"Eustache Du Caurroy. Un compositeur français aux confins du XVIe et du XVIIe siècle"

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Eustache Du Caurroy. Un compositeur français aux confins du XVIe et du XVIIe siècle Author(s): Marie-Alexis Colin Source: Acta Musicologica, Vol. 73, Fasc. 2 (2001), pp. 189-258 Published by: International Musicological Society Stable URL: http://www.jstor.org/stable/932897 . Accessed: 24/05/2013 18:40 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . International Musicological Society is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Acta Musicologica. http://www.jstor.org This content downloaded from 146.155.94.33 on Fri, 24 May 2013 18:40:42 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Eustache Du Caurroy. Un compositeur français aux confins du XVIe et du XVIIe siècleAuthor(s): Marie-Alexis ColinSource: Acta Musicologica, Vol. 73, Fasc. 2 (2001), pp. 189-258Published by: International Musicological SocietyStable URL: http://www.jstor.org/stable/932897 .

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Eustache Du Caurroy Un compositeur frangais oux confins du XVIe et du XVIIe sidcle

Marie-Alexis COLIN Centre d' tudes Superieures de la Renaissance, Tours

FRANGOIS-EUSTACHE Du CAURROY est baptise le 4 f6vrier 1549 a Gerberoy, ville alors

fortifie ', situde a vingt-cinq kilomitres environ de Beauvais. La relative proximite de cette ville avec la capitale du royaume fait que, comme lui, d'autres Du Caurroy originaires de cette region, et probablement parents plus ou moins 6loignes, s'installent a Paris a la fin du XVle et au XVIle siecle. Fils d'un prev6t et procureur du roi qui exergait sa charge a Beauvais, il compte peut-?tre parmi les membres de sa famille un joaillier du roi (Henri IV), un medecin d'Henri IV puis de Louis XIII, un imprimeur parisien, mais aussi deux chantres

de Louis XIII 2. S'il est difficile de connaitre quels liens unissent Frangois-Eustache a ces deux musiciens, on sait en revanche qu'en aoit 1567 son pere devient le parrain du fils de Denis de Journy, facteur d'orgues qui habite la paroisse Saint-Laurent de Beauvais 3.

A ce jour aucun document n'a livre des informations sur sa formation musicale, pas plus que sur la pratique d'un instrument. C'est peut-6tre a la cathedrale Saint-Pierre de Beauvais, qui semble beneficier d'une renommee certaine, que Du Caurroy regoit une education musicale 4. En outre, la date precise de son entree au service de la famille royale n'est pas connue. Quelques t6moignages permettent tout au plus d'en situer les premiers exercices durant le regne de Charles IX. Pierre de L'Estoile, commentant le deces du

compositeur, note dans son journal:

Voir Bruzen de La Martiniere, Le grand dictionnaire gdographique, historique et critique, Paris, Libraires associds, 1768, 6 tomes, t. III, pp. 89-90 et L. G. Gourraigne (id.), Dictionnaire universel d'histoire et de geographie, Paris, Hachette et Cie, 1901, p. 749.

2 Deux chantres de Louis XIII portent le patronyme Du Caurroy: Jean (mort en 1624 et chanoine de Saint-Pierre de Gerberoy), et Itienne (decede en 1626). Norbert DUFOURCQ, <<Fran ois-Eustache Du Caurroy (1549-1609) et son entourage familial et professionnel. Pour une meilleure approche de la biographie d'un officier de la Musique du Roi>>, Recherches sur la musique frongaise classique, xxi (1983) (d'sormais DUFOURCQ 1983), pp. 10-11 I. Claude Du Caurroy, peut-etre un neveu du compositeur, est chantre a I'abbaye Notre-Dame du Val au debut du XVIle siecle. En 1610, un Robert Ducaurroy figure egalement parmi les quarante-trois chantres de la chapelle royale. Voir Paris, BnF, dip. des manuscrits, fr. 18512, fol. 205r (<< Registre et Contrerolle de la despence faicte en I'argenterie du Roy>>).

3 Voir DUFOURCQ 1983, pp. 19-20. 4 Selon Gustave Desjardins, la maTtrise de la cathedrale Saint-Pierre fournissait des enfants de chceur A la

chapelle royale. De plus, en 1560, alors que Du Caurroy avait II ans, les meilleurs enfants recevaient egalement une formation en orgue. Voir G. DESJARDINS, Histoire de la cath'drale de Beauvais, Beauvais, Victor Pineau, 1865, pp. 120-21.

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Le samedi 8e du mois d'ao0t [1609], fut mis en terre, et dans la mime 'glise [des Augustins], le corps de M. Eustache du Caurroy, maitre de musique des rois Charles IX, Henri III et Henri IV5

Dans I' pitaphe qu'il redige a la memoire du compositeur, le cardinal Jacques Davy Du

Perron, premier aum6nier d'Henri IV, signale egalement qu'il servit Charles IX:

[...] un homme que trois rois, Charles IX, Henri III et Henri IV, ont honord de leurs bontes, et dont il

a ete successivement Maitre de chapelle6.

On peut neanmoins s'interroger sur les sources de ces deux temoignages a posteriori,

puisque destines a resumer la carriere d'un compositeur disparu: rien de I'activite profes- sionnelle de Pierre de L'Estoile n'est connu, son journal permettant seulement de savoir

qu'il vivait a Paris7; quant au cardinal Du Perron, entre a la cour en 1578, c'est-a-dire

sous le regne d'Henri Ill, il n'a pu 6tre un temoin direct de la prise de fonction du

compositeur si ce dernier servait dej' Charles IX. A I'encontre de ces deux documents

qui apparaissent comme des sources secondaires, la preface au premier volume des Preces

ecclesiasticae donne une information de premiere main, peut-etre reprise par LEstoile et

Davy Du Perron. En effet, dans cette piece liminaire adressee a Henri IV, le compositeur lui-mme laisse entendre qu'il est entre au service de la famille royale en 1569, servant Charles IX puis Henri III:<< Sire, Si j'ay dormi pendant quarante ans, que j'ay eu cet honneur

d'avoir servi en ma charge vos predecesseurs Roys [...]>> 9. Bien que cette phrase indique

que Du Caurroy a ete au service de Charles IX, il est impossible, faute de documents, de savoir si 1569 correspond precisement a la date de sa premiere fonction.

La premiere mention connue concernant sa carriere date de 1575, lorsqu'il regoit le

cornet d'argent au concours de musique d'ivreux, le puy de sainte Cecile, pour son air

a quatre voix Rosette pour un peu d'absence (sur une villanelle de Philippe Desportes 10).

Les registres de I'institution dccrivent le laureat comme I'un des chantres de la chapelle

5 Pierre de LESTOILE, JOurnal (Joumrnal de I'Estoile pour le rigne d'Henri IV. 1601-1609), ed. Andre MARTIN,

Paris, Gallimard, 1958, vol. II, p. 499. 6 <<Eustac. du Caurroy [...] Quem Carolus IX, Enrici duo, coluere, regioque musices sacello praefecere>>.

Cardinal du Perron, epitaphe a la memoire du compositeur. Reproduite dans Pierre de LESTOILE, Op. cit., p. 499. J'utilise ici la traduction que Jean-Benjamin de LA BORDE donne dans son Essai sur la musique ancienne et moderne, 4 vol., Paris, Ph.-D. Pierre, 1780, 4 vol., vol. III, Livre V, viii, p. 402.

7 Pierre de LESTOILE, Registre-journal du regne de Henri Ill, d. Madeleine LAZARD et Gilbert SCHRENCK, Geneve,

Droz, 1992, t. I, p. 9. 8 Pierre FERET, Le cardinal du Perron, orateur, controversiste, 6crivain. Etude historique et critique, Paris, Didier,

1877, Geneve, Slatkine reprints, 1969, p. 7. 9 Voir E. Du CAURROY, Preces ecclesiasticae ad numeros musices redactae authore Eustachio du Caurroy, Regiae

copellae Musices praefecto. Henrico ////. Franc. et Novor. Regi Christianissimo Dicatoe. Liber primus... Paris, Pierre Ballard, 1609 f. 2. Les deux volumes de motets sont presentes en edition moderne, accompagnes d'une reproduction en fac-simild des pieces liminaires dans Eustache DU CAURROY, Preces ecclesiastica, ed.

Marie-Alexis COLIN, Paris, Klincksieck, 2000.

10 Ce texte a ete publie en 1576 dans les Bergeries (Paris, Robert Le Mangnier). Voir Philippe DESPORTES,

CEuvres, ed. Alfred MICHIELS, Paris, Adolphe Delahays, 1858, p. 450-51, et Jacques LAVAUD, Philippe Desportes. Un

porte de cour au temps des Valois (1546-1606), Paris, Droz, 1936.

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d'Henri III ". Cette fonction est confirmee I'annee suivante, lorsqu'il remporte I'orgue d'argent pour le motet a cinq voix Tribularer si nescirem, et en 1583, lorsque le luth

d'argent couronne sa chanson a cinq voix Beaux yeux. Si les registres du puy de musique ne mentionnent que sa fonction de chantre, les comptes de la chapelle pour I'annee 1578

indiquent en revanche qu'il occupe les fonctions de haute-contre et de sous-maitre '2 On peut supposer que c'est a I'initiative de Guillaume Costeley, organiste du roi et I'un des organisateurs du concours, que le compositeur a pr6sent6 sa chanson en novembre 1575, date du premier concours de musique d'Evreux. En 1595, il cumule ces charges avec le titre honorifique de <<compositeur de la musique de la chambre>> du roi, position qu'il conserve jusqu'a sa mort, en 160913. Dans les comptes de 1599, il est 6galement d6crit comme <<compositeur de la musique de la chapelle>> du roi. Enfin, en 1602, il obtient un

poste de taille a la chapelle royale'4. D'autre part, il a 6galement exerc6 la fonction de haute-contre au sein de la chapelle priv6e de Catherine de Medicis, comme le montrent les comptes de 1585 et 1587'.15

Ses nombreuses responsabilit6s et les revenus qui en d6coulent lui offrent certaines

prerogatives. Ainsi, pour obtenir en 1602 son poste de taille a la chapelle royale, ii verse

quarante livres tournois a un autre candidat, Jehan Le Jeune, afin que ce dernier retire sa candidature 16. Le compositeur obtient de nombreux b6n6fices, profitant de la g6ndrosit6 d'Henri IV qui multiplie ces concessions au moment oO il reorganise sa chapelle, en 1595. En 1596, le compositeur obtient un canonicat a la Sainte-Chapelle de Dijon. II I'abandonne en 1599, puis le reprend, en 1605'7; en 1607, le roi le contraint a y renoncer, au profit d'un pritre du dioc6se de Langres'I. En 1598, il devient prieur de Saint-Cyr en Bourg (pros de Saumur) 19, puis, I'ann6e suivante, prieur de Passy 20. Entre 1600 et 1606, il obtient

I I Voir T. BONNIN et A. CHASSANT,

Puy de musique erig6 o Evreux en I'honneur de Madame sainte C6cile, Evreux, 1837, Geneve, Minkoff, 1972 (<<La vie musicale dans les provinces franCaises>>, II), pp. 67-68 et 71. Les 6tats de la chapelle ne subsistent que pour les annees 1517, 1532, 1578 et 1595

12 DUFOURCQ 1983 (p. 20, n. 42), 6met I'hypoth6se selon laquelle Du Caurroy aurait bnenficid de I'appui de Nicolas Fumee lors de son engagement a la chapelle. N. Fumee, chanoine de Notre-Dame de Paris, puis eveque et comte de Beauvais (1575) fut 6galement vidame de Gerberoy, conseiller prive d'Henri III, pair de France, premier aum6nier du roi (1581), enfin maTtre de sa chapelle (1583).

13 Paris, Archives Nationales, Minutier Central, Itude XXIX, 185; d'apres Francois LESURE, <<La carri6re et les fonctions de du Caurroy>>, Revue de musicologie, 103-104 (1952) (dcsormais LESURE 1952), p. 128. Voir aussi Paris, Archives Nationales, KK152, f. 732; d'apres DUFOURCQ 1983, p. 21, n. 44. Voir aussi Paris, BnF, dep. des manuscrits, ms. fr. 18163, f. 79.

14 Voir LESURE 1952, p. 128.

15 Paris, Archives Nationales, KK 116 (1585), f. 50v et KK 117 (1587), f. 9v. Voir Jeanice BROOKS, Courtly Song in Late-Sixteenth Century France, Chicago, University of Chicago Press, 2000.

16 Paris, Archives Nationales, Minutier central, itude XXIV, 213; d'apres LESURE 1952, p. 128. 17 Archives de la C6te-d'Or, G 1529, f. 181 et 295; G 1518, fol. 15; d'apres LESURE 1952, p. 128. 18 DUFOURCQ 1983, p. 23. 19 Paris, Archives Nationales, Minutier Central, itude XXIV, 212; d'apres LESURE 1952, p. 128. 20 II possede encore cette prebende en 1601. Paris, Archives Nationales, Minutier Central, itude XXIV, 201

et 207; d'apres LESURE 1952, p. 129.

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le prieure de Saint-Ayoul de Provins 21. En 1602, il acquiert la prebende de Sainte-Croix

d'Orlans22. Certains documents d'archives revelent par ailleurs avec quel succ's le

compositeur parvient a gerer ses biens 23 et a les faire fructifier 24.

En bendficiaire comble et experimente, et comme chantre et sous-maTtre de la chapelle royale, Du Caurroy residait probablement le plus souvent a Paris. Deux de ses residences connues se trouvent pres du Louvre 25: en 1594, ii habite rue d'Avron, dans une maison

qu'il a louee a Nicolas Delacroix, conseiller et premier mattre d'h6tel de la reine. Au debut du XVIIe siecle, il s'installe rue de I'Arbre Sec 26. Quelque temps avant sa mort, il sejourne a la Fert6-Alais (pres d'Etampes), chez son neveu (ou petit-neveu) Andre

Pitart27. C'est Il que le II juillet 1609 il redige son testament. II meurt a Paris le 7 aoat suivant, et est inhume dans I'Eglise des Grands Augustins.

C'est tres probablement parce qu'il a 6te membre de la confrerie parisienne de sainte

Cecile que Du Caurroy est enterrc dans le couvent des Grands Augustins et qu'il regoit

I'hommage de ses colligues, comme le raconte LEstoile, dans son journal:<< Les musiciens, ses confreres, qui ont assiste a sa sepulture, ont chant6 un tres beau De profundis pour le

repos de son ame, attendant de lui faire un service solennel >>28.

21 Les avis de N. Dufourcq et F. Lesure divergent quant a la date ' laquelle Du Caurroy devient prieur de Saint-Ayoul. Selon Lesure le compositeur devient prieur en f6vrier 1601, et baille son prieure a ferme

pour six ans a un sergent royal de Provins. Voir LESURE 1952, p. 129 (d'apres Paris, Archives Nationales, Minutier Central, itude XXIV, 206). D'apres Dufourcq, Du Caurroy a fait I'acquisition d'un certain nombre

de terres, maisons, jardins, pres et rentes situes autour du prieure de Saint-Ayoul de Provins, autant de biens immobiliers <<dont il se reserve la jouissance, des 1600, voire 1601 >, les baillant d'abord a ferme

(au sergent royal de Provins deja cite) puis les reprenant A son compte lorsqu'il devient prieur de saint

Ayoul en 1606. Voir DUFOURCQ 1983, p. 12-13 (d'apres Paris, Archives Nationales, Minutier Central, Etudes XXIV, 206 (f6vrier 1601) et XLI, 46 (15 decembre 1607) et abbe YTHIER, Histoire ecclesiastique de Provins (ouvrage du XVIIIe siecle; Bibliotheque municipale de Provins, manuscrit 112), tome V, pp. 87-11I [liste des prieurs de saint-Ayoul]. Eustache Du Caurroy et trois de ses neveux sont devenus prieurs de Saint-Ayoul. Voir DUFOURCQ 1983, p. 14.

22 Paris, Archives Nationales, Minutier Central, Etude XXIV, 210; d'apres LESURE 1952, pp. 128-9. 23 Sur la base de documents extraits du minutier central, Dufourcq decrit Du Caurroy achetant au precepteur

des enfants de la musique du roi une maladerie et lIproserie '

la Ferte-Alais (mars 1603) et vingt cinq livres de rentes (fevrier 1604); on le voit encore devant notaire nommer un procureur qui doit le defendre contre son ancien fermier de Saint-Ayoul de Provins qui, pour payer ses dettes, vend tout ce qu'il a loue au compositeur (fevrier 1607). En juillet 1607, il demande a son notaire de le representer aupres du chapitre de Sainte-Croix d'Orleans afin d'appuyer la candidature de Theophile Druart, I'un de ses

proteges, a la cure de I'eglise d'Origny. Voir DUFOURCQ 1983, p. 23. 24 En 1601, par exemple, il fait I'acquisition de quatre vaches et trente brebis qu'il confie A un laboureur de

I'arrondissement de Beauvais. On peut supposer que les cent vingt livres de beurre, la laine des brebis et <<dix chapons, gras, bons et suffisants>> que le laboureur livre ensuite

' Paris, au domicile de Du Caurroy

(rue de I'Arbre Sec) ne sont pas destines a la seule consommation du compositeur, et vont tre ensuite

vendus. Voir LESURE 1952, p. 129. 25 Ce qui paraTt logique compte-tenu de la charge exerc~e par le compositeur au palais royal. 26 Voir DUFOURCQ 1983, pp. 22-23. La rue d'Avron, aujourd'hui rue de Bailleul, est perpendiculaire A la rue du

Louvre; la rue de I'Arbre Sec est au contraire parallele a la rue du Louvre. 27 Dufourcq s'interroge sur le degre de parente exact entre Du Caurroy et Pitart. Voir DUFOURCQ 1983, p. 19.

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Un document aujourd'hui conserve a la reserve de la Bibliotheque nationale de France montre qu'en 1575 - I'annee meme oO fut cre6 le puy d'ivreux 29 - le meme type de concours etait etabli A I'instigation d'Henri III, dans I'enceinte du couvent des Augustins a Paris 30o. Comme le concours qui se deroulait en Normandie, celui qui avait lieu a Paris

dcpendait d'une confrdrie. En regard des actes relatifs au puy d'Evreux, le document de la Bibliotheque nationale de France est beaucoup moins detaill6 sur I'organisation de I'association. Toutefois, le reglement qu'il contient livre quelques informations sur le fonctionnement de cette confrerie dont les membres - des musiciens, mais aussi des defenseurs et des amateurs de I'art musical (~<Musiciens, zelateurs, et amateurs de Musique>)3 ' - se reunissaient a quelques centaines de mitres du Louvre, sur la rive gauche de la Seine. Le 21 novembre, vepres et complies devaient ?tre c&l1brees <<solennellement [...] avec la Musique et les Orgues, et ainsi qu'il sera advise par le

superintendant, qui en prendra la charge et la conduicte>>. Le lendemain, jour de la fate, les membres de I'association, munis d'un cierge blanc, devaient effectuer une procession autour du couvent, puis assister a une grand-messe, aux vepres et aux complies (toutes ces ceremonies 6tant egalement accompagnees de musique polyphonique et d'orgue). Enfin, le soir du 22, un hommage etait rendu aux confreres d cldes (avec des vigiles funebres) et le lendemain, un obit 6tait c6l1bre a leur intention. Pour la veille et le jour de la fate, le texte prevoit que:

Seront advertiz tous bons et excellens musiciens du Royaume, et autres d'envoyer si bon leur semble, audict jour ou vigile saincte Cecile, quelques motetz nouveaux, ou autres cantiques honnestes de leurs oeuvres, pour estre chantees, affin de congnoistre et remarquer les bons autheurs, nommement celuy qui aura le mieux faict, pour estre honore et gratifie de quelque present honorable [...32

Mais les activites de la confrerie ne se limitaient pas au concours musical qui rendait hommage a la patronne des musiciens. Car durant toute I'annee, chaque dimanche, les musiciens devaient, s'il leur 6tait possible, assister a une messe basse et participer aux <<prieres pour le Roy, et les princes, estat et conservation du Royaume pour la paix et

I'union de I'eglise chretienne et catholicque>> et avoir une pensee pour leurs confreres d6c6dls. Une fois par mois, cette messe basse 6tait remplac6e par une grand-messe < avec la musique et les Orgues.>x Au cours de cette c6remonie, il revenait A I'un des membres de la confrerie de fournir le pain benit et un cierge.

28 Pierre de L'ESTOILE, Journal (Journal de I'Estoile pour le rigne d'Henri IV, 'd. Andre Martin, Paris, Gallimard, 1958, vol. II, p. 499).

29 La confrdrie d'Evreux avait 'td 6tablie en 1573. Voir BONNIN et CHASSANT, op. cit., p. 10. 30 Ce recueil s'intitule: Ce sont les statutz et ordonnances de la confrairie, que les Musiciens, zelateurs, et

amateurs de Musique, pretendent soubz le bon plaisir du Roy, fonder en I'Eglise et monastere des Augsutins de la Ville de Paris, en I'honneur de Dieu, de la Vierge Marie, et de Saincte Cecile, s. I. n. d. Paris, BnF, d6p. de la Res., F2083. L'ouvrage s'acheve par une ddclaration d'Henri III datde du 27 juin 1575.

31 Op. cit., intitule du recueil. 32 Op. cit., f. A3v.

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194 Marie-Alexis COLIN

Afin d'assurer toutes ces manifestations, I'association 6tait gerde par un <bureau> constitue de quatre personnes (<<maistres>>) et renouvelable chaque annie par moitie, les deux membres en seconde annie de mandat 6tant affectes a I'administration de

la tresorerie. Chaque annie, le bureau presentait un bilan de son activite et quatre autres membres 6taient invites a se prononcer sur la gestion effectude. Lintegration d'un nouveau membre au sein de la confrdrie 6tait egalement soumise a I'acceptation des quatre <<Maistres>x. L'lection des deux membres du bureau comme la designation des quatre autres personnes avaient lieu le jour de la sainte Cecile, apres complies. Le

superintendant, responsable de la musique polyphonique et de I'orgue, choisissait les chanteurs et I'organiste:

Et pour obvier au desordre et confusion qui pourroit intervenir en ces prieres solennelles, mesme en

la musique et orgues Aucun musicien tel qu'il soit, ne sera receu pour chanter en laditte assemblee,

s'il n'est au prealable appell et invit' A ce faire par ledict superintendant, qui pareillement deleguera tel qu'il advisera pour toucher lesdictes orgues.33

La participation des musiciens n'etait pas ponctuelle: ils avaient pour obligation de prendre

part a toutes les c6remonies de la fate de sainte Cecile, et leurs noms devaient etre

consignes dans un registre. Le superintendant et les membres du bureau se reservaient

par ailleurs la possibilite d'inviter d'autres musiciens, qui dans ce cas, devenaient de facto membres de la confrdrie, et pouvaient meme, s'ils le desiraient, se soustraire au droit

d'adhesion a I'association (deux cus): Et toutesfois selon que I'occasion le permectra, lesdictz maistres et superintendant en pourront

adjouster telz que bon leur semblera.Tous lesquels seront receuz et enregistrez comme confreres, sans rien

payer, si bon ne leur semble. 34

Par leur forme comme par leur contenu, les activites de cette confrdrie d passent

largement le domaine musical. Instauree par Henri Ill, elle prefigure les nombreuses

associations a finalite spirituelle que le roi creera quelques annees plus tard, les 6tablissant

meme parfois dans le couvent des Augustins35. Contrairement a la confrdrie qui est

fond~e a Evreux et dont la principale manifestation reside dans son puy de musique annuel, celle qui est install6e aux Grands Augustins doit, d'apres ses statuts, reunir ses

membres chaque semaine. En outre, les ceremonies comportent des prieres destinies a la preservation du monarque et de son 6tat. La musique, mime si elle se limite au

repertoire sacre, est intimement lide a la notion d'ordre social. Et la declaration d'Henri III a la fin du document rappelle les declarations de Charles IX, dans les statuts de I'Acad6mie

de Poesie et de Musique 36:

33 Op. cit., f. A3r-A3v. 34 Op. cit., f. A4v. 35 Tel est le cas de I'ordre des chevaliers du Saint-Esprit etabli par Henri III en 1578 et dont toutes les

ceremonies annuelles - la premiere eut lieu en janvier 1579 - se tenaient aux Grands Augustins. En 1583,

la Congregation des Penitents de I'Annonciation de Notre-Dame fut egalement installe dans le couvent. Voir Jacqueline BOUCHER, La cour de Henri III, s. I , Ouest France, 1986, p. 194 et Frances A. YATES, Les

academies en France au XVIe siecle, Paris, PUF, 1996, p. 209.

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Eustache Du Caurroy 195

Comme sur toutes les choses, que nous ayions jamais eu en singuliere recommandation, ayt est&, et soit d'aymer la vert[u] caresser,

et favoriser ceux qui I'ensuyvent, chacun en son art et vacation, et

ayant tousjours (ensuyvant les vestiges de nos predecesseurs Roys de France) tant honord la musique, comme I'un des sept artz liberaux; necessaire, et utile ' la replubicque: Que nostre Chapelle en soit encores de present aornee et decoree, pour le service de Dieu, et de son Eglise treschrestienne, et

catholique, de laquelle sommes protecteur, et deffenseur37

Les oeuvres

1609 marque le debut de la publication de la plupart de I'ceuvre de Du Caurroy, sous la forme de recueils consacres exclusivement au compositeur. Seules quelques pieces profanes ont 6te intigrees a des anthologies imprimees dans les annees 1580-1590. En 1583, Le Roy et Ballard publient trois de ses chansons: A demy mort, chacun me peut juger et Une pastourelle gentille et un berger, toutes les deux a cinq voix, sont pr6sentees dans le

Vingtdeuxieme livre de chansons '

quatre et cinq parties, d'Orlande de Lassus et autres qui sera a nouveau publid en 1585 38. La chanson a quatre voix Celle jadis qui feit armer la Grece se trouve integree dans le Vingttroisieme livre de chansons a quatre et cinq parties, d'Orlande de Lassus et autres. A Anvers, Pierre Phal se publie en 1597 la chanson a quatre voix Rose vostre beau teint dans Le rossignol musical des chansons de diverses et excellens autheurs 39

C'est vraisemblablement peu avant 1609 que Du Caurroy engage des dcmarches afin de faire publier ses ceuvres. Norbert Dufourcq suggere que c'est peut-6tre pour financer

I'entreprise 6ditoriale qu'en decembre 1607 le compositeur vend tout ce qu'il a acquis a Saint-Ayoul (pres, grains, rentes) 40. Quoi qu'il en soit, son inventaire apres d cl s signale la copie d'un compromis signe avec I'6diteur du roi Pierre Ballard 4':

Ensuivent les lectres, tiltres et enseignements trouvez apres le deceds et trespas du dict deffunct sieur Courroy [sic]. Premierement, une feuille de papier au commencement de laquelle sont escriptz ses mots: Articles accordes entre Mon sieur de Courroy et Me Ballart imprimeur, qui est la coppye du compromis faict entre ledict deffunct sieur du Courroy et ledict Ballart pour les livres de musicque qui luy debvoient estre fournis par ledict sieur Courroy, moiennant les sommes y mentionn~es, au dessoubz desquels articles est ung memoire des Chanssons [sic] manuscripts et autres faicts et ecripts par ledict deffunct; enfin duquel memoire est le recepisse dudict Ballart, par lequel il recongnoist avoir receu le nombre de pieces de musicque y declairees, ledict recepisse en dabte de jourd'huy vingt deuxiesme aoust mil six cens neuf, inventorie de dos.42

36 <<De la fagon que oO la Musique est ordonnee, la sont les hommes bien moriginez>>. Extrait des lettres patentes et statuts de I'Academie de Poesie et de Musique, donnes par F. YATES, Op. Cit., p. 437.

37 Op. cit., f. A4v. 38 RISM 15837 et 1585". 39 RISM 159710; ce recueil parait a nouveau en 1598 (RISM 15985). 40 Voir DUFOURCQ 1983, p. 24. 41 Dufourcq emet I'hypothese selon laquelle le compromis a 6t6 signe dix-huit mois avant sa mort. Voir

DUFOURCQ 1983, p. 24. 42 Paris, Archives Nationales, Minutier central, Etude XLI, 126, 22 ao0t 1609. L'inventaire apres deces d'E. Du

Caurroy a &t6 transcrit dans son integralite par N. DUFOURCQ, <<Apropos d'Eustache du Caurroy>>, Revue de musicologie, 95-96 (1950) (desormais DUFOURCQ 1950), pp. 102-108.

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196 Marie-Alexis COLIN

Ce sont tres probablement les <<livres de musicque>> que Pierre Ballard reconnatt avoir regus qui sont imprimes a partir de 1609 . Cette ann6e-l~, cinquante-trois motets

compos6s de trois a huit voix sont publi6s dans deux livres intitul6s Preces ecclesiasticae 4 Inhabituel a I'6poque dans le domaine musical, le titre est utilis6 plus fr6quemment en

litt6rature. Toutefois, c'est sous sa traduction frangaise 'prieres eccl6siastiques> qu'il apparait le plus souvent, dans les recueils litt6raires de psaumes en frangais destines aux

protestants 4. En revanche, sous sa formulation latine, il semble plus rare a I'6poque.Je n'ai

retrouv6 qu'un ouvrage portant ce titre: il est publi6 en 1560; son auteur, le catholique

mod6r6 Georg Cassander y rassemble des pieces relevant a la fois de la devotion publique (avec des prieres liturgiques, mais aussi des oraisons particulieres, pour la pr6servation du

roi, ou encore la victoire contre les ennemis) et d'un acte spirituel priv6 (avec notamment des prieres d'avant et d'apres le repas) 46. En ce qui concerne le repertoire musical du

XVle siecle, le titre du recueil de Du Caurroy rappelle les Preces speciales composees en 1561 et 1562 par Jacobus de Kerle, a la demande d'Otto Truchess von Waldburg,

6veque d'Augsbourg 47. Ce dernier r6sidait alors en Italie et prenait part a la reforme de

la musique catholique dans la mouvance du concile de Trente. Le recueil, publid a'Venise en 156248, comprend dix textes pr6sent6s sous la forme de repons qui se terminent

systematiquement par une doxologie et un Kyrie. Les prieres <pour le concile>>, <pour

I'union du peuple chr6tien>>, pour <<la r6mission des p6ch6s>>, ou encore <<contre la fureur

des ennemis de I'Eglise>> ont 6t6 6crites par Pierre de Soto, moine dominicain invit6 a la derniere session du concile 49

En revanche, quelques recueils imprim6s au XVIIe siecle portent un titre identique ou

proche.Tel est le cas de deux volumes imprim6s par les Ballard en 1625 et en 1653. Le

43 Pour une description bibliographique des volumes publis par Pierre Ballard et subsistants aujourd'hui, voir Laurent GUILLO, <<Au Mont Parnasse>>: Les editions imprimdes par Lucrece Dugud, Pierre Ballard et Robert Ill Ballard (Paris, 1598-1673), A paraitre.

44 Voir I'ddition modeme deja cit6e, et M.-A. COLIN, <<Eustache Du Courroy et le motet en France 0 la fin du

XVIe si'cle>>, Th6se de doctorat inedite, Tours, C.E.S.R., 2001. 45 A partir de 1560 environ, plusieurs psautiers, le plus souvent monophoniques, pr6sentent, a la suite des

psaumes, une rubrique intitul6e <<La forme des Prieres eccl6siastiques. Avec la maniere d'administrer les

Sacremens, et celebrer le Mariage: et la visitation des malades>>. Cette section comprend, entre autres, le <<Notre Pare> et les dix commandements. Voir L. GUILLO, Les editions musicales de la Renaissance

lyonnaise, Paris, Klincksieck, 1991, pp. 289-323. 46 Preces ecclesiasticae quae collecta vulgo dicuntur, ex variis libris Ecclesiasticorum Officiorum diligenter conquisitae,

et in ordinem digestae, cum allis nonnullis precationibus Collectarum speciem referentibus, Per Georgium Cassandrum. Cum indicie copioseo, Cologne, Arnold Birckmann, 1560. Cet ouvrage sera reddite en 1569.

47 Ces pieces sont destin6es a un effectif variant de deux a cinq voix. 48 Preces speciales pro salubri generalis concilii succesu, ac conclusione, populique..., Venise, Antonio Gardano,

1562. 49 Des 1551, les six premiers textes avaient 6te publi6s (sous leur seule forme litteraire) A Dillingen

sur le Danube, ou de Soto enseignait alors la theologie. Voir Otto URSPRUNG, jacobus de Kerle

(1531/32-1591). Sein Leben und seine Werke, Munich, Hans Beck, 1913, pp. 11-23, et acobus de Kerle, Preces

speciales, ed. O. URSPRUNG, Augsbourg, G. Filser, 1926 (<< Denkmdler der Tonkunst in Bayern >>, xxxiv).

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Eustache Du Caurroy 197

premier, intitul6 Preces ecclesiastice, est I'ceuvre d'Hugues de Fontenay (mort apres 1635) 50 d'abord clerc du diocese de Paris, puis chanoine a Saint imilion 5'. D'apres Sebastien de Brossard, ce recueil, dont il ne subsiste aujourd'hui aucun exemplaire, contenait, entre autres, des compositions a cinq voix pour la semaine sainte (deux lecons, les Lamentations de

j&~rmie et une Passion) 5. C'est pour les pares de I'Oratoire de Paris que huit pieces anonymes sont pr6sentees dans la seconde publication, Jesus, Maria. Preces

quae dicuntur53. Elle se repartissent en cinq antiennes (pour laTrinite, I'enfant Jesus, Marie, Joseph et I'archange Gabriel), un psaume pour I'lncarnation, et des litanies a I'attention de I'enfant Jesus.

La publication des Preces ecclesiastice de Du Caurroy ne s'est pas deroulde simplement. En effet, I'examen materiel des sources indique que les parties de superius, contra, tenor, bassus et quinta pars du premier volume ont fait I'objet d'une recomposition afin de corriger des erreurs qui concernaient a la fois le texte et la musique. En revanche, une seule composition est connue pour les parties de sexta pars et de septima pars comme

pour toutes celles du second volume, ce dernier presentant d'ailleurs plusieurs erreurs 54 On peut emettre I'hypothese de la presence, autour des presses de Pierre Ballard, d'un lecteur attentif et m6ticuleux, suffisamment avis6 de certaines pratiques peu courantes a I'poque55 pour 6tre capable de porter de nombreuses corrections au fur et a mesure du

tirage du premier volume. Les parties 6tant habituellement composees a partir de la voix de superius, et dans la mesure oO seules les cinq premieres parties du premier volume -

publid peu de temps avant le second - ont 6te corrig6es, on peut se demander si la lecture de I'dition n'a pas 6te commenc6e par Du Caurroy lui-meme, avant d'6tre brutalement

interrompue par sa disparition en aoUt 1609, ce qui expliquerait que les dernieres parties du premier volume, comme toutes celles du second, presentent plusieurs erreurs 56.

50 William HAYS, <<Fontenay, Hugues de>>, New Grove Dictionary of Music and Musicians, London, Macmillan, 2000.

51 Preces ecclesiastica, liber primus, Paris, Pierre Ballard, 1625. 52 Sebastien de Brossard reste vague sur la nature des autres motets contenus dans ce recueil. Cette

publication est connue par la mention qui en est faite dans au moins trois catalogues, dont celui de la bibliotheque des Ballard, et que Brossard a decrit dans ses Notes pour un Dictionnaire historique de la musique et des musiciens, manuscrit autographe, [c. 1717], II vol 80 obl. Paris, BnF, dep. des manuscrits, N. Acq. Lat. 519 a 530, ms. 523, f. 57. Je dois toutes ces precieuses informations a L. Guillo qui m'a offert la primeur de ses recherches avant la publication de son ouvrage, <<Au Mont Parnasse>>: Les editions imprimdes par Lucrice Dugud, Pierre Ballard et Robert 11/ Ballard (Paris, 1598-1673).

53 jesus, Maria. Preces quae dicuntur. nocte cujuslibe mensis, in /Ede Institutionis Parisiens Oratorii Domini nostri jesu Christi, Paris, Robert II Ballard, 1653 (Paris, BnF, d6p. de la musique, R6s. 2279).

54 Voir 1'6dition modeme, et les remarques qui sont faites pour les pieces Ave Maria... tua gratia (contra, mes. 56, p. 286), Anima mea (bassus, mes. 64, p. 336), 0 diva quae dulces (contra, mes. 241, p. 391), 0 beate Dionysi (quinta pars, mes. 101, p. 460), et Benedictus Dominus Deus (superius, mes. 192, p. 49 1).

55 Telles que I'ajout d'accents sur les syllabes de certains mots. A ce sujet, voir infra. 56 Les motets du second volume ont deja 6te voques. Dans le premier volume, les pieces concernmes

sont les suivantes: Cum invocarem, sexta pars, mes. 7 (p. 190) et In monte oliveti, quinta pars, mes. 48 (p. 237).

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198 Marie-Alexis COLIN

Deux recueils sont 6dites en 1610: d'une part les Meslanges, qui regroupent soixante- trois pieces profanes et spirituelles57 et s'inscrivent dans une longue tradition a la fois

litteraire et musicale 58, d'autre part les Fantasies, qui contiennent quarante-deux pieces instrumentales et constituent au contraire I'une des premieres publications musicales

de ce genre en France59. Les ref6rences faites a Henri IV au debut de chacune des

d6dicaces signees par Andre Pitart montrent que ces deux recueils ont 6te imprimes avant I'assassinat du monarque, le 14 mai 1610 60

Trois messes a quatre voix, probablement imprimees par Pierre Ballard entre 1609 et 1611, sont aujourd'hui perdues. Leur existence est attestee par les t6moignages de Mersenne, Cousu, les inventaires de certaines maTtrises (cathedrale d'Amiens, Saint-Agricol

d'Avignon) et le catalogue d'un libraire de Nancy61.

La Missa pro defunctis a cinq voix, seule messe de Du Caurroy qui subsiste a I'heure

actuelle, ne laisse de poser problemes, tant du point de vue de sa date de composition, de sa destination originelle, de ses eventuelles autres utilisations et de sa date de publication. A toutes ces questions, le pare imile Martin a tent6 de donner des reponses, A I'occasion de I'6dition moderne du Requiem qu'il a realisee au d6but des annees 1950 avec Jacques Burald

62. Malheureusement, il reste impossible a ce jour de connaitre les sources des

diff6rentes affirmations du pare Emile Martin. Selon ce dernier,

cette messe a 6te composde vers 159063. Pour leur part, Paul-Andre Gaillard64 et Bernard Gagnepain 65 affirmaient,

57 Meslanges de la Musique de Eust. Du Caurroy, Me de la Musique de la Chappelle du Roy, Paris, Pierre Ballard, 1610. Ce recueil contient des pieces a quatre, cinq, six et sept voix: neuf psaumes, une priere, un cantique,

trente-sept chansons et quinze noels. 58 Pour les recueils musicaux, voir Isabelle His, << Les melanges musicaux au XVIe et au d6but du XVIIe siecle>>,

Nouvelle revue du XVIe siecle, 8/1990, pp. 95-110. 59 Fantasies a III. IV V et VI. parties par Eustache du Caurroy, Maistre de Musique de la chapelle du Roy,

Paris, Pierre Ballard, 1610. 60 Les fonctions exerc6es a la cour par chaque d6dicataire (respectivement le duc de Bouillon dans les

Meslanges, Louis Servin, dans les Fantasies) sont encore d6clindes en refirence A Henri IV. 61 <<[...] I'on peut voir dans ses [du Caurroy] [...] trois Messes d quatre, et celle [de Requiem] qui est A

cinq>>. Voir Marin MERSENNE, Harmonie Universelle, Paris, Pierre Ballard, 1636, vol. 3, p. 61. <<L'on en voit un exemple dans une messe de Du Caurroy; intitul6e, Quam bonus Israol Deus>>. Voir Antoine Du Cousu,

La musique universelle, Paris, Pierre Ballard, 1658, p. 73. L'inventaire des livres de musique de la maitrise

de la cath6drale d'Amiens signale en 1611 <<[...] ung [...] livre de messes imprimees de Ducaurroy et

Bournonville>>. Les <messes d'Orlande et de du Caurroye>> figurent en 1618 dans le registre capitulaire de Saint-Agricol d'Avignon. Pour des informations compl6mentaires, voir L. GUILLO, <Au Mont Parnosse>> a paraitre. C'est peut-etre a I'une de ces messes que 1I'colAtre de la collegiale Saint-Georges de Nancy fait r6f6rence lorsque, le 2 f6vrier 1612, il releve chez un libraire de la ville une <<Messe par du Corroye>> (Nancy ADMM: G351, registre 6). Ce document m'a 6te transmis par Pascal Desaux.

62 E. du CAURROY, Missa pro defunctis, ed. R. P. Emile MARTIN, Jacques BURALD, Paris, Rouart Lerolle et Cie, 1951-52, 4 fascicules (< R6pertoire de la f6dcration internationale des petits chanteurs associds aux petits chanteurs a la croix de bois>>).

63 Cette information a 6te reprise par Michel Huglo en 1965. Voir Michel HUGLO, <<Apropos du 'Requiem' de du Caurroy>>, Revue de musicologie, LI/2, (1965), pp. 201-206, p. 201. C'est M. Huglo, que j'interrogeais sur les sources de cette indication, qui m'a repondu qu'il la tenait d'E. Martin.

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Eustache Du Caurroy 199

sans en fournir la preuve, que le Requiem avait 6te compose en 1606. Malheureusement, aucune source n'est susceptible de confirmer I'une ou I'autre de ces dates. Par ailleurs, et

probablement '

la suite des indications donnies par Martin, il est couramment admis que ce

Requiem fut chante aux fundrailles d'Henri IV, en 1610. Or, jusqu'a present, aucun document

n'en a fourni la preuve66. Et les mentions <<requiem en musique>> qui apparaissent au cours des descriptions des diff6rentes fundrailles royales du dernier quart du XVIle et du debut du XVIIe siecle ne suffisent pas a relier la messe de Du Caurroy avec I'une de ces

ceremonies67. S'il semble aujourd'hui impossible de connaitre la destination premiere de cette messe et ses eventuelles utilisations ulterieures, Sebastien de Brossard nous apprend vers 1724-1725 qu'elle est utilisee lors des obseques des rois de France 68

Des doutes subsistent egalement sur la date de la premiere edition du Requiem, dont les deux seuls exemplaires conserves aujourd'hui ont 6te imprim s en 1636 69. Dans I'edition preparee par Martin et Burald, il est indique que la premiere edition de la Missa pro defunctis date de 1606, mais qu'il n'en subsiste aujourd'hui aucun exemplaire. Au dcbut du XVIIIe siecle, Brossard affirmait que I'exemplaire qu'il possedait, et dont la date avait e6t arrachee, datait de 1610-1612 70. Pourtant, I'exemplaire en question porte un privilege

64 P. A. GAILLARD, << Du Caurroy, Eustache>>, New Grove Dictionary of Music and Musicians, London, Macmillan, 1980, vol. 5, p. 669.

65 Bernard GAGNEPAIN, << Du Caurroy, Eustache >>, Dictionnaire de la musique en France oux XVIIe et XVIIIe sitcles, dir. Marcelle BENOIT, Paris, Fayard, 1992, pp. 248-49.

66 La description des fundrailles d'Henri IV donnee par L'Huillier ne precise pas de quel Requiem il s'agit. Voir Paris, BnF, dip. des manuscrits, Dupuy 851 (XVle-XVIle siecles), fol. 237r-242v. Michel Huglo, dans une lettre qu'il m'a adressee en mars 1999 s'interroge egalement sur la veracite de cette information donnee galement par Paul Andre Gaillard dans le New Grove Dictionary (art. cit.). Cette Igende tenace a 6te reprise de nombreuses fois, notamment recemment, A I'occasion de la sortie de plusieurs disques concernant ce Requiem. Dans le livret de I'un d'eux, j'ai moi-meme commis I'erreur.

67 Les descriptions donnees par Godefroy pour les fundrailles du frdre d'Henri III, Francois, duc d'Anjou en juin 1584, comme celles concemant Charles IX (en juillet 1574), et le duc de Joyeuse, qui regoit des obseques royales sur ordre d'Henri III (en mars 1588), ne donnent pas d'indication sur I'auteur du Requiem utilise. Voir Theodore GODEFROY, Le ceremonial de France, ou description des Ceremonies, Rangs, et Seances observies oux Couronnemens, Entrees, et Enterremens des Roys et Roynes de France, et autres Actes et Assemblees solemneles. Recueilly des Memoires de plusieurs Secretaires du Roy, Herauts d'armes, et autres, Paris, Abraham Picard, 1619, pp. 563, 586. Pour Charles IX et Anne de Joyeuse, voir, respectivement: Paris, BnF, dip. des manuscrits, Dupuy 847 (XVle-XVIle siecles), fol. 128r-133v, et ms. fr. 10427 (XVIIe siecle), fol. 513r-517v.

68 <Les amateurs de Pretintailles ne trouveront pas encor un coup icy ce qu'ils souhaittent [sic]. Cette musique, comme le sujet le demande, est fort triste mais c'est de la plus excellente qu'on puisse faire, et I'on n'en chante jamais d'autre aux obseques et aux services des Roys et des Princes a S. Denys.>> Y. de BROSSARD (ed.), La collection Sebastien de Brossard (1655-1730). Catalogue (Deportement de la Musique, Res. Vm8 20), Paris, Bibliotheque nationale de France, 1994, p. 87. Dans I'dition qu'il presente, le pare Martin note que <<depuis ce temps [les fundrailles d'Henri IV], la messe fut de regles aux obseques des Rois de France jusqu'a la Revolution >>.

69 Missa pro defunctis, quinque vocum Authore Eustachio Du Caurroy regiae capellae Musices, Paris, Pierre Ballard, 1636. Ces deux exemplaires se trouvent a Paris, respectivement a la Bibliotheque nationale et a la biblioth que Sainte-Genevieve.

70 <<L'annee est effacle dans mon exempl. mais comme il n'a rien fait imprimer de son vivant je crois que c'est en 1610 ou 1612>>. Y. de BROSSARD (id.), La collection Sebastien de Brossard (1655-1730). Catalogue (Deportement de la Musique, Res. Vm8 20), Paris, Biblioth que nationale de France, 1994, p. 87.

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200 Marie-Alexis COLIN

de 16337'.Toutefois 1636, date d'impression des deux exemplaires aujourd'hui connus, semble tardive pour une premiere edition, dans la mesure oO le compositeur est mort en 1609 et que les autres publications qui lui sont consacrees et qui subsistent encore

datent de 1609 (Preces ecclesiastice) et 1610 (Fantasies, Meslanges). Par ailleurs, I'assassinat d'Henri IV, le 14 mai 1610, suscite de tres nombreux hommages. Jean-Pierre Babelon considere les annees 1610-1611 comme la periode pendant laquelle s' rige le <<monument

hagiographique>> du monarque assassine72. Les temoignages de reconnaissance A son

egard ne peuvent 6tre recenses avec exactitude, tant ils sont nombreux. Lhypothese d'une publication du Requiem vers 1610-1611 n'est donc pas A rejeter Selon Guillo, cette

premiere edition aurait pu, A I'instar des trois autres messes du compositeur tre tres

vite 6puisee, et faire I'objet d'une reedition en 1636, A I'occasion de la publication de la

Missa pro defunctis d'Etienne Moulini 73. Enfin, en 1636, est egalement publide I'Harmonie universelle de Marin Mersenne. Louvrage constitue la seule source de I'anamnese <<Pie

Jesu Domine>> de ce Requiem. On peut alors se demander si le theoricien n'a pas, en forme d'hommage, contribue A la (re)publication de I'ceuvre d'un compositeur qu'il admirait beaucoup.

De toutes les publications qui subsistent aujourd'hui, seule celle qui presente le Requiem n'est pas accompagnee de pieces liminaires. Celles qui introduisent les Preces ecclesiastice, les Meslanges et les Fantasies rendent compte de I'environnement culturel dans lequel evolua Du Caurroy, au moins A la fin de sa vie.Toutefois, seuls les deux livres de motets

s'ouvrent par une d dicace signee du compositeur,

les deux autres recueils, publications

posthumes, 6tant presentes chacun par un texte d'Andre Pitart, neveu de Du Caurroy.

Le fait que Du Caurroy offre son premier livre de motets A Henri IV, le <<[...] plus

grand Roy de la terre [...]>>74 peut s'expliquer par les fonctions qu'il exerce aupres du monarque et participe de I'hommage rendu habituellement par un compositeur A son protecteur. Du Caurroy souligne que le sommeil dans lequel il a 6te plonge durant

quarante ans, et auquel il identifie I'absence de publication de ses ceuvres, 6tait eveille et

conscient, lui permettant de perfectionner son art:

71 Paris, BnF, dip. de la musique, Ris.Vm' 852bis (2). 72 Jean-Pierre BABELON, Henri IV, Paris, Fayard, 1982, p. 1002: <<[...] les annees 1610-1611 voient s'edifier

le monument hagiographique qu'aucun souverain - sinon Napoleon - n'a sans doute connu.>> Dans le

domaine litteraire, a c6te des epitaphes, plusieurs autres genres tels que les <Vies paralleles>> (sur le

module de Plutarque), les tragedies, les biographies servent les nombreux hommages rendus au roi. Voir

J. -P. BABELON, Op. Cit., pp. 1002-1003. Par ailleurs, pour avoir lu quelques descriptions de pompes funebres

de la periode, j'ai remarque que celles qui concernent Henri IV se distinguent de plusieurs autres (Charles IX, duc d'Anjou, Anne de Joyeuse ou encore Marguerite de Valois) par I'echo qu'elles donnent des ceremonies religieuses qui ont lieu dans tout le royaume. Voir notamment Paris, BnF, dcp. des manuscrits,

Dupuy 324, f. 237r-242v, specialement 238v. 73 Voir L. GUILLO, <Au Mont Parnasse... >> a paraTtre. 74 Preces ecclesiastice... Liber primus... Paris, Pierre Ballard, 1609, f. a2v.

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Eustache Du Caurroy 201

Sire, si j'ay dormi durant quanrante ans [...] ]'a este les yeux ouverts pour me resoudre de plus en plus sur les difficultez de ceste science, par la lecture des bons autheurs et pratique des antiens, outre ce que j'y ay apporte par mon estude et labeur [...] C'est donc en quoy, Sire, ce long sommeil m'a beaucoup ayde [...].

Cette dcdicace est aussi I'occasion pour Du Caurroy d'expliquer sa conception de la

musique: science des nombres, elle est susceptible de produire <<d'admirables effects, et plus grands que les histoires le scauroyent representer, laissant a part les merveilles

que les Poites nous en racontent>>71. Le texte semble egalement preparer le lecteur a des publications futures. Bien plus que d'introduire le premier livre de motets, cette dcdicace paraft en effet prefacer plus generalement les recueils qui allaient 6tre publies par la suite 76

A I'encontre de ce texte, sorte de prologue au testament musical du compositeur, la dcdicace adressee a Marguerite deValois trace les traits gendraux de I'activite intellectuelle et spirituelle suscitde par I'ancienne 6pouse du monarque (ce dernier 6tant remari ~a Marie de Medicis depuis octobre 1600) 77. En effet, Marguerite de Valois est sortie depuis 1605 de sa retraite auvergnate d'Usson 78 pour regagner la capitale du royaume d'oO elle avait 6te chassde quelque vingt ans auparavant par son frare, Henri III179. Reconcili'e avec Henri IV, elle a su recouvrer un r6le primordial au sein de la cour en dcsignant vers 1603-1604 le dauphin Louis comme son

h6ritier.80

Or, la cour d'Henri IV ne possede pas la splendeur intellectuelle et artistique qui caracterisa celle des Valois. De maniere gendrale, le monarque, loin de considerer la litterature pour elle-mime, fuit tous les textes faits de subtilitis et autres marques d'elegance. Peu enclin a

75 Preces ecclesiasticx... Liber primus... Paris, Pierre Ballard, 1609, f. a2r. 76 Voir infra. 77 Preces ecclesiastic... Liber secundus... Paris, Pierre Ballard, 1609, f. A2r et v. A plusieurs reprises - sur

la page de titre, puis au cours de la d dicace - Marguerite de Valois est qualifiee de reine de France, ce qui peut surprendre de prime abord. En fait, elle avait obtenu le droit de conserver ce titre - avec celui de duchesse de Valois - apres la dissolution de son manage en dccembre 1599. Voir Eliane VIENNOT, Marguerite de Valois. Histoire d'une femme, histoire d'un mythe, Paris, Payot, 1995, p. 18.

78 Le village est situP pres d'lIssoire. 79 Marguerite avait reside a Paris de juin 1582 a juillet 1583. Voir Eliane VIENNOT, Op. Cit., pp. 145-53. 80 E. Viennot dcmontre qu'au-dela de I'aspect materiel ce geste revet une porthe politique hautement

symbolique: <<[...] en leguant tous ses biens a la France, non seulement la reine enrichit le nouveau pouvoir, mais elle I'accredite: les possessions de la demiere des Valois iront aux premiers Bourbons, Igitimant une transition dynastique qui ne s'est pas faite sans mal et qui est encore bien fragile dans les esprits.>> D'autre part, cette decision appuie la volonte de Marguerite d'entrer en possession des biens de Catherine de Medicis apres avoir intente un proces a Charles de Valois, bAtard de Charles IX, a qui la reine mere avait Igud ses biens - notamment les terres d'Auvergne - aux detriments de Marguerite. <<Les biens particuliers de Catherine reviendront A la Couronne au lieu d'aller au bAtard d'Angoul me, un avantage considerable en termes de paix civile et de revenus; et la premiere epouse montrera avec eclat que la passation du pouvoir et des domaines a regu son aval, que son divorce ne lui a pas ete impose - donc que le mariage mediceen est Igitime, que Louis est bien I'hdritier du tr6ne de France>>. Voir Eliane

VIENNOT, Op.Cit., p. 180 et 202.

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202 Marie-Alexis COLIN

la litterature A proprement parler, il n'est veritablement attire que par les romans: il go0te vivement I'Amadis qu'il se fait lire regulierement, et apprecie egalement I'Astree d'Honore

d'Urf6. En revanche, il manifeste beaucoup d'interet pour les ouvrages de portee pratique tels que les livres scientifiques, techniques, les 6tudes mathematiques, mais surtout les

r'flexions sur I'art militaire, les fortifications ou encore I'agronomie 8'. Toutefois, ne limitant

pas sa politique de mecenat A ses go0ts personnels, Henri IV essaie d'entretenir des poetes et des intellectuels issus d'horizons diff6rents - entre autres Desportes, Rapin, Le Fevre

de La Boderie, Casaubon, Grotius, Malherbe, ou encore Bertaut. Malgre ces efforts, il ne

parvient pas A galer les cercles prestigieux que ses predecesseurs avaient su reunir et sa

cour garde la reputation d'etre rude et grossiere .

Au sein de cette cour, Marguerite tient activement son r1le de mecene, relayant notamment A plusieurs reprises le couple royal dans I'organisation de festivits 83. En digne heritiere

d'une longue dynastie qui n'a eu de cesse de favoriser les lettres et les arts, Marguerite maitrise les langues latine, espagnole et italienne, s'interesse aussi bien A I'histoire antique

qu'a la poesie et A la science; elle a participe, durant la d cennie 1570, aux activites

du salon de la comtesse de Retz, puis A celles de I'Academie du Palais (A partir de

1576) 84. A ces facultes intellectuelles s'ajoutent des dispositions musicales reconnues par ses contemporains. Si, dans sa dedicace, Du Caurroy ne fait que mentionner le penchant de

la reine envers la musique (<<[...] la Musique (A laquelle vostre Majeste a une particuliere inclination [...]>>) 85, Brant6me exprime avec plus de precisions ses capacites musicales:

[...] Elle [Marguerite] fait souvant quelques vers et stances tres-belles, qu'elle faict chanter (et mesmes

qu'elle chante, car elle a la voix belle et agreable, I'entremeslant aveq le luth qu'elle touche bien

gentiment) a de petits chantres qu'elle a [...]>>86

Les qualites intellectuelles de Marguerite attirent dans son h6tel des Augustins un vaste

cercle oO Philippe Desportes, Francois de La Roque, Claude Garnier,Theophile de Viau,

Francois Malherbe, Etienne Pasquier,

et bien d'autres eminents esprits se rencontrent. Plus

81 Voir Jean-Pierre BABELON, Henri IV, Paris, Fayard, 1982, p. 797-80 1. 82 D'apres Yates, ce sont des contemporains du monarque qui <<[...] notent [...] la rudesse et la grossi'ret'

de sa cour, comparee au style et a I'elegance d'antan>>. Voir YATES, Op. Cit., p. 379. Voir aussi Pierre de

LESTOILE (Op. cit., vol. 2), p. 426, qui, pour le mois de janvier 1609 note: <<[...] Les dcbauches et querelles ne laissent, pour cela, de continuer partout, voire et se renforcer a la Cour [...]>.

83 Pierre de CESTOILE (op. cit., vol. 2, p. 427) consigne a la date du 31 janvier 1609: <<[...] la reine fit, a

Paris, son ballet magnifique, dcs longtemps pourpense par elle et dessind [...]. Et ne fut qu'en deux

lieux, a I'Arsenal et chez la reine Marguerite, otu Leurs Majestes trouverent la collation magnifique et

somptueuse que ladite dame leur avait fait appriter [...]. Et 6tait six heures du matin, quand le roi et

la reine en sortirent [...].>> 84 Voir Simonne RATEL, <<La cour de la reine Marguerite>>, Revue du XVIe si'cle, xi (1924), pp. 1-29 et 193-207,

xii (1925), pp. 1-43; Jacqueline BOUCHER, Deux pouses et reines loa fin du XVIe sicle: Louise de Lorraine et

Morguerite de France, Saint-Etienne, Publications de I'Universite de Saint-Etienne, 1995, pp. 233-63.

85 Op. cit., f. A2r et v. 86 Voir Pierre de BOURDEILLES, Seigneur de Brant6me, Vie des Domes golantes, Leyde, Jean Sambix le jeune,

1666, ed. itienne Vaucheret, Paris, Gallimard, 1991 (<<Bibliotheque de la Pleiade>>), p. 155.

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Eustache Du Caurroy 203

que mcecne, elle participe A de nombreuses discussions et 6tablit une petite academie

qu'un laic dlvot, Antoine Le Clerc, dirige. Dans sa dedicace, marquee de quelques traits de pr6tention, Du Caurroy evoque I'accueil que la reine reserve aux <<inventeurs>> de tout ordre et la protection qu'elle leur offre:

[...] quelqu'un peut il trouver estrange si les plus rares esprits de ce siecle, dcdient leurs inventions a vostre MajestY, qu'ils recognoissent non seulement pour I'une d'icelles [graces], mais pour la Royne des

graces en laquelle reluisent avec verite toutes les perfections imaginaires des trois autres? Chascun a la foule porte en vostre Royalle maison, comme en un Temple, ce qu'il a de plus precieux, non pour vous

donner, ou pour recevoir, mais pour tirer de vous une secrette influence [...]87

II est malheureusement impossible de d6terminer dans quel cadre s'inscrit le livre de motets offert A Marguerite: a-t-elle contribu6 financierement A la publication de I'ouvrage ? Du Caurroy s'est-il trouve au service de la reine? L'expression de Du Caurroy A la fin de sa dedicace participe d'une forme de rh6torique courante dans ce genre de texte et de ce fait reste ambigue, ne permettant pas veritablement de confirmer I'affirmation de Simonne Ratel selon laquelle le reine entretenait des instrumentistes (luthistes, violonistes, joueurs d'9pinette) et des chanteurs, <<pages ou jeunes gentilshommes dont la voix 6tait celIbre A la Cour>>88. Certes, Du Caurroy n'est ni page ni jeune gentilhomme, mais il declare:

C'est [la <<secrette influence>> de la reine] qui me donne maintenant I'asseurance, Madame, de [...] tascher par le moyen de la Musique [...] de parvenir jusques au trosne de vostre Royalle grandeur pour luy devo0er mon tres-humble service [...]89

A I'image du contenu de chaque dedicace, I'abondance et la varidte des poemes liminaires du premier recueil des Preces ecclesiastic~ - deux sonnets, une ode et une epigramme latine - contrastent avec celles du second livre qui ne comportent qu'un sixain et un sonnet. Laurent de La Hyre, precepteur des pages de la Grande icurie et organiste A Saint-Germain I'Auxerrois A la fin du XVIe siecle90, offre un sonnet A chacun des deux recueils. L'Upigramme latine signee <<Jo. du Marche in supremo Senatu Parisiensi causarum patronus>> est selon toute vraisemblance I'ceuvre de Jean du Marche, avocat au parlement 9. Les initiales <<O.D.L.N.>>, la fin du sixain du second volume, renvoient probablement A Odet de La Noue, qui fut compagnon d'armes d'Henri IV, mais aussi un pokte tres actif. Malheureusement, les deux autres signataires, R. Ad. Beauvaisin et F. Dejoncheris, n'ont pu 6tre identifis 92.

87 Op. cit., f. A2r. 88 Simonne RATEL, Op. Cit., xi, p. 23. Malheureusement, I'auteur de I'article ne donne pas la source de ses

informations. 89 Op. cit., f. A2r et v. 90 DUFOURQ 1983, p. 25; Madeleine j0rgens a recense un Laurent de La Hyre dans un acte date du 8 mai

1612. Voir M. JORGENS, Documents du minutier centrol concemant I'histoire de la musique (1600-1650), Paris, 1974, vol. I, p. 777. L. de La Hyre, qui fut probablement un proche de Du Caurroy, apporte 6galement sa contribution aux pieces liminaires des Meslanges et des Fantasies.

91 M. JORGENS (Op. Cit., vol. I, p. 872) cite un acte du 8 novembre 1612 donnant I' <<Inventaire des biens de Jean du Marche, avocat au parlement [...]>. Cet acte mentionne la presence, dans la chambre du d&funt, de deux luths.

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204 Marie-Alexis COLIN

Les reflexions sur le pouvoir merveilleux de la musique, science mathematique qui

peut faire resonner les ames et le cosmos, sont les principaux instruments du concert

de louanges offert a Du Caurroy. Le compositeur,

ouvrier de la musique c6leste 93, cr'e

egalement, a I'instar de Dieu, un monde ordonne, dont L. de La Hyre considere qu'il ne

fait qu'un avec I'ceuvre du Createur:

[I...] <<II imite de Dieu et I'oeuvre, et la pratique, <<Car son oeuvre et ce tout ne sont qu'une musique, << Et le monde qu'il fait nous est un paradis>>94

Inspire de Dieu, Du Caurroy I'est aussi de grandes figures mythologiques - Orphee,

Amphion 9 _- qu'il surpasse sous la plume de F. Dejoncheris:

<<Calliope congeut d'Apollon Pythien <<Ce rare nourrigon le doux-sonnant Orphee,

[I...] <<Antiope engendra un grand Musicien [Amphion], <<Lexcellence duquel est beaucoup signalee:

[ ...] << De vous paragonner A ceux-cy ne desdaigne, <<Bien que les surpassiez, estime le plus digne, <<Puis que vostre air divin nous attire apres vous.

<< [...] >> 96

Dans deux textes, places chacun dans un recueil, il est 6galement le mediateur entre le

public et David. II sait en <<r'animer les odes>>; I'6coute des motets de Du Caurroy, le

royaume de France entend le prophete 97. Si I'auditeur se divertit au son des airs, tant a la

mode, il trouve en revanche dans les motets de Du Caurroy un remede dont les pouvoirs merveilleux agissent sur ses sens, son ame, son esprit et son corps 98. Par ailleurs, en ayant su laver les muses des <<compositions obscenes>> qui les avaient autrefois souillees 99, le

compositeur a restaure la musique sacree:

< Maudits ceux qui les neuf Soeurs, <<Abusans de leurs douceurs, << Et de leurs graces lues:

92 Deux pieces liminaires sont signees F. Dejoncheris dans les Octo cantico virginis matris de Jean de Bournonville (Paris, Pierre Ballard, 1612, f. A3). Laurent Guillo m'a signald I'existence d'un Francois de Belvezer, baron de Joncheres qui epouse en 1591 Marie, niece d'Antoine de Senneterre, eveque du Puy.

93 Cet aspect est aborde par R. ad de Beauvaisin dans la cinquieme strophe de I'ode place au debut du

premier volume. 94 Dernier tercet du sonnet que L. de La Hyre signe dans le premier livre de motets.

95 Voir le sonnet de F. Dejoncheris dans le premier recueil, et celui de L. de La Hyre dans le second.

96 F. DEJONCHERIS, extrait du sonnet. 97 Voir I'ode de R. Ad BEAUVAISIN (Liber primus) et le sonnet de L. de LA HYRE (Liber secundus). 98 L. de LA HYRE, sonnet du second volume. Dans I'edition critique des motets, p. xvii, j'ai commis A ce sujet

un contresens. Voir aussi, dans le meme recueil, le sixain d'Odet de LA NOUE.

99 Voir Jean du MARCHE' premier livre.

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Eustache Du Caurroy 205

<<A chanter les saintes lois, << Et les louanges des Rois; <<A leurs amours ont polies.

<< Du Caurroy restaurateur, <<Voire nouvel inventeur,

<< De la Musique sacree [...1100

Surtout, avec Jean du Marche, les motets de Du Caurroy s'inscrivent dans une mission

6thique. Le maitre des requites au parlement de Paris assure en effet que le compositeur, en permettant aux muses de recouvrer leur dignitY, a 6galement redonne I'Inergie A son

epoque. Les peuples, autrefois abreuves de <<poison aux suaves melodies>>, corrompus par les <<chansonnettes lascives>>, habitues au <<poeme indolent ou licencieux [...] mis en musique sur les modes languissants A la maniere ionienne>> seront comme frappes de stupeur lorsqu'ils chanteront ses motets 101. Plus encore qu'aux declarations des pares du concile de Trente qui, lors de la vingt-quatrieme session, interdisaient I'usage de chants

<< lascifs>> dans la liturgie, le texte de J. du Marche fait echo aux preoccupations d'ordre

6thique menees en France A la fin du XVIe siecle, notamment sous I' gide de I'Academie de Poesie et de Musique et de I'Academie du Palais 102

La sobridte du second recueil en regard du premier peut paraitre paradoxale dans la mesure o1 ii est adress' A une personne qui a la reputation d'6tre protectrice des lettres. S'il reste difficile d'expliquer la diff6rence quantitative entre les deux livres, on peut neanmoins

remarquer que la nature des diverses pieces liminaires et leur repartition se dessinent A I'image des dedicaces qui les precedent. J'ai deja indique que dans le premier recueil les declarations de Du Caurroy tant sur sa conception de la musique que sur ses ceuvres A paraitre constituent davantage une introduction gendrale A la mise au jour de tout son ceuvre qu'aux seuls vingt-six motets que le livre renferme. Les textes qui suivent semblent

gloser son preambule, tant dans leur forme poetique que dans leur contenu: leurs auteurs

respectifs recourent tant6t au sonnet, tant6t A I'ode, tant6t A I'apigramme latine; louant Du Caurroy, ils evoquent Dieu, le chaos, I'harmonie des spheres, ou encore les modes A I'antique. Au contraire, dans la preface au second recueil, Du Caurroy, apres s' tre qualifie d'<< esprit rare>>, s'efface pour rendre hommage A Marguerite. Et les deux textes en frangais qui succedent A la dedicace rappellent certes des aspects qu'avaient dcveloppes les poemes liminaires du premier volume, mais A la fois de fagon plus ramassee et plus concise.

C'est A deux autres personnages de la cour que sont dedids les Meslanges et les Fantasies. Andre Pitart adresse le recueil de chansons A Henri, duc de Bouillon et vicomte de

100 R. Ad. Beauvaisin. 10 I Voir Jean du MARCHE, premier livre. 102 Voir F. A. YATES, Les academies en France ou XVIe si/cle, Paris, PUF, 1996, pp. 124-75.

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206 Marie-Alexis COLIN

Turenne. Converti au protestantisme en 1575 10', le duc Henri s' tait rallie a Henri de Navarre, avant de fomenter plusieurs conspirations contre ce dernier. En 1610, quatre ans apres s' tre finalement soumis au roi, le duc exerce les fonctions de <<Mareschal

de France, conseiller du Roy en ses Conseils d'Estat et Priv6, et premier gentilhomme de la chambre de sa Majest?>> 104. Louis Servin, conseiller du roi et avocat general, est

le dcdicataire des quarante-deux pieces instrumentales. La dcdicace signee par Pitart

n'est suivie que d'un texte, une longue el1gie adressee par La Hyre a la memoire du

compositeur 0os. Au contraire, dans les Meslanges, trois sonnets et deux sixains succedent

au texte introductif de Pitart. La Hyre y est I'auteur du premier sonnet et du premier sixain. Les deux autres sonnets ne sont accompagnes que des initiales de leurs auteurs

(respectivement <<O.D.>> et <<P H.>>), ce qui rend leur identification difficile. Selon Laurent

Guillo, <<P H.>> d signent Pierre Hodey, auteur de poemes qui ont ete essentiellement

diffuses dans des recueils collectifs imprimes au XVIIe siecle 106. En revanche, la mention

<<C. Guillet. F.>> renvoie tres probablement a <<Charles Guillet Flamand>>, auteur, comme

Du Caurroy, de pieces instrumentales.

En marge des hommages qu'elles rendent a la memoire de Du Caurroy, les pieces liminaires

de ces deux recueils reprennent essentiellement le discours sur le pouvoir merveilleux de

la musique tel qu'il avait te &v"oquc dans le premier volume de motets. Ainsi par exemple,

dans la preface aux fantaisies, le neveu de Du Caurroy assure le dcdicataire, Louis Servin,

de I'effet que les pieces instrumentales produiront sur son ame:

Que les scavans Medecins ont fait comparaison de I'eucrasie (qui est la bonne temperature) estendue

par une largeur ample a la consonance de la Lyre tantost accord~e par un maistre et ores plus exactement par un autre:Vous prendrez s'il vous plaist ces Fantasies bien meslees [...] Et lors que les

entendrez jouer, y remarquant la semblance des deux arteres qui envoyeront I'esprit par un tuyau, et

luy feront voye par la bouche, je m'asseure qu'en aymerez I'artifice, et I'ouvrier, vous y contemplant vous mesmes en ame resonante.[...] Ainsi on les pourra nommer vraies Fantasies, non d'un fantasque ou bizarre Musicien, mais d'un esprit vif, qui n'ayant que le ciel et la saincte image de verite pour

objet, fera sonner par tout soubs les figures de ces notes, les veritables qualitez de vostre prompt entendement [...] 107

Organises par genres, les recueils imprimes par Pierre Ballard refletent diff~rents aspects

de la production du compositeur Dans le meme temps, loin de constituer la totalite

103 Arlette JOUANNA, la France du XVIe siecle 1483-1598, Paris, PUF, 1996, p. 327. 104 Meslanges de la Musique de Eust. Du Caurroy, Me de la Musique de la Chappelle du Roy, Paris, Pierre

Ballard, 1610, f. A2. 105 Le texte comprend vingt vers. 106 Voir Laurent GUILLO, <<Au Mont Pamasse>> a paraitre. Trois poemes de Hodey ouvrent Tyr et Sidon

de Jean de Schelandre (Paris, Jean Micart, 1608) et vingt-cinq textes poetiques sont imprim's dans le Second livre des Delices de la poesie franpoise ou Nouveau recueil des plus beaux vers de ce temps

(Paris, Toussainct Du Bray, 1620). Voir Fiches Picot n' 331 et 332 et Frederic LACHE'VRE, Bibliographie des recueils collectifs de podsies publids de 1597

' 1700, Paris, 1902-1904, vol. I, pp. 206-8 et II, p. 304.

107 Fantasies a III. IV. V. et VI. parties par Eustache du Caurroy, Maistre de Musique de la chapelle du Roy, Paris, Pierre Ballard, 1610, fol. A2 v. La dcdicace est reproduite dans Eustache Du Caurroy, Fantaisies b 3, 4, 5

et 6 voix, ed. Blaise PIDoux, Brooklyn, 1975, pp. 38-40.

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Eustache Du Caurroy 207

de son ceuvre, ils en offrent plut6t une selection. Si I'existence de messes et de pieces instrumentales supplementaires ne peut, faute de documents, 6tre averse, on observe en revanche que le motet A cinq voix Tribularer si nescirem, qui lui permit de remporter I'orgue d'argent au puy d'Evreux de 1576, ne figure pas dans les Preces ecclesiastice. De la meme maniere, les trois chansons que publient Le Roy et Ballard ne sont pas presentees dans les Meslanges. La selection effectuee par Du Caurroy lors de la preparation de la publication de son ceuvre est egalement suggerde par I'organisation des pieces A I'interieur des recueils. Lagencement des Meslanges, des Fantasies, comme celui des Preces

ecclesiastic'e a sans aucun doute ete realise sur la base d'un choix precis.

Si, dans le premier livre de motets, la presentation des pieces d'apres leur effectif vocal annonce I'organisation quasi-systematique des Meslanges et des Fantasies, elle apparait de fagon moins evidente dans le recueil adresse a Marguerite. Le tableau I montre que, de maniere globale, les pieces du premier livre sont presentees d'apres un effectif vocal croissant avec, d'abord, des motets essentiellement A quatre voix (nos I A 6); ensuite, mis A part les trois pieces A double chaeur (de quatre et cinq voix) et la derniere section A sept voix du premier Virgo Dei genitrix (no 17), les motets 7 A 18 sont composes majoritairement A cinq voix; enfin, la derniere partie du recueil (pieces nos 19 A 26) est moins homogene sur ce point, meme si, dans la moitie des cas, elle presente des motets A six voix.

Dans le second livre, I'effectif vocal ne semble pas avoir constitue le param&tre le plus determinant lors de son organisation (tableau 2). En revanche, on peut observer que les

pieces qui presentent certaines particularites ont 6te placees en fin de recueil: il s'agit des motets A double-chaeur (nos 24 et 26), de I'imposante version A sept voix du Cantique de Zacharie (no 25) 18, de la longue piece A refrain Gloria, laus, et honor (no 21)109 et surtout de toutes les pieces vraisemblablement destinies A 'tre chanties en alternance avec le plain-chant (no 17 A 20) 110.

Quel que soit le livre, les regroupements par types de modes ne sont pas systematiques: (tableaux 3 et 4).

108 Avec 210 mesures de braves, Benedictus Dominus Deus constitue la plus longue piece du recueil. 109 Sa forme a refrain en fait la deuxieme piece la plus longue du recueil apres Benedictus Dominus Deus. I I0 Veni creator spiritus, les deux Te Deum et Qui paracletus diceris.

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208 Marie-Alexis COLIN

Tableau I : E. DU CAURROY, Preces ecclesiasticTe...Liber primus (Paris, Pierre Ballard, 1609)

Incipit Effectif Texte Remarques vocal

I Ps. I 18i: 1 6/1 6 oraison jaculatoire tous les

Beati immaculati 4 II 8i: 1-4 jours a prime 2p: Utinam dirigantur 4 II 8i: 5-8

3p: In quo corrigit 4 118i: 9-12 ult p:In labiis meis 5 I 18i: 13-16

2. Ps. 1 1 3: 27/27 + doxologie dimanche a vepres In exitu Israel 4 I 13: 1-6

2p: A facie Domini 4 I 13: 7- II 3p: Simulchra gentium 4 I 13: 12-15 4p: Similes illis 3 1 13:16-19

5p: Dominus memor 5 II 3: 20-24 ult. p: Coelum coeli 5 1 13: 25-27

3. Quem dicunt homines 4 Mt. 16: 13, 16, 18 fate de st Pierre et st Paul, dcdicace d'une eglise

4. Ave Maria... per secula 4 sequence "Hac clara dies", ver- Marie, deuxiemes vepres de set 6 la Nativite

5. Ave Maria... benedicta tu 4 hymne Marie

6. Favus distillans labia 4 d'apres Cant. 4: I I, Antienne Cecile

2p: 0 tu, quae 4 mariale amenagee. 2p: ?

7. Ave virgo gloriosa 5 centons hymnes Marie

2p: 0 genitrix gloriosa 5

8. Ps. 90: 1 6/I 6 confiance en Dieu ; tous

Qui habitat in adjutorio 5 90: I -7 les jours a complies 2p: Veruntatem oculis 5 90: 8- II 3p: In manibus portabunt 3 90: 12 ult.p: Quoniam in me 6 90: 14-16

9. Veni sancte Spiritus 4-5 sequence Pentec6te 10. Mane prima sabbati 4-3 sequence Paques

I I. Mittit ad virginem 2 chaeurs sequence Annonciation

(5 et 4) 12. Sanctorum soboles 5 M.A. Muret, hymne Jean-Baptiste

2p:O cui voce 5

13. Inviolata integra 2 chaeurs sequence Marie

(4 et 5) 14. Salve Regina 2 chaeurs antienne Marie

(4 et 5) 15. Christus vincit 5 acclamation carolingienne gloire du roi

2p: Rex regum 5

16. Ave man's stella 5 hymne, strophe I Marie

17. Virgo Dei genitrix 3-7 hymne Marie ;Assomption

18. Virgo Dei genitrix 5 hymne Marie Assomption 19. Solve o pulcherrima 6 centons d'hymnes Marie

2p: 0 sanctissima virginum 6

20. Ps. 4: 10/10 + doxologie tous les jours a complies Cum invocarem 6 4: I-5

2p: Sacrificate sacrificium 4 4: 6-7 ult. p: A fructu frumenti 6 4: 8-10

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Eustache Du Caurroy 209

Tableau I (suite)

21. Ps. II 8vi: 85-90 oraison jaculatoire Narraverunt mihi 5 1 18vi: 85-87

2p: Secundum misericordiam 5 1 18vi: 88-90 tuam

22. Christe qui lux es 4 hymne premier dimanche de Cartme,

2p: Ne gravis 3 a complies ult. p: Memento nostri 6

23. Protector in te sperantium 3 priere priere apres une benediction 24. In monte oliveti 5 d'apres Mt. 26: 30, 39, 41, 42 dimanche des Rameaux, a

Tierce; Jeudi saint -- Careme 25. Do pacem Domine 6 antienne paix 26. Te aeternum patrem [Te Deum] 6, 5, 4 hymne, versets pairs actions de grace; fin des

matines

Tableau 2: E. DU CAURROY, Preces ecclesiasticce... Liber secundus (Paris, Pierre Ballard, 1609)

Incipit Effectif Texte Remarques vocal

Mt. 6: 9-13 priere (devotion publique et Pater noster 6 6: 9-10 privee) 2p: Panem nostrum 6 6: 11-13

2. Ave Maria... tua gratia 5 centon d'hymnes Marie 3. Ave Maria... virgo serena 4 sequence + hymne Annonciation -Marie 4. Ps. II 8i: 4/16 oraison jaculatoire

Beati immaculati 4 1 18i: 1-2 2p: Non enim 4 118i: 3-4

5. Qui habitat in adjutorio 6 Ps. 90: 1-6;6/16 6. Ps. I 18ii: 28-29 oraison jaculatoire

Dormitavit 4 11 8ii: 28 2p:Viam iniquitatis 4 1 18ii: 29

7. antiennes I et 5 saint Martin Dixerunt discipuli 5 antienne I vepres 2p: Martinus Abrahae 5 antienne 5

8. Corporis ex medico 6 hymne nouvellement saint Luc 2p: Corporibus quondam 4 composee? 3p: Christi scriba 6

9. Anima mea 6 d'apris Cant. 5: 6-8 meditation sur la Passion 10. O crux ave spes unica 5 hymne Vexilla regis, Passion; Vendredi saint,

strophes 6-7 vepres I I. Misericordias Domini 5 Ps. 88j: I louange au pardon de Dieu

12. Benedicamus Domino 4 ? actions de grace; fin des heu- res canoniales; jours de fate et de je0ne: fin de la messe

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210 Marie-Alexis COLIN

Tableau 2 (suite)

13. hymne: 7 strophes /12 Paques Alleluya, alleluya, o filii 6 strophes I-3, 5

2p:Vide Thoma 6 strophes 8, 10- I I 14. O diva quae dulces 4 ? Cecile

2p: Illic concilia 4

15. Domine Jesu Christe 5 antienne Cecile 2p:Virgo gloriosa 5

16. Dum ipsa fleret 4 Cecile

2p: Et extensis 4 ?

17. Veni creator spiritus 3-6 hymne Pentec8te strophes impaires

18. Te aeternum patrem 4 hymne strophes impaires actions de grace ;fin des

[Te Deum] matines

19. Te aeternum patrem 4 hymne; strophes impaires actions de grace; fin des

[Te Deum] matines

20. Qui paracletus diceris 5-6 hymne "Veni creator spiritus": Pentec8te strophes impaires

21. Gloria, laus, et honor 5 et 3 hymne Rameaux, procession strophes 1-3

22. Ave salus mundi 4 hymne Salutation, Elevation 23. O beate Dionysi 5 suffrage ;antienne St Denis

24. Victimae Paschali laudes 2 chceurs sequence Paques (3 et 4)

25. Benedictus Dominus Deus 7 Luc I : 68-79 + doxologie a laudes Cantique de Zacharie

26. Vox Domini 2 chceurs Ps. 28: 3-10; 7/10 puissance de Dieu

(4 et 4) 27. Te aeternum patrem 5 et 3 hymne actions de grice ;fin des

[Te Deum] strophes impaires matines

Tableau 3: E. DU CAURROY, Preces ecclesiostic... Liber primus (Paris, Pierre Ballard, 1609)

Incipit Effectif Nombre clef armure finale mode Remarques vocal de tactus

I. Beati immoculati 4 269 sol2 RE re sur sol

2p: Utinam dirigantur 4 sol2 SOL

3p: In quo corrigit 4 sol2 RE ult p: In labiis meis 5 sol2 SOL

2. In exitu Isra&l 4 266 sol2 - LA la

2p:A facie Domini 4 sol2 - LA

3p: Simulchra gentium 4 sol2 - LA

4p: Similes illis 3 sol2 - LA

5p: Dominus memor 5 sol2 - LA ult. p: Coelum coeli 5 sol2 - LA

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Eustache Du Caurroy 211

Tableau 3 (suite)

3. Quem dicunt homines 4 69 ut I - DO do 4. Ave Maria... per secula 4 45 sol2 b LA la sur re 5. Ave Maria... benedicto tu 4 75 sol2 9 SOL re sur sol 6. Favus distillons labia 4 157 sol2 9 SOL fa sur do

2p: O tu, quae 4 sol2 b DO 7. Ave virgo gloriosa 5 131 sol2 b SOL re sur sol

2p: O genitrix gloriosa 5 sol2 SOL 8. Qui habitat in adjutorio 5 214 sol2 R RI la sur re

2p: Veruntomen oculis 5 sol2 RE 3p: In manibus portabunt 3 sol2 RE ult.p: Quoniam in me 6 sol2 RE

9. Veni sancte Spiritus 4-5 190 sol2 b SOL re sur sol 10. Mane prima sobboti 4-3 1 19 ut l RE la sur re I I. Mittit ad virginem 2 chceurs 236 utI I / - FA fa armure

(5 et 4) partielle 12. Sanctorum soboles 5 88 sol2 - DO do

2p:O cui voce 5 sol2 - DO

13. Inviolata integra 2 chceurs 114 ut I FA fa (4 et 5)

14. Salve Regina 2 chceurs 70 sol2 b SOL re sur sol (4 et 5)

15. Christus vincit 5 137 ut I - RE re 2p: Rex regum 5 ut I - RE

16. Ave maris stella 5 37 sol2 / - SOL sol / re armure sur sol partielle

17. Virgo Dei genitrix 3-7 75 ut I - RE re

18. Virgo Dei genitrix 5 81 sol2 b DO fa sur do

19. Salve o pulcherrima 6 178 ut I SOL re sur sol 2p: 0 sanctissima virginum 6 ut l SOL

20. Cum invocarem 6 164 sol2 I FA fa 2p: Saccrificate sacriflcium 4 sol2 I FA ult. p: A fructu frumenti 6 sol2 I FA

21. Narraverunt mihi 5 101 sol2 I DO fa sur do 2p: Secundum misericordiam 5 sol2 DO tuam

22. Christe qui lux es 4 90 ut2 - RE r6 2p:Ne gravis 3 ut3 - RE ult. p: Memento nostri 6 ut2 - RE

23. Protector in te sperantium 3 69 sol2 - DO do 24. In monte oliveti 5 88 ut I - FA fa 25. Do pacem Domine 6 74 sol2 I SOL re sur sol 26. Te aeternum patrem [Te Deum] 6, 5, 4 205 sol2 R RI la sur re

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212 Marie-Alexis COLIN

Tableau 4: E. DU CAURROY, Preces ecclesiasticae...

Liber secundus (Paris, Pierre Ballard, 1609)

Incipit Effectif Nombre clef armure finale mode Remarques vocal de tactus

I. Pater noster 6 III ut I FA la sur re 2p: Panem nostrum 6 ut I RE

2. Ave Maria... tua gratia 5 77 sol2 b LA mi sur la 3. Ave Maria... virgo serena 4 80 utl - DO do 4. Beati immaculati 4 92 utl - SOL mi

2p: Non enim 4 utl - MI 5. Qui habitat in adjutorio 6 87 sol2 R R I la sur re 6. Dormitavit 4 25 utl - MI mi

2p:Viam iniquitatis 4 utl - MI 7. Dixerunt discipuli 5 127 sol2 - SOL sol

2p: Martinus Abrahae 5 sol2 - SOL 8. Corporis ex medico 6 96 utl - RE re

2p: Corporibus quondam 4 utl - RE 3p: Christi scriba 6 ut I - RE

9. Anima mea 6 84 sol2 - SOL sol

10. O crux ave spes unica 5 166 sol2 - LA la I I. Misericordias Domini 5 88 sol2 - SOL sol 12. Benedicamus Domino 4 65 sol2 b DO fa sur do

13. Alleluya, alleluya, o filii 6 242 sol2 - RE re 2p:Vide Thoma 6 sol2 RE

14. O diva quae dulces 4 242 sol2 - RE sol 2p: Illic concilia 4 sol2 SOL

15. Domine Jesu Christe 5 110 sol2 - RE sol 2p:Virgo gloriosa 5 sol2 - SOL

16. Dum ipsa fleret 4 108 sol2 - MI la 2p: Et extensis 4 sol2 - LA

17. Veni creator spiritus 3-6 130 sol2 - RE re

18. Te aeternum patrem 4 140 utl - MI mi [Te Deum]

19. Te aeternum patrem 4 145 utI - MI mi [Te Deum]

20. Qui paracletus diceris 5-6 94 ut I - SOL sol 21. Gloria, laus, et honor 5 et 3 241 ut I - RE re

22. Ave salus mundi 4 17 sol2 , DO fa sur do

23. O beate Dionysi 5 113 sol2 I SOL re sur sol 24. Victimae Paschali laudes 2 chceurs 102 sol2 b SOL rf sur sol

(3 et 4) 25. Benedictus Dominus Deus 7 210 sol2 - FA fa

26. Vox Domini 2 chceurs 116 sol2 - RE re (4 et 4)

27. Te aeternum patrem 5 et 3 142 utl - LA la [Te Deum]

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Eustache Du Caurroy 213

Malgre une organisation gendrale qui diffire, les deux recueils presentent des points communs qui viennent s'ajouter a ceux qui ont dej' 6t6 suggres '". Comme le montrent les tableaux I et 2, le nombre de pieces, tout d'abord, est presque le meme d'un recueil a I'autre: vingt-six dans le premier, vingt-sept dans le second. Certains textes de meme nature sont mis en musique avec la meme frdquence dans I'un et I'autre livre.Ainsi, chaque recueil comprend cinq psaumes et dix hymnes, et le nombre d'antiennes est quasiment le meme (deux dans le premier livre, trois dans le second). Les memes textes apparaissent parfois dans les deux recueils: tel est le cas du psaume 90 Qui hobitat in adjutorio et de la premiere section du psaume 118 Beati immaculati, meme si le second volume ne donne pas, contrairement au premier, I'integralite de leurs textes respectifs. L'hymne Te Deum figure egalement dans les deux recueils. C'est ce texte, utilise une seule fois dans le

premier recueil alors qu'il concerne trois pieces du second livre, qui cl6t chacun d'eux.

II arrive parfois qu'a I'interieur de chaque livre des regroupements soient effectuds d'apres les genres litteraires ou les thematiques, ces paramitres se combinant parfois.

Tableau 5: Association par type de texte

Position des pieces

type de texte Liber primus: Liber secundus:

Psaume 1-2; 20-21 4-6

Hymne 4-5; 16-19 17-22

Sequence 9-I I

Tableau 6: Association par th matique commune

Position des pieces

thematique Liber prinmus: Liber secundus:

Marie 4-7; 13-14; 16-19 2-3 Cecile - 14-16

Ainsi, certains psaumes apparaissent successivement dans chaque recueil: il s'agit des pre- miere, deuxieme, vingtieme et vingt-et-unieme pieces du premier livre 112, des quatrieme, cinquieme et sixieme motets du second livre 113. De la m me maniere, de nombreuses hymnes se succedent souvent. Dans le premier recueil, elles apparaissent en quatrieme, cinquieme, seizieme, dix-septieme, dix-huitieme et dix-neuvieme positions, et elles con- cernent les pieces 17 a 22 du volume dedid a Marguerite. Les pieces 9 a II du premier livre ne concernent par ailleurs que des sequences. A un meme genre litteraire s'ajoute

I I I A savoir I'intitul, commun aux deux recueils, et I'identit (<<de rang>> de chaque dedicataire. 112 Respectivement Beati immaculati (Ps. 118i), In exitu Isroal (Ps. 113), Cum invocarem (Ps. 4) et Narraverunt

mihi (Ps. II 8vi). 113 Beati immaculati, Qui habitat in adjutorio (Ps. 90) et Dormitavit (Ps. II 8ii).

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214 Marie-Alexis COLIN

parfois un texte identique.Tel est le cas des deux hymnes Virgo Dei genitrix qui se suivent

dans le premier volume (nos 17 et 18). Dans le second livre, il semblerait qu'un certain effet de sym6trie ait 6te recherche dans I'agencement des pieces 17 a 21. En effet, les deux Te Deum (nos 18-19) sont encadres par I'hymne de la Pentec6te Veni creator (nos 17 et

20), d'abord dans la mise en musique de ses strophes impaires (n' 17), puis dans celle de ses strophes paires (n' 20) "114. Des pieces partageant la meme thematique ont par ailleurs

6te reunies: Marie est evoquee dans les pieces 4-5, 13-14, 16 a 19 du premier recueil, et

elle concerne les deuxieme et troisieme motets du second livre. Dans ce dernier Cecile constitue le theme central des pieces 14 a 16, et deux textes concernant la Passion se

succedent (nos 9 et 10).

Meme s'il convient de rester prudent, quelques remarques peuvent toutefois tre appor- tees concernant les rapports entre les textes utilises dans chaque recueil et I'annde

liturgique "s. Dans le premier recueil, les fates de I'Annonciation, de Noel, de Paques et

de la Pentec6te se trouvent representees au moins une fois, et I'Assomption fait I'objet de deux motets "6. Deux textes font ref6rence a la periode du Careme: le

premier, Christe qui lux es accompagne les complies du premier dimanche de Careme; le second,

In monte oliveti, utilise le dimanche des Rameaux puis le jeudi saint, s'inscrit dans le

temps de la Passion. Le volume adresse a Marguerite comporte egalement un texte

pour I'Annonciation 117. En revanche, il semblerait que Noel et I'Assomption ne soient pas

representees et que Paques et la Pentec6te soient evoquees a deux reprises chacune "8 Trois motets au moins doivent etre mis en relation avec le temps de Careme, mais,

contrairement aux textes du premier livre, ils concernent tous le moment de la Passion 119.

Par ailleurs, la position de ces pieces, toute fate confondue, est plus ou moins la meme d'un recueil a I'autre, les motets 6tant le plus souvent places soit au milieu du volume,

soit vers son dernier tiers:

Tableau 7: Position des pieces en relation avec les f6tes liturgiques.

position de la piece Liber primus Liber secundus dans le recueil

9 Veni sancte Spiritus Pentec6te Animea mea Passion

10 Mane primo sabboti Paques 0 crux ave spes unica Passion

17 Virgo Dei genitrix Assomption Veni Creator spiritus Pentec6te 24 In monte oliveti Passion Victime Pascholi laudes Paques

114 Qui paracletus diceris. 115 Je ne pretends pas avoir 6te exhaustive concemant les rapports entre certains textes - notamment ceux

dont I'identification a 6td difficile, restant m me parfois sans resultat - et la liturgie. Je ne livrerai donc ici que les conclusions concemant les textes dont les rapports avec les f6tes liturgiques ont pu 6tre v'rifies.

I 16 Liber primus, pieces nos I , 4, 10 et 9 ; 17 et 18. 117 Ave Maria... virgo serena.

I 18 Pour la Pentec6te, il s'agit des pieces Veni creator et Qui paracletus diceris; pour Paques de Alleluya, alleluya, o filii et Victimae paschali laudes.

119 11 s'agit de Anima mea, 0 crux ave spes unica, et Gloria, laus, et honor.

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Eustache Du Caurroy 215

Malgr6 tous les points communs qui viennent d'&tre pr6sent6s, de nombreuses diff6- rences apparaissent d'un livre a I'autre. Ainsi, le nombre de s6quences: quatre dans le

premier recueil, deux seulement dans le second. L'importance accordee a certains th6mes divergent 6galement. Dans le premier livre, dix motets concernent la Vierge Marie 20

alors que trois seulement sont consacres a d'autres saints12'. Au contraire, la tendance s'inverse dans le recueil adresse a Marguerite avec une hymne et une sequence mariales

pour six pieces en I'honneur de sainte Cecile (0 diva quae dulces, Domine jesu Christe, Dum ipso fleret), de saint Martin (Dixerunt discipuli), de saint Luc (Corporis ex medico) et de saint Denis (O beate Dionysi).

Les dissemblances observ6es entre les deux recueils pourraient s'expliquer par la person-

nalit6 m me des d6dicataires. Pourtant, I'accent a dej' etd port6 sur le caractere particulier des pi6ces contenues dans ces deux livres: seuls t6moins de la composition de motets par Du Caurroy, elles sont publiees, semble-t-il, pour la premiere fois, alors que leur compositeur, dej ag6e, accomplit son service aupres de la couronne depuis quelque quarante ans'22 Labsence de publications anterieures de ces pieces comme la difficult6 a les mettre en relation avec des circonstances pr6cises n'en facilitent pas la datation. Les indices restent en effet malheureusement trop faibles pour offrir de solides hypoth6ses concernant le contexte de leur composition. Ainsi, la pi6ce Christus vincit qui s'adresse a <<Henri

s6renissime? a peut-&tre 6t6 chantde lors du sacre d'Henri IV, en f6vrier 1594, mais a

pu tout aussi bien ktre compos6e a I'intention de son pr6d6cesseur, Henri III. Le texte Sanctorum soboles, hymne de Marc-Antoine Muret, a probablement 6t6 mis en musique apres 1576, date de la publication parisienne du recueil litteraire 23, mais le moment et les circonstances pr6cises de la composition de la piece nous echappent: ainsi, on peut se demander si cette pi6ce ne doit pas ktre mise en relation avec Marie de M6dicis, originaire de Florence, ville dont le saint patron, Jean-Baptiste, est evoquc dans le texte.

De fagon plus g6ndrale, il est a ce jour impossible de savoir si les cinquante-trois motets rassembl6s dans ces deux volumes ont 6t6 exclusivement compos6s pour leurs

d6dicataires. Les fonctions de Du Caurroy aupres d'Henri IV sont ave6res. En revanche, la position de Du Caurroy aupres de Marguerite reste a ce jour a d6montrer; et une

6ventuelle fonction du compositeur aupris de la derniere desValois, aurait probablement 6te indiqude dans le second volume, ne serait-ce que sur la page de titre. En outre, dans I'hypothise o~ les motets du second volume se seraient expressement adress6s a

120 11 s'agit des pieces nos 4, 5, 7, II, 13, 14, 16, 17, 18, 19. 121 Pieces nos 3, 6 et 12. 122 Comme cela a

6t6 precedemment indiqud, A I'instar de la plupart des autres ceuvres de Du Caurroy, les motets des Preces n'ont pas fait I'objet d'6ditions ant6rieures.

123 M. Antonii Mureti I. C. et civis R. Hymnorum sacrorum liber, jussu serenissimi Gulielmi Ducis Mantuae, etc. conscriptus. Ejusdem alia quaedam Poemata, Paris, Mammert Patisson, 1576.

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216 Marie-Alexis COLIN

Marguerite de Valois, ils ne pourraient avoir ete composes qu'a partir de 1605, moment du retour de cette derniere a Paris. Les circonstances de composition de certaines chansons des Meslanges montrent par ailleurs qu'elles sont bien anterieures aux premieres publications de I'ceuvre entier du compositeur'24, et I'explication donnee par ce dernier concernant la parution tardive de son travail tend a suggerer que de nombreux motets ont ete remis plusieurs fois sur le m6tier avant d'etre proposes a I'appreciation du public. Dans cette perspective, certaines pieces que renferment les Preces ecclesiastica ont ete

composees bien avant I'avenement d'Henri IV au tr6ne de France et I'installation de

Marguerite de Valois dans la capitale.

Les fonctions de Du Caurroy aupres d'Henri IV justifient probablement le fait que le

premier recueil de motets renferme des pieces telles que Do pacem Domine, Te Deum,

que les souverains faisaient chanter, notamment a I'occasion d'une victoire militaire - ou

Christus vincit, Christus regnat, qui c6l6brait le plus souvent le sacre d'un monarque 25. Par

ailleurs, I'expression du sentiment religieux d'Henri IV diff6rait de celui de Marguerite.

Apres son sacre, le roi fit, pour le domaine religieux, une distinction entre politique et

dogme 126. D'un point de vue politique, Henri IV rencontra I'opposition parlementaire qui n'etait pas favorable a la reception des d6crets du concile de Trente '27; dans le meme

temps, il 6tait soumis a I'influence du courant dcvot qui allait trouver en Marie de Medicis

une oreille attentive "28. Le monarque manifestait sa volonte de maintenir I'Iquilibre avec

la religion protestante, dans le but d' tablir une paix interieure durable; parallelement, il restait fidele aux autres communautes europeennes d'obedience protestante (telles

que I'Angleterre,) avec lesquelles il luttait contre I'Espagne. La farouche indcpendance manifest'e e I'6gard de Rome et de I'Espagne s'illustrait notamment par sa politique pro- testante 29, I'application de I'idit de Nantes (signe en mai 1598), et son refus d'introduire

I'Inquisition. En revanche, mais toujours pour des raisons politiques, il est favorable au

retour des jesuites en France 30: reconnaissant en eux les <<maTtres incontestes de la

124 Bien evidemment, les pieces contenues dans les Meslanges ont 6td composees avant 1610, date de leur publication... posthume. Mais les 6venements (victoire militaire, mariage d'Henri IV) que celebrent certaines d'entre elles, leur premiere publication dans des anthologies ou encore leur mention dans les registres du puy de musique d'Evreux permettent parfois de proposer des dates de composition. Voir infra.

125 Le motet homonyme de Gascongne aurait 6te compos6 pour le couronnement de Francois ler en 1515. 126 VoirJ. P. BABELON, Op. cit., pp. 692-99.

127 Victor MARTIN, Le gallicanisme et la reforme catholique; Essai historique sur I'introduction en France des decrets du concile de Trente, Paris, Picard, 1919.

128 Michel CARMONA, Marie de Medicis, Paris, Fayard, 1981, pp. 118-19, 125-26. 129 Non seulement il gouvernait un pays compos6 d'une forte majoritf de reformrs, mais il 6tait entoure de

nombreux protestants, notamment dans I'exercice du pouvoir. L'un d'entre eux, Maximilien de B thune, duc de Sully, a un r61e clef dans I'administration du royaume.

130 Les Jesuites avaient 6td exclus du royaume a la suite de la tentative d'assassinat d'Henri IV par Jean Chatel (en decembre 1594).

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Eustache Du Caurroy 217

spiritualit' et de la pedagogie>>'3', ii compte sur leurs actions pour restaurer I'Universit6 et I' glise, tres affaiblies par un demi-siecle de guerres civiles. Parvenu a faire ceder le Parlement de Paris qui s'oppose a sa decision, il permet sous certaines conditions la r'int'gration des membres de la Compagnie de Jesus '32. Et c'est un jesuite, le pare Coton, devenu le confesseur du roi en 1603 - I'annee mime du retour de la Compagnie en France - qui 6tablit des liens entre la cour et les cercles d vots, favorisant notamment les entreprises de Pierre de Berulle aupres du rol '33. Par ailleurs, le roi apporte son soutien a de nombreux autres ordres religieux - recollets, minimes, capucins, feuillants, benedictins - et accepte que de nouveaux ordres aux tendances mystiques s' tablissent a I'instigation d'anciens ligueurs 34

S'il refusait de s'assujettir politiquement a Rome, Henri IV manifestait en revanche sa fidclite dogmatique a I' gard de la religion catholique et 6tait soucieux d'en pratiquer le rite comme d'en suivre la doctrine. C'est pourquoi il apprecie les controverses - dont la plus fameuse opposa en 1600 le protestant Philippe Duplessis-Mornay, un fidcle de la

premiere heure, a I'aum6nier du roi, Jacques Davy Du Perron,35

- et ne recule pas devant les longues ceremonies, particulierement celles de la semaine sainte 36. S'il voue un culte

particulier au Saint-Sacrement, il refuse categoriquement, meme apres son absolution, celui des saints "7. D'oO probablement le nombre reduit de motets qui leur sont consacres dans le premier livre des Preces. En outre, si la piece Favus distillans 38 loue les vertus de Cecile, patronne des musiciens, Quem dicunt homines 39, en I'honneur de Pierre, premier eveque de la chretient', rend peut-6tre hommage au pape Clement VIII lui-mime, qui

131 J. P. BABELON, op. cit., p. 697. 132 Des 160 1, le roi impose ses conditions pour un retour en France des Jesuites: les membres, qui doivent

etre frangais, auront chaque annie I'obligation de preter serment au roi et ne devront pas troubler I'ordre politique. Finalement, les Jesuites ne devront priter serment au monarque qu'A leur arrivee en France. Voir J. P. BABELON, Op. Cit, p. 698.

133 Avant meme de presenter au roi les Discours de controverse de B6rulle (1609) et d'assister a la premiere reunion des pritres de I'Oratoire (1611), Pierre Coton a effectue de nombreuses demarches afin d'introduire B6rulle A la cour. Voir Jean DAGENS, B4rulle et les origines de la restaurotion catholique (1575-1611), s. I., Descle de Brower et Cie, 1952, pp. 178-79.

134 Parmi ces nouveaux ordres figurent les carmnlites qui s'installent a Paris en 1604 grace A Pierre de B6rulle et a Madame Acarie. VoirJ. P. BABELON, Op. cit., pp. 703-704 et Jean DAGENS, Op. Cit., p. 175.

135 Selon Jean Dagens, plus que son abjuration, cette controverse, connue sous le nom de <<conference de Fontainebleau >>, marque le debut de la politique catholique du monarque. Voir J. DAGENS, op. Cit., p. 171 (d'apres le President Jeannin, A Ia mfmoire perpetuelle d'Henri quatri'me sumomme le Grand, Bruxelles, Biblioth6que Royale, Bibliotheque de Bourgogne, ms. 10739, fol. 4-13).

136 VoirJ. P. BABELON, Op. cit., pp. 692-93. 137 En 1599, Henri IV a meme essaye, en vain, de reduire le nombre de f6tes de saints qui paralysaient

I'activite agricole. Ibid., p. 694. 138 Piece n' 6. 139 Piece n' 3. L'hypoth6se que j'avance ici ne concerne que les raisons pour lesquelles cette pi6ce se

trouve dans le livre adresse A Henri IV, et ne pr6tend pas donner une indication precise sur les motifs de sa composition, ce texte ayant 6te mis en musique de tres nombreuses fois a la suite de la version de Jean Richafort.

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218 Marie-Alexis COLIN

entretenait des relations amicales avec Henri IV, notamment depuis son mariage avec Marie de Medicis 140

Les textes mariaux sont relativement nombreux, puisqu'ils concernent pres de la moitie des motets du recueil •4. Ici encore, la formulation d'hypotheses susceptibles d'expliquer cette situation semble trop presomptueuse tant les sources principales font defaut.

Neanmoins, la forte proportion de textes en I'honneur de la Vierge doit tre mise en relation avec I'importance du culte marial a cette epoque, tant chez les catholiques que chez les protestants, et, par voie de consequence avec le caractere irenique de la figure de Marie. En effet, la mire du Christ 6tait un personnage important de la religion protestante, notamment chez les Calvinistes 42. Du c6te des catholiques, I'importance du culte marial

fut reaffirme a I'occasion du concile de Trente qui mit egalement I'accent sur la notion

d'lmmaculee Conception. D'un point de vue doctrinal, la reforme catholique s'attacha a donner a travers les catechismes un enseignement a la fois clair et concis sur Marie,

cependant que de nouvelles devotions 6taient suscitees par I'enregistrement au calendrier

de celebrations supplementaires, telles que les fates de la Visitation ou de I'lmmaculde Conception 43. En outre, de nombreux ouvrages exclusivement consacres a la Vierge furent mis au jour a I'initiative de personnes qui, souvent, appartenaient a des ordres

religieux. Les jesuites jouerent ici un r6le important'44 et en France, Marie rebut plus

particulierement I'attention de nombreux acteurs du renouveau spirituel de la fin du XVle

siecle et du debut du XVIle, tels que Francois de Sales ou Pierre de Berulle 415

Meme si les psaumes s'inscrivent dans une perspective liturgique, les thames dcveloppes

par trois d'entre eux font echo a la situation politique. En effet, alors que les psaumes 118 et 90 constituent essentiellement une invitation du fidl1e a louer Dieu, les psaumes

1I 13, 4 et un extrait de la sixieme section du psaume 1I 18 rappellent plus particulibrement la situation politique qu'Henri IV a du affronter lors de sa lente et difficile accession au

tr6ne de France. Le premier celebre en effet la dclivrance d'lsrael, et Dieu, protecteur de

140 L'absolution d'Henri par le pape en 1595 marque le debut d'un rapprochement entre les deux hommes. Ces liens sont encore renforces en 1601, lorsque le couple royal choisit Clement VIII comme parrain du

dauphin Louis. VoirJ. P. BABELON, op. cit., p. 695.

14 1 II s'agit d'Ave Maria... .per secula, Ave Maria... Benedicta, Ave virgo gloriosa, Mittit ad virginem, Inviolato integra,

Salve Regina, Ave maris stella, les deux versions de Virgo Dei genitrix et Solve, 6 pulcherrima. 142 Voir Theodore KOEHLER, << Marie>>, Dictionnaire de Spiritualite, Paris, Beauchesne, 1980, vol. 10, col. 439-62,

col. 456-57. 143 T. KOEHLER, art. cit., col. 547-58. 144 Voir par exemple, le De virgine Maria Deipara 6crit par Pierre Canisius et publi' A Ingolstadt en 1577 ou

encore De la imitacidn de Nuestra Senrora de F. Arias (Valence, 1588). 145 F. de Sales, qui aida Jeanne de Chantal a fonder I'ordre de la Visitation, redigea a partir de 1607 son

Traitce de I'Amour de Dieu (publie en 1616), dans lequel la Vierge est consideree comme le module parfait de I'union d'amour avec Dieu; la doctrine mariale developpee par P. de Berulle au sein de I'Oratoire de Jesus et de Marie immaculee qu'il crea en 1611 influenga profondement le clerge frangais. Voir T. KOEHLER, art. cit., col. 458.

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Eustache Du Caurroy 219

ceux qui ont espere en lui, mais egalement de ceux qui I'ont redout'; dans le deuxieme, un fidcle sauve par Dieu engage les hommes a la penitence et les exhorte a reconnaTtre la

puissance divine, source d'esperance; le troisieme enfin presente les propos d'un homme

injustement persecute mais qui renouvelle sa confiance A I'agard de Dieu.

Bien qu'il soit impossible de connaitre les raisons qui ont preside a I'integration de ces textes dans le livre, force est de constater qu'ils apparaissent comme une resonance de

I'itindraire politique du monarque. En effet, en juin 1584, la mort de FranCois d'Anjou, frdre d'Henri Ill, avait fait d'Henri, roi de Navarre, I'heritier presomptif de la couronne de France "O6. Or il avait d'abord dO s'opposer aux Guises et a Henri III, ce dernier I'ayant dechu de ses droits d'hdritier a I'instigation de ses cousins lorrains '47. Apres avoir fait assassiner en dccembre 1588 le duc Henri de Guise et son frare Charles, Henri III s' tait allid a Henri de Navarre afin de reconquerir le royaume et notamment Paris, alors aux mains de la Ligue catholique. Apres I'assassinat du roi, le Ier aoOt 1589 par le dominicain

Jacques Clement, Henri de Navarre poursuit cette reconquite. Mais il doit maintenir

I'quilibre entre les politiques et les royalistes qui le soutiennent et a qui il a promis de se convertir, et les provinces du Midi, du Centre Ouest ainsi que les pays reformes

d'Europe qui se sont engages a ses c6tes, constituent une ressource militaire materielle

importante et comptent sur le Bourbon pour faire du royaume de France un territoire totalement acquis a la cause protestante. De tous c6tos, les exigences se font pressantes, les impatiences grandissantes, et Henri de Navarre se voit plusieurs fois abandonne par de nombreux membres appartenant a un camp comme a un autre '48. Son abjuration, en juillet 1593, puis son sacre en f6vrier 1594, ne suffisent pas a retablir la paix dans le

royaume: en effet, de nombreux foyers ligueurs existent encore sur le territoire et sont entretenus par le roi d'Espagne, Philippe II. II faut attendre 1598 pour que se profilent des

espoirs de paix, tant avec I'tranger qu'a I'interieur mime du royaume. Cette annee-Ia, sont signes le trait6 de Vervins, qui met fin a la guerre avec I'Espagne, et I' dit de Nantes, qui, bien que contenant en germes de futures luttes intestines, met fin pour un temps aux guerres civiles. Mesures a I'aune de ce difficile parcours, les trois textes precedemment evoques prennent une signification particuliere.

146 Le couple forme par Henri III et Louise de Lorraine 6tait reste sans heritier. 147 Les pr6tentions des Guises au tr6ne de France peut-8tre plus encore que la perspective d'un monarque

huguenot a la tite du pays avaient conduit des 1585 A une nouvelle Guerre de Religion - la huitieme - a I'issue de laquelle Henri de Navarre 6tait d'abord dechu de ses droits d'heritier. L'dit d'Union signe en juillet 1588 par Henri III, monarque impopulaire et tres affaibli, confirmait a nouveau cette decision et des lettres patentes du mois d'aout suivant dcsignaient Charles de Bourbon, cardinal, comme son successeur au tr6ne dans I'eventualit o0 le couple royal reste sterile. VoirJanine GARRISSON, Guerre civile et compromis. 1559-1598, Paris, Seuil, 1991, pp. 195-227.

148 Tel est le cas, par exemple, du protestant Claude de La Tremoille, qui decide de fonder son propre gouvemement en Poitou, et pour ce faire, de quitter I'arm'e d'Henri IV, avec a sa suite neuf bataillons de reformrs; d'Henri, vicomte de Turenne, qui n'accepte pas la conversion du roi de Navarre et abandonne avec son armee le si ge d'Amiens en 1596; ou encore du catholique Louis de I'Hospital qui rejoint la Ligue. VoirJ. GARRISSON, Op. cit., p. 207 et 223.

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220 Marie-Alexis COLIN

In exitu Israol (Preces ecclesiastica?... Liber primus, [n' 2]

Ps.I 113: 1-29

In exitu Israel de /Egypto: domus Jacob de populo barbaro. Facta est Judaea sanctificatio ejus: IsralI potes- tas ejus. Mare vidit et fugit: Jordanis conversus est retrorsum. Montes exultaverunt ut arietes: et colles sicut agni ovium. Quis est tibi mare quod fugisti et tu

Jordanis quia converus es retrorsum. Montes exultastis sicut arietes: et colles sicut agni ovium.

Secunda pars: A facie Domini motu est terra: a facie Dei Jacob. Qui convertit petram in stagna aquarum: et rupem in fontes aquarum. Non nobis Domine non nobis: sed nomini tuo da gloriam. Super misericordia tua et veritate tua: nequando, dicant Gentes, Ubi est Deus

eorum? Deus autem noster in coelo: omnia quaecun- que voluit fecit.

Tertia pars: Simulachra gentium argentum et aurum: opera manuum hominum. Os habent et non loquentur: oculos habent, et non videbunt. Aures habent, et non

audient: nares habent, et non odorabunt. Manus

habent, et non palpabunt, pedes habent et non ambu- labunt: non clamabunt in gutture suo.

Quarta pars: Similes illis fiant qui faciunt ea :et omnes qui confidunt in eis. Domus Israel speravit in Domino: adjutor et protector eorum est. Domus Aaron speravit in

Domino: adjutor et protector eorum est. Qui timent

Dominum, speraverunt in Domino: adjutor et pro- tector eorum est.

Quinta pars: Dominus memor fuit nostri: et benedixit nobis. Benedixit domui Israel: benedixit domui Aaron.

Benedixit omnibus qui timent Dominum: pusillis cum

majoribus, Adjiciat Dominus super vos: et super filios vestros. Benedicti vos a Domino: qui fecit coelum et terram.

Quand Israel issoit d'Egypte, et la maison de Jacob, du

peuple Barbare: Judee a este faicte sa sanctification, et Israel sa puissance. La mer I'a veu, et s'en est fuye: le Jordain s'en est retourne en arriere. Les montagnes ont saute comme moutons, et les costaux comme les

agneaux des ouailles. O mer, qu'elle [sic] chose t'est advenue, que tu t'en es fuye: et A toy Jordain, que tu

t'es retourne en arriere? Montagnes vous avez saulte comme moutons: et vous costaux, comme agneaux des ouailles?

Deuxieme partie: La terre a tremble devant la face du Seigneur: devant

la face du Dieu de Jacob. Lequel a converty la pierre en estangs d'eaux, et la roche en fontaines d'eaux. Non pas a nous, Seigneur, non pas A nous: mais donne

la gloire A ton Nom: pour ta misericorde et ta veritY, A fin que les gens ne disent, OO est leur Dieu? Car nostre Dieu est au ciel: il a faict tout ce qu'il a voulu.

Troisieme partie: Les idoles des Gentils sont or et argent, les oeuvres des mains des hommes. Its ont bouche, et ne parle- ront point: ils ont yeux, et ne verront point. Ils ont des oreilles, et n'orront point: ils ont narines, et ne

sentiront point. Ils ont mains, et ne toucheront point: ils ont pieds, et ne chemineront point: ils ne crieront

point de leur gosier

Quatribme partie: Ceux qui les font, soient semblables d eux: et tous ceux qui se confient en eux. La maison d'Israel a eu

esperance au Seigneur: il est leur adjuteur, et leur

protecteur La maison d'Aaron a espere au Seigneur: il

est leur adjuteur, et leur protecteur Ceux qui craignent le Seigneur; ont eu esperance au Seigneur: il est leur

adjuteur; et leur protecteur

Cinquieme partie: Le Seigneur a eu memoire de nous, et nous a benist.

II a benist la maison d'Israel, il a benist la maison

d'Aaron. II a benist tous ceux qui craignent le Seigneur, tant le petis [sic] que les grans [sic]. Le Seigneur vueille

adjouster sur vous: sur vous et sur voz enfans.Vous estes benits du Seigneur, qui a faict le ciel et la terre.

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Eustache Du Caurroy 221

Ultima pars:

Ccelum cceli Domino: terram autem dedit filiis homi- num. Non mortui laudabunt te Domine: neque omnes

qui descendunt in infernum. Sed nos qui vivimus, benedicimus Domino: Ex hoc nunc et usque in secu- lum. Gloria Patri et Filio :et Spriritui sancto. Sicut erat in

principio, et nunc, et semper: et in secula seculorum, Amen.

Derni're partie: Le ciel des cieux est au Seigneur: mais il a donne la terre aux enfans des hommes.

Seigneur, les morts

ne te loueront point, ne tous ceux qui descendent en enfer Mais nous qui vivons, benissons le Seigneur, des ceste heure, et A tousjoursmais. Gloire au fils et au saint Esprit. Ainsi en 6tait-il au commencement, et aujourd'hui, et toujours, pour les siecles des siecles. Ainsi soit-il.

Cum invocarem (Preces ecclesiastice... Liber primus, [n' 20] Ps. 4

Cum invocarem exaudivit me Deus justitiae meae: in tribulatione dilatasti mihi. Miserere mei: et exaudi orationem meam.

Filii hominum usque quo gravi corde? ut quid diligitis vanitatem, et quaeritis mendacium? Et scitote quoniam mirificavit Dominus sanctum suum : Dominus exaudiet me, cum clamavero ad eum. Irascimini, et nolite peccare: quae dicitis in cordibus vestris, et in cubilibus vestris, compungimini.

Secunda pars: Sacrificate sacrificium justitiae, et sperate in Domino: multi dicunt, Quis ostendit nobis bona?

Signatum est super nos lumen vultus tui Domine: dedisti laetitiam in corde meo.

Ultima pars: A fructu frumenti, vini, et olei sui multiplicati sunt. In pace in idipsum: dormiam et requiescam. Quoniam tu Domine singulariter in spe constituisti me.

Quand je I'invoquoye, le Dieu de ma justice m'a exauce: en tribulation tu m'as mis au large. Aye pitie de moy, et exauce mon oraison. Fils des hommes jusques A quand serez vous de cceur endurcy? pourquoy aymez-vous vanitY, et cherchez

mensonge? Or slachez que le Seigneur a faict son sainct admira- ble: le Seigneur m'exaucera quand je crieray a luy. Courroucez vous, et ne vueillez [sic] point pecher: les choses que vous dictes en voz cceurs, et ayez compunction en voz couches.

Deuxieme partie: Sacrifiez sacrifice de justice, et ayez esperance au

Seigneur: plusieurs disent, Qui est celuy qui nous fait voir les biens ?

Seigneur, la lumiere de ta face est emprainte sur nous: tu as donne liesse en mon cceur.

Derniere partie: Pour la foison de leur froment, de leur vin, et de leur huile, ils sont multipliez. En repos en celA mesme

je dormiray, et reposeray. Car toy Seigneur, tu m'as

singulierement mis en esperance.

Norroverunt mihi (Preces ecclesiasticae... Liber prin'mus, [n' 2 1 ]

Ps. 1I 18 vi: 85-86, 88-89

Narraverunt mihi iniqui fabulationes: Sed non ut lex tua. Omnia mandata tua veritas: iniqui persecuti sunt me, adjuva me. Paulominus consummaverunt me in terra: ego autem non dereliqui mandata tua.

Secunda pars: Secundum misericordiam tuam vivifica me: et custo- diam testimonia oris tui. In aeternum Domine : verbum tuum permanet in ccelo. In generatione et generatio- nem veritas tua: fundasti terram, et permanet.

Les pecheurs m'ont racompte des fables, mais non

point comme est ta loy.Tous tes commandemens sont veritY: les iniques m'ont persecute, ayde moy. Peu a fallu qu'ils ne m'ont consume en la terre, mais

je n'ay point delaiss6 tes commandemens.

Seconde partie:

Vivifie moy selon ta misericorde: et je garderay les tesmoignages de ta bouche.

Seigneur, ta parole demeure eternellement au ciel.Ta verite est de generation en generation: tu as fonda la terre, et elle demeure.

Source de la traduction des psaumes: La Sainte Bible Contenant le Vieil et le Nouveau Testament, Traduicte de Latin en Franpois, [...], Paris, Sebastien Nivelle, 1586, pp. 614 (Ps. 1 13), 566 (Ps. 4) et 617 (Ps. I 18 : vi)

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222 Marie-Alexis COLIN

La sixieme section du psaume 1I 18 ne peut-elle pas egalement tre interpretee comme

la confirmation par Henri IV, prince bafoud et trahi, de sa foi en Dieu ? Le texte du psaume 113 ne constitue-t-il pas une allusion A Henri IV, qui a delivre le royaume des mains des

traitres, andanti ces ultra catholiques avant tout usurpateurs du pouvoir royal ? Heritier

huguenot du royaume tres-chretien, n'a-il pas eu A gagner la confiance des catholiques

moderns, qui plus que la religion catholique, dcsiraient que soit preserv I'Etat royal? N'est-il pas venu le temps de la celebration de ce nouveau royaume et du monarque de tous, ceux qui revendiquaient la legitimite de son acte et les autres, qui I'ont longtemps craint et combattu? A l'image du fidcle evoquc dans le quatrieme psaume, chacun ne

doit-il pas dcsormais, dans ce royaume restaure, se repentir,

et avoir esperance en Henri ?

A moins qu'il ne faille reconnaitre le roi lui-meme dans la personne du fiddle. Le monarque

ayant pu recouvrer son pouvoir grace A I'aide de Dieu, le Dieu de tous, catholiques et

protestants, n'invite-il pas les hommes A s'en remettre dcsormais A la justice divine et A se repentir? Les arguments places au debut de la traduction des psaumes realisde par les

theologiens de Louvain 49 font de ce texte I'invocation de <<Dieu contre la conjuration d'Absalom >. Dans I'Ancien Testament'50, Absalom, troisieme fils de David, tue son frdre

Amnon et usurpe A son pare le pouvoir d'lsrael. Apres avoir franchi le Jourdain pour combattre son pare, Absalom est vaincu lors d'un combat qui fait pres de vingt mille

morts, et est tud par son cousin Joab. Le parallele avec I'assassinat d'Henri III perpetre sous I'influence de la Ligue catholique et donc des Guises, les cousins du dernierValois, la tentative de prise de pouvoir par la famille de Lorraine puis I'andantissement par Henri

de Navarre des troupes ligueuses apparaissent clairement en filigrane du recit biblique

auquel la traduction des theologiens de Louvain fait ref6rence.

Meme si elle semble avoir egalement confondu devotion et acte rituel '5, Marguerite de Valois manifesta diff6remment son sentiment religieux. La presence dans sa bibliotheque

de plusieurs breviaires romains, de recueils de psaumes et de pieces destinies A I'office

de laVierge Marie, comme celle d'ouvrages ecrits par les Pares de I'Eglise et les predica- teurs contemporains, tendent en effet A montrer I'importance de ses preoccupations spirituelles '52. Ce souci est confirme par de nombreuses marques d'attachement envers

les necessiteux et les ordres monastiques, qu'elle subventionnait regulierement. A la suite

d'un vceu prononc6 alors qu'elle se trouvait encore A Usson, elle fit construire, en 1607,

pres de son h6tel parisien, un couvent - I'Autel de Jacob - et une chapelle - la chapelle des louanges. Ces bdtiments furent occupes A partir de mars 1608 par des Augustins dechausses, dont la plupart se relayaient nuit et jour pour chanter des hymnes et des

cantiques. La reine ponctuait les diff6rents moments de sa journee de lectures devotes

149 La Sainte Bible Contenant le Vieil et le Nouveau Testament, op. cit., p. 614. 150 Son histoire est relatee dans le deuxi me livre de Samuel, chapitres 15 a 19. 151 J. BOUCHER, Deux pouses et reines 0 la fin du XVIe sicle, Saint-Etienne, 1995, p. 258. 152 Ibid.

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Eustache Du Caurroy 223

et participait assidOment aux offices religieux. Dis le lever; elle se rendait A I'oratoire, puis assistait A la messe. Pendant qu'on I'habillait, elle se faisait lire un passage extrait d'un ouvrage de devotion. Elle se rendait ensuite A une seconde messe basse, puis A une

grand-messe au cours de laquelle <<elle recitoit exactement un service bien long>>, avant de laisser aux musiciens de sa chapelle le soin de chanter un Te Deum. En fin d'apres midi, elle preparait les vepres en allant se recueillir dans son oratoire 53.Toutes ces indications

pourraient expliquer la presence, dans le second livre des Preces ecclesiastice, de certaines

pieces, comme les trois Te Deum 54, ou les diff rents motets consacres A saint Martin, saint Luc, saint Denis et sainte Cecile.

Ainsi, la presentation des pieces dans chaque livre des Preces ecclesiastica semble ne pas avoir etd laissee au hasard. Leffectif vocal dans le premier livre, certaines caracteristiques qui renvoient des pieces en fin de volume dans le second recueil (longueur imposante, forme A refrain, destination A une execution en alternatim) ne constituent pas les seuls criteres d'agencement des pieces. Le regroupement par types de texte, voire par textes

identiques, ou par thematique, semble avoir egalement preside '

I'organisation de chaque livre. Meme si les nombreuses diff6rences concernant les thematiques developpees dans les textes peuvent suggerer que la personnalit6 de chaque dedicataire a ete prise en

compte, les deux livres presentent de nombreuses similitudes: intitule identique, nombre de pieces quasi egal, meme fr6quence de certains textes (psaumes et hymnes), et

apparition de textes identiques dans les deux recueils. Ces points communs font des deux volumes un veritable diptyque dont chaque panneau est dessind a I'image de son destinataire respectif. En outre, aucun autre recueil imprime de musique polyphonique en latin n'etablit par son titre un rapport aussi direct avec la devotion que les Preces

ecclesiastica. Les pieces renfermees dans chacun des recueils montrent que priere publique (Veni sancte Spiritus, Veni creator), comme devotion privee (Corporis ex medico, Sanctorum soboles) y sont en effet envisagees.

Comme le montre le tableau 8, dans les Meslanges, les pieces sont regroupees par genre - psaumes, chansons, nolIs, psaumes, cantique, priere, chansons en vers mesures -

153 S. RATEL (<<La cour de la reine Marguerite>>, op. cit., xi (1924), pp. 24-25) prate ces descriptions a un des aum6niers de la reine, malheureusement sans en donner les sources exactes. Toutefois, Brant6me t6moigne de I'assiduite religieuse de la reine: <<[...] Ceste Reyne, [...] pour se vouloir conformer aux commandements de son Dieu, qu'elle a toujours ayme, craint et servy devottement [...] qu'elle sert ordinairement tous les jours, et fort devottement [...];car jamais elle ne pert ses Messes, et fort souvant faict ses Pasques, et list fort en I'Escripture saincte, y trouvant son repos et sa consollation.>> (Vie des Dames galantes, Leyde, 1666, ed. Etienne Vaucheret, Paris, 1991, p. 155). De plus, il semblerait que jusqu'a la fin de sa vie, elle allat chaque samedi a I'abbaye Saint-Victor pour ecouter I'office, au cours duquel les musiciens de sa chapelle intervenaient. Voir Fourrier BONNARD, Histoire de I'Abbaye royale de Saint-Victor de Paris, Paris, A. Savaete, 1904-1908, t. II, p. 103.

154 Toutefois, il ne s'agit pas d'evacuer la fonction circonstancielle particuliire a cette hymne. En integrant ces pieces, le compositeur a peut-6tre simplement desire rappeler certaines commemorations.

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224 Marie-Alexis COLIN

avec, l'int6rieur de ces genres, un regroupement par effectif vocal identique, pr6sent6 parfois dans un ordre croissant (dans le cas des nolIs, des psaumes et des chansons en vers mesures). Le d6but du recueil pr6sente meme une certaine hierarchie qui n'est

probablement pas le fruit du hasard: aux quatre paraphrases de psaumes qui ouvrent le volume (nos 1-4) succede la chanson spirituelle Susanne un jour (no5) puis quatre textes au contenu moralisateur (nos 6-9). Le tableau 9 montre que les quinze nols apparaissent comme I'axe de sym6trie de l'ouvrage, avec, d'une part, en premiere partie de volume, les psaumes et les chansons, d'autre part, a la suite des nols, les psaumes et les chansons en vers mesures:

Tableau 8: E. DU CAURROY, Meslanges (Paris, Pierre Ballard, 1610)

Texte Type modal Remarques Genre /

Incipit Nb de voix Auteur Theme genarol Clef Armure Finale

I. Le long des eaux 6 Durant Ps. 1 36 sol2 t/,I RE Armure partielle (5: si b&c.)

2p. 4 sol2 SOL 3p. 4 sol2 / SOL

2. Le Seigneur,

d6s qu'on 7 Desportes Ps. 45 utl I b/ DO Armure partielle nous offence (Hte-Contre: si bec.)

3. Juge ma cause 6 Desportes Ps. 25 (strl-2/9) sol2 R RE 4. Du profond des maux 6 Desportes Ps. 129 (str 1-2/8) utl RE

5. Susanne un jour 6 Gu6roult spirituel ut I t RE Basse-contre: clef fo5

6. Le juste que jugea 4 ? moral utl - RE

2p. 4 utl - RE

7. Le ciel ne nous donne 5 ? moral sol2 b FA texte: quatrain

8. Nul ne peut voir 5 ? moral sol2 b LA texte: quatrain

9. D'une mielleuse voix 4 ? moral sol2 b SOL

2p. 4 sol2 , SOL

10. Puis que le Ciel veut 6 ? amour utl - RE

I 1. Pour vous aymer 6 Desportes amour sol2 - RE

12. Quand j'estois chez mon 5 ? populaire sol2 - DO

pere 13. Beaux yeux 5 ? amour sol2 RE

14. Tout humain plaisir 6 ? moral sol2 b LA

15. Un amour tout nouveau 5 ? amour sol2 b FA

2p. 5 sol2 b SI

16. Rose vostre beau teint 4 ? amour sol2 - SOL

17. Heureux le siecle premier 4 ? moral sol2 SOL

18. Si j'ay du bien cruelle 5 M. de amour ut I b SOL

2p. 5 St Gelais ut I b SOL

19. Quand je pense m'esjouY'r 6 ? moral ut2 - MI Basse-contre: clef fa5

20. Laisnd masle des Dieux 6 ? circonstance sol2 1 FA

2p. 6

21. Je me plains fort 6 ? amour sol2 b SOL

22. Helas! j'ay sans mercy 6 ? populaire sol2 - SOL

2p. 6 sol2 - SOL

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Eustache Du Caurroy 225

Texte Type modal Remarques Genre /

Incipit Nb de voix Auteur Thbme generol Clef Armure Finale

23. Celuy qui voudra 4 ? satirique sol2 - DO 24. O qu'il est malaise 5 ? amour ut I R RE

2p. ut I k SOL 25. Je ne I'ay dit qu'a moy 5 ? populaire sol2 b RE

2p. 5 sol2 k LA 3p. 6 sol2 R Ri

26. Noel. un enfant du Ciel 4 ? no8l sol2 b FA 27. Noel. Sors de ton lit 4 ? no6l sol2 b FA 28. Noel. Voicy I'heureuse 4 ? nol ut I - SOL roi 29. Un enfant du Ciel 5 ? noel utl - DO 30. Noel. le Ciel se resjoi(it 5 ? no6l sol2 b FA roi 31. Accourez bon Francois 5 ? no6l sol2 b FA dauphin 32. Noel. Le premier pere 5 ? noel sol2 - DO famille royale 33. Noel. A ce beau jour 5 ? noel ut I b FA 34. Noel. Le Sainct promis 5 ? no&l sol2 - SOL 35. Noel. Sus troupe 5 ? noel ut I b DO Henri (III? IV?)

chanteresse

36. Noel. Du grand Dieu 5 ? no6l sol2 b DO couple royal 37. Quand au dernier 5 Du Perron cantique de la sol2 b RE

sommeil Vierge, traduction 38. Noel. En ceste nuit 6 ? noel sol2 k SOL 39. Noel. Chantons d'une 6 ? noel sol2 b SOL

douce armonie 40. Noel. Ames dont la foy 6 ? no&l ut I 1 SOL 41. Nous te lo(ions bon Dieu 4 ? priere avant repas sol2 b SOL vers mesures 42. Vous qui le parvis 4 Desportes Ps. 1 33 ut I - FA vers mesures 43. Dieu benin, j'espans 4 d'Aubigne Ps. 87 [88] sol2 b DO vers mesures;

strophe saphique 44. Preste I'oreille 4 Balf Ps. 5 sol2 RE' vers mesures 45. Si le tout-puissant 5 Desportes Ps. 1 26 ut I - R vers mesures 46. O createur tu remets 5 ? cantique Simdon sol2 b SOL vers mesur~s 47. Ninfe qui tient tant d'heur 4 Rapin circonstance sol2 - R vers mesures;

Henri IV+Marie de

M~dicis 48. Deliette, mignonette 4 Ba'lf amour sol2 - SOL vers mesures; tessitu

re aigu? (Basse con- tre: ut4)

49. Dum nocturna levi 4 ? circonstance? ut I - SOL vers mesures 50. Las! Amour faut-il 4 Rapin? amour sol2 - LA vers mesures; ode

saphique 5 1. Victorieux guerrier 5 Rapin circonstance ut I - DO vers mesures; Henri

IV + Marie de Mad. 52. Hanc tua Penelope 5 Ovide amour sol2 - SOL vers mesurds 53. Chevaliers genereux 5 Rapin circonstance sol2 - SOL vers mesures;

victoire d'lvry (mars 1 590)

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226 Marie-Alexis COLIN

Texte Type modal Remarques Genre /

Incipit Nb de voix Auteur Theme g6ndral Clef Armure Finale

54. France tu dois 5 Rapin circonstance sol2 - SOL vers mesures; reprise d'Amiens

(oct. 1597) 55. Lors que Leandre 5 Rapin traduction de sol2 b DO vers mesur6s

amoureux Martial (6pig.) 56. Malheureux est qui ne 5 Rapin? amour sol2 b DO vers mesur6s

sgait 57. Si I'amoureux flambeau 5 ? amour soil - LA vers mesures;

tessiture aigue (Dessus: so/l)

58. Phosphorae redde diem 6 Martial 6pigramme sol2 b FA vers mesures.

59. Aube rameine 6 Rapin traduction du n' 58 sol2 b DO vers mesures.

60. Prince, la France 6 Jodelle circonstance sol2 - LA

61. Puis-je mieux choisir 5 Rapin? amour sol2 b SOL vers mesures ;ode

[7 sections] 3 sol2 SOL saphique 4 sol2 SOL 6 sol2 b SOL 2 ut2 , SOL 5 sol2 SOL 6 sol2 SOL

62. Quand j'estois caresse de 7 Rapin amour sol2 - LA vers mesures; dialo- vous gue; double chceur

63. O quam beatus 5 Louis Ps. I sol2 - SOL d6nomination des

2p. 4 Servin sol2 SOL voix"d I'ancienne":

3p. 5 sol2 b DO supenus, contro,

ult. p. 6 sol2 b DO tenor, bassus, etc.

Tableau 9: organisation gendrale des Meslanges

Type psaumes chansons noels psaumes mesures chansons mesurees psaume mesure

Effectif vocal 6 ' 7 4 d 6 4 6 t 4 d 5f 4 d 7f 4 a 6

Langue Francais Francais Francais Francais Franaais

Latin Latin (3)

Nombre de piices 4 21 15 6 16

Sous-total 25 15 23

Total 63

N.B.: La fleche f indique un effectif vocal croissant. La rubrique << psaumes mesurs >> inclut la priere d'avant le

repas Nous te lojons bon Dieu, et le cantique de Simeon O createur tu remets.

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Eustache Du Caurroy 227

De plus, I'imposante paraphrase latine du premier psaume qui conclut le volume 155

fait pendant a la tres longue paraphrase du psaume 136 plac6e au d6but de I'ouvrage, composde pour six voix et pr6sent6e en trois parties. Cette sym6trie parfaite entre le

d6but et la fin du recueil se prolonge avec, au d6but, les trois psaumes a six voix, le

psaume a sept voix et une longue version de Susanne un jour, 6galement a six voix, et, en

fin d'ouvrage, les deux chansons les plus d6veloppees de la publication, a la fois dans leur

longueur, dans leur pr6sentation et dans le nombre de voix utilisees: il s'agit de Puis-je mieux choisir (n' 61), expos6 en sept sections, avec un effectif vocal variant de deux a six voix, et de Quand j'estois caresse de vous, dialogue pour deux choeurs respectivement de trois et quatre voix.

Dans les Fantasies, I'effectif vocal constitue le premier niveau d'organisation du recueil, les

pi6ces 6tant pr6sentees d'apres le nombre croissant des voix (3, 4, 5 et 6 voix), comme

I'indique le tableau 10. Comme dans les Meslanges, les pi6ces sont regroupees le plus souvent par types modaux identiques (voir tableaux 9 ci-contre, et 10 page suivante).

La musique Premiere s6rie des ceuvres que Du Caurroy offre au public, ses deux volumes de motets constituent en meme temps les seuls t6moignages de la pratique de ce genre par le compositeur D'un point de vue 6ditorial, ils repr6sentent les rares exemples de publications de motets compos6s en France a la fin du XVIe et au d6but du XVIIe siecle, avec les Psalmi Davidici de Guillaume Boni (1582)156, les six pi6ces de Jean Planson

(1583) '57 et les Choeurs de I'histoire tragique Saincte Cecile d'Abraham Blondet'58. En effet, cette p6riode est surtout marquee par les 6ditions et les redditions de motets d'Orlande de Lassus. La pr6dominance du compositeur de la cour de Baviere apparait comme I'amplification d'un ph6nomene deji perceptible depuis le milieu des annees 1560. Toutefois, entre cette p6riode et la fin du regne de Charles IX (1574), les imprimeurs, essentiellement Nicolas Du Chemin et Adrian Le Roy et Robert Ballard, ont 6galement publi6s des motets compos6s par des Francais (Pierre Certon, Jean Maillard, Guillaume

Boni). De plus, les Preces ecclesiatica constituent peut- tre les premiers t6moignages d'un

repertoire cr66 pour la chapelle royale depuis le milieu du XVIe siecle. En effet, les motets destines a cet usage semblent avoir progressivement disparu des publications musicales

155 C'est peut-etre pour renforcer son caractere particulier et son effet conclusif que cette piece fait I'objet d'une presentation peu commune pour 1'6poque, et se distingue des autres pi6ces du recueil: en effet, la d6nomination des voix <<Dessus >>, <<Haute-Contre >>, <<Taille >>, <<Basse-Contre >>, <<Cinquiesme >>, etc., c6de ici la place A la terminologie utilisee au XVle si6cle: <Superius>, <Contra>, Tenor>, Bassus>>, <<Quinta Pars>>, etc.

156 Publi6s A Paris, chez Adrian Le Roy et Robert Ballard. 157 Ces motets sont presentes A la fin des Quatrains du Sieur de Pybroc, ensemble quelques Sonetz, et Motetz,

mis en Musique b 3, 4, 5 et 7 paorties, Paris, Adrian Le Roy et Ballard, 1583. 158 Paris, Pierre Ballard, 1606.

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228 Marie-Alexis COLIN

Tableau 10: E. DU CAURROY, Fantasies (Paris, Pierre Ballard, 1610) Structure musicale

Remarques Nb de voix TYPE MODAL Traitement du materiau preexistant Clef Armure Finale - Remarques

[sur le Ps. I << Qui au conseil 3 sol2 b FA imitation dans toutes les voix des malins n'a est,]

2 3 utl - DO

3 << sur Regina cceli >> 3 ut2 I FA c. f. au Haute-Contre en semi-braves

4 << sur Conditor alme 3 ut2 - MI c. f. au Haute-Contre en semi-braves et

syderum >> breves; Haute-Contre en C, les autres voix en 02

5 3 ut3 - MI

6 [sur le Ps. 19: << Les cieux en 3 ut3 - SOL Melodie presentee au dessus; parfois chascun lieux >> paraphrasee par les autres voix

7 3 ut2 DO do-sol-la-do-si-la-sol ostinato au Dessus

8 4 utl - DO

9 4 utl - DO

10 << Sur Requiem aternam > 4 utI b FA c.f. dans la Taille en semi-braves

II 4 ut I FA tetracorde (do-si-loa-sol) coloration

12 <A l'imitation de cunctipo- 4 ut I - RE tens genitor >>

13 << A l'imitation de salve 4 sol2 I SOL

Regina >

14 << Sur Ave maris Stella >> 4 sol2 b / SOL c. f. au Haute-Contre en semi-beves

( dans la partie de Haute-Contre, C aux autres voix ; * armure partielle: par d'armure dans le

Haute-Contre, 6 aux autres voix.

15 << A lI'imitation d'Ave maris 4 sol2 b / SOL * armure partielle: par d'armure aux voix stella >> de Haute-Contre et Basse-Contre, 6 aux

autres voix.

16 4 sol2 b SOL

17 4 ut I b SOL sur melodie de << Noel nouvelet>>

18 A I'imitation de << Que 4 utI b SOL travail contrapunctique sur la Iere phrase n'ay-je des aisles mon Dieu >> du ps. 55.

[lere phrase du ps. 55: Las !

qui me donnera des aisles]

19 A l'imitation de << Conditor 4 utl - MI alme syderum >>

20 [sur le ps. 26 < Seigneur 4 ut I - MI c. f. au Haute-Contre en breves

garde mon droit >>] I au Haute-Contre, C aux autres voix.

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Eustache Du Caurroy 229

21 << A l'imitation de 4 ut I - MI Iste confessor >

22 4 sol2 - SOL

23 4 sol2 - SOL

24 4 sol2 - SOL

25 Sur < Le Seigneur des qu'on 4 sol2 - SOL c. f. au dessus en semi-braves et minimes; nous offence >> [Ps. 46: << Des cf. Meslanges, n' 2. qu'adversite nous offense >>]

26 4 ut I - SOL sol-si-do-rd-mi-rd

27 [Sur le Ps. 138: >> II faut que 5 sol2 b FA c. f. la Cinquiesme; legere paraphrase aux tous mes esprits] autres voix.

28 << Sur Ad coenam agni 5 ut I - SOL c.f. a la Cinquiesme; Igere paraphrase aux providi >> autres voix.

29 << Sur Une jeune fillette >> 3 ut 1 SOL melodie au Dessus 30 << Seconde partie > 3 ut 1 SOL melodie au Dessus

31 <<Troisiesme partie >> 4 ut I SOL mdlodie au Dessus

32 << Quartiesme partie >> 4 ut I SOL melodie repartie entre la Basse-Contre et la Taille

33 << Derniere partie > 5 ut I b t SOL meme melodie transposde a la quinte supe- rieure et placee dans la voix de Haute- Contre.

*armure partielle:l au Haute-Contre, 6 aux autres voix.

34 << A l'imitation de Pange 5 ut I - MI lingua >

35 Sur Conditor alme syderum 5 sol2 b LA c. f. laTaille en braves et semi-braves. 36 5 utl RE melodie (non identifiee) au dessus en

braves, semi-braves et minimes.

37 5 ut I - LA la-sol-fo-rd-mi present&e en imitation ' toutes les voix. (presence de color mes. 63-64)

38 <A I'imitation des six mono- 5 ut I - LA

syllabes... >> '

39 6 sol2 DO

40 << Sur Coeco clauditur. De 6 sol2 - LA c. f. la partie de Cinquiesme en braves et beato Vincentio >

Ilongues.

41 << Suitte Sur Aloquio 6 sol2 - LA c. f. la partie de Cinquiesme en braves et

privatur >> longues. 42 < Sur je suis desherite >> 6 sol2 R RE m6l. de Lupus a la partie de Taille.

<I ...en laquelle sont contenubs les six especes de Diapason, divisees en la division Harmonique et Arithmetique >>.

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230 Marie-Alexis COLIN

vers cette periode, alors que durant le regne de Francois ler ce repertoire 6tait diffuse, notamment par le biais des presses de Pierre Attaingnant. Les motets de cette periode, composes notamment par Claudin de Sermisy, se caracterisent par un style homogene qui doit beaucoup aux pieces ecrites par des compositeurs plus ages comme Jean Mouton et Antoine de Fevin. Au milieu du XVle siecle, en marge de quelques motets de Certon, seules les pieces de Jean Maillard pourraient 6ventuellement se rattacher a la cour, mais les lacunes biographiques concernant le compositeur laissent encore subsister de nombreux doutes sur sa presence a la chapelle royale '59. En revanche, ses deux volumes

de motets publies en 1565 s'apparentent aux Preces ecclesiastic?e par leur presentation et leur organisation '60

Le corpus forme par les cinquante-trois motets de Du Caurroy presente de nombreuses

particularites relatives aux textes comme a leur mise en musique. Parmi les textes, dominds par une forte proportion d'hymnes, la figure de Marie est tout aussi importante

que les fates liturgiques (telles que Paques, les Rameaux, la Pentec6te). Les textes a la

louange de sainte Cecile (tels que Favus distillans) sont egalement nombreux; ils ont

peut-etre tet mis en musique a I'occasion des reunions de la confrdrie 6tablie aux Grands

Augustins en 1575 ou lors du puy de musique d'ivreux qui a recompense plusieurs fois Du Caurroy. Par ailleurs, le compositeur utilise parfois des textes contemporains, comme Sanctorum soboles de Marc Antoine Muret et tris probablement I'hymne anonyme

Corporis ex medico. 161 Certains textes s'inscrivent dans une longue tradition et sont encore

habituellement mis en musique (Te Deum, Da pacem Domine, Poter noster). En revanche, d'autres sont plus singuliers. Plusieurs semblent n'avoir jamais retenu I'attention des

compositeurs (Corporis ex medico, Dormitavit, Dum ipsa fleret, Favus distillans, ou encore

Protector in te sperantium). Quelques uns ont 6te supprimes par le concile deTrente (Mane

prima sabbati, Mittit ad virginem), et illustrent tres probablement I'inte'rt que Du Caurroy a manifeste a Josquin des Prez et Adrian Willaert dont les oeuvres, ou les commentaires

realises a leur sujet par Zarlino, figurent dans la bibliotheque du compositeur 162. D'autres

159 Durant le regne de Charles IX (1560-1574), parmi les compositeurs auxquels les imprimeurs du roi

s'int&ressent, Maillard figure en effet en deuxi'me place derriere Lassus. Avec quelque quatre vingt-dix

pieces, Maillard apparait aujourd'hui comme le compositeur frangais de motets le plus prolifique de la seconde moitie du XVle siecle.

160 Les deux volumes sont dedids respectivement a Charles IX et a sa mare Catherine de Medicis, personnages principaux du royaume en 1565. L'organisation de chaque recueil est relativement systematique, et les

textes semblent avoir 6te choisis en refirence a leur dcdicataire respectif. Sur ce sujet, voir M. -A. COLIN, <Eustache Du Caurroy et le motet en France b la fin du XVIe siecle x, These de doctorat inedite, Tours,

C.E.S.R., 200 1, pp. 60-66. 161 D'un point de vue m6trique, I'hexam~tre dactylique qui la structure n'est pas caracteristique des hymnes

medievales. D'autre part, la mitaphore qui s'y trouve dcveloppee fait echo aux preoccupations morales qui

caract&risent le demier tiers du XVle siecle: Luc, saint patron des medecins, est appel' A inspirer ces demiers pour qu'ils guerissent non seulement les corps mais aussi les ames malades des citoyens (<<civibusx).

162 Sur ce sujet, voir infra.

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Eustache Du Caurroy 23 I1

textes enfin rel vent d'une tradition parisienne lide a la couronne (Alleluya, alleluya, o filii, Ave Maria... per secula ou encore Christus vincit, Christus regnat) : avant Du Caurroy, ils ont 6te mis en musique a la fin du XVe siecle et au debut du XVIe siecle par des compositeurs qui travaillaient a Notre Dame (Antoine Brumel), a la Sainte Chapelle (Pierre Certon) ou a la chapelle royale (Jean Mouton, Claudin de Sermisy). Du Caurroy renoue ainsi avec un

repertoire dont la trace s'Itait perdue depuis le milieu du XVIe siecle environ.

Par certains aspects, I'Icriture musicale developpee par Du Caurroy se distingue egalement des principes couramment suivis a la fin du XVle siecle. Alors qu'a cette periode les effectifs a cinq ou six voix sont fr6quemment utilises par des compositeurs travaillant hors des frontieres du royaume (Lassus, Palestrina, Victoria,), mais aussi en France (Boni, Le

Jeune), Du Caurroy prefire crire pour quatre ou cinq voix, A I'instar de Planson, Costeley, et Maillard. En revanche, comme ses contemporains, il crit parfois pour deux choeurs: en

temoignent cinq pieces (Mittit ad virginem, Inviolata integra, Salve Regina, Victime Paschali laudes et Vox Domini). Sa pratique du double-choeur temoigne neanmoins de I'influence de Willaert. A I'instar de Lassus, Palestrina ou Boni, Du Caurroy utilise le contrepoint en imitation, le contrepoint libre et I',criture note contre note. Mais il ne recourt pas aussi souvent qu'eux a des variations de textures. Ceci le distingue egalement de Mouton et de Sermisy, qui avaient 6te attaches a la chapelle de Francois ler mais le rapproche de Pierre Certon, qui avait exerce sa carriere a la Sainte Chapelle.

Son attitude A I'agard du texte est caracteristique de la periode de la contre-reforme, et s'apparente en cela a Palestrina. Respectueux des injonctions edictees dans certains breviaires ou dans des documents emanant de la couronne '63, le compositeur prend en

compte le texte dans la plupart des pieces, a I'exception des antiennes et des prieres. L'interit qu'il manifeste I'agard de la bonne latinite apparait dans les accents qu'il ajoute sur certaines syllabes et qui sont tout a fait inhabituels pour I'Ipoque. Larticulation du texte est 6galement mise en valeur par I'utilisation de mouvements cadentiels qui correspondent aux segments syntaxiques. Enfin, le compositeur preserve I'intelligibilite verbale en privilegiant une 6nonciation syllabique et en 6vitant les superpositions de

163 Ainsi, dans les Heures de Nostre Dome imprimees en 1584 (Paris, Jamet Mettayer) pour les membres de I'Oratoire de Notre Dame de la vie saine - congregation etablie par Henri III - une rubrique concemant la recitation des choristes souligne que: << [...] faut que chacun prenne garde de chanter posement les Psalmes, les bien punctuer, et faire une pose [sic] Ia o0 ils verront qu'il y aura deux poincts, ainsi (:). Et quand ce poinct se trouvera devant les deux poincts, ou apres, comme advient quelques fois, ainsi (,) ii faudra aussi faire un peu de pose.>> (cinquieme partie, <Le second Office depuis le commencement de I'Avent jusques a Nol>>, fol. Iv.). Quelques annees plus tard, Henri III, dans le ceremonial qu'il redige a I'intention de sa chapelle, impose que: <Tous les gens d'eglise qui serviront en lad[ite] chapelle s'estudieront de bien prononcer dire ou chanter devotement faisant bien les points [...] > (Paris, BnF, dep. des manuscrits, Dupuy 489, <<L'ordre que le Roy veult estre suivy et observe desormais pour le service divin par ceux de sa chapelle [...]>>, date du premier janvier 1587), f. 7v. ).

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232 Marie-Alexis COLIN

mots. En outre, ses motets presentent rarement des figuralismes, A I'encontre de ceux

de Caietain, Boni, Lassus, par exemple, dans lesquels I'influence du madrigal est particu- lierement sensible.

Meme si ses pieces illustrent parfois le nivellement caracteristique de la fin du XVle siecle '64, il adapte le plus souvent son ecriture au type de textes qu'il met en musique. Ainsi, les sequences, les psaumes et les antiennes relevent de procedures couramment

adoptees pour chaque genre de texte depuis la fin du XVe siecle. Dans les sequences, le compositeur suit fr6quemment la structure particuliere du texte et de la melodie

liturgique. C'est pourquoi la plupart des pieces en question sont construites sur le principe d'une succession de sections qui correspondent aux strophes du texte, et le caractere

isomelique du plain-chant est parfois servi par un travail de variation (comme dans Veni

sancte Spiritus). Dans les psaumes qu'il met en musique (par exemple Cum invocarem), Du

Caurroy prend le plus souvent soin de I'intelligibilite verbale. Le compositeur presente le

texte de fagon continue, sans repetition, en mettant en valeur les articulations syntaxiques et en evitant de ne pas masquer les mots par des effets de tuilages. A I'encontre des

psaumes, les antiennes (Do pacem Domine) et les prieres (Pater noster, Protector in te

sperantium) font I'objet d'une approche diff6rente du texte: les segments litteraires

sont mis en valeur,

mais il sont soumis A des rep6titions, tout comme certains mots

particulierement importants. Par ailleurs, le compositeur n'hesite pas A introduire des

tuilages entre les sections ou A superposer plusieurs mots diff6rents. De tous les types de textes mis en musique par Du Caurroy, les hymnes forment le groupe le plus

heterogene. Certaines hymnes temoignent du respect du compositeur A I' gard de la tradition: le Te Deum par exemple ne presente qu'un verset sur deux, ce qui suggere une interpretation en alternatim, option suivie egalement par Lassus, Palestrina, mais aussi

Maillard. En revanche, d'autres pieces, comme Alleluya, alleluya, o fulii relevent plut6t du

principe de composition de I'antienne.

Lexamen des motets a revel6 qu'environ la moitie d'entre eux avaient 6te construits sur

une melodie liturgique. A I'exception d' Ave Maria... per secula, Du Caurroy, contrairement

A Lassus, mais aussi A des compositeurs frangais anterieurs tels que Maillard et Mouton,

puise rarement son inventivite musicale dans ce type de materiau.Alors que la presentation de la melodie liturgique avait parfois nourri la recherche d'une certaine complexite chez

Mouton et Maillard (ostinato, canon, cantus flrmus en notes longues), elle reste au contraire

assez simple chez Du Caurroy qui recourt A trois procedes. Dans quelques motets (cinq), le compositeur presente une paraphrase polyphonique du plain-chant, principe courant

A la fin du XVIe siecle '65. Cinq autres sont composes sur une paraphrase melodique du

164 Oliver STRUNK, <<Some Motet-Types of the 16th Century>, Papers of the American Musicological Society, NewYork, Sept. 1939, pp. 155-60.

165 Voir par exemple Ave Maria... virgo serena.

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Eustache Du Caurroy 233

cantus prius factus liturgique 166. Trds souvent (neuf motets), les deux paraphrases sont combindes en cours de pi&ces 67. Mais contrairement A Lassus, Palestrina ou aux deux

compositeurs parisiens deja &voques, Du Caurroy exploite rarement toute la melodie de

r6ference et pref6re I'abandonner au profit de motifs invent's. La paraphrase m'lodique, ou I'utilisation du plain-chant sous la forme d'un cantus firmus (comme dans Mane prima sabbati), relevent d'une pratique courante au debut du XVle siecle. Dans Mane prima sabbati, le cantus firmus, qui migre d'une voix A I'autre, est presentc dans le meme regime de duree que le reste de la polyphonie.

En marge du plain-chant, Du Caurroy utilise une melodie qui apparait au debut de trois

pieces, sous deux formes diff6rentes (Ave maris stella, Misericordias Domini et Ave virgo gloriosa). Ce motif, que I'on retrouve egalement dans un noel et une fantaisie '68, est peut- etre issu d'une melodie du psautier huguenot choisie ou composde par Philibert Jambe de Fer et destin'e A accompagner la traduction du trentieme psaume realisee par Jean Poitevin (qui exerga notamment la fonction de chantre A I'aglise Sainte-Radegonde de

Poitiers) '69. Cette m'lodie se trouve integree A la premiere edition lyonnaise complete du psautier huguenot 70

Les pi&ces dans lesquelles le compositeur manifeste un interet moindre A I'agard du texte

(antiennes et prieres notamment) temoignent d'une plus grande imagination de sa part. Les motifs inventes qui viennent parfois s'ajouter A une melodie liturgique sont souvent

dcveloppes et frequemment exploites par plus de deux voix de la polyphonie grace A I'utilisation de I'ecriture en imitation. Dans le meme temps, le compositeur conf6re tres souvent un caractere symetrique A la piece, grace aux effectifs vocaux, A la longueur de chaque partie, des segments musicaux consacres aux sections du texte ou encore par le biais de I'utilisation de motifs identiques (Dixerunt discipuli, Dormitavit).

Comme les principes qu'ils appliquent dans I'criture pour double-chceur, I'usage de certains signes de mensuration ou le recourt A I'ambigu'it modale temoignent d'un certain conservatisme. Ainsi, I'utilisation du signe O (Christe qui lux es et Dormitavit), comme la superposition de deux signes de mensuration, C et ? (Ave marins stello) ~' rappellent la fin du XVe siecle. C'est egalement au XVe siecle et A I'acriture d'un Dufay par exemple

166 Voir par exemple Victime Paschali laudes. 167 Voir par exemple Inviolata integra. 168 <<Noel. Le sainct promis par les divins oracles>> et la vingt-sixieme fantaisie. 169 Voir L. GUILLO, Les editions musicales de la Renaissance lyonnaise, Paris, Klincksieck, 1991, p. 70. 170 Pierre PIDoux, Le psautier huguenot du XVIe si&cle. M'lodies et documents, Bale, Bdrenreiter, 1962, vol. II,

p. 163. J'ai maintenue la ref6rence a la numerotation hebra'que du psaume. Dans la Vulgate, il s'agit du psaume 29.

171 Alors que les voix de superius, contro, quinta pars, et bossus portent le signe C, le tenor presente un ( a la clef. Toutefois, toutes les voix evoluent selon un regime de durde a la br've.

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que I'utilisation d'armures partielles fait ref6rence (Ave maris stella et Mittit ad virginem).

Cependant, I'criture en musique mesuree a I'antique dans cinq motets montre que Du Caurroy s'est egalement interesse a des principes qui lui 6taient contemporains. Les cinq motets composes sur ce principe semblent revelateur de I'volution de Du

Caurroy dans ce domaine (du tres simple Ave salus mundi a Corporis ex medico, dont

la souplesse rythmique temoigne d'une plus grande maTtrise par le compositeur de la contrainte m6trique).

Conformement au titre du recueil, les soixante-trois pieces des Meslanges presentent une

certaine varietd, tant du point de vue des types de textes utilises que des thematiques abordees. Lexamen des Meslanges montre que, comme dans les Preces ecclesiastice, de nombreux textes n'ont pas 6te mis en musique par d'autres compositeurs 172.

Les neuf paraphrases de psaumes, les nols, la traduction de cantique, la priere en francais

d'avant le repas, comme les pieces a contenu moral et spirituel rappellent certaines pieces des Meslanges de Pierre Certon '7, mais surtout le recueil de melanges de Paschal de

LEstocart publid en 1582 sous le titre Sacre contiones '74. En revanche, les chansons a sujet amoureux, les textes latins et neo-latins, les chansons a thematique populaire ou encore

I'approche satirique d'un sujet en une piece epigrammatique se rapprochent davantage

de la plupart des recueils de melanges, comme par exemple ceux de Roland de Lassus

ou de Claude Le Jeune '5. Cependant, les parentes thematiques entre le recueil de Du

Caurroy et les publications de Certon et de LEstocart d'une part, Lassus et Le Jeune d'autre part, ne suffisent pas a masquer I'importance du nombre de noels (quinze) et leur

place centrale au sein du volume "76. Du Caurroy temoigne ici d'un interit particulier pour un genre peu exploite par les compositeurs en relation avec les eglises importantes et

les cours 77. Les textes de ces pieces presentent des thames assez varies qui s'inscrivent

172 Susanne unjour, Prince la France te veut, HIlas j'oy sans mercy figurent parmi les rares textes mis en musique

par d'autres compositeurs (notamment Le Jeune et Lassus). 173 Ce recueil, publi A Paris en 1570 par Nicolas du Chemin, renferme notamment un Notre pere. 174 Sacr.e cantiones quatuor, quinque, sex et septem vocum, Geneve, Jean II de Laon, 1582. A la suite d'une

remarque faite par Eugenie DROZ (<<Jean de Sponde et Paschal de L'Estocart>>, Bibliotheque d'Humanisme et de Renaissance, XIII (1951), pp. 312-26, p. 318), ce recueil a 6te considere comme perdu. En fait, si

la page de titre donne <<Socroe contiones>>, la table placee en fin de volume indique en revanche qu'il s'agit d'un livre de melanges: <<Indice des chansons du premier Livre de Meslanges>> (Sacrae cantiones...,

Espagne, Valladolid, Archives musicales de la Cathedrale). Le recueil de L'Estocart contient, entre autres,

la chanson spirituelle Helas, mon Dieu, ton ire s'est tourne. 175 Par exemple, le Mellange d'Orlande de Lasssus, contenant plusieurs chonsons, tant en vers latins qu'en ryme

frangoyse. A quatre, cinq, six, huit, dix parties (Paris, Le Roy et Ballard, 1570), et le Livre de melanges de

C. Lejeune, Anvers, Christophe Plantin, 1585. 176 Voir tableau 9, p. 226. 177 Au XVIe siecle, les compositeurs au service d'eglises importantes ou de cours s'interessent davantage aux

motets de Noel (Jean Mouton, Noe, noe, psallite noe, Claudin de Sermisy, Noe, Noe, Magnificatus est Rex, Francesco de Layolle, Noe, noe, noe, ou encore Giovanni Pierluigi da Palestrina, Hodie Christus natus est, avec le refrain Noe, Noe). Parmi les rares textes de nols en langue vemaculaire qui furent mis en musique

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Eustache Du Caurroy 235

dans la longue tradition des nols en langue vernaculaire 178. IIs c6lebrent la NativitY, la

vierge Marie, rappellent le peche originel, mais six d'entre eux font egalement ref6rence a la famille royale179. Les pieces appellent Dieu a proteger le roi (nos 30, 28) et son

entourage (no 32), a donner au couple royal une <<heureuse lignee>> (no 36); elles

cel1brent galement le roi (no 35) et la naissance du dauphin (no 31).

Dans ses Meslanges, Du Caurroy oppose deux types principaux de contrepoint: celui en imitation, qu'il utilise majoritairement dans son ceuvre, et I'ecriture note contre note a laquelle le soumet notamment la musique mesurde 180. Les pieces en contrepoint imitatif sont parfois dcveloppees en de longues phrases, presentees a plusieurs reprises, quelque- fois aux depens de I'expression du sens du texte '•'. Certaines pieces sont particulierement travaillees, comme la tris longue Susanne un jour. Dans cette chanson, le compositeur recourt a une tessiture relativement grave et paraphrase la melodie de Lupi dans toutes les voix par le biais d'un contrepoint en imitation particulierement dcvelopp&. A I'encontre des pieces qui montrent combien Du Caurroy maTtrisait I' criture en imitation, celles

qui sont Ocrites en musique mesuree temoignent en revanche d'une habilete moindre, probablement parce que le compositeur n'a pas eu I'occasion de pratiquer beaucoup ce

genre 182. Sa musique mesuree presente le plus souvent une certaine rigidit" et un manque d'originalitc dans la forme musicale. En effet, Du Caurroy parvient rarement a s'affranchir de la contrainte prosodique pour conf6rer A son discours souplesse et Igerete, et mettre en valeur certains mots 83

Si les Meslanges, par I'intituld meme de I'ouvrage et leur constitution, s'inscrivent de

fagon gendrale dans une tradition bien etablie en France, le recueil de fantaisies apparait

par des compositeurs attaches a une institution religieuse ou a une cour figurent Or est venu Noel son petit trac de Pierre Certon (Tiers livre de chonsons spirituelles... o quatre parties, Paris, Le Roy et Ballard, 1553, RISM 1553'9) et Bergersje vous foy syavoir de Pierre Bonnet, qui etait au service d'un gouvemeur de province (Premier livre d'airs mis en musique a quatre, cinq et six parties, Paris, Le Roy et Ballard, 1585). Voir Frank DOBBINS, << Nol >>, New Grove Dictionary of Music and Musicians, London, Macmillan, 2000.

178 Voir Adrienne F. BLOCK, <<Pierre Sergent's Les grans Noelz ca. 1537 and The Early French Parody No>l >, Ph. D., New York University, 1979, 2 vol.

179 Compte tenu du fait que Du Caurroy a servi successivement deux monarques prenommes Henri - Henri III puis Henri IV - certaines difficultes peuvent resider dans I'identification du ou des personnages auxquels s'adressent les pieces. Seule Accourez bons Francois (n' 31), qui c6l1bre la naissance du dauphin, ne presente pas d'ambiguitd, le couple formrn par Henri III et Louise de Lorraine etant reste sterile.

180 Je ne m'interesserai ici qu'aux chansons en musique mesuree, laissant de c6te les autres pieces en contrepoint note contre note (comme par exemple Noel. Voicy I'heureuse nuit, n' 26).

181 Dans HIlas!j'ay sans mercy, par exemple, Du Caurroy ne met pas en valeur les deux propositions << L'un en sa violette prend delectation, / L'autre en sa Janette met son affection >>, ce que fait Le Jeune qui introduit A cet endroit une opposition entre registres grave et aigu. La piece de Le Jeune est public dans son Livre de Melanges de 1585.

182 Sur Du Caurroy et la musique mesuree, voir infra. 183 La legerete et la souplesse rythmiques qui apparaissent dans Prince, la France te veut (n' 60) font de cette

piece a six voix I'une des rares exceptions du corpus.

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236 Marie-Alexis COLIN

aujourd'hui comme I'une des premieres publications de ce genre. En effet, A I'encontre des fantaisies pour instrument seul, qui connaissent une vogue durant le troisieme quart du XVIe siecle, celles pour ensemble instrumental ne commencent a susciter I'interet des

compositeurs qu'a partir du dernier quart du siecle, aux depens justement des fantaisies

pour instrument seul qui commencent a disparaTtre'84. Dans les Moduli duarum vocum

de Lassus publids par Le Roy et Ballard en 1578, les douze bicinia depourvus de texte

sont designes par le terme <<fantasie>>. Le Jeune ne laisse que trois pieces de ce genre

(qui sont publides dans le Second livre des meslanges de 1612). Dans la mesure oci il est

impossible de dater les fantaisies aujourd'hui perdues de Jacques Mauduit'85, le recueil de

Du Caurroy ne semble a I'heure actuelle precede que de la Musicque de joye. Approprie'e tant b la voix humaine, que pour sonner Espinettes, Violons et fleustes imprimee a Lyon

par Jacques Moderne vers 1550 86, et constitude notamment de vingt-deux ricercari dont dix-neuf avaient deji 6te publies a Venise en 1540 par Andrea Arrivabene '87. En

revanche, la fantaisie pour ensemble instrumental semble avoir suscite I'interet de plusieurs

compositeurs durant la premiere moitie du XVIIe siecle. En temoignent les trois pieces

pour violes qu'Etienne Moulinie insere dans son cinquieme livre d'airs de cour (1639)'88, les trente-six fantaisies de Nicolas Metru (1642)'89 ou encore les quatre pieces de Louis

Couperin (1654-1655) 190

Vingt-six des quarante-deux pieces du recueil de Du Caurroy sont construites sur une

m'lodie preexistante. Parmi les vingt-six pieces, quatorze utilisent une melodie de plain- chant (hymne, antienne), six sont basees sur une melodie issue du psautier huguenot191', six autres sont dlaborees a partir de melodies profanes - Une jeune fillette et je suis disherit'e - et d'un timbre de noel, No&l nouvelet. Les melodies preexistantes font I'objet d'un traitement varid, apparaissant tant6t dans une seule voix, sous la forme d'un cantus firmus strict (presente tres souvent en de longues valeurs rythmiques), tant6t dans

184 La vogue frangaise des fantaisies pour luth ou guitare seuls trouve un cho dans leur diffusion, relativement

large durant le troisieme quart du XVIe siecle. Les pieces ont notamment pour auteurs Adrian Le Roy

(deux ouvrages respectivement pour le luth et la guitare en 1551; Instruction de 1568), Albert de Rippe

(1552, 1553, 1554, 1558), Julien Belin (1556), Guillaume Morlaye (1552 et 1558), ou encore Jean-Paul Paladin (1560). En revanche, au cours du dernier quart du siecle, les fantaisies pour instrument seul sont

beaucoup moins diffusees, contrairement A la canzone pour clavier ou ensembles instrumentaux. Voir

Jean-Michel VACCARO, La musique de luth en France au XVIe siecle, Pans, CNRS, 1981, pp. 373-449. et

Howard Mayer BROWN, Instrumental Music Printed Before 1600. A Bibliography, Cambridge, Mass., Harvard

University Press, 1965. 185 Elles sont signalees par Marin Mersenne. Voir M. MERSENNE, Harmonie Universelle vol. 3, p. 64.

186 Cette publication n'est pas datee. RISM [c. 1550]24. Edition modeme: Jacques MODERNE, Musicque de joye, ed. Jacques Barbier, Tours, Universite Frangois Rabelais, 1993.

187 Ce recueil a pour titre Musica nova accomadata per cantar et sonar sopra organi; et altri strumenti, composta per diversi eccelecntissimi musici (RISM 154022).

188 Cinquiesme livre d'airs de cour b quatre et cinq parties, Paris, Pierre Ballard, 1639. 189 Fantaisies 6 deux parties pour les violles, Paris, Robert Ballard, 1642. 190 Christopher D. S. FIELD,, <<Fantasia (I.iv)>>, New Grove Dictionary..., London, Macmillan, 2000. 191 Sur ce sujet, voir infra.

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Eustache Du Caurroy 237

toute la polyphonie par le biais du contrepoint en imitation. La capacite A la variation, A

I'<< imagination >>, servie par la mattrise du contrepoint, s'illustre notamment lorsque Du

Caurroy utilise un meme materiau, mais de maniere diff6rente, dans plusieurs pieces. Lhymne Conditor alme syderum apparaft dans les fantaisies 4, 19 et 35, respectivement A trois, quatre et cinq voix. Dans les fantaisies 4 et 35, la melodie est presentee sous la forme d'un cantus firmus;dans la piece no 19, elle fait au contraire I'objet d'un travail imitatif entre toutes les voix. Plusieurs pieces construites sur le meme materiau sont regroupees dans le recueil, apparaissant alors comme des cycles. Les quarantieme et quarante-et- unieme fantaisies sont construites sur une melodie (donnee sous la forme d'un cantus firmus place dans la partie de cinquieme) issue de la liturgie de Vincent Ferrier 192. Dans la fantaisie no 14, I'hymne Ave maris stella est presentde en semi-braves dans la partie de haute-contre. En revanche, dans la piece suivante, Du Caurroy traite la melodie de plain-chant en imitation entre toutes les voix. Les fantaisies 37 et 38 sont construites non pas sur la mime melodie mais sur le meme principe, celui de la solmisation. Dans

la premiere, Du Caurroy, probablement en hommage A Josquin, reprend le motif la-sol-

fa-r&-mi dans toutes les voix de la polyphonie; dans la seconde (no 38), il propose une

piece <<A I'imitation des six monosyllabes en laquelle sont contenues les six especes de Diapason, divisees en la division Harmonique et Arithmetique >>.

Ce sont surtout les fantaisies 29 A 33 qui font veritablement figure de cycles et illustrent les capacites de Du Caurroy A composer des variations sur un theme donne. En effet, il choisit toujours de ne presenter la melodie populaire d'Une jeune fillette 193 que dans une seule voix, mais en explorant tout le registre: le dessus dans les trois premieres pieces; la basse-contre puis la taille dans la quatrieme partie; enfin le haute-contre dans la derniere fantaisie du cycle 194. lA a contrainte d'une melodie imposee qui balaie successivement tout le registre s'ajoute I'accroissement de I'effectif qui passe de trois (fantaisies 29 et 30), A

quatre (nos 31 et 32), puis cinq voix (no 33). Le recours A la mixite modale (nos 14, 15, 33) 195

et la presentation simultanee de signes de mensurations diff6rents (nos 4, 14, 20) montrent

egalement combien Du Caurroy mattrisait la composition. Par ailleurs, plus que toutes ses autres ceuvres, les Fantasies, (probablement conques comme une somme contrapuntique) s'inscrivent dans le cadre du discours que de nombreux humanistes du XVIle siecle ont mend au sujet de la musica humana et de la musica mundana'96

192 VoirJean-Michel VACCARO, presentation du disque XXIII Fantasies... par Eustache du Courroy, Astree 86, 1984. 193 Cette chanson, imprimee a Lyon en 1557 par Benoist Rigaud et Jean Saugrin dans le Recueil de plusieurs

chansons, est egalement presentee en 1576 dans le Recueil des plus belles et excellentes chansons en forme de voix de ville de Jean Chardavoine (Paris, Claude Micard).

194 Dans I'original, ces pieces, tout en 6tant numerotees (<<29e fantasie>>, <30e fantasie>>, etc.), portent la mention <<Seconde partie>>, <<troisiesme partie>>, etc.

195 Cette mixite modale est indiquee par I'utilisation d'armures partielles. 196 En France, de telles theories sont developpees, entre autres, par Pontus de Tyard (Solitaire second, Lyon,

Jean de Tournes, 1555), Guy Le Fevre de La Boderie (La Galliade, Paris, Guillaume Chaudiere, 1578;

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Seule messe de Du Caurroy qui subsiste aujourd'hui, la Missa pro defunctis, composde pour cinq voix, apparaft avec la messe de Requiem de Jacques Mauduit, comme I'une des rares messes des morts composde en France A la fin du XVIle siecle ou au debut du XVIle.

Malheureusement, la comparaison avec I'oeuvre que Mauduit composa en hommage A Pierre de Ronsard (1586) reste limitee puisque cette derniere ne nous est parvenue que de maniere partielle 197. En revanche, elle peut 6tre confrontee A celles que composerent Fevin, Sermisy, Certon et Maillard qui, au moins pour les trois premiers d'entre eux, ont

entretenu des rapports avec la cour de France 198. Chacun d'eux laisse en effet une messe de

Requiem composee A quatre voix 199. Comme tous ces compositeurs, et de falon globale 200

Du Caurroy recourt essentiellement A la paraphrase du plain chant. II place souvent ce

dernier dans les voix intermediaires (tenor, quinta pars, contra), A I'instar de Sermisy et de

Maillard qui la plupart du temps presentent la melodie liturgique de ref6rence au tenor, alors que Fevin et Certon privilegient au contraire la partie de superius. Comme Maillard, Du Caurroy privilegie I' criture en imitation au debut des sections de la messe; en cela,

il se demarque des trois autres compositeurs qui ouvrent tres souvent chaque partie en

contrepoint note contre note avant de continuer en contrepoint en imitation 20'. Par ailleurs, Du Caurroy partage avec Fevin, Certon et Sermisy I'utilisation de textes qui appartiennent au rite parisien, ce qui peut s'expliquer par I'ere d'activite des compositeurs concernes.

Michel Huglo a demontre que les variantes du texte de I'Offertoire par rapport A celui du

Missel romain et I'utilisation de deux sections extraites du psaume 22 dans la Missa pro

defunctis de Du Caurroy faisaient ref6rence au rite parisien 202. Parmi les trois compositeurs, seul Fevin se demarque de Du Caurroy par I'utilisation du trait Sicut cervus et le fait que dans I'Offertoire, il ne suive qu'en partie le texte du Missel romain 203

notamment le <<Cercle IV>>) et trouverent une application pratique dans les activit's de I'Academie de Poesie et de Musique qui se tint A partir de 1570 sous la direction de Jean-Antoine de Balf et de Thibault

de Courville. Voir Philippe VENDRIX, La musique b la Renaissance, Paris, PUF, 1999 et F. A. YATES, Op. cit., pp. 59, 113-22 et 248.

197 L'extrait A cinq voix qu'en donne Mersenne (Harmonie universelle, pp. 67-69) temoigne neanmoins des

preoccupations du compositeur pour la musique mesuree A I'antique. 198 Pour les hypotheses concernant Maillard, voir supra. 199 FEVIN, Misso pro fidelibus defunctis (Vienne, Ms. S. m. 15497 et Jena, Universitditsbibliothek, Livre de

chceur 5); ed. modeme, Edward H. CLINKSCALE, Les oeuvres compl/ites de Fivin. Misse, Henryville, Ottawa,

Binningen, Institute of Mediaeval Music, 1980. pp. 1-32. Voir aussi, du mime auteur, <<The Complete Works of Antoine de Fevin >, Ph. D., New York University, 1965, pp. 90-100 et 200. La Missa pro mortuis

de Jean Maillard n'est contenue que dans Barcelone, Biblioteca de la Disputacio, manuscrits n' 682 (copid avant 1597). Edition modeme dans: Jean MAILLARD, The Masses, ed. Raymond H. Rosenstock, Ottawa, Institute of Mediaval Music, 1997, pp. 180-203. Voir aussi R. H. ROSENSTOCK, Jean Maillard (fl. 1538-1572), Ph. D., New York University, 1981. La Missa Requiem de Claudin de Sermisy est imprimee A Paris en

1532 (Pierre Attaingnant, RISM 15324). Edition modeme dans: Claudin de SERMISY, Opera omnia. Missa, ed. Gaston Allaire, s. I., American Institute of Musicology, 1977, (<<CMM >, 52/V), pp. 85-111I I. La Missa pro defunctis de Pierre Certon est publiee A Paris en 1558 (Le Roy et Ballard).

200 J'ai jug4 qu'il n'6tait pas lieu ici de presenter une analyse detaillee de chaque Requiem. 201 Parmi ces trois compositeurs, c'est Sermisy qui utilise le plus souvent I'ecriture en imitation. 202 Voir Michel HUGLO, <<A propos du 'Requiem' de du Caurroy>>, Revue de musicologie, LI/2, (1965),

pp. 201-206. Par contre, M. Huglo ajoute dans cet inventaire I'absence du <<Dies ir ?>. Or cette prose est mise en musique A quatre voix A la fin du Requiem (fol. 16v-17).

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Eustache Du Caurroy 239

Thmoignages de I'activith du compositeur

Peu de temoignages contemporains de Du Caurroy renseignent sur ses activites musicales. La Croix du Maine, dans le premier volume de sa Bibliotheque paru en 1584, note:

Eustace ou Eustache du Courroy, maistre de la chapelle du Roy, I'un des plus grands musiciens, et des mieux versez en la theorique et pratique de tous ceux de nostre temps. II a mis en lumiere quelques oeuvres touchant la musique, imprimez A Paris chez Adrian Le Roy 204. 11 a davantage escrit, plusieurs oeuvres touchant la theorique et pratique de musique, non encore imprimez. II florist A Paris cette annee 1584.205

En 1602, dans son Labyrinthe royal, le jesuite Andre Valladier, qui commente la ceremonie

religieuse a laquelle Marie de Medicis a assiste quelques mois auparavant alors qu'elle se trouvait a Avignon, indique:

Le lendemain 20. du mois, elle entendit la Messe A nostre Dame de Doms.... Cependant la chapelle du Roy chantoit divers cantiques, et entre autres, I'hymne Royal Veni Sancte Spiritus... Monsieur du

Courroy commandoit en la chapelle Royale, personnage tres digne, grave et devot, et qui a bien sceu marier dextrement deux choses que les hommes estiment si esloignees: une grande maturite et vertu

avecque les crochets et fredons de musique: I'art de bien organiser les moeurs [sic] avec I'Acroamatie harmonieuse de ceste science si honorable et si divine quand elle est bien menagee a la gloire de Dieu, non pas mechanisee par les faux accords des moeurs disproportionnez et discordants A la raison

vraye chanterelle de I'ame, composee, comme disoit Platon, d'harmonie et de nombre tombans A la cadence de la predominante partie de I'homme.206

Dans L'art d'embellir, ouvrage publi un an avant la disparition du compositeur,

David de Flurance Rivault, qui le premier au XVIle siecle essaya de restaurer une academie en France, voit surtout en Du Caurroy un interprete:

203 Alors que les Requiem de Sermisy, Certon et Du Caurroy presentent, comme le Missel parisien, le texte <...ne cadant in obscura tenebrum loca>>, Fevin donne <...ne cadant in obscurum >, ce qui correspond au Missel romain. En revanche, au debut de I'Offertoire, les quatre compositeurs suivent le texte du Missel parisien: <<...libera animas omnium fidelium defunctorum de manu inferni>>, alors que le Missel romain donne A cet endroit le texte suivant: <<libera animas omnium fidelium defunctorum de poenis inferni> .

204 S'agit-il des trois chansons imprimees dans deux anthologies en 1583 (voir supro), ou d'un traite theorique comparable A celui d'A. Le Roy (Paris, 1583) dont un exemplaire de la reddition de 1602 s'accompagne par ailleurs de I'inscription manuscrite <<par Ducaurroi ??

205 Francois GRUDE, sieur de La Croix du Maine, Premier volume de la Bibliotheque du sieur de La Croix Du Maine, qui est un catalogue gendral de toutes sortes d'autheurs qui ont escrit en fronpois depuis cinq cents ans et plus jusqu'O ce jour d'huy, Paris, Abel L'Angellier, 1584, p. 8 1. La date exacte a laquelle La Croix du Maine a redig6 cette notice reste inconnue. Neanmoins, ce serait A partir de 1569, lorsqu'il arrive ' Paris et s'inscrit a I'universite, qu'il aurait commence a rassembler de la documentation en vue de constituer un dictionnaire. Voir Louis MORERI, Le grand dictionnaire historique ou le melange curieux de I'histoire sacrze et profane, Paris, Editeurs associds, 1759, 10 tomes, t. IV, pp. 285-86.

206 Andre VALLADIER, Lobyrinthe royal de /'Hercule Gaulois triomphant sur le suject des fortunes, batoilles, victoires, trophzes, triomphes, mariage et autres faicts heroiques et memorables du tresouguste et trezschetien Prince Henri IV, Roy de France et de Navarre, represent' b I'entree triomphante de la Royne en la cite d'Avignon...ou sont contenues les magnificences et les triomphes dresses b cet effet par ladite ville, Avignon, Jacques Bramererau, 1601, p. 215. Voir Henri-Andre DURAND, << Les instruments dans la musique sacrde au chapitre collegial saint-Agricol d'Avignon ?, Revue de musicologie, LI/I (1966), pp. 73-87. Marie de Medicis traversait alors la France pour rejoindre Henri IV qu'elle allait 6pouser.

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240 Marie-Alexis COLIN

De sorte que la gorge du bon Musicien a les puissances de chaque corde d'une Espinette bien en

point. Et le sieur du Corroi (sic) nostre Orphee Francois n'entonnera moins bien avec un de ses enfants de la Musique du Roy, une octave ou toute autre consonance, que si Lenclos vient A toucher

nettement I'Hypathe et la Nete de son Luth.207

Dans la mesure oO la plupart de ses ceuvres n'ont 6t4 imprimees qu'une fois - I'annde

meme de sa disparition puis de fagon posthume - ii est difficile de retracer la carriere

de Du Caurroy sur la base chronologique de leur composition. II n'est en effet possible de proposer des dates de composition que pour quelques unes de ses ceuvres.Tel est

le cas des pieces pour lesquelles le compositeur a 6t4 recompense au puy de musique d'ivreux: I'air Rosette pour un peu d'absence (cornet d'argent en 1575), le motet Tribularer

si nescirem (orgue d'argent en 1576) et la chanson Beaux yeux (luth d'argent en 1583). Neanmoins, loin de considerer les annees respectives de I'attribution des prix comme

celles de leur composition, je pref3re plut6t les envisager comme les dates les plus tardives de composition 208. Les publications des quelques anthologies qui renferment des

chansons de Du Caurroy fournissent egalement les dates ante quem de composition des

pieces en question: 1583 (A demy mort, chascun me peultjuger, Une pastourelle gentille et un

berger, Celle jadis qui feit armer la Grece); 1597 (Rose vostre beau teint). Enfin, il est parfois

possible de situer plus exactement certaines chansons dans la carriere du compositeur

grace aux evenements qu'elles celebrent.Tel est les cas de Chevaliers genereux composee a I'occasion de la victoire de la bataille d'lvry, le 14 mars 1590, de France tu dois a ce coup bastir des temples

' ton Roy pour commemorer la reprise d'Amiens (Ier octobre 1597), de Ninfe qui tiens tant d'heur et Victorieux guerrier, pour le mariage d'Henri IV et de Marie

de Medicis (decembre 1600) 209

207 L'art d'embellir tire du sens de ce Sacrd Paradoxe. La sagesse de la personne, embellit so face. Estendu en

toutte sorte de Beaute, et es moyens de faire que le corps retire en effect son embellissement des belles qualitez de I'Ame. Par le sieur de Flurance Rivault... Paris, Julien Bertault, 1608, fol. 99. Paris, BnF, Tolbiac, microfiche R 49248. Sur Flurance Rivault, voir Frances A. YATES, Les academies en France au XVIe siecle, pp. 380-88.

Le luthiste Henri de L'Enclos (mort en 1649), servit la maison du duc d'Elboeuf puis celle du marechal de

Saint Luc et fut compare par Mersenne aux Gautiers (pare et fils) et A Blancrocher. Voir Joel DUGOT,

David

Ledbetter, <<L'Enclos, Henri de>>, New Grove Dictionary..., London, Macmillan, 2000. 208 Horst Leuchtmann (Orlando di Losso, Wiesbaden, Breitkopf & Hdrtel, 1976, 2 vol., vol. I, p. 177) affirme,

sans en donner la source, que les appels A candidature s'accompagnaient des textes latins et frangais que les compositeurs devaient mettre en musique. Ceci signifierait non seulement que la plupart des oeuvres etaient directement destinees au puy de musique, mais aussi qu'elles n'6taient pas composees avant la

publication des affiches. Leuchtmann a peut-etre utilise I'un des articles des statuts du concours musical, et fait une erreur d'interpretation concernant le terme <<semonce >>, qui signifie << invitation >>: << Et pour ce

qu'il est tris-seant et necessaire pour la decoration dud. Puy, de faire, par chacun an, nouvelles invitations

aux musiciens, le prince, en son annee, aura le soing d'employer quelque gentil esprit A composer nouvelles

semonces, en latin et francois, comme le motet est en latin et la chanson franCoise>>. L'affirmation de Leuchtmann a deja

t~t rejetee par E. C. TEVIOTDALE, <The Invitation to the Puy d'Evreux>>, Current

Musicology, (1985), pp. 7-27. En effet, les incipits latins des motets qui sont recompenses renvoient le

plus souvent A des textes liturgiques, et les pieces en fran;ais

sont notamment composdes sur des

poemes de Ronsard, Desportes, deux auteurs alors apprecies par les compositeurs. Enfin, dans les

statuts, I'article concemant les chansons A cinq voix indique qu'elles devront etre composees <<[...] A

tel dict [texte] qu'il plaira au facteur, hors texte scandaleux>. Voir BONNIN et CHASSANT, op. cit., p. 90.

209 Ces quatre textes en vers mesures ont 4t4

ecrits par Nicolas Rapin. Voir infra.

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Eustache Du Caurroy 241

Labsence de jalons chronologiques dans I'ceuvre de Du Caurroy n'en facilite pas une

interpretation qui pourrait peut- tre s'articuler d'apres les diff6rents courants auxquels le

compositeur aurait pu adherer. Neanmoins, les vingt-sept pieces en musique mesuree qui subsistent aujourd'hui - vingt-deux dans les Meslanges 210, cinq dans les Preces ecclesias-

tice 2 - permettent de situer davantage un pan de I'activite de Du Caurroy. Cet aspect de I'ceuvre du compositeur a en general ete juge negativement, ou du moins neglig6, probablement pour avoir 6te souvent compare aux pieces du mime type chez Le Jeune. Or, les ceuvres respectives des deux compositeurs s'inscrivent dans des perspectives tout A fait diff6rentes.

C'est A la suite d'un recit bien connu d'Agrippa d'Aubigne qu'il a 6te admis assez tradi- tionnellement que Du Caurroy ne s'est interess' A la musique mesuree que tardivement,

peut- tre vers 1600-1603, apres avoir assist' A un concert au cours duquel des ceuvres de Le Jeune 6taient interpretees:

En ayant donc taste, je puis vous en dire mon goust: c'est que tels vers de peu de grace A les lire et

prononcer, en ont beaucoup A estre chantes; comme j'ay eu en des grands conserts faits par les

musiques du Roy, et notamment en un festin celebre faict par le sieur Payot en ma faveur,

ot je menai Monsieur de La Noue arrivant de Holande. La symphonie estoit de pres de cent voix de tout le choix de Paris; Ia, les oreilles, lassees de diverses et excellentes pieces, furent resveillees et mises en goust par un des deux Pseaumes que j'ay allegues, de la composition de Claudin le jeune. Ce qui fit que du Courroi (conducteur de cette affaire, et qui n'avoit jamais gouste les vers mesures), par emulation mit le mesme Pseaume de Saphiques en musique [Ps. 88: Dieu benin...] et en lumiere, toutesfois sans effacer le premier; et que dix ou douze des principaux musiciens de la France prononcerent, que les mouvements de tels vers estoyent bien plus puissants que des rimes simplement212

II semblerait qu'en tant que porte tardivement acquis A la cause de la poesie mesuree, d'Aubigne se soit, par un acces de vanitY, pose comme I'initiateur du genre aupris de Du

Caurroy 23. En fait, la piece Chevaliers genereux, composde sur des vers de Nicolas Rapin,

210 Les textes de ces pieces, qui representent un tiers du recueil, sont repartis en cinq paraphrases de psaumes (dont une en latin), une priere d'avant le repas, une version frangaise du cantique de Simeon, six poemes de circonstance, deux traductions d'epigrammes de Martial, trois pieces latines ou neo-latines et quatre podmes A sujet amoureux.

211 II s'agit des pieces Sanctorum soboles et des deux versions de Virgo Dei genitrix (Preces ecclesiastice...Liber primus) et de Corporis ex medico et Ave solus mundi (Preces ecclesiastica... Liber secundus).

212 Agrippa D'AUBIGNE, Petites oeuvres mesldes, Geneve, Pierre Aubert, 1629, CEuvres completes, d. Eug. Reaume et de Caussade, Paris, 1874, 6 vol., vol. 3, p. 274 (<< L'autheur au lecteur>>, preface des Poesies religieuses et vers mesures). Le festin chez Payot a semble-t-il eu lieu durant I'hiver 1600. En effet, La Noue rentre des Pays-Bas en janvier, et une lettre de d'Aubign' A Salomon Certon indique qu'il y avait un feu de cheminde chez son h8te. Voir Jean-Daniel CANDEAUX et jean-Michel NOAILLY <<Agrippa d'Aubigne et ses psaumes en vers mesures?, Le livre entre Loire et Garonne. Un outil de guerre, de paoix et d'oubli (1560-1630), 6d. Louis DESGRAVES et Eric SURGET Niort, 1998, p. 179; Nicolas RAPIN, CEuvres, 6d. Jean BRUNEL, Paris, Genive, 1982-84, 3 tomes (dcsormais RAPIN I, II OU II selon le numero de tome), tome II, p. 178-79. Le psaume 88 dans la version de d'Aubigne apparait dans les Meslanges de Du Caurroy (Dieu benin, j'espons jour et nuit).

213 Les critiques du porte A I'encontre de la poesie mesuree avaient semble-t-il conduit Odet de La Noue et Nicolas Rapin A le mettre au defi: <...sachant que ce genre d'escrire [en vers mesures] est gouste de fort peu de gens, j'ai pris occasion de dire un mot des vers mesures

francois. Plusieurs se sont vantes de

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242 Marie-Alexis COLIN

prouve qu'en 1590 ou peu apres Du Caurroy mettait dej' des vers mesures en musique. Selon Jean Brunel, editeur moderne de I'ceuvre de Rapin, les variantes textuelles entre le poeme presente dans les Meslanges et la version podtique imprimee dans I'edition posthume du porte (en 1610) tendent a montrer que la version de Du Caurroy constitue

la premiere publication de ce poeme qui cel1bre la victoire de la bataille d'lvry, le 14 mars 1590. En effet, I'edition litteraire de 1610 a subi de nombreuses modifications: adaptation a un nouveau contexte, notamment par suppression ou modification de certains passages qui n'ont plus cours en 1610 ou risquent de ne plus ktre compris 21. Par ailleurs, meme s'il

subsiste peu de renseignements precis sur la collaboration entre Rapin et Du Caurroy, et

la mesure de I'engagement de ce dernier; la forte proportion de poemes de Rapin dans la section en vers mesures des Meslanges - neuf pieces au moins sont du porte poitevin -

place le musicien dans une perspective tout a fait particuliere, distincte de celle de Le Jeune

qui, avec d'autres compositeurs (Costeley, Courville), fait figure de pionnier au sein de

I'Academie de Poesie et de Musique dirigee quelque vingt ans auparavant par Balf. En effet,

Rapin a I'ambition de fonder une nouvelle ecole de poesie et de musique mesur'es dont il serait le chef de file.Tout en se presentant comme le continuateur de I'ceuvre de Baif, il

en simplifie considerablement les principes (notamment I'orthographe, et la metrique)215. C'est surtout pendant les annees 1595-1603 que Rapin essaie de construire un projet et de convaincre ses detracteurs 26, parfois par I'intermediaire de poemes qu'il envoie a des amis, comme I'ode anacreontique adressee vers 1595 a son ami Jacques Gilot, et dans laquelle, abordant le sujet de la musique, il parle de sa collaboration avec Du Caurroy:

<< Mais encore ay-je bien pris, << Plus grande barre contre-eux [les detracteurs de son projet]

< Quand pres de moy du COURROY < D'accords anime mes vers << Ils sont ravis, et n'ont plus << Recours [qu'] A joindre les mains << Pour admirer la beaute, << Et I'harmonie des voix,

<< Qui vont d'un ordre nombreux

<< Fraper le ciel de leur son >> 27

les avoir mi au jour les premiers, comme Jodelle, BaTf, et autres plus nouveaux: mais il me souvient d'avoir

veu, il y a plus de soixante ans, I'llliade et I'Odyssee d'Homere composees plus de quarante ans auparavant en exametres ou heroiques [...]. Ce que Jodelle en a fait et qui paroist, est bien seant et bien sonnant: ce

que je ne dirai pas des fadesses de BaTf, et des premiers essais de mes amis. MM. de la Noui et Rapin se

sont mis au champs avec cet equipage, moi leur contredisant, n'esperant jamais qu'ils peussent induire les

Francois A ces formes plus espineuses de rigueur, que delicieuses par leurs fleurs. [...] ils dirent, que ces

difficultes ne seroyent proposees ni goustees que par ceux qui ne les pouvoyent vaincre, et qui pour en estre incapables, les rejettent. Certes ce deffi esmeut un peu ma bile, et m'envoya de cholere m'essayer premierement sur le Pseaume 88 [...]>. A. D'AUBIGNE', Op. cit., pp. 270-73. Dans cette perspective, laisser entendre qu'il avait une part de responsabilitc dans la demarche de Du Caurroy couronnait le succes du pokte au defi qui lui avait 6te lance.

214 Voir RAPIN II, pp. 124 et 149-50. 215 Voir RAPIN I, pp. xxxvi-Iv. 216 Voir Rapin I, p. xxxvi.

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Eustache Du Caurroy 243

Enfin, dans la mesure o I'intense activite litteraire de Rapin en fait presque le porte officiel de la cour en 1587-88, puis de 1593 a 1603 218, ii semble assez logique qu'il collabore avec un musicien de cour,

Du Caurroy (qui partage sa charge avec Le Jeune a partir du milieu des annees 1590) et I'invite notamment a mettre en musique plusieurs textes de circonstance.Toutefois, I'engagement de Du Caurroy n'est pas comparable a celui de Le Jeune, dont la vaste production de musique mesuree est le fruit d'une collaboration durable entre le compositeur et Baif219. Du Caurroy semble avoir surtout bendficid de la presence et du r1le de Rapin a la cour pour cultiver ce genre. A c6te des pieces de circonstance, d'autres textes refl&tent certains goats po6tiques de Rapin, ainsi que les relations amicales qu'entretenait ce dernier avec des pontes ayant egalement pratique la poesie mesuree. Ainsi, les poemes d'Ovide et de Martial qui figurent dans les Meslanges de Du Caurroy illustrent tres probablement I'interet que manifeste Rapin a ces deux

auteurs220, et le compositeur choisit egalement des poemes ecrits par Desportes et

d'Aubigne, tous les deux influences par Rapin dans leur dcmarche vers la poesie mesu- ree 221. En revanche, les Meslanges ne renferment apparemment que deux poemes de Baif222, auquel Le Jeune a si souvent rendu hommage. Du Caurroy apparait peut-6tre davantage comme I'un des temoins de I'entreprise poetique de Rapin au sein de la cour que comme le membre actif d'un cercle aux pretentions academiques. D'ailleurs, I'echec de I'entreprise poetique de Rapin et son depart de la cour en 1603 expliquent probablement que Du Caurroy n'a pas davantage exploite le genre, ce qui lui aurait

peut-etre donne la possibilite de se degager de la contrainte prosodique.

217 N. Rapin, <<A Monsieur Gilot. Ode anacreontique>> (Rapin II, p. 193, strophe 3). Outre Du Caurroy, Rapin a entretenu des relations avec d'autres musiciens, parmi lesquels figure Le Jeune. Le pokte offre un poeme liminaire au Printemps (1603), et une autre piece destinee a accompagner I'envoi du Printemps a son dedicataire, Jacques ler d'Angleterre (RAPIN I, pp. 692-96.). Certains airs de cour de Gabriel Bataille et Pierre Guedron sont composes sur des poemes de Rapin.

218 RAPIN I, pp. xxi et xxviii. 219 Plusieurs textes signes de Baif et datant de periodes diff~rentes attestent la longevit6 de cette collaboration,

comme le sonnet en preface a la Musique de Costeley (1570), la d dicace de sesjeux (1573), ou encore I'ode ecrite a I'occasion de son propre anniversaire (1582). Cette association, qui survecut a la disparition de I'Academie de Poesie et de Musique, est encore evoqude en 1603, dans I'avertissement adress•

<<au lecteur>>, au debut du Printemps (1603): <<Je t'ay bien voulu advertir que I'intention de Messieurs de

Ba'f, et le Jeune, estoit de faire imprimer ces vers mezurez en I'orthographe [...]>?. Voir Isabelle His, Claude Le jeune (v. 1530-1600). Un compositeur entre Renaissance et baroque, Aries, Actes Sud, 2000, p. 62.

220 Rapin a effectue de nombreuses traductions d'auteurs anciens. Les Meslanges contiennent <<Hanc tua Penelope>>, d'Ovide, et deux epigrammes de Martial dont I'une apparaTt avec la traduction frangaise de Rapin (<< Phosphorae redde diem>> / <<Aube rameine>>). Voir RAPIN I, p. IV-IXV.

221 D'Aubigne, d'abord peu enclin a la poesie mesuree, s'y interessa finalement, apres avoir 6te mis au defi par Odet de La Noue et Rapin. La piece de d'Aubigne qui se trouve dans les Meslanges de Du Caurroy a deji 6te voquee. Quant a Desportes, ses tentatives, semble-t-il peu reussies, dans ce domaine, sont egalement dues A I'influence de Rapin. Deux paraphrases de psaumes mesurees par Desportes sont present'es dans les Meslanges: Vous qui le porvis du Seigneur frequentez (Ps. 133), parodie de I'ode saphique de Rapin sur la mort de Ronsard (Vous qui les ruisseaux d'Helicon fr6quentez) et Si le Tout-puissant (Ps. 126). Voir RAPIN II, p. 173.

222 11 s'agit de Preste I'oreille (psaume 5) et de Deliette, mignonette, que Le Jeune a egalement mis en musique.

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244 Marie-Alexis COLIN

S'il est possible de situer une partie de la musique mesuree de Du Caurroy en

ref rence a Nicolas Rapin, I'importance de ce dernier dans I'ceuvre du compositeur doit

cependant rester toute relative, dans la mesure otl de nombreux textes, A I'instar de ceux

qui sont presentes dans les Preces ecclesiastice, n'ont pu 6tre identifies. Les quelques poemes dont les auteurs sont connus montrent I'interit de Du Caurroy pour des textes aussi bien contemporains qu'anciens. En effet, apres Rapin, Desportes apparaTt aujourd'hui comme le porte chez lequel le compositeur a le plus souvent puise, puisque six de ses textes sont inclus dans les Meslanges 223 : cinq paraphrases de psaumes - dont deux en vers mesures - et un quatrain extrait d'une chanson des Amours d'Hyppolite, Pour vous aymer224; par ailleurs, c'est avec la villanelle Rosette pour un peu d'absence que le

compositeur se presenta avec succes au premier puy de musique d'ivreux (1575). Dans

I'el1gie latine que Rapin ecrit A I'intention de Desportes, Du Caurroy figure parmi les

nombreux amis du porte qui accompagnent sa dcpouille 225. Avec Desportes, les pontes Gilles Durant, Agrippa d'Aubigne et Jacques Davy du Perron appartiennent a la generation du compositeur226. Dans I'oeuvre de ce

dernier, ils c6toient Marc-Antoine Muret, Etienne

Jodelle (une piece attribute a chacun d'eux) 227, Jean-Antoine de Balf (au moins deux

textes) 228 et Rapin, tous les quatre un peu plus ages. J'ai par ailleurs indique que le choix

par Du Caurroy de deux textes d'Ovide et de Martial a probablement ete influence par

Rapin 229. Du Caurroy se tourne encore vers les generations precedentes lorsqu'il met en

musique les textes de Guillaume Gueroult 230, Mellin de Saint Gelais 231, Clement Marot 232

223 Meslanges, nos 2-4, II, 42 et 45. 224 Les deux paraphrases en vers mesures ont 6te evoquees precedemment (Vous qui le porvis du Seigneur

frequentez, Ps. 133) et Si le Tout-puissant n'etablit la maison, Ps. 126). Quant aux trois autres paraphrases, il s'agit de Le Seigneur, des qu'on nous offence (Ps. 45), Juge ma cause (Ps. 25) et Du profond des maux (Ps. 129), placees en d6but de recueil (pieces nos 2, 3 et 4).

225 Voir Jacques LAVAUD, Philippe Desportes. Un porte

de cour ou temps des Valois (1546-1606), Paris, Droz, 1936, pp. 386-87. J. Lavaud a identifie les dix musiciens parmi lesquels Du Caurroy est nomm&: les luthistes Guillaume Le Boulanger, Jacub Reys, le joueur d'epinette et organiste Jacques Champion, les compositeurs Jacques Mauduit, Pierre Guedron (compositeur et chanteur), Jacques Lefebvre, Henri Le

Bailly (luthiste et chanteur), et le chanteur Savomy. Pour << Balardus>>, deux hypotheses sont possibles: soit Leon Ballard, soit Robert Ballard, tous les deux luthistes et fils de Robert Ballard. Voir RAPIN II, p. 382.-89 et Madeleine jORGENS, Documents du Minutier central concernant I'histoire de la musique (1600-1650), Paris, SEPVEN, 1974, 11, p. 870. (acte du 16 ao0t 1606) et 225 (24 mai 1648).

226 Les textes de ces trois poktes se trouvent dans les Meslanges. II s'agit de Le long des eaux (Durant), de Quand ou dernier sommeil (Du Perron) et de Dieu benin, j'espons (d'Aubignd). Je dois I'identification de Le long des eaux a Julien Gceury.

227 Un texte de Muret, Sanctorum soboles, est public dans le premier volume des Preces ecclesiastic-e. Le texte de Jodelle Vierge, to France te veut par ces vers sacrer un autel qui s'adressait A I'origine A Marguerite de France, sceur d'Henri II, est public dans les Meslanges avec une Igere modification afin qu'il s'adapte a son nouveau dedicataire, le roi de France, probablement Henri IV (n' 60, Prince, la France).

228 Preste I'oreille et Deliette, mignonette (Meslanges, nos 44 et 48). 229 Honc tua Penelope (Ovide) et Phosphora redde diem (Martial). 230 11 s'agit de la tres fameuse Susanne unjour (Meslanges, n' 5). 23 I1 Meslanges, no 18. Le texte de Saint Gelais se trouve allongc dans la version de Du Caurroy et presente

de nombreuses variantes perceptibles des le premier vers: Si j'y du bien cruelle helos! (Meslanges) pour Sij'ai du bien helas! (Saint-Gelais).

232 Une pastourelle et un berger, publiie en 1583 et 1585 (RISM 15831 et 1585").

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Eustache Du Caurroy 245

ou le poeme anonyme A demy mort, chacun me peut juger imprime par Attaingnant des 1528 233. En marge de ces po&tes <<officiels>>, Louis Servin, avocat et conseiller du roi au

parlement de Paris, est I'auteur de la paraphrase du premier psaume mise en musique a la fin des Meslanges. Cette piece, comme la dedicace que lui adresse Andre Pitart en tate des Fantasies, et I'ode latine signee par Jean du Marche, maitre des requites au parlement de Paris, au debut du premier livre des Preces ecclesiastice, temoignent des relations entre le compositeur et le milieu juridique. Mais, plus gendralement, ces trois textes contribuent a montrer le liens qui unissent alors les hommes de loi aux compositeurs, dans une

perspective ou musique et 6thique sont intimement lides234, car <<o0 la Musique est desordonnee, Il volontiers les mceurs sont depravez, et o0 elle est bien ordonnee, la sont les hommes bien moriginez>> 235.

Si les pieces en musique mesuree temoignent notamment des experiences menees

par Rapin, I'utilisation de melodies du psautier huguenot, autre aspect de I'oeuvre du

compositeur, est tres probablement a mettre en rapport avec le milieu fortement marque

par la confession reformee dans lequel il volue apres la mort d'Henri III. Les ducs Henri de Bouillon, Henri II de CondO, Maximilien de Sully, le porte Agrippa d'Aubigne, Catherine de Bourbon (sceur d'Henri de Navarre) figurent parmi les nombreux huguenots qui entourent le roi. En outre, il apparait que meme Henri IV, qui a dO abjurer pour acceder au tr6ne de France et exprime sa nouvelle foi avec assurance, n'en conserve pas moins certaines convictions reformees, comme le refus de vouer un culte aux saints et aux reliques 236

II subsiste aujourd'hui neuf pieces dans lesquelles il est certain que des melodies du psautier huguenot ont 6te utilisees 237. Six d'entre elles se trouvent dans les Fantasies, les trois

233 RISM [c. 1528]1.La musique est 6galement anonyme. La piece de Du Caurroy est publiie en 1583 puis 1585 (RISM 15837 et 1585").

234 Rapin, defenseur actif de la musique mesuree, auteur de textes qui furent mis en musique par Du Caurroy, Guedron, Bataille, redacteur d'une piece liminaire au Printemps de Le Jeune (1603), exerra les fonctions d'avocat (Paris) et de prev6t general (Fontenay-le-Comte). Guy du Faur de Pybrac, avocat general au parlement de Paris a partir de 1565, prit une part active d I'instauration de I'Academie du Palais (1576) dont les objectifs 6taient d'ordre 6thique; il est par ailleurs I'auteur des celIbres Quotrains (Paris, Federic Morel, 1576), poemes moraux mis en musique plusieurs fois (par Guillaume Boni et Paschal de L'Estocart en 1582, Roland de Lassus et Jean Planson en 1583, enfin Jean de Boumonville en 1622). Jacques Mauduit, clerc de la cour des requites, assista Ba'f dans son entreprise academique et composa de nombreuses ceuvres en musique mesuree (chansons, publides en 1586; psaumes; fantaisies; Requiem, ecrit en hommage a Ronsard). Nicolas Bergier, syndic de Reims, redige A partir de 1603 un traite sur le rythme, La musique speculative. Voir P. VENDRIX, La musique

N la Renaissance, pp. 86-88, et, du mime auteur, <<Nicolas Bergier: le

dernier theoricien de la Renaissance en France>>, La musique de tous les passetemps le plus beau, Hommage a Jean-Michel Vaccaro, ed. F. LESURE, H. VANHULST, Paris, Klincksieck, 1998, pp. 369-86.

235 Extrait des lettres patentes de I'Acad'mie de Poesie et de Musique (reproduites dans F. A. Yates, op. cit., p. 437). Cette reflexion s'6tendait au-delA de la poesie et de la musique: elle concemait galement la danse et la peinture, et fut notamment mise en pratique dans Le Balet comique de la Reyne, presente en 1581 a I'occasion des noces du duc Anne de Joyeuse avec Anne de Vaudemont, soeur de la reine. F. A. Yates, op. cit., pp. 323-46.

236 J. P. Babelon, op. cit., p. 694. 237 Trois motets de Du Caurroy, un noel et une fantaisie commencent par un motif qui pourrait 6tre

I'adaptation du debut d'une melodie issue du psautier huguenot. Voir supra.

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246 Marie-Alexis COLIN

autres - des paraphrases de psaumes par Desportes - sont incluses dans les Meslanges: (tableau I I).

Tableau II : Utilisation des melodies du psautier huguenot par Du Caurroy

Piece Melodie du psautier huguenot Nombre Traitement de la melodie

de voix emprunt'e Fantaisies

I 're fantaisie Ps. I << Qui au conseil des 3 imitation dans toutes les voix

malins n'a este >>

6e fantaisie Ps. 1 9 << Les cieux en chascun 3 melodie presentee A la partie de lieu >' Dessus ; parfois paraphrasde

aux autres voix

I 8e fantaisie Ps. 55 << Las ! qui me donnera 4 travail contrapuntique sur la I 're

des ailes >>2 phrase du Ps. 55.

20e fantaisie Ps. 26 << Seigneur garde mon 4 c. f. a la partie de Haute-Contre en

droit >>3 brtves

25e fantaisie Ps. 46 << Des qu'adversite nous 4 c. f.' la partie de Dessus en

offense >>3 semi-braves et minimes ; voir aussi

Meslanges, piece n 2: << Le Seigneur des qu'on nous offense >>

27e fantaisie Ps. 138 << II faut que tous mes 5 c. f. la partie de Cinquiesme

esprits >>4

Meslanges

Le Seigneur des qu'on Ps. 46 << Des qu'adversite nous 7 c. f. en triple canon

nous offense (paraphrase offense >>

du Ps. 45, Desportes)

Juge ma cause Ps. 51 << Misericorde au povre 6 c. f. dans la partie de Sixiesme

(paraphrase du Ps. 25, vicieux >>3 en semi-braves et minimes

Desportes)

Du profond des maux Ps. 72 6 travail contrapuntique sur

(paraphrase du Ps. 129, la premiere phrase du psaume

Desportes)

I M6lodie publi6e dans Pseoulmes cinquante, de David... mis en musique par Loys Bourgeois b quatre parties (Lyon, Godefroy et Marcellin Beringen, 1547).

2 M6lodie imprimde dans les Pseaumes de David (Gen&ve, Michel Du Boys, 1562). 3 La mdlodie utilis6e est publiie la

premiere fois dans les Pseaumes octante-trois de David (Gen&ve, Jean Crespin, 155 1).

4 La mdlodie utilisde est conforme A celle qui est publi6e dans les Pseaumes octante-trois de David (Gen&ve, Jean Crespin, 155 I).

Dans tous les cas, I'allusion au timbre n'est pas specifie 238';

mentionner la melodie

empruntee aurait obligatoirement designe les pieces en question - voire le volume dans

238 Seules les dix-huitieme et vingt-cinquieme fantaisies font ref6rence A un texte de psaume. La fantaisie 25

porte I'indication <<Sur le Seigneur des qu'on nous offence>>, renvoyant ainsi '

la paraphrase du psaume 45 par Desportes. Mais le compositeur utilise en fait la melodie huguenote Des qu'adversite nous offense

(Ps. 46). Selon Jean-Michel Noailly, le texte <<Que n'ay-je des aisles mon Dieu >> place en tate de la fantaisie

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Eustache Du Caurroy 247

lesquelles elles etaient presentees - comme un corpus destine aux reformes 239. Comme le resume le tableau ci-dessus, Du Caurroy utilise les melodies de ref6rence de maniere varide: du cantus firmus, qui se deploie en valeurs longues ou au contraire se fond dans la polyphonie (par recours a des valeurs rythmiques identiques a celles des autres voix), au travail imitatif qui diffuse le timbre dans toutes les voix; parfois, seul le debut de la melodie est utilisee (dix-huitieme fantaisie, Du profond des maux) 240. Les raisons pour lesquelles Du Caurroy a choisi d'utiliser des melodies du psautier huguenot dans ces

pieces restent obscures. Dans les trois psaumes des Meslanges, les textes comme les melodies sur lesquelles elles sont construites et qui vehiculent elles-memes implicitement une ref6rence textuelle au psautier ont suggere a M. Desmet que les pieces avaient peut- 6tre ete destinies a faire partie d'un cycle construit sur le modele du Dodicachorde de Le

Jeune 241. Les trois pieces, en effet, en appellent a la misericorde de Dieu afin qu'il protege le roi et assure la paix du royaume. M. Desmet rapproche la paraphrase du psaume 129 et son association a la melodie huguenote du psaume 72 de la promulgation de I'idit de Nantes en 1598, I'annee meme oul le Dodicachorde de Le Jeune est publiC, accompagne d'une preface dans laquelle le compositeur valenciennois souhaite <<donner aux Franroys de quoy unir les tons comme les pensees, et les voix aussi bien que les coeurs >>242. Faute de preuves, il est aujourd'hui impossible de savoir si c'est a un cycle que Du Caurroy destinait les trois psaumes construites sur des melodies egalement utilisees par Le Jeune dans son ouvrage, pour les neuvieme, sixieme et onzieme modes. Quoi qu'il en soit, les trois psaumes mis en musique par Du Caurroy comme ses six fantaisies construites sur le meme principe apparaissent comme I'expression musicale d'une certaine forme d'irenisme, attitude absente d'un regne (celui d'Henri IV) durant lequel s'exercent le dcbat et la controverse publiques 243.

18 qui est construite sur la premiere phrase du psaume huguenot n' 55 (Las! qui me donnera des aisles) pourrait etre simplement une variante de I'incipit de ce dernier.

239 Marc Desmet rappelle que les editions posthumes des psaumes de Claude Le Jeune sont tout a fait representatives de cela, Pierre Ballard n'indiquant jamais les sources des textes et des melodies utilises. Voir M. DESMET, <<La paraphrase des psaumes de Philippe Desportes et ses diff6rentes versions musicales. Contribution A I'histoire du psautier frangais au temps d'Henri IV et Louis XIII (1593-1643)>>, These de doctorat inedite, Tours, C.E.S.R., 1994, vol. I, pp. 333.

240 Pour les trois pieces des Meslanges, voir M. DESMET, travail cite, I, pp. 329-47. 241 Voir M. DESMET travail cite, vol. I, p. 348. 242 Claude Le Jeune, Dodecacorde, contenant douze pseaumes de David, mis en musique selon les douze

modes...a 2. 3. 4. 5. 6. et 7. voix, La Rochelle, Hierosme Haultin, 1598. Cite d'apres M. DESMET,

ibid. 243 Cette situation vient du fait que des dissensions religieuses sont en germe dans les pretentions auxquelles

aspirent de nombreux groupes, et auxquels Henri IV est confronte : d'une part, les conseillers au Parlement qui revendiquent I'autonomie des cours souveraines par rapport au roi; d'autre part, les partisans du pape et du roi d'Espagne, ceux au contraire de la reine d'Angleterre; de plus, les seigneurs catholiques aspirent A des gouvernements et a des pensions, et les seigneurs huguenots dcsirent des principautes et la direction militaire du parti huguenot. Enfin, les catholiques dcsirent que soit r6tabli un christianisme d'Etat tout puissant qui puisse permettre d'andantir un jour la religion reformee; les protestants au contraire souhaitent qu'une organisation politique en liaison avec I'Eglise reformde soit reconnue. De son c6td, Rome lance une vaste campagne de conversions en France et fait pression sur le monarque pour qu'il engage ses courtisans A se convertir. Ainsi, des offices leur sont offerts, une caisse de pension est cr~ee

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248 Marie-Alexis COLIN

Le contenu de la bibliotheque de Du Caurroy livre des informations sur les centres

d'interets musicaux du compositeur. Linventaire qui en a ete dresse apres son d~cls indique en effet qu'il possedait, outre un breviaire romain et le dictionnaire de Calepin en

sept langues, plusieurs ouvrages de et sur la musique 244. Parmi les auteurs cites dans ce recensement 245, Zarlino apparaTt le plus souvent: Du Caurroy possedait deux exemplaires des Institutioni Harmoniche 246, dont I'un 6tait accompagne des Sopplimenti musicali 247

Quant aux deux volumes de <Musica>> attribues a I'auteur venitien, ils correspondent

probablement aux deux recueils de motets publies respectivement en 1549 et 1566 248

Apres Zarlino, Josquin et Le Jeune figurent en bonne place dans les rayons de sa

bibliotheque, avec au moins deux recueils chacun. La <<musicque de Josquin en quatre volumes in quarto>> peut fait ref6rence soit a I'un des recueils de messes publides par Petrucci, puis Valerio Dorico de 1502 a 1526, soit aux motets imprimes par Le Roy et Ballard en 1555 249. La seconde mention, <<quatre volumes de la musique de Josquin

imparfaicte>>, renvoie peut-etre a I'un des recueils de chansons publids en cinq volumes, mais ampute ici de I'un d'eux 250. En ce qui concerne Claude Le Jeune, I'inventaire indique

que Du Caurroy possedait le Dodicachorde 251 et la description d'une <<musicque de Claudin le Jeune en six parties in quarto>> peut s'appliquer aux premier livre de Melanges. Enfin, la <<musica del signor Alphonco [sic] italien en sept volumes>> se rapporte tres

probablement a des compositions d'Alfonso Ferrabosco I'aine. 252

S I'intention des nouveaux convertis. L'Assemble du clerge, qui <<achete>> aussi ses convertis, finance

des predicateurs et des controversistes qu'elle forme pour s'integrer avec une efficacite maximale chez les protestants les plus modestes. Autant de signes qui montrent I'importance des tensions religieuses apres I'accession d'Henri de Navarre au tr6ne de France. Voir J. P. BABELON, op. cit., pp. 677-80.

244 Inventaire apres deces du compositeur: Paris, Archives Nationales, Minutier central, Etude XLI, 126, 22

ao0t 1609, d'apres DUFOURCQ 1950, p. 105. 245 Certaines <<pieces>> de la bibliotheque de Du Caurroy ayant ete simplement regroupees en paquets

d'apres leurs formats, sans aucune autre mention (mise a part leur valeur estimee), ii est impossible d'en connaTtre la nature.

246 Gioseffo, ZARLINO, Istitutioni harmoniche, Venise, Francesco dei Franceschi, 1573. 247 Gioseffo, ZARLINO, Sopplimenti musicali, Venise, Francesco dei Franceschi, 1588. 248 josephi Zarlini musici quinque vocum moduli, Motecta vulgo Nuncipata Opus nunquam alis typis excussum....

Liber primus. Cum quinque vocibus, Venise, Antonio Gardano, 1549 et Modulationes sex vocum, per Philippum

jusbertum, Venise, Francesco Rampazetto, 1566. 249 C'est peut-etre la publication parisienne que la <<musicque de Josquin en quatre volumes in quarto>> dcsigne

(Josquini pratensis musici proetantissimi, moduli, ex sachrs literis delecti, et in 4, 5, et 6 voces distincti. Liber primus.

Panris, Le Roy et Ballard, 1555). En effet, six des treize textes que renferme le recueil seront ensuite utilises

par Du Caurroy (11 s'agit de Inviolata integra, Mittit ad virginem, Pater noster, Qui habitat in adjutono, Salve Regina et Veni sancte spiritus (le motet Veni sancte Spiritus 6tant faussement attribue a Josquin).

250 Le septiesme livre contenant vingt et six chansons b cincq et b six parties, Anvers, T. Susato, 1545 (RISM

154515), 5 vol. in-8 obl. (23 chansons de Josquin, et quatre de Gombert, Benedictus, J. Lebrun et J. Vinders); Trente sixiesme livre contenant xxx. chansons... a quatre cinq et six parties, en cinq livres... Le tout de la composition de feujosquin des prez, Paris, P. Attaingnant, 1549 [1550 en nouveau style].

251 Dodicacorde, contenant douze pseaumes de David, mis en musique selon les douze modes...a 2. 3. 4. 5. 6. et 7. voix, La Rochelle, Hierosme Haultin, 1598.

252 Du Caurroy, comme Ferrabosco, a mis en musique le texte <<In monte oliveti>>, rarement utilise par les compositeurs. Voir Richard CHARTERIS, Alfonso Ferrabosco the Elder (1543-1588). Mais la description

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Eustache Du Caurroy 249

La reputation

Le compositeur rebut de nombreux hommages apres sa mort. Selon LEstoile, I' pitaphe

redig"e parJacques Davy Du Perron fut posse sur un moment drige aux Grands Augustins par Nicolas Forme, qui lui succeda dans les charges de sous-maitre et compositeur de la

chapelle royale 253. Dans ce texte, le premier aum6nier d'Henri IV affirme que I'Europe toute enti re le considere comme le prince des musiciens254. Si le compositeur regoit les hommages de personnages attaches a la cour, comme Du Perron, la plupart des

temoignages qui subsistent aujourd'hui emanent surtout de theoriciens et de compositeurs du XVIIe siecle. Les propos d'Anibal Gantez restent tres generaux sur Du Caurroy, mais ils montrent neanmoins que I'ceuvre du compositeur disparu reste presente aux

esprits de la premiere moitie du XVIIe siecle. Dans L'entretien des musiciens, celui qui est alors chanoine de la cathedrale Saint-Etienne d'Auxerre255 voque Du Caurroy a quatre reprises. Dans une de ses lettres, il rappelle les capacites du compositeur en se r"firant ' son Requiem:

[...] moy qui n'ay jamais sceu faire une Messe des Morts a cause que mon humeur me porte plus aux choses gayes que tristes; faudra maintenant que je force ma veine et mon naturel, si je ne me sers de celles de Du Caurroy ou de Moulinie qui sont les meilleures qui ayent encore paru [...].256

Puis, s'insurgeant contre I'exces de curiosite (<Ce qui vous peut tromper, c'est que de nouveau tout est beau, mais n'est pas pour cela meilleur>> 257), i remarque que de nombreux

musiciens, aveugls par la nouveaute, renoncent aux solides regles de la composition: La nouveaute est la guide des curieux qui leur fait mespriser leur propre Ciel et terre [...]. De quoy est venu ce Proverbe: De trois Phisiciens un Atheiste, et de cinq Musiciens quatre fous, pour rechercher de nouvelles inventions et des mouvemens a la mode au lieu de nous tenir dans les bons et proffonds preceptes de nos Anciens, comme Du Caurroy, Intermet et Claudin [Le Jeune], et parmy ceux de nostre tems, Fremat, Hauxcousteaux et Cosset.258

Bien que les deux autres mentions de Du Caurroy apparaissent aujourd'hui comme d'amusantes anecdotes, elles montrent egalement combien I'ceuvre du compositeur 6tait une refirence. Opposant farouche au mariage, Gantez affirme:

du recueil se ref&re peut-itre davantage a un recueil de madrigaux. Pour les ceuvres de Ferrabosco (y compris ses fantaisies), voir R. CHARTERIS, A Thematic Catalogue of his Music with a Biographical Calendar, New York, Pendragon Press, 1984 (<<Thematic Catalogue Series>>, n' 12).

253 <M. Forme, tres docte musicien, qui lui succede, m'a montre I'6pitaphe, qu'il veut faire poser aupres de son tombeau.> Pierre de L'ESTOILE, journal (Cournal de l'Estoile pour le regne d'Henri IV, ed. Andre Martin, Paris, 1958, vol. II, p. 499).

254 <<[...] Quem virum [du Caurroy] nec Iberia, nec Gallia, nec Italia modo, sed omnis Europa, musicorum principem, invidia admirans, confessa est [...] ; I'epitaphe est citee, entre autres, par Pierre de L'ESTOILE dans son journal (ournal de l'Estoile pour le rigne d'Henri IV, 6d. Andre Martin, Paris, 1958, vol. II, p. 499). Jean du Marche, dans la piece liminaire en latin du premier volume des Preces ecclesiasticae (f. AI r) le qualifie dej' de <<Musicorum principis>>.

255 F. LESURE, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klincksieck, 1999, p. 73. 256 Anibal GANTEZ, L'entretien des musiciens, Auxerre, Jacques Bouquet, 1643, ed. Ernest Thoinan, Paris,

A. Claudin, 1878, Paris, L'Harmattan, 2000, p. 79 (lettre XVI). 257 Ibid., p. 147 (lettre XXIX). 258 Ibid., p. 148 (lettre XXIX).

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250 Marie-Alexis COLIN

Et davantage demeurez trente ans avec une femme, tous les jours elle aura des nouvelles fantaisies et

qui seront plus rares que celles de du Caurroy et de Claudin le jeune.259

Son avis est tout aussi tranche lorsqu'il s'agit de d montrer que I'eau gAte le vin:

[...] [je] vous dis et asseure, que la femme gaste I'homme, I'eau le vin, et la charrette le chemin, et

particuli~rement ceux [les vins] de Bourgongne: Car n'estant pas si puissans que ceux de Provence, je vous soustiens que ses meslanges ne sont pas si bonnes que celles de Monsieur Du-Caurroy [...]260

En marge de ces propos generaux, extraits de recits autobiographiques presentes sous

la forme epistolaire, de nombreux hommages, le plus souvent emanant de theoriciens, furent rendus a Du Caurroy durant la premiere moitie du XVIIe siecle. Salomon de Caus,

dans I'introduction a la seconde partie de son Institution harmonique (Francfort, 1615), affirme en effet plus serieusement:

[...] auquel temps [a I'invention de I'imprimerie musicale] la pratique de la musique s'est merveilleu-

sement augmentee, et specialement depuis Orlande de Lassus, lequel a ouvert la porte A beaucoup d'autres qui sont venus depuis; entre lesquels, Claudin le Jeune, du Canroy [sic], Marenzio, et plusieurs autres modernes, ont emporte tant d'honneur dans ceste sience [sic], qu'il semble qu'ils n'ont rien

laiss6 a ceux qui viendront cy apres. 261

La grande quantite de bonnes exemples, que I'on trouvera aux oeuvres de du Conroy [sic] et de Claudin le Jeune, et plusieurs autres bons Compositeurs, donneront facille cognoissance au studieux

de ladite Composition, comme il se debvera conduire en la Disposition des parties.262

Quelques annees plus tard, Marin Mersenne, dans la proposition XXXI de son septieme livre <<Des Instruments>> de I'Harmonie Universelle, n'hesite pas a affirmer que <<tous les

Compositeurs de France le tiennent pour leur Maistre [...]>> 263. Son admiration rejoint celle du jesuite Antoine Parran qui place Du Caurroy parmi les artisans du mode de

composition le plus elabor&:

La fagon de la (musique) trouver a est6 les proportions Geometriques et Arithmetiques [...]. Ceux qui en ont pertinemment traite apres ces anciens [...]. Orlande est assez congu d'un chacun, comme aussi

Zarlin, Claudin le Jeune, et du Caurroy, leurs Oeuvres tesmoignent assez qui ils estoyent264.

[...] La quatriesme [et derniere] sorte [de composition] est une Musique grandement observee, toute pleine d'industrie et de doctrine, o0 I'on suit ce qui est commun avec observation de Cadences

rompOes, pour chercher ce qui est de plus rare, et moins usite: comme pourroit estre celle de Claudin,

du Caurroy, et plusieurs autres Maistres de ce temps comme I'on peut voir au Puy de Saincte Cecile.

259 Ibid., p. 38 (lettre VII). 260 Ibid., pp. 92-93 (lettre XIX). 261 Salomon de CAUS, Institution harmonique, Francfort, Jan Morton, 1615, fac-simile, d. Pierre Feruselle,

Geneve, Minkoff reprint, 1980, << Partie deuxiesme>>, proeme, f. A2v. 262 Ibid., p. 53 (<<Chapitre XXXIII. De la Composition

' Quatre parties>>).

263 Marin MERSENNE, Harmonie Universelle, p. 61. Au debut du XVIIIe siecle, itienne Loulid, dans ses Traitis de

Musique, 1702 (Paris, BnF, dep. des manuscrits, n. a. fr. 4686) cite encore Du Caurroy, mais strictement

d'apres les exemples donnes par Mersenne. 264 Antoine PARRAN, Traite de la musique theorique et pratique, Paris, Pierre Ballard, 1639, p. 5. Voir aussi ibid., p.

85 (<<Du contrepoint simple et figure: [...] on use de Syncopes et dissonances de diverses figures, fugues et autres industries, dont on se peut adviser. Telle est la Musique d'Orlande, Claudin, du Caurroy.>>)

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Eustache Du Caurroy 25 I1

Cette maniere de Composition, et Contrepoint observe, ne plaist gueres qu'aux Maistres, qui jugent et

goustent ce qui est d'artifice en la disposition et meslange d'accords bien observez, et pressez. [...]265

En 1640, Jean Baptiste Doni loue egalement le compositeur: Et pour ce dernier siecle [le XVIle], qui pourroit dignement louer un Claudin le jeune, un du Caurroy, un Guedron, et tant d'autres qui ont enrichi le monde de tant de belles, et excellentes compositions qui se voyent et entendent en France?266

Vers 1630, Antoine Du Cousu affirme que <<personne n'a si bien entendu et pratique le Contrepoinct que luy>>267. Le

compositeur, considere par le theoricien comme <<le

plus sgavant Contrapunctiste qui ait jamais est >> 268 va m me jusqu' voler la vedette a Zarlino qui n'est jamais cite dans I'ouvrage 269

En marge de ces eloges assez gendraux sur le personnage, qu'ils associent parfois dans une perspective plus large aux deux derni res generations de compositeurs du XVle siecle, les theoriciens decrivent quelquefois un peu plus precisement les qualites qu'ils lui reconnaissent. Dans cette dcmarche, ii arrive qu'ils opposent Du Caurroy et sa rigueur contrapuntique a la I gerete rythmique de Claude Le Jeune. Avec Du Caurroy, Le Jeune represente alors les compositeurs frangais d'un siecle qui s'est acheve quelques decennies

auparavant. A I'instar de I'oeuvre de Du Caurroy, celle de Le Jeune a 6te peu publiee de son vivant; et c'est grace aux soins d'un parent attentif - la sceur et la ni6ce de Le Jeune, le neveu de Du Caurroy - qu'apres la mort des deux compositeurs, leur ceuvre respectif a 6te mis a la disposition du public. Toutefois, contrairement a Du Caurroy, Le Jeune a mend une carriere itinerante, au gre de la fortune de ses protecteurs huguenots. Ce n'est

que vers 1594-96 270, soit quelques annees avant sa mort survenue en 1600, qu'il obtient le titre honorifique de <<Compositeur de la Chambre du roi>> 271

Ainsi, Mersenne, dans ses <<Eloges des hommes illustres dans laTheorie, et la Pratique de la Musique>>, place Du Caurroy devant Le Jeune:

Mais entre tous les Francois qui se sont employez a cet Art [la musique], il semble que du Caurroy emporte le prix pour la grande harmonie de sa composition et de son riche contrepoint, comme

I'on peut voir dans ses deux livres de Motets, dans le meslange des Chansons, et des Noels, dans ses fantasies, et dans ses trois Messes a quatre, et celle qui est a cinq; c'est pourquoy je me suis

265 Antoine PARRAN, Op. cit., p. 86. 266 Jean-Baptiste DONI, <<A messieurs les Musiciens de France>> (Paris, BnF, dep. des manuscrits, Ms. Fr. 19065,

fol. 143v [traites: p. 6), lettre introductive a ses deux traites, ecrite a Rome et datee du 12 mai 1640 (Ms. XVIle), d'ap. Fernando Liuzzi, I musicisti in Francia, Roma, Arte Danesi, 1946, pp. 196-97.

267 Antoine Du Cousu, La musique universelle, Paris, Pierre Ballard, 1658 p. 120. Dans le traite (op. cit., p. 134), le theoricien 6voque <<nostre incomparable du Caurroy>>.

268 Antoine Du Cousu, op. cit., p. 153. 269 Voir Herbert SCHNEIDER, Die franzdsische Kompositionslehre in der ersten Halfte des /7. Jahrhunderts, Tutzing,

Hans Schneider, 1972, p. 144. 270 Voir Isabelle His, Claude Lejeune..., p. 62. 271 Du Caurroy portait ce titre en 1595.

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252 Marie-Alexis COLIN

servy de ses compositions a simple contrepoint dans le 4. livre de la composition, comme d'autant

de legons pour enseigner a composer Or puis que tous les Compositeurs de France le tiennent

pour leur Maistre [...]272

Neanmoins, si louable qu'elle soit, la perfection de la science contrapuntique de Du Caur-

roy ne peut faire oublier le naturel qui fait le succ6s de Le Jeune. Ce sont ces deux aspects - d'une part la cerebralite du contrepoint chez Du Caurroy, d'autre part la legerete et le

naturel chez Le Jeune - que le theoricien compare lorsqu'il relate I'anecdote selon laquelle le compositeur huguenot n'aurait pas r ussi a composer un duo pour des << Maistres de Flandres et d'ltalie>> qui refusaient ses pieces a cinq, six et sept voix:

[...] je dis donc que Claudin vouloit complaire a la fantaisie des Maistres, qui prisoient plus les Duos, et que bien que ce soit plus difficile de faire un Duo, qu'un Trio, qu'il ne s'ensuit pas qu'il soit plus

agreable, car le plaisir ne suit pas tousjours la difficulte. [...] la bonte et I'excellence de la Musique ne

consiste pas seulement aux accords bien couchez, comme ils sont dans la musique de du Caurroy, mais aussi dans la beaute et dans la diversite des mouvemens, qui sont cause que ledit Organiste

[Mersenne a auparavant evoque, sans le nommer, un organiste qui attire a lui un nombreux auditoire

lorsqu'il joue des duos] plaist davantage que les autres, quoy que plus sCavans dans la Composition;

que Claudin le Jeune est mieux receu de plusieurs que du Caurroy, et que lesdits Maistres trouvoient

a redire aux Duos de Claudin, a raison qu'ils ne scavoient pas que les mouvemens qu'il leur donnoit,

cachoient I'imperfection qu'ils s'imaginaient y rencontrer; ou bien qu'ils ont estably des regles pour coucher les consonances dans les Duos, qui restreignent trop le Musicien, et qui luy ostent la

liberte de faire plusieurs choses excellentes, laquelle ils [les maistres de Flandres et d'ltalie] repre- noient mal a propos en Claudin, dont le bon naturel surpassoit toute leur science, laquelle n'a pas encore este establie par des principes infaillibles, dont tous les hommes puissent tomber d'accord.273

Les qualites respectives des deux compositeurs sont egalement evoquees par le compo- siteur normand Nicolas Le

Vavasseur, dans la preface a son premier recueil d'Airs (Paris, Pierre Ballard, 1626) 274:

[...] je recognois les esprits de ce temps si bizares, et si critiques, que les plus habiles mesmes ne

se peuvent garantir de leurs censures: Et je spay que quand bien j'aurois I'harmonie d'Orlande, I'air de Claudin, et la doctrine de du Caurroy, je ne serois pour cela exempt de leurs corrections et

medisances [...]275

272 Marin MERSENNE, Harmonie Universelle, vol. 3, p. 61. 273 M. MERSENNE, Op. cit., II, pp. 202 et 205, << Livre quatriesme de la Composition >>. II faut noter que Mersenne,

dans la preface a son ouvrage, introduit le dcbat: <<Je m'estonne aussi de ce que si peu de Musiciens font

estat des raisons de I'harmonie, que I'on ne void point d'Academie dressee pour ce sujet, car toutes les

assemblees des concerts se font seulement pour chanter, au lieu que 2 ou 3 heures que I'on employe a cet exercice, plusieurs honnestes hommes desireroient qu'on print la moitie de ce temps pour discourir

des causes qui rendent les pieces de la composition agreables, et qui font que certaines transitions d'une

consonance a I'autre, et de certains meslanges de dissonances sont meilleurs les uns que les autres; par

exemple [...] Si la maniere de composer de du Caurroy est meilleure, ou plus charmante que celle de Claudin [...]. M. MERSENNE, Op. cit., <<Premiere preface generale au lecteur>>.

274 Nicolas Le Vavasseur (c. 1585-1658) fut maTtre des enfants de chceur A Bernay et Lisieux et organiste de I'eglise Saint-Pierre de Caen. Voir F. LESURE, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klincksieck,

1999, p. 115. 275 Cite dans Isabelle His, Claude Lejeune..., p. 394.

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Eustache Du Caurroy 253

Lorsque leurs traites s'attachent a donner des regles de composition, les theoriciens frangais de la premiere moitie du XVIIle siecle s'appuient sur I'exp6rience de Du Caurroy qui, jusqu'a la fin de ce siecle, constitue v6ritablement une ref6rence 276. Fait significatif: dans les r66ditions du trait6 d'Adrian Le Roy (1602, 1616 et 1617), son nom (accompagne de celui de Le Jeune) est ajout6 a ceux de Lassus, Zarlino, Josquin,Willaert et Mouton 277 compositeurs exemplaires aux yeux de Le Roy. Alors que dans la pr6face de I'6dition de 1583 seul Lassus est 6voque comme exemple repr6sentatif des <<plus nouveaux musiciens>> 278, les publications suivantes mentionnent aussi Le Jeune et Du Caurroy dont les <<doctes oeuvres pourroyent seules servir de loy et de reigle a la Musique>> 279. Non seulement les theoriciens louent ses qualites, mais ils 6tayent aussi leurs propos d'exemples qu'ils lui attribuent 280. Or,

les exemples qu'ils utilisent ne figurent pas parmi ses oeuvres imprimees. D'ailleurs, nombre d'entre eux, en contrepoint note contre note pr6sentent tout a fait les caracteristiques de pikces a finalit6 didactique, ce qui laisserait penser qu'il a 6t6 I'auteur d'6crits theoriques, ou du moins qu'il professait I'art de musique. II est vrai que dans la preface des Preces ecclesiastice? le compositeur manifeste le souhait que son

oeuvre contribue a une meilleure connaissance de la science de la <<Musique>>:

Si j'ay dormi durant quarante ans [...] <'a este les yeux ouverts pour me resoudre de plus en plus sur les difficultez de ceste science, par la lecture des bons autheurs et pratique des antiens, outre ce que j'y ay apport6 par mon estude et labeur Et d'autant que ceste science faisant partie des

Mathematiques, est demonstrative et tres-certaine, il est impossible qu'elle ne produise d'admirables effects [...]. Neantmoins plusieurs se meslent de la traicter avec confusion si grande (s'appuyans de quelques reigles communes et vulgaires qui servent de bien peu a la vraye harmonie) qu'il semble

que pour ce sujet elle ait est6 mesprisee. Non que j'aye en cela intention de m'attribuer aucun merite que de mon

labeur, mais seulement qu'elle soit plus dignement recogneuL d'un chacun, et que

pour cet effect les professeurs prennent garde d'y apporter les raisons et considerations requises A une telle science.28'

276 Voir Herbert SCHNEIDER, Die franz6sische Kompositionslehre, p. 16. 277 Ibid., p. 26. Le Traicte de Musique contenant une theorique succinte pour methodiquement pratiquer la

Composition avait d'abord 6td publie a Paris, chez Le Roy et Ballard, en 1583. Les r66ditions posterieures (1602, 1616 et 1617) ont 6te imprimees a Paris, par Pierre Ballard (en association avec la veuve Robert Ballard en 1602).

278 <<[...] aussi ne suis-je ignorant, qu'on y eust peu mettre et adjouter [dans ce traite abr6ge] d'autres nouvelles Reigles, usitees par les plus nouveaux Musiciens de nostre tems, nommement d'Orlande, ce grand maistre et Supreme Ouvrier, I'excellence et docte veine duquel pourroit seule servir de loy et reigle a la Musique [...]>>. A. LE ROY, op. cit., Au lecteur>>.

279 Preface <Au lecteur>>. H. SCHNEIDER, Op. cit., p. 27. Schneider remarque que lorsqu'il s'agit de decrire les caracteristiques stylistiques de ces compositeurs, les termes <<liberte hardie>>, presents dans I'edition de 1583, sont supprimes, probablement parce qu'ils s'accordaient peu avec I'ecriture de Du Caurroy.

280 Dans ses Harmonicorum libri puis dans I'Harmonie universelle, Mersenne presente de nombreux exemples qu'il attribue ' Du Caurroy. II s'agit de pi6ces en contrepoint note contre note sur le texte <<Miserere nostri Domine>> ou <<Misericordias Domini in aeternum cantabo nostri Domine>>. Voir M. MERSENNE,

Harmonicorum libri, Paris, Guillaume Baudry, 1635, Livre VII, p. 150; Livre VIII, pp. 166, 168, 170, 173, 174-178; M. MERSENNE, Harmonie universelle, vol. 2, pp. 248, 262, 265, 267, 268, 272, 278, 279, 281, 349, 350. Etienne Loulie, dans ses Traites de musique qui datent de 1702 (Paris, BnF, dep. des manuscrits, n.a. fr. 4686) reproduit les exemples de Mersenne, en allongeant parfois le texte. Voir E. LoULIE, op. cit., pp. 114-120.

28 I1 Preces ecclesiasticae... Liber primus, f. a2 r.

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254 Marie-Alexis COLIN

A la fin du XVle siecle deja, La Croix du Maine, dans sa Bibliotheque frangoise, decrit

Du Caurroy comme theoricien et compositeur282. Sa reputation de theoricien conduit

meme certains a lui attribuer le traite d'Adrian Le Roy dans sa reddition de 1602 283

Meme si durant la premiere moitie du XVIle siecle certaines ceuvres de Nicolas Forme, Artus Aux-Cousteaux, Charles Guillet, Antoine de Penne, le Sieur de Courbes, Jean de

Bournonville, ou encore Guillaume Bouzignac rappellent le style de Du Caurroy, aucun

document n'atteste qu'il a 6te leur maitre, meme s'il semble logique que Forme, qui le

c6toya a la chapelle royale avant de le remplacer,

a beneficid de son experience. Mersenne

considere Philippe Coffin, chez lequel il puise des exemples de canons, comme <<l'un des

plus anciens et des meilleurs disciples de Du Caurroy>> 284. Or, mis a part quelques airs

integres dans des anthologies, il ne subsiste rien de ce compositeur que la musicologie semble avoir oubli. 285

Quoi qu'il en soit, aux yeux des theoriciens frangais de la premiere moitie du XVIle

siecle, Du Caurroy est I'un des compositeurs qu'ils tiennent le plus en consideration, avec Le Jeune et Mauduit qui, comme lui, manifestent une connaissance approfondie de la theorie musicale. Avec ces deux compositeurs, Du Caurroy apparait comme un

representant en France des reflexions menses par Zarlino durant la seconde moitie du

XVIe siecle. Les ecrits du theoricien italien que Mersenne, Cousu et Descartes ont pu

apprecier dans les bibliotheques qu'ils ont fr6quentees ont en effet 6te fidelement mis

en pratique par Du Caurroy.

Toutefois, quelle que soit leur forme, ces loges ne constituent pas les temoignages les

plus concrets de la reputation de Du Caurroy. Publids apres sa mort, le plus souvent

plusieurs decennies plus tard, ils prennent toujours la forme d'exemples musicaux tres

didactiques qui n'ont aucun rapport avec les pieces qui ont 6te editees dans les recueils musicaux.Tous ces hommages contrastent fortement avec la pauvrete de la diffusion des

ceuvres du compositeur. S'il reste difficile de d6terminer les raisons pour lesquelles tres peu

de pi ces du compositeur ont ete imprimees de son vivant, force est de constater que les

recueils qui ont 6te publies a partir de 1609 n'ont pas fait I'objet de reddition, a I'exception peut-6tre de son Requiem 286. De plus, a I'instar des imprimes, la diffusion manuscrite de ses

pi6ces semble assez restreinte 287. La reception de l'oeuvre du compositeur ne se dessine

282 Voir la citation, supra, p. 239. 283 H. SCHNEIDER (Op. cit., p.26) a semble-t-il confondu cette edition - dont un exemplaire, conserve a Paris,

BnF, dep. de la reserve, V 17743, porte, apres son titre, la mention manuscrite <<Ducaurroi>> - avec

celle de 1617, pour laquelle le musicologue signale un exemplaire, conserve au meme endroit (dep. de la

reserve, 127). Je n'ai malheureusement trouve aucun ouvrage sous cette cote a Tolbiac.

284 M. MERSENNE, Op. Cit., II, p. 318. D'apres H. SCHNEIDER, Op. Cit., p. I11I. 285 Ni la Musik in Geschichte und Gegenwart ni le New Grove Dictionary ne consacrent une notice a Philippe

Coffin. 286 Voir supra. 287 Le manuscrit British Library, Egerton 3665, copie A la fin du XVIe siecle en Angleterre, renferme une

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Eustache Du Caurroy 255

donc pas a I'image des loges qui lui sont faits, contrairement a Le Jeune et Lassus, qui se trouvent souvent associds a Du Caurroy par les commentateurs du XVIIe siecle et dont certaines ceuvres font I'objet de re6ditions, meme apres leur mort 288.

Les oeuvres de Du Caurroy sont proposees a I'appreciation du public au moment oO s'epanouit I'air de cour, que Pierre Ballard contribue a diffuser La production du

compositeur ne s'inscrit pas totalement dans le cadre des orientations musicales nouvelles manifest'es en France durant la premiere moitie du XVIIe siecle: son ceuvre vocale,

qu'elle soit profane ou religieuse, est majoritairement tournee vers le passe; sa musique instrumentale, peut-8tre encore plus que ses motets, participe de cet art rigoureux, encore enseignc dans les maitrises, pratique aux sein des chapelles royales ou princieres, dans les institutions ecclesiastiques, et recompense lors des puys de musique. Cette ecriture contrapuntique antiquisante s'oppose a la composition liberde de contraintes

qui apparait notamment dans I'air de cour Le style qu'a developp6 Du Caurroy et qui, selon les theoriciens La Voye Mignot et Rene Ouvrard est I'affaire des <<superstitieux>>, est toujours pratiqud, et trouve sa place dans le paysage musical frangais, a c6te des

pieces ecrites plus librement par des compositeurs decrits comme <<libertins>> par ces mimes commentateurs 289. Pour autant, les oeuvres des premiers ne bendficient pas de la meme diffusion que les seconds.

Si Eustache Du Caurroy est parfois presente comme le compositeur d'un seul monarque, Henri IV 290, il a egalement servi Henri III et Charles IX. Spectateur des dernieres annees du

fantaisie de Du Caurroy. Quatre manuscrits, copies par la mime personne, pendant la premiere moitie du XVIIe sitcle, sont aujourd'hui conserves a Paris, reserve de la Bibliotheque Sainte-Genevieve (Ms. 3165, Ms. 3166, Ms. 3167, Ms. 3168). Ils presentent des pieces de Du Caurroy sous la forme de partition. Les trois premiers recueils contiennent des motets. Le quatri'me rassemble des extraits a quatre voix des Meslanges (quinze chansons) et des Fantasies (vingt-trois pieces).

288 Parmi les redditions proposees apres la mort de Lassus (1594), figurent, entre autres, chez le seul imprimeur Pierre Ballard, les Beatissimae Virginis Mariae (1597, reAdition de 1570), Le livre de chansons b cinq parties (1599, re'd. de 1571), le Dixseptieme livre de chansons (1601, reed. de 1576) ou encore les Meslanges (1619, reed. de 1586). Plusieurs recueils de Le Jeune (mort en 1600) sont reedites: les Dix pseaumes de David (1564, puis 1580); le Livre de melanges (Anvers, 1585; Paris, 1586 et 1607); les Cent cinquante pseaumes de David, publids en 1601, et rdedites au moins huit fois jusqu'en 1665 (1613, 1617, 1627, 1635, 1646, 1650, 1664, 1665), ou encore les Octonaires de la vanite et inconstance du monde (1606, 1641).

289 La Voye Mignot s'exprime de cette maniere dans son Traite de musique (Paris, 1656), Ren Ouvrard dans son Secret pour composer en musique (Paris, 1658). Voir Herbert SCHNEIDER, Die franz6sische Kompositionslehre, p. 177.

290 Le compositeur n'a souvent 4te

considere qu'en relation avec les fonctions qu'il a exercees aupres du Vert-Galant. Par ailleurs, un discours enonc4 en marge des 4tudes musicologiques, probablement A partir du XIXe siNcle, a tres souvent mis la vie et la production musicale du compositeur au service de la construction de I'image d'Henri IV, I'une des figures historiques les plus populaires. Ainsi, son ceuvre est souvent resumee A quelques pieces: deux chansons, Charmonte Gabrielle, composee sur un texte ecrit par le Vert-Galant A I'attention de Gabrielle d'Estrees, Vive Henri IV, et la Missa pro defunctis consideree, malgre I'absence de preuves, comme la messe de Requiem utilisee aux fundrailles d'Henri IV. Les problemes

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256 Marie-Alexis COLIN

rigne de ce dernier, de I'<<apres saint Barthelemy>>, il a (avec Nicolas Millot notamment) 6te au service d'un roi devot - Henri III - avant d',voluer dans un milieu compose de nombreux reformes (parmi lesquels figurait Claude Le Jeune), aupres d'un ancien prince huguenot contraint a se convertir au catholicisme pour acceder au tr6ne de France

(Henri IV). Temoin des guerres civiles qui ont dechird le royaume, il a pu aussi apprecier les nombreuses tentatives menees par certains ecclesiastiques (comme le cardinal de

Lorraine) pour faire recevoir les dccrets du concile deTrente. Membre de la confrdrie de sainte Cecile, I'une des premieres congregations 6tablies par Henri III en 1575, il assiste

au debut du XVIIe siecle a I'emergence d'un courant spirituel nouveau stimule par les

Jesuites et encourage par Marie de Medicis. Collegue de Nicolas Rapin, il a apporte sa

contribution musicale aux experiences menses par le pokte dans le domaine de la poesie mesuree. Familier du mecenat des derniers Valois, il beneficie a la fin de sa carriere de

la protection de la reine Marguerite, dont Henri IV a divorce pour se remarier ' Marie

de Medicis.

Ce n'est qu'en 1609 que Du Caurroy, alors ag6 de soixante ans, entreprend la publication

complete de son ceuvre qu'il dit avoir perfectionnee tout au long d'une carriere passee au

service des rois de France. Le compositeur livre enfin au public le fruit de son labeur, sous

la forme de volumes organises et structures qui offrent une selection de sa production musicale. Chaque recueil presente un des aspects de I'ceuvre du compositeur: messes,

motets, fantaisies instrumentales, et chansons. La date tardive de ces publications ne contri-

bue pas a situer precisement les ceuvres dans le contexte de leur composition. Neanmoins,

certaines pieces peuvent 6tre datees d'apres les evenements qu'elles celebrent ou les

principes musicaux qu'elles mettent en ceuvre. Plus particulierement, I'utilisation masquee de melodies issues du psautier huguenot dans des chansons, des fantaisies et peut-&tre des motets doit probablement 6tre mise en relation avec le service effectue par le

que pose la destination de cette ceuvre ont dej' ete 6voques (voir supra). Aucune source des chansons

6voquies n'est antdrieure au XIXe si'cle. Je ne connais malheureusement pas la premi're date de I'attribution de Charmonte Gabrielle. Cette piece est citee dans la Nouvelle biographie gendrale depuis les

temps les plus reculfs jusqu'b nos jours, Paris, Didot, 1862-77, t. 17, p. 924 (<<Du Caurroy>>, entree non

signee). << Vive Henri IV>> est attribute

au compositeur dans un manuscrit de pieces pour piano copie par Johann Georg Taberger entre 1798 et 1843. Le recueil se trouve aujourd'hui aux Archives municipales d'Hanovre (non cote). La piece figure 6galement dans un manuscrit de chansons fran aises compile en

1830 par Hermann Kestner (Hanovre, Archives municipales, Kestner N' 101 IV (Nr 1-31 I). Au cours des

XIXe et XXe siecles, ces deux pieces font I'objet de nombreux arrangements (pour piano, voix et piano, harmonie et fanfare...) et leur diffusion est accompagnee du nom du compositeur, malgre les remises en cause de cette attribution (entre autres par Francois-Joseph F6tis, dcs le milieu du XIXe siecle; voir F. -J. FE'TIS, Biographie universelle des musiciens et bibliographie gendrale de la musique, Paris, Didot, 1873-80, vol. II, p. 220). Pour Charmonte Gabrielle, voir par exemple Les chants de la patrie: Airs populoires choisis et transcrits pour piano et chant, ed. Louis LACOMBE, Paris, Leon Grus, 1881, pp. 1-7 ou plus recemment Le livre d'or de la chanson fran?aise, ed. Simonne CHARPENTREAU, Paris, Les editions ouvrieres, 1975, vol. 3, n' 15. Vive Henri IV est transmise entre autres par les Vieux airs et vieilles marches des soldats de France,

ed. L. CHOLMETTE, Paris, Grand Cerf, 1920.

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Eustache Du Caurroy 257

compositeur aupres d'Henri IV. Lutilisation fr6quente du contrepoint en imitation, comme le recours a certaines pratiques tombees en desuetude - utilisation simultanee de signes de mensuration differents 291, pratique du canon 292, mixite modale 293 - tmoignent d'un conservatisme que Du Caurroy a cultive tout au long de sa carriere. Ses experiences de

composition pour double-chceur s'inscrivent egalement dans cette attitude rdtrospective. Cependant, sa <<[...] lecture des bons autheurs et pratique des antiens [...]>>294 ne lui interdit pas certaines audaces: modulations inattendues, suspensions simultandes et/ou enchainees a I'approche des cadences, qu'il utilisa frdquemment dans ses pieces religieuses comme dans sa musique instrumentale et profane. Par ailleurs, la musique mesuree d'un tiers des pieces des Meslanges et de cinq motets des Preces ecclesiasticae montre qu'il s'interessa aussi, comme certains de ses contemporains - les poktes Jean-Antoine de

Balf, Nicolas Rapin, les musiciens Jacques Mauduit, Claude Le Jeune - a ce genre original. Quelle que soit la perfection des ceuvres que le compositeur fait publier, elle releve d'une esth6tique qui ne semble pas correspondre aux go0ts d'un large public. Car au moment o0 il fait imprimer des pieces qui temoignent d'une science contrapuntique rigoureusement maitrisee, I'air de cour, un genre que Du Caurroy ne semble pas avoir aborde et qui se caracterise par une simplicite d' criture, regoit toutes les faveurs du

public. Ses messes obtiennent un certain succes aupres des maitrises, mais, a I'exception peut-&tre du Requiem, elles ne sont pas redditees, A I'instar d'ailleurs de ses motets, de ses fantaisies et de ses Meslanges. Par ailleurs la diffusion de son ceuvre sous la forme manuscrite reste limitee. Pourtant, si ses ceuvres ne font pas I'objet du meme engouement que les airs de cour, elles regoivent les eloges de plusieurs theoriciens et compositeurs de la premiere moitie du XVIIe siecle. Pour Salomon de Caus, Marin Mersenne, Antoine Parran, Antoine Du Cousu, mais aussi Nicolas Le Vavasseur ou encore Anibal Gantez, les pieces de Du Caurroy illustrent les theories que Zarlino a developpees durant la seconde moitie du XVIe siecle et qui sont encore mises en pratique dans les puys de

musique et les institutions religieuses. En outre, dans leurs demonstrations, les theoriciens s'aident d'exemples musicaux didactiques qu'ils attribuent

' Du Caurroy et qui pourraient suggerer qu'il a egalement enseigne la composition.

Le style conservateur qui caracterise notamment ses motets influencera neanmoins les

compositeurs qui, durant le premier tiers du XVIIe siecle, sont attaches a des institutions

291 Les fantaisies nos 4, 14, et 20 et le motet Ave maris stella presentent plusieurs signes de mensuration simultandes.

292 Dans Le Seigneur, des qu'on nous offense (Meslanges, no 2), la quarante-sixieme melodie du psautier hugue- not est utilisee sous la forme d'un triple canon. Le timbre est presentc dans la partie de <<cinquiesme>>, au debut de laquelle sont placees trois clefs et trois armures diffirentes (ut 4 et si b, ut 3 et si becarre, ut 3 et si b), avec la mention suivante: <<Canon. In secunda, et prima species, super particularitatis>. Voir Meslanges, partie de <<Cinquiesme>>, f. 3v.

293 Comme dans quelques uns de ses motets (Ave marins stello, Mittit ad virginem). 294 Preces ecclesiastica... Liber primus, Paris, Pierre Ballard, 1609, f. a2r.

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258 Marie-Alexis COLIN

religieuses, comme Jean de Bournonville (qui exerce ' Saint-Quentin, Cambrai, mais

aussi a Paris, a la Sainte-Chapelle), Andrd Pechon (maitre de chapelle ' Saint-Germain

LAuxerrois) et surtout Nicolas Forme, qui succede ' Du Caurroy '

la direction de

la chapelle royale. Tout comme Palestrina devint en Italie le modele du stile antico, Du Caurroy apparait en France comme le representant d'une ecriture traditionnelle que ses successeurs s'appliquent a suivre. II faut attendre Guillaume Bouzignac, qui sert la

basilique Saint-Martin de Tours au debut des anndes 1640 295 pour voir dvoluer le genre du motet 296.

Toutefois, entre-temps, Nicolas Forme a compose des pieces pour deux chaeurs dont les

principes sont aujourd'hui considerds comme les signes annonciateurs du grand motet

versaillais: deux masses chorales s'opposent, avec un chceur restreint compose de solistes, et un chaeur plus 6toff6 par le nombre de voix, mais aussi par celui des executants. Or

Forme suit ici le sillage de Du Caurroy qui, dans Victime Paschali laudes avait utilise deux

chceurs, I'un aigu, a trois voix, I'autre plus grave, a quatre voix. Dans cette perspective, en plus du titre de <<restaurateur de la musique sacree>>, Du Caurroy ne merite-t-il pas a juste titre celui d' <<inventeur>> d'un genre qu'Henry Du Mont menera vers d'autres

voies ? 297

295 Martial LEROUX, <<Guillaume Bouzignac>>, New Grove Dictionary..., London, Macmillan, 2000.

296 Voir Denise LAUNAY, La musique religieuse en France du Concile de Trente / 1804, Paris, Klincksieck, 1993, p. 166.

297 Ces deux qualificatifs sont utilises par R. Ad. Beauvaisin dans son Ode placee au debut du premier livre de Preces ecclesiastica- (f. a3v).

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