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French Treasury in the U.S. Le Service Economique Régional de l’Ambassade de France aux Etats-Unis
ROBOTS & TRAVAILLEURS :
QUELLES CRAINTES ET QUELS
ESPOIRS AUX ETATS-UNIS ? Par Oualid Bachiri
Le 24 octobre 2018
Aux Etats-Unis, l’idée selon laquelle la vitesse de
développement et l'impact économique des
nouvelles technologies seraient sans précédents est
régulièrement relayée. Un large éventail de métiers
s’exposerait au risque de remplacement par des
robots intelligents. Cette hypothèse est toutefois
contestée par des analyses qui insistent sur les effets
créateurs d’emploi de l’innovation et s’appuient sur
les précédentes expériences de transition
technologique. L’absence de consensus sur la
question restreint les options considérées en
matière de politiques publiques.
A lire également : L’intelligence artificielle aux Etats-Unis (site de la DG Trésor)
L’automatisation dans le secteur financier américain (blog du SER)
QUEL DEBAT SUR L’AUTOMATISATION DU
TRAVAIL AUX ETATS-UNIS ?
1. Les leaders du secteur technologique
décrivent les progrès technologiques actuels
comme inédits et révolutionnaires. Ce point
de vue est régulièrement documenté par les
chercheurs Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee qui
défendent la thèse d’une accélération
« exponentielle » de l’innovation technologique,
énumérant les progrès réalisés dans les télécoms
(5G, microprocesseurs), l’Internet industriel (objets
autonomes et/ou connectés) et en matière
d’intelligence artificielle (machine-learning).
L’enthousiasme actuel vis-à-vis du progrès
technologique se nourrit de la conviction selon
laquelle le renforcement de la puissance de calcul
des ordinateurs et la sophistication des algorithmes
permettront l’automatisation de décisions
complexes qui étaient jusqu’alors prises par des
humains. Des penseurs comme Ray Kurzweil sont
allés jusqu’à théoriser l’idée de « singularité
technologique » qui consiste en une projection
futuriste pariant sur le fait que, d’ici 2050,
l’intelligence des machines dépasse l’entendement
des humains. Ces points de vue contribuent à
renforcer le discours technophile (cf. fiche de
lecture).
Etes-vous enthousiaste ou inquiets par rapport à un futur où les robots peuvent effectuer le travail d’êtres humains ?
Source : sondage du Pew Research Center réalisé auprès de 4 135 personnes en mai 2017
0%
20%
40%
60%
80%
Enthousiastes Inquiets
Plutôt Très
Les analyses de l’économie américaine
#2018-09
Numéro AE-2018-9 Octobre 2018
2. La plupart des études récentes sur
l’impact de l’automatisation sur le travail ont
identifié un risque exposant des millions
d’emplois. Il convient de préciser que le « risque
d’automatisation » n’est pas équivalent à une
destruction d’emploi car l’automatisation s’applique
aux tâches et toutes sont loin d’être automatisables.
La MIT Technology Review a recensé plus d’une
dizaine d’études généralistes portant sur l’impact de
l’automatisation sur les emplois américains, mais il
existe d’autres analyses se focalisant sur des secteurs
ou des métiers. L’étude de Frey et Osborne en 2013,
celle de l’OCDE en 2016, et celle de McKinsey en
2017 ont été les plus citées mais les différences de
méthodologie ont abouti à des conclusions très
variées, avec un nombre d’emplois susceptibles
d’être automatisés entre 9% et 47% du nombre total
d’emplois dans le pays, parfois en contradiction avec
les projections du Bureau of Labor Statistics (voir
tableau ci-dessous) qui fournit les données
nécessaires à ces études.
Exemples de métiers et comparaison entre risque
d’automatisation et évolution attendue de l’emploi
Exemples de métiers
Nombre d'emplois aux Etats-
Unis en 2016
Probabilité d'automatisation sur 20 ans (Frey
& Osborne, 2013)
Evolution attendue de
l’emploi sur 10 (BLS, 2016-
2026)
Vendeurs 4854300 92% 2% Caissiers 3555500 97% -1%
Serveurs 2600500 94% 7% Ouvriers en usines
d'assemblage 1819300 95% -14%
Secrétaires 3990400 96% -5% Chauffeurs de
poids-lourd 3293100 78% 5%
Agents de service clientèle
2784500 55% 5%
Comptables 1730500 98% -1% Infirmière 2955200 0,90% 15%
Radiologues 241700 23% 13% Avocats 792500 3,50% 8%
Traducteurs 68200 38% 18% Source : Frey & Osborne, BLS
3. Les disparités d’analyse ont marginalisé
l’idée d’une raréfaction de l’emploi au
bénéfice d’un « optimisme prudent » des
économistes. Les projections alarmistes partent
souvent du postulat difficile à démontrer que la
vitesse de diffusion du progrès technologique est
supérieure à la capacité de mobilité des travailleurs
(déplacement géographique, acquisition de
nouvelles compétences, etc.). Il est également
difficile d’isoler l’impact du progrès sur les
évolutions de l’emploi, lesquelles répondent à des
logiques multifactorielles. Ainsi, la destruction de
plus de 5 millions d’emplois dans l’industrie
américaine depuis 2000 est tantôt attribuée à
l’automatisation des tâches, à la mondialisation
et/ou à la baisse de productivité des ouvriers
américains comme l’affirme l’Information and
Technology Innovation Foundation (ITIF). Selon ce
think tank proche des opérateurs privés du
numérique, c’est le propre du progrès technique que
de détruire des emplois et de nouveaux emplois
seront créés dans les mêmes industries ou dans les
secteurs émergents. Ainsi, dans un scénario
optimiste, les progrès en médecine offriront
davantage de temps aux médecins pour se consacrer
à la relation avec leurs patients. D’après le BLS, les
métiers de l’aide à la personne et du secteur de la
santé (infirmière, assistant à domicile, …) étaient
parmi ceux qui recrutaient le plus en 2016.
Part de « destruction créatrice » ou job churn depuis 1850
Source et commentaire : ITIF qui définit le job churn comme la somme des valeurs absolues des
emplois créés dans les professions en croissance et des emplois détruits dans les professions en
déclins. Selon l’ITIF, le problème actuel des Etats-Unis est la diffusion trop lente des innovations
technologiques, comparée aux années précédentes.
4. L’exemple du métier de chauffeur de
poids-lourds illustre les difficultés à
appréhender les risques sur l’emploi. Les
chauffeurs de poids-lourds sont peu qualifiés mais
disposent de syndicats et sont rémunérés au-dessus
de la moyenne nationale. Il s’agit d’un des métiers
les plus répandus aux Etats-Unis avec plus de 3
millions d’emplois. Selon des estimations de
Goldman Sachs (2017), Ces emplois pourraient
disparaître au rythme de 300 000 destructions
d’emplois dès le moment où les véhicules autonomes
seront largement diffusés. Toutefois, bien que la
commercialisation des premiers modèles est prévue
pour 2020, la généralisation des véhicules devrait
s’étaler sur au moins deux décennies car la
technologie doit encore répondre à plusieurs défis :
(i) il faudra 5 à 10 ans supplémentaires pour
répondre aux difficultés techniques de la circulation
en milieu urbain ; (ii) le coût des technologies
impliquées (radar, caméras, lasers, scanners,
senseurs…) sera dans un premier temps prohibitifs ;
(iii) l’évolution des normes juridiques actuelles et
l’harmonisation des législations entre Etats fédérés
avance lentement ; (iv) l’acceptation sociale reste
faible actuellement : pour l’instant, seuls 37% des
Numéro AE-2018-9 Octobre 2018
conducteurs se disent prêts à acheter une voiture
autonome indépendamment du prix.
QUEL POSITIONNEMENT DES DECIDEURS
PUBLICS ?
5. Il existe un consensus sur les bienfaits
économique de l’innovation mais il n’efface
pas la crainte d’un possible accroissement
des inégalités. Fin 2016, l’administration Obama
a publié une série de trois rapports sur l’intelligence
artificielle, dont un rédigé par le Conseil
économique de la Maison Blanche. Les opportunités
offertes par la technologie y sont valorisées
(amélioration des diagnostics médicaux, baisse de la
mortalité sur les routes, meilleur efficacité des
services publics, sécurité nationale) mais le rapport
n’exclue pas un risque de polarisation du marché du
travail qui pénaliserait les classes moyennes et
bénéficierait principalement aux activités les plus
qualifiés, notamment dans le secteur tech. En effet,
à l’instar des précédentes révolutions industrielles,
les métiers les moins qualifiées (dont
traditionnellement les tâches sont routinières et
répétitives) seront, dans un futur proche, les plus
exposés au risque de substituabilité par la machine,
à mesure que le coût des technologies s’amoindrit.
Les métiers peu qualifiés des usines sont d’ores et
déjà concurrencés par la diffusion des robots
industriels, parfois à moindre coût (ex. : Rethink
Baxter, Kiva Systems).
Principales capitalisations boursières et nombre d’employés
aux Etats-Unis, en 1962 et 2017
Année Entreprises Capitalisation boursière
(Mds USD)
Nombre d’employés
1962 AT&T 20 564 000 General Motors 12 605 000
2017 Apple 800 116 000 Alphabet 679 73 992 Microsoft 540 114 000 Facebook 441 18 770 Oracle 186 136 000 Cisco 157 73 390 Priceline 92 20 500 Qualcomm 85 30 5000
Source et commentaire : Brookings Institute qui remarque que les
grandes entreprises tech disposant d’une forte capitalisation boursière
maintiennent un niveau d’emploi limité en comparaison avec des grandes entreprises des années 60. On notera que Brookings n’intègre
pas Amazon dans son analyse.
6. Les propositions de soutiens à
l’innovation sont privilégiées afin de
maintenir l’avantage technologique des
Etats-Unis, notamment face à la compétition de la
Chine qui prévoit d’importants investissements
publics en matière d’intelligence artificielle. En
2018, la Maison Blanche a confirmé cette
orientation lors d’un sommet sur l’intelligence
artificielle, en articulant son action autour : (i)
d’investissements en recherche fondamentale
principalement sous l’égide de la National Science
Foundation, du National Institutes of Health ou
d’autres agences très innovantes (ex. : DARPA) ; (ii)
de mesures d’assouplissement du cadre
règlementaire des secteurs innovants ; (ii) et des
instructions à l’attention des agences fédérales afin
qu’elles intègrent ces nouvelles technologies en
s’appuyant sur les recommandations du National
Institute of Standards and Technology et qu’elles
s’engagent dans des initiatives d’Open Data. Au
Congrès, la question de l’automatisation du marché
du travail a été abordée par deux projets de lois à la
Chambre des Représentants (FUTURE of AI Act et
AI Jobs Act). Ils visent essentiellement à inciter le
Department of Commerce et le Department of
Labor à poser un premier diagnostic sur les métiers
à risque et sur les métiers d’avenir (dont les besoins
en main d’œuvre justifieraient un soutien public
dans la formation).
7. Parmi les mesures d’accompagnement,
la formation est considérée comme
indispensable mais le niveau fédéral a un
pouvoir d’action limité. Les Etats fédérés, les
collectivités territoriales et les universités disposent
en effet d’une plus large marge de manœuvre
s’agissant des programmes scolaires. Le pouvoir
central se limite à des incitations à travers la mise en
place de subventions publiques à destination des
établissements afin de développer des cursus liés
aux sciences informatiques, bien souvent avec
l’appui d’acteurs privés. En septembre 2017, le
Department of Education a annoncé qu’il allouera,
sur cinq ans, des subventions à hauteur de 200 M
USD complétées par des contributions de la part du
secteur privées d’un montant total de 300 M USD :
Amazon, Facebook, Google et Microsoft se sont
engagés chacun à contribuer à hauteur de 50 M
USD. Au-delà de l’initiation au code ou de la mise en
place de filières de formation en ingénierie, l’objectif
est de développer des parcours en alternance ou des
formations intensives (bootcamp) offrant une
certification à un métier qualifié dont les
compétences techniques sont de plus en plus
demandées, sans devoir passer par quatre années de
collège universitaire. Dans cette perspective, l’Etat
fédéral pourrait avoir un rôle plus actif en incitant
d’une part, les Etats à harmoniser leurs critères de
certification, et d’autre part les entreprises à investir
dans les programmes de formation (cf. décret
présidentiel sur la formation professionnelle).
Numéro AE-2018-9 Octobre 2018
8. S’agissant des mesures de lutte contre les
inégalités, celles-ci font l’objet de clivage dès
lors qu’elles impliquent l’intervention de
l’Etat fédéral. Certaines propositions distributives
comme la mise en place d’une fiscalité des machines
ou l’élaboration d’un revenu universel ont eu un fort
écho aux Etats-Unis car elles ont été relayées par des
personnalités influentes du secteur tech. Mais ces
propositions sont marginales sur l’échiquier
politique, car elles sont perçues comme
incompatibles avec les impératifs de compétitivité
de l’économie américaine. Ce type de mesures peut
toutefois faire l’objet d’expérimentations privées et
locales. C’est le cas par exemple d’une
expérimentation du revenu universel par
l’incubateur de startups Y Combinator. On peut
aussi citer l’émergence de premiers dispositifs de
droits portatifs pour les travailleurs de la gig
economy dont la rémunération à la tâche les prive
des avantages sociaux souvent rattachés au salariat
(protection sociale, congés payés, cotisation retraite,
etc.).
9. En revanche, il existe moins de clivage
partisan s’agissant des inégalités
territoriales. A cet égard, les pouvoirs publics
concentrent leurs efforts sur (i) l’amélioration de
l’accès à l’internet haut débit dans les communautés
rurales ; (ii) la mise en place d’incitations financières
pour attirer les entreprises innovantes et les
investisseurs privés dans les zones défavorisées (au
niveau de l’Etat fédéré ou au niveau fédéral). Il faut
aussi enfin relever l’importance des initiatives
privées visant à répondre aux manques
d’opportunités économiques. Le co-fondateur
d’AOL a notamment lancé l’initiative Rise of the Rest
visant à attirer davantage de fonds en capital-risque
dans le Mid-West des Etats-Unis. Fin 2017, 150 M
USD ont été levés auprès de personnalités telles que
Jeff Bezos (PDG de Amazon), Eric Schmidt (ancien
PDG de Google) et Howard Schultz (PDG de
Starbucks).
Conclusion :
Loin de faire consensus, les hypothèses pessimistes sur
l’avenir du travail retiennent peu l’attention des pouvoirs
publics qui se focalisent sur le renforcement de
l’avantage technologique des Etats-Unis, lequel inclut le
besoin de davantage former aux compétences techniques
les plus demandées. Le secteur tech est mobilisé sur ces
questions de formation bien qu’il porte aussi un discours
spécifique à la fois sur la nécessité de faciliter l’accès au
marché du travail américain à des travailleurs étrangers
hautement qualifiés, ainsi que sur l’intérêt de développer
des mécanismes de redistribution afin de renforcer
l’acceptation sociale des nouvelles technologies.
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autorisation expresse du Service Économique
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Editeur :
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Revu par : Jonas Anne-Braun, Sabine Lemoyne de Forges
Source : SER des Etats-Unis