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Reste l’été

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DU MÊME AUTEUR

Dachau Arbamafra, Les doigts dans la prose, 2012.

© Flammarion, 2012.ISBN : 978-2-0812- -79102

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Nicolas Le Golvan

Reste l’étéroman

Flammarion

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À ma femme

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1. JOUR DE GLOIRE

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On n’avait rien que nos quarante ans, un seau etune pelle, des enfants en bas âge. On n’avait rien departiculier en mire sinon de revenir le lendemain, icimême, aux creux qu’auraient laissés nos fesses dansle sable humide, aux traces à peine perceptibles desanciennes douves du château fort, la marée ayant faitson œuvre de léchage, à moins qu’il n’en retourned’une lessive plus profonde. Quarante ans ! Qu’est-ce qu’on aurait dû pressentir ? Le sable se laissaitdocilement caresser d’un revers de doigts, un duvetcalifornien, la plage comme un jeune chien surlequel on allongeait nos ventres.

On n’avait pas pris la route mais la plage, débar-

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quant à contresens des héros par les sentiers debaigneurs, chacun gisant sur son carré de propriéténue, bornée par une glacière trop lourde, trois ouquatre serviettes et un semis de jouets en plas-tique. On suivait des yeux les baigneurs : ce désird’enfants trop longtemps ajourné, ces enfants quinous verraient bientôt vieillir, nos propres enfantscoiffés de vagues et d’aventures, marqués à notre

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odeur à grands tubes de crème solaire. Des enfants,des rêves.

Alors on avait pour nous le sable qui se confor-merait toujours à l’inertie de nos fesses et qui tou-jours laisserait nos doigts s’y enfoncer sans résistance.On avait simplement confondu la destination et ledestin, prenant les points des cartes pour des accom-plissements. On avait troqué nos enfances qui fouis-sent contre de longues après-midi sèches, au mêmepoint cardinal. On avait fini par faire nos propresenfants pour se convaincre de leur ressembler encoreet partager sincèrement leurs jeux.

Alors, dans l’immense disponibilité des jours, onavait choisi de s’asseoir sur la plage.

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Au dernier jour de juillet, j’ai basculé mon vélosans antivol au lieu dit, j’ai desserré mes lacets.Mylène et les enfants sont déjà partis à la poursuitede la mer qui remonte pourtant. Ils ne savent riende mes heures sans eux où, seul, je contemple lesassauts et le reflux de l’océan, depuis mon arrière-poste, des après-midi où je ne m’inquiète pas de lesvoir revenir bientôt. Je reconnais assez vite leurallure d’échassiers malhabiles contournant les bron-zeurs, encroûtés de sable. Dès que je les sens quis’épuisent un peu dans les vagues, il me vient tou-jours une terreur enfantine à l’annonce de leurretour sur la plage, comme autant d’animaux qui

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s’approchent pour s’ébrouer. Les enfants se collent àmoi encore ruisselants ; je les repousse sans trop degentillesse, jusqu’à ce que Mylène nous rejoigne. Carils compliquent tout et chassent sous un grésil desable le monde paisible où je m’étais retranché : laserviette de plage enfouie par les coins, le romanjaponais obèse où je repose mon regard, à demi auqui-vive d’un événement périphérique, distrait du

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livre autant que du voisinage, des enfants et finale-ment de moi-même.

— Papa, ma serviette est encore mouillée !Je me laisse dépouiller. Louis grelotte sous mon

drap de bain tandis que Rose détruit méthodique-ment le château avec le manche de la petite pelle.Elle saccage dans les rires et fait voler sur nos têtesdes grêlons de sable humide. Ôtez-lui ses deux ans,cela s’appelle la barbarie. Je chausse mes lunettespour un peu de protection. J’ai toujours une mau-vaise pensée à cacher.

— On remet son chapeau et vite !Mylène s’allonge maintenant à même le sable,

tout contre moi et c’est une contagion de chair depoule. Avec l’été, elle ressort notre jeu de plage ànous, un peau-contre-peau que le sable de l’île n’ajamais su user. Il lui suffit d’attendre mes premiersgrognements, presque des menaces. Elle se grise déjàde lever une révolte spectaculaire avec ce rien d’elle :trois gouttes trop fraîches, un rien de sel, huit degrésd’écart de l’eau à la plage. Oui, chaque nouvel étéen Ré, elle rit de son mâle vieillissant, un vieux pré-coce. Mais cette fois je ne dis rien. Elle sent déjàtoute l’aigreur dont grésilleront nos jours à deux,

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arrivés à la vieillesse, au terme de notre couple. Lesable de Bois-Plage m’enlise toujours un peu lorsquerevient juillet ; à elle de m’en déloger. Une fois deplus, elle me surprendra à compter les jours, à triermes ruminations, assis sur mes principes de marichevaleresque, mes promesses d’amant timide, siému autrefois du cadeau qu’elle m’avait fait de soncorps et d’un sourire pour chaque matin, son énergie

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enfantine en dot, un trésor de vitalité dont elle nour-rissait mes manques. Je pourrais finir par me laisserfaire et me rouler soudain sur elle, un sourire, enfon-çant dans le sable le livre sous nos fesses. Ensemble,sous le regard de faïence de Rose. L’après-midis’apaiserait alors, les enfants auraient droit à une his-toire pour tromper la fatigue du retour. Un étéreconquis car un sourire, c’est déjà renaître.

Seulement, aujourd’hui sa peau me mange ; elleest une douleur absurde. C’est comme avaler dusable par poignées. Mon corps ne tressaille plus aucontact de Mylène qui attend, s’interroge. Le cou-rage des questions ne me manque pas mais je senscombien il me pèse. Alors je fixe le firmament et lalumière de juillet qui change tout, depuis bientôtdeux semaines. En surplomb de nos têtes, le ciel deRé comme un précipité de javel.

Les enfants croquent dans leurs sablés pour tuerle temps de séchage. Lorsque leur corps sera un peumoins bleu, Mylène les lancera à nouveau vers lelarge, la vase meuble, l’aspiration des courants et jeferai en sorte de distraire mes peurs. Ma serviette estune peau vrillée qui moisit maintenant dans les

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douves effondrées. Je convertis mon bouquin ensiège, un trône littéraire pour un plagiste déchu, etparcours mon royaume.

Ils sont là ceux d’hier, également méticuleux,ralentis, intemporels. Aucune mode n’a cours surla plage : les maillots simples, les chairs, les glacièresvert olive n’avouent rien de l’époque, rien qui fassedate. Sur l’île, les plastiques virent et ternissent en

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quelques jours. Sur le sable de Bois-Plage, ils sontéternellement là, ceux d’hier. Toute distance res-pectable ; assez loin pour laisser les conversationsse chiffonner dans les bourrasques, assez près pourque chaque détail demeure à portée, quoique horsd’atteinte. Alors chaque détail compte. Chacun setient, comme le sable se tient et fait masse sous nospieds, bizarrement.

Une famille abandonne les lieux à ma gauche etsoulage l’horizon de quatre parasols. Ceux-là nesont pas des résidents. On le remarque tout desuite, à la débauche de pliants, la cartouche de ciga-rettes, le tatouage qui vire. Je retrouve alors uneprésence familière, comme un dû. Elle se dévêt avecefforts sous la serviette qu’elle a nouée au-dessus desa poitrine et réajuste sa visière blanche. Pour untemps, elle se rétracte en chrysalide et prépare soncorps aux regards. Je me surprends à tout imaginerd’elle, elle qui ne veut pas se lever, elle qui veille lecorps incroyable de son mari : une coque rouge telun factice. Elle ne lui adresse jamais un regard,aucune attention ; un peu de crème le soulagerait,vraiment. Non, elle se dévêt au zénith puis se revêtprobablement au déclin du soleil, sans autre com-

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pagnie que ce corps sans visage. Lui, je ne l’aijamais vu se relever, esquisser un geste, respirer.Deux semaines bientôt qu’il reste à plat sur leventre, les bras tendus au-dessus du crâne face à lamer, les jambes à peine fléchies. Un acharnementest à l’œuvre.

Rose et Louis abandonnent le camp pour suivreleur mère dont le corps se fond à l’eau, immensément.

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Ils écrasent les serviettes, le paquet de biscuits ;rien n’arrêterait l’urgence qu’ils ont de vivre. Per-sonne. Leurs empreintes se chevauchent avant dese perdre.

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Je me sens inscrit dans le sable de Ré. Je suis unfossile vivant qui a grandi là ; la cabane de famille,Le Bois-Plage, la plage. Rue des Sables, rue des Trois-Oranges, les Pingettes ou l’avenue de la Plage : lamaison de vacances se décline en définitive dans destrajets inlassables, de la chambre au salon, de la ter-rasse à la place, de la place à la plage et de la plageau jardin qu’on a fini par ensabler de tant d’alléeset venues, des années de seaux mal rincés, avec nosserviettes qui se vident continuellement, du sablepartout dans les plis de nos vêtements, dans noschaussures et nos cheveux, les ongles des enfants. Lescarreaux de ciment du salon tous sablés.

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Tant qu’a duré l’enfance, je destinais mes projetsles plus radicaux à l’été. J’attendais que les saisonsbasculent en dominos. Tout ce qui, à l’école, dans unmot de ma mère ou simplement dans ce que l’air dema chambre déchargeait d’angoisse, tout ce qui méri-tait une réponse forte, je le portais au ventre l’hiverdurant, en gestation sourde jusqu’à Ré, en juillet :ma délivrance. Aux trois quarts nu, j’enfouissais mon

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corps dans des monticules aux formes terrifiantesque j’avais modelées des heures durant ou bien j’ali-gnais patiemment des silhouettes de sable humideque je finissais par démolir à coups de poing. Toutpouvait s’inventer contre la mer, tout se rejouait àblanc et se résolvait à mon avantage, à ma gloire degamin héroïque. Lorsque nous rentrions vers les dix-huit heures, je portais mes vêtements en boule dansmon seau de plastique, m’appuyant sur le manchedu parasol, fourbu de toutes ces vies extirpées de moimais en paix. Un héritage, une mère flamboyante,une sœur mieux qu’une mère, un père comme unnomade osaient une existence sur le sable. Je sentaisconfusément que mes jeux solitaires et bruyantsréveillaient plus qu’un tumulte épique, ils me rame-naient à la dignité de la vie, moi, cet enfant qu’onsurveillait à peine. Maman lisait des polars auxjaquettes terribles et ma sœur tâchait de l’imiter. Plusles années passaient et plus pesante était l’attentede l’été. Aujourd’hui, c’est bien l’été que je redoute,l’été qui nous a déjà pris. Comme chaque année,Mylène et moi nous sommes pressés de rejoindre l’îlepour nous y retrouver, laisser agir le charme. Je ne

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sens plus rien.En juillet donc, je rechausse mes classiques : la

côte de la petite dune, les pneus dégonflés, l’antivolqu’on a cessé de perdre… J’ai couché cinq généra-tions de vélos sur ce sable. J’y ai beaucoup dormi etpeu lu en définitive. J’y ai conçu mon fils et puis,chaque jour, je redresse les murs du même château,ceint de fossés inépuisables. Moi, l’architecte auto-

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N° d’édition : L.01ELJN000487.N001Dépôt légal : septembre 2012

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