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Grenoble : vertueuse par choix ? Histoires de Scot Retour sur l'île de Nantes Les fruits d’Europan 10 traits urbains le mensuel opérationnel des acteurs du développement et du renouvellement urbains 39 juin 2010 12,50 €

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Grenoble : vertueuse par choix ?

Histoires de ScotRetour sur l'île de Nantes

Les fruits d’Europan 10

traits urbainsle mensuel opérationnel des acteurs du développement et du renouvellement urbains

39juin 2010 12,50 €

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DOSSIER

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Inciter les villes à poser un regard neuf sur leur urbanisa-tion. Permettre à de jeunes concepteurs d’envisager unesuite opérationnelle à leurs idées. Susciter la réflexion,encourager la réalisation. Telle est la mécanique vertueuse enclenchée par le concours Europan.Ce concours d’idées suivies de réalisations est né enFrance en 1988, dans le sillage des PAN (Programmesarchitecture nouvelle) initiés par le ministère del’Equipement (Plan construction architecture, devenu parla suite le PUCA). Il se déroule aujourd’hui dans une vingtaine de pays européens. Il mobilise des architectes,des urbanistes, des paysagistes, des environnementalis-tes, des ingénieurs, des sociologues... Tous les deux ans,plusieurs centaines de « jeunes » candidats (moins dequarante ans) regroupés en équipes se confrontent à dessituations urbaines complexes, tentent des approchesrenouvelées et vont, pour certains, jusqu’au passage àl’acte (missions d’étude, de conception des espacespublics, de coordination du projet urbain...). Quelque cent-cinquante projets ont connu une suite opérationnelle enEurope depuis la première édition du concours, dont unecinquantaine en France.Pour cette 10e session, qui s’achève les 28 et 29 mai àNeuchâtel (Suisse), avec le Forum européen des résultats,Europan France a mis en avant six sites stratégiques etcomplexes à Alès, Dunkerque, L’Isle-d’Abeau, Saintes,Seilh et Triel-sur-Seine (cf. pages 20-21). Des friches en centre-ville ou des sites d'extension en péri-urbain où lapression foncière et le besoin de logements pourraientconduire à des choix trop précipités. Ces sites bénéficientcependant de réelles potentialités et d’une implicationpolitique locale forte. Les collectivités croient en leursatouts, reconnaissent leurs handicaps et sont prêtes à yfaire face, en s’offrant à des perceptions nouvelles. On a làun terrain favorable pour la réflexion - et pour l’action - enfaveur du développement et du renouvellement urbaindurables, suivant la thématique d’Europan 10 : « Inventerl’urbanité - régénération - revitalisation - colonisation ».Sous le thème générique de « l’urbanité européenne »promue par Europan depuis les trois dernières sessions,cette édition s’est penchée sur des questionnements

LES FRUITS D’EUROPAN 10

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spécifiques : mobilités et diversité des modes de dépla-cement ; espace privé/ espace public ; densités, morpholo-gies et place de la nature dans la ville ; habitats durables,vie résidentielle et échelles de proximité. La demande estexigeante : chaque proposition doit embrasser les compo-santes de la ville durable, qu’il s’agisse de l’encouragementaux mobilités douces, de la prise en compte des change-ments de modes de vie et des usages, d’une nouvelleapproche des formes urbaines... Tout cela sur la based’une analyse poussée du contexte, et dans une postureinventive et non normalisante. Europan et ses partenairesambitionnent de co-construire une plate-forme d’expé-riences sur la ville durable européenne et de démontrerqu’il n’est pas, comme peuvent le craindre les acteurs,question de standardiser la pensée, mais plutôt d’encou-rager la diffusion des approches environnementales.Nous livrons ici des regards croisés de membres du jury (cf. pages 22 à 25). Yves Laffroucrière, Annie Tardivon, Pascal Dayre, David Mangin et Xavier Gonzalez confron-tent avec lucidité le travail conceptuel des équipes avecleur propre expérience professionnelle et leur perceptionde l’urbanité.Trois experts d’Europan France, architectes urbanistes etenseignants, ont bien voulu décrypter pour nous lesapports des équipes, chacun sous un angle différent (cf. pages 26 à 40). David Marcillon a analysé le degré deréversibilité et d’irréversibilité des propositions - uneapproche encore insuffisamment présente dans la grandemajorité des projets urbains français en cours de réalisa-tion. Xavier Bonnaud a dessiné les contours inattendusd’une esthétique écologique faite à la fois de sobriété et deconvivialité, voire, souvent, d’ « amitié » avec les sites.Fabien Gantois et Xavier Bonnaud sont allés chercher lespotentiels du péri-urbain - et ils sont plus riches qu’on nele pense.Voilà qui donnera, nous l’espérons, matière à réflexion ànos lecteurs qui sont tous, à des titres divers, impliquésdans la fabrication de la ville durable européenne.

Marie-Christine Vatov

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Triel-sur-Seine / Field work : les parcelles accueillent de l’agriculture, des logements (en rouge) ou des activités (en bleu), dans une recherche de mixité et de complémentarités.

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DOSSIER

Alès, Quartier de la Gare« Hybrider la ville et les vides ferroviaires »Le site d’étude est constitué d’un chapelet de plates-formesferroviaires en pied de coteaux, entre des collines pavillonnaires aunord et le centre-ville au sud. Alès entend tirer parti de ces emprisespour créer un nouveau quartier articulé à son centre-ville. Ellesouhaite porter sa population de 42 000 à 55 000 habitants, par une « intensification » urbaine, une offre de logements adaptée auxnouvelles envies d’habiter et l’attention portée aux déplacements. Sont envisagés 400 logements, un pôle d’échange multimodal, une maison du développement durable, un gymnase, un hôtel, une coulée verte...

< Site d’étude : 18 ha. Site de projet : 10 ha. Proposé par la commune d’Alès et l’Agence d’urbanisme et de développement des régions nîmoise et arlésienne.

Dunkerque, Port Est/Môle 1« Reconquérir le port »

Dans l’optique d’un élargissement du centre-ville dunkerquois, la Communauté urbaine souhaite élaborer une stratégie exploratoire de

colonisation progressive du Môle 1, quai actuellement voué aux entrepôts,situé à l’articulation du centre-ville et du port. Cette colonisation contribuera

au retournement de la ville sur son port, commencé par Neptune etaujourd’hui poursuivi à travers le projet Grand Large de Nicolas Michelin

et la reconquête du Môle 1. Elle s’opérera en deux temps: plate-forme decréation artistique de 7 000 m2, port de plaisance de 400 à 500 anneaux,résidence étudiante de 80 logements, travail sur les espaces publics pour

valoriser le paysage urbain et portuaire ; puis logements, commerces,équipements et services de proximité.

> Site d’étude : 18 ha. Site de projet : 7 ha. Proposé par la Communauté Urbaine de Dunkerque (cud) et la Ville de Dunkerque.

L’Isle-d’Abeau,Quartier de la Gare-Champoulant« Urbaniser un versant »A l’articulation des communes de L’Isle-d’Abeau et de Bourgoin-Jallieu, la gare est appelée à jouer un rôle métropolitain. L’ex-ville nouvelle,aujourd’hui membre de la Communauté d’agglomération Porte de l’Isère(CAPI), entend se faire « ville durable » en maîtrisant son développement :implantation d’activités dans la vallée, protection des secteurs naturels desplateaux, densification de l’urbanisation des versants. Cela se traduira par de nouvelles formes urbaines et paysagères, en n’oubliant pas la qualité des espaces publics et le développement des circulations douces. Le siteEuropan, vallon localisé sur un versant de colline et constitué de terrainsagricoles et de friches, accueillera des logements intermédiaires et collectifsainsi que des micro-activités.

< Site d’étude : 14 ha. Site de projet : 6 ha. Proposé par la commune de L’Isle-d’Abeauavec l’Etablissement public de l’Isle-d’Abeau (epida).

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PRÉSENTATION DES SITES

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Saintes, site Saint-Louis« Reconquérir un belvédère sur la ville »

Le départ de l’hôpital Saint-Louis, en 2007, a offert à la collectivité localel’opportunité de reconquérir un lieu historique exceptionnel,

situé en secteur sauvegardé, implanté sur un belvédère en cœur de ville et offrant des vues sur le grand paysage. Le site doit devenir

le point de convergence des itinéraires piétons (quotidiens et touristiques)tout en rompant avec la mono-fonctionnalité antérieure. Y seront introduits

du logement, de l’artisanat, des services et des commerces. La mise envaleur du patrimoine (préservation impérative de deux bâtiments XVIIe et

XIXe) sera conjuguée avec l’intégration d’architectures contemporaines. Une attention particulière sera portée à la gestion

des eaux de ruissellement et aux possibilités de reconquête végétale.

> Site d’étude : 11 ha. Site de projet : 4,2 ha.Proposé par la commune de Saintes.

Triel-sur-Seine, Les Feucherets« Structurer la périphérie »

Zone interstitielle peu structurée, composée de terrains agricoles en friche,dans la boucle de la Seine, le site est inclus dans l’OIN (Opération d’intérêt

national) Seine Aval, à 40 km de Paris, et donc soumis à une pressionfoncière importante. L’enjeu est, ici, d’éviter un développement anarchique

tout en désenclavant et en attirant des habitants. Pour y répondre,la Communauté de communes des Deux Rives de la Seine (CC2RS) projette

un quartier à la fois résidentiel et économique. Les réflexions portent surune nouvelle forme urbaine intégrant habitat (50 logements à l’hectare) et

activités (40000 m2, autour de l’éco-construction), afin de constituer un corridor vert habité qui favorise les liaisons

et les différents modes de déplacement.

> Site d’étude : 50 ha. Site de projet : 35 ha.Proposé par l’Etablissement public d’aménagement du Mantois Seine Aval (epamsa) et

la Communauté de communes des Deux Rives de la Seine (CC2RS).

Seilh, site Laubis« Diversifier et densifier l’habitat péri-urbain »Marqué par un très fort développement économique et urbain, ce territoire à la périphérie nord-ouest de Toulouse est appelé à accueillirplusieurs équipements métropolitains (parc des expositions, parc d’activitésaéronautiques, habitat, tramway). Il s’y pose une problématique forte demaîtrise des extensions urbaines dans un milieu péri-urbain de faible densité.Le site Laubis, futur pôle de centralité, devra proposer une alternative à l’urbanisation pavillonnaire en combinant densité urbaine, diversitéarchitecturale et proximité de la nature (80 % du territoire de la commune est constitué d’espaces naturels ou agricoles). Les projets futurscomprendront des logements, des services et des équipements. Ils s’attacheront aux qualités des espaces publics et devront prendre en compte celles du paysage et son potentiel d’usage.

< Site d’étude : 20 ha. Site de projet : 9,5 ha. Proposé par la commune de Seilh et le Sivom Blagnac Constellation.

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DOSSIER

>A travers le concept d’urbanité, le thème de la ses-sion 2010 a voulu élargir la réflexion à la ville durabledans toutes ses dimensions. De par votre expérience,comment définiriez-vous l’urbanité et qu’apporte ce concept au paradigme de la ville durable ?

PASCAL DAYRE - Pour nous autres professionnels de la ville, l’urba-nité, c’est la quête du Graal, la recherche d’une harmonie, d’unéquilibre savant. Pour ma part, l’urbanité d’un espace, d’un lieu s’il-lustre dans sa capacité à favoriser les liens – entre espaces et entreusagers de la ville –, les échanges économiques et sociaux, et levivre ensemble, qui recouvre les notions de solidarité et de res-pect des individus entre eux et envers leur milieu. En choisissantle thème de l’urbanité, Europan 10 a replacé l’individu au centredu débat sur la ville durable, un acte essentiel pour ne pas tom-ber dans la simple recherche de « performances », la reproductionde « démarches vertueuses ».

XAVIER GONZALEZ - On a trop souvent caricaturé la ville durable enla réduisant à la végétalisation de nos villes ou à la création d’éco-quartiers comme autant de villages de schtroumpfs verts. L’urbanitéévoque cet assemblage complexe entre densité, transports,mixité programmatique et sociale, qualité de l’espace public,éducation, architecture, gestion des déchets, de l’énergie, del’eau… , permettant d’aboutir à un raisonnement global sur un ter-ritoire spécifique. Faire travailler de jeunes concepteurs sur leconcept d’urbanité, c’est leur permettre de saisir le rôle de cata-lyseur, de « matière première » que possède l’architecture dansla fabrication des villes, puisqu’elle participe autant à l’inventionde modèles urbains qu’à l’amélioration de la qualité de vie descitoyens.

YVES LAFFOUCRIÈRE - A Immobilière 3F, la question de l’urbanité sepose de façon quotidienne, notamment à travers les 47 projets derenouvellement urbain que nous conduisons. Pourtant, la pro-blématique n’est pas nouvelle. On peut considérer que l’urba-nité était déjà au centre des réflexions menées par les concepteursdes Grands Ensembles, puis par ceux des villes nouvelles. Ce

Yves Laffoucrière

TABLE RONDE EUROPAN 10« INVENTER L’URBANITÉ »REGARDS CROISÉS DE MEMBRES DU JURY

Pascal Dayre

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TABLE RONDE EUROPAN 10_DOSSIER

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qu’il faut comprendre, c’est la façon dont la notion d’urbanité aévolué au cours du temps. A mesure que l’on appréhendait lesconséquences des Grands Ensembles, des villes nouvelles, leconcept s’enrichissait, se transformait.Aujourd’hui, l’urbanité marque une rupture avec l’idée qui consis-tait à concevoir un programme très rationnel en imaginant que toutmarcherait comme prévu, comme défini préalablement. Il nes’agit pas d’être plus « modeste », mais d’être à l’écoute dans letemps – au gré des évolutions économiques, sociales et culturel-les – et dans l’espace – en ayant plus de considération pour la géo-graphie et l’histoire des lieux.Pour moi, l’urbanité est en quelque sorte le supplément d’âme d’unprojet urbain, puisqu’elle consiste à se nourrir du territoire tout enpermettant une sédimentation d’interventions dans le temps.Bercy est un très bel exemple de mise en œuvre de la ville dura-ble par le biais de l’urbanité : on y perçoit encore l’histoire duquartier, tout en ayant introduit des éléments de modernité, d’in-novation. Aujourd’hui, cette recherche d’urbanité à laquelle lesconcepteurs avaient réfléchi en amont a entraîné des développe-ments que personne n’avait imaginés, mais qui donnent cetteimpression de sédimentation harmonieuse qui doit autant auxconcepteurs qu’aux usagers de la ville.

>Lorsqu’on évoque la ville durable, on l’asso-cie presque systématiquement à la densité.Les sites retenus pour cette session recou-vrent pourtant des densités bâties très hété-rogènes, selon qu’il s’agit de sites urbains oupériurbains, de friches ou de sites d’exten-sion urbaine. Les projets d’Europan 10 ont-ilspermis de réinterroger le concept de densitéen le confrontant à celui d’urbanité ?

ANNIE TARDIVON - Les terrains retenus ont effectivementdes caractéristiques très différentes. C’est un des élé-ments qui fait la richesse de cette dixième sessiond’Europan. La densité – bâtie ou non – n’est pas forcé-ment indispensable à une durabilité du projet. Beaucoupde réponses le montre: les projets « durables » s’inscri-vent aussi bien dans des sites urbains denses ou lâches,que dans des zones périurbaines, destinées à être den-sifiées dans un avenir plus ou moins proche.

PASCAL DAYRE - La densité reste, selon moi, un élément essentielà bien des égards pour optimiser et rentabiliser l’espace urbain etpour minimiser son impact sur le milieu naturel. Mais elle s’inscritdans une approche théorique, toute relative, qu’il ne s’agit pas detransposer partout, ni d’atteindre immédiatement. Ce qu’apportela notion d’urbanité au concept de densité s’est justement révélédans la disparité des réponses proposées pour un même site.Certains ont su proposer une « intensité » urbaine qui, en s’appro-chant du concept d’urbanité, donne plus d’épaisseur à la notionde ville durable, à laquelle le seul concept de densité ne répondpas. Ce sont les réponses qui proposaient un « objet fini », « clefen main », des programmes figés dans leur posture définitive, quim’ont le plus gêné. La ville est une matière vivante qui s’accom-mode mal d’une trop grande rigidité.

YVES LAFFOUCRIÈRE - La session 2010 a permis d’ouvrir la réflexionsur la notion de densité globale, puisqu’il s’agissait d’esquisses.Cette réflexion s’est en effet couplée au concept d’« intensité »urbaine, invitant le jury à réfléchir de façon plus transversale à laconjonction entre densité bâtie et vie locale – ce qu’il peut se pas-ser si tel équipement, espace public, espace naturel est créé ouvalorisé. Les éléments de paysage, de nature font partie de laréflexion sur cette « intensité » urbaine qui doit permettre d’abou-tir à la ville durable, en se nourrissant des spécificités d’un terri-toire, tout en les intégrant dans une dynamique d’évolution. Pourchacune des trois familles de sites, les propositions, souvent trèsdifférentes, illustrent néanmoins une très grande prise en comptedu territoire, de son histoire et de sa géographie, comme Seilh avecla présence de la Garonne, Alès et le paysage des Cévennes.

> Dans quelle mesure la densité bâtie permet-elle alors de donner une nouvelle valeur au vide, à la nature et aux espaces publics ?

XAVIER GONZALEZ - Comme le démontre l’ouvrage de Colin Rowe,Collage City, on a assisté à partir des années 1920 à un bascule-ment fondamental de la proportion entre le plein et le vide, entrela ville traditionnelle et celle héritée du Mouvement Moderne.Cette inversion prouve que la densité génère une concentrationdu plein et favorise une générosité du vide. On a tous en têtel’image de Central Park et de sa périphérie dense et concentrée.Cependant, aujourd’hui, l’espace public n’est plus uniquement lesquare traditionnel ; un équipement public n’est pas nécessaire-ment un édifice. Internet a fondamentalement transformé le lienentre le corps et le lieu. Sans doute poussés par les nouveaux usa-ges de la révolution du virtuel, nous assistons à une mutation dela partition ancestrale entre sphère publique et sphère privée,entre objets singuliers (équipements) et lieux de résidences.C’est pourquoi la programmation des nouveaux édifices recher-che non seulement une plus grande proximité ou une meilleureflexibilité des espaces et des fonctions, mais aussi la mise enplace de pôles de vie communautaires plus hybrides, de nouvel-les hétérotopies. L’hybridité programmatique fait aujourd’huidébat car elle nous questionne sur les orientations architectura-les et urbaines ou les choix fondamentaux pour nos cités dedemain. Les propositions des jeunes concepteurs, parfois utopi-ques, montrent que l’architecture et l’urbanisme peuvent dévelop-per une complexité urbaine offerte par l’articulation des programmesentre eux, par les flux qui les traversent et par leur masse critique.Mais, même si quelques tentatives se développent ici ou là enFrance, les maîtres d’ouvrage publics et privés ont du mal à se lan-cer dans l’aventure, principalement à cause du montage juridiqueet foncier complexe.

PASCAL DAYRE - En effet, la ville dense donne une valeur aux videsurbains. Cela ne vient pas du fait qu’ils sont nécessairementmoins nombreux, mais de l’augmentation du nombre d’usagersqui les utilisent. Ils deviennent donc un bien commun, fragile etprécieux. Cela se traduit depuis quelques années par l’attentionque portent les collectivités à la qualité des espaces publics qu’el-les réalisent et dans la mise en œuvre de « démarches participa-tives » : diagnostic des usages et des pratiques encadrées ou

Annie Tardivon

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non encadrées, définition des fonctions de l’espace selon lesjours ou les heures de la journée… L’exigence sans cesse crois-sante en matière de propreté et de tranquillité publique de lapart des populations participe également de cette prise deconscience. Peut-être parce qu’avec l’apparition des téléphonesportables et de la wifi, les espaces publics sont effectivementdevenus une extension virtuelle de l’espace privatif de chacun.

>Les projets se proposent d’intensifier la vie urbainedes sites en agissant sur leur centralité et leur ouver-ture sur l’extérieur, mais n’assignent pas de fonctionsprédéfinies aux espaces publics et laissent les usageslibres de se développer.Comment les questions du vivre ensemble, de l’articulation entre sphère publique et sphère privéesont-elles alors traitées ?

XAVIER GONZALEZ - La ville contemporaine se vit aujourd’hui diffé-remment, l’usage même des espaces publics est différent. Onassiste à une « privatisation » éphémère des espaces publics. Onle voit avec l’occupation des SDF, mais aussi avec les pique-niques collectifs, les bótellons espagnols, etc. Internet, le téléphoneportable ou encore les réseaux communautaires tels que « Twitter »ou « Facebook » facilitent la rapidité de l’action collective. Devrions-nous alors imaginer une nouvelle nature de l’espace public, plusgénérique ou plus spécifique?

PASCAL DAYRE - Il est fini le temps des espaces publics monofonc-tionnels. Désormais, un même espace a nécessairement plu-sieurs fonctions successives ou simultanées. De fait, on assisteà une « privatisation partielle ou temporaire » de ces espaces pardes groupes en fonction des différents usages du lieu. Ainsi, uneplace peut successivement se transformer en un marché forain,puis en espace de jeux, puis en parc de stationnement… Ces pra-tiques peuvent être encadrées ou non, récurrentes ou excep-tionnelles, et c’est cette diversité de pratiques, cette flexibilité desespaces que les concepteurs doivent imaginer. Il y a là, je crois,l’affirmation dans ces choix que la ville ne doit pas systémati-quement être normée et le souhait d’un retour à une « poétiquede la ville », pour reprendre les mots de Pierre Sansot.

YVES LAFFOUCRIÈRE - Il faut toutefois ajouter que cette question desusages est traitée sous forme d’interrogation car les éléments deprogramme ne se décrètent pas. C’est la partie sur laquelle lesconcepteurs ont le moins de marge de manœuvre. Avoir placé l’urbanité au centre des réflexions a permis de réaffirmer quel’urbanisme n’était en aucun cas une science exacte, plus encorelorsqu’il s’agit de concevoir les espaces publics. En tant que bail-leurs sociaux, nous avons des repères, des indicateurs pour

construire nos programmes. Mais sur la conceptiond’espaces publics, nous en sommes encore à « l’âgede pierre ». On parle de respiration à tel ou telendroit pour évoquer les lieux les plus à mêmed’accueillir les espaces publics, mais la réflexion surles usages, les fonctions qui pourraient leur confé-rer un potentiel d’urbanité restent vagues. Tout l’in-térêt d’Europan est de laisser cours à l’imagination,à l’intuition et de dépasser les modèles, d’oublier lesseules images de lieux qui marchent bien et que l’ontente trop souvent, par facilité, de reproduire ailleurs.

> Sur le site de Triel-sur-Seine, l’équipelauréate a insisté sur la mise en œuvred’une « colonisation lente » du site. Lecaractère évolutif, réversible de la ville a été pris en compte par la plupart deséquipes. Dans quelle mesure cet axe de réflexion a-t-il permis de faire avancerla réflexion sur l’urbanité et sur la villedurable ?

ANNIE TARDIVON - La flexibilité des lieux, leur capacité à se trans-former, à s’adapter à l’évolution des sociétés est un atout majeurdans la prise en compte de la durabilité. C’est pourquoi l’évolu-tion dans le temps doit nécessairement être prise en comptepour tout projet d’aménagement. A Triel-sur-Seine, l’histoire du siteet son évolution jusqu’à aujourd’hui sont des éléments essentielspour comprendre les caractéristiques majeures du site actuel etimaginer son devenir.

PASCAL DAYRE - Cette question nous renvoie au « temps long » dela fabrication de la ville. Toutes les équipes qui se sont intéresséesau site de Triel-sur-Seine ont orienté leur proposition dans cesens: les unes ont proposé une approche matricielle avec rem-plissage des « cases » au fur et à mesure; les autres ont essaimédes « noyaux fondateurs » susceptibles de croître jusqu’à serejoindre; d’autres se sont inscrits dans une démarche d’exten-sion par phases de la ville à ses marges, par l’aménagement debandes programmatiques plus ou moins importantes. Les candi-dats ont exploré et réinterprété les différentes formes d’implan-tation des communautés humaines qui ont fondé la distributionurbaine de nos territoires, en optant pour l’une de ces trois pos-tures: « pionnière », « coloniale » ou « extensive ».

XAVIER GONZALES - Ce qui m’a particulièrement intéressé dans laréponse des lauréates de Triel-sur-Seine, site particulièrementdifficile, c’est son aspect matriciel. Elles ont imaginé une matriceidéale qui associe logement et travail, ruralité et urbanité. A la

Xavier Gonzalez

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TABLE RONDE EUROPAN 10_DOSSIER

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manière des castrums romains ou des fermes cisterciennes, cesfondements, par leur dispersion et leur reproduction, trouventleur cohérence dans les vides qui les séparent et les relient. Ellesont su trouver dans leur réponse, ce lien étymologique entre lesmots « ville » et « villa », noyau originel de la colonisation du terri-toire gallo-romain.

DAVID MANGIN - Sur le site de Triel, l’équipe lauréate a associé laréflexion sur le caractère évolutif d’un aménagement à la mise enœuvre d’une mixité fonctionnelle, d’un rapprochement entre dif-férents programmes, une dimension essentielle pour s’acheminervers une ville moins consommatrice en déplacements et moinsségrégative. Des hypothèses ont souvent été développées à par-tir de tours mixtes bureaux-logements-commerces, mais peu deprojets s’orientent vers une simple mitoyenneté entre activités et logements. A cet égard, le projet « Field work » qui imagine lacoexistence de deux cours emboîtées – l’une de maisons en ran-gées, l’autre de locaux d’activités – m’a vivement intéressé. Cette

coexistence est astucieuse sur le plandistributif et réaliste du point de vued’une cohabitation possible entre deuxfonctions systématiquement excluesl’une de l’autre, qui doivent pourtantse combiner pour favoriser l’urbanitéd’un territoire sur le temps long. Elledéveloppe le meilleur d’Europan: uneréflexion savante à partir de dispositifsordinaires, vernaculaires. Une seuleréserve: le systématisme de la propo-sition sur l’ensemble du vaste territoireque l’on attribuera peut-être à la com-modité du copier-coller informatique,péché mignon de l’époque.

>Comment les jeunes concepteurs ont-ils appré-hendé la question du développement local, de la culture et des savoir-faire propres au site étudié ?

XAVIER GONZALEZ - Je n’ai pas l’impression que cette question aitvraiment été traitée. Elle est complexe et aurait nécessité uneconnaissance plus approfondie du tissu industriel et de la pro-duction locale. Seul un projet, à mon sens, l’a réellement inté-grée : le projet lauréat sur le site de L’Isle-d’Abeau, où l’équipea proposé la mise en œuvre d’un processus de concertation etde fabrication du projet avec les habitants, dès les études deprédéfinition.

PASCAL DAYRE - En matière de développement durable, laconscience de la relation que l’on possède avec son milieuest fondamentale. Cette question était inscrite à des degrésdivers, en fonction de la problématique de chacun des sites, dansle cahier des charges des villes retenues pour Europan 10.Beaucoup d’équipes ont essayé d’apporter des réponses per-tinentes à des problématiques spécifiques en fonction dessites: filière bois des Cévennes à Alès; valorisation du patrimoineà Saintes; création prévue d’un port à proximité de Triel-sur-Seineet développement d’une zone d’activités liée aux éco-filières,

etc. Toutefois, je considère également que seul le projet « unscénario d’établissement humain », à L’Isle-d’Abeau, a su éla-borer une proposition, peut-être utopique, mais très cohérenteet dans laquelle l’humain est au centre du projet urbain, éco-nomique et social, du projet sociétal.

> La ville durable est au cœur de nombreuses mani-festations et réflexions sur les concepts et méthodesqu’elle implique. Quel est l’apport d’Europan 10 à cesréflexions ?

ANNIE TARDIVON - Le concours Europan permet l’émergence de mul-tiples réponses de la part de jeunes équipes, sur des sujets d’im-portance. La participation active des maîtres d’ouvrage aux débatsgarantit également un démarrage opérationnel de certaines études.

PASCAL DAYRE - Je ne suis pas convaincu qu’il faille affirmer une « villedurable européenne », au sens d’une standardisation. Au cours deséchanges qui ont eu lieu lors du Forum des Villes et Jurys à Grazen novembre dernier, nous avons pu constater qu’une démarchecomme Europan est avant tout nécessaire pour apprendre à seconnaître, pour s’imprégner de la culture urbaine et architecturaled’autres pays, pour échanger nos expériences. Parler de coloni-sation urbaine et d’impacts sur le milieu naturel pour un site fin-landais ou un site de la banlieue de Barcelone n’a pas tout à faitla même signification. Pour cela, Europan est un extraordinaireespace d’échanges et d’innovations. Il représente pour les jeunesconcepteurs un lieu d’expression libre qui apporte à l’échellenationale et européenne un réel enrichissement à l’ensembledes professions intervenant sur la ville.

XAVIER GONZALEZ - Europan est et restera un laboratoire ; il y adans cette consultation européenne une histoire, une fraîcheur etune source d’émergence de nouveaux talents. Il y a également unegrande liberté qui permet d’échapper au dogmatisme et aux dis-cours convenus des « spécialistes » de l’environnement.

YVES LAFFOUCRIÈRE - Selon moi, la vertu fondamentale du concoursEuropan est qu’il permet de donner un souffle, une impulsionnouvelle, de voir loin. Il y a tellement d’occasions d’affaiblir un pro-jet au cours de son développement… La grande qualité de cettedernière session d’Europan réside dans l’attention particulièreportée sur l’histoire du site, tout en l’inscrivant dans une straté-gie de mutation radicale. J’aurais toutefois un vœu à formulerpour toutes les institutions qui lancent des programmes de recher-che et concours. Il serait préférable de fédérer ces initiatives,afin de capitaliser les réflexions sur la ville durable et de les ren-dre accessibles à tous les professionnels de la ville. En effet, le ris-que est de voir se former une césure entre ce type de démarchestrès fines, mais ponctuelles, et une autre catégorie de projetsbeaucoup moins sophistiqués sur les territoires qui ne disposentpas des mêmes moyens humains et financiers. Il faut veiller à cequ’il n’y ait pas ghettoïsation des projets novateurs, notammenten réduisant le fossé entre concepteurs « avant-gardistes » etmaîtres d’ouvrage absorbés par le quotidien.

Propos recueillis par Elise Thinus

David Mangin

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EEuurrooppaann,, llaa qquueessttiioonndduu pprroojjeett iinnnnoovvaanntt eett ddee llaa rrééaalliissaattiioonnRegarder les résultats d’une session Europanconsiste à se questionner sur ce qu’il y ad’innovant dans les projets remarquablesd’une génération de jeunes architectes. Ceregard critique est nourri par l’intégrationde quelques idées portées depuis longtempspar Europan, et saisit les incidences du déve-loppement durable et de notre crise envi-ronnementale.Notre point de vue critique est construit surdeux idées clés dans Europan: le « projeturbano-architectural » et le « projet proces-sus ». La première notion implique une rela-tion dans l’articulation des échelles et desemboîtements projectuels; elle marque unerupture en faisant se rejoindre l’urbain etl’architectural dans le projet même, là oùl’on pensait par séparation et par succes-sion des niveaux de résolution et de concep-tion. C’est ce qu’exprime l’un des panneauxrendus par les candidats, entre celui expri-mant le niveau plus territorial et stratégiqueet celui confirmant le projet architecturale-ment et dans sa dimension sensible.La deuxième notion définit le projet commeun processus d’aménagement itératif, com-plexe, et non comme une composition for-melle définitive à réaliser dans une procédurelinéaire. Après l’entrelacement des échellesspatiales, elle implique la maîtrise des échel-les temporelles du projet déterminées par

enclenchements successifs et découpagesopérationnels qui, sur un temps plus oumoins long et par chaînes de cohérence,relient les intentions stratégiques de la grandeéchelle aux matérialisations localisées, sen-sibles, concrètes, habitées, de l’échelle de laproximité… Au croisement de ces notions, dans la pers-pective du passage de l’idée à la réalisation,quelles nouvelles formes de projets émergent,dans l’alliance de l’innovant et de l’opéra-tionnel « durables »?

IInntteelllliiggeennccee ddeess ssiittuuaattiioonnssL’innovant et l’opérationnel passent par larencontre avec les spécificités de la situationde projet. Ce qui suppose la mise en œuvred’une intelligence non pas uniquement dusite - avec ses caractéristiques physiques, sesdonnées économiques ou statistiques, sespratiques habitantes et sociales -, mais biend’une « intelligence des situations ». Celle-cise définit par la capacité d’être en prise avecles dynamiques de transformation dans tou-tes leurs dimensions et diversités, incluant« ce qui est » et « ce qui est projeté » (site,programme, milieu écologique et habité,gouvernance, opérateurs…), incluant lesdynamiques visibles ou celles plus souterrai-nes, voire totalement absentes, et pourtantnécessaires.La session Europan France 10 a offert unediversité de sites dans leurs spécificités et

Réversible / IrréversibleUne dualité éco-matricielle pour l’opérationnalité de projets-récits

« Acte 1 : Entrez en scène » : des infrastructures sublimées par une approche événementielle.

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EUROPAN 10 : ANALYSE D’EXPERTS_DOSSIER

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dynamiques de transformation, à même desolliciter cette « intelligence des situations »chez les candidats. Ainsi, deux extrêmes: lesite de Dunkerque où il s’agit de reconqué-rir le port en répondant à la problématique,identifiée par la ville, de recherche d’un« amorçage structurant » par des projetsstratégiques aux enclenchements progressifs,pour la reconversion d’un môle portuairerépondant à un cycle long de mutation infra-structurelle et d’urbanisation. A l’opposé, lesite de L’Isle d’Abeau, avec l’urbanisationd’un versant de colline et la réalisation delogements quasi-immédiate, répondant à uncycle court d’aménagement lié à la crois-sance lyonnaise. On peut associer à la pro-blématique de Dunkerque celle du site de laville d’Alès qui engage la mutation d’uneplate-forme de gare et voies ferrées pres-que en plein centre, par métamorphose del’infrastructure existante. Et à celle de l’Isled’Abeau, avec la prééminence et dominantede la relation à un paysage et à des milieuxpréexistants (de qualité ou pollués) souspression urbaine, les sites de Seilh et, dansune autre mesure, de Triel-sur-Seine.Le cas de Saintes, quant à lui, soulève laquestion de la relation au patrimoine histo-rique et de la reconversion d’un site belvé-dère, ancienne enclave-hôpital, parconservation très sélective d’édifices.Les projets finalistes du concours Europans’opposent ainsi à des projets figés et pla-quant des principes de compositions urbai-nes et des solutions architecturales trèsgénériques ou contradictoires par rapportà leurs propres intentions. A partir de lamise en relation et adéquation entre l’état deslieux et leurs potentialités de transforma-tion, par un véritable travail d’interprétation,commence le développement du « nouveau »dans du « connu », commencent la détectionet la sélection des leviers d’actions permet-tant d’enclencher du projectuel et de l’opé-rationnel.

EEpphhéémmèèrree eett dduurrééee ::iinnttuuiittiioonnss aauuxx lliimmiitteess dduu DDuurraabblleePremière émergence de cette intelligencedes situations, la récurrence de postures deprojet cherchant à capter et enclencher lamutation du site dans une approche sou-ple, très inspirée et respectueuse de ce site.Cette approche est un mode de traitementintuitif du développement durable ; elledéploie une méthodologie de projet d’hyper-valorisation de l’existant et d’un processus

opérationnel très économe en moyens.Domine alors l’idée que tout ce qui provientdu site est forcément « bon » et vertueux, quel’éphémère et le provisoire préservent lesqualités intrinsèques de l’existant, porteur dedurée et de stabilité. « Champs libres » àSaintes est un projet processus par valorisa-tion de l’histoire du lieu, par reconquêtesvégétales douces et par transformations len-tes favorisant l’appropriation du site par lepublic, et à l’écriture voulue par de multi-ples auteurs et décisions. « Laisser la placeà l’imprévu et à l’improvisé, et proposer à par-tir de ce que l’on voit et de ce qui existe » estle credo de ce projet fait de micro-interven-tions et insertions paysagères, avec l’idéede parcours sensible dans la ville, en repé-rant des qualités très localisées… les propo-sitions architecturales étant en devenir.Saintes, site fort par son patrimoine bâti, aporté également un autre projet plus struc-turé et architecturé, intitulé « Flâneries san-tones », toujours sur l’idée de parcourssensible structurant les intentions urbaines.La matérialité de la pierre ancienne et les mor-pho-typologies de l’existant sont convoquéespour qualifier les nouvelles insertions archi-tecturales d’habitat.A Dunkerque, le projet « Habiter le vide »s’appuie lui aussi sur la problématique initialedu site du môle, en proposant une stratégie

d’amorçage par la flexibilité continuelle dansl’existant et par une série ininterrompued’opérations tiroirs. Le vide d’activité ou levide généré par les structures industriellesexistantes sont des qualités à exploitercomme un environnement réversible en ter-mes d’usages et en termes constructifsautour de l’idée de bâtiments à durée de vielimitée. Si ce processus est très stimulant etouvert, il ne cherche pas à structurer sur leplus long terme, et reste ancré dans le micro,l’immédiat et l’aléa.Dans ce jeu entre éphémère et durée, noustrouvons l’évolution d’un thème récurrentdes résultats Europan: de celui, auparavantmajeur, de la flexibilité et de l’adaptabilitédans le temps (notamment dans les dispo-sitifs d’habitat ou la constitution des formesurbaines) vers celui massivement présentdu recyclage, voir de l’effaçable et de l’enclen-chement. Mais il s’agit de manipuler cesdeux notions avec précaution, car l’éphé-mère peut vite mettre des territoires ensituation de précarité dans des projets sansvision ou définition sur le plus long terme,« sans urbanisme fixe », comme le dit XavierGonzalez (architecte, critique, par ailleursmembre du jury français d’Europan 10)…Autrement dit, cette thématique se révèlecreuse si elle ne légitime que de l’opportu-nisme urbain. Elle se révèle en revanche

Triel-sur-Seine / Cettons 3 - Une zone d’activité habitée : des composantsredistribués dans une nouvelle forme urbano-architecturale.

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terriblement efficace et stratégique sielle est pensée dans une chaîne d’enclenche-ments opérationnels, vectrice de cohérenceentre les échelles temporelles et spatiales duprojet.Le projet « Hybrider la ville et les vides ferro-viaires » à Alès ouvre quant à lui parfaite-ment cette nouvelle forme d’approche, par uneréflexion sur l’empreinte écologique, la limi-tation des déplacements urbains et la néces-sité de changer de modèle de développement.Il procède par une réversibilité possible desprogrammes dans des structures bâties, parla densification et la création d’une nouvelleproximité en hiérarchisant et diffusant des pro-grammes de services et d’équipements surl’ensemble du quartier de la gare. Par exem-ple, une série d’implantations de silos de sta-tionnement sont conçues pour être, à terme,transformables en logements ou autres acti-vités, après suppression massive de la placede la voiture dans le nouveau quartier bran-ché sur une gare multimodale (tram-train)et une fois totalement structuré par les mobi-lités douces.

«« RRéévveerrssiibbllee//IIrrrréévveerrssiibbllee »»,,uunnee ééccoo--mmaattrriicceeLa réversibilité, en lien avec la question del’empreinte écologique, infiltre les projetsde la session. On l’a vu par le biais de l’éphé-mère, du périssable, de l’imprévu que l’onserait en mesure d’accueillir, mais aussi parle biais d’une structure plus lourde et pérenne,

réversible dans son utilisation, de façon pen-sée et anticipée. C’est bien cet état, doubleen soi, de la réversibilité dans les stratégieset éléments projectuels qui semble intéres-sant : dualité écologiquement et économi-quement performante, configuratrice… une« dualité éco-matricielle ». Plusieurs projets explorent ce jeu du « cesur quoi » le projet s’appuie ou ne s’appuieplus, ce qu’il valorise et exploite, ce qu’ilefface, ce qu’il transforme ou donne à trans-former… Le durable n’est alors ni une sim-ple réponse du maintien de l’existant sansrien faire, ni la recherche de l’empreintenulle du « tout peut disparaître », du « toutéphémère ». Il peut correspondre aussi bienà une forme de table rase qu’au maintiende l’existant dur, ou à la recherche de perma-nences profondes et infrastructurelles, sup-port de dispositifs plus flexibles et mutablesou de l’attraction de certains opérateurs ouprogrammes.A Dunkerque, plusieurs propositions onttraité la mutation du môle par modificationinfrastructurelle très lourde et inadaptée surle plan constructif, alors que les moyenssont comptés par la ville. Erreur initiale, évi-tée par d’autres équipes, qui s’inscriventdavantage dans la dualité du réversible/irré-versible. Ainsi dans le projet « Acte 1 : Entrezen scène » à Dunkerque, le sol infrastructu-rel (môle + voies ferrées) est conservé etsublimé par une approche événementiellede valorisation de l’existant, dans une lente

transition vers une vocation culturelle urbaineà partir du bâti existant et d’un bâti plusévolutif et techniquement léger, mutable,réversible. De même dans « The graft », lamutation du site passe par la consolidationet l’extension de l’architecture de toitureindustrielle, misant sur une valorisation del’existant, l’extension de l’activité par mimé-tisme morphologique pour marquer et faireperdurer l’identité du lieu, et permettre desactivités protégées des intempéries; le toutdans un processus opérationnel et de moyenssimples et économes. Quant au projet« Causes et raisons des îles désertes », ilexplore la valeur territoriale de l’insularité, del’isolement, comme une valeur resconstitu-trice et régénératrice d’un nouvel espacepublic et d’une autre relation avec le bâti etl’eau (celle du port, mais aussi de récupéra-tion pluviale ou usée). Le sol du môle estinvesti comme une plate-forme formant archi-pel à partir de l’existant et d’une urbanisationprogressive visant une saturation sur le longterme et assumant, au cours du processus,des interstices entre îles nouvelles program-matiques formant des écosystèmes.Dans un autre registre, à Alès, le projet « Zig-Zag » joue très habilement sur la métamor-phose de l’infrastructure ferroviaire. Un pro-cessus de transformation des talus, durecyclage et déplacement des terres génèrede nouvelles situations d’habitat, de nouvel-les capacités de franchissement et d’arti-culation à la mobilité, pour aboutir à la

L’Isle-d’Abeau / Bandes à part : un village filament composé d’imbrications de l’habitat individuel.

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EUROPAN 10 : ANALYSE D’EXPERTS_DOSSIER

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constitution d’un parc urbain. Le jeu de trans-formation topographique efface l’effet d’infra-structure-coupure dans la ville et agit demanière très sélective par terrassement encroisant plusieurs logiques urbaines.Entre Alès et Dunkerque, on voit que laréponse apportée à l’infrastructure n’est passystématique: elle se conçoit comme irréver-sible dans ses limites et son intégritéconstructives à Dunkerque, et plutôt commeréversible à Alès, du fait des caractéristi-ques techniques et des réelles possibilités detoucher ces infrastructures.Dans la problématique des milieux et paysa-ges existants naturels ou agricoles, le projet« Field work » ainsi que «... Pour voir loin, ilfaut y regarder de[s] près ...», à Triel-sur-Seine, développent des stratégies et dispo-sitifs urbains et paysagers d’entrelacemententre ville et nature, de couture territoriale,valorisant la biodiversite. Ils travaillent sur laconstitution d’un parcellaire, d’un décou-page des sols, de leur dépollution, de la sai-sie d’opportunités foncières et d’une mise enplace progressive du construit. Se pose alorsla question de la réversibilité d’un site polluéet de l’irréversibilité de la densificationurbaine. Cette dualité implique de longs pro-cessus et du temps. Un autre projet à Triel,« Revitalisation durable », procède comme leprojet « Setting on the edge » à Seilh, engrande périphérie de Toulouse sous fortepression foncière, privilégiant un choix plusradical en prenant la terre comme une res-source à préserver et en favorisant une den-sification plutôt sur les bords, sur les marges.Construire par étalement bâti étant jugé defacto comme un mouvement irréversible dedéqualification des paysages, de saturationdes sols, de destructions des écosystèmeset de la biodiversite. Ces visions sont très inté-ressantes car elles pointent l’irréversibilitéenvironnementale globale et favorisent laconstitution de continuités et corridors éco-logiques tout en imaginant des typologiesd’habitat verticales. Le projet « Bandes àpart », à l’Isle-d’Abeau, développe aussi cettehypothèse en prenant une position très clairesur ce qui est irréversible, à savoir les gran-des entités paysagères structurantes du ter-ritoire. A partir de la valorisation des coteauxboisés de la future vallée urbaine en pieddu site collinaire Europan, l’appui sur le pland’eau existant, la qualité des prairies inté-

Alès / Zig-Zag : la transformation topographique efface l’effet de coupureurbaine de l’infrastructure ferroviaire.

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rieures et de la topographie, les habita-tions s’implantent sous la forme nouvellede village-filament et linéaire composé demultiples imbrications d’habitat individuelaux typologies variées. Ici, le processus estrapide, le cycle opérationnel très court etpeu complexe. C’est une qualité initiale qu’ilfaut préserver, surtout au regard de ce quiva se passer sur un plus long terme dans lavallée dite urbaine - aujourd’hui des champset demain des zones d’activité importanteset intensément constructibles.A Saintes, en pleine congestion patrimo-niale, dans le projet « Résurgence d’un milieu- La ville à fleur de roche », c’est paradoxa-lement le substrat rocheux du site, sa géo-morphologie qui fondent l’irréversible de lasituation et donc le support de toute la stra-tégie d’aménagement et de projet. Cettelogique guide tout le processus : mise enplace des végétations et des milieux, per-colation des eaux… Le projet « Carré noir surfond blanc », dans la même ville, est unentrelacement très subtil entre irréversible- la protection du patrimoine remarquable etla notion de citadelle - et réversible - lesinsertions contemporaines, extensions, gref-fes qui parachèvent cette figure du carré-citadelle, sur un fond blanc, grand belvédèremagnifiant le territoire. Pour être le plus opé-rationnel possible, ce projet se limite parailleurs à deux périmètres très précis d’inter-vention et mobilise des procédés construc-tifs légers. Ce qu’il peut y avoir d’innovant, ici,c’est la modalité de détermination et de légi-timation du projet, de la stratégie d’aména-gement, dans son processus et sa capacitéopérationnels même. La notion de « projetprocessus » à Europan introduit classique-ment la dualité entre ce qui est ouvert, évo-lutif dans le projet et ce qui est fermé, nonnégociable, ferme. Mais ici, la combinatoireentre réversible et irréversible conditionneplus directement l’opérationnalité par court-circuit : c’est en amont de la conceptionqu’apparaissent et se définissent les« champs possibles » du projet, en fonction

des arbitrages projectuels sur la situationaffrontée et ses réelles « conditions de pos-sibilité » existantes ou créées. « L’intelligencedes situations », le « Réversible/Irréversiblecomme éco-matrice » sont des indicateursconcrets des exigences écologiques et éco-nomiques, de la recherche d’opérationna-lité des projets.

LL’’ooppéérraattiioonnnnaalliittéé ddee pprroojjeettss--rréécciittssCertains projets ouvrent des voies remar-quables et significatives, déjà repérablesdans les sessions précédentes d’Europan.Ils opèrent par une mobilisation à la foispoétique et stratégique des situations, etpar « mise en récit » plus que par « mise enforme »… L’opérationnalité du « projet-récit »,c’est alors la fabrication d’une trame narra-trice, d’une matrice qui a un sens et uneefficacité, par la mise en mouvement et lamise en relation des situations existantesavec des dynamiques inventives, nouvelles,en opérant par interprétation, sélection, argu-mentation et reconfiguration.Ainsi, à Triel-sur-Seine, on trouve une recons-truction urbaine à partir de ce que la périphé-rie porte et génère le plus facilement : lazone d’activité. Le projet « Cettons3 – unezone d’activité habitée » ne constitue pasune vision cynique, mais bien un effort deredistribution des composants de ce typed’urbanisme et de résultat architectural enassimilant le processus de fabrication, aussibien à travers le découpage et l’autonomisa-tion des parcelles que dans le choix desregistres architecturaux; ces éléments sontmobilisés pour créer une nouvelle formeurbano-architecturale de mixité et d’inter-stices pour la biodiversité, anticipant éga-lement la mutabilité du bâti. A L’Isle-d’Abeau,le projet « Un scénario d’établissementhumain » ouvre la question de la productiondu bâti par des constitutions de coopérativesprenant place dans une organisation globalede l’environnement croisant auto-suffisancealimentaire, densification négociée et pro-gressive suivant les besoins, appui sur les

qualités paysagères et des sols, sur des for-mes et matériaux constructifs nouveaux,économes, légers pour permettre une réver-sibilité dans l’occupation du site avec le mini-mum de moyens. Le projet « Le chemin dela dune... de la ville à la mer » à Dunkerqueouvre un nouvel imaginaire et une analogieavec les grandes plages du Nord, ici quasi-ment en pleine ville ; il propose une plagecomme terminaison « géopoétique » du môle,dont la structure est intégralement conser-vée. Seul l’élément sable vient transformeret métamorphoser cette situation actuelle-ment industrielle et dure. Ce projet s’appuiesimplement sur les qualités patrimonialesde la halle au sucre, sur un axe rue-chemincentral traversant le môle. Il ouvre mêmeun « géo-récit » susceptible de mobiliser lepolitique, les habitants et les acteurs de latransformation.Ainsi, dans les projets Europan de la 10e ses-sion, l’intelligence des situations et la dualitéRéversible/Irréversible comme éco-matriceconstituent des marqueurs d’innovation dansles approches actuelles du projet d’aména-gement durable croisant plusieurs échelles.Elles confirment la crise de solutions pré-définies de composition urbaine et architec-turale. Elles exigent également l’inventivité etla spécificité de chaque démarche de concep-tualisation et d’opération. Mais elles sontaussi le signe d’une autre nouveauté: le « pro-jet récit » comme première forme de « pro-jet-processus ». Où le potentiel opérationneldu projet devient un récit engagé et partagea-ble, dans l’incertitude de l’image projectuelleplutôt que la permanence du dessin… Desprojets-récits capables d’opérer des mutationsdu regard, de la valeur des choses, des pra-tiques (de l’habiter comme de l’aménage-ment), d’interpréter et de reconfigurer notremonde-amême et ses lieux...

David Marcillon, architecte (agence MTa),

enseignant chercheur à l’Ecole d’architecture

de Lyon – GERPHAU (Groupe d’Etudes de

Recherche Philosophie Architecture Urbain)

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« Le chemin de la dune... de la ville à la mer ». La plage, terminaison «géopoétique» du môle. © Europan France

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EUROPAN 10 : ANALYSE D’EXPERTS_DOSSIER

31traits urbains n°39 juin 2010

Poser la question d’une esthétique environ-nementale sous-entend que le plaisir rencon-tré au contact de la nature et le souci de sapréservation imprègnent la culture desconcepteurs et influencent leurs produc-tions architecturales et urbaines. Commesi la responsabilité et le savoir-faire desaménageurs, architectes en tête, étaientirrigués d’affects, de percepts, de conceptsnouveaux, liés à la fragilité de notre éco-système: il naîtrait alors de cette sensibilitéune appréciation esthétique nouvelle venantse substituer aux critères d’appréciationprécédents.Se diffusant depuis le début du XXe siècle àpartir de l’Europe, la modernité architectu-rale et urbaine s’est inscrite dans un champd’innovation technique (les possibilités dubéton armé, de l’ascenseur et du traitementde l’air intérieur), autour d’un idéal social(l’avènement d’une société machiniste), età partir d’une esthétique puissante (l’ardeuravant-gardiste et son radicalisme plasti-que)1. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que detous les continents émergent des projetsarchitecturaux et urbains qui déploient unepensée et une culture environnementalenouvelle? Comment ces tentatives éparseset simultanées peuvent-t-elles entrer en

confrontation avec le vocabulaire formelplanétaire de la mondialisation?Les jeunes professionnels de moins de qua-rante ans qui ont répondu à cette 10e ses-sion d’Europan sont immergés dans cesquestionnements. A la lecture des panneauxdes projets et des dossiers qui les accom-pagnent, il apparaît clairement que de nom-breuses équipes se sentent dépositairesd’une responsabilité pour la sauvegarde etle développement soutenable du mondephysique2. Prises au cœur des paradoxesde l’époque, les propositions présentées(plus de 400 en France sur six sites) sont àl’avant-poste de cette sensibilité environ-nementale en acte, et offrent ainsi une radio-graphie des thèmes, des images et desimplicites de cette esthétique environne-mentale.Les propositions illustrent tout ce que lesoutils informatiques apportent à l’expres-sion graphique des projets (performancedans l’énoncé des intentions par une multi-tude de schémas, modélisation de pro-cessus complexes, facilité à illustrer lesintentions à différentes échelles, précisionquant à la matérialité des ambiances, etc.).Chaque session amène son lot de trouvail-les et révèle la virtuosité avec laquelle

Les contoursd’une esthétique écologique

« Eco-Activation // Système d’opérations topographiques ». De grosses maisons verticales en bois, élément d’identité sensorielle.

Dans le foisonnement des projets transmis en France et en Europe lorsde cette 10e session, nombre d’entre eux s’inscrivent dans une approcheenvironnementale. En quoi cette sensibilité écologique renouvelle-t-elle la forme architecturale et urbaine? Voit-on pointer une esthétiqueverte? A partir de quelles lignes de forces?

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ces jeunes équipes jouent avec la puis-sance de figuration informatique. Mais nesoyons pas angéliques, regardons aussien face les risques de restauration d’unvieil académisme qui émergent ici et là.Un certain conformisme surcoloré, unevalorisation excessive du flou, des effets desuperpositions exagérément irréels don-nent à voir des images décalées, qui placentle langage des formes et l’esthétique quil’accompagne dans une dimension incanta-toire, davantage support à des utopiesnumériques qu’à de véritables interroga-tions du réel... Méfions-nous donc de ne pasnous suffire de ce feu d’artifice d’images quipeut toujours masquer (surtout dans uneépoque de sur-communication comme lanôtre) combien la complexité des procédu-res peut mettre à mal les stratégies vrai-ment innovantes.Mais de nouveaux thèmes architecturauxs’affirment : de nouvelles postures cher-chent à s’installer plus près des choses,plus au contact des lieux, des usages, desmatières, des éléments, du végétal, del’animal, du déjà-là. On y perçoit une volontéde s’établir sans emphase dans le concretdes situations, de dépasser l’excès de

confiance en soi de la rationalité modernequi s’affirmait sûre d’elle et séparée de lanature.

UUnnee ggééooppooééttiiqquueeDe nombreux projets mettent en évidencele cadre terrestre comme horizon premier deleur intervention. Regardons ceux qui inter-rogent de nouvelles fondations, qui réflé-chissent aux moyens d’intervenir sur lesamonts et les avals de l’installation humaine,de déployer, à différentes échelles, les inter-faces techniques, sociales, sensibles, permet-tant d’enrichir l’interrelation homme-milieu.Ces projets revendiquent une approcherésolument éco-centrée, ouverte, diversi-fiée : ils s’appuient sur des évaluations trèsfines du sol, apprécié parfois comme matrice,parfois comme support à une ingénierieécologique intégrée à l’habitat.Deux des projets rendus sur le site deDunkerque développent cette attitude,mais de manières bien différentes.« Nouvelles fondations » propose d’aborderl’aridité de ce môle portuaire par un proces-sus de refertilisation écologique (dépollu-tion, plantation/fertilisation progressive,production énergétique), qui intervient en

amont de toute installation de logement. Lagamme habituelle des travaux d’infrastruc-ture est ici élargie à la préparation d’unmilieu qui accueille progressivement laspécificité urbaine pour ensuite co-évolueravec elle. La proposition « Le chemin de ladune… de la ville à la mer » cherche dansune autre direction. Elle fait ressurgir (maisde manière un petit peu trop artificielle), ladune à travers le môle portuaire, faisantémerger non seulement le paysage, maisaussi la végétation dunaire dans le nou-veau quartier, comme un esprit des lieuxretrouvé, résurgent, à nouveau vivant, quiinterroge l’artificialisation de toute fonda-tion urbaine.Sur le site d’Alès, le projet « Zig-Zag » meten œuvre de grands talus reliant la ville etla plate-forme ferroviaire. Il déploie une écri-ture topographique très fine, qui révèle le solà la fois comme assise géographique etcomme espace public accueillant de manièreoriginale les fonctions multiples du nouveauquartier de la gare et la plate-forme multi-modale.Dans ces différents projets, la relation au soldépasse la simple nécessité d’implantation,pour rendre signifiantes les richesses de

Alès / Zig-Zag : de grands talus relient la ville et la plate-forme ferroviaire.

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nouvelles relations à la planète. Dans lesoin apporté à son contact, on trouve undésir de légèreté infrastructurelle qui pousseà s’installer sans trop déformer, ou encorela volonté de faire jaillir la spécificité des lieuxpar la mise en évidence de ressources et dematériaux locaux, avec toute l’aventure poé-tique qui peut s’y inscrire. Kenneth White etson Institut International de Géopoétique3

donne des références théoriques à ces aspi-rations, à cette attitude envers la terre sup-port d’une poétique à la fois commune etchaque fois différente.

DDeess eexxppéérriieenncceess ééllaarrggiieessDans les projets se référant à l’écologie,nombreux proposent un univers sensorielélargi. Si la modernité avait affirmé, parfoisde manière excessive, le rôle de l’espace etde la lumière dans l’expérience architecturale,ici, d’autres critères d’appréciation apparais-sent. De multiples registres de sensorialitése déploient, autour des éléments, des matiè-res, des variations thermiques, de la faune etde la flore. L’expérience ouverte semble pren-dre le pas sur des critères d’appréciationplus visuels et conceptuels.« Eco-Activation // Système d’opérationstopographiques » sur le site d’Alès, dessineun quartier tout en bois, fait de grosses mai-sonnées verticales posées directement surle sol de la ville, dans un registre morpholo-gique qui fait finement référence à une formeurbaine moyenâgeuse. Mais ce matériau, iciomniprésent, exprime plus qu’un modeconstructif : il constitue un écrin et définitcomme une identité sensorielle.A l’Isle-d’Abeau, « Extrait urbain » cherche àfabriquer un quartier dense à partir d’unearchitecture de pierre dont les bâtimentssont littéralement traités comme de grosblocs, travaillés en creux par des épannela-ges, des prospects intérieurs, de socles et des

percements. L’îlot est sculpté dans la matière,l’habitat est révélé par le travail de taille,enrichi de stratégies formelles de pliage, dedivision et de rotation de volumes. La sculp-ture est complexe, mais l’enveloppe de pierredonne au quartier une identité empreintede simplicité et de solidité.Le projet de Dunkerque « Acte 1: Entrez enscène » propose de construire le môle commeun territoire interactif, à partir d’écrans, deleds, de « media-buildings » qui mettent enmouvement l’horizon portuaire : la mobilitédes images, leur présence colorée, leur inter-activité, révèlent l’urbanité créative qu’untel lieu peut générer.Dans certains projets, des animaux appa-raissent sur les images, comme emblémati-ques d’une dilatation des registres desensation et de perception attendusaujourd’hui en ville. Ils convoquent une biodiversité exaltée qui prend parfois desallures de bestiaires étranges. Et puisqu’ilfaut aussi regarder les excès de cet engoue-ment, la prairie de hautes herbes apparaîtsouvent comme un espace public naturelle-ment apaisé. Comme si, cédant à une idéa-lisation du « bon sauvage », l’immersion dansune végétation luxuriante allait apaiser ins-tantanément tous conflits d’usage et touteconflictualité.A pousser ainsi sur les registres sensoriels,certains projets déploient une sur-stimulationsensorielle très post-moderne. Mais ces atti-tudes, bien que maladroites, témoignent del’influence de la phénoménologie et du subs-trat indépassable de l’expérience mis en évi-dence par le philosophe français MauriceMerleau-Ponty lorsqu’il énoncait « le désirde rétablir un lien direct et primitif avec lemonde et de conférer à ce lien un statut phi-losophique »4. Eric Lambin5, dans la présen-tation détaillée des relations entre bonheuret conditions environnementales, tout comme

Alain Berthoz6, dans la mise en évidence desrichesses de notre physiologie et de noscapacités de perception du monde environ-nant, développent aujourd’hui des connaissan-ces bien utiles sur tous ces registres.

UUnn iiddééaall ddee ccoonnvviivviiaalliittééFace au triste constat de l’époque (la crisefinancière et sociale, la dureté de la concur-rence dans un marché omniprésent, l’idéo-logie de la peur, le caractère sécuritaire desdiscours politiques et la crainte du repli sursoi), de nombreux projets promeuvent denouvelles figures de l’« en-commun » ainsique des stratégies de réappropriation par leshabitants de leur environnement.Mais, là encore, que nous disent ces attitu-des? La convivialité émergeante des pro-jets doit-elle être entendue commel’expression d’une résistance face à l’espritdéprécié de ce début de siècle, ou commeun volontarisme naïf et somme toute éloignédu désir réel des populations?Pour les auteurs du projet de L’Isle-d’Abeau,« Un scénario d’établissement humain », lequartier naît de la rencontre de trois coopé-ratives (habitants, agriculteurs, construc-teurs) capables, ensemble, de se solidarisersur un projet qui rétablisse des liens deproximité tout en assumant une part impor-tante du processus de fabrication urbaine.Ils visent un autre mode de développement,autour d’un projet coopératif qui s’installe demanière progressive.A Saintes, dans le cadre de l’ouverture à laville de l’ensemble du site de l’ancien HôpitalSaint-Louis, le projet « Carré noir sur fondblanc » construit à l’intérieur d’une figure trèscompacte pour ménager une vaste espla-nade sur la ville et constituer ainsi une nou-velle scène publique. Elle est représentéeouverte, accueillant toutes les catégoriessociales qui trouvent ici leur satisfaction

Dunkerque / Acte 1 : Entrez en scène : le môle devient le territoire d’une urbanité créative.

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simultanément, dans un espace publicsaturé d’activités culturelles. Au dessin trèsordonné de la citadelle magistralement réha-bilitée, fait écho une ambiance de fêtes : lejeu paraît séduisant, mais peut-être aussi unpeu idéalisé par la représentation d’uneconvivialité nécessairement festive, perma-nente et spontanée.D’une toute autre manière, le projet « Champslibres » propose de commencer par dres-ser la cartographie des micro trésors archi-tecturaux et urbains de l’actuel hôpital ; ilsdeviennent support d’une programmationprogressive. À la monofonctionnalité du site,il oppose une écriture multiple, à partir d’ateliers participatifs et d’une démarched’appropriation et de transformation gra-duelle liée à la dynamique collective deshabitants d’un lieu qui - paradoxe - n’en pos-sède pas aujourd’hui.Entre des processus participatifs et coopé-ratifs lents et complexes à mettre en œuvreet la vaporisation d’ambiances festives surles panneaux, la question des usages publics

et de l’en-commun occupe les représenta-tions des équipes. Certains projets proposentdes innovations plus audacieuses et cher-chent, comme le projet déjà cité sur L’Isle-d’Abeau « Un scénario d’établissementhumain », à mettre en œuvre un renouvelle-ment des conditions institutionnelles d’orga-nisation, de financement et de la fabricationdes quartiers d’habitat. Les travaux d’IvanIllich sur la convivialité des outils ou encoreson analyse de la contre-productivité desinstitutions sous-tendent de tels enjeux. Unart d’habiter est à réinventer et à partager,sur les écueils de la méfiance, des habitudes,du clientélisme et de la ségrégation intério-risée.

UUnnee tteeccttoonniiqquuee ddee llaa ssoobbrriiééttééDans le domaine constructif, de nombreuxprojets ambitionnent une culture de lasobriété, cherchant autant à optimiser lesmatières et les efforts qu’à minimiser lesbouleversements inutiles des sites. Au-delàde l’aspect strictement budgétaire, ils se

réapproprient le fait économique en faisantvertu de retenue dans les moyens utilisés.A Saintes, le projet primé, « FlâneriesSantones », recherche une modestie dans l’in-tervention urbaine. Son approche ne semblepas être de l’ordre de la soumission patrimo-niale, mais bien de la reconnaissance desqualités de formes, d’échelles et de texturede l’habitat ancien, fût-il vernaculaire. Iltente une certaine fusion avec les formesurbaines existantes, affirmant une posturequi vise plutôt des fragments à révéler quedes chefs-d’œuvre à imposer. Une telle pos-ture apparaît comme un enjeu bien contem-porain quand on connaît la puissance defeu de l’univers du BTP face aux tissusurbains fragiles, ou encore le retour surinvestissement attendu par les capitaux pri-vés ou les décideurs publics qui tendent à« Guggenheimiser » les sites les plus emblé-matiques de chaque ville. Dans un registre

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L’Isle-d’Abeau / Extrait urbain : un îlot sculpté dans la pierre exprime une identité empreinte de solidité.

Saintes / Carré noir sur fond blanc : une vaste esplanade, scène publique accueillant toutes les catégories sociales.

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plus architectural, les projets « Habiter levide » et « The graft » sur Dunkerque instal-lent les premières étapes de leur proces-sus de colonisation du môle dans et à partirdes entrepôts et hangars existants, fussent-ils modestes et un peu usés. « The graft » uti-lise la métaphore de la greffe pour réveiller,non pas l’énergie de l’arbre fruitier, mais lapotentialité latente de ces bâtiments indus-triels et proposer leur mutation urbaine parextension progressive de leurs toitures encouverts urbains disponibles. Petit à petit,le môle se trouve colonisé par un dédalede nouveaux espaces imbriqués.Ces projets assument la donne financière dela crise actuelle, démarrant les premières éta-pes des opérations avec peu de moyenspour ensuite se déployer, très progressive-ment, en acceptant les aléas du temps.Poussées par certains projets jusqu’à l’ex-trême, de telles approches peuvent êtreperçues comme simple absence d’ambition,voire minimalisme pauvret, se contentantd’une conservation de la moindre carcasseconstruite, et réduisant de fait la présencearchitecturale à un Meccano économe. Mais,si elles sont menées avec mesure, onobserve alors un renouvellement, une décon-traction salutaire de l’imaginaire des équipe-ments publics et culturels. Car dans leurfrugalité de moyens, ces projets investis-sent l’acte constructif en tant que tel, dansune approche tectonique de l’architecture,pour reprendre des réflexions ouvertes parKenneth Frampton sur le sujet7. Les maniè-res d’agencer et d’assembler même les plussobres peuvent alors engager une poétiquede la construction et de la matérialité pleinede saveur ou encore, dans leur quête d’op-timisation, viser à l’expression d’un fonc-tionnalisme écologique8.Ainsi, des projets de cette 10e sessiond’Europan émergent des attitudes nouvellesque nous avons regroupées en quatre gran-des tendances : une relation attentive à lafragilité et à la finitude de la Terre, l’impor-tance donnée au domaine de la perceptionet de l’expérience plutôt qu’à une approcheexagérément rationnelle et conceptuelle,un désir de convivialité des lieux en compen-sation à la dureté de la compétition mondia-lisée des marchés, une culture constructivedésireuse d’être rusée et économe.Ces tendances se déclinent en une grandevariété de formes, d’univers sensoriels,d’imaginaires qui dilatent - et c’est unebonne nouvelle - la standardisation des ima-

ginaires décrétés par la globalisation écono-mique. Emerge une esthétique ouverte, nonexclusive, moins empreinte d’a priori plas-tique. Dans son dernier ouvrage9, NicolasBourriaud utilise le terme de botanique« radicant » pour exprimer le tournant esthé-tique qui s’est opéré depuis le modernismedu XXe siècle qui, pour sa part, se voulait radi-cal. Des œuvres radicantes procèdentcomme les plantes du même nom : ellesmettent en route leurs racines dans descontextes et des formats différents. Lesprojets que nous avons regardés possèdentcette ouverture aux contextes (les sites, lesacteurs, les conditions économiques) etsemblent capables d’inventer leurs propresfondations dans une liberté d’interprétationqui les libère du carcan hégémoniste de lamodernité qui se traduisait par une certainerigidité dans l’acte de projeter. Elles apparais-sent sensibles et disponibles aux urgencescontemporaines et aux données qu’ilconvient d’intégrer pour y œuvrer utilement.Les projets que nous avons regardés portentcet esprit de prospective, cherchant, là oùils s’implantent, à construire de nouveauxliens et des aventures culturelles ouvertes.

Ils expriment, même dans des sites diffici-les, ce sentiment si important d’amitié avecune planète fragilisée, et témoignent de larichesse de l’architecture dans le concert desréponses possibles aux questions d’amé-nagement.

Xavier Bonnaud, architecte-urbaniste

(Agence MESOSTUDIO), professeur à l’école

d’architecture de Clermont-Ferrand, chercheur au

GERPHAU (Groupe d’Etudes de Recherche

Philosophie Architecture Urbain)

1. Marc Gimenez, Qu’est-ce que l’esthétique?, éd. Gallimard,1997.2. Bruno Albrecht, « Holistique, durabilité et architecture », in,Habiter écologique, quelles architectures pour une ville durable?,Actes sud & cité de l’architecture et du patrimoine, 2009.3. www.geopoetique.net, ou encore Le plateau de l’albatros,introduction à la géopoétique, Grasset, 1994.4. Phénoménologie de la perception, Gallimard. 5. Pour une écologie du bonheur, édition le Pommier, 2009.6.Titulaire de la chaire de Physiologie de la perception et de l’ac-tion au Collège de France, voir entre autres, Le sens du mouve-ment, Odile Jacob, 1997, L’empathie, Odile Jacob, 2004 etPhénoménologie et physiologie de l’action, Odile Jacob, 2006avec le philosophe Jean-Luc Petit.7. Kenneth Frampton, Studies in tectonic culture, The Poetics ofConstruction in Nineteenth and Twentieth Century Architecture,MIT presse, 2001 et « La tectonique revisitée », in Le projet tec-tonique, Textes réunis par Jean-Pierre Chupin et Cyrille Simonet,éditions In Folio, 2005.8. Juhani Pallasmaa, « From metaphorical to ecological functio-nalism », The architectural Review, juin 1993.9. Radicant, pour une esthétique de la globalisation, Denoël,2009.

L’Isle-d’Abeau / Un scénario d’établissement humain : un nouveau mode d’urbanisation coopératif (ici : instantané du processus d’urbanisation en phase d’équilibre interne).

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Dans les discours contemporains sur la den-sité, le modèle de la ville agglomérée sembleavoir toutes les vertus (économies d’infra-structure, limitation de l’automobile en faveurdes transports collectifs, densité et compa-cité du bâti, effet d’échelle permettant l’en-clenchement d’opérations de renouvellement,etc.). Toutefois, il apparaît exagéré de vouloirprojeter ce modèle sur les territoires exter-nes des agglomérations qui hébergent pour-tant la grande majorité des habitants. Ilconvient d’interroger leurs devenirs en s’ap-puyant sur les spécificités de leur échelle, deleurs histoires, de leur dynamique, de leurmorphologie, de leurs imaginaires.Ces territoires de seconde ou troisième cou-ronne (comme leurs habitants) semblentdiscrédités, tant l’idéal-type de la densitéa tendance à oublier le tissu distendu quienserre les métropoles et les font vivre.Zones d’activités, grandes industries, implan-tations énergétiques, équipements à grandgabarit et fortes nuisances, agriculture,constituent de fait le substrat vital de toutemétropole.A Seilh, des formes nouvelles d’urbanitésont esquissées, figures d’urbanisation hybri-des pour un territoire écartelé entre desdynamiques qui le dépassent.A l’Isle-d’Abeau, les habitants « territoriants »1

construisent de nouvelles relations entre

réseaux et résidence, assumant la fragmen-tation de leur quotidien «polytopique»2 touten désirant une nouvelle qualité domestique.A Triel, des nouvelles formes de densitévisent à conjuguer urbanisation et renatura-tion, à imbriquer zone d’activité et habitatsemi-collectif afin de sortir de la monofonc-tionnalité, de préserver des zones de rencon-tre avec les milieux naturels et de maintenirle sentiment de vacance territoriale propreà ces territoires de troisième couronne.A chaque fois s’esquissent des relationsparticulières entre réseaux et universdomestique, entre installations humaineset usages encore agricoles des sols, entrehabitat et travail.

FFoonnddaattiioonn ddeess pprroojjeettssA partir des projets de la 10e session d’Europan,les potentialités de transformation de ces ter-ritoires sont mis en perspective au regard deleurs spécificités dans le développement...d’éco-métropoles. Un péri-urbain durableest en construction.Située à 15 kilomètres du centre de Toulouse,Seilh accueille 3000 habitants sur un terri-toire à la densité faible (25 habitants à l’hec-tare). Le paysage et les espaces naturelsconstituent le principal facteur d’attracti-vité pour une population en quête d’habitatindividuel.

Forces et potentiels du péri-urbain

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« Seilhabitattoujourscollectiftoujoursindividuel ». L’habitat reste individuel, mais une structure collective se dessine.

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La commune, consciente de la pousséeurbaine venant des secteurs proches deBlagnac, a mis au concours un secteur stra-tégique et une programmation ambitieuse.Cinq cents logements, la relocalisation d’équi-pements communaux (mairie, marché,accueil petite enfance, etc.), de vastes espa-ces en rive de Garonne doivent permettred’esquisser le futur de son urbanisation.Les projets sélectionnés et présélectionnésoffrent un panel des mutations possiblesd’un territoire confronté à une irrémédia-ble poussée urbaine. Trois approches émer-gent.Le projet « Setting on the edge » souhaitefonder l’identité du lieu sur la réémergencedes qualités encore sensibles, mais bienfragilisées du milieu naturel environnant. Ilrévèle les continuités de l’écosystème à par-tir de corridors qui soulignent les ruisselle-ments, épaississent les haies, dilatent lesprairies, amplifient les dynamiques végéta-les existantes. Il propose des bâtimentstours pour habiter la frange de ce biotope,mais le gabarit et le systématisme desimplantations ne construit pas une cohé-rence suffisante avec le projet séduisantde biotope urbain esquissé par ailleurs.Le projet « Les champs des possibles… »organise l’ensemble des nouveaux quar-

tiers, à partir d’un tracé en éventail vers laGaronne. Ce plan à la géométrie autonomedevient la clé qui réoriente l’ensemble du site,aujourd’hui écartelé entre les logiques indé-pendantes des routes, du fleuve, des équi-pements éparpillés, des polarités éparses.De manière assez classique et efficace, letracé est ici constitutif de la cité en deveniret ouvre le site à la rive opposée par la miseen place d’un pont. La trame urbaine poseles directions d’une urbanisation progres-sive et la programmation choisie veille à laconstitution d’un quartier mariant urbanitéet ruralité, conciliation bienheureuse de laville et de la campagne.Le projet « Seilhabitattoujourscollectiftoujoursindividuel» se fonde, pour sa part,sur le caractère domestique du péri-urbain.L’habitat constitue l’élément de base du sec-teur. Mais cet alphabet est travaillé : lesmaisons individuelles s’agglomèrent dansun mouvement collectif de pétrification quifait écho à l’idéal type de la ’médina’ (petiteéchelle, proximité, intériorité). L’habitat resteindividuel, mais une structure collective sedessine : nappe creusée de patios, de pas-sages et de placettes.Le projet « Tricoter son quartier » tire son évi-dence de l’intégration des trois attitudesprécédentes. Il apprécie la géographie du siteet prend en compte la Garonne comme l’élé-ment majeur structurant du lieu, fédéra-trice des tracés, des variations parcellaires,des orientations, du panorama de la berge.Un travail abouti de hiérarchisation orga-nise la confrontation entre la complexitéinhérente à un quartier diversifié et la clartéd’une structure ouverte à un avenir incertain.La richesse du sol, le dessin des espacespublics, le gabarit des îlots viendra dans undeuxième temps, mais les échelles, les orien-tations, sont inscrites dans le paysage parce nouvel arpentage urbain. Plus qu’un plande densification, un processus est engagé,capable d’accueillir les constructions quele site va rapidement accueillir.

UUnn ééqquuiilliibbrree eennttrree aaddaappttaattiioonn eett mmooddiiffiiccaattiioonn dduu mmiilliieeuuSur d’autres sites, la croissance urbainen’est pas aussi accélérée: des identités spé-cifiques ont le temps de s’installer.L’extension péri-urbaine des soixante derniè-res années, nourrie par l’exode rural et lacroissance démographique, a opéré unemodification profonde de l’environnement aupoint de rompre l’équilibre et de mettre en>

« Les champs des possibles…» : un tracé en éventail vers la Garonneréoriente le site et met en cohérence les différentes logiques préexistantes.

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danger l’œkoumène3. Pourtant, pendantdes décennies, le péri-urbain a donné l’imaged’un espace propice à une vie passée auprèsde la nature, loin de la densité tonitruanteet des miasmes de la ville. Le siècle der-nier avait ainsi presque donné raison à cedésurbanisme promoteur d’une synthèseentre ville et nature. Mais le péri-urbains’est aussi révélé être le réceptacle des« déchets » de la ville-centre, comme à Triel-sur-Seine, où la Ville de Paris a réalisé l’épan-dage de ses boues pendant plusieursdécennies, entraînant une pollution lourdedes sols, et où les différents plans de renou-vellement urbain arrivent avec difficulté àdésenclaver physiquement et socialement lacité de la Noé voisine. L’enjeu d’une nou-velle gestion écologique et sociale de ces ter-ritoires relégués apparaît donc aujourd’huiplus urgent que jamais. Que faut-il faire deces sites bannis par l’apologie de la den-sité et de la dépense énergétique zéro ?L’avenir des villes réside-t-il exclusivementdans l’idée de cœurs urbains à fortes den-sités valorisant une culture urbaine dominéepar la réponse des éco-quartiers? Les ambi-tions portées par de nombreux projets decette session posent clairement les jalonsd’une nouvelle économie du péri-urbain.L’urbaniste et paysagiste Ian McHarg4 rap-pelle que, d’un strict point de vue biologique,les êtres vivants entretiennent deux types derelations avec leur milieu: une relation adap-tatrice (l’organisme se modifie en fonctiondu milieu) et une relation modificatrice (le

milieu est modifié en fonction des besoinsde l’organisme). C’est dans l’équilibre deces deux relations que réside leur survie.Pour le biologiste, l’environnement n’estpas une simple étendue spatiale, mais bienun ensemble complexe de processus géo-logiques, biologiques et thermodynamiquesinteragissant les uns avec les autres. Mais,pour reprendre ici la réflexion menée parAlberto Magnaghi5, l’enjeu de la durabilitédes territoires ne repose pas sur la seuleapproche environnementaliste, uniquementcentrée sur la nature, mais également surl’approche anthropo-biocentrique, c’est-à-dire sur la prise en compte des relations co-évolutives entre les établissements humainset leur milieu. A Triel-sur-Seine, cette appro-che est partiellement reprise par deux pro-jets aux trames urbaines différentes.A partir d’une étude fine du milieu et notam-ment des relations écologiques activesentre le Massif de l’Hautil et la Seine, leprojet « ...Pour voir loin, il faut y regarderde[s] près...» propose une trame hybride. Lemotif d’un corridor écologique traversant letissu urbain est ici abandonné au profitd’une diffusion réciproque des espacesnaturels et espaces humains au sein d’untissu mixte offrant simultanément les qua-lités de la ville et de la campagne. Optantquant à lui pour le maintien d’archipelsurbains au cœur des espaces non bâtis, leprojet « Revitalisation durable » réserve laplus grande partie du foncier à l’agricul-ture et au maintien des relations hydrologi-

ques et faunistiques liant le plateau à lavallée. Une lisière habitée articule le corri-dor écologique physiquement constituéavec la frange Ouest de Chanteloup-les-Vignes. Si les réponses spatiales diffèrententre ces deux projets, la question des rela-tions entre ville et nature constitue bienun nouveau terrain de recherche investipar les équipes.

RReecchheerrcchhee ddee ttyyppoollooggiieess mmiixxtteessPourtant, ces deux projets butent sur l’inté-gration d’un programme d’activités et detertiaire de plusieurs dizaines de milliers demètres carrés, programme rarement ren-contré au cours des sessions Europan, maisun des véritables enjeux actuels de la ques-tion péri-urbaine. Ce défi a été relevé par leprojet lauréat « Field work » qui propose eneffet une cristallisation du programme ausein de super-blocs établissant une urba-nité subtilement organisée autour de deuxcours complémentaires (l’une affectée auxlogements, l’autre aux activités). Ces nouvel-les architectures aux allures de réinterpréta-tion contemporaine de la ferme médiévalesont intégrées dans une trame agro-urbaineissue du parcellaire existant. Celle-ci s’enra-cine dans le territoire de la boucle grâce à unréseau de circulations douces. Le motif dudamier permet de gérer avec finesse la ques-tion de la densité. Aux grandes « fermes »compactes regroupant habitations, commer-ces, et activités organisés autour d’une ou dedeux places, répond une étendue agricole.

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Triel-sur-Seine /Field work : de grands blocs organisent l’urbanité autour de deux cours, l’une dédiée aux logements, l’autre aux activités.

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EUROPAN 10 : ANALYSE D’EXPERTS_DOSSIER

39traits urbains n°39 juin 2010

Cette figure hybride offre une réponse audésir de double identité des habitants :urbains dans leur travail, ruraux dans leur viedomestique. La masse choisie des architec-tures est une réponse idoine au grand pay-sage de la boucle de Chanteloup. Le devenirde ce site est ici à mille lieues de ce qui,hélas, domine souvent de tels territoires :un simple dépeçage du foncier sur le marchédu développement urbain.S’attelant également à trouver une nouvelletypologie péri-urbaine mixte, le projet« Cettons 3 - Une zone d’activité habitée » pro-pose une combinatoire de deux archétypesdu tissu péri-urbain : le lotissement et lazone d’activité. L’équipe identifie les élé-ments architecturaux et urbains propres à cesdeux formes urbaines a priori incompati-bles, et pouvant pourtant être mutualisées,et met en place une typologie d’îlots d’unnouveau type assurant une « mixité appliquéeà la ville horizontale ». L’idée, novatrice etséduisante, laisse pourtant entrevoir toutesles difficultés d’un quotidien au cœur decette nouvelle forme urbaine.A la découverte de ces deux projets, onremarquera que la mise en place d’un péri-urbain durable s’assoit sur une recherchede structuration du vide: le projet « Cettons3-Une zone d’activité habitée » fait du cœurd’îlot un espace de permanence urbaine faceà la volatilité des programmes, les champsde « Field work » sont autant de jardinsurbains porteurs d’une nouvelle identitérurale.Si la thématique de l’agriculture en milieuurbain n’est pas une figure inédite d’Europan,sa persistance au fil des sessions6 semble éta-blir que de nouvelles relations avec la villesont effectivement à l’œuvre. L’imaginaireagricole n’est en effet plus celui de l’agro-industrie, mais s’ouvre à une multitudes descénarios (maraîchage de proximité, ver-gers, jardins associatifs et pédagogiques,réserves faunistiques et corridors écologi-ques, travail de dépollution et de phyto-remédiation par les plantes, culture pourdes agro-matériaux). Dans des projets telsque « Field work », « ...Pour voir loin, il fauty regarder de[s] près...» ou « Christina », lesol est pensé comme substrat, porteur denouvelles relations sociales rapprochant leconsommateur du producteur et rompantainsi avec la séparation entre ruraux eturbains induite par la grande distribution.La recherche d’une société moins segmen-tée trouve alors, dans le péri-urbain, de>

L’Isle-d’Abeau / Un scénario d’établissement humain :habitants, agriculteurs et constructeurs deviennent de véritables fabricants de leur territoire.

Préparation des terrains en pente par des murs de soutènement et de fondation. La requalificationpaysagère précède l’urbanisation.

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40 juin 2010 traits urbains n°39

DOSSIER

nouveaux terrains d’expérimentation.Même si à Triel-sur-Seine, la question socialeest essentielle et qu’il est bien délicat del’aborder par le seul prisme des combinatoi-res programmatiques.

DDeennssiittéé vveerrssuuss nnaattuurree??On voit donc s’esquisser une approchedurable du péri-urbain qui est nécessaire-ment territoriale. Les grandes entités pay-sagères qui les constituent ne peuvent plusêtre abordées comme de simples surfacesvacantes livrées à une utilisation outran-cière. L’approche anthropo-biocentriqueappelle de nouveaux outils institutionnels etdes politiques adaptées à une réflexionélargie sur ces nouveaux milieux/habitatsqui reposent différemment la question defabrication de la ville. Le projet « Un scéna-rio d’établissement humain » sur le site deL’Isle-d’Abeau, aborde avec créativité cesujet. La mise en place de coopératives per-met en effet de proposer à trois catégoriessociales identifiées par l’équipe (habitants,constructeurs et agriculteurs) de dépasserleur simple statut d’usagers pour les pro-mouvoir en véritables fabricants de leur ter-ritoire. Puisant dans la tradition urbaineprospective propre à la ville nouvelle, le pro-jet propose une fabrique territoriale endogènebasée sur une organisation coopérative desconstructions et de la gestion du quartier.La faible densité, avec ses conséquencesen matière de consommation foncière et dedéplacements individuels, reste la principale

critique faite au péri-urbain. Pourtant, l’attraitd’une certaine ouverture des paysages peutêtre maintenu si la densité est en contrepar-tie travaillée. Telle était d’ailleurs la ques-tion posée par le site de L’Isle d’Abeau :comment concevoir un tissu urbain qui,tout en étant le plus dense possible, gardetoutefois une identité péri-urbaine de « ville-nature ». Le projet « Extrait urbain » travailleavec à-propos le thème de la disséminationen proposant un quartier à la fois dense etvert. Sur le principe d’une organisationurbaine en doigts de gant, l’équipe pro-pose une imbrication entre espace bâti etespace végétalisé. Une maîtrise des ambian-ces urbaines, notamment par l’utilisationdes matériaux, accentue le caractère dece quartier situé entre ville et nature. Lesespaces publics sont pourvus d’un solempierré continu qui se déploie sur lesfaçades, donnant ainsi un caractère mono-lithique à un ensemble de quelque qua-rante bâtiments de logements collectifs.En contrepoint, de nombreux dégagementsoffrent de larges vues sur les cœurs d’îlotsvégétalisés. Le projet « Bandes à part »choisit quant à lui de répondre aux enjeuxdu grand paysage en protégeant le sommetde la colline et les boisements situés enpied de toute urbanisation. Le programmeest ainsi réparti à mi-pente avec une den-sité affirmée donnant à voir un serpenturbain entourant un espace public paysa-ger central. A chaque fois, le travail sur ladensité permet aux équipes de proposer

des réseaux de transports partagés vers lagare proche, et de réduire ainsi l’usage dela voiture individuelle.A la lecture de l’ensemble de ces projets,ces territoires entre ville et nature bénéfi-cient d’une « indéfinition prometteuse ».Face aux enjeux de la métropole durable età la nécessaire transformation des prati-ques actuelles d’aménagement, leurabsence d’a priori et leur grande disponi-bilité foncière sont des atouts. Mais l’al-chimie urbaine du péri-urbain n’est pasfacile à mettre en œuvre. On voit bienqu’elle oblige à se confronter à la consis-tance brute des lieux, à l’occupation dés-ordonnée et concurrentielle des zonesd’activités, aux réseaux topophages7, auxlotissements en flaques, à la mitoyennetéde fonctions vitales, mais souvent porteu-ses de fortes nuisances, comme les échan-geurs routiers, les aéroports, les zonesd’activités, que le centre évacue toujoursà sa périphérie. Pourtant, ces territoiressont potentiellement plus ouverts que lescentres-villes à de nouvelles figures d’im-brications ville/nature, à l’émergence denouveaux imaginaires métropolitains, à denouveaux agencements entre sols agrico-les et sols artificiels, à des morphologiesinédites imbriquant logements et activi-tés, à de nouvelles superpositions entreespaces naturels et habitats humains.

Fabien Gantois, architecte dplg, Master in

Architecture (Georgia Institute of Technology

of Atlanta), enseignant à l’école d’architecture

de Paris-La Villette.

(Agence Gantois-Malige Architectures),

Xavier Bonnaud, architecte-urbaniste (Agence

MESOSTUDIO), professeur

à l’école d’architecture de Clermont-Ferrand,

Chercheur au GERPHAU (Groupe de Recherche

Philosophie Architecture Urbain).

1. Le territoriant est l’habitant d’un lieu également utilisateurd’autres lieux de sa métropole. Voir Francesc Munoz, La villemultipliée, métropole des territoriants, in L’imaginaire aména-geur en mutation sous la direction de Yves Chalas, 2004,L’Harmattan, Paris.2. Par référence aux lieux utilisés par les territoriants.3. Entendu comme l’espace transformé où vivent les hom-mes, voir Paul Claval, La géographie culturelle, Paris, ArmandCollin, 2003.4. Ian L. McHarg (1992), Design with Nature, New York, JohnWiley & Sons Inc. 1969, Réédition 1992.5. Alberto Magnaghi, (2003) Le projet local, Mardaga,Sprimont (Belgique).6. Voir notamment le projet Secret Gardens à Erfurt,Europan 8.7. Consommateurs de foncier.

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L’Isle-d’Abeau / Bandes à part : un programme dense, implanté à mi-pente.

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EUROPAN 10 : LES ACTEURS_DOSSIER

41traits urbains n°39 juin 2010

Le jury françaisLe jury français était composé de neuf membresdont trois étrangers, et de deux suppléants quiont participé aux débats. Le jury a été présidé parYves LAFFOUCRIERE - Directeur général,Immobilière 3F. Il a rassemblé divers acteurs dela fabrication de la ville: Jean GAUTIER [Directeur,adjoint du directeur général des Patrimoines, chargéde l’architecture, ministère de la Culture et de laCommunication] et Pascal DAYRE [Directeur généraladjoint du développement Urbain, mairie de Bobigny].Ainsi que quatre architectes (dont deux étrangers):

Xavier GONZALEZ [Architecte urbaniste (Cabinet

Brenac-Gonzalez), professeur à l’école d’Architecturede Paris-La-Villette, rédacteur de la revue néerlandaise« A10 » et de la revue espagnole « A+T »], David MANGIN [Architecte urbaniste (Agence SEURA

(Sté Etudes Urbanisme et Architecture), professeur à l’école d’Architecture de Marne-La-Vallée], Paola VIGANO (Italie) [Architecte, urbaniste (Studio

Associato Secchi-Vigano), professeur à l’universitéd’Architecture de Venise (IUAV)], FrançoiseARCHAMBAULT (Suisse) [Architecte, urbaniste(Agence ARBANE)],la paysagiste Annie TARDIVON(Agence In Situ Paysagistes) et le critique d’architectureKaye GEIPEL (Allemagne) [Architecte, rédacteur dela revue Bauwelt].Participaient également au jury Gilles SENSINI[Architecte, urbaniste (Agence Gilles Sensini architecte

urbaniste conseil), enseignant à l’école d’architecturede Marseille] et Rachid KANDER [Urbaniste,architecte, directeur de l’Agence d’UrbanismeClermont-Métropole (AUCM)] (suppléants).

Les expertsUne commission d’expertise a procédé àl’analyse des projets. Elle était coordonnéepar Xavier BONNAUD [Architecte, urbaniste,professeur à Clermont-Ferrand, coordinateur dela commission d’expertise E9], entouré de Boris BOUCHET [Architecte urbaniste en libéral (AgenceMilieux), enseignant à Clermont-Ferrand, lauréat E9à Andenne (Belgique)], David MARCILLON[Architecte urbaniste en libéral (Agence MTa),enseignant à Lyon, expert E9, E6], Fabien GANTOIS[Architecte urbaniste en libéral (Agence GM),enseignant à Paris La Villette, lauréat E8 à Hénin-Carvin (France)], Marjolijn BOUDRY [Architecteurbaniste en libéral (Atelier d’architecture etd’urbanisme Pierre & Marjolin Boudry), lauréate E4aux Pays-Bas, lauréate Europan 2000 à Orly,membre du jury E6], Emmanuel REDOUTEY[Architecte, urbaniste, (société Profile, Paris et Lyon),enseignant-chercheur à l’Institut d’Urbanisme deParis, expert E9, E8, E7], Laurent GRAVIER[Architecte urbaniste en libéral (Agence GravierMartin Camara Architectes)].

Les 18 équipes sélectionnéesALES : « ZIG-ZAG » (LAURÉAT) : Augustin CORNET, architecte (France) 34 ans, Chloé DUFLOS,architecte (France) 31 ans.n « ECO-ACTIVATION/SYSTÈME D’OPÉRATIONS TOPOGRAPHIQUES » (MENTIONNÉ) : Emilie BOURDIER,architecte (France) 27 ans, Pierre COLLET, ingénieur agronome et en paysage (France) 26 ans,Sylvain AIRAUD, architecte (France) 27 ans, Martin BOITEAU, architecte (France) 27 ans, Nicolas AMAR, architecte (France) 29 ans.n « ALES, PLACE DE LA GARE » (CITÉ) : Stéphane BOSC, architecte (France) 37 ans, PaulaCAUSANILLES, architecte (Espagne) 29 ans, Valentine LANDES, architecte (France) 25 ans.Avec: Pierre CASTANIER, architecte (France) 26 ans, Richard DANQUIGNY, architecte (France) 36 ans.

DUNKERQUE: « ACTE I: ENTREZ EN SCÈNE » (LAURÉAT): Vincent BARUE, architecte (France)

26 ans, Etienne BOURDAIS, architecte (France) 26 ans, Nicolas BOUTET, architecte (France)

29 ans.n « 3 STRIPS » (MENTIONNÉ) »: Olivier DUFFE, architecte (France) 29 ans, Nicolas TETU, architecte(France) 27 ans.n « MOLE MANHATTAN » (MENTIONNÉ) : Sanne VAN DER BREEMER, architecte (Pays-Bas) 29 ans,Edward SCHUURMANS, architecte (Pays-Bas) 31 ans.Avec: Rob WESSELINK, étudiant en architecture (Pays-Bas) 24 ans.

L’ISLE-D’ABEAU : « UN SCÉNARIO D’ÉTABLISSEMENT HUMAIN » (LAURÉAT) : Samuel MARTIN, architecte (France) 28 ans, Christophe DUBURCQ, architecte (France) 27 ans.n « EXTRAIT URBAIN » (MENTIONNÉ) : Erik MOOTZ, architecte, urbaniste (France) 39 ans, Marc PELE,architecte, ingénieur (France) 33 ans.n « BANDES À PART » (CITÉ) : Charles BESSARD, architecte (France) 39 ans, Nanne DE RU,architecte (Pays-Bas) 33 ans.Avec: Annabelle BLIN, architecte (France) 27 ans, Kristina TEGNER, étudiante en architecture (Suède)

24 ans, Peter NILSSON, étudiant en architecture (Suède) 24 ans, James FALCONER, architecte(Grande-Bretagne) 24 ans.

SAINTES: « CARRÉ NOIR SUR FOND BLANC » (MENTIONNÉ): Etienne BESSON, architecte (France)27 ans, Laure PERROT, historienne de l’architecture (France) 28 ans, Ali SERRAJ, architecte (Maroc)28 ans, Hugues JOINAU, architecte (France) 26 ans.Avec : Stéphane GIRARD, architecte (France) 22 ans, Marie-Anne CHAN TI KIONG (France) 24 ans, Anaïs ALDON étudiantes en architecture (France) 24 ans.n « CONNEX[CITÉ] » (MENTIONNÉ) : Matthieu WOTLING, architecte (France) 28 ans, Anne-LiseBIDEAUD, architecte, urbaniste (France) 28 ans.n « FLÂNERIES SANTONES » (CITÉ) : Marie PERIN, architecte (France) 27 ans, Grégoire BARRAUD,architecte (France) 27 ans, Anna HÉRAL, architecte (France) 26 ans.

SEILH : « TRICOTER SON QUARTIER » (MENTIONNÉ) : Hervé AMBAL, architecte (France) 35 ans, David Rupp, architecte (France) 34 ans, Thersile DUFAUD, architecte (France) 30 ans.n « LES CHAMPS DES POSSIBLES… » (MENTIONNÉ) : Ilham LARAQUI, architecte (France) 29 ans, MarcBRINGER, architecte (France) 37 ans.n « SEILHABITATTOUJOURSCOLLECTIFTOUJOURSINDIVIDUEL » (MENTIONNÉ) : Silvia MOCCI, architecte,ingénieure (Italie) 31 ans, Carlo ATZENI, ingénieur (Italie) 37 ans, Adriano DESSÌ, ingénieur(Italie) 31 ans.

TRIEL-SUR-SEINE: « FIELD WORK » (LAURÉAT) : Valérie HELMAN, architecte (France)32 ans, Magali EUVERTE, architecte (France) 33 ans.Avec: Viviana COMITO, architecte (Italie) 36 ans, Isabelle KITE, architecte (France) 37 ans,Séverine LUCAS, architecte (France) 33 ans, Delphine RUDAUX (France) 31 ans.n « CHRISTINA » (MENTIONNÉ) : Lise GUEGUEN, architecte (France) 25 ans, David CRAMBERT,architecte (France) 26 ans, Lucie BRENON, architecte, urbaniste (France) 26 ans, CamilleMICHEL, architecte (France) 26 ans.n « … POUR VOIR LOIN, IL FAUT Y REGARDER DE[S] PRÈS… » (CITÉ) : Céline ROISNARD, architecte(France) 25 ans, Julien DELILE, architecte, urbaniste (France) 26 ans, Marion GOBIN géographe,urbaniste (France) 24 ans, Marlène GALLAND, architecte (France) 25 ans, Gael AUGUSTIN,architecte (France) 26 ans, Klervi LEBOT, architecte (France) 27 ans.

Dossier réalisé en collaboration avec Europan France : Anne Vigne, Jean Duriau, Pauline Lefort

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