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52 Revue Marocaine de Rhumatologie Disponible en ligne sur www.smr.ma CAS CLINIQUE Le premier cas rapporté dans la littérature et présentant les caractéristiques de la pycnodysostose fut rapporté en 1923 par Montanari, mais cet auteur rapporta son observation comme étant une forme clinique inhabituelle d’achondroplasie [1]. Le terme de pycnodysostose fut créé en 1962 par Maroteaux et Lamy qui déduirent aussi qu’Henry de Toulouse-Lautrec en avait été atteint [2,3]. De 1923 à 1962, 37 observations avaient été publiées répondant aux critères de la pycnodysostose, la plupart d’entre elles avaient été considérées comme étant des formes cliniques rares de dysostose cléido-crânienne, de nanisme familiale ou d’ostéoporose. Le diagnostic de pycnodysostose fut ensuite porté rétrospectivement sur la présence des critères diagnostiques [1]. L’étiologie de la pycnodysostose a été découverte sous la forme d’une mutation du gène de la cathepsine K [3,4]. Cet enzyme permet le clivage de protéines du tissu osseux comme le collagène de type I, l’ostéopontine et l’ostéonectine. Il a été démontré que la cathepsine K est localisée et subit sa transformation activatrice au sein des ostéoclastes activés Fracture diaphysaire du fémur sur pycnodysostose : a propos d’un cas. Diaphyseal femur fracture in pycnodysostosis : a case report. Yassine Azagui, Abdelefettah Zaidane, Amine Belmoubarek, Karim Ahed, Ahmed Reda Haddoun, Mohamed Ouarab. Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie, Aile 4, CHU Ibn Rochd, Casablanca - Maroc. Rev Mar Rhum 2013; 24: 52-5 Résumé Nous rapportons une observation rare d’un adolescent de 14 ans qui a présenté une fracture de la diaphyse fémorale sur fragilité osseuse survenue à la suite d’une simple chute de sa hauteur en marchant. Le patient présentait un syndrome dysmorphique caractéristique de la maladie : dysmorphie craniofaciale avec absence de soudure de la fontanelle antérieure, hypoplasie du maxillaire inférieur, insuffisance staturale, dysplasie de la partie inférieure du radius et du cubitus, vertèbres lombaires encochées et une ostéosclérose généralisée. Le diagnostic de fracture pathologique sur pycnodysostose a été retenu. La fracture a été traitée chirurgicalement par ostéosynthèse extra -médullaire. La consolidation fut obtenue en 12 semaines. A travers ce cas et à la lumière de la littérature, nous décrirons les aspects cliniques et thérapeutiques propres à cette maladie. Mots clés : Pycnodysostose ; Ostéosclérose ; Ostéosynthèse. Abstract A rare case of a 14 year old patient with pycnodysostosis having shaft femoral fracture is being reported. He had typical facial features, short stature, open fontenella, short stubby hands and radiological features including open cranial sutures, obtuse angle of mandible, dysplasia of lower end of radius and ulna. The fracture was treated with a dymanique plate . The fracture united in 12 weeks. We discuss the clinical and therapeutic aspects specific to the pycnodysostosis disease. Keywords: : Pycnodysostosis ; Skeletal sclerosis ; Osteosynthesis. Correspondance à adresser à : Y. Azagui Email : [email protected]

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Revue Marocaine de Rhumatologie

Disponible en ligne sur

www.smr.maCAS CLINIQUE

Le premier cas rapporté dans la littérature et présentant les caractéristiques de la pycnodysostose fut rapporté en 1923 par Montanari, mais cet auteur rapporta son observation comme étant une forme clinique inhabituelle d’achondroplasie [1]. Le terme de pycnodysostose fut créé en 1962 par Maroteaux et Lamy qui déduirent aussi qu’Henry de Toulouse-Lautrec en avait été atteint [2,3]. De 1923 à 1962, 37 observations avaient été publiées répondant aux critères de la pycnodysostose, la plupart d’entre elles avaient été considérées comme étant des

formes cliniques rares de dysostose cléido-crânienne, de nanisme familiale ou d’ostéoporose. Le diagnostic de pycnodysostose fut ensuite porté rétrospectivement sur la présence des critères diagnostiques [1]. L’étiologie de la pycnodysostose a été découverte sous la forme d’une mutation du gène de la cathepsine K [3,4]. Cet enzyme permet le clivage de protéines du tissu osseux comme le collagène de type I, l’ostéopontine et l’ostéonectine. Il a été démontré que la cathepsine K est localisée et subit sa transformation activatrice au sein des ostéoclastes activés

Fracture diaphysaire du fémur sur pycnodysostose : a propos d’un cas.Diaphyseal femur fracture in pycnodysostosis : a case report.

Yassine Azagui, Abdelefettah Zaidane, Amine Belmoubarek, Karim Ahed, Ahmed Reda Haddoun, Mohamed Ouarab.Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie, Aile 4, CHU Ibn Rochd, Casablanca - Maroc.

Rev Mar Rhum 2013; 24: 52-5

RésuméNous rapportons une observation rare d’un

adolescent de 14 ans qui a présenté une fracture

de la diaphyse fémorale sur fragilité osseuse

survenue à la suite d’une simple chute de sa

hauteur en marchant. Le patient présentait

un syndrome dysmorphique caractéristique

de la maladie : dysmorphie craniofaciale avec

absence de soudure de la fontanelle antérieure,

hypoplasie du maxillaire inférieur, insuffisance

staturale, dysplasie de la partie inférieure

du radius et du cubitus, vertèbres lombaires

encochées et une ostéosclérose généralisée.

Le diagnostic de fracture pathologique sur

pycnodysostose a été retenu. La fracture a été

traitée chirurgicalement par ostéosynthèse

extra -médullaire. La consolidation fut obtenue

en 12 semaines.

A travers ce cas et à la lumière de la littérature,

nous décrirons les aspects cliniques et

thérapeutiques propres à cette maladie.

Mots clés : Pycnodysostose ; Ostéosclérose ;

Ostéosynthèse.

AbstractA rare case of a 14 year old patient with

pycnodysostosis having shaft femoral fracture

is being reported.

He had typical facial features, short stature,

open fontenella, short stubby hands and

radiological features including open cranial

sutures, obtuse angle of mandible, dysplasia of

lower end of radius and ulna.

The fracture was treated with a dymanique

plate . The fracture united in 12 weeks.

We discuss the clinical and therapeutic aspects

specific to the pycnodysostosis disease.

Keywords: : Pycnodysostosis ; Skeletal

sclerosis ; Osteosynthesis.

Correspondance à adresser à : Y. AzaguiEmail : [email protected]

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[5]. L’enzyme est ensuite secrété dans l’espace sous-ostéoclastique, là où la matrice osseuse est dégradée [6].

Le déficit de cet enzyme est donc responsable de la survenue de la pycnodysostose. Le gène de la pycnodysostose est localisé sur le chromosome 1q21. La transmission de la maladie est autosomique récessive [3]. La maladie est souvent diagnostiquée chez un patient présentant une fracture diaphysaire transverse d’un os long avec des antécédents personnels du même type. Dans l’observation que nous rapportons, la fracture medio diaphysaire du fémur est révélatrice de la pycnodysostose et le traitement fut chirurgical par ostéosynthèse par plaque.

OBSERVATION

Un adolescent âgé de 14 ans qui a présenté, à la suite d’une simple chute de sa hauteur, une fracture medio-diaphysaire du fémur droit (Fig 1).

On mettait en évidence une augmentation généralisée de la densité osseuse . On ne retrouvait pas d’antécédents personnels ou familiaux de pathologies osseuses ou traumatiques. À l’examen physique, il présentait un syndrome dysmorphique caractéristique : visage de petite taille mais avec un grand nez, large front, gros crâne avec des bosses frontales et pariétales, défaut de soudure de la fontanelle antérieure et des autres sutures crâniennes (Fig.2).

L’examen de la bouche montrait un trouble de la dentition. Il possédait une voûte palatine sillonnée avec une arche élevée, des mains et des pieds d’aspect gros et court, une petite taille, une envergure des bras inférieures d’environ 2cm à sa taille. Il n’avait pas d’organo-mégalie abdominale et les examens biologiques sanguins étaient normaux.

L’examen radiographique complet du squelette montrait une fracture medio--diaphysaire simple et transversal du fémur sur une ostéocondensation généralisée de la densité

osseuse (Fig. 1). Les radiographies du crâne montraient une non soudure des sutures et fontanelles, l’absence de pneumatisation des sinus, un angle mandibulaire très ouvert, une hypertrophie des bosses pariétales et frontales (Fig.3).

Il existait une hypoplasie de l’extrémité externe des clavicules qui avait un aspect en ligne droite. Les murs antérieurs et postérieurs des vertèbres lombaires étaient encochés. Les radiographies des mains et des poignets mettaient en évidence des phalanges effilées avec des troisièmes phalanges courtes et sans houppe (Fig.3). On découvrait une hypoplasie de l’extrémité inférieure du radius et du cubitus avec dysplasie de la radio-cubitale inférieure. Le bassin était normal.

L’extrémité inférieure des fémurs était élargie en forme de flacon d’Erlenmeyer comme dans la maladie de Gaucher et l’ostéopétrose.

Le traitement de la fracture consista à mettre en place, sous anesthésie loco-régionale une ostéo-synthèse par plaque DCP large. Le forage et le vissage des vis corticales, en particulier dans la région diaphysaire, était difficile car le canal médullaire était presque obstrué et la densité osseuse était élevée (Fig.4). Une cassure de deux vis a été notée en per - opératoire. L’ostéosynthèse à la fin de l’intervention était

Fracture diaphysaire du fémur sur pycnodysostose : a propos d’un cas

Figure 1 : Fracture diaphysaire du fémur déplacée sur ostéocondensation diffuse

Figure 2 : Syndrome dysmorphique: bosses frontales, un micrognatisme, une hypoplasie faciale .

a b

Figure 3 : a : Radiographie du crâne profil montrant des sutures anormalement larges avec un élargissement des fontanelles. b : Radiographie des deux mains face montrant la lyse des phalanges Distales.

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CAS CLINIQUE Y. Azagui et al.

stable. La rééducation fut débutée au 2ème jour et la remise en charge partielle fut autorisée à partir de la 8ème semaine. L’évolution était marquée par la consolidation du foyer de fracture dans les délais normaux de consolidation (3mois). Lors d’un contrôle à 2 ans, le patient était asymptomatique, valide, sans raideur articulaire des hanches ou des genoux.

DISCUSSION

La pycnodysostose est une cause rare d’ostéosclérose, qui a été rapportée chez des sujets caucasiens de diverses origines, sur le pourtour méditerranéen et chez les sujets de race noire [1]. L’âge de découverte est variable allant de 9 mois à 50 ans [1,7]. Chez l’enfant, la pycnodysostose a été rapportée en association avec une hépato-splénomégalie, une anémie et un rachitisme [8]. Les patients ayant des aspects d’ostéoporose avaient une organomégalie et une anémie [9].

Notre patient avait une ostéosclérose, située principalement dans les régions diaphysaires des os longs et n’avait ni anémie ni organomégalie. L’absence d’anémie pourrait être liée à la persistance d’une moelle hématopoïétique active, permettant une hématopoïèse suffisante, au sein d’espaces médullaires pourtant rétrécis. Ceci diffère des patients atteints d’ostéoporose chez lesquels les anomalies hématologiques aboutissent habituellement à une diminution de l’espérance de vie.

La pycnodysostose entraîne typiquement des fractures transversales de la diaphyse des os longs, qui consolident normalement [1]. Dans notre observation, il y avait une fracture transversale medio-diaphysaire du fémur droit sans antécédents de traumatismes anciens.

Les auteurs [13] ont rapporté l’observation d’un jeune homme de 20 ans ayant présenté une fracture diaphysaire

itérative du fémur et qui fut traitée par ostéosynthèse extra - médullaire avec bonne évolution clinique et radiologique.

Le traitement chirurgical par ostéosynthèse par plaque vissée nous paraît judicieux, même en cas de soudure totale des cartilages de conjugaison et ce en raison de l’obturation du canal médullaire [7]. En effet, ce type d’ostéosynthèse a permis la consolidation dans les délais normaux de la fracture de notre patient.

Le traitement curatif fait appel à la greffe de moelle osseuse, mais les résultats sont inconstants. La thérapie génique est encore au stade expérimental. Certains traitements de substitution enzymatique sont en cours d’évaluation [10,11]. La prévention de cette pathologie repose sur la réduction, autant que possible, de la fréquence des mariages consanguins. En effet, le taux de consanguinité chez les patients atteints du syndrome est de 30 à 80% [12]. Le diagnostic prénatal s’adresse aux parents qui ont déjà eu un enfant atteint, car la faible fréquence de cette pathologie ne permet pas de généraliser le test à toutes les grossesses.

CONCLUSION

La pycnodysostose est une maladie génétique lysosomale très rare, caractérisée par un tableau dysmorphique, une ostéosclérose du squelette et une fragilité osseuse. La prise en charge est symptomatique et multidisciplinaire, incluant essentiellement une surveillance orthopédique, une surveillance de la statique vertébrale et une prise en charge minutieuse des fractures dont la consolidation est souvent ralentie. Le pronostic général reste favorable, la maladie est peu évolutive.

CONFLITS D’INTÉRÊTS

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

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Figure 4 : Aspect per-opératoire montrant l’obturation du canal médullaire.

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