Fabrice Balanche _ _l’Etat Islamique n’est que la partie émergée de l’iceberg_ - Aleteia.pdf

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Solène Tadié INTERNATIONAL 25.09.2014 Fabrice Balanche : "l’Etat Islamique n’est que la partie émergée de l’iceberg" Le géographe spécialiste de la Syrie revient pour Aleteia sur la laborieuse mise en place de la coalition internationale anti-EI. Alors que l'ONU vient d'adopter une résolution visant à responsabiliser les états face au départ de leurs ressortissants vers la Syrie et l'Irak, la coalition internationale s’organise. Aleteia a sollicité l’analyse du géographe Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (http://www.gremmo.mom.fr/), à l’occasion de son intervention à l’Université catholique de Lyon sur le thème des « chrétiens à l’épreuve de l’Etat Islamique », en présence du cardinal Barbarin. Ses prévisions sont alarmantes. D'après lui, l’éradication du cancer islamiste en Irak et en Syrie n’est pas pour demain. Y a-t-il encore une lueur d’espoir pour le peuple chrétien du Moyen-Orient ? Si à terme, le pseudo-califat était neutralisé, les chrétiens d’Orient pourraient-ils un jour retrouver un semblant de sécurité ? Fabrice Balanche : J’ai l’impression que les chrétiens d’Orient sont vraiment en train de vivre leurs dernières heures, car l’Etat Islamique (EI) n’est que la partie émergée de l’iceberg. C’est le résultat d’un processus de radicalisation dans la région et d’un processus d’exclusion des minorités non sunnites voire non arabes, car les Kurdes sont également visés. Et surtout des chrétiens, qui sont numériquement les plus faibles et donc les plus susceptibles d’être évincés, y compris dans des pays comme le Liban : je viens d’y passer deux semaines, je peux vous dire que la situation y est très tendue également ! Au fond, l’EI n’est autre que le wahhabisme authentique, prôné par l’Arabie Saoudite, dont le wahhabisme est le ciment idéologique. La population, dès l’école, est très fortement islamisée et « wahhabisée ». Après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis avaient demandé aux saoudiens de réformer leur programme afin de mettre un terme à un système scolaire qu’ils considéraient comme une machine à produire des extrémistes. Mais les religieux, en charge de l’éducation, s’y sont bien sûr opposés. Nous constatons aujourd’hui dans la population saoudienne, mais aussi dans beaucoup d’autres populations musulmanes, une réelle sympathie à l’égard de l’EI. Il ne s’agit bien sûr pas de toute la population, mais d’une partie non négligeable, qui dès la petite enfance à l’école, baigne dans le mythe du califat, dans l’idéologie de l’âge d’or de l’islam, auquel il faut absolument revenir. Nous retrouvons tout ce que dit le califat dans les manuels scolaires. La dhimmitude, c’est- à-dire la minoration des chrétiens et des juifs, est quant à elle généralement bien acceptée par les populations musulmanes. C’est pourquoi elles ne s’émeuvent pas beaucoup lorsque les chrétiens sont de nouveau réduits à cet état, ou expulsés. L’EI contrôle désormais environ 25% de la Syrie et 40% de l’Irak, soit pratiquement la superficie du Royaume-Uni (237 000 km2). Le fait que ces territoires soient majoritairement situés en zones désertiques joue-t-il en leur défaveur ? F. B. : Hélas non, dans la mesure où, justement, il s’agit de vastes espaces, il est beaucoup plus difficile de maîtriser le phénomène uniquement par des frappes aériennes. Les cibles sont très mobiles et se fondent dans la population, qu’elles n’hésitent du reste pas à utiliser comme bouclier humain, c’est un fait. Si vous bombardez Raqqa et que vous touchez des femmes et des enfants, cela poussera la population à éprouver davantage de sympathie envers les djihadistes, et à susciter un rejet du monde musulman à l’égard de cette coalition qui apparaîtra comme une nouvelle croisade. Il y a bien des pays musulmans comme l’Arabie Saoudite, les Emirats et le Qatar dans la coalition, mais ils sont discrédités par les personnes qui supportent l’EI. Cela ne peut fonctionner que si vous avez des troupes au sol qui reprennent les territoires à la suite des frappes aériennes. Les Américains sont plutôt hostiles à cette idée, mais déjà l’on parle

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  • Solne Tadi

    INTERNATIONAL 25.09.2014

    FabriceBalanche:"lEtatIslamiquenestquelapartiemergedeliceberg"Le gographe spcialiste de la Syrie revient pour Aleteia sur la laborieuse mise enplace de la coalition internationale anti-EI.

    Alors que l'ONU vient d'adopter une rsolution visant responsabiliser les tats face au dpart deleurs ressortissants vers la Syrie et l'Irak, la coalition internationale sorganise.

    Aleteia a sollicit lanalyse du gographe Fabrice Balanche, matre de confrences lUniversitLyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et dEtudes sur la Mditerrane et le Moyen-Orient(http://www.gremmo.mom.fr/), loccasion de son intervention lUniversit catholique de Lyonsur le thme des chrtiens lpreuve de lEtat Islamique, en prsence du cardinal Barbarin. Sesprvisions sont alarmantes. D'aprs lui, lradication du cancer islamiste en Irak et en Syrie nestpas pour demain.Y a-t-il encore une lueur despoir pour le peuple chrtien du Moyen-Orient? Si terme, lepseudo-califat tait neutralis, les chrtiens dOrient pourraient-ils un jour retrouver unsemblant de scurit?Fabrice Balanche : Jai limpression que les chrtiens dOrient sont vraiment en train de vivre leursdernires heures, car lEtat Islamique (EI) nest que la partie merge de liceberg. Cest le rsultatdun processus de radicalisation dans la rgion et dun processus dexclusion des minorits nonsunnites voire non arabes, car les Kurdes sont galement viss. Et surtout des chrtiens, qui sontnumriquement les plus faibles et donc les plus susceptibles dtre vincs, y compris dans despays comme le Liban : je viens dy passer deux semaines, je peux vous dire que la situation y est trstendue galement !Au fond, lEI nest autre que le wahhabisme authentique, prn par lArabie Saoudite, dont lewahhabisme est le ciment idologique. La population, ds lcole, est trs fortement islamise etwahhabise. Aprs le 11 septembre 2001, les Etats-Unis avaient demand aux saoudiens derformer leur programme afin de mettre un terme un systme scolaire quils considraientcomme une machine produire des extrmistes. Mais les religieux, en charge de lducation, sysont bien sr opposs. Nous constatons aujourdhui dans la population saoudienne, mais aussi dansbeaucoup dautres populations musulmanes, une relle sympathie lgard de lEI. Il ne sagit biensr pas de toute la population, mais dune partie non ngligeable, qui ds la petite enfance lcole,baigne dans le mythe du califat, dans lidologie de lge dor de lislam, auquel il faut absolumentrevenir. Nous retrouvons tout ce que dit le califat dans les manuels scolaires. La dhimmitude, cest--dire la minoration des chrtiens et des juifs, est quant elle gnralement bien accepte par lespopulations musulmanes. Cest pourquoi elles ne smeuvent pas beaucoup lorsque les chrtienssont de nouveau rduits cet tat, ou expulss.

    LEI contrle dsormais environ 25% de la Syrie et 40% de lIrak, soit pratiquement la superficiedu Royaume-Uni (237 000 km2). Le fait que ces territoires soient majoritairement situs enzones dsertiques joue-t-il en leur dfaveur ?F. B. : Hlas non, dans la mesure o, justement, il sagit de vastes espaces, il est beaucoup plusdifficile de matriser le phnomne uniquement par des frappes ariennes. Les cibles sont trsmobiles et se fondent dans la population, quelles nhsitent du reste pas utiliser comme bouclierhumain, cest un fait. Si vous bombardez Raqqa et que vous touchez des femmes et des enfants, celapoussera la population prouver davantage de sympathie envers les djihadistes, et susciter unrejet du monde musulman lgard de cette coalition qui apparatra comme une nouvelle croisade.Il y a bien des pays musulmans comme lArabie Saoudite, les Emirats et le Qatar dans la coalition,mais ils sont discrdits par les personnes qui supportent lEI.Cela ne peut fonctionner que si vous avez des troupes au sol qui reprennent les territoires la suitedes frappes ariennes. Les Amricains sont plutt hostiles cette ide, mais dj lon parle

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    denvoyer des conseillers militaires derrire les troupes irakiennes et kurdes. Les Etats-Unis vontsappuyer sur eux. Si les kurdes irakiens sont assez pro-amricains, ce nest pas le cas des kurdessyriens qui sont membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) Les Amricains vont doncdevoir compter sur larme syrienne, car les rebelles modrs auxquels le prsident Obamaveut fournir des armes sont trs difficile identifier, pour ne pas dire inexistants. Il naura donc pasle choix : il faudra choisir entre le PKK et larme de Bachar El-Assad. Il est oblig, en somme, desallier sur le terrain avec ses ennemis traditionnels.

    Pourquoi lIran tait-elle la grande absente de la confrence de Paris, le 15 septembre dernier ?F. B. : Je tiens prciser que si lIran ntait pas Paris, cest avant tout parce quelle snobe laFrance, et Laurent Fabius plus particulirement. Ce dernier, depuis quil est au pouvoir, fait sonpossible pour torpiller le rapprochement entre les occidentaux et les Iraniens. En fvrier dernier,une centaine de patrons du Medef se sont rendus en Iran pour renouer des liens avec le patronatiranien. Laurent Fabius avait alors tout fait pour empcher ce dplacement. Mais Pierre Moscovici,en tant que dput de Montbliard, a le groupe Peugeot derrire lui, et est donc intervenu auprsde Franois Hollande pour qu'il donne son feu vert.Les Iraniens voient bien dans quelle pagaille les occidentaux sont emptrs, et la France en tte deliste. Cette dernire a perdu toute crdibilit diplomatique.Il est nanmoins vrai que le fait que laSyrie nait pas t invite la confrence de Paris est aussi l'une des causes de labsence de lIran.

    Ankara va-t-elle enfin fermer ses frontires aux djihadistes, maintenant que ses ressortissantsont t librs?F. B. : Le cafouillage dans laffaire des trois djihadistes franais prsums - comprenant le beaufrre de Mohamed Merah - qui ont atterri Marseille au lieu de Paris, est rvlatrice de lamauvaise volont turque. Les services de renseignements turcs lont clairement fait exprs. Je mesuis rendu en Turquie en juin dernier et j'ai pu constater que cest une vritable passoire. Lesdjihadistes se promnent librement dans les rues et vont se faire soigner dans les hpitaux turcs. Ilfaut savoir que les Turcs se sont toujours servi des djihadistes contre le rgime dAssad et contreles Kurdes. Dautre part, Erdogan redoute fortement un retour de bton sil rejoignait la coalition :il sait quil y aurait de gros risques dattentats, dautant plus que l'on compte normment de turcsdans les rangs des djihadistes. Erdogan a t trop loin dans les relations dangereuses avec eux.

    En dfinitive, cette coalition internationale en est-elle vraiment une ?F. B. : Il sera trs difficile dradiquer ce cancer en Irak et en Syrie, parce que les intrts des allisrgionaux, la Turquie, lArabie Saoudite, le Qatar, divergent de ceux des Etats-Unis. Ils se serventtous de lEtat Islamique dune faon ou dune autre. Les Turcs se servent de lEI contre les Kurdes ;les saoudiens se servaient de lEI contre Assad et contre lIrak ; le Qatar sen sert contre lArabieSaoudite. De mme, le rgime dAssad a laiss prosprer le mouvement car cela divisaitlopposition. Ds lors, ctait Assad ou le chaos.Les Etats-Unis ne tiennent pas sengager en Irak comme ils le firent en 2003, et la France nonplus. Or, ce nest pas avec quelques frappes quils changeront la donne. La situation semble parconsquent destine persister dans la rgion, le pseudo-califat ne steindra pas de sitt.La contribution des pays allis se limitera une contribution financire et lenvoi de quelquesavions. Il ne faut pas oublier que toutes les armes du Golfe sont constitues de mercenaires, pourbeaucoup pakistanais, qui ne sont pas prts mourir pour les pays qui les emploient.

    N'hsitez pas voir ou revoir le reportage d'Aleteia (http://vimeo.com/94339169) sur leschrtiens d'Orient, ralis l'occasion du colloque international l'Universit catholique de Lyon,en mars dernier. Les intervenants, et parmi eux Fabrice Balanche, y voquaient l'hmorragie del'exode du peuple chrtien en Orient, face la monte de l'extrmisme islamique.