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Gloriette en fin d'après-midi (Aranjuez, 1913, collection privée) Jardin abandonné (Grenade, 1898, collection privée) jusqu'au dernier vaudeville ou la dernière saynète. Ses pièces – qui obéissent elles aussi à une volonté de renouveler la scène catalane et sont influencées par Maeterlinck ou Ibsen – contiennent les germes de l'ironie et de l'humour qui permettent d'écarter la solennité et de se rapprocher du grand public. C'est ce regard ironique que porte, au début du XX e siècle, « Xarau », l'alter ego que Rusiñol construit afin de parodier, dans l'hebdomadaire humoristique L'Esquella de la Torratxa (1907-1925), le discours noucentista (fin XIX e ) tenu par Eugeni d'Ors, « Xènius », dans La Veu de Catalunya. De cette longue collaboration vont naître certains des livres les plus connus de Rusiñol : Del Born al Plata, L'illa de la calma et Màximes i mals pensaments. C'est aussi ce regard qui lui permet de créer l'un des personnages littéraires les plus importants de la littérature catalane moderne, le Senyor Esteve, « Monsieur Esteve », le bourgeois gris et prosaïque qui construit la Barcelone et la Catalogne modernes, avec toutes ses contradictions, avec tous ses défauts, mais aussi avec quelques qualités... Ce personnage littéraire, mis en images par les caricatures de Picarol, vivra de sa propre vie et son nom passera dans le langage courant. © Generalitat de Catalunya Turisme de Catalunya Departament d'Economia i Finances Réalisation : Servei d'Informació i Difusió Turística Texte : Margarida Casacuberta Conception graphique : Francesc Guitart – EIX Comunicació Photographies : © Banque d'images de VEGAP (photographie prise par Martí Gasull) © MNAC-Museu Nacional d'Art de Catalunya. Barcelone, 2006, Calveras/Mérida/Sagristà © Museu de Montserrat - Abadia i Santuari de Montserrat © Museu Cau Ferrat. Sitges © Biblioteca de Catalunya - Arxiu Joan Maragall © Collections privées (Martí Gasull) Impression : Grupgràfic, S.A. Dépôt légal : B-28.776/2006 Imprimé en UE L'Embarcadère (Aranjuez, 1911, MNAC) L'Auca del senyor Esteve (Ramon Casas-Gabriel Alomar) Sitges. Le monument au Greco Desde El Molino (Barcelone, 1894) El prestidigitador (Barcelone, 1903) Sitges. Cau Ferrat Le Labyrinthe d'Horta, II (Barcelone, 1900-1901, collection privée) Barcelone. Els Quatre Gats (Ramon Casas, 1897) Santiago Rusiñol Adresses utiles Museu Cau Ferrat Fonollar, 8 - 08870 Sitges Tél. (+ 34) 938 940 364 www.diba.es/museuslocals/ webmuseus/29.html Museu Nacional d'Art de Catalunya (MNAC) Palau Nacional - Parc de Montjuïc 08038 Barcelona Tél. information : (+ 34) 936 220 376 www.mnac.es Museu de Montserrat Monestir de Montserrat 08199 Monistrol de Montserrat Tél. (+ 34) 938 777 701 www.abadiamontserrat.net/cat/ museu.htm Museu d'Art de Girona Pujada de la Catedral, 12 17004 Girona Tél. (+ 34) 972 203 834 www.museuart.com Biblioteca Santiago Rusiñol Pl. de l'Ajuntament, s/n - 08870 Sitges Tél. (+ 34) 938 941 149 www.diba.es/agda/biblioteques Biblioteca de Catalunya Arxiu Joan Maragall Alfons XII, 79 bis - 08006 Barcelona Tél. (+ 34) 932 001 416 www.gencat.es/bc Biblioteca Museu Víctor Balaguer Avinguda Víctor Balaguer, s/n 08800 Vilanova i la Geltrú Tél. (+ 34) 938 154 202 www.victorbalaguer-bmb.org Autres musées et institutions possédant des œuvres de Santiago Rusiñol : Museu Comarcal del Maresme, Mataró ; Museu de les Arts Escèniques de l'Institut del Teatre, Barcelone ; Museu Comarcal de la Garrotxa, Olot ; Casa Museu Pau Casals, El Vendrell. En dehors de la Catalogne : Es Baluard, Hôtel de Ville de Palma de Majorque ; Museu del Santuari de Lluc, Majorque ; Casa Museu Benlliure, Valence ; Cercle de Belles Arts, Valence ; Museu Municipal de l'Almodí, Xàtiva ; Musée d'Orsay, Paris ; Musée Goya, Castres ; Centro de Arte Reina Sofía, Madrid ; Círculo de Bellas Artes, Madrid ; Palacio Real, Madrid ; Museo Zuloaga, Zumaia (Guipuzkoa) ; Museo de Bellas Artes, Bilbao ; Museo Casa de los Tiros, Grenade ; Museo Provincial, Saragosse ; Museo de Bellas Artes, Cordoue ; Museo Nacional de Bellas Artes, Argentine ; Museo Nacional de Bellas Artes, Cuba. Offices de tourisme Centre d'Informació de Catalunya Palau Robert Passeig de Gràcia 107 08008 Barcelona Tél. (+ 34) 932 388 091 [email protected] www.gencat.net/probert Oficina de Turisme de Sitges C/ Sínia Morera, 1 Tél. (+ 34) 938 945 004 [email protected] www.sitges.org RUSINOL - RUSINOL Français - Couverture - Jardin noble. Raixa II (Majorque, 1902, collection privée)

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Gloriette en fin d'après-midi (Aranjuez, 1913, collection privée)

Jardin abandonné (Grenade, 1898, collection privée)

jusqu'au dernier vaudeville ou la dernière saynète. Ses pièces – qui obéissent elles aussi à une volonté de renouveler la scènecatalane et sont influencées par Maeterlinck ou Ibsen –contiennent les germes de l'ironie et de l'humour quipermettent d'écarter la solennité et de se rapprocher du grandpublic. C'est ce regard ironique que porte, au début du XXe siècle, « Xarau », l'alter ego que Rusiñol construit afin deparodier, dans l'hebdomadaire humoristique L'Esquella de laTorratxa (1907-1925), le discours noucentista (fin XIXe) tenu parEugeni d'Ors, « Xènius », dans La Veu de Catalunya. De cettelongue collaboration vont naître certains des livres les plusconnus de Rusiñol : Del Born al Plata, L'illa de la calma etMàximes i mals pensaments.

C'est aussi ce regard qui lui permet de créer l'un despersonnages littéraires les plus importants de la littératurecatalane moderne, le Senyor Esteve, « Monsieur Esteve », lebourgeois gris et prosaïque qui construit la Barcelone et laCatalogne modernes, avec toutes ses contradictions, avectous ses défauts, mais aussi avec quelques qualités... Cepersonnage littéraire, mis en images par les caricatures dePicarol, vivra de sa propre vie et son nom passera dans lelangage courant.

© Generalitat de CatalunyaTurisme de CatalunyaDepartament d'Economia i FinancesRéalisation : Servei d'Informació i Difusió TurísticaTexte : Margarida CasacubertaConception graphique : Francesc Guitart – EIX ComunicacióPhotographies : © Banque d'images de VEGAP (photographie prise par Martí Gasull)© MNAC-Museu Nacional d'Art de Catalunya. Barcelone, 2006, Calveras/Mérida/Sagristà© Museu de Montserrat - Abadia i Santuari de Montserrat© Museu Cau Ferrat. Sitges© Biblioteca de Catalunya - Arxiu Joan Maragall© Collections privées (Martí Gasull)Impression : Grupgràfic, S.A.

Dépôt légal : B-28.776/2006 Imprimé en UE

L'Embarcadère (Aranjuez, 1911, MNAC)

L'Auca del senyor Esteve (Ramon Casas-Gabriel Alomar)

Sitges. Le monument au Greco

Desde El Molino(Barcelone, 1894)

El prestidigitador (Barcelone, 1903)

Sitges. Cau FerratLe Labyrinthe d'Horta, II (Barcelone, 1900-1901, collection privée)

Barcelone. Els Quatre Gats (Ramon Casas, 1897)

Santiago Rusiñol

Adresses utiles

Museu Cau Ferrat Fonollar, 8 - 08870 SitgesTél. (+ 34) 938 940 364www.diba.es/museuslocals/webmuseus/29.html

Museu Nacional d'Art de Catalunya(MNAC)Palau Nacional - Parc de Montjuïc08038 Barcelona Tél. information : (+ 34) 936 220 376www.mnac.es

Museu de Montserrat Monestir de Montserrat08199 Monistrol de Montserrat Tél. (+ 34) 938 777 701www.abadiamontserrat.net/cat/museu.htm

Museu d'Art de GironaPujada de la Catedral, 1217004 GironaTél. (+ 34) 972 203 834www.museuart.com

Biblioteca Santiago RusiñolPl. de l'Ajuntament, s/n - 08870 SitgesTél. (+ 34) 938 941 149www.diba.es/agda/biblioteques

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Biblioteca Museu Víctor BalaguerAvinguda Víctor Balaguer, s/n08800 Vilanova i la GeltrúTél. (+ 34) 938 154 202www.victorbalaguer-bmb.org

Autres musées et institutionspossédant des œuvres de SantiagoRusiñol : Museu Comarcal delMaresme, Mataró ; Museu de les ArtsEscèniques de l'Institut del Teatre,Barcelone ; Museu Comarcal de laGarrotxa, Olot ; Casa Museu PauCasals, El Vendrell.

En dehors de la Catalogne : EsBaluard, Hôtel de Ville de Palma deMajorque ; Museu del Santuari de Lluc,Majorque ; Casa Museu Benlliure,Valence ; Cercle de Belles Arts, Valence ;Museu Municipal de l'Almodí, Xàtiva ;Musée d'Orsay, Paris ; Musée Goya,Castres ; Centro de Arte Reina Sofía,Madrid ; Círculo de Bellas Artes,Madrid ; Palacio Real, Madrid ; MuseoZuloaga, Zumaia (Guipuzkoa) ; Museode Bellas Artes, Bilbao ; Museo Casade los Tiros, Grenade ; MuseoProvincial, Saragosse ; Museo deBellas Artes, Cordoue ; MuseoNacional de Bellas Artes, Argentine ;Museo Nacional de Bellas Artes, Cuba.

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RUSINOL- RUSINOL Fra

ais-

Couverture - Jardin noble. Raixa II (Majorque, 1902, collection privée)

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SANTIAGO RUSIÑOL(Barcelone, 1861 - Aranjuez, 1931)

Le chef de file du Modernisme

Héritier d'une famille d'industriels textiles qui possédait uneusine à Manlleu et un bureau dans le Carrer de la Princesa, àBarcelone, Santiago Rusiñol décide, à l'âge de vingt-huitans, marié et père d'une fille, de rompre avec la viebourgeoise et de faire de la peinture son métier.

En 1889, stimulé par les retombées de l'exposition universelleorganisée à Barcelone l'année précédente, il part pour Paris,prêt à mener une vie de bohème. D'abord à Montmartre,puis, à partir de 1895, sur l'île Saint-Louis, Rusiñol fréquenteles milieux intellectuels et artistiques parisiens, devenant leprincipal importateur en Catalogne et en Espagne descourants alors en vogue dans le Paris d'avant-garde. Aucours des dernières années du siècle, il se rend souvent àl'Académie de la Palette, où travaille Pierre Puvis deChavannes, il rencontre le compositeur Erik Satie, il fréquenteLe Chat Noir et Le Mirliton à la même époque que Toulouse-Lautrec, il assiste à des représentations de pièces de théâtrede Maeterlinck, il fréquente le Théâtre de l'Œuvre et leThéâtre-Libre d'André Antoine, il s'intéresse aux nouvellestechniques de la publicité (sur les affiches, dans les cafés,dans les journaux...). Rusiñol s'imprègne ainsi des nouveauxcourants esthétiques qui naissent en Europe de la crise dupositivisme et du réalisme. Il s'intéresse au symbolisme, enparticulier sous sa facette décadente, et fait une lecturepersonnelle du naturalisme à la Zola. De Paris, il envoie desarticles au quotidien La Vanguardia et une série dechroniques intitulées « Cartas desde El Molino » (éditées sousforme de livre sous le titre Desde El Molino en 1894),contribuant ainsi à la création de l'image de l'artiste moderne.

La décision que prend Rusiñol de devenir artiste s'inscritdans le mouvement de régénérescence culturelle etintellectuelle connu sous le nom de Modernisme : en cettefin du XIXe siècle se fait jour la nécessité de transformer laculture catalane, taxée par les jeunes intellectuels deprovinciale, dépassée et régionale, pour en faire une cultureeuropéenne, moderne et nationale. Dans un premier temps,ce mouvement se rassemble autour de la revue L'Avenç(Jaume Massó i Torrents, Joaquim Casas-Carbó, AlexandreCortada, Jaume Brossa, Joan Maragall, Pompeu Fabra,Raimon Casellas, Ramon Casas), mais, très tôt, SantiagoRusiñol en devient le chef de file, aidé par son affabilité, sacapacité à tirer parti des nouvelles stratégies de lacommunication de masse (publicité, marketing, relationspubliques) et sa propension à faire de sa personne mêmel'image visible du Modernisme.

À partir du moment où il part pour Paris, Santiago Rusiñol etson œuvre vont susciter des réactions de rejet. Sesexpositions à la Sala Parés de Barcelone, individuelles oucollectives avec le peintre Ramon Casas et le sculpteur EnricClarasó, sont perçues comme une provocation par le publicbourgeois et bien-pensant, qui l'accuse d'extravagance, depréférer ce qui vient d'ailleurs, de peindre « mat » et desubvertir les canons de beauté établis. Mais ce qui va êtreencore plus mal perçu, c'est ce que l'on a appelé les Fêtesmodernistes de Sitges, à cause de leur dimensionprogrammatique et de leur récurrence (de 1892 à 1897).

Le Cau Ferrat de Sitges : le temple de l'Art

Santiago Rusiñol se rend pour la première fois à Sitges en1891. D'emblée, il est séduit par la blancheur des murs et lebadigeon bleu des patios des maisons de cette charmantestation balnéaire, mais surtout par l'accueil que lui réserventles peintres de l'école luministe de Sitges, Arcadi Mas iFontdevila, Antoni Almirall, Josep Roig i Soler et Joaquim deMiró. Il décide alors d'y aménager son atelier et un endroit oùinstaller sa riche collection d'objets anciens en fer forgécatalan qui, jusque-là, se trouvait dans l'atelier d'Enric Clarasóà Barcelone (au n° 38 du Carrer Muntaner). Cet endroit porte

le nom éloquent de Cau Ferrat ('l'antre du fer'). Construitsymboliquement comme un temple de l'Art, le Cau Ferrat deSitges se transforme en musée imaginaire de l'artiste.

À l'emplacement du Cau Ferrat, à côté de l'église etsurplombant la mer, dans le quartier du Baluard de Sitges, il yavait deux maisons de pêcheurs. L'architecte FrancescRogent, chargé de la rénovation, imagine un édifice éclectique,à mi-chemin entre le néogothique et l'architecture populaireméditerranéenne. À l'étage, on installe les collections de ferforgé, de céramique et de verre ; le rez-de-chaussée, avec sagrande cheminée et une baie gothique qui ne laisse voir que lamer et le ciel, constitue le logement de l'artiste.

Son inauguration, pendant l'été 1894, est l'occasion d'unespectaculaire procession dans les rues de Sitges où défilentdeux toiles du peintre baroque Domenikos Teotokopoulos, ditle Greco, que Rusiñol a achetées à Paris. Puis on organise unconcours littéraire qui doit s'entendre comme une alternativemoderne à la sclérose des Jeux floraux de Barcelone et à latradition littéraire qu'ils représentent. Cette manifestationrecevra le nom de Troisième Fête moderniste. En effet, bienqu'elle soit la première à être numérotée, cette fête s'inscritdans la lignée de deux manifestations précédentes : en 1892,Rusiñol et les peintres luministes de Sitges avaient organisédans les locaux de l'hôtel de ville de Sitges une exposition depeinture de paysages destinée à montrer le choc émotionnelque ressent un artiste – raffiné, sensible, décadent – lorsqu'ilcontemple tel ou tel paysage ; en 1893, le même groupeavait soutenu la création de L'Intruse, un drame symbolistesur la mort écrit par l'écrivain belge Maurice Maeterlinck ettraduit en catalan par Pompeu Fabra. La mise en scène, avecles lumières du parterre éteintes et la scène à peine éclairée,offre au public catalan un premier contact avec le théâtremoderne et, même, avec la création théâtrale d'avant-garde.La Quatrième Fête moderniste est centrée sur la création deLa Fada, un opéra catalan sur un livret de Jaume Massó iTorrents mis en musique par Enric Morera. En 1899, laCinquième Fête moderniste, qui sera la dernière, estconsacrée au théâtre catalan le plus novateur. Toutes cesmanifestations s'accompagnent de nombreuses initiativesculturelles aussi variées qu'audacieuses – concerts demusique symboliste franco-belge, danse serpentine de LoïeFuller, construction du monument en hommage au Grecogrâce à une souscription populaire... Il s'agit de susciter lerenouveau et surtout la reconnaissance de l'importance del'éducation et de la culture dans le processus de régénérationd'un pays, l'Espagne, qui, entre 1894 et 1898, voit la gravecrise qui l'affecte aboutir à une guerre dévastatrice et à laperte de ses colonies d'outre-mer.

Les intellectuels modernistes catalans et les grands noms durenouveau intellectuel espagnol se rendront en pèlerinage auCau Ferrat pendant ces années. Parmi eux figurent EmiliaPardo Bazán, Ángel Ganivet, Rubén Darío, Benito PérezGaldós, Ignacio Zuloaga, Manuel de Falla, Francisco de P.Valladar. Tous partagent avec le maître des lieux l'idée,maintes fois reprise dans les discours et les articles vers 1898,que le peuple qui fait commerce de son histoire en bradantson patrimoine culturel mérite d'être considéré comme « unenation à conquérir, un peuple arriéré, une nation agonisante,que doivent se répartir les nations supérieures ».

L'art pour l'art et l'art total

Santiago Rusiñol s'érige en défenseur de l'art et forge, sur labase de sa propre personnalité, l'image de l'artiste moderne,qui vit de l'art et pour l'art, qui se construit lui-même enœuvre d'art. Homme à l'esprit nomade, affable et capable derassembler autour de lui les gens les plus divers, il s'appuiesur la littérature pour mieux bâtir son mythe. D'un bout àl'autre de sa production littéraire intense, les tensions entrel'artiste et la société bourgeoise seront le fil rouge de sonœuvre. L'artiste y est décrit comme un « voyageur sur la terre »,comme le « juif errant », « l'oiseau d'argile », le Pierrot ou lefils sculpteur du « Senyor Esteve ». Il est le défenseur de lapoésie dans un monde moderne dominé par la prose ; il estle protagoniste d'œuvres programmatiques telles que

L'alegria que passa et Cigales i formigues, ou provocantes,telles que El místic et La mare ; il est la voix du narrateurdans Anant pel món, Fulls de la vida, El poble gris et L'illa dela calma, et la voix qui prie dans Oracions a la natura ; il estle peintre des Jardins d'Espanya et le poète du Jardíabandonat. Ce jardin abandonné, c'est la charnière entre lesdeux grandes étapes de la vie et de l'œuvre de SantiagoRusiñol, entre le Rusiñol qui entreprend le voyage de l'artcomme un voyage sans retour qui aboutira à la maladie et àla morphinomanie et celui qui, après avoir été au bord del'abîme, revient à la vie en ne voyant plus en l'art uneexploration, une recherche constante. Malgré tout, son imageperdure avec la même force, quasiment autonome, commeva le devenir le personnage littéraire qu'il a créé, ce SenyorEsteve, prototype du bourgeois de Barcelone ou de n'importequelle autre ville catalane, le héros de L'auca del senyorEsteve, un roman qui raconte la construction de la Barcelonemoderne par une bourgeoisie qu'Esteve symbolise, unebourgeoisie montrée sous un jour peu flatteur et pas toujoursconforme à la réalité, comme dans un miroir de foire.

Le discours sur l'art pour l'art qu'incarne l'image publique duchef de file du Modernisme est indissociable de son discourssur l'art total, qu'il personnifie à différents niveaux, ne serait-ce que parce qu'il est un artiste polymorphe. Rusiñolmaîtrise les différents langages artistiques : il est tout à lafois peintre, dessinateur, affichiste, homme de théâtre, poète,prosateur, romancier, journaliste, traducteur, collectionneur.Et il théorise cette pratique en revendiquant une conceptionglobale du fait artistique qui supprime les frontières entre lesdifférents genres et les différents arts. Rusiñol estl'introducteur en Catalogne du poème en prose, il prend unepart active au Teatre Íntim d'Adrià Gual, au projet de créationdu Teatre Líric Català avec Ignasi Iglésies et Enric Morera, etil contribue à la réintroduction de la chanson populairetraditionnelle catalane dans la sphère du chant choral.

Par ailleurs, Rusiñol conçoit le livre comme un objet d'art.Ses ouvrages – les premiers, notamment, tirés sur lespresses de L'Avenç et de La Vanguardia ou à la CasaThomàs – sont de véritables pièces de collection : Desde ElMolino (illustrations de Ramon Casas), Anant pel món (récits,articles nécrologiques et monologues), Oracions (poèmes enprose, illustrations de Miquel Utrillo et illustrations musicalesd'Enric Morera), Impresiones de arte (chroniquesjournalistiques, illustrations d'Ignacio Zuloaga, de PabloUranga et de Rusiñol lui-même), Fulls de la vida (récits etproses poétiques, illustrations de Ramon Pichot), El jardíabandonat (tableau poétique, illustrations musicales de JoanGay), Jardins d'Espanya (gravures de Rusiñol, textes deJoan Alcover, Joan Maragall, Miquel dels Sants Oliver,Gabriel Alomar, Emili Guanyavents, Apel·les Mestres etFrancesc Matheu pour l'édition catalane de 1903, et textesde G. Martínez Sierra, E. Marquina, Azorín, Díez Canedo,Manuel Machado, Pérez Ayala et Juan Ramón Jiménez pourl'édition espagnole de 1914) et enfin L'auca del senyorEsteve (roman, vignettes de Ramon Casas et vers rimés deGabriel Alomar). Ce ne sont que des exemples.

L'interprète artistique du paysage fin de siècle

L'artiste total pose un regard personnel sur la réalité quil'entoure, un regard venu de l'ombre et à ras de terre, unregard lyrique mais aussi critique qui aura, dès le départ, unimpact esthétique et culturel salutaire, indissociable dumouvement moderniste. Rusiñol entame son parcoursartistique en adhérant à l'école paysagiste d'Olot, où il vapeindre en 1888, avant son départ pour Paris. La démarcheest cohérente avec le projet, théorisé par le critique RaimonCasellas, de soutenir la tradition picturale catalane contrel'académisme de l'art officiel espagnol. Toutefois, s'éloignantde l'harmonie cosmique de la peinture d'Olot, Rusiñol y faitentrer les taches sombres de l'angoisse de l'individumoderne et la réalité crue et dure de la pauvreté deshabitants de ce paysage idéalisé.

Lorsque Rusiñol commence à peindre à Paris, ses toiles sontl'expression plastique du choc émotionnel de l'artiste au

Fleurs. La Petite Fille aux œillets(Sitges, 1893, Cau Ferrat)

Portraits croisés (Santiago Rusiñol et Ramon Casas) (vers 1890, Cau Ferrat)

Café de Montmartre (Paris, 1890, Museu de Montserrat)

Le Sculpteur Carles Maní (Paris, 1895, Cau Ferrat)

Erik Satie, bohème(Paris, 1891, Arxiu Joan Maragall)

« Grand Bal »(Paris, 1891, collection privée)

Jumelles. « Les Vicentetes »(Sitges, 1895, collection privée)

L'alegria que passa(vers 1898, Biblioteca PopularSantiago Rusiñol, Sitges)

Personnage féminin (avec autoportrait) (Paris, 1894, MNAC)

La Morphine (Paris, 1894, Cau Ferrat)

Le Jardin du pirate, I (Majorque, 1902, collection privée)

Le Patio bleu. Sitges(1891, Museu de Montserrat)

Patio bleu aux iris. Sitges(1891-1892, collection privée)

contact des faubourgs et des rebuts de la métropole moderne.Son Montmartre est celui du Moulin de la Galette, de labohème sombre des apprentis artistes qui sont venus dumonde entier dans la ville lumière prêts à conquérir le mondeet à exercer le sacerdoce de l'art et qui se retrouvent, pourbeaucoup d'entre eux, à l'état de déchets humains sous lesailes du moulin symbolique. Les tons gris et mats de ces toilesparisiennes, le choix d'une réalité observée depuis le côtésombre de l'existence humaine, Rusiñol va les transposer dansles paysages naturels et artificiels, extérieurs et intérieurs, de laCatalogne et de Majorque au début des années 1890, dans lespatios bleus et blancs de Sitges comme dans les ruines et lescimetières de Tarragone, dans les faubourgs barcelonaiscomme dans les jardins abandonnés de Majorque.

Plus tard viendront la découverte du Greco, le voyage àMadrid et en Andalousie, la découverte du jardin des jardins,le jardin de l'Alhambra et du Generalife de Grenade, et enfinla construction de l'espace symbolique par excellence de lapeinture de Rusiñol : le jardin abandonné. Ce jardinabandonné est à interpréter dans sa double signification, dedécadence et de régénération. Car, si d'un côté il représentel'espace intime de l'artiste, l'exploration de son moi intérieuraffrontant la destruction et la mort, il est aussi un miroirreflétant la société de l'époque, arriérée et décadente, quinéglige son patrimoine culturel. Et cette société composeune Espagne noire, celle de Darío de Regoyos et d'ÉmileVerhaeren, celle que peint Zuloaga et que décrivent Azorín,Machado, Unamuno, Baroja et Valle Inclán. Dans sa peinturedes jardins abandonnés, Rusiñol atteint le paroxysme entre1897 et 1899, époque de sa maladie et de sa dépendance àla morphine. C'est aussi la période où il peint les moines deMontserrat, influencé par le « réalisme paradoxal » du Greco.

Après une cure de désintoxication et l'ablation d'un rein,Rusiñol entreprend une nouvelle étape féconde, eu égard aunombre de ses œuvres mais surtout à la reconnaissancepublique dont il bénéficie. Le point culminant en est sans doutel'exposition de 1900 à la galerie parisienne L'Art nouveau deSiegfried Bing, où il présente la collection Jardins d'Espagne.C'est l'époque où il fait de longs séjours à Majorque, encompagnie de Joaquim Mir et du Belge Degouve deNuncques, à la recherche de jardins abandonnés qu'ilspourraient peindre. C'est là aussi que commence la série deses voyages annuels à Aranjuez, Valence, Xàtiva, Cuenca,Sóller, Pollença, Valldemossa et Gérone, ainsi que dans tantd'autres endroits de Catalogne et d'Espagne. Plus tard, il ferades séjours en Italie, près de Rome. Il peint jusqu'au 13 juin1931, date de sa mort à Aranjuez. Le catalogue des toiles deRusiñol recense, à ce jour, 695 tableaux.

La popularité du créateur du Senyor Esteve

Pendant longtemps, Santiago Rusiñol a été moins connu pourson œuvre que pour sa forte personnalité, ou plutôt pour safaçon d'être qui ne pouvait qu'enchanter les tenants ducostumisme, ce mouvement axé sur la peinture des mœurs etcoutumes du XIXe siècle, ceux de Barcelone dans le casprésent. Car l'avocat de l'art pour l'art est aussi le compagnonde route de Ramon Casas dans le célèbre voyage qu'ils fonten charrette à travers la Catalogne et que Rusiñol raconte sousforme de chroniques dans La Vanguardia : une séried'anecdotes, dont beaucoup sont apocryphes, mais quialimentent sa légende. Il fera également un voyage à vélo deVic à Barcelone, un voyage à Majorque en 1893 en compagniede Raimon Casellas et un voyage en Andalousie dont il fera lecompte-rendu à l'Ateneu Barcelonès (« L'Andalousie vue parun Catalan »). L'audace de sa peinture remplit la Sala Parés,où il expose, et sert de déclic au lancement de la mode desvernissages, qu'il importe de Paris. Et les Fêtes modernistesde Sitges, tout comme les autres manifestations artistiques del'avant-garde catalane, resteront empreintes de son humourparfois à la limite du potache, tout comme cette bohème quise retrouve aux Quatre Gats, la brasserie de Pere Romeu queva fréquenter le jeune Picasso à son arrivée à Barcelone, attiréprécisément par l'effervescence du Modernisme.

L'humour et l'ironie sont en effet des constantes de l'œuvredramatique de Santiago Rusiñol, depuis L'alegria que passa