Extrait " Ferra Adria"

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LES IMPRESSIONS NOUVELLES Jean-Paul Jouary FERRAN ADRIÀ, L’ART DES METS Un philosophe à elBulli Photographies de Francesc Guillamet

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Extrait de Jean Paul Jouary de son Essai "Ferran Adria", publié aux éditions Les Impressions Nouvelles.

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32 € EAN : 9782874491221 ISBN : 978-2-87449-122-1 LES

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Et si ce restaurant n’en était pas un, mais un lieu de création artistique, comme une salle de concert ou une galerie, où l’on s’en vient quérir non de quoi se nourrir agréablement, mais des émotions intimes ?

Ferran Adrià n’est plus un cuisinier mais un artiste, et cela constitue

dans l’histoire de l’esthétique un événement qui ne peut laisser indiff érente

la philosophie. Manger peut-il devenir l’un des beaux-arts ?

C’est à cette question que Jean-Paul Jouary répond avec autant d’élégance

que de fi nesse, tout en montrant les créations d’elBulli, superbement

photographiées par Francesc Guillamet. Son étude est suivie d’un entretien

inédit avec Ferran Adrià.

Jean-Paul Jouary est agrégé et docteur d’État en philosophie,

professeur de chaire supérieure à Paris. Il a notamment publié Entrer en philo (1994),

L’art paléolithique (2002), Je vote donc je pense (2007), Philosopher (2008),

La science en héritage (2011), Rousseau, citoyen du futur (2012).

Passionné de gastronomie et d’œnologie, il fréquente Ferran Adrià et sa cuisine

depuis plus de quinze ans et propose l’idée qu’avec lui, pour la première fois,

la création culinaire devient un art à part entière.

Jean-Paul Jouary

FERRAN ADRIÀ, L’ART DES METSUn philosophe à elBulli

Photographies de Francesc Guillamet

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extrait

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LES IMPRESSIONS NOUVELLES

« RÉFLEXIONS FAITES »Pratique et théorie

« Réflexions faites » part de la conviction que la pratique et la théorie ont toujours besoin l’une de l’autre, aussi bien en littérature qu’en d’autres domaines.

La réflexion ne tue pas la création, elle la prépare, la renforce, la relance. Refusant les cloisonnements et les ghettos‚ cette collection est ouverte

à tous les domaines de la vie artistique et des sciences humaines.

Mise en page : Martine Gillet

© Francesc Guillamet 2011 pour les photos© Les Impressions Nouvelles – 2011.

www.lesimpressionsnouvelles.com

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Jean-Paul Jouary

FERRAN ADRIÀ, L’ART DES METSUn philosophe à elBulli

LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S

Photographies de Francesc Guillamet

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« On ne résiste pas aux attraits d’un plaisir nouveau

»

Ovide, L’art d’aimer

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Le 30 juillet 2011, un restaurant a fermé ses portes au public. Pas n’im-porte quel restaurant. Le plus réputé, le plus recherché, le plus médiatisé des restaurants

: elBulli, niché dans une crique perdue du Cap Créus en Catalogne,

avec son chef Ferran Adrià à qui ce livre est consacré. Les portes d’elBulli seront donc fermées au public pour au moins deux années, pas pour des raisons de faillite ou de dispute comme cela arrive parfois, mais au sommet du triomphe mondial au contraire, et pour des raisons que l’on pourrait qualifier d’

«

esthé-

tiques », de désir de ressourcement créatif. J’entends encore Ferran Adrià en

parler comme d’un rêve il y a bien des années, sur la terrasse d’elBulli qui surplombe les eaux de la Cala Montjoi, bien après minuit, une fois les clients partis.

Qu’un philosophe prenne la plume pour analyser l’œuvre d’un cuisi-nier a sans doute de quoi surprendre. On se doute qu’il ne s’agira ici ni d’une biographie ni d’une critique de type gastronomique, et encore moins d’un livre de recettes. Il existe à ce sujet quelques ouvrages solides dont j’indique les références en annexes. Si j’ai ressenti le besoin d’entreprendre la rédaction de ce livre, c’est pour des raisons d’ordre philosophique.

Entrée

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Soyons honnête toutefois : on peut être philosophe et gourmand, et

ma motivation première (chronologiquement) ne fut pas théorique lorsque, il y a plus de quinze ans, j’ai découvert elBulli, son chef Ferran Adrià et son directeur Juli Soler. À vrai dire, j’avais raté cette occasion un an plus tôt, un jour maussade de juillet 1994 où une ballade hasardeuse m’avait conduit à la Cala Montjoi au bout d’une route interminable. Le temps ne permettait pas de cueillir les oursins dont je me régale depuis ma prime enfance, et jetant un coup d’œil sur la carte d’un restaurant caché au bout de la plage, je trouvai la table un peu chère pour un restaurant d’après baignade. Je repartis sans me retourner. Quelques mois plus tard, feuilletant mon guide Gault et Millau, j’eus la surprise de découvrir qu’à la rubrique «

Perpignan

» il était vivement

conseillé de passer la frontière et de se rendre une heure de voiture plus loin dans un restaurant nommé elBulli, qui bénéficiait déjà de la note maximale, à l’égal de Robuchon ou Senderens

! C’est donc un an plus tard, un soir de juillet

1995, que je découvris enfin elBulli. Un choc. Chaque année ou presque depuis, j’ai eu la chance d’y retourner pour

y découvrir les créations nouvelles, en discuter avec Ferran Adrià et Juli Soler, connaître d’inoubliables instants de plaisir et ressentir un intérêt grandissant pour ce qui les suscitait. Je pris des notes, je gardai une trace des propos échan-gés, je me mis à lire tout ce qui concernait elBulli, et bientôt germa une ques-tion au fond surprenante

: et si ce restaurant n’en était pas un, mais un lieu de

création artistique, comme une salle de concert ou une galerie, où l’on s’en vient quérir non de quoi se nourrir agréablement, mais des émotions intimes

?

Il faut dire que certaines questions revenaient sans cesse de la part de ceux qui rêvaient d’y aller un jour

: est-ce un vrai repas

? y trouve-t-on du plaisir

?

n’est-ce pas trop sophistiqué ? trop original

? Il faut dire aussi qu’y répondre en

quelques mots n’est pas aisé, parce que cela suppose une véritable élucidation d’ordre philosophique

: quel rapport entre le plaisir sensible et le plaisir pro-

prement esthétique ? Où finit la technique et où commence l’art

? Comment

discerner une originalité stérile qui ne cherche qu’à se distinguer du reste, et une originalité créatrice qui invente un style et devient une nouvelle origine pour l’inspiration d’autrui

?

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Le journaliste Richard Hamilton avait écrit un jour que qualifier ce que fait Ferran Adrià de «

cuisine

» était aussi absurde que de dire des œuvres

de Shakespeare qu’elles sont « de la littérature

». Et s’il avait raison ? La prépara-

tion de ce qui est destiné à être mangé ne pourrait-elle pas accéder au statut de ce qu’on a coutume d’appeler les «

beaux-arts

» ? Il y a deux façons d’entendre

la sentence « ce n’est plus de la cuisine

». On peut, comme ce sera le cas ici,

entendre par là que pour un ensemble de raisons il s’agit plutôt d’une création artistique. On peut aussi dire «

ce n’est plus de la cuisine

» comme ceux qui

disaient que l’impressionnisme ou le cubisme n’étaient plus de la peinture, ou que dans Mozart il y avait trop de notes. Quel créateur reconnu avec le recul comme «

génial

» s’est donc vu épargner l’accusation de rompre avec la «

vraie

beauté », le «

naturel

», la «

tradition

», le «

bon goût

»

?

Peu à peu, ces questions ont fait leur chemin et en ont entraîné d’autres, elles ont conduit à rédiger des notes dispersées puis articulées entre elles, que j’ai soumises à Ferran Adrià. Le temps a passé, elBulli est rapidement devenu un mythe planétaire, sans que son créateur change quoi que ce soit à sa démarche créatrice. Au contraire même

: pour créer, il faut du temps. Alors à

partir de 2001 elBulli n’ouvrira plus que le soir, pour une cinquantaine de per-sonnes, et six mois sur douze seulement. Pour créer il faut aussi pouvoir maî-triser son œuvre : alors on ne pourra plus choisir à la carte, un menu sera créé, imposé et renouvelé entièrement chaque année. Que huit mille personnes seu-lement puissent accéder à une table d’elBulli, alors que deux millions et demi demandent une réservation chaque année ne changera rien à cette exigence

:

on ne crée pas dans n’importe quelles conditions, et Ferran Adrià ne concèdera rien au mirage d’une colossale fortune qui lui tend les bras. Pas même une hausse de l’addition – la moins chère des «

trois étoiles

» du Michelin – parce

que ce n’est pas l’argent qui doit sélectionner l’accès à la création. Tout dans la démarche de Ferran Adrià conduit à la même interroga-

tion sur la possibilité pour la cuisine de se transformer en art au sens propre de l’esthétique. Ce livre propose quelques réflexions sur cette question, et il n’est pas anodin qu’il paraisse au moment où Ferran Adrià décide de mettre fin à l’aventure d’elBulli pour réinventer une fois de plus sa cuisine – et non

E n t r é e

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la cuisine, se défend-il, même si son œuvre rayonne d’ores et déjà sur les cinq continents et participe aux contours des cuisines de demain. Les pages qui suivent parlent donc d’œuvres passées. Mais depuis Hegel on sait que la philo-sophie, à l’image de la fameuse chouette de Minerve qui prend son vol le soir tombé, n’a peut-être d’autre ambition que celle de décrypter, une fois la réalité développée, ce dont elle a été et demeure porteuse. C’est pourquoi ce livre parle moins d’un passé que d’avenirs possibles, dans un domaine essentiel pour toutes les cultures humaines, et qui ne saurait donc supporter d’être contenu par la réflexion philosophique dans le mépris qui lui est devenu coutumier.

Bien sûr, il est des objets philosophiques plus explicitement liés à la survie de notre espèce, et notre planète saigne des inégalités, des guerres et famines, de la destruction des ressources naturelles. J’y ai d’ailleurs consacré quelques milliers de pages et d’heures de pratiques sociales diverses. Mais la libération humaine n’a de sens et de force qu’au travers des divers pans de la culture et des multiples possibilités de plaisir partagé. Au fond, sur la durée, rien n’est plus révolutionnaire que le façonnement d’émotions et de regards nouveaux par la création artistique. La pleine humanité commence avec l’art paléolithique et s’épanouit avec tous les Mozart qui ont formé notre sensibilité et notre intelligence. Que cela pénètre la sphère vitale de l’alimentation, notre facette la plus animale en apparence, peut constituer un véritable événement qui ne saurait laisser indifférente la philosophie.

Empanadilla de chocolate con helado de eucalipto, 2004.

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L e 30 juillet 2011, un restaurant a fermé

ses portes au public. Je me suis efforcé de

faire sentir à quel point ce restaurant tel

qu’il a existé restera associé à une démarche singu-

lière. Mais sa fermeture sort aussi de l’ordinaire.

En pleine gloire, alors que des millions d’amateurs

rêvent vainement depuis des années d’y obtenir une

table, alors que dans ces conditions il était possible

de doubler ou tripler le prix du menu et d’agrandir

l’espace avec la certitude de faire le plein, d’ouvrir

des dizaines d’elBulli aux quatre coins de la planète,

Ferran Adrià a choisi de fermer. Là où d’autres chefs

étoilés se vantent de gérer des dizaines d’établisse-

ments en sautant d’un avion à l’autre et de contrats

en investissements sans avoir besoin de rester dans

la cuisine, l’artiste de la Cala Montjoi, au bout de

cette petite route de sept kilomètres qui le coupe

du reste du monde, annonce cette décision stupé-

fiante. À vrai dire, cela fait exactement dix ans que

Ferran confiait à ses proches son rêve de prendre

quelques années sabbatiques pour se consacrer plei-

nement à la création. En apprenant cette nouvelle

je ne pouvais donc être surpris. J’ai aussitôt pensé

à ce printemps 1970 où tomba la nouvelle de la

séparation des Beatles. Jour maudit pour qui aimait

leur musique, et geste admirable parce que, parmi

les raisons diverses qui entraînaient cette dissolu-

tion, certaines relevaient de l’esthétique et de la

10De la commande

à la création

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conception du monde. Du sommet de leur gloire et

de leur fortune, ils refusaient d’en faire commerce

et de continuer pour la seule raison que le public

aimait ce qu’ils faisaient.

Au moment où Ferran Adrià annonce sa

décision de fermer elBulli, il est classé meilleur

restaurant du monde et ne sait trop comment sélec-

tionner quelques milliers de personnes parmi les

deux millions et demi qui ont sollicité une table

pour la saison suivante. Sans l’intuition, le goût et

l’ingéniosité de son ami Juli Soler, rien n’aurait été

possible : ni l’ascension, ni la réduction au repas du

soir six mois sur douze, ni la fermeture. Juli Soler

a compris très vite une chose essentielle : un artiste

ne peut créer si son activité dépend des résultats

financiers de ce qu’il produit. Lorsqu’on a ce souci

en permanence – et quel autre chef en est libéré ? –

on est contraint de répondre au goût du public en

lui faisant plaisir, donc en réglant les plats sur ce

qu’il aime déjà. Tout le commerce fonctionne ainsi :

il faut un marché, cerner un créneau, une cible exis-

tante, offrir ce qui répond à une demande. Sans ce

principe universel du commerce comment imagi-

ner que les besoins puissent être satisfaits ? Cela sup-

pose alors que l’on connaisse ces besoins, que l’on

apprenne à produire ce qui peut y répondre, que

l’on s’en donne les moyens. Le tour de force de Juli

Soler et Ferran Adrià a été de trouver des recettes

financières extérieures à elBulli (livres, émissions,

huiles, hôtel, etc.), grâce à la notoriété d’elBulli et

sans que cela infléchisse la démarche de pure créa-

tion du restaurant. Cette rupture avec la logique

commerciale en cuisine, grâce à une logique com-

merciale hors cuisine, a une signification et une

portée considérables.

Si Bruno Mantovani inscrivait sa démarche de

compositeur dans la logique du marché, l’idée ne

lui serait pas venue de partir d’un repas à elBulli

pour écrire son Livre des illusions ! Si les Monet et

Picasso avaient procédé de même, ils auraient fait

la cour aux marchands et n’auraient pu fonder leur

gloire sur la révolution du regard qu’ils nous ont

léguée. « Je sais que d’autres peintres cherchent

avant tout à satisfaire ceux pour qui ils travaillent

et je sais aussi que je ne puis le faire », écrit le jeune

Nicolas de Staël à son père qui s’inquiète ; «

les rai-

sons pour lesquelles on aime ou l’on n’aime pas

ma peinture m’importent peu », écrit-il encore peu

avant sa mort 45. On pense à Mozart qui désespère

son père et son épouse en négligeant les œuvres

de commande pour composer comme un fou des

œuvres que personne n’attend. On l’oublie trop

souvent : il y a peu de temps, environ trois siècles

en Europe occidentale, l’actuel statut de l’artiste

demeurait impensable.

Les peintres, les sculpteurs, les musiciens ont

créé sur commande des autorités, des cléricaux,

des fortunés, et pour des finalités extérieures à

l’esthétique proprement dite. Ceux que l’on recon-

naît aujourd’hui comme des artistes distincts des

artisans n’ont pu vivre leur activité comme nous

45. Nicolas de Staël, Lettres, présentées par Pierre Daix, éditions

Ides et Calendes, 1998, pages 34 et 126.

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Pastil la helada de sangría, 2001.

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la concevons désormais. Ils ont créé pour hono-

rer les dieux, pour accompagner les rituels et les

messes, pour célébrer la gloire des puissants, voire

pour infléchir le destin magiquement. C’est pour

leur technique admirée que l’on faisait appel aux

meilleurs d’entre eux. Leur art s’entendait au sens

de « technique de production

», comme le rappellent

l’expression « arts et métiers

» et le mot «

artisan

».

Et dans cette activité utilitaire, sur commande, et

selon des normes et règles explicites, ils ont déployé

leur art au sens de « création esthétique

», ainsi que

le rappellent l’expression « beaux arts

» ou le mot

« artiste

». Ces deux dimensions sont demeurées

indiscernables tant que les artistes ont produit des

œuvres sur commande, c’est-à-dire, pour l’essen-

tiel, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, même si l’on peut

repérer auparavant quelques brillantes exceptions

singulières. On devait peindre des chemins de croix

ou des vierges Marie comme on devait composer

des messes. Et parce que cela répondait nécessai-

rement à une commande, donc à des conventions

précises et des goûts existants, il fallait appliquer

des recettes et déployer la créativité à l’intérieur des

limites de ces recettes. Bien sûr, il n’est de création

qu’à l’intérieur d’un contexte, de règles, d’attentes

sociales. Il n’existe pas de « monde de l’art

» sans

aucune sorte de commande et de recettes. Mais

toute création artistique s’effectue en même temps

contre ces éléments qui lui préexistent.

« Commande

», «

recettes

»

: deux mots clés de

la cuisine et du restaurant. Le cuisinier doit réaliser

avec sa personnalité propre et sa créativité des plats

que les clients sont susceptibles de choisir. Sans

quoi, pas de client, par d’argent, on ferme. La cui-

sine est ainsi d’emblée associée à des recettes – donc

des techniques visant à produire des choses qui

conviennent au goût tel qu’il existe. Le client est

roi, dit-on. Au restaurant, cela signifie d’abord qu’il

lui appartient de choisir ce qu’il veut manger, dans

l’ordre qu’il décidera. Il « passe sa commande

». Ce

n’était pas le cas avec le « service à la française

» mais,

on l’a vu, cela devient une nécessité au lendemain

de la Révolution française avec la multiplication

des restaurants gastronomiques et la généralisation

du « service à la russe

». Dès lors, la gastronomie ne

pourra exister et se développer que dans un lien à la

commande, à la recette, au goût existant, à un cer-

tain ordre du repas. Et le mariage fécond des mets

et des vins, qui rendra tant de prodiges possibles,

contribuera à la pérennisation de cet ordre.

Dans ce contexte, les chefs de cuisine se sont

considérés à juste titre non comme des artistes mais

comme des artisans, même si certains ont poussé

jusqu’au ridicule la promotion publique de leur

image. Ferran Adrià, comme les autres d’ailleurs,

a toujours refusé de s’attribuer ce titre d’ «

artiste

»,

qui n’a jamais fait partie des qualificatifs associés à

sa profession. Les auteurs des sculptures africaines

qu’admirait tant Picasso, les maîtres de musique de

l’âge classique, les peintres qui ornaient les églises,

les châteaux et les belles demeures, n’ignoraient rien

de leur talent sans doute. Cependant, pas un ne

créait pour créer, mais seulement en réponse à des

commandes normées. Leurs œuvres n’étaient pas

Ostra merengada, 1995.

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Cabello de dulse con erizos y

caviar de l ima, 2005.

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Arlette ibérica, 2005.

conçues pour être admirées dans des salles d’expo-

sition ou des musées. On créait pour accompagner

quelque chose d’autre, et c’est avec le recul du temps

que l’on a pu mesurer la dimension proprement

artistique de leur créativité.

Au fond, ce livre ne pose qu’une question : avec

Ferran Adrià, la cuisine ne s’est-elle pas pour la

première fois évadée de cette logique pour devenir

un art au sens des « beaux arts

»

? Est-il d’ailleurs

vraiment « Le » premier

? Ce genre de question n’a

probablement jamais de réponse certaine. Il est fort

possible qu’ici ou là, à telle ou telle époque, un cui-

sinier ait ressenti ce désir et commencé à emprunter

ce chemin, sans que les conditions lui permettent

d’aller très loin. Ce fut peut-être le cas de Willy

Slawinski, chef de l’Apicius à Gand jusqu’à sa mort

prématurée en 1992, à 43 ans, et dont ceux qui

purent découvrir la cuisine conservent le sentiment

qu’il était déjà porteur d’une véritable révolution.

Sous l’influence de Guérard, Senderens, Girardet,

Bras, Gagnaire et Troisgros, inspiré par les cuisines

japonaise, indonésienne et africaine, il partageait

avec Ferran Adrià une relation forte à l’esthétique.

Il admirait en particulier la façon que Picasso

avait eue de « prendre son bien partout, dans l’art

nègre, dans le dessin classique, chez ses contempo-

rains 46», et disait avoir eu lui aussi sa période bleue,

sa période cubiste, dans un mouvement perpétuel

de dépassement de ses sources d’inspiration. Il y

a peut-être eu d’autres chefs encore, interrompus

dans leur itinéraire créatif par d’autres obstacles, un

manque de notoriété qui condamne à la faillite, un

trop grand écart par rapport au goût de leur clien-

tèle disponible. Qui aurait parié sur Ferran Adrià

et Juli Soler, entreprenant de bouleverser la cuisine

mondiale dans leur crique désertique au bout de

sept kilomètres d’un chemin de terre et de pierres ?

Comme tous les artisans et commerçants depuis

des millénaires, les cuisiniers n’ont pu prétendre être

à l’origine de leurs productions, puisque c’est en fin

de compte le client qui commande. L’équation est

donc complexe : pour parvenir à faire œuvre ori-ginale, il faut à la fois s’appuyer sur une clientèle

conquise et ne tenir aucun compte de ses attentes.

Il faut un « monde

» de l’art, et il faut rompre avec

ce monde tel qu’il est. Il faut séduire par le plaisir,

et réinventer une nouvelle forme de plaisir. Il faut

capter la sensibilité et obtenir un retour sur soi de

l’entendement. Toutes ces conditions sont contra-

dictoires, elles enferment dans un véritable cercle

vicieux, qui est comme la rançon des exigences de

l’art. Il se trouve que, par une convergence impro-

bable de conditions de créativité, d’organisation, de

gestion, de persévérance, de rencontres humaines,

Ferran Adrià est parvenu à les réunir et les articuler

pour la première fois sans doute.

De quelle nature sont les obstacles qui s’opposent

à ce processus ? Il y a là une question de tempora-

lité, que Saint-Augustin avait cernée le premier dans

ses Confessions. Notre rapport au temps est toujours

paradoxal : par définition, le passé n’existe plus, le

46. Cf. Benoît Peeters, «  Vers la cuisine pure  », dans la revue

Conséquences, n° 2, hiver 1984.

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Papel de fruta de la pasión ‘tramontana’ con gorgonzola, 2005.

futur n’existe pas encore, et le présent n’est qu’un

point sans durée entre les deux. Il n’existe donc

qu’un présent éternel, hors du temps, perpétuelle-

ment mouvant. Ce présent est toujours porteur du

passé à titre de souvenir présent du passé, toujours

porteur du futur à titre d’attente présente du futur.

Pascal a eu raison d’écrire dans ses Pensées que « nous

vivons toujours dans des temps qui ne sont pas les

nôtres ». Le lecteur se demandera peut-être pourquoi

je me perds dans ces références métaphysiques alors

qu’il est question ici de cuisine. J’y viens. Parce que

notre présent est une sorte de passé réalisé, nos goûts

présents sont toujours pour l’essentiel rattachés à ce

passé et font donc obstacle à la nouveauté. Tous les

artistes se sont heurtés à cette difficulté. Nos pro-jets (notre façon de nous jeter devant, dans le futur)

tendent donc toujours à attendre la reproduction de

ce passé. En nous le passé est chez lui, il nous invite

à façonner l’avenir à son image. C’est une sorte de

prison : parce que nos goûts présents apparaissent

aller de soi, naturellement, ce qui y correspond nous

procure un plaisir immédiat.

En fait, dans ce cas, nous demeurons prison-

niers de ce qui est déjà, de ce que nous sommes

déjà, et nous nous contentons d’un plaisir superfi-

ciel. L’humain ne manifeste sa liberté que lorsque,

au contraire, il devient autre chose que ce qu’il

était, lorsqu’il rompt avec ce passé qui l’a façonné,

lorsqu’il se recrée, s’étonne, se surprend, échappe à

sa façon coutumière d’être. Devenir autre c’est ainsi

être totalement humain, et c’est à ce type de plaisir

élevé, d’ordre symbolique, que l’art nous convie.

La cuisine ne peut en aucun cas y accéder de la

même façon que les autres disciplines artistiques.

Au XIXe siècle Nietzsche distinguait deux mondes

esthétiques à la fois unis et distincts 47. D’un côté,

l’« apollinien

», la belle apparence des formes, fonde

tous les arts plastiques sur une sagesse, un esprit

de mesure qui nous éloigne des impulsions bru-

tales. Cet art nous enracine dans l’être individuel

au repos. La beauté plastique des plats de Ferran

Adrià les rattache à l’« apollinien

», mais pour si

peu de temps… D’un autre côté, le « dionysiaque

»,

l’ivresse, fonde la musique, la danse et la poésie sur

l’oubli de soi, la réconciliation de l’homme et de la

nature, le dépassement de l’individu par la collecti-

vité. Cet art ne nous conduit à un retour sur soi que

pour mieux nous perdre dans le devenir perpétuel.

L’art des mets ne relève de l’« apollinien

» que de

façon éphémère : bientôt l’assiette sera vide et il ne

restera de l’œuvre que quelques traces colorées. Pour

autant l’art des mets relève-t-il du « dionysiaque

»

?

Pas vraiment non plus, s’il suppose l’abolition de

toute recette, de toute partition, de toute chorégra-

phie préconçue.

Alors, l’art des mets relève-t-il de la même sorte

d’art que le jazz ? Celui-ci crée en improvisant un

ordre éphémère, soumis au flux du temps. L’œuvre

est créée contre tout ce qui a été et devient une chose

dont on pourra ensuite seulement cerner l’ordre. Ce

que crée Ferran Adrià se rapproche du jazz, mais s’en

47. Nietzsche, Naissance de la tragédie, § 1.

D e l a c o m m a n d e à l a c r é a t i o n

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distingue aussi : car si le morceau de jazz est irréver-

sible et disparaît à jamais, on peut aujourd’hui en

conserver l’enregistrement et même en écrire a pos-teriori la partition. Quelque chose demeure. Tandis

que l’art des mets produit des œuvres dont on ne peut

jouir qu’en les détruisant. Ni les traces sur l’assiette,

ni les photographies, ni les recettes, ni la mémoire,

ne sauraient restituer vraiment la jouissance instan-

tanée de la dégustation. Sans doute Ferran Adrià le

ressent-il, qui archive tout : les recettes, les essais,

les échecs, les photographies des plats, les articles et

émissions, les livres. Peine perdue : il n’est pas d’art

aussi éphémère que l’art des mets. Si l’art suppose un

certain rapport au temps, ce que Ferran Adrià a sans

doute réussi de plus spectaculaire et de plus profond,

c’est le bouleversement de ce rapport : la surprise des

apparences illusoires, l’étonnement des saveurs et

textures inattendues, la destruction de l’ordre tradi-

tionnel du repas, le recul du rire, tout cela introduit

entre nos sens et les mets une médiation temporelle

qui oblige à revenir sur soi, à réfléchir, à élever le plai-

sir au-dessus de ses formes habituelles. Tout cela défi-

nit l’art comme création de la création, arrachement

au présent.

C’est pourquoi on aurait tort de débattre à l’infini

sur la supériorité ou non de Ferran Adrià par rapport

à la gastronomie française. Celle-ci n’est nullement

menacée par l’événement d’elBulli. Il faut désormais

établir une distinction, parfois floue il est vrai, entre

les grands chefs de la cuisine gastronomique et les

« artistes en cuisine

». Mais ces derniers (au pluriel,

car Ferran Adrià a semble-t-il provoqué bien des

vocations nouvelles de par le monde) ont d’ores et

déjà une influence évidente sur toute la restauration

mondiale.

Ce chemin créatif a-t-il atteint ses limites, au

point d’entraîner la fermeture d’elBulli ? Ferran

Adrià a décidé de fermer son établissement pen-

dant deux ans, d’en faire une fondation et d’autres

choses encore qui étonneront. Il en avait assez,

résume-t-il, d’être comme un grand couturier qui,

en plus de créer les modèles, devrait tous les jours

aller coudre dans l’atelier. Loin d’être un achève-

ment de son itinéraire artistique, cette fermeture est

donc un nouveau départ.

Comme il le répondait à Madrid aux journa-

listes qui l’interrogeaient sur la fermeture d’elBulli,

« on ne ferme pas, on change ! ». J’ai pensé qu’après

bien des questions et hésitations, cette période qui

sépare deux révolutions était le bon moment pour

publier ces quelques réflexions philosophiques sur

l’art des mets.

Omelette surprise de foie -gras de pato y alcachofas, 1996.

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3 1

Omelette surprise de foie -gras de pato y alcachofas, 1996.

D e l a c o m m a n d e à l a c r é a t i o n

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4 5

Jeudi 28 juillet 2011, 20 heures, à elBulli. L’ambiance est très parti-culière, les familiers des lieux ressentent l’imminence de la fin d’une époque. Après cette soirée, il y aura un déjeuner le lendemain, puis une fête samedi soir pour les acteurs du restaurant. C’est donc le dernier véritable dîner, avec un menu record de cinquante mets, dont le dernier portera le numéro 1846, année de la naissance d’Escoffier. Car avec Ferran Adrià tout a un sens

: c’est

avec ce plat que prendra fin le cycle commencé avec El Practico, et que se pré-parera un autre processus créatif, annoncé pour 2014.

Pour ce dernier menu, tout est poussé jusqu’au bout : le nombre de

mets, les surprises, les rires, les déconstructions, les mélanges sucré-salé et terre-mer, l’absence presque totale de couverts, les alternances et coexistences du tiède et du glacé, les dématérialisations et transferts de texture. Mais qui dit fin de cycle dit aussi clins d’œil à l’histoire

: on aura donc le bonheur de retrouver

quelques émotions passées, au travers des olives sphérisées, des croquettes au jus de poulet, de la barbe à papa fourrée de fleurs aux saveurs intenses, de la moelle au caviar, ou de la glace d’amande à l’huile d’ail. Surgissent aussi de nouvelles versions de plats mémorables, comme l’horloge des épices dont on a modifié la gelée de pomme, de l’œuf de caille caramélisé devenu œuf doré, de la crevette en trois bouchées dont on a supprimé la pipette-brochette. Sortes d’

«

auto-déconstructions

»

! commente mon ami Benoît Peeters. L’expression

plaira sans doute à Ferran Adrià.Cependant, cette fin de cycle sera aussi marquée par une avalanche de

géniales créations : des raviolis de pistaches d’une invraisemblable puissance

;

un hilarant ballon glacé de gorgonzola saupoudré de muscade accompagné

La dernière soirée

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4 6

par une chips craquante d’huile d’olive ; un petit pain («

airbag

») au sel et à

l’huile d’olive posé sur un sorbet de tomate qui manifeste l’essence même de ce classique ibérique

; une sorte de sushi délicat mêlant jaune d’œuf, saumon,

basilic et soja ; un canapé croustillant au gingembre et jambon fondants, à

déguster en sirotant une eau de melon ; une association de saveurs de poulet,

noix de coco, oignon et glace au curry ; un extraordinaire homard citronné à

la coriandre accompagné d’un glaçon de maïs déshydraté, servi avec un taco mexicain fourré à la barbe à papa, maïs, coriandre, citron vert, avocat et gua-camole

; puis l’

«

Andalousie dans un plat

», glace mêlant tomate, concombre,

poivron, huile et ail blanc, suivie par des feuilles de concombre de mer avec sauce de concombre et caviar de Norvège… Tout, dans cette créativité, dément l’idée qu’avec cette soirée Ferran Adrià baisse les bras

: cela déborde, étonne,

ravit, et donne une petite idée du Ferran Adrià de demain. Et puisqu’il s’agit de parler d’avenir, il me semble repérer quatre nouveautés dans la démarche même de ce dîner.

La première : l’invention d’un nouveau rythme dans l’ordre du repas.

Celui-ci a longuement combiné des produits de la mer avec des fruits secs, des fleurs et quelques éléments terrestres matériellement peu résistants

(moelle,

foie gras, jus de poulet), pour se poursuivre avec une suite de variations sur le gibier. Comme si Ferran Adrià, après des années de déconstruction de tout ordre classique ou moderne du repas, en venait à en réinventer un dans son propre style.

La seconde : à l’intérieur de cet ordre, Ferran Adrià a introduit trois

séquences importantes, qui renforcent cette réapparition d’un rythme. Ainsi, une «

séquence japonaise

» a enchaîné cinq mets avec un évident souci d’harmo-

nie. Un peu plus tard, une « séquence giboyeuse

» (d’une saveur exceptionnelle)

a articulé des déclinaisons de lièvre : un cappuccino, un risotto, un ravioli, une

bolognaise, un filet, à manger en respirant un petit sac de cardamone et en sirotant un verre de sang qui se révèle être un jus de betterave. Enfin, en guise de conclusion, on est invité à boire une infusion de feuille de pêche, vanille et framboise, en dégustant une fondue de pêche melba composée d’une ultime suite de préparations ponctuée par une chips de vanille.

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4 7

La troisième : À ces rythmes nouveaux caractérisant l’ensemble du

repas et plusieurs de ses séquences, Ferran Adrià a adjoint une sorte de ponc-tuation musicale qui donne relief aux textures et aux saveurs qui jouent avec elles. Douze mets incluent aux textures moelleuses ou franchement dématé-rialisées du croquant, du croustillant, du craquant, le plus souvent dans de minuscules éléments, mais aussi dans des lamelles ou «

chips

» caramélisées.

Toutes ces nouveautés sont repérables dans les menus des années antérieures, mais il semble bien que Ferran Adrià ait tenu à clore ce cycle par une sorte de mise en cohérence stylistique de haute teneur esthétique.

La quatrième, tout aussi nette, concerne notre problème de l’accord vins/mets, et dans une large mesure lui apporte une première réponse fort stimulante

: Ferran Adrià a inclus dans son menu huit boissons d’accompagne-

ment des mets. Après deux cocktails à sa façon (des sortes de frites végétales d’Amérique du sud qui libèrent sous la dent une belle saveur de mojito, puis un gin fizz froid et chaud avec espuma), apparaissent une eau d’amande, une eau de melon, une eau de pin, un cappuccino de gibier, un jus de betterave et une infusion de feuilles de pêche. Ces huit boissons accompagnaient en tout une trentaine de mets, avec une harmonie qu’aucun vin n’aurait pro-bablement pu permettre. De fait, les cocktails ont effacé le cava du début, le blanc délicieux de Galice n’a pu se marier qu’avec quatre mets (un verre aurait donc suffi) et le magnifique rouge Ribera del Duero n’aura magnifié que la séquence giboyeuse, en harmonie avec les deux liquides qu’incluait cette suite (un verre aurait encore suffi). Cette dernière soirée aura donc apporté une première réponse à toutes les questions que soulevait l’évolution artistique de Ferran Adrià.

À suivre, donc, comme toute création. En sortant d’elBulli ce 28 juillet, nul ne pouvait manquer un grand dessin sur bois placé près de la sortie

:

le dogue emblématique d’elBulli s’éloignant un baluchon sur l’épaule et décla-rant partir pour de nouvelles aventures…

Jean-Paul Jouary, le 30 juillet 2011.

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4 9

Le lecteur qui veut en savoir plus sur les questions abordées dans cet ouvrage pourra lire tout ou partie d’une volumineuse bibliographie dont je ne retiens ici que quelques éléments essentiels.

Sur Ferran Adrià, elBulli, son histoire et sa démarche, on peut découvrir l’ouvrage magnifique de Ferran Adrià, Juli Soler et Albert Adrià, Une journée à elBulli, paru aux éditions Phaidon en 2009. Le livre de Manfred Weber-Lamberdière, Le magicien d’elBulli (éditions Payot, 2009) et celui d’Oscar Caballero ElBulli, texte et prétexte à textures (éditions Agnès Viénot, 2004) me paraissent les plus instructifs et stimulants pour compléter cette vision globale de la philosophie d’elBulli. Les amateurs de vidéo trouveront aussi intérêt au coffret ElBulli, historia de un sueno, catalogue audiovisuel 1963-2009 en quatre DVD, réalisé par David Pujol.

Sur l’histoire de la cuisine, on pourra lire L’ordre des mets, de J.-L. Flandrin (éditions Odile Jacob, 2002) ou l’Histoire de l’alimentation, sous la direction de J.-L. Flandrin et M. Montanari (éditions Fayard, 1996), Une histoire mondiale de la table d’Anthony Rowley (éditions Odile Jacob, 2006) ou encore Les particules alimentaires de Maurice Bensoussan (éditions Maisonneuve & Larose, 2002).

Sur le rapport entre les mets et les vins, on lira par exemple Le vin et la table, d’Alain Senderens, Bettane et Desseauve (éditions de la Revue des

Mille feuillesà la carte

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5 0

vins de France), L’école des alliances de Pierre Casamayor (éditions Hachette) et L’accord parfait de Philippe Bourguignon (éditions du Chêne). Une vue d’en-semble érudite et agréable peut être trouvée dans Le désir du vin à la conquête du monde, de Jean-Robert Pitte (éditions Fayard, 2009).

Sur l’esthétique, on se reportera à la Critique de la faculté de juger (éditions Garnier-Flammarion, traduction d’Alain Renault, en particulier pp. 181-220 et 293-299), à l’Esthétique de Hegel dans la traduction de Jean-Pierre Lefebvre (éditions Aubier), dont il est possible de se faire une idée de façon plus accessible grâce aux textes choisis par Claude Khodoss, Hegel, Esthétique, aux PUF. Je cite aussi Howard S. Becker, Les mondes de l’art, 1982 (éditions Flammarion, 1988), et Norbert Elias, Mozart, sociologie d’un génie (éditions du Seuil, 1991).

Je remercie pour leurs paroles, conseils, encouragements, critiques et suggestions, Ferran Adrià, Juli Soler, Josep Maria Pinto, Francesc Guillamet, Catherine Leferme, Anne-Claire Si Fodil, Bruno Mantovani, Benoît Peeters, Valérie Lévy-Soussan, Christophe Perrier, Laurent Bihl, Delphine Euvié, Pierre Leferme, Mélanie Dufour, Martine Gillet. Ce livre leur doit plus qu’ils ne le pensent.

Menusremerciements

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Traces de l ’œuvre éphémère.

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Sommaire

Entrée 9

Un artiste en cuisine ? 17

Dîner à elBulli 33

Grande histoire et petites histoires 45

De l’hygiène au plaisir 59

Une culture de la rupture 69

Une critique de la faculté de goûter 79

L’un des beaux-arts ? 91

Ordre et désordre 105

La déconstruction jusqu’au bout 115

De la commande à la création 125

Les entremots de Ferran Adrià 141

La dernière soirée 151

Mille feuille à la carte 155

Menus remerciements 156

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

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p. 4-5Trufa surprise con chip de higo

p. 8-9Flores de remolacha

p. 10Merengue-nitro de fresa con nata, 2004.

Chapitre 1p. 16

Pomada de cacahuetes con tostadas a la miel, 2003.

Chapitre 2 p. 32

Plato en construccion

Chapitre 3 p. 44

Air-baguette de harina de malta con caramelo de canela caramelizada, 2005.

Chapitre 4 p. 58

Donete de regaliz y yogur

Chapitre 5 p. 68

Alga kombu en vinagre caramelizada al té matcha, 2004

Chapitre 6 p. 78

Plato en construccion.

Chapitre 7 p. 90

‘Gran creu negra’, homenaje a Tàpies, 2004.

Chapitre 8 p. 104

Flor con su néctar, 2010

Chapitre 9 p. 114

Ambar, 2009

Chapitre 10 p. 124

After eight, 2009.

p. 138-139 Ninyoyaki de castañas, 2005.

P. 140Carbón helado de foie-gras de pato con sal

de azúcar mascabado, 2003.

P. 148-149 Des/sert, 2005.

P. 154 Pañuelo gigante de crocant de alcachofa

con chips de alcachofa, 2003.

P. 157 Panuelo gigante de crocant de alcachofa

con chips de alcahofa, 2003

TAbLe DeS iLLuSTrATionS(têtes de chapitre et double pages)

Achever d’imprimer en septembre 2011sur les presses de Proost - Turnhout

ISBN : 978-2-87449-122-1 - EAN : 9782874491221Dépôt légal : octobre 2011

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Page 45: Extrait " Ferra Adria"

[…]

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OUVRAGE PARU EN OCTOBRE 2011

Et si ce restaurant n’en était pas un,mais un lieu de création artistique,comme une salle de concert ou une galerie,où l’on s’en vient quérir non de quoise nourrir agréablement, mais des émotions intimes ?

Ferran Adrià n’est plus un cuisinier mais un artiste, et cela constitue dans l’histoire de l’esthétique un évènement qui ne peut laisser indifférente la philosophie. Manger peut-il devenir l’un des beaux-arts ? C’est à cette question que Jean-Paul Jouary répond avec autant d’élégance que de finesse, tout en montrant les créations d’elBulli, superbement photographiées par Francesc Guillamet. Son étude est suivie d’un entretien inédit avec Ferran Adrià.

RETROUVEZ-NOUS SUR :

http://www.lesimpressionsnouvelles.com

DIFFUSION/DISTRIBUTION : HARMONIA MUNDI EAN : 9782874491221ISBN : 978-2-87449-122-1160 PAGES 32 €