer un énoncé non verbal de

type :

a) attributif – composé de deux syntagmes, un syntagme nominal

sujet fortement déterminé et un syntagme nominal très peu référentiel (adjectif,

participe ou syntagme indéfini), qui peut être introduit aussi par la préposition

kama (comme):

ana mērdīni ana.

Je suis mardinien.

hā-l-h}alīb rēdi we.

Ce lait est mauvais (désagréable).

ana t }ālə‘ ana əlle nēzəl ana ?

Je monte ou bien je descends (lit. : « Je suis montant ou bien je suis

descendant ? ») ?

ah~ū-y spōrči we.

Mon frère est sportif.

66 La copule est présente aussi dans d’autres parlers mésopotamiens : dans le parler de Mossoul (et

les parlers chrétien et juif de Bagdad) elle se forme de la particule yā à laquelle on ajoute les

pronoms suffixés : kalebna kelleš zēn yānu « Notre chien est très bon » (Blanc 1964 : 124) ; dans

le parler arabe de l’Asie Centrale elle se forme de l’élément inn + les pronoms suffixés : nōxuš-

inni « Je ne suis pas bien » (Blanc 1964 : 125), . 67 Dans l’arabe parlé à Siirt, cette copule n’est pas enclitique comme en mardini, mais elle est

placée entre le sujet et le nom prédicatif : āvi lbənt īye bōš malīh }a « Cette fille est très bonne » (Jastrow 1980 : 148).

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- 289 -

h}əss-u kama h }əss əd-dīk we.

Sa voix est comme la voix du coq.

b) locatif – composé de deux syntagmes nominaux ; le syntagme

nominal sujet, qui est le thème, est toujours fortement déterminé et le second

syntagme est prépositionnel ou adverbial :

mērdīn fōq əğ-ğabal ye.

Mardin est sur la montagne.

c) équatif – composé de deux syntagmes nominaux, non prépositionnels,

toujours déterminés, liés entre eux par une relation d’identification :

arqad}āš zaynab əbn ‘amm-i we.

L’ami de Zaynab est mon cousin [paternel].

Lorsque le sujet est exprimé par un pronom personnel qui est identique

avec la copule, celui-ci sera habituellement omis:

əl-yawme, arba‘t əyyēm, marīd} ana.

Aujourd’hui, il y a quatre jours, depuis que je suis malade.

ayš fī-k? mō-trīd təqčəm ma‘-i wēya h}əlqān ənt ?

Qu’est que tu as ? Tu ne veux pas parler avec moi ou bien tu es fatigué ?

On peut observer dans les exemples ci-dessus que le suffixe prédicatif

s’accorde en genre et en nombre avec le sujet. En dépit de cela, notre base de

données fournit parfois des exemples qui mettent en évidence la tendance de

généralisation de l’emploi des suffixes prédicatifs de la troisième personne du

singulier :

-məne we? - nəh}ne we!

-Qui est? -C’est nous!

Négation:

əl-bas}ale mō-t }ayyəbe ‘a-t-tūme.

Page 291: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 290 -

L’oignon n’est pas bon sur l’ail.

Cette série de suffixes prédicatifs (en réalité, des pronoms enclitiques)

s’est développée, je crois, à partir des modèles offerts par les autres langues de

Mardin.

Ainsi, dans le Turc osmanli et les dialectes turcs de l’Anatolie orientale – y

compris Mardin – de telles structures existent, c’est-à-dire des propositions

nominales réalisées avec des suffixes prédicatifs – nommes par Deny verbes

substantifs - qui sont les mêmes pronoms personnels (Deny 1920 : 351-352) :

Män yaş män – « Je suis jeune » ; Sen yaş sen – « Tu es jeune » etc.

En t }uroyo, les suffixes prédicatifs se rapprochent davantage des pronoms

personnels. Singulier : 1. ono – no ; 2.m. hat – hət ; 2.f. hat – hat ; 3.m./f.

hiye/hiya – yo ; Pluriel : 1. ah }na – na ; 2. hatu – hatu ; 3. hənnək – ne (v. Jastrow

1992 : 23).

La ressemblance entre les suffixes prédicatifs en t }uroyo et les suffixes

prédicatifs en mardini en ce qui concerne leur origine, leur formation et leur

emploi, est évidente (voir les exemples inscrits dans le tableau ci-dessous où l’on

a employé comme nom prédicatif en t }uroyo, rabo (f. rabto; pl. rabe) « grand » et

en mardini, gbīr (f. gbīre; pl. gbār}) « grand » :

Personne t }uroyo mardini français

I, sg. ono rabo-no ana gbīr ana Je suis grand

II, m., sg. hat rabo-hət ənt gbīr ənt tu es grand

II, f., sg. hat rabto-hat ənti gbīre ənti tu es grande

III. m., sg. hiye rabo-yo hūwe gbīr we il est grand

III., f. sg hiya rabto-yo hīye gbīre ye elle est grande

I. pl. ah}na rabe-na nəh}ne gbār} nəh}ne nous sommes grands

II. pl. hatu rabe-hatu əntən gbār} əntən vous êtez grands

III. pl. hənnək rabe-ne hənne gbār} ənne ils sont grands

Par ailleurs, ce phénomène peut être soutenu par des structures similaires

du kurde qui emploie l’indicatif présent du verbe bûyən (être) : Ez im ; Tu yî ; Ew

e ; Em în ; Hûn in ; Ew in – « Je suis » ; « Tu es » etc. On peut observer la

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- 291 -

similitude – due au hasard linguistique, sans doute, mais qui aurait pu jouer un

rôle dans le renforcement de ces suffixes en mardini – à la troisième personne du

singulier et du pluriel: e – we; in (prononcé ən) – ənne.

Ez dilzar im.

« Je suis triste ».

12.2.3. L’énoncé de monstration formulé à l’aide de l’auxiliaire kwā

Le mardini emploie un auxiliaire de prédication pour la réalisation d’un

énoncé de monstration dont la seconde partie est soit un syntagme nominal

déterminé, soit un syntagme verbal. Cet auxiliaire, kwa « c’est », « voici » est

formé du kū – une forme tronquée de ykūn « il est » – et du démonstratif universel

hā68

(Jastrow 1981 : 164). Je crois que ce mot est formé du k et du wa. Le k est le

démonstratif k’ de l’araméen babylonien – le même qui est renfermé dans aku « il

y a », la particule d’existence en irakien (Müller-Kessler 2003 : 643) – et wa vient

de huwa « il », c’est-à-dire « le voilà ».

SN:

kwa l-h~bayz !

Voici le pain !

kwa l-mas}a w l-kərsi !

Voici la table et la chaise !

SV:

a) un participe actif, ayant le sens d’un présent continu :

kwa r}āyəh} !

Le voici partant !

Observation : kwa peut être suivi directement par un verbe, mais il est clair

que le sujet nominal ou son substitut pronominal a été élidé :

a) un verbe à l’inaccompli, ayant le sens d’un présent continu :

68 Dans un autre arabe anatolien, celui parlé à Qart }mīn, kū se combine également avec hīya (elle)

résultant kyā, un auxiliaire employé pour l’introduction d’un nom féminin : kya ar}nabe « C’est un lièvre » (Jastrow 1980 : 148).

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kwa yākəl !

Le voici qu’il mange (c’est-à-dire, il est en train de manger).

b) un verbe à l’accompli, ayant le sens d’un passé proche :

kwa ğa !

Le voici venu !

12.3. La proposition complétive

La proposition complétive se rattache à un verbe dont elle achève et

complète le sens.

La proposition complétive en mardini est introduite par les subordonnants

suivants :

a) soit une conjonction:

- annu « que », une conjonction dont l’origine est ’anna-hu (qu’il) ;

- ki « que », une conjonction d’origine persane existant dans toutes les

langues de la zone ;

b) soit un mot interrogatif (pronom, adjectif ou adverbe) qui peut être :

- un adverbe interrogatif: aymāt « quand » ; ayšwan « comment » ; ayn

« où » ; šqad « combien » ; l-ayš « pourquoi » ; agar « si » ;

- un pronom interrogatif: mən « qui » ; ayš « que », « quoi », « ce que » ;

la-məne stahbarna ayni ğawāb ‘at }ā-na.

[N’importe] qui nous avons demandé nous a donné la même réponse.

- un adjectif interrogatif : ayna (quel).

Les conjonction annu et ki « que » introduisent une subordonnée

complétive après les verbes qui expriment une opération de la pensée :

qāl « dire » ; h}aka « raconter » ; ‘taraf (avouer) etc.

ftakar « penser » ; h~amman « croire » ; (juger) etc.

ar}a « voir » ; ‘araf « savoir » ; səmə‘ « entendre » etc.

h}əbb « aimer » ; hāf « redouter » etc.

rād « vouloir » ; qarrar « décider » ; t }alab « exiger » etc.

aftəkər əz-zawba‘a gēye !

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- 293 -

Je pense que l’orage vient

12.4. La conditionnelle

L’ordre des propositions dans les structures conditionnelles

La structure conditionnelle, connue pour double phrase, est formée de

deux propositions : la première équivaut généralement au conditionnant ou

protase (P), la seconde figure le conséquent ou l’apodose (A). La protase est une

proposition, marquée par un marqueur de subordination (Mq) : ən-əl ; agar ; əda ;

ykūn, tous ces marqueurs ayant en français comme correspondant le marqueur

« si ». Ainsi, la formule générale pour le fonctionnement du conditionnel est :

Protase : Mq P, A (en français : si P, alors A).

Observation : les phrases analysées sont de deux groupes, un groupe

constitué par des phrases prises des discours spontanés (désormais GM1) et un

autre groupe constitué par des phrases élaborées à ma demande (GM2).

En mardini se manifeste d’une manière prépondérante la tendance que le

marqueur de subordination soit situé même avant le verbe, étant ainsi placé entre

le sujet et son prédicat :

‘ətmān agar mā-bā‘ ‘alōwāt-u kəllət-ən hāy-t-təšrīn, mō-yt}ēq yqar}r}i əbn-

u fə-S}t }am}būl. (GM1)

Si Osman ne vend pas tous ses dindons cet automne, il ne pourra plus

payer les études de son fils à Istanbul.

Il arrive bien souvent que dans certaines phrases conditionnelles de notre

corpus apparaissent entre l’apodose et la protase diverses propositions incises de

type déclaratif (voir aussi Roth 2002: 90):

agar dāq h}ayāt əl-bažarəyye, ‘ala gōrati aqūl l-ək, ba‘d mō-yərğa‘ la-l-

baydar. (GM1)

Si ton fils prend le goût de la vie citadine, je te le dis, il ne va plus

revenir à l’aire.

En mardini, sur l’ensemble des énoncés relevant du conditionnel au sens

large, 92% phrases illustrent l’ordre P, A, avec une certaine variation de nature

pragmatique, quand l’ordre est renversé A, P :

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- 294 -

a) agar mā-‘ənd-i ġayr šəġəl, ta-’aği. (GM2)

Si je n’ai rien d’autre à faire, je viendrai.

b) ta-’aği, agar mā-‘ənd-i ġayr šəġəl. (GM1)

Je viendrai, si je n’ai rien d’autre à faire.

Dans l’exemple a, l’ordre des propositions est celui habituel dans le

mardini, P, A; dans l’exemple b, l’ordre est renversé : A, P. L’apodose antéposée

indique l’emphase de celle-ci (« Je le ferai à coup sur », « Il n’y a aucun doute sur

mon intention », étant l’une des conditions à remplir). L’emphase de l’apodose,

par l’inversion de l’ordre des deux propositions, est plus évidente dans l’exemple

suivant :

lāzəm tət‘allam, əda trīd əts}ēr} məh}āsəb (GM1).

Tu dois étudier, si tu veux devenir comptable.

Marqueurs de la protase

Il faut remarquer le fait d’avoir éliminé de nos données l’utilisation des

marqueurs qui introduisent différents types de propositions pouvant avoir aussi

une nuance conditionnelle, plus ou moins évidente. En tout, on a tenu compte de

quatre marqueurs par lesquels s’exprime le conditionnel :

- ən (hérité de l’ancien arabe), avec ses allophones, prédominants à

présent, əl (avant une voyelle) et lə (avant une consonne) ;

- əda (hérité de l’ancien arabe). Le marqueur əda, en mardini, a la

tendance de jouer le rôle unique d’élément introduisant le conditionnel comme en

arabe littéraire moderne (Larcher 2000 : 194), étant moins employé pour

introduire une proposition temporelle à connotation conditionnelle, tout comme en

arabe classique.

- agar (emprunté aux langues limitrophes) utilisé afin d’introduire

l’apodose d’un conditionnel réel. La conjonction agar, d’origine persane (présente

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- 295 -

dans toutes les langues parlées dans la zone, en turc eğer, en kurd eger, en t }uroyo

agar, etc.) est employée aussi en mardini (Grigore 2003 : 127). Selon les

personnes questionnées par nous et des données recueillies, l’emprunt agar et le

terme de l’ancien arabe əda sont, en somme, équivalents du point de vue sens et

fonction. On a constaté que əda est plus rarement employé que agar (9% des

conditionnelles réelles de notre corpus ont l’élément introductif əda), malgré cela,

dans les situations induites à dessein, les natifs du mardini indiquent cette

conjonction comme synonyme de əda. Pourtant, dans le langage des personnes

âgées, əda introduit toujours une proposition arabe, tandis que agar marque un

changement de code, vers le turc ou le kurde :

əda h }afart h~andaq mən hawne la bāb əl-bayt əl-yawme, ta-təksəb tātīn

waraqa ğdīde (GM1).

Si tu creuses un fossé d’ici jusqu’à la porte de la maison, tu vas gagner

trente nouvelles livres.

ya h }abīb-i, agar tu ji duh da nehatî male, mō-tə‘rəf h }akkōyət la s}āt lə-ğ-

ğəwērīn (GM1).

O, mon cher, tu n’es pas rentré depuis hier (à noter: la proposition

soulignée est en kurde), tu ne sais pas ce qui est advenu aux voisins.

Pourtant, une pareille distinction ne semble pas exister dans le langage

des plus jeunes :

agar/əda r}əh }na la-h}alab, ta-nəštəri l-ək sā‘a kwayyəse mən hawnake

(GM1).

Si/Quand nous allons à Alep, nous t’achèterons de là-bas une bonne

montre.

- ykūn (provenu des ressources internes, par la grammaticalisation du

verbe kān/ykūn « être », à l’aspect inaccompli) est employé pour introduire tous

les types de conditionnelles irréelles. Dans certains dialectes, comme ceux de

Néguev, kān (il a été) est aussi complètement grammaticalisé, représentant

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- 296 -

actuellement un simple marqueur de subordination (Henkin 1998 : 10 ; Grigore

2005 : 8).

En mardini, pour l’expression d’un désir on utilise le même marqueur

qu’on retrouve dans une phrase conditionnelle irréelle (c’est-à-dire : ykūn):

ykūn təği ta-nəqčəm šwayye ! (GM1)

Je souhaite que tu viennes parler un peu !

(Au moins si tu venais parler un peu !)

ykūn tzōr} la-maymət-ək. (GM1)

Je voudrais que tu visites ta grand-mère !

(Au moins si tu visitais ta grand-mère !)

ykūn yərkab fə-l-makīn}a w yr}ōh} l- dayr əz-za‘farān ! (GM1)

Je voudrais/souhaiterais qu’il monte en voiture et qu’il aille au

Monastère du Safran !

(S’il montait en voiture pour aller au Monastère du Safran !).

La situation décrite est hypothétique. Le verbe est realis, mais la situation

est irrealis, signalée par ykūn. Dans ce cas, ykūn est synonyme au classique layta,

un marqueur prototype du désidératif, employé pour exprimer des desiderata, un

voeu, mais celui qui parle ne prétend pas que la réalisation de ce désir soit

possible (Firănescu 2003 : 90) :

layta zaydan

ğā’anī

Si Zayd était venu chez moi !

Les aspects/temps verbaux employés dans les phrases conditionnelles

Le realis représente un fait perçu soit pour avoir eu lieu, soit pour avoir

été au moins initié. Dans les langues à système temps-aspect, comme le mardini,

c’est logique d’apprécier que les énoncés positifs à l’indicatif, employant d’autres

temps que le futur, soient considérés realis (voir Elliott 2000: 68). À la différence

d’un fait realis, un fait irrealis est quelque chose d’imaginable ou possible, étant

placé dans un milieu irréel et non pas dans le milieu réel. Pourtant la différence

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- 297 -

entre realis-irrealis n’est pas toujours bien définie. Selon Elliott (2000 : 70), il y a

sept circonstances extrêmement usitées qui impliquent l’irrealis : les

conditionnelles, les commandements/ordres, la négation, les habituelles, les

interrogatives, les événements potentiels et les événements qualifiés par la

modalité.

À partir des définitions formulées par Elliot, je dois préciser qu’en

mardini les événements realis s’expriment par des verbes à l’indicatif, présent et

passé, qui indiquent divers degrés de réalisation de l’action, tandis que les

événements irrealis sont représentés par des verbes au futur de l’indicatif et au

conditionnel.

En mardini, la protase ne peut contenir qu’un seul verbe realis, tandis que

l’apodose peut comporter soit un verbe realis, soit un verbe irrealis.

Verbes realis :

- le présent simple est le temps principal exprimé par la Fp : yəšr}ab « il

bois ».

- le présent continu : le participe active dérivé en mardini seulement des

verbes exprimant le mouvement est utilisé comme dans beaucoup de dialectes

arabes (Cuvalay-Haak 1997 : 194), pour marquer une action qui se prolonge du

passé jusqu’au présent : ana t}ālə‘ la-l-maktab « Je vais à l’école ».

- le passé simple est le temps principal exprimé par la Fs : šər}əb « il a

bu ».

- le passé continu : kān-yəšr}ab « il buvait » ; le participe actif précédé de

kān, non conjugué, indique lui aussi un passé continu : ana kəntu t }ālə‘ la-l-maktab

« J’allais à l’école ».

- le parfait présent (une action passée dont les effets sont encore

perceptibles au présent) : kān-šər}əb « il avait bu ».

- le parfait passé/le plus-que-parfait (kan+kəl+Fs): kān-kəš-šər}əb « il

avait bu ».

Verbes irrealis :

- le futur : ta-yəšr}ab « il boira », qui apparaît avec sa valeur de

probabilité, ainsi nommé « futur de l’hypothèse probable » ;

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- 298 -

- l’impératif (les formes positives, aussi bien que celles négatives) est

placé dans le groupe irrealis car ses formes se rapportent, du point de vue

notionnel, à des faits potentiels, non réalisés (Elliott 2000 : 76). L’impératif positif

peut être simple, r}ōh }! « va-t’en ! » ou mis en relief par la particule də : də-r}ōh } !

« mais vas-y une fois ! » ;

- le conditionnel (voir Sasse 1971 : 161) est formé avec le figé kān (il a

été) + le marqueur du futur ta +Fp, kān-ta-yəšr}ab « il aurait bu » et exprime une

action qu’on aurait pu réaliser si on avait accompli une condition.

Selon Mithun (1995 : 380), les situations négatives sont en général

traitées pour irrealis. C’est pourquoi, dans les structures conditionnelles qu’on

trouve dans notre corpus, il n’apparaît jamais de verbe au futur négatif, parce que

le négatif aussi bien que le futur, perçus comme irrealis, rendraient l’information

redondante :

əda mā-‘at}ayt-ni əl-kaġdāye, mō-qčəm ma‘-ək fə-‘əmr-i. (GM1)

Si tu ne me donnes pas le papier, jamais de la vie je ne te parlerais plus.

Sur ma requête, l’énoncé ci-dessus a été reformulé à l’affirmative, ainsi:

əda ‘at}ayt-ni əl-kaġdāye, ta-’aqčəm ma‘-ək t}ūl ‘əmr-i. (GM1)

Si tu me donnes le papier, toute la vie je te parlerai.

Ainsi, dans les structures conditionnelles, le futur (irrealis) se trouve au

même niveau que le présent négatif (irrealis).

Cette conclusion est confirmée aussi par la transformation de la phrase

affirmative ci-dessous en une phrase négative :

əda ar}aytū-k ma‘ bənt-i kar}t əl-ləh~, ta-’akassər ‘əd}mān-ək ! (GM1)

Si je te vois encore pour une seule fois avec ma fille, je vais te casser les

os !

qui devient :

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- 299 -

əda mā’ ar}aytū-k ba’d ma‘ bənt-i, mō-kassər ‘əd}mān-ək ! (GM2)

Si je ne te vois plus avec ma fille, je ne te casserai pas les os !

où le futur de la première phrase – ta-’akassər – se trouve au même

niveau que le présent négatif – mō-kassər (←mō-akassər) – de la deuxième

phrase.

En général, les questions sur des situations potentielles sont qualifiées

pour irrealis (a), mais les questions sur les faits réalisés sont appréciées comme

realis (b) :

a) ġadde agar r}əh}t la-Anqar}a, ta-nər}a ba‘d}-na fə-havaalani ? (GM1)

Si tu pars demain pour Ankara, on va se voir à l’aéroport (en turc) ?

b) agar ğītu ma‘-ək ssa‘ne, tərtāh } ? (GM1)

Si je viens avec toi maintenant, tu vas te calmer ?

Les événements qui présentent une réalisation potentielle, mais qui n’ont

pas été encore réalisés, sont encadrés au irrealis. En mardini, les événements

potentiels sont signalés par des verbes irrealis au futur :

əda kašat }t}i əl-bayt kəll-u əl-yawme, ta-’a‘t}ī-ki ‘aš zabašāt gbār}. (GM1)

Si tu enlèves les draps de toute la maison (pour les laver) aujourd’hui, je

vais te donner dix grandes pastèques.

Dans plusieurs langues, on ne fait pas de distinction morphologique entre

le futur et le mode potentiel irrealis, mais même s’il y a des différences

morphologiques entre eux, on emploie le futur pour des événements présumés

avoir lieu avec certitude.

Elliott (2000 : 71) remarque aussi le fait qu’il y a la tendance de

considérer que les actions vraiment réalisables sont marquées comme realis. De

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- 300 -

même, en mardini, une action future présumée avoir lieu à coup sûr est marquée

comme realis :

əda kašat }t}i əl-bayt kəll-u əl-yawme, a‘t}ī-ki ‘aš zabašāt gbār} (GM2).

Si tu enlèves les draps de toute la maison (pour les laver) aujourd’hui, je

vais sûrement te donner dix grandes pastèques.

VI. L’analyse de la phrase conditionnelle

Selon la perspective sémantique, on divise en deux types essentiels les

phrases conditionnelles : réelles et irréelles. La différence entre les conditionnelles

réelles et celles irréelles réside à leur rapport à une situation réelle ou à une

situation irréelle.

Les phrases conditionnelles réelles

Les phrases conditionnelles réelles sont celles qui visent les situations

ouvertes, habituelles, génériques et passées (Thompson / Longacre 1985 : 190).

Par ce type de conditionnelles on exprime les suivants : si une action a (ou a eu)

lieu, elle sera suivie d’une autre action. La première action est présentée comme

causant ou rendant possible la deuxième action.

Phrases conditionnelles ouvertes

Dans ce type de conditionnelles, la condition aussi bien que la

conséquence sont placées au futur. Dans la conditionnelle ouverte, l’émetteur ne

sait pas si la condition sera ou non accomplie, mais il l’aborde comme une

possibilité réelle et non pas comme une simple hypothèse. Dans la proposition

principale, le temps verbal, qui est toujours le présent/futur, exprime la

conséquence de l’accomplissement d’une condition, plutôt comme une

supposition ou une probabilité. Le choix du temps verbal de la conditionnelle

indique l’état d’esprit de l’émetteur, la manière dont il évalue l’action.

D’habitude, l’emploi d’un verbe à la Fp introduit une légère teinte de doute, de

scepticisme par rapport à la réalisation de l’action, tandis qu’en utilisant un verbe

à la Fs on souligne un degré plus élevé de certitude :

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a) agar təqr}a l-qazat}a ta-tə‘rəf ayš kəs}-s}ār (GM1).

Si tu lis le journal, tu sauras ce qu’il est advenu.

b) agar qar}ayt l-qazat}a tə‘rəf ayš kəs}-s}ār (GM1).

Si tu lis le journal, tu es au courant de ce qu’il est advenu.

Ainsi, les sens des deux phrases seront: a) « Si tu lis le journal (bien que

cela me surprenne, quoique je ne sois pas sûr que tu le fasse), tu sauras ce qu’il est

advenu (probablement) » ; b) « Si tu lis le journal (et j’en suis sûr), tu sauras ce

qu’il est advenu (assurément) ». Vu la nuance de doute exprimée dans ce type de

conditionnelle, la Fs – qui introduit la certitude – n’est jamais choisie pour être

employée dans l’apodose.

agar qəlt kəlmat ləh~, mō-ftah} təmm-i ma‘-ək. (GM1)

Si tu dis encore un seul mot, je ne te parlerai jamais (lit. : « je n’ouvre

pas ma bouche avec toi »).

agar karīm fə-l-bayt we, salləm l-i ‘alay-u (GM1).

Si Karim est à la maison, salue-le de ma part.

h}asan agar qar}a hāda-l-maktūb, ktīr h~arab ta-ys}ēr}. (GM1)

Si Hasan lit cette lettre, il va se fâcher.

agar ar}ayt la-‘ali, stah~bər-u. (GM1)

Si tu vois Ali, demande-lui.

agar kānu fə-bahčət-na bīle, nəh}ne mō-nət }la‘ mən hawne. (GM1)

Même s’ils sont déjà dans notre jardin, nous ne sortons pas d’ici.

agar ğīt la-bayt-na, ta-tər}a d}yāfət l-mērdīnīye. (GM1)

Si tu viens chez nous, tu vas voir ce que signifie l’hospitalité

mardinienne.

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ta-nəskar […] ‘ala h}sāb-ən agar mā-harabu (Jastrow 1969a : 40).

On va s’enivrer à leur dépens, s’ils ne se sont pas sauvés.

Il y a toute une série de conditionnelles réelles qui n’emploient aucun

marqueur et qui peuvent être catégorisées comme ouvertes :

a) A: impératif ; P: Fp:

qayyəd, təftəhəm ! (GM1)

Sois attentif, tu vas comprendre (Si tu es attentif, tu comprendras) !

b) A: Fp; P: Fp:

tədh~əl, təksəb (GM1).

Entre et tu vas gagner (Si tu entres, tu gagneras) !

Cette structure semble être empruntée à l’arabe classique, où l’impératif

est utilisé en corrélation avec la Fp, comme l’apocopé (il y a une seule Fp en

mardini), à valeur conditionnelle (Larcher 2000 : 196).

Les phrases conditionnelles génériques

Les phrases conditionnelles génériques se rapportent aux qualités /

mérites caractéristiques ou à un comportement propre à une classe d’entités.

En mardini, la phrase conditionnelle générique est introduite par le

marqueur ən (et ses allophones). Les verbes choisis sont realis autant dans

l’apodose que dans la protase, aspect qui indique la valeur axiomatique de ce type

de conditionnelle :

əl-warde lə saqqayt-a m }ayy t‘īš, lə mā-saqqayt-a tmūt. (GM1)

La rose, si tu l’arroses, vivra ; si tu ne l’arroses pas, elle mourra.

ən yākəl yəšba‘.(GM1)

S’il mange, il va se rassasier.

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lə təštəġəl, təth}assal. (GM1)

Si tu travailles, tu réussiras.

lə mašayt h }ēfi ‘aš-šawk, šawk yədh ~əlūn fə-ğray-k. (GM1)

Si tu marches nu-pieds sur des épines, les épines vont entrer dans tes

pieds.

lə mō-tqayyəd fə-s-sōq, yġəššūn-ək. (GM1)

Si tu ne fais pas attention au marché, on va te duper.

Les conditionnelles habituelles

Tandis que les conditionnelles génériques expriment des généralités sur

le comportement ou les qualités d’une classe en son entier, les conditionnelles

habituelles présentent des généralités sur le comportement ou les aptitudes de

certaines entités ou groupes spécifiques. Dans une perspective de communication,

les conditionnelles habituelles ont la tendance d’être formulées fermement, c’est-

à-dire realis au sens pragmatique. Malgré cela, en perspective sémantique, ces

conditionnelles ressemblent à celles de type irrealis sur deux points

fondamentaux : tout d’abord, une assertion qui porte la marque de l’habituel ne se

rapporte à aucune action particulière qui a lieu à un certain moment spécifique, et

ensuite, dans les phrases habituelles, l’objet grammatical est toujours indéfini

(Givón 1994 : 270).

Ainsi, ce type de conditionnelle est introduit par le marqueur agar, et les

verbes qu’on utilise autant dans l’apodose que dans la protase sont realis, ce qui

représente un indice de la certitude que les actions vont s’accomplir selon leur

description. En général, dans la protase on préfère le passé et dans l’apodose, le

présent :

h}asan agar nām bat}i, zōr yqūm (GM1).

Si Hasan va se coucher tard, il lui est difficile de se réveiller (habituel).

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Les différences formelles entre les conditionnelles ouvertes,

génériques et habituelles.

Vu l’existence des modalités similaires d’expression de ces

conditionnelles, une potentielle ambiguïté se manifeste dans ces trois types. Chez

les conditionnelles ouvertes, la prédictibilité se rapporte à un set d’actions futures,

tandis qu’aux deux autres types de conditionnelles la prédictibilité se rapporte à

une moule récurrente des actions :

h}asan agar nām bat}i, zōr ta-yqūm (GM2).

Si Hasan va se coucher tard, il lui sera difficile de se réveiller (ouvert ;

marqueur : agar ; verbes : A/passé, P/futur).

h}asan lə nām bat}i, zōr yqūm (GM2).

Si Hasan va se coucher tard, il lui est difficile de se réveiller

(général ; marqueur lə ; verbes : A/passé, P/présent).

h}asan agar nām bat}i, zōr yqūm (GM1).

Si Hasan va se coucher tard, il lui est difficile de se réveiller (habituel;

marqueur : agar ; verbes : A/passé, P/présent).

Les conditionnelles passées

Ce type de conditionnelle, vu le fait qu’autant la condition, que son

résultant ont été réalisés, semble présenter une plus grande similitude avec une

causative, comme il est arrivé, quand on a reformulé la phrase, sur ma

sollicitation :

əda məsək t }arēq-u, (t)wad}d}af agbar} wad}īfe. (GM1)

Quand il s’est occupé de ses (propres) affaires (lit. : « il a tenu sa voie »),

il a été promu dans la plus haute fonction.

(t)wad}d}af agbar} wad}īfe lə’annu məsək t}arēq-u. (GM2)

Il a été promu dans la plus haute fonction/dignité parce qu’il s’est

occupé de ses (propres) affaires.

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Des temporelles à sens de conditionnelles réelles

Les temporelless introduites à l’aide des marqueur de subordination

laman « quand » or ba‘d la « apres quoi/que » peuvent se référer aussi à une

action générique ou future (ouverte) :

laman/ba‘d la ykamməl šəġl-u, yākəl. (GM1)

Après avoir fini son travail, il mange (d’habitude).

laman/ba‘d la ykamməl šəġl-u, ta-yākəl (GM2).

Après avoir fini son travail, il va manger.

Les conditionnelles irréelles

Les conditionnelles irréelles se sous-divisent en deux types: a)

imaginatives, c’est-à-dire ce qui pourrait être (hypothétique) ou ce qui aurait pu

être (contrefactuelle) et b) prédictives, c’est-à-dire ce qu’on anticipe d’avoir lieu

(Thompson / Longacre 1985 : 190).

Elliott (2000 : 72) suggère aussi que dans certaines langues, les

conditionnelles prédictives ne bénéficient pas d’une marque irrealis, car la forte

possibilité de réaliser d’action de l’apodose, dans la structure conditionnelle

prédictive, la transforme plutôt en une action realis, comme en mardini. Ainsi, en

mardini, on constate l’existence de seulement deux conditionnelles irréelles:

hypothétique et contrefactuelle.

La manière dont les langues du monde entier marquent la réalité des

conditionnelles irréelles se caractérise par une diversité substantielle. La protase et

l’apodose peuvent bénéficier d’un traitement identique ou peuvent se différencier

par la manière dont on marque la réalité. Thompson et Longacre (1985 : 192)

remarquent que dans les conditionnelles irréelles, on trouve d’habitude une

manière spéciale de marquage, tout comme l’utilisation du « would » en anglais.

En mardini apparaît l’ainsi nommé mode conditionnel, composé de kān+ta+Fp,

qui peut être inclus aussi dans la catégorie du futur dans le passé, grâce aux

éléments constitutifs.

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Pourtant, en mardini la relation entre le statut de la réalité et son

marquage syntaxique semble être beaucoup plus compliqué.

La conditionnelle hypothétique

La conditionnelle hypothétique est le résultat des conditions encore

méconnues ou irréelles du présent ou le résultat des conditions inattendues à

l’avenir : supposons que P, alors A.

L’unique marqueur pour introduire ce type de conditionnelle est ykūn.

Les formes verbales employées sont la Fp et le futur :

ykūn ath }assal hā-t-tmān, ta-nkayyəf sabbe fə-yazləq. (GM1)

Si j’obtenais cet argent-la, je jouirais d’une semaine [de vacances] dans

un camp d’été.

Dans chacune des phrases ci-dessus, les verbes sont à la Fp (dans

l’apodose) et au futur (dans la protase) comme au cas des conditionnelles réelles,

mais l’usage du marqueur ykūn place ces phrases dans un domaine évidemment

hypothétique. En même temps, l’inaccompli de la protase et le futur de l’apodose

marquent des actions à nuance de scepticisme caractéristique à toute

présupposition. Habituellement, ykūn introduit une légère teinte de doute, de

scepticisme concernant l’accomplissement de l’action, autant dans la protase que

dans l’apodose. Cette constatation pourrait être exprimée par un autre sens de

ykūn, ce sens par lequel on introduit un désir.

On peut remplacer le futur de l’apodose par d’autre structures modales,

comme bəlki (on pourrait)+le verbe, se référant à la probabilité :

ykūn təb‘at wēh}əd ysīh }-ni, bəlki aği ana-ze. (GM1)

Si tu envoyas quelqu’un pour m’appeler, il est probable que je puisse

venir moi aussi.

Les conditionnelles irréelles

Ce type de conditionnelle déplace la forme verbale en une zone

antérieure, en se rapportant à une autre action qui n’a pas eu lieu dans le passé et

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non pas à une action qui a eu lieu. On réalise cela en utilisant le verbe kān (il a

été) – dans la protase, aussi bien que dans l’apodose – devant le verbe qui exprime

l’action par inaccompli, accompli, participe. Ainsi, j’ai trouvé les corrélations

verbales suivantes dans le système ykūn P, A :

a) P : kān + Fp ; A : le mode conditionnel: kān+ta+Fp

ykūn kān a‘rəf ayš s}ābək, kān ta-’aği la-‘ənd-ək. (GM1)

Si j’avais su ce qui t’était arrivé, je serais venu chez toi.

ykūn kān t‘azz-ni, kān ta-təği la-‘ərs-i. (GM1)

Si tu m’avais respecté, tu serais venu à mon mariage.

ykūn mbērh }a kān təği la-‘ənd-i, kān ta-tər}a la-h}asan. (GM1)

Si tu étais venu hier chez moi, tu aurais vu Hasan.

b) P : kān+kəl+Fs ; A : le mode conditionnel: kān+ta+Fp

ykūn kān-kəğ-ğa mat}ar ktīr, əz-zarə‘ akwas kān ta-ykūn. (GM1)

S’il avait plu davantage, la moisson aurait été meilleure.

ykūn kān-kəl ‘arəft-ni qable bə-santayn, ssa‘ne kān-ta-təbla‘ arabi l-

mērdīni. (GM1)

Si tu m’avais connu il y deux ans, maintenant tu connaîtrais (lit.: « tu

avalerais ») l’arabe mardinien.

De plus, à la suite de l’analyse des données acquises, on peut tirer la

conclusion qu’on peut renoncer à kān de la protase, ses fonctions étant prises par

kān de l’apodose :

ykūn [ kān kəl] nəzəl la-tah}t əl-h~at }t } hawk əl-əyyēm, kān-ta-yərğa‘ ssa‘ne.

(GM1)

S’il serait descendu sous la ligne (c’est-à-dire, « aurait franchi la

frontière syrienne »), il aurait dû rentrer jusqu’à présent.

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Si le verbe de la protase est à la forme négative (irrealis), il n’apparaît

jamais au mode conditionnel (irrealis) mais au passé continu / imparfait (realis),

en respectant la même règle qui gouverne la conditionnelle réelle ouverte,

l’irrealis ne pouvant être marqué deux fois dans le même verbe :

ykūn kān tqappət } bāb əl-ōd}a, hārūn-ən mā-kān-yākəl lōr-na. (GM1)

Si tu avais fermé la porte de la chambre, leur matou n’aurait pas mangé

notre fromage-ourda.

ykūn abū-hu kān-kəl-‘āš, əl-walad mā-kān-yətsayyab. (GM1)

Si son père avait été en vie, le garçon ne serait pas devenu un voyou.

Conclusions

Pour toute conclusion à ce qu’on a présenté ci-dessus, un fait semble être

bien évident : la modalité de marqueur de la réalité dans les conditionnelles du

mardini se réalise également par l’effet combiné des éléments de subordination

ən/əda-agar/ykūn et l’interaction avec les verbes de la protase et de l’apodose. La

protase de tous les types de conditionnelles n’entraîne jamais des verbes irrealis.

Dans l’apodose, les verbes irrealis apparaissent dans les conditionnelles réelles

ouvertes et les conditionnelles contrefactuelles. Dans le cas de conditionnelles

habituelles, génériques et réelles passées, les verbes realis apparaissent dans la

protase, aussi bien que dans l’apodose. La conditionnelle contrefactuelle a généré

un mode spécifique, le mode conditionnel, dans l’apodose – kān+ta+Fp –

phénomène développé dans bien d’autres langues.

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12.5. La proposition relative.

La proposition relative précise le sens d’un nom ou d’un pronom auquel

elle se rattache et qu’on appelle l’antécédent. En fonction de la détermination de

cet antécédent, on distingue en mardini, comme dans toutes les variétés d’arabe,

deux types de relatives :

- les relatives avec antécédent indéterminé ;

- les relatives avec antécédent déterminé.

a) Lorsque l’antécédent est indéterminé, la proposition relative le suit

immédiatement, comme une proposition qualificative indépendante, étant donc

isolée, juxtaposée à son antécédent, sans lien relatif :

ana adawwər ‘ala kamyōn yt }ēq yəh }məl tāt t }ōnāt qərēmīd.

Je cherche un camion qui puisse transporter trois tonnes de briques.

b) Lorsque l’antécédent est déterminé, la relative est introduite par le

relatif la « qui », « que », « quoi », « dont », ou « lequel », « duquel », « auquel »

etc. qui ne s’accorde ni en genre, ni en nombre avec son antécédent, ayant une

forme unique :

fəkr-ək la-we fə-h}aqq-i ġalat } we.

Ton idée en ce qui me concerne est erronée (tu as une fausse idée en ce

qui me concerne).

walad la aštəri lə-hu l-at }lēt} ‘ala qadd walad la yəštəġəl ‘ənd-ək s}ānə‘.

L’enfant pour qui j’achète le maillot est de la taille de l’enfant qui

travaille chez toi comme apprenti.

‘arab }at la h ~alf-na trīd ta-tfūt-na.

La voiture qui est derrière nous veut nous dépasser.

ayn tmān la kān yəlzəm tə‘t }ī-ni ?

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Où est l’argent que tu devais me donner ?

nēs la kəğ-ğaw mən nəs}aybīn štaru tənēğər} dədəkli.

Les gens qui sont venus de Nusaybin ont acheté des cocottes-minute

(lit. : « casseroles sifflantes »).

Le parallélisme entre les syntagmes adjectivaux, le premier formé d’un

nom (N) + un adjectif (A) et le deuxième, d’un nom (N) + une préposition relative

(R), est parfait :

a) nom indéterminé - N+A/R

kalb harāb

un chien méchant

kalb gabbar}tu fə-h}awš-na.

un chien que j’ai élevé dans notre cour.

b) nom déterminé - N+ əl/lə-A/R :

kalb əl-harāb.

le chien méchant.

kalb la gabbar}tu fə-h}awš-na.

Le chien que j’ai élevé dans notre cour.

Au point a) le substantif est indéterminé, par conséquent, l’adjectif, dans

le premier syntagme, et la proposition relative, dans le deuxième syntagme, le

suivent sans aucune marque. Au point b) le substantif est déterminé, détermination

qui est mise en évidence par l’article défini əl rattaché à l’adjectif et par l’adjectif

relatif la qui introduit la proposition relative : dans les deux situations c’est une

structure d’annexion. Ce fait peut être observé facilement dans la situation d’un

substantif terminé en /a/e/ qui reçoit le /t/ étymologique lorsqu’il est le premier

terme dans un état d’annexion :

rīh }a kwayyəse.

une bonne odeur.

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rīh }a təqləb ma‘dət-i.

une odeur qui me barbouille l’estomac.

rīh }at əl-kwayyəse.

la bonne odeur.

rīh }at la təqləb ma‘dət-i.

l’odeur qui me barbouille l’estomac.

L’adjectif déterminé par l’article əl équivaut à une proposition relative,

où l’article remplace le pronom relatif la. La similitude de l’article défini əl avec

le relatif la n’est pas seulement au niveau formel, mais aussi au niveau

fonctionnel :

tə‘rəf ayš qāl l-i zalamət la kəl-qačamtu ma‘-u fə-l-ōt }ōbūs?

Tu sais ce que m’a dit l’homme avec lequel j’avais parlé dans l’autobus?

rəğə‘ət h ~ālət-i w ğīrānət-a la kānət ma‘-a.

Ma tante (maternelle) est rentrée avec sa voisine qui a été avec elle.

fə-mērdīn, zər}tu sayyəd-i w ahū-hu la-we azġar mən-nu.

À Mardin, j’ai visité mon grand-père et son frère qui est plus jeune que

lui.

Le relatif la n’a pas besoin d’un pronom de rappel, comme c’est le cas

dans d’autres variétés d’arabe, pour compléter le sens de la proposition qu’il

introduit et pour laquelle l’antécédent est, d’après le sens, complément direct :

mən gēri la təgri sār qawġa gbīre.

Un grand scandale a été provoque par la médisance que tu as médit

(sic !).

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rəğāl la ar}ayt fə-t }-t}arīq kağ-ğaw mən mērdīn.

Les hommes que tu as vus sur le chemin étaient venus de Mardin.

mar}awāt la h}abbaytu fə-h}ayāti kəll-ən mən mans}ūrīye ənne.

Les femmes que j’ai aimées dans ma vie sont toutes de Mansuriye

(village tout près de Mardin, n.t.).

ayn hadīye la ahadt lə-ša‘bān ?

Où est le cadeau que tu as pris pour Ša‘ban ?

Le relatif la n’est jamais précède d’une préposition, même si l’antécédent

est, d’après le sens, complément indirect ou circonstanciel de la proposition qui

suit, mais celui-ci est repris par un pronom suffixé à la préposition spécifique :

walad la aštəri lə-hu…

L’enfant pour lequel j’achète…

12.6. La proposition circonstancielle de cause

La proposition circonstancielle de cause indique pourquoi, pour quelle

cause, a lieu l’action exprimée dans la principale.

La proposition circonstancielle de cause est introduite par les

conjonctions ou locutions conjonctives : lə’annu et son synonyme allogène čənki

(dans le langage des jeunes on utilise la forme turque, çünkü « parce que »,

« puisque », « comme », « vu que ») bə-sabab « à cause de », « sous prétexte

que » (en parlant d’un raison fausse). Exemples :

mō-rīd aği la-l-mah}fal, lə’annu mō-‘rəf ah }h}ad.

Je ne veux pas aller à la sauterie, parce que je n’y connais personne.

mā-t }əqtu rəh }tu la-qōnya, mā-kān ‘ənd-i tmān.

Je n’ai pas pu aller à Konya, car je n’ai pas eu d’argent.

Ah}mad mā-l-u ahlīye, mən hāda s-sabab mō-yt}īq yəsta‘məl əl-‘arab}a.

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Ahmad n’a pas permis de conduire, c’est la raison pour laquelle il ne

peut pas utiliser la voiture.

ana ta-’aqaffi l-ki šəġəl, yētər ki təqbalīn.

Je te trouve du travail, il reste seulement que tu l’acceptes.

yəlzəm ar}ōh } aštəri akəl čənki ğū‘ān ana.

Il faut que j’aille acheter de la nourriture parce que j’ai faim.

čənki mā-’ar}aytū-k, ana r}əh}tu.

Parce que je ne t’ai pas vu, je suis parti.

12.7. La proposition circonstancielle de but

La proposition circonstancielle de but indique dans quel but, dans quelle

intention s’accomplit l’action exprimée dans la principale.

La circonstancielle de but est introduite par les conjonctions suivantes :

lə-h~āt }ər « pour », « afin que » ; ta « que », « pour que ». Exemples :

ah~u mar}t-i r}āh} la-Baġdād ta-yəštəġəl.

Le frère de ma femme est parti pour Bagdad afin qu’il y travaille.

r}əh}tu la-š-šām ta-’ar}a sōq əl-h}amīdīye.

Je suis allé à Damas afin que je voie le Marché al-Hamidiye.

əl-fərənği yəštəġəl t }ūl əl-layl lə-hāt }ər əl-h~bayz ta-yəlh }aq la-s}s}əb.

Le boulanger travaille toute la nuit afin que le pain soit cuit dès le matin.

Maryam r}āh }ət ta-tər}a bənt-a.

Maryam est allée afin qu’elle voie sa fille.

hūwe r}āh} ma‘ rəfqat-u ‘a-l-wəlāye ta-yəštəġəl.

Il est parti avec ses copains à la ville afin qu’il y travaille.

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12.8. La proposition circonstancielle de concession

La proposition circonstancielle de concession (ou d’opposition)

indique le fait malgré lequel s’accomplit l’action énoncée dans la principale.

Elle est introduite par les conjonctions ou locutions conjonctives : ma‘ la ; ‘ala

la « malgré », « bien que », « quoique » :

ma‘ la kəntu ğaw‘ān, h~allaytu s-səfr}a fə-l-ard} w ğītu la-‘ənd-ək.

Bien que j’eusse faim, j’ai laissé la nappe [à plats] sur la terre et je

suis venu chez toi.

ma‘ la kānu l-wlād zġār, štaġaltu w mā-hallaytū-hən nāqəs} qəšre.

Malgré le fait que les enfants fussent petits, j’ai travaillé pour qu’ils

ne leur manque aucune croûte.

ma‘ la kəntu faqīr, w la yawm mā-h~allaytū-hu yə‘i la-yətmət-u.

Bien que je fusse pauvre, je ne l’ai pas laissé sentir qu’il était

orphelin.

‘ala la kəntu šəb‘ān, akaltu kər}t əl-ləh~.

Bien que je fusse rassasié, j’ai mangé encore une fois.

12.9. La proposition circonstancielle de comparaison

La proposition circonstancielle de comparaison indique un rapport de

ressemblance, de contraste, de proportion, entre le fait qu’elle exprime et l’action

énoncée dans la principale. Elle est introduite par :

a) la conjonction kama « comme », « de même que », « ainsi que »,

« selon que » :

kama la ğītən ta-tr}ōh}ūn.

Comme vous êtes venus, vous partirez.

b) par b-qad, m-qad « dans la mesure que », « combien » :

mqad la tāklīn čəkōlat }a ta-tāhdīn kīlo.

Plus tu manges de chocolat, plus tu prends de kilos.

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tt }ēq təbqa mqad la trīd.

Tu peux rester combien tu veux.

La verbe de la circonstancielle de comparaison est souvent sous-

entendu, quand il doit être le même que celui de la principale:

yākəl kama t-tawr.

Il mange comme le bœuf [mange].

yəšr}ab kama t-tawr.

Il boit comme le bœuf [boit].

yə‘di kama l-ar}nabe.

Il court comme le lièvre [court].

ynām kama l-h~ārūf.

Il dort comme l’agneau.

D’autres expressions : təštəġəl kama l-qat }āye « elle travaille comme une

perdrix (vite et bien) » ; məh~h ~-u mō-yəštəġəl kama-l-h}mār « son cerveau ne

travaille pas comme [celui de] l’âne » ; kama s}alīb la mō-yəmməh }i « comme la

croix qui ne s’efface pas ».

12.10. La proposition circonstancielle de temps

La proposition circonstancielle de temps précise le moment où se

situe l’action de la principale par rapport à une autre action exprimée dans la

subordonnée. Ce rapport peut être de simultanéité, d’antériorité et de

postériorité. Elle précise que l’action de la principale a lieu en même temps,

avant ou après une autre action :

a) simultanéité :

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- 316 -

En général, les conjonctions laman « quand », « lorsque », « au moment

où » et aymāt « quand » énoncent un rapport de simultanéité:

laman təqčəmīn kəde ma‘-i tkassərīn qalb-i.

Lorsque tu parles comme ça avec moi, tu me brises le cœur.

laman ğa mat }ar dah ~alna la-ğawwa.

Lorsque la pluie est venue, nous sommes rentrés dedans.

laman nəzəlna mə-l-bayt, kān yəği salğ.

Lorsque nous sommes descendus de la maison, il neigeait.

laman kān tdawwərīn ‘alay-u fə-l-ōrman, Fawzi hawn kān.

Pendant que tu le cherchais dans la forêt, Fawzi était ici.

laman təq‘ad, q‘ad fə-r}ās əl-yān. laman tqūm, h }ət }t} əğr-ək h ~alf əl-yān.

Quand tu t’assois, assieds-toi au front du divan ; quand tu te lèves, met

ton pied derrière le divan.

aynāt la ğīt, ftah } l-i təlīfōn!

Quand tu viens, donne-moi un coup de téléphone!

Un grand nombre de locutions conjonctives qui indiquent la simultanéité

temporelle se forment d’un substantif qui dénomme le temps et le relatif la :

wah~t/waqt la « au temps où » ; nhār la « au jour où », sā‘at la « à l’heure où » ;

daqīqat la « au minute où » ; laylat la « à la nuit où » etc.

b) antériorité :

- la locution conjonctive əlaman « jusqu’au moment où », « jusqu’au

temps où », indique une limite temporelle précise :

əlaman tmūt, Fāt }m}a trīd təbqa hawne.

Jusqu’au moment où elle va mourir, Fatma veut rester ici.

əlaman yəği mə-s-sōq, athallas} šəġl-i.

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Jusqu’au moment où il reviendra du marché, je finirai mon travail.

əlaman ah ~alləs əl-maktab, yəlzəm ar}ōh} w aği.

Jusqu’au moment où je finirai l’école (mes études), il faut que je fasse ce

va-et-vient.

štaġaltu əlaman bat }altu.

J’ai travaillé jusqu’à ce que je me sois rendu fatigué.

- la locution conjonctive qabəl la « avant que » marque une antériorité

qui n’a pas de limite précise :

qabəl la š-šams təzrəq, wəs}əlna la-ğəmrək.

Avant que le soleil se lève, nous sommes arrivés à la douane.

qabəl la təl‘ab la‘bōyət-ək ma‘-i, fakkər kwayyəs !

Avant que tu fasses ton jeu avec moi, pense bien !

c) postériorité :

- la locution conjonctive ba‘d la « après que » marque la postériorité :

ba‘d la laqat } əč-čōmāġ, d}arab h }ayawān la ğa ‘alay-u.

Apres qu’il a empoigné le bâton, il a frappé l’animal qui s’était précipité

sur lui.

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13. La réduplication à m

La réduplication à m est un procédé par lequel le mot original (mot-base)

sera repris, après lui-même, sous une forme (mot-écho) légèrement modifiée par

l’addition d’un /m/ à l’initiale du mot-base (si ceci commence par un voyelle) –

ūti-mūti ; ūti « fer à repasser » – ou par le remplacement de sa consonne initiale

par un /m/ (si ceci commence par une consonne) – fərkāye-mərkāye ; fərkāye

« amande ». Le mot-écho n’a jamais une manifestation indépendante (pour cela on

l’a nommé « écho »), mais il reste lié osmotiquement à son mot-base duquel il

prend son contenu sémantique. La construction est utilisée en général pour

exprimer l’ironie, la dérision, la minimalisation, le scepticisme, l’approximation,

le pluriel de groupe etc.

L’origine

La construction paraît avoir son origine dans le turc69

où elle est

largement employée (comme dans toutes les langues turciques) d’où elle s’est

répandue dans beaucoup d’autres langues qui ont été en contact avec celui-ci.

Maintenant, elle prouve une grande productivité dans toutes les langues parlées à

côté du mardini70

, desquelles j’ai noté quelques exemples : le kurde kourmanji

69 J’ai choisi quelques exemples illustratifs pour ce procédé en turc : Doktor önce hastanın gözüne

mözüne baktı, sonra sorumu anlamadığını söyledi, « The doctor first checked the patient’s eyes,

etc., then said that s/he didn’t understand the problem » (göz « œil ») ; Eve çat kapı bir alıcı geldi,

odalari modalari dolaştı, (oda « chambre ») « Today a prospective buyer came unannounced,

[and] looked around the rooms, etc. » (Göksel / Kerslake 2005 : 99).

70

Sporadiquement, ce type de réduplication se retrouve, dans une moindre mesure, dans d’autres

dialectes arabes aussi. Notre collègue libanaise, Marie Aimée Germanos, m’a raconté une petite

histoire, de son enfance, sur l’utilisation de cette réduplication dans un commentaire à une petite

chanson en français dont le texte est le suivant : « Christ est venu, Christ est né./ Christ a souffert,

Christ est mort./ Christ est ressuscité, Christ est vivant./ Christ reviendra, Christ est là ». Pendant

que l’enseignante leur apprenait à chanter ce texte, une amie lui avait fait la réflexion: Šū hayda

Krīst-Mrīst « C’est quoi, ce Christ de toute sorte ? » Cette amie-là a été accusée par les autres

collègues de manquer de respect, ce qui avait occasionné une dispute.

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(ex. : zarok-marok « enfants et ainsi de suite ») ; le t }uroyo (ex. : ktobonoyo-

mtobonoyo « syriaque classique ou presque classique ») etc. Un phénomène

similaire a été décrit aussi pour l’anglais américain (voir Grohmann & Nevins :

2004.), la réduplication à shm- (ex. : lunch-shmunch « le déjeuner et ainsi de

suite », ugly-shmugly « laid et ainsi de suite ») qui a presque les mêmes fonctions

que la réduplication à m en a en mardini. En anglais, ce type de réduplication a été

emprunté au Yiddish où il est très productif (j’ai noté quelques exemples du

Yiddish parlé en Roumanie : humentasch-schmumentasch, humentasch « gâteau

feuilleté aux noix pour le Pourim » ; rozhinkes-schmozhinkes, rozhinkes

« raisins » ; Jankele-Schmankele, Jankele « Jacob »), qui peut être par

l’intermédiaire du Judezmo, le judéo-espagnol des Balkans (où la réduplication à

m existe aussi) l’a emprunté, à son tour, au turc.

La réduplication à m (et aussi à b) se trouve, dans une infiniment

moindre mesure, dans l’arabe littéraire – où elle est nommée al-’itbā‘

« l’intensification allitérative ». Préservé seulement dans quelques syntagmes

figés, ce procédé a la fonction de créer un mot-echo qui renforce le sens du mot-

base, contrairement aux fonctions qu’il a en mardini. La réduplication s’applique

aux substantives : harağ-marağ, harağ « désordre », « tohu-bohu » (une autre

réduplication !) ; šazar-mazar, šazar « regard de travers » ; aux adjectives : h}asan-

basan, h }asan « bon » ; aux verbes : h}ayyā-ka Allāh wa bayyā-ka71

, h}ayyā

« préserver en vie », « faire vivre » ; « Que Dieu te fasse vivre ! » (Wahba / Al-

Muhandis 1979 : 10).

Observations phonologiques

Si le mot-base commence par une voyelle, le mot-écho sera préfixé

par la consonne /m/ : akəl-makəl « nourriture et d’autres choses semblables » ;

« nourriture et ainsi de suite » ; at }lēt}-mat }lēt} « maillot et d’autres choses

semblables » etc.

71 Bayyā peut être mis en corrélation avec le syriaque bayya’ « consoler », « caresser » (v.

Brockelman 1928 : 68).

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Si le mot-base commence par une consonne, celle-ci sera

remplacée dans le mot-écho par la consonne /m/ : fəğəl-məğəl « radis et d’autres

choses semblables » ; « radis et ainsi de suite ».

Si le mot-base commence par une consonne emphatique, le trait

emphatique de celle-ci sera transféré à /m/ du mot-écho : s{an}n}ōr}a-m}an}n}ōr}a « chat

et ainsi de suite » ; t }ahār}a-m}ahār}a « toilette et d’autres choses semblables » ;

d}əfər-m}əfər « ongle et d’autres choses semblables » ; r}ās-m}ās « tête et d’autres

parties du corps » etc.

La réduplication à m n’est pas possible pour les mots qui

commencent originalement par m. Dans cette situation, le mot est répété tel quel,

mais avec l’insertion de la particule ma entre le mot-base et le mot-écho : məšməš

ma məšməš « abricots et d’autres fruits semblables » (ex. : məšməš ma məšməš ayš

la fīyu, gīb ! « apporte des abricots ou quelque chose de pareil, [n’importe quoi],

ce qu’il y en a ! ») ; mōs}əl ma mōs}əl « Mossoul et d’autres villes qui lui

ressemble ». Ce procédé est largement employé dans les parlers irakiens, par

exemple zmāl ma zmāl « moule(s) et d’autres bétails qui lui (leur) ressemblent » ;

gaymar ma gaymar « crème et ainsi de suite » (tous ces exemples sont enregistrés

par moi dans le parler arabe de Bagdad). Son origine peut être mise en relation

avec le turc aussi qui connaît un procédé de réduplication de l’adjectif en le

répétant et en insérant la particule mı entre ses deux occurrences : güzel mı güzel

bir kız « une fille vraiment jolie » (Göksel / Kerslake 2005 : 100-101).

Rarement, la consonne /m/ qui est à l’initiale du mot-base est

remplacée par une autre consonne dans le mot-écho. Notre corpus nous offre un

seul exemple où le /m/ est remplacé par une autre consonne bilabiale, le /b/ :

mət }ahhərči- bət }ahhərči « circonciseur et ainsi de suite ».

La fonction de /m/ dans le mot-écho peut être prise très rarement

par une autre consonne. Notre corpus nous fournit une seul exemple de ce type :

walad-talad « enfants et ainsi de suite » ; « enfants de toute sorte » ; « l’ensemble

des enfants, petits-fils, neveux » (ex. : fə-bayt maymət-i fīyu walad-talad bə-s}-s}ayf

« dans la maison de ma grand-mère il y a un tas d’enfants [de toute sorte] pendant

l’été ».

La réduplication à m est empêchée absolument à se manifester par

la présence de l’article défini (əl) ; mais elle se manifeste chez les noms qui ont un

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pronom affixe : ‘ādl-u-mādl-u (‘ādəl « beau-frère » ; « son beau-frère et les

siens »).

Les valeurs de la réduplication à m

Les noms communs au singulier redoublés à m

La fonction principale de la réduplication des noms communs au

singulier est de créer un « plural group », c’est-à-dire de créer un syntagme qui

exprime l’idée de l’existence d’autres entités du même genre qui accompagnent

l’entité (désignée par le mot-base) considérée par le locuteur comme principale.

Exemples :

ahadtu səkkar-məkkar.

J’ai pris du sucre et d’autres choses semblables (c’est-à-dire d’autres

choses qui peuvent être combinées avec le sucre : du thé, du café, de la

farine, du lait etc.)

at }bah~ lahāna-mahāna

Je prépare un plat à chou et à d’autres choses (c’est-à-dire les choses qui

entrent dans la composition de ce plat : des tomates, de la viande etc., qui

sont des ingrédients très connus pour ce genre de plat et, par conséquent,

ne valent pas la peine de les énumérer).

Lorsque le contexte indique qu’il ne s’agit pas d’un pluriel de groupe,

mais d’un singulier, le syntagme signifie « une sorte de… », « on dit que… »,

« prétendre être » exprimant ainsi le mépris envers quelqu’un ou quelque chose :

hūwe qar}a tārīh-mārīh, bass mō-yə‘rəf tārīh~ mērdīn akwas mən-ni.

Il a étudié l'histoire, dit-on, mais il ne sait pas l’histoire de Mardin mieux

que moi.

ou

Il prétend d’avoir étudié l’histoire, mais il ne sait pas l’histoire de Mardin

mieux que moi.

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L’ironie, la dérision et la minimalisation résultent aussi du dialogue

reproduit ci bas où l’un des interlocuteurs proteste contre la qualification de son

ami comme étant tərzi-mərzi « une sorte de tailleur », « un tailleur prétendu »

etc. :

– Ğamāl ysalləm ‘alay-k…

– Ayna Ğamāl ?

– Ğamāl mən tah}t… Ayna Ğamāl ?! Hūwe tərzi-mərzi we…

– A! Ğamāl! bass hūwe mō-tərzi-mərzi! hūwe tərzi t }am}ām} we… ana w

hūwe ktīr arqad }āšīn …ənne!

– Ğamāl te salue…

– Quel Ğamāl ?

– Ğamāl d’en bas… Quel Ğamāl ?! Il est une sorte de tailleur…

– Ah ! Ğamāl ! mais il n’est pas « une sorte de tailleur » ! Il est un vrai

de vrai tailleur… Moi et lui, nous sommes de très bons copains…

Le syntagme est employé aussi pour l’atténuation de l’impacte que

puissent avoir les mots reliés au registre obscène. Le mot obscène est prononcé à

voix basse, à peine entendue, tandis que le mot-écho est prononcé à la même

manière et la même intensité du reste des mots de la conversation. C’est le cas de

l’exemple suivant où un adolescent raconte à un groupe d’adultes une histoire

gênante sur un autre adolescent, tout en essayant de s’exprimer décemment, avec

une certaine pudeur :

– pīs, ktīr pīs, adabsəz, ah ~laqsəz, tə‘rəfūn la sawa ? mbērəh }

ar}aytū-hu w hūwe t }alla‘ ‘ayr-u mayr-u mən əl-pant }ūr} w əššaršar ‘ala

dwār əl-maktab…

– Sale, très sale, mal éduqué, salaud, savez-vous ce qu’il a fait ?

Hier, je l’ai vu lorsqu’il a fait sortir sa verge… de son pantalon et il a fait

pipi sur le mur de l’école…

Dans les propositions interrogatives et impératives, la réduplication à m

exprime une disjonction ou une alternative, signifiant « cela ou bien quelque

chose d’autre qui peut le remplacer » :

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– ‘ənd-na h ~bayz-mbayz fə-l-bayt ?

– Avons-nous du pain ou quelque chose de pareil dans la maison ?

Dans les propositions impératives, la chose demandée est toujours

approximée pour réduire ainsi le stress qui pourrait être causé à la personne de

laquelle on la sollicite dans le cas de son impossibilité de répondre positivement,

en lui offrant une gamme plus vaste de possibilités :

– ‘at}ī-nī qadah}-madah} ta-’as}əbb l-i čāy !

– Donne-moi un verre ou quelque chose d’autre pour me verser du thé !

Cette expression, fondée sur le résultat d’une évaluation faite par le

sollicitant, prévient une éventuelle réponse négative : mā-‘ənd-i qadah }… « je n’ai

aucun verre ».

Une sollicitation formulée de cette manière est possible seulement

lorsque la direction de la communication est d’un statut social supérieur vers l’un

inférieur ou bien entre personnes ayant le même statut social.

Une telle formule de sollicitation adressée – kərsi-mərsi – par le visiteur

à son hôte – d’ailleurs une personne aisée – attire tout de suite la réaction de l’hôte

qui a l’intention de l’amender, vu que la formule est perçue comme une offense ;

cela veut dire que l’hôte se sent blessé, voire même injurié, par la présupposition

du visiteur qu’il n’y aurait pas de chaise dans la maison. Vu que l’hôte est une

personne bien située du point de vue social et que le visiteur occupe une position

sociale inférieure, le fait de laisser ouverte la possibilité d’offrir soit un chaise

(kərsi), soit n’importe quel autre objet à s’asseoir (mərsi), qui pourrait la

remplacer, est chargé d’une connotation négative et blessante :

– ‘at }ī-ni kərsi-mərsi…

– kərsi a‘t }ī-k, am}m}a mərsi mā-‘ənd-i fə-bayt-i !

– Donne moi une chaise ou bien quelque chose d’autre [pour

m’asseoir] !

– Chaise, je te donne, mais « quelque chose d’autre » je n’ai pas dans

ma maison !

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Lorsque les deux termes sont mis en association disjonctive, ou bien

représentent les deux bouts d’une alternative, le syntagme sert à mettre en

évidence le désintérêt du locuteur envers l’objet désigné par le mot-base. Cela est

bien évident dans l’exemple suivant où la construction syntaxique qəmfəd ta-ykūn,

məmfəd ta-ykūn « qu’il soit un hérisson, qu’il soit n’importe quoi d’autre »

comporte aussi un sens implicite, traduisible par « peu importe », « je m’en

fous ! » :

– samə‘tu h}əss mən tah }t čarpāyət-ək ; bəlki qəmfəd we…

– ah~ū-y, ayš la ykūn, ta-ykūn : qəmfəd ta-ykūn, məmfəd ta-ykūn… ana

bət }lān ana, ah ~ū-y, arīd anām….

– J’ai entendu un bruit de dessous de ton lit ; peut-être c’est un hérisson…

– Mon frère, soit quoi que ce soit, qu’il soit un hérisson, qu’il soit

n’importe quoi d’autre…Je suis fatigué, mon frère, et je veux dormir…

Les noms communs au pluriel redoublés à m

La réduplication des noms communs au pluriel a comme résultat un

syntagme qui renferme deux qualités antagoniques d’une même entité, le mot-

base étant connoté positivement et le mot-écho négativement : nēs-mēs « des

hommes bons et des hommes mauvais » ; ktēbāt-mtēbāt « des livres importants et

des livres insignifiants » ; gənčīn-mənčīn « des jeunes sérieux et des jeunes pas

sérieux » :

– waqt la kān yləmmūn tanāqīt}-manāqīt }…

– Lorsqu’ils ramassaient les [petits et les grands] cadeaux de noce

(tanāqīt} : cadeaux de noce ; tanāqīt }-manāqīt} « des petits cadeaux et des

grands cadeaux » ; « cadeaux de toute sorte, de toute value, de toute

mesure »).

– qayyəd, bə-s-sōq nēs-mēs ənne, mō-kəll-ən malāyke, wēh }əd rah }māni…

wēh }əd šayt }āni we… nēs-mēs…

– Sois attentif, au marché il y a des gens de toute sorte (bons et mauvais),

ils ne sont pas tous des anges… l’un est bon (rah}māni « divin », cf. AC ar-

Rah }mān « Le Miséricordieux », « Le Dieu »), l’autre est mauvais

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(šayt }āni « diabolique », cf. AC aš-Šayt }ān « Le Diable »)… des gens de

toute sorte…

Les adverbes redoublés à m

La réduplication des adverbes modaux suggère un résultat insatisfaisant

qui découle de l’accomplissement de l’action :

– kəde məde yəqr}a.

– Il lit comme ci, comme ça (kəde « comme ça », « ainsi » ; kəde məde

« comme ci, comme ça ») ou même « il lit à grand-peine ».

La réduplication des adverbiaux qui impliquent des rapports aux

modalités de mesurage du temps donne naissance aux syntagmes qui signifient « à

partir de… », ayant comme point de départ le repaire indiqué par le mot-base

auquel on ajoute deux ou trois unités, comme il résulte de ce texte-ci :

– wal }l }a, qāl l-i : ‘amm-i, ana ta-’aği la-‘ənd-ək h~amīs-mamīs… w kwa

əs-sabt wəs}əl w hūwe ba‘d mā-ğa…

– Par Dieu, il m’a dit : mon oncle, je viendrai chez toi jeudi environ…

Et voilà que le samedi est arrivé, mais lui, il n’est pas encore venu…

Le syntagme h~amīs-mamīs veut dire « à partir de jeudi, les deux jours

suivants », parce qu’on comprend du contexte que le samedi est la limite

temporelle de l’accomplissement de la promesse faite par le jeune homme.

Les numéraux ordinaux redoublés à m

La réduplication des numéraux ordinaux est retreinte aux numéraux

formés d’un seul lexème (ex. : sətte-mətte ; sətte « six » ; ‘aššīn-maššīn ; ‘aššīn

« vingt » ; alf-malf ; alf « mille » etc.). Le syntagme ainsi formé désigne un

nombre imprécis, soit un peut diminué, soit un peu augmenté, en comparaison

avec le nombre indiqué par le mot-base :

qaffaytu tāte-māte.

J’ai trouvé trois environ (c’est-à-dire : deux ou trois ; trois ou quatre).

s}ār h ~amsīn-mamsīn sane ‘ala mawt-u…

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Il y a quelque cinquante ans depuis sa mort…

Les noms propres redoublés à m

La réduplication des noms propres a comme résultat un « group plural »

ou un pluriel hétérogène (les Thibault, the Jacksons, ) qui ne renvoie pas à un

groupe formé par addition de personnes identiques à partir d’un individu unique,

mais à un groupe restreint formé par extension à partir d’un membre central et qui

est aussi celui qui est choisi comme représentant de ce groupe : ‘Ali-Mali pourra

être le groupe formé de ‘Ali, son épouse et leur famille, ou d’une personne

nommée ‘Ali plus ses amis, ses collègues, ses copains, ses associés. Le mardini,

comme le turc, a étendu ce fonctionnement aux prénoms (ana-mana « moi et les

miens », « moi et mes amis ») et aux noms communs qui indiquent des êtres

uniques (ex. : père, mère etc.). Par exemple, le syntagme h~āl-u-māl-u (où h~āl-u

« son oncle maternel » est un individu unique) renvoie aussi à son oncle et sa

famille, à tous ses oncles maternels, à son oncle et ses amis etc. H~āl-u-māl-u

fonctionne donc tout comme un pluriel hétérogène de type « group plural »

signifiant littéralement « les son oncle maternel ».

Exemple :

mā-qačamtu ma‘-a… čənki ma‘ abū-wa-mabū-wa kānət…

Je n’ai pas parlé avec elle… parce qu’elle était avec son père (c’est-à-dire :

avec son père et d’autres hommes parentés ou amis à lui ; ou bien, avec

son père et sa mère, éventuellement accompagnés par les autres membres

de la famille etc.)

tkayyaftu qlayyəl fə-h}alab-malab

Je me suis diverti un peu à Alep et aux autres localités (qui sont autour

d’Alep ; qui ont été dans la route du locuteur ; qui sont connues par son

auditoire parce qu’elles font partie d’un trajet familier à tous etc. ; Par

exemple, pour un chauffeur mardinien qui faisait souvent la route Ankara-

Bucarest, l’expression būkrəš-mūkrəš signifie Bucarest (en mardini,

Būkrəš, cf. le turc : Bükreş) et les autres grandes villes par lesquelles il

passe pour y arriver : Istanbul, Sofia etc.).

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L’idée de pluralité reliée à un être unique mène à la banalisation de celui-

ci, par la suggestion qu’il y a d’autres individus identiques à lui, qu’il n’a rien de

spécial pour le mettre en évidence. Ainsi, par l’insertion d’un mot-écho après un

nom de personne, le locuteur veut suggérer qu’il ne se rappelle pas bien son nom,

parce que la personne respective ne représente rien pour lui, il n’a aucune liaison

avec une telle personne etc. :

h }anna-manna kān ydəqq l-bāb.

C’est Hanna, (il me semble que ça est son nom), qui frappait à la porte.

C’est la réponse qu’une fille a donné à son père qui lui avait demandé qui

a été à la porte ; la fille veut par ce syntagme h}anna-manna suggérer à son père

qu’elle n’a aucune liaison avec ce Hanna (Jean), qu’elle ne connaît bien ni même

son nom : il pourrait se nommer Hanna ou bien non. Cela est une stratégie de

communication imposée par les convenances sociales mardinienes.

Parfois on veut diminuer l’importance d’une personne :

ar}ayti fəstān fāt}m}a-māt }m}a ?

As-tu vu la robe de Fatima ?

C’est-à-dire de cette fille, dont je ne me rappelle pas bien si le nom est

Fatima ou bien quelque chose de semblable.

Observation : pour renforcer l’idée mentionnée ci-dessus, le mardini

recourt aussi à insérer après le nom d’une personne un autre nom très commun, en

la plaçant ainsi dans la banalité :

qačamtu ma‘ ‘āyše-fat}m}a.

J’ai parlé avec Aycha-Fatma.

La locutrice a parlé seulement avec Aycha, mais pour souligner que

celle-ci est une personne commune, dépourvue d’importance, a ajouté à son nom

un autre nom commun, Fatima.

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Syntagmes forgés par la réduplication à m lexicalisés

Un nombre de syntagmes forgés par la réduplication à m se sont

lexicalisés : le premier mot n’existe plus indépendamment et même son sens –

comme il résulte de mon enquête – n’est plus connu par les arabophones de

Mardin. Parmi ces syntagmes, on mentionne ici :

– təkər-məkər « à toute vitesse » (ex. : ğa təkər-məkər « il est venu en

coup de vent », « il est venu en trombe » ; « il est venu ayant tout renversé sur son

passage ») ;

– čəlaq-məlaq « homme de rien » ; « homme qui manque à sa parole » ;

– šazaq-mazaq « bon gré mal gré » (ex. : šazaq-mazaq fī-k ltazaq « bon

gré mal gré à toi s’est collé »). Ce syntagme existe seulement dans l’expression

mentionnée qui semble être forgée sur un jeu de mots.

La négation des deux composantes

La négation des deux composantes, le mot-base et le mot-écho, à l’aide

de l’adverbe la « non », comme pour la négation d’espèce, équivaut à une

négation absolue : « pas du tout », « absolument non » :

– qayyəd, ya ğān }i, ənt tr}ōh} w təqčəm ma‘-u… bass təqčəm ma’-u kərdi-

mərdi…

– ‘ammo, ana mō-qčəm la kərdi wa la mərdi! Ayš ta-’asay ?

– Mon âme, tu vas et parle avec lui… mais parle avec lui en kurde ou

dans un sorte de kurde…

– Mon oncle, je ne parle ni le kurde, ni rien d’autre (c’est-à-dire,

absolument rien qui peut ressemble au kurde) ! Que puis-je faire ?

Un cas d’ambiguïté sémantique

Parfois, lorsque le mot-écho se superpose phonétiquement sur un autre

mot qui existe déjà en mardini, des confusions peuvent arriver, surtout quand ce

mot-ci appartient à la même sphère sémantique que le mot-base. Dans le fragment

de conversation ci-dessous, enregistré dans un salon de thé entre un client et le

garçon, le degré de l’ambiguïté due à la réduplication du mot čāy « thé » est si

élevé que l’entendement entre les deux protagonistes est compromis. Dans cette

Page 331: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 330 -

situation, le client revient sur sa sollicitation tout en renonçant à la réduplication à

m qui a induit en erreur le garçon :

– ya walad, ta’ān, ğīb-li, Al}l }a yh ~allīk, qadah} čāy-māy !

– … ?!

– haydi h~afīf, ğān}-i !

– ‘ammo, Al}l }a yh ~allīk, ana mā-ftahamtu kwayyəs… ənt was}s}ayt čāy yāze

m}ay(y)…, yāze čāy w m }ayy bērabēr…

– la, h}abīb-i, bass čāy, mā-‘alay-k !

– Garçon, viens ! Apporte-moi, que Dieu te préserve, un verre de čāy-

māy (čāy : thé ; māy, le mot-écho, est confondu à m}ayy « eau »).

– … ?!

– Allez, vite, mon âme !

– Mon oncle, que Dieu te préserve, je n’ai pas bien compris. Tu as

demandé du thé ou de l’eau ou bien du thé et de l’eau ensemble.

– Non, mon cher, seulement du thé, ne te fais pas de problèmes !

Page 332: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 331 -

14. L’alternance codique : mardini-kurde-turc

I. Introduction

Vu que le mardini se situe dans un micro-contexte constitué par le

dialecte kourmangi de la langue kurde, situé à son tour dans un macro contexte

constitué par la langue turque, étant isolé de la sorte de la grande masse des

dialectes arabes contemporains, le bilinguisme (arabe-kurde ou arabe-turc) ou

bien le trilinguisme (arabe-kurde-turc) se manifeste évidemment, en devenant

actif et généralisé, et les phénomènes de l’alternance codique sont extrêmement

fréquents, ce qui fait qu’une même chaîne discursive soit composée de segments

unilingues dans deux codes linguistiques, mardini / kurde, ou dans plus de deux,

mardini / kurde / turc72

.

Avant de commencer l’analyse proprement dite, je tiens à souligner que,

vu les courtes périodes passées à Mardin et le nombre réduit de matériaux publiés

sur l’arabe parlé à Mardin, je ne saurais dire si certains faits de langue étaient ad

hoc, à savoir des créations personnelles pendant les conversations entre bilingues

ou trilingues, ou bien il s’agissait de faits bien répandus dans le mardini, une

situation pareille étant saisie par Caubet également à l’égard de l’influence

française sur l’arabe algérien (Caubet 1998 : 97). Je présenterai, par conséquent,

sous cette réserve, les résultats de l’analyse que j’ai entreprise sur les interférences

du mardini avec les autres codes linguistiques de Mardin.

II. Le cadre théorique

Notre approche se situe essentiellement dans la perspective de la

définition de l’alternance codique, telle qu’elle a été formulée surtout par N.

Thiam, « la juxtaposition, à l’intérieur d’un même échange verbal, de passages où

le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux

72 Les recueils dont j’ai disposé n’ont pas offert d’exemples d’alternance codique mardini / néo-

araméen, pour cela on se résume à mentionner les exemples signalés par Albert Socin : k }ašīšo

k }ašīšo eišhu h ~alf elmadbah } ‘ainātu bašīšo « Pfarrer, o Pfarrer! was ist das hinter dem Altar mit den

glänzenden Augen ? » (…) ; šämmāso šämmāso lā tehtikna bēn ennāso pilgē li upilgē lik ušäršūt }a

ilälbuk }tijāmo « Diakon, o Diakon! stelle uns nicht blos vor den Leuten. Eine Hälfte für mich, die andere für dich und der Fettschwanz für die Pfarrfrau » (…) (Socin 1904 : 128).

Page 333: George Grigore L'arabe parlé à Mardin – monographie d'un parler ...

- 332 -

différents » (Thiam 1997 : 32). Par conséquent, dans notre étude, nous faisons

référence seulement aux segments alloglottes (c’est-à-dire en turc et en kurde),

intégrés dans le discours en mardini, qui sont régis par les règles des langues

constitutives. À côté de cet auteur auquel nous avons emprunté le cadre théorique,

nous avons eu en vue aussi les modèles d’analyse de l’alternance codique, dans

d’autres dialectes arabes, contenus dans les travaux de Dominique Caubet (1998),

Aziza Boucherit (1998), Martine Vanhove (2002) et Heath Jeffrey (1989).

III. L’analyse des données

Après avoir analysé le corpus enregistré, on a conclu que l’alternance

codique chez les Arabes mardiniens peut être de type :

A) redondant;

B) complémentaire.

A) L’alternance codique redondante est une réduplication sémantique,

réalisée par la mise en parallèle, à l’intérieur d’un même énoncé, des anciens

termes ou syntagmes de la langue base et leurs correspondants alloglottes. Ce type

d’alternance se manifeste évidemment dans le discours réalisé par les Arabes

mardiniens en mardini, discours qui est parsemé d’insertions en turc ou en kurde.

Ces insertions qui sont un reflet de leur bilinguisme or trilinguisme très développé

mènent finalement à une riche synonymie contextuelle inter-linguistique

(récurrence synonymique).

Ces insertions de synonymes – des mots isolés ou bien des syntagmes

plus ou moins longues – accomplissent dans la chaîne discursive des locuteurs

arabes mardiniens les fonctions connues des synonymes : de préciser une notion et

de diversifier la manière de parler du point de vue expressif. Du point de vue

syntaxique, elles sont des paraphrases.

L’alternance redondante entre le mardini et kurde se réalise habituellement, pour

être plus convaincant, plus clair pour les étrangers à la communauté :

h~afīf ta‘ānu la-hawn, zû waran vê darê (kurde).

Venez vite ici, venez vite ici!

ayn abū-k, bavê-te (kurde), we?

Où est ton père?

mardini : abū-k = kurde : bavê-te (ton père).

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- 333 -

On fait aussi la commutation du kurde ou du turc au mardini parfois

comme une sorte de parler-écho ; parce qu’ils ne sentent pas la langue respective,

ils se vérifient pour la tranquillité de leur propre conscience par la répétition du

même énoncé dans leur langue :

nezanim çuyê kudere (kurde), mo-‘rəf l-ayn kər}-r}āh}…

Je ne sais pas où il est parti…

Les deux séquences en kurde et en mardini ont le même sens.

D’autres fois, la commutation du kurde ou du turc au mardini se réalise

surtout pour préciser quelque chose, comme un mémento pour le locuteur qui veut

retrouver son terrain familier. Par exemple, au marché, les vendeurs arabes

répondent aux questions en turc ou en kurde sur les prix dans ces langues, mais ils

doublent souvent leur réponse en mardini. C’est évident que le vendeur n’adresse

pas sa réponse en mardini à l’acheteur, mais à lui-même :

Q : Destek medenos bi çiqas ye?

Combien vaut une poignée de persil?

R : sed hezar lira (kurde), hālt-i, mīyət alf waraqa…

En kurde : sed hezar lira : « cent mille livres [turques] ». En mardini :

mīyət alf waraqa (waraqa, litt.: « papier ») : « cent mille livres ».

La question du client est formulée en kurde, la réponse du vendeur arabe

est composée de deux parties : la première en kurde et la deuxième en mardini,

avec le même sens : « cent mille livres ». Le passage du kurde au mardini est fait

par l’intermédiaire du vocable arabe hālt-i « ma tante », « ma tante maternelle »,

qui est utilisé aussi en kurde (xaltî « tante ») à côté du vocable kurde lal « tante

maternelle ». J’ai enregistré le même type de réponse à une question posée en

turc, au vendeur de billets, au cinéma de Mardin :

Q : Film ne kadar sürüyor?

Combien dure le film?

R : üç saat (turc) … tāt sā‘āt…

trois heures … trois heures...

Parfois, ce type d’alternance codique est employé pour rigoler, en disant

la même chose en deux langues différentes :

fōq əl-h}əməl ser-bar.

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- 334 -

Sur le fardeau ser-bar (le syntagme ser-bar, en kurde, a la même

signification que le syntagme en mardini qui le précède en a : « sur le fardeau »).

C’est un exemple de tautologie par excellence qui équivaut au classique

fassara al-mā’a bi-l-mā’i « il a expliqué l’eau par l’eau ».

B) L’alternance codique complémentaire est l’insertion, dans un

énoncé en langue base, de vocables, de syntagmes, de propositions alloglottes.

Ceux-ci n’ont plus la fonction de synonymes, celle de préciser ou de clarifier

certains fragments du discours, mais celle d’exprimer de nouvelles notions, et

parfois, en absence de leurs correspondants en langue base (abandonnés avec le

temps) représentent l’unique modalité d’exprimer les sens de ceux-ci.

Du point de vue de l’interaction des éléments arabes avec ceux

alloglottes, on peut parler d’une alternance codique complémentaire :

- interphrastique ou indépendante;

- intraphrastique ou interdépendante;

B1) En ce qui concerne l’alternance codique complémentaire

interphrastique, les insertions alloglottes sont constituées par des propositions ou

des phrases indépendantes, qui n’entrent pas en relation syntaxique avec les

propositions en mardini avec lesquelles elles se voisinent, par conséquent, aucune

contrainte ne la gouverne pas. Celle-ci peut être constituée par :

a) propositions/phrases indépendantes en turc ou en kurde ;

b) propositions/phrases qui rendent le parler direct en turc ou en kurde ;

c) propositions en turc ou en kurde combinées avec des propositions en

mardini dans la même phrase :

a) Phrases indépendantes :

Ces phrases indépendantes peuvent apparaître dans n’importe quel point

du discours, étant totalement indépendantes par rapport aux phrases en mardini à

côté desquelles elles apparaissent.

Exemple :

mō-yəği ‘alay-i. elli beden giyiyorum (turc). hāda laqmāya gbīr we…

Il ne me va pas bien. J’ai la taille cinquante. Ça c’est un peu trop grand.

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Une occurrence extrêmement fréquente, dans notre corpus, est détenue

par les propositions constituées par des verbes, à l’impératif, en turc ou en kurde.

Exemples :

buyurun (turc)! ayš trīdūn tāklūn?

S’il vous plaît! Qu’est-ce que vous voulez manger?

b-xo (kurde)! hādi z-zabaše kama baqlawa ye…

Mange! Cette pastèque est comme un baclava (gâteau feuilleté aux noix

et au miel, très doux)...

b) Propositions qui rendent le parler direct.

D’habitude, le locuteur arabophone ne traduit pas les fragments d’un

discours - réalisé, par lui même ou par un autre locuteur en kurde ou en turc – qui

est sujet de sa relation, mais les reproduit tels quels. Ils sont introduits, en général,

par les verba dicendi (qāl/yqūl – « dire » ; stah ~bar/ yəstah ~bər – « demander » et

d’autres).

Exemples :

qāl l-i : bilind bipeyvin (kurde)! h~afīf raddaytu : kî l-i ser telefonê ye

(kurde) ?

Il m’a dit : Parle plus haut! J’ai répondu vite: Qui est à l’appareil?

stah ~bartu mən-nu : başka bir şey var mı (turc)? mā-qačam…

Je lui ai demandé : il y a encore quelque chose? Il n’a pas parlé…

c) Propositions en turc ou en kurde combinées avec des propositions

en mardini dans la même phrase :

Ces propositions en turc ou en kurde apparaissent liées aux propositions

en mardini à l’intérieur d’une même phrase, par des conjonctions de coordination

(w – « et »; lakən, am }m}a, faqat } – « mais ») ou de subordination (ki – « que » ;

čənki – « parce que »). Le mardini a emprunté beaucoup de conjonctions au turc et

au kurde. L’utilisation d’une telle conjonction marque, le plus souvent, la

commutation vers la langue à laquelle celle-ci a été empruntée. Les plus

fréquentes conjonctions de ce genre sont ki « que » et čənki « parce que » :

La conjonction ki (kurde : ku ; turc : ki) que) a été empruntée en mardini

où elle a la même signification qu’en kurde et turc, celle d’introduire le parler

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indirect, étant utilisée en parallèle avec une particule provenant du fonds arabe

ənnu « que » (forme unique). La conjonction ki, à la différence d’ənnu qui

introduit, d’habitude, une proposition arabe, marque aussi le changement de code :

vers le kurde :

əm}m}-i qālət l-i ki tu duh nehatî malê.

« Ma mère m’a dit que tu n’étais pas venu hier à la maison ».

vers le turc :

arīd ki H}asan benimle Istanbul’a geliyor.

Je veux que Hasan vienne avec moi à Istanbul.

Le mardini a aussi emprunté des conjonctions composées avec ki comme

čənki (l’ancien turc anatolien : çünki ; cf. le turc : çünkü ; le kurde : çunki) –

« parce que », qui existe parallèlement avec la conjonction l-ənnu (voir supra,

ənnu) :

ar}ōh} la-bayt-i čənki çok yorgunum (turc).

Je m’en vais à la maison parce que je suis très fatigué.

L’alternance de ce type n’envisage aucune contrainte parce que la même

idée peut être exprimée par des propositions indépendantes :

ar}ōh} la-bayt-i. çok yorgunum .

Je pars à la maison. Je suis très fatigué.

B2. L’alternance codique complémentaire intraphrastique ou

interdépendante.

a) Substantif. Les substantifs turcs et kurdes sont les plus fréquents dans

les discours qu’on a enregistrés. On a rencontré les situations suivantes :

a1) substantif + déterminant : le nom est inséré du kurde avec le

déterminant qui est l’article indéfini postposé ek :

ğību l-i masîyek (kurde)… Haydi, hafīf!

Apportez-moi un poisson… Allez, vite!

a2) les constructions d’annexion du turc et du kurde sont insérées telles

quelles :

əbn ‘amm-i iş adamı (turc) we.

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Mon cousin est homme d’affaires.

ahū-y mən Stambul kəğ-ğāb l-i telefona destî (kurde).

Mon frère m’a apporté d’Istanbul un téléphone cellulaire (lit. : téléphone

de main).

b) substantifs accompagnés de postpositions :

t }arēq Ankara’dan Mardin’e (turc) taqrīban ‘aššīn sā‘a yğər }r}.

La route d’Ankara à Mardin dure approximativement vingt heures.

Les postpositions du turc dan « de » et e « à » ne sont jamais commuées

seules, mais toujours dans le cadre d’une structure transférée en bloc dans le

discours en mardini, parce que leur emploi contrevient à la structure du mardini

qui a seulement des prépositions.

c) la manque d’article défini. Vu que ni le kurde, ni le turc ne

connaissent pas la catégorie de l’article défini, les substantifs insérés de ces

langues en mardini ne reçoivent pas l’article défini (əl), même si la structure du

mardini l’exige :

hāda gömlek mən ayn ahadt?

D’où as-tu pris cette chemise?

Le substantif gömlek apparaît sans article défini, bien que la structure du

mardini exige qu’un substantif déterminé par un adjectif démonstratif (hāda, dans

notre cas) reçoive l’article défini (l). Ici, nous croyons que c’est le syntagme

turque adjectif démonstratif + substantif : bu gömlek « cette chemise » qui a été

calqué (d’ailleurs, c’est la même structure en kurde : ev kiras « cette chemise »).

d) le suffixe de pluriel. Le substantif peut être commué du turc avec son

suffixe de pluriel (lar/ler) :

nğīb wēh }əd dōst ydəqq t }ambūr}a y‘alləm gençlerina (turc)…, baq

y‘alləm-ən ydəqqūn….

Nous amenons un ami qui bat le tambour pour enseigner nos jeunes… il

commencera à les enseigner à battre…

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Au vocable inséré du turc, gençler (sg : genç + suffixe pl. : -ler) a été

ajouté l’adjectif possessif du mardini : -na « notre », « nos ».

e) le genre. Dans presque toutes les situations présentes dans notre

corpus, le substantif inséré du turc reçoit le genre de son correspondant en mardini

qu’il a remplacé, vu que le turc ne connaît pas la catégorie du genre :

şehir (turc) Mērdīn ktīr gbīre ye.

La ville de Mardin est très grande.

Le vocable turc şehir « ville » a comme correspondant en mardini le

vocable wəlāya « ville », de genre féminin. Bien que şehir n’a aucun genre en

turc, et du point de vue de la forme il devrait plutôt prendre, en mardini, le genre

masculin, son adjectif gbīre montre qu’il a pris le genre féminin par son

encadrement dans la même catégorie de genre détenu par son correspondant en

mardini. Quand le terme turc n’a aucun correspondant en mardini, alors il reçoit

un genre selon le critère formel du dernier phonème. Notre corpus nous offre

beaucoup d’exemples de ce type, comme : iskele « port », şapka « casquette »,

pastırma « viande salée et desséchée au soleil » sont de genre féminin, parce

qu’ils se terminent par une voyelle (/e/, /a/) qui correspond aux suffixes du

féminin en mardini, mais asansör « ascenseur », simit « craquelin rond parsemé

de grains de sésame » sont masculins, parce qu’ils se terminent par une consonne.

Le substantif inséré du kurde, même s’il a un genre qui se manifeste seulement

quand le substantif est déterminé (la voyelle qui s’interpose entre le déterminé et

le déterminant marque le genre du premier : la voyelle /a/ pour le féminin : gula

te, « ta fleur » ; la voyelle /ê/, le masculin : dilê te « ton cœur ») ; a le même

traitement que le substantif turc (kezeb, « foie », féminin en kurde, mais traité

comme masculin quand il est inséré au mardini, cf. sa forme).

2) L’Adjectif. En turc, aussi bien qu’en kurde, l’adjectif a une seule

forme. Cette possibilité existe aussi en mardini, strictement quand l’adjectif

précède le substantif, substantif qui est toujours sans article défini : hōš walad

« un bon garçon », hōš bənt « une bonne fille » – structure existante, d’ailleurs, en

arabe irakien aussi. Quand un adjectif est commuté du turc ou du kurde, il sera

d’habitude intégré dans une telle structure où sa modification, en fonction du

genre et du nombre du substantif qu’il détermine, n’est pas nécessaire :

kwa makīn}at ah~u mart }-i! güzel (turc) makīn}a, çok güzel, abe (turc) !

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Voilà la voiture du frère de ma femme! Belle voiture, très belle, mon

vieux !

Un tel adjectif n’apparaît jamais après le substantif. S’il apparaît après le

substantif, alors il n’est plus simplement inséré, mai il est déjà assimilé au lexique

du mardini (il reçoit les suffixes arabes du genre et du nombre, l’article défini).

Quand l’adjectif inséré accomplit la fonction de nom prédicatif, alors le

substantif qui accomplit la fonction de sujet sera repris après lui pour obtenir la

structure mentionnée ci-dessus :

nəswan l-əkrād çalışkan (turc) nəswan-ənne.

Les femmes des Kurdes sont travailleuses.

3) [Adverbe] +Adjectif : nom prédicatif. Ce type d’alternance codique

est généralement inséré dans les constructions à copule pivot we et toute sa série.

La structuration en est la même dans tous les trois codes linguistiques : Adjectif +

copule (en turc : Ali yorgun dur ; en kurde : Ali westîya ye ; en mardini : ‘Ali

bət }lān we « Ali est fatigué »). Dans notre corpus, l’adjectif est inséré aussi avec

son adverbe :

kalb-na kama nār we, pir dir (kurde) we, mō yə‘fi ah }h}ad, y‘əd}d} mən la-

kān.

Notre chien est comme le feu, il est très méchant, il ne laisse personne lui

échapper, il mord qui que ce soit.

bə-l-layl hāda t }-t }arēq biraz tehlikeli (turc) we. Dīr bāl-ək !

La nuit, cette route est un peu dangereuse. Sois attentif !

4) Adverbe. Ce type d’alternance apparaît très rarement dans notre

corpus. Le plus souvent sont insérés des adverbes de temps qui occupent la même

place que leurs synonymes arabes remplacés occupent, d’habitude, dans la

proposition :

ta-’ar}ōh} la-l-bərbər sonra (turc) ta-’aği la-‘and-ək.

J’irai au barbier, après ça, je viendrai chez toi.

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Les adverbes de lieu, en turc, n’ont pas une forme zéro indépendante,

mais ils apparaissent toujours avec des suffixes spécialisés : buraya – lit. : « vers

ici » ; burada/burda – lit. : « en ici » ; buradan – lit. : « d’ici ». C’est peut-être

pour cette raison qu’ils sont insérés très rarement et jamais sans leurs suffixes :

burda (turc) anzal…

Je descends ici…

5) Le verbe+l’objet. La commutation d’un verbe – du turc ou du kurde –

est toujours contrainte par l’ordre verbe-objet. En turc, aussi bien qu’en kurde, cet

ordre est toujours O-V – sois que l’objet est exprimé par un substantif, sois qu’il

est exprimé par un pronom. En mardini, la tendance prédominante, sous

l’influence du turc et du kurde, est O-V, quand l’objet est exprimé par un

substantif, mais quand l’objet est exprimé par un pronom personnel, l’ordre est

obligatoirement V-O, vu que les pronoms-objet sont des suffixes en mardini. Par

conséquent, si l’objet du verbe est exprimé par un pronom personnel, alors celui-

ci sera inséré presque toujours avec le verbe :

fə-l-wəlāya seni gördüm (turc), am}m}a mā-qačamtu ma‘-ki; ma‘ ġayr

wēh}əd kənti…

Je t’ai vue dans la ville, mais je n’ai pas parlé avec toi [parce que] tu étais

avec une autre personne…

lā-tənsa, min hişîyar bike (kurde), bə-t-tāte…

N’oublie pas, réveille-moi, à trois [heures]…

J’ai un seul exemple, pris du langage des enfants, où le pronom arabe (-

ni) est suffixé au verbe turc à l’impératif (indir) :

indir-ni !

Fais-moi descendre !

(C’est une sollicitation faite par une petite fille assise sur une table à son

père).

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- 341 -

6) Les constructions à verbes pivot sawa (faire) et s}ār (devenir) + un

substantif (voir 5.6. Les constructions verbo-nominales). Bon nombre de ces

constructions, extrêmement productives en mardini, se sont fixées, formant – tout

comme en turc et en kurde – une partie du lexique fondamental. Mais au-delà de

celles-ci, on peut entendre beaucoup d’expressions, sur le même moule, créées ad

hoc, avec des substantifs insérés du turc ou du kurde. De notre corpus, on a choisi

quelques exemples : sawa gezme (lit. : « faire une promenade » ; « se promener » ;

gezme (turc) : « promenade ») ; sawa bozukluk (lit. : « faire un dommage » ;

« endommager » ; bozukluk (turc) : « dommage », « préjudice ») ; sawa girmahî

(lit. : « faire chaleur » ; « chauffer » ; girmahî (kurde) : « chaleur ») etc.

J’ai choisi pour illustrer ce phénomène d’alternance codique, entre le

mardini et le turc, un petit texte repris du livre de Lâtif Öztürkatalay (1995 : 146-

147), avec le changement de la graphie en ce qui concerne les séquences arabes,

selon les règles adoptées pour ce livre :

Bayt Ah }mad fə-l-birinci cadde we. Birinci cadde, fī-ya, eczahane,

dişçi, pastahane w hastahane. Tah }t əl-hastahane fīyu çıkmaz sokak. Abū-

Ah }mad dondurmaci ve əm }m}-u hastabakıcı ye. əht-u təqr}a fə-l-orta okul.

əs-sane son sınıf ye. Ah }mad təmbāl we. mō-yçayləš. Arqad }āš-u, əbən

berbercuma, ktīr çalışkan we. fə-orta okul Kızılay koli başkanı we. Ayrıca

Temizlik koli başkanı we.

Bayt Ah }mad h ~ams qāt }āt we. Kapıcıyın yəq‘ad fə-l-birinci kat. fə-l-

Cumhuriyet bayramı, kapıcıyın ah~ad l-u buzdolabı, çamaşır makkinesi,

ızgara, paspas ‘alay-a resim s}an}n}ōr}a. əl-kapıcı ah~ad l-əbn-u yazlık, fə-

yazlığın fīyu ōd}a zġayre, ōd}a gbīre, salon w yüznumara w banyo w

balqōnayn. fə-t-tatil yr}ōh }ūn la-‘ənd-u.

La maison d’Ahmad est sur la première avenue (la rue principale,

n.n.). Sur la première avenue il y a aussi une pharmacie, un cabinet de

stomatologie (lit.: un dentiste), une pâtisserie, un hôpital. Sous l’hôpital, il

y a une rue sans issue (cul de sac). Le père d’Ahmed est glacier et sa mère,

infirmière. Sa soeur apprend au lycée, la dernière année. Ahmad est

paresseux. Son ami, fils d’un barbier de vendredi, est très appliqué (zélé).

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- 342 -

Au lycée, il est chef de la branche de la « Semilune Rouge ». Il est aussi le

chef de la branche de la « Propreté ».

La maison d’Ahmad a cinq étages. Le concierge habite au premier

étage. À l’occasion de la Fête de la République, le concierge a pris pour

lui-même un réfrigérateur, une machine-à-laver, une grille, un paillasson

(essuie-pied, tapis brosse ) ayant sur lui un chat à titre de dessein. Le

concierge a pris pour son fils une maison de campagne (d’été) ; cette

maison a une petite chambre, une grande chambre, une salle à manger, un

cabinet d’aisance, une salle de bains et deux balcons. Dans les vacances,

ils partent chez lui.

*

* *

Ce chapitre aura essayé de mettre en évidence, à partir d’un corpus de

données limité, le caractère dynamique du plurilinguisme (mardini, turc, kurde) de

la communauté arabe mardinienne, qui est caractérisé par une évidente asymétrie.

Cette asymétrie linguistique a comme résultat, parmi d’autres, l’abandon du

mardini sur des séquences plus ou moins étendues, l’interférence des codes

linguistiques pendant la communication et le développement d’une riche

synonymie lexicale et grammaticale.

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- 343 -

Références

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de Slane. Paris : Imprimerie royale.

Al-Baġdādi, Ğalāl al-H}anīfi. 1978. Mu‘ğam al-luġa al-‘āmiyya al-baġdādiyya.

Bagdad : Wizārat at-taqāfa wa l-funūn.

Anghelescu, Nadia. 2004. La langue arabe dans une perspective typologique.

Bucarest : Editura Universităţii din Bucureşti.

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