Eustache, Jean- 1973, Scénario de La Maman et la Putain

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dition tablie par Alain Bergala Maquette : Rene Koch

La Maman et la putain Scnario de Jean Eustache

En couverture :

Franoise Lebrun, Jean-Pierre Laud et Bernadette Lafont Cahiers du cinma 1986 ISBN 2-86642-044-6 Diffusion Seuil 19, nie Jacob, Paris 5

Cahiers du Cinma

AVERTISSEMENT Le texte que nous publions ici est le scnario crit par Jean Eustache avant le tournage du film. On sait par divers tmoignages qu'il exigea de ses acteurs, pour ce film, le plus grand respect du texte qu'il avait crit. Nanmoins, le texte attest dans le film termin prsente quelques diffrences avec le scnario original. Ces diffrences sont de trois ordres. 1. Une diffrence quantitative importante. Un certain nombre de squences qui avaient t crites ont disparu dans le film termin, soit qu'elles n'aient pas t tournes, soit que Jean Eustache les ait supprimes au montage. Par ailleurs, de nombreuses squences sont plus courtes dans le film que dans le scnario original, pour avoir t partiellement coupes au tournage ou au montage. Nous avons fait le choix de supprimer dans cette dition du scnario original toutes les squences et tous les fragments de squences qui ne figurent pas dans le film termin. En consquence, nous avons modifi le numro des squences pour conserver une numrotation continue malgr la disparition de certaines d'entre elles. 2. Le scnario original laisse quelquefois ouverts pour le futur moment du tournage un certain nombre de choix, ou de textes impossibles prvoir car lis l'actualit immdiate du jour du tournage (programmes de cinma, mission de radio, etc.). Nous avons respect les diffrentes formes (points de suspension, parenthses, indications d'alternatives) que prennent

M

dans le scnario original ces choix ou ces ventualits laisss en suspens. A chaque fois que cela nous a paru important, nous avons reproduit en note le texte des passages laisss en blanc par Jean Eustache dans le scnario original : chansons, mission de radio, etc., ainsi que le texte de certains rajouts de tournage, non programms dans le scnario original, mais qui nous ont sembl significatifs. 3. Le texte effectivement prononc par les acteurs dans le film diffre lgrement, trs souvent, du texte crit dans le scnario. Il s'agit le plus souvent de minimes diffrences de dtails dues sans doute d'ultimes modifications au moment du tournage. C'est le texte du scnario original et non celui attest dans le mot mot du film que nous reproduisons ici. L'diteur.

GNRIQUE La Maman et la putain Scnario et ralisation : Jean Eustache. Image : Pierre Lhomme. Son : Jean-Pierre Ruh, Paul Laine. Montage : Jean Eustache, Denise de Casabianca. Scripte : Irne Lhomme. Assistants-ralisateur : Luc Braud, Rmy Duchemin. Interprtation : Jean-Pierre Laud : ALEXANDRE. Bernadette Lafont : MARIE. Franoise Lebrun : VERONIKA. Isabelle Weingarten : GILBERTE. ainsi que : Jacques Renard : l'ami d'ALEXANDRE. Jean-Nol Picq : l'amateur d'Offenbach, Jean Douchet : l'homme du Flore. Producteur : Pierre Cottrell. Production : Elite Films, Cinquanon, Les Films du Losange, Simar Films, V.M. Productions. Dure : 3 heures 40. Format du tournage : 16 mm. Format copie standard : 35 mm. Noir et blanc.

SEQUENCE 0

Une chambre. Un lit. Un couple dort. On voit le jour travers les rideaux de la fentre. Prs du lit, un electrophone. Des piles de disques plus ou moins dsordonnes. On y reconnat l'album de Charles Trenet voisinant avec Don Giovanni. Le garon se rveille brusquement, d'un bond. Immdiatement il tend la main vers une montre et regarde l'heure comme si en dormant il n'avait pas cess de penser son rveil. Il se lve doucement pour ne pas rveiller la femme qui dort prs de lui. Il passe dans la salle de bains, fait une toilette rapide, s'habille et sort. A un tage infrieur il frappe la porte d'un autre appartement. Une femme lui ouvre. Il parle trs bas, en chuchotant. ALEXANDRE. T U peux me prter ta voiture ? VOISINE. Oui, bien sr. Voil les cls. Tu sais o sont les papiers. ALEXANDRE. Oui. Tu n'en as vraiment pas besoin. VOISINE. Non. a va. Tu sais, le clignotant gauche ne marche pas. Alors fais attention. Moi j'ai un systme, je m'arrange pour ne pas tourner gauche. ALEXANDRE. D'accord ; merci. Dehors il fait soleil. Il prend la voiture et parcourt des rues assez peu encombres, comme au mois d'aot ou le dimanche matin. Il range la voiture dans une rue de Paris, devant un lyce. Il ne descend pas, il

attend, il observe. Dans la rue passent des jeunes gens, des tudiants. Au loin apparat une fille. C'est elle qu'il attendait car il descend de voiture et va sa rencontre. La fille l'aperoit. Elle parait crispe mais sourit. Elle s'carte des gens qui marchaient avec elle et vient vers lui.

Bonjour, que fais-tu l ? ALEXANDRE. Je suis venu assister au cours d'une vieille amie. GiLBERTE. a me gne, a m'ennuie. C'est la premire semaine de mes cours. J e ne suis pas trs sre de moi.GILBERTE.

// lui tend un paquet ; cela ressemble un livre (si on lit le titre, ce sera : Les Malheurs de Sophie ). Elle refuse de la tte. Il insiste.GILBERTE. Non. ALEXANDRE.

Je t'en prie accepte. Il y a un petit mot.

Elle prend le paquet, lit le mot : A celle qui chaque nuit vient

me rveiller par un rve. GiLBERTE. Moi aussi je fais des cauchemars. J e vois Marie grande comme a.Elle fait un geste.

J e te parle de rve et dj tu me parles de cauchemar. J e voulais te dire : je suis venu te chercher. GILBERTE. Non. J e ne peux pas. ALEXANDRE. Tu ne m'as pas entendu. J e suis venu te chercher. Je veux t'pouser. GILBERTE. Non. Non. J e n'en suis pas encore l. J e ne suis pas prte. ALEXANDRE. Tu n'es pas prte ? a veut dire que tu le seras bientt. GILBERTE. Je ne sais pas.ALEXANDRE.

Je ne t'ai pas beaucoup ennuye ces derniers mois. J e ne t'ai pas couru aprs. J e n'ai pas cherch t'empoisonner la vie. GILBERTE. Je sais. ALEXANDRE. Tu as eu le temps de te remettre, de rflchir. Quel temps perdu. C'tait peut-tre le temps qu'il fallait pour s'en sortir, pour y voir clair. Maintenant je sais. Chaque matin, chaque jour que nous ne passons pas ensemble est un jour que nous perdons. C'est un massacre. C'est un crime. GILBERTE. Non je ne peux pas. J e ne sais pas. Tu t'en es peuttre sorti mais pas moi. J'ai encore trop de problmes. ALEXANDRE. On les rsoudra ensemble. Il faut que tu te dcides, que tu t'engages. Qu'est-ce que tu attends ? Que les choses se fassent toutes seules. Elles se font puisque je suis venu. Je ne te demanderai rien. GILBERTE. T U n'a rien me demander. Excuse-moi il faut que j ' y aille. ALEXANDRE. J e viens avec toi. GILBERTE. Non. Je te le demande. ALEXANDRE. Mais coute. Tu m'as invit cent fois assister tes cours. GILBERTE. T U n'es jamais venu. ALEXANDRE. J e viens aujourd'hui.ALEXANDRE. GILBERTE. Non.

Elle fuit, entre prcipitamment dans l'cole. Il la suit. Plus tard. Ils sont assis sur un banc au Jardin du Luxembourg ou ailleurs.ALEXANDRE.

ALEXANDRE. Ah a suffit. // se dtend.

J e ne t'ai pas beaucoup ennuye ces derniers mois. Je ne t'ai pas couru aprs. Je n'ai pas cherch t'empoisonner la vie. GILBERTE. Je sais.ALEXANDRE.

C'est curieux. Tout tait clair ce matin. Les rues taient calmes. J'tais bien. J e venais te dire : je viens te chercher. Tu aurais d dire : je t'attendais. Comme dans la chanson de ... je ne sais qui. Tu sais, je te sens en moi si profondment, si proche, que je ne comprends pas que tu ne sentes rien. Mais je ne te crois pas. Tu prtends que tu ne sens rien, ce n'est pas vrai, ce n'est pas possible. Tu mens. Tu joues la comdie.11

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ALEXANDRE.

Non. Ne pars pas. Je peux bien te dire que je veux vivre avec toi. Que je veux te voir t'endormir, te rveiller. Est-ce si dsagrable entendre ? Je veux vivre avec toi.

/ / s'approche, essaie de l'embrasser dans le cou. Elle se contracte. Il caresse ses cheveux.

ta peau. Tu as oubli. J'aime ton cou. Dans les annes que nous avons passes ensemble, j'avais progressivement oubli ton visage, l'impression que tu m'avais faite la premire fois. Il a suffi que tu partes pour que je te retrouve en moi, intacte, comme au premier jour. GlLBERTE. Il fallait que je parte. ALEXANDRE. T U ne finis jamais tes phrases ; il fallait que tu partes mais pour qu'on se retrouve. GlLBERTE. Allons prendre un caf. J e voudrais manger quelque chose. J'ai encore trois heures faire.ALEXANDRE. J e n'ai pas d'argent. GILBERTE. Je t'invite. Ils se lvent. S'loignent. Dans un caf prs du Jardin du Luxembourg. Ils sont assis face /ace.

ALEXANDRE. J'aime

sais, j'avais pens que tu viendrais avec moi aujourd'hui. J'avais l'intention de demander des amis, ceux que tu aimes bien, d'tre nos tmoins, j'tais tellement persuad... GILBERTE. T U es vraiment naf. ALEXANDRE. Je me suis tromp. Encore une fois. Mais est-ce que cela veut dire que tu ne reviendras jamais ? Dans trois mois, dans... je ne sais pas. Tu ne me dis pas que tu ne reviendras pas. Tu dis que tu ne sais pas. Tant que tu ne sauras pas, j'attendrai. Dis quelque chose. GlLBERTE. J'ai envie de te dire de ne pas y compter. ALEXANDRE. Ne t'en tire pas comme a. Rponds-moi. J e prfrerais que tu dises nettement : je n reviendrai pas. Note que je prfrerais que tu dises : je reviendrai. C'est comme si tu me laissais de ct en attendant de savoir si a va marcherALEXANDRE. T U

ou non avec ton type. Je te pose la question autrement : tu m'aimes encore ou tu ne m'aimes plus ? GlLBERTE. Enfin, c'est ridicule. Dans quel roman te crois-tu ? Tu sais bien que ce n'est pas si simple. ALEXANDRE. T U m'aimes. Je le sais. C'est pourquoi je te demande de prendre une dcision... Je t'attends depuis des mois, je suis prt t'attendre encore, le temps qu'il faudra. Mais toi, pendant ce temps, tu vis avec un autre type. Si tu tais seule, tu rflchirais, on pourrait sortir ensemble de temps en temps, tu apprendrais de nouveau me connatre, tu pourrais juger. Et le temps passant, tu saurais un jour si tu veux vivre avec moi ou avec un autre de tes amoureux. Ce serait bien pour toi. Tu serais une fille qui aurait deux amoureux. GILBERTE. Deux ? Des dizaines. ALEXANDRE. Encore mieux. Au lieu de quoi, tu hsites, tu ne me dis pas non et chaque jour tu le passes avec un autre type. Je ne sais jamais ce que tu fais, si tu fais la cuisine. Tu lui fais la mme cuisine qu' moi. Si tu bois un verre de vin, si tu passes la main sur ses cheveux. Ecoute, puisque tu ne veux pas te dcider, je prfre que nous brusquions les choses. Si tu ne viens pas avec moi, marie-toi avec lui. Mariez-vous. Tu t'imagines ce que cela me cote. Mais si vous tes de bonne foi, si tu l'aimes, s'il t'aime comme tu le prtends, mariez-vous, je saurais alors que je n'ai plus rien attendre. Je m'y habituerai. Que vas-tu faire, lui en parler ? D'ailleurs, peut-tre en avez-vous dj parl. GILBERTE. Oui, nous en avons parl. ALEXANDRE. Et alors. Il veut t'pouser, qu'est-ce qu'il veut faire ? GILBERTE. Il veut m'pouser. ALEXANDRE. Alors allez-y, qu'attendez-vous, faites, faites. Si vous hsitez, c'est que votre truc n'est pas trs solide, et moi, j'attends. Si vous vous mariez, je comprendrai trs bien, encore que cela ne prouvera rien, il n'est pas exclu que dans quelques annes...

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coute. Parle-lui de a. Dis-lui que je t'ai vue. Que je veux t'pouser. Dcidez ensemble ce que vous avez faire. J e reviendrai te voir. J e sais o te trouver. Tu me donneras la rponse.Ils marchent. Il la raccompagne son travail.

a m'a fait plaisir de te voir tu sais. J e t'aime bien. J e voudrais vraiment que tu t'en sortes. ALEXANDRE. Oui... Sans toi.GILBERTE.

Elle approuve de la tte.

ALEXANDRE. Et avec une autre femme. a te soulagerait. On dit toujours a quand on n'aime plus. (Et une autre femme qui ne serait pas Marie, ce serait encore mieux.) C'est curieux. Je n'ai pas cess de souffrir. J e ne me suis pas accroch toi mais ma souffrance. J'ai essay de la retenir pour te garder prs de moi. Pour nous garder. Le jour o je m'en sortirai, comme tu dis, o je ne souffrirai plus, c'est que je serai un autre. Et je n'ai pas envie de devenir un autre parce que ce jour l nous ne pourrons pas nous retrouver. Tu sais, je ne suis pas dupe. Il y a le temps qui passe... Je ne pourrai pas lutter trs longtemps contre lui. Aujourd'hui je suis venu te chercher. Si tu ne sais pas ce que tu veux il sera peut-tre trop tard quand tu le sauras... Oh, et puis j'en ai assez. Je suis fatigu. Tu te souviens de ce film o Michel Simon disait : Regardez la femme infidle, regardez l'ami flon avec cette grandiloquence un peu ridicule et risible que donne la plus grande douleur ou la mort. Et puis merde. J'en ai assez. Salut.// s'en va. Elle aussi. Des gens passent.

SQUENCE I

Plus tard dans la journe. Alexandre et un ami sont assis la terrasse d'un bistrot indfinissable. Ils ont les journaux du jour.

ALEXANDRE. J e viens lire ici l'aprs-midi... J'ai l'intention de faire a trs rgulirement... Comme un travail. J e ne peux pas lire chez moi. Bernanos disait : J e ne peux pas me passer longtemps du visage et de la voix humaine, j'cris dans les cafs . Moi j'en fais un peu moins. J e viens y lire. Il disait aussi qu'il le ferait davantage si les puissantes rpubliques ne taxaient impitoyablement les alcools. Il faut que je me tire. J'ai un rendez-vous. Qu'est-ce que tu fais plus tard ? L'AMI. J e rentre chez moi. Passe aprs ton rendez-vous. Sinon ce soir...Alexandre se lve, passe devant les cafs. Il regarde s'il aperoit un visage connu, un ami. A une table, une fille seule le regarde passer avec insistance. Il la remarque, s'arrte. Il regarde si une table est libre auprs d'elle. Il n'en voit pas. Il n'y a qu'une chaise vide ct d'elle. Sur la table un verre presque vide et un paquet de gauloises. Elle continue de le regarder. Il fait quelques pas, regarde la vitrine d'une boutique, il se

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retourne nouveau vers la fille. Elle l'a suivi des yeux. Leurs regards se croisent. Elle sourit. Il regarde ailleurs. S'loigne un peu. Quand il revient, la place de la fille est libre. Il la voit traverser le boulevard. Il prend la mme direction. La fille marche, Alexandre la suit, il la rejoint, marche ct d'elle. Fondu.

A L E X A N D R E . J e peux ? L ' A M I . videmment.

Alexandre boit.

SQUENCE 2

Un immeuble moderne. Alexandre sort d'un ascenseur. Il frappe une porte en scandant ALG-RIE FRAN-AI-SE. L'ami que l'on a dj vu dans la squence prcdente vient lui ouvrir. L'appartement malgr sa nudit est en dsordre. A terre des journaux, des livres, des verres, des bouteilles, des disques d'opra, des tangos argentins, de la musique de cirque et des vieilles chansons.

L'AMI. Entre... tu as vu ma sculpture, je l'ai faite ce matin. Tu veux boire quelque chose ?ALEXANDRE. Quelle question.L'AMI.

Il y a du Ricard, du whisky, du gin que tu peux prendre avec du London Orange Dry. Du cognac. Mais je crois que j'ai trouv le roi des alcools. Regarde. Il est trs bien. Il ne brle pas du tout. J'en bois une demi-bouteille comme un rien.Alexandre prend la bouteille. Va boire au goulot. 16

En effet ! J'ai dragu une fille tout l'heure, quand je t'ai quitt. Elle tait aux Deux Magots . Elle m'a regard, sinon je ne l'aurais pas remarque. J e ne peux m'intresser qu' quelqu'un que j'intresse dj. Ne serait-ce qu'au niveau d'un regard. De la mme faon que je ne peux pas aimer une femme qui ne m'aime pas. Elle fumait des gauloises. Elle avait une robe marocaine et pas de soutien-gorge. Elle s'est leve, je l'ai suivie. Comme j'tais press, je ne lui ai demand que son tlphone. Elle me l'a donn. C'est BRE 23-27. C'est celui de son travail, il y a un poste. Elle m ' a dit de l'appeler de 8 3 heures. J e ne sais pas ce qu'elle peut faire. J'ai envie de me renseigner avant de l'appeler. De savoir ce qu'elle fait... L ' A M I . ...8 3 heures. Ce n'est ni une boutique, ni un bureau. Et si j ' e n crois ta description, ses vtements, l'absence de soutien-gorge, les Deux Magots , on ne peut pas savoir. Tu vois ce que je dis, avec le nivellement, la libralisation, cette espce d'galit. Les bonnes, les ouvrires, les bourgeoises... tout est pareil. On finira par ne plus rien y voir. ALEXANDRE. J'aimerais bien que ce soit une bonne. J'ai envie d'attendre quelques jours avant de lui tlphoner. Qu'elle oublie. Qu'elle n'y pense plus. J e veux lui faire la surprise (,) . Elle me plat assez. Elle est blonde. Elle a les yeux bleus. Elle m'a regard avec un regard insistant. Ce beau regard des myopes. Je crois qu'elle a un gros cul mais je ,ne suis pas sr. Qu'est-ce que tu fais.ALEXANDRE. (1) Ici, Jean Eustache a rajout au tournage la phrase suivante : Apparatre comme le pre Nol. J ' a i dj fait a une fois , en allusion ironique au film Le Pire Nol a Us yeux bleus qu'il avait tourn en 1966 avec le mme Jean-Pierre Laud (N.d.E.). 17

ta

L'ami enfile une veste.

ALEXANDRE

L'AMI. Je vais prendre un caf. Faire un flip. ALEXANDRE. Je viens avec toi.Ils sortent. A travers la baie vitre on voit un vieux quartier de Paris en dmolition.

: Oui quelque chose en attendant. On mangera plus tard.

Elle apporte quelques hors-d'uvres et du vin. Ils mangent par terre ou sur le lit.

SEQUENCE 3

Alexandre entre dans l'appartement d'o il est sorti au dbut du film. Il fait jour et les fentres sont ouvertes. Il met un disque ou allume la Tlvision. (Il peut allumer la Tlvision, couper le son, et mettre un disque). Il se sert un verre, va la cuisine chercher des glaons. Il s'assoit sur le lit, prend un journal, allume une cigarette. On entend un bruit de serrure. Marie entre. Elle porte des provisions dans un sac.MARIE

MARIE. Qu'est-ce qui vous a pris ce matin. Vous tes sorti de bonne heure. ALEXANDRE. Oui. J e ne dormais pas. J'ai eu envie de voir les rues, les gens. C'est fou l'activit qu'il y a le matin dans les rues. Les gens travaillent, font des tas de choses, se remuent. En fait, ils font semblant, car la nuit il n'y a plus personne... Et le lendemain ils recommencent... faire semblant, se remuer, s'engueuler. Personne n'y croit plus. a, c'est l'avantage de Paris. Parce qu'en plus de ce que j ' a i dit, ils sont tristes. Ils n'essaient pas de donner le change, comme ces mridionaux... avec leur ignoble bonne humeur... leur espce de chaleur humaine... de gnrosit... MARIE. VOUS n'avez pas fait de rencontres ? ALEXANDRE. Si. J'ai dragu une fille cet aprs-midi. J'avais dcid de ne pas vous le dire. De garder une histoire pour moi. C'est curieux, je ne peux rien vous cacher. MARIE. a a march. Elle est jolie. Qu'est-ce que vous avez fait ? ALEXANDRE. Rien. J e lui ai juste demand son numro de tlphone. MARIE. VOUS n'avez mme pas pris un verre ? ALEXANDRE. Non. Rien. a a dur 20 secondes. MARIE. VOUS allez l'appeler. ALEXANDRE. Oui. A moins que je ne change d'avis. MARIE. Dites-moi. Est-ce que vous me la prsenterez ? ALEXANDRE. Oui si elle en vaut la peine.Marie repart dans la cuisine.ALEXANDRE

(off). Vous tes l ?

Elle vient et l'embrass. Puis va porter le sac dans la cuisine.MARIE

: Qu'est-ce que vous faites ?

(off). J'ai fais des courses. Vous voulez manger maintenant ? 18

/ / la rejoint.

MARIE. J e fais la vaisselle que vous ne faites pas. 19

~"M

J'ai dj fait la vaisselle. Oui, une fois. ALEXANDRE. Oui... parce que... On trouve une espce de satisfaction faire la vaisselle. Le sentiment d'tre utile. Cette satisfaction a quelque chose d'un peu obscne. C'est dgotant. Non ? tre content parce qu'on a fait la vaisselle...ALEXANDRE. MARIE.

Marie l'embrasse.MARIE.

Je vous aime vous savez, vieux con. Que voulez-vous faire plus tard. Aller au cinma ? Il y a des choses voir ? SQUENCE 4

Il repart. Revient dans la chambre.ALEXANDRE. MARIE.

ALEXANDRE. J e regarde. Il consulte la page des programmes. Il commente certaines publicits (voir lejournal du jour). Il lit une critique du film en ridiculisant l'article^'. Puis il jette le journal.ALEXANDRE. J e

Le mme appartement. Il fait jour. Alexandre est seul. Il compose un numro de tlphone.

prfre encore regarder la tl. Au moins Bellemare et Guy Lux portent leur connerie sur leur figure. C'est plus franc.// s'assoit sur le lit. Monte le son de la tlvision. Fermeture fondu.

155 s'il vous plat. All, oui, Vronika s'il vous plat. All, c'est Alexandre. VRONIKA. Bonjour. ALEXANDRE. Bonjour, vous allez bien ? VRONIKA. Je vais bien et vous ?ALEXANDRE.

ALEXANDRE. VOUS VOUS souvenez de moi ?

VRONIKA. Je me souviens trs bien.Un moment de silence.

(1) Dialogue attest dans le film : ALEXANDRE. VOUS voulez voir La Classe ouvrire va au paradis ? (il lit :) La Classe ouvrire va au paradis, d'Elio Petri. Film essentiellement politique qui, tout en dnonant les servitudes de la condition ouvrire, s'efforce de dfinir une nouvelle conception des rapports humains. Ni tract, ni reportage, ni exercice de rhtorique, ce film est un vrai film, c'est--dire une uvre labore, compose, rythme, qui nous fait puissamment ressentir les obsessions et les contradictions du personnage principal, son pret au gain, puis cette impression qu'il prouve que son cerveau s'vade, qu'il perd sa conscience d'homme, la confusion de ses ides, ses pousses de fureur, de dmence. (N.d.E.).

VRONIKA. Vous n'avez rien me dire ? ALEXANDRE. Oui. Voulez-vous qu'on boive un verre un de ces jours. J e ne sais pas, quand vous voulez. Non, dites-moi, a m'est gal. VRONIKA. Eh bien, jeudi, si vous voulez, 4 heures. ALEXANDRE. Jeudi ! mais c'est trs loin a. VRONIKA. Je suis trs occupe. Alors 4 heures... aux Deux Magots . Vous viendrez je dteste qu'on me pose un lapin. 21

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I

ALEXANDRE. J e viendrai. Au revoir. A jeudi. // raccroche. Fondu.

SQUENCE 5

Alexandre est chez son ami. Ils boivent comme dans la squence 2. Il y a une chaise de paralytique sur laquelle l'ami circule.ALEXANDRE.

Qu'est ce que c'est ? L'AMI. Une chaise de paralytique. Je l'ai vole l'autre nuit.L'AMI.

Je regrette de ne pas avoir connu le temps o les filles, dans les villes et dans les campagnes se pmaient devant les soldats. Le prestige de l'uniforme. Maintenant elles se pment devant les voitures de sport. Maintenant les jeunes cadres, les jeunes patrons, les professions librales ont remplac les soldats. Je ne sais pas si on a gagn au change. A propos, que fais-tu demain 4 heures ? L'AMI. Rien bien sr. Pourquoi ? ALEXANDRE. J'ai tlphon la fille de l'autre jour. Je la vois demain. J'ai attendu assez longtemps pour l'appeler et je me demande si je n'ai pas fait une erreur. Elle a fait semblant d'tre trs occupe. Elle m'a donn rendez-vous demain. Tu ne voudrais pas venir avec moi. C'est 4 heures aux Deux Magots . Comme a on pourrait faire front. ventuellement parler entre nous. L'AMI. Oui. Tu crois que c'est la meilleure tactique ? ALEXANDRE. Non. J e ne crois pas. Mais peut-tre que tu pourrais passer, mine de rien. L'AMI. Oui d'accord. Je passe. Et que veux-tu que je fasse ? ALEXANDRE. T U passes, tu regardes, comme si tu cherchais quelqu'un que tu connais. L'AMI. Personne en particulier.ALEXANDRE.

ALEXANDRE. T U l'a vole, qui ?

ALEXANDRE. Non, personne.ALEXANDRE.

J e ne sais pas. A un paralytique sans doute. Tu connais a. C'est la chanteuse que les Allemands ont essay de lancer... pour remplacer Marlne Dietrich aprs son dpart. Et comme toutes les imitatrices, elle est mieux que l'original. Elle ne trane rien derrire elle. as toujours ton livre sur les S.S.

Et je te vois. Oui c'est a. L'AMI. J e veux bien faire ce que tu veux. Mais il faut que ce soit bien prpar. Ne rien faire la lgre. Alors dcide si je doisL'AMI.

Ils coutent un disque de Zarah Leander.ALEXANDRE. T U

rabbins... Himmler prononce son speech sur Henry l'oiseleur en 1936... L'AMI. T U connais le jeu de la grenouille au plafond ? Regarde dans cette revue, la dernire page, il y a des jeux formidables, regarde. Il faut que tu regardes la grenouille une minute.ALEXANDRE. La grenouille ?

// lit les lgendes de certaines photos w.(1) Dialogue attest dans le film : ALEXANDRE. Dans le ghetto de Varsovie, des hommes du S.D. narguent des

L ' A M I . Aprs tu regarderas le plafond. J e te le dirai. Attends, je compte... maintenant regarde le plafond. Tu vas la voir apparatre. Regarde le plafond, tu la vois ? ALEXANDRE. Ah oui oui, ah ah, je la vois la grenouille (il jubile), h h la grenouille. (N.d.E.).

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m'asseoir, rester debout, parler, ou ne rien dire. Il n'est pas question d'improviser. Si tu veux que je parle, tu me dis ce que j ' a i dire. Je dis ce que tu veux, ce qui t'arrange. J e rcite. N'attends pas de moi autre chose.Fondu.

ALEXANDRE. Eh bien, c'est parfait. Il suffisait de le dire. C'est pour quand ? GILBERTE. Le mois prochain. A la fin du mois. ALEXANDRE. C'est pour tout de suite, alors, le plus tt sera le mieux. Tu m'invites ? GILBERTE. Si tu veux. ALEXANDRE. Non. A toi de dcider. Tu m'invites ou pas.GILBERTE. Oui. ALEXANDRE. Oui.

SEQUENCE 6

L'horloge de l'glise Saint-Germain-des-Prs ou du drugstore marque 15 h 50 lorsque Alexandre s'installe la terrasse du caf. Avant de s'asseoir il s'assure par un tour du caf que Vronika n'est pas dj arrive. Il place ses livres et journaux sur une chaise voisine. Il commande quelque chose au garon. De temps en temps il lve les yeux vers une horloge. Il essaie de lire mais lve constamment les yeux vers les passants. Traversant la rue apparat Gilberte. Alexandre lui fait signe.ALEXANDRE.

Il sera d'accord. GILBERTE. Oui, si je lui demande. ALEXANDRE. J e me souviens d'une chanson comme a dans mon enfance. Une fille qui assiste au mariage de l'homme qu'elle aime. J e ne savais pas que cela allait m'arriver. O vous mariez-vous ? Chez tes parents ? GILBERTE. On ne sait pas encore. ALEXANDRE. Vous vous occupez des dmarches, des papiers ? GILBERTE. C'est en cours. ALEXANDRE. Et si je faisais opposition votre mariage. GILBERTE. Que peux-tu faire ? ALEXANDRE. J e ne sais pas. Venir la mairie. Dire : J e ne suis pas d'accord. J e ne suis pas d'accord avec ce mariage . En pleine crmonie. a ferait de l'effet.// rit.GILBERTE. T U GILBERTE.

n'as aucune raison.

ALEXANDRE. Si. Je t'aime. Et tu m'aimes.

J e suis l, viens prendre un verre...

Elle hsite un peu.GILBERTE. Oui.

Ce n'est pas valable. ALEXANDRE. J e sais bien. Mais ce moment-l tu comprendrais peut-tre que c'est moi que tu dois pouser. Tu ne crois pas ?GILBERTE. Non.

ALEXANDRE. T U passais par hasard ou tu venais exprs ? GILBERTE. J e passais par hasard. J'allais la librairie... Pourquoi ? ALEXANDRE. Pour rien. J e ne voudrais pas t'embter. Mais tu n'as pas quelque chose me dire ? GILBERTE. Si. Je vais me marier.24

De toute faon je plaisante. Parlons srieusement : si je comprends bien il faudra que je t'attende plus que prvu. Combien : cinq ans ? sept ans ? Quelle est la dure moyenne d'un couple ? GILBERTE. Tu es vraiment... (incorrigible)ALEXANDRE.

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/ / la coupe.ALEXANDRE.

ALEXANDRE.

Quoi ? Regarde-moi. Regarde-moi.

Elle le regarde.

Peux-tu me dire que tu l'aimes plus que moi ? GILBERTE. Oh... je t'en prie. ALEXANDRE. T U vois. Tu ne peux pas le dire.Ils se regardent. Il s'approche d'elle, essaie de l'embrasser. Elle ne se laisse pas prendre. Elle dtourne la tte.

J e l'aime diffremment. J e crois que je n'aimerai jamais personne comme toi. Maintenant je me mfie. J e pense moi. Je me tiens sur mes gardes. ALEXANDRE. Avec moi aussi tu pourrais te tenir sur tes gardes. D'autant plus que tu sais de quel ct te garder.GILBERTE.

A ta place je contre-attaquerais. Pourquoi ne dis-tu pas : Enfin j'ai dcouvert l'amour ! Enfin je sais maintenant ce que c'est que l'amour ! GILBERTE. Je pourrais le dire. ALEXANDRE. On peut tout dire. Je t'ai menti quelquefois mais je ne me suis jamais menti. Toi tu as toujours t trs doue pour te convaincre de choses qui n'existaient pas. A mon avis vous faites semblant d'tre un couple. Vous vous jouez la comdie d'un couple. Et pour ne pas vous l'avouer, vous vous jetez en avant. J e comprends trs bien. J e prfrerais que tu dises que tu l'pouses parce qu'il a de l'argent. ALEXANDRE. L tu recommences mentir. Une profession... prestigieuse. Un hritage culturel... et (bientt), un jour financier. Mais c'est bien ainsi. Ne le niez pas. N'en ayez pas honte. L'argent n'a jamais sali personne. Le parti auquel appartient ton Jules en sait quelque chose. Tu as fait attention quand mme avant de tomber amoureuse. Tu n'es pas tombe sur un ouvrier portugais, un travailleur algrien, ou mme un ouvrier franais. GILBERTE. T U sais bien qu'on ne rencontre... ALEXANDRE. ...que des gens de sa classe. J e sais. Alors, comment nous sommes-nous connus ? Quelque chose a draill. Enfin maintenant tu as redress le coup. Tu as recommenc vivre sans que l'angoisse t'treigne. Tu es tranquille. Tu crois que tu te relves alors que tu t'accoutumes tout doucement la mdiocrit. Aprs les crises il faut vite tout oublier. Tout effacer. Comme la France aprs l'Occupation, comme la France aprs mai 68. Tu te relves comme la France aprs 68. Mon amour. Tu te souviens. On disait qu'on l'avait chapp belle. Qu'on avait eu la chance d'avoir une enfance et qu'on n'tait pas sr que nos enfants en auraient une dans ce nouveau monde o les vieillards ont 17 ans. Tes parents apprenaient la langue franaise aux enfants. Faisaient des leons de morale. Et tu deviens la femme d'un cadre (d'un technocrate). Vous ferez27

GILBERTE. Il n'a pas d'argent.

Elle fait non de la tte.

Mais enfin je ne comprends pas. Est-ce que la vie consiste porter ternellement le poids d'une erreur qu'on a commise ? Peut-tre que je n'ai pas assez pay, mais enfin pourquoi m'enlves-tu tout espoir alors que tu ne sais mme pas ce que tu veux vraiment ? Tu ne sais mme pas si tu l'aimes vraiment. GILBERTE. Arrte de penser de cette faon. Tu n'as rien payer. Tu n'as rien te reprocher, c'est comme a, c'est tout. (C'est la vie.) ALEXANDRE. T U vas vivre avec un homme que tu n'aimes pas parce qu'il est trop difficile de vivre avec l'homme que tu aimes. Evidemment tu es plus tranquille comme a. Je ne veux pas te chicaner, il me serait facile de t'attaquer sur les choses sexuelles... par exemple... GILBERTE. T U sais bien que pour moi a n'a pas d'importance. ALEXANDRE. Ne me dis pas a moi. Tu veux que je te rappelle certaines choses.ALEXANDRE. GILBERTE. GILBERTE. Non. ALEXANDRE. T U

vois bien. Mais a n'a aucun rapport. 26

Tun couple trs moderne. Trs nouvelle socit. Un voleur et une criminelle... Vous pouvez demander Chaban d'tre le parrain de votre premier enfant. Mais mfiez-vous. Vous btissez sur du pourri. Les familles perdent toujours... Tu te souviens de cette affaire, propos de laquelle j'avais crit un article... L'affaire Fauqueux. Ce type recherch qui allait chaque nuit rejoindre sa femme au nez et la barbe de la police. Des gens aussi beaux qu'un film de Nicholas Ray... Tu te souviens, je disais que quand Fauqueux sortirait de prison, la petite fille qu'il avait enleve aura 18, 19 ans. Et je disais qu'elle aura appris, mme si ses parents lui cachent, au lyce, ailleurs, qu'un homme est en prison pour elle. Une petite fille grandit, et dj un homme est en prison pour elle. Elle fera son enqute, reconstituera l'affaire. Et si elle est belle, et Dieu veuille qu'elle le soit, je parie trs gros qu'elle l'attendra la sortie de prison. J e ne vois pas ce qu'elle peut faire d'autre. A moins de se transformer elle-mme en bourreau. J e te parle de a parce qu'une ide me venait l'esprit. Faites vite une fille, qu'elle te ressemble. Qu'elle ait tes yeux, tes cheveux... Et dans 17 ou 18 ans on verra. On voit beaucoup de jeunes filles avec des hommes qui pourraient tre leur pre. Les gens sont furieux-, moi je trouve a trs bien.Comme convenu l'ami d'Alexandre passe devant le caf et Us aperoit. Il est un peu surpris de reconnatre Gilberte, mais comme son rle l'exige il vient vers eux. Alexandre l'arrte d'un geste avant qu'il parle.ALEXANDRE. GILBERTE. T U ALEXANDRE.

triches. C'est a, c'est moi qui triche.

Gilberte s'en va.ALEXANDRE.

Elle n'est pas venue. Mais Gilberte est passe. J e me suis demand si ce n'tait pas un coup mont. De toute faon il n'y pas de hasard. Non. Il y a une chose qui me plat. Au tlphone elle m'a dit qu'elle n'aimait pas les lapins. J e crois qu'elle est trs bien.

L'AMI. T U attends encore.ALEXANDRE.

L'AMI. T U vas la rappeler. ALEXANDRE. Ah oui. Absolument. Ils se lvent. Ils partent.

SEQUENCE 7

Tu veux t'asseoir ?L'appartement de Marie. Le matin. Marie est habille. Alexandre dort. Elle se penche sur lui, l'embrasse. Il se rveille. Elle ouvre les rideaux. Il supporte mal la lumire.ALEXANDRE. MARIE.

L'ami s'asseoit.

vas bien ? L'AMI. Oui. On ne te voit plus. GILBERTE. J'ai chang de quartier. ( Alexandre) Je vais partir maintenant.GILBERTE. T U

Elle serre la main de l'ami. Elle tend sa joue Alexandre. Il essaie de l'embrasser sur les lvres. 28

Vous partez. Quelle heure est-il ? 10 heures. A ce soir. 29

Elle lui a apport une tasse de caf. Il la boit. Allume une cigarette. Marie s'en va. Il compose un numro de tlphone. Il dguise un peu sa voix.ALEXANDRE.

All ! Oui. Excusez-moi, je suis en train de vous crire et j'ai gar votre adresse. Voulez-vous me la rappeler... L'Hpital xxx rue de xxx. Bon je vous remercie.

Moi je peux ce que je veux. Au mme endroit voulez-vous. VRONIKA (off). Oui. A 5 heures... ALEXANDRE. A 5 heures alors. Entendu. Au revoir. VRONIKA (off). Bon. A ce soir.ALEXANDRE.

// raccroche.

/ / raccroche puis recompose le mme numro.ALEXANDRE.

155 s'il vous plat. All, pourrais-je parler Vronika. Heu... C'est de la part d'Alexandre. Quand puis-je rappeler ? Pouvez-vous prendre un message ? Qu'elle rappelle Alexandre FON 95-72, j ' y suis jusqu' midi, je vous remercie./ / raccroche. Met un disque de Damia : un souvenir. Puis il prend un livre (?), ne l'ouvre pas, regarde par la fentre l'htel d'en face. Le disque n 'est pas encore fini lorsque le tlphone sonne. Il dcroche.

SEQUENCE 8

All ! VRONIKA (off). Je voudrais parler Alexandre. ALEXANDRE. Oui, c'est moi. VRONIKA (off). C'est Vronika Osterwald l'appareil. J e vous prie de m'excuser, je suis dsole pour hier mais je n'ai pu me librer. J'ai t retenue par une urgence. a n'a vraiment pas t possible. Vous tes furieux. ALEXANDRE. Non pas du tout. Je dirais mme que je suis trs content. VRONIKA (off). Vous vous moquez de moi. ALEXANDRE. Je vous assure que a n'a aucune importance. Je ne vous en veux pas du tout. Au contraire. Mais voulez-vous que nous remettions a, si j'ose dire ? Avec cette petite diffrence que j'espre que vous viendrez. VRONIKA (off). Et bien, je ne sais pas. Ce soir si vous pouvez.ALEXANDRE.

Alexandre entre au caf o il a rendez-vous. Il est un peu en avance. Il jetU un regard circulaire sur la salle. Il ne voit pas Vronika. Il s'assoit. A deux tables de lui sur la mme banquette il y a une jeune fille blonde qui correspond vaguement la description de Vronika. Il lve les yeux sur elle. Leurs regards se croisent. La fille lui demande du feu. Alexandre tend une boite d'allumettes. Nouveau regard entre Alexandre et la fille. Alexandre lit France-Soir. La fille se lve pour partir. D'un geste Alexandre l'appelle. Elle vient.ALEXANDRE. LA FILLE.

Ce n'est pas avec vous que j'ai rendez-vous.

Non.

Elle secoue la tte.

... Parce que j'ai rendez-vous avec quelqu'un que je ne connais pas. a pourrait tre vous. LA FILLE. Ce n'est pas moi. ALEXANDRE. Vous tes sre ?ALEXANDRE.

30

31

P

LA FILLE. Oui.

ALEXANDRE. Excusez-moi. La fille sort. Alexandre hsite un peu. Laisse l'argent de sa consommation et sort son tour. Sur le Boulevard il suit la fille. Elle s'arrte cherchant nouveau du feu. Elle le voit. Il repart. Il entre nouveau aux Deux Magots . A la place qu'il vient de quitter il y a Vronika. Il s'approche. ALEXANDRE. Je ne me trompe pas.VRONIKA. Non.

// s'assoit en face d'elle.ALEXANDRE. VOUS

,

savez, j'avais un peu peur de ne pas vous

reconnatre. VRONIKA. Vous ne m'en voulez pas pour hier. Vous savez que je suis dsole. Vous n'avez pas trop attendu j'espre. ALEXANDRE. Si. J'ai attendu trs longtemps. Mais a n'a aucune importance. En arrivant j'avais regard un peu partout. Dehors il y avait un type qui me ressemblait. Tout coup je ne l'ai plus vu. J'ai pens que vous vous tiez peut-tre trompe. Que vous tiez partie avec lui.Elle sourit.

VRONIKA. Je ne me serais pas trompe. Alors vous m'avez attendue longtemps. a m'ennuie. ALEXANDRE. J e vous ai dit : a n'a aucune importance. Au contraire. J e dirais mme que a m'a arrang. Il y a longtemps qu'on ne m'avait pas pos de lapin. C'est un mot que j'avais presque oubli. Vous l'avez fait resurgir du pass, comme d'autres mots que l'on n'entend plus. Par exemple on n'entend plus jamais le mot limonade . Personne ne dit : J'ai bu une excellente limonade midi . J e pensais a en vous attendant. Et mme quand je ne vous attendais plus car je restais l. J e pensais : si elle arrive32

maintenant je vais lui parler de limonade. Pour voir la tte que vous auriez fait. Et puis je n'ai jamais compris les gens qui sans se connatre, trouvent des sujets de conversation. J e crois qu'il faut se taire, se regarder en silence. Ou bien parler beaucoup parce que cela revient au mme. Mais chercher les mots qu'il faut dire, choisir... celui-ci ou celui-l... Pourquoi... Comment peut-on faire ? Vous savez en gnral les gens, les femmes me plaisent surtout pour des raisons extrieures, des raisons qui n'ont rien voir avec elles, poses sur elles comme une robe de chambre, un manteau, qu'on peut poser sur une autre... Une femme me plat par exemple, parce qu'elle a jou dans un film de Bresson, ou parce qu'un homme que j'admire est amoureux d'elle. Quel plus grand hommage peut-on rendre un homme qu'on admire que de lui prendre sa femme. En ne venant pas hier, vous m'avez permis aujourd'hui de parler de votre absence. Alors qu'hier je n'avais rien vous dire. Vous avez install quelque chose entre nous. Vous ne croyez pas ? VRONIKA. Je ne sais pas. ALEXANDRE. Si ce que je dis vous ennuie, vous m'arrtez. VRONIKA. Oh non. Pas du tout. ALEXANDRE. Parce qu'on peut parler d'autre chose. De la pluie, du beau temps, du M.L.F. VRONIKA. Qu'est-ce que c'est ? ALEXANDRE. Vous ne connaissez pas ? C'est le Mouvement de Libration de la Femme. Ce sont des femmes qui en ont assez de porter le petit djeuner au lit de leur mari. Alors elles se rvoltent. Elles ont un slogan : Nous n'avons plus besoin d'hommes sous nos dredons . Une chose comme a. VRONIKA. Mais c'est triste... ALEXANDRE. Oui. Je crois qu'elles sont trs tristes. VRONIKA. Quand j'aime quelqu'un, j'aime bien lui porter son petit djeuner. ALEXANDRE. J'ai un ami qui pense que les femmes sont faites justement pour lui porter son petit djeuner. Il a dclar a33

devant moi une militante forcene du M.L.F. J'ai cru qu'il allait se passer une scne meurtrire. Et en fin de compte il a sduit cette fille en lui parlant de sa grand-mre qui a pass sa vie faire le mnage, s'occuper de ses enfants, de sa famille, de ses petits enfants. Depuis elle ne peut se passer de lui. Il la fascine totalement. A propos, comment vous appelez-vous ? J e n'ai pas trs bien compris votre nom au tlphone. VRONIKA. Je m'appelle Vronika Osterwald. C'est un nom allemand mais je suis polonaise. J e suis infirmire anesthsiste l'hpital (Laennec). J ' y habite. J'ai une chambre d'infirmire sous les combles. ALEXANDRE. Vous ne quittez jamais l'hpital alors. VRONIKA. J'avais un studio mais c'tait trop cher. Et puis j'aime bien ma chambre. Je n'y suis pas beaucoup. La nuit, souvent, je fais des gardes. C'est trs mal pay. C'est du travail noir. Et quand j'ai un peu d'argent, je le dpense. Je sors, je vais dans les botes. Vous n'allez pas dans les botes ?ALEXANDRE. Non pas beaucoup.

VRONIKA.

Alors tlphonez-moi avant. Non. Non. J'obis. Mardi 1 heure. Au revoir.

ALEXANDRE.

Ils se lvent pour sortir. Fondu.

SEQUENCE 9

VRONIKA. Vous n'aimez pas ? ALEXANDRE. Je ne sais pas. Pourquoi allez-vous dans les botes ? VRONIKA. Pour danser. J'adore danser. Pour boire, tre avec des gens, ne pas tre seule. ALEXANDRE. Vous tes seule ? VRONIKA. Je me laisse facilement accoster comme vous avez pu le voir. Mais aprs, quand je revois les gens, il ne se passe rien. Il n'y a pas de contact. Je vais partir. Il faut que je passe chez moi me prparer. Je fais une garde ce soir en banlieue. ALEXANDRE. Voulez-vous qu'on mange ensemble un soir o vous serez libre, o vous ne ferez pas de garde ? Ou alors je vous paie une garde pour vous emmener manger. VRONIKA. J e veux bien manger avec vous. ALEXANDRE. Quand voulez-vous ? VRONIKA. J e ne sais pas. Tlphonez-moi. Tlphonez-moi mardi 1 heure. ALEXANDRE. Mais c'est trs loin a. Que vais-je faire d'ici l ?34

L'appartement de Marie. Le matin. Alexandre est habill. Il achve sa toilette (eau : La Bourboule). Il coute La Belle Hlne . Le tlphone sonne. Il dcroche. IPlan ALEXANDRE. All...

VOIX D'HOMME (off). Alio... FON 95 72 ?ALEXANDRE. Oui.

VOIX. Est-ce que Marie est l ?ALEXANDRE.

Non. Elle n'est pas l. Voix. Savez-vous si elle est la boutique ?Alexandre s'assombrit progressivement depuis le dbut de la conversation.

Elle n'y est pas aujourd'hui. Voix. Mais elle est Paris ? ALEXANDRE. Oui. Oui. Elle est Paris. Voulez-vous laisser un messageALEXANDRE.

35

Voix. Pouvez-vous lui dire que Philippe Desbon a appel. ALEXANDRE. J e lui ferai la commission. J e pense qu'elle sera ici demain matin... 10, 11 heures. Voix. Bon, je vous remercie.ALEXANDRE. AU revoir. / / raccroche. Alexandre compose un numro au tlphone.ALEXANDRE. ALEXANDRE.

All. Marie. Vous allez bien. Vous allez mieux. J'ai une bonne nouvelle pour SEQUENCE 9 A

MARIE (off). a va...

vous. MARIE. Qu'est-ce que c'est ? ALEXANDRE. Philippe vient de vous appeler. MARIE... Philippe... Desbon ? ALEXANDRE. J e n'ai pas trs bien compris son nom, mais son prnom a suffi. a va bien non ? MARIE. Qu'est-ce que a veut dire ? ALEXANDRE. Simplement cela veut dire que je suis trs content pour vous. MARIE. Vous n'avez rien compris... ALEXANDRE. Non mais, si vous voulez que je fasse ma valise, dites-le moi vite, que je sache...MARIE. Il n'en est pas question. Il n'y a rien...ALEXANDRE.

L'Appartement de Marie. Matin. Pnombre. Ils dorment. Le tlphone sonne.

I plan.C'est Marie qui se rveille la premire et qui dcroche. Alexandre se rveille galement mais ne bouge pas, fait semblant de dormir. La voix trouble de Marie lui fait comprendre qu'elle parle avec Philippe.

Faites ce que vous voulez... J e n'ai pas intervenir dans vos affaires. Et ne vous en faites pas pour moi. Aujourd'hui tout va bien. J e vous embrasse.// raccroche. Fermeture fondu.

MARIE. Oui... Tu es revenu... Oui on m'a dit... Oui moi aussi... J e ne sais pas... O tu veux... Non quand tu veux... Non dis-moi... A 2 heures la Coupole... Oui moi aussi... A tout l'heure...Elle raccroche. Fermeture Fondu.

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SEQUENCE 9 B

L'appartement de Marie. Fin d'aprs-midi. (18 heures.) Jour. Ils sont tous les deux. Il y a de la musique. (Deep Purple ou Combat de Tancrde et de Clonnde ). Tout d'abord ils ne parlent pas. Puis...

n'avez rien compris ce qui s'est pass entre Philippe et moi. Il n'y a pas eu d'histoire. Personne n'y a cru, ni lui, ni moi. ALEXANDRE. J e n'ai pas cherch comprendre. J e me souviens que cette nuit-l, je vous ai tlphon plusieurs fois. Vous tiez l. Vous n'avez pas dcroch. MARIE. VOUS tiez avec Gilberte... Et moi, combien de nuits vous ai-je attendu ? ALEXANDRE. Bon, et maintenant je ne suis plus avec elle. J e suis avec vous. J e vis avec vous. Puis-je savoir quelles sont vos intentions. Que comptez-vous faire... MARIE. J'aimerais voir Philippe de temps en temps. C'est tout. ALEXANDRE. Et vous pensez que a ne changera rien. MARIE. Mais rien n'est chang. Je vous aime. J e reste avec vous. J e vis avec vous. ALEXANDRE. Et vous irez baiser avec lui de temps en temps... MARIE. Je n'ai pas bais avec lui.MARIE. VOUS

J e sais. Enfin c'est ce que vous m'avez dit. Mais maintenant vous n'allez pas passer votre temps vous regarder dans le blanc des yeux je suppose... MARIE. J e n'ai pas envie de baiser avec lui. ALEXANDRE. C'est une envie qui peut venir trs vite. Quand la femme qu'on aime baise avec un ami, ou quelqu'un qu'on aime bien, c'est un peu dur, mais on arrive comprendre. Mais quand elle baise, ou se branche dans la tte comme vous dites, sur quelqu'un qui est tout ce qu'on dteste, tout ce qu'on a toujours fui, elle vous met sur le mme plan que lui, comme si on tait pareil. MARIE. VOUS ne le connaissez pas. Vous vous faites une ide de lui compltement fausse. ALEXANDRE. De toute faon tout a ne change rien. Vous ferez ce que vous avez faire. Tout ce que je peux dire l-dedans... Rflchissez... Moi je suis occup ce soir. MARIE. Vous sortez avec l'infirmire. ALEXANDRE. Oui. (avec l'infirmire.) MARIE. VOUS allez manger avec elle. ALEXANDRE. Oui sans doute. Ou boire un verre. J e ne sais pas. MARIE. VOUS arrivez trouver du fric pour emmener une fille au restaurant, mais pour moi vous n'y arrivez plus. ALEXANDRE. Faites-vous inviter par votre nouveau Jules.ALEXANDRE.

MARIE. Je n'ai pas de nouveau Jules.

Votre prochain Jules alors... MARIE. VOUS dites vraiment des conneries de temps en temps. J e comprends trs bien que vous ayez envie de sduire. ALEXANDRE. L'important n'est pas d sduire une femme mais de la connatre. MARIE. Mais vous refusez de comprendre que moi aussi je puisse m'intresser quelqu'un. ALEXANDRE. Moi je ne suis pas branch dans la tte, dans les hauteurs, les hautes sphres... J e fais plutt dans le terre terre, l'ordinaire... le banal... et vous savez bien que je ne parle pas de cul. J e ne pense pas du tout baiser, et mme si j ' y pensais il faut tre deux pour a.ALEXANDRE.

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39

MARIE.

ALEXANDRE.

Pour a je vous fais confiance. Vous tes gentille...

VRONIKA.

/ / l'embrasse.

Je pense que je ne rentrerai pas trop tard. Vous serez l. MARIE. VOUS verrez bien.ALEXANDRE. D'accord. // sort. Elle lui crie.MARIE.

Ricard. (au garon). Un Ricard. ( Vronika). Vous en voulez un autre ? VRONIKA. Oui. ALEXANDRE. Alors deux Ricards.ALEXANDRE

(Jusqu'ici cette partie de la scne pourrait tre filme de loin sans que l'on entende les voix) 2 versions possibles : Loin et prs.Ils sont servis. Elle regarde devant elle.

Amusez-vous bien. Vous paraissez fatigue. Ou de mauvaise humeur. Si c'est le cas on peut se voir un autre jour... VRONIKA. Non. Non. a va. Vous tes toujours libre. Vous n'avez pas de femme, de matresse, d'amie. ALEXANDRE. On pourrait parler de a plus tard. Ou une autre fois si nous en avons l'occasion. Mais pourquoi cette question ? VRONIKA. Pour rien. ALEXANDRE. Et vous, vous avez des liaisons. Un mari ? VRONIKA. Pour l'instant je n'ai personne... ALEXANDRE. Et c'est bien ? VRONIKA. C'est trs bien. J'espre que cela va durer. ALEXANDRE. Durer, pourquoi ? Vous sortez d'une grande aventure ? Vous tes fatigue ? Vous viviez avec un homme ? VRONIKA. Oui j'ai vcu avec un homme. ALEXANDRE. Et c'est fini. VRONIKA. C'est fini.ALEXANDRE.

La camra reste un peu sur elle. (Le jeu est trs calme et uniforme. Aucun mot plus haut que l'autre, sauf le dernier de Marie. Aucune violence dans cette scne, rien que de la douceur et de la tristesse.)

SQUENCE 10

Le caf LE SAINT CLAUDE Vronika est assise sur la terrasse. Alexandre arrive. Il s'assoit ct d'elle.ALEXANDRE.

ALEXANDRE. Qu'est-ce qui n'allait pas ?

Cette fois vous tes en avance.

VRONIKA. J e le trompais. Je suis trs exigeante. J'attends beaucoup trop des gens. J e suis toujours due. Mais vous, vous n'avez pas vcu avec une femme ?ALEXANDRE. Oh si. ALEXANDRE.

Le garon de caf arrive aussitt. ALEXANDRE ( Vronika qui a un verre vide devant elle). Qu'avez-vous

pris ?40

VRONIKA. Et a ne marchait pas non plus ? a dpendait des jours. Et puis a n'a plus march du tout. 41

VRONIKA. Pourquoi ? ALEXANDRE. J e ne sais pas. J e crois que je confondais le jour et la nuit. Vous savez comme les gens sont beaux la nuit, c'est comme Paris, Paris est trs beau la nuit, dbarrass de sa graisse que sont les voitures. J'avais coup le monde en deux. J'tais tomb amoureux des gens de la nuit. J e passais mon temps boire, jouer, fumer, faire l'amour. J'avais de l'argent, un peu d'argent, quand j'ai de l'argent je ne fais plus rien, je dteste cette attitude des gens qui veulent en avoir toujours plus. Le matin, je prenais un dernier verre au comptoir des cafs, avec les gens qui venaient de se lever, de se laver, avec leurs gueules d'abrutis pour aller travailler. Et je rentrais. Elle se levait pour aller travailler. Elle me rveillait en revenant. L'hiver je ne voyais plus le jour. Petit petit, elle n'a plus rien compris ma vie, ni moi la sienne ; elle tait belle comme le jour, mais j'aimais les femmes belles comme la nuit. Et puis je n'ai plus eu d'argent. Alors elle est partie. Voil. VRONIKA. Ce n'est pas trs brillant. ALEXANDRE. Je ne sais pas. Vous voulez rester ici ? VRONIKA. a m'est gal. ALEXANDRE. Vous n'avez pas faim ?VRONIKA. Non.ALEXANDRE.

SQUENCE 10 A

Devant la gare de Lyon. Ils entrent au Restaurant : Le Train Bleu . Ils pntrent dans la salle du restaurant, un matre d'htel les conduit une table. Ils sont toujours vus de l'extrieur de la porte tourniquet. Ils s'assoient. On leur apporte la carte.ALEXANDRE.

Moi non plus. Mais j'ai envie de quitter cet endroit. Ce bruit de basse-cour, de volire...Ils se lvent. Il laisse de l'argent pour les consommations. Ils partent.

J'aime bien cet endroit. Quand je suis de mauvaise humeur je viens ici. Je suis leur meilleur client. En gnral il n'y a que des gens de passage. a ressemble un film de Murnau. Les films de Murnau c'est toujours le passage de la ville la campagne, du jour la nuit. Il y a tout a ici. (off) A droite les trains, la campagne.On voit la gare. Les trains,

(off) A gauche, la ville.On voit la ville. Les rues.

(off) D'ici il semble qu'il n'y ait pas un gramme de terre. Rien que de la pierre, du bton, des voitures. VRONIKA (off). J e n'aime pas cette lumire.C'est la lumire un peu grise d'un ciel d't 8 heures du soir.

VRONIKA. Vous tes mal l'aise. Vous n'avez pas l'air bien dans votre peau.4243

ALEXANDRE. Non. J e ne suis pas bien dans m a peau. Il y a des gens qui disent : L'important c'est d'tre toujours en accord avec soi-mme . J ' a i entendu une crapule dire a rcemment la tlvision. Quand on entend ce genre de propos, regardez bien la tte des gens. Ils ont tous un point commun. U n ct bovin. Quoique j ' a i m e bien les ruminants. Ils ruminent. Ruminer c'est bien. R u m i n e r u n mot, u n e ide, n'importe quoi... Excusez moi, j ' a i l'impression de vous ennuyer mourir. VRONIKA. Mais... Vous m'avez regarde ? // la regarde. ALEXANDRE. O u i . Et j e vous trouve trs bien. VRONIKA. Est-ce que j ' a i la tte de quelqu'un qui s'ennuie ? ALEXANDRE. Non, mais les femmes sont tellement menteuses... V R O N I K A . Et vous, qui tes-vous. Comment vivez-vous ? ALEXANDRE. ...Je suis assez pour l'ennui. C o m m e cette secte d'hrtiques dont parle Borges j e crois, et dont la qualit essentielle est dans l'ennui. Pas dans la foi, l'enthousiasme. Dans l'ennui... le nul... J e suis assez d'accord avec a. D'ailleurs j ' a i fait mon auto-portrait. / / sort une feuille de papier de sa poche et lui montre. Dessus il y a : CHEVEUX FRONT SOURCILS YEUX NEZ BOUCHE BARBE MENTON VISAGE TEINT ALEXANDRE. Vous me reconnaissez ? C'est mon seul brevet d'existence. Elle rit. 44 CHEVEUX FRONT SOURCILS YEUX NEZ BOUCHE BARBE MENTON VISAGE TEINT

ALEXANDRE. Mais de temps en temps j e suis content. Par exemple maintenant, d'tre ici, avec vous. M m e si j ' a i emprunt l'argent pour y venir. VRONIKA. Mais vous tes fou d'tre venu ici, si vous n'avez pas d'argent. ALEXANDRE. Ne pas avoir d'argent n'est pas une raison suffisante pour mal manger. Quand j ' t a is enfant, j e volais des livres. J e prtendais que la pauvret n'est pas une raison suffisante pour ne pas se cultiver Il y a des gens qui ont la chance d'avoir assez d'argent pour vivre sans rien faire et qui font quelque chose. Ils font mme des choses bien... du cinma par exemple... Cela leur permet de prtendre gagner leur vie... Qu'ils prennent la place d'autres gens ne me gne pas, au contraire, il faut toujours encourager les injustices... Mais ils croient, en plus, apporter quelque chose, leur cration... enrichir le monde.. . Quel programme ! C'est bon ce que vous mangez. U n peu nerveux peut-tre. VRONIKA. a va. Et ce vin. Qu'est-ce que c'est ? Il est plutt bien. ALEXANDRE. Il est pas mal. Vous savez quand on mange froid, on sent le froid, pas le got. Q u a n d on mange chaud, on sent le chaud, pas le got. Q u a n d c'est dur, on sent le dur, pas le got. Donc il faut manger tide et mou. Elle s'arrte de manger, elle rit. Elle est dtendue. Dehors, ct rue, il fait nuit. ALEXANDRE (off). Vous voyez, le j o u r a baiss. C'est mieux maintenant. Parlez-moi de vous. Racontez-moi quand vous avez fini votre travail : que faites-vous, dans votre chambre ? VRONIKA. J e regarde la tlvision d ' u n air morne. Assise sur mon grand lit. J e prends m a douche pendant le journal tlvis, j e suis trs organise. ALEXANDRE. Vous avez trouv un systme pour entendre les nouvelles en prenant votre douche. 45

VRONIKA. Vous ne- connaissez pas les chambres d'infirmires. La douche n'est pas dans ma chambre. Elle est au fond du couloir... Pour moi les choses n'ont pas d'importance. Quand je sors... J e passe souvent la nuit dans les bars, les botes... J e bois, a n'a pas d'importance. Si je rencontre un type, je vais avec lui, je n'ai pas de problmes, je peux baiser avec n'importe qui. ALEXANDRE. Et combien durent ces aventures, une heure, une nuit, plus longtemps ? VRONIKA. Une heure, une nuit... J e dplais beaucoup certaines personnes. ALEXANDRE. C'est normal. Il faut dplaire beaucoup certains... pour plaire d'autres tellement. VRONIKA. Mon cou et mes paules sont trs doux. J'ai de trs jolis seins. Et je n'aime pas les minettes aux cuisses maigres. Vous aimez ?Il ne rpond pas. Ils sont dans la rue. Elle lui prend le bras.

SQUENCE 10 B

Ils sont assis dans un bar (genre Rosebud). Ils boivent.

VRONIKA. Ne faites pas cette tte. La vie est belle. La vie est merveilleuse. Vous ne voyez pas ? Regardez ce ciel horrible.Ils partent. Il fait nuit.

VRONIKA. Vous ne pouvez pas savoir comme les internes sont cons... Quand j'tais en salle de garde... Ils ne parlent que de leur patron... que des filles qu'ils ont baises, des filles qu'ils vont baiser, de leur voiture de sport, maintenant de leur moto. Et moi, quand j'tais jeune bleue, j'ai bais avec ces cons, j ' a i bais avec un maximum de mdecins...Le garon apporte leurs verres.

... je bois toujours le whisky avec du Coca. Une fois, j'tais en salle de .... ? un interne me dit : Vronika, accompagnez-moi la salle des .... . J e prends ma trousse sous le bras et j ' y vais. Et dans l'ascenceur, je ne faisais pas attention, je m'aperois que nous n'allons pas du tout la salle des il avait envie de me baiser et il n'avait rien trouv de mieux. Alors je ne me suis pas dgonfle, j ' a i t enlever mon tampax et j'ai bais avec lui et je suis redescendue en salle de garde avec ma trousse sous le bras. Aprs il a voulu recommencer. J e lui ai dit : Non, une fois a suffit . ALEXANDRE. J'imaginais, je ne suis pas all l'hpital depuis mon enfance, j'avais le souvenir que les infirmires taient dures, insensibles, se foutant compltement de la souffrance, 4647

de la misre du monde et cela me plaisait beaucoup, leur duret, leur faon de ne pas compatir au malheur des autres. VRONIKA. Mais vous avez raison. C'est exactement comme a. ALEXANDRE. Comment tes-vous avec vos malades ? Vous avez une blouse blanche ? VRONIKA. Oui, et un voile aussi. ALEXANDRE. Comme une religieuse. J'aimerais beaucoup vous voir dans cette tenue. VRONIKA. C'est facile. Vous n'avez pas quelque chose vous faire oprer. Un poumon ? Vous savez c'est trs joli un poumon. C'est tout rose. ALEXANDRE. Un poumon non. Mais j'ai un ami qui avait une ide formidable : il voulait se faire couper la main droite. Trs srieusement. Aller voir un chirurgien. Dire : Quel est votre prix ; voil . Et se faire mettre une main en porcelaine la place. Et chez lui, dans une pice, au milieu de la pice, sans rien d'autre, mettre sa vraie main dans un bain de formol, avec une plaque : Ma main, 1940-1972. Et les gens viendraient visiter, comme une exposition. VRONIKA. C'est drle. ALEXANDRE. Oui, oui. C'est trs bien. Mais pensez-vous qu'un chirurgien accepterait ? VRONIKA. Non, je ne crois pas. J'en ai assez d'tre ici. Partons. ALEXANDRE. Vous ne voulez pas un autre verre. VRONIKA. Non, Partons.Ils se lvent. Ils sortent.

SEQUENCE 10 C

Ils arrivent devant l'hpital o elle habite. Il lui tend la main. ALEXANDRE. Bonsoir.

VRONIKA. Bonsoir. ALEXANDRE. Je peux vous tlphoner un de ces jours. VRONIKA. Si vous voulez. J e n'ai pas envie de rentrer. J'ai envie de marcher. J e marcherais bien toute la nuit avec vous. J'ai envie d'aller au bord de l'eau. ALEXANDRE. Vous voulez dire au bord de la Seine. VRONIKA. Au bord de l'eau.Ils repartent. Les quais de la Seine. Ils sont arrts. Ils ne parlent pas. Ils sont revenus prs de l'hpital. Ils s'arrtent contre le mur.

J e vous revois bientt ? Ce ne sera pas facile. Je fais beaucoup de gardes ces temps-ci. J'ai besoin d'argent. ALEXANDRE. Pour boire. VRONIKA. Pour boire, m'acheter des robes, tre belle.ALEXANDRE. VRONIKA.

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ALEXANDRE.

J'aimerais que vous le disiez autrement : Pour boire, m'acheter des robes, tre belle... parce que voyez-vous mon cher, je suis amoureuse.Elle rit.

MARIE. MARIE. MARIE.

C'tait bien.Oui. Oui. Oui.

ALEXANDRE. ALEXANDRE.

Vous tes all bouffer. Vous tes all au chinois.

VRONIKA. Je suis souvent amoureuse. Je m'attache trs vite aux gens. Puis je les oublie... aussi vite. Les gens n'ont pas d'importance. J'aime quelqu'un 1 mois, 2 mois, 3 mois et je ne l'aime plus. Quand on est bien avec quelqu'un, on est bien. Aprs, c'est fini.Ils se regardent. Ils s'embrassent violemment. Se serrent l'un contre l'autre. Contre le mur. Comme des adolescents. Ils s'embrassent.

ALEXANDRE. Oui. ALEXANDRE. Oui.

MARIE. AU chinois du Panthon. MARIE. Alors a c'est bien pass. ALEXANDRE. Oui, mais a va comme a. Si vous voulez chercher des querelles indignes de nous, allez-y. MARIE. Je me fous de la dignit. D'abord c'est vous qui me l'avez dit. J e mprise les gens qui souffrent en silence.// s'approche d'elle. Se penche.MARIE.

Tlphonez-moi quand vous voulez. ALEXANDRE. Vous aussi. Vous avez gard mon numro.VRONIKA. VRONIKA. Oui.

Elle part vers la porte de l'hpital. Il la suit des yeux. Elle disparat sous le porche sans se retourner.

Et puis vous sentez le parfum Bandit . J e dteste ce parfum. Vous tes imprgn. Je vois que vous vous tes bien amus.// essaie de l'embrasser.

Ne me touchez pas. Allez vous laver. tes ridicule. MARIE. J e me fous du ridicule. J'ai tran dans les rues toute la soire. J'esprais vous rencontrer. Si je vous avais vu je vous aurais dit : Je vous aime . Je vous l'aurais dit devant cette fille, devant tout le monde. N'importe o. J e vous aurais dit : Je vous aime, arrtez ce cirque, vous allez nous foutre en l'air. Et j'imaginais que vous auriez tout laiss tomber et que nous serions partis ensemble.MARIE. ALEXANDRE. VOUS

SEQUENCE 11L'appartement de Marie. Nuit. Alexandre entre. Marie est couche. Elle ne dort pas. Une lampe est allume. 50

// est all se laver. Il se couche prs d'elle. Ils sont tendus, distants mais on a l'impression qu'ils vont faire l'amour.

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/ / raccroche.

SQUENCE 12

MARIE. a marche bien pour vous... ALEXANDRE. ... Vous trouvez ? MARIE. VOUS tes trs gentil avec elle. ALEXANDRE. Ah oui. Vous tes jalouse. Continuez. C'est bien. Continuez. MARIE. Il y a longtemps que vous ne m'avez pas parl aussi gentiment. ALEXANDRE. Peut-tre que je vous parle et que vous ne m'entendez pas. Mais continuez. J'aime bien quand vous tes jalouse. Je vous l'ai dit. Je vous aime parce que vous tes la seule femme qui me fassiez rire.MARIE. Moi ?

Alexandre arrive chez Marie. Elle est sur le lit. coute de la musique. Elle est de dos. Elle ne se retourne pas. Elle bouge en mime temps que la musique.MARIE.

Vronika a tlphon deux fois. Vous lui aviez donn le numro ?

ALEXANDRE. Oui. Qu'est-ce qu'elle a dit ?

Rien. Elle vous a demand. Elle rappellera. Elle n'a pas voulu dire son nom. ALEXANDRE. Alors comment savez-vous que c'est elle ? MARIE. Qui voulez-vous que ce soit ? Une fille qui refuse de dire son nom. Je n'aime pas du tout le ton de sa voix. ALEXANDRE. Je n'ai pas remarqu. Mais (vous ne la connaissez pas). Sa voix lui va trs bien.MARIE.

Le tlphone sonne. Marie dcroche.MARIE.

Oui, il est l, je vous le passe.

( Alexandre) C'est elle. Elle lui passe l'appareil. Garde l'couteur.ALEXANDRE. Oui. ALEXANDRE. ALEXANDRE.

Oui. Oui. Vous pouvez rire, pleurer. J e vous aime parce que vous me faites rire. MARIE. Et bien riez. Qu'est-ce que vous allez faire avec elle ? ALEXANDRE. J e ne sais pas. Comment savoir. Rien. Tout. Que voulez-vous ? Que je n'y aille pas ? Ou que je lui dise : il ne faut plus nous voir, cela pose trop de problmes. Quoi faire ? Rester l, regarder la tl, couter la radio ? Attendre que le tlphone sonne ? Appeler l'horloge parlante pour entendre une voix humaine ? Je suis un jeune homme pauvre, mdiocre. Une jeune fille pauvre, mdiocre, veut me voir. Et bien a me fait plaisir et je n'y renoncerai pas quoi qu'il arrive. Et vous savez que je ne pense pas du tout aux choses sexuelles. MARIE. C'est ce qui va arriver pourtant. ALEXANDRE. Quelle importance. Tremper son sexe dans une eau ou dans une autre. MARIE. Oui mais a fait si mal. ALEXANDRE. Je sais bien.ALEXANDRE.

Pas du tout. Vous avez bien dormi ? Oui, avec plaisir. Quand voulez-vous ? A neuf heures au Flore... Entendu. A tout l'heure.52

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achet l ? Elle m'a dit : Non et a m'est gal . Je lui ai dit : Et bien je vais te le dire quand mme. C'est " L a Belle Hlne" d'Offenbach, tu ne veux pas venir l'couter chez moi ? Elle m'a dit : Non, et d'abord je suis presse . Et elle est partie. Alors je suis rentr et j'ai cout le disque tout seul, fou de rage. J'ai pass une journe atroce. (Histoire sur Biaggi qui se termine par je suis en vert et contre tout)