Francisco Candido Xavier Fr Série André Luiz 13 Et La Vie Continue Yjsp

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FRANCISCO CANDIDO XAVIER ET LA VIE CONTINUE 1

description

André Luiz nous offre ici un portrait de la vie spirituelle après la désincarnation, montrant que la situation de l’habitant du plan spirituel est en relation avec sa condition mentale.Dans un style romancé, l’auteur présente l’histoire de personnages réels, avec des noms bien évidement changés pour éviter une quelconque relation avec des personnages encore présents. Il relate comment ils se conduisent dans la spiritualité avec l’aide d’amis spirituels, se lançant dans l’étude et le travail, se préparant pour être aptes à la révision du passé et des traumatismes qu’ils commirent, rendant possibles de tracer de nouvelles directives qui leurs permettront de mettre en œuvre des expériences renouvelables dans un infini procédé d’évolution. André Luiz, nous enseigne, aussi,entre autre, la pratique de l’auto examen, dans la certitude que la vie continue après la mort, toujours ajustée aux éternelles lois du Créateur, pleine d’espérance, de travail et de progrès.

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francisco candido xavieret la vie continue

PAR LESPRIT ANDRE LUIZFrancisco Candido Xavier

et la vie continueSrie Andr Luiz

(Collection: La Vie dans le Monde Spirituel)Tome 13Andr Luiz nous offre ici un portrait de la vie spirituelle aprs la dsincarnation, montrant que la situation de lhabitant du plan spirituel est en relation avec sa condition mentale.

Dans un style romanc, lauteur prsente lhistoire de personnages rels, avec des noms bien videment changs pour viter une quelconque relation avec des personnages encore prsents. Il relate comment ils se conduisent dans la spiritualit avec laide damis spirituels, se lanant dans ltude et le travail, se prparant pour tre aptes la rvision du pass et des traumatismes quils commirent, rendant possibles de tracer de nouvelles directives qui leurs permettront de mettre en uvre des expriences renouvelables dans un infini procd dvolution.

Andr Luiz, nous enseigne, aussi,entre autre, la pratique de lauto examen, dans la certitude que la vie continue aprs la mort, toujours ajuste aux ternelles lois du Crateur, pleine desprance, de travail et de progrs.

Lorsque llve est prt,

le matre apparat.

Edition brsilienne originalefrancisco candido xavierSrie Andr Luiz

(Collection: La Vie dans le Monde Spirituel)

Tome no 13

1. Nosso Lar, la Vie dans le Monde Spirituel,

2. Les Messagers

3. Missionnaires de la Lumire

4. Ouvriers de la Vie Eternelle

5. Dans le Monde Suprieur

6. Agenda Chrtien (en cours de traduction)

7. Libration, par l'esprit Andr Luiz

8. Entre le Ciel et la Terre

9. Dans les Domaines de la Mdiumnit

10. Action et Raction

11. Evolution entre deux Mondes

12. Mcanismes de la Mdiumnit

13. Et la Vie Continue

Srie Andr Luiz

(Collection: La Vie dans le Monde Spirituel)

Livres complmentaires

14. Conduite spirite (en cours de traduction)

15. Sexe et destin

16. Dsobsession

OUVRAGES DEJA TRADUITS EN FRANAIS

Srie: Andr Luiz (Collection La vie dans le monde Spirituel) 1-16

1. Nosso Lar, la Vie dans le Monde Spirituel,

2. Les Messagers

3. Missionnaires de la Lumire 4. Ouvriers de la Vie Eternelle

5. Dans le Monde Suprieur

6. Agenda Chrtien

7. Libration, par l'esprit Andr Luiz

8. Entre le Ciel et la Terre 9. Dans les Domaines de la Mdiumnit

10. Action et Raction

11. Evolution entre deux Mondes12. Mcanismes de la Mdiumnit

13. Et la Vie Continue

14. Conduite spirite

15. Sexe et destin

16. DsobsessionSrie: Emmanuel Les Romans de lhistoire

17. Il y a deux mille ans

18. 50 ans plus tard

19. Av Christ20. Paul et Etienne

21. RenoncementSrie: Source Vive22. Chemin, Vrit et Vie.

23. Notre Pain

24. La Vigne de Lumire

25. Source de Vie

Divers

26. Argent

27. Choses de ce Monde (Rincarnation Loi des Causes et Effets)

28. Chronique de lAu-del

29. Contes Spirituels

30. Directives

31. Idal Spirite

32. Jsus chez Vous

33. Justice Divine

34. Le Consolateur

35. Lettres de lautre monde

36. Lumire Cleste

37. Matriel de construction

38. Moment

39. Nous

40. Religions des Esprits

41. Signal vert

42. Vers la lumire

TABLES DES MATIERES

A propos des nologismes et du sens des mots

7Lexique

8Prface

9Hommage

111. Rencontre inattendue

122. la porte de lintimit

143. Mise au point amicale

214. Rnovation

255. Retrouvailles

306. Accord fraternel

367. Informations dAlzira

428. Rencontre de culture

479. Frre Claudio

5210. Evelina Serpa

5811. Ernesto Fantini

6312. Jugement et amour

6713. De nouvelles tches

7314. Nouveaux chemins

7915. Moments danalyse

8516. Travail rnovateur

9017. Sujets du cur

9418. Le retour

9919. Retour sur la vie

10620. La trame rvle

11321. Retour sur le pass

119

22. Bases dun nouvel avenir

12623. Ernesto louvrage

13324. Evelina en action

14125. Nouvelle directive

14826. Et la vie continue...

153Srie Andr Luiz: Prsentation de chaque livre (1-16)

162-163Bibliographie de Francisco Candido Xavier

170Listes des ouvrages en brsilien

173A PROPOS DES NEOLOGISMES

Allan Kardec, lui-mme, disait dans Introduction l'tude de la doctrine spirite du Livre des Esprits que pour les choses nouvelles il faut des mots nouveaux .

Le Spiritisme est une doctrine nouvelle qui explore des domaines nouveaux. Ainsi, afin de pouvoir en parler clairement, nous avons besoin d'un vocabulaire limpide, parlant.

De plus, dans le respect des livres originaux, ces traductions ont eu besoin de l'emploi de mots n'existant pas dans la langue franaise pourtant si riche. D'autres termes, d'autres expressions ont, quant eux, un sens un peu diffrent de celui gnralement attribu.

Tout cela se trouve expliqu dans le court lexique qui suit.

LEXIQUECe petit lexique a pour but d'expliquer les nologismes employs et le sens de certains mots dans leur acception spirite.

DSOBSESSION : Travail d'assistance mdiumnique durant lequel une discussion s'tablie entre l'Esprit obsesseur et une personne charge de l'orientation spirituelle. Nologisme.

OBSESSEUR: Esprit, incarn ou dsincarn, se livrant l'obsession d'une autre personne, elle-mme incarne ou dsincarne. Nologisme.

ORIENTATION SPIRITUELLE : discussion visant aider et clairer un Esprit souffrant sur sa condition et sur les opportunits d'amlioration de son tat. Se pratique lors des sances de dsobsession , par des orienteurs incarns ou dsincarns.

OBSESSION : Acte par lequel un Esprit exerce un joug sur un autre Esprit (voir ce sujet Le Livre des Mdiums, ch. 23 - De l'obsession).

PSYCHOGRAPHIE : Du grec psufch (me) et graphia (criture) ; fait d'crire sous la dicte d'un Esprit. Type de mdiumnit. Nologisme.

psychographier PSYCHOPHONIE : Du grec psufch (me) et phnia (voix) ; fait de parler sous l'influence d'un Esprit. Mdiumnit d'incorporation. Nologisme.

PRISPRIT : Enveloppe semi-matrielle de l'Esprit. Chez les incarns, il sert de lien ou d'intermdiaire entre l'Esprit et la matire ; chez les Esprits errants, il constitue le corps fluidique de l'Esprit. (Le Livre des Mdiums, chapitre 32 - Vocabulaire Spirite)

prispritique : qui est relatif au prisprit. Nologisme.

VAMPIRE : les vampires, dans le Spiritisme, sont des tres qui absorbent l'nergie et les sensations des personnes. Il ne s'agit plus de buveurs de sang mais de buveurs de fluides qui sont, en ralit, des Esprits ignorants, encore trs attachs aux sensations et la matire.

VOLITION : Exercice de la volont dans une exprience parapsychologique. (Petit Robert) Acte par lequel les Esprits se dplacent au moyen de leur volont. Ils flottent pour ainsi dire dans l'air, et glissent sur la terre.

voliterPREFACE Lecteur ami,

Nous ne tcrivons rien ici dans le but de prsenter ou de recommander Andr Luiz, lami qui est devenu redevable de notre sympathie et de notre reconnaissance en raison des pages consolatrices et constructives dont il est lauteur depuis le Monde Spirituel, destination du Monde Physique.

Cependant, il est normal que tu saches quen matire de vie post-mortem , il expose des informations diffrentes de celles quil a recueillies en personne Nosso Lar , lieu de sjour o il fut amen aprs sa dsincarnation.

Bien que les personnages de lhistoire qui est relate dans cet ouvrage ce sont dauthentiques personnes dont les noms ont t naturellement modifis afin de ne pas blesser les curs amis sur Terre aient eu, comme nous lavons dj dit, des expriences bien diffrentes de celles qui caractrisent les sentiers dAndr Luiz lors de ses premiers temps dans la Spiritualit, il est juste de considrer que les degrs de connaissance et de responsabilit varient linfini.

Cest ainsi que les plans de vie pour les habitants de lAu-del se personnalisent de multiples faons, et la vie revt invariablement pour chacun des spcificits selon la condition mentale o il se situe.

Il est comprhensible quil en aille ainsi.

Plus grande sera la culture dun Esprit incarn, plus douloureux seront pour lui les rsultats de la perte de temps. Plus la crature humaine se montre rebelle envers la Vrit, plus dsolantes se rvleront pour elle les consquences de sa propre insistance.

Qui plus est, nous devons observer que la socit, au-del de la mort, porte en elle les reflets des habitudes auxquelles elle sest attache dans le monde.

Les dsincarns dune ville asiatique ne trouvent pas immdiatement les coutumes et les difications dune socit occidentale, et vice-versa.

Aucune construction digne ne seffectue sans la coopration du service et du temps, puisque la prcipitation ou la violence nexistent pas dans les Plans Divins qui supervisent lUnivers.

Afin de ne pas nous attarder en commentaires superflus, nous raffirmerons seulement quici encore, nous rencontrerons aprs la grande rnovation notre propre reflet spirituel avec les situations que nous avons formes. Elles seront alors source de rcompense pour le bien quelles produisent ou exigeront que nous en corrigions les effets pour le mal quelles tablissent.

Ainsi, lisons le nouveau livre dAndr Luiz avec la certitude que nous surprendrons dans ses pages de nombreux moments de notre propre histoire, dans le temps et dans lespace, ce qui demandera de notre part mditation et auto examen, nous apprenant par cela que la vie se poursuit, pleine desprance et de travail, de progrs et de ralisation, dans toutes les rgions de la Vie Cosmique ajuste aux lois de Dieu.

EMMANUEL

Uberaba, le 18 avril 1968.

Hommage

Nous commmorons avec respect le Premier Centenaire de La Gense , dAllan Kardec.

Andr Luiz

Uberaba, le 18 avril 1968.

1

Rencontre inattendue

Le vent jouait avec les feuilles sches des arbres lorsquEvelina Serpa dcida de sasseoir sur le banc qui paraissait ici mme linviter au repos.

Le silence de laprs-midi tide rgnait sur la place transforme en jardin.

Il y avait peu de touristes dans la station mineira[1], en cette seconde quinzaine doctobre. Et parmi ce peu de touristes, il y avait elle, accompagne de sa gouvernante qui tait reste lhtel.

Elle stait loigne du remue-mnage familier sous leffet dune faim de solitude.

Elle voulait penser. Et cest pour cela quelle avait trouv refuge sous les frondaisons verdoyantes, contempler les petites lignes dazales panouies qui signalaient larrive du printemps.

Installe au plus prs des branchages, elle donna des ailes ses propres rflexions...

Le mdecin ami lui avait recommand rcupration de ses forces et repos avant lintervention chirurgicale qui lattendait. Et soupesant les avantages et les risques de lopration venir, elle laissait passer travers son cerveau les souvenirs de sa courte existence.

Elle stait marie six ans auparavant.

Au commencement, tout navait sembl quune excursion dans une caravelle dore sur des flots bleus. Lpoux et la flicit. Lanne qui suivit leur union vit arriver la grossesse tendrement attendue. Mais avec la grossesse apparut la maladie. Une faille avait t dcouverte dans son corps. Ses reins staient rvls incapables de faire face la moindre surcharge et son cur ressemblait un moteur sur le point de cder. Les gyncologues consults avaient prconis un avortement thrapeutique, et malgr limmense tristesse du couple, le petit enfant en formation fut arrach du sein maternel, limage dun tendre oisillon chass du nid.

Ds lors, le voyage de la vie se transforma en sentier de larmes. Caio, son poux, sembla se mtamorphoser en un ami courtois, sans plus grand intrt affectif. Il tomba facilement sous la coupe dune autre femme, une jeune clibataire dont elle avait pu valuer lintelligence et la vivacit travers des billets que son mari oubliait dans sa poche, billets porteurs de phrases ardentes et de baisers dposs sur le papier par ses propres lvres humides de carmin.

Lisolement et le dsenchantement dont elle souffrait la maison avaient peut-tre t les facteurs dclencheurs des terribles crises doppression quelle avait priodiquement vcues, dans la rgion cardiaque. ces occasions, elle souffrait de nauses, de maux de tte effroyables avec une sensation de froid gnral, qui se faisaient accompagner dimpressions de brlure aux extrmits et dune augmentation sensible de la pression artrielle. Au paroxysme de langoisse, elle se croyait sur le point de mourir. Puis survenaient les accalmies, pour sombrer, quelques jours plus tard, dans la mme condition de crise, suffisant pour cela que les contretemps avec son poux se rptassent.

Sa rsistance stait ruine, ses forces staient vanouies.

Durant plus de deux ans, elle tait alle de cabinet en cabinet, afin de consulter les spcialistes.

Finalement, la sentence unanime: il ny avait quune dlicate opration chirurgicale qui puisse la sauver.

Intrieurement, quelque chose lui faisait dire intuitivement que le problme organique tait grave, quil lui imposerait peut-tre la mort.

Qui pouvait savoir? se demanda-t-elle.

Elle coutait les gazouillis des moineaux dont les piaillements lui servaient de musique de fond ses mditations, et elle se mit soudainement calculer le profit de sa propre existence, passant en revue ses aspirations et ses checs.

Vaudrait-il la peine de se soustraire aux dangers de lintervention chirurgicale, quelle savait difficile, pour continuer de vivre malade, au ct dun homme qui stait mis la dconsidrer dans le foyer domestique? Et ne serait-il pas raisonnable daccepter le secours que la science mdicale lui offrait, afin de recouvrer la sant et de lutter pour une vie nouvelle, dans lventualit o son mari labandonnerait dfinitivement? Elle navait que vingt-six ans. Ntait-il pas juste dattendre de nouveaux chemins vers la flicit, dans les champs du temps? Bien que son pre qui stait dsincarn au temps o elle ntait quune enfant fragile, lui manqut profondment, elle avait grandi en tant que fille unique sous le tendre dvouement dune mre qui, de son ct, lui avait donn un beau-pre attentionn et ami. Ces deux personnes et son mari avaient constitu sa famille, le foyer toujours prsent.

En cet instant, plonge dans les vibrations de laprs-midi qui touche sa fin, elle se reprsentait mentalement les tres aims, son poux, sa mre, son beau-pre, tous loin delle...

Puis, dune manire soudaine, elle se remmora son pre dfunt et son enfant, mort la naissance. Elle tait croyante, catholique pratiquante, et, concernant la vie aprs la mort, elle conservait les ides qui lui avaient t inspires par la foi quelle avait embrasse.

O pouvaient se trouver son pre et son fils? se demanda-t-elle. Si elle devait mourir des suites de la maladie dont elle tait victime, se pouvait-il quelle parvnt les retrouver? O? Ne devait-elle pas penser cela, alors que lide de la mort lui passait avec insistance par lesprit?

Elle se jeta avidement dans le monologue intrieur quand quelquun fit son apparition devant elle, un homme dge mr, dont le sourire jovial lui inspira instantanment sympathie et curiosit.

tes-vous Madame Serpa? senquit-il sur un ton respectueux.

Et sur un signe de tte affirmatif de cette dernire qui ne lui cacha pas sa surprise, il ajouta:

Pardonnez ma tmrit, mais jai su que vous habitiez So Paulo, o jhabite galement, et par le biais de circonstances bien inattendues pour moi, jai t inform par une personne amie que nous avons tous les deux un problme en commun.

Cela me fait plaisir de vous entendre, dit la jeune femme en percevant la gne du monsieur.

Devant linflexion de bont de cette voix, lhomme se prsenta:

Nayez rien craindre, Madame Serpa. Je me prnomme Ernesto Fantini, votre service.

Enchante de faire votre connaissance, dit Evelina.

Et, posant son regard sur ce visage rid que la maladie rendait abattu, elle ajouta:

Asseyez-vous et prenez un peu de repos. Nous nous trouvons sur une grande place et, ce quil semble, nous sommes les seules personnes intresses par le rtablissement quelle offre.

Encourag par la gentillesse, Fantini sinstalla sur un banc tout proche et se remit parler, ravivant le dialogue que lattraction mutuelle se mit prsider.

La propritaire de lhtel o nous rsidons sest lie damiti avec la gouvernante qui vous accompagne dans votre voyage, et cest par son intermdiaire que je sus que vous devez galement faire face une chirurgie dlicate...

galement?

Oui, car je me trouve dans la mme situation.

Ma pression artrielle se trouve altre et mon corps se perd. Voil bientt trois ans que jentends les spcialistes. Dernirement, ce sont les radiographies qui maccusent. Jai une tumeur dans la glande supra rnale. Je pressens quil sagit de quelque chose de grave.

Je comprends... dit avec crainte Evelina, ple, je connais tout cela... Vous navez pas besoin de raconter tout cela. De temps en temps, je dois traverser la crise. Ma poitrine se trouve oppresse, mon cur dcompresse, jai des maux de tte et destomac, les veines de mon cou gonflent, des sensations de glace et de feu menvahissent en mme temps que lide de la mort toute proche...

Cest exactement a...

Viennent ensuite les amliorations, pour ensuite tout recommencer nouveau la moindre contrarit.

Je vois que vous connaissez.

Malheureusement.

Le mdecin ma rpt plusieurs reprises le nom de la maladie dont je suis porteur. Jaimerais savoir si vous avez entendu la mme information votre propos.

Fantini tira de sa poche un minuscule carnet et lut, voix haute, le mot exact qui dfinissait son problme organique.

Madame Serpa dissimula grand prix le dsagrment que lnonc de ce terme scientifique lui causait, mais se dominant, elle confirma:

Oui, mon mari, au nom de notre mdecin, me fit connatre le mme diagnostic en se rfrant mon cas.

Le nouveau venu perut lagacement de son interlocutrice et lana avec entrain:

Il nen est pas moins vrai, Madame Serpa, que nous avons une maladie au nom rare et joli...

Ce qui nempche en rien que nous ayons des crises frquentes et horribles... rpliqua-t-elle sur le ton de la plaisanterie.

Fantini contempla le ciel bleu de laprs-midi, limage de quelquun qui chercherait lever la conversation en direction de plans plus levs, et Evelina suivit sa pause dans un silence mu, dmontrant galement le dsir dlever la discussion au-dessus de la souffrance, dsireuse de rflchir et de philosopher.

[1] Note du Traducteur: mineira, adjectif relatif ce qui est de ltat brsilien du Minas Gerais.

2

la porte de lintimit

Non loin de l, un petit vhicule de promenade surgit. Il arrivait lentement, trs lentement.

En voyant lanimal qui sapprochait pas lents, lhomme dit la dame:

Je comprends votre besoin de repos, mais si vous acceptiez une excursion jusquaux termes...

Je vous remercie, rpondit-elle. Mais je ne peux cependant pas. La rcupration est prsent mon traitement le plus important.

Effectivement, notre cas ne peut se permettre les secousses.

La petite voiture passa tout prs du recoin tranquille.

Tous deux dcouvrirent la raison de la marche morose. Le vhicule avait assurment t accident et il laissait entrevoir une roue brise, avanant difficilement. Par ailleurs, le jeune cocher, pied, guidait lanimal avec une tendresse extrme, le laissant pratiquement libre.

Madame Serpa et son ami improvis les suivirent du regard jusqu ce quils eussent disparu au prochain coin de rue. Ensuite, Fantini fit un grand sourie et nona avec un grand calme:

Madame Serpa...

Mais elle coupa sa phrase avec un autre sourire franc et corrigea, joviale:

Appelez-moi Evelina. Je crois quen tant que frres dans une maladie rare, nous avons droit lestime spontane.

Trs bien! accentua son interlocuteur qui ajouta: dornavant, je serai pour vous seulement Ernesto.

Il laissa reposer sa main ple sur le dossier de lnorme banc et poursuivit:

Dona Evelina, avez-vous dj lu quelque chose propos du spiritualisme?

Non.

Eh bien je voudrais donc vous dire que cette voiture qui se trouve encore sous nos yeux me fait penser certaines notes que jai tudies lors de mes tudes dhier. Lintressant crivain que je consulte actuellement voit, dans une dfinition que lui mme juge superficielle, la crature humaine comme un trio pareil la voiture, au cheval et au conducteur, tous trois joints dans le service...

Comment cela se peut-il? interrogea Evelina, insistant sur sa surprise et en plaisantant du regard.

La voiture quivaut au corps physique, lanimal peut tre compar au corps spirituel, modeleur et sustentateur des phnomnes qui nous garantissent lexistence physique, et le cocher symbolise, en rsum, notre propre esprit, cest--dire, nous-mmes, dans le gouvernement mental de la vie qui nous est propre. La voiture endommage, comme celle que nous avons vue ici, rappelle un corps malade, et quand un vhicule se trouve ainsi inutilisable, le conducteur labandonne la ferraille de la nature et continue servir, montant par consquent lanimal, afin quils continuent tous deux, le cours de leur voyage vers lavant... Cela se produirait, de manire naturelle, dans le dcs ou dans la dsincarnation. Le corps de chair, rendu inutile, est restitu la terre, tandis que notre esprit, en enfilant lenveloppe de matire subtile, qui, dailleurs, conditionne lexistence terrestre, se met vivre dans un autre plan, o le vtement de matire plus dense ne lui sert plus rien...

Evelina rit, sans cependant se dfaire du respect quelle devait son interlocuteur, et allgua:

Thorie ingnieuse!... Vous me parlez de la mort, et quavez-vous me dire sur ce trio pendant le sommeil?

Trs raisonnablement, il y a dans le sommeil physique le repos pour les trois lments, repos qui varie dun conducteur lautre, ou mieux, dun esprit lautre. Quand nous dormons, le vhicule lourd ou le corps charnel repose toujours, mais le comportement de lesprit diffre linfini. Par exemple, aprs que le conducteur et le cheval aient pris un copieux repas, il est normal quils simmobilisent tous deux dans linertie, tout comme la voiture quils tranent. Cela dit, si le cocher se caractrise par des habitudes dtude et de service, quand le vhicule demeure dans latelier pour rajustement ou rapprovisionnement, le voil qui utilise lanimal pour des excursions ducatives ou des tches qui ennoblissent. Dautres fois, si le conducteur est encore grandement maladroit ou inexpriment, dmontrant la crainte du voyage chaque fois que le vhicule ncessite une rparation, le voici qui se cache dans les environs de latelier de rparation, en attendant que la voiture soit oprationnelle, afin de la reprendre, la manire dune armure pour la dfense.

Evelina eut un mouvement dincrdulit et reconnut:

Je ne connais rien au spiritualisme...

tes-vous adepte dune quelconque religion en particulier?

Oui, je suis catholique, sans fanatisme, mais franchement dtermine vivre selon les rgles de ma foi. Je pratique les instructions des prtres, en croyant en eux.

Soyez loue pour cela. Toute conviction pure est respectable. Jenvie votre confiance absolue.

Ntes-vous pas croyant?

Jaurais voulu ltre. Je suis un chercheur de la vrit, un penseur libre dans le champ des ides...

Et lisez-vous sur le spiritualisme par envie?

Par envie? Oh! non! Je lis par ncessit. Dona Evelina, avez-vous oubli? Nous sommes sur le chemin dune chirurgie qui peut nous tre fatale... Il se peut que nos bagages soient prts pour une longue excursion!...

De laquelle personne ne revient.

Qui peut savoir?

Je comprends - ajouta la dame en souriant -, vous tudiez le spiritualisme la manire du voyageur qui aspire connatre la monnaie, la langue, les habitudes et les modes du pays tranger quil prvoit de visiter. Informations rsumes, cours rapides...

Je ne dirai pas le contraire. Jai eu plus de temps ma disposition et de ce temps je fais aujourdhui les investissements que je peux, dans les domaines qui se rapportent aux sciences de lme, principalement avec ce qui se rapporte la survie et la communication avec les Esprits, habitants supposs dautres sphres.

Et avez-vous dj trouv la preuve dun tel change? tes-vous parvenu obtenir des messages directs en provenance de certains des dfunts qui vous sont chers?

Non, pas encore.

Et se peut-il que cela ne dcourage pas votre recherche?

En aucune faon.

Je prfre mes croyances tranquilles. La confiance sans le doute, la prire sans la torture mentale...

Votre tat intrieur est une bndiction et je respecte de tout mon cur votre bonheur religieux. Nanmoins, sil y avait une autre vie notre attente, si ce questionnement apparaissait dans votre me?

Comment pouvez-vous parler de cette manire si vous navez pas encore obtenu la dmonstration attendue de la survie?

Il mest impossible de mcroire le critre des savants et des personnes au caractre lev, qui lont eue.

Bien - sexpliqua Evelina de bonne humeur -, vous serez parmi vos chercheurs, et je resterai avec mes Saints...

Je ne fais aucune objection quant lexcellence de vos avocats rpondit Fantini sur le mme ton , mais je ne parviens pas me soustraire la soif dtude. Avant la maladie, je me trouvais sr de la vie. Je commandais les vnements, je navais pas le moins du monde connaissance de tel ou tel organe dans mon corps. Toutefois, une tumeur dans la glande surrnale nest pas un caillou dans la chaussure. a a quelque chose de fantomatique qui mannonce des contretemps et moblige penser, raisonner, discerner...

Avez-vous peur de la mort? - plaisanta la jeune femme, avec une habile vivacit.

Non, pas vraiment. Et vous?

Eh bien, je ne dsire pas mourir. Jai mes parents, mon mari, mes amis. Jadore la vie, mais...

Mais?...

Si Dieu dcide de mettre fin mes jours, je serai rsigne.

Nauriez-vous par hasard aucun problme? Navez-vous jamais souffert de linfluence des maux qui nous tourmentent au quotidien?

Ne me dites pas que vous allez examiner ma conscience. Je dois dj rendre des comptes sur moi-mme aux confesseurs.

Et tout en riant sans se forcer, elle insista:

Jaccepte le mal que nous font les autres comme tant une partie du rachat de nos pchs devant Dieu. Cela dit, le mal que nous faisons sont des coups que nous assnons nous-mmes. En partant de ce principe, je cherche me prserver, cest--dire que je reconnais ne devoir blesser personne. De ce fait, je cherche dans la confession un antipoison qui, de temps en temps, me met labri en vitant lexplosion de mes propres tendances infrieures.

Il est admirable quune intelligence comme la vtre saccommode avec tant daisance et de sincrit la confession.

Jai besoin de savoir avec quel prtre je peux perdre ma retenue. Je ne veux pas acheter le Ciel par des attitudes calcules mais agir en opposition aux dfauts qui sont miens, et pour cela, je ne serais pas correcte si jouvrais mon cur devant une personne qui ne ft pas en mesure de me comprendre et de maider.

Je comprends...

En reprenant le caractre intime la base de la confiance respectueuse, Madame Serpa considra:

Je crois que face linfirmit, jai vcu moi aussi avec plus dattention. La veille de ma venue ici, je me suis mme mise en harmonie avec les devoirs religieux. Je me suis confesse. Et de toutes les inquitudes dont jai fait part mon vieux directeur, je peux vous livrer la plus importante.

Non, non!... Ne men racontez pas tant... bgaya Fantini, effray par la tendre dvotion quemployait Evelina pour sexprimer.

Oh! Pourquoi ce refus? Nous sommes ici avec lide que nous sommes de vieux amis de longue date. Vous me parlez de vos prparations face aux probabilits de la mort et vous ne me laissez pas vous faire part des miennes?

Ils clatrent tous les deux dun rire clair, et alors quune pause plus longue stait instaure dans leur dialogue, ils changrent un regard significatif. Lun et lautre imprimrent sur leur visage une note de surprise.

Lillade rciproque leur fit prendre conscience quils avaient march, grands pas, vers une intimit profonde.

O ai-je vu auparavant cette jeune femme qui bnficiait dune telle beaut et dun tel raisonnement? pensa Ernesto, stupfait.

Dans quel endroit aurais-je un jour rencontr ce monsieur mr et intelligent qui conjuguait aussi bien affection et comprhension? - rflchissait Madame Serpa, incapable de dissimuler les agrables tonnements qui la dominaient.

La pause consomma dinquitants instants pour les deux individus, tandis qualentour, le crpuscule accumulait des couleurs et des ombres, annonant la nuit toute proche.

3

Mise au point amicale

Fantini se rendit compte que son interlocutrice stait sentie fouille mentalement par le regard quil lui avait adress, et il se disposa la tranquilliser:

Continuons, Dona Evelina. Ma prsence ne vous fera pas mal. Regardez-moi, je dirais non pas avec votre gentillesse, mais avec votre discernement. Je suis un vieil infirme qui pourrait tre votre pre et sachez que je vous considre comme ma fille...

Sa voix sembla dune certaine manire svanouir. Mais se forant retrouver courage, il termina:

Vous reprsentez la fille que jaurais aim avoir la place de celle qui est mienne.

Evelina devina la souffrance morale que ses paroles distillaient et elle rajusta la position motionnelle en disant:

Vous nauriez gure motif de vous rjouir avec une fille malade comme je le suis. Mais... revenons mon cas, le cas de la confession.

Ne me racontez pas de choses tristes...

Trs bien. Nous ne disposons dj plus de beaucoup de temps.

Et elle continua avec un sourire de moquerie:

En parlant avec autant de franchise, dans un endroit qui peut-tre est lantichambre du dcs pour lun dentre-nous, je dsire vous dire quil ny a quun fait qui me drange. Jai les dsillusions communes nimporte quelle personne. Mon pre est mort alors que javais peine deux ans; ainsi veuve, ma mre me donna un beau-pre, quelque temps plus tard; toujours dans lenfance, jai t interne dans un collge de religieuses amies et aprs tout cela, je me suis marie pour finalement avoir un mari diffrent de celui dont je rvais... En matire de romance, une tragdie... Un homme, un garon digne, a mis fin ses jours par ma faute, six mois avant mon mariage. Prcdant lacte qui lui imposa le dcs, il tenta de se suicider une premire fois quand il se vit mettre lcart. Jeus piti, cherchant men rapprocher de nouveau au moins pour le consoler. Et quand mes sentiments balanaient entre le pauvre jeune et lhomme que jai pous, le voici qui met un terme sa vie dune balle en plein cur... Depuis, tout bonheur est pour moi une lumire mlange dombre. Malgr limmense amour que je consacre mon mari, je nai mme pas russi devenir mre. Je vis malade, frustre, abattue...

Nanmoins, nanmoins! - mit en avant Ernesto, en sefforant de trouver une chappatoire optimiste - ne vous jugez pas coupable. Si a navait t cause de vous, le jeune homme aurait agi de la mme manire pour dautres motifs. Limpulsion suicidaire, comme limpulsion criminelle...

Sa voix faiblit nouveau, comme si son esprit refusait certaines rminiscences que les mots en cours amenaient sa mmoire. Cependant, voquant une personne qui agissait vigoureusement contre elle-mme, il poursuivit:

Ce sont les inconnues de lme. Il sagit peut-tre de points culminants de maladies psychiques, longtemps maintenues dans lesprit. Le suicide et le crime sont redouter par chacun dentre-nous car il sagit dactes mus par le dlire que de profonds processus de corrosion mentale gnrent en quiconque...

Vous cherchez me tranquilliser par votre noblesse de cur - sexclama Evelina, songeuse -, vous navez certainement pas connu jusqu aujourdhui un problme aussi aigu que celui-ci, problme qui vient perturber votre conscience.

Moi?? - bgaya Fantini, dconcert -, ne me renvoyez pas vers le pass, pour lamour de Dieu!... Jai dj commis beaucoup derreurs, jai souffert de nombreuses tromperies...

Et, dans le but de contourner la question sans devoir rentrer dans les dtails, Ernesto se fora sourire avec la mallabilit des personnes mres qui savent utiliser plusieurs masques physionomiques, en fonction de certains effets psychologiques, et il ajouta:

Ntes-vous par hasard pas parvenue oublier le jeune homme suicid malgr laide reue dans le confessionnal? Votre directeur spirituel na-t-il pas tranquillis votre cur sensible et affectueux?

Je rpte que jai toujours trouv dans la confession de mes moindres erreurs une espce de vaccin moral contre des erreurs plus grandes; cela dit, dans le cas prsent, je nai pas obtenu la paix que je dsirais. Jadmets que si je navais pas hsit aussi longtemps entre deux hommes, jaurais vit le dsastre. Il suffit que je me rappelle de Tulio, le malheureux, pour que la scne de son dcs se ravive dans ma mmoire et, avec le souvenir, le complexe de culpabilit apparat immdiatement...

Ne vous puisez pas. Vous tes trs jeune. Comme il en va de la main qui, peu peu, gagne du cal dans le travail du champ, la sensibilit aussi se durcit par la souffrance, dans la vie. Il ne fait aucun doute que si nous parvenons nous chapper avec succs grce au sursaut que nous prtendons donner la sant, nous verrons encore de nombreux suicides, beaucoup de dceptions, beaucoup de calamits...

Madame Serpa rflchit quelques instants et, donnant limpression de quelquun qui se disposait gagner une occasion dadoucir des blessures intimes, demanda dessein:

Vous, qui tudiez les sciences de lme, croyez-vous pieusement que nous retrouverons les tres aims, aprs la mort?

Fantini fit un geste bienveillant et dit:

Je ne sais pas pourquoi, mais votre question me fait venir lesprit cette pense du vieux Shakespeare: Les malheureux ne possdent dautre mdicament que lespoir. Jai de bonnes raisons de croire que nous nous reverrons les uns les autres, quand nous ne serons plus de ce monde. Cependant, je comprends que la prcarit de mon tat organique est lagent fixateur de semblables convictions. Avez-vous dj remarqu que les ides et les mots sont enfants des circonstances? Imaginez si nous nous trouvions aujourdhui dans la plnitude de la force physique, robustes et de bonne complexion, dans une rencontre sociale, un bal par exemple... Le moindre concept relatif aux sujets qui nous rapprochent maintenant lun de lautre, serait immdiatement banni de nos rflexions.

Cest vrai.

La maladie douloureuse nous donne le droit de recourir de nouvelles ressources et de nouvelles interprtations propos de la vie et de la mort, et dans la sphre des nouvelles conclusions qui nous attendent, je crois que lexistence ne se termine pas dans la tombe. Nous sommes amens nous souvenir de cette ancienne conclusion des romans damour, lhistoire touche sa fin, mais la vie continue... lenveloppe de chair sera renverse, consume. Toutefois, lEsprit continuera avancer, toujours en avant...

Avez-vous lhabitude de penser quelquun que vous aimeriez trouver dans lautre vie?

Il fit un sourire nigmatique et plaisanta:

Je pense surtout quelquun que je naimerais pas trouver.

Je ne parviens pas comprendre votre jeu de mots. Malgr cela, je suis rassure de voir la certitude avec laquelle vous me parlez de lavenir.

Vous ne pouvez ni ne devez perdre confiance en lavenir. Rappelez-vous que cest surtout chrtien, en droite ligne dun Matre qui resurgit du tombeau, au troisime jour aprs sa mort.

Madame Serpa ne sourit pas. Son regard se perdit au loin, dans les nuages roses qui refltaient le Soleil dj bas, se sentant peut-tre agite dans les forces profondes de sa foi par cette observation inattendue.

Aprs que se ft coule une longue pause, elle regarda nouveau son interlocuteur et se prpara lui faire ses adieux:

Bien, M.Fantini, sil y a une autre vie, au-del de celle-ci, et si la volont de Dieu veut nous voir souffrir sous peu le grand changement, je crois que nous nous reverrons et que nous serons l-bas de bons amis...

Si je parviens deviner la fin de mon corps, je conserverai vive la pense positive de nos retrouvailles.

Moi aussi.

Quand repartez-vous So Paulo?

Demain matin.

Est-ce quun rendez-vous a t pris pour une intervention chirurgicale?

Mon mari dcidera cela avec le mdecin. Mais je crois quau cours de la semaine qui vient, jaffronterai le problme. Et vous?

Je nen suis pas sr... Cest une question de quelques jours de plus. Je ne dsire pas retarder lintervention. Je peux peut-tre connatre le nom de votre hpital?

Evelina mdita, mdita... puis conclut:

M. Fantini, nous sommes tous les deux porteurs de la mme maladie, insidieuse et rare. Est-ce que a ne sera pas suffisant pour se rapprocher lun de lautre? Nous attendrons lavenir sans affliction. Si nous rchappons de ce bourbier, je suis convaincue que Dieu nous accordera une nouvelle rencontre ici, sur Terre... Si le dcs survenait, notre amiti, dans un autre monde, restera aussi subordonne aux desseins de la Providence.

Ernesto trouva cela drle, et tous deux sen retournrent lhtel, pas pas, dans un silence mu.

4

Rnovation

Ce nest quau moment o le Dr Caio Serpa, son poux, quitta la chambre spacieuse de lhpital dans laquelle elle se trouvait prsent, en train de ruminer dtranges rflexions la veille de la chirurgie, quEvelina pensa nouveau la prsence rconfortante dErnesto, lami inconnu.

Elle tait trop jeune et elle se trouvait pratiquement convaincue de son propre rtablissement pour sattarder la moindre prdiction malheureuse. Nanmoins, l, seule lattente de linfirmire, les allgations de Fantini effleuraient son cerveau, en stimulant son imagination.

Oui, mditait-elle torture, elle faisait face un grand risque. Elle ne retournerait peut-tre pas vivre auprs des siens... Si elle mourait, o irait-elle? Alors enfant, elle croyait de bonne foi lexistence des lieux de bonheur ou de souffrance prdtermins, lieux propos desquels lancienne thologie catholique rglementait la situation des hommes, au-del de la mort. Mais maintenant, avec la science qui explore les immensits cosmiques, elle tait suffisamment intelligente pour percevoir le tact avec lequel le confesseur expriment lui parlait des rnovations indispensables qui simposaient la sphre religieuse. Elle avait appris avec lui, ami gnreux et cultiv, conserver inaltre sa confiance en Dieu, dans le divin apostolat de Jsus Christ et dans le ministre indicible des Saints. Cependant, elle avait dcid de placer sparment, sur le sentier de la rvision ncessaire, toutes les affirmations de lautorit humaine propos des choses et des causes de la Providence Divine. Lide de la mort lui saisit lesprit avec plus de force, mais elle la repoussa. Elle aurait voulu la sant, leuphorie organique. Elle brlait de se rtablir, de vivre. Tout coup, elle se mit penser aux problmes domestiques. videmment, elle traversait une phase scabreuse dans ses relations conjugales. Mais elle avait des raisons pour esprer un rglement heureux de la situation. Elle se savait en pleine floraison des idaux fminins. Elle manquait seulement de rquilibre physique. En se rtablissant, elle semploierait retirer lautre. Elle transfigurerait son domaine affectif et elle se proposait de lharmoniser de telle sorte que son mari reviendrait coup sr vers sa tendresse, sans quelle ft oblige de recourir lamertume ou la discussion. En plus de cela, elle se savait utile. Elle devait vouloir la vie, la disputer tout prix, se sentir ncessaire, pas seulement auprs de ses proches, mais galement de tous les individus les moins heureux. Il ne faisait aucun doute quelle pouvait limiter la pnurie l o la pnurie existait...

Le souvenir des ncessiteux la sensibilisa. Combien y en avait-il qui respireraient ici mme, prs delle, isols les uns des autres, par les frontires des murs en bton? Comment navoir pas pens cela avant?

Elle avait pass son existence comme un satellite gravitant autour de trois personnes: son mari, sa mre, son beau-pre... Pourquoi ne reprendrait-elle pas des forces, pourquoi ne retrouverait-elle pas la sant, pourquoi ne pas vivre? Oui, elle refuserait toute pense concernant les phnomnes de la mort, et elle se concentrerait avec toute la vigueur dont elle se sentait capable, sur lintention de se rtablir organiquement.

Elle avait lu les ouvrages de nombreux psychologues et avait dcouvert avec eux limportance des impulsions mentales. Elle aspirait gurir. Elle rpterait cela autant de fois quil le lui serait possible, en y mettant tous ses potentiels de force motive, en choisissant les mots chargs dnergie qui pourraient dfinir avec plus de ralit ses tats dme.

Ah! - dit-elle en pensant pour elle-mme - je prierai galement dans ce sens!... Cette ide formule, elle se trouva soudainement confronte limage de Jsus Crucifi, suspendu au mur tout proche, qui se dcrochait pour elle. Elle contempla le sublime visage, anime dun sentiment profond, et croisant les mains sur sa poitrine, elle parla plus avec la voix du cur quavec ses lvres:

Seigneur, aie piti de moi!...

Mais en posant son regard sur la tte couronne dpines et sur ces bras clous au madrier du sacrifice, il lui sembla que le Christ voulait apparatre dans la mmoire des cratures humaines sous cette apparence de douleur afin de leur rappeler la fatalit de la mort.

Un profond abattement moral agita ses nerfs. Elle ne savait plus sil tait licite dopter entre vivre ou mourir et, cachant son visage entre ses mains, elle sagenouilla humblement devant de la sculpture dlicate, prs de laquelle elle fondit en dabondantes larmes.

Quelquun la sortit de sa mdiation, doucement:

Pourquoi pleurez-vous, Madame?

Une infirmire diligente venait la chercher pour le travail propratoire. Evelina se redressa, scha ses larmes, sourit.

Excusez-moi.

Est-ce moi qui vous incommode, MmeSerpa - demanda la jeune femme? Pardonnez-moi si je drange vos prires, mais il est urgent de vous prparer. De plus, votre mari attend une occasion pour entrer.

La malade obit et sabsenta de la chambre pendant quelques instants avant de revenir peu aprs.

Son mari lattendait en feuilletant des journaux du jour.

Alors - plaisanta-t-il, en feignant la bonne humeur -, maintenant, le salon de beaut, demain, le retour la sant.

La voix du Dr Serpa laissait percevoir de lnergie et de la douceur en mme temps. Jeune avocat, mais expriment dans des relations publiques, il affichait des manires tudies bien que sympathiques. Il tait un authentique reprsentant de la haute sphre sociale. Aucun dtail incongru ntait perceptible chez lui. Il est nanmoins juste de dire que le jeune homme avocat senfermait au plus profond de son tre, sefforant de maintenir occulte le caractre de son me. Il ntait pas l, dans lapparence physique, tel quil se montrait en dedans. Il ntait quun homme naturel, simplement un homme naturel, dans le caractre duquel le vernis acadmique ne russissait pas teindre tout fait les rsidus de lanimalit comprhensibles chez toutes les cratures de la Terre, encore purement naturelles et humaines. En outre, nos yeux spirituels, il rvlait de sombres proccupations.

Aprs les premiers mots empreints de tendresse chaleureuse, il sapprocha de sa femme et de lui caressa les cheveux.

Elle ne dissimula pas sa joie et ils parlrent, pris dans un doux dbordement affectif.

Evelina raffirma avec certitude son proche rtablissement, tandis quil donnait des nouvelles.

Dans leur proprit du sud, ses parents elle, attendaient de bonnes nouvelles de lopration et ils viendraient la voir le moment opportun. Ils narriveraient bien entendu pas immdiatement, afin dviter tout caractre alarmiste. Ils voulaient donner leur fille bien aime lassurance de leur tranquillit par rapport au traitement en cours.

Et Caio lui fit part dautres informations.

Il avait cout des amis mdecins, il avait ralis dintressantes tudes portant sur lintervention de la surrnale. Pour ce qui tait de son cas elle, Evelina, le chirurgien tait optimiste. Que leur manquait-il maintenant si ce ntait le succs, avec la bndiction de Dieu?

Linfirme se rjouit lorsquelle entendit lexpression bndiction de Dieu. Quelque chose de nouveau tait-il en train dapparatre chez cet athe de trente ans quelle apprciait tant? - se demanda-t-elle intrieurement. Caio lui semblait ici plus attentionn, diffrent. Simple de cur, elle ne percevait pas quil jouait double jeu. Serpa voquait des communications imaginaires. Aussi bien le mdecin de famille que le chirurgien ne garantissaient rien au-del dune opration visant faire le point sur la situation, avec de faibles espoirs de succs. Dment consult, le cardiologue en personne avait pratiquement dconseill la tentative, et il ne lavait pas fait simplement parce que la jeune femme avanait grands pas vers la mort. quoi servirait-il dempcher une mesure qui peut-tre la sauverait? Son mari connaissait les proccupations en jeu. Nanmoins, il imaginait des arguments rconfortants, mentait misricordieusement en commentant les examens complts davertissements francs, sur la gravit de la situation.

Lavocat dormit lhpital, en tant que compagnon de la patiente.

Durant la nuit, il assista linfirmire de garde dans ladministration de tranquillisants qui prcdaient lanesthsie.

Il tmoignait de laffection la malade en mme temps quil lui dispensait des soins, comme si elle avait t une enfant et lui un pre dvou.

Le lendemain cependant, Il fut invit une discussion avec le chirurgien, une fois lopration termine, et, ple, il reut le verdict. Selon les ressources de la science humaine, Evelina ne disposait au plus que de quelques jours. Que lui, le mari, prenne les mesures quil jugeait adquates, afin que tout le confort possible ne lui ft pas dfaut.

Le mdecin rsuma toutes ses impressions en une seule phrase:

Elle ressemble une rose compltement fane par des agents malins.

Mme sil lavait voulu, Caio, nentendit plus rien des doctes commentaires portant sur des noplasmes, foyers secondaires, mtastases et tumeurs qui rcidivaient aprs lablation. Il se sentait ptrifi. Des larmes abondantes dvalrent son visage.

Soutenu par le tmoignage de solidarit et de tendresse humaines du chirurgien ami, il courut auprs de sa compagne prostre. Et pendant des jours et nuits de patience et dinquitude, il fut le frre et le pre, le tuteur et lami.

Pour rpondre ses demandes, les parents dEvelina vinrent consoler leur fille lors des derniers jours. Dona Brigida, la mre, et M.Amancio Terra le pre, les propritaires dune ferme prospre, dans le sud de So Paulo, arrivrent dsols en essayant nanmoins de choisir des mots doptimisme et en arrtant leurs larmes.

Enveloppe dans la toile du dvouement familial, Evelina, apparemment mieux, retourna la vie domestique, recevant des attentions quelle ne recevait plus depuis longtemps, en alternance avec des crises priodiques de suffocation qui la laissaient dsarme.

Malgr la position dlicate, elle croyait aux propos flatteurs des parents et des amis.

Cela passerait. Personne ne se soustrait aux squelles dune opration comme celle dont elle avait soufferte. Quelle fasse confiance, quelle prie avec foi.

Aprs deux semaines daccalmie et de rechute, elle vcut six jours de bien-tre continu.

Bien quextrmement amaigrie et abattue, elle passa du lit la chaise longue. Elle se nourrissait - presque normalement, parlait tranquillement, obtenait le confort de la religion travers la courtoisie dun prtre dvou et, la nuit, elle demandait son pre quelques instants de lecture joyeuse et amne.

Comme laprs-midi touchait sa fin en ce cinquime jour despoir, elle formula une demande inattendue.

Caio ne pourrait-il pas lemmener faire la promenade favorite du temps o ils taient fiancs?

Morumbi de nuit? - lui demanda sa mre, intrigue.

Evelina sexpliqua. Elle voulait voir la ville tincelante de lumire au loin, ses yeux avaient la nostalgie du ciel toil.

Caio tlphona au mdecin, et celui-ci accepta.

Encore quelques instants, press de la satisfaire, et le mari arracha la voiture au garage pour ensuite prendre son pouse contre sa poitrine, comme sil portait une frle jeune fille. Il linstalla ct de lui, se dispensa de la prsence de ses beaux-parents, et ils partirent.

La malade tait enchante. Elle redcouvrit les rues bondes et, ensuite, le paysage du Morumbi et de ses environs dans ce quil possdait de plus nature.

En la voyant parler avec enthousiasme, le mari sattendrit. Comme sil la retrouvait sous les traits de la fiance aime, de la fiance quil avait aime follement des annes auparavant. Il ressentit des remords lide de linfidlit conjugale quil entretenait. Il voulut lui demander pardon, se confesser, mais il reconnut que le moment ntait pas appropri.

Il ralentit la voiture et contempla sa femme. Evelina semblait spurer, ses yeux brillaient au contact du clair de lune, elle bougeait la tte comme si elle se trouvait nimbe de lumire...

Caio la prit dans ses bras robustes avec langoisse dune personne qui se proposait de saccaparer un trsor et de le dfendre... Dans un transport irrsistible daffection, il lembrassa et lembrassa, jusqu ce quil sentt son visage froid mouill de larmes brlantes...

Evelina pleurait de bonheur.

Quand elle se sentit libre de ces bras quelle adorait, elle inclina lgrement sa tte vers lextrieur et sabsorba dans la vision du firmament qui lui faisait prsent penser un gigantesque champ qui laissait voir des fleurs de feu et dargent...

Elle chercha la main droite de son compagnon, la serra longuement et demanda:

Caio, crois-tu que nous nous retrouverons aprs la mort?

Il ne rpondit pas, alluma le moteur, lexhorta changer de sujet, lui interdisant sur un ton affectueux de se rfrer ce quil dfinit comme tant des choses tristes, et ils rentrrent.

Chemin faisant, la malade se remmora la conversation naturelle avec Ernesto Fantini, lami improvis de la station balnaire. Sans quelle pt se lexpliquer, cette prsence qui lui avait t douce et reconnaissante lui manquait. Elle avait soif dchange spirituel. Elle aspirait parler des secrets de la vie ternelle et couter quelquun sur le mme sujet et au mme diapason. Mais en cet instant, son mari apparaissait dans son imagination comme un trange violon que ne sadaptait maintenant pas aux crins de larchet. Les motions sublimes steignaient dans sa poitrine par manque de croissance et dcho. Ainsi, elle prfra de cette manire couter son mari, le bnir, lapprouver.

Une autre journe de calme puis Evelina se rveilla en crise. Dangoisse en angoisse, avec le recours des anesthsiques, la jeune MmeSerpa atteignit sa dernire nuit dans le monde.

Devant la peine profonde de son poux et de ses parents, qui avaient tout fait afin de la retenir, Evelina, fatigue, ferma les yeux du corps physique dans la suprme libration, lexact moment o les toiles svanouissaient au point du jour, faisant face une aube nouvelle.

5

Retrouvailles

Evelina se rveilla dans une chambre spacieuse, avec deux fentres qui laissaient voir le ciel.

Elle mergeait dun profond sommeil et pensa.

Elle seffora de se rappeler, faisant le point sur sa propre situation.

Comment serait-elle devenue amnsique, amnsie dont elle se rendait maintenant compte consciemment?

grand prix, elle relcha les mcanismes de la mmoire et commena se rappeler, lentement... Au dbut, un cauchemar indescriptible venait perturber son repos naissant. Elle avait certainement d souffrir dune syncope inexplicable. Elle se voyait en train de se dplacer dans un monde exotique dimages qui la faisaient rgresser vers le chemin des rminiscences. Elle avait rcapitul, sans savoir comment, toutes les phases de sa courte vie. Elle tait remonte dans le temps. Elle avait reconstitu tous les jours dj vcus, au point de revoir son pre lorsquil arriva, mort, au foyer, alors quelle navait que deux ans. Dans ce film que les nergies occultes de lesprit lui-mme lui avaient projet travers les scnes les plus intimes de ltre, elle avait nouveau entendu les cris maternels et avait vu, devant, les voisins stupfaits, sans comprendre la tragdie qui sabattait sur sa maison...

Ensuite, elle eut limpression dun choc norme.

a avait t comme si quelque chose avait clos dans son cerveau et elle stait alors vue flotter au-dessus de son corps endormi...

Peu aprs, le sommeil invincible.

Elle navait plus rien peru.

Combien dheures avait-elle passes dans la torpeur inattendue? Reviendrait-elle elle une fois lvanouissement vaincu par leffet dun quelconque traitement particulier? Pourquoi ne voyait-elle pas l, prs du lit, le moindre parent qui lui donnerait les explications ncessaires?

Elle essaya de sasseoir et y parvint sans la moindre difficult.

Evelina inspecta les lieux, arrivant la conclusion que lendroit o elle se trouvait avait chang. Elle dduisit de ses premires observations que terrasse par lvanouissement, elle avait t reconduite lhpital o elle occupait, maintenant, une grande chambre que les murs vert clair rendaient reposante.

Sur une table proche, elle dcouvrit des roses qui attirrent son attention en raison de leur parfum.

De fins rideaux flottaient doucement, aux rythmes du vent qui pntrait par des persiennes diffrentes, tailles dans une substance semblable au cristal enduit dessence dun vert meraude.

Tout ntait que simplicit et prvision, confort et lgret. Evelina bailla, tira les bras et ne fut surprise par aucune douleur.

Elle stait finalement rtablie, pensa-t-elle, joyeuse.

Elle reconnaissait la prsence de la sant et en rendait tmoignage en elle-mme. Aucune souffrance, aucune gne.

Si elle devait ressentir quelque chose de moins agrable, ctait prcisment un signe de robustesse organique: elle avait faim.

O se trouvait son mari? O se trouvaient ses parents?

Elle dsirait crier de bonheur en leur faisant part de sa gurison. Elle aspirait leur dire que les sacrifices quelle avait effectus navaient pas t vains. Intrieurement, elle remerciait Dieu pour le cadeau que le rtablissement reprsentait et elle souhaitait tendre sa jubilante gratitude aux tres qui lui taient chers.

Elle ne pouvait plus contenir son cur ivre de rjouissance, raison pour laquelle elle se saisit de la sonnette, ct delle, dont elle pressa le bouton dappel. Une dame au visage doux et attirant apparut en la saluant par des mots dune affection rayonnante.

Evelina accepta avec naturel la coopration de linconnue.

Infirmire - dit-elle la nouvelle venue -, je peux vous demander une faveur, celle dappeler mon mari?

Jai des instructions pour, avant tout, informer le mdecin de vos amliorations.

Madame Serpa accepta, affirmant nanmoins quelle sentait le besoin de retrouver ses parents, de manire partager sa joie avec eux.

Je comprends... - rpliqua lemploye, avec une inflexion de tendresse.

Je dsespre de pouvoir discuter avec quelquun - ajouta la convalescente, anime -, comment vous appelez-vous?

Je mappelle Sur Isa.

Vous devez certainement me connatre. Je suis Evelina Serpa et je dois avoir ici ma fiche...

Oui.

Sur Isa, que mest-il arriv? Je me sens bien, mais dans un tat trange que je ne sais dfinir...

Vous avez subi une longue chirurgie et avez besoin de repos, de vous rtablir...

En ralit, rien ne surprenait Evelina dans ces mots prononcs sur un ton significatif. Elle se savait opre. Elle tait passe par la pnible ablation dune tumeur. Elle tait rentre la maison, tait alle mieux au point de faire une promenade avec son mari sur les routes du Morumbi. Malgr tout, elle se trouvait nouveau hospitalise sans pouvoir en connatre les raisons.

Tandis quelle se livrait des recherches muettes, elle ne vit pas linfirmire appuyer sur un point gris, dans un certain recoin, tout en sentretenant avec le mdecin de garde.

Deux minutes plus tard, un homme vtu de blanc fit son entre, calme.

Il salua la malade quil examina avant de sourire, satisfait.

Docteur... - commena-t-elle dire, soucieuse de se justifier.

Et elle demanda des informations. Elle dsirait savoir comment et quand elle serait en mesure de revoir son mari et ses parents.

tait-il injuste de donner aux siens la nouvelle du succs avec lequel lhpital lhonorait?

Le mdecin lcouta, patient, et lui demanda de faire preuve de rsignation. Elle retournerait vers ses parents, mais elle avait besoin de se rquilibrer.

Gesticulant affectueusement, comme sil cherchait tranquilliser sa fille, il expliqua:

Vous tes mieux, bien mieux. Cela dit, vous tes encore sous une assistance dordre mental rigoureuse. En vous liant au moindre agent susceptible de vous conduire de trs actifs souvenirs de la maladie dont vous avez souffert, il est probable que tous les symptmes rapparaissent. Pensez cela. Pour le moment, il ne vous est pas recommand de retourner parmi les vtres.

Et avec un regard encore plus comprhensif, il ajouta:

Cooprez...

Evelina couta le commentaire, les yeux pleins de larmes, mais elle se rsigna.

Aprs tout, conclut-elle intrieurement, elle devait se montrer reconnaissante envers ceux qui lui avaient accord la bndiction de cette nouvelle situation. Il ne lui appartenait pas dintervenir dans des mesures dont elle tait incapable de comprendre la signification.

Devinant que le mdecin se disposait sortir, elle demanda avec humilit sil lui serait permis de lire et, si cette concession lui tait faite, elle demandait que lhpital lui prtt un livre dans lequel elle pt recueillir des enseignements du Christ. Touch, le mdecin voqua le Nouveau Testament et, quelques brefs instants plus tard, linfirmire apporta le livre mentionn.

Rendue la solitude, Evelina commena lire le Sermon de la Montagne. Toutefois la mise en garde clinique sinsinuait dans son imagination avec insistance. Si comme il tait perceptible elle tait rtablie, pourquoi de simples souvenirs lui imposeraient un retour aux souffrances dont elle se voyait libre? Pourquoi?

Elle se sentait en possession dune euphorie inexprimable. Une dlicieuse sensation de lgret maintenait son tat desprit dans la joie, dune manire jamais ressentie durant toute son existence.

Pareilles ressources dquilibre organique seraient-elles ainsi aussi faciles perdre?

Elle dtourna son attention du livre et la plongea dans de nouvelles cogitations... Et si elle reconstituait en esprit la prsence de Caio et de ses parents, avec force? Et si elle concentrait ses propres penses sur les douleurs quelle avait laisses en arrire?

Malheureusement pour elle, elle se livra de tels exercices et, aprs quelques minutes, la crise se fit jour en prenant de lampleur rapidement dans son corps. Ses extrmits se glacrent tandis quelle avait limpression quun brasero la brlait en dedans, avec une dyspne qui envahissait sa poitrine. Les symptmes enchans, elle voulut ragir, opposer des concepts de sant aux concepts de maladie. Mais il tait trop tard. La souffrance sempara de ses forces et elle commena se tordre dans le supplice dont elle stait imagine dfinitivement loigne...

Sans voix, elle pressa la sonnette et linfirmire serviable mit toute son ardeur dans la tche dassistance.

Le mdecin rapparut et lui administra des sdatifs.

Ni lui ni linfirmire ne lui adressrent le moindre reproche, mais la malade lut dans leur regard la conviction selon laquelle ils avaient tout compris. Ils linformrent en silence quils taient au fait de son obstination et quelle ne stait assurment pas plie aux avertissements reus, voulant essayer par elle mme ce qui en fait tait un type de processus mental inadquat.

Bien que dmontrant de la bont, le mdecin agit avec nergie.

Il fournit des instructions strictes sa compagne de service, aprs linjection calmante quil avait lui-mme applique Madame Serpa, dans une certaine rgion de la tte, et il prconisa des mesures spciales afin quelle dormt. Il tait recommand de la contraindre au repos plus longtemps, sous le contrle danesthsiques. La malade ne pouvait ni ne devait se livrer des ides fixes sous peine de souffrir nouveau, sans ncessit.

Evelina enregistra les commentaires du mdecin, dans un franc assoupissement. Puis elle plongea dans un lourd sommeil, do elle ne sortit quun grand nombre dheures plus tard, consciente quil lui appartenait de se soigner en vitant un nouvel accs de panique. Elle montra le dsir de se nourrir et elle fut immdiatement servie. On lui apporta un bouillon chaud et rconfortant qui honora agrablement son palais, comme laurait fait un nectar.

Attentive, elle se rtablit. Elle se savait sous leffet dune sorte dassistance dont elle ne pouvait pour linstant sous-estimer lefficacit et le pouvoir.

Une semaine dun repos absolu scoula, avec des divertissements de lecture choisie par les autorits qui lentouraient, avant quelle ne comment marcher dans lenceinte de la chambre.

En retrouvant la station verticale, elle sentit en elle-mme dvidentes diffrences. Ses pieds lui semblaient lgers, comme si son corps stait intensivement allg, et, surtout, dans le cerveau, les ides lui naissaient comme un torrent, vigoureuses et belles, se matrialisant pratiquement devant ses yeux.

Lors dun aprs-midi o elle se trouvait plus fortement stimule retrouver les mouvements normaux, elle sapprocha de la fentre qui donnait sur un norme patio, et du sommet du troisime tage qui lhbergeait, elle observa des dizaines de personnes qui parlaient joyeusement, beaucoup dentre elles assises autour dune source irise qui srigeait au centre dun vaste jardin fleuri.

Cette socit calme lattirait.

Elle avait soif de contact, sujette quelle tait daustres disciplines. Ce fut la raison pour laquelle elle alla consulter linfirmire, lui demandant sil lui tait permis de descendre, faire la connaissance de quelquun. Aprs tout, suggra-t-elle avec optimisme, un centre de sant ressemble ni plus ni moins un navire, dans la cale duquel les tres sintressent les uns aux autres, en se tendant la main.

Linfirmire trouva cela drle et lappuya sur ses bras pour la descente.

Oui, elle pourrait samuser l-bas. Lenvironnement lui ferait du bien, et en mme temps, il lui serait permis de cultiver des amitis.

Laisse seule, elle regarda anxieusement les visages qui lencerclaient. Il lui semblait tre au sein dune vaste famille de personnes semblables par le cur, mais qui taient presque toutes inconnues les unes pour les autres, comme il en va dans une station balnaire.

Tous les individus prsents se trouvaient dans la situation de convalescents, chez qui il tait facile de deviner les vestiges des maladies auxquelles ils avaient russi se soustraire.

Evelina sinterrogeait sur le meilleur moyen dtablir le contact avec quelquun, quand elle vit un homme, non loin, qui la regardait avec une stupeur vidente. Oh! ne sagissait-il donc pas de ce monsieur, Ernesto Fantini, lami improvis des stations thermales? Son cur se mit battre de manire agite, et elle tendit ses bras dans sa direction, en lui donnant la certitude quil lattendait, lme ouverte.

Fantini, car ctait bien lui, se leva du fauteuil o il se tenait et avana vers elle pas rapides.

Evelina!... Dona Evelina!... Est-ce bien vous que je vois?

Parfaitement! - rpondit la jeune femme en pleurant de joie.

Le nouveau venu ne fut pas tranger lmotion de cet inoubliable instant. Des larmes dvalrent son visage sympathique et circonspect, larmes quil essayait de scher, embarrass, en cherchant sourire.

6

Accord fraternel

Depuis combien de jours tes-vous ici?

Je nen sais absolument rien - avana Ernesto en dnotant une faim de conversation.

Et il complta:

Jai beaucoup pens notre accord de Poos de Caldas en berant toujours lespoir de vous revoir...

Cest aimable de votre part.

Evelina lui fit part de la perplexit dans laquelle elle vivait. Elle stait rveille dans cette institution de sant quelle mconnaissait compltement, clairement transfre ici la demande de la famille, tandis que le seul fait dont elle se rappelait prcisment tait exactement lvanouissement qui lavait frappe au paroxysme dune des pires crises quelle avait traverses.

Et elle fit ressortir en souriant avoir eu limpression de mourir...

Combien de temps tait-elle reste inconsciente?

Elle ne reprit ses esprits quen sortant du sommeil profond et sans rves, ici mme, dans la chambre du troisime tage.

Depuis lors, elle tait intrigue par le mystre quentretenait ladministration autour de sa personne, nayant pu dfinitivement obtenir lautorisation de tlphoner son mari.

Fantini coutait, attentionn, sans souffler mot. Alentour, quelques personnes se trouvaient assises ou marchaient avec naturel tout en lisant ou en parlant, ici et l.

Des roses, des myosotis, des jasmins, des petits oeillets, des bgonias et dautres fleurs, poussaient sous des arbres voquant des amandiers, des ficus et des magnolias, embaumant lair extrmement diaphane dun dlicieux parfum.

Un trange clat passa dans le regard de Fantini qui coutait avec curiosit les commentaires qui se poursuivaient, concordant avec Evelina.

Il dclara stre senti en feu, rvlant avoir galement souffert dune absence de conscience, la diffrence prs que cela stait produit juste aprs la chirurgie, quand il repartait vers son lit, selon ce quil croyait. Et il enregistra ce mme phnomne de rtrospection auquel se rfrait Madame Serpa dans ses observations confidentielles, rtrospection durant laquelle il se vit soudainement reparti vers le pass, depuis les premiers instants dtonnement jusquaux premiers jours de lenfance...

Ensuite, il avait profondment dormi.

Incapable de savoir combien de temps exactement il tait rest dans le trouble, inconscient, il avait repris connaissance dans cet hpital, dix jours plus tt. Il partageait galement la mme stupfaction face aux normes de rglementation en cours ici, parce quil ntait pas parvenu au moindre contact avec sa femme ou sa fille, dont il stait spar dans la chambre hospitalire, quelques heures avant le travail opratoire auquel il stait soumis.

Voil pourquoi il se trouvait inquiet.

Elle, Evelina, avait vcu lnigmatique vanouissement dans le cercle familial, auprs des tres chers. Mais lui avait laiss sa famille au milieu dune inquitante attente, sans que la moindre possibilit de communication avec ses parents ne lui ft accorde. Il reconnaissait que ltablissement de sant o il sabritait maintenant ntait pas le mme que celui o il avait t intern pour le traitement. Il en arrivait douter de se trouver rellement So Paulo. Le firmament lui semblait quelque peu diffrent la nuit et la piscine o il se baignait contenait une eau trs tnue, bien quil ft comprhensible que les lieux eussent des filtres et des dispositifs spciaux pour la mdication de leau commune.

Ernesto termina son rapport en demandant:

Avez-vous dj t aux stations thermales?

Pas encore.

Vous comprendrez ma surprise lorsque vous vous y rendrez.

Et vous pensez que je vais y aller? - rpliqua Evelina avec lair amus de celle qui trouvait un peu plus de consolation.

Tout fait. Jai dj entendu dire que lhydrothrapie est ici obligatoire. Fantini sourit significativement et nona, en chargeant chaque mot de secrte inquitude:

Connaissez-vous lhypothse la plus raisonnable? Je me demande si nous ne nous trouverions pas, avec lautorisation de nos parents, dans un tablissement psychiatrique. Je ne connais rien la mdecine. Nanmoins, je suppose que les problmes lis la glande surrnale perturbent notre esprit. Peut-tre avons-nous perdu la tte en franchissant les frontires de lalination mentale absolue et, il ne fait aucun doute que linternement aura t la providence conseille...

Quest-ce qui vous fait penser cela? - rpondit Madame Serpa, trs ple.

Dona Evelina...

Ne mappelez pas dona... Jinsiste sur le fait que nous sommes des amis et plus maintenant, des frres...

Soit - acquiesa Fantini.

Et il continua:

Evelina, vous verrez les appareils amusants avec lesquels ils nous appliquent des rayons sur la tte, avant le bain mdicinal. Et je crois que tous les malades accusent des amliorations graduelles de leur tat. Depuis avant-hier, aprs mtre rendu limmersion pour la premire fois, je me sens plus lucide et plus lger, toujours plus lger...

Ne vous sentez-vous pas en bonne condition mentale, depuis votre rveil?

Pas tellement, non. Angoiss pour obtenir des nouvelles des miens, je me suis remis sentir des crises aigus. Il suffisait de penser ma femme et ma fille en mme temps que lintervention chirurgicale, et je me voyais presque immdiatement en proie une terrible asphyxie, mvanouissant de souffrance.

Evelina se souvint de sa propre exprience, mais elle conserva le silence. Elle se sentait de plus en plus inquite.

travers lattention avec laquelle les autorits rpondent mes interpellations - continua Fantini -, je me dis quils sefforcent de nous maintenir dans lharmonie et la tranquillit. Je crois que nous sommes passs par une sorte de traumatisme psychique et que nous nous trouvons actuellement en train de reconqurir lquilibre, ce que nous obtenons peu peu. Comme je le crois, nous avons t placs sous un traitement purement mental. Pas plus tard quhier, jai renouvel la rclamation de toujours, celle de solliciter une communication avec mes proches et savez-vous ce que linfirmire de garde ma rpondue, parfaitement matre delle-mme?

Frre Fantini, soyez tranquille. Vos parents sont informs de votre absence. Mais ils ne veulent pas parler avec moi? Pas plus quils ne mappellent au tlphone? - demandai-je. Et lassistant rpondit: Votre femme et votre fille savent quelles ne peuvent pas sattendre votre prsence la maison de sitt. Et comme je me montrais rcalcitrant, exigeant des prcisions, la jeune femme dclara: voil tout ce que je peux vous dire pour le moment.

Que dduisez-vous de vos propres observations?

Jen conclus, selon mon point de vue, que nous sommes tombs, sans mme nous en rendre compte, dans la condition dalins mentaux - suggra Fantini, nouveau presque de bonne humeur -, et nous mergeons certainement, maintenant, trs lentement des troubles psychiques pour retrouver un tat normal de conscience. La prsence des mdecins et des infirmiers qui nous entourent, est pleinement justifie, pour nous protger contre tous types de proccupation lie la vie extrieure. mon avis, la moindre trace daffliction sur lcran mental de nos impressions actuelles entranerait peut-tre un grand prjudice dans nos motions et nos ides, limage de la petite distorsion qui dforme la symtrie des ondes lectriques.

Cest possible.

Une pause lourde de sens sinstalla entre les deux personnes.

Aprs une profonde plonge dans son monde intrieur, Ernesto rompit le silence:

Evelina, quand vous avez eu la crise terrible dont vous me parliez, est-ce que vous vous tiez confesse auparavant? Quest-ce que le prtre vous a dit? Vous a-t-il donn des conseils?

Son interlocutrice se sentit effraye devant langoisse avec laquelle de semblables questions taient formules et elle lui rpondit par des questions:

Oh! pourquoi? Pourquoi, mon ami? je me suis confesse avant lvanouissement, chaque fois que je lai pu... mais, pourquoi voulez-vous savoir? Pour vous moquer?

Mais Fantini, ne jouait pas. Ses yeux laissaient transparatre un vident malaise.

Ne vous offusquez pas. Jai demand pour demander - rpondit-il, le regard lointain, en tambourinant des doigts de sa main gauche sur le trpied qui se dressait en face de lui -; dans une conjoncture aussi dangereuse que celle que nous traversons, toute lassistance est bien peu de chose... Je me suis rappel que vous aviez une religion et que je suis encore un homme sans foi...

Ernesto navait pas encore termin sa dernire phrase, quune jeune fille, dans un groupe de trois personnes qui marchaient proximit, se jeta terre, comme quelquun qui se trouve soudainement pris dun violent accs dhystrie, criant en proie une vidente angoisse mentale:

Non!... Je nen peux plus!... je veux ma maison, je veux les miens!... Ma mre, o est ma mre? Quils ouvrent les portes!... Bandits! Qui est suffisamment courageux ici pour renverser avec moi ces murs? La police!... Appelez la police!...

Il sagissait indiscutablement dun cas de folie, mais il y avait tant de souffrance dans cette voix, que les personnes prsentes les plus proches se levrent, effrayes.

Une dame rayonnant la patience et la bont, portant sur sa blouse les insignes dinfirmire du centre, apparut tout coup, se frayant un chemin au milieu du groupe de curieux qui commenait saccumuler et se pencha en treignant maternellement la fille rvolte. Sans la moindre impulsion de reproche, elle la releva en lui notifiant avec une douceur infinie:

Ma fille, qui ta dit que tu ne rentreras pas chez toi, que tu ne reverras pas ta mre? Nos portes demeurent ouvertes... Viens avec moi!...

Ah! ma sur - soupira la jeune femme soudainement rassure par ces mains fortes et bonnes qui lenlaaient -, pardonne-moi!... Pardonne-moi! Je nai aucun motif de me plaindre, mais ma mre me manque, tout comme la maison me manque! Il y a combien temps que je suis ici, sans aucun de mes proches? Je sais que je suis malade, que je reois le bienfait de la gurison, mais pourquoi nai-je pas de nouvelles?...

Lassistante couta calmement et elle promit simplement:

Tu les auras...

En lui passant ensuite un bras affectueux autour des paules, elle conclut:

Pour le moment, nous allons nous reposer!...

Comme une personne qui aurait surpris dans la bienfaitrice un souvenir de la chaleur maternelle dont elle sentait un manque accru, la petite appuya sa tte blonde contre la poitrine qui lui tait offerte et se retira en sanglotant...

Evelina et Ernesto, qui avaient accouru pour prter leur concours, observrent la scne, partags entre langoisse et la peine.

Tous deux sentaient la soif dexplication.

Quelle conclusion tirer de la supplique larmoyante de la petite malade afflige par labsence du cocon familial? Quel tait cet hpital o ils se trouvaient? les urgences pour alins mentaux? Un hpital destin au rtablissement des amnsiques?

Dans une impulsion de curiosit quelle ne parvenait plus retenir Evelina sapprocha dune sympathique dame qui avait suivi la scne, en rvlant une attention aigu, et dont les cheveux grisonnants lui rappelaient la chevelure maternelle, et demanda lui avec discrtion:

Excusez-moi, Madame. Nous ne nous connaissons pas, mais laffliction que nous partageons nous rapproche les uns des autres. Est-ce que vous pourriez nous donner quelques informations concernant la pauvre fille perturbe?

Moi?? - rpliqua la femme.

Et elle prvint:

Ma fille, ici, moi, je ne connais pratiquement rien de la vie des autres.

Mais coutez, sil vous plat. Savez-vous o nous sommes? Dans quel institut?

La dame sapprocha plus prs dEvelina qui, son tour, se recula en se rapprochant de Fantini, et elle murmura:

Vous ne savez pas?

Face ltonnement impossible dissimuler de Madame Serpa, elle posa son regard pntrant sur Ernesto et dit:

Et vous, Monsieur?

Je ne sais rien - communiqua Fantini, courtois.

Eh bien quelquun ma dj dit que nous sommes tous morts, que nous ne sommes maintenant plus des habitants de la Terre...

Fantini tira un mouchoir de sa poche pour ponger la sueur qui commenait perler abondamment sur son front, tandis quEvelina chancela, sur le point de svanouir.

Linconnue tendit ses bras Madame Serpa et lui recommanda, inquite:

Ma fille, ressaisissez-vous. Nous avons ici une dure discipline. Si vous laissez voir le plus petit signe de faiblesse ou de rvolte, je ne sais pas quand vous pourrez revenir dans le patio...

Prenons un peu de repos - intervint Ernesto.

Et donnant le bras Evelina, en mme temps que la dame serviable aidait la soutenir, les trois personnages se dirigrent vers un large banc, tout proche, sous un grand ficus o ils commencrent se reposer.

7

Informations dAlzira

Discutons - invita la nouvelle amie.

Se mfiant des services de surveillance, elle manifestait lintention de passer inaperu. Elle se disposait tout prix paratre naturelle, craignant que quelquun ait pu se rendre compte du choc de sa compagne.

Fantini comprit et fit de son mieux pour lassister.

Sefforant dignorer la pleur avec laquelle Madame Serpa les coutait, elle fit les prsentations avec une apparente srnit.

Je mappelle Alzira Campos - se prsenta la nouvelle venue qui stait jointe aux deux amis -, et je vis Sao Paulo.

Elle donna son adresse, se rfra sa famille, et dpeignit le quartier o elle habitait avant de dire:

Depuis le moment o je suis tombe la maison, ils mont amene inconsciente dans cet hpital et, en juger par les comptes que je fais, il y a presque deux mois que jattends lautorisation de partir.

Le dialogue stablit entre elle et Ernesto, pendant quEvelina se calmait lentement.

Vous sentez-vous dj rtablie?

Compltement.

Avez-vous pu tablir des relations avec une autorit qui puisse vous guider avec des indications prcises sur lavenir?

Oui. La sur Leticia, qui ma assiste ds le dbut, dans les bains mdicinaux, ma informe avant-hier que le jour o il me sera possible de dcider de rester ici ou non est proche...

Quest-ce quelle aura voulu dire par de rester ici ou non?

Rellement, en sachant combien je dsire ardemment rentrer la maison, je me suis replie sur moi-mme la rception de cette information.

Vous navez rien demand de plus?

Si. Jai demand des instructions plus claires, jai demand des dtails. Mais pleine de gentillesse, elle ma seulement dit: Vous comprendrez mieux plus tard. Dona Alzira - murmura Ernesto, avec fermet - ne croyez-vous pas que nous sommes dans une organisation ddie la sant mentale, dans un asile de fous?

Elle promena son regard alentour, la faon dun malade effray par la surveillance de gardes svres, et dit:

Si nous avons examiner des sujets graves, nous ne pouvons isoler notre compagne. Notre amie Evelina peut acclrer son rtablissement. Demandons-lui un tonique appropri.

Mlant laction la parole, elle pressa un minuscule bouton qui se trouvait incrust la table, et un jeune homme de service fit son apparition en sefforant de savoir en quoi il pourrait leur tre utile.

Alzira commanda des rafrachissements pour trois.

Quel parfum?

Pomme.

Le temps dun battement de cils et le garon apportait trois gobelets contenant un liquide ros et parfum sur un plateau aux reflets de saphir.

En ce qui me concerne, voici la meilleure boisson sucre que jai trouve jusqu prsent ici, car elle a des proprits sdatives - expliqua la dame quand ils se retrouvrent nouveau seuls.

Avidement, Evelina avala une petite gorge avec limpression davoir bu un nectar, plus vaporeux que liquide.

Linattendu remontant revigorait ses forces, en mme temps quil remettait ses penses en place.

Je me sens mieux - dit-elle tout coup -, Dieu merci!...

Alzira sourit et confirma sa disposition parler aux amis en leur donnant toutes les explications quil lui serait possible.

Sur le ton du secret, Fantini dit:

Pour en revenir au sujet, ne pensez-vous pas que nous nous trouvons sous assistance spcialise, du point de vue de lesprit?

Au dpart - expliqua Alzira -, jai galement pens la mme chose. Remarquez que nous sentons nos penses ici plus lgres et notre cerveau toujours plus clair. Les ides coulent avec tant de lgret et de spontanit quelles semblent prendre corps, prs de nous. Je suis daccord sur le fait que nous nous trouvons dans un type de vie spirituelle diffrent, trs diffrent de celui o nous vivions, jusqu notre arrive ici. Mais malgr cela, je ne crois pas que nous soyons dans un hpital psychiatrique. Vous devez dj savoir que nous sommes entours par une vie citadine trs intense. Des rsidences, coles, institutions, temples, industries, vhicules, divertissements publics... Quoi?... - dirent Evelina et Ernesto dune mme voix.

Cest comme je vous le dis. Tout cela reprsente une ville relativement grande. Il ny a pas moins de cent mille habitants et ce quil se dit, avec une dadministration des meilleures.

Avez-vous dj eu une exprience, l dehors? Vous tes-vous dj loigns de ces murs? - interrogea Ernesto, en laissant libre cours sa curiosit.

Oui, la semaine passe, jai obtenu lautorisation de visiter une famille que je ne connaissais pas, en accompagnant deux amis. Cest jusqu prsent la seule fois o je me suis absente de lhpital. Et je peux affirmer que lexcursion a t rellement agrable, malgr ltonnement dont je fus saisie en fin de promenade...

Quavez-vous vu et qui avez-vous vu? - demanda Ernesto.

Ne vous en faites pas. Vous connatrez tout cela le moment opportun. La ville est belle. Une espce de valle de btiments qui semblent tre taills dans le jade, le cristal et le lapis-lazuli. Architecture originale, places charmantes parsemes de jardins. Soyez assurs que je dambulais, de rue en rue, fascine. Le frre Nicomedes, puisque cest ainsi que se nomme le propritaire du centre, nous a accueillis avec beaucoup de gentillesse. Il ma prsent sa fille, Corina, une belle jeune femme, avec laquelle jai aussitt sympathis. Une des amies que jaccompagnais et dont jtais plus proche, amie avec laquelle je partageais des travaux, fit ressortir la joie festive du foyer en nous parlant de rjouissances familiales attendues. Elle nous a montr les nouveaux lustres, les tableaux et les vases magnifiques... Tout senchanait dans un crescendo de douces surprises pour moi, jusqu ce que survienne la bombe... Nous nous trouvions sur la terrasse, en train dadmirer un parterre de jasmins suspendus, quand nous entendmes le Rve dAmour, de Liszt, jou au piano. Corina nous informa que son pre jouait de linstrument avec une grande maestria. Jen fus touche au point de manifester le dsir de lcouter de plus de prs. Notre amphitryon nous conduisit immdiatement jusqu la salle de musique. Et ce fut un blouissement. Le frre Nicomedes, absorb, semblait se trouver dans un monde de joies profondes, qui rayonnaient de sa vie intrieure sous la forme de mlodies, de remarquables mlodies qui se succdaient les unes aux autres. un moment donn, je fis remarquer: il semble plong dans une longue extase, jouant comme une personne qui prie, quoi sa fille rpondit: nous sommes effectivement trs heureux; selon ce que nous savons, ma mre devrait arriver cette semaine. Elle est en voyage? demandai-je. Avec le plus grand naturel, la jeune femme expliqua: ma mre viendra de la Terre. Quand jentendis cela, jen eus un choc horrible, pareil un coup de poignard en pleine poitrine. Lair me manqua, et jentrai sans my attendre dans une terrible crise dangoisse... La simple ide que nous nous trouvions en dehors du monde que jai toujours connu me renvoyait aux douleurs angineuses dont jtais libre depuis longtemps. Corina me comprit sans mots et apporta un calmant. Selon ce quil ma t donn dobserver, mon tat de perturbation stait communiqu tout lenvironnement, car le propritaire de la maison stait interrompu soudainement alors quil excutait une belle nocturne... Je me trouvais sur le point de mvanouir. Le petit groupe me prodigua des soins et memmena en plein air. On massit dans un fauteuil de pierre semblable au marbre. Jappuyai avec force sur le dossier du curieux sige et, observant la duret du matriel sous mes mains, je commenai me tranquilliser... Ensuite, jai regard le ciel et ai vu la pleine lune, fulgurant avec tellement de beaut que je me suis compltement calme. Je sentis labsence de raison mes paniques. Et je me suis dite: pourquoi nexisterait-il pas une ville, un village, un hameau quelconque qui sappellerait Terre[1]? Le tableau qui mentourait tait positivement un recoin du monde... Indiscutablement, la femme de Nicomedes serait attendue en provenance dun bourg anonyme...

Je ruminais mes conclusions quand le chef du foyer demanda avec compassion: il y a combien de temps que notre sur Alzira est avec nous? Un peu plus de deux mois, linforma une de mes accompagnatrices. Il ne fut rien dit de plus mon sujet. La visite se termina. De retour lhpital, les surs que javais suivies, soit dit au passage deux excellentes infirmires, ne firent pas la moindre allusion mon malaise...

Vous navez plus discut avec qui que ce soit? - objecta Fantini, intress.

Il ny a quau moment du bain que je parle avec les unes et les autres. Chez chacune, je trouve le doute qui plane... La plupart suppose que nous faisons face une autre vie...

Aucune dentre elles na de certitude absolue? - intervint Madame Serpa.

Il ny a que Madame Tamburini qui est totalement convaincue que nous ne nous trouvons plus dans le domicile terrestre. Elle ma raconte quelle frquente un cabinet dtudes magntiques, ici mme dans notre organisation hospitalire, et elle sy est soumise des essais qui lui ont donn confirmation du fait quelle nest pas en possession dun corps physique. Je lai coute avec attention et elle a fini par minviter prendre part quelques expriences, mais je lai remercie pour sa proposition, sans laccepter. Ces histoires de clairvoyances et rincarnations ne saccordent pas avec ma foi catholique.

Ah! vous catholique? - linterrompit Evelina.

Oh! oui...

Et comme nous nous trouvons dans une grande ville, navons-nous pas de prtres ici?

Si, nous en avons.

Avez-vous dj parl avec lun deux?

Je suis invite visiter une glise et jirai aussitt que jaurai obtenu une autorisation. Cela dit, je dois vous dire que selon des informations de source sre, les prtres sont trs diffrents par ici...

Dans quel sens?

Ils disent tre des prtres mdecins, enseignants, scientifiques et ouvriers, et ils ne se cantonnent pas aux services de la foi. Ils fournissent une aide spirituelle, efficace et positive, au nom de Jsus.

Fantini observa que le patio se vidait.

Tous les malades se retiraient.

Alzira, la nouvelle amie, proposa une nouvelle rencontre pour plus tard, tandis quelle faisait ses au revoir. Peu aprs, Ernesto et Evelina retournrent leur chambre respective, dans lattente de se retrouver le jour suivant.

[1] Note du Traducteur: il y a au Brsil de nombreuses agglomrations portant le nom Terre limage des villes de Terra Roxa ou Terra Rica, se traduisant respectivement par Terre Violette et Terre Riche.

8

Rencontre de culture

Ernesto Fantini et Madame Serpa passrent des heures et des heures dans lintimit du patio, se livrant dintressantes conversations.

Plus de quinze jours staient couls depuis leurs retrouvailles. Evelina, tout comme son ami, stait dj habitue aux bains thrapeutiques et tous deux taient entrs en contact avec Madame Tamburini, quAlzira avait indiqu comme tant la personne la plus cultive de ses relations. Cette personne si serviable leur fit la promesse de les conduire, ds que possible, lInstitut des Sciences de lEsprit, qui se trouvait ici mme, dans un coin du grand jardin.

Il ne faisait aucun doute pour eux que les propos de Madame Tamburini eussent t jusqualors les plus rvlateurs quils eussent entendus. Au cours de leur tte--tte presque quotidien, elle sollicitait leur plus grande rflexion sur la question de la matire, matire qui schelonnait sur plusieurs paliers de condensation, et sur la question dun examen approfondi des perceptions de lesprit se modifiant selon les principes de la relativit. En dautres occasions de ces conversations rptes, elle leur demandait dtudier en eux-mmes lextrme lgret dont ils se voyaient possds, lagilit du corps subtil quils revtaient prsent et la singulire manire avec laquelle ils exprimaient maintenant leur pense, comme si les ides jaillissaient de leur cerveau, sous la forme dimages, de manire irrpressible. Quils sessayent galement inspecter les phnomnes tlpathiques qui survenaient de manire banale dans le nouveau milieu de vie, bien quils ne puissent pas se dispenser du langage articul. Il suffisait dun degr daffinit un peu plus pouss entre les personnes pour quelles sentendent harmonieusement, propos des sujets les plus complexes, avec un minimum de mots.

Ils recueillaient avec satisfaction les apprciations de Madame Tamburini, qui acceptait pleinement lide quils fussent des tres dsincarns dans un quelconque dpartement du Monde Spi