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    50 ans aprs le premier essai, les Polynsiens restent sans rponse crdible sur lesrisques auxquels ils ont t exposs. Pourtant, la population en subit toujours les

    consquences sur sa sant et son environnement. Son mode de vie, sa culture, ses

    relations conomiques et politiques ont t bouleverss. Au point quen fvrier 2016,

    20 ans aprs la fin des essais, lassociation 193 a recueilli en Polynsie prs de 30 000signatures une ptition pour demander rparation la France.

    Dans ce nouveau dossier publi loccasion de la premire visite du prsident Franois

    Hollande en Polynsie nous nous intressons aux consquences sur les personnes les

    plus fragiles enfants et femmes qui sont dautant plus proccupantes quelles

    comportent des risques datteintes gntiques affectant les gnrations suivantes.

    La leve du secret dfense, en 2013, sur prs de 400 documents de la priode des

    essais nuclaires permet de constater que depuis 1960 le Service de sant des armes,

    les ministres de la dfense et les prsidents de la Rpublique successifs, taient

    parfaitement informs, essai aprs essai, des risques sanitaires auxquels taient

    exposs les populations et les personnels des sites nuclaires. Mais il ny a eu aucunevolont de prvention et de suivi de la part des autorits sanitaires franaises. Bien au

    contraire, puisque depuis le dbut des essais nuclaires jusquau milieu des annes

    1980, la sant publique en Polynsie tait assure par le Service de sant des armes

    qui a tout fait pour couvrir du secret militaire les donnes sanitaires.

    N 4FVRIER 2016

    Le$N%e$del.Ob$e#'a%i#e

    Observatoiredes armements

    187 monte de Choulans69005 Lyon

    Tl. +33 (0)4 78 36 93 03

    Fax +33 (0)4 78 36 36 83

    Courriel :[email protected]

    Internet : www.obsarm.org

    Twitter : @obsarm

    LObservatoire des armementsest un centre dexpertise ind-pendant fond en 1984. N dela socit civile, il a pour objec-tif dtayer les travaux de la so-

    cit civile sur les questions dedfense et de scurit en fa-veur du dsarmement. Sa vo-lont est de favoriser unepolitique de transparence etde contrle dmocratique surles activits militaires de laFrance et de lEurope.

    LObservatoire intervient surdeux axes prioritaires : lecontrle des transferts et delindustrie darmement et descurit ; les armes nuclaires etleurs consquences. Il publiedes tudes et la lettre dinfor-mation Damoclset participe des actions de plaidoyer auprsdes responsables politiques.

    LObservatoire des armementsest un interlocuteur incontour-nable et un centre de res-sources pour les mdias, lesorganisations de la socit ci-vile, les chercheurs, tant fran-ais qutrangers.

    * Bruno Barrillot,

    co-fondateur delObservatoire des

    armements, spcialistedes essais nuclaires,auteur de nombreuxouvrages, voir p. 11.

    Essais nuclaires :les atteintes aux enfantsBruno Barrillot*

    Nos enfants marchent sur du plutonium

    Roland Oldham, prsident de lassociation Moruroa e tatou

    Tureia,

    1966.

    Photo

    Tataio

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    Le$N%e$del.Ob$e#'a

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    1. Alain Dubois, Un biologistecontre le nuclaire, Jean

    Rostand, Berg international,2012, pp. 166-167.

    2. Ces trois tats ont sign le5 aot 1963, le trait

    dinterdiction des essaisnuclaires dans latmosphre.

    3. Brochure Solange Fernex,archives de lObservatoire des

    armements. Voir aussi BrunoBarrillot, Lhritage

    empoisonn, Observatoire desarmements, Lyon, 2012.

    4. Louvrage amricain Leseffets des armes atomiques,traduit en franais en 1957

    lusage exclusif desorganismes officiels franais.

    Ce$ enfan%$ "&i ne $n% !a$ n+$

    Les chercheurs en biologie qui travaillent sur la reproduction constatent que les atteintes desradiations sur les chromosomes des cellules germinales provoquent deux processusdiffrents et imprvisibles. Dune part, ces chromosomes endommags provoquent la mortdes cellules, entranant ainsi la mort de lembryon ds le dbut de son dveloppement oulors de fausses couches. Les biologistes constatent ainsi un dficit des naissances et de plusun dsquilibre des sexes la naissance. Il y a un excs significatif de naissances de garonschez les populations proches de Tchernobyl, chez les populations proches dinstallationsnuclaires et mme chez les habitants du Kerala, rgion de lInde connue pour sa trs forteradioactivit naturelle. Les chercheurs estiment que le dficit denfants manquants (nonns) aprs Tchernobyl jusqu aujourdhui est de lordre de un millionI. Dautre part, certainschromosomes endommags laissent lembryon arriver terme qui, par la suite, transmettraces anomalies gntiques ses descendants et aux gnrations suivantes, sans quon puisseraisonnablement prdire que cette transmission danomalies gntiques sarrtera.

    Ces recherches les plus rcentes de la biologie confirment les anciennes mises en garde desscientifiques qui, dans les annes 1950, ont contribu faire cesser les essais atmosphriquesdes trois grandes puissances de lpoque : tats-Unis, URSS et Royaume-Uni 2. Cesscientifiques affirmaient en effet que les retombes radioactives des essais ariens mettaienten pril lavenir de lhumanit en diffusant sans contrle des anomalies dans le patrimoinegntique des tres humains.

    Ve##&illage d& Se#'ice de $an%+ de$ a#m+e$

    Nous ne disposons daucune information officielle sur les atteintes aux enfants dans leszones proches des sites dessais sahariens de Reggane et dIn Eker. Et pourtant, ctaientdes mdecins militaires franais qui assuraient le service de sant de la rgion saharienneavant lindpendance en 1962, service qui sest poursuivi jusquau milieu des annes 1970avec des mdecins cooprants franais. Nous ne pouvons nous appuyer que sur destmoignages de Touaregs, particulirement ceux qui ont t recueillis en 1992 par SolangeFernex, ancienne dpute europenne, quelle avait consigns dans une petite brochure.Plusieurs de ces tmoins de la rgion du Hoggar rapportent quils nont pas pu avoirdenfants et que leurs femmes faisaient des fausses couches rptition. Dautres tmoinsrapportent que des tribus entires ont disparu. Toutes ces familles sont mortes dans levillage de Mertoutek situ quelques kilomtres de In Eker o les Franais ont effectu

    13 essais souterrains dont 12 ont provoqu des fuites radioactives3.La France, consciente des mises en garde des scientifiques4, a nanmoins repris des essaisariens en Polynsie de 1966 1974, de mme que la Chine jusquen 1980. Peut-onmesurer les consquences des expriences nuclaires de la France sur les populations lesplus concernes de la Polynsie franaise ? Il faut constater quil ny a eu aucune volont deprvention et de suivi de la part des autorits sanitaires franaises. Bien au contraire, depuisle dbut des essais nuclaires jusquau milieu des annes 1980, la sant publique enPolynsie tait assure par le Service de sant des armes qui a tout fait pour couvrir dusecret militaire les donnes sanitaires de la population. Dans les annes 1970, CharlesTetaria, jeune mdecin polynsien, tait affect au service des urgences de lhpital civil deMamao Tahiti. lpoque, le directeur de lhpital civil de Mamao tait un mdecin militaire.

    Presque tous les chefs de service de lhpital taient des militaires. Les quelques mdecinspolynsiens taient de simples excutants. Ce qui est sr, par contre, cest que toutes les Tuamotutaient visites uniquement par des mdecins militaires. Ils prenaient en charge les malades civilsdes Tuamotu. Les malades civils des Tuamotu ne venaient pas chez nous. Soit ils taient traitsl-bas, soit larme les vacuait lhpital militaire Jean-Prince. Nous avions des chos, des gens

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    qui disaient quun tel est mort cause de la bombe. Mais nous, les mdecins, nous navions queces chos, il tait impossible de faire la preuve si vraiment ctait d aux effets de la bombe.

    Nous navions pas accs ces malades5

    . Les mdecins civils qui ont pris le relais desmdecins militaires au dbut des annes 1990 dressent un constat svre : Les mdecinsmilitaires ont, pendant des annes, tenu secrtes les informations relatives aux consquencesdes essais nuclaires. Larme disposait dun hpital militaire, lhpital Jean Prince, et sesmdecins militaires occupaient les principaux postes lhpital civil de Mamao, donc aucuneinformation ne filtrait sur les maladies traites en Polynsie franaise6.

    En 1993, crivant au Prsident Franois Mitterrand, lancien dput de la Polynsie, FrancisSanford, aborde lui aussi avec motion cette absence de donnes mdicales : Il est unpoint que je souhaite aborder aujourdhui, et que, malgr le temps, je ressens encore comme undouloureux point dinterrogation. En 1978, je mtais tonn officiellement que les statistiquesmdicales, par catgories daffections, fussent subitement absentes des informations publiesjusqualors par le Journal officiel. Nulle rponse ne me fut jamais donne. Cest pourquoi, ausoir de ma vie, je madresse vous, assur que les temps soient peut-tre moins contraignants.Rien ne me semble plus gnant que ce silence. Javais un fils, emport par la foudroyance duneleucmie. Mais ce nest pas mon propos. La rumeur persiste, et linterrogation demeure. Mais jevous connais assez pour dire ma confiance quavant de quitter vos fonctions minentes vousaurez cur de ne pas laisser planer le doute sur ce point prcis7.

    Le vu de Francis Sanford na pas t entendu. Les archives mdicales de la Polynsie pourles vingt premires annes des essais nuclaires sont encore inconnues et inaccessibles auxchercheurs qui auraient les moyens de raliser des tudes comme cela sest fait, par exempleaux les Marshall (voir encadr ci-dessous). Il ny a pas dargument scientifique opposer aufait que les radiations des expriences atomiques franaises nauraient pas les mmes effetssanitaires que les expriences amricaines, britanniques, sovitiques ou chinoises. Ce nest

    donc que par bribes et par des tmoignages8 que nous entrevoyons la catastrophehumanitaire gnre par les essais nuclaires en Polynsie.

    5. Interview de CharlesTetaria in Bruno Barrillot,

    Marie-Hlne Villierme,Arnaud Hudelot, Tmoins de

    la bombe, Universpolynsiens, Papeete, 2013,

    pp. 49-51.

    6. La Dpche de Tahiti,22 novembre 2011, Tauxanormalement lev de cas

    de leucmies en Polynsiefranaise.

    7. Francis Sanford, lettre Franois Mitterrand, non

    date, www.moruroa.org.Tinihau, fils de Francis

    Sanford, g de 14 ans estdcd suite une leucmie

    le 20 septembre 1968.

    8. Depuis 25 ans, dont huitannes compltes, lauteur a

    effectu des missions sur lesuivi des essais nuclaires enPolynsie franaise.Il a t le

    confident de nombreusesfamilles, notamment des

    mres, qui voquaient dans la

    douleur, le dcs de leursenfants en bas ge et quinont jamais os le dire

    publiquement tant le discoursofficiel sur linnocuit des

    essais les aurait discrditespour outrage la France et

    ses reprsentants.

    Le$ enfan%$ de Rngela!

    Lessai thermonuclaire amricain, dnomm Bravo, a eu lieu le 1ermars 1954 depuis latollde Bikini. Les archives dclassifies par ladministration Clinton rvlent que la population delatoll de Rongelap a t laisse plusieurs jours sous les retombes radioactives de lessai

    Bravo des fins dtudes. Les habitants de Rongelap ont t vacus par larme amricainele 3 mars 1954 sur latoll de Kwajalein. En 1957, ils ont t rinstalls Rongelap sur ordrede la Commission de lnergie atomique amricaine. Constatant lnormit des problmes desant de cette population, le snateur Jeton Enjain demanda Greenpeace dvacuer nouveau la population de Rongelap sur les les de Mejato et Ebeye de latoll de Kwajalein avecleRainbow Warrior, en mai 1985. De 1954 1985, les habitants de Rongelap ont texamins comme des cobayes par lInstitut officiel amricain Brookhaven NationalLaboratory situ dans ltat de New York.

    Maladie$ de$ enfan%$ de Rngela!

    Une tude indpendante a t ralise concernant les enfants de Rongelap par Rosalie

    Bertell, chercheuse de lInternational Institute of Concern for Public Health de Toronto(Canada). Lenqute a t publie en juin 1989 sous le nom de Rapport au Congrsamricain sur les problmes de sant de la population de Rongelap. Trente-quatre ans aprslessai Bravo du 1ermars 1954, Rosalie Bertell na pas pu obtenir de donnes sur les causeset le nombre des dcs prinataux du Brookhaven National Laboratory. /

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    Elle a examin, 271 enfants de Rongelap. Dans ce groupe, il y avait : 124 enfants dont lun ou lautre ou les deux parents ont t exposs aux retombes

    de lessai Bravo du 1er mars 1954. Parmi ces enfants, 50 ont dvelopp 83 maladies(1,7 maladie par enfant) ;

    147 enfants dont aucun des parents na t expos aux retombes de lessai Bravo,mais dont les grands-parents de certains dentre eux taient Rongelap le 1ermars 1954.Parmi ces enfants, 58 ont dvelopp 87 maladies (1,5 maladie par enfant).

    Parmi les 271 enfants examins, 104 (38,4 %) ont montr des troubles mdicaux proccu-pants. Ces troubles mdicaux comprennent des maladies congnitales telles que : syndrome de Turner chez les filles (petite taille et anomalie chromosomique) ;

    hydrocphalie ; mongolisme ; pectum excavatum (malformation thoracique) ;asymtrie faciale ; luxation congnitale de la hanche ; grave difformit de la dmarche ;problmes auditifs. On comptait un enfant autiste et cinq autres avec de gravesproblmes mdicaux tels que convulsions, pilepsie et paralysie (pouvant provenir ounon dune mningite non diagnostique).

    et des maladies acquises telles que : imptigo ; rhinorrhe purulente ; otites frquentes ; pneumonies ; bronchites ; parasites

    intestinaux ; infections rnales ; adnopathiesParmi ces 271 enfants, 20 (7,4 % des enfants) ont un souffle au cur. Aux tats-Unis, laproportion de cette maladie cardiaque chez les enfants est de 3 %.

    Fa&$$e$ c&che$ de$ femme$ de Rngela!

    Le docteur Glenn H Alcalay, professeur danthropologie de lUniversit de New York avcu deux ans aux Marshall, dans les annes 1970, comme volontaire du Peace Corps,puis il a effectu des missions aux Marshall sept reprises, y compris sa participation lvacuation des habitants de Rongelap par Greenpeace en mai 1985. De juillet 1990 aot 1991, il a effectu ses recherches aux Marshall dans le cadre de ses tudes doctoralesen anthropologie mdicale. Ayant contact le Brookhaven National Laboratoryqui avaitla charge officielle du suivi mdical des habitants de Rongelap la suite de lessai Bravodu 1er mars 1954, il lui fut rpondu que le laboratoire disposait dune bonnedocumentation sur les problmes thyrodiens et sur quelques cas de cancer, mais quilny avait aucun problme du ct des femmes.En mars 1995, Glenn H Alcalay publie un rapport sur les effets des retombes des essaisthermonuclaires amricains sur la sant des femmes marshallaises avant et aprs 1952(date du premier essai thermonuclaire amricain Bikini). Ce rapport qui contredit lestudes officielles porte sur 830 femmes des Marshall habitant ou ayant habit Rongelap

    et dans les atolls situs dans un rayon de 1 000 kilomtres. Glenn H Alcalay, qui parlecouramment la langue des Marshall, a relev principalement les problmes de faussescouches et denfants morts-ns rencontrs par ces femmes.

    PS. Lhistoire de Rongelap est raconte dans le film Nuclear savagedAdam Horowitz (2011).

    les Nombre Fausses-couches Fausses couches Enfants morts- Enfants morts-concernes de femmes avant 1952 aprs 1952 ns avant 1952 ns aprs 1952

    Rongelap, Ujae,Lae, Likiep, Utirik, 830 38 437 14 137

    Ailuk, Mili, Wotje,Namorik, Jaluit.

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    9. Entre 2005 et 2012,lauteur a travaill sur lesregistres dtat civil des

    Gambier, avec le soutien deMme Monique Richeton, alors

    maire des Gambier.

    10. Certains affirment que lesfemmes de Mangareva

    allaient accoucher Papeete.

    En fait, ce nest que dans lemilieu des annes 1980 quela Direction de la sant avait

    dcid que lesaccouchements se feraient

    Tahiti.

    11. Rapport MN/CEP/BRO LaCoquille/SMCB du

    10/07/1966 : Mission de LaCoquille aux Gambier du 2 au

    10/07/1966, dit rapportMillon , dclassifi le

    12 dcembre 2013 ; Rapport110/CEP/SMCB/S du16/08/1966 : Rapport

    prliminaire concernant lesrsultats obtenus par le BRO

    La Coquille pendant la

    premire demi-campagne,dclassifi le 12 dcembre2013. Voir aussi, Rapport dela commission denqute delAssemble de la Polynsiefranaise, Les Polynsiens etles essais nuclaires, 2006,

    pp. 195 234.

    H+ca%mbe infan%ile * Manga#e'a

    Larchipel des Gambier, situ lest de Moruroa, faisait partie des postes priphriques du

    Centre dexprimentation du Pacifique (CEP) et il est rest sous contrle militaire jusquaudbut des annes 1990. Pendant toute cette priode, les mdecins militaires assuraient lesuivi sanitaire de cette petite population dun peu plus de 500 habitants. La responsabilit duService de sant des armes est donc entire : aucune alerte na t lance par ces mdecinsalors que des indices troublants montraient de graves problmes sanitaires, notamment ence qui concerne la fcondit. Il est probable que dans les atolls voisins des Tuamotu lesproblmes sanitaires taient semblables, mais ils nont pas t tudis.

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    Bien quil soit difficile de faire des statistiques fiables sur la petite population de Mangareva lpoque des essais ariens, des faits indniables auraient d alerter les autorits du CEPet condamnent labsence de suivi sanitaire de cette population. En effet, lexamen de ltat-civil des Gambier de la priode des essais ne manque pas dinterroger9 : dans les annesantrieures au 2 juillet 1966 (premier essai Moruroa), on comptait en moyenne

    24 naissances par an tandis qu partir du milieu des annes 1970, on ne comptait plusquune moyenne de 12 naissances pour une population constante autour de 500 habitants.Ce dficit de naissances Mangareva serait-il d aux atteintes biologiques des radiations ?

    Aucune tude qui aurait d tre faite ne permet de le prouver, mais force est deconstater une concidence frappante : les documents aujourdhui dclassifis du secretmilitaire montrent que Mangareva a subi 31 retombes radioactives entre 1966 et 197410.De plus, certains des rapports aujourdhui publics montrent quil y a eu, de la part desautorits militaires, une volont explicite de cacher la population la vrit sur lacontamination trs importante de la chane alimentaire due aux retombes radioactives.

    Aprs les retombes radioactives considrables sur les Gambier la suite du tir Aldbarandu 2 juillet 1966, le docteur Millon, mdecin du Service mixte de contrle biologique, relve

    dans son rapport, les inquitudes du capitaine du Service mixte de scurit radiologique : Par honntet, il sinquite pour les gosses du village qui marchent pieds nus et jouent parterre et il ajoute : Il sera peut-tre ncessaire de minimiser les chiffres rels de faon ne pasperdre la confiance de la population qui se rendrait compte que quelque chose lui a t cachds le premier tir11.

    Couverture du registredtat-civil de Rikiteade 1966.Photo B. Barrillot

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    12. Interview de JacquelineGolaz in Bruno Barrillot,Marie-Hlne Villierme,

    Arnaud Hudelot, Tmoins dela bombe, Univers

    polynsiens, Papeete, 2013,pp. 3-6.

    13. Michel Daeron,

    Moruroa le grand secret,documentaire diffus sur Arte

    le 6 novembre 1993.

    14. Assemble nationale,Bulletin des commissions

    n 26, 29 novembre-3 dcembre 1993.

    Curieuse concidence. Le registre des dcs de Mangareva comporte cinq dcs entre le2 juillet et le 31 dcembre 1966 : tous des enfants. Jacqueline Golaz tait directrice de

    lcole primaire de Mangareva de 1962 1969. Elle suivait attentivement la sant de seslves : Ds la rentre 1966, je me suis rendu compte quil y avait des enfants qui taientmalades et je tenais un cahier o jinscrivais tous ceux qui passaient voir linfirmier et ce quilsavaient : il y avait la diarrhe, ils vomissaient Je me rappelle bien, il y avait un vieux papa quiest venu me dire : Mais regardez, ma fille, elle perd ses cheveux. Alors jai inscrit sur le cahierque certains lves perdaient leurs cheveux. Un jour, trois officiers sont venus lcole et ils ontdemand voir le cahier du dispensaire. Ils ont pris mon cahier et ils ne lont pas ramen. Maispour moi, ce ntait pas grave, jai pris un autre cahier. Ce nest que des annes aprs que jaicompris limportance de ce cahier12.

    Nai$$ance$ an#male$ a& %em!$ de$ e$$ai$

    En 1993, Mme

    Philomne Voirin, une sage-femme qui a exerc de 1951 1986 en Polynsiea fait deffrayantes rvlations dans le documentaire Moruroa le grand secret13. partir de1968, il semblerait quil y ait une explosion de malformations. Cest peut-tre moi qui me faisdes ides, mais cest la constatation que jai faite. partir de 1968 jusqu ce que je parte laretraite, jai vu pas mal de malformations, cest--dire des pieds-bots, a a continu mais unrythme plus acclr, ensuite jai vu des anencphalies, cest--dire des enfants qui naissaientsans boite crnienne, des exencphalies, cest--dire des enfants qui naissaient avec une sortiedu cerveau hors de la boite crnienne : il y a une espce de trou et le cerveau sort de l. Jai vugalement des viscrations, cest--dire des enfants qui naissaient avec sortie des viscres lextrieur, jai vu des phocomlies, cest--dire des enfants qui naissaient avec la place desmembres suprieurs des espces de nageoires, des enfants animaux qui sont obligs de se traner 4 pattes. Ce sont des enfants, dailleurs qui ne peuvent pas vivre, cest extrmement rare.

    Le 6 novembre 1993, lors du dbat organis par la chane Arte la suite de la diffusion dudocumentaire, le gnral Roger Ducousso, pharmacien des armes, a dclar que la causede ces drames ntait pas la radioactivit, mais que les Polynsiens taient atteints dun malpsychologique qui leur fait attribuer leurs maladies la radioactivit. Et pour preuve , ilaffirma que lirradiation Tahiti est moiti moins que celle dici en Alsace, trois fois moinsquen Bretagne, et Moruroa, elle est encore plus faible qu Tahiti . A-t-on entendu unesage-femme bretonne parler dun surcrot de naissances anormales en Bretagne, rgion qui,selon les affirmations constantes des militaires du CEP serait presque un enfer radioactif au regard du paradis nuclaire polynsien ? Faut-il le rappeler : la carrire de sage-femmede MmeVoirin sest droule pendant la priode des essais nuclaires jusquen 1986 alorsque la sant publique en Polynsie tait dirige par le Service de sant des armes qui ne

    pouvait donc ignorer cette explosion de malformations prinatales.Aprs les rvlations de Moruroa le grand secret, la commission de la dfense de lAssemblenationale fut convoque et ce fut un concert de dngations. M. Jean-Michel Boucheron,dput socialiste, a souhait que la commission fasse part officiellement au prsident de lachane Arte de son indignation , Jacques Baumel, dput RPR, a estim que cette missioncomportait de graves erreurs et des contrevrits et le prsident de la commission, JacquesBoyon, dput RPR, rappela que le ministre de la dfense avait ragi immdiatement aprs ladiffusion de ce film . La proposition de rsolution du dput communiste Jean-Claude Lefort,demandant la cration dune commission denqute sur les essais nuclaires Mururoa et leursrpercussions sur les tres humains et lcosystme de latoll fut considre par la commissioncomme indcente et dplace et fut rejete quelques semaines plus tard14. Ces

    parlementaires avaient certainement la possibilit de sinformer sils ne ltaient dj surles consquences sanitaires des essais nuclaires, et particulirement M. Jacques Boyon, anciensecrtaire dtat la dfense de 1986 1988. Lindcence de leurs ractions ngatives audocumentaire Moruroa le grand secretlaisse apparatre une volont de dfendre avant tout la raison dtat au dtriment de la vie et de la sant de leurs lointains concitoyens.

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    15. Rapport AIEA, Situationradiologique sur les atolls de

    Mururoa et de Fangataufa,1998, p. 256.

    16. Ministre de la dfense,La dimension radiologique des

    essais nuclaires franais enPolynsie, 2006,

    pp. 362 371

    Cn%amina%in de$ n#i$$n$ !l)n+$ien$

    En 1998, lAgence internationale de lnergie atomique (AIEA) publie en annexe de son

    rapport Situation radiologique sur les atolls de Mururoa et de Fangataufaun tableau estimantles doses de radioactivit la thyrode de nourrissons vivant dans lhmisphre sud lpoque des essais ariens franais (1966-1974)15. Ce tableau est extrait dun rapport delONU de 1977. Les calculs de doses ont t raliss en supposant une consommationquotidienne de 0,7 litre de lait par jour, le radiolment concern, selon le rapport AIEA,tant liode-131 ject dans latmosphre par lexplosion nuclaire et qui se fixe sur lathyrode.

    Comme le montre le tableau ci-dessus, pendant toute cette priode, les nourrissonspolynsiens auront absorb dans leur biberon les plus fortes doses de lhmisphre sudpendant 5 annes sur 7. Il reste un doute pour lanne 1966 o aucune dose, dans cetableau, nest mentionne pour la Polynsie sur laquelle on sait que les retombes

    radioactives ont t des plus importantes. Si des cases sont vides en 1966, cest que laFrance na pas fourni lONU les informations sur les retombes des essais de 1966 donton sait officiellement, quarante ans aprs, quelles ont t trs importantes16.

    Le$ enfan%$ cba)e$ de Teia

    Les nourrissons des les Tuamotu ont probablement t les plus touchs (les chiffres dutableau du rapport AIEA ci-dessus sont des moyennes). En effet, en raison de sa courtepriode (environ 8 jours), liode-131 mlang latmosphre atteint en premier larchipeldes Tuamotu proche des sites dessais. De plus, comme il ny a pas de production laitire surles atolls, les mamans ont lhabitude de confectionner les biberons en dlayant du lait

    concentr avec leau de pluie collecte dans des citernes. Cette eau est contamine par deliode-131 et par dautres radiolments jects dans latmosphre par les explosionsnuclaires. Dans un document rcemment dclassifi, les mesures de radioactivit de leaudes citernes de Tureia, latoll habit le plus proche de Moruroa, ont t effectues (voirencadr page suivante). Les doses effrayantes auraient d interdire lutilisation de leau des

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    %i#e

    17. tude de la dose absorbeen contamination interne par

    les habitants de Tureia au coursdu mois suivant le tir Encelade,

    Service mixte de contrlebiologique n 126/CEP/SMCB

    du 10 aot 1971, Annexe II(dclassifi le 8 janvier 2013).

    18. La visite mdicaleeffectue par les mdecinsmilitaires au 30 juin 1966(avant le premier essai du

    2 juillet) recense 65 habitantssur latoll de Tureia (archives

    Dlgation polynsienne pourle suivi des consquences des

    essais nuclaires).

    19. CEA-R-6136, Les atolls deMururoa et de Fangataufa. Les

    exprimentations nuclaires.Aspects radiologiques. 2007,

    pp. 163-283

    20. Dans le filmdocumentaire, Vive la France.Un crime dans le futur, de Titti

    Johnson et Helgi Felixson(2013), M. Maoake Brander,actuel habitant de Tureia, qui

    avait cinq ans en 1966, citeles maladies de sa famille :son pre est dcd dun

    cancer du poumon, sa mrede leucmie. Parmi leurs

    enfants, 3 sont soigns pourun cancer de la thyrode,

    1 pour un cancer lestomac,1 pour un cancer du sein. Son

    beau-pre est atteint duncancer du rein.

    21. Dans ce documentdclassifi concernant la doseabsorbe par les habitants deTureia, les noms et prnoms

    des enfants sont indiqus enclair. Par contre, dans tous lesdocuments dclassifis en

    2012, les noms et prnomsdes militaires destinataires deces divers documents ont tsoigneusement barrs en noirpour viter leur identification.

    citernes pour la consommation humaine. Selon le document rest secret jusquen 2013, le13 juin 1971, au lendemain de lessai Encelade (quivalent 30 bombes dHiroshima), leaude citerne Tureia mesurait 78 440 becquerel (Bq) par litre alors que la radioactivit naturellede leau de pluie varie entre 0,3 et 1 Bq par litre. Le 12 juillet 1971, soit un mois plus tard, la

    radioactivit de leau de citerne Tureia slevait encore 195 Bq par litre17. De sourceofficielle, au cours de la priode des essais ariens (1966-1974), la petite population deTureia18 a t touche par 39 retombes radioactives19. Mme si toutes les mesures de lacontamination de leau de citerne de Tureia nont pas t dclassifies du secret dfense, ilny a aucune raison de penser que les habitants de cet atoll nont pas consomm de leaugravement contamine au cours de toutes ces annes et quils en subirent et subissent encoreles consquences dans leur sant20.

    On pourrait penser que le rapport du Service mixte de contrle biologique (SMCB) sur lesconsquences des retombes radioactives du tir Encelade sur Tureia aurait comport desmises en garde et recommandations. Pas du tout. Comme tous les autres documentsreposant sur des mesures prises par des scientifiques militaires, le rapport sur Tureia a t

    transmis la hirarchie du SMCB et la direction des centres dexprimentation nuclairequi se sont dpches dy apposer le secret. La lecture de ce rapport laisse la terribleimpression que les habitants de Tureia et particulirement les quinze enfants de moinsde 7 ans dont on trouve la liste nominative en annexe III21 ont t observs comme descobayes par les scientifiques militaires franais, comme lavaient fait les scientifiques

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    Cn%amina%in de$ enfan%$ de Teia en 1971

    Extrait de ltude de la dose absorbe en contamination interne par les habitants de Tureia au coursdu mois suivant le tir Encelade, Service mixte de contrle biologique n 126/CEP/SMCB du 10 aot1971. (Dclassifi le 8 janvier 2013). Le tir Encelade a eu lieu le 12 juin 1971 et il a dvelopp unenergie de 440 kilotonnes (30 fois la bombe dHiroshima).

    Ca$ !a#%ic&lie# de$ enfan%$ de min$ de 7 an$

    La thyrode des enfants est un organe trs radio-sensible et il est indispensable dtudier cettecatgorie dhabitants Compte tenu de lactivit en iode-131 contenue dans leau de boisson,linjection quotidienne dun litre deau de citerne dlivre la thyrode des enfants une dose de1 295 mrem soit 86 % de la QMA/an de cet organe. Ce calcul ne tenant pas compte des autresproduits de fissions frais apports par leau et le reste de la ration alimentaire, on peut admettre

    que les 10 enfants de Tureia dont lge est compris entre 30 mois et 7 ans ont atteint la QMA pourleur thyrode.

    Ca$ !a#%ic&lie# de$ n#i$$n$

    Le sevrage ne se faisant gure avant 2 ans dans les Tuamotu, on peut considrer que 5 enfantsrentrent dans cette catgorie. En prenant comme exemple le plus jeune enfant : Paul Terakaukau,n le 26 mai 1971, il doit recevoir en moyenne 600 700 cc de lait par jour. Si lon considraitque son alimentation est purement artificielle : lait concentr sucr dilu dans leau de citerne nonbouillie (ce qui est malheureusement frquent dans les Tuamotu), il aurait absorb 1 800 mrem la thyrode, en un mois, du seul fait de liode-131, ce qui correspond 120 % de la QMA/an. Enfait une enqute effectue sur place a rvl que lenfant recevait une alimentation mixte :maternelle + biberon (confectionn avec leau de la citerne Terakaukau).

    On peut donc considrer que la dose ingre, due leau de boisson nest que la moiti de celleinitialement retenue, en noubliant pas toutefois quil est impossible destimer la dose en iode-131dlivre par le lait maternel et que nous ne tenons pas compte dans ce calcul de contaminationinterne, des autres produits de fission frais : on peut raisonnablement estimer que la dose dlivre ce nourrisson atteint la QMA.

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    %i#e

    22. Bruno Barrillot, Lhritage

    empoisonn, op. cit.,pp. 41-43

    23. Tmoignage de JacquesMelon, dans le documentaire

    Dans le secret du paradisdePascal Martin et Jacques

    Cotta, France 2, 2004

    amricains du Brookhaven National Laboratorypour les habitants de latoll de Rongelap (voirencadr pp. 3-4). Entre 1966 et 1974, la population de latoll de Tureia, enfants compris, at passe en spectrogammamtrie dix reprises pour mesurer leur radioactivit internesuite lingestion de radiolments dans lair, leau et lalimentation (voir tableau ci-dessus).

    Les rsultats sont-ils fiables ? On constate nanmoins quen 1967, notamment aprs le tirArcturus qui pollua Tureia22, les examens en spectrogammamtrie des habitants de Tureiafurent particulirement inquitants. De plus, le tmoignage dun appel du contingent,infirmier, qui faisait passer ces examens sur La Rancementionne que lappareil, pour les les,avait t talonn de faon faire apparatre des rsultats trois fois moins importants quela dose relle23.

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    Anne Date Lieu de Nombre de personnes contrleslexamen Indice A Indice B Indice C

    1966 12 novembre BSL Rance 60

    1967 4-13 juillet Hao 14

    1967 4-5 aot Argens 25 28

    1968 5-11 avril BSL Rance 15 30 1

    1970 21 octobre BSL Rance 47

    1971 16-19 avril BSL Rance 49

    1971 1-6 septembre BSL Rance 53

    1972 8-9 mai BSL Rance 50

    1973 18-19 avril BSL Rance 591974 29-31 mai BSL Rance 52

    La !!&la%in de Teia e(amin+e en $!ec%#gammam+%#ie

    Selon les informations du CEA, les indices de tri de la spectrogammamtrie se rpartissenten A (dose nulle), B (dose moyenne), C (dose importante).

    SOURCE : CEA-R-6136, Les atolls de Mururoa et de Fangataufa.Les exprimentations nuclaires. Aspects radiologiques. 2007, p. 422

    Le cimetire de Mangareva.Photo B. Barrillot

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    24. France Culture,Avec ou sans rendez-vous,

    19 janvier 2010

    T&me$ c+#+b#ale$ de$ enfan%$ !l)n+$ien$

    Bien des annes plus tard, en 2010, le hasard dune question lors de lmission mdicaleAvec ou sans rendez-vous, diffuse sur la chane publique France Culture24, entrouvre nouveau la question de la responsabilit des essais nuclaires dans un surnombre constatde cancers du cerveau chez les enfants polynsiens. Interrog par le professeur Lyon-Caen,le professeur Sainte-Rose, spcialiste du cancer des enfants, trs embarrass, raconte : Onsait, par exemple, que les radiations pourront entraner, favoriser, la survenue de tumeurs, enparticulier crbrales La seule exprience Enfin je ne sais pas si je dois vous dire a Cestquelque chose de confidentiel La seule exprience que jen ai, cest que pendant un certain

    nombre dannes, dans les annes 80, nous avons vu arriver lHpital des Enfants Maladesun nombre anormalement important denfants porteurs de tumeurs crbrales en provenancedes les du Pacifique. Depuis a sest tari. Le professeur Lyon-Caen commente immdia-tement les propos de son collgue Sainte-Rose : Ce sont des observations qui laissent penser quil peut y avoir des facteurs extrieurs, environnementaux, qui jouent un rle chez lesparents et les gnrations suivantes peut-tre dans le dveloppement de lsions tumorales.

    Quand des spcialistes abordent, avec dinfinies prcautions, la question de la transmissiontransgnrationnelle, voil qui est dimportance, dautant plus que cela met en cause lesrisques radioactifs auxquels des parents polynsiens auraient pu tre exposs. Ce courtchange, happ par le direct de lmission, a t enregistr mais curieusement, il a tsupprim quelques heures plus tard dans lenregistrement disponible sur le site Internet de

    France Culture ! Pointer la responsabilit des essais nuclaires dans les causes des tumeurscrbrales des enfants polynsiens est-il si compromettant, 20 ans plus tard, au pointdimposer le silence ? Regret du mdecin qui estime avoir outrepass son devoir deconfidentialit ? Pression militaire sur la chane publique ? Ces questions poses auxresponsables de lmission Avec ou sans rendez-voussont restes sans rponse.

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    Pierre-mileLargeteauet sa maman.Photo M.-H. Villierme.

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    25. Tahiti Infos, 30 janvier 2014, La mortalit infantile en

    Polynsie franaise est de 7,5dcs denfants de moins de unan sur 1000 naissances vivantes.

    26. Enqute Valatx :www.obsiven.org/

    27. Tmoignage de Jean-PaulDemange, vtran des essais de

    Reggane : Quand jai quittlarme, le toubib ma ditfroidement : Il vaudrait mieux

    que vous nayez pas denfants. Archives de lObservatoire des

    armements. Voir aussi BrunoBarrillot, Les irradis de la

    Rpublique, ditions Complexe,2003, p. 93 ; tmoignage de G.

    Chesneau : Je suis rentrdAlgrie en juin 61 et je me suis

    mari en juin 62. Ma femme a fait3 fausses couches et ce nest

    quen 1975 que jai eu mon fils,prmatur de 7 mois. Archives

    de lObservatoire desarmements.

    28. Procs-verbal de la runion

    du 13 janvier 1966 de lacommission consultativecharge dtudier les problmesde scurit technique des essais

    nuclaires, Ministredes armes

    n 0129/DIR.CEN/OPS/Sdu 5 fvrier 1966.

    Enfan%$ de$ ancien$ %#a'aille$ e% mili%ai#e$ de M#a

    Les 2 464 anciens travailleurs de Moruroa inscrits sur les listes de lassociation Moruroa e

    tatou ont dclar avoir eu 9 608 enfants, parmi lesquels 130 sont dcds la naissanceou avant lge de 1 an. On peut lgitimement comparer cette mortalit infantile celle dela mtropole qui est de 3,5 dcs denfant de moins de 1 an pour 1 000 naissances vivantes.En effet, les autorits franaises ne cessent de proclamer que la Polynsie franaise a atteintle niveau de vie des pays dvelopps.

    Si lon sen tient au taux de mortalit infantile de la mtropole, les dcs attendus pour les9 608 enfants danciens travailleurs polynsiens, auraient d tre autour de 33,6 dcs. Oravec 130 dcs denfants, la mortalit infantile dans les familles danciens travailleurs estde 13,5 dcs pour 1 000 naissances vivantes, soit prs de 4 fois plus que dans les famillesde mtropole et prs du double de celle de la Polynsie franaise en 2014 25.

    Ltude du docteur Jean-Louis Valatx, ancien prsident de lAssociation des vtrans des

    essais nuclaires, datant de 2008, montre que 18,8 % des compagnes et pouses desvtrans ont eu une ou plusieurs fausses couches. Portant sur 1 800 questionnaires, 32,9 %des rpondants ont dclar navoir pas eu denfants, 25 % signalant leur strilit. Lamortalit infantile est considrable parmi les 3 022 enfants dclars : le docteur Valatx arecens un taux de 25 dcs denfants de moins de 1 an pour 1 000 enfants vivants 26.

    Les consquences des contaminations ou irradiations sur lhrdit taient connues desmdecins militaires ds le dbut des essais de la France en 1960, puisque certains vtranstmoignent que les mdecins militaires leur recommandaient lissue de leur service au Centresaharien dexprimentation militaire (Reggane) de ne pas chercher avoir denfants dans lesprochaines annes27. Les risques gntiques lis aux retombes radioactives sur les populationsdes les polynsiennes des Gambier sont explicitement voqus par le colonel Aeberhardt,

    mdecin militaire et directeur du SMCB, lors de la runion prparatoire aux essais en Polynsierassemblant Paris toute la hirarchie civile et militaire engage dans le programme des essais.Le colonel Aeberhardt notait les caractristiques propres la population des Gambier impliquant un risque gntique plus lev que pour une population europenne de mmeimportance et que des normes trs strictes devaient tre observes justifiant une interdictionde tir lorsque les prvisions de retombes menacent les Gambier, Reao ou Tureia28 .

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    P alle# !l&$ lin, l.Ob$e#'a%i#e a !&bli+-

    Essais nuclaires franais :

    lhritage empoisonn,Bruno Barrillot

    320 pages, 2012,22 euros (port compris)

    Victimes des essais nuclaires

    franais, histoire dun combat,Bruno Barrillot

    prface de Christiane Taubira200 pages, 2010,18 euros (port compris)

    Ouvrages disponibles lObservatoire des armements, 187 monte de Choulans, 69005 Lyon

    Victimesdesessaisnuclaires :

    histoireduncombat

    BrunoBarrillot

    OObbsseerrvvaattoo ii rreeddeessaarrmmeemmeenntts

    s

    Prfacede

    ChristianeTaubira

    Victimesdesessaisnuclaires :

    histoireduncombat

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    29. Code de la dfense,article R2311-6 : Dans les

    conditions fixes par le Premierministre, les informations etsupports classifis au niveau

    Secret-Dfense ou Confidentiel-

    Dfense, ainsi que les modalitsdorganisation de leurprotection, sont dtermins par

    chaque ministre pour lesadministrations et les

    organismes relevant de sondpartement ministriel.

    30. Service mixte de contrlebiologique et Service mixte

    de scurit radiologique

    31. Bruno Barrillot, Qualifierles atteintes aux droits des

    victimes des essais nuclaires, in Quelle justice pour les

    victimes des essais nuclaires ?,Observatoire des armements,

    septembre 2007.

    32. Notamment : Proposition

    de rsolution tendant crerune commission denqute

    parlementaire sur lesconsquences des essais

    nuclaires franais de Mururoasur lenvironnement,

    Assemble nationale 4 juin1987 ; Proposition de

    rsolution tendant crer unecommission denqute

    parlementaire sur lesconsquences des essais

    nuclaires de Mururoa et leursrpercussions sur les tres

    humains et lcosystme delatoll, Snat

    27 janvier 1994 ; Propositionde rsolution tendant crer

    une commission denqute surles consquences sanitaires etenvironnementales des essaisnuclaires mens en Polynsiede 1966 1996, sur la sant

    des populations exposes et surlenvironnement, Snat,

    9 mars 2006.

    D+$igne# le$ #e$!n$able$ :

    "&e n&l ne !&i$$e di#e "&.il ne $a'ai% !a$

    De nombreux documents attestent que les autorits militaires, scientifiques, mdicales etpolitiques qui avaient la responsabilit du programme dessais nuclaires franais taientparfaitement informs non seulement des risques sanitaires pour les personnels civils etmilitaires des essais, pour les populations du Sahara et de la Polynsie, mais aussi desconsquences transgnrationnelles des irradiations et contaminations provoques par lesessais nuclaires. Les mdecins militaires et le Service de sant des armes qui ont ttmoins pendant 30 ans des faits cits dans ce rapport ont failli leur engagement du

    serment dHippocrate : Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volont,sans aucune discrimination selon leur tat ou leurs convictions. Jinterviendrai pour les protgersi elles sont affaiblies, vulnrables ou menaces dans leur intgrit ou leur dignit. Mme sousla contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de lhumanit. Onpeut considrer quils sont les premiers responsables en ce sens quils auraient d alerterleurs autorits suprieures.

    La communication hirarchique des informations dans linstitution militaire a tmanifestement dfaillante et fautive pour alerter les plus hautes autorits militaires et civileset leur permettre de prendre les mesures indispensables de protection des personnels, despopulations et de leurs descendants. Mais du ct de ces hirarchies, la raison dtat tait invoque pour refuser dentendre ou de prendre connaissance de toute informationqui entraverait le droulement du programme dessais nuclaires. On apposaitimmdiatement le secret au moindre incident de tir, on estampillait du tampon secretdfense 29 tout rapport sur les retombes radioactives pourtant soigneusement mesures.Des services dits scientifiques 30 dvous la dfense des programmes nuclairescamouflaient sans vergogne les niveaux de contamination des produits alimentaires quilaurait fallu dclarer impropres la consommation. Quand ils ne falsifiaient pas les mesures,ils concluaient que les rsultats taient conformes la rglementation. On niait les atteintesaux enfants malgr lvidence, prtextant quil sagissait de cas isols. Les documentsrcemment dclassifis en 2012 et 2013, qui comportent pourtant de nombreuses pages blanches , attestent lampleur de cette entreprise de dsinformation organise depuis ledbut des essais. Les ministres de la dfense de toute cette priode des essais nuclairesportent lentire responsabilit de ce dvoiement de la vrit.

    Dans ces conditions, les plus hautes autorits durent recourir des dclarationsmensongres et des dngations qui ne font pas honneur notre dmocratie. Lapropagande honte sur les essais propres fut orchestre par les prsidents de laRpublique jusquaux ministres de la dfense et aux cadres militaires. Tous ces faits devraientsuffire incriminer tous ceux qui ont, de haut en bas de la hirarchie, cach la vrit.Dpose au Ple sant du tribunal de grande instance de Paris en 2003, la plainte contre Xdes associations de victimes de Polynsie et de France permettant dincriminer lesresponsables des essais en est toujours linstruction en 2016. La plupart des auteurs des essais nuclaires rcusent lintention davoir fait le mal. Bien au contraire, ils affirmentagir pour la sauvegarde de la paix et ils dclarent ngligeables les consquences humainesde leurs expriences. Ils nen ressentent aucune culpabilit. Tout au plus lorsquun doute

    effleure leur conscience, se rfugient-ils derrire le secret militaire pour tenter de cacherles interrogations de quelques-uns dentre eux contemporains des faits31. Toutes lesdemandes de commissions denqute parlementaire sur les essais nuclaires ont trejetes32. Seul, un rapport de lOffice parlementaire dvaluation des choix scientifiques ettechnologiques a conclu propos des consquences des essais franais qu on peut

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    33. Rapport sur les incidencesenvironnementales et sanitaires

    des essais nuclaires effectuspar la France entre 1960 et1996 et lments de

    comparaison avec les essais desautres puissances nuclaires,

    de M. Bataille, dput etM. Revol, snateur, OPECST,

    5 fvrier 2002, p. 215.

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    Nmme# le$ #e$!n$able$

    Les mdecins militaires ou civils en charge du contrle biologique ou radiologiqueMdecin gnral Aeberhardt, 1964, chef du SMCBMdecin en chef Le Guen, 1971, chef du SMCBMdecin en chef Furher, 1972, chef du SMCBMdecin en chef Perrault, 1981, chef du SMCBPharmacien en chef Ducousso, 1987, chef du SMCBMdecin en chef Trguier, 1991, chef du SMCBColonel Andr, 1965, chef du SMSRM. Lavie, 1974, chef du SMSRM. Wursthorm, 1976, chef du SMSRColonel Larzul, 1980, chef du SMSRM. Bardolle, 1981, chef du SMSRColonel Blanc, 1983, chef du SMSRM. Martin, 1994, chef du SMSRBMdecin en chef Payen, 1996, chef du SMSRB

    Les ministres de la dfense de la priode des essais

    Pierre Guillaumat (1959-1960)Pierre Messmer (1960-1969)Michel Debr (1969-1973)Robert Galley (1973-1974)Jacques Soufflet (1974-1975)

    Yvon Bourges (1975-1980)Jol Le Theule (1980)Robert Galley (1980-1981)

    Charles Hernu (1981-1985)Paul Quils (1985-1986)

    Andr Giraud (1986-1988)Jean-Pierre Chevnement (1988-1991)Pierre Joxe (1991-1993)Charles Millon (1995-1997)

    Les prsidents de la Rpublique

    Charles de Gaulle, 1958-1969, 30 essaisGeorges Pompidou, 1969-1974, 21 essais

    Valery Giscard dEstaing, 1974-1981, 55 essaisFranois Mitterrand, 1981-1995, 98 essais

    Jacques Chirac, 1995-2007, 6 essais

    Les prsidents, ministres de la dfense et chefs du suivi des essais nuclaires aprs larrt dfinitifdes essais nuclaires en 1996 portent, eux aussi, la responsabilit du ngationnisme en couvrantou affirmant le faux prtexte du risque ngligeable des expriences atomiques franaises.

    considrer que ces effets ont t limits, mme si 40 ans plus tard, des hommes se plaignentdhypothtiques effets sur leur sant33 . Les dirigeants politiques de la France portent, en

    dfinitive, la responsabilit globale de cette entreprise meurtrire en ce sens quils ont, selonlarticle 121-3 du Code pnal, soit viol de faon manifestement dlibre une obligationparticulire de prudence ou de scurit prvue par la loi ou le rglement, soit commis une fautecaractrise et qui exposait autrui un risque dune particulire gravit quelles ne pouvaientignorer. u

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    Le$N%e$del.Ob$e#'a%i#e

    Observatoire des armements, 187 monte de Choulans 69005 LyonCourriel : [email protected] Internet : www.obsarm.org Twitter : @obsarm

    Smmai#e

    Ces enfants qui ne sont pas ns ...................................................................................................................... 2

    Verrouillage du Service de sant des armes ........................................................................................... 2

    Les enfants de Rongelap ...................................................................................................................................... 3

    Hcatombe infantile Mangareva ................................................................................................................ 5

    Naissances anormales au temps des essais ............................................................................................... 6

    Contamination des nourrissons polynsiens ............................................................................................ 7

    Les enfants cobayes de Tureia............................................................................................................................ 7

    Contamination des enfants de Tureia en 1971 ...................................................................................... 8

    Tumeurs crbrales des enfants polynsiens......................................................................................... 10

    Enfants des anciens travailleurs et militaires de Moruroa .............................................................. 11

    Dsigner les responsables : que nul ne puisse dire quil ne savait pas ...................................12

    Nommer les responsables................................................................................................................................. 13

    Les Notes de lObservatoire n 4 fvrier 2016

    Le$ N%e$ de l.Ob$e#'a%i#e

    Victimes des essais nuclaires : la rforme de la loi Morin en panneBruno Barrillot n 1, fvrier 2015 4 pages (4 )

    Le point sur les blocages de la loi Morin de reconnaissance et dindemnisation desvictimes des essais nuclaires de 2010 suite sa rforme de fin 2013.

    Transferts darmement : pour un contrle parlementaire effectif

    Patrice Bouveret & Tony Fortin n 2, septembre 2015 11 pages (6 )

    loccasion du vote au Parlement sur lannulation du contrat dexportation desbtiments Mistral la Russie, une interpellation des dputs et des snateursdouvrir la voie leur implication dans un contrle dmocratique des transfertsdarmes de la France.

    Drone tactique : la France sous influence

    Aziza Riahi n 3, novembre 2015 18 pages (8 )

    Deux socits ont rpondu lappel doffres du ministre de la Dfense pourremplacer le systme de drone tactique : Thales avec le Watchkeeper et Sagem avecle Patroller. Problme : ces deux socits ont pu proposer leur appareil grce laccord quelles ont nou avec lentreprise isralienne Elbit soupconne de violationdu droit international. Ce qui pose question.

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