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    ENTRE FANTASMES, SCIENCE ET POLITIQUEL'entre des ?ryas en IndeGrard FussmanEditions de l'E.H.E.S.S. | Annales. Histoire, Sciences Sociales

    2003/4 - 58e anne

    pages 781 813

    ISSN 0395-2649

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-annales-2003-4-page-781.htm

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    Pour citer cet article :

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    Fussman Grard, Entre fantasmes, science et politique L'entre des ?ryas en Inde,

    Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2003/4 58e anne, p. 781-813.

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    Entre fantasmes, science et politique

    Lentre des Aryas en Inde

    Grard Fussman

    Il nexiste probablement pas dindividu qui ne se soucie de savoir au moins lenom de ses anctres proches, pas de groupe humain qui ne sintresse ses origines.Ds les plus anciens textes ou inscriptions que nous possdons, les individus se

    dfinissent ou se positionnent par rapport leurs anctres. Les peuples de langueindo-europenne ne font pas exception la rgle. Deux dentre eux possdaientmme des formations grammaticales spcifiques indiquant lanctre dun individu :le suffixe-eidesen grec, qui permet de savoir instantanment que les Atrides sontles descendants dAtre et les Achmnides ceux dAkhaimenes ; lallongementde la voyelle initiale, ouvrw ddhi,ventuellement complt par une suffixation en-a,qui permet en sanskrit de savoir immdiatement que les Bharata descendent deBharata et les Paurava de Puru1. Nos modernes noms de famille remplissentla mme fonction didentification de lindividu par ses anctres. Il nen va pas

    Cet article est issu dides changes lors du sminaire organis au Collge de Franceen janvier 2001 par Jean Kellens et Grard Fussman avec la participation, entre autres,de Henri-Paul Francfort, Xavier Tremblay et Michael Witzel. Voir GRARDFUSSMAN, Les Aryas en Asie centrale, en Iran et en Inde ,Annuaire du Collge de France, 2000-2001, pp. 733-758. Je dois H.-P. Francfort de prcieuses rfrences bibliographiques.1 - Les langues iraniennes possdent de multiples moyens dexprimer lhrdit ou ladescendance par drivation, par exemple le suffixe vieux-perse -iya (Haxamanisiya, achmnide), qui a galement dautres usages. En sanskrit rcent, la drivation envrw ddhia aussi servi dnoter une appartenance religieuse : un vaisw nw ava est un dvotde Visw nwu.

    Annales HSS, juillet-aot 2003, n4, pp. 781-813.

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    autrement pour les groupes humains qui, tous, ont ou se forment une ide de leurpass, si vague ou invraisemblable quelle puisse parfois nous paratre. Par lesmythes dorigine, lpope, et depuis peu, dans quelques pays seulement, parlhistoire, les groupes humains tiennent senraciner dans le pass. Lantiquitcompte moins que lorigine. Quand on ne la connat pas, on linvente, on limagine,

    on la recre sur le mode pique. Nous avons vcu cela au XIXe

    sicle et dansla premire moiti du XXe sicle avec la rinvention des Germains, anctres desAllemands, et des Gaulois, anctres des Franais. Lpope (conqute de lOuestou guerre dindpendance) remplit souvent ce rle dans les pays plus jeunes.

    Ce souci des origines vraies ou fictives a de bons cts. Il est source dinspira-tion pour les crivains et scnaristes. Il permet le financement des fouilles archo-logiques et la conservation des vestiges du pass. Il procure un gagne-pain auxgnalogistes professionnels et aux historiens. Il contribue au succs des sons etlumires, des dfils folkloriques et des reconstitutions historiques pour touristes.Mais les mythes dorigine servent aussi des idologies qui font parfois regretter

    que lhomme se tourne si souvent vers son pass. Toutes les religions ont leurprophte ou leur fondateur, leurs guerres aussi. La rfrence aux origines justifieles hirarchies sociales et leur perptuation, lhrdit des fonctions, la permanencedes systmes politiques. Elle sert dargument aux particularismes, aux spara-tismes, aux nationalismes, au racisme enfin. Les Professeurs Nimbus que noussommes ont parfois tendance oublier que ltude du pass des peuples, si utileet passionnante quelle soit, peut tre dvoye et servir justifier des fantasmesou des pratiques politiques rpugnantes. Le cas dcole le plus connu est celui dupangermanisme et du nazisme, qui reprirent leur compte le concept darya laborau XIXe sicle par des savants qui nimaginaient pas lusage qui pouvait en tre

    fait. Malgr les mises en garde mthodologiques lances depuis plus dun siclepar beaucoup de spcialistes, malgr lutilisation qui en fut faite par les idologuesdu nazisme, le mot indo-europen et son prtendu synonyme aryen conti-nuent exercer une fascination en Europe. On a vu ainsi paratre en France desmanuels concernant ces sujets2. En Grande-Bretagne, Colin Renfrew publia surce sujet un livre iconoclaste3 qui, malgr lavis dfavorable presque unanime des

    2 - On citera par exemple ANDR MARTINET, Des steppes aux ocans. LIndo-Europenet les Indo-Europens , Paris, Payot, [1986] 1994, vieilli ds sa parution ; BERNARDSERGENT,Les Indo-Europens. Histoire, langues, mythes, Paris, Payot, 1995, bien informmais parfois approximatif. La production scientifique la plus abondante ces dernierstemps, lune des plus intressantes aussi, bien que souvent difficile daccs, est cellede Franoise Bader dont on citera seulement ici : FRANOISEBADER(dir.),Langues indo-europennes, Paris, CNRS, 1994.3 - COLINRENFREW,Archaeology and Language. The Puzzle of Indo-European Origins, NewYork, Cambridge University Press, [1987] 1988 (trad. fr. : Lnigme indo-europenne :archologie et langage, Paris, Flammarion, 1990). Voir ce sujet, entre autres, la discussionmene dansAntiquity, 236-62, 1988, pp. 562-595 et 607-609, et le rsum de la contro-verse dans WOLFGANG MEID, Archologie und Sprachwissenschaft, Kritisches zu neuerenHypothesen der Ausbreitung der Indogermanen, Innsbruck, Institut fr Sprachwissenschaft7 8 2

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    spcialistes et en particulier des linguistes , lui valut une grande clbrit etmme le titre de Sir. Les tats-Unis ne sont pas en reste, o le trs srieuxJournalof Indo-European Studiesaccrot son tirage et o le magazineNewlookpublia un trslong et morbide reportage sur les momies dites tochariennes dcouvertes dans lessables du Xinjiang4. Il nest jusquaux gnticiens qui ne se piquent de reconstituer

    lexpansion des peuples de langue indo-europenne5

    .Une partie des dbats et controverses concerne le peuplement de lEuropede lOuest. Mais les discussions les plus vives, me semble-t-il, portent sur le peu-plement de lIran, de lAsie centrale ex-sovitique et de lInde au IIe millnaireavant notre re, en particulier parce quil faut intgrer dans les vieux schmas lesdcouvertes archologiques faites au cours des trente dernires annes au Turkm-nistan, en Ouzbkistan mridional et en Bactriane afghane. On ne peut se passer,mme dans un article destin des non-spcialistes, demployer des termes tech-niques. Je les dfinirai plus loin. Il suffit de dire pour linstant que le mmesujet donne lieu deux types de discussions impliquant des personnalits trs

    diffrentes, partant de prmisses incompatibles les unes avec les autres et mettanten jeu des mthodes divergentes. Le lien entre ces deux sries de discussionsnest tabli que par quelques indianistes occidentaux et quelques savants indiens,plus rares encore, forms loccidentale.

    La premire srie de discussions oppose et runit une vingtaine de savantsoccidentaux (ex-sovitiques, franais, britanniques, amricains), souvent trs rputs,et est suivie avec plus ou moins dattention par tous les spcialistes de lhistoire

    der Universitt Innsbruck, Beitrge zur Sprachwissenschaft-43 , 1989, pp. 18-20 et29-39. Depuis, les uns et les autres ritrent leur position, sans grand changement, decolloque en colloque.4 - Le reportage a t repris en France :Newlook, 141, 1995, pp. 46-53, avec ce curieuxtitre: Ces momies qui font trembler la Chine, ainsi comment: Parfaitementconserves, ces dpouilles ont les traits des peuples dEurope : lvres fines, nez long,crne allong, teint clair et cheveux blonds. A` Pkin, la nouvelle branle le pouvoir etsa propagande, base sur la puret de la civilisation chinoise. Depuis, la Chine doutedelle-mme. En fait, lhistoriographie chinoise sait parfaitement que le Xinjiang at conquis sur les Barbares et nous a transmis avec fiert les dtails de cette conqute.Ce commentaire exprime les fantasmes des rdacteurs amricano-europens deNewlookqui rvent dtendre jusqu la Chine les conqutes des Aryens aux yeux bleus et auxcheveux blonds. Je crains que les mmes fantasmes nexpliquent en partie lintrtsoutenu manifest par certains archologues pour ces momies. On aura une ide dudbat en cours en consultant lexcellent ouvrage de VICTORH. MAIR(d.),The BronzeAge and Early Iron Age Peoples of Eastern Central Asia, 2 vols, Washington, Institute forthe Study of Man Inc.(sic), 1998 (Journal of Indo-European Studies, Monograph-26, Actesdu colloque tenu Philadelphie, Universit de Pennsylvanie, en avril 1996). Voir aussiVICTORH. MAIRet JAMESP. MALLORY,The Tarim Mummies. Ancient China and the Mysteryof the Earliest Peoples from the West, Londres, Thames and Hudson, 2000.5 - Le nom le plus connu est celui de Luigi Luca Cavalli-Sforza : LUIGILUCACAVALLI-SFORZA, PAOLO MENOZZI et ALBERTO PIAZZA, History and Geography of Human Genes,Princeton, Princeton University Press, 1994 (en franais :Gnes, peuples et langues, Paris,Odile Jacob, 1994). Pour le grand public : L.L. CAVALLI-SFORZA, Qui sommes-nous?,Paris, Flammarion, 1997. 7 8 3

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    de lEurope du Sud, de lIran, de lAsie centrale ex-sovitique et de lInde du NordauxIIIe etIIe millnaires avant notre re. Les prjugs raciaux en sont apparemmentabsents. Le nationalisme ny intervient que trs secondairement, dans la prf-rence donne aux sites du pays o lon travaille et aux opinions des savants quelon frquente le plus. Les participants cette discussion considrent en gnral

    comme admis que le berceau original des populations de langue indo-europennese trouvait en Russie du Sud et que la civilisation de lIndus (Harappa, Mohenjo-Daro, etc.) est, pour lessentiel, antrieure lapparition au sud de lHindou-Kouchdes groupes parlant des langues indo-europennes ; que le problme est donc dedterminer o se trouvait lhabitat des Indo-Iraniens avant leur sparation et, par-tant de l, de retracer les routes suivies par eux pour pntrer en Iran et en Indeen essayant de comprendre les rapports quils ont pu avoir avec les populationsrencontres lors de ces prgrinations gnralement dates du IIe millnaire avantnotre re. Le dbat met en jeu une norme littrature scientifique que personnene domine entirement, parce que parfois elle est trs technique : linguistique

    compare, datation et comprhension de lAvesta et du Rig-Veda, interprtationde trs nombreuses et souvent rcentes trouvailles archologiques. Une partie decette documentation nest pas traduite en anglais (fouilles publies en langue russe,traductions franaise et allemande du Rig-Veda, traduction franaise de lAvesta,etc.).

    La seconde srie de discussions oppose une poigne de savants indiens,souvent gs, forms loccidentale et considrs par leurs collgues occidentauxcomme tant au moins leurs gaux, ce qui est en passe de devenir lopinio commu-nis dune majorit dIndiens hindous rsidant en Inde ou travaillant aux tats-Unis. Elle se droule dans la presse et ldition populaire indiennes ainsi que dans

    les forums sur linternet. Elle est, pour les rvisionnistes , dinspiration nettementreligieuse, nationaliste et mme raciste. Elle va trouver son expression dans lesmanuels scolaires, dont lactuel gouvernement nationaliste indien a ordonn larvision. Les hindous nationalistes qui ont relanc la controverse ces derniresannes partent de lide que le sanskrit na pas t apport en Inde par des popula-tions dorigine indo-europenne, quil y est autochtone et, pour certains, dessenceternelle ; quon le parlait dans les villes de lIndus et que la quasi-totalit deslangues indiennes contemporaines en drivent ; que la vue contraire nest quunefiction des colonialistes occidentaux. La documentation utilise par ces rvision-nistes est linterprtation indienne traditionnelle du Rig-Veda, diffrente sur

    beaucoup de points des interprtations occidentales, et lanalyse des fouilles, sou-vent peu ou mal publies, des cits de lIndus. La littrature occidentale rcenteest en gnral ignore et considre comme ne pouvant et ne valant pas la peinedtre consulte ds quelle est crite dans une langue autre que langlais.

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    Donnes de base

    On appelle indo-europennes (i-e) un ensemble de langues dont on peut dmon-trer quelles reprsentent un tat ancien ou prsent dun parler, ou dun groupe

    de parlers trs semblables, duIIIe

    millnaire avant notre re. Cette dsignation estidologiquement neutre : elle rsulte de la constatation que les langues identifiescomme indo-europennes la fin du XVIIIe sicle taient principalement parlessur un espace stendant de lInde lEurope6. Beaucoup dauteurs allemandsprfraient lexpression indo-germanisch , un peu plus prcise puisque leslangues indo-europennes parles lextrmit occidentale de cet espace appar-tiennent au groupe germanique. Lutilisation faite par les nationalistes allemandsde cet adjectif fait que beaucoup de savants allemands utilisent maintenant indo-europisch . Ladjectifarischest, pour les mmes raisons, totalement abandonn.Le mot avait t forg partir de lindo-iranienarya,airiia(cf.infra), longtemps

    considr comme tant le nom que se donnaient les locuteurs de langues indo-europennes.Lappartenance dune langue au groupe indo-europen nest pas fonction de

    la date laquelle elle a t pour la premire fois atteste : lafro-amricain est unelangue indo-europenne tout comme lourdou sur-arabis de la radio pakistanaiseou le kati du Nouristan afghan. Mais plus une langue est atteste anciennement,plus longs sont les textes qui en subsistent et plus la dmonstration de son apparte-nance au groupe indo-europen est convaincante. Cette dmonstration repose surla constatation de la prsence dans cette langue de sries de dtails particuliersdont lexistence ne peut tre attribue ni lemprunt ni des concidences. Les

    plus significatifs de ces dtails appartiennent la morphologie et la syntaxe,moins sujettes lemprunt que le vocabulaire. Lanalyse de la structure phontiquedes mots et tournures reconnus comme indo-europens permet dtablir destableaux de correspondances, rarement contests, partir desquels phonticienset phonologues restituent le systme phonologique dun tat plus ancien, nonattest, dit proto-indo-europen (PIE). Ces restitutions comportent une part dhypo-thse, do lexistence de divergences, parfois notables, entre spcialistes. Ladcouverte dun nouveau document permet parfois de vrifier ou de contredirelune de ces hypothses.

    Le rapport des langues indo-europennes entre elles et au proto-indo-

    europen est estim de faon plus intuitive. La part dincertitude reste grande,mme si les linguistes utilisent depuis trs longtemps les principes de la modernecladistique et distinguent entre ressemblances provenant dun hritage commun,donc non significatives dune proximit, et ressemblances attribuables des inno-vations communes, donc rvlatrices de lappartenance un mme sous-groupe

    6 - La colonisation europenne les a depuis rpandues partout dans le monde : lespagnoldes Philippines est aussi i-e que celui de Castille. 7 8 5

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    ou famille7. Ces rapports sont graphiquement exprims sous forme de schmas quitraduisent sous une forme visuelle simplifie des discussions complexes et desapprciations nuances. La plupart des linguistes ont aujourdhui abandonn leschma en arbre (gnalogique), prfr au XIXe sicle mais ncessairement fauxpuisquil ne peut pas tenir compte des langues dont il ne reste aucun tmoin, ni

    de la complexit des rapports entre langues proches (emprunts, fusions, etc.)8

    . Leproblme est que les schmas en arbre sont parfois utiliss tels quels par des non-spcialistes (archologues, historiens) qui les prennent pour des reprsentationscartographies de la ralit.

    Les langues sont parles par des hommes. Mais les cartes linguistiques neconcident jamais avec les cartes de populations parce que des langues disparais-sent, des populations changent de langue et dautres disparaissent. Des descen-dants dIbres, de Wisigoths, de Vandales et de Basques ont ainsi apport enAmrique centrale un avatar de la langue de la Rome ancienne (lespagnol). SiIbres, Wisigoths et Vandales ntaient pas mentionns par les historiens latins,

    nous nen saurions rien. Lavertissement se trouve dans tous les manuels de linguis-tique historique. Il est rgulirement nglig par les historiens.Des peuples qui parlaient des langues i-e, nous savons ce que leurs textes

    nous en disent, quand nous les comprenons. Or nous comprenons mal les plusanciens de ceux-ci, soit quils aient t mal transmis (lAvesta ancien), soit quilsaient t rdigs de faon volontairement nigmatique (le Rig-Veda). Il est detoute faon difficile un homme du XXIe sicle dimaginer comment pouvaientvivre et surtout penser un prtre ou un guerrier du IIIe millnaire avant notre re.Paul Veyne disait dj que les Romains taient pour nous des personnages exo-tiques. A` plus forte raison, leurs (nos) anctres qui parlaient le PIE ou lune de

    ses varits. De leur vie sociale et matrielle, on sait en fait trs peu de choses,uniquement ce que nous en dit le vocabulaire par hasard conserv dans plusieursfamilles de langues. Les pertes ont t trs importantes. La dcouverte du hittite, ledchiffrement du mycnien nont pas ajout grand-chose aux trente-quatre pages,pourtant anciennes, dAntoine Meillet9. Les analyses dmile Benveniste ont enoutre montr quel point les faits de vocabulaire pouvaient tre trompeurs 10.

    7 - RALPHL. TURNER, The Position of Romani in Indo-Aryan ,Collected Papers 1912-1973, Londres, Oxford University Press, 1975, pp. 253-254 (originellement paru dansJournal of the Gypsy Lore Society, V-4, 1926, pp. 145-189), superbe expos dune pratiquebien antrieure.8 - Voir par exemple Xavier Tremblay dans G. FUSSMAN, Les Aryas... , art. cit.,pp. 740-745. Les palontologues font aujourdhui de mme pour les mmes raisons.On trouvera un synopsis des divers schmas proposs dans lexcellent livre de JAMESP. MALLORY, In Search of the Indo-Europeans, Language, Archaeology and Myth , Londres,Thames and Hudson, [1989] 1991, pp. 18-21 (trad. fr. :Ala recherche des Indo-Europens.Langue, archologie, mythe, Paris, Le Seuil, 1997).9 - ANTOINE MEILLET,Introduction ltude comparative des langues indo-europennes, Paris,Hachette, [1903] 1922, reprint Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1969, pp. 384-417.1 0 - MILEBENVENISTE,Le vocabulaire des institutions indo-europennes, 2 vols, Paris, di-tions de Minuit, Le sens commun , 1969.7 8 6

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    Les tudes de Georges Dumzil donnent au public franais limpression quelon en sait par contre beaucoup sur les structures de pense. G. Dumzil nendisait pas autant, lui qui, faute de pouvoir restituer un vocabulaire religieux proto-indo-europen (on ne reconstitue mme pas le panthon), restituait des structuresque beaucoup de spcialistes, en dehors et lintrieur de nos frontires, contes-

    tent. On est en terrain plus solide avec la dcouverte quil existait des profession-nels de la posie utilisant des formules hrites et des procds de compositionassez semblables. On a beaucoup progress dans ce domaine depuis une trentainedannes11. Mais les rsultats, parfois un peu hypothtiques, de ces belles tudesportent peu sur la culture matrielle et ne peuvent tre exploits par lesarchologues.

    Le rsultat est que, les crnes ne parlant pas et les analyses gntiques nepouvant produire que des hypothses indmontrables12, il nexiste aucun critrefiable permettant didentifier archologiquement une population de langue p-i-eou ayant parl une langue i-e dont on na pas de tmoignage ancien (le lituanien ou

    le prasun dAfghanistan par exemple). On peut aller plus loin dans laffirmation :il nexiste pas de critre fiable permettant didentifier de faon certaine les restesdes locuteurs de lavestique, du sanskrit vdique et mme du latin archaque.Nanmoins, depuis le dbut du XIXe sicle, les Occidentaux saccordent placerlhabitat du (des) peuple(s) de langue p-i-e en Europe centrale ou orientale, plusrarement en Scandinavie, en tout cas pas en Iran, ni en Inde. Lhypothse avaitpourtant t envisage au dbut du XIXe sicle quand le Rig-Veda passait pour letexte i-e le plus ancien et le sanskrit pour la langue i-e la plus archaque (cequi pour beaucoup, tort, tait synonyme de plus ancienne). Les arguments quimilitent en faveur dun habitat europen sont des analyses de vocabulaire, contes-

    tables et contestes13

    , et le fait que la dispersion des langues i-e sexplique plusfacilement si le point de dpart tait europen. Mais lon nest pas forc de croireque lexplication la plus simple soit la plus vraisemblable, ni que la plus vraisem-blable soit lexplication vraie.

    On appelle indo-iranien un groupement dont sont issues trois languesanciennes historiquement attestes, les langues dites iraniennes de lAvesta et desinscriptions vieux-perses, qui partagent quelques innovations communes, et lalangue dite indienne du Rig-Veda. La langue et la phrasologie de lAvesta et duRig-Veda sont si proches que ces deux textes sexpliquent souvent lun par lautre.

    1 1 - RUDIGERSCHMITT,Dichtung und Dichtersprache in indogermanischer Zeit, Wiesbaden,Otto Harrassowitz, 1967. FRANOISEBADER,La langue des dieux ou lhermtisme des potesindo-europens, Pise, Giardini, 1989, et de nombreux articles, par exemple Homre etlcriture ,Verbum, X-1, 1988, pp. 209-231. CHARLES DELAMBERTERIE, Grec hom-rique MY : tymologie et potique ,Lalies, III, 6, 1988, Universit Paris, pp. 129-138. CALVERT WATKINS, How to Kill a Dragon: Aspects of Indo-European Poetics , NewYork-Oxford, Oxford University Press, 1995.12 - Gabriel Gachelin et Vronique Barriel, dans G. FUSSMAN, Les Aryas... , art. cit.,pp. 751-754.13 - Voir par exemple la mise au point de W. MEID,Archologie und Sprachwissenschaft...,op. cit., pp. 14-17. 7 8 7

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    On peut donc considrer lexistence du groupe indo-iranien comme assure. Lestextes conservs manent de gens qui se qualifiaient darya(skt),airiia (avestique).On appelle indo-aryennes (i-a) les langues de lInde qui remontent aux parlers desAryas, ce qui permet de les distinguer des langues indiennes non indo-europennescomme le tamoul, qui appartient au groupe de langues dites dravidiennes, cest-

    -dire du sud (de la pninsule). A` lexception de quelques langues (relativement)tard venues comme larabe ou le turc, les langues parles sur le territoire de lIrancontemporain remontent toutes aux parlersairiia. On se dispense donc en gnralde les qualifier dirano-aryennes, expression plus exacte mais perue comme redon-dante : toutes les langues iraniennes sont irano-aryennes. Certaines nont jamaist parles sur le territoire de lIran contemporain (scythe, khotanais, etc.), lIrandes linguistes tant beaucoup plus vaste que celui de la Rpublique islamiqueiranienne de mme que lInde des linguistes et historiens de lAntiquit est plusvaste que la Rpublique indienne puisquelle englobe, entre autres, le Pakistanet toute la partie sud de lAfghanistan.

    Larchologie de lEurope centrale et occidentale

    Ds le moment o est apparue la notion de langues indo-europennes, les savantsont cherch comprendre le mcanisme de leur dispersion, dterminer lpoqueo elles taient indivises et le lieu o elles taient alors parles. Les spcialistesde palolinguistique ont ainsi tent de situer sur la carte, toujours trs grandechelle, lhabitat p-i-e partir danalyses de vocabulaire contestes car les signi-fiants peuvent changer de signifi et de toponymes, contestables galement car

    les migrants transportent avec eux les noms des lieux avec lesquels ils ont desliens affectifs14. Prise dans cette acception (recherche de lhabitat originel), la palo-linguistique est reste une discipline assez peu pratique bien que ses rsultatsaient t trs diffuss. Les linguistes indo-europanistes ont suffisamment faireavec les langues i-e pour sen tenir dsormais la seule linguistique. Instruits parles checs et lexploitation de certaines de leurs hypothses par les pangermanisteset les nazis, ils sont aujourdhui prudents. Il est rare quils passent de lindo-europen (groupe de langues) aux Indo-Europens (populations parlant ceslangues) et, quand ils sy risquent, leurs Indo-Europens sont souvent dsincarns :physique inconnu, habitat inconnu, mode de vie vaguement restitu.

    14 - On trouvera dans la littrature spcialise de nombreux exemples de ces discussions(voir note prcdente). Les noms de plantes et danimaux, par exemple, ont aujourdhuiun sens prcis, invariable parce quenglob dans le rseau serr des classifications lin-nennes. Ils avaient un sens tout aussi prcis pour les populations de langue p-i-e, maisles principes de classification et de reprage tant tout autres, ils ont pu tre attribusau cours des temps des ralits qui, lpoque, paraissaient semblables et qui pournous sont trs diffrentes. Pour les noms de lieux, il suffit de penser aux toponymeseuropens transplants par la colonisation, ds le XVIe sicle, en Amrique, en Afriqueet en Asie. Voir W. MEID,Archologie und Sprachwissenschaft..., op. cit., pp. 16-17.7 8 8

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    Les archologues se trouvent devant un problme beaucoup plus difficile.Ils exhument depuis le XIXe sicle en Allemagne, en Europe centrale, dans lesBalkans, en Russie des cultures qui nont laiss aucun tmoignage crit, doncaucune indication sur la langue des communauts dont elles nous transmettent lammoire. Ces cultures archologiques sont exclusivement des cultures matrielles

    que les archologues sovitiques, par exemple, reprsentaient par des tableaux dedessins groupant des assemblages de cramiques et doutils, des types dhabitatet dinhumation, des indications sur les moyens de subsistance ( dominante pasto-rale ou agricole) et sur les restes de nourriture. On trouvait parfois quelques indica-tions danthropologie physique (dolichocphales/brachycphales par exemple)passes de mode car dpourvues de signification sauf lorsque lon possde degrandes sries pouvant faire lobjet dun traitement statistique, et ayant donn lieu des drives racistes quon tche tort doublier. On tend aujourdhui les rempla-cer par des analyses dADN fossile qui ont les mmes dfauts.

    Ces cultures anonymes stendent sur des rgions o lon sait, par les auteurs

    anciens ou lanalyse linguistique, quont vcu, la mme poque approximative-ment, des peuples de langue i-e dont certains ont laiss leur nom dans lhistoriogra-phie. Comment, sauf faire preuve de schizophrnie et accepter dcrire deuxhistoires sans contact aucun, celle des cultures matrielles et celle des peuples, nepas chercher attribuer ces pots qui ne parlent pas tel ou tel peuple dont onprsume quil vivait approximativement la mme poque, approximativementdans la mme rgion, mme si de ce peuple lon ne connat gure que le nom etcertaines caractristiques de la langue quil parlait ? Toute larchologie euro-penne appliqua ainsi le principe nonc par larchologue allemand Kossinna en1911 dans sonOrigine des Germains : Des provinces culturelles nettement dlimi-

    tes sur le plan archologique concident toutes les poques avec des peuplesou des tribus bien prcis15. Luvre de Maria Gimbutas donne lexemple le plusabouti, ou le mieux connu, de ce type de recherche appliqu la colonisation delEurope centrale et occidentale par les populations de langue i-e.

    Un sicle et demi de recherches, parfois intensives, na pourtant abouti aucun rsultat sr en ce domaine. La raison en est que les textes livrent relative-ment peu dethnonymes, que ceux-ci sont attests beaucoup plus tard que lescultures des Ier et IIe millnaires avant notre re auxquelles on veut les rapporter,et quils proviennent souvent dobservateurs extrieurs ces rgions (Tacite ouCsar par exemple) qui ont pu oublier des populations, ou regrouper sous un mme

    nom des populations dont ils ne connaissaient gure que le nom et qui navaienten fait rien en commun, et qui, mme parfois, ont sciemment dform la ralit16.

    15 - Cit par JEAN-PAULDEMOULE, La responsabilit des archologues dans la cons-truction des nationalismes modernes ,Raison prsente, numro spcial, Sur la socitcivile et larchologie , 142, 2002, pp. 15-30, ici pp. 17-18 (en allemand : Scharfumgrenzte archologische Kulturprovinzen decken sich zu allen Zeiten mit ganz bes-timmten Vlkern und Vlkerstmmen ).16 - Comme il est maintenant dmontr pour la description de la Gaule faite par JulesCsar:CHRISTIAN GOUDINEAU,Par Toutatis ! Que reste-t-ilde la Gaule ?, Paris, Le Seuil, 2002. 7 8 9

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    On ajoutera que deux peuples ne parlant pas la mme langue peuvent possderdes cultures matrielles analogues et que, sur deux millnaires, les scissions, migra-tions, regroupements et absorptions de peuples par conqute, les changementsde nom donc, ont d tre nombreux. En rgle gnrale, on ne peut identifier demanire certaine et mme raisonnablement probable les traces dun peuple histori-

    quement connu si lon ne trouve pas dans la culture matrielle tudie un tmoincrit de son nom, et ce, parfois, mme quand on possde sur lui une abondantehistoriographie ancienne. Qui en doutera naura qu se reporter aux controversessur la localisation de Troie.

    Ajoutons que les archologues contemporains sintressent des phnomnesdont lapparition ou lvolution ne sexpliquent pas ncessairement par des mouve-ments de population : diffusion de lagriculture, apparition de nouvelles productionsagricoles, volutions technologiques, urbanisation, dmographie, etc. Leurs systmesexplicatifs privilgient donc les phnomnes de diffusion pacifiques, ce qui parfoisles amne nier, ou minimiser lextrme, leffet de migrations pourtant histo-

    riquement attestes. La guerre et la conqute ne jouent ainsi quun rle mineurdans les schmas qui ont valu C. Renfrew son actuelle clbrit.

    Des informations nouvelles : linguistique et archologiede lIran et de lAsie centrale

    Les historiens de lIran et de lAsie centrale lpoque du bronze se trouvrent, partir des annes 1970, confronts une masse de donnes nouvelles qui ncessi-trent llaboration de nouveaux schmas de peuplement. Une partie de ces don-

    nes tait dorigine archologique, rsultat des fouilles qui se multiplirent aprsla Seconde Guerre mondiale en Union sovitique, en Iran, en Afghanistan et dansune moindre mesure au Pakistan (appellation moderne de lInde du Nord-Ouest).Ces pays taient alors quasiment terra incognita. Les historiens europens, quitous considraient comme prouv que lexistence de langues dorigine i-e en Indersultait dun mouvement de peuples venus du Nord, pouvaient se contenter dedessiner de grandes flches sur les cartes reprsentant les territoires archologique-ment vides o ceux-ci taient ncessairement passs avant de franchir la barrirede lHindou-Kouch et de pntrer dans lInde du Nord-Ouest. Il apparat mainte-nant que ces territoires taient peupls, urbanise et relis entre eux par un rseau

    complexe de relations commerciales et culturelles. Les archologues se trouventalors devant le problme classique de devoir corrler une culture matrielle et unelangue. Comme on la vu plus haut, ce problme, dj complexe, lest plus encoredans le cas des Indo-Iraniens qui nous ont laiss une littrature ancienne abondante(lAvesta et le Veda), tudie et traduite depuis le dbut du XIXe sicle. Beaucoupdarchologues et historiens en sont rests l et continuent, par exemple, utiliserles traductions anglaises de ces textes parues dans les Sacred Books of the East.Pour les philologues, ces traductions ne sont plus utilisables telles quelles.

    Il est devenu clair, en effet, que les multiples auteurs des hymnes de lAvestaet du Rig-Veda taient des spcialistes, manipulant un langage sotrique, cod et7 9 0

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    volontairement ambigu. Les deux traductions, dsormais un peu anciennes, quifont aujourdhui autorit, celle de Karl Friedrich Geldner et celle de Louis Renou17,bien qulabores partir des mmes principes, prsentent entre elles des diver-gences importantes. Elles sont de surcrot rdiges respectivement en allemandet en franais, langues que peu dhistoriens de ces rgions matrisent, et dans

    un style volontairement aussi abstrus que celui du Rig-Veda, ce qui en rend lacomprhension parfois difficile mme des locuteurs natifs et cultivs de ceslangues. Leur maniement exige un effort intellectuel auquel beaucoup se dro-bent. Du moins la date assigne au rassemblement en collection des hymnes duRig-Veda na-t-elle pas chang. Les spcialistes occidentaux saccordent sur unedate aux alentours de 1200-1000 avant notre re, date arbitraire qui repose surune reconstruction hypothtique de lhistoire de la littrature indienne. Elle nesignifie pas en tout cas que tous les hymnes du Rig-Veda doivent tre dats de lafin duIIe millnaire. Ce qui est ainsi dat, cest ltat o ils ont t fixs au momentde leur rassemblement et de leur fixation en collection. Llaboration de certains

    dentre eux a pu tre plus ancienne. Les schmas littraires utiliss remontentparfois au PIE, comme le montre la comparaison avec la littrature homriqueet hsiodique.

    Ltude de lAvesta a, quant elle, subi une vritable rvolution. Les dbatsse poursuivent entre iranisants, et il faut choisir son camp. Les arguments sontlis. On ne peut prendre une traduction chez lun, une interprtation chez lautreet une date chez le troisime. Tout se tient. LAvesta est un texte notoirementdifficile. Les traductions en sont multiples, et aucune nemportait ladhsion.Linintelligibilit apparente du texte incita le grand iranisant viennois FriedrichCarl Andreas proposer, en 1902, lhypothse dune retranscription maladroite du

    texte expliquant les fautes de celui-ci. Ds lors, les traducteurs ne se privrent pasde corriger le texte et ventuellement de lui attribuer une morphosyntaxe sansexemple dans aucune autre langue i-e, nhsitant pas, par exemple, traduire unvocatif par un nominatif et un instrumental simple par un comitatif. La rvolutionvint de trois courts et difficiles articles de Karl Hoffmann, parus en 1969, 1970 et1971, qui montraient que lhypothse dAndreas ne tenait pas et que le texte quenous avions tait relativement fiable. Encore fallait-il le traduire en appliquant lesprincipes qui, depuis un sicle, avaient permis de progresser dans linterprtationdu Rig-Veda : une analyse interne purement philologique permettant par la consti-tution de concordances et de sries parallles de dterminer le sens des mots

    et la valeur des tournures syntaxiques ; le respect des fonctions indiques par lamorphosyntaxe i-e ; le recours aux parallles vdiques, trs nombreux. On a pu ainsiprouver lexistence dans lAvesta de deux blocs trs anciens (ou Avesta ancien),dialectalement diffrencis, les Gaas traditionnellement dites de Zoroastre, et leYasna Haptanhaiti. Linterprtation nouvelle, qui parat rvolutionnaire, est en fait

    1 7 - KARL FRIEDRICH GELDNER, Der Rig-Veda aus dem Sanskrit ins deutsche Ubersetz...,4 vols, Cambridge, Harvard University Press, Harvard Oriental Series-33-36, 1951-1957. LOUISRENOU,tudes vdiques et paninennes, t.I-XVII, Paris, Publications de lInsti-tut de civilisation indienne, 1955-1969. 7 9 1

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    trs terre terre car elle dcoule de lapplication des principes partout admis dela philologie i-e18. De trs nombreux passages restent obscurs, serait-ce seulementparce que ce que nous appelons lAvesta est un texte liturgique compos de frag-ments utiliss dans le rituel19. Il apparat dsormais que les Ga{as ne sont pasluvre de Zoroastre, mais linvoquent en tant que lointain prophte ; que lAvesta

    ancien nest pas un recueil dhymnes sotriques ou eschatologiques, mais laccom-pagnement dun rituel de sacrifice et que si lAvesta est phonologiquement inno-vant par rapport au Rig-Veda, son contenu en est parfois plus archaque. Ladmonstration faite par Jean Kellens que Vstaspa, le roi qui accueillit Zoroastreet se convertit son message, ne peut tre identifi au Vstaspa (Hystaspes), prede Darius, permet de proposer pour lAvesta ancien une chronologie qui en rap-proche la composition de celle du Rig-Veda dont il est si proche par la langue, lecontenu et la pense. J. Kellens et Prods O. Skjaerv datent ainsi la fixation destextes composant lAvesta ancien des environs de 1000 avant notre re, maislbauche de certains hymnes pourrait remonter aux alentours de 1800 avant notre

    re20

    . Lun des mrites de cette nouvelle approche de lAvesta est de mettre enparallle la chronologie et la signification du texte avec celles admises pour le Rig-Veda, linguistiquement et mme phrasologiquement trs proche. Les thories quidatent Zoroastre et donc les Gaas du VIe sicle avant notre re staient toujoursheurtes lobjection que larchasme linguistique de lAvesta ancien paraissaitpeu compatible avec une date aussi basse. Mais il ne faut pas se dissimuler queles conclusions des novateurs emmens par J. Kellens (ric Pirart et P. O. Skjaerv)sont trs fortement contestes par certains iranisants21. Les discussions sont trstechniques et peu faciles suivre pour qui na pas une connaissance minimale des

    langues iraniennes et indiennes anciennes. On peut penser que les positions nesont pas dfinitives. La controverse amnera prciser ou amliorer certaines

    18 - Sur tout ceci, voir lintroduction de JEANKELLENSet RICPIRART,Les textes vieil-avestiques, 3 vols, Wiesbaden, Ludwig Reichert Verlag, 1988-1991 (texte, traduction etcommentaire philologique), vol. I, et JEANKELLENS,Zoroastre et lAvesta ancien. Quatreleons au Collge de France, Paris, Travaux de lInstitut dtudes iraniennes de luniver-sit de la Sorbonne Nouvelle-14 , 1991 (traduit en anglais avec dautres articles parProds O. Skjaerv : JEAN KELLENS,Essays on Zarathustra and Zoroastrianism, Costa Mesa,Mazda Publishers, 2000).1 9 - JEANKELLENS, Considrations sur lhistoire de lAvesta,Journal asiatique, 286-2, 1998, pp. 451-519.2 0 - PRODSO. SKJAERV, Hymnic Composition in the Avesta ,Die Sprache, 36, 1994,pp. 199-241.21 - Les critiques les plus scandaliss sont ILYAGERSHEVITCH, Approaches to Zoroas-ters Gathas,Iran, 33, 1995, pp. 1-29, et GHERARDOGNOLI,Zoroaster in History, NewYork, Bibliotheca Persica Press, 2000, avec la rponse de JEAN KELLENS, Zoroastredans lhistoire ou le mythe? A` propos du dernier livre de Gherardo Gnoli ,Journalasiatique, 289-2, 2001, pp. 171-184. On trouvera des vues plus pondreset une bibliogra-phie trs dtaille dans le livre qui va devenir le nouveau manuel des tudes maz-dennes : MICHAELSTAUSBERG,Die Religion Zarathustras, Geschichte, Gegenwart, Rituale,vol. 1, Stuttgart, Verlag W. Kohlhammer, 2002.7 9 2

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    positions. Cest le cours normal de la science. Il est en tout cas dsormais impossiblede ne pas tenir compte de la nouvelle chronologie. On peut la discuter, mais onne peut pas faire comme si elle nexistait pas. Ce qui, concrtement, signifieque tous les manuels parus avant les travaux de K. Hoffmann, Johanna Narten et

    J. Kellens, ou qui nen tiennent pas compte, doivent tre utiliss avec prcaution.

    Cest le cas en particulier du manuel jusquici standard, lHistory of Zoroastrianismde Mary Boyce22.La nouvelle chronologie de lAvesta saccorde en tout cas admirablement

    avec lanalyse aujourdhui faite des mots et formules i-ir prsents dans les textesdeMitannidu XIVe sicle avant notre re. Ces documents, connus depuis longtempset dj comments par G. Dumzil, sont maintenant attribus non des individusde langue i-ir (avant la sparation de liranien et de lindien), mais des individus delangue indienne23. Comme ce sont des Indiens qui ne sont jamais alls en Inde,Thomas Burrow les appelle, dans un article qui a fait sensation, des Proto-Indo-Aryens24. Il dmontre que les textes de Mitanni supposent ralise la sparation

    linguistique entre Iraniens et Indiens et permettent de la placer avant 1326 avantnotre re. Confronts avec certaines donnes avestiques, ils indiquent mme quelIran fut occup, puis parcouru, par des groupes (proto)-indo-aryens avant que lesIraniens ny fassent leur apparition et ne les en expulsent, ou ne prennent leurplace. On verra plus loin dans quelle mesure on peut dater plus prcisment la

    2 2 - MARYBOYCE,A History of Zoroastrianism, vol. I, Handbuch der Orientalistik-I ,viii, 1, 2, 2A, Leyde, Brill, 1975, dsormais remplac par louvrage cit plus haut deM. Stausberg.2 3 - PAULTHIEME, The Aryan gods of the Mitanni treaties ,Journal of the AmericanOriental Society, 60, 1960, pp. 301-317. MANFRED MAYRHOFER, Die Indo-Arier im altenVorderasien mit einer analytischen Bibliographie, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1966.ONOFRIOCARRUBA, Zur Uberlieferung einiger Namen und Appellativa der Arier vonMitanni : a Luwian Look? ,inB. FORSSMANet R. PLATH,Indoarisch, Iranisch und dieIndogermanistik. Arbeitstagung der Indogermanischen Gesellschaft vom 2. bis 5. Oktober 1997in Erlangen, Wiesbaden, Reichert, 2000, pp. 51-67. Bon rsum franais des controversesdans EMMANUELLAROCHE, Le problme des Indo-Aryens occidentaux ,Comptes ren-dus de lAcadmie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1979, pp. 677-685. IGORMIKHAILOVICHDIAKONOFF est seul contester ces conclusions : On Some Supposed Indo-IranianGlosses in Cuneiform Languages ,Bulletin of the Asia Institute, 7, 1994, pp. 47-49. Jedois la vrit de dire que lappartenance indo-aryenne de ces noms et thonymes peuttre conteste: ils pourraient la rigueur tre indo-iraniens ; voir GRARD FUSSMAN, Lentre des Aryas en Inde ,Annuaire du Collge de France, 1988-1989, pp. 518-519,dautant plus quil semble tabli, contre Paul Thieme qui en faisait un argument trsfort lappui de sa thse, quIndra tait bien un dieu indo-iranien et quil tait aussiconnu en Iran oriental : PHILIPPE SWENNEN, Notes sur la prsence dIndra dans lepanthon arya,Studi Epigrafici i Linguistici sul Vicino Oriente, 18, 2001, pp. 105-114. Sidonc lon adopte la thse plus difficile mais nanmoins possible de lattribution desdieux des traits de Mitanni non aux Proto-Indo-Aryens mais aux Indo-Iraniens, la datede la sparation linguistique et religieuse entre Proto-Iraniens et Proto-Indo-Aryensdevrait tre abaisse au XIIIe sicle au moins, ce qui remettrait en cause toute la chrono-logie sur laquelle est fond cet article.2 4 - THOMAS BURROW, The Proto-Indoaryans ,Journal of the Royal Asiatic Society, 2,1973, pp. 123-140. 7 9 3

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    sparation linguistique, juger de ses implications en termes de socit et de reli-gion, et dterminer les voies de pntration en Iran et en Asie centrale de cesgroupes de locuteurs proto-indiens et proto-iraniens dont on sait quils taientmultiples et dont rien ne prouve quils se soient suivis la queue-leu-leu.

    Dans un livre qui fit sensation lorsquil fut traduit en anglais, mais qui tait

    la synthse de leurs travaux antrieurs, les linguistes sovitiques Thomas V. Gam-krelidze et Vjaceslav V. Ivanov proposrent en 1984 une vision toute nouvelle duPIE, entranant une nouvelle localisation du berceau des populations i-e et parconsquent, ce qui nous intresse ici, de la localisation des Indo-Iraniens indivis25.On sait depuis longtemps que la morphosyntaxe du PIE, tel que nous le reconstrui-sons par mise en commun dlments conservs dans les langues i-e attestes,comporte des particularits qui laissent prsumer un tat antrieur de la syntaxe.Ainsi le -s du nominatif masculin singulier parat-il hrit dun stade antrieurcar le cas sujet, normalement, devrait tre non marqu. T. V. Gamkrelidze etV. V. Ivanov rassemblent un certain nombre de faits de ce genre, remarquent que

    le systme de correspondance des occlusives i-e comporte des incohrences typo-logiques et reconstituent donc un systme plus ancien docclusives glottalises,assez proche de celui que lon trouve aujourdhui dans les langues du Caucase duSud. Ils restituent aussi un systme syntaxique de type actif , dsormais analogue celui restitu pour les langues du Caucase du Sud et les langues smitiques.Tout ceci est plausible, bien que par dfinition indmontrable, mais nous renvoie un stade bien antrieur celui du PIE : cest un pr-proto-indo-europen quondevrait dater des Ve/IVe millnaires avant notre re au moins.

    Les similitudes constates entre ce pr-proto-indo-europen reconstruit, leslangues smitiques et les langues du Caucase du Sud, ainsi que des parents de

    vocabulaire, incitent les auteurs placer lhabitat pr-PIE au contact de ces deuxgroupes, cest--dire en Anatolie orientale26. T. V. Gamkrelidze et V. V. Ivanovfont ainsi renatre lhypothse nostratique (origine commune ancienne des languessmitiques et du PIE), plausible en soi puisque lon admet gnralement lorigineunique du langage et le peuplement de lEurasieviale littoral oriental de la Mdi-terrane, mais impossible prouver car il ne reste rien des langues du Ve millnaireavant notre re. Les comparaisons de vocabulaire qui emportent ladhsion sonttrs rares27 parce que lon est forc de comparer des formes restitues, donc dexis-tence ou de configuration incertaines, ou dattribuer des sens trs vagues aux racines.

    2 5 - THOMASV. GAMKRELIDZEet VJACESLAVV. IVANOV,Indoevropejskij jazyk i Indoevro-pejcy, Rekonstrukcija i istoriko-tipologiceskij analiz prajazyka i protokultury, 2 vols, Tbilisi,Akademija Nauk, 1984 (trad. angl. :Indo-European and the Indo-Europeans. A Reconstruc-tion and Historical Analysis of a Proto-language and a Proto-culture, Berlin, Mouton andGruyter, Trends in Linguistic Studies and Monographs-80 , 1995). Nombreux comptesrendus, en gnral enthousiastes sur le livre mais en en refusant les conclusions : e.g.GEORGESCHARACHIDZ,Revue des tudes gorgiennes et caucasiennes, 2, 1986, pp. 211-222,et 3, 1987, pp. 159-171 ; FREDERICKORTLAND, The Spread of the Indo-Europeans ,Journal of Indo-European Studies, 18-1/2, 1990, pp. 131-140sqq.26 - Cest lhypothse adopte, pour de tout autres raisons, par C. RENFREW,Archaeo-logy..., op. cit.27 - Voir par exemple les critiques figurant la fin de larticle de SERGEYKULLANDA, Indo-European Kinship Terms Revisited ,Current Anthropology, 43-1, 2002, pp. 89-110.7 9 4

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    Quant aux comparaisons de systmes linguistiques, il sagit dans le cas prsentdune tautologie : restituer un systme pr-p-i-e partir de donnes de linguistiquegnrale incluant les langues caucasiques et les langues smitiques, et ensuitesmerveiller de ce que le systme restitu permette de rapprocher ces troisensembles. Le schma de dispersion des langues que lhabitat anatolien oblige

    T. V. Gamkrelidze et V. V. Ivanov proposer est galement trs complexe, maisce nest pas une raison pour le rejeter. Il explique en tout cas assez mal la proximitdifficilement discutable des langues iraniennes et du proto-grec, et suppose lexis-tence en Anatolie, pendant plus dun millnaire, de groupes i-ir qui ny ont laissaucune trace. On ne stonnera donc pas que la plupart des indo-europanistesaient de fait rejet les conclusions de T. V. Gamkrelidze et V. V. Ivanov tout enproclamant leur admiration pour la science et lingniosit trs relles de leursauteurs. Ceux-ci peuvent bon droit renvoyer le compliment aux partisans dautreslocalisations de lhabitat p-i-e, qui sont souvent plus simples, mais tout autantindmontrables.

    La dernire nouveaut linguistique concerne lInde du Nord. On trouve dansles manuels laffirmation rpte que lon parlait dans le nord-ouest de lInde, eten particulier dans les villes de la civilisation de lIndus, des langues dravidiennes.Cette vue a souvent t critique par les linguistes, mais les historiens ont rarementtenu compte de leurs critiques. On comprend bien pourquoi. Si lon retire de lacarte linguistique de lInde au Ier millnaire avant notre re les langues indo-aryennes, il reste, au centre et au sud de la pninsule, un groupe compact delangues dravidiennes civilises et, ailleurs, un essaimage de langues dautreorigine parles par des primitifs (ditstribals en Inde). Comme il existe unelangue dravidienne au Baloutchistan (le brahui), il est ais de supposer que celui-

    ci est le dernier lambeau subsistant dune vaste aire dravidienne plus tard recou-verte par les langues indo-aryennes nouvelles venues. Si lon juxtapose cettecarte de lInde au Ier millnaire une carte de lIran la mme poque, il ne resteplus que deux groupes de langues non i-ir, llamite et les langues dravidiennes,et il est tentant de leur croire la mme origine. Cest lhypothse de DavidW. MacAlpin28, tout aussi improuvable que celle de T. V. Gamkrelidze et V. V. Ivanovcar elle sappuie sur des comparaisons de vocabulaire entre une langue trs malconnue (llamite) et des langues attestes beaucoup plus tard (un deux mill-naires selon les mots envisags).

    La thorie dravido-lamite est encore accepte par beaucoup. Elle est pour-tant tout fait arbitraire. Josef Elfenbein a montr en 1987, aprs dautres dravido-logues minents, mais en utilisant des matriaux beaucoup plus riches quil avaitpersonnellement recueillis, que le brahui est un tard venu dans cette rgion

    2 8 - DAVIDW. MCALPIN, Toward Proto-Elamo-Dravidian ,Language, 50, 1974, pp. 89-101, etProto-Elamo-Dravidian, The Evidence and its Implications, Philadelphie, The Ame-rican Philosophical Society, Transactions of the American Philosophical Society-71,part. 3 , 1981. 7 9 5

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    (Xe sicle de notre re au plus tt)29. Michael Witzel constate aussi que les motsapparemment dorigine non i-e et non i-ir reprs dans le vocabulaire du Rig-Veda,qui sont donc susceptibles dtre des emprunts des langues indiennes non i-e,nont pas la structure attendue pour des mots dorigine dravidienne. Il les attribue dautres groupes de langues30. Sa mthode et ses conclusions seront sans doute

    contestes, comme lont t celles de son prdcesseur en ce domaine, FranciscusBernardus Jacobus Kuiper31. Mais il apparat certain que la varit de languesparles dans lInde du Nord au moment de larrive des Indo-Aryens tait plusgrande que ne le laissent supposer les schmas simplistes de certains historiens.

    La moisson archologique nest pas moins importante et, parfois, pas moinsdiscute. La chronologie des villes de la civilisation de lIndus repose maintenantsur des bases assures. Leur fort dclin est dat des environs de 1800, ce quiinterdit de le mettre en relation avec larrive des Indo-Aryens dont on trouvepeut-tre la trace Pirak vers 170032 et dont le vritable impact est probablement

    2 9 - JOSEFELFENBEIN, Notes on the Balochi-brahui commensality,Transactions of thePhilological Society, 1982, pp. 77-98, et A Periplus of the Brahui Problem ,StudiaIranica, 16-2, 1987, pp. 215-233.3 0 - MICHAEL WITZEL, Aryan and Non-Aryan Names in Vedic India, Data for theLinguistic Situation, c. 1900-500 B. C. ,inJ. BRONKHORSTet M. M. DESHPANDE(ds),Aryan and Non-Aryan in South Asia, Evidence, Interpretation and Ideology, Cambridge, Har-vard University Press, Harvard Oriental Series, Opera Minora-3 , 1999, pp. 337-404(confrence prononce en octobre 1996) ;ID., Early Sources for South Asian SubstrateLanguages,Mother Tongue, Association for the Study of Language in Prehistory, 1999,pp. 1-71. La difficult de la tentative de M. Witzel est quil lui faut comparer les motsdapparence non indo-europenne du Rig-Veda (au plus tard vers 1000 avant notre re)avec des mots dits dravidiens attests au plus tt aux premiers sicles de notre re (etsouvent bien plus tard) et des mots de langues non crites relevs au XIXe etau XXe siclesseulement. En principe, il faudrait donc comparer les mots vdiques susceptibles davoirt emprunts avec du proto-dravidien, du proto-munda, etc., restitus. Mais de tellesrestitutions nexistent pas. Il y a donc une trs large part dintuition personnelle danslapprciation de la part du dravidien, par exemple, dans le vocabulaire du Rig-Veda.Le nombre de mots dorigine dravidienne varie de deux plusieurs dizaines selon lesauteurs. Les thories de M. Witzel nchappent pas cette critique. La force deM. Witzel tient sa connaissance bien suprieure des langues indiennes mises en jeuet une datation nouvelle et trs fine des diverses parties du Rig-Veda : MICHAELWITZEL, The Development of the Vedic Canon: The Social and Political Milieu ,inID.(d.),Inside the Texts, Beyond the Texts, New Approaches to the Study of the Veda, Cam-bridge, Cambridge University Press, Harvard Oriental Series, Opera Minora-2 , 1997,pp. 257-345, etID., Die sprachliche Situation Nordindiens in vedischer Zeit ,in Indo-arisch, Iranisch..., op. cit., pp. 543-579sqq.3 1 - FRANCISCUSBERNARDUSJACOBUSKUIPER,Aryans in the Rigveda, Amsterdam-Atlanta,Rodopi, Leiden Studies in Indo-European-1 , 1991. On aura une ide de la violencedes ractions en lisant le compte rendu de RAHULPETERDAS,Indo-Iranian Journal, 38-3, 1995, pp. 207-238, et la rponse de F. B. J. KUIPER,ibid., pp. 239-247 et 261. Voir ledtail de la controverse dans EDWINBRYANT, Linguistic substrata and the indigenousAryan debate ,in J. BRONKHORSTet M. M. DESHPANDE(ds),Aryan and Non-Aryan...,op. cit., pp. 59-84.3 2 - JEAN-FRANOIS JARRIGEet MARIELLESANTONI,Fouilles de Pirak, 2 vols, Paris, DeBoccard, 1979, pp. 12, 32, 42-43 et 79.7 9 6

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    plus tardif encore. Les fouilles de sites iraniens confirment que les Indo-Iraniensne se sont pas appropris un pays vide. Surtout, on constate lexistence dun rseauterrestre de liens commerciaux et de contacts culturels entre les villes de lIndus,le sud de lAfghanistan (Mundigak), les grands sites de lIran oriental, le Turkm-nistan et la Bactriane (nord de lAfghanistan et sud de lOuzbkistan)33. Cest dans

    ces deux rgions que les dcouvertes furent les plus spectaculaires. Les fouillesfranaises, sovitiques et, maintenant, internationales menes sur les deux rivesde lAmou-Darya (lOxus des sources grco-latines) et dans le delta du Mourgab(rgion de Merv) depuis les annes 1970 ont mis au jour les restes dune civilisationrelativement homogne, dite aujourdhui civilisation de lOxus (Henri-PaulFrancfort) ou BMAC (Bactro-Margian Archaeological Complex, selon les auteursanglo-saxons). Grce aux datations au radio-carbone et aux concordances avec lacivilisation de lIndus dont Shortuga, en Bactriane orientale, semble bien avoirt une colonie, les archologues occidentaux la datent des annes 2500-1500 avantnotre re, avec un floruitentre 2200 et 175034. Ces dates sont plus hautes que

    celles proposes lorigine par les fouilleurs sovitiques et, aujourdhui encore,par lauteur des plus belles dcouvertes, Victor Sarianidi, qui date Gonur de 1500-1250 et Togolok de 1250-1000 avant notre re35. Les tombes contiennent de trs

    33 - Par exemple JEAN-FRANOIS JARRIGE et MOHAMMAD USMAN HASSAN, FuneraryComplexes in Baluchistan at the End of the Third Millenium in the Light of RecentDiscoveries at Mehrgarh and Quetta,South Asian Archaeology 1985, Copenhague, Nor-dic Institute of Asian Studies, 1989, pp. 150-166, rsum dans G. FUSSMAN, Lentredes Aryas en Inde , art. cit., pp. 525-528. Repris par BERNARDSERGENT,Gense de lInde,

    Paris, Payot, 1997, pp. 179-190 (compte rendu de GRARDFUSSMAN,Bulletin de lcoleFranaise dExtrme-Orient, no 85, 1998, pp. 476-485).3 4 - HENRI-PAUL FRANCFORT, Fouilles de Shortugha. Recherches sur lAsie centrale protohisto-rique, Paris, De Boccard, 1989, Mmoires de la Mission archologique franaise enAsie centrale-2 , 2 vols, particulirement vol. I, pp. 367-370. JEAN-CLAUDE GARDIN(dir.),Prospections archologiques en Bactriane orientale (1974-1978),vol.2,BERTILLE LYON-NET,Cramique et peuplement du chalcolithique la conqute arabe, Paris, De Boccard/ERC, Mmoires de la Mission archologique franaise en Asie centrale-VIII , 1997, pp. 74-75. HENRI-PAULFRANCFORTet OLIVIERLECOMTE, Irrigation et socit en Asie cen-trale des origines lpoque achmnide ,Annales HSS, 57-3, 2002, pp. 625-663, icipp. 643-645. La liste des datations au 14C que lon trouve dans VICTORSARIANIDI,Mar-giana and Protozoroastrism, Athnes, Kapon ditions, 1998, p. 76, donne pour Gonur I

    des dates allant de 1790 B. C. 1430 B. C., plus la marge derreur habituelle. Cesdates reprsentent un tat dpass de la question. Voir L. B. KIRCHO et S. G. POPOV, K voprosu o radiouglerodnoj xronologii drevnejsix civilizacij Srednej Azii,Stratum plus,2, 1999, pp. 50-361, qui donnent toutes les dates et leurs calibrations pour toute lAsiecentrale. Aussi J. GOSDORFet D. HUFF, 14C-Datierungen von Materialen aus der Gra-bung Dzharkutan, Uzbekistan,Archologische Mitteilungen aus Iran und Turan, 33, 2001,pp. 75-87, qui replacent tout Djarkutan entre 2000 et 1500, ainsi que SANDROSALVATORI, The Project for the Archaeological Map of the Murghab Delta (Turkmenistan): Strati-graphic Trial Trenches at Adzhi Kui 1 and 9 ,Ancient Civilizations from Scythia to Siberia,8-1/2, 2002, pp. 107-178, donnent pour Adji-Kui trois dates plaant le site vers 2200-2100.35 - V. SARIANIDI,Margiana..., op. cit., p. 78. 7 9 7

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    nombreux vases de forme caractristique et souvent des petits objets de bronze,dont des cachets portant des reprsentations danimaux et des figures mythiques.Plus rares, mais nanmoins trs importantes parce quelles permettent dtablirdes liens avec le plateau iranien et la Syrie du Nord, sont les statuettes composites(corps en statite noire, tte et mains en pierre blanche). Les tombes les plus riches

    contenaient aussi des colonnettes et disques de pierre polie dont on a retrouv desexemplaires jusquau Beloutchistan. A` Dashly en Bactriane, Kelleli, Gonur etTogolok en Margiane, V. Sarianidi a mis au jour dnormes btiments quadrangu-laires36 au plan trs complexe, quil qualifie avec de bonnes raisons les uns depalais, les autres de temples37. Il est impossible de dire si cette unit de la culturematrielle correspondait une unit politique, que les distances rendent assez peuprobable. Mais lon peut poser en principe sinon une unit, du moins une similaritdes langues et religions. Il ny a pas de traces de destructions violentes attribuables,par exemple, une prise dassaut.

    Dvanescents Indo-Iraniens

    Les quelques archologues qui sintressent au peuplement de lEurasie dans lestrois millnaires qui prcdrent notre re sattachent avec courage et intelligence une tche qui peut sembler impossible car le nombre de donnes matriserdpasse les capacits intellectuelles dun seul homme. La lecture des bibliogra-phies que comportent livres et articles traitant de ces problmes donne le vertige,mme lorsque lon tient compte du fait que la multiplication des revues et col-loques oblige nos collgues souvent se rpter. On ne peut quadmirer leur

    maestria et je naurai pas la prtention, sachant moins queux, de faire mieuxqueux. Mais jai sur eux plusieurs avantages. Mintressant surtout ce que lonpeut aujourdhui savoir de larrive des Aryas en Inde, je me permets de prendreen compte une partie des donnes seulement. Je nai pas rendre compte de lacomplexit du monde des steppes ou du plateau iranien au mme moment, ceque font mes collgues avec une rudition et une intelligence qui mblouissent.Loin de mes tudes habituelles et simple observateur des recherches des autres, jene me sens pas forc dapporter une solution. Je puis me contenter de dire si lessolutions rudites brillamment apportes par les uns ou les autres sont compatiblesavec ce que je sais et avec les mthodes et principes que jemploie habituellement.

    Jose aussi me dispenser dexaminer en dtail toutes les thories ou reconstructions.La bibliographie de cet article est suffisamment longue pour que le lecteur

    36 - Lenceinte extrieure de Togolok 21, faite de murs en briques crues pais de 2,5 m,mesure 140 100 m. Ldifice principal (le temple ) mesure 8070 m.37 - Pour une bonne approche bien illustre de ces trouvailles voir V. SARIANIDI,Mar-giana..., op. cit., et WIKTOR (sic) SARIANIDI, Margus, Ancient Oriental Kingdom in the OldDelta of Murghab River, Ashghabad (Turkmnistan), Turkmendowlethabarlary, 2002. Onpeut aussi se reporter auxDossiers de larchologie, Dcouverte des civilisations de lAsiecentrale , 185, 1993.7 9 8

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    passionn de ces questions puisse consulter les tudes originales38 : vouloir troprsumer, on caricature parfois.

    Il faut rappeler que le PIE et plus encore le pr-PIE sont des reconstructionsde linguistes, des abstractions qui rassemblent, laborent (cest--dire modifient)et classent des lments pars dans des langues historiquement attestes aux-

    quelles le bon sens et les mthodes labores la fin du XIXe

    sicle imposentdattribuer une lointaine origine commune. Par dfinition, ce PIE reconstruit estbeaucoup plus pauvre que le PIE rellement parl. Il en diffre parce quilcomporte moins dlments et quil rassemble en un point et en un lieu des caract-ristiques provenant de parlers diffrencis, que ces diffrences soient dues autemps qui passe, lloignement gographique ou aux catgories socio-culturelles.Le PIE a eu une certaine dure, il a donc volu, comme toute langue. La faibledensit de la population et une conomie en grande partie pastorale impliquentque les parlers des groupes parlant PIE, cest--dire capables de se comprendresans grande difficult, divergeaient au fur et mesure que les contacts entre ces

    groupes se rarfiaient. Enfin, il existait probablement un corps de spcialistesitinrants utilisant un langage potique sotrique que les bouviers, les femmeset les enfants devaient avoir du mal entirement comprendre.

    Ceci pos, il est vain de vouloir identifier lhabitat p-i-e une culture mat-rielle donne. Selon toute probabilit, cet habitat stendait sur des aires de culturematrielle lgrement diffrentes, la difficult tant dvaluer le moment o lesdiffrences dialectales deviennent trop grandes et empchent lintercomprhen-sion ou oblitrent la conscience dappartenir une mme unit culturelle. Riennoblige non plus supposer que laire p-i-e ait t homogne. Des groupes nonp-i-e parlant des langues proches ou lointaines du PIE et connaissant, comme les

    locuteurs de ce langage, le cheval et la roue ont probablement circul sur les terrainsde pture des locuteurs des dialectes appartenant au PIE : la place ne manquait pas.Ce que les archologues peuvent faire, cest dater grce aux mthodes physiquesnouvelles les sites archologiques et dire que la date du site, sa localisation et lanature de sa culture matrielle ne sopposent pas ce quon y ait parl un dialectedu PIE. Sur ces sites antrieurs linvention de lcriture39, je crains quils nepuissent jamais aller plus loin.

    38 - Pour une vue rapide des diverses faons denvisager ces problmes, on se reporteraau trs commode recueil dit par V. H. Mair en 1998, o plusieurs des protagonistesde ce dbat ont eux-mmes rsum leur point de vue : VICTORH. MAIR(d.),The BronzeAge and Early Iron Age Peoples of Eastern Central Asia, 2 vols, Washington, Institute forthe Study of Man Inc.(sic), 1998 (Journal of Indo-European Studies, Monograph-26, Actesdu colloque tenu luniversit de Pennsylvanie, Philadelphie, en avril 1996) : articlesde Elena E. Kuzmina, Asko Parpola, Fredrik T. Hiebert, C. Renfrew, David W. Anthonyet James P. Mallory. On compltera par les ouvrages cits note 34.3 9 - FRANOISEBADERsoutient quil existait dj ds cette poque une criture secrte : Homre et lcriture ,Verbum, X-1, 1988, pp. 209-231. Cette hypothse, base surltymologie, na pas t confirme par larchologie. Lesrwsw ivdiques ne semblent pasavoir connu lcriture, pourtant fort employe par la civilisation de lIndus antrieure-ment leur arrive en Inde. 7 9 9

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    La langue, la phrasologie, latmosphre religieuse de lAvesta et du Rig-Veda sont si proches que la scission du groupe indo-iranien ne doit pas tre ant-rieure de beaucoup la date aujourdhui admise pour le dbut de la compositiondes plus archaques de leurs textes. On peut dater lexistence de ce groupe i-ir desannes 2200-180040, ce qui rend difficile de lui attribuer la paternit de la civilisa-

    tion de lOxus, dont le dbut est plus ancien et dont les origines sont incontestable-ment chercher dans les civilisations sdentaires du flanc est du Kopet Dagh. Ladensit des rapprochements possibles entre Avesta et Rig-Veda nimplique pasque le groupe i-ir ait t linguistiquement et religieusement uni, encore moins quelon puisse poser, au moment de la scission, lexistence dune unit politico-religieuseiranienne et dune unit politico-religieuse proto-indo-aryenne. Il est remarquableque laire linguistique iranienne se divise culturellement en deux parties : 1) leplateau iranien et lAsie centrale iranise, o partout lon constate lexistenceancienne de varits de mazdisme41 et aucun reste dune religion de type vdique ;2) le monde scythe, dans la steppe au nord du Caucase, linguistiquement iranien

    mais o il ny a aucune trace de mazdisme. La sparation religieuse est doncpostrieure la sparation linguistique. Le groupe irano-mazden est lui-mmefortement dialectalis : lavestique et le vieux-perse ne suffisent pas expliquertoutes les varits dialectales de liranien moderne. Des groupes aussi proches quecelui des Mdes et des Perses ne partageaient pas tout fait le mme dialecte nila mme culture religieuse. La constante rfrence indienne au Veda ne sauraitnon plus dissimuler la fragmentation des Indo-Aryens leur arrive en Inde. Entmoigne lexistence des langues dites kafires ou nouristanies, plus proches duvdique que de liranien ancien et diffrentes des deux, dont les locuteurs conser-vaient encore auXIXe sicle les traces dune religion proche de la religion vdique,

    mais en diffrant sur des points essentiels42

    . En tmoignent aussi lexistence dedoublets dialectaux dans le Rig-Veda et de formes trs volues (dites prakri-tismes ) dans certains hymnes et mme dans le proto-indo-aryen de Mitanni.

    Iraniens mazdens et Indo-Aryens vdiques sont dans une relation dhosti-lit. Aprs dautres, T. Burrow a runi, en y mettant parfois un peu trop dinsis-tance, les exemples de renversement de sens de vocabulaire qui le montrent43.

    J. Kellens vient de dmontrer que ds ses plus anciennes attestations le mot aves-tiqueairiiasignifie Iranien et quil exclut tous ceux qui ne parlent pas iranien etne sont pas mazdens44. On peut de mme dmontrer que, dans le Rig-Veda,aryadsigne les sectateurs dIndra, ceux dont les prtres parlent le sanskrit vdique,

    40 - La date devrait tre abaisse aux alentours de 1300 si les textes de Mitanni sav-raient i-ir. Voir la fin de la n. 23.41 - De Mazda, le grand dieu du panthon avestique. Comme J. Kellens, je nemploieplus pour dsigner cette (ces) religion(s) le motzoroastrismequi implique que les Gaassont luvre de Zarathustra, fondateur dune nouvelle religion.4 2 - GRARD FUSSMAN, Pour une problmatique nouvelle des religions indiennesanciennes ,Journal asiatique, 265-1, 1977, pp. 21-70.43 - T. BURROW, The Proto-Indoaryans , art. cit.44 - G. FUSSMAN, Les Aryas... , art. cit., pp. 750-751.8 0 0

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    et exclut donc les Iraniens (les airiia !)45. Si arya et airiia, malgr leur originecommune, sexcluent lun lautre, il vaut mieux cesser dutiliser le mot Arya pourdsigner les locuteurs indivis des langues indo-iraniennes. Il est en effet dsormaisimpossible de prouver que ce mot, que nous saisissons seulement dans un sensreligieusement trs marqu, ait t lorigine un ethnique. La possibilit nen est

    pas exclue, mais est dsormais une possibilit parmi dautres.Les divisions internes du groupe i-ir, celles des Iraniens et des Indo-Aryens,le fait aussi que rien noblige penser quils aient tous suivi la mme route, lunpoussant lautre, font que lhabitat i-ir est impossible localiser : en principe, ilstend toute la steppe jadis parcourue par les Scythes et peut inclure des culturesmatrielles lgrement diffrentes. La steppe russe ayant t parcourue pendantdes sicles par les Scythes, on ne stonne pas que les populations vivant au nordet lest de cette zone, de langues dites finno-ougriennes, aient emprunt quelquesmots aux langues iraniennes des Scythes. Il semble quelles aient aussi empruntdes formes plus anciennes, antrieures louverture du s- enh- des langues ira-

    niennes et la disparition du zhprconsonantique en i-a, cest--dire des formesantrieures la sparation linguistique du groupe i-ir46. Bien que la ralit de cesemprunts me paraisse pouvoir tre discute, cest une raison acceptable de situerlhabitat ancien des I-Ir dans la steppe russe. Lidentification, admise par beaucoup,de leur culture avec la variante Sintashta 47 de la culture dAndronovo repose, elle,sur une argumentation trs contestable. A` Sintashta semble atteste vers 2000avant notre re (la fourchette propose est 2100-1800) une inhumation characcompagne de dpouilles chevalines. Son attribution aux Indo-Iraniens encoreindivis et mme, pour quelques auteurs, aux Proto-Indo-Aryens, repose sur lasupposition que ces dpouilles chevalines sont les restes dunasvamedha(sacrifice

    du cheval) prvdique et sur lattribution plus ou moins implicite de linvention du

    45 -Ibid., pp. 747-748. La conclusion nest en rien nouvelle, mme si elle est en gnralformule en termes plus vagues. Elle ressort clairement de larticle de synthse deHANSHEINRICHHOCK, Through a Glass Darkly: Modern Racial Interpretations vs.Textual and General Prehistoric Evidence on aryaanddasya/dasyu in Vedic Society , in

    J. BRONKHORSTet M. M. DESHPANDE(ds),Aryan and Non-Aryan..., op. cit., pp. 145-174.46 - Discussion dans E. A. GRANTOVSKIJ,Iran i Irancy do Axemenidov, Osnovnye problemy,Voprosy xronologii(LIran et les Iraniens avant les Achmnides. Problmes fondamen-taux. Questions de chronologie), Moscou, Vostocnaja Literatura, 1998, pp. 68-97.Commodment, mais avec beaucoup moins de prudence, comme son habitude, ASKOPARPOLA, Aryan Languages, Archaeological Cultures, and Sinkiang: Where Did Proto-Iranian Come into Being and How Did it SpreadinV. H. MAIR(d.),The Bronze Age...,op. cit., pp. 119-120. Voir aussi,infran. 62.4 7 - A` lest et au sud de lOural(b Juznom Za-Urale, Celjabinskij oblast).VLADIMIRFEDO-ROVICH GENING, G. B. ZDANOVIC, e t VLADIMIR VLADIMOROVICH GENING,Sintasta, Tche-lyabinsk, IUzhno-Uralskoe knizhnoe izd-vo , 1992. VLADIMIRFEDOROVICHGENING, Mogilnik Sintasta i problema rannix indoiranskix plemen (Le champ funraire deSintashta et le problme des anciennes tribus indo-iraniennes), Sovetskaja Arxeologija,4, 1977, pp. 53-73 (avec rsum en franais p. 73). Commodment, avec dates au 14C etbibliographie rcentes : DAVIDW. ANTHONY, The Opening of the Eurasian Steppeat 2000 BC ,in V. H. MAIR(d.),The Bronze Age..., op. cit., pp. 94-113. 8 0 1

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    char de guerre aux I-Ir. Elle nest pas scandaleuse mais nest en rien certaine. Lesacrifice de chevaux, en effet, nest nullement spcifique lInde vdique48 : seullest le rituel de ce sacrifice, fort diffrent de celui du rituel funraire de Sintashta.Lasvamedhaindien nest en rien un rituel funraire. De mme, que le nom i-e ( ?)du char(ratha)ne soit attest que dans les langues i-ir ne signifie pas quil sagisse

    dune invention i-ir, parce que, comme tant dautres mots, son quivalent a pudisparatre des autres langues i-e et parce que possder un mot pour dsigner lechar de guerre ne signifie pas quon ait invent celui-ci 49. Il est tout aussi abusifde considrer les restes de constructions de la culture de Sintashta comme lesanctres duvarairanien et despurvdiques. Lanalogie suppose repose sur desinterprtations vieillies de ces vocables.

    Les dates (2200-1500 avant notre re) et la localisation de la culture dAndro-novo sont compatibles avec lattribution de cette culture aux Indo-Iraniens indi-vis50. Mais on remarquera que les traces aujourdhui attestes sarrtent enBactriane51. Elles sont fort minces : quelques tessons52. On devrait donc supposer

    que les Indo-Iraniens, les Proto-Iraniens ou les Proto-Indo-Aryens se sont dbar-rasss de cette culture juste au moment o ils pntraient en Iran et en Inde.Lhypothse est possible puisque, pour arriver sur ces territoires, ils avaient nces-sairement travers des zones sdentaires appartenant la civilisation de lOxus,dont la culture matrielle tait bien suprieure. Le curieux, cest quils semblent nerien avoir emprunt non plus cette dernire. En outre, un des marqueurs de lacivilisation scythe et pour la majorit des archologues de lhabitat p-i-e et i-ir auxIVe etIIIe millnaires avant notre re est lexistence de tombes couvertes duntumulus (ditkourgane/kurgan) o le mort tait enterr accompagn de dpouillesanimales et de vases. Lorsque le mort tait un guerrier ou une personne de statut

    4 8 - WILHELM KOPPERS, Pferdeopfer und Pferdekult der Indogermanen. Eine ethnolo-gisch-religionwissenschaftliche Studie ,Wiener Beitrge zur Kulturgeschichte und Linguis-tik, 4, 1936, pp. 279-411. BERNHARDHANSELet STEFANZIMMER,Die Indogermanen unddas Pferd(Akten des internationalen interdisziplinren Kolloquiums Freie Univeristt Berlin,1-3 Juli 1992), Budapest, Archaeolingua, 1994.49 - Parmi une trs abondante bibliographie, voir le trs court mais trs bien inform ettrs clair PETERRAULWING,Horses, Chariots and Indo-Europeans, Foundations and Methodsof Chariotry Research from the Viewpoint of Comparative Indo-European Linguistics, Archaeo-lingua, Series Minor 13, Budapest, Archaeolingua, 2000; W. MEID, Archologie undSprachwissenschaft...,op. cit., p. 26, n. 18.50 - Cest la thse rpte dans de nombreux articles par ELENAEFIMOVNAKUZMINAet dveloppe dans son livreOtkuda prisli Indoarii ? Materalnaja kultura plemen andro-novskoj obscnosti i prosixozdenie Indoirancev (Do vinrent les Indo-Aryens ? La culturematrielle des peuples de la culture dAndronovo et lorigine des Indo-Iraniens), Mos-cou, Akademija Nauk, 1999. Malheureusement, E. E. Kuzmina, dont les connaissancesarchologiques sont trs vastes, utilise des sources indiennes dans des traductions trsvieillies et ne sait ni les critiquer ni les chelonner dans le temps : la civilisation indiennenest pas immuable.51-H.-P. FRANCFORT,Fouilles de Shortugha ...,op. cit., pp. 424-430, et surtout p. 430.Aucune spulture andronovienne na encore t trouve au sud de lOxus.52 - Cest ce qui ressort de ltude de B. LYONNET,Cramiques..., op. cit., pp. 78-82. Voiraussi H.-P. FRANCFORT,Fouilles de Shortugha...,op. cit.8 0 2

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    lev, (son ?) char, ses chevaux et un certain nombre de ses serviteurs taiententerrs avec lui. Ainsi Sintashta. Or, ce type dinhumation tait considr commeune abomination aussi bien dans lInde vdique que dans lIran mazden53. Dci-dment, il est bien difficile de trouver un marqueur pour le groupe i-ir.

    Mme si lon accepte lquation Andronovo = i-ir, on nest pas oblig de

    considrer que les Proto-Indo-Aryens, puis les futurs Iraniens se sont suivis le longdu Kopet Dagh. Il est possible que certains groupes aient dabord pouss dans lasteppe vers louest et pntr en Iran par le Caucase, comme le firent les Scythesau VIIe sicle avant notre re, et que dautres aient prfr la route, plus facile surla carte (mais les I-Ir navaient pas de carte), qui passe lest de la Caspienne etdu Kopet Dagh. En dautres termes, il ne sagit pas pour les archologues detrouver sur un itinraire unique un marqueur ou un ensemble de marqueurs carac-tristiques de la prsence i-ir, mais, sur des routes qui peuvent avoir t diffrentes,des marqueurs divers de la prsence de groupes iraniens et indo-aryens divers.

    Quel que soit litinraire de contournement de la Caspienne que lon choi-

    sisse, partir du moment o lon admet : 1) que les futurs Indo-Aryens ont pntren Inde par le nord-ouest du sous-continent ; 2) que leurs anctres habitaient louest de lOural et au nord de la mer Noire et de la Caspienne ; 3) que le climatnest pas plus aride aujourdhui quil y a quatre millnaires (thse conteste), ladisposition des chanes de montagnes et des dserts implique que ces futurs Indo-Aryens soient passs par la Turkmnie ou en Bactriane, plus prcisment le longdes rivires qui prennent naissance sur le versant nord de lHindou-Kouch : Murgab(Mourgab), Balkh-ab, Qunduz-ab, Kokcha. Malheureusement, une partie de ceterritoire, le Xorasan afghan (nord-ouest et sud-ouest de lAfghanistan) et en parti-culier la haute valle du Mourgab, reste pour lessentiel terra incognitaalors que la

    gographie imposerait dy chercher, supposer quil soit possible de les y reprer,les traces des Proto-Indo-Aryens.Si les figurines de cheval de Pirak, dans le Bloutchistan pakistanais, sont

    vraiment attribuables aux Aryas indiens, et si les nouvelles mthodes physiquesde larchologie confirment la date de 1700 avant notre re autrefois propose pourelles par Jean-Franois Jarrige54, les anctres immdiats de ces Aryas taient passspeu avant (vers 1800 ?) dans la zone de la civilisation de lOxus. Mme si lonadopte les dates basses de V. Sarianidi, ils nont pas pu ne pas tre en contact aveccertains des sites de cette rgion. LAvesta et le Rig-Veda contenant de nom-breuses indications sur le genre de vie des Iraniens et Indo-Aryens duIIe millnaire

    avant notre re55, la confrontation entre donnes archologiques et donnes

    53 - On ne peut non plus dire que le kourgane survive dans lestupabouddhique, monu-ment dorigine funraire certes, mais qui apparat fort tard en Inde (pas avant leVe sicleavant notre re) et ne peut donc driver des kourganes du IIe millnaire avant notre re.54 - Voir J.-F. JARRIGEet M. SANTONI,Fouilles de Pirak, op. cit.55 - Celles-ci sont parfois dinterprtation difficile. Elles peuvent aussi renvoyer unpass idalis ou un genre de vie rv. Mais les grandes lignes du tableau quellespermettent de dessiner sont sres : civilisation dleveurs de bovins, secondairementagriculteurs, sans habitat de longue dure ni constructions savantes, sans trace aucune 8 0 3

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    textuelles est possible. On ne peut donc chapper la qute des traces ventuelle-ment laisses par les Indo-Iraniens indivis, les Proto-Iraniens ou les Proto-Indo-Aryens dans laire couverte par la civilisation de lOxus. Laccord se fait sur un pointuniquement : il y a des tmoignages manifestes dans la sculpture, larchitecture etles reprsentations religieuses dinfluences non i-ir venues de lOuest (lam, Syrie

    et mme monde mditerranen). V. Sarianidi insiste beaucoup sur ce point. Il araison de le faire, mme sil va parfois un peu trop loin. Sur le rle quont pu jouerles Indo-Iraniens indivis ou spars dans lvolution de la civilisation de lOxus, lesdsaccords sont manifestes. V. Sarianidi, sappuyant sur les datations basses delHistory of Zoroastrianismde M. Boyce, nhsite pas attribuer les difices de Gonuret Togolok aux Iraniens zoroastriens ou proto-zoroastriens, ce qui parat impossiblepour des raisons que jexposerai brivement plus bas. Fredrik T. Hiebert survalueprobablement limpact des nomades de la steppe (Andronovo, etc.) sur la civilisa-tion de lOxus qui, au contact de ces Proto-Iraniens (cest sa thse), intgra denouveaux styles et motifs artistiques qui faisaient partie du changement culturel

    associ un nouvel environnement, une nouvelle adaptation et une nouvelle orga-nisation politique reposant sur de grands propritaires56 . Le point faible de lathse est que les caractristiques les plus manifestes de la culture de cette civilisa-tion de lOxus, selon lui iranise (imagerie religieuse, architecture complexe,temples construits, inhumations), ne semblent avoir t importes ni en Inde nidans lIran des Mdes et des Perses : ce seraient donc des Iraniens autres que lesIraniens du Turkmnistan qui auraient iranis lIran !

    Le trs raisonnable James P. Mallory sen tire par une pirouette : Quand[...] un obus culturel (Kulturkugel)andronovien pntra le BMAC, la force de sacharge (organisation sociale, etc.) lui permit de traverser le BMAC en gardant

    sa charge linguistique intacte. Mais sa culture matrielle fut perdue ou radicale-ment modifie par celle qui existait dj dans les sites dAsie centrale. A` lautreextrmit mergea [donc] un obus charg de culture BMAC mais transportant unlangage indo-aryen57. Si je comprends bien, les Indo-Aryens auraient adopt laculture matrielle de la civilisation de lOxus et gard leur langage. Mais o sonten Inde les traces de cette civilisation de lOxus indianise 58 ?

    H.-P. Francfort insiste sur la faiblesse de traces anciennes attribuables auxIndo-Iraniens, runis ou diviss. Pourtant, lpoque suivante, aprs une phasede transition la fin du Bronze entre 1700 et 1400 o la prsence des steppes se

    de civilisation urbaine, avec utilisation du cheval et du char comme armes de guerre etpratique de la razzia.5 6 - FREDRIKT. HIEBERT, Central Asians on the Iranian Plateau: A Model for Indo-Iranian Expansionism ,in V. H. MAIR(d.),The Bronze Age..., op. cit., p. 153.5 7 - JAMES P. MALLORY, A European perspective on Indo-Europeans in Asia, inibid., p. 193.58 - Les faits recenss lappui de cette thse par B. SERGENT,Gense de lInde,op. cit.,p. 177, nemportent vraiment pas ladhsion des indianistes : voir le compte rendu deG. Fussman, citsupra. B. Sergent considre comme avr que la civilisation de lOxusest indo-europenne ( cause de ses similitudes avec celles de la Grce, pp. 161-176),plus prcisment indo-aryenne (p. 177).8 0 4

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    fait plus manifeste, les choses changent. [...] Il devient possible de croire quunepartie de la population de lOxus a parl des dialectes indo-iraniens entre 1700 et1400 avant une mutation plus radicale, conomique et religieuse, sinon mmelinguistique59. L aussi se pose la question des rapports, pour le moins vanes-cents, entre ces Indo-Iraniens, les Mdes, les Perses ou les Indiens du Rig-Veda.

    Cest ce que font remarquer les spcialistes du Rig-Veda60

    . Cette collectiondhymnes ne donne aucun renseignement sur la faon dont les Indo-Aryens sontentrs en Inde, serait-ce seulement parce que la notion dInde nexistait pas. LesProto-Indo-Aryens nont jamais eu conscience de passer une frontire invisible etdtre entrs dans un pays nouveau. En revanche, le Rig-Veda est riche de rensei-gnements sur le monde o vivaient les prtres et les chefs des groupes indo-aryensdvots dIndra. Nul souvenir du dsert, ni dune agriculture savamment irrigueou non. Pas de construction savante ou gigantesque : lespurvdiques, comme levarade lAvesta, sont de simples enclos. Pas de temple : le culte est ciel ouvertet le restera longtemps. Aucune trace du bestiaire mythique de la civilisation de

    lOxus61

    . Le monde du Rig-Veda est un monde de larges rivires et de pluies donton espre la venue, mais qui tomberont en abondance. Lhabitat est temporaire :les Aryas sont en dplacement. Bovins et chevaux sont les symboles de la richesse.Lagriculture est connue, mais la nourriture la plus prise est dorigine animale : lait,beurre, graisse, viandes. La guerre et la