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Médecine des maladies Métaboliques - Juin 2012 - Vol. 6 - N°3 Épidémiologie, coûts et organisation des soins 238 © 2012 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. Correspondance : Anna Sarr Clinique médicale II Centre hospitalier Abass Ndao Avenue Cheikh Anta Diop BP 5487 Dakar-Fann Dakar, Sénégal [email protected] A. Sarr 1 , P. Lopez-Sall 2 , N.-M. Ndour-Mbaye 1 , S.-N. Diop 1 , G.-N. Sarr 3 , O. Diop 2 , N.-D. Sall 3 , M. Touré 3 , A. Cissé 2 1 Clinique médicale II, Centre du diabète Marc Sankalé, Centre hospitalier Abass Ndao ; Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontologie ; Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal. 2 Laboratoire de biochimie pharmaceutique, Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontologie ; Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal. 3 Laboratoire de biochimie médicale, Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontologie ; Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal. Fréquence du syndrome plurimétabolique et des anomalies associées au sein d’une population noire au Sénégal Frequency of metabolic syndrome in Black Africans, in Senegal Résumé La rareté des travaux sur le syndrome plurimétabolique (SM) en Afrique nous a incités à entreprendre une étude, en vue d’évaluer sa fréquence et celle de ses complications dans une population sénégalaise, selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du National Cholesterol Evaluation Program-Adult Treatment Panel III (NCEP-ATP III). Une relation éventuelle entre la protéine C réactive ultrasensible (CRPus) et les facteurs de risque athérogène classiques a été également recherchée. L’étude a été réalisée de manière transversale et prospective sur un effectif de 902 sujets, a priori non diabétiques, âgés de 20 à 60 ans, avec un sex-ratio (F/H) de 0,57. Les paramètres cliniques et anthropométriques, de même que les variables biologiques impliquées dans le développement du SM ont été étudiés. La fréquence du SM était plus élevée, selon les critères NCEP-ATP III, comparés aux critères de l’OMS (22,7 % versus 8,9 %), surtout dans la tranche d’âge 41-60 ans (68,8 %), et les hommes étaient plus atteints (65,0 %, critères OMS ; 57,1 %, cri- tères NCEP-ATP III). L’hypertension artérielle était l’anomalie clinique la plus fréquente (68,8 %, critères OMS ; 92,2 %, critères NCEP-ATP III). L’hyperglycémie à jeun et les dyslipidémies étaient retrouvées chez environ un tiers des sujets. Une évolution parallèle était observée entre la CRPus et les facteurs de risque athérogène (triglycéri- démie, p < 5.10 -3  ; LDL-cholestérolémie, p < 3.10 -2  ; indice de masse corporelle [IMC], p < 3.10 -5  ; tour de taille, p < 1,8.10 -2 ) au sein de la population globale. En revanche, cette relation n’était pas observée chez les sujets porteurs du SM. Nos résultats indiquent donc la fréquence non négligeable du SM et des anomalies qui lui sont rattachées, ainsi que le rôle de la CRPus comme marqueur prédictif des maladies cardiovasculaires dans notre population d’étude. Mots-clés : Syndrome métabolique – dyslipidémies – CRPus – risque cardiovasculaire – Sénégal. Summary The scarcity of studies about the metabolic syndrome (MS) in Africa has motivated us to conduct a study which aim is to evaluate its frequency as well as its complications according to WHO and NCEP-ATP III criteria in a Senegalese population. A possible relationship between high-sensitivity C-reactive protein (hs-CRP) and classical athe- rogenic risk factors has also been evaluated. We conducted a transversal and prospective study including 902 subjects aged 20 to 60 years with a sex ratio (F/M) of 0.57. We studied clinical and anthropometric as well as biological variables of the MS. Frequency of MS was higher according to NCEP-ATP III criteria compared to WHO’s (22.7% vs. 8.9%) especially in the year range 41-60 years (68.8%) and men were mostly concerned (65.0% according to WHO vs. 57.1% according to NCEP-ATP III).

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Médecine des maladies Métaboliques - Juin 2012 - Vol. 6 - N°3

Épidémiologie, coûts et organisation des soins238

© 2012 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Correspondance :

Anna SarrClinique médicale IICentre hospitalier Abass NdaoAvenue Cheikh Anta DiopBP 5487 Dakar-FannDakar, Séné[email protected]

A. Sarr1, P. Lopez-Sall2,

N.-M. Ndour-Mbaye1, S.-N. Diop1,

G.-N. Sarr3, O. Diop2, N.-D. Sall3,

M. Touré3, A. Cissé2

1 Clinique médicale II, Centre du diabète Marc Sankalé, Centre hospitalier Abass Ndao ; Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontologie ; Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal.2 Laboratoire de biochimie pharmaceutique, Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontologie ; Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal.3 Laboratoire de biochimie médicale, Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontologie ; Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal.

Fréquence du syndrome plurimétabolique et des anomalies associées au sein d’une population noire au SénégalFrequency of metabolic syndrome in Black Africans, in Senegal

Résumé

La rareté des travaux sur le syndrome plurimétabolique (SM) en Afrique nous a incités à entreprendre une étude, en vue d’évaluer sa fréquence et celle de ses complications dans une population sénégalaise, selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du National Cholesterol Evaluation Program-Adult Treatment Panel III (NCEP-ATP III). Une relation éventuelle entre la protéine C réactive ultrasensible (CRPus) et les facteurs de risque athérogène classiques a été également recherchée.L’étude a été réalisée de manière transversale et prospective sur un effectif de 902 sujets, a priori non diabétiques, âgés de 20 à 60 ans, avec un sex-ratio (F/H) de 0,57. Les paramètres cliniques et anthropométriques, de même que les variables biologiques impliquées dans le développement du SM ont été étudiés.La fréquence du SM était plus élevée, selon les critères NCEP-ATP III, comparés aux critères de l’OMS (22,7 % versus 8,9 %), surtout dans la tranche d’âge 41-60 ans (68,8 %), et les hommes étaient plus atteints (65,0 %, critères OMS ; 57,1 %, cri-tères NCEP-ATP III). L’hypertension artérielle était l’anomalie clinique la plus fréquente (68,8 %, critères OMS ; 92,2 %, critères NCEP-ATP III). L’hyperglycémie à jeun et les dyslipidémies étaient retrouvées chez environ un tiers des sujets. Une évolution parallèle était observée entre la CRPus et les facteurs de risque athérogène (triglycéri-démie, p < 5.10-3 ; LDL-cholestérolémie, p < 3.10-2 ; indice de masse corporelle [IMC], p < 3.10-5 ; tour de taille, p < 1,8.10-2) au sein de la population globale. En revanche, cette relation n’était pas observée chez les sujets porteurs du SM.Nos résultats indiquent donc la fréquence non négligeable du SM et des anomalies qui lui sont rattachées, ainsi que le rôle de la CRPus comme marqueur prédictif des maladies cardiovasculaires dans notre population d’étude.

Mots-clés : Syndrome métabolique – dyslipidémies – CRPus – risque cardiovasculaire – Sénégal.

Summary

The scarcity of studies about the metabolic syndrome (MS) in Africa has motivated us to conduct a study which aim is to evaluate its frequency as well as its complications according to WHO and NCEP-ATP III criteria in a Senegalese population. A possible relationship between high-sensitivity C-reactive protein (hs-CRP) and classical athe-rogenic risk factors has also been evaluated.We conducted a transversal and prospective study including 902 subjects aged 20 to 60 years with a sex ratio (F/M) of 0.57. We studied clinical and anthropometric as well as biological variables of the MS.Frequency of MS was higher according to NCEP-ATP III criteria compared to WHO’s (22.7% vs. 8.9%) especially in the year range 41-60 years (68.8%) and men were mostly concerned (65.0% according to WHO vs. 57.1% according to NCEP-ATP III).

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Introduction

Décrit par Reaven sous le nom de « syn-drome X », le syndrome métabolique (SM) est une pathologie émergente qui résulte de l’interaction de facteurs génétiques, hormonaux et environnementaux.Le SM pourrait être défini comme une combinaison de diverses anomalies anthropométriques, cliniques et bio-logiques, en rapport avec l’insulinoré-sistance, indépendamment associées au risque cardiovasculaire. Toutefois, ce concept est plutôt controversé. En effet, selon Reaven, la valeur du SM doit être considérée, non pas en termes physio pathologiques, mais comme une approche pragmatique pour obtenir un meilleur résultat clinique [1].La définition du SM varie selon les auteurs et les comités d’experts. Cinq définitions sont, actuellement, en vigueur [2] :– celle de Reaven (« syndrome X ») ;– celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ;– celle du National Cholesterol Evaluation Program-Adult Treatment Panel III (NCEP-ATP III) ;– celle de l’European Group for the Study of the Insulin Resistance (EGIR) ;– celle de la Fédération internationale du diabète (FID).Le SM est très répandu aux États-Unis, avec 47  millions de personnes concernées [3, 4]. Une enquête, selon les critères du NCEP-ATP III, concluait, au début des années 2000, à une fré-quence de 21,8 % dans la population américaine, mais celle-ci augmenterait avec l’âge, pour atteindre 43,5 % de la population âgée de 60 à 69 ans [5]. En Europe, il existe une grande disparité,

l’Angleterre, l’Irlande et la Suède présen-tant les fréquences les plus élevées [6]. En France, la fréquence du SM serait de 10 % [2]. Peu de données relatives aux populations noires africaines sont disponibles. Des études au Burkina [7] et en Côte d’Ivoire [8] rapportent des fréquences de 4,8 et 4,94 %, respec-tivement.

Objectifs de l’étude

Pour ce travail, nous nous sommes fixés comme objectifs :− d’évaluer la fréquence du SM au sein d’une population sénégalaise ;− de comparer la fréquence du SM selon les critères OMS et NCEP-ATP III ;− de déterminer et comparer les fré-quences des perturbations cliniques et biologiques au cours du syndrome métabolique ;− de rechercher une relation éventuelle entre les facteurs de risque classiques des maladies cardiovasculaires et la pro-téine C réactive ultrasensible (CRPus).

Matériel et méthodes

Population de l’étude

• Il s’agit d’une étude transversale pros-pective, réalisée dans le cadre d’une visite annuelle systématique du per-sonnel d’une entreprise dakaroise du secteur quaternaire. La prise en charge implique le personnel administratif, tech-nique et de service, toutes catégories sociales confondues. • La population d’étude était compo-

sée de toutes les personnes ayant été

vues lors de la visite annuelle et qui ont accepté de participer à l’étude. Elles ont toutes bénéficié d’un examen clinique complet et des dosages sanguins pré-vus par l’étude. Il s’agissait de 902 per-sonnes, a priori non diabétiques jusqu’à la date de l’étude, le dépistage du dia-bète étant annuel et systématique dans l’entreprise. Les catégories d’âge vont de 20 à 60 ans. Le sex-ratio (femmes/hommes) est de 0,57.

Définitions du syndrome métabolique utiliséesPour la définition du SM, nous avons utilisé les critères de l’OMS et ceux du NCEP-ATP III, afin de pouvoir comparer les résultats avec ceux des autres études africaines portant sur le SM. • Selon l’OMS, un sujet serait porteur

du SM lorsqu’il présente une glycé-mie à jeun ≥ 1,10 g/l ou un diabète de type 2, associé à deux des anomalies suivantes :− une dyslipidémie (triglycérides plas-matiques >  1,70 mmol/l  [1,50  g/l] e t /ou HDL-cholestéro l   [HDL-C] < 0,90 mmol/l [0,35 g/l] chez l’homme et <  1,00 mmol/l  [0,40  g/l] chez la femme), ou,− une pression artérielle systolique (PAS) > 140 mm Hg et une PA diastolique (PAD) > 90 mm Hg, ou,− une obésité centrale (rapport tour de taille/tour de hanche  [T/H] > 0,90 chez l’homme ou >  0,85 chez la femme, ou indice de masse corpo-relle [IMC] ≥ 30 kg/ m2), ou,− une microalbuminurie (taux d’excrétion urinaire d’albumine > 20 mg/min, ou rap-port albumine/créatinine > 30 mg/g).Dans notre étude, la microalbuminurie n’a pas été dosée. • Pour le groupe d’experts du NCEP-

ATP III, le SM existe lorsque trois, au moins, des facteurs de risque suivants sont présents :− une triglycéridémie >  1,7 mmol/l (1,50 g/l) ;− une HDL-cholestérolémie < 1,0 mmol/l (0,40 g/l) chez l’homme et < 1,3 mmol/l (0,50 g/l) chez la femme ;− un tour de taille (TT) > 102 cm pour l’homme et > 88 cm pour la femme ;− une PAS >  130  mm Hg et une PAD > 85 mm Hg ;− une glycémie à jeun ≥ 1,10 g/l.

High blood pressure was the most frequent clinical abnormality (68.8% according to WHO vs. 92.2% according to NCEP-ATP III). Hyperglycemia and dyslipidemia were found in one third of subjects. A parallel evolution was observed between hs-CRP and atherogenic risk factors (triglyceridemia, p<5.10-3; LDL-cholesterolemia, p<3.10-2; BMI, p<3.10-5; waist circumference, p<1.8.10-2) in the general population. This relationship was not found in subjects with MS.Thus our results indicate the significant frequency of MS and its associated abnorma-lities as well as the role of hs-CRP as a predictive marker of cardiovascular disease in our studied population.

Key-words: Metabolic syndrome – dyslipidemia – hs-CRP – cardiovascular risk –Senegal.

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Paramètres évalués

Pour chaque sujet, plusieurs paramètres ont été évalués. • Les paramètres cliniques et anthro-

pométriques :

− âge et sexe ;− pression artérielle ;− poids, taille, tour de taille (TT) et tour de hanche (TH), rapport tour de taille/tour de hanche (T/H) et IMC en kg/taille (m2). • Les paramètres biologiques :

− la glycémie à jeun a été déterminée par la méthode glucose oxydase ;− les triglycérides ont été dosés par la méthode faisant appel au système lipase/glycérol kinase/glycérol phos-phate oxydase/peroxydase ;− le cholestérol total a été évalué par la technique impliquant la cholestérol estérase, la cholestérol oxydase et la peroxydase ;− le HDL-cholestérol (HDL-C) a été dosé après précipitation des lipo-protéines légères, selon la technique enzymatique de détermination du cho-lestérol total ;− le LDL-cholestérol (LDL-C) a été cal-culé selon la formule de Friedewald ;− la détermination de la CRPus a été réa-lisée par réaction immunoturbidimétrique sur particules de latex (Biosystems, Barcelone, Espagne).

Analyse statistiqueLes données ont été analysées à l’aide du logiciel SPSS® version 11.0, dans le but de déterminer les fréquences du SM selon les critères utilisés, de comparer et d’étudier les corrélations entre les variables mesurées.Les différences observées ont été consi-dérées comme significatives pour des valeurs de p < 0,05.

Résultats

Fréquence du syndrome métabolique

La fréquence du SM était de 8,9 % selon la définition OMS et de 22,7 % selon le NCEP-ATP III.Quel que soit le critère considéré, cette fréquence augmente avec l’âge. Toutefois, cette augmentation est beau-coup plus importante (2 à 5 fois) avec les critères NCEP-ATP III (tableau I).

S’agissant de la répartition selon le sexe, les hommes sont plus fréquemment atteints :− 65,0 % selon les critères OMS ;− 57,1 % selon les critères NCEP-ATP III.

Perturbations cliniquesL’hypertension artérielle (HTA) est l’anoma-lie clinique la plus fréquente, que l’on consi-dère selon les critères de l’OMS (68,8 %) ou ceux du NCEP-ATP III (92,2 %).L’obésité a été observée dans 21,3 % (IMC) et 31,3 % des cas (rapport T/H) au sein de la population de patients sélec-tionnés sur la base des critères de l’OMS, alors que selon le NCEP-ATP III, ne prenant en compte que le tour de taille, 39,5 % de cas ont été enregistrés (tableau II).

Perturbations biologiques • Sujets ayant un SM selon les cri-

tères de l’OMS

− Dans le groupe de sujets ayant un SM défini selon les critères OMS, 46,3 % présentaient une glycémie à jeun anor-male et 53,8 % un diabète avéré.– Le bilan lipidique était perturbé chez plus de la moitié des sujets, avec une

hypertriglycéridémie (51,3 %), une hypo-HDL-cholestérolémie (58,8 %) et, chez moins du tiers des patients (30,0 %), une hyper-LDL-cholestérolémie.− Le taux de CRPus était élevé chez 35  % des sujets, se répartissant en risque modéré (CRPus compris entre 1 et 3 mg/l) ou élevé (CRPus > 3 mg/l) dans 67,9 % et 32,1 % des cas, respective-ment (figure 1). • Sujets ayant un SM selon les cri-

tères du NCEP-ATP III

− Dans le groupe de sujets classés SM selon les critères du NCEP-ATP III, 39,0 % présentaient une hyperglycémie, avec davantage de diabétiques (21,0 %) que de sujets ayant une glycémie à jeun anormale (18,1 %).− Par ailleurs, l’hypo-HDL-cholestérolé-mie était la perturbation prédominante (82,0 %) parmi les anomalies lipidiques. Parallèlement, l’hyper triglycéridémie tou-chait 57,6 % de ces sujets SM, alors que plus de la moitié des sujets avaient un taux de LDL-C élevé (68,3 %).− Quant au taux moyen de CRPus, il était élevé chez 93,2 % des individus (figure 2).

Tableau I : Fréquence du syndrome plurimétabolique par tranche d’âge, selon les critères de

l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du National Cholesterol Evaluation Program-

Adult Treatment Panel III (NCEP-ATP III).

Tranche d’âge (ans) Critères

de définition

20 à 30 31 à 40 41 à 50 > 50

Nombre de cas/tranche

d’âge

OMS 5 20 24 31

NCEP-ATP III 25 38 72 70

Effectif total/tranche d’âge OMS/NCEP-ATP III 213 247 260 182

Fréquence (%) OMS 2,3 8,1 9,2 17,0

NCEP-ATP III 11,7 15,4 27,7 38,5

Tableau II : Fréquence des perturbations cliniques selon les critères de l’Organisation mon-

diale de la santé (OMS) et du National Cholesterol Evaluation Program-Adult Treatment

Panel III (NCEP-ATP III).

Paramètres

cliniques

Critères

de définition

Effectif Effectif total Fréquence (%)

HTA OMS 55 80 68,8

NCEP-ATP III 189 205 92,2

IMC élevé OMS 17 80 21,3

T/H élevé OMS 25 80 31,3

TT élevé NCEP-ATP III 81 205 39,5

HTA : hypertension artérielle ; IMC : indice de masse corporelle ; T/H : rapport tour de taille/tour de hanche ; TT : tour de taille.

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• Relation CRPus, paramètres cli-

niques, anthropométriques et bio-

logiques

En étudiant la CRPus par rapport aux paramètres cliniques, anthropométriques et biologiques (tableaux III et IV), il est apparu que, dans la population générale, la CRPus évolue dans le même sens que les principaux facteurs de risque athéro-gène (triglycérides, LDL-C, IMC et TT). Cette relation n’a pas été observée chez les sujets porteurs du SM.

Discussion

Fréquence du syndrome métabolique

La fréquence de 8,9 % observée dans notre étude avec les critères de l’OMS est faible, comparée à celles observées au sein des populations nord-américaine et européenne où elles sont, respective-ment, de 41,3 % et de 23,0 % [9]. Ces différences pourraient s’expliquer par le style de vie occidental plus sédentaire

– et par l’alimentation plus riche en calo-ries – que chez les Africains. En revanche, nos résultats se rapprochent de ceux de l’étude au Burkina [7] et de celle en Côte d’Ivoire [8], où les fréquences du SM sont respectivement de 4,8 % et 4,9 %, bien que celle observée au Sénégal soit deux fois supérieure.Quant à la fréquence de 22,7 % selon les critères du NCEP-ATP III, elle est impressionnante, car elle indique que le SM atteint un sujet sur cinq. Elle se rapproche de celle de 21,8 %, obtenue, selon les mêmes critères, par Ford et al. dans une population américaine [5]. Selon Cossrow et Falkner, la fréquence du SM varie d’un groupe ethnique à un autre, et elle serait de [10] :− 22 % au sein d’une population améri-caine d’origine africaine ;− 32 % pour les sujets d’origine hispa-nique ;− 24 % pour les sujets caucasiens.Dans notre étude, la fréquence obtenue en retenant les critères NCEP-ATP  III est environ trois fois plus élevée que celle trouvée selon les critères de l’OMS (22,7 % versus 8,9 %). Nos résultats diffèrent de ceux rapportés par Ford et Giles, qui ont comparé la fréquence du SM selon les critères OMS et NCEP-ATP III dans une population américaine, et ont obtenu des résultats superposables (25,1 % et 23,9 %, respectivement), avec une bonne concordance de 86,2 % [11].Par ailleurs, nos chiffres, près de deux fois plus élevés que ceux rapportés dans les études menées au Burkina [7] et en Côte d’Ivoire [8], laissent présager une fréquence de plus en plus importante du SM en Afrique. La fréquence du SM est plus importante dans les tranches d’âges les plus élevées, quels que soient les cri-tères appliqués (OMS ou NCEP-ATP III). Cette constatation est conforme aux résultats de la littérature. En effet, 15 % de la population adulte souffrent de SM en Europe, 24 % aux États-Unis et 20 % dans le monde [12]. • Toutefois, le SM émerge actuellement

chez les enfants et les adolescents. Une étude, menée en 1999 au Québec (Canada), chez des écoliers âgés de 9 à 16 ans, a effectivement rapporté une fréquence de 11,5 % dans cette population [13]. L’émergence de l’obé-sité chez les enfants et les adolescents

Figure 2. Fréquence des perturbations biologiques selon les critères du National Cholesterol Evaluation Program-Adult Treatment Panel III (NCEP-ATP III).

0

20

40

60

80

100

I FG

Diabète

TG élevé

HDL-C bas

LDL-C élevé

CRPus élevé

IFG : hyperglycémie modérée à jeun (impaired fasting glucose) ; TG : triglycérides ; HDL-C : HDL-cholestérol ; LDL-C : LDL-cholestérol ; CRPus : protéine C réactive ultrasensible.

Figure 1. Fréquences des perturbations biologiques selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

0

10

20

30

40

50

60

I FG

Diabète

TG élevé

HDL-C bas

LDL-C élevé

CRPus élevé

IFG : hyperglycémie modérée à jeun (impaired fasting glucose) ; TG : triglycérides ; HDL-C : HDL-cholestérol ; LDL-C : LDL-cholestérol ; CRPus : protéine C réactive ultrasensible.

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Épidémiologie, coûts et organisation des soins242

ailleurs, la distribution gynoïde de leur masse grasse les expose également moins aux complications cardiovascu-laires [17].

Perturbations biologiques • Sur le plan biologique, plus de la moi-

tié des sujets sélectionnés selon les cri-tères de l’OMS avaient un diabète avéré (53,8 %), et 46,3 % présentaient une hyperglycémie modérée à jeun (non dia-bétique). Selon les critères NCEP-ATP III, ces chiffres étaient respectivement de 21,0 % et 18,1 %. La fréquence, non négligeable, de sujets présentant une hyperglycémie à jeun souligne la néces-sité d’instaurer des mesures préventives et une surveillance adéquate afin d’éviter l’installation d’un diabète patent. • Les fréquences des anomalies

lipidiques sont variables selon les critères considérés. L’hypo-HDL-cholestérolémie est l’anomalie prédomi-nante, quel que soit le critère considéré (58,8 %, OMS ; 82,0 %, NCEP-ATP III). Selon certains auteurs [18], il s’agirait d’un facteur de risque vasculaire indé-pendant, dont la valeur pronostique pour la maladie cardiovasculaire serait au moins égale à celle du LDL-C. Alors que les fréquences semblent similaires pour l’hypertriglycéridémie, s’agissant de l’hyper-LDL-cholestérolémie, sa fré-quence passe du simple au double selon les critères OMS ou les critères NCEP-ATP III (30,0 et 68,3 %, respectivement), témoignant d’un risque cardiovasculaire élevé.Dans notre population, ce risque est majoré par le pourcentage important de taux élevés de CRPus enregistrés (35,0 % selon les critères OMS ; 93,2 % en appliquant ceux du NCEP-ATP III). Ceci traduit la présence plus marquée chez ces patients de l’inflammation à bas bruit générée par les phénomènes d’athérogenèse [19].Les pourcentages importants de CRPus relevés dans notre série nous ont incités à rechercher ses relations éventuelles avec les autres facteurs de risque cardio-vasculaire. L’évolution de la CRPus dans le même sens que la triglycéridémie, le taux de LDL-cholestérol plasmatique, l’IMC et le TT, au sein de la population générale (tableaux III et IV), et non chez les porteurs de SM, confirmerait son rôle

Aspects cliniques

Sur le plan clinique, l’HTA est la pertur-bation la plus couramment rencontrée, aussi bien lorsque nous appliquons les critères de l’OMS (68,8 %) que ceux du NCEP-ATP III (92,2 %), avec, toutefois, un nombre plus important de sujets hypertendus dans le groupe de patients SM définis selon les critères du NCEP-ATP III. Ceci est lié aux critères de défi-nition de l’HTA (130/85 mm Hg pour le NCEP-ATP III versus 140/90  mm  Hg pour l’OMS). L’obésité, quant à elle, est observée dans 21,3 % et 31,3 % des cas lorsque, respectivement, l’IMC et le rapport T/H sont considérés pour les critères de l’OMS, et dans 39,5 % des cas pour ceux du NCEP-ATP III (tableau II).Ces résultats soulignent que le tour de taille est un critère plus sensible pour la détection de l’obésité, et que l’obé-sité androïde joue un rôle essentiel dans l’installation du SM. Cependant, il a déjà été souligné dans une précédente étude au Sénégal, que les femmes, bien qu’elles soient plus « grasses », ont une pression artérielle plus basse et un meilleur profil lipidique [16]. Par

jouerait un rôle essentiel. En effet, aux États-Unis, une étude a révélé une fré-quence du syndrome métabolique qui s’élève à 4,2 % chez les adolescents à poids normal, mais à 28,7 % chez ceux en surpoids [14]. Dans notre étude, les sujets les plus jeunes sont également atteints avec, dans la tranche d’âge de 20 à 30 ans, une fréquence du SM de 2,3 %. Ceci souligne l’intérêt d’inclure les jeunes sujets dans les stratégies de prévention de cette affection. • La répartition des fréquences du SM,

en fonction du sexe, montre une pré-dominance masculine (65,0  % selon les critères OMS ; 57,1 % selon ceux du NCEP-ATP III) (figure 1). Nos résul-tats concordent avec ceux de l’étude allemande Prospective cardiovascular Münster (PROCAM), menée au sein de populations d’hommes d’une part, et de femmes d’autre part, et rappor-tant des fréquences du « syndrome X » décrit par Reaven, de 26,8 % et 21,6 %, respectivement  [15]. Une étude réa-lisée en France, chez des sujets âgés de 35 à 64 ans, et utilisant les critères NCEP-ATP III, a également trouvé une fréquence de 20 % chez les hommes et de 12 % chez les femmes [2].

Tableau III : Influence de la protéine C réactive ultrasensible (CRPus) sur les paramètres

cliniques et anthropométriques dans la population globale.

CRPus (mg/l)

Paramètres (moyennes) CRPus < 1 1 < CRPus < 3 CRPus > 3 p

• IMC (kg/m²) 22,9 25,8 26,6 0,00003

• TT (cm) 85,5 88,2 89,7 0,018

• T/H (cm) 98,8 100,2 101,7 0,104

• PAD (mm Hg) 8,2 8,4 8,6 0,449

• PAS (mm Hg) 12,3 12,3 12,8 0,070

IMC : indice de masse corporelle ; TT : tour de taille ; T/H : rapport tour de taille/tour de hanche ; PAS : pression artérielle systolique ; PAD : pression artérielle diastolique.

Tableau IV : Influence de la protéine C réactive ultrasensible (CRPus) sur les paramètres

biologiques dans la population globale.

Paramètres (moyennes) CRPus < 1 1 < CRPus < 3 CRPus > 3 p

Glycémie (g/l) 0,98 1,03 0,97 0,295

Triglycérides (g/l) 1,02 1,15 1,20 0,005

Cholestérol total (g/l) 2,10 3,44 2,13 0,349

HDL-cholestérol (g/l) 0,46 0,46 0,47 0,546

LDL-cholestérol (g/l) 1,36 1,50 1,30 0,030

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243Fréquence du syndrome plurimétabolique et des anomalies associées au sein d’une population noire au Sénégal

Médecine des maladies Métaboliques - Juin 2012 - Vol. 6 - N°3

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Financement de l’étude

Cette étude a été financée par le Budget de

recherche de la Faculté de médecine, de phar-

macie et d’odontologie de l’Université Cheikh

Anta Diop de Dakar (Sénégal).

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de marqueur prédictif des maladies car-diovasculaires en prévention primaire. Le dosage de la CRPus est effectivement proposé dans le dépistage et l’évaluation du risque cardiovasculaire en prévention primaire. Son association aux autres fac-teurs de risque cardiovasculaire, notam-ment les marqueurs lipidiques, augmente sa valeur prédictive. C’est ainsi que Rifai et Ridker ont proposé un algorithme uti-lisant les concentrations de CRPus, de cholestérol total et de HDL-C afin de déterminer un risque relatif de survenue d’événement coronarien en prévention primaire [20].La valeur prédictive de la CRPus pour un incident coronarien serait supérieure à celle du cholestérol LDL, selon Rifai [19]. En revanche, certains auteurs recom-mandent des études complémentaires destinées à explorer le rôle de la CRPus dans l’évaluation du risque cardiovascu-laire, des taux élevés de CRPus ayant été trouvés aux États-Unis chez près de 12 millions d’adultes considérés comme normolipémiques [21].

Déclaration d’intérêt

Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit

d’intérêt en lien avec cet article.

Nos résultats confirment, non seulement la fréquence non négligeable du SM au sein de

la population sénégalaise, mais également celle des anomalies cliniques et biologiques

qui lui sont rattachées, notamment l’HTA, le diabète et les dyslipidémies. Eu égard à

ces données, des mesures préventives devraient être prises à l’échelle nationale ou,

à défaut, une stratégie de dépistage précoce, basée sur la recherche d’arguments

cliniques, anthropométriques et biologiques simples, devrait être mise en œuvre.

En effet, seule une stratégie pluridisciplinaire intégrant la sensibilisation des populations

sur cette affection en vue d’un changement de comportement, l’éducation nutritionnelle,

la promotion de l’activité physique et la prévention des complications, peut garantir une

prise en charge efficace du SM et des anomalies cliniques et biologiques associées.

Conclusion